Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill
Mardi 3 février 2015 | Volume 104 Numéro 14
Cela ne nous regarde pas depuis 1977
Volume 104 Numéro 14
Éditorial
Le seul journal francophone de l’Université McGill
rec@delitfrancais.com
Parallèlement JOSEPH BOJU
U
Le Délit
archives mcgill
ne pièce de Molière, mise en scène avec l’esprit de celui-ci, qui affiche complet tous les soirs; un colloque de littérature sur les voies et les voix de l’expérience; un débat politique sur la place de la langue française, une soirée Céline Dion chez Gertrude (Gerts); des cercles de conversations; un voyage à Québec; la liste est charmante. Que demande le peuple? Depuis une semaine, et pour une semaine encore, l’entière — et je pèse mes maigres mots —, l’entière communauté mcgilloise vit au rythme de la Francofête. Qu’es aquo? Le rendez-vous annuel de la Commission des affaires francophones. C’est-à-dire? «Le pôle de la vie intellectuelle et culturelle des francophones et francophiles de l’Université McGill», selon leur page internet. Mais encore? L’affaire de quelques-uns, et pas des moindres. Depuis des éternités, la vie étudiante du campus de McGill a toujours été animée par un certain nombre de sociétés. Parmi celles-ci, la tradition voulait qu’il y ait toujours une société française, une sorte de club pour étudiants décadents désireux de l’Europe aux anciens parapets et de la douce France. Tenez, en 1913, les étudiantes francophiles de McGill possédaient leur «Société française», haut lieu de conversations guindées et de manières apprêtées, tandis que les hommes leur récitaient des vers depuis les bancs de leur «Cercle français». Il est tout à fait naturel que l’on ressente la nostalgie de ce
qui était l’Empire, comme on peut regretter la douceur des lampes à huile, la splendeur de la marine à voile, le charme du temps des équipages. Mais quoi? Les temps ont changé, les fleurs ont fané et le temps d’avant, c’était le temps d’avant. En 2015, la bulle franco-mcgilloise dans la McGill Bubble continue d’être et d’intriguer. Avec son léger vingt pour cent d’étudiants francophones et son administration presque entièrement bilingue, McGill semble toujours soucieuse de sa minorité francophone. Et pourquoi ne le serait-elle pas? Le discours officiel semble toujours de bonne foi. S’il y a un problème concernant le fait francophone sur ce campus, il ne réside pas tant dans l’attitude de l’administration, elle progresse sur ce point. La question est étudiante. Et comme souvent, la solution est dans l’initiative. En organisant la première Francofête digne de ce nom depuis 2011, l’AÉUM, via sa Commission des affaires francophones, se redore joliment le blason. Quelques étudiants se réunissent. Un représentant étudiant se trouve dans la possibilité d’ajouter 2600 dollars de plus au budget traditionnel de 400 dollars de la Commission. Les réunions s’enchaînent, les ponts se construisent, et un autre vent souffle sur la vie intellectuelle du campus. Ce n’est pas grand chose, seulement un autre espace linguistique, qui amène son lot de réalités, de voix singulières: tantôt la voix du pays de Québec, tantôt celle des Français de France, parfois la Belgique, d’autres fois le Vietnam, les possibilités sont nombreuses. x
«Les jours défilent avec la constance du métronome, souvent conduits par la main de politiques grossières et ignorantes, sans scrupules, béates de leurs triomphes à courte vue et qui se juxtaposent tristement, selon des lignes serpentines, sur un horizon de déconvenues.» Jean-François Nadeau, Le Devoir, 2 février.
Q
u’on nous permette ici de verser quelques larmes en l’honneur d’une vieille dame du paysage mcgillois disparue, hélas, la semaine dernière. Je veux parler d’Amelio’s, cette pizzeria familiale légendaire du Ghetto McGill, installée depuis 1985 au coin Milton et Sainte-Famille. Un an après la mort son fondateur, Christopher Scodras, le restaurant a déposé le bilan. on raconte que les patrons étaient durs avec leurs employés. Il me souvient aussi qu’ils ne prenaient que «comptant». Mais tout de même, quelle perte… Oui, quelle perte immense pour les étudiants de McGill et quelle tristesse pour les habitants de la communauté Milton Parc. Oh! Combien de rencards, combien de rendez-vous, qui sont partis joyeux pour des soupers divins. On apportait son vin, on se serrait les fesses et l’on mangeait gaiement jusqu’à la dernière miette, ou bien l’on mourrait étouffé en tâchant d’y parvenir. Que mangeait-on? Des pizzas pour oublier l’hiver, les cours et les responsabilités. Des pizzas à perdre la raison, des pizzas à n’en savoir que dire, à n’avoir que le fromage d’horizon. Des pizzas enfin, pour se dire que l’on s’aime, le cœur parti dans la dernière neige. Amelio’s, Amelio’s, le temps saigne. Quand donc aurais-je de tes nouvelles? Toi seule qui recevais Le Délit chaque semaine. x
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L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal. Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).
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Actualités
vie étudiante
Une promesse de progrès
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L’administration se montre plus conciliante envers AMUSE. romane prigent
L
ors des dernières négociations qui ont eu lieu vendredi 30 janvier, l’administration de McGill a promis aux floor fellows mcgillois, représentés par le Syndicat des employé-e-s occasionnel-le-s de l’Université McGill (AMUSE), deux nouveaux documents concrets dans les prochaines semaines. Ceux-ci se réfèrent à la rédaction prévue d’une nouvelle convention collective portant sur les employés de soutien à temps partiel et complet de l’Université, car la convention actuelle expirera en avril 2015. Les nouveaux documents devraient résumer les rôles et responsabilités des floor fellows et décrire les principes directeurs de leurs interventions. L’administration a demandé un délai d’un mois pour assembler ces articles – lesquels seront ensuite discutés un par un par les deux parties, jusqu’à l’aboutissement d’un accord. La proposi-
tion de l’administration de McGill est donc attendue avec impatience du côté des floor fellows. «Il s’agit ici d’une première convention collective et il est normal que les parties prennent le temps nécessaire pour identifier des pistes de solutions satisfaisantes aux deux parties», a commenté au Délit Denis Gauthier, le représentant de l’administration à la table des négociations. Une clause «valeurs» Le processus demeure jusqu’à présent long et stagnant: il y a eu cinq séries de négociations depuis le 31 octobre 2014, sans réel avancement. Les négociations de vendredi semblent avoir été les plus constructives, malgré l’absence de document concret. Amber Gross, présidente d’AMUSE, s’est déclarée optimiste, car l’administration a mentionné que sa proposition contiendrait une clause sur les valeurs au sein des résidences uni-
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versitaires, une des revendications les plus importantes du syndicat. La présidente soutient qu’elle et ses collègues ont été clairs depuis le début: ils ne cèderont pas à ce sujet, car il est pour eux essentiel de sécuriser la pérennité de ces valeurs. Mme Gross affirme que l’administration en est consciente; la nouvelle proposition est donc prometteuse et représente surement un compromis. En septembre dernier, les 70 floor fellows ont conclu à l’issu d’un vote que protéger les valeurs actuellement en place dans les résidences mcgilloises était primordial. Celles-ci forment la base de la fonction des floor fellows – une garantie de soutien non-disciplinaire aux étudiants de première année. Mais il n’est pas commun d’avoir ce genre de description dans un contrat, d’où la nature unique du travail de floor fellow, ce qui rend le processus des négociations extrêmement compliqué. D’une manière plus générale,
AMUSE demande un rôle plus que simplement consultatif, une voix plus puissante au sein de l’administration des résidences de McGill. Cependant, l’Université aimerait conserver son droit de décision en ce qui concerne les règlements dans ces résidences, ce qui inclut les revendications des floor fellows concernant les règles de vie en résidence. C’est donc là que se trouve le conflit. AMUSE réclame un «mécanisme de protection» qui inscrive les valeurs des floor fellows dans la nouvelle convention. Cette protection légale est essentielle pour eux parce qu’elle traite non seulement des conditions de travail des floor fellows, mais aussi de leurs conditions de vie. Cet autre facteur, propre aux floor fellows, complique la donne: espace de travail et espace de vie se chevauchent. De plus, certaines de leurs revendications sont controversées, par exemple celle de la réduction de préjudice, qui consiste à
diminuer le risque encouru par une personne, un niveau à la fois. Vers un statut quo Cela dit, Amber Gross aimerait garder un statu quo, c’est à dire simplement officialiser ce qui se fait déjà. Il est étonnant pour les participants aux négociations que l’administration soit réticente à l’idée d’inclure ces valeurs dans la nouvelle convention collective. Il est possible que l’Université craigne d’inscrire une notion aussi particulière dans un document officiel, puisque ceci pourrait lui causer des ennuis d’ordres légaux. AMUSE espère voir un relâchement de ce parti pris dans le mois à venir. Lors de négociations de ce genre, il est coutume que les aspects économiques soient traités en dernier, selon Gross. Il est donc probable que le sujet de la potentielle rémunération des floor fellows soit abordé seulement une fois la question des valeurs résolue. x
actualités
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politique étudiante
Le budget, toujours le budget Anthony Masi et Jonathan Bouchard invités au conseil législatif de l’AÉUM. l’Université McGill (AÉCSUM) est membre de la FEUQ, son v.p. aux affaires externes Julien Ouellet était présent au conseil et a été questionné sur son expérience avec la fédération. Selon lui, sans la FEUQ, il ne serait pas possible pour l’AÉCSUM d’avoir une voix au niveau national.
laurence nault
Le Délit
L
es conseillers et membres de l’exécutif de l’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM) ont reçu le vice-principal exécutif, M. Anthony Masi ainsi que M. Jonathan Bouchard, président de la Fédération des étudiants universitaires du Québec (FEUQ) au conseil législatif du jeudi 30 janvier. Le conseil a été aussi l’occasion de débattre sur plusieurs sujets dont l’ajout d’un représentant pour l’école d’environnement et une modification des lois électorales de l’AÉUM. Tous contre l’austérité Le conseil a débuté sur une présentation du vice-principal exécutif au sujet des avancés liées au plan ASAP 2012: Achieving Strategic Academic Priorities. Le vice-principal Masi a souligné à quel point il était difficile pour l’Université de planifier son budget à long-terme alors que le gouvernement du Québec ne cesse d’effectuer des coupes dans le financement des universités. Questionné sur une possible dérégulation des frais de scolarité
Motions adoptées
éléonore nouel
pour les étudiants internationaux, le vice-principal exécutif a réitéré l’appui de McGill pour ce changement. Selon lui, cela permettrait d’augmenter les revenus de l’Université d’environ 7 millions de dollars par année. Par ailleurs, le vice-principal rappelle que cette somme – qui représente 1% du budget annuel de l’Université – est bien inférieure aux coupes imposées par le gouvernement. Il affirme aussi que dans certaines facultés comme celle des Arts, les étudiants ne subiront aucune
augmentation de leurs frais de scolarité. Le second invité, Jonathan Bouchard, président de la FEUQ, a donné une courte présentation au sujet de la Fédération. Invité par les membres exécutifs de l’AÉUM, il a d’abord tenu à affirmer que la FEUQ ne partage pas l’opinion de l’Université McGill au sujet de la dérégulation, mais n’en a pas plus dit sur le sujet. La présentation portait plutôt sur le fonctionnement de la FEUQ et les actions posées par la fédération.
M. Bouchard a souligné l’importance de la FEUQ sur la scène politique et son pouvoir d’influence auprès du gouvernement. M. Bouchard a promis l’annonce d’un évènement majeur sous peu afin de faire pression sur le gouvernement par rapport à ses politiques d’austérité. Bien que la FEUQ ait une affinité politique avec le Parti Québécois, M. Bouchard a tenu à préciser que la fédération n’a aucune allégeance envers un parti en particulier. Comme l’Association étudiante des cycles supérieurs de
Après le passage des invités, les membres du conseil ont discuté de l’ajout d’un siège de représentant pour l’école d’environnent. Le conseil a aussi approuvé par motion la soumission d’une question au référendum d’hiver pour l’ajout d’un nouveau frais de 2$ par semestre par étudiant à temps plein membre de l’AÉUM pour financer le projet ECOLE, une association qui visera à favoriser un mode de vie respectueux de l’environnement à McGill. Une autre question pour le référendum d’hiver, celle-ci au sujet du renouvèlement des frais pour le fond de bourses d’accès de l’AÉUM, destiné aux élèves en difficulté financière, a aussi été approuvée. Enfin, une motion pour modifier les règlements électoraux et référendaires a été adoptée.x
Qu’ils mangent de la brioche! L’AÉFA et l’administration négocient sur la nouvelle entente collective. louis baudoin-laarman
Le Délit
A
lors que le protocole d’entente qui régit les relations entre l’Université et l’Association Étudiante de la Faculté des Arts (AÉFA) s’apprête à expirer, l’association et l’administration ont entamé le mercredi 28 janvier les discussions vis-à-vis de l’ébauche d’un nouveau document sur la vente de nourriture. Le principal obstacle à l’ébauche d’un nouveau protocole cette année est la question de la marge de manœuvre de la cafétéria SNAX du bâtiment Leacock, à laquelle l’administration refuse le droit de vendre des sandwichs. Techniquement prévue dans le protocole d’entente présent, l’interdiction de la vente de sandwichs était demeurée jusqu’au semestre dernier une règle à laquelle l’AÉFA s’était soustraite jusqu’alors mais dont l’administration a imposé l’application en rappelant l’association à l’ordre au semestre dernier. «Je pense que l’Université a démontré beaucoup de flexibilité en n’imposant
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pas cette règle immédiatement aux étudiants», avait affirmé le vice-principal exécutif adjoint au conseil législatif de l’AÉFA en début janvier. Celui-ci était cependant absent de la table des négociations le 28 janvier, laissant Vilma Di Renz-Campbell, directrice et conseillère principale du bureau du vice-principal, représenter l’administration pour le moment. L’Université avait présenté à l’AÉFA un nouveau protocole d’entente en décembre, dont les principaux changements se réduisent à une augmentation des taxes administratives pour la couverture des frais de ses membres par l’AÉFA et l’augmentation des restrictions sur l’usage du nom de McGill par les associations étudiantes. Le protocole proposé par l’administration prévoit également la continuation de l’interdiction de la vente de sandwichs par SNAX, sur lequel l’administration se montre intransigeante. En cause: la protection des intérêts financiers de l’Université en ce qui concerne ses ventes de nourriture sur le campus, car SNAX étant
contrôlé par l’AÉFA et donc les étudiants, ses ventes représentent un manque à gagner pour McGill. Quant à la teneur du débat entre les deux institutions, selon Erin Sobat, v.-p. aux affaires académiques de l’AÉFA, qui représente l’AÉFA lors des négocia-
tions, «l’administration approche toujours ces négociations d’une position de pouvoir», parce que les sessions de discussion ont lieu dans le pavillon James de l’administration, et que le protocole d’entente est imposé par l’administration dû au fait que
l’AÉFA utilise un espace qui n’est pas le sien. M. Sobat présentera en détails les aboutissements de la rencontre du 28 janvier ainsi que la stratégie de l’AÉFA pour les futures séries de négociations au conseil législatif de l’AÉFA le 4 février.x
Association cherche secrétaire général louis baudoin-laarman
Le Délit
Le secrétaire général de l’Association étudiante des cycles supérieurs de l’Université McGill (AÉCSUM) Juan Camilo Pinto, a annoncé sa démission officielle lors du dernier comité exécutif de l’association le 28 janvier dernier. Sa démission devra d’abord être approuvée au conseil de l’AÉCSUM le 4 février prochain, auquel cas elle prendra effet dès lors. Dans sa lettre de démission, M. Pinto a cité des raisons personnelles comme la cause principale de son départ, et affirmait
apprécier le soutien qu’il a reçu de certains membres du conseil exécutif après l’annonce de son départ. L’AÉCSUM recherche donc actuellement un secrétaire général en intérim, qui se chargera du portefeuille de M. Pinto jusqu’à la fin prévue de son mandat. Les candidats intéressés ont jusqu’au 9 février pour se manifester, et en interne à l’AÉCSUM on affirme que deux personnes seraient déjà intéressées par le poste. Selon Julien Ouellet, v.-p. aux affaires externes de l’association, le changement de secrétaire général ne sera pas forcément synonyme d’une perte d’efficacité dans le
champ d’action de l’AÉCSUM. «Je pense qu’un renouveau sera utile parce qu’il y avait une situation [à l’AÉCSUM] qui faisait en sorte qu’il [Juan Pinto] recevait énormément de critiques, donc cette évolution va probablement alléger la situation.» En effet, le comité des directeurs de l’AÉCSUM a émis une motion de censure le 13 novembre 2014, retirant à M. Pinto ses responsabilités en ressources humaines à l’association, motion suivie le 10 décembre par un non de l’équipe exécutive de l’AÉCSUM lors d’un vote de confiance au sujet de ses compétences de secrétaire général.x
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campus
Divest contre les gouverneurs L’association soumet une nouvelle pétition pour convaincre l’administration. laurence nault
Le Délit
M
algré le froid et la poudrerie, les partisans de Divest McGill se sont réunis le lundi 2 février pour célébrer le 2e anniversaire de leur première soumission au Committee to Advise on Matters of Social Responsability (CAMSR) [Comité de conseil en matière de responsabilité sociale, ndlr], et du même fait, soumettre un nouveau résumé de recherche. En début d’après-midi, une dizaine d’étudiants membres de Divest McGill accompagnés de Gregory Mikkelson, professeur à l’École d’environnement de McGill, ont présenté un résumé de recherche et une pétition contre les investissements dans l’industrie fossile au président ainsi qu’au secrétaire général du Conseil des gouverneurs, l’organe directeur de l’Université, et sous l’autorité duquel se trouve CAMSR. Par la suite, au début de la réunion du Conseil des gouverneurs, environ 30 sympathisants de l’association se sont réunis à l’extérieur du bâtiment de l’admi-
nistration pour célébrer autour d’un gâteau. L’objectif de l’opération était de convaincre le Conseil des gouverneurs que l’industrie fossile est la cause de multiples préjudices sociaux et qu’à la lumière de cette information, McGill devrait se désinvestir de cette industrie. Pour Ella Belfer, étudiante en économie et environnement et membre de Divest, interagir directement avec le Conseil des gouverneurs est essentiel. Selon elle, le Conseil est isolé du corps étudiant et il est important de montrer que les étudiants ont aussi leur mot à dire sur les investissements de McGill et qu’ils s’opposent aux présentes actions de McGill. Le document déposé par Divest McGill il y a deux ans avait poussé le CAMSR à réviser sa définition du préjudice social pour y inclure les impacts négatifs graves sur l’environnement. Cependant, les membres de Divest McGill ont l’impression que le CAMSR n’a pas réellement justifié pourquoi il ne reconnaissait pas les arguments présentés par l’organisation. David Summerhays, membre du
sam quigley
comité, affirme que cette fois-ci, Divest McGill souhaite obtenir une réponse plus détaillée de la part du CAMSR en matière de responsabilité sociale: «On veut que le CAMSR exprime clairement sa position et que les membres justifient point par point pourquoi ils réfutent nos arguments.» Selon Kristen Perry, une autre membre de Divest McGill présente lors de la remise du résumé, les représentants du Conseil des gouverneurs ont fait preuve d’ouverture face aux démarches de Divest McGill lors de la rencontre du 2 février mais sont restés plutôt évasifs quant à
leurs intentions pour la suite des événements. «Les changements effectués par le CAMSR obligent les conseillers à revoir comment ils vont traiter notre démarche. Ils ne peuvent plus simplement dire que les dommages environnementaux ne sont pas des préjudices sociaux», affirme-t-elle. Le résumé de recherche présenté contient plus de 150 pages. Une équipe d’environ une dizaine de personnes mandatées par Divest McGill a travaillé sur le résumé depuis septembre 2014. Les membres du comité de recherche viennent de domaines variés allant des sciences environnementales à
l’histoire en passant par l’informatique et la médecine. Divest Mcgill ne compte pas s’arrêter là dans sa campagne. Le 13 février sera l’occasion de célébrer la journée mondiale du désinvestissement. Par ailleurs, l’organisation reçoit l’appui d’un groupe de professeurs sur le campus qui publieront sous peu leur propre document de support à la campagne de désinvestissement. L’association collabore aussi avec d’autres groupes environnementaux et de justice sociale afin de militer entre autres contre le projet d’oléoduc Énergie Est proposé par TransCanada. x
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actualités
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campus
Langue française bien pendue
La CAF organise un débat sur le français entre jeunes leaders provinciaux. pablo-vladimir de la batut
Le Délit
L
a Commission des affaires francophones (CAF) de McGill a organisé lundi midi une table ronde au sujet de la place de la langue française au Québec, dans le cadre de la Francofête, une série annuelle d’événements autour de la francophonie. On attendait l’avocat Frédéric Bérard, qui devait initialement remplir le rôle de modérateur du débat. Retenu pour une entrevue avec la chaine de télévision TVA au sujet de l’imam Chaoui, il n’a finalement pas pu venir. La rencontre n’a pas eu à souffrir de cette absence, puisque Martin Crevier, commissaire de la CAF, a pu, au pied levé, le remplacer. Dans la salle Madeleine Parent du bâtiment de l’AÉUM devant une quinzaine de personnes, les représentants des quatre principaux partis politiques québécois ont pu échanger entre 12h et 13h30. Étaient présents: Alexandre Leduc pour Québec Solidaire, David Raynaud pour
Coalition Avenir Québec, Stéfanie Tougas pour le Parti Québécois et enfin Stéphane Stril pour le Parti Libéral du Québec McGill. Le thème de la réunion: «Parlons français.» Il s’agissait de parler en français pour parler du français. La langue française est-elle aujourd’hui menacée? Est-ce encore un enjeu politique majeur, ou seulement un «épouvantail» agité par certains leaders politiques? C’est par cette première série de questions que le débat a commencé. Ouvrant la discussion, Stéphane Stril (PLQ) a reconnu que la question de la langue française au Québec est toujours d’actualité en 2015. «Il faut rester vigilant», dit-il. Cependant, il convient, selon lui, de «dédramatiser et sortir de l’émotif». La langue française est loin d’être en crise. Ceux qui défendent l’inverse ne font, d’après lui, que «nourrir des peurs». Stéfanie Tougas reconnaissait elle aussi que le mot «crise» est bien trop fort. La vice-présidente de l’aile jeunesse du Parti Québécois (CNJPQ), étudiante à l’Université de Montréal,
tenait en même temps à souligner que la moitié des immigrants arrivant à Montréal n’a pas de connaissance du français. C’est là pour elle un enjeu important. Alexandre Leduc abondait dans ce sens: «La clé de la francisation se joue dans le travail.» C’est alors, tout naturellement, que la question de la loi 101 est venue s’intégrer à la discussion. Pour Québec Solidaire, les entreprises ne respectant pas la loi 101 devraient se voir infliger de véritables «malus», et pas seulement un blâme. De même, il devrait y avoir un système de bonus pour soutenir les investissements culturels qui permettent la promotion de la langue française. Si tous semblaient s’accorder à dire qu’une certaine vigilance doit être maintenue, les enjeux de la loi 101 ont permis de voir de véritables divergences entre les quatre jeunes leaders. Le ton s’est fait plus polémique. David Raynaud plaidait pour une «modernisation de la loi 101». Alexandre Leduc a pu lui faire remarquer que la CAQ n’a pas
aidé à la réussite des récentes tentatives de modernisation. Le PLQ a lui aussi été visé. Stéphane Stril et Alexandre Leduc se sont tout de même retrouvés sur un sujet: l’évolution de la loi 101 dans le domaine des entreprises. La loi 101 ne s’applique aujourd’hui qu’aux entreprises de 50 salariés et plus. Québec Solidaire veut abaisser ce seuil, pour élargir l’application de la Charte de la langue française. Stéphane Stril s’est dit personnellement favorable à cette
mesure. Même consensus enfin sur la question du bilinguisme des juges de la Cour suprême: «une évidence» pour Alexandre Leduc, «pure logique» pour David Raynaud. La table ronde s’est conclue sur une courte période de questions, durant laquelle les membres de l’assistance pouvaient interroger les conférenciers pour plus de détails sur les positions des partis sur la question du français au Québec.x philippe robichaud
McGill internationale et engagée La i-Week se pose la question de l’engagement étudiant. esther perrin tabarly
Le Délit
L
e International Student Leadership Program (Programme international étudiant de leadership, ndlr) de l’Université McGill a organisé du 26 au 30 janvier derniers la i-Week, une occasion de mettre en valeur la diversité culturelle des étudiants mcgillois. Les événements, prévus par diverses organisations étudiantes, étaient très variés, allant des ateliers de familiarisation culturelle aux conférences sur la vie professionnelle. Mercredi soir, dans le cadre de la semaine, l’organisation Campus Life & Engagement, une branche des Services aux étudiants de McGill, tenait à Leacock une miniconférence sur le thème des leaders émergents. Les ateliers et discussions de la soirée avaient pour but d’encourager l’engagement étudiant sur un campus multiculturel. La mini-conférence a été inaugurée par un discours de l’entrepreneuse Wanda Bedard, diplômée de McGill et fondatrice de 6o million girls, une association caritative pour l’éducation des jeunes filles dans les pays en développement. Mme Bedard a exprimé l’importance de l’éducation, qui est pour elle «l’un des outils qui peut changer radicalement une communauté». Elle a
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expliqué qu’il est établi qu’en augmentant la durée de scolarisation obligatoire d’un an dans un pays, la mortalité maternelle et infantile peut être réduite de 15 à 20%, et que le revenu moyen peut augmenter de 15 à 25%. S’adressant aux étudiants dans l’assemblée, Mme Bedard a tenu à les encourager à s’engager: «chacun peut avoir un impact de nos jours, tous vos talents peuvent être mis à profit dans une organisation internationale!» Participer à la vie du campus Dans une autre partie de la soirée, la parole a été donnée à un comité d’étudiants de McGill qui se sont distingués par leur engagement dans les différentes associations du campus. La conférence Hear from peers (La parole à vos pairs, ndlr) accueillait comme représentant de la politique étudiante le v.-p. aux affaires académiques de l’AÉFA Erin Sobat, qui, interrogé sur les causes de la réticence de certains étudiants à s’engager dans les associations, a répondu que la peur de l’inconnu et la crainte du manque de temps sont des facteurs fondamentaux. Il a ajouté, cependant, qu’ «une fois que vous aurez dépassé ce stade, que vous aurez appris à gérer votre temps», la motivation se trouvera
toute seule. C’est particulièrement le cas des étudiants internationaux, qui représentent plus de 20% de la population mcgilloise, et qui s’habituent plus ou moins rapidement à un environnement étranger, pour certains dans une langue étrangère. Udita Samuel, facilitatrice de l’engagement communautaire auprès du Bureau de la vie en résidence de McGill, a déploré l’idée préconçue que tous les étudiants engagés sont des gens extravertis: pour elle, le
confort vient avec le temps, et les introvertis ont leur place au sein des associations. Ils sont souvent ceux «qui font avancer les choses», parce qu’ils font souvent preuve d’une vision des choses différente qui aide à compléter le schéma. S’engager à l’Université, c’est «sortir de l’esprit universitaire, ça peut changer ou renforcer une perspective sur ce qu’on aime, ce qu’on veut faire», selon Maria Ines Lou, la v.-p. aux affaires externes de la McGill Psychology
Student Association (Association des étudiants en psychologie de McGill, ndlr). En chœur avec Mme Samuel, elle ajoute que l’investissement parascolaire présente l’avantage de donner une expérience plus complète des années universitaires. On apprend à mieux connaitre le campus, la ville, la façon dont les choses marchent. Mme Samuel ajoute: «on a un peu tendance à rester confinés dans notre ghetto. Il faut profiter de Montréal!»x
brève
Sexe en tous genres. eléonore nouel
Le Délit
L
a septième édition de la semaine Rad Sex se déroule depuis lundi le 26 janvier sur le campus de McGill et ses alentours, et continuera jusqu’au jeudi 5 février. Organisée par Queer McGill, cette semaine particulière consiste principalement en un ensemble d’ateliers d’information et d’apprentissage sur la sexualité sous toutes ses formes et dans tous les genres. L’idée est de parler sans pudeur de sexualité(s) dite(s) «non-conventionnelle(s)»
afin d’en explorer et déstigmatiser l’expression. Au programme, des ateliers de conseils et de discussions en petit comité. Les conversations touchent notamment au sujet du consentement, une notion en théorie connue et pourtant souvent mal appliquée ou en pratique difficile à comprendre, en faisant donc un thème de débat intéressant dans des conditions intimes. L’atelier Embodied consent (Le consentement incarné, ndlr), par exemple, avait pour objectif d’aider à comprendre les manifestations corporelles et psychologiques du consentement.
Mais la semaine Rad Sex, c’est aussi des ateliers ludiques et pratiques. Par exemple, des ateliers d’introduction au monde drag et aux jeux de perçage se déroulaient samedi dernier. D’autres évènements, tels qu’un cours d’initiation à la danse de poteau, sont prévus pour cette semaine. Il y en a donc pour tous les goûts, mais aussi et surtout pour toutes les oreilles curieuses et respectueuses, puisqu’il s’agit bien aussi d’évènements visant à informer et éduquer le public intéressé afin de favoriser une sexualité libérée et sécuritaire. x
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chronique
50% - 1 Jeremie Casavant-Dubois | Au fil de la campagne.
L
a chefferie du Parti Québécois est pour l’instant l’affaire d’un seul homme: Pierre-Karl Péladeau. L’homme d’affaires souverainiste affiche une avance remarquable vis-à-vis de ses adversaires. Dans les trois sondages Léger effectués depuis le 27 septembre, le premier score de PKP était à 53% avant de monter à 58% en novembre et d’atteindre 68% le 12 décembre. Il est tellement en avance que Jean-François Lisée a rendu son tablier avant même
que le combat ne soit commencé, et a ainsi concédé la victoire au propriétaire de Québecor. Plus on se rapproche du lancement officiel de la campagne, plus on ressent le désir des péquistes d’en savoir plus sur les intentions du favori. Comment se fait-il qu’un homme d’affaires à la réputation intransigeante puisse soudainement se réinventer en social-démocrate? PKP se donne des airs de leader syndical. Son discours à la fonderie Mueller, dont la fermeture a été annoncée en décembre, debout à l’arrière d’un camion pick-up dans sa circonscription de St-Jérôme vaut la peine d’être regardé. Heureusement pour vous, les caméras de TVA (quel hasard!) étaient sur place pour capturer l’instant! Il relèverait du miracle qu’un candidat remporte plus de voix que Pierre-Karl Péladeau au premier tour de la chefferie. Mais contrairement à ce que Jean-François Lisée a dit, l’élection n’est pas gagnée d’avance. Ce qui rend la chose intéressante est le mode de scrutin du Parti Québécois ; mode unino-
minal majoritaire à deux tours. Dans le cas où PKP n’obtiendrait pas la majorité absolue (50% +1) au premier tour, le PQ organiserait un second tour entre les deux premiers candidats. Cela pourrait préparer le terrain pour une stratégie du «n’importe qui sauf PKP», éventualité à laquelle certains candidats et syndicats se préparent probablement déjà. Le PQ n’a pas encore annoncé sa décision sur le nombre de débats qui seront tenus durant la campagne. Le principal argument contre la tenue de cinq débats est leur prix. C’est un argument ridicule; l’avenir de la formation politique est en jeu et pendant que la direction du Parti hésite à organiser plus de deux débats, le favori de la course a annoncé qu’il utilisera un avion pour se déplacer lors de la campagne. De plus, cela ne fera vraisemblablement pas partie des dépenses électorales. Belle ironie! Au cours de la campagne, Pierre-Karl Péladeau devra en laisser savoir plus sur ses positions et orientations, ce qui le fera probablement descendre
dans les sondages. On ne peut jamais satisfaire tout le monde. Au premier débat non-officiel le 28 février à l’Université de Montréal dans le cadre de la semaine de la souveraineté, M. Péladeau était hésitant sur le calendrier référendaire et n’a pas trop osé s’engager sur la question. Surtout avec sa position de favori, les attaques seront principalement dirigées contre lui. De plus, les nombreux conflits de travail au sein de Québecor laissent une tâche dans son dossier. Les syndicats, alliés de longue date du PQ, semblent réticents à laisser les reines du PQ à M. Péladeau. Pour l’instant, la lutte pour la deuxième place se tient entre Bernard Drainville et Alexandre Cloutier. Jean-François Lisée s’est retiré de la course et ne fait donc plus partie de l’équation. Toutefois, il est loin d’avoir donné son appui au favori «[PierreKarl Péladeau] n’est pas notre premier choix et pour certains d’entre vous n’est pas votre deuxième choix». Une 2e place de Martine Ouellette ou Pierre Céré est
quasiment impossible, leurs meilleurs scores en sondages étant respectivement 5% et 1%. Bernard Drainville se présente en ce moment comme la meilleure deuxième option. C’est dire que la vraie course se fait pour la 2e place. Cette place pourrait permettre d’affronter Pierre-Karl Péladeau dans un match simple au deuxième tour et de peut-être créer la surprise générale en ralliant assez d’appuis pour remporter la chefferie. Tout au moins, un deuxième tour donnerait au Parti Québécois un vrai débat en profondeur. Il reste à savoir si les autres candidats seront capables de limiter le favori à 50% - 1 au premier tour car la dernière chose qu’il faille au PQ est le couronnement d’un candidat qui n’aura pas été testé sur le champ de bataille des idées. Un candidat bien affirmé avec des idées claires sur les sujets importants de la province donnera plus de chance au Parti Québécois de former le prochain gouvernement, mais aussi de représenter une opposition efficace pour les trois prochaines années. x
chronique visuelle
L’illus’ tout crue
le délit · mardi 3 février 2015 · delitfrancais.com
luce engérant
Le Délit
actualités
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Société societe@delitfrancais.com
Un Institut qui fait belle figure Quelle résonnance des voix autochtones sur le Plan Nord? any-pier dionne
Le Délit
L
a relance du Plan Nord, un projet controversé visant à «développer le potentiel économique, minier, énergétique, social, culturel et touristique du territoire [nordique ]» initié par Jean Charest en 2011, était un point central de la campagne du Parti Libéral du Québec (PLQ) lors des dernières élections provinciales. Conscient toutefois que «le niveau de connaissance du territoire» ne permet actuellement pas de développer le «plein potentiel» du Nord dans le respect de l’environnement et des communautés nordiques, le ministre Pierre Arcand a annoncé, en octobre dernier, la création d’un institut de recherche multidisciplinaire sur le Nord québécois pour pallier à cette lacune. Les chercheurs de l’Institut nordique du Québec (INQ), dont les principaux partenaires sont pour l’instant l’Université Laval, l’Université McGill et l’Institut national de recherche scientifique (INRS), uniront leurs efforts afin de développer des «connaissances solides dans les domaines social, économique et environnemental» du Nord québécois, expliquait le ministre Arcand en conférence de presse le 15 octobre dernier. Des voix s’élèvent toutefois pour dénoncer le peu d’importance accordée aux communautés nordiques dans ce nouvel institut de recherche. Premier pas: réunir les chercheurs La première esquisse de l’Institut nordique du Québec remonte à l’année 2011-2012, lorsque l’Université Laval avait tenu un exercice de consultations et de rencontres où «on a déterminé les besoins et enjeux de recherche [prioritaires]» pour le Nord du Québec, explique M. Denis Mayrand, vicerecteur adjoint à la recherche et à la création de l’Université Laval, en entrevue téléphonique avec Le Délit. Il précise que l’exercice s’inscrivait dans le cadre du Plan Nord, bien qu’il n’y était pas officiellement relié. L’Université Laval possède depuis longtemps déjà une expertise dans le domaine de la recherche sur les territoires nordiques: l’Université est à la tête
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de sept regroupements de chercheurs qui s’intéressent au Nord, dont le Centre d’études nordiques qui existe depuis plus de 50 ans. C’est pourquoi le gouvernement du Québec a confié à cette université le mandat, au printemps dernier, de mettre sur pied un institut de recherche sur le Nord québécois. Chargée de ce projet, l’Université Laval s’est entourée de nouveaux partenaires de recherche dotés d’expertises complémentaires. C’est ainsi que les ententes avec l’Université McGill et l’INRS ont été conclues, aboutissant à la création de l’INQ annoncée en conférence de presse le 15 octobre 2014. Pour l’instant, les recherches
La journaliste Sarah Laou expliquait, dans un article de Ricochet paru le 20 janvier 2015, que «dans le contexte historique colonial, […] [si] les gouvernements provinciaux ont l’obligation de consulter les Premières Nations avant d’autoriser toute activité pouvant porter atteinte à leurs droits, dans les faits, il n’en est rien». Les exemples d’exploitation des territoires autochtones sans le consentement des peuples qui y résident abondent: barrages hydroélectriques provoquant l’inondation de terres autochtones, déforestations, pollution causée par des mines exploitées par des compagnies privées qui quittent les lieux sans amelia Rolls
n’ont pas encore commencé; on en est encore à «s’organiser [et] faire les liens avec tous les partenaires», une tâche longue et complexe, nous explique M. Mayrand. Toutefois, les travaux sont lancés, et le projet avance, affirme-t-il. Colonialisme 2.0 La majorité des projets proposés par le Plan Nord serait menée par des compagnies privées sur des territoires autochtones. Malgré l’opposition de ces communautés – dont les activités traditionnelles seraient «menacées par le Plan», selon un rapport de Divest McGill présenté en février 2013. Le gouvernement libéral réélu au printemps dernier devrait rendre public son projet de relance du Plan Nord dans le mois à venir, nous confiait M. Denis Mayrand.
décontaminer les sols…, le mandat de l’INQ est de «soutenir les communautés, les entreprises et le gouvernement en mettant au point des solutions permettant de répondre aux défis du développement dans le Nord», explique un porte-parole du Bureau de la recherche et des relations internationales de McGill dans un échange de courriels avec Le Délit. Le poids des voix M. Mayrand explique que l’INQ devra veiller à ce que le développement du Nord bénéficie à tous les acteurs: «le grand défi qu’on se donne […] [est] d’avoir les communautés et les [compagnies privées] ensemble». Le modèle privilégié pour parvenir à garantir la participation des communautés autochtones aux
projets de recherches de l’Institut est celui de consortium. Ce type d’alliance a déjà servi à Arcticnet, un regroupement de chercheurs qui s’intéressent aux impacts des changements climatiques dans l’Arctique canadien côtier. Suivant ce modèle de fonctionnement, le conseil d’administration est composé de représentants des entreprises privées, des communautés autochtones, du gouvernement provincial et des universités qui mènent les projets de recherche. De plus, les populations du Nord sont consultées en premières pour permettre une définition juste des besoins de recherche. Une fois la recherche terminée, on se chargera de «redonner aux communautés les résultats [qui permettent ensuite] de prendre des décisions localement». Ce modèle permet, selon M. Mayrand, d’instaurer une confiance mutuelle et «d’associer les communautés [aux décisions]». Malgré la ferme intention de l’Université de faire une place aux représentants autochtones autour des tables de négociations, leurs voix sont souvent sous-représentées: lors de l’exercice de consultation qui a mené à la création de l’INQ en 2011, par exemple, on trouvait un seul représentant autochtone sur une soixantaine de participants. En plus des deux partenaires déjà impliqués – l’Université McGill et l’INRS – , M. Mayrand indique que d’autres universités sont intéressées à se joindre au projet, dont l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) et l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), qui sont plus près des communautés autochtones et possèdent des expertises complémentaires à celles des membres actuels de l’INQ. On envisage également de développer des «plateformes» de l’INQ dans le Nord, soit à Kuujjuarapik – où l’Université Laval possède déjà un centre de recherche – et à Kuujjuaaq. Le Daily du 27 octobre dernier rapportait toutefois que le maire de Kuujjuaaq Tunu Napartuk déplorait que les pourparlers avec sa communauté – qui sera directement touchée par les projets du Plan Nord – sont très limités. Le maire regrettait que bien que «le gouvernement écoute les préoccupations exprimées par les représentants des communautés autochtones», ce sont souvent les objectifs de la province qui sont priorisés.
Intérêts privés à McGill Divest McGill présentait, en février 2013, un rapport dénonçant le Plan Nord – notamment parce qu’il est imposé aux communautés du Nord sans leur consentement – et demandait à McGill de retirer ses investissements dans les compagnies privées qui y participeront. En effet, quinze compagnies privées dans lesquelles McGill détient des investissements sont impliquées dans le Plan Nord. Lors de la conférence de presse du 15 octobre, annonçant la participation de McGill à l’INQ, la principale et vice-chancelière de l’Université McGill, Madame Suzanne Fortier, mettait de l’avant l’innovation sociale que permettra l’INQ. Elle expliquait que «l’Institut servira de carrefour intégrateur aux chercheurs des universités fondatrices ainsi qu’aux représentants du secteur privé», sans faire mention des communautés du Nord. Lorsque Le Délit a demandé comment McGill comptait veiller à l’inclusion des voix des communautés nordiques dans les recherches, le porte-parole du Bureau de la recherche et des relations internationales de McGill est resté vague en répondant que l’Université «s’engageait à développer des partenariats entre les communautés et les chercheurs», aucune mesure concrète n’a été annoncée. Contrairement à M. Mayrand, qui est sensible à l’inclusion des communautés autochtones dans les recherches de l’Institut, le porte-parole du Bureau de la recherche et des relations internationales semble plutôt centré sur les intérêts privés des possibles retombées du Plan Nord pour l’Université et les compagnies dans lesquelles McGill détient des investissements Ainsi, bien qu’on puisse saluer la volonté du gouvernement de créer un institut de recherche déstiné à trouver des solutions permettant le développement durable du Nord québécois, confier le mandat des recherches à trois institutions situées dans de grands centres urbains éloignés des régions du Nord laisse planer un doute quant au réel désir d’inclure les voix des communautés nordiques dans le projet. À ce jour, aucune mesure concrète n’assure que cette volonté affichée par l’INQ sera respectée.x
le délit · mardi 3 février 2015 · delitfrancais.com
Enquêtes
Montréal, rue Sexe-Catherine La face sombre de la prostitution confondue dans les néons. MAtiLDA NOTTAGE & MARGOT MOLLAT
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’enseigne tape-à-l’œil «Super Sexe» qui colore la rue Sainte-Catherine et les nombreux bars de danseuses qui parsèment le centre-ville de Montréal semblent indiquer que l’industrie du sexe y est active et féconde. Être exposé à ces vitrines du commerce sexuel amène cependant à une idée réductrice de la prostitution. Bien loin de ce que nous laissent voir les enseignes publicitaires, les ébats mercantiles ne semblent pas toujours être le lieu du libre arbitre.
ADM sur la Prostitution et l’Exploitation Sexuelle des Jeunes, datant d’il y a presque quinze ans, estime que dans certaines communautés de ColombieBritannique, les jeunes des Premières Nations composent jusqu’à 65% des jeunes exploités par l’industrie du sexe. Difficile de généraliser ces chiffres à Montréal en 2015, cependant les disparitions mystérieuses de femmes autochtones ne sont pas
gouvernement canadien de légiférer sur les réserves: «La conséquence d’être confiné dans des réserves, c’est que les hommes et femmes ont perdu leur responsabilité traditionnelle et leur force, qu’elle soit mentale ou physique. Les femmes étaient alors considérées comme la propriété de ces hommes qui commencèrent à croire qu’ils devaient penser comme l’homme blanc.» Selon le rapport «Aboriginal
Lutte, aide et légalité Il existe des associations telles que Love146 qui luttent au Canada et à l’international pour l’abolition de ce trafic à travers des campagnes de sensibilisation et d’éducation des potentielles victimes. Un suivi, un soin et une réinsertion de ces personnes sont aussi des techniques qui sont utilisées pour leur venir en aide; lorsque
Métier ou travail forcé Au gré des enchantements: agences d’escortes, bars de striptease dits «exotiques», massages érotiques, projections de films pornographiques… voguent les clients. Pourtant, les institutions légales ne sont pas les seules à offrir de tels services. De larges réseaux de proxénètes et gangs de rue prennent part à un trafic d’êtres humains pour l’industrie du sexe, selon le rapport «Human Trafficking in Canada» publié en 2010 par la Gendarmerie Royale du Canada (GRC). La GRC estime à environ 600 par année le nombre d’individus trafiqués et victimes d’exploitation sexuelle au Canada. Le même rapport indique que la plupart de ces individus sont des femmes canadiennes âgées de 14 à 25 ans, souvent marginalisées et vivant sous le seuil de pauvreté. Les victimes de cette industrie sont aussi des sanspapiers, difficiles à recenser, et plus vulnérables en raison de leur statut. Femmes autochtones, cible commode? Il apparait toutefois qu’un groupe minoritaire est représenté de manière disproportionnée dans cette industrie: les femmes des Premières Nations. Il n’est pas simple d’estimer le nombre exact de personnes impliquées dans cette industrie illégale à Montréal. Le milieu est difficile d’accès, les preuves souvent anecdotiques, et les chiffres manquent. Une étude du Comité
Matilda Nottage
Le 6 octobre 2014, le projet de loi C-36, qui vise à décriminaliser les travailleuses du sexe et criminaliser les clients et proxénètes, a été adopté par la Chambre des Communes. Éliane LegaultRoy, membre de la Concertation des Luttes contre l’Exploitation Sexuelle (CLES), décrit les avantages et les limites de cette nouvelle loi: «Une étude récente menée par trois économistes dans 150 pays a démontré que la légalisation de la prostitution a pour effet d’augmenter la demande, mais comme la légalisation ne fait pas en sorte que plus de femmes sont dans le besoin ou que plus de femmes ont “envie” d’être prostituées, la légalisation augmente inévitablement la traite humaine pour répondre à la demande. De plus, c’est beaucoup plus facile de cacher des victimes de traite ou des mineures dans des lieux fermés comme des bordels que dans la prostitution de rue». Elle souligne cependant un bon côté des nouvelles mesures: «on voit enfin la prostitution non comme un crime, mais comme une atteinte à la sécurité des femmes. La loi vient avec un budget de vingt millions de dollars sur cinq ans et le gouvernement canadien est en appel de projet pour le soutien à la réinsertion des femmes: mesures d’employabilité, de santé, d’hébergement… on espère aussi qu’une partie des fonds va viser à sensibiliser les hommes, parce que ce n’est pas une fin en soi de les criminaliser, il faut plutôt les encourager à ne pas devenir clients à travers l’éducation et les campagnes de sensibilisation.» Demain, plus rose?
Les traumatismes engendrés par ces agressions font de ces personnes des victimes faciles pour les proxénètes des évènements rares. Les marches pour les femmes autochtones disparues et assassinées témoignent aujourd’hui du silence qui a longtemps plané et plane encore sur les violences perpétrées à l’encontre de ces femmes. Beverly Jacobs, ancienne présidente de l’Association des femmes autochtones du Canada (AFAC), dénonce les échos des premières versions de la Loi sur les Indiens qui permettait au
le délit · mardi 3 février 2015 · delitfrancais.com
Victimization in Canada: A Summary of the Literature» de Katie Scrim, chercheuse au Département de Justice du Canada, entre 25 et 50% des femmes autochtones ont été agressées sexuellement lors de leur enfance, contre 20 à 25% en moyenne pour le reste de la population. Les traumatismes engendrés par ces agressions font de ces personnes des victimes faciles pour les proxénètes.
prévenir ne suffit pas, il faut guérir. D’autres associations telles l’AFAC luttent au niveau national pour le bien-être des femmes des Premières Nations en leur donnant une voix dans le monde politique. Le projet LUNE (Libres, Unies, Nuancées, Ensemble), «par et pour» les travailleuses du sexe, propose des hébergements d’urgence et des programmes d’éducation et de santé.
Un Plan d’action directeur sur la prostitution et la traite de personnes à des fins d’exploitation sexuelle pour les années 2014 à 2016 a été émis par le Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM). Il cherche, entre autres, à approfondir les connaissances qui touchent au phénomène de la prostitution afin de faire des progrès malgré les changements continuels du milieu. Si Montréal ne cache pas son sexe, la police n’en est pas moins préoccupée par les abus de son industrie, et la solution miracle pour le défaire de son caractère parfois nuisible n’a pas encore vu le jour. x
société
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Point de vue Opinion
Pourquoi #jétaischarlie L’histoire d’un peuple à grande gueule. Vincent Harion
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a médiatisation de l’attaque de Charlie Hebdo serait-elle indécente en comparaison de la tragédie ayant eu lieu la même semaine au Nigeria? Nous nous devons d’énoncer une vérité évidente mais fondamentale: l’énorme médiatisation de l’attentat terroriste qui a fait douze morts ne résulte en aucun cas d’une sorte de quantification du décès humain. La considération pour les personnes assassinées lors des massacres de Boko Haram n’est pas moindre que celle accordée aux victimes de «Charlie Hebdo». Mais la symbolique derrière l’événement est tout autre: en assassinant Cabu, Wolinski, Charb ou Tignous, les terroris-
tes ont tiré à la Kalachnikov sur notre droit à la liberté d’expression. Ce droit, la France l’a revendiqué pendant toute son histoire. Le 11 janvier 2015, les Français se sont en effet rassemblés pour défendre une des valeurs fondatrices de la révolution française de 1789: la liberté d’expression. Elle constitue le socle idéologique de la France depuis la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Représenté par la presse et les médias, ce quatrième pouvoir agit depuis comme un contrepouvoir face aux pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Tradition inaliénable Depuis 1789, le droit à la liberté d’expression a contribué
à forger l’histoire de la France. L’affaire Dreyfus n’aurait pas acquis cette importance capitale si Bernard Lazard n’avait pas publié en 1897 L’affaire Dreyfus – une erreur judiciaire, et si Émile Zola n’avait pas écrit en 1898 son J’accuse, qui permit de rouvrir le dossier Dreyfus que l’État-major considérait clos. Maniée aussi bien par les dreyfusards que les antidreyfusards, la liberté d’expression a été au centre d’un des évènements les plus importants de l’histoire de France: la remise en cause par le peuple d’une décision du pouvoir judiciaire. L’Affaire Dreyfus a ainsi renforcé la République française, jugée jusqu’alors fragile. La liberté d’expression a aussi permis l’émergence des intellectuels, que Barrès et Brunetière ont définis, après
l’Affaire Dreyfus, comme ceux dont l’activité repose sur l’exercice de l’esprit et qui prennent position dans la sphère publique. Ce sont eux qui vont façonner, loin de la censure, la pensée française. Quand Simone de Beauvoir publie en 1949 Le Deuxième Sexe, l’accueil qui lui est réservé est loin d’être élogieux. La philosophe y démantèle les connaissances établies sur la place et l’identité de la femme. Mais la liberté d’expression, confortée par la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905, tient bon: en France, bastion de la liberté d’expression, il n’a jamais été question de censurer l’écrivain. Parallèlement, au Canada, l’Église catholique et l’archevêché de Montréal interdisent la vente de son livre jusque dans les années 1960.
Tradition non aliénée Si le peuple français a été meurtri par l’attentat du 11 janvier 2015, c’est parce qu’en tuant Cabu et les autres, ces terroristes ont bafoué une partie essentielle de son identité. Si le mouvement a connu un souffle international, c’est qu’il portait en lui la révolte contre une forme d’autoritarisme et la promotion des valeurs républicaines. Le mouvement dépasse donc le statut d’hommage aux victimes: #JeSuisCharlie condamne l’atteinte à la liberté d’expression et veut rassurer les satiristes et journalistes du monde entier. En marchant le 11 janvier, les manifestants ont clairement exprimé que jamais ils n’accepteront qu’on les fasse taire. J’étais, suis et serai Charlie.x
La Société des Publications du Daily présente la
SEMAINE DU JOURNALISME ÉTUDIANT 2015
. v e f 9 1 i d u e j U A . v e f 6 1 i d n u l DU La tradition continue, des rencontres et des discussions avec des professionnels du milieu des médias. Restez à lʼaffut des prochaines nouvelles!
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société
le délit · mardi 3 février 2015 · delitfrancais.com
Gracieuseté du mbam
Culture articlesculture@delitfrancais.com
Allez vous réchauffer au Musée
Le MBAM importe le soleil, les couleurs et les plaisirs de l’Orient à Montréal. amandine hamon
Le Délit
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ardi 27 janvier, Nathalie Bondil, la directrice générale et conservatrice du Musée des Beaux-Arts de Montréal a présenté sa nouvelle exposition, Merveilles et mirages de l’orientalisme De l’Espagne au Maroc, Benjamin Constant en son temps, qui a ouvert ses portes samedi 31 janvier et se poursuivra jusqu’au 31 mai 2015. En collaboration avec le musée des Augustins de Toulouse, d’où Benjamin Constant est originaire, le MBAM offre la première exposition sur l’orientalisme au Canada, courant occidental du 19e siècle qui met l’Orient au centre. Emergeant comme un enjeu politique majeur pour les grandes puissances européennes, l’orientalisme est alimenté par un fantasme romantique, mais aussi par les observations ethnographiques de peintres voyageurs tels que Benjamin Constant, Delacroix, Regnaud, Clairon, Lorens et d’autres. La même fascination romantique du pourtour méditerranéen inspira le recueil de poèmes Les Orientales à Victor Hugo, en 1829. «À Paris…c’est Byzance qui est à la mode», déclarait Benjamin Constant, dont l’atelier est le thème de la première salle de l’exposition. L’Alhambra: l’Orient redouté et admiré C’est d’abord la chaleur de l’Espagne qui fascine les peintres, notamment le palais de l’Alhambra à Grenade, auquel
Nathalie Bondil consacre une seconde salle. Réapparaissant au cours de la redécouverte de l’Andalousie et de son héritage hispano-mauresque, mythe de l’historiographie romantique, l’Alhambra est un élément phare de l’orientalisme et donne naissance à l’alambrismo, adopté par l’artiste catalan Fortuny. Il met en valeur l’architecture mauresque, sa calligraphie et ses moucharabiehs, motifs décoratifs que l’on a pris soin d’introduire dès l’entrée de l’exposition par des jeux de lumières. Ce n’est pas seulement l’architecture exotique qui fascine les orientalistes, mais aussi le pouvoir, la violence et les femmes, le tout mélangé dans l’œuvre impressionnante Le lendemain d’une victoire à l’Alhambra (1882), représentant les hommes, toujours les armes à la mains, avec les femmes comme butin. Le Maroc, enjeu géopolitique En 1872, Benjamin Constant est envoyé en mission diplomatique au Maroc, dans la lignée de son collègue Delacroix, duquel il s’inspire et dont les oeuvres sont aussi exposées. Il y rencontre le Caïd Marocain Tahamy, dont il fait un portrait de pied avec des couleurs éclatantes. Toute une salle est consacrée aux missions de Constant et Delacroix au Maroc, et surtout à leur fascination pour la ville de Tanger. Plusieurs toiles, très apaisantes, comme Le soir sur le rivage, représentent les soirées sur les terrasses de la ville. En fond de toile, la silhouette blanche et géométrique des murs de Tanger
le délit · mardi 3 février 2015 · delitfrancais.com
flotte sur la mer bleue calme, pour laisser le premier plan aux sujets se prélassant sur les terrasses. On se perd dans le bleu de la mer ainsi que dans les yeux des personnages paisibles. Sur une note plus dure, plusieurs toiles représentent la violence guerrière, notamment Les derniers rebelles et Prisonniers marocains, qui dépeignent toujours une violente férocité par le sang, les sabres, les fusils et le regard perçants des soldats arabes. gracieuseté du mbam
L’intimité, les femmes, le harem: fantasme des orientalistes Le 19e siècle marque l’émergence d’une tradition naturaliste, le gout du détail. Les artistes cherchent à entrer dans l’intimité de leurs sujets. Ainsi, Constant représentent des scènes quotidiennes comme L’échoppe d’un tailleur et Le Bazar mais aussi des scènes intimes dans les hammams. Constant, Delacroix et leurs collègues étaient fasci-
nés par les mœurs sauvages de l’Orient. L’exposition débute avec un tableau impressionnant nommé L’intérieur d’un harem: les femmes comme sources de plaisir, tentatrices machiavéliques, joujoux du Pacha, mais surtout prisonnières et esclaves. Elles sont représentées au milieu des tapis, des dattes, des parfums et des instruments de musique, toujours au dessous des hommes. Benjamin Constant, épicurien, représente ces scènes de plaisirs en rêvant certainement d’en être le Pacha. Il appuie sur les couleurs, les détails et la volupté des femmes musulmanes. Point surprenant: il représente toujours l’odalisque centrale en rousse, ce qui rappelle la vision eurocentriste de l’Orient. La toile Salomé dansant devant le roi Hérode de Rochegrosse, l’un des émules de Benjamin Constant, montre cette patriarchie dans toute sa splendeur. Certaines critiques se sont fait entendre contre ces peintures, notamment qualifiées de vulgaires par Didier Rykner, journaliste et historien de l’art français (dans La Tribune De L’Art, 8 décembre 2014). Malgré cette représentation discutable des femmes, et la présence écrasante des sabres et fusils sur l’ensemble des toiles, il émane de l’exposition un vif parfum oriental qui réchauffe, en plein hiver montréalais. En plus de nous réchauffer, c’est aussi un bel hommage au Moyen-Orient, alors que la région est sous les feux médiatiques pour des raisons autrement tragiques. C’est une bouffée d’air chaud, un éblouissement de lumière méditerranéenne et de couleurs éclatantes desquelles on a du mal à se séparer. x
CULTURE
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théâtre
Catharsis à carreaux Épopée Nord: attache ta tuque avec de la broche, le futur part en flèche. Laurence bich-carrière
Josée Lecompte
Le Délit
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vec Épopée Nord, le Théâtre du Futur livre le troisième volet de sa Trilogie du Québec, qui avait commencé avec Clotaire Rapaille, l’opéra-rock (2012) et L’assassinat du président (2013). Il fait bon vivre dans la république du Québec, désormais que la question constitutionnelle a été écartée. Mais toute prospère qu’elle soit, la jeune nation n’a pas guéri tous ses bobos identitaires pour autant. En fait, c’est le plus ancien de tous qui lui pend au bout du nez: les Premières Nations. En direct d’un futur fêlé Nous sommes en 2035. De quelques glouglous d’erlenmeyer et sorcellerie de clonage surgissent huit millions d’Amérindiens qui réclament la rigoureuse application du traité de Valleyfield de 2029 qui partage le territoire québécois «au prorata de la population». Les Québécois de souche trop enracinés pour retourner en Europe se trouvent réduits à faire des pâtés dans le Village d’antan de Drummondville. Ils avaient été avertis, pourtant, dix ans plus tôt, et sept fois plutôt qu’une. La pièce, d’ailleurs, s’amorce sur cet avertissement. Un Fred Pellerin hirsute fait irruption dans le studio de Denis Lévesque,
interrompant l’entrevue que ce dernier mène avec sérieux et un homme-pénis. Stupeur, consternation, on le tenait pour mort. «Soyez prêts», lance-t-il avant de faire de même du haut du pont JacquesCartier. Devant un Québec ébahi et pétrifié, six clones répètent l’avertissement, et le vol plané. Rocambolesque? Tout à fait. S’il n’y a pas d’avenir, autant l’inventer C’est que le Théâtre du Futur se donne tous les droits. Les lendemains qu’il dessine sont improbables mais pas inimaginables. Après tout, de l’imagination, les
fondateurs de la troupe en ont à revendre: aux crayons, l’absurdité jouissive et précise de Guillaume Tremblay et d’Olivier Morin, aux baguettes, la ligne surréaliste et éclatée du multi-instrumentiste Navet confit. Pour l’aider à incarner l’improbable galerie (ou chasse-galerie) de personnages rapaillés qui tourbillonnent dans Épopée Nord, le trio du futur a trouvé un brelan de dames: Ariane Zita (discrète dans son rôle presque exclusivement musical), Virginie Morin (roucoulante dans ses déhanchements) et Myriam Fournier (dont le jeu uniforme finit par faire figure de point d’ancrage).
Qui aime bien châtie bien, la bande de joyeux drilles chérit de toute évidence cette Belle Province dont il tripote l’identité collective à coup de craques, de criques et d’accords de guitare. On ne fait pas dans la provocation, on grossit à éclater, de rire. L’allant et gaieté des soirées canadiennes – il y a quelque chose du radio-théâtre dans la mise en scène d’Olivier Morin – l’emportent sur les coups bas et la critique sociale. «Un show guérisseur de folklore malade», explique Guillaume Tremblay. Il n’a pas tort, mais au final, la pilule a été copieusement enrobée de sirop de sapin. Pour peu qu’il y réfléchisse un instant, cette petite blague sur le
gyros ou le petit refrain grinçant de cette chanson à répondre rendrait le spectateur inconfortable, ou sociologiquement dubitatif, mais voilà, on n’a pas le temps d’y penser et l’on est déjà emporté par une autre vague (de délire) vers une autre plage (musicale) et, l’entrain l’emporte, nous voilà à swinger la bacaisse dans le fond de la boîte à bois. La boîte à bois, en l’occurrence, c’est l’intime salle Jean-ClaudeGermain du Théâtre d’Aujourd’hui, réaménagée en coin du feu, où vous aurez été accueilli avec des shooters de caribou, deux dollars, qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour encourager les arts et réchauffer une salle qui, rapidement, n’en aura pas besoin. Si le futur est sombre, c’est parce que le fun est noir. Conte à relais délirant et déjanté, Épopée Nord propose un regard turbulent sur le Québec: tirez-vous une bûche, entrez dans la danse et rigolez ferme; les petites croûtes qu’on gratte, vous aurez le loisir de les examiner plus tard. Si la proposition vous intéresse, dépêchez-vous, les billets des représentations supplémentaires sont eux aussi déjà presque tous vendus. x
Épopée Nord
Théâtre d’Aujourd’hui Jusqu’au 20 février Mise en scène: Olivier Tremblay
opéra
Mozart s’invite à McGill
L’école de musique Schulich présente Les Noces de Figaro, opéra-comique séduisant. Anaïs Rossano
Le Délit
L
a salle Pollack a accueilli à guichets fermés pendant quatre jours la représentation du célèbre opéra de Mozart, Les Noces de Figaro. Inspiré de la pièce de théâtre éponyme de Beaumarchais, Le Nozze di Figaro est souvent considéré comme le meilleur opéra jamais écrit. Opéracomique, il prend ses racines dans le style de la commedia dell’arte du 16e siècle, mais donne la parole pour la première fois aux gens ordinaires, comme le valet Figaro et la domestique Susanna. L’histoire, qui reprend les thèmes classiques du théâtre, comme l’amour, la tromperie et la jalousie, n’en est pas moins compliquée par des quiproquos et des retournements de situations. Nicola Bowie est à la mise en scène
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Culture
et décide d’entreposer l’intrigue de l’opéra dans une Espagne vivant au temps de la Première Guerre mondiale. Bien que resté neutre, le pays connaît de grands chamboulements économiques et sociaux où des révoltes se trament entre riches propriétaires terriens et paysans pauvres. Le contexte historique est alors parfaitement en accord avec l’adaptation de l’opéra. L’orchestre symphonique de McGill a accompagné avec brio les interprètes d’Opéra McGill pour livrer un spectacle de grande qualité, vibrant par la perfection musicale des instruments et des voix. Le spectacle jouit d’une distribution nombreuse en chanteurs tous aussi doués les uns que les autres (mention spéciale à Elyse Charlebois qui, en interprétant la comtesse, captive l’audience par sa voix de soprano). Il serait grave d’omettre les décors, les costumes, l’éclairage
et le maquillage qui donnent un ensemble cohérent au spectacle. On retrouve les éléments centraux de l’époque hispanique: des robes traditionnelles andalouses aux danses exécutées par les chanteurs lors de l’acte III. Le charme de l’opéra de Mozart agit lorsque l’audience se perd dans les quiproquos et les situations burlesques opérés par les serviteurs pour se jouer de leur maitre. Comme tout opéra comique, la fin est légère et se termine sur une note positive qui rassemble tout le monde après la tempête de sentiments et d’émotions entre les personnages. En conclusion, Les Noces de Figaro s’inscrit comme un opéra à voir dans sa vie, une œuvre à déguster durant laquelle le spectateur se plait à se perdre dans les méandres de l’intrigue amoureuse et dans les airs si célèbres du compositeur prodige qu’est Mozart. x
luce engérant
le délit · mardi 3 février 2015 · delitfrancais.com
théâtre
Porno-graphique incorrecte Voyeurisme risqué dans un Peep Show modernisé. noor daldoul
Le Délit
I
l y a presque un siècle, l’actuel Quartier des spectacles se nommait le quartier du Red Light de Montréal, réputé pour l’effervescence de ses cabarets, la prolifération de maisons de jeux, le débit d’alcool au temps de la prohibition américaine, et la prostitution. Pourquoi ce nom de Red Light? En référence aux anciennes lanternes suspendues aux portes des maisons closes qui illuminaient les fameuses rues Sainte-Catherine et SaintLaurent. C’est au sein d’un de ces lieux du plaisir érotique et de la tentation que se propose de nous replonger le théâtre La Chapelle, avec le spectacle d’Artiste Inconnu, mis en scène par Nicolas Berzi, Peep Show. Choix controversé ou audacieux? – Me demanderez-vous. Nous arrivons dans la petite salle intimiste de La Chapelle, où la comédienne Livia Sassoli, dans la peau d’une danseuse nue, nous attend déjà en nuisette rouge et noire, talons aiguilles, bas résilles et perruque blond platine. En référence fidèle au décor des Peep Show, néons bleus et rouges baignent la salle d’un voile de sensualité, ambiance soutenue par un musicien qui enchaine des accords grinçants à la guitare électrique. Mais l’élément central des Peep Show est la vitre derrière laquelle les clients se terrent pour regarder une hôtesse s’adonner
à des danses, des stripteases ou à des positions sexuelles plus explicites moyennant une somme d’argent. Alors, nous voilà, «clients» forcés de ce spectacle, attendant de l’autre côté de la vitre que Livia Sassoli réveille en nous quelques désirs brulants. Sans contact physique possible, c’est la vision et l’imagination qui sont sollicités. «Tu viens pas pour rien, je suis là, quelque part» répète l’hôtesse. Si l’objectif de la pièce était de nous faire prendre conscience du pouvoir du regard dans le monde de la prostitution, c’est avec un arrière-gout de voyeurisme mal assumé que le spectateur en ressort. En effet, il y manquait la dose de subtilité nécessaire pour pousser le spectateur à réfléchir, faute de quoi le monologue de la danseuse nue ne pouvait que tomber dans une dynamique passive-agressive qui devient davantage gênante que stimulante. Le début, pourtant, est prometteur: la comédienne commence par adresser son monologue à «toi», toi qui cherches un moment de joie et de délivrance physique avant de retourner à ton foyer morose. Ce tutoiement est frontal, une adresse directe qui sort de son anonymat celui que la vitre protège de tout scrupule. Le spectateur, qui commençait à se confondre avec le client et à confondre la comédienne avec l’hôtesse, est rappelé à l’ordre avec un vouvoiement inattendu: «vous», qui commencez à vous détendre à la vue de cette blonde dé-
justine latour
nudée qui esquisse quelques déhanchements, vous qui prétextez voir une «pièce de théâtre» pour vous délecter en paix de quelques visions charnelles, ici n’est pas l’endroit! Malheureusement, cette conversation se brise au profit d’un anachronisme troublant. Le spectacle devient davantage une rengaine contre l’arrivée d’internet. L’ère de la pornographie-derrière-webcams a tué l’industrie des peep show et l’espace interstitiel entre chercheur et donneur de plaisir a été colonisé par l’écran de nos ordinateurs. «T’es dans ton salon, ta chambre, et that’s it». La subtilité du monologue de la danseuse laisse place à la projection sur l’installation multimédia de messages grossiers que l’on peut retrouver sur tous les forums éro-
tiques. On ne comprend donc pas bien le message de la comédienne: veut-elle insister sur l’objectification des corps? Si oui, adopter une position post-féministe qui assume la sexualisation comme outil de libération ne sert pas sa cause et ne propose en aucun cas quelque chose de nouveau ou de subversif. Cherche-t-elle à faire réfléchir sur l’hypocrisie de ces corps qui se cachent derrière des avatars virtuels? Si c’est le cas, il aurait fallu prendre une distance par rapport à ces derniers. S’insurge-t-elle contre les stéréotypes autour de la profession alors que d’autres nudités sont protégées par l’étiquette d’«art contemporain»? Peut-être, mais la défense est faible par rapport au chef d’accusation.
Les discours se brouillent – tantôt accusateurs, tantôt résignés – et les idées s’entrecroisent dans les esprits des spectateurs sans qu’aucune n’arrive à germer. Alors qu’il aurait pu être mis à mal, le spectateur en ressort sans avoir été défié. Peut-être est-ce le résultat de nos esprits aseptisés qu’une tentative de perversion ne saurait réveiller, dans un monde où la vue de la chair s’est banalisée. Dommage. x
Peep Show
Théâtre La Chapelle Texte et mise en scène de Nicolas Berzi. Jusqu’au 7 février
«Où est-ce donc que nous sommes?» Franche réussite pour la troupe du Malade imaginaire. thomas de pommereau
C
’est dans une salle comble et hilare que les comédiens de Franc-Jeu ont pu s’exprimer avec leur première production. Le Malade imaginaire, un choix particulièrement judicieux pour baptiser la seule troupe mcgilloise se revendiquant de la langue de Molière, a su tenir toutes ses promesses: la pièce était drôle et intelligente. Michaël Blais, le metteur en scène, a de surcroît fait preuve de talent et de subtilité pour nous proposer une pièce de grande qualité. En effet, la force de la mise en scène est d’avoir su trouver le bon point d’équilibre entre fidélité «classique» et innovations personnelles, et d’avoir réussi à s’y
gabriel cholette
maintenir pendant deux heures sans tomber dans l’excès ni d’un côté ni de l’autre. Point d’arrogance ni de pitreries pseudo-subversives et pseudo-innovantes comme il se fait régulièrement et qui étaient fort à redouter au regard de la situation de départ qui nous
le délit · mardi 3 février 2015 · delitfrancais.com
était proposée: acteurs immobiles, fardés, portant des masques, assis sur des chaises éparpillées sur la scène, ne bougeant que leur visage par à-coups bizarres, alors même que les spectateurs arrivaient les uns après les autres pour s’installer. Au contraire, le
texte intégral était secondé de touches personnelles intelligentes, agréablement distillées au fil des scènes. Ainsi, l’ouverture et le final de la pièce se font échos à travers deux crescendos tout à fait maîtrisés et authentiquement drôles, certaines scènes de chant viennent nous surprendre et nous divertir tout en renouant avec l’aspect «comédie-ballet» original de la pièce et certains morceaux de musique d’ambiance électronique associés à un bon jeu de lumière donnent par instants une touche sombre à la pièce. Ce côté terne et angoissant a d’ailleurs été savamment employé par Michaël Blais, notamment en insistant sur le caractère pervers de M. Diafoirus, apportant ainsi une cohérence intéressante entre «le fond et la forme» pour ainsi dire.
Les acteurs ont livré de belles prestations, en particulier François-Xavier Tremblay dans le rôle d’Argan, impayable dans sa manière ébahie et niaise de parler de la «mé-de-cine» et des «mé-de-cins», ainsi que Yoav Hougui, magistral dans la peau de Thomas Diafoirus, tout simplement hilarant du début à la fin. Cela, ajouté à une disposition scénique habile centrée sur le lit du grand malade et à des costumes simples mais percutants (le masque de M. Diafoirus par exemple, parfaitement en accord avec la silhouette longiligne de Baptiste Rinner et le caractère faux de son personnage, fut un choix des plus judicieux), donnent un résultat impressionnant, et permet à Franc-Jeu de devenir enfin une réalité aux yeux des Montréalais dans le meilleur des contextes: celui d’un vrai succès. x
Culture
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CONCERT
Kalmunity, au calme
Kalmunity Jazz Project ou le son qui réchauffe vos dimanches soirs. CÉLINE FABRE
Le Délit
S
i vous n’avez pas encore entendu parler du Kalmunity Vibe Collective, vous avez la chance de croiser la route de cet article. Composé de poètes, musiciens, chanteurs, MCs est fondé en 2003 par le créateur et musicien Jashung, et il fait maintenant partie des plus larges collectifs musicaux du Canada et probablement des plus variés. Définir clairement le style de Kalmunity relève du défi tant ses musiciens mélangent les inspirations et les domaines d’exploration, navigant entre le jazz, le R&B, la Soul, le Hip Hop, le Reggae et j’en passe. Tous les dimanches, quatre membres du groupe sont rejoints par des invités qui jouent pour le plaisir de nos oreilles, elles aussi prêtes à clore comme il se doit la semaine qui s’achève. Dimanche dernier, le collectif se composait d’un batteur, un pianiste, un percussionniste, deux saxophonistes, un bassiste et une chanteuse. Détail choc: tous les membres du groupe à l’exception du premier saxophoniste portent un bonnet. Pourtant, il ne fait pas froid dans le raisonnant Café Résonance,
Lisa El Nagar
bien au contraire: on peut difficilement penser à un endroit plus chaleureux lorsqu’on compare la neige envahissante de cet hiver montréalais avec les fauteuils et les boissons chaudes du café. Lorsqu’on est en compagnie de Kalmunity, l’hiver disparaît. Il se fond dans le mélange réconfortant que forment les percussions, accords et notes de saxophone qui accompagnent la chanteuse Malika Tirolien dès les premiers airs, doucement, sous le regard impatient des chanceux du dimanche soir. Au fur et à mesure que les chansons défilent, le rythme s’accélère et les musiciens alternent des morceaux qui bougent avec des chansons aux allures romantiques où le saxophone s’adoucit et laisse le piano prendre les devants. Pas de titres annoncés chez Kalmunity, les morceaux ne portent pas de noms et ne sont pas calculés à l’avance comme nous l’informe la chanteuse: c’est 100% improvisations. Alors on repense à ce qu’on vient d’entendre et on constate que si on ne l’a pas deviné c’est qu’ils doivent être bons pour parvenir à créer aussi spontanément un ensemble harmonieux. Il est agréable de voir que certains sont vraiment venus
pour danser: au milieu de la salle, une femme se laisse complètement aller sous les yeux des autres, qui n’osent pas ou ressentent simplement la musique différemment. Ils n’osent pas ou ils ont rapidement deviné, eux, que la danseuse fait en fait partie du spectacle comme en témoignent plusieurs regards complices qu’elle échange, entre deux mouvements, avec les membres du groupe. Quoi qu’il en soit, qu’on s’y connaisse vraiment, qu’on pense s’y connaître ou qu’on entende du jazz pour la première fois, on se sent ici à l’aise. On pourrait songer, avec un air sérieux, à des accords compliqués mais l’on préfère se souvenir comme la musique a ce don de nous faire voyager. Pendant quelques petites secondes, lorsque l’effet de la musique nous affecte un peu plus intimement et qu’on parvient à s’oublier, on ferme les yeux et on ressent des frissons. Peut-être que nous aurions dû, nous aussi, garder notre bonnet. x
Kalmunity Jazz Project Café Résonance tous les dimanches 8$
mUSIQUE
Shash’U fait grand bruit
Le DJ montréalais sort son premier EP gratuit Thru Da Night.
samy graïa
Le Délit
L
e lancement du dernier maxi de Shash’U s’est fait ce samedi au Belmont. Le pari est réussi puisque l’engouement musical a permis à la foule de danser jusqu’à l’aube. En entretien avec Le Délit, Shash’U affirme que c’est justement le but de l’EP de «donner de l’énergie pour faire passer le moment quelle qu’en soit sa nature». Peu importe dans quel ordre on commence le maxi, «toutes les données s’enchainent tel un carrousel». La musique de Shash’U n’est pas représentative des principaux genres musicaux mainstreams. Même s’«il y a tellement de samples, de couches et de tangentes que le son peut prendre», l’artiste avoue être influencé principalement par le funk et le hip-hop et chercher à atteindre l’alliance qui fera du son «quelque chose
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Culture
de DOPE (puissant)». Shash’U, c’est l’avènement du Power-Funk (PWRFNK), une musique au style rétro qui vient piocher dans les sonorités modernes pour créer quelque chose d’unique. Écouter du PWRFNK, c’est un peu comme rentrer dans la DeLorean de Retour vers le futur. «Back to the Future (Retour vers le futur) va toujours rester dans nos mémoires, c’est un peu ce que j’essaye d’atteindre avec Thru da Night et le PWRFNK», à savoir faire voyager le son à travers le temps. Derrière Shash’U, il y a la superbe maison de production new-yorkaise Fools Gold Records qui contribue beaucoup à l’essor de l’artiste. Au niveau visuel, l’affiche de l’EP est signée Ronald Wimberly, un artiste de Brooklyn qui est à l’origine des dessins de Black Dynamite et Afro Samurai entre autres. Shash’U est non seulement doté d’une superbe créativité, mais il possède éga-
lement un entourage très talentueux. Petite parenthèse intéressante, Shash’U s’appelle Richard à l’état civil. Pour ceux qui se demandent d’où peut bien venir le nom Shash’U, il explique: «C’est très simple, Shash’U, c’est un petit nom que mes parents m’ont donné depuis que je suis enfant; j’ai donc décidé de le garder. Mon prénom c’est Richard. Mes parents étant haïtiens, Shash’U, c’est un peu l’équivalent de Richard en haïtien.» Comme quoi, on peut être un DJ d’ampleur internationale et garder l’esprit de famille. Depuis sa performance au concours de danse hip-hop Juste Debout à Paris Bercy et son passage au Boiler Room, Shash’U fait parler de lui. Le «boy de Montréal» arbore les scènes live tels des colliers. Le DJ prend de l’ampleur et multiplie ses déplacements: «On a des dates prévues à Ottawa, aux États-Unis, et on va
prochainement passer par l’Europe et l’Australie.» Il passe d’un continent à l’autre tout comme son style musical virevolte entre les époques. Un autre projet est prévu pour la fin mars. Cette fois-ci,
le titre est identique au genre musical, PWRFNK. En attendant cette pépite, allez tout de suite télécharger l’EP Thru da Night et n’hésitez pas à aller faire un tour sur son Sound Cloud, vous serez agréablement surpris. x hannah palmer
le délit · mardi 3 février 2015 · delitfrancais.com
LUCE Engérant
cinéma
Un mariage en Pologne
Projection de films polonais au Cinéma du Parc, dont Les Noces d’Andrzej Wajda. amandine hamon
Le Délit
L
e dimanche 1er février avait lieu la projection du film Les Noces (titre original: Wesele), réalisé en 1973 par le Polonais Andrzej Wajda, dans le cadre d’un événement mettant à l’honneur le cinéma polonais. En effet, du 16 janvier au 19 février, le Cinéma du Parc reprend huit films importants mais rares grâce à la rétrospective parrainée par Martin Scorsese et sa World Cinema Foundation qui a restauré les œuvres au format numérique. La rétrospective de 21 œuvres Masterpieces Of Polish Cinema a ouvert au Centre Lincoln, à New York, en février 2014 et a été diffusée aux ÉtatsUnis et au Canada. Elle avait d’ailleurs été un franc succès à la Cinémathèque québécoise, en 2014. Ces films de l’Europe de l’Est des années 50 à 90 ont eu une influence notable sur le travail de Scorsese pour qui ces œuvres semblent faire partie de l’âge d’or du cinéma international: «c’est un cinéma de vision personnelle, de fort dévouement social et une responsabilité poétique dont nous avons tous appris», explique-t-il dans la bande-annonce de la rétrospective. Un mariage, deux classes sociales Les Noces, c’est l’histoire d’une révolte sur fond de mariage, ou l’inverse. Le film, basé sur la pièce du même nom par Stanisław Wyspiański écrite en 1901, dépeint en profondeur la société polonaise. C’est une soirée de noces qui se déroule pendant les 107 minutes du film. Un poète épouse une paysanne et leurs familles célèbrent leur union ensemble dans la ferme de la famille de la mariée, en pleine campagne polonaise et
en costumes traditionnels. La division sociale apparait tout de suite à travers un échange entre un éditeur de journal, qui a du mal à se frayer un chemin
intellectuels font de la poésie. Le marié poète, rêveur, apparait comme quelqu’un de marginal, entre deux mondes, aimant et heureux mais aussi un peu perdu. Renata Pajchel
en campagne. La seconde image montre des soldats qui regardent les calèches passer, puis il y a une alternance de plans joyeux de la fête et de plans sombres et gris des soldats. Dès les premières secondes, on se dit que quelque chose cloche. Ce qui ne va pas, c’est que le peuple polonais était frustré en 1901 parce qu’il n’y avait pas de Pologne, mais un territoire découpé entre la Russie, l’Austro-Hongrie et l’Allemagne. Cette agonie éclate lorsque les hommes appellent à la révolution paysanne et prennent les armes. Retentit enfin la «corne dorée» à travers les campagnes et ils s’exclament: «Nous allons commencer à vivre!» en montant sur leurs chevaux. Mais le messager qui lançait l’appel perd la corne et son chapeau plumé, revient bredouille et l’appel est vain, la révolte avortée. Le cheval blanc, symbole de l’espoir guerrier, se couche simplement sur le sol boueux de la ferme. C’est l’abandon, puis la stagnation. Était-ce un rappel d’Andrzej Wajda sur la situation de son pays en 1973, en pleine guerre froide, alors un État satellite de l’Union sovié-
tique? Une critique cachée du système, un message codé pour une patrie toujours frustrée? «Où est notre Pologne?» demande la jeune mariée; on lui répond de chercher dans son cœur. Sur les cartes, pas de Pologne. C’est une mise en scène étonnante et difficile à apprécier d’abord, parce qu’elle est très bruyante et chargée, presque hystérique, mais finalement chaque tension est soigneusement annoncée par des symboles, de la poésie et des images plutôt expressives jusqu’à la prise de conscience. Andrzej Wajda disait: «Le Seigneur a donné deux yeux au réalisateur – l’un pour regarder dans la caméra, l’autre pour être alerte à tout ce qui se passe autour de lui.» Plongezvous dans cet univers à la fois engagé, violent et poétique en allant voir les deux derniers films de la série au Cinéma du Parc. x
Martin Scorsese présente 8 chefs-d’oeuvre du cinéma polonais Cinéma du Parc Jusqu’au 9 février
brigitte lacombe
dans la foule d’invités qui dansent, ivres, et un grand paysan moustachu au teint bronzé. Ce dernier se moque de l’intellectuel lui posant des questions politiques naïves. L’omniprésence de l’alcool est frappante durant le film qui s’ouvre sur le début des festivités, les rires et l’arrivée en calèche dans la maison, qui se déroule ensuite dans cette maison, où l’on boit, rit danse et se dispute, puis se termine le lendemain avec des hommes qui ont mal à la tête, couverts de sueur et épuisés. Entre temps, les mariés s’amusent, les invités se séduisent, des hommes se battent à propos de dettes, de politique ou de femmes, et enfin, quelques
le délit · mardi 3 février 2015 · delitfrancais.com
Agonie d’une Pologne écartelée, vidée et frustrée Tout au long du film, on ressent une agonie, comme une frustration sociale et sentimentale que l’on ne peut identifier tout de suite, surtout si l’on n’est pas familier avec l’histoire politique polonaise. Dès les premiers plans surgit une forme de dichotomie entre les personnages du mariage et le reste du monde, entre un sentiment d’appartenance et un extérieur grisâtre. La première image montre les calèches pleines d’invités dans la ville de Cracovie, où les invités les plus illustres signent des autographes avant de se rendre
Culture
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le d茅lit 路 mardi 3 f茅vrier 2015 路 delitfrancais.com