Le Délit du 20 octobre 2015.

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Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

MAJORITÉ DU PARTI LIBÉRAL P. 5 COLLOQUE CONTRE-CULTURE P. 13

Mardi 20 octobre 2015 | Volume 105 Numéro 5

La bière est rouge depuis 1977


Volume 105 Numéro 5

Éditorial

Le seul journal francophone de l’Université McGill

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Faites-vous entendre! julia denis

Le Délit

«J

.T. baby!» lance Lucas en ingurgitant son verre en encore moins de temps qu’il n’en a fallu aux Libéraux pour s’imposer hier soir. Étudiant de McGill venu d’Ottawa, il explique au Délit combien il est heureux et «libéré» par cette majorité libérale annoncée avant 23h00 sur les télévisions du bar Gerts. Des étudiants soutenant le Nouveau Parti Démocratique (NPD), interrogés par Le Délit, admettent qu’être «débarrassés de Harper» était ce qu’ils souhaitaient «techniquement», mais que le nombre de sièges très limité obtenu par le parti est une nouvelle «brutale». Alexei Simakov, président des Conservateurs de McGill, reconnait quant à lui qu’après «neuf années de succès d’un gouvernement conservateur, il est démocratiquement normal qu’une transition de pouvoir ait lieu». Mais cette carte du Canada, majoritairement rouge, reflète-t-elle véritablement la volonté du peuple? Les Canadiens fontils réellement entendre leur voix en composant cette nouvelle Chambre des communes? Notre système électoral est continuellement critiqué pour sa propension à donner un pouvoir tendant vers l’absolu à un Premier ministre et un parti politique qui n’ont pas forcément besoin de la majorité des électeurs – sachant que pour qu’un

député soit élu il lui suffit d’avoir plus de voix que ses concurrents, et non la majorité absolue des voix de sa circonscription. Un playback électoral somme toute. Selon les estimations d’Élection Canada à 1h32, ce n’est pas le cas de de Marc Miller, candidat libéral de VilleMarie – Le Sud-Ouest – Île-des-Sœurs, vainqueur avec 50% des suffrages, mais c’est celui d’Hélène Laverdière, candidate NPD de Laurier – Sainte-Marie élue pour l’instant avec 36,1% des votes. Ces deux candidats, des circonscriptions qui représentent le plus les étudiants de McGill, étaient en entrevue dans Le Délit Spécial Fédérales du 6 octobre. Selon ces mêmes estimations, les Libéraux possèderaient une majorité absolue à la chambre (176 sièges assurés), avec seulement 39,5% des votes. Ces élections, encore plus que les précédentes, furent celles du vote stratégique – qui pour certains rime avec déficit démocratique. Une plateforme internet avait même été mise en place pour permettre aux électeurs de faire leur choix en ne se basant que sur un unique critère: quel député élire pour se débarrasser de Stephen Harper? Si la vague libérale est bien l’écho d’un consensus des Canadiens contre la politique des Conservateurs, on peut douter qu’elle soit l’expression des aspirations profondes d’un grand nombre d’électeurs ayant rangé leurs préférences derrière des raisons stratégiques. Elle doit beaucoup à la combinaison du vote stratégique et

des prévisions des derniers sondages, qui ont convaincu les derniers anti-Harper de reporter leurs espérances sur Trudeau. Ainsi l’autre grand perdant de cette défaite est Thomas Mulcair, qui espérait comme beaucoup qu’une déferlante orange le mène au poste de premier ministre, et qui se à la tête d’un NPD très affaibli. La majorité de l’équipe éditoriale du Délit et une grande partie de ses lecteurs n’ont pas eu l’occasion de voter: des Français, Belges, Algériens, Suisses… qui n’ont pas le droit de vote dans leur pays d’adoption. Cela ne doit pas être une excuse pour s’écarter de la politique canadienne. Il y d’autres moyens de s’engager, et leur impact est souvent plus direct et plus concret que le vote. S’informer pour mieux débattre, s’engager auprès des partis politiques (presque tous représentés à McGill), signer des pétitions, assister à des conférences politiques, s’exprimer dans nos pages, et bien sûr – soyons dignes de notre image de Montréalais – descendre dans la rue pour que vos voix se mêlent en un cri de foule et résonnent jusqu’à Ottawa. x ……………………………………… Erratum: l’infographie à propos du système politique fédéral canadien publiée dans l’édition spéciale élections fédérales a été revue et corrigée avec l’aide du professeur Richard Schultz.

rédaction 3480 rue McTavish, bureau B•24 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6784 Télécopieur : +1 514 398-8318 Rédactrice en chef rec@delitfrancais.com Julia Denis Actualités actualites@delitfrancais.com Julien Beaupré Théophile Vareille Culture articlesculture@delitfrancais.com Céline Fabre Amandine Hamon Société societe@delitfrancais.com Esther Perrin Tabarly Économie economie@delitfrancais.com Sami Meffre Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com Baptiste Rinner Coordonnatrices visuel visuel@delitfrancais.com Luce Engérant Eléonore Nouel Coordonnateurs de la correction correction@delitfrancais.com Yves Boju Côme de Grandmaison Coordonnatrice réseaux sociaux reso@delitfrancais.com Inès L. Dubois Multimédias multimedias@delitfrancais.com Matilda Nottage Événements evenements@delitfrancais.com Joseph Boju Webmestre web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Contributeurs Astghik Aprahamian, Léa Begis, Charlie, Hortense Chauvin, Miruna Craciunescu, Joachim Dos Santos, Mahaut Engérant, Samuel Ferrer, Charles Gauthier-Ouellette, Etienne Gontard, Catherine MounierDesrochers, Laurence Nault, Arno Pedram, Paul Pieuchot, Cécile Richetta, Amelia Rols, Gerald Sigrist, KharollAnn Souffrant, Vassili Szilt. Couverture Eléonore Nouel bureau publicitaire 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6790 Télécopieur : +1 514 398-8318 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Représentante en ventes Letty Matteo Photocomposition Mathieu Ménard, Lauriane Giroux, Geneviève Robert The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Niyousha Bastani

2 éditorial

L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal. Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).

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L’

université McGill a publié cette semaine son tout nouveau plan à long terme pour la bibliothèque et les archives de McGill, Fiat Lux (que la lumière soit, ndlr). Le projet de création du plan a débuté à l’automne 2014 et a été piloté par des employés de McGill ainsi que par les cabinets d’architectures EKM et Shepley Bulfinch. La participation de la communauté mcgilloise est aussi soulignée dans le document officiel présentant le plan. Pendant près de neuf mois, les participants du projet se sont questionnés sur les besoins de la communauté mcgilloise envers leurs bibliothèques et comment permettre à celles-ci et aux archives de l’Université d’entrer dans le XXIe siècle. Chasse à l’espace Le projet de modernisation de la bibliothèque et des archives se ferait en trois étapes. Dans un premier temps, un système automatisé de stockage et d’extraction serait construit sous la grande pelouse du campus près de la bibliothèque McLennan afin de libérer de l’espace dans l’édifice pour le personnel et les étudiants. Une mesure jugée nécessaire étant donné que les documents occupent près de la moitié de l’espace du bâtiment et que 40% de la collection n’a pas été empruntée dans les 20 dernières années. Une collection qui recouvre la moitié de l’espace des bibliothèques, alors qu’un tiers de l’espace seulement est dédié aux étudiants. Grave problème d’allocation spatiale sachant

que moins d’un étudiant sur dix se rend à une bibliothèque pour y consulter un ouvrage quand plus des deux tiers y vont pour simplement travailler. Le reste des locaux constitue les bureaux des employés. Des employés au nombre de 167, soit moins d’un employé pour 200 étudiants. Un ratio moins flatteur que celui de l’UdeM ou l’UBC, et loin derrière Yale et son bibliothécaire par 20 étudiants. Horizon 2050 La seconde étape verrait la reconstruction de la bibliothèque Redpath – longeant le Lower Field –, la restauration de la salle Redpath et la construction d’un «noyau linéaire». Le noyau linéaire permettra la circulation entre les deux bâtiments et l’accès au système de stockage. Enfin, la troisième étape consisterait en la rénovation de la bibliothèque McLennan – à l’intersection des rues Sherbrooke et McTavish. Au final, les créateurs de ce plan à long terme espèrent créer un espace plus ouvert, soulignant l’architecture de la bibliothèque Redpath, tout en apportant plus de lumière grâce à une nouvelle extension et un atrium. Les coûts totaux du projet sont estimés à 165 millions de dollars et celuici pourrait être réalisé sur une période de cinq ans. La date de commencement n’a pas été annoncée. Le document publié présente Fiat Lux comme la vision de la bibliothèque de 2050. Reste à savoir où les futurs Mcgillois pourront assouvir leurs vélléités studieuses pendant ces périodes de chantier qui limiteront l’accès

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à une grande partie de ces deux bibliothèques les plus populaires du campus. Le projet de réaménagement de la bibliothèque et des archives de McGill se veut une réponse aux nombreux enjeux entourant la bibliothèque. L’étude réalisée dans le cadre du projet a révélé le besoin criant d’espace de travail pour les étudiants. Ce sont chaque année 2.3 millions d’étudiants qui se tassent dans les 13 bibliothèques mcgilloises, au campus MacDonald comme en centre-ville, à raison de 60 visites annuelles par étudiant. L’objectif est d’offrir une place assise à au moins 15% du corps étudiant grâce aux modifications, contre 12% actuellement. Un objectif mesuré alors que de prestigieuses universités américaines telles John Hopkins offrent des siège à plus du tiers de leurs étudiants. Sacrée défaillance dans la course à l’excellence que McGill se targue de disputer. L’ouverture des portes?

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Par ailleurs, la bibliothèque abrite l’une des plus larges collections de livres rares en Amérique du Nord, mais pour le moment, ceux-ci ne sont pas toujours entreposés de façon optimale. Un nouvel espace leur étant consacré permettrait d’assurer leur conservation tout en les mettant en valeur. Finalement, le projet inclut un réaménagement de l’espace extérieur afin de faciliter l’accès fluide entre le campus et la rue McTavish. Ainsi, les portes de la bibliothèque Redpath seront peut-être un jour ouvertes. x

actualités

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Fédéral

L’accord commercial secret Mise au point sur l’accord de Parteneriat Transpacifique. Sami Meffre

Le Délit

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e 5 octobre dernier, le Canada et ses partenaires ont ratifié l’accord de Partenariat Transpacifique (PTP) au terme de 5 ans de négociations. Ce nouvel accord commercial devrait permettre un commerce facilité entre les pays partenaires par des tarifs amoindris et la création de standards communs. Une ampleur sans précédent Initié par le Brunei, le Chili, la Nouvelle-Zélande et Singapour en 2005, cet accord de libre-échange compte maintenant 12 pays du pourtour du Pacifique (Pacific Rim): Brunei, Chili, Nouvelle-Zélande, Singapour, Australie, Canada, Japon, Malaisie, Mexique, Pérou, États-Unis, et Vietnam. Il englobe ainsi plus de 800 millions de personnes et impacte la majorité des principales industries telles que les services financiers, le commerce en ligne, l’agriculture, les pharmaceutiques, ou encore les télécommunications. Si les détails de l’accord n’ont pas encore été publiés et ne le seront très certainement qu’après les élections. Plusieurs passages du document officiel ont été dévoilés sur le

Luce engérant site web lanceur d’alerte WikiLeaks. Le PTP fera notamment du Canada le seul pays du G7 ayant des accords de libre-échange avec les ÉtatsUnis, les Amériques, l’Europe, et l’Asie-Pacifique. Le clair vainqueur au Canada, selon le gouvernement, est l’industrie agroalimentaire qui va pouvoir non seulement augmenter sa présence dans les pays membres, mais aussi pouvoir opérer dans un environnement régulé et partagé par tous les partenaires.

Un accord critiqué Si cet accord promet beaucoup de bénéfices aux pays signataires, il déclenche aussi de vives critiques. Tout d’abord, la confidentialité des détails exacts du PTP a provoqué de nombreux remous. Le sénateur américain Ron Wyden a décrié que «la majorité du Congrès soit gardée à l’écart des négociations tandis que des représentants de certaines grandes compagnies sont consultés

et inclus dans le processus.» Le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États est un des points les plus controversés de l’accord. Ce mécanisme permettrait à une firme d’attaquer un État devant un tribunal arbitral international, dans le cas où la firme juge que le pays hôte a nui à ses activités. Une des possibles conséquences est la perte de pouvoir et de liberté des gouvernements face aux corporations.

Un second point tout aussi controversé est l’approche de l’accord sur les standards de la propriété intellectuelle. Selon les documents publiés par WikiLeaks, il semble que ces standards seront très restrictifs: une longue durée d’exclusivité des droits d’auteurs, des brevets et de la propriété intellectuelle en générale. Médecins Sans Frontières a annoncé que cet accord tel quel aurait un effet dévastateur sur les pays les moins développés du partenariat. Ainsi, il aurait pour effet de restreindre la compétition entre les producteurs de médicaments génériques qui permettent de faire baisser les prix des médicaments. Au Canada, les deux opposants à M. Harper ont annoncé qu’ils attendaient d’avoir un peu plus de détails avant d’avoir une opinion sur le PTP. Si cet accord paraît très prometteur, nous n’avons pour l’instant que la parole d’un gouvernement en période électorale comme information officielle. On notera aussi que la Chine, acteur majeur de l’économie de l’Asie Pacifique et principale partenaire commerciale de certains des pays membres du PTP, est absente de ce partenariat. On attend donc impatiemment la publication des détails de l’accord. x

Montréal

De l’eau sale

Suivi du dossier municipal d’épuration des eaux. Julien beaupré

Le Délit

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e 16 octobre dernier, la ministre de l’Environnement à Ottawa, Leona Aglukkaq, a officiellement signé un arrêté ministériel interdisant à la ville de Montréal de poursuivre son projet de déversement de 8 milliards de litres d’eaux usées dans le fleuve Saint-Laurent. Cette décision fait suite à plusieurs obscurs jours d’attente pendant lesquels Environnement Canada ne semblait pas vouloir trancher devant l’insistance du maire Denis Coderre. Si la ville a tant besoin de ce déversement, c’est qu’elle y est contrainte par un grand projet de réaménagement; celui de l’autoroute Bonaventure. En effet, on compte abaisser ladite autoroute au niveau du sol. Cela oblige la ville à déplacer une certaine chute à neige (indispensable durant l’hiver) vers une autre conduite d’eau, de 30 kilomètres de long, qui doit être asséchée avant les travaux. La ville de Montréal avait prévu de déverser les eaux vers la mi-octobre, pour poursuivre les travaux; mais elle devra maintenant attendre jusqu’au 3 novembre en raison de

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la Loi sur les Pêches qui interdit de mettre en danger les poissons en rejetant des substances nocives dans leur habitat. La ministre s’en remet à des examens scientifiques futurs qui devraient permettre de statuer sur la nocivité du déversement, même si Denis Coderre affirme que le gouvernement possède le dossier depuis septembre 2014. Des effets nébuleux Il est évident qu’un tel enjeu n’a pas fait l’affaire de toute la population. Le candidat vedette du Parti vert, Daniel Green, a affirmé en entrevue avec Radio-Canada que si le déversement doit avoir lieu il faudra éviter tout contact de la peau avec l’eau. Cependant, la qualité de l’eau potable ne serait pas à craindre étant donné que l’eau de nos robinets provient du Saint-Laurent, certes, mais qu’elle est systématiquement filtrée au préalable. Toutefois, la pétition organisée pour contrer le déversement rappelle tout ce qui pourrait joncher les berges, c’est-àdire des préservatifs, des tampons et de la matière fécale. En effet, la seule usine d’épuration des eaux de la ville de Montréal, située sur la pointe est

Mahaut engérant de l’île de Montréal, filtre les matières solides ainsi que le phosphore, mais laisse quand même passer les produits chimiques, les hormones, les nutriments, les bactéries et les produits pharmaceutiques. À ce sujet, la professeure Elena Bennett du département d’études environnementales de l’université McGill précise que la quantité de déchets rejetés dans la rivière serait petite comparativement au débit

du Saint-Laurent, moyennant des dommages écologiques relativement mineurs. Toujours selon elle, l’attention des protestants devraient se tourner vers l’amélioration de l’usine d’épuration elle-même qui ne désinfecte pas l’eau qu’elle retourne dans la rivière, ainsi que sur l’amélioration des techniques de prévention des débordements causés par les orages qui ont des conséquences similaires au déversement des 8

milliards de litres d’eau. Un enjeu électoral propre au Québec La mairie de Montréal rappelle que des déversements du genre ont effectivement eu lieu en 2003 et 2007 pour des raisons similaires et que le gouvernement fédéral n’y a pas vu d’objection. D’ailleurs, le ministre québécois de l’Environnement, M. Heurtel, a déjà donné son feu vert. Pour M. Coderre il s’agit surtout d’une stratégie électorale de la part des Conservateurs, qui n’ont certes pas une réputation verte. Ajoutons qu’aucun parti ne s’est positionné en faveur du déversement: le Nouveau Parti démocrate s’y oppose fortement, les Libéraux refusent tout jugement et le Parti vert entend déposer une injonction. Pourtant, Radio-Canada nous apprenait le 6 octobre que plusieurs déversements de ce genre ont eu lieu à travers le Canada avec l’accord d’Environnement Canada. Le plus marquant d’entre tous est certainement la ville de Victoria qui rejette en moyenne, par année, 44,5 milliards de litres d’eaux usées dans la mer. Cela ne semble pourtant pas être un enjeu électoral là-bas. x

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Élections

Les Libéraux sont de retour

La plus longue campagne électorale canadienne est enfin terminée. julien beaupré

Le Délit

V

oilà, c’est fait. Justin Trudeau a remporté son pari. Le Parti libéral du Canada a remporté les élections. Il reformera un nouveau un gouvernement majoritaire, avec le Parti conservateur en opposition officielle. On rappelle que la dernière élection du parti remonte à 2003, avec Paul Martin comme chef. Au Québec, les Libéraux ont succédé au Nouveau Parti démocratique dans ce qu’on pourrait appeler une «vague rouge». Stephen Harper a renoncé à son poste de chef du Parti conservateur malgré une honnête performance de la part de son parti. Quant à Mulcair, il s’engage à demeurer au volant du NPD, lui qui voit son parti retourner au niveau de 2008. Page facebook de justin trudeau

Retour sur la campagne Si le résultat est aujourd’hui limpide, bien malin est celui qui aurait pu en deviner l’issu. En effet, sur 78 jours, il s’en est passé des choses. On se rappelle ainsi qu’après le 2 août, le début officiel de la campagne, c’était principalement l’affaire Duffy qui prenait toute la place. Inévitable pour les

Conservateurs, ce dossier avait d’ailleurs été révélé le plus tôt possible afin de le faire «oublier» par la suite. En comparant la popularité faible du Parti conservateur en début de campagne avec les résultats finaux, on comprend la tactique. Toutefois, d’autres enjeux importants sont venus influer fortement

sur le ras-le-bol des conservateurs. Parmi ceux-ci, le sujet de la crise des réfugiés syriens et irakiens, toujours d’actualité, a contribué à discréditer le Premier ministre sortant. Face aux propositions généreuses des deux autres principaux chefs, la priorité de Harper, soit la sécurité du pays avant tout, n’a pas

reçu le soutien escompté de la part des électeurs. Toutefois, la position de Harper sur le port du niqab, partagée par le Bloc, a trouvé preneur chez beaucoup d’électeurs qui ont décidé de voter avec, littéralement, un sac de patate sur la tête pour protester contre la position des Libéraux et des Néo-Démocrates.

Pour ce qui est du NPD, on peine à se souvenir de l’ampleur de leur popularité en début de campagne. Se positionnant contre Harper, ils ont tranquillement perdu des votes face aux Libéraux. En considérant que le parti élu respectera ses promesses, on peut s’attendre à plusieurs changements notables au sein du Canada. La promesse phare des Libéraux, pour beaucoup garante de leur honnêteté, c’est celle qui annonce un investissement de 60 milliards dans les infrastructures sur une période de dix ans en espérant atteindre l’équilibre budgétaire d’ici 2019. Au niveau international, le Parti libéral s’engage à faire retrouver au Canada sa position d’aide internationale. Par exemple, en Syrie, on peut s’attendre à voir le Canada se concentrer davantage sur la formation des armés sur place et l’instauration d’une mission de paix. Sur le même enjeu, on peut espérer que les réfugiés syriens verront leurs demandes d’immigration accélérées. Enfin, au niveau de l’environnement, les discussions que Trudeau entend entreprendre avec les provinces — pour éviter de pénaliser celles qui font déjà des efforts — se dessinent timidement à l’horizon. x

Luce engérant & yves boju

Le Délit

Résultats des élections fédérales*

Ville-Marie — Le Sud-Ouest — Île-des-Soeurs*

Laurier — Sainte-Marie*

*: Projection à deux heures du matin. Source: elections.ca

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actualités

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Campus

Air électoral sur le campus L’occasion d’un débat sur les élections fédérales pour tous, étudiants ou non. catherine mounier

éléonore nouel

Le Délit

L

e mercredi 14 octobre dernier, l’Association des Étudiants de Sciences Politiques (AESP, ndlr) de McGill organisait un évènement à saveur électorale unique, comprenant panel, discours et débat; le tout se déroulant dans la salle Moyse quasi comble devant un public visiblement très intéressé par les différents enjeux. L’idée derrière l’évènement était «non seulement de permettre aux différents invités de s’exprimer sur la nécessité de rester informé et de voter, mais également de fournir un espace de dialogue, de discussion pour les étudiants», a mentionné Ida Mahmoudi, la vice-présidente à la communication de l’AESP. Tout d’abord, le panel de discussion était composé de trois professeurs de sciences politiques, soit Richard Schultz, Elisabeth Gidengil et William Watson, ainsi que du recteur Christopher Manfredi. Les réponses pertinentes et bien articulées de ceux-ci ont touché à plusieurs sujets d’actualité tels la réforme du sénat, le projet de loi C-51 (loi antiterroriste

renforçant les prérogatives des autorités) ainsi que les changements possibles à apporter au système d’élection présentement en place. Tous se sont entendus avec Mme Gidengil lorsqu’elle a mentionné que «le plus important est de s’engager, de trouver le parti qui vous représente le mieux et d’aller voter». Par la suite, quelques candidats de la région sont venus s’adresser aux étudiants et ils ont mis l’accent sur leur plateforme ainsi que sur leurs enga-

gements envers les jeunes, décrits à maintes reprises comme acteurs de changement. Marc Miller termina d’ailleurs sa brève présentation en lançant aux étudiants: «Vous êtes l’avenir». Une soirée mouvementée La soirée a continué avec le débat combinant les jeunes néo-démocrates de McGill, les jeunes conservateurs ainsi que les jeunes libéraux. Chacun des partis a eu la chance de s’exprimer sur une vaste gamme de

sujets séparés en quatre catégories, soit l’économie, la politique extérieure, la démocratie ainsi que les politiques sociales et la justice. À travers ces grands thèmes, plusieurs sujets d’actualité furent abordés et débattus, entre autre la crise des réfugiés, les stages non rémunérés, la place des scientifiques, l’environnement ainsi que les affaires touchant aux vétérans. Certains sujets très controversés ont également été discutés tel que le Sénat ainsi que la polémique récente entourant le port du

niqab lors de cérémonies officielles. Une atmosphère de respect régnait malgré les différences d’opinions marquées entre les groupes de débatteurs. Alors que le NPD et les Libéraux tentaient de démontrer les failles des neuf dernières années passées par Harper au pouvoir et l’importance d’un vent de changement, les conservateurs se défendaient d’avoir présenté un gouvernement stable, surtout en temps de crise économique. À travers plusieurs interventions bien construites, les partis ont tenté de se discréditer les uns les autres à multiples reprises, suscitant plusieurs réactions de la foule. L’évènement habilement modéré par les représentants de l’AESP s’est révélé très informateur et complet pour quiconque tenait à s’informer d’avantage avant de passer aux urnes. La plus longue élection jamais vue au Canada a fait couler beaucoup d’encre autant sur la scène nationale que sur le campus. L’engouement que cet évènement a suscité démontre bien l’intérêt, que l’on espère grandissant, des étudiants envers la politique canadienne. x

Chronique visuelle

Un Français à Montréal

paul pieuchot

6 ACTUALITÉS

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actualités

Leacock ouvre les portes (de son esprit) aux réfugiés Une soirée dédiée à la pire crise humanitaire depuis la 2e Guerre Mondiale. Samuel Ferrer

garde des frontières européennes, aboutissant à la crise interne que subit l’Union Européenne actuellement.

C

’est d ans un Leacock 132 bien rempli qu’a eu lieu, ce vendredi 16 octobre, Knocking on Europe’s doors : Syrian Refugees in the Worst Humanitarian Crisis of our Time (On frappe à la porte de l’Europe: les réfugiés syriens dans la pire crise humanitaire de notre époque), organisé par l’Association des Étudiants Syriens (SSA, ndlr) de McGill et Concordia. L’événement, en coopération avec Standpoints, Amnistie Internationale, McGill, Concordia, et les journalistes pour les droits de l’homme de McGill (JHR, ndlr), s’articulait autour de deux reportages vidéos et d’un débat chargé d’émotion. Après une brève introduction, les lumières s’éteignent et la salle assiste à un récapitulatif de la crise actuelle sans un bruit. S’en suit un reportage signé The Guardian. La caméra suit une famille de réfugiés et nous raconte leur périple de la Hongrie à l’Autriche. Le public est en totale immersion et l’émotion est palpable; on croirait presque cheminer avec eux. Ce qui choque c’est la joie sur les visages – surtout celui de Mahmoud marchant avec le sourire bien qu’ayant perdu une jambe en Syrie. Un gouvernement pas à la hauteur... Les lumières se rallument. Paul Clarke, directeur d’Action Réfugiés Montréal, nous explique les divers

Enthousiasme étudiant

luce Engérant processus légaux liés à l’obtention du statut de réfugiés qui, d’après lui, ne sont clairement pas à la hauteur du problème. Aussi, 8 réfugiés on été admis au Québec depuis janvier 2015 grâce au gouvernement, contre 600 grâce à divers ONG et organismes privés dans le même laps de temps. Enfin vient le moment de la discussion. Plus qu’un véritable échange, c’est bien quatre discours distincts que les quatre invités nous offrent: Matvey Lomonosov, Professeur à McGill, très pragmatique, marquera tout particulièrement les esprits par son analyse poussée du contexte politique hongrois – mis en parallèle avec la tolérance de l’Islam en Russie – étant une des causes pour lesquelles le gouvernement a un regard si hostile envers les réfugiés.

...Et la communauté internationale non plus C’est Afra Jalabi, membre fondatrice du Conseil National Syrien et signataire de la Déclaration de Damas, qui toucha le plus le public. D’une voix calme et engagée, elle dénonce l’apathie mondiale trop bien expliquée par le courant «réaliste» des relations internationales. Sa voix résonne comme un véritable cri d’indignation alors que «l’histoire ne fait que se répéter», ponctuée de «plus jamais» en vain, observe-t-elle, permettant entre autres l’holocauste, le génocide rwandais, et le laissez-faire international actuel quant à la dictature Assad. Bien que ne répondant pas réellement aux questions, Mme Jalabi a clairement diffusé le mes-

sage qu’était le sien, et le public lui a répondu par un tonnerre d’applaudissements à la fin de chaque intervention. Ne répondant pas directement aux questions non plus, Jon Waind, sur le chemin du doctorat à McGill, souligna quelques problèmes intrinsèques à la crise tels que le besoin de reconnaître le droit des enfants au niveau international ou encore la nécessité future – pour une bonne intégration des réfugiés – d’une tolérance des religions dans les pays d’accueil. De fait, c’est probablement Ecem Oskay, étudiante à la maîtrise à McGill, qui répondit de la manière la plus pertinente aux questions; se référant aux composantes légales européennes, et expliquant comment l’espace Schengen à créé un système asymétrique quant à la

Interrogée par Le Délit pour l’occasion, Yara Hammami, membre de SSA, affirme sa joie quant à la réussite de l’événement et la mansuétude témoignée par les participants: « À la fin de la discussion […] des élèves m’ont bombardée de questions à propos des organismes caritatifs mentionnés auparavant, voulant savoir comment ils pouvaient aider. Cela me rend très heureuse qu’un événement tel que celui-ci ait pu informer tant d’élèves quant à la gravité de la situation, et leur montrer clairement ce qui ce passe réellement vis-à-vis de la crise des réfugiés syriens. J’espère que cet esprit [d’entraide] continuera, et qu’il ne s’estompera pas dans un futur proche.» Au sortir de cette soirée, il apparaît très évident – si ce ne l’était pas déjà – que réfugiés ou non, syriens ou non, nous sommes tous humains. La crise actuelle n’est plus seulement celle des Syriens, où des Européens, mais bien celle d’une communauté mondiale et humaine. La réponse que nous apporterons à cette crise, nous citoyens du monde, ne devra pas être celle d’un repli sur soi nationaliste et xénophobe, mais bien d’une entraide et tolérance générale, d’humain à humain. x

Brève

L’AÉUM organise la semaine de la santé mentale Joachim dos santos

Le Délit

L

e jeudi 15 octobre dernier débutait une semaine d’activités consacrée au thème de la santé mentale. Organisée par l’Association des Étudiants de l’Université McGill (AÉUM), cet événement, qui se poursuit jusqu’au vendredi 23 septembre, est ponctué d’activités pour sensibiliser à la fois les étudiants les et les membres du personnel sur les enjeux reliés à la santé mentale à travers des activités artistiques, des présentations, des ateliers dirigés par des élèves, et même des classes de sports. Trois événements ont été couverts par Le Délit cette semaine. Le premier: «Laisse ta marque avec de la peinture», a eu

lieu dans le pavillon McConnell d’Ingénierie le 15 octobre. Il s’agissait d’un événement où les étudiants pouvaient laisser leur marque sur une toile, créant ainsi une symphonie de couleurs et de dessins esthétiquement agréables. Le matériel nécessaire à la peinture a été fourni, ce qui a facilité la tâche des participants. Le groupe organisateur s’est affilié à la Fondation de l’art pour la guérison. Cette fondation améliore les environnements de guérison dwans les hôpitaux et les installations de bien-être à travers le Canada grâce l’installation de plus de 9 000 œuvres d’art. Leur missions est de «promouvoir le bien-être des élèves et des environnements de guérison par l’expression artistique».

le délit · mardi 20 octobre 2015 · delitfrancais.com

Joachim dos santos

Le 16 octobre, le Comité de l’engagement de l’Association des Étudiants de la Faculté des Arts a organisé, dans une ambiance café au 3559 rue de l’Université , un événement où tout le monde pouvait partager quelque chose sur soi, que ce soit à travers l’art, la musique ou la poésie. L’idée était d’avoir un espace pour s’exprimer librement dans une ambiance exempt de jugement. Dimanche dernier, c’est une classe de Zumba qui était organisée à la salle d’aérobic du complexe sportif de l’Université McGill. Il s’agit d’une séance d’entraînement dynamique fondée sur une dance d’inspiration majoritairement latino-américaine. L’activité physique permet de libérer l’esprit. x

actualités

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matilda nottage & julia denis

erratum

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le d茅lit 路 mardi 20 octobre 2015 路 delitfrancais.com


Société societe@delitfrancais.com

opinions

Les grandes oubliées

Voter pour renverser le silence autour des communautés autochtones. kharoll-ann souffrant

Le Délit

L

a plus longue campagne électorale fédérale du l’histoire du Canada en est à son dernier souffle. Alors que nous sommes dans la dernière ligne droite, l’issue du scrutin semble difficile à déterminer, bien qu’une bataille serrée à trois se dessine très clairement. De nombreux thèmes ont été abordés par les différents partis en campagne. Qu’en est-il de la situation des communautés autochtones? Le double discours de Stephen Harper Les débats dans les médias se polarisent autour de la question du niqab, qui aurait profité aux Conservateurs. De nombreux électeurs sont allés voter appareillés de sacs de patates ou de masques de clown pour manifester leur opposition aux femmes qui prêtent serment au pays le visage voilé. Pourtant, une mino-

rité de femmes portent le niqab, une cinquantaine au Québec selon le spécialiste des religions Frédéric Castel dans un article à La Presse de Rima Elkouri. On ne peut donc que dénoncer l’instrumentalisation de cette question dont on discute sans demander leur avis aux principales intéressées. Francis Dupuis-Déri en a parlé de manière très éloquente dans Le Devoir récemment. Le plus contradictoire est le fait que le gouvernement fédéral se positionne en grand défenseur des droits des femmes, alors que jour après jour, il failli à sa tâche et à sa responsabilité d’agir pour stopper le «féminicide» (terme utilisé par la journaliste Emmanuelle Walter dans son livre Sœurs volées, ndlr) qui se déroule actuellement sous nos yeux dans une indifférence quasi généralisée. Une violence systématique, raciste et sexiste Selon Statistique Canada (2009), les femmes autochtones

sont deux à trois fois plus susceptibles d’être violentées que leurs consœurs non-autochtones. Toujours selon la même source, près de deux tiers de ces femmes victimisées ont moins de 35 ans. Le constat est clair: les femmes autochtones subissent une violence qui est à la fois sexiste et raciste, due à la colonisation et à une oppression systémique. Elles sont aussi en danger en raison de leur style de vie précaire (plusieurs communautés dénoncent le fait de ne pas avoir d’eau potable, entre autres). Des pistes de solutions Plus tôt cette année, la commission Vérité et Réconciliation du Canada a rendu public son rapport. Ses conclusions sont sans équivoque: le Canada a commis un génocide culturel envers les communautés autochtones. La Commission y est allée de 94 recommandations afin d’amorcer le processus de guérison. Or, la partie n’est pas gagnée. Bien que

Stephen Harper se soit excusé en 2008 pour les pensionnats autochtones, il persiste à ne pas déployer les efforts nécessaires et sincères pour renverser la situation. Le silence conservateur a motivé une prise de conscience chez ses concurrents. Lysane Blanchette-Lamothe (Nouveau Parti démocratique) et Francis Scarpaleggia (Parti libéral), lors d’une récente réunion du Club Universitaire de l’Université pour Femmes de Lakeshore (Montréal Lakeshore Women’s University Club, ndlr) ont déclaré que si leurs partis respectifs remportaient une élection, ils mettraient en application les 94 recommandations de ladite commission ainsi qu’une enquête publique sur les femmes autochtones assassinées et disparues. Des voix qui s’élèvent Pour rétorquer à l’inaction conservatrice, des internautes de la communauté d’Iqaluit ont

lancé une campagne via un hashtag sur le web «DoIMatterNow?» («Suis-je important maintenant?», ndlr). Amnistie Internationale invite également la population canadienne à signer sa pétition réclamant une enquête publique sur les disparitions et les assassinats des femmes autochtones. Les organisatrices de la Marche mondiale des femmes 2015 ont également décidé d’en faire un enjeu de premier plan. Même Miss Univers Ashley CallingbullBurnham, la première femme autochtone à porter ce titre, utilise la visibilité dont elle jouit actuellement pour mettre de la lumière sur les problématiques auxquelles font face les gens de sa communauté, une prise de position ayant eu des échos un peu partout. Espérons qu’à force de bruit et de travail, ces voix parviendront à renverser l’inertie actuelle. On en a assez de l’inaction et de l’indifférence quand on parle des communautés autochtones. x

Élire une femme, quelle blague! Le sexisme en politique est encore trop présent. Cécile Richetta Il n’est jamais trop tôt pour avoir une opinion, surtout quand il s’agit de rabaisser les femmes. À 390 jours des élections présidentielles américaines, le rappeur américain T.I. a décidé qu’il était temps de justifier ses choix politiques. Lors d’une interview avec DJ Whoo Kid sur la radio Sirius XM, il déclarait: «Sans vouloir être sexiste, je ne peux pas voter pour une femme à la tête du monde libre.» La suite de ses propos mentionne l’instabilité émotionnelle que l’on reconnaît souvent chez les femmes: «Elles prennent des décisions très sérieuses, butées, et après, c’est un peu comme si ça ne s’était pas passé, ou elles ne voulaient pas que ça se passe ainsi». Le rappeur finit en disant qu’il serait regrettable d’envoyer une bombe nucléaire dans ce contexte. Même si, au vu des paroles de ses chansons (en référence à Whatever you like, ndlr), il était déjà clair qu’Hillary Clinton ne correspondait pas à son idéal féminin, cette déclaration reste profondément choquante. En quelques mots, pour le rappeur, l’adé-

quation d’œstrogène et de pouvoir donne forcément lieu à une guerre nucléaire. «Je pense que l’on élirait le monstre du Loch Ness avant d’élire une femme. » De nombreux stéréotypes continuent d’entacher la réputation des femmes en politique: considérées comme hystériques si elles s’affirment, censées être diplomates et pacifiques, rendues irrationelles par leurs menstruations, et la liste est encore longue... «La saison est ouverte pour les politiciennes», selon l’expression utilisées par John A. Tures dans le Huffington Post, et T.I. n’est que le dernier scandale en titre. Après tout, Donald Trump à la présidentielle pensait que le fait que «du sang sortant de son vous savez quoi» était un bon argument pour discréditer une journaliste. Alors que les élections américaines ne débuteront que dans plus d’un an, les fédérales canadiennes se terminent, et le sexisme fait aussi partie du paysage électoral. La candidate bloquiste Catherine Fournier a été l’objet de commentaires sexistes quand un journa-

le délit · mardi 20 octobre 2015 · delitfrancais.com

liste de Global TV News, Peter Anthony Holder, a retweeté une photo d’elle aux côté du chef de son parti, Gilles Duceppe, sous une légende faisant entendre qu’elle serait séduite par le pouvoir de ce dernier: «Elle est prête à retirer son string pour lui.» La candidate a immédiatement réagi sur les réseaux sociaux, en soulignant que jamais une blague de ce genre ne serait faite sur un homme. Par la suite, M. Holder a présenté ses excuses. Le Canada a fait d’énormes progrès égalitaires aux cours des dernières décennies, mais n’a pas encore atteint la parité. Après les élections fédérales de 2011, seulement 25% des sièges au Parlement étaient contrôlés par des femmes. Le Canada n’est que 50e au classement mondial de l’égalité parlementaire entre les hommes et les femmes. Et bien que des candidats sexistes comme Gilles Guibord (candidat conservateur mis à la porte à la suite de commentaires misogynes, ndlr) soient mis à l’écart, les femmes continuent d’être victime des stéréotypes les décrivant comme «moins aptes» à gouverner que les hommes.

Au final, pour T.I, comme pour M. Holder, il n’y a rien eu de mieux à faire que de s’excuser humblement. Petit conseil pour la prochaine fois: ne jamais com-

mencer une phrase par «Sans vouloir être sexiste». Ou arrêter, tout court, de considérer les femmes en politique comme des amatrices. x

société

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Prose d’idée

Les nouvelles amours Petite réflexion sur le sentiment à l’âge numérique.

amour pour l’Autre est immatériel: il est indépendant de sa présence matérielle.

arno pedram

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es réseaux sociaux, les téléphones intelligents et autres écrans sont une plaie: ils faussent les relations, dématérialisent et insensibilisent les échanges. Stromae le chante: «L’Amour est comme l’oiseau de Twitter/On est bleu de lui seulement pour 48 heures». Tinder, Grindr… les sites de rencontre transforment notre environnement en un marché ultra-capitaliste où chacun devient un produit et fait l’inventaire de ses performances. Derrière l’écran, l’échange physique se dépersonnalise et un coup de pouce change la donne du tout au tout. Chacun est évalué, essayé, rejeté: le néolibéralisme, insidieux, s’installe entre nous et les autres dans un état de compétition perpétuelle. On en appelle à revenir aux racines, au vrai, au contact, au physique, à l’exclusivité, à l’unicité, à reconnaître la «vraie» valeur de l’être humain dans nos échanges dans le monde réel. On jette l’opprobre sur les sites de rencontre, on cache que l’on s’y est rencontrés. La rencontre «làbas» n’est pas assez romantique, traditionnelle. Elle relève d’un choix virtuel malgré lui.

À la recherche de l’Amour perdu?

esther perrin tabarly Quelle est cette «vraie» rencontre, condition apparemment sine qua non du sentiment? Celle du prince charmant délivrant sa princesse? La dichotomie Qu’est-ce qui, dans la présence physique, est plus vrai que dans l’échange dématérialisé? Le film de Spike Jonze, Elle, posait la question: pouvons-nous appeler amour un sentiment adressé envers un être immatériel? L’amour, le vrai, serait déve-

loppé dans l’échange matériel, à travers l’aspect corporel de la rencontre. Le réseau social est une illusion du sentiment, de la personne… Tout le monde peut devenir tout le monde dans un monde dématérialisé. Le sentiment ne se manifeste-t-il donc que dans le physique, le spirituel ne surgit-il que du matériel? Pourtant, quand l’Autre n’est pas là, il m’arrive de sentir quelque chose. Je pense à l’Autre, je me fais du souci pour l’Autre: dans son absence, le sentiment se manifeste, incontrôlable et

spontané. Le spirituel, indépendant du physique, me rappelle à l’Autre, matériel et pourtant absent. Amoureux, ne me créeje pas non plus un être parfait, idéalisé par mon sentiment et dépassant sa réalité? En l’absence de l’Autre, mon sentiment se développe à la pensée d’un être matériel. En fait, je recrée l’Autre: je le matérialise ex res nihilo pour l’accorder à mon amour qui à son tour dessine l’Autre. Mon image de l’Autre est toujours différente de ce qu’il est car je ne le connais pas. Mon

En réalité, nous n’assistons pas à la fin du sentiment. Nous sommes témoins de la mutation des relations humaines et de l’apparition de nouvelles amours. Le sentiment s’affranchit d’autant plus du physique: les échanges immatériels s’ajoutent et trouvent leur place dans des échanges et des relations nouvelles. Après tout, l’amour lui même est immatériel, pourquoi seraitil donc manifeste seulement dans le matériel? De toute façon, y arriverait-il, étant donné sa nature? Les soi-disant manifestations physiques de l’amour en sont-elles réellement? L’amour ne se manifeste-t-il pas de la façon la plus pure dans l’immatériel, le métaphysique? En réalité, personne ne sait de quoi nous parlons. On pourrait croire que notre vision de l’amour est universelle, mais nous en attendons toujours la preuve. Et si, en attendant, on essayait d’accepter que chacun soit libre d’aimer comme il l’entend? x

chronique

Les hasards de la démocratie Côme de Grandmaison | Ils ont pensé pour le présent.

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ne fois n’est pas coutume, plaçons-nous sous les auspices de Pierre Desproges, voyant cynique et empereur du rire. En 1986, il se demandait: «Est-il en notre temps rien de plus odieux, de plus désespérant, de plus scandaleux que de ne pas croire en la démocratie? Et pourtant. Pourtant…» Pourtant nombreux sont ceux qui, comme Desproges, la dérision en moins, prêtent à ce régime tous les maux de la Terre. C’est à partir de ce constat que le philosophe français Jacques Rancière a publié en

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société

2005 La Haine de la démocratie. Cette «haine» est en fait le mépris qu’ont les élites (politiques, intellectuelles et économiques) pour la «société démocratique», c’est-àdire le peuple, auquel ils doivent leur mandat, qu’ils considèrent pour beaucoup comme un ensemble d’individus consommateurs, désaffiliés, égoïstes et «coupé(s) de toute transcendance». Au cœur de ce livre se trouve donc l’analyse de la négation de la souveraineté populaire, mais aussi une idée prenant de l’ampleur: l’introduction du tirage au sort comme fondement de la légitimité des dirigeants. Beau programme. Il faut changer de peuple! En ce moment au Canada, le gouvernement conservateur laisse dans l’ombre les négociations sur le traité transatlantique (TAFTA), comme par crainte que le peuple n’y décèle pas les mêmes lumières que les élites. Il apparaît donc comme évident – et d’autres exemples sont là pour

le prouver – que les intérêts du peuple et ceux des élites sont disjoints. Ainsi les gouvernements démocratiques se comportent souvent comme si ils étaient investis non par le peuple mais par la vérité, révélée dans la grâce du pouvoir aux quelques élus. Ceux-ci, fort de cet appui, estiment que le vote doit simplement sanctionner leurs décisions (ou leur place au pouvoir). Et quand le résultat ne leur convient pas, plutôt que de s’interroger sur eux-mêmes c’est sur le peuple qu’ils rejettent la faute. Ces phénomènes peuvent être perçus comme la négation de la décence ordinaire par les dirigeants. Ce concept, pris dans l’œuvre de George Orwell, peutêtre défini comme «la faculté instinctive de percevoir le bien et le mal» qu’auraient les classes populaires, selon le philosophe Bruce Bégout. Cette décence, selon Rancière, a malheureusement été écartée de la sphère publique, phagocytée par les intérêts privés de «l’oligarchie».

Alea jacta est Comment alors réintroduire de la légitimité dans la démocratie, qui consiste selon Rancière en «le processus d’élargissement de cette sphère publique»? Selon l’auteur, le terme «démocratie représentative» n’est pas un pléonasme, mais un oxymore. Ce n’est pas aux représentants «de métier» mais à «n’importe qui» d’assurer l’exercice du pouvoir, afin de représenter «tout le monde». Dans ce but, l’idée de tirage au sort est mise en avant, fondée sur une analyse historique et philosophique: les Grecs, déjà, employaient cette pratique. Ainsi le système de représentation favorise ceux cherchant à exercer le pouvoir, quand bien même, selon Rancière, ils ne sont pas plus compétents que les autres, bien qu’ils aiment à faire croire que les personnes lambda, ignorant «la science (…) des équilibres fragiles» de la gouvernance, seraient inaptes à l’exercice du pouvoir.

Concrètement, le tirage au sort consiste à désigner par le hasard des représentants du peuple au sein d’une assemblée (locale ou nationale) au pouvoir effectif, ayant un rôle à la fois législatif et de contrôle. Ceuxci seraient investis de mandats courts et non renouvelables, et leur présence mettrait à mal le souhait de l’oligarchie: «gouverner sans peuple». Bien sûr le système est imparfait. Bien sûr il est illusoire de vouloir une classe politique non-professionnelle. Mais de quel droit la représentation de nos intérêts devrait être l’apanage d’un petit nombre? x RANCIÈRE, Jacques. La Haine de la démocratie, Paris, La Fabrique, 2005. Pour en savoir plus sur le tirage au sort: etienne. chouard.free.fr/Europe/ tirage_au_sort.php

le délit · mardi 20 octobre 2015 · delitfrancais.com


économie economie@delitfrancais.com

Enquête

Moscou sous haute tension Enquête sur la situation réelle de l’économie russe. envers Poutine pour avoir fait en sorte que les pensions soient à nouveau versées, ce qui n’était pas toujours le cas pendant les années 1990 – souffrent eux aussi de la récession et se préparent à voir leurs pensions gelées pour la troisième année consécutive (désindexées de l’inflation, elles perdent progressivement de leur valeur réelle).

GéRALD SIGRIST

Le Délit

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epuis quelques semaines, l’intervention russe en Syrie – officiellement dirigée contre les combattants de l’État Islamique (EI) – attire l’attention des médias internationaux. Les thèses abondent quant aux motivations réelles du soutien au régime syrien, allié traditionnel de la Russie dans la région, à la recherche d’un regain de popularité du président Poutine, jouant sur la fibre patriotique alors que l’«effet Crimée» s’estompe progressivement. Mais dans un contexte économique de plus en plus difficile pour la Russie, toujours soumise aux sanctions occidentales consécutives à l’annexion de la Crimée en mars 2014, une telle intervention militaire – forcément coûteuse et risquée – interroge surtout sur les attentes du Kremlin en termes économiques. Dans cette première partie de notre dossier sur les aspects économiques de la politique de la Russie en Syrie, nous allons nous pencher sur la situation de l’économie russe après la crise ukrainienne, et nous interroger sur l’inquiétante augmentation de ses dépenses militaires. Une faiblesse structurelle aggravée par les sanctions Si le PIB russe a affiché des taux de croissance élevés ces quinze dernières années (entre 5 et 10% par an, si l’on met de côté la crise financière mondiale de 2008), l’économie du pays n’en est pas moins restée structurellement faible. Cela tient d’une part à son addiction marquée à une rente pétrolière et gazière, source facile de devises étrangères, mais aussi aux variations imprévisibles. Le cours du baril de pétrole brut a été divisé par plus de deux entre avril 2012, où il atteignait 120 dollars, et aujourd’hui, où il stagne à 50 dollars. Avec un secteur primaire hypertrophié, l’économie russe est dépendante de ces revenus (l’exploitation des ressources naturelles constitue un cinquième de son PIB). Mais le budget de l’État est d’autant plus dépendant des cours des énergies fossiles, financé pour moitié par les revenus du pétrole et du gaz. C’est autant de moins à dépenser pour atténuer les conséquences

…mais des dépenses militaires croissantes

Luce Engérant

Depuis l’annexion de la Crimée en 2014, le taux de croissance de la Russie a chuté de près de 4 points, pour se retrouver aujourd’hui à -1.9%. sociales de la récession auprès des plus vulnérables, ou pour mener des politiques de relance de l’économie. La faiblesse structurelle de l’économie russe tient également à celle des institutions nécessaires au bon fonctionnement de toute économie de marché, ainsi qu’à l’existence d’un climat peu favorable aux affaires (corruption, entorses à l’État de droit etc.). Le score de la Russie selon l’index de perception de la corruption établi par Transparency International est bas et persistent: il stagne autour de 27 (0 signifiant «très corrompu» et 100 «très propre»), ce qui correspond en 2014 au 136e rang sur 175 pays classés. La baisse conjoncturelle des cours du pétrole et du gaz ne vient donc qu’aggraver une situation déjà précaire, à laquelle s’ajoutent les sanctions économiques et commerciales imposée à la Russie depuis l’année dernière.

le délit · mardi 20 octobre 2015 · delitfrancais.com

Rendant très difficile – voire impossible – l’obtention par des entreprises russes de prêts de la part de banques occidentales, dont les taux d’intérêts sont plus faibles que ceux pratiqués en Russie, ces sanctions complètent donc les effets conjugués des problèmes institutionnels et de la baisse des cours du pétrole et du gaz. Une sévère récession en conséquence… Comment se manifestent concrètement ces difficultés économiques dans la vie quotidienne des Russes? Depuis l’annexion de la Crimée, en 2014 le taux de croissance de la Russie a chuté de près de 4 points, pour se retrouver aujourd’hui à -1,9%. Le pays est en récession depuis l’été 2014, avec à la fois pour cause et pour conséquence une chute drastique des investissements en cette

période d’incertitude. L’effet se renforce donc, puisque les investissements d’aujourd’hui, au-delà de leur impact statistique immédiat lorsqu’ils sont effectués, représentent aussi le potentiel de croissance de demain. Les salaires des Russes ont quant à eux chuté de 8 à 10% suite à ces événements – une première depuis l’accession au pouvoir de Vladimir Poutine en 2000. Il n’est donc pas étonnant que la pauvreté ait augmenté significativement dans le pays: la vicePremier ministre, Olga Golodets, reconnaît que la Russie compte maintenant près de 23 millions de pauvres, soit un adulte sur cinq. En outre, les coupes qui ont dû être effectuées dans les budgets de l’éducation et de la santé ne sont pas pour renforcer le «filet de sécurité» qui rattraperait dans leur chute ces nouveaux pauvres. Les retraités – une population souvent reconnaissante

La pression considérable qu’exerce cette situation plus que préoccupante s’est fait sentir dans le discours du Président Poutine devant l’Assemblée Générale des Nations Unies, le 28 septembre dernier. Si ce discours visait d’abord à énoncer les principes de la politique de Moscou au Moyen Orient, il est intéressant de noter qu’il a également dénoncé les «sanctions unilatérales contournant la Charte de l’ONU [qui] poursuivent non seulement des objectifs politiques mais servent également à éliminer des concurrents sur le marché». Sous couvert de dénoncer une violation des principes des Nations Unies, Poutine admet en creux l’efficacité des sanctions à l’encontre de son pays. Et pourtant, en dépit des difficultés économiques que nous venons d’énumérer, la Russie continue de consacrer des sommes considérables – et en augmentation – à son armée. Comme l’explique l’économiste russe Sergei Gouriev, le Ministère de la défense russe, bien que disposant du troisième budget le plus important au monde (après celui des États-Unis et de la Chine) avec 84 milliards de dollars en 2014, a réussi à dépenser la moitié de son budget de 2015 pendant les trois premiers mois de l’année. Un tel contraste entre une économie exsangue et des dépenses militaires qui montent en flèche pose une problématique: qu’attend le Kremlin de son aventure syrienne qui puisse compenser ces dépenses militaires croissantes? Comme nous le verrons dans la seconde partie de ce dossier sur les aspects économiques de l’intervention russe en Syrie, le pari risqué que semble faire Poutine par son intervention en Syrie ressemble fort à une fuite en avant… x

économie

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Culture

théâtre

articlesculture@delitfrancais.com

Pas de badinage

Le Théâtre Denise-Pelletier ouvre sa saison avec la célèbre pièce d’Alfred de Musset. Léa Bégis

Le Délit

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our sa troisième mise en scène de Musset, Claude Poissant a opté pour une pièce relativement plus courte que son précédent Lorenzaccio – également présenté au Théâtre Denise-Pelletier – mais non moins dense. Publiée après les amours tumultueuses de Musset avec George Sand, On ne badine pas avec l’amour est une pièce qui illustre les dangers des jeux amoureux et dans laquelle l’orgueil triomphe de l’amour. Cousins et jadis unis par une amitié à toute épreuve, Camille et Perdican se retrouvent après dix ans de séparation. Mais le temps a passé, les deux cousins ont grandi et la nature des sentiments a changé. Fraîchement sortie du couvent et mise en garde contre les dangers de l’amour par les religieuses, Camille rejette le projet de mariage avec Perdican imaginé par le baron, préférant unir sa vie à celle de Dieu. Quant au jeune homme, son amitié d’antan s’est transformée en amour. Blessé dans son orgueil par l’attitude hautaine de sa cousine, il décide de séduire Rosette, une jeune villageoise, afin de prouver son indifférence envers Camille.

Quand les deux protagonistes se rendent enfin compte des ravages de l’orgueil sur leur amour, il est déjà trop tard. Ce thème si universel qu’est l’amour est mis au goût du jour par Claude Poissant, avec des décors et des costumes plutôt

cienne amitié des deux protagonistes. Les costumes sont à la fois modernes et élégants, à l’image du rang social du baron et de son entourage. Les personnages masculins sont vêtus de complets dont les couleurs symbolisent leur caractère respectif: rouge coléri-

et aux couleurs brillantes, et la vertueuse Camille est vêtue d’une robe moulante puis d’un chemisier blanc à motifs de dentelle. On peut néanmoins associer cette discordance à l’ambivalence respective des deux personnages: Dame Pluche étant à la fois bigote et très démonstrative, et Camille aussi vertueuse que passionnée. Les scènes sont ponctuées de musique, tour à tour enregistrées et jouées directement sur scène par deux des comédiens. Le caractère enfantin des instruments choisis, rappelle celui d’une boîte à musi-

entre raison et désir. La tension dramatique, ici amoureuse, entre les deux protagonistes est très bien représentée dans les scènes en tête-à-tête. Toutefois, l’embrassade de la scène finale tombe quelque peu dans le cliché, avec un jeu un peu forcé de la part d’Alice Pascual. Quant aux autres comédiens, Denis Roy et Martin Héroux (respectivement Blazius et Bridaine) incarnent de manière très juste le ridicule de ces parodies du pouvoir. Henri Chassé, quant à lui, a tendance à manquer de conviction dans son

«Un souffle de modernité à cette pièce romantique d’un autre siècle»

Gunther Gamper contemporains. Le décor, très épuré, est principalement fonctionnel et représentatif des lieux de l’action. Il contient néanmoins certaines significations symboliques, dont des feuilles mortes, représentant le temps qui a passé et, par extension, la mort de l’an-

que pour le baron, et pastel pour le jeune Perdican. Toutefois, à l’exception de celui de Rosette, les costumes des personnages féminins détonnent quelque peu avec leurs personnalités respectives. En effet, la dévote Dame Pluche arbore un manteau à froufrous

que et entre harmonieusement dans le thème de la pièce. Par contre, les transitions musicales entre les scènes ont tendance à être un peu brusques et empiètent sur la dernière réplique prononcée par un personnage. Le comédien Francis Ducharme incarne un Perdican naïf et profondément passionné et l’on retrouve dans ses célèbres tirades tout le romantisme de Musset. Dans la même lignée, le jeu d’Alice Pascual (Camille) montre avec justesse le dilemme intérieur du personnage, tiraillé

interprétation du baron. On peut également questionner l’utilité du chœur dans une pièce romantique, car même s’il permet au spectateur d’entrer dans les pensées des personnages, cela n’est pas frocément utile ici compte tenu de la dimension fortement introspective de la pièce. Ainsi, en donnant un souffle de modernité à cette pièce romantique d’un autre temps qui traite d’un sujet toujours d’actualité, Claude Poissant montre bien qu’on ne badine définitivement pas avec l’amour. x

Le désir dans la peau

Alberto Lombardo propose une réécriture captivante du Phèdre de Racine. Miruna Craciunescu

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e n’est pas tous les jours qu’on rencontre une œuvre dont l’écriture est entièrement dominée par le thème du désir. C’est certainement le cas de Tuer Phèdre, une pièce jouée par François Lacroix-Lafrenière et Alberto Lombardo à l’Espace La Risée du 13 au 17 octobre. L’amour est partout: il s’agit d’un ingrédient commode dont on agrémente toutes sortes de récit, au risque d’en faire un élément surreprésenté du quotidien des personnages de fiction. Or, le désir de l’héroïne

est issue d’un autre siècle: l’époque où, pour éviter la subversion, les censeurs du Roi Soleil n’admettaient sur les planches d’un théâtre qu’un nombre restreint de problématiques. Au centre de celles-ci, bien entendu, figurait le péril extrême que l’on court à s’exposer aux affres de la passion véritable. Dans un tel contexte, le terme «désir» ne sert pas uniquement à désigner une expérience sensorielle. Il constitue une certaine vision anthropologique qui place l’être humain quelque part entre l’ange et la bête, tout en nous rappelant à quel point il est aisé de pencher du côté de la bête.

actualité étonnante. Aussi, l’une des forces de Tuer Phèdre est précisément d’avoir su transposer le désir terrifiant de l’héroïne dans un cadre qui le rend compréhensible, tout en conservant sa part de monstruosité. Ce qui surprend le spectateur, c’est que la monstruosité de ce désir ne provient pas de l’impureté de l’objet sur lequel celui-ci s’est fixé – ce serait là un terrain glissant – mais bien de l’intensité avec laquelle il s’exprime chez celui qui l’éprouve. Car dans l’univers lombardien, si celui qui ne désire pas ne vit pas réellement, celui qui désire trop, en revanche, ne vit plus; ou, du moins, ne vivra plus très longtemps.

elle permet aux comédiens de jouer avec des registres de langue très différents, tout en formulant les commentaires nécessaires sur l’intertexte racinien pour que l’on mette furtivement de côté l’ironie avec laquelle on pourrait être tentés d’accueillir les déclarations d’amour de cette trempe. Naturellement, un tel effet ne peut être réussi sans une interprétation de qualité, et c’est pour-

quoi il convient de saluer le jeu des comédiens. Ensemble, ils ont réussi à prendre le public au jeu des liaisons dangereuses, tout en l’invitant à croire, ne fût-ce qu’un instant, au discours dicté par une flamme coupable de consumer son hôte conjointement à son objet de désir. Et ce, sans haussement de sourcil ni petit rire ironique. Au fond, n’est-ce pas là le véritable défi du théâtre? x

«Une certaine vision anthropologique qui place l’être humain quelque part entre l’ange et la bête» racinienne que font revivre les protagonistes d’Alberto Lombardo (dramaturge et comédien) n’est pas seulement, ni même premièrement, un désir amoureux. Il s’agit plutôt d’une notion dont on aurait envie de dire qu’elle

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Culture

Et pourtant, ce n’était pas seulement au XVIIe siècle que l’on pouvait mourir d’un dérèglement des sens; ce qui prouve que si de tels concepts changent parfois de visage pour parvenir jusqu’à nous, ils sont encore souvent empreints d’une

D’un point de vue linguistique, l’intégration des vers de Racine au sein des répliques, justifiée par le contexte d’une audition qu’un metteur en scène reconnu fait passer à un étudiant de théâtre, produit une impression saisissante. En outre,

C4photographe

le délit · mardi 20 octobre 2015 · delitfrancais.com


«La contre-culture s’organise!»

colloque

Les Anarchives expose les reliques d’une décennie turbulente.

amandine hamon

Le Délit

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lle donne le vertige, cette impression de déjà vu pendant la grève étudiante de 2012, qui rappelle étrangement aux Québecois sexagénaires les mobilisations de 1970. La crise d’octobre 1970, ça vous dit quelque chose? Ça devrait. Le collectif des Anarchives fait revivre les années turbulentes du Québec en exposant leurs archives. Dans le cadre du colloque international «Contre-culture: existences et persistances» organisé par Simon Harel (UdeM) et Simon-Pier Labelle (McGill), la médiathèque Gaëtan Dostie accueillait vendredi 16 octobre le collectif, pour présenter les reliques d’une décennie mouvementée. L’exposition Criez, créez ou crevez: contre-culture au Québec de 1955 à 1975 est installée dans une salle au deuxième étage de la petite médiathèque, dont les murs sont envahis de vieilles revues anarchistes, marxistes, féministes, ou encore de manifestes maoïstes. Pour mettre un peu d’ordre dans cette amas de papiers révolutionnaires, les trois jeunes représentants du collectif Anarchives ont présenté leur démarche lors de la conférence «Réflexion sur la contre-culture et les devenirs révolutionnaires», précédant le vernissage de l’exposition. «C’est plus un bordel qu’une bibliothèque» me glisse l’un des trois «anarchivistes» avec un sourire en

coin, alors que je tourne les pages de la vieille revue Mainmise. Avant la conférence, on s’attarde dans la salle d’exposition, saturée de journaux qui décrivent un désir de révolution anti-coloniale, anti-capitaliste, antipatriarcale. En effet, on aperçoit des revues qui parles de drogues, puis de féminisme et de mouvements gais, et puis plus loin un article sur Mao et des revues sur des concerts de rock. Une affiche appelle «Québécoises debouttes!», une autre demande «la drogue, problème ou solution?», et d’autres encore annoncent le «mégaconcert de Pink Floyd au Stade Olympique de Montréal».

Contrecélébration joseph boju

N Le Délit

ous étions le dimanche 27 avril 1975 quelque part à Montréal et une bande de jeunes organisait un marathon de poésie de musique, de 14h00 à 2h00 du matin. À la barre du micro défilèrent les poètes du futur, c’est à dire Josée Yvon, Allen Ginsberg, Denis Vanier, William Burroughs, et j’en oublie vingtet-un — autant de héros du langage qui changèrent le visage et la voix de l’Amérique du Nord. 40 ans plus tard, samedi dernier, ils ont remis ça. Qui ça «ils»? Les poètes bien sûr, ceux de 75 et ceux d’aujourd’hui, en hommage aux anciens, c’est à dire de vassaux à seigneur, puisque la poésie n’est après tout que l’exploitation agricole d’un langage, c’est à dire d’une même terre, et que l’on plante toujours ses choux sur la parcelle d’un autre qui était là avant nous (c’est d’ailleurs l’unique explication que Zadig&Voltaire devrait faire de la phrase de Candide, «il faut cultiver son jardin»). C’était donc à l’Escogriffe, bar sombre et obscur de la rue Saint-Denis. À l’ombre d’une scène mal éclairée par des lueurs vaporeuses de Guinness, Maudite et autres bières noires, à l’ombre de la nuit, à l’ombre de la vie, à l’ombre de tout cela réuni, la parole a repris son cours impétueux. Fiat lux, et lux fuit. Catherine Lalonde d’abord, accompagnée de Shawn Cotton, pour la lecture d’un duo Josée Yvon/ Denis Vanier aux accents solennels et intimes. Le ton est donné, posé, place au poème. Pas besoin d’avoir lu Introduction à la

Finalement, pour être vraiment certain d’avoir cerné le sujet, un article annonce «la contreculture s’organise!» La présentation commence par l’introduction de Gaëtan Dostie, qui explique pourquoi il organise un événement tous les 16 octobre, depuis 1971. C’est dans la nuit du 16 octobre 1970, à quatre heure du matin, que la police est venue le sortir de son lit pour l’emprisonner. Il s’est retrouvé dans une cellule côte à côte avec d’autre révolutionnaires,

notamment Pierre Vallières, qui lui glissa le crayon avec lequel Gaétan écrivit le poème «peur d’élire» qu’il nous lit alors ce vendredi. Applaudit par la dizaine de conférenciers, Gaëtan se retire, ému. Les fouilleurs d’archives se sont attaqués au monceau de revues de Gaëtan Dostie pour rendre le passé vivant, avec une présentation intéractive de la presse des années 1955 à 1975, expliquent-ils pendant la conférence. Les trois jeunes intellectuels expriment leur «aversion pour les morgues à passé»: ici, «on peut toucher, sans cacher l’usure du monde».

Ainsi, exposer les journaux d’une autre époque permet de se connecter avec ce qui s’y est passé mais aussi ceux qui y sont passés. Ces archives mettent en avant les erreurs du passé, qui paraissent aujourd’hui si évitables… En bref: elles dépeignent «ce beau bordel là qu’ont été les années soixante-dix au Québec», concluent les «anarchivistes». En soufflant la poussière qui s’était installée sur ces reliques, les anarchivistes ont mis la main sur les manifestes de la contre-culture, qu’ils définissent pour nous lors de la conférence. C’est une «rupture productive et transhistorique qui rejette le mainstream» avancent-ils, qui a été influencée par l’émergence du rock aux États-Unis, mais aussi de partout où des gens se révoltaient contre le gâchis capitaliste. Ce fût l’époque où le drop out décrochage) social était commun, où l’on expliquait le fonctionnement des armes à feu révolutionnaires felquistes (militants du FLQ, Front de Libération du Québec, ndlr) dans des revues où l’on pouvait aussi trouver un tutoriel pour faire pousser sa propre marijuana. Ce sont des revues révolutionnaires telles que La Claque, Logos, ou Mainmise qui ont véhiculé cette contre-culture, et que nous avons maintenant l’occasion de feuilleter dans une vieille médiathèque à Montréal. x

Criez, creez, ou crevez!

Médiathèque Gaëtan Dostie Jusqu’au 10 novembre 2015 D’influence américaine, ce mouvement expérimental pose ses dalles sur les traces de John Cage, musicien absurde poésie orale de dont le «4’33’’ for piano» présente un piaPaul Zumthor pour niste assis, qui se prépare à entamer son luce engérant savourer les phrases qui en morceau pendant… 4: 33 minutes. tombaient grappe cette soirée-là, des bouches La dimension politique des artistes ivres de sang des parleurs et des parleuses du de l’underground est omniprésente jusque collège informel de la vie littéraire. Un Trio dans les années 1970. Elle constituait une de jazz libre était planté derrière le micro, qui nébuleuse créative de groupes musicaux servait de l’improvisation en masse pour qui céline fabre tels que le Quatuor de jazz libre dont le mudésirait un petit fond sonore à mettre au pied sicien Yves Charbonneau déclarait: «Avant Le Délit de leurs imbuvables vers qu’ils nous forcèrent à d’être musicien, je suis révolutionnaire. Au avaler. lieu d’avoir une mitraillette, j’ai une tromous le petit dôme de verre de la C’était bon, littéralement et dans tous les pette. Aux autres, je prêche la liberté en Médiathèque Littéraire Gaëtan sens, j’aimerais en avoir davantage. Plus de disant: jouez libre, vous aussi.» Cependant, Dostie, la docteure en musicologie Raôul Duguay dans son manteau de fourrure peu à peu, la vigueur politique du mouveMarie Thérèse Lefebvre a accordé les pourpre, casque à cornes de caribou sur le chef, ment s’est estompée pour se tourner vers couleurs de sa chemise rétro au thème trompette en main, mots dans la bouche. Plus une réflexion plus esthétique. du colloque qu’elle vient présenter. de Paul Chamberland, élégant comme un prince C’est cette recherche de qualité sonore «L’Underground musical au Québec dans qui s’excuserait d’en être, nous liturgifiant sa les années 70», voilà un cadre qui va faire qui encourage les artistes Patrick Straram dernière encyclique personnelle et universelle, et Claude Vivier à organiser l’évènement de défiler dans nos imaginaires une suite de qui recale le Laudato Si’ du père François aux rencontre musical: «Du Son sur Sanguinet» noms de musiciens excentriques, poètes dernières vulgarités. Plus de sœurs DAF endiadont les concerts ont fait vibrer les murs insolents, magazines culottés et autres blées de partout, louant la mort du Christ un soir de la salle Conventum, fondée en 1973 ingrédients alternatifs de la contre-culd’Octobre 70 sur un air de Jean Leduc. Plus de ture de toute une décennie. Une décennie par le groupe du même nom. Même si cet Jean-Paul Daoust, qui reste le Christian Dior de événement tomba dans un vide médiatidont l’héritage est bel et bien vivant. la poésie québécoise, quoiqu’en dise les raconque – grève de la presse, arrêt de la revue La musique underground se démartars, tendez les yeux vers l’étoile de Marylin, Cucul chronique… – on pouvait lire dans la que du reste de la bulle musicale de elle vous répondra que oui. Plus de Sébastien brochure de l’événement: «Une nouvelle l’époque par son absence d’institutionDulude à cheval sur son Patrick Straram, dégaimusique indépendante, voilà ce que défennalisation. Vers la fin des années 1960, nant le lasso de sa phrase avec l’allant d’un John tandis que la musique considérée comme dent les protagonistes du concert de ce Wayne partant mourir à Rio Bravo pour la presoir. Des sons fascinants, une volonté prooverground (musique populaire ndlr) mière fois. Plus de Mathieu Arseneau, haletant, était subventionnée, enseignée et diffusée fonde d’exprimer un univers sonore encore haleté, instoppable, instoppé, prenant François inconnu, l’expérience vivante de la création dans des émissions de radio, son obscur Charron en excès de vitesse et le reste de la salle de nouveaux horizons pour la vie… pour le concurrent évoluait dans une démarche avec. Plus de ça, rien contre ça, tout pour ça. x collective désordonnée, à l’ombre de toute rêve.» x

le délit · mardi 20 octobre 2015 · delitfrancais.com

Culture underground

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Culture

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cinéma

Ceci n’est pas un taxi

Panahi expose la politique et les problèmes sociaux dans les rues de Téhéran. Astghik Aprahamian

Le Délit

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interdiction de tourner un film dans son pays natal n’aura pas empêché le réalisateur iranien Jahar Panahi (Le Miroir, Hors Jeu) d’en faire un troisième en cinq ans de bannissement officiel, après Ceci n’est pas un film et Pardé. Avec sa petite caméra installée dans une boîte de papiers mouchoirs en face de lui, Panahi sillonne les rues de Téhéran en tant que chauffeur de taxi, transformant les passagers et les connaissances qu’il rencontre sur son chemin en acteurs du film. On se demande à plusieurs reprises où s’arrête la réalité d’un simili-documentaire et où commence le jeu. Voici Taxi, film qui se voit décerné l’Ours d’or à la Berlinale. Panahi, face à l’interdiction de quitter son pays, s’est retrouvé évidemment dans l’impossibilité d’aller chercher lui-même son prix. C’est sa jeune nièce, figurante dans le film (petite écolière en tchador, balbutiante et énergétique, une caméra à la main pour un projet scolaire), qui le reçoit en son nom. Mais quel piètre chauffeur de taxi, ce monsieur Pahani! Il connaît mal les rues, les monuments historiques, voire même l’emplacement des hôpitaux de

Jafar Panahi Film Productions Téhéran. Il trouve même pour quelques-uns de ses passagers un autre taxi qui les amènerait à destination avec plus de justesse que lui. Il refuse souvent tout paiement; et alors que tous ses passagers se plaignent de vivre dans la pauvreté, ils le paient quand même. Courtoisie iranienne oblige. On rencontre, à tour de rôle, différents personnages. Un voleur qui est pour la condamnation à mort, un trafiquant de films occidentaux piratés, un

homme gravement blessé et sa femme - qui tombera dans la misère si son mari meurt sans laisser de testament - un étudiant en cinéma à la recherche d’inspiration ou encore deux femmes transportant des poissons rouges à la fontaine d’Ali. On rencontre aussi Hana, la nièce de Panahi, et un ami d’enfance qui, après avoir subi un braquage, refuse de dénoncer les coupables, qu’il sait être dans le trouble financièrement, puis enfin la «dame aux roses», une avocate qui tente

Le temps retrouvé

d’aider les prisonniers politiques dissidents et leurs familles. Elle évoque, au travers de sous-entendus, sa propre détention, jadis, qui la rend désormais incapable d’exercer son métier dans son pays... Derrière le semblant de simplicité du film (un homme déguisé tant bien que mal en chauffeur de taxi, des figurants, une ville bondée, des histoires du quotidien), on retrouve des commentaires très clairs et francs et d’autres moins, plus nuancés et

presque cachés, sur la situation sociopolitique en Iran. La place des femmes dans la République islamique d’Iran, sa situation économique, l’emprisonnement et les exécutions des dissidents politiques ou encore la censure du cinéma: tout y passe dans Taxi. Dans la seconde moitié du film, Panahi semble même avoir arrêté de jouer son rôle de chauffeur de taxi bienveillant, calme, souriant. Il entre dans un autre rôle: le sien. Celui du réalisateur banni qui parcourt nerveusement les rues de Téhéran, qui croit avoir entendu la voix de son interrogateur dans la foule… À la recherche de quelqu’un, ou peutêtre cherchant à lui échapper? La salle du Cinéma du Parc était bien remplie en ce vendredi soir de première. Le film finit sans générique, puisqu’il est censuré par l’État. Impossible, donc, d’en nommer les acteurs, les producteurs, les assistants. Panahi inclut une courte note, sur l’écran noir, en guise de remerciements. Dans la salle, on se met à applaudir le réalisateur absent, comme si l’on espérait qu’il puisse entendre, de Montréal à Téhéran, le soutien d’un public à l’écoute. Malgré son statut de cinéaste banni, on n’oubliera pas de sitôt monsieur Panahi. x

Le film Trois souvenirs de ma jeunesse explore le thème de la mémoire. Hortense Chauvin

Le Délit

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ix mois après une présentation applaudie à la Quinzaine des Réalisateurs, compétition parallèle du Festival de Cannes 2015, Trois souvenirs de ma jeunesse sortait dans les salles de cinéma québécoises ce vendredi 16 octobre. Le réalisateur français Arnaud Desplechin signe avec cette comédie dramatique une œuvre bouleversante, portée par un scénario remarquable pour sa poésie et sa profondeur. «Je me souviens... Tout est effacé sinon trois-quatre bribes». Paul Dédalus est anthropologue. À son retour en France après des années de recherche au Tadjikistan, il est arrêté par les services de renseignement: Paul posséderait un double en Australie, un mystérieux alter-ego partageant son nom et sa date de naissance. Au fil de son interrogatoire, Paul se remémore son passé, reconstruisant à travers ses souvenirs une identité qui lui échappe. Un fragment d’enfance, la réminiscence d’un voyage scolaire en URSS, la mémoire morcelée d’un amour passionnel: en trois tableaux, Arnaud Desplechin dessine l’existence romanesque d’un personnage

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Culture

principal magnétique, incarné avec talent par Quentin Dolmaire pour son premier rôle au cinéma. À l’origine de Trois souvenirs de ma jeunesse, il y a d’abord Paul Dédalus, personnage récurrent dans l’œuvre cinématographique de Desplechin. Apparu pour la première fois sous les traits d’un professeur d’université en 1996 dans Comment je me suis disputé... (ma vie sexuelle) puis en adolescent schizophrène en 2008 dans Un conte de Noël, on le redécouvre dans ce dernier opus en jeune adulte vivant une relation passionnelle et tumultueuse avec Esther, magistralement interprétée par Lou Roy Lecollinet. C’est la première fois qu’Arnaud Desplechin travaille avec de jeunes acteurs et il approfondit à travers ce film certains de ses thèmes de prédilection parcourant son œuvre, notamment ceux des rapports familiaux ou des relations amoureuses. En explorant ces sujets à travers le prisme de la jeunesse, Desplechin évite pourtant l’écueil du documentarisme et de la caricature, proposant au contraire une représentation personnelle et singulière des sujets dont se nourrit le film. Trois souvenirs de ma jeunesse se distingue également par

sa portée historique. À travers le récit de Paul, c’est également l’histoire de sa génération qui se dessine, témoin de la fin de la Guerre Froide et des changements sociaux qui l’accompagnent. L’histoire personnelle de Paul nous guide à travers les métamorphoses d’une époque désormais révolue, entrelaçant trajectoires collectives et individuelles. Suivant une structure narrative circulaire, Arnaud Desplechin parvient à faire dialoguer passé et présent dans un film à la maîtrise technique irréprochable et à l’esthétique unique. Naviguant brillamment entre différents univers temporels, Trois souvenirs de ma jeunesse ne cesse d’étonner et de toucher par la beauté de ses dialogues, la singularité du jeu de ses acteurs et la justesse de leurs interprétations. Touchants par leur aspiration à la grandeur, leur désir d’être exceptionnels, les héros de Desplechin fascinent autant qu’ils bouleversent. Émouvant sans jamais être mièvre, palpitant sans artifices, Trois souvenirs de ma jeunesse explore les questions de la mémoire, des sentiments et des relations amoureuses avec une finesse et une sensibilité saisissantes. x

amelia rols

le délit · mardi 20 octobre 2015 · delitfrancais.com


musique

L’Art-spectacle de Dead Obies Le groupe de rap québécois produit son album au Centre Phi.

phiques et sociales plus robustes (c’est cette définition-là qui sied à la démarche de Dead Obies).

Vassili Sztil et Etienne gontard

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u 14 au 16 octobre 2015, avait lieu l’enregistrement du nouvel album de Dead Obies, un groupe québécois composé des rappeurs Jo RCA, Yes McCan, Snail Kid, 20some, O.G. Bear, et VNCE. Les six artistes poussent si loin la notion de rap et la dimension de spectacle, qu’ils accueillent le public au cœur même du processus de création de leur album. Après le succès de l’excellent Montréal $ud en 2013, le groupe est venu tenter – et réussir – un coup de plus dans le rap québécois. Les rappeurs ont donc donné trois concerts au Centre Phi, qui ont aussi servi de phases d’enregistrement pour leur prochain album, prévu pour l’hiver 2016. Ce dernier sera donc créé à partir d’un concept original, puisqu’il aura été enregistré en présence d’une foule d’amateurs qui ont eu l’air d’apprécier le moment. Les spectateurs ont participé presque malgré eux au processus de création de Dead Obies qui n’était donc pas uniquement en représentation mais bien en présentation de son art. Depuis Montréal $ud, Dead Obies cherche à dépasser la simple dimension musicale du rap. En effet, l’album était accompagné d’un livre écrit par les artistes expliquant toute la démarche esthétique, artistique, voire politique de l’œuvre. La sortie de l’album était aussi accompagnée d’une websérie à l’esthétique très précise: 4:20. Quant au site web officiel du groupe, il semble tout droit sorti de

L’aventure musicale

joachim dos santos ce que le pire des premières années d’Internet a su donner, ce qui en dit long sur la conception décalée et aventureuse que le groupe développe dans son art. Surprise de la mise en scène La scénographie était volontairement organisée comme un grand spectacle. Une toile translucide jetée entre la scène et le parterre, d’où étaient projetées des images qui rendaient l’aspect visuel du concert intéressant.

L’esthétique n’était pas seulement musicale mais aussi visuelle, photographique et filmique. Avant le concert, des extraits du documentaire La Société du Spectacle de Guy Debord interrogeaient le spectateur sur sa condition dans un environnement où tout n’est que spectacle. Dead Obies, inspiré de loin par le marxisme situationniste, a alors présenté un méta-spectacle qui interroge son rôle dans l’art et qui vient – peutêtre – désaliéner le spectateur en l’intégrant à la création artistique.

Plus que du rap, Dead Obies vient pratiquer ce qui s’apparente toujours plus à une forme d’art contemporain, conceptuel et varié, qu’ils aiment eux-mêmes à appeler le post-rap. Ce concept assez flou semble définir une nouvelle manière de concevoir le rap qui se caractérise par une diversité accrue des productions, des styles, des rythmiques et des thèmes au même titre qu’une vision inédite du rap comme nouvel art. Le postrap peut ainsi être entouré de constructions artistiques, philoso-

Un méta-spectacle [...] qui vient – peut-être – désaliéner le spectateur en l’intégrant à la création artistique.

Musicalement, le producteur et beatmaker VNCE est à saluer. La finesse de ses productions permet aux rappeurs de développer et de montrer l’éventail de leurs morceaux en toute liberté. Sont présentes les références pop et les résonnances du dirty-south (l’alter-ego du Montréal Sud, où les rappeurs ont grandi, judicieusement baptisé le “Sud Sale”). On remarque aussi la connaissance indiscutable des classiques. La présence de choristes et de quatre musiciens (basse, batterie et synthétiseurs) qui soutiennent et amplifient les productions de VNCE permettent aux cinq rappeurs de s’aventurer même hors du rap. Les refrains chantés, l’utilisation de vocalises caractéristiques (des râles et des accentuations utilisés comme gimmicks, par Jo RCA notamment) ou encore la présence de sons qui se rapprochent de la pop, et même de sifflements, viennent modérer le côté «répétitif» du rap si contesté par ses détracteurs. Dead Obies se pose clairement en tête de pont du rap québécois, amenant un renouveau exceptionnel en la matière tout en développant une esthétique, des problématiques et une dynamique propres au rap canadien francophone. Une dynamique que l’on se plaît à imaginer comme le moteur d’un courant artistique particulier, à travers l’émergence d’une école du rap, propre au Québec et en phase complète avec notre époque. x

chronique

Le port littéraire

Charles Gauthier-Ouellette | Critique de L’Année la plus longue de Daniel Grenier.

F

ace au constat du passage du temps, nombre d’auteurs ont approché ce concept comme thème principal de leurs œuvres, dans des genres et des époques littéraires aussi divergents que la modernité. Il suffit de penser à Proust et La Recherche

du temps perdu, ou à la sciencefiction dans La Machine à explorer le temps de H.G. Wells. Daniel Grenier, auteur québécois contemporain, offre, quant à lui, un vent de fraîcheur à cette thématique dans son premier roman, L’Année la plus longue. Pour ce faire, il explore la vie d’Aimé Bolduc et de Thomas Langlois, tous deux nés un 29 février, à des époques différentes. Dès les premières pages du roman, le lecteur est placé devant des données contradictoires: un colon dirige l’émigration des Cherokees en 1838, mais sa présence en Illinois est impossible à ce moment, selon d’autres sources. C’est ainsi que sont abordés les travaux d’Albert Langlois, père de

le délit · mardi 20 octobre 2015 · delitfrancais.com

Thomas et historien amateur qui s’évertue à retracer la vie d’Aimé Bolduc, son ancêtre lointain. Dans cette première partie du texte la narration se développe lentement autour de ces personnages habités par l’année bissextile. Ce détail est le point culminant du récit, car il implique que ceux nés un 29 février ne vieillissent que tous les quatre ans. Le récit permet aussi de découvrir un style narratif mêlant la narration omnisciente et le conte. Le résultat est un échange constant entre le point de vue objectif du narrateur et l’envie de celui-ci d’intégrer le lecteur à l’histoire, que ce soit en l’interpellant ou bien en lui cachant explicitement des informations.

C’est d’ailleurs grâce à l’habileté du conteur que le lecteur peut se transporter d’une époque à une autre, habileté amplifiée par le personnage d’Aimé Bolduc, qui vieillit effectivement à un rythme quatre fois plus lent que ses contemporains. Le roman peut donc plonger dans tous les grands évènements historiques des ÉtatsUnis et du Canada, à travers la vie de cet homme atemporel. Ceux-ci, constituant la seconde partie du roman, sont savamment employés, malgré l’improbabilité presque grotesque du personnage de se retrouver dans tous les grands faits de l’Histoire. Néanmoins, la présentation qui y est faite d’Aimé reflète un être simple, et non

un grand héros de guerre. C’est d’ailleurs cette toute petite particularité qui réussit à solidifier des fondations fragiles: en montrant les faiblesses de l’homme, et son apprentissage à travers l’histoire, le lecteur peut s’attacher à cet individu qui est, somme toute, semblable à n’importe quel autre être humain. Ce premier roman de Daniel Grenier attire l’attention en approchant sous un nouvel angle un thème maintes fois utilisé. En relatant la vie de cet homme oublié par le temps, L’Année la plus longue raconte l’histoire de l’Amérique, mais, surtout, celle d’un père et de son fils qui se rapprochent grâce aux aventures de leur ancêtre. x

Culture

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Entrevue

Kareem Ibrahim, président de l’AÉUM La plus importante association étudiante de McGill se bat contre coups du sort et erreurs passées.

L

e Délit (LD): Après la démission surprise de la directrice générale de l’AÉUM et de la vice-présidente interne, ainsi que le départ pour congé paternel du gérant du bâtiment Shatner, comment s’organise le fonctionnement quotidien de l’AÉUM? Kareem Ibrahim (KI): On a divisé les responsabilités des trois postes entre les cadres de la manière la plus sensée possible. Par exemple, pour ce qui est du bâtiment Shatner on a délégué cela à notre v.-p. aux clubs et services, Kimber Bialik, et à notre chef de sécurité M. Wallace Sealy, parce que ce sont ceux qui sont le plus au courant de ces sujets. Malheureusement, on ne peut confier ces responsabilités à de potentiels nouveaux membres, car cela prendrait trop de temps de recruter et former de nouveaux employés. C’est plus simple de le faire nousmême, même si ça reste vraiment difficile: à ce point-ci, on se retrouve à travailler 80 heures par semaine. LD: Des candidats pour le poste de v.-p. aux affaires internes? (Les candidatures peuvent être déposées jusqu’au 30 octobre.) KI: Ça fait un peu de temps que c’est ouvert (depuis le 9 octobre, ndlr). J’ai déjà fait plusieurs signatures. Je ne peux pas vous dire qui, mais heureusement il y a beaucoup de candidats. LD: Quant à la recherche d’un nouveau directeur général? (Une agence de chasseurs de têtes a été mandatée.) KI: Ça avance bien, on a déjà défini le profil recherché avec une compagnie externe, Kenniff & Racine. On espère que cela va bien se passer, c’est un peu cher, mais on voulait vraiment faire un bon recrutement et cette compagnie a une garantie de six mois de bonne performance. Donc si la personne recrutée ne travaille pas bien on pourra aller voir Kenniff & Racine et leur demander un autre candidat.

«C’est plus simple de le faire nous-même, même si ça reste vraiment difficile: à ce point-ci, on se retrouve à travailler 80 heures par semaine.»

LD: Comment comptez-vous gérer l’intégration en milieu d’année de deux nouveaux arrivants aussi importants? KI : Je suis chargé des ressources humaines donc je les formerai avec notre conseillère aux ressources humaines, Marie-Hélène Reid. Cela va probablement prendre entre un et six mois pour former nos nouveaux employés à plein temps. Pour le nouveau v.-p. aux affaires internes, on espère que cela ne va pas prendre trop de

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entrevue

est aujourd’hui réservée au v.-p. aux affaires universitaires et on veut s’assurer que ces thèmes soient bien distribués.

éléonore nouël

Étudiant en quatrième année en Développement International, ancien sénateur et v.-p. aux affaires externes pour la Faculté des Arts, Kareem Ibrahim a été élu en mars dernier à la tête de l’AÉUM pour l’année scolaire 2015-2016. Il dirige maintenant l’équipe de l’AÉUM, chargée de représenter le corps étudiant en baccalauréat et de gérer – entre autres – les clubs de McGill, le bâtiment Shatner, une quinzaine de services offerts aux étudiants et des évènements comme la Semaine d’orientation. Après les départs précipités de la Directrice Générale de l’Association (voir éditorial du 29 septembre 2015), de la VP aux affaires internes, Lola Baraldi (voir brève du 2 octobre 2015), et du gérant du bâtiment Shatner, l’équipe exécutive menée par Kareem Ibrahim doit aujourd’hui re-stabiliser l’association. temps, la personne élue commencera à travailler le 1er janvier, mais on pourra commencer à la former dès novembre – toutefois elle ne sera pas encore payée. LD: Au cours de l’année entière quelles conséquences est-ce que cela aura sur la politique de l’AÉUM? Certains objectifs seront-ils priorisés par rapport à d’autres? KI: On a beaucoup de chance d’avoir une équipe vraiment compétente cette année. Ça serait difficile pour n’importe quelle équipe de gérer ces départs; mais on se débrouille bien. Par exemple, Kimber Bialik (v.-p. aux clubs et services, ndlr) a pris en charge Four Floors et le listserv (liste de diffusion, ndlr). Donc pour l’instant on ne laisse rien tomber. Ce n’est pas réaliste de dire que l’année va se passer tranquillement et on va faire le plus d’efforts possibles pour que tous les services et projets de l’AÉUM restent en place. Par exemple, je vais implémenter une politique d’équité à l’embauche à l’AÉUM. Si je réussis, j’aurai fait un bon travail, mais aucune promesse (rires). LD: N’avez-vous pas peur que ces déboires récents décrédibilisent l’AÉUM encore plus auprès du corps étudiant? KI: La crédibilité de l’AÉUM dans la communauté étudiante est quelque chose qui m’importe énormément, mais je trouve tellement injuste de voir que des événements hors de notre contrôle ont durement affecté nos activités. En communiquant toutes nos réussites et fautes aux étudiants, on va être capables de leur faire savoir qu’étant donnée la situation dans laquelle nous sommes, on a tout de même réussi à

maintenir nos activités normales. Cette année certains cadres se retrouvent surchargés, mais ils font de leur mieux pour remplir toutes leurs responsabilités. Ils ont plus de travail que l’année passée alors que certains aspects de leur portfolio avaient été négligés les années précédentes.

«La crédibilité de l’AÉUM dans la communauté étudiante est quelque chose qui m’importe énormément, mais je trouve injuste de voir que des événements hors de notre contrôle ont durement affecté nos activités.» LD: Comment voulez-vous mieux répartir les responsabilités au sein de l’AÉUM? KI: On va revoir notre constitution ce deuxième semestre. On va vraiment regarder les différents dossiers et déterminer ce qu’il faut ajouter, enlever, échanger entre les cadres parce qu’il y a des portfolios qui sont vraiment énormes par rapport à d’autres. Aussi, on ne veut isoler aucun thème dans aucun dossier, par exemple l’équité

LD: Le concept de “mémoire institutionnelle” a toujours été en central à l’AÉUM (sachant que de nouvelles équipes exécutives sont élues chaque année) et est à nouveau au cœur de l’actualité. L’AÉUM envisage-t-elle des mesures concrètes pour remédier à ce problème récurrent? KI: Je suis content que vous me posiez cette question. C’est un sujet qui me passionne, car le changement de nos exécutifs chaque année déstabilise beaucoup l’organisation. Alors j’ai l’intention, avec notre conseillère aux ressources humaines, de faire un plan vraiment complet pour intégrer la nouvelle équipe. J’ai déjà demandé à nos cadres de préparer un guide pour leur successeur. En commençant plus tôt et en le faisant peu à peu, on peut vraiment y ajouter plus de détails et d’informations. Chaque année, on a des problèmes avec cela et cette année-même on a trois cadres qui n’ont reçu aucun document de leurs prédécesseurs.

«On a dû trouver $150 000 dans notre budget»

LD: Dans un contexte d’austérité, alors que certaines organisations mcgilloises, telle CKUT, vont organiser un référendum pour augmenter leur redevance l’année prochaine, l’AÉUM envisage-t-elle de faire de même? KI: On a l’intention de faire un référendum, car on a eu des problèmes financiers cette année, à cause d’un budget salarial mal géré les années passées. On a dû trouver $150 000 dans notre budget et on a été obligés de se séparer de quelques employés étudiants. Ça fait depuis très longtemps que l’on n’a pas fait d’augmentation. LD: Qui est responsable de ces $150 000 manquants? KI: Le problème a déjà été résolu. Ce qui s’est passé c’est que le v.-p. aux finances et opérations n’avait pas du tout accès à l’information salariale parce que notre département aux ressources humaines avait l’impression qu’il était illégal de lui communiquer ce budget. J’ai vérifié avec nos avocats qui m’ont assuré qu’on peut distribuer ces informations au sein de l’AÉUM, et surtout à notre v.-p. aux finances. C’était vraiment stupide qu’il ne puisse pas être au courant des affaires de salaires; maintenant qu’il y a accès on espère ne pas se retrouver dans une telle situation. x Propos recueillis par

Théophile vareille Le Délit

le délit · mardi 20 octobre 2015 · delitfrancais.com


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