Le Délit du 23 septembre

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Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

Le mardi 23 septembre 2014 | Volume 104 Numéro 3

Le Délit sauve le monde depuis 1977


Volume 104 Numéro 3

Éditoriaux

Le seul journal francophone de l’Université McGill

rec@delitfrancais.com

RÉDACTION 3480 rue McTavish, bureau B•24 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6784 Télécopieur : +1 514 398-8318 Rédacteur en chef rec@delitfrancais.com Joseph Boju Actualités actualites@delitfrancais.com Léo Arcay Louis Baudoin-Laarman Culture articlesculture@delitfrancais.com Baptiste Rinner Thomas Birzan Société societe@delitfrancais.com Julia Denis Économie charles.laly@mail.mcgill.ca Charles-Elie Laly Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com Thomas Simonneau Coordonnatrices visuel visuel@delitfrancais.com Cécile Amiot Luce Engérant Coordonnatrices de la correction correction@delitfrancais.com Any-Pier Dionne Céline Fabre Webmestre web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Coordonnatrice réseaux sociaux réso@delitfrancais.com Gwenn Duval Collaborateurs Djamila Saad, Nadia Lemieux, Laurence Nault, Esther Perrin Tabarly, Alexandre Piché, Claire Launay, Eva Martane, Léa Bégis, Noémy Grenier, Inès Palaz, Kary-Anne Poirier, Sao-Mai Nguyen, Arthur Corbel, Thomas Cole Baron, Lisa El Nagar, Frédérique Lefort, Mahaut Engérant, Alexis de Chaunac, Yves Renaud. Couverture Photos (Anne Tao, Cécile Amiot) Illustration (Luce Engérant) Montage (Cécile Amiot)

joseph boju

Le Délit

C

’était en 1977, le 20 septembre plus pré� cisément. L’Association des étudiants francophones de l’Université McGill venait de s’éteindre, après une malheureuse mise en tutelle. Qui s’occupera désormais de la «défense des droits et privilèges de l’étudiant francophone à McGill»? Telle est la question que se pose alors Sylvain Lapalme, ancien président de l’A������������������������������������������ É����������������������������������������� FUM. C’était sans compter l’équipe édito� riale du McGill Daily, entièrement bilingue cette année-là. Ces géants prennent le pas et décident, contre toute attente, de publier une édition francophone. Moment d’anthologie — on raconte même que des journalistes amis, du Devoir et de La Presse, étaient venus prêter main-forte aux nouveaux déliites lors de leur première soirée de production. Le reste est littérature. Sous cette photo historique de la manifesta� tion «McGill Français» de 1969, il y a cependant un titre des plus intéressants. Quelque chose qui résonne étrangement avec notre actualité. «Vive l’Écosse libre». Heureux hasard. Deux étudiants indépendantistes étaient alors venus d’Édim� bourg nous présenter leur vision pour leur pays. « Vive l’Écosse libre »… Trente-sept ans plus tard, Le Délit persiste et signe. Car ce journal s’adresse aux étudiants de tous les pays, comme dirait l’autre. Hier à HongKong, ce sont quelque 10 000 étudiants qui sont descendus dans les rues de la ville, demander le droit à des candidatures libres pour les élec� tions de 2017. Ils débutent une semaine de grève contre Pékin; nous leur souhaitons bon courage, comme nous souhaitions à ces autres, il y a trente-sept ans, l’indépendance de leur pays. x

Thomas simonneau

Le Délit

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ier encore, la presse inter� nationale signalait le ravis� sement d’un ressortissant étranger par un groupe terroriste islamiste. Il s’agit d’Hervé Gourdel, quinquagénaire français enlevé à Tizi Ouzou, dans l’est de l’Algérie. L’attentat a depuis été revendiqué par un groupe lié à l’État islamique (EI): le Jund Al-Khilafah. La véracité de la vidéo l’annonçant a, pour sa part, «malheureusement été confirmée», selon les termes employés par le ministre des Affaires étrangères fran� çais, Laurent Fabius. Il y a un mois, les images dévoi� lant la décapitation du reporter du Wall Street Journal James Foley

2 éditorial

avaient déclenché une série de réac� tions dans les colonnes du monde entier. Choqués, démunis et impuis� sants face à une telle violence, les uns ressassent les mauvais souvenirs d’un certain 11 septembre 2001 et les autres tentent de comprendre les mécanismes géopolitiques à l’origine de ces atrocités. Le constat est difficile. D’une part, il est clair que le maintien des politiques étrangères occidentales interventionnistes se fait au détri� ment de la sécurité des ressortissants à l’étranger, et plus particulièrement des journalistes. D’autre part, le paiement des rançons et la soumis� sion à d’autres formes d’intimidation entrainent des effets pervers puisque les groupes terroristes ont tout inté� rêt à agresser les ressortissants de

ces pays pris entre deux feux. Enfin, la médiatisation de ces événements produit un engouement favorisant les intérêts de ces groupes. Une vraie «stratégie de l’horreur» se met en place et avec elle, son terrible cortège de haine. Pour reprendre le mot du journaliste Léon Zitrone: «Qu’on parle de moi en bien ou en mal, peu importe. L’essentiel, c’est qu’on parle de moi!» Hélas, il n’existe pas de mauvaise publicité pour le terrorisme. Devant le pire, nous devons nous questionner, tenter de comprendre. Nous, simples témoins, étudiants, futurs chômeurs ou décideurs poli� tiques. Notre engagement relève d’une responsabilité collective. Si l’on veut faire triompher l’intelligence et la paix, c’est de l’indifférence et de la peur dont nous devons nous défaire. x

BUREAU PUBLICITAIRE 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6790 Télécopieur : +1 514 398-8318 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Représentante en ventes Letty Matteo Photocomposition Mathieu Ménard, Lauriane Giroux, Geneviève Robert The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Dana Wray

Conseil d’administration de la Société des publications du Daily (SPD) Juan Camilo Velzquez Buritica, Dana Wray, Joseph Boju, Thomas Simonneau, Ralph Haddad, Hillary Pasternak.

L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal. Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).

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Actualités

Nous recherchons des personnes atteintes d’ICHTYOSE pour participer à une étude de recherche sur un traitement topique approuvé qui a lieu à Montréal.

actualites@delitfrancais.com

Les participants recevront une somme de 300$ pour quatre visites. Communiquez avec derek.ganes@ganespharma.com campus

thomas cole baron

Réflexions sur les Premières Nations La semaine de sensibilisation autochtone illumine des enjeux ignorés. Djamila Saad

M

ontréal était jadis le point de convergence où les nations autochtones environnantes échangeaient idées et produits commerciaux. C’est ce que Alex Sonny Diabo, l’Aîné des Premières Nations de McGill a rappelé le lundi 15 septembre dans son discours d’ouverture de la semaine de sensibilisation autochtone. Il commence par rappeler que dans cette même visée de convergence, le Programme d’Éducation Autochtone du Bureau de Diversité et d’Équité Sociale (SEDEIEP) de McGill a invité étudiants, membres du personnel et résidents de Montréal à prendre part aux activités sur la sensibilisation autochtone. Le programme vise à donner plus de visibilité à la communauté autochtone, à sa culture ainsi qu’aux défis auxquels elle doit faire face actuellement.

Des performances musicales, des conférences, des projections de vidéos ainsi que des ateliers ont eu lieu tout au long de la semaine dernière afin de partager opinions, points de vue et traditions. Bien que des activités comme la confection de capteurs de rêves ou des cours de danse traditionnelle laissent une impression festive, certaines ont abordé des réflexions plus profondes sur de sérieux enjeux et défis concernant la communauté autochtone québécoise. Lundi, la prestation de deux femmes membres du groupe de musique Odaya a rappelé, par une chanson dédiée aux femmes amérindiennes, le problème de la disparition de femmes autochtones en Amérique du Nord. L’Assemblée des Premières Nations estime effectivement que 600 femmes autochtones canadiennes ont été portées disparues ou assassinées, et revendique en vain, depuis l’été 2012, une

commission d’enquête pour comprendre ce phénomène. Selon une des chanteuses d’Odaya, la présentation que fait notre premier ministre fédéral de ce phénomène comme une série de crimes individuels et isolés est problématique et erronée. Il s’agit, d’après elle, d’un problème de nature purement sociologique qui doit être étudié comme tel pour pouvoir être réglé. Au Pow Wow de vendredi, une danse de femmes et un moment de silence ont également été consacrés à la commémoration des victimes. L’ambiance d’échange et de discussion qui a nourrit cette semaine de sensibilisation a également inspiré M. Sonny Diabo à pousser quelques réflexions sur la disparition des langues autochtones. Selon lui, permettre aux jeunes des Premières Nations de se réapproprier leur identité passe inévitablement par l’enseignement des langues, d’autant plus que la culture amérindienne se

transmet traditionnellement à l’oral, à travers entre autres des légendes racontées par les ainés. La tendance actuelle à délaisser la communication orale pour le réseautage technologique affecte ainsi les jeunes des communautés autochtones.

M. Sonny Diabo, qui s’est parallèlement mobilisé pour créer un programme lié aux Premières Nations à McGill, a annoncé son succès durant son discours d’ouverture lundi. Il est maintenant possible pour les étudiants de McGill de suivre une mineure en Études autochtones. Cette annonce a été discutée durant une conférence mardi sur les responsabilités des milieux académiques envers la communauté autochtone. Comment assurer, par exemple, qu’un programme d’études sur les Autochtones puisse refléter les voix

de tous ceux concernés ? Comment faire en sorte de transmettre l’histoire le plus objectivement possible, en délaissant toute influence colonialiste et tout préjugé? Des experts ont été invités à se prononcer sur la question. Ces réflexions ont été bouclées dans la festivité et l’optimisme lors du treizième Pow Wow annuel, rassemblant une dernière fois des étudiants, le personnel, des danseurs, des musiciens, des organismes locaux de solidarité autochtone, des commerçants d’objets traditionnels, ainsi que des résidents montréalais. Opportunité idéale, selon Paige Isaac, la coordinatrice de la maison des Premières Nations de McGill, de rassembler les membres et organisations de la communauté autochtone et de leur permettre d’échanger. Le Pow Wow fut également une rare occasion de célébrer la culture autochtone, encore marginale aujourd’hui. x

afin d’accroître le potentiel de créativité et d’innovation et ses applications dans ce qui se voudra un laboratoire vivant» selon le communiqué. Le projet, qui est financé par le gouvernement depuis 2012, s’inspire de la Silicon Valley en Californie, où la proximité des entreprises technologiques favorise l’innovation et le développement. Le projet ne fait pas l’unanimité, dû au développement déjà galopant dans cette ancienne zone industrielle maintenant en voie d’embourgeoisement, menaçant de faire monter les loyers. Quant à Julien Ouellett, il affirme que «si c’est un projet bien géré, ça pourrait vraiment avoir un impact positif sur la communauté montréalaise». Enfin l’AÉCSUM s’apprête actuellement à approuver la Charte de Protection des Étudiants-Chercheurs. Celle-

ci est destinée à officialiser les «principes qui définissent les rôles, devoirs et droits des étudiants chercheurs, superviseurs de recherches, et des institutions d’éducation supérieure.» Conçue par les étudiants de l’Université Laval, cette charte permettrait de protéger les étudiants de second cycle en cas de conflit avec leurs superviseurs, que ce soit au sujet de la propriété intellectuelle ou de la rémunération. «Ce n’est pas la norme mais c’est assez fréquent pour que ce soit un problème», commente Julien Ouelett. Certains départements à McGill possèdent déjà des normes de protection des étudiants, tels que les contrats entre étudiants et superviseurs, mais la nouvelle charte permettrait d’encadrer officiellement toutes les recherches académiques et scientifiques dans les universités du Québec. x

Études autochtones

Conseil de l’AÉCSUM Louis baudoin-laarman

Le Délit

L

es membres de l’Association Étudiante des Cycles Supérieurs de l’Université McGill (AÉCSUM) se sont réunis pour la première fois de l’année scolaire mercredi dernier dans l’édifice Thompson, où sont basés leurs locaux. Avec une efficacité redoutable –qui nous change des canons de la politique étudiante–, les divers projets de l’association ont été abordés et approuvés par les membres. L’AÉCSUM travaillera cette année, entre autres, sur des projets d’aide à la santé mentale des étudiants, le projet de développement du quartier de l’innovation à Griffintown et sur un projet de charte de protection des recherches entreprises par les étudiants en cycles supérieurs.

L’AÉCSUM, peu connue sur le campus, représente les 8500 étudiants en cycle supérieur à McGill tout comme l’Association des Étudiants de l’Université McGill (AÉUM) représente les étudiants en premier cycle. Du fait de l’éloignement entre les différents centres de recherche, les étudiants de l’AÉCSUM se mobilisent souvent moins que ceux de l’AÉUM, d’où le peu de visibilité de l’association sur le campus. Selon Julien Ouelett, le viceprésident aux affaires externes de L’AÉCSUM, «c’est beaucoup plus difficile de mobiliser les gens, ils sont souvent isolés dans des laboratoires aux quatre coins de la ville». Il ajoute que les étudiants de cycles supérieurs «sont probablement moins politisés parce qu’il sont extrêmement investis dans leurs thèses».

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Le projet d’aide à la santé mentale des étudiants est certainement le projet phare de l’AÉCSUM cette année. L’idée est d’aider les étudiants victimes de surmenage en les orientant vers les différents services d’aide psychologique. Le programme visera en particulier les étudiants en échanges, qui, selon Ouellet sont souvent les derniers à demander de l’aide psychologique. «Ils se présentent seulement quand ils sont au bout du rouleau parce qu’il est souvent mal vu dans leur culture de demander de l’aide pour ces problèmes-là», explique-t-il en entrevue avec le Délit. Le développement du Quartier de l’Innovation est un autre projet de l’AÉCSUM, en partenariat avec l’École de Technologie Supérieure (ETS), qui vise à «favoriser la synergie entre institutions et entreprises

actualités

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environnement

Marée verte

Des milliers de personnes autour du monde participent à la Marche pour le climat. Cécile Amiot & Léo Arcay

Le Délit

«P

our tout changer, nous avons besoin de tout le monde ». Ce leitmotiv inventé par le principal organisateur de la Marche des peuples pour le climat, 350.org, a pris un sens lorsqu’une vague de manifestants a déferlé dans les rues de Manhattan, dimanche dernier le 21 septembre. Plus de 310 000 personnes, selon les organisateurs (100 000 selon une source policière non-officielle), ont convergé vers New York pour exprimer leur mécontentement envers les pratiques nuisibles à l’environnement mises en place par la plupart des gouvernements, grandes entreprises et institutions financières du monde. À l’approche du Sommet sur le Climat de l’ONU, ce mardi, dans la même ville, leur but était aussi de demander des changements de politiques immédiats, d’autant plus que le Secrétaire général de l’organisation, Ban KiMoon, qui était par ailleurs présent à la marche, souhaite un réel progrès dans ce sens. Financé par l’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM) et 350.org, Divest McGill a pu louer un bus pour permettre à une quarantaine d’étudiants de McGill et Concordia de participer à l’événement. Ils étaient des milliers à se lever contre le changement climatique: jeunes et vieux, étudiants, syndicalistes, professeurs, tous de divers courants politiques et religieux;. Cette horde hétéroclite avait pourtant un objectif commun. Amina Moustaqim-Barrette, de Divest McGill, se dit inquiétée par cette diversité qui révèle l’ampleur d’un problème qui touche un

nombre croissant de personnes. Derrière des slogans écologistes comme «Protégeons notre Mère», «Eau potable!» ou «Énergie nucléaire? Non merci», les manifestants ont remis en question nos priorités d’investissement, notre mode de consommation et le pouvoir des compagnies exploitant les énergies fossiles. Malgré un pacifisme irréprochable, l’atmosphère était marquée par une vraie lassitude à l’égard du comportement des classes dirigeantes qui font continuellement passer «les profits avant la vie». Il est à noter qu’un nombre considérable de membres de diverses Premières Nations se sont aussi joints à la manifestation. Des performances musicales et artistiques à des formes d’expressions beaucoup plus sobres, ils n’ont cessé d’appuyer que leur participation au mouvement est cruciale. Elizabeth Hoover, activiste autochtone et professeure assistante d’Études Américaines et d’Études ethniques à l’Université Brown, fait parti des manifestants . «Le changement climatique inquiète [les communautés autochtones], puisqu’il pourrait avoir un impact sur leurs plantations, explique-t-elle au Délit. Ces gens cultivent la terre depuis des milliers d’années, ils ont un héritage lié à un climat spécifique. Ils seraient donc très rapidement touchés.»

Jeanne-Mance, et ce,malgré la pluie annoncée. Ce rassemblement est l’initiative du site Avaaz. org, qui a aussi organisé plusieurs autres marches pour le climat dans le monde. Aucun parti politique local n’a participé à l’organisation de la marche à Montréal, même si certains d’entre eux, comme Québec Solidaire ou le Bloc Québécois, étaient présents. «Nous voulons envoyer le message aux politiciens que l’environnement est important pour nous et qu’on doit [mener] des actions maintenant» commente Jenny Loughran, une des coordonnatrices principales de la marche. Le gouvernement fédéral de Stephen Harper était notamment pointé du doigt à plusieurs reprises par les organismes participant au rassemblement dimanche et en colère contre les décisions du gouvernement en matière d’environnement. Par exemple: le projet de construction de la Ligne 9, un pipeline pour transporter les sables bitumineux à travers la province du Québec. Alain Brunuel, directeur climat énergie de l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA), exprime son mécontentement contre le Premier ministre Harper. Il accuse la constitution canadienne d’autoriser les gouvernements fédéraux à faire passer des pipelines à travers les provinces.

Et à Montréal?

Les universités au premier plan

Une autre marche pour le climat, en soutien à celle de New York, a eu lieu à Montréal le même jour. Entre 3000 et 5000 personnes sont venues prendre part aux animations puis à la marche reliant le Parc Lafontaine au Parc

Bien qu’ils fussent minoritaires, les corps étudiants et professoraux étaient bien présents. De nombreux groupes militant pour que leur université désinvestisse des énergies fossiles, tels que Divest NYU, la Coalition

cécile amiot

4 actualités

cécile amiot

environnementale des étudiants de Yale, ou Divest McGill étaient présents à la marche. Ils n’ont pas cessé de mettre l’accent sur le rôle de la nouvelle génération dans le mouvement. Le Délit a pu avoir des entrevues avec certains d’entre eux. «C’est la plus grande marche climatique de l’histoire. Le changement climatique est un problème, et nous allons le régler», revendiquent trois étudiants de l’Université Yale. D’autre part Amina Moustaqim-Barrette est satisfaite de la participation des étudiants de McGill. «C’est vraiment incroyable qu’on ait pu représenter les étudiants de McGill et faire partie d’un moment historique comme celui-là. Il faut continuer de montrer à notre gouvernement et à l’administration de McGill qu’on ne sera pas complice dans la destruction de notre planète, et qu’il est fort temps que le système change», affirme-t-elle. «Les gouvernements et les grosses compagnies devraient fournir des subventions à la recherche universitaire. Surtout les entreprises en fait, puisque ce sont elles qui en tirent tous les bénéfices», explique Bill Smith, professeur de philosophie à l’Université de la Ville de New York. «Le changement climatique est réel, tout le monde le sait, le vrai désaccord est

autour de ce qui le cause. [Si nous en savions plus sur le sujet,] nous pourrions en tirer des solutions. C’est là que les politiques entrent en jeu.» Un pas dans l’histoire Les organisateurs décrivent l’événement comme la plus grande marche environnementale ayant jamais eue lieu, en termes de nombre de manifestants; un moment historique. Plus de 125 chefs d’État et des cadres supérieurs de compagnies telles que McDonald’s ou Coca-Cola seront présents au Sommet du 23 septembre, selon CBC News. Il est à préciser que le Premier ministre canadien, Stephen Harper, n’y assistera pas. À la suite de cette conférence, ils se réuniront de nouveau à Paris, en décembre 2015, pour signer des accords coercitifs à ce sujet. À l’heure où les ouragans se font de plus en plus fréquents et la banquise de plus en plus mince, la communauté internationale semble avoir besoin de mécanismes légaux pour contrôler efficacement les abus de certains États ou firmes. Le danger d’un accord qui tombe en désuétude reste cependant important. L’échec du Protocole de Kyoto est encore un souvenir bien amer pour les écologistes. x

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Montréal

Ni responsables, ni folles, ni seules Une journée de mobilisation et de sensibilisation aux violences sexuelles. Gwenn duval

Le Délit

D

ans le cadre de la journée d’��������������������� a�������������������� ction contre la v��� ���� io� lence sexuelle faite aux femmes (JACVSFF), le vendredi 19 septembre, le regroupement québécois des centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) et Trêve pour elles se sont joints pour organiser une mobilisation au métro Mont-Royal����������� . C�������� ette an� née�������������������������������� ,������������������������������� à l’échelle du Québec, le thè� me était l’inceste. L’événement, qui fait écho à la marche «la nuit, la rue, les femmes, sans peur!» était accompagné d’un specta� cle de danse. L’événement s’est terminé au Sporting Club avec des artistes venus apporter leur soutien en musique. Des experts de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) se sont également rendus disponibles au cours de la journée pour répondre à des questions. Des mobilisations telles que la JACVSFF������������������� n’ont lieu que de� puis les années 1970. Il convient de rappeler qu’il a fallu atten� dre 1983 et l’adoption de la Loi canadienne sur les agressions

sexuelles pour qu’une plainte pour viol entre époux soit rece� vable par un tribunal. Selon la règle de l’exception maritale, les Canadiennes étaient jusqu’alors soumises au devoir conjugal, c’est-à-dire à l’obligation de se soumettre aux désirs sexuels de leur mari. Si la transformation des mentalités est perceptible, au demeurant encourageante, sa lenteur n’en demeure pas moins problématique. L’action de se rejoindre en collectivité a d’abord permis aux femmes de prendre conscience du discours stéréotypé qui consiste à justi� fier la violence des hommes par la loi de la nature. En se rassem� blant pour analyser les sources de violences, elles ont généré un soutien aux ������������������������ victimes. «��������� ���������� Trop sou� vent, les femmes et les enfants ne sont pas crus», dénonce-t-on à la JACVSFF����������������� . Leurs témoigna� ges sont remis en doute et la responsabilité finit par leur en incomber injustement, décu� plant leur sentiment de culpa� bilité. Comment l’instrumenta� lisation d’un enfant peut-elle se cacher sous le mot pédophilie? Étymologiquement, pédophile vient du grec et signifie enfant

et aimer. La violence sexuelle est trop souvent, et à tort, en plus d’être euphémisée, mêlée avec l’amour. De plus, le spectre des agres� sions sexuelles est considérable� ment plus large que le petit mot tabou de quatre lettres. Le viol est relatif au coït mais lorsqu’on parle de violence faite aux fem� mes, on ne peut passer à côté des harcèlements, des menaces et des attouchements qui sont souvent difficiles à prouver.Il ne faut pas oublier que les victimes se trouvent à porter un fardeau ayant des conséquences trauma� tiques, renforcées à l’occasion par������������������������� une ������������������������ victimisation secon� daire. Les procédures judiciaires tendent souvent à faire revivre aux victimes l’événement violent et à remettre en doute leur pa� role en vertu de la présomption d’innocence. Mélissa Blais, doctorante en sociologie et professionnelle de recherche au sien du Groupe interdisciplinaire de recherche sur l’antiféminisme, à l’UQAM, mentionne au Délit l’affaire Guy Cloutier et Nathalie Simard, en 2005, qui a encouragé des fem� mes à dénoncer les violences

qu’elles ont subies. Elle rappelle que «������������������������ l����������������������� ’organisation d’un ras� semblement qui lutte contre la violence faite aux femmes, c’est aussi l’occasion pour des victi� mes de se reconnaitre dans les femmes qui dénoncent. D’autres

ont la force qu’elles peuvent avoir aussi». Au lendemain de la publication du rapport de l’UNICEF «Cachée sous nos yeux», la lutte contre la violence faite aux femmes et aux enfants ne fait que commencer. x

Lisa el nasgar

Manifester dans l’ordre

La Coalition syndicale pour la libre négociation lance un message au gouvernement. Joseph Boju

Le Délit

I

ls étaient près de 50 000 manifestants, selon le Service de police de la Ville de Montréal. Une c������������� �������������� oalition syn� dicale d’employés municipaux rassemblée pour protester contre l’attitude du gouvernement libé� ral, pour revendiquer le droit à la libre négociation, concernant principalement le projet de loi 3, sur les régimes de retraite. En face du portail Roddick, devant le bureau montréalais du premier ministre québécois Philippe Couillard, la foule est dense et le bruit assourdissant. Tous les syndicats concernés sont présents: la Coalition syndicale pour la libre négocia� tion (créée pour l’occasion), la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) et les retraités de la Coalition. Les syndicalistes, employés municipaux, retraités, revêtent pour la plupart le t-shirt rouge au slogan sans équivo� que: «Le gouverneMent» et la casquette bleue titrée «Libre Négo». Impossible de ne pas les

cécile amiot

voir ou de ne pas les entendre. C’est qu’ils sont organisés aussi, et que depuis les débordements du 18 août dernier (lorsqu’un feu de contestation avait démarré devant l’hôtel de ville), ces mili� tants semblent décidés à peser dans l’avenir du projet de loi du m���������������������������� inistre des A��������������� ���������������� ffaires munici� ������� pales et de l’Occupation du terri� toire, M. Pierre Moreau. Si elle n’a pas pouvoir de légiférer, cette coalition entend

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bien utiliser un autre pouvoir, celui de «foutre le bordel», selon le mot de Marc Ranger, porteparole de la Coalition syndicale pour la libre négociation. Et c’est déjà ce dont la Ville de Montréal a cherché à se plain� dre ces deux dernières semaines, en amenant successivement de� vant la Commission des relations du travail (CRT) les syndicats des pompiers et des policiers de la ville, leur reprochant des lon�

gueurs dans leur traitement des appels d’urgence et une baisse des contraventions depuis le début des protestations contre le projet de loi 3. Les cols blancs et bleus, les pompiers, les policiers, les chauffeurs d’autobus; c’est tout le monde municipal qui est en crise. Les autocollants ont enva� hi la ville, les policiers portent des treillis de toutes les couleurs, tout est fait pour montrer au

gouvernement que son intention de ramener tous les régimes de retraite sous une seule loi, fixant la contribution des deux partis à parts égales, n’est pas acceptée. À ce sujet, le dernier mot de Philippe Couillard remonte au 14 septembre. La parole était ferme: «Si l’attente est que nous modifiions les objectifs de notre projet et ses principes fonda� mentaux, ils vont être déçus. Et si l’on se fie au visage de la marionnette géante représen� tant le Premier Ministre samedi dernier, «ils» étaient en effet mécontents. Au mot de «solidarité», les clameurs s’élèvent. Jacques Létourneau, président de la Confédération des Syndicats Nationaux (CSN), rappelle au gouvernement qu’il va devoir «retrouver la mémoire», en faisant référence aux luttes syndicales que les libéraux ont essuyées, non sans dégâts, en 2012. Après plusieurs discours d’exhortation, les militants se dispersent dans l’ordre, suivant les consignes du porte-voix, dé� terminés, d’ici les deux mois qui les séparent du vote du projet de loi, à peser dans la balance. x

actualités

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montréal

Être «moins cave», devrait-ce être gratuit? L’Université Populaire de Montréal souligne ses 5 ans. Nadia Lemieux

L

e lancement des activités de l’UPop Montréal a pris la forme d’une double célébration, mercredi dernier au Cabaret du Mile End. L’organisme à but non lucratif fêtait sa cinquième année d’existence en plus de lancer officiellement le recueil d’essais Libres d’apprendre dirigé par l’ex-leader étudiant Gabriel Nadeau-Dubois. L’UPop Montréal s’inspire du mouvement alternatif des universités populaires en Europe. L’objectif ? Offrir à la population un accès libre et gratuit à des contenus d’éducation variés, et ce dans des endroits conviviaux tels des bibliothèques, cafés et musées. Les cours sont donnés par des citoyens bénévoles ayant à cœur le partage du savoir pour tous. L’organisme se donne

comme mandat de permettre une meilleure compréhension du monde, de créer un espace de socialisation et de stimuler les échanges. «On veut fabriquer un laser capable de pulvériser le capitalisme», ajoute Étienne Lepage, enseignant en écriture dramatique et membre du conseil d’organisation de l’UPop. Sous le thème «5 ans à se coucher moins cave», l’UPop a dévoilé les six cours qui seront offerts à la population montréalaise cet automne. «Marx & Co.» se veut une relecture des écrits du philosophe Karl Marx ou du «vieux barbu», comme le surnomme le professeur Pierre Beaudet, qui assurera les séances. Dans un tout autre registre, les passionnés d’animaux trouveront leur compte avec «Zoopop» dans lequel des intervenants aborderont des questions d’éthique animale.

Pour une éducation gratuite Dans une table ronde animée par l’animateur radio d’ICI Radio-Canada Première, JeanSébastien Girard, Gabriel-Nadeau Dubois a expliqué avoir eu l’idée de Libres d’apprendre en réponse au sommet sur l’enseignement supérieur tenu en février 2013. Il en avait résulté une indexation des droits de scolarité de 3% par an. L’ancien porte-parole de la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE) avait alors été déçu, comme plusieurs, du dénouement des discussions. «Le sommet s’est réglé en une journée, ‘’bing-bang’’ on a annexé. On n’a pas parlé de ce dont on aurait dû parler», déplore-t-il en faisant référence au concept de gratuité scolaire, sujet principal de son deuxième livre.

Sous la forme de plaidoyers pour la gratuité, Libres d’apprendre regroupe des textes de 15 collaborateurs, dont notamment la journaliste au Devoir Francine Pelletier et l’actrice et réalisatrice Micheline Lanctôt. Gabriel Nadeau-Dubois avoue que les discussions auxquelles il a participé au long du processus de création du recueil ont pu, sans changer son opinion sur la gratuité scolaire, altérer son jugement: «Ironiquement, j’ai diminué mes exigences. J’ai réfléchi au fait que le projet de la gratuité ne peut pas tout régler dans les universités et dans les problèmes de l’éducation.» Il pense entre autres à l’enjeu du décrochage scolaire, surtout au niveau secondaire. Questionné par JeanSébastien Girard sur la récente nomination de l’ex-ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport Line Beauchamp (en place lors

du Printemps étudiant de 2012) comme représentante du Québec à l’UNESCO, Gabriel Nadeau-Dubois lui a souhaité la meilleure des chances. Il a également soulevé l’idée de faire parvenir son nouveau livre au ministre actuel, Yves Bolduc. Développer l’esprit critique Micheline Lanctôt, aussi présente lors du lancement de l’UPop, s’est exprimée au sujet de l’importance de l’esprit critique: «Sans une information de fond, les opinions, ça vaut ce que ça vaut. Ça vaut de la poutine!» Celle qui joue Élise dans la populaire série télévisée Unité 9 soutient qu’une analyse profonde est la base pour développer l’esprit critique. «Il faut se sensibiliser au fait qu’il n’y a aucune certitude ou vérité absolue dans la vie. Renseignez-vous», conclue-t-elle. x

À qui la rue? Des citoyens et des associations s’approprient l’espace montréalais. Laurence Nault

C

’est sous un soleil rayonnant que s’est déroulé Park(ing) Day, vendredi dernier, une initiative du Conseil régional de l’environnement de Montréal. Organisé pour la troisième année consécutive, l’événement permet aux gens d’occuper un espace de stationnement pour créer un aménagement temporaire. Ce concept, une idée du groupe artistique et activiste Rebar, s’est déroulé dans 162 villes réparties

dans 35 pays. Park(ing) Day se veut une occasion de repenser l’espace monopolisé par les voitures en se le réappropriant de façon créative et ludique. À Montréal, les aménagements étaient répartis un peu partout dans le centre de l’île, de Côte-des-Neiges à Rosemont en passant par le centre-ville. Plusieurs organismes ont utilisé cette plateforme pour encourager la réflexion citoyenne. Rue Sainte-Catherine, au coin de la rue Union, le Conseil régional de l’environnement de Montréal

(CRE-Montréal), le Centre d’écologie urbaine de Montréal (CEUM) et Vélo Québec proposaient de repenser la rue commerçante. Les passants étaient invités à imaginer ce qu’ils feraient si elle devenait piétonne. La ville de Montréal se prépare à entreprendre des travaux majeurs de remplacement des infrastructures souterraines sur l’artère commerciale entre l’avenue Atwater et la rue Bleury. Ces travaux sont l’occasion parfaite pour transformer l’aménagement de la rue.

Félix Gravel, responsable Campagnes transport, GES et aménagement du territoire au CRE-Montréal, propose de réinventer le stationnement pour améliorer la convivialité des lieux et dynamiser les activités commerciales. Selon lui, cela passe forcément par plus de place accordée aux piétons et moins aux voitures. Par ailleurs, le Conseil régional de l’environnement de Montréal suggère de laisser une plus grande place aux vélos partout dans la ville. «Présentement les vélos n’ont pas assez de place. Par exemple, les voitures sont autorisées à circuler sur le campus de McGill, mais il n’est pas permis de le faire à vélo. Il est possible de réaliser une meilleure intégration», remarque Félix Gravel. Aménagement à McGill

thomas cole baron

6 actualités

Sur le campus, le McGill Spaces Project a profité de l’occasion pour lancer son premier événement grand public de l’année. Leur installation était situé au coin des rues Milton et Université. Les organisateurs invitaient les passants à échanger une idée pour repenser l’espace à McGill contre un hot-dog, du maïs ou un grilled-cheese. Il était aussi possible de peindre des chaises construites à partir de palettes de bois recyclées, un autre projet du groupe. Selon Émilie

Langlois, organisatrice, «l’objectif est de faire prendre conscience aux étudiants de l’espace qui les entoure. Le McGill Spaces Project désire faire réfléchir les étudiants sur la manière d’utiliser les espaces communs de McGill de façon créative et ainsi rendre le campus plus accueillant». Simone Caron, étudiante venue visiter l’aménagement, considère l’événement comme une excellente façon de stimuler l’esprit de communauté. «C’est important d’avoir des espaces pour se regrouper si on veut créer une communauté sur le campus», confie-t-elle au Délit. Le McGill Spaces Project invite d’ailleurs les étudiants à faire part de leurs idées pour le campus en se joignant au débat sur leur site. «On souhaite que les idées pour repenser McGill proviennent de la communauté mcgilloise et pas seulement de nous», souligne Émilie Langlois. D’autres organismes ont par ailleurs profité de l’occasion pour se rendre visibles auprès du grand public. Amnistie internationale Canada, au coin de Bleury et Sainte-Catherine, proposait, par exemple, de rencontrer ses membres et de participer à des jeux sous le thème des droits humains. Pour de nombreuses firmes de design et d’architecture, c’était un excellent moment pour faire valoir leur créativité et leur vision du développement urbain. x

le délit · le mardi 23 septembre 2014 · delitfrancais.com


québec

En mal de financement Les universités appelées à améliorer leurs pratiques. Any-pier dionne

Le Délit

L

es universités québécoises ont reçu, le 3 septembre dernier, des documents du ministère de l’Enseignement supérieur du Québec les informant de nouvelles compressions dans le financement du réseau universitaire. Les universités décrient depuis longtemps déjà le sous-financement du système québécois en comparaison aux universités du reste du Canada. Les coupes de 172 millions, qui font suite aux baisses de financement de 123 millions imposées depuis deux ans, viennent donc taper sur un système qui est «déjà par terre», victime de «mal-financement» plutôt que de sous-financement, soutient Camille Godbout, co-porte-parole de l’ASSÉ, en entrevue avec Le Délit. Alors que les recteurs de l’Université de Sherbrooke et de l’Université Laval, entre autres, ont déjà annoncé que ces compressions budgétaires amèneraient «nécessairement la révision ou la réduction de certains services [aux étudiants]», le vice-principal aux relations externes de l’Université McGill, Olivier Marcil, affirme avoir «bon espoir d’arriver

à maintenir les services aux étudiants» en dépit des compressions imposées. Le ministre québécois de l’Éducation, du Loisir et du Sport Yves Bolduc demande aux universités qui critiquent le sous-financement du réseau de l’enseignement supérieur d’«améliorer leurs pratiques» afin de maintenir les services aux étudiants. Un rapport publié en 2010 par le CIRANO (Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations) démontre que le Québec serait un élève modèle lorsqu’on parle de financement public du système universitaire: en 2007, 1,83% du PIB de la province était investi dans le réseau, contre 1,54% en moyenne dans le reste du Canada. Ainsi, comme le soulève Camille Godbout, co-porte-parole de l’ASSÉ, on devrait parler de «mal-financement» plutôt que de sous-financement. Cette dernière soutient qu’on devrait «s’attaquer à la racine du problème» et revoir la façon dont l’argent est distribué plutôt que d’imposer des coupes majeures dans l’ensemble du réseau. M. Bolduc «exige» que les universités réalisent des économies de 11 millions de dollars «par

des gains de productivité» et de 6,5 millions supplémentaires en «réductions de […] leurs dépenses administratives». À l’Université McGill, 75% des ������������������ coûts de fonctionnement sont reliés à la rémunération des employés. Lors des compressions imposées en 20122013, l’administration avait dû procéder à des baisses de salaire de 3% à 9% et encourager «les départs volontaires à la retraite», entre autres, pour tenter de maintenir l’équilibre budgétaire. Peuton économiser davantage de ce côté sans nuire aux conditions de travail des employés? Pour Camille Godbout, les demandes du gouvernement sont «i����������������������������� rresponsables���������������� »��������������� : il est irréaliste de demander des réductions administratives si importantes de leur part alors qu’on ampute leur budget depuis plusieurs années malgré l’augmentation du nombre d’étudiants. La co-porte-parole soutient que ces demandes forceront les universités à «s’endetter davantage» et à diminuer les services aux étudiants. L’Université Laval parle même d’abolir certains programmes en réponse aux compressions. La situation de l’Université McGill semble donner raison à

frédérique lefort

Camille Godbout: dans un communiqué publié le 17 septembre, le Sénat annonce que l’Université prévoit un déficit d’environ 15 millions plutôt que le 7 millions déjà approuvé en avril 2014. La principale et vice chancelière Suzanne Fortier affirme dans un communiqué publié le 17 septembre que McGill s’attendait à de telles coupes et ne se trouve donc pas dans une si mauvaise

situation puisqu’elle y était préparée. Toutefois, étant donnée la complexité des nouvelles règles budgétaires dont l’Université a récemment été informée, la principale ne cache pas qu’il est «trop tôt pour connaître l’effet des compressions budgétaires sur le déficit» et estime qu’il faudra attendre plusieurs semaines avant que le document ne soit étudié en détail. x

international

Le Royaume reste Uni

L’Écosse vote non à l’indépendance avec 55% des voix. esther perrin tabarly

Le Délit

L

e Royaume Uni a failli y perdre 6.5 millions de moutons, mais aussi 5.3 millions de résidents, un tiers de son territoire, et 96% des ressources en pétrole de la mer du Nord. Vendredi matin, soulagé, le Premier Ministre britannique David Cameron a appelé le pays à «se rassembler et aller de l’avant», considérant que le peuple écossais avait clairement exprimé son opinion sur la question. La Reine Elizabeth II, elle, s’était tenue à l’écart du débat, estimant qu’il appartenait aux Écossais seuls de décider de leur destin. L’indépendance en moins, l’Écosse a récolté au cours de ce référendum les fruits d’un militantisme souverainiste exacerbé, d’un engagement civique en émulsion, la participation record au référendum (84.59%) ayant démontré que les questions d’identité nationale ont une vertu motivante pour les électeurs. Nombre de célébrités ont pris part au débat, comme

les acteurs Sean Connery et Alan Cumming du côté souverainiste, et le footballeur David Beckham et l’écrivaine J. K. Rowling de l’autre. Les Écossais ont su se prouver acteurs à part entière de la vie politique. Le défi a été relevé par les dirigeants politiques britanniques qui ont promis, en amont du vote, une plus grande dévolution, notamment en matière de taxation, dans le cas où le «non» l’emporterait. Le Premier Ministre écossais et dirigeant du Parti National Écossais (SNP) Alex Salmond, a annoncé sa démission suite à l’annonce des résultats. Les personnalités de la campagne se sont exprimées sur les résultats. Alan Cumming a posté sur Twitter vendredi matin un message d’espoir: « Oui a encore du sens. Souvenez-vous en, s’il vous plait ». J. K. Rowling, elle, s’extasie : « […] Nous devrions être fiers.» Source d’inspiration Partout dans le monde, la question écossaise s’est vue analysée par les différents mouvements

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souverainistes. C’est le cas notamment du Québec, où les députés du Parti Québécois (PQ) Alexandre Cloutier et Pierre Karl Péladeau jugent qu’il est temps de réveiller la volonté d’indépendance en la Belle Province. «On doit se mettre au travail, […] on doit avoir un projet clair», reconnaît M. Cloutier. Reconnaissant les qualités informatives de la campagne pour le «oui» en Écosse, il estime que ce dont le souverainisme a besoin au Québec, c’est de «répondre aux questions des Québécois». Le référendum sur l’indépendance du Québec en 1995 avait été vivement critiqué pour son manque de clarté: les électeurs étaient mal informés, et la question posée était longue de 43 mots. C’est peut être la simplicité de la question écossaise qui a multiplié son impact, et le PQ reconnaît qu’il s’en inspirera pour les futures campagnes souverainistes. Le député Bernard Drainville insiste sur l’importance, de prendre le temps d’informer, de réfléchir et formuler l’indépendance pour faire de la cause souverainiste une cause

plus forte. Dans le camp adverse, le député libéral Stéphane Dion craint un «effet de contagion» de la question écossaise. Le ministre conservateur Maxime Bernier, lui, nie en tout et pour tout son importance: «La souveraineté, l’indépendance, la sécession, appelez ça comme vous voulez, n’est pas

populaire, et les Québécois veulent passer à autre chose», avait-il déclaré aux médias peu avant le référendum. Il appartient à chaque pays d’écrire son futur, qui n’est pas toujours clair, ; le souverainisme existe, et il ne semble pas prêt de s’endormir. x

Mahaut engérant

actualités

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Société societe@delitfrancais.com

ENquêtes

Le maire affirme le «retour de Montréal» Denis Coderre a rendu publics son bilan et ses objectifs pour la ville. alexandre piché

L

e 9 septembre dernier, l’Association des économistes québécois présentait un dîner-conférence où le maire Denis Coderre était invité à définir sa vision du développement économique de Montréal. Ce dernier en a profité pour dresser un bilan de ses dix premiers mois à l’hôtel de ville, ainsi que pour présenter les projets qu’il entend réaliser d’ici la fin de son mandat en 2017. Dix mois de pouvoir Le maire Coderre a commencé par souligner que depuis son élection le 3 novembre dernier, l’ambiance a drastiquement changé à l’hôtel de ville. Il explique ce changement de ton par une plus grande collaboration entre le parti au pouvoir et ceux de l’opposition. Par exemple, la direction du recouvrement de l’autoroute Ville-Marie a été confiée à l’urbaniste et chef de l’opposition, Richard Bergeron. Le recouvrement d’une longueur de 125 mètres aura lieu près de la station Champ-de-Mars au centre-ville et servira à créer un espace public distinctif qui devrait être fini pour 2017. M. Coderre croit que c’est avec ce genre d’attitude que les politiciens vont pouvoir changer la perception du public au sujet de la politique municipale. Le maire a aussi rappelé aux participants les actions qu’il avait entreprises pour combattre la corruption à Montréal dans les 100 premiers jours de son mandat — chose qu’il s’était engagé à faire pendant sa campagne. Il a créé avec l’aide du gouvernement provincial le poste d’inspecteur général et a nommé une «véritable pointure» à ce poste: l’ancien procureur de la commission Charbonneau, maitre Denis Gallant. Ce dernier a le pouvoir d’intervenir auprès de toutes les entreprises qui font affaire avec la ville et de suspendre n’importe quel contrat public s’il en voit le besoin. Denis Coderre a aussi assuré miser ces derniers mois sur une plus grande collaboration avec les régions. Il a rappelé notamment que, l’hiver dernier, il s’était rendu dans plusieurs villes de la province pour y affirmer que la métropole n’est pas en compétition avec les régions et que l’Union des municipalités du Québec doit parler d’une seule voix pour faire contrepoids au gouvernement provincial. Et c’est non sans fierté qu’il rajoute que la dernière

8 société

fois qu’un maire avait fait une telle tournée c’était il y a quinze ans, lorsque Pierre Bourque s’était rendu aux quatre coins du Québec pour parler de la fusion des municipalités. Finalement, le maire a fait valoir son travail sur l’assainissement des finances publiques, un sujet qui était au centre de la plateforme politique de son équipe aux dernières élections municipales et qui est actuellement au cœur de l’actualité provinciale. Des mesures ont déjà été adoptées, comme le non-renouvellement d’un départ sur deux dans l’administration montréalaise. Au cours des cinq prochaines années,

employés municipaux verront leur contribution annuelle augmenter, mais leur pension s’accumuler moins rapidement que par le passé. La loi n’a pas encore été adoptée et est largement discutée par les employés municipaux, ce pour quoi le maire a voulu la faire valoir lors de cette conférence. Le futur de Montréal: une ville plus autonome? À la veille du 375e anniversaire de la ville de Montréal qui aura lieu en 2017, le maire Coderre a livré sa vision pour la métropole. D’abord,

territoire. M. Coderre affirme aussi qu’il est nécessaire de mettre sur pied Investissement Montréal, un organisme qui gérerait plus efficacement qu’Investissement Québec les sommes déjà investies dans le développement de la ville par le gouvernement provincial. Cet organisme aurait comme mission d’attirer des entreprises étrangères en leur offrant des incitatifs fiscaux, tout en respectant une stratégie sectorielle et la réalité montréalaise. De plus, Investissement Montréal aurait selon les propos de Denis Coderre la responsabilité de protéger les acquis économiques et stratégiques de la

mondial de soccer féminin l’été prochain. Le maire annonce beaucoup d’autres projets ambitieux en ce qui concerne les événements sportifs d’envergure mondiale; entre autres, celui d’accueillir le match des étoiles de la MLS (la ligue majeure de soccer d’Amérique du Nord) en 2017 et la coupe du monde de soccer en 2026. Malgré une élection difficile, car extrêmement compétitive, M. Coderre s’est imposé en quelques mois comme un maire omniprésent sur la scène publique montréalaise et provinciale. Son intégrité, jusqu’à preuve du contraire, contraste de

luce engérant

cette politique devrait se traduire par une diminution de 2200 postes et des économies annuelles de 240 millions. Cette somme sera réinvestie dans les infrastructures de la métropole. Le maire a du même coup insisté sur la «nécessité» du projet de loi 3. La réforme présentée vise à assurer l’équité intergénérationnelle et la continuité des régimes de retraite dans le secteur municipal, sujet très controversé sur la place publique. Avec ce projet de loi, les villes devraient voir la contribution au régime de retraite de leurs employés passer de 70% à 50%. En d’autres mots, presque tous les

il croit obligatoire qu’elle devienne plus indépendante des gouvernements fédéral et provincial. Pour ce faire, Montréal devrait selon lui avoir le statut spécial de métropole québécoise. Les discussions à ce sujet ont commencé l’été dernier et le gouvernement provincial semble être ouvert à cette idée. Ce statut particulier pourrait entre autres signifier que la ville obtiendrait des pouvoirs supplémentaires en termes de gouvernance et de politique de transports. Le processus décisionnel devrait également se voir simplifié et accéléré afin d’améliorer le taux de réalisation des projets sur le

métropole. Par exemple, l’organisme aurait tout à fait pu avoir comme tâche de négocier avec la compagnie Electrolux, qui a plié bagage pour Memphis au printemps dernier. Sur une note plus douce et superficielle, le maire a glissé un mot sur le sport. Un sujet surement plus fédérateur et populaire que les réformes économiques qu’il est en train d’entreprendre. Les amateurs seront ravis d’apprendre que Montréal et la ville de Toronto accueilleront le championnat mondial de hockey junior cet hiver. Montréal se joindra aussi à cinq autres villes canadiennes pour la tenue du championnat

beaucoup avec le comportement de ses prédécesseurs au poste d’«Honorable» de la ville. Rappelons la démission soudaine de Gérald Tremblay en 2012, puis l’arrestation de Michael Appelbaum en 2013 par l’unité permanente anticorruption sept mois seulement après son entrée en fonction à titre intérimaire. Si la popularité et la viabilité des mesures de M. Coderre sont encore incertaines, lui, annonce à qui veut l’entendre: «Montréal est de retour!» L’issue des négociations sur la loi 3, ainsi que celles sur la réforme du financement des arrondissements nous le diront assez tôt. x

le délit · le mardi 23 septembre 2014 · delitfrancais.com


Deux-esprits, deux minorités De la complexité des relations ethniques et sexuelles. claire launay

Le Délit

L

a semaine dernière se tenait à McGill la 4e semaine annuelle de sensibilisation autochtone (4th Annual Indigenous Awareness Week). À cette occasion, Le Délit a assisté à une conférence donnée par Ben Geboe, un candidat au doctorat de l’école de Service Social de McGill. C’est aussi et avant tout un spécialiste et activiste de la cause des peuples indigènes, se vouant plus particulièrement à la cause de la communauté LGBT autochtone. Tenue jeudi 18 septembre au Centre d’Amitié Autochtone de Montréal (CAAM), la conférence portait justement sur ces two-spirit people, berdaches ou deux-esprits, en français. Avant d’entamer la discussion, Ben Geboe a procédé à une prière collective et a rappelé l’importance de celle-ci puisque Montréal se trouve sur territoire autochtone. Un élément que l’Université avait également souligné lors du discours de bienvenue des premières années. Du progrès dans la visibilité des problématiques autochtones, donc? Sûrement, mais la route est encore longue en ce qui concerne les discriminations auxquelles cette communauté fait face. Pour mieux faire comprendre au public la spécificité de la situation des berdaches à un public aux origines diverses, Geboe a partagé sa propre expérience. Né dans une communauté sioux du Dakota du Sud, aux États-Unis, d’un père Sioux et d’une mère américaine, il décrit avec un certain détachement les différentes réactions de ses parents lorsque, dès son plus jeune âge, il démontrait un «côté féminin plus prononcé». Tout en admettant que la situation n’est pas nécessairement la même dans toutes les populations indigènes, il décrit la société sioux dans laquelle il a grandi comme plus tolérante que celle que peuvent connaître des personnes LGBT dans la culture occidentale. En effet il nous raconte que le côté non-Sioux de sa famille exprimait une certaine inquiétude à son sujet. Ben Geboe explique aussi que, du point de vue autochtone, le statut d’une personne dépend avant tout de son implication

dans la société, de la façon dont elle peut contribuer au bien-être de la communauté dans son ensemble. Il utilise même le terme de division du travail pour illustrer le fonctionnement du groupe. Dès lors, l’orientation sexuelle de l’individu n’intervient qu’au second plan. S’agit-il d’in-

tants de la religion Lakota des Sioux — celui de la Femme Bison Blanc—, s’apparente à un berdache. Celui-ci présente dans le mythe le premier calumet: un symbole important pour beaucoup de cultures autochtones. Il faut donc prendre en compte la pertinence des berdaches dans

réserves peut être éprouvant. Ben Geboe a tout de même préféré accentuer les difficultés des twospirit people en affirmant que les problèmes que doivent gérer, par exemple, les Afro-Américains LGBT, sont très différents de ceux des berdaches. Si le but ultime est similaire — mettre

alexis de chaunac

différence? Ce serait sans compter le rôle qu’ont eu les berdaches dans l’histoire autochtone. Chamanes et guérisseurs, parmi d’autres professions centrales dans la culture des Premières Nations: les two-spirit people font partie intégrante de l’ordre traditionnel de la communauté. D’ailleurs, Geboe rappelle que l’un des mythes créateurs impor-

le délit · le mardi 23 septembre 2014 · delitfrancais.com

ces communautés, au moins d’un point de vue historique. Une identité qui dérange Tout comme le fait d’être une personne de couleur et l’appartenance à la communauté LGBT font sonvent d’une personne la cible d’une double discrimination, être berdache en dehors des

fin à la discrimination raciale et sexuelle — les revendications ne sont pas les mêmes. Les berdaches représentent une minorité sexuelle au sein d’une minorité ethnique (dans la grande région de Montréal, en 2001, Statistique Canada comptait 44,500 personnes s’identifiant comme autochtone), mais ils sont également une minorité ethnique au sein

d’une minorité sexuelle. Et les autochtones eux-mêmes représentent une multitude de cultures dont les pratiques, les langues et la façon d’appréhender les twospirit people diffèrent. Difficile de trouver des semblables et de se faire comprendre dans ces conditions. Ben Geboe a d’ailleurs soutenu que les deux communautés (LGBT et autochtones) pourraient faire des efforts d’inclusion. Il rapporte ces événements LGBT où cette remarque fait parfois surface: «Venez, dansez, chantez, apportez vos tambours!», une attitude qui se rapproche plus d’un orientalisme qu’une tentative d’inclusion. De la même façon, il raconte que des activités organisées par des groupes autochtones l’avaient mis mal à l’aise. Il ne s’y sentait perçu comme n’étant «que» moitié sioux, ne remplissant pas les critères traditionnels physiques, le forçant à devoir parfois se justifier sur son héritage ethnique. En effet, l’étiquette de berdaches concernent très majoritairement des individus nés hommes qui se travestissent ou qui s’identifient comme homosexuels; qu’en est-il des lesbiennes autochtones? Dans la conceptualisation autochtone, chacun a, en même temps, un esprit masculin et féminin; et c’est la proportion de ces deux côtés qui change chez chaque individu. Les berdaches sont considérés comme possédant les deux esprits à part relativement égales, d’où leur appellation en anglais, two-spirit people. Mais si le concept de berdache bouscule l’ordre binaire des genres auquel nous sommes habitués, il ne s’applique qu’aux individus nés de sexe masculin, marginalisant donc de facto les lesbiennes. La visibilité croissante de la communauté LGBT et des populations autochtones sont néanmoins des signes encourageants pour les deux groupes concernés et les minorités qui les composent. La semaine qui vient de s’achever à McGill pourrait gagner en publicité mais, de pair avec la création de la mineure en Études Autochtones cet automne, elle laisse espérer des progrès pour la communauté. Par ailleurs, le CAAM, qui se veut un pont interculturel, fournit un espace de dialogue et des activités de sensibilisation tout au long de l’année. x

société

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POINTS DE VUE lettre ouverte

Rendons grâce au calumet de la paix Pour que ceux qui «s’en grillent une» ne soient plus jetés au bûcher. Julia denis

Le Délit

M

cGill s’acharne sur les fumeurs.

Au printemps dernier, alors que sortir son briquet ne rimait enfin plus avec «t’auras les doigts gelés», l’administration de l’université a décidé de nous jeter en quarantaine: il n’est plus possible de fumer sur le parvis de McLennan. Ce lieu saint du travail abritait autrefois de fervents travailleurs qui, après avoir communié des heures avec leurs coursepacks dans le silence inquisiteur de la bibliothèque, refaisaient le monde une cigarette à la main. Nous étions évidemment bien loin de ces images traumatisantes de sortie de lycée français de laquelle émane un épais nuage de tabac, issu de l’effort collectif d’une centaine de prépubères. Non, fumer devant McLennan était juste un acte en petit comité pour recharger son niveau de productivité, se plaindre ensemble du poids de nos ambitions, se

rencontrer, discuter, débattre intelligemment, étendre son réseau le temps d’une «taffe», et certes — peut-être — un peu procrastiner. Nous n’étions pas qu’un club fermé affilié directement à la diaspora française: tout le monde était accueilli, Belmond au bec ou pas, et les briquets s’échangeaient avec générosité. Les nonfumeurs étaient toujours conviés à cette sauterie improvisée, et sous l’hiver montréalais, croyezle, ils pouvaient respirer. Aujourd’hui, cette petite place de convivialité est vide, rendue aux mains de la nostalgie. Nous autres, fumeurs sociables, nous devons marcher, nous tenir debout dans un coin inconfortable, et tenter de recréer cet environnement inspirateur sur un bord peu abrité de McTavish. Pour vivre heureux, nous vivons cachés. Le Québec s’acharne sur les fumeurs Depuis 2006, le fumeur n’est plus qu’un clandestin dans sa

province, un exclu de la société québécoise. Il n’a plus le droit de fumer dans des espaces publics intérieurs (même dans les espaces anciennement réservés pour ceux qui avaient décidé que l’oxygène était fade). Il doit s’éloigner à neuf mètres de certains bâtiments et s’offrir sans défense aux pires intempéries pour avoir droit à son élixir. Il ne peut même plus se retrouver dans une réunion de congénères tous fumeurs s’il organise ça en dehors de sa demeure… Et on lui a même ôté son droit à aspirer à un peu d’esthétisme: son paquet de cigarettes est d’une tristesse presque amorale. Le monde s’acharne sur les fumeurs Après les barbares, les nobles, les soviétiques et les riches, les fumeurs sont devenus les nouveaux ennemis de l’humanité. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) lance une nouvelle doctrine politique offensive, nommée explicitement «Pour

Cécile amiot

un monde sans tabac». Dans ce manifeste pour l’extermination du «clopeur», l’OMS demande l’augmentation de taxes pesantes sur les consommateurs de tabac et lance une véritable propagande avilissant le fumeur. Déjà à Tokyo, Moscou et Istanbul, il est interdit de fumer dans tout lieu public; le mouvement d’intolérance est planétaire! Pourtant, l’envie de s’enivrer de fumée n’a longtemps dérangé personne... Au contraire!

Durant des décennies, il était beau, courageux, excentrique, branché, moderne, celui qui entre ses dents tenait la tige du plaisir! Aujourd’hui, il est important de le défendre, celui qui, contre tous, ne courbe pas le dos et crie haut et fort son désir primaire de vivre comme il en a décidé. Laissons aux libertés et aux petites dérives une raison de perdurer... Et laissons aux ambitieux et aux détracteurs d’autres idoles à démolir. x

opinion

Des terrorisés porteurs de haine

La peur de L’État islamique instaure un climat d’intolérance dans notre société. eva martane

«C Le Délit

eci est un message au Canada et à tous les tyrans américains: nous venons pour vous détruire, avec la permission d’Allah le tout-puissant», proclame un membre d’un groupe canadien à la pensée djihadiste qui se déclare affilié à l’Etat Islamique (EI). D’abord nommé EII (Etat Islamique d’Irak) puis EIIL (Etat Islamique d’Irak et du Levant), cette organisation djihadiste terroriste a entrepris de prendre le contrôle des territoires entre la Syrie et l’Irak et d’y instaurer un califat. L’Etat Islamique s’est progressivement affranchi d’Al Qaida, alors qu’il était auparavant clairement affilié à sa branche syrienne, le Front Al-Nosra. La compétition entre les deux organisations s’est accentuée avec l’annonce faite par EIIL, le 29 juin 2014, du rétablissement d’un califat sur les territoires irakiens et syriens. Cependant la

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tendance semble actuellement s’inverser: Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI) et Al Qaida dans la Péninsule Arabique (AQPA) ont, la semaine dernière, appelé au soutien de l’EI face à la coalition internationale. L’élargissement continuel de ce groupe, son comportement des plus offensifs et ses liens ambigus avec Al Qaida n’ont fait qu’acérer l’inquiétude des pays occidentaux au cours de l’été dernier. À tel point que les États-Unis sont récemment intervenus sur le territoire irakien, en conduisant une série d’offensives aériennes. Dans un discours prononcé le 10 septembre, le Président Obama se fixe un objectif clair: «Nous avilirons et détruirons EIIL par le biais d’une stratégie de contre-terrorisme globale et soutenue». Début septembre, le Premier Ministre canadien Stephen Harper a annoncé le déploiement de «plusieurs douzaines» de conseillers militaires. «La menace posée par EIIL

exige une réaction ferme de la part de la communauté internationale, et le Canada est prêt à remplir son rôle», déclare John Baird, le Ministre des Affaires Etrangères. L’Amérique du Nord se mobilise donc progressivement pour faire face à l’une des organisations terroristes armées les plus dangereuses du monde. À la suite de cette mobilisation de l’administration politique canadienne, ce sont les Canadiens civils qui se lancent sur le sujet. Temps de crise oblige, les critiques envers l’Islamisme, et même l’Islam toutcourt, ressurgissent. Au Québec, une étude conduite en 2013 par Maclean’s sur un échantillon de 280 internautes nous apprenait que 68% d’entre-eux avaient une opinion modérément défavorable ou très défavorable de l’Islam. Cela n’est pas sans nous rappeler les débats sur la Charte des Valeurs, où la province a pu alors briller par sa méconnaissance des groupes minoritaires religieux.

C’est ce phénomène de réticence et d’incompréhension que regrette Sarah, une étudiante musulmane de McGill: «Les gens confondent souvent, à tort, Islam et terrorisme. La population américaine par exemple, encore traumatisée par les événements du 11 Septembre, marginalise les musulmans, qu’elle considère comme responsable des attentats.» Comme l’explique Barack Obama lui-même, «EIIL n’est pas “Islamique”. Aucune religion ne tolère la mort d’innocents. Et la plus grande majorité des victimes d’EIIL sont musulmanes». Il est d’ailleurs explicitement écrit dans le Coran: «Ne détruisez point la vie que Dieu a rendu sacrée» (sourate 17, verset 33). Les croyants sont tenus d’apporter la paix, l’amour et la sécurité autour d’eux: un dogme ô combien différent des principes du djihad de l’EIIL! The Islamic Monthly (Une publication basée aux Etats Unis, indépendante et non religieuse, qui se concentre sur les musul-

mans dans le monde moderne) d’ailleurs de renommer EIIL en un Etat «non Islamique»: «Certaines organisations, qui se disent musulmanes (telles qu’EIIL ou Al Qaida) et prétendent tuer au nom de l’Islam, dénaturent en réalité son essence profonde». Le rapide développement de l’EIIL amène aujourd’hui un triste constat au sein même de notre société canadienne. Au lieu de faire réfléchir et de nous en apprendre plus sur les enjeux du Moyen Orient, sur la question de l’islamisme et de sa distinction avec l’Islam; sa présence accrue au sein du débat médiatique semble ne faire qu’apeurer le public, qui se renferme derrière des idées fausses et des opinions simplistes. Ce trop-plein d’informations alarmantes produit un effet de désinformation. Et cette masse civile inquiète et mal instruite, qui affilie haine et Islam, crée elle-même un climat de haine, de destruction et d’intolérance à plus de 9000 km du théâtre des atrocités menées par l’EIIL. x

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économie Entrepreneuriat Social

«Au pire, ça marche!»

Cinq entrepreneurs en herbe se lancent dans un projet à caractère social d’envergure. CHARLES-ELIE LALY

Le Délit

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édérer la jeunesse québécoise par l’entreprenariat social, voilà le projet que se sont donné Bernard d’Arche et Théo Bourgery, McGillois et membres fondateurs de La Route des Possibles. Qu’est-ce? Un tour du Québec par cinquante jeunes, ponctué de conférences d’entrepreneurs sociaux. Il faut tout de suite préciser qu’un même concept existe en France, et que c’est fort de leur participation à un «Tour de France d’entreprenariat social» l’été dernier que les deux étudiants se proposent de transposer l’expérience au Québec. Le modèle: Ticket for Change À la source du projet, il y a un modèle: Ticket for Change. Ce programme français — malgré son intitulé trompeur—, s’est d’abord voulu une réaction à un article du journal Libération, intitulé: «Jeunes français, barrez-vous!» (thème pour le moins familier des français de Montréal). Il s’est donné pour objet de montrer à la jeunesse des initiatives marquantes, qui font bouger les lignes à travers le pays, et ainsi de lui donner la force d’entreprendre, d’effectuer les changements qui lui tiennent à cœur. Comment peut-on s’y prendre pour remplir une pareille mission? Ticket for change (et bientôt La Route des Possibles) a opté pour une double stratégie: le développement personnel d’un groupe de jeunes par un Tour de France de quinze jours, ainsi qu’une communication extrêmement poussée autour du programme afin d’élargir son impact.

les exhortations de Jacques Attali (économiste, écrivain et homme politique socialiste français) et d’Emmanuel Fabert (PDG chez Danone) ont ponctué le tour français. Ensuite, il y a une phase de sortie du monde, de questionnement de soi; de là la plongée vers le monde intérieur à la base du U. Cette phase peut inclure des sessions de méditations ou des exercices de définition de son identité, en se projetant par tranches d’âge jusqu’à sa mort par exemple. L’expérience, décrite comme un défi de taille, est encadrée — «on veut éviter les suicides» plaisante Théo Bourgery. Elle doit mener à une meilleure connaissance de soi afin d’en sortir renforcé et prêt à passer à l’action. La dernière phase est donc créatrice: il s’agit de définir un projet et de le présenter le dernier jour devant tous les acteurs. Comme chaque fois, un accompagnateur permet une véritable formation et s’assure de la cohésion du groupe. Ticket for Change s’est soldé lors des présentations par environ un tiers de «retours sur expérience», un tiers de présentations d’idées vagues et un tiers de projets concrets selon les deux étudiants. Cela est peut être insuffisant pour Bernard d’Arche,

qui projette d’allonger la dernière phase; néanmoins, l’objectif étant avant tout initiatique pour Théo Bourgery, peu importe le moment du déclic tant que les participants sont mis sur la «Route des Possibles». La démarche sociale Les cinq fondateurs ont créé leur société sous le statut d’OBNL (Organisation à But Non Lucratif ). Leur démarche, selon Théo Bourgery, découle «d’une envie folle de vouloir partager» l’expérience de Ticket for Change au Québec, mais aussi d’une même envie d’influencer la société vers une économie responsable. Il décrit en effet l’entrepreneuriat social comme le fer de lance de cette mouvance qui a la prétention de revisiter le capitalisme. Par exemple, l’absence de versements de dividendes ou la poursuite active de bénéfices sociaux la différencie de l’entrepreneuriat en général, et permet d’«optimiser le profit plutôt que de le maximiser». Cette vision, couplée au constat d’un fossé en termes de connectivité au monde entre d’une part la capitale économique: Montréal, et d’autre part les cantons de province, par

ailleurs peu connectés entre eux, sert de moteur au groupe. À double stratégie (le tour et la communication) convient double objectif: «faire des cinquante jeunes des acteurs de changement» et «fédérer la jeunesse québécoise pour qu’elle entreprenne ensemble». Le deuxième point, également formulé par Cécile Branco comme le don d’«une vision pour le développement de toute la province», passe donc par l’inclusion de la diversité. La présence d’autochtones et d’autres représentants des minorités est ainsi nécessaire selon eux.

«être ‘‘bisounours’’ dans un monde qui ne l’est pas, ça peut marcher»

La vaste mission de fédération des territoires pose la question, propre à l’entrepreneuriat social et insoluble pour Théo Bourgery, de chevauchement avec les pouvoirs publics. Sont-ils ici complémentaires ou rivaux? L’intérêt financier de La Route des Possibles, qui table

sur un budget annuel de $500,000 — en ne chargeant que symboliquement chaque participant — laisse espérer leur soutien. Quelques questionnements sont pourtant de mise pour un projet de cette envergure. Comment s’assurer que la sélection des candidats maintienne la diversité tout en préférant des jeunes sensibles aux problèmes de société? Sur les plans pratiques et financiers, comment rallier au projet des intervenants et des accompagnateurs de qualité et qui se tiennent à la pédagogie en U? Enfin, comment maintenir l’organisation apolitique, tout en recherchant le financement des pouvoirs locaux et provinciaux? Autant de défis auxquels les organisateurs vont devoir répondre, d’ici l’été 2015, date prévue du lancement du projet. Mais ce n’est pas l’enthousiasme qui manque. La Route des Possibles se veut si révolutionnaire que Bernard d’Arche affirme qu’elle prouve qu’ «être ‘bisounours’ dans un monde qui ne l’est pas, ça peut marcher», et à Théo Bourgery que «pendant un tel tour, tout est possible!» Leur optimisme forcené semble le garant du succès; l’on peut résumer ainsi: «au pire, ça marche!» x

La copie: La Route des Possibles L’aspect pédagogique de La Route des Possibles est géré par Bernard d’Arche et Théo Bourgery. Quant à la coordination, la communication et la recherche de partenaires financiers, Clémence Crépeau, Marine Bonnell et Cécile Branco en sont respectivement responsables. La méthode de formation se schématise par la «pédagogie en U». Le U reflète les trois phases du projet: inspiration, introspection, et passage à l’action. Tout d’abord, c’est l’émerveillement, la volonté de «faire briller les yeux» des participants, par la découverte d’initiatives phares. Par exemple,

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frédérique lefort

économie

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La rentrée litté Une confession française Le dernier Catherine Cusset rend compte des possibles d’une éducation chrétienne dans un habile témoignage. Joseph Boju

Le Délit

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a parole est intime, tantôt naïve, tantôt critique. Marie est assise sur le divan ou dans l’alcôve sombre, suivant que vous soyez psychologue ou prêtre. Elle déballe son sac, chronologiquement, avec douceur et attention. Elle retrace tout. La catéchèse; la place de l’Église dans sa petite enfance; le rôle de chacun de ses parents —le pratiquant et l’athée—; sa perception du rite chrétien; l’inimitié avec sa sœur; les premières amitiés — Laurence puis Nathalie —; les chicanes de cour d’école; les chimères de l’enfance; son désir d’ «être bonne»; tout cela jusqu’à l’explosion adolescente.

Dieu mort, une autre prend sa place. Elle s’appelle Ximena et Marie la suit partout. Amitié de premières de classe, leur relation est aussi passionnelle qu’inégale. Marie se soumet, se laisse mener, impressionnée par cette intrigante aux allures d’Emma de La vie d’Adèle — la compagne d’insurrection adolescente par excellence. Ximena devient le «Verbe» de Marie, la maîtresse de sa vie lumineuse, antagoniste de ses désirs honteux pour d’autres hommes, désirs qui ne tarderont pas à prendre le dessus. Mais le schéma reste le même: Marie déifie la personne avec qui elle est. Elle joue la chanson cent fois jouée de la victime et du bourreau. Toute sa connaissance

biblique y passe. Untel est Dieu sauveur, l’autre est Dieu vengeur, celui-là a «la foi en la vie», celuici se laisserait «crucifier» sans coup férir. Une vie se déplie ainsi à essayer de trouver l’équilibre. Marie connait la mélancolie des paquebots, les froids réveils sous la tente, l’étourdissement des paysages et des ruines, la mort aussi. Et lorsqu’enfin elle se pense détachée, qu’elle a trouvé l’amour — ou ce qui lui ressemble le plus — c’est d’un mystère qu’elle se rapproche. Sa souffrance ne lui donnera rien si elle reste souffrance, il lui faut la transformer en amour, accepter que la relation avec l’autre relève du domaine de

la «foi». Morale, somme toute, très catholique. Et comment y échapper, puisque ce récit d’apprentissage, cette introspection, est lui-même modelé sur la logique du témoignage. Tout y est dit, du grotesque au sublime: la naïveté enfantine, le romantisme adolescent (qui lui fait annoncer son plan de suicide à sa meilleure amie), la prise de conscience du corps et de l’intellect, la lassitude, l’envie, l’orgueil, le sexe. Même si quelques lieux communs sur la flagellation judéo-chrétienne auraient pu être évités, Une éducation catholique est un roman admirable de fluidité autant que d’intérêt pour nourrir la réflexion personnelle. x

Une éducation catholique Catherine Cusset Gallimard Paris, 2014, 144 p.

Il était une fois Charlotte David Foenkinos s’inspire de l’oeuvre autobiographique de Charlotte Salomon, artiste-peintre durant la Seconde Guerre mondiale. Léa bégis

Le Délit

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our son treizième roman, l’écrivain français David Foenkinos s’éloigne de son registre d’écriture habituel en racontant l’histoire vécue de Charlotte Salomon, jeune peintre juive allemande morte à vingt-six ans. À mi-chemin entre la fiction et la biographie, le dernier roman de Foenkinos témoigne néanmoins d’une grande émotivité, à l’instar de ses romans précédents. L’histoire de la famille de Charlotte, les Grunwald, est celle de destins tragiques, où le suicide est l’épée de Damoclès

menaçant de tomber d’un moment à l’autre. Grandissant dans les non-dits et le ressassement perpétuel du passé, Charlotte s’isole et se découvre une passion pour le dessin et la peinture. Évoluant dans un milieu érudit et artistique qui l’inspire, elle et ses proches sont progressivement ostracisés de la société berlinoise par le régime nazi. Le danger devenant de plus en plus imminent, Charlotte est contrainte de se réfugier dans le sud de la France. Exilée, elle connaîtra l’atrocité des camps, et produira une œuvre autobiographique d’une inventivité et d’une sensibilité fascinantes afin d’échapper à la détresse mentale.

Le récit est narré aux première et troisième personnes, alternant sans cesse entre le regard de Charlotte et celui de Foenkinos. La vie de l’artiste rejoint étroitement celle de l’auteur, dont l’écriture est l’aboutissement d’une longue quête, causée par une fascination pour l’œuvre de cette jeune femme. Le présent rejoint le passé, et l’auteur fait part au lecteur de son parcours de recherche afin de connaître Charlotte Salomon dans ses moindres détails. Le texte, écrit sous la forme d’un long poème en prose, témoigne de cette frénésie et de cette urgence de découvrir le personnage der-

rière l’œuvre, mais aussi de cette fureur de vivre qui caractérise Charlotte, en réaction à l’omniprésence de la mort qui l’entoure. Charlotte se rend compte qu’elle doit raconter son histoire pour rester en vie. Foenkinos raconte à son tour l’histoire de Charlotte pour faire vivre sa mémoire. Malgré certaines images un peu maladroites, David Foenkinos parvient à toucher le lecteur par la poésie et la sensibilité de son écriture. Bien que son vécu soit unique, l’histoire de Charlotte est aussi celle de tous les Juifs durant la guerre, désormais étrangers dans leurs propres pays. x

Charlotte

David Foenkinos Gallimard Paris, 2014, 221 p.

Illustrations : Luce Engérant

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Culture

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raire du Délit J’écris que j’écris que j’écris que David Turgeon et son écrivaine fantôme repousse avec succès les limites du métatexte littéraire. baptiste rinner

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isons que je me trouve dans une position plutôt inconfortable. Comment critiquer — c’est-à-dire produire un métadiscours — un livre qui ne fait que produire lui aussi des métadiscours? C’est le cas du dernier livre de David Turgeon publié au Quartanier, La revanche de l’écrivaine fantôme. On se rend compte dès les premières phrases qu’il s’agit d’un livre en train de s’écrire, une topique narrative éculée. Mais, à la manière des poupées gigognes, l’écriture se déploie et emboîte successivement d’autres livres, eux aussi en train de s’écrire. En cela, David Turgeon échappe à

l’écueil de l’écrivain qui se voit écrire, tant le métatexte est radical; classé dans le genre fourretout du roman, le texte ne se met à aucun moment au service d’une narration détachée du processus d’écriture, ce qui fait sa force. Après la première partie, le tournis commence à se faire sentir. Dans la perspective d’un progrès de la littérature, d’une perfectibilité de l’homme et de l’art, on peut dire que David Turgeon va plus loin que — je n’ose dire dépasse — Mallarmé, qui était arrivé à une conception pure: «Ma pensée s’est pensée et je suis arrivé à une conception pure.» Dans le cas de David Turgeon, on pourrait dire: «Ma pensée s’est pensée se penser etc.» Si la critique d’un roman banal est un

métadiscours, la critique que je suis en train d’écrire sur le dernier livre de David Turgeon est un métamétamétatexte. Pourquoi s’acharner à produire des métadiscours, pourrait-on demander alors. La question est légitime. Il serait facile en effet de tourner en rond, ce qui laisserait une impression de masturbation intellectuelle au lecteur. Or le texte (on ne peut pas parler de narrateur) brosse à travers ses différents discours les grands enjeux de la théorie et de la critique littéraire du 20e siècle. La littérature est une question, et La revanche de l’écrivaine fantôme interroge des concepts de la littérature. Qui écrit quand je dis je? Quel est le statut de

l’auteur face à son texte, et comment assumer sa figure auctoriale? Quel est le statut du lecteur? Avec finesse et beaucoup d’humour, David Turgeon livre un constat lucide sur l’écriture et les possibilités de l’écriture. Il pose, à travers ses trois niveaux de narration, ou les trois romans du livre, la question de l’illusion narrative, et comment y croire lorsque l’on sait que c’est une fiction. Dans la lignée d’Edmond Jabès, duquel il s’inspire librement pour créer un de ses écrivains-personnages, Turgeon cherche à échapper au cynisme — nécessaire — de la déconstruction et du discours sur le livre pour écrire une histoire d’amour, aussi fugace soitelle. x

La revanche de l’écrivaine fantôme David Turgeon Le Quartanier Montréal, 2014, 170 p.

Le grand frère de Karoo Le premier roman de Tesich enfin en français! thomas birzan

Le Délit

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onsieur Toussaint Louverture frappe fort et frappe juste, comme de coutume. C’était le grandiose Karoo qui nous avait mis la puce à l’oreille. Puis, en février dernier, le cinglant et cinglé Mailman. On se remettait tout juste du récit de ce facteur-fiasco que débarque, en ces temps de rentrée littéraire, un nouvel arrivant: Price, jusqu’alors non traduit en français, le tout premier roman de Steve Tesich, à qui l’on devait déjà ledit Karoo. «-Vous êtes amoureux – Loué jusqu’au mois d’août» Price, c’est donc l’histoire du jeune Daniel Boone, un adolescent paumé, fraichement

diplômé et en manque de réel et d’expériences — à l’instar de ses deux meilleurs amis, Larry et Freud. C’est aussi l’histoire d’un été, celui qui clôt les années lycée et mène à l’âge adulte: première passion, première rencontre avec la mort, prise de conscience sociale. Tesich condense, réinvestit et réactualise avec brio un genre qui façonne la littérature et l’imaginaire collectif: le roman d’apprentissage. C’est avant tout dans le traitement temporel de l’été, ce temps hors du temps, qu’est révélé tout le génie de l’auteur. Price, c’est un Marinetti dans un Hopper; de l’accélération phénoménale dans un temps suspendu. «-Le vent chargé de bruits –la ville n’est pas loin» Daniel n’a pas de tilleuls

verts sur la promenade; il habite à East Chicago, banlieue industrielle et prolétaire. D’un côté, l’usine, et ce qu’elle symbolise: la paralysie sociale, l’impossibilité des tentatives de fuites. De l’autre, la maison, sa morosité, véritable anesthésiant émotionnel et libidinal. Dans l’interstice, Daniel aime. C’est l’histoire de cette passion (impure, nous dirait Rilke, du genre qui «ne s’empare que d’un seul aspect de votre être et, ainsi, vous déchire») pour Rachel, nouvelle venue dans le quartier, que relate Steve Tesich, avec une cruauté clinique et incisive. Scène superbe: celle de la première expérience sexuelle du personnage principal, immédiatement suivie d’un passage à tabac. On aura rarement vu éros et thanatos si majestueusement entremêlés.

«-Ce que je redoutais le plus, c’était que mon père guérisse avant que Rachel et moi ayons couché ensemble» Tesich nous offre ici une narration arythmique parfaitement maîtrisée, une sorte de shuffle qui donne sa cadence au roman. Les deux premiers temps de la mesure, ce sont les visites que Daniel rend à sa dulcinée. Le troisième temps, ce sont les appels téléphoniques qu’il reçoit de son père depuis l’hôpital. C’est au travers de ce personnage réduit, malade et pathétique que Tesich se fait chroniqueur acerbe de la désorientation tutélaire et de l’émancipation. Price, c’est un roman froid qui frémit, du genre qui bout, majestueusement, à 0 degrés. On recommande vivement. x

Price

Steve Tesich Traduit de l’anglais par Jeanine Hérisson Monsieur Toussaint Louverture 544 p.

Illustrations : Luce Engérant

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Culture

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rentrée littéraire

Notice de lecture Petite posologie littéraire à l’usage du lecteur de L’amour et les forêts. inès palaz

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euillez lire attentivement cette notice avant de découvrir ce roman. Elle contient des informations importantes pour votre lecture. Qu’est-ce que L’amour et les forêts et dans quel cas est-il conseillé? Le nouveau roman d’Éric Reinhardt est une tragédie domestique racontant l’histoire de Bénédicte Ombredanne, professeure de lycée, maman de deux enfants et harcelée moralement par son mari. Il s’agit d’une histoire poignante sur la descente aux enfers d’une femme tiraillée entre ses angoisses les plus profondes, sa dépendance et son besoin fondamental de liberté et d’émancipation. L’amour et les forêts est donc avant tout un récit fascinant sur l’autodestruction qui nous plonge dans les contradictions intrinsèques à chaque individu.

Conseillé à tous. Quelles sont les informations à connaître avant de lire L’amour et les forêts? Ce livre événement de la rentrée littéraire — Les Inrocks en ont quand même fait leur une, pour ne citer qu’un exemple — a été écrit à partir de témoignages de lectrices qui ont confié à l’auteur leur souffrance quotidienne. C’est après avoir écouté le récit d’une inconnue lors d’un voyage en train qu’Éric Reinhardt se décide enfin à raconter leurs histoires. En résulte un réalisme frappant qui renforce l’impact que ce roman peut avoir sur le lecteur. Faites attention: si votre expérience personnelle a été marquée par toute forme de maltraitance psychologique, ce livre pourrait vous bouleverser. Comment lire L’amour et les forêts? La posologie sera établie librement par le lecteur.

Cependant, prévoyez un peu de place pour ce roman dans votre emploi du temps. En effet, sa construction sous forme de thriller psychologique risque fort de vous attraper et pourrait ainsi bousculer vos plans. Quels sont les effets indésirables éventuels? Comme tous les livres, L’amour et les forêts peut provoquer des effets indésirables, mais ils ne surviennent pas systématiquement chez tout le monde. Rares (entre une personne sur 1 000 et une personne sur 10 000): - La lecture de ce roman pourrait vous mettre d’humeur antisociale de par son côté à la fois sombre et captivant. Très rares (moins d’une personne sur 10 000, y compris cas isolés): - La première partie du roman pourrait vous décourager. Elle est effectivement quelque

peu narcissique et maladroite puisque l’écrivain se met en scène lorsqu’il rencontre Bénédicte Ombredanne, mais ressent le besoin de se justifier en affirmant que ce n’est pas dans ses habitudes et qu’il n’est pas un croqueur de lectrices. Si vous parvenez à passer par-dessus ce point, Éric Reinhardt pose là des questions néanmoins intéressantes sur le rapport entre l’écrivain, l’écriture et le lecteur. - Le romantisme et l’idéalisme de l’héroïne pourraient vous énerver. Pourtant, Éric Reinhardt revendique dans une entrevue son côté fleur bleue «contre une vision du monde qui serait entièrement matérialiste, teintée d’hypervirilité». Pourquoi pas? Informations supplémentaires Que contient L’amour et les forêts? Ce roman contient 368 pages d’un style efficace et précis, bien que quelques fois ampoulé. x

luce engérant

L’amour et les forêts Éric Reinhardt Gallimard, Paris, 2014, 368p.

Prose d’idéeS

Le train de l’enfer Retour sur un grand succès éditorial de l’année passée. Noémy grenier

Le Délit

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ean-Paul Didierlaurent. Le liseur du 6h27. Publié par l’édito. Année: 2014. Dois-tu lire ce livre? Si tu aimes les mots voltiges, les métaphores immersives et les histoires touchantes, cours, cours te disje, te procurer ce livre. Tu t’en doutes déjà, c’est bien l’histoire d’un homme qui lit dans le train du 6h27. Ne t’arrête pas ici. Il lit des pages de livres morts. Des peaux sauvées des champs de guerre que laisse la Zerstor 500, appelée plus communément la Chose, une machine qui réduit en bouillie des milliers de livres invendus. Des peaux brisées, qui délaissent leur dernier souffle amer entre les doigts amoureux de leur propre bourreau. Car Guylain Vignolles, —eh oui, quel nom!—, est l’un de ces antihéros qui finissent par te prendre au cœur par leur pathétisme. Donc, un Guylain qui hait son travail et qui a pour seuls amis un poisson rouge, un vieillard qui récite des alexandrins et un autre qui s’est fait

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Culture

allègrement manger les jambes par la Chose. L’enfer de tout littéraire au cœur de papier. Mais dans le train de 6h27, le train vers cet endroit maudit, Guylain trouve une clé USB. Une jeune fille qui nettoie des toilettes y a déposé ses mémoires. Une histoire d’amour? Oui, certainement. Entre Guylain et la mystérieuse cure-cuvette? Non pas. Une histoire d’amour entre un littéraire manqué et des livres de

papiers. Une histoire qui repose la sempiternelle question: la littérature est-elle morte? Le support importe-t-il réellement? Jean-Paul Didierlaurent raconte de quelle façon, peu importe le moyen, peu importe la langue, peu importe le lieu ou le moyen de lecture, la littérature est vivante, survivante. Ce texte impose une autre belle question: faut-il réellement détruire ces livres invendus? Les

traiter comme des objets malaimés, inexistants malgré leur matérialité? Ne pourrait-on pas trouver un moyen d’empêcher l’existence d’un monstre tel que la Zerstor 500? x

Le liseur du 6h27

Jean-Paul Didierlaurent Edito (Québec), 2014, 192 p.

luce engérant

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théÂtre

La passion sublimée dans le sang Being At Home With Claude marque la rentrée du Théâtre du Nouveau Monde. Sao-MAi NGUYEN

Le Délit

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e Théâtre du Nouveau Monde démarre sa saison 2014-15 en célébrant les trente ans de création de Being At Home With Claude une oeuvre phare de RenéDaniel Dubois. Créée en cinq jours, elle a connu un succès international retentissant. Elle est remontée pour la cinquième fois au Québec, sous la direction de Frédéric Blanchette. Après trente ans, l’histoire d’amour homosexuel passionnel qui constitue le fond de cette pièce policière demeure incontestablement contemporaine. Nous assistons aux 80 dernières minutes d’un interrogatoire qui a déjà duré 36 heures. Un prostitué dénommé Yves (défendu par Benoît McGinnis) a tué son amant, puis s’est caché dans le bureau d’un juge de la Cour supérieure du Québec. Il avoue son crime aux autorités, mais refuse d’en révéler davantage. L’inspecteur (interprété par Marc Béland), exaspéré par l’absurdité de la situation, l’interroge sans répit pour saisir les motifs du crime. Les deux hommes sont exténués, la tension monte, jusqu’au moment où Yves fait un aveu fracassant. Il a tué Claude par amour. Au zénith de leur union, il a préféré tuer leur amour transcendant pour que sa pureté soit

sublimée au lieu d’être effritée par le temps. Deux visions du monde s’affrontent au cours de l’inter-

difficilement les motifs d’Yves, à la fois violents et romantiques; vice versa, Yves avoue difficilement avoir commis un crime.

d’un bureau au palais de justice rappelle la rationalité qui sous-tend le système judiciaire. Le réalisme des décors anticipe le fait qu’ultime-

yves renaud

rogatoire. L’inspecteur tente de reconstituer les événements de façon rationnelle, mais bute sur un témoin mû par le désir, l’absolu et la passion.L’inspecteur comprend

Le décor très réaliste rehausse davantage le contraste entre le passionnel et le rationnel. Alors que le récit du crime frôle la folie et déborde d’émotions vives, le boisé sobre

ment, Yves aura à se défendre devant un juge, selon la loi, au sein d’un système qui n’acquittera pas nécessairement un tueur parce qu’il a tué par amour.

Le duo McGinnis-Béland nous offre un jeu intense, mais nuancé, simultanément cru et poétique. Ils maintiennent avec brio la tension dramatique pendant les monologues et les silences, ce qui n’est pas chose aisée. Les deux acteurs n’en sont pas à leur première production ensemble. Marc Béland a auparavant dirigé Benoît McGinnis dans Hamlet au TNM. La complicité de leur jeu en témoigne. Par ailleurs, Marc Béland a interprété le rôle d’Yves en 1988 et fait un virage à 180° réussi du personnage passionnel au personnage rationnel. Un article de Jean Siag, paru dans La Presse le 13 septembre 2014, rapporte quelques paroles de René-Daniel Dubois sur la place du théâtre dans la société québécoise d’aujourd’hui : «Quand je considère l’activité théâtrale au Québec en ce moment, j’ai l’impression de visiter le village fantôme de Val-Jalbert.» L’article porte un titre bien lourd: «La mort du théâtre.» Souhaitons tout de même longue vie à Being At Home With Claude, car elle constitue sans doute un exemple marquant du théâtre de création au Québec. x

Being At Home With Claude Théâtre du Nouveau Monde Du 16/09 au 11/10/2014

Événement

Cointreau-fizz, nouveaux projets Le Délit était au lancement du sixième numéro du magazine de référence.

Kary-Anne poirier

L

a soirée débute ainsi pour les adeptes qui assistent au 5 à 7 du lancement du sixième exemplaire de Nouveau Projet, «Régénérescence»: l’ambiance est effervescente au Centre Phi du Vieux-Montréal. La lumière traverse les grandes fenêtres de la salle. L’atmosphère, quant à elle, est chaleureuse et détendue. Ça échange d’un côté. De l’autre, de belles rencontres se développent parmi les curieux, les collaborateurs ou simplement les supporters. L’actrice Émilie Bibeau (on peut notamment l’apercevoir chaque semaine incarnant le personnage de Lucie dans Unité 9) et l’auteur Olivier Kemeid, metteur en scène et directeur artistique de la compagnie Trois Tristes Tigres, sont chargés de l’animation. La soirée est agrémentée d’une présentation sur écran de textes et d’images tirés de l’exemplaire que mettait en avant la soirée. Les textes? Purs. Les images? Nettes. Les gens présents ont la chance d’entendre quelques extraits du

magazine pour confirmer la chose. Entre autres, Sarah Berthiaume et la poésie qu’elle livre dans Les tasses de café tiède: «Beaucoup de café a déjà été bu et beaucoup de miettes de toast sont venues mourir sur la nappe mais il vous semblait qu’il fallait encore étirer le matin faire comme si vous pouviez passer vos vies autour d’une table à ne rien faire à être riches et beaux et insipides comme des personnages de Denys Arcand. Et maintenant Deux tasses de café tiède Tournoient côte à côte Dans le micro-ondes Illuminé Pour l’occasion» Le texte de Nicolas Langelier, éditeur et rédacteur, est en fait une préface par excellence pour une édition qui s’intitule «Régénérescence»: «Nous cherchons des trucs, des aides, des expédients pour nous permettre de soutenir la cadence, de continuer à produire et à ne pas

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stagner, et ce, le plus facilement possible […]. Alors on boit de l’eau vitaminée et des smoothies au kale et du bourbon artisanal. On fait des cures, des jeûnes, des séances de formation. On lit Matthieu Ricard et Alain Botton et Gwyneth Paltrow, on met La méditation pour les nuls sur la table de chevet et une application de biohacking sur notre téléphone.» Le tout est suivi d’une prestation de David Giguère. Il s’exécuta en glissant deux titres de son album Casablanca dont «La pornographie». L’événement permet effectivement au magazine de rassembler tout ce beau petit monde afin de remercier les nombreux donateurs et lecteurs pour les encourager à continuer d’accorder leur soutien au magazine et aux autres projets qui s’y rattachent. Cet été, le magazine avait dû faire appel à la générosité de ses lecteurs suite à la faillite de son distributeur Les Messageries Benjamin. Olivier Kemeid, metteur en scèene, s’est permis de mentionner le fait qu’au fond, tout le monde «se réjouit

cécile amiot

qu’il ne s’agisse pas d’une dégénérescence, mais bien de régénérescence». Ce n’est pas qu’un magazine, c’est également la collection d’essais «Documents». Chacun est publié deux fois l’an et dirigé par Atelier 10. Ils sont composés de sujets culturels et sociétaux pour mieux comprendre les enjeux de

notre époque. À partir d’octobre prochain, Atelier 10 présentera également la nouvelle collection «Pièces», une série d’histoires faites par différents dramaturges québécois. Nouveau Projet, on l’adopte pour son contenu recherché, ses horizons multiples et ses collaborateurs distingués. x

Culture

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PROSE d’idées

La Scala en carton pâte Nabucco ouvre la session de l’opéra de Montréal.

baptiste rinner

Le Délit

O

n peut dire que la soirée avait mal commencé. Pris dans la lecture du dernier Quartanier, La revanche de l’écrivaine fantôme de David Turgeon, je m’étais mis en retard pour la représentation de Nabucco de Verdi à l’Opéra de Montréal, prévue à 19h30. Le temps de repasser une chemise et d’enfiler un costume de circonstance, j’étais dehors, au pas de course, direction Place des Arts. Pressé par les appels incessants de mon collègue, j’arrivais juste à temps, le spectacle pouvait commencer. Montréal, 2014. Deux jeunes étudiants de l’Université McGill se dirigent vers l’entrée de la salle Wilfried-Pelletier du complexe de la Place des Arts. Quelques instants plus tard, ils se faufilent entre les costumes d’époque et les employés de l’opéra vêtus pour l’occasion d’un bel ensemble deux-pièces couleur ocre, comme la terre de RolandGarros et la couverture du dernier livre de David Turgeon. «Excuseznous mesdames! Merci. Voilà.» Les deux compères sont assis au fond de leur siège. Le temps de lire le mot d’introduction très personnalisé du maire Denis Coderre et le spectacle peut commencer. Milan, 1842. Des aristocrates en tenue de soirée arrivent au théâtre de La Scala au milieu d’une troupe de soldats de la première division d’infanterie du royaume lombardo-vénitien. Champagne, rires et parures inestimables sont de la partie, comble du snobisme. Nos amis prennent place dans les loges d’époque alors que les premières

Yves renaud

notes du prélude retentissent. Le spectacle peut enfin commencer. Jérusalem, 6e siècle avant J.-C. Les esclaves juifs de l’empire néobabylonien de Nabuchodonosor II se réfugient dans le Temple de Salomon pour échapper aux troupes de l’empereur. Les Hébreux tiennent la fille de ce dernier en otage. Quand il fait irruption dans le temple, le grand prêtre menace de la tuer, mais Ismaël, le neveu du roi des Hébreux, s’interpose, étant amoureux d’elle. Classique schéma de narration lyrique, auquel s’ajoute le type du triangle amoureux, complété par la fille aînée de Nabucco, Abigaille. Montréal 2014. Entracte. Les deux compères font comme bon nombre de spectateurs pendant cette courte pause et sortent de la salle de spectacle pour aller prendre un verre. S’ensuit un moment de réflexion sur les différents personnages qui composent ce beau spectacle qu’est une soirée à l’opéra; la petite vieille boulotte qui suit son mari portant un costume mal taillé, le groupe de «jeunes pros» venus à l’opéra comme s’il se rendait dans une salle de cinéma et deux

Italiennes qui ont fait un effort, c’est vrai, mais desquelles ne se dégageait qu’une vague senteur d’élégance féminine. Certainement, le public de La Scala en 1842, c’était autre chose. Étant des jeunes hommes prévoyants, nous avons le temps de discuter du début difficile de l’orchestre, de la synchronisation avec les chanteurs et de la montée en puissance du spectacle au fur et à mesure de son avancée avant la reprise de l’acte II. On remarque des écrans côté cour et côté jardin nous montrant des images exclusives des coulisses. Nous qui n’étions venus que pour le spectacle. Reprise. Veuillez éteindre vos téléphones portables. C’est alors que notre voisin sort le sien, alors même qu’Abigaille se lamente sur scène. Stupéfait, je n’ose lui suggérer de l’éteindre, même si je ne comprends pas pourquoi aller s’enfermer à l’opéra si c’est pour ne pas décrocher du fil de notre monde moderne. J’ai à ce moment-là une pensée pour la femme qui accompagne ce curieux monsieur, me demandant s’il lui prête autant d’attention qu’à l’opéra de Verdi.

La Scala, 1842 ou Babylone, 6e siècle avant J.-C., je ne sais plus. Après l’intrigue amoureuse, place à l’intrigue politique! Que serait un opéra verdien sans des personnages en quête de pouvoir? On a droit aux deux sœurs qui, non contentes de se disputer le même homme, se disputent la couronne de l’empire après la mort annoncée du père. Renversement de situation! Nabucco revient d’entre les morts, sa disparition n’était qu’un bruit qui court, et il reprend sa couronne. Montréal, 2014. Je saute quelques péripéties — ce sont les joies du sommeil à l’opéra — pour arriver au moment tant attendu, l’hymne patriotique Va pensiero que les Italiens de La Scala auraient chanté tous en cœur, reconnaissant dans le cri des Israélites l’appel du Risorgimento. Ô joie du discours historique. La Scala, 1842. Après un dénouement alambiqué et avec quelques longueurs (Nabucco s’autoproclamant Dieu, la folie subséquente de Nabucco, sa conversion au judaïsme, la prière collective à Jéhova, le suicide d’Abigaille et la mort inexpliquée du personnage

éponyme) ponctué il est vrai par des performances solistes de premier rang, le public est aux anges, à tel point que la vieille duchesse autrichienne s’emporte et lance au ténor une rose rouge depuis sa loge. Il n’en fallait pas moins pour l’énerver. L’acteur confronte l’assistance, et accompagné de ses camarades milanais, il entonne le Va pensiero, que les Italiens de la salle WilfridPelletier auraient chanté tous en cœur, reconnaissant dans l’appel du Risorgimento, le cri de la liberté. Ô joie du discours historique. Montréal, 2014. Pendant le rappel de La Scala, le chœur agite des drapeaux tricolores anachroniques. Qu’importe, on n’est pas à ça près. L’historien Roger Parker explique dans un livre sur Verdi publié en 1997 à Parme que la chanson demandée par le public de La Scala est l’hymne à Jéhova et non Va pensiero. Oui, mais si on démontre cette affirmation, que l’épisode tant glosé du Va pensiero n’est qu’une fabrication historique, qu’en est-il du discours sur Verdi comme père de l’unification italienne? Ma voisine ne se serait sûrement pas écriée «C’est beau!» à la fin du rappel. x

tôt avec les poursuites judiciaires dont le livre Noir Canada a été la cible. Pour sa rentrée littéraire, on retient notamment la publication de Libres d’apprendre, un ouvrage collectif sous la direction de Gabriel Nadeau-Dubois, lancée officielle à la soirée de l’Upop la veille (cf : article de Nadia Lemieux page 6). À lire aussi, La tyrannie de la valeur, dirigé par Éric Martin et Maxime Ouellet, analyse marxiste à travers la médiation du travail, de l’argent et du temps abstrait que les humains passent à travailler. Enfin, les Éditions Nota Bene closent le bal. Passation de pouvoir dans cette maison d’édition, où un triumvirat prend les rênes de la direction. Cependant, seul Nicolas Lévesque, également

auteur, est présent ce soir. Il cite notamment l’ouverture d’une nouvelle collection, «Philosophie continentale», avec comme première œuvre Axelos et le jeu du monde de Michel Malette. Fils de l’écrivain Claude Lévesque, Nicolas Lévesque explique au Délit: «Mon père est un peu celui qui a amené la philosophie continentale, issue de la philosophie française et allemande, au Québec. Cette philosophie est encore très peu connue ici, mais elle mérite d’être défendue. Je reprends le travail de mon père ici.» Alors que la soirée arrive à son terme, le duo de libraires de Gallimard annonce d’autres rendez-vous de ce type à venir, invitant tous ceux qui ont apprécié à renouveler l’exercice. Avec plaisir. x

Lancement

Speed-dating littéraire Rentrée des essais à la librairie Gallimard. Arthur corbel Ce soir, honneur aux essais! En plein lancement de la saison littéraire, la librairie Gallimard du boulevard Saint-Laurent organisait jeudi un événement dédié à ce genre trop souvent ignoré. Dans ce lieu bien connu des francophones et francophiles, quatre maisons d’édition sont invitées à présenter leur nouvelle collection. Pour ce faire, les deux libraires innovent: à tour de rôle, ils interrogent le représentant d’une des maisons, autour d’une table ronde disposée face au public. Ambiance de speeddating, donc. La soirée débute avec la maison Liber. Leur représentant décrit la maison comme un éditeur différent, proposant un cadre

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Culture

plus chaleureux pour les artistes: «Laurent-Michel Vacher, Pierre Bertrand… De grands noms sont passés chez nous. C’est parce que leur activité philosophique peut s’y exprimer. Les auteurs trouvent leur compte chez nous.» «La maison prime sur l’édition», complète le libraire qui l’interroge. Place à monsieur LouisFrédéric Gaudet, éditeur chez Lux. Et n’oublions pas notre changement de libraire, comme le veut le concept de ce soir. Lux est un éditeur qui s’est fait connaître dans les domaines tels que l’histoire des Amériques et la politique, mais qui s’attache aussi à la littérature, du théâtre au conte. Notre nouveau libraire-interviewer cite par exemple le nom d’Eduardo Galeano, passé chez Lux. Monsieur Gaudet

annonce la saison littéraire, citant d’abord le livre L’armée indigène de monsieur Jean-Pierre Le Glaunec, présent ce soir. Cette œuvre, fruit de plusieurs années de recherches, raconte le gain de son indépendance par Haïti face aux armées napoléoniennes. Un livre à venir: Soeurs volées, signé Emmanuelle Walter, (passée à Libération, France 3, France 5 et au Nouvel Obs)se penchera sur la disparition des femmes autochtones au Canada. Enfin, clou de cette présentation, Démocratie.com d’Astra Taylor, pas encore disponible pour le grand public, est mis en vente de manière inédite pour les invités présents ce soir. La parole revient aux Éditions Écosociété, au centre de l’actualité quelques années plus

le délit · le mardi 23 septembre 2014 · delitfrancais.com


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