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Semaine des Premières Nations à McGill Page 3
Le mardi 24 septembre 2013 | Volume 103 Numéro 03
Plus timbré-e-s que La Poste depuis 1977
Volume 103 NumĂŠro 03
Éditorial
Le seul journal francophone de l’UniversitÊ McGill
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Commission sur commission Camille Gris Roy Le DĂŠlit
Une nouvelle commission, qui ne fait pas l’unanimitÊ, voit le jour au QuÊbec: les audiences publiques de la Commission MÊnard ont dÊbutÊ hier matin, le 23 septembre. En mai dernier, l’annonce par le Parti QuÊbÊcois de la crÊation d’un comitÊ spÊcial pour l’examen des ÊvÊnements du printemps 2012 n’avait pas fait vive impression. La Commission MÊnard (du nom de l’ancien ministre pÊquiste de la SÊcuritÊ publique, qui la prÊside) avait fait l’objet de nombreuses critiques, qui visaient à la fois son mandat, sa durÊe, ses procÊdures. Plus prÊcisÊment, le mandat de cette commission est d’analyser les circonstances des manifestations et des actions de perturbation tenues au QuÊbec au printemps 2012 et identifier les facteurs ayant contribuÊ à la dÊtÊrioration du climat social et Êvaluer les impacts des ÊvÊnements du printemps 2012 sur la population. Elle devra formuler des recommandations dans un rapport rendu au plus tard le 23 dÊcembre prochain. Soit‌trois mois seulement après le dÊbut des audiences publiques! La commission entend examiner ces ÊvÊnements en profondeur a dit Serge MÊnard dans son discours d’ouverture lundi matin. Certes, on ne remet pas en cause leur bonne foi. Mais en si peu de temps? C’est un si gros mandat pour une toute petite commission. Quand on sait que, seulement à MontrÊal - Serge MÊnard le rappelle – entre fÊvrier et septembre 2012, il y aurait eu 532 manifestations, impliquant environ 750 000 manifestants et 34 272 policiers. Et 12 opÊrations d’arrestations de masse ont donnÊ lieu à 2 255 arrestations. Sans compter toutes les autres manifestations au QuÊbec. Rien que pour examiner les ÊvÊnements, et surtout les arrestations massives de Victoriaville en mai 2012, il faudrait prendre des mois. Les dÊfis à relever sont de taille, a dÊclarÊ le PrÊsident de la commission lundi matin dans son discours d’ouverture. Effectivement, Monsieur MÊnard. Surtout qu’il n’y aura aucune enquête policière. Aucun interrogatoire ni contre-interrogatoire. Pas d’examen du code de dÊontologie des policiers. Alors à quoi servira rÊellement cette commission? Serge MÊnard a bien soulignÊ le fait que les
pratiques policières seraient examinÊes. Mais il ne suffit pas de le faire de manière informelle, comme le propose le comitÊ. La FÊdÊration Étudiante Universitaire du QuÊbec (FEUQ) et la Coalition large de l’Association pour une solidaritÊ syndicale Êtudiante (CLASSÉ) (maintenant l’Association pour une solidaritÊ syndicale Êtudiante (ASSÉ)) avaient rÊclamÊ une rÊelle enquête publique sur les comportements des policiers, notamment sur les arrestations massives. La violence policière, grosse source de conflit lors des ÊvÊnements de 2012, ne sera pourtant pas formellement investiguÊe. D’ailleurs, l’ASSÉ, en dÊsaccord avec la mission de cette commission, a refusÊ de comparaÎtre. C’est dommage que l’un des acteurs importants des ÊvÊnements du printemps 2012 ne participe pas aux dÊmarches. Mais à cette commission il n’y a aucune obligation: aucun tÊmoin ne sera contraint de venir parler. Toutes les voix ne seront donc pas entendues. EfficacitÊ? L’ancienne prÊsidente de la FEUQ a tout de même choisi de venir y parler. Hier, Martine Desjardins Êtait en effet la première à tÊmoigner. Elle a livrÊ un tÊmoignage intÊressant, à propos de l’arrogance du gouvernement libÊral de l’Êpoque. Selon elle, si le gouvernement Charest avait mis un peu plus d’eau dans son vin, on aurait peut-être, sans doute, ÊvitÊ tout ce conflit. Il y avait une porte de sortie a dit Martine Desjardins. Mais les Êtudiants ont ÊtÊ sous-estimÊs et pris de haut. MalgrÊ tout, pour l’instant, les audiences de la commission en sont à leurs tous premiers pas et il est difficile de bien juger aujourd’hui quelle sera rÊellement son utilitÊ. Ce qu’on peut constater cependant, c’est que le PQ semble ne pas avoir vraiment dÊfini une ligne claire pour reparler des ÊvÊnements du printemps 2012. On fait des rapports, pour faire des rapports. Et on se met en mode recommandation. Un beau Sommet de l’Éducation et beaucoup de mots. Mais à côtÊ de ça, peu d’action et peu de mesures prises. La semaine dernière, le rapport sur la loi-cadre pour les universitÊs sortait (voir l’article Une loi-cadre pour les UniversitÊs dans le DÊlit du 17 septembre 2013) un (Ênième) rapport qui a provoquÊ des dÊceptions, et qui reste au fond peu concret. Alors oui, le PQ parle d’Êducation. Il crÊÊ des commissions, il convoque des experts, il exige des rapports. Mais le parti, qui se prÊsentait comme dÊfenseur des Êtudiants au printemps 2012, est encore au tout dÊbut du chemin qu’il avait dit qu’il tracerait.  [
RÉDACTION 3480 SVF .D5BWJTI CVSFBV #t MontrÊal (QuÊbec) H3A 1X9 TÊlÊphone : +1 514 398-6784 TÊlÊcopieur : +1 514 398-8318 RÊdactrice en chef rec@delitfrancais.com Camille Gris Roy ActualitÊs actualites@delitfrancais.com Chef de section Alexandra Nadeau SecrÊtaire de rÊdaction Sophie Blais Arts&Culture artsculture@delitfrancais.com Chef de section Thomas Simonneau SecrÊtaire de rÊdaction Joseph Boju SociÊtÊ societe@delitfrancais.com Chef de section Côme de Grandmaison Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com ThÊo Bourgery Coordonnateurs visuel visuel@delitfrancais.com Camille Chabrol Romain Hainaut Infographie infographie@delitfrancais.com Vacant Coordonnatrices de la correction correction@delitfrancais.com Claire Launay Anne Pouzargues Coordonnateur Web web@delitfrancais.com Mathieu MÊnard Coordonnateur des rÊseaux sociaux rÊso@delitfrancais.com Mathilde Michaud Journalistes Karim Amar, Cecile Amiot, Emilie Blanchard, Thomas Birzan, Alexis De Chaunac, Gabriel Cholette, LÊa Frydman, Camila Gordillo, Luce Hyver, StÊphany Laperrière, Aliaume Leroy, MickaÍl Lessard, Édouard Paul, Julien Perthuis, Apolline Pierson, Baptiste Rinner, Alice Tabarin Couverture Image : Cecile Amiot Montage: Camille Chabrol BUREAU PUBLICITAIRE 3480 SVF .D5BWJTI CVSFBV #t MontrÊal (QuÊbec) H3A 1X9 TÊlÊphone : +1 514 398-6790 TÊlÊcopieur : +1 514 398-8318 ads@dailypublications.org PublicitÊ et direction gÊnÊrale Boris Shedov Photocomposition Mathieu MÊnard et Geneviève Robert The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Anqi Zhang L’usage du masculin dans les pages du DÊlit vise à allÊger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.
Les opinions exprimÊes dans ces pages ne reflètent pas nÊcessairement celles de l’UniversitÊ McGill.
2 Éditorial
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CAMPUS
Présence autochtone
Le traditionnel Pow Wow donne le coup d’envoi de la semaine des Premières Nations à McGill. Camila Gordillo
L
e 20 septembre dernier a été riche en émotions et en couleurs avec les festivités du Pow Wow sur le Lower Field du campus de l’université. Présentée par la Maison des Peuples Autochtones de McGill, la célébration a donné un aperçu de la culture des peuples autochtones nordaméricains. Habillés de vêtements traditionnels, les différents participants ont entamé la cérémonie par des danses intertribales rituelles et des chants gutturaux inuits, une compétition de la «danse fumée» et enfin un discours prononcé par l’Aîné Alex Sonny Diabo. Esprit de partage Au rythme des chants et des tambours, les représentants des peuples autochtones et le public en général se sont joints aux danses. Emily Saundercook, étudiante à McGill, dit avoir participé aux danses et s’être sentie «très accueillie et intégrée au sein des rituels culturels des Premières Nations».
D’après Cassondra Barnaby, la danseuse chef de l’événement, le Pow Wow est une occasion de «s’amuser, de sensibiliser et d’accueillir le public ainsi que d’honorer le peuple iroquois et le territoire sur lequel nous sommes». Bien que le Pow Wow soit de nos jours une célébration, il en était tout autrement dans le passé, selon Cassondra. «Durant 300 ans, nous étions rejetés et bannis de nos tribus respectives si nous le célébrions. Se réunir, voir la résistance et la culture, qu’elle est présente et en vie, fait que nous voulons la partager.» Plus qu’un spectacle «Souvent, je suis le premier autochtone que les gens rencontrent», témoigne Kakwiranoron Cook, l’administrateur des relations internes-externes de la Maison des Peuples Autochtones de McGill. D’après lui, «il y a beaucoup de sensibilisation qui doit se faire; beaucoup ne connaissent les Premières Nations que dans le sens général du terme». Un autre objectif de cette journée joviale était de briser la glace entre peuples autochtones et non-autochtones. «Mission accomplie», dit Kakwiranoron Cook, car
des étudiants comme Emily Saundercook soulignent avoir beaucoup appris, notamment en parlant à des membres de la nation Mohawk. Le Pow Wow est donc un «premier pas», selon Kakwiranoron Cook, vers l’ampleur du projet qui suit. Le lundi 23 septembre la Semaine des Premières Nations à McGill («Indigenous Awareness Week») a débuté. C’est la troisième édition de cet événement, dont le but est «d’éduquer, d’informer et de sensibiliser» les étudiants, selon Kakwiranoron Cook. De plus, il sera à nouveau question du programme dédié aux Études sur les peuples autochtones, proposé par la Maison des Peuples Autochtones à McGill. Ces efforts sont une réponse à la mauvaise compréhension de certains étudiants quant à la place qu’occupent les peuples autochtones à McGill. Selon Laurent Charles Tremblay Levesque, présent au Pow Wow, «on met en avant le Pow Wow et cet échange interculturel, alors qu’on n’est pas vraiment cohérent à McGill; il n’y a pas de département qui souligne véritablement notre compréhension de la culture autochtone».
Cécile Amiot
À suivre Le Pow Wow s’est terminé en beauté, au son de tambours joués par une douzaine de musiciens et chanteurs. Bien que certains ne comprenaient pas la langue, une énergie s’en dégageait au point d’attirer instantanément une foule autour d’eux. Cette semaine, plusieurs ateliers et conférences sont prévus à l’occasion de la Semaine des Premières Nations. [
Présenté par
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CAMPUS
Bilans et projets Premier Sénat pour la nouvelle Principale de McGill. Anne Pouzargues Le Délit
P
our son premier Sénat en tant que principale, Suzanne Fortier a voulu placer la séance sous le signe des bilans de l’été et de l’année précédente, ainsi que des projets pour les années à venir. Composé de 107 membres élus parmi les élèves, les professeurs et les membres de l’administration, le Sénat de McGill a pour objectif de diriger et superviser les affaires académiques de l’Université. Madame Fortier a tenu, ce mercredi 18 septembre, à rappeler ses priorités à la tête de McGill. Elle a réaffirmé une fois de plus vouloir «être complètement intégrée à la communauté [mcgilloise]» et «gagner la confiance et le respect de tous», ainsi qu’elle l’expliquait la semaine dernière dans une entrevue avec Le Délit (voir Le Délit du 17 septembre 2013, «Suzanne Fortier, premiers pas»). Après un petit récapitulatif de la semaine d’intégration, qui, selon la Principale, a été «très bien reçue à la fois par les élèves, les professeurs et les parents», elle a rappelé qu’il fallait toujours être vigilant et que le respect devait être une des valeurs fondamentales de cette semaine, en référence aux récents débordements ayant eu lieu sur les campus d’autres universités montréalaises cette année. La Principale a ensuite évoqué la Charte des Valeurs, et a tenu à affirmer que McGill resterait toujours un campus inclusif et égalitaire. «La diversité est une des forces de notre Université, et nous ferons en sorte que cela soit toujours le cas», a-t-elle déclaré.
Impact des coupures budgétaires Suzanne Fortier a énoncé quelques chiffres-clés, témoins selon elle de l’importance de McGill et de son rayonnement à l’international: l’Université compte cette année environ 38 000 élèves et est classée respectivement 58e et 21e selon les classements d’universités publiés par Shanghai et par le World Universities Ranking américain. La Principale a ensuite laissé la parole à Anthony C. Masi, Principal par intérim du 30 juin au 5 septembre, entre les mandats de Heather Munroe-Blum et de Madame Fortier, et désormais VicePrincipal executif. Celui-ci est revenu sur les coupures budgétaires que McGill subit cette année, et a reconnu que c’était une période difficile pour le monde universitaire québécois. En comparaison, les universités américaines ont un budget de 38 millions de dollars, qui est supérieur à celui des universités canadiennes et surtout québécoises. Les coupures budgétaires représentent à McGill 5,2% du budget total. Pour remédier à cela, les employés et les professeurs se sont vus proposer des baisses de salaires de 3% à 9% selon les cas. Mais la solution la plus significative est peut-être celle des départs volontaires à la retraite: 255 personnes ont en effet accepté cette mesure. Anthony C. Masi s’est félicité de l’efficacité de cette action: «Le non-remplacement provisoire des personnes parties à la retraite nous a permis d’éviter les licenciements arbitraires», a-t-il déclaré, tout en insistant sur le fait que les efforts allaient malgré tout devoir continuer, et que les postes devraient être remplacés.
Romain Hainaut
Vers l’avenir La séance s’est conclue par une série de rapports touchant différents aspects de la vie universitaire. Marc Weinstein, vice-principal chargé du développement et des relations avec les anciens élèves, a montré les progrès continuels des oeuvres philanthropiques à McGill. Pour l’année 2012-2013, les différentes campagnes ont en effet permis de récolter près de 1 milliard de dollars, et de créer de nouvelles bourses et de nouveaux financements. Marc Weinstein a ensuite annoncé les campagnes de l’année à venir, précisant que «malgré ces réussites, il ne faut
pas lever le pied. Nous devons toujours aller de l’avant». Les comités sur les Enquêtes concernant la Recherche et le Rapport sur la politique contre le harcèlement, le harcèlement sexuel et la discrimination ont enfin tracé les grandes lignes des affaires académiques de McGill pour l’année à venir. Le Sénat s’est ensuite terminé à huis clos, pour discuter du Comité sur les convocations et les diplômes honorifiques. À noter: les séances du Sénat sont désormais visibles en direct sur le site de McGill.[
Réorganisation et Charte L’AÉCSUM tient sa première Assemblée Générale de l’année. Anne Pouzargues Le Délit
C
’est dans un climat d’opposition qu’a eu lieu, mercredi le 18 septembre, la première Assemblée Générale de l’AÉCSUM (Association étudiante des cycles supérieurs de l’Université McGill). À une exception près, le comité exécutif est le même que l’année dernière, les candidats réélus s’étant pour la majorité présentés sans concurrents. La ligne directrice de l’association reste donc sensiblement la même. Trois points ont été abordés durant cette Assemblée Générale. Le comité exécutif a tout d’abord soumis au vote des membres une dizaine de changements concernant la formulation des statuts de leurs postes. Il a ensuite proposé une réorganisation du Conseil de l’AÉCSUM. Ce dernier, qui a lieu tous les mois et qui regroupe les représentants de chaque département, est actuellement composé de 131 membres permanents. Le comité exécutif voudrait réduire ce nombre. Devant l’indécision et le mécontentement de certains, le secrétaire-général Jonathan Mooney a tenu à préciser sa position: «Avoir un Conseil composé de 131 membres, c’est beaucoup trop, a-
4 Actualités
t-il déclaré. L’AÉUM a 40 membres, le Sénat américain en a 100! En réduisant le nombre de conseillers, on aura un Conseil vraiment plus efficace». La nouvelle refonte du Conseil a aussi pour but de rééquilibrer le nombre de conseillers entre les départements, certains s’étant sentis lésés après le dernier remaniement décidé en mars dernier. La motion a finalement été acceptée de justesse suite à environ une demi-heure de débat, durant lequel certains membres de l’AÉCSUM se sont fortement opposés à ces modifications, qui, selon eux, nuiraient à la bonne représentation de chaque étudiant et de chaque département. Charte des valeurs Les deux heures suivantes ont été consacrées à la Charte des Valeurs québécoises proposée par le gouvernement péquiste. Avec sa motion, l’AÉCSUM a voulu trouver une position commune à adopter vis-à-vis de cette charte, tout en incitant la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ), traditionnellement proche du Parti Québécois, à se positionner ouvertement contre la Charte. Gretchen King, ancienne conseillère à l’équité de l’AÉCSUM, a immédiatement
proposé deux amendements: tout d’abord, celui d’envoyer une lettre à la première ministre du Québec Pauline Marois pour spécifier l’opposition de l’AÉCSUM à la Charte, avant que celle-ci ne puisse passer. Cet amendement fut accepté par l’assemblée, avec trois-quarts des votes en sa faveur. Ensuite, Gretchen King a appellé l’assemblée à prendre des mesures de mobilisation et à organiser, dès maintenant, des marches et des manifestations dans chaque département. Cet amendement a lui aussi été amendé, et l’AÉCSUM l’a voté en deux parties: d’une part, elle décide qu’il est nécessaire d’informer tous les étudiants de la décision de l’AÉCSUM et de son opposition à la Charte. Trois-quarts des membres se sont prononcés en faveur de cet amendement. D’autre part, il s’agit de savoir si, oui ou non, l’AÉCSUM commencera dès maintenant à se mobiliser. Ce dernier point a suscité un vif débat, car beaucoup pensent qu’il est trop tôt pour se positionner, la Charte n’étant encore qu’un projet de loi. Le mandat de l’AÉCSUM est aussi remis en cause: cette assemblée doit-elle traiter d’un tel sujet, qui concerne chacun individuellement? Les membres se sont finalement opposés à la mobilisation, rap-
portant le point au prochain Conseil de l’AÉCSUM. Après ces amendements, l’assemblée est retournée à la motion principale quant à la position de l’association contre la fameuse Charte. Là encore, beaucoup de membres ont critiqué une motion maladroite et peu rigoureuse. Félix-Antoine Lorrain, représentant de l’Association des étudiant(e)s en langue et littérature françaises inscrit(e)s aux études supérieures (ADÉLFIES), a remis en question la rigueur de certaines clauses, notamment la dernière, qui qualifie la proposition d’«égoïste et démagogique plutôt que fondée sur des principes». À l’issue d’un long débat, la motion principale a finalement été aussi acceptée, avec trois-quarts des votes en sa faveur. Enfin, cette première Assemblée Générale s’est clos sur une motion qui propose que l’AÉCSUM encourage la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) à étendre ses programmes à l’ensemble des étudiants internationaux. Cette proposition est votée à la quasi-unanimité, avec seulement un vote contre. Entre 150 et 200 membres ont participé à cette Assemblée Générale. La prochaine aura lieu au semestre d’hiver. [
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CAMPUS
Le ciel de McGill
AstroMcGill présente le premier «Public Astro Night» de la session. Stéphany Laperrière
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ne centaine d’amateurs d’astrophysique ont assisté au premier «Public Astro Night» de la session, le 19 septembre dernier au pavillon Rutherford. Lors de cette soirée organisée par AstroMcGill, le Dr. Duncan Hanson a présenté au public le résultat de son travail sur la détection des signaux B-mode. Ces signaux décrivent les variations dans la rotation de la polarisation du rayonnement de fond cosmologique (CMB), un vestige du Big Bang. «La physique tente d’expliquer des concepts avec d’autres concepts que nous ne comprenons pas entièrement», affirme Dr. Hanson en référence à l’utilisation de la mécanique quantique pour analyser les variations du CMB. Les signaux B-mode pourraient, entre autres, permettre de confirmer la théorie de l’inflation cosmologique selon laquelle l’univers aurait connu une phase d’expansion très rapide au début de sa création. Suite à la conférence du Dr. Hanson, les membres de l’assistance qui le désiraient ont pu admirer les étoiles à partir de l’observatoire MacPherson situé sur le toit du pavillon Rutherford. Certains ont fait la connaissance d’Albireo, une étoile double dans la constellation du Cygne.
BRÈVE/CAMPUS
Lorsque la météo et le ciel le permettent, les anneaux de Saturne, les couleurs de Jupiter et les croissants de Vénus peuvent être observés. «Les observations sont différentes à chaque fois», affirment Guillaume Goffaux et Rocio Philipps, deux habitués des «Public Astro Nights». Si les «Public Astro Nights» sont très instructifs pour le public, ils sont aussi formateurs pour les professeurs, stagiaires postdoctoraux et étudiants au doctorat qui y sont invités en tant que conférenciers. «C’est important pour tous les étudiants en astrophysique de savoir parler au public, pas simplement à des collègues», soutient Sébastien Guillot, membre fondateur d’AstroMcGill et étudiant au doctorat en astrophysique à l’Université McGill. La recherche en astrophysique Ces rendez-vous nocturnes offerts par AstroMcGill sont nés d’un désir de rendre l’astrophysique plus accessible au public, un domaine qui, à défaut d’en parler, peut être «assez obscur», raconte M. Guillot. Malheureusement, peu nombreux sont ceux qui ont l’occasion de percer ses mystères, la recherche en astrophysique étant très compétitive. Selon le doctorant, il est difficile de se trouver des stages postdoctoraux et les postes permanents se font encore plus rares.
Dr. Hanson, quant à lui, a remarqué que la recherche en astrophysique perdait de son charme aux yeux des nouveaux diplômés qui font leur entrée aux cycles supérieurs. «C’est moins fascinant qu’il y a 30 ans», confie l’astrophysicien au Délit. «Une grande partie de notre travail consiste à confirmer des choses qui étaient déjà connues ou à les mesurer avec plus de détails». Néanmoins, Dr. Hanson se montre optimiste face au futur de ce domaine. «On fait toujours un pas en avant, jamais en arrière», dit-il. À surveiller au cours des prochaines années en astrophysique: le lancement du télescope spatial James Webb prévu pour 2018 et la construction du premier télescope terrestre de 30 mètres de diamètre par l’équipe du TMT Observatory Corporation. Ce télescope, trois fois plus large que les plus grands télescopes terrestres actuels, utilisera l’optique adaptative pour corriger la distorsion créée par l’atmosphère dans les signaux recueillis à partir de la Terre. «Grâce à l’optique adaptative et à la taille du télescope qui ne peut être égalée par les satellites, il sera désormais possible d’obtenir de meilleurs résultats à partir de la Terre qu’à partir de l’espace», rapporte Sébastien Guillot. Ce télescope extrêmement large (ELT), dont la construction à Hawaii devrait être terminée
d’ici 5 ans, permettra d’observer des galaxies encore plus lointaines. Il y a deux autres projets de construction de télescopes extrêmement larges, tous deux seront situés au Chili. Les «Public Astro Nights» ont lieu tous les troisièmes jeudis du mois au pavillon Rutherford. L’heure du rendez-vous varie entre 19h et 20h30. [ Sébastien Guillot
MONTRÉAL
Pour la Charte
Le service de santé mentale restera Les partisans de la Charte des Valeurs prennent la rue. gratuit Alice Tabarin & Léa Marcel
Sophie Blais Le Délit
L
e service de santé mentale de McGill a révoqué le frais de 20 dollars d’inscription annoncé au début du semestre pour les étudiants utilisant la clinique. Lors de la réunion du Comité consultatif sur les frais qui s’est réuni le jeudi 18 septembre, il a été décidé que le frais constituerait un frais obligatoire et devrait donc être soumis à un référendum étudiant. Suite à cette décision, et compte tenu de l’importance du service pour la communauté mcgilloise, le vice-principal exécutif adjoint Olivier Dyens, et Jana Luker, la directrice des Services aux étudiants, ont fait savoir que l’Université se débrouillerait sans le frais d’inscription. Ils ont également insisté sur le fait que l’éventail de services ne sera pas réduit. Le futur du financement du service de santé mentale sera abordé lors de la réunion conjointe du Conseil des gouverneurs et du Sénat le 12 novembre prochain. [
S
urplombant les centaines de manifestants rassemblés en ce dimanche 22 septembre dans le parc ÉmilieGamelin, des banderoles affichent des slogans tels que «La religion c’est dans le cœur et non pas sur la tête» ou encore «La beauté féminine ne doit pas être cachée». La foule est venue témoigner de son soutien au gouvernement dans son projet de Charte des Valeurs québécoises. Cette dernière, proposée par le Parti Québécois (PQ) de Pauline Marois, vise à réaffirmer le traitement égal et équitable des citoyens du Québec, ainsi que la neutralité religieuse de l’État. Elle comporte cinq propositions clairement exposées sur le site du gouvernement. Ce projet de loi, officiellement présenté le 10 septembre dernier, divise les Québécois. Preuve en est qu’une semaine après la manifestation contre la Charte à Montréal, un rassemblement en sa faveur prenait place au même endroit. Parmi les personnes présentes et interrogées, les discours tenus varient mais s’articulent essentiellement autour de deux axes. Les uns défendent les droits des femmes tandis que les autres rejettent une montée de l’Islam dans la société. Quel que soit le principe sur lequel les manifestants fondent leur opinion, tous sont là pour condamner le port du voile avec vigueur. Fatima et Louise, deux manifestantes, font part de leur aversion pour le port du voile, vêtement qu’elles caractérisent de «très réducteur pour la femme, qui incarne la soumission et l’infériorité face aux
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hommes». Pour la première, le voile reflète une volonté de différenciation culturelle vis-à-vis de la société québécoise, ne devant en aucun cas être affichée publiquement. Fatima affirme qu’ «afficher [le voile] c’est se renier et renier ses libertés, que des femmes meurent au MoyenOrient dans leur combat contre le port du voile». Pour Louise, féministe engagée depuis des années dans des luttes pour l’égalité hommes-femmes au travail, pour le droit à l’avortement, le port du voile représente une régression des libertés de la femme dans la société. Ces féministes
Karim Amar
assurent ainsi respecter toutes cultures et religions, mais refusent le port de signes religieux ostentatoires, particulièrement le voile, aussi bien dans les lieux publics qu’au sein du gouvernement. Sylvie et Pierre, quant à eux, manifestent pour cette Charte afin de prévenir et d’empêcher l’islamisation du Québec. Un problème, comme ils l’assurent, qui est de plus en plus mondialisé. Le panneau brandi par Sylvie est une image qui résume sa pensée générale. Différents voiles musulmans y sont barrés d’une croix rouge. Hijab, niqab et burqa sont pour elle de véritables «prisons portatives», matérialisant la charia. Elle soutient que le port du voile est une provocation et qu’en aucun cas, les musulmans vivant au Québec ne devraient l’afficher. «Ils se doivent de respecter les valeurs de laïcité québécoise et de s’adapter à la culture du pays où ils vivent. Si ça ne leur convient pas qu’ils aillent ailleurs!», dit-elle au Délit. Partageant cette même peur de la propagation de l’Islam, Pierre, accompagné de sa famille, défend qu’en adoptant cette Charte et en empêchant l’Islam de prendre place au sein de l’État, il prévient le risque d’instauration de lois religieuses nuisant au statut de la femme qu’il considère comme son égale. «C’est un traitement dégueulasse de la femme», explique-t-il. Ainsi, pour ces divers manifestants en faveur de la Charte des Valeurs québécoises, c’est le voile qui dérange. C’est le point le plus brûlant de cette Charte qui crée une véritable agitation politique et se trouve être une source de désaccord entre les Québécois. [
Actualités
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MONTRÉAL
La paix à Montréal
Une marche pour la paix, l’égalité entre les peuples et la non-violence. Apolline Pierson
«
Ceux qui aiment la paix doivent apprendre à s'organiser de manière aussi efficace que ceux qui aiment la guerre», a dit Martin Luther King. C'est sur ces paroles qu’a eu lieu le départ de la marche pour la paix et l'unité à Montréal le samedi 21 septembre, dans le cadre de la journée internationale de la paix. Cette manifestation pacifique est célébrée dans diverses villes du monde, depuis sa création par l'Organisation des Nations Unies (ONU) en 1981. La cinquantaine de manifestants présents, munis de pancartes colorées dessinées par des enfants, ont remonté la rue Saint-Laurent depuis le métro Place-d'Armes. Des manifestants en tous genres Le groupe rassemblait des personnes de tous âges et milieux sociaux: de la députée de Laurier Sainte-Marie, Hélène Laverdière, à la Miss Earth Québec 2013, en passant par toutes une variété d'associations promouvant la paix dans le monde. Le Délit en a rencontré quelques-unes. Camille Chabrol
Cercle de Paix est l'association principale à l'origine des événements autour de la Journée internationale de la paix à Montréal, renomée Pacifest («Festival de la paix»). Richard Binette, directeur général et vice-président trésorier de l'organisme, explique que «cette journée a pour visée première de promouvoir une culture de paix – apolitique, areligieuse et inspirée de Gandhi». Ainsi, l'association ne se préoccupe pas directement des problèmes d'actualité, mais recherche davantage à promouvoir la paix dans son sens plus global. Words of Peace, une autre association inspirée par Prem Rawat, ambassadeur indien de la paix dans le monde, explique, dans une logique assez similaire, que la paix doit d'abord être intérieure. «Quand les gens seront en paix, le monde sera en paix» est une philosophie préconisée par Prem Rawat. Des membres d'Humanité Unie, mouvement citoyen au Québec, disent que le message important porté par cette marche est de «se reconnaître au-delà de la nation comme êtres humains, car ce qui nous rassemble tous est beaucoup plus puissant que ce qui nous divise». Une manifestante interrogée, nous exprime aussi son souhait que «cette action pour la paix se poursuive au-delà de la journée». Manque d’organisation L'événement Facebook signalait quelques 200 participants, mais seulement une trentaine se sont présentés. Une des possibles raisons est l'éparpillement à travers Montréal des différents événements liés à la Journée de la paix. Le programme officiel de cette journée prévoyait, à 7h du matin, qu’on fume le calumet de la paix au jardin botanique, et à 10h, une pratique de yoga devant la Basilique Notre-Dame. Une chorale chantait les mérites de la paix devant le
métro Sherbrooke et des animations pour les enfants étaient prévues toute la journée au métro Mont-Royal. À quelques centaines de mètres à peine se tenait une manifestation contre le militarisme, la politique d'Harper et l’intervention en Syrie. Les deux mouvements, aux visées assez similaires, se sont déroulés dans l'ignorance l’un de l’autre. [
Luce Hyver
BRÈVE/MONTRÉAL Anti-Guerre Aliaume Leroy Le Délit
À
l’occasion de la Journée internationale de la paix, le samedi 21 septembre, une trentaine de personnes se sont rassemblées à 13h30 au Square Dorchester pour protester contre la montée du militarisme au Canada. Militants, grandmères du groupe «les Mémés Déchaînées» et casseroles étaient au rendez-vous. Près de la petite foule, six voitures de police observaient le rassemblement. Échec à la guerre L’événement était organisé par le collectif Échec à la guerre, un organisme montréalais qui regroupe plusieurs organisations non-gouvernementales et qui s’oppose à toute guerre. Comme on peut le lire sur un tract distribué lors de la manifestation, Échec à la guerre tente de dénoncer le «credo de Stephen Harper et de son gouvernement: pour eux, la paix n’est, finalement, qu’un produit de...la guerre!» L'association organisera d'autres actions concrètes. Le collectif vient en effet de lancer la campagne «coquelicot blanc» pour le
11 novembre. Le principe: s’opposant au coquelicot rouge, la couleur blanche a pour but de rappeler à chacun les victimes civiles des conflits Certaines personnes étaient présentes pour dénoncer une possible intervention en Syrie. Serge Lachapelle, manifestant, membre du Parti marxiste-léniniste et ancien étudiant à McGill en littérature française, dit s’opposer à toute action internationale en Syrie. Pour lui, une telle entreprise sonnerait comme une intervention colonialiste, «le fardeau de l’Homme Blanc». Près d’un banc, un groupe de dames âgées répètaient des chansons. Faisant parti du groupe «les Mémés Déchainées», ces femmes ont pour objectif de promouvoir «la Paix, la Justice sociale, le Respect des Droits Humains, le Respect de l’Environnement, le Développement durable, POUR: L’Instauration d’un Monde meilleur sur notre Mère-Terre». C’est ce qui est écrit sur le tract qu’elles passaient durant la manifestation. Rassemblées pour protester contre la montée du militarisme au Canada, les différentes personnes ont exprimé des opinions et des arguments très variés sur ce sujet. [
MONTRÉAL
101 en lumières Le français est-il en voie d’extinction? Léa Frydman
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ne centaine de personnes sont venues redonner vie à la langue française en dessinant le chiffre 101 symbolique en une chaîne humaine illuminée à la Place des festivals le mercredi 18 septembre. «101», comme le numéro de la loi sur la francophonie adoptée en 1977 qui fait du français la langue officielle de la province québécoise. Chaque participant a reçu un sac isotherme, contenant deux lampes et une fiche explicative pour les mouvements à effectuer. À trois reprises, un caméraman et un photographe sont montés dans le ciel, appareils en main, soulevés par une nacelle. Le public, patient, effectuait les mouvements de bras demandés par les organisateurs. L’événement était organisé par les Partenaires pour un Québec Français (PQF), nouvelle coalition de forces nationalistes et d’associations syndicales, qui veut un coup de communication «artisti-
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que et rassembleur». Sur la page Facebook de l’événement, on pouvait lire que celuici s’inscrivait dans l’optique de rendre «la question linguistique prioritaire aux prochaines élections». Durant les quelques heures de ce ballet de lumières, Karl Ussakoswki, participant passionné par les médias, déplorait la tendance conservatrice presque extrémiste que selon lui les journaux prêtent au mouvement. Lui parle d’une cause «légitime». Guillaume, jeune étudiant qui travaille aux finances du PQF, présent sur place, estime militer contre la disparition du français qui serait «une perte pour le Québec, pour l’Amérique du Nord, dont le Québec est le bastion francophone, tout autant qu’une perte pour l’humanité». À ses côtés, Luc Lemoine, enseignant retraité et ancien directeur d’école chargé de la francisation des nouveaux arrivants au Québec, voit le français dans l’éducation nécessaire, parce que c’est là que se forme la relève du Québec. La province du Québec est la seule francophone du
Canada, et c’est la raison pour laquelle le PQF entend lutter pour promouvoir le français. L’anglais, largement utilisé par les nouveaux arrivants, prend en effet une place de plus en plus importante au Québec, et en particulier sur l’Île de Montréal, où le poids des francophones est passé de 61% à 50% entre 1971 et 2006, selon le Secrétariat à la Politique Linguistique du Québec. Beaucoup scandaient «Le Québec, en français!» mais aussi «Montréal, en français!», puisque la francophonie se défend d’abord dans la deuxième ville francophone du monde après Paris, où vit presque la moitié de la population québécoise. L’Office québécois de la langue française note que l’accueil bilingue a progressé, passant de 1 à 13% dans les commerces en deux ans. «Nous ne sommes pas contre l’idée d’un bilinguisme à l’échelle individuelle, mais pour une francophonie à l’échelle institutionnelle» dit au Délit Mario Beaulieu, président de la société St Jean-Baptiste de Montréal, association
patriotique apparemment très impliquée dans le PQF. L’homme se dit aussi contre «l’écrasante mondialisation». Il dénonce les subventions gouvernementales accordées aux universités anglophones, qui sont, selon lui, disproportionnées et injustes par rapport au poids des francophones au Québec. Pour lui la préservation de la langue, plus qu’un enjeu, est une priorité, une «lutte perpétuelle». [
Camille Chabrol
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POLITIQUE MONTÉRALAISE
Déclin et désengagement
Comment augmenter la participation des jeunes aux élections municipales? Édouard Paul
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ne table ronde portant sur la participation électorale des jeunes au Québec ainsi que dans le reste du Canada s’est tenue lundi le 16 septembre à la Grande Bibliothèque de Montréal. L’événement a été organisé par l’Institut du Nouveau Monde (INM), à la demande d’Élections Canada, dans le cadre de la semaine canadienne de la démocratie. Cette initiative s’inspire de la journée internationale de la démocratie des Nations Unies qui est célébrée le 15 septembre. C’est dans ce contexte-ci, et compte tenu de l’approche imminente des élections municipales générales au Québec, qu’Élections Canada et l’INM ont présenté le sujet du déclin du taux de participation électorale des jeunes. Cinq invités de renom étaient présents à cette table ronde: Marc Mayrand, directeur général des élections du Canada, Alec Castonguay, chef du bureau politi-
que au magazine L’Actualité, Liza Frulla, ancienne ministre et députée, Francois Gelineau, professeur à l’Université Laval, et Cathy Wong, présidente du Conseil des Montréalaises. Geneviève Baril, directrice du développement des compétences et de la mobilisation citoyennes à l’INM, animait la discussion. Marc Mayrand a pris la parole en premier, donnant une courte explication du phénomène en question. Il a d’abord insisté sur le fait que le problème de la baisse du taux de participation électorale des jeunes n’est pas propre au Canada. Il est présent dans toutes les démocraties libérales du monde qui ne rendent pas le vote obligatoire. Selon lui, Il dit que le déclin de la participation des jeunes aux élections a débuté dans les années 1980. François Gélineau dit par ailleurs que le Québec est la province où le déclin est le moins accentué, comparativement aux autres provinces du pays. Toutefois, il
croit que le déclin du taux de participation des jeunes reste préoccupant parce que la première expérience de vote est déterminante: «un électeur, qui, à la première occasion de voter, ne vote pas, a une très forte probabilité de reproduire ce comportement tout au long de sa vie d’électeur et donc, de ne pas voter.» Liza Frulla, quant à elle, croit qu’il faut sensibiliser les jeunes avant qu’ils atteignent l’âge de voter. Elle juge important de faire comprendre aux réticents qu’«en politique, c’est la force du nombre qui fait en sorte que l’on peut exercer le changement», et donc que chaque vote compte. Alec Castonguay croit pour sa part que le manque d’intérêt des jeunes canadiens envers la politique vient de cette façon que les gens ont, de nos jours, de voir la politique comme un objet de consommation. Dans une «societé où on valorise le résultat immédiat», les jeunes ne croient plus en leur capacité à influencer le changement à travers le vote.
Cathy Wong s’est intéressée au cas des premiers votants issus des minorités. Elle se base sur sa propre expérience en tant que fille d’immigrants en provenance du Vietnam. Cathy Wong a parlé du «déchirement identitaire» qui a lieu chez les jeunes issus de minorités et qui n’osent pas exprimer leurs opinions parce qu’ils n’arrivent ni à s’identifier à leur population d’accueil, ni à leur communauté culturelle. Selon Cathy Wong, «on ne peut pas nier tout ce débat identitaire». Parmi les solutions proposées par les intervenants au problème en question, la principale est de sensibiliser les jeunes Canadiens et Québécois à leur devoirs civiques, et ce le plus tôt possible, par des cours d’éducation civique à l’école par exemple. Ouvrir le débat sur le vote obligatoire est aussi une idée. L’organisateur de cette table ronde et chargé de projet à l’INM, Alexandre Warnet, commente: «Si les générations de demain délaissent la participation électorale, quelle legitimité reste-t’il?» [
OPINION
Un joint pour Justin Michaël Lessard
J
ustin Trudeau est le candidat des jeunes. Un profil qu’il construit depuis déjà quelques années. Pour la rentrée scolaire, Trudeau nous avait préparé une révélation surprise: il a déjà fumé de la marijuana. Est-ce dans l’optique de rejoindre les jeunes qu’il a fait cette déclaration? Ou Trudeau participe-t-il plutôt à un changement de mentalité vis-à-vis de l’herbe prohibée? Quoiqu’il en soit, il faut examiner plus en profondeur sa proposition de légalisation du cannabis. Une proposition qui ne passera pas inaperçue aux prochaines élections fédérales. Malgré près d’un siècle de prohibition, plusieurs milliers de Canadiens consomment régulièrement de la marijuana et d’autres produits dérivés du cannabis. L’herbe est plus qu’accessible et sa catégorisation populaire de «drogue douce» évite d’inquiéter ses nouveaux usagers. En 2002, le Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites révèle qu’environ plus de 100 000 Canadiens de plus de 16 ans pourraient avoir un usage à risque tandis que 80 000 personnes en ont un usage excessif. Donc, la criminalisation de la marijuana n’a pas d’effet substantiel sur le nombre d’usagers. De plus, la criminalisation de la marijuana ne permet pas sa régularisation. Par exemple, les boissons alcoolisées étant légales, l’État peux réglementer ses modes de distillation. Ainsi, les méthodes qui pourraient rendre l’alcool dangereux ou en faire un poison sont interdites. Contrairement à l’alcool, les drogues illicites ne peuvent pas être réglementées. Il est donc permis au producteur de marijuana de couper son produit avec tout ce qui lui tombe sous la main. Le danger est donc apparent pour une drogue qui rassemble autant de consommateurs. Sans commenter la criminalisa-
tion de «drogues non-douces», il semble souhaitable de légaliser la marijuana afin de mieux la réglementer. La réglementation assurerait donc un produit meilleur pour la santé que ce qui est présentement en circulation. On peut également souhaiter la légalisation de la marijuana afin de couper une source de revenus aux acteurs du crime organisé. Par le fait même, la taxation de la marijuana créerait également une source de revenu pour l’État. Avec une partie de ces profits, l’État canadien pourrait d’ailleurs mettre en place un programme de sensibilisation aux effets néfastes des drogues. En effet, le Comité spécial du Sénat sur
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les drogues illicites rappelle que le Canada n’a financé une stratégie sur les drogues qu’entre 1987 et 1993. Au-delà de cette réappropriation de profits, il faut également noter que la vente illégale de la marijuana crée chez les jeunes un premier contact avec le monde criminel. Ce contact permet de recruter des jeunes comme revendeurs étudiants dans les écoles du Québec. Face à cette brève révision des avantages de la légalisation, j’ai habituellement tendance à y être favorable. Toutefois, il reste une question à laquelle Justin Trudeau devra répondre afin de me convaincre. Pour un jeune de moins de 18 ans, la marijuana
est facilement accessible. En opposition, les drogues licites, l’alcool et les cigarettes, sont moins facilement accessibles. Il est raisonnable de croire que la légalisation de la marijuana déplacerait ce produit du marché noir vers le marché légal, interdisant alors son accès aux jeunes de moins de 18 ans. Mon inquiétude est donc de savoir ce qui remplacera la marijuana au titre de la drogue facilement accessible. Tout porte à croire que cette drogue aura des effets plus néfastes. La proposition de Trudeau est grisante à première vue. Cependant, à mieux y réfléchir, elle pourrait augmenter l’accessibilité aux drogues dures. [
Romain Hainaut
Actualités
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Société societe@delitfrancais.com
UNE
Avec l’émergence de nouveaux acteurs, Côme de Grandmaison Le Délit
L
e 21 août dernier, des armes chimiques auraient été utilisées en Syrie contre des civils, remettant ainsi au premier plan ce conflit qui déchire le pays depuis plus de deux ans. L’emploi du conditionnel est volontaire, car certains experts réfutent cette «hypothèse», comme le général français Dominique Delawarde dans un article publie sur le site Mondialisation.ca le 12 septembre: «Cette utilisation de gaz dans la ville de Damas n'est tout simplement pas crédible. Il est vrai que "plus c'est énorme, plus ça passe", mais là, la ficelle est un peu grosse». Auparavant, plus de 100 000 personnes avaient trouvé la mort, mais c’est la possible utilisation du gaz sarin qui a récemment «réveillé» les consciences. Il semble donc acceptable de massacrer ses concitoyens, à condition bien sûr de ne pas dépasser la ligne rouge tracée par la communauté internationale: l’emploi d’armes chimiques. Cette absurdité, comme bien d’autres (les massacres tolérés en Afrique ou en Asie), montrent que la diplomatie connaît aujourd’hui ses limites. Impasse diplomatique en Syrie La force diplomatique occidentale, qui s’est longtemps considérée comme le gendarme de la planète et le diffuseur de la démocratie, semble aujourd’hui être face à sa limite: une intervention en Syrie est risquée, car Bachar Al-Assad, comme il l’a déclaré au journal français Le Figaro, est prêt à répliquer en cas d’intervention étrangère: «Dans la mesure où la politique de l'État français est hostile au peuple syrien, cet État sera son ennemi. Cette hostilité prendra fin lorsque l'État français changera de politique. Il y aura des répercussions, négatives bien entendu, sur les intérêts de la France». Qui plus est, une majorité des Français et des Américains s’expriment aujourd’hui contre une intervention, selon de nombreux sondages. Ainsi la diplomatie américano-européenne doit d’une part gérer une crise interne: la population refuse de retomber dans un bourbier tel que l’Afghanistan, que ce soit aux États-Unis ou en France où 59% de la population est opposée à une intervention militaire en Syrie, d’après les chiffres de l’institut britannique de sondages YouGov et de l’Institut français d’opinion publique (IFOP).
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D’autre part, une intervention est compromise au niveau international: d’autres puissances comme la Chine et la Russie ont désormais les moyens de défendre leurs intérêts, militairement mais aussi économiquement. Cela semble ne plus faire de doute: l’ordre diplomatique mondial tel qu’il était au siècle dernier change. De nouveaux acteurs Si cet ordre mondial change, c’est parce que la conception du monde dominé par les ÉtatsUnis, et éventuellement l’Occident, tel que nous le concevions depuis 1991, s’estompe. En effet, comment ne pas voir que la hausse du budget militaire de la Chine, la médiation du Brésil entre l’Iran et la Turquie en 2010 concernant le nucléaire (certes raillées par les États-Unis) ou encore la transformation du G8 en G20 (bien que le G8 n’ait pas disparu) sont les signes de l’émergence d’une diplomatie de l’ex-Tiers-Monde. Un demi-siècle après la conférence des pays «non-alignés» du «Tiers-Monde» à Bandung en Indonésie, en 1955, les pays émergents semblent de plus en plus se faire entendre, et cette fois de manière efficace. Sans parler pour autant d’égalité diplomatique avec les pays Occidentaux (notamment les États-Unis), on note un réel impact de ces pays, notamment au niveau régional. Julie Norman, professeur de Sciences Politiques à McGill et spécialiste du Moyen-Orient, explique au Délit que les pays en dehors du Big Five (le conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies (ONU), qui inclut la France, la Russie, la Chine, le Royaume-Uni et les ÉtatsUnis) sont de plus en plus forts à l’échelle de leurs continents respectifs. Ainsi la Chine, si elle n’est pas encore des plus actives au niveau international, étend son influence diplomatique à toute la zone Asie-Pacifique. L’auteure de Géopolitique des pays émergents, Sylvia Delannoy, professeure d’Histoire au Lycée Français de Singapour, indique par exemple que «la Chine cherche à se doter d’une marine moderne avec une réelle capacité de projection», pour à terme contrôler les détroits, et Taïwan. Dans ce cas, la Chine «croise ainsi ses ambitions régionales et mondiales», car elle contrevient directement aux intérêts américains (qui protègent Taïwan et maîtrisent les détroits
pour l’instant, notamment grâce à leur présence à Singapour). Idem pour les pays arabes, dont plusieurs forment une ligue afin d’occuper une place prépondérante au Moyen-Orient dans la médiation. La ligue arabe a été appelée à des fins diplomatiques par l’ONU durant le «printemps arabe», par exemple pour mener une mission d’observation en Syrie entre 2011 et 2012. Mission dont les conclusions ont été éventées car elles mettaient à mal la doxa pro-révolutionnaire soutenue par les États-Unis et la France afin de justifier une intervention militaire. Karim, étudiant en Génie Civil à McGill, a passé quasiment toute sa vie à Damas, la capitale syrienne. En entrevue avec Le Délit, il explique qu’une intervention étrangère serait une catastrophe, car elle ne ferait qu’accroître le chaos qui règne déjà dans son pays. De plus, il estime que la communauté internationale est mal informée sur la situation réelle, notamment quant à l’usage des armes chimiques, et que ses intentions réelles sont loin d’être purement humanitaires. Le problème de l’intervention se pose dans certains cas, notamment lorsqu’une population se fait massacrer. Mais n’est-ce pas le rôle de l’ONU de protéger ces populations? L’ONU, un organe faible et divisé L’ONU, justement, tente d’assumer sa mission de garante de la Paix Mondiale mais elle a parfois bien du mal à se faire entendre. Julie Norman explique au Délit que l’organisation a volontairement été créée de manière à ce que son pouvoir soit limité, et qu’en cas de velléité belliqueuse des États-Unis, elle n’ait pas suffisamment de poids pour les arrêter. Outre ce problème d’influence, l’ONU est aujourd’hui déconsidérée par beaucoup de pays car elle ne représente pas l‘Ordre mondial et est soumise au diktat du Conseil de Sécurité. Ainsi, de nombreux pays émergents s’y investissent peu, privilégiant des voies alternatives. Julie Norman explique que l’ONU n’est pas le centre des négociations, et que la diplomatie est plus souvent faite directement d’État à État, au travers de négociations bilatérales ou multilatérales. Pour refléter la mondialisation et la montée en puissance des pays émergents, de nombreux pays souhaitent revoir le
NOUVELLE DIPLOMATIE les relations entre les États subissent des mutations. mode de gouvernance de l’Organisation: en 2004, l’Allemagne, le Brésil, l’Inde et le Japon ont milité pour intégrer le Conseil de sécurité, tout en demandant l’intégration au conseil de deux pays africains pour que la population mondiale soit représentée dans son intégralité, et non plus à hauteur de 30% (environ) comme c’est le cas aujourd’hui. Julie Norman, quant à elle, propose non seulement d’augmenter la taille du Conseil de sécurité, mais également de fournir un «contre-veto» à l’Assemblée Générale dans le cas où un seul membre du Conseil de sécurité pose son veto. Cependant cela ne semble pas prêt de se passer, car les États-Unis s’y opposent. La puissance américaine tient le choc Les États-Unis sont-ils encore la seule puissance dominante? À cette question, Daniel Braden, président de l’association Democrats Abroad à McGill, une association étudiante de politique américaine, répond au Délit de la même manière que Julia Norman: oui, les États-Unis occupent une place dominante, et pour encore un certain temps. Selon lui, la puissance américaine fait face à de nouveaux défis, mais elle s’y adapte en jouant tour à tour sur le soft power, la puissance «douce», c’est-à-dire économique et culturelle; et quand cela ne suffit pas sur le hard power, la force militaire. Ainsi, l’administration américaine peut voir sa politique étrangère du bon œil, sa domination diplomatique étant certes contestée, mais néanmoins affirmée: affronter les États-Unis en conflit ouvert semble compliqué, bien que pas impossible pour une coalition de pays. C’est pourquoi les pays émergents font plus appel à leur puissance économique que militaire lorsqu’ils proposent des vues contraires à celles américaines à l’ONU. Néanmoins, l’antiaméricanisme est un phénomène qui ne cesse de croître dans le monde, notamment au MoyenOrient et en Amérique Latine. Dans un article paru en 2002, Roula Khalaf, une journaliste du Financial Times spécialiste du Moyen-Orient, explique que les populations de l’Irak, l’Afghanistan et des pays frontaliers ont le sentiment que «la guerre [contre le terrorisme] est menée contre les sociétés arabes et musulmanes». Les populations souffrent de l’impact économique et humain de ces guerres,
se retrouvant sans emploi, sans ressources, et parfois sans toit ni famille. De même, en Amérique Latine, le rejet des États-Unis est très populaire, et définit la posture diplomatique de certains États comme le Venezuela. Ce dernier a par exemple créé, avec Cuba, l’Alliance Bolivarienne pour les Amériques (Alianza Bolivariana para los Pueblos de Nuestra América, ALBA), afin de fonctionner en dehors de la sphère d’influence des ÉtatsUnis, qui avaient tenté de créer une Zone de Libre Échange des Amériques. Cette posture anti-impérialiste rejoint celle de la Russie, qui revient au premier plan des relations internationales à propos de la crise syrienne, grâce à son poste au Conseil de sécurité. Pour Daniel Braden de Democrats Abroad, ainsi que pour de nombreux observateurs, c’est un signe inquiétant, une sorte de «retour» à la situation de la guerre froide, même si l’accord trouvé sur la destruction des armes chimiques montre que la coopération entre les deux nations n’est pas totalement impossible. De nouveaux moyens Un changement notable dans le monde de la diplomatie est le transfert d’une diplomatie militaire vers une diplomatie économique. Bien que les intérêts économiques aient toujours joué un rôle majeur entre les États, leur importance diplomatique ne croît que depuis très récemment, au détriment de la puissance de l’arsenal militaire des pays. Avec l’arrivée des pays émergents au premier plan, la donne a changé: ce sont non seulement d’immenses marchés, mais également les ateliers du monde, et dans le cas de la Chine les créanciers de l’Occident. Ainsi, les puissances émergentes, si elles se dotent d’un équipement militaire croissant (que ce soit au Brésil ou en Chine), s’appuient majoritairement sur leur arsenal économique. La Russie par exemple, fait pression sur les Républiques caucasiennes et d’Asie centrale grâce à son gaz. Cependant, cet arsenal économique, s’il est une arme de négociation, ne suffit pas à ces pays: beaucoup préfèrent moderniser et accroître leur armée, non seulement pour se donner une prestance internationale, mais aussi pour servir, dans une sorte de cercle «vertueux», leurs intérêts économiques: la Russie modernise ses troupes pour, en
2020, positionner des troupes en Arctique, suite à l’ouverture du passage du Nord-Ouest, afin d’avoir la mainmise sur des matières premières abondantes. De même, le Brésil a commencé à moderniser son armée sous la présidence de Lula, malgré le fait que ce soit, comme l’indique la professeure Sylvia Delannoy, une puissance consensuelle, sans ennemis déclarés. Pour les mêmes fins? La diplomatie change: d’une arme de négociation basée sur le potentiel militaire, contrôlée par les Occidentaux, elle est devenue un outil basé autant sur le pouvoir économique que guerrier, commençant à être maîtrisé par les pays émergents. Aujourd’hui, il s’agit plutôt, comme le prônait Camus il y a plus de 50 ans, d’empêcher le monde «de se défaire». On ne peut plus imposer une vue, une pensée occidentale unilatérale. L’étudiant syrien Karim explique qu’il y a aujourd’hui trop de différences religieuses et politiques entre les gens, de par la richesse des échanges et de la mondialisation, pour qu’un seul groupe, défenseur d’intérêts spécifiques, se retrouve au pouvoir. Ainsi, si l’avenir de la Syrie n’est donc pas, pour lui, aux mains des islamistes, celui de la planète ne peut plus, et ne va plus, rester aux mains des seules puissances occidentales. La diplomatie doit donc intégrer ces nouvelles données. Ainsi, seulement, il sera possible de mettre en place un vivre-ensemble cohérent à l’échelle planétaire. [
Alexis de Chaunac
Société
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OPINION
De l’activisme raisonné Théo Bourgery Le Délit
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amus écrivit un jour qu’il fallait avant toute chose s’indigner. L’indignation, d’après une entrevue de Jean-François Mattéi, spécialiste de Platon et de Camus, accordée au mensuel français Philosophie, «c’est une protestation immédiate qui ne vient pas d’abord de la raison mais du cœur bouleversé par un affront fait à la morale». Au-delà de la réflexion qui ne vient qu’en second lieu, il est de certaines choses, certains mots ou certains actes, que seules nos passions peuvent corriger. Dans L’Homme Révolté, l’existentialiste Camus explique alors que «l’esprit révolutionnaire, s’il veut rester vivant, doit donc […] s’inspirer de […] la pensée des limites», soit être un esprit «mesuré», un «commandement positif qui amène à canaliser toute forme d’excès». Et Jean-François Mattéi de conclure: «S’indigner de manière ‘‘mesurée’’, c’est refuser de choisir entre un seul camp, de se comporter en idéologue borné». Qu’en est-il concrètement de cette «mesure» camusienne? Cette idée n’estelle pas l’apologie de l’indécision, ou pire, du fatalisme? Il semble logique que, refusant de prendre parti dans quelque conflit que ce soit, nous finissions tous par ne rien faire, par ne rien dire, devant les pires injustices et atrocités. N’est-il pas de notre devoir de crier au scandale devant le massacre syrien, ou simplement de hausser la voix et monopoliser la rue pour faire changer une décision gouvernementale allant au détriment d’une majorité de la population? De peur d’être absorbé par nos passions qui pourraient, il est vrai, noyer notre sens critique, Camus préfère prôner l’inaction. Ainsi faut-il réfléchir, analyser, critiquer de manière rationnelle afin… de ne rien faire. Si la conclusion de Camus semble erronée de mon point de vue, ses prémisses ne sont pas dénuées de sens. La mesure, pense-t-il, est l’antonyme de la folie des passions, qu’il décide d’appeler «pensées nihilistes». Ainsi explique-t-il dans L’Homme Révolté que «rien [n’arrête plus ces pensées nihilistes] dans leurs conséquences et elles justifient alors la destruction totale ou la conquête indéfinie». C’est le triomphe de l’irrationnel qui semble aveugler tout manifestant et le pousse à toujours se battre, même quand la lutte semble a priori finie.
Romain Hainaut
Il suffit de regarder les mouvements sociaux d’aujourd’hui pour comprendre que Camus voit juste. Le but premier du «Printemps Érable» était d’abolir l’augmentation des frais universitaires; le mouvement devint une lutte anticapitaliste, anti status quo, qui visait à changer la société québécoise «de A à Z». Idem pour les manifestants au Brésil cette année, qui contestaient à l’origine l’augmentation des coûts des moyens de transport. Depuis, le gouvernement en place a affaire à des jeunes souhaitant révolutionner les institutions – au-delà de la corruption, c’est l’existence même de ces institutions qu’ils remettent en question. C’est donc un affrontement entre deux groupes, deux «classes» parallèles qui ne peuvent s’entendre. D’un côté, les jeunes pour qui la rue devient une scène politique, de l’autre un gouvernement qui croit agir pour le bien commun de son pays et de son peuple; qui a raison? Que faire dans une telle impasse? Une foule déchaînée dans la rue, à coups de slogans et d’insultes, ne change-
ra guère les choses. C’est davantage une méthode de communication, une «pub» ; les politiques auront de la peine, quant à eux, à écouter (avancements à changer ? projets ?). Que pensera un gouvernement qui se voit obligé d’envoyer sa police anti-émeute afin de ramener l’ordre? Il n’y verra que des manifestants enragés incapables d’avoir un discours constructif. Pourquoi écouter de tels hooligans, que seule la force semble pouvoir calmer? Je ne critique pas la forme; je partage seulement des doutes quant à l’impact que cet effet de groupe peut avoir. Étonnamment, il me semble qu’il jouerait au détriment de ses organisateurs et ses participants. Comble. La «mesure» de Camus a donc là toute sa pertinence; ne soyons pas «l’esclave de nos passions» comme le dirait le philosophe David Hume; ne devenons pas une bête irrationnelle que le gouvernement n’a aucune envie d’écouter. Alors faut-il se taire? L’Histoire a montré à maintes reprises que les changements sociétaux les plus drastiques
étaient venus «du bas», avec la force du peuple. Encore faut-il être capable d’offrir des changements constructifs, qui tiennent la route et qui puissent être présentés et animés par une idéologie constructive. Faire comprendre au gouvernement qu’il a tort en usant un langage qu’il connaît: celui des nombres, des pourcentages, et des longs mots alambiqués que seuls les plus érudits maitrisent. Voilà où Camus se trompe; il faut prendre parti, mais il est d’une importance extrême de savoir présenter des idées et des arguments de la bonne manière. La rue fait gage de spot publicitaire, elle vend les idées – au risque de perdre toute crédibilité aux yeux des dirigeants. Les experts, quant à eux, ont la tâche délicate de démontrer les fautes et corriger le tir gouvernemental à coups de graphiques et d’analyses économiques. Une sorte d’activisme «raisonné», politiquement constructif et que l’élite dirigeante souhaite entendre. Un activisme qui puisse vraiment changer les choses. [ Romain Hainaut
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[ le délit · le mardi 24 septembre 2013· delitfrancais.com
Arts&Culture artsculture@delitfrancais.com
ÉVÉNEMENT
Thomas Simonneau
Thomas Birzan
Noces d’or à L Montréal La Place des Arts fêtait son 50ème anniversaire dans la diversité artistique. Émilie Blanchard
A
fin de commémorer les cinquante ans de la Place des Arts, quelques 8 000 spectateurs se sont rassemblés pour assister à différents spectacles, entre autres, d’opéra, de théâtre et de musique symphonique. Le spectacle de l’Orchestre Symphonique de Montréal (OSM), pour l’occasion, a débuté avec une intervention spéciale du barytonbasse Philippe Sly et de la présentatrice de CTV News Montreal Mutsumi Takahashi, lesquels ont résumé l’histoire de la Place des Arts, un symbole national des arts de la scène. En première mondiale, l’OSM a débuté son concert avec la pièce Le cœur battant de la ville par Nicolas Gilbert, un compositeur montréalais. La pièce a été commandée à l’auteur spécialement en vue du cinquantième anniversaire de la Place des Arts. Nicolas Gilbert considère que le Mont Royal est le poumon de Montréal, et que la Place des arts en est le cœur battant. Ainsi, les instruments à vents y sont omniprésents. La pièce est énergique, électrisante et interpelle le spectateur peu habitué à la création contemporaine. Toutefois, le seul bémol de cette pièce est que les vents sont trop forts, de sorte qu’il est impossible d’entendre les instruments à cordes, alors que leur partition semble complexe et intéressante. Par la suite, l’OSM a enchaîné avec les pièces de son concert de jeudi dernier intitulé James Ehnes joue Mozart. Tout dé-
bute avec l’ouverture de La flûte enchantée de Mozart. Quoique bien court, ce morceau est léger et joyeux: idéal pour une soirée de célébration. Ensuite, c’est au tour du violoniste James Ehnes d’interpréter le concerto n°5 en La majeur, K. 219 de Mozart. James Ehnes joue avec une finesse et une délicatesse inouïe. L’interprétation se fait en douceur et légèreté dans cette magnifique salle qu’est la Maison symphonique .Kent Nagano conduit son orchestre et son soliste avec brio et maîtrise bien les intonations. Les effets de sa superbe gestuelle apportent beaucoup d’émotion, d’énergie et de passion à cette œuvre de l’époque classique. Finalement, comme pièce de résistance de 57 minutes, l’OSM termine son spectacle avec la symphonie n°3 en Ré mineur d’Anton Bruckner, lequel l’avait dédié à Richard Wagner. On remarque d’ailleurs quelques références à Wagner dans la complexité et l’intensité mélodramatique. La pièce est grandiose et majestueuse. Chaque instrument a un solo bien marqué et on décèle pourtant une homogénéité surprenante entre les cordes et les vents. Les instruments de l’orchestre viennent former un tout harmonieux et puissant, digne de l’événement. La trompette est mise de l’avant au début et à la fin, avec un magnifique solo réjouissant et triomphal. Somme toute, le premier concert de la programmation de l’OSM était passionnel, joyeux et festif. C’est un excellent départ pour cette 80e saison. [
[le délit · le mardi 24 septembre 2013 · delitfrancais.com
e 21 septembre 1963, la Place des Arts ouvrait son premier rideau sur l’Orchestre Symphonique de Montréal, dirigé conjointement pour les besoins de cette soirée inaugurale par deux chefs d’orchestre d’envergure: Wilfried Pelletier et Zebn Mehta. Cinq salles, 45 millions de spectateurs et surtout 50 ans plus tard, il semble que ce soit toujours le même symbole de rassemblement et de collaboration artistique qui anime la Place des Arts. C’est donc à travers cette volonté que, le 21 septembre 2013, le théâtre Maisonneuve a proposé un spectacle intitulé «Maisonneuve danse», rassemblant cinq des plus grandes compagnies de danse québécoises pour cinq extraits de pièces différentes: O vertigo avec Khaos, Les Ballets Jazz de Montréal avec Harry, La compagnie Marie Chouinard pour un extrait du Sacre du printemps, Le Groupe Rubberbandance pour Quotient empirique et enfin Danz, par les Grands Ballets. Après un discours inaugural, le silence se fait, le noir se fond. C’est d’abord à Ginette Laurin d’occuper le plateau avec son extrait de Khaos, pièce qui traite de cette abondance épileptique de mouvements et de sons qu’est la vie. Les danseurs, presque toujours en groupe, ne s’arrêtent jamais: leur corps est tour à tour intime et saccagé, chaotique et sautillant. Il arrive qu’un individu ou qu’un couple se détache de cette meute tumultueuse pour occuper un espace vide avec de prodigieux portés qui trahissent la superbe compréhension du poids des corps par la chorégraphe. Et pourtant, ça n’accroche pas. Khaos peine, en 10 minutes, à se condenser, à s’atomiser, et surtout à hypnotiser son public: ce n’est pas une pièce qui se prête au jeu de ce spectacle-anniversaire, à cause de la complexité de son fond, et du manque de temps pour le faire revenir à la surface. «J’aime des spectacles qui soient non pas des «oeuvres-d’art», mais des fêtes, des événements, des explosions, oui, fête, le mot est juste» écrit Maurice Béjart dans ses Lettres à un jeune danseur. C’est dans cette catégorie que nous rangerons les deux extraits suivants: le premier est Harry, des Ballets jazz de Montréal, qui dépeint le personnage éponyme dans toutes sortes de situations aussi bien frivoles (une hilarante scène de
séduction) que métaphysiques. Le second extrait, c’est Danz, des Grand Ballets, lui-même composé de cinq extraits du répertoire de la compagnie. Ces deux pièces, par leur éclectisme tant musical que gestuel et la virtuosité des interprètes (on remarquera, entre autres, le caméléon Jean-Baptiste Couture, des Grands Ballets) se distancient du paysage grisonnant de la danse contemporaine conceptuelle. Elles réussissent ce pari en alliant culture populaire et maîtrise parfaite du corps, trame narrative simpliste et grandeur de l’ensemble. Le quatrième extrait est celui du Rubberbandance group, Quotient empirique. La dimension poétique de l’œuvre est bien présente, notamment grâce à son dépouillement et son traitement du vide: pas de décor, peu de lumières, peu de danseurs. Victor Quijada, le chorégraphe de la compagnie, vise à explorer les relations qui existent entre temps et identité grâce à l’utilisation d’un mouvement organique issu d’une juxtaposition de la danse classique et de la culture hip-hop; croisement nécessaire à la survie de la danse puisqu’il permet sa réactualisation perpétuelle. Malheureusement, ce métissage, dans le cas de Quotient empirique, demeure trop imparfait, trop fragmenté, plus vinaigrette que mayonnaise. Vient enfin Marie Chouinard, avec son extrait du Sacre du Printemps. La chorégraphe fête donc deux anniversaires: les 50 ans de la Place des Arts, bien sûr, mais aussi le centenaire de la création du premier Sacre, celui de Nijinski. La pièce s’ouvre sur une figure mi-humaine mi-animale simplement éclairée par la douche d’un spot lumineux. Résonnent alors les premières notes du basson ancré dans la mémoire collective des spectateurs. Il est difficile de décrire ce qui se passe ensuite. Les figures des hommes-bêtes se succèdent, toujours seules, toujours éclairées par un simple projecteur. Le muscle se tend, la pupille se crispe. Les corps, eux, sont tour-à-tour grossiers par leurs pieds en-dedans, majestueux par leur musculature, dérangeants par leurs grimaces. Deux choses viennent alors à l’esprit. La première est une phrase de Nietzsche: «Je ne croirais qu’en un dieu qui saurait danser». La seconde est une sensation sublime; car si le Sacre du printemps est un rite païen, le long silence qui précéda les applaudissements, lui, avait un goût de sacré. [
Arts & Culture
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LITTÉRATURE
Ce qu’écrire veut dire
«Jusqu’où te mènera ta langue?» ouvre le Festival International de Littérature. Anne Pouzargues Le Délit
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u’est-ce que c’est, aujourd’hui, d’être écrivain? Quand tout le monde tweet, texte et publie sur la toile? Quand la politique et l’art deviennent des messages de 140 caractères maximum? C’est la problématique qu’a choisi d’étudier la troupe du spectacle Jusqu’où te mènera ta langue?, présenté vendredi 20 septembre à l’ouverture du Festival international de Littérature de Montréal (FIL). Une performance multiforme, où musique, texte et jeu d’acteur se mêlent pour réfléchir au statut de l’auteur dans la société d’aujourd’hui. Plusieurs écrivains contemporains québécois, parmi lesquels Samuel Archibald, Marjolaine Beauchamp, Simon Boulerice ou encore Alain Farah, ont
été mis à contribution pour construire ce spectacle. En entrevue avec Le Délit, Simon Boulerice revient sur la genèse de Jusqu’où te mènera ta langue?: «J’ai reçu un questionnaire électronique. Je l’ai rempli sans savoir ce qui allait être retenu, sans savoir qui allait jouer les parties écrites. Pour moi, ce soir, c’était donc une découverte en même temps que tout le monde.» Sur scène, les cinq comédiens – Dany Boudreault, Philippe Cousineau, Eve Landry, Hubert Lemire et Marie-Ève Pelletier – jouent des bribes de textes, des extraits. À travers les réponses des auteurs se dessine une certaine vision de la littérature: celle d’un art engagé, décidément ancré dans le Québec et le monde actuel. On évoque la Charte des Valeurs, on parle de chocs culturels, de l’hiver et du chauffage trop fort qui détruisent les canalisations.
Une littérature comme on l’aime, comme on veut l’aimer, qui s’exprime hors de toutes contraintes. Simon Boulerice explique au Délit les enjeux de cette performance: «C’était l’occasion d’organiser une prise de parole d’auteurs dramatiques, autrement que par la fiction, que par des personnages. On voulait montrer la parole dans la société et faire s’exprimer les écrivains sur l’actualité». Une parole libre mais aussi collective puisque le spectateur ne sait pas quel auteur a écrit les textes qu’il entend. Tous les mots se mélangent dans un ultime effort pour mettre chaque individu sur un pied d’égalité. «Parfois, il y avait des passages où je n’étais pas sûr, je ne savais plus si c’était moi qui avait écrit ça, raconte Simon Boulerice au Délit. Là-dedans il y a quelque chose de très démocratique. C’est comme si Gracieuseté du FIL
la parole appartenait à tout le monde. On ne peut plus avoir l’orgueil de se revendiquer auteur. C’est vraiment collectif». Le seul moment où la personne de l’écrivain réapparaît, c’est lors des «sujets libres»: les auteurs sont invités à monter sur scène pour lire un court texte écrit spécialement pour le spectacle. Alain Farah nous parle de sa chambre en Italie et de son angoisse du bidet; Simon Boulerice nous présente sa nouvelle valise à fleurs et se demande si oui ou non il doit culpabiliser de l’avoir achetée à seulement 50 centimes dans une boutique «pour les pauvres»; Evelyne de la Chenelière dérive autour de son cahier Canada. En cela, ce spectacle festif et vitaminé ouvre d’une manière décapante le FIL. C’est une célébration des Lettres sous toutes leurs formes qui réfléchit, propose, mais n’apporte pas de réponse définitive. Chacun y va de son intuition, dans une ambiance conviviale rythmée par des airs de piano. Jusqu’où te mènera ta langue? défend malgré tout une certaine idée de la littérature, celle d’un art engagé à la Zola et à la Malraux, capable de réagir face aux circonstances de l’actualité. Mais cet art ne peut s’empêcher d’être empreint de dérision et d’un rire parfois cynique, ce qui nous pousse à nous demander quelles sont les limites d’une telle conception aujourd’hui. «Qu’est-ce que c’est, écrire dans la cité?», achève Simon Boulerice. Toute la semaine, le FIL nous invite, à travers de nombreux événements, spectacles et lectures, à fêter la littérature ainsi qu’à réfléchir sur les questions qu’elle nous pose. [ Festival International de Littérature Où: Partout dans Montréal Quand: Jusqu’au 29 septembre Combien: Divers
CHRONIQUE/LITTÉRATURE
Sur le besoin de se raconter des histoires
Joseph Boju | Chronique du temps qu’il fait.
Romain Hainaut
IL EST TOUT À FAIT à propos de regretter des choses perdues lorsqu’on tient une chronique. Aussi, j’apporte sur la table un trésor d’enfance au signifié sociétal
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Arts & Culture
d’une obscure profondeur. Il s’agit du premier jeu d’ordinateur obtenu en collectionnant des timbres disponibles sur les boîtes de céréales: Invasion au pays de Kellogg’s. Avant cela, il y avait eu les jouets typiques, les gadgets, le tout en plastique. Après cela, il n’y eut presque plus que des CD-Rom et des DVD. Invasion au pays de Kellogg’s a marqué un point de non-retour dans la pratique enfantine du bol de céréales. Imaginez-donc ce pays de Kellogg’s, une île harmonieuse où poussent des céréales en tous genres et où nos chers compères publicitaires, Tony, Coco et Cie, vivent en paix. Un beau jour, une bande de crocodiles mal intentionnés arrive sur l’île et disperse tout les précieux grains. Malheur rouge! Le but du jeu est de rétablir la stabilité et la sécurité de l’île en allant collecter les céréales perdues et en sautant sur les crocos pour leur faire voir trente-six chandelles. Depuis le jour divin de son arrivée par la poste, le CD-rom a tant servi qu’il
a maintenant disparu, devenu cette belle chose qu’est le souvenir. Il m’est arrivé ce matin une aventure étrange, j’ai trouvé un livre dans une boîte de Cheerios, un petit livre de rien du tout: l’histoire d’un chat ou d’un poisson, je ne me souviens plus. Qu’est-ce que cela signifie? Que les enfants ne lisent plus? Qu’il faut désormais des jeux raisonnables pour que vos enfants s’épanouissent raisonnablement ? Qu’il faut séduire pour faire lire, que tout fout le camp, etc? Ou plutôt que l’on tourne en rond? Rose Bertin, la modiste de la reine Marie Antoinette disait qu’«il n’y a de nouveau que ce qui est oublié». La première surprise jamais distribuée dans une boîte de céréales était un livre intitulé «Funny Jungleland», c’était en 1909. Reprenons. Après la furie des gadgets et puis celle des jeux-vidéos, que reste-t-il? Le texte au dos du paquet. À ne surtout pas sous-estimer car le texte au dos du paquet de céréales est sûrement l’un des textes les plus lus au monde.
Ce texte est un plaisir, un «îlot» du langage selon Roland Barthes et certainement un mandarinat; 49% des Québécois, âgés de 16 à 65 ans, ont des difficultés de lecture selon les résultats de l’Enquête internationale sur l’alphabétisation et les compétences des adultes. Je reviens sur le mot «îlot», car il est capital dans l’élaboration d’un discours sur Le Pays de Kellogg’s. Si ce jeu d’ordinateur se passe précisément sur une île, il en va de même avec la vie passée. Elle est, non pas un jeu d’ordinateur, mais le dessin même d’une île, dessin rendu de plus en plus flou par cette «image mobile de l’immobile éternité» qu’est le temps selon Rousseau. Le Pays de Kellogg’s est un pays d’enfance, une version informatisée du Neverland de J.M Barrie. Vous comprendrez donc l’étrangeté de l’apparition de ce livre dans ma boîte de céréales ce matin, il représentait l’intrus, il n’était pas invité, il était à proprement parler une Invasion dans mon île, mon passé. [
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INTERVIEW
«Cette foutue perle» Interview des rappeurs Lomepal et Meyso pour la sortie de leur premier CD. Julien Perthuis
Romain Hainaut
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omepal (rappeur) et Meyso (beatmaker) se sont récemment associés pour donner naissance au projet Cette Foutue Perle. Les deux rappeurs se sont rendus à Montréal pour présenter leur œuvre au Cabaret Underworld. Le Délit a eu la chance de les interviewer.
Le Délit: Pouvez-vous vous présenter brièvement? Lomepal: Lomepal. Meyso: C'est très bref, c'est bien (rires). Moi, Meyso, DJ, beatmaker, à temps partiel. L: Lomepal, rappeur parisien du XIIIème arrondissement. LD: Vous avez sorti le 9 septembre un projet commun intitulé Cette Foutue Perle. Pourquoi Cette Foutue Perle? L: C'est parce qu’il y a un jeu de mots avec «sept jours sur sept». C'est uniquement pour ça. En fait, j'étais en train d'écrire un titre sur une instrumentale de Meyso. J'avais écrit «sept jours sur sept» et j'ai trouvé une analogie avec «cette foutue perle». On a trouvé que c'était un délire marrant et que ça résumait bien l'esprit du projet. LD: Sachant que vous travaillez à deux, quelle est votre démarche pour construire un morceau? L: Il faut que l'un des deux produise un peu de matière, l'autre s'en inspire pour produire de la matière aussi, ça se fait à cheval, comme ça. M: Parfois je lui envoie une «instru» déjà faite, mais sans variations, s'il kiffe la boucle je la travaille un peu plus, il écrit ses textes et puis on fait des arrangements. J'essaie de faire ressortir le côté rythmique de son texte. Lui, il va peut-être vouloir
mettre en valeur certains mots, du coup il va demander à ce que je coupe à un certain moment. Ce travail-là, on le fait vraiment ensemble. LD: Selon vous, avez-vous réussi à développer un style, une identité qui vous est propre? M: Pas d'identité, forcément. Moi je fais ce que j'aime. Après, tout ce que je fais ne ressemble pas forcément à ce que je fais avec Lomepal. L: Je n'essaie pas de me créer un personnage, j'essaie de faire les choses dans le sens où je veux aller. Après, est-ce que ça crée une sorte de couleur ou est-ce qu'on peut reconnaître un morceau à moi tout de suite, c'est un peu aux autres de me le dire. LD: Pouvez-vous chacun nommer votre titre favori de l'album et expliquer les raisons de votre choix? L: Moi c'est Roule. Parce qu'on l'a fait en dernier, les autres m'ont peut-être saoulé avec le temps, on a travaillé longtemps sur le projet. Ce que j'aime bien avec Roule, c'est qu'on l’a faite en quelques jours. Ça s'est fait sur un voyage à Bruxelles d'un
jour ou deux. Dans la voiture il a préparé l'«instru», il me l'a fait écouter, j'ai écrit le truc, on est arrivé en studio et j'ai posé le tout. La spontanéité du morceau fait que c'est celui que je préfère. L'«instru» a un côté western, ça fait un peu musique de film. M: Moi, peut-être Coquillage. Encore un morceau qu'on a fait un peu dans l'urgence. L: Coquillage c'était un texte que j'avais déjà écrit. J'ai demandé à Meyso qu'il fasse une «instru» dans un style un peu plage, tranquille, un peu lente. Il m'a fait ça et c'était pile ce que je cherchais. LD: Lomepal, quelle relation entretiens-tu avec la langue française, tu parles notamment dans un morceau de «hobby» en évoquant l'écriture? L: Un hobby, oui, mais aussi une passion, je dis un hobby, mais c'est pour que ça rime aussi (rires). C'est une passion, je fais ça tout le temps en fait, j'écris tous les jours, j'écoute que ça, je passe ma vie à écouter du rap et à en écrire, c'est plus qu'un hobby.
Le Délit: Meyso, considères-tu la musique comme un mode de communication aussi puissant que l'écriture ou l'image? M: Ouais carrément! Je ne sais pas trop si ça peut se comparer. On dit souvent que ça fait danser les gens, mais ça peut faire totalement autre chose. LD: Par exemple, quand j'écoute le titre Les Battements, j'ai tout de suite des images de Paris qui me viennent dans la tête, c'est assez visuel… M: Je travaille plus sur les textures que sur les mélodies, je m'en fous un peu des mélodies. Quand on parle de texture, c'est toujours des couleurs, des machins…Je le trouvais un peu électrisant, parisien ce sample des Battements. L: Quand il me l'a envoyé, il était un peu perplexe, moi j'ai accroché direct. LD: Qu'est-ce que ça vous fait de voir des gens si enthousiastes par rapport à votre musique aussi loin de chez vous? L: Moi j'avais déjà rencontré des Québécois lors d'un festival à Liège, deux Québécois étaient venus nous parler, c'était la première fois que j'avais réalisé qu'il y avait peut-être des gens outre-atlantique qui nous écoutent. LD: Est-ce que vous connaissez le rap québécois et est-ce que vous seriez prêt à collaborer avec des Québécois? L: Bien sûr! Il y a des Québécois que j'écoute depuis très longtemps, par exemple Obia Le Chef que je voulais capter cette semaine. C’est un gars que j'ai bien écouté, sinon toute la clique de Casse-Croûte. Il y a quand même une scène québécoise que j'aime bien, même à travers les Word-Up. C'est cool, moi j'aime bien, ils ont un style bien à eux, et je ferais un morceau avec eux avec plaisir! [
OPÉRA
Tempête à la salle Redpath Opéra McGill entame une nouvelle saison à coups de Shakespeare mis en chanson. Claire Launay Le Délit
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eulement trois semaines après la rentrée, Opéra McGill entame la saison 2013-2014 avec un spectacle à michemin entre le théâtre et l’opéra. Samedi 21 septembre, à la Salle Redpath avait lieu la première représentation de l’année, intitulée «Sonnets et chansons: Sérénade Shakespeare». Patrick Hansen, directeur d’études d’opéra et metteur en scène du spectacle, décrit la performance comme «Un avant-goût de l’année qui se prépare». On en a l’eau à la bouche. Seize chanteurs d’opéra se sont succédés sur des airs tirés de pièces de William Shakespeare telles que La Tempête, La Nuit des Rois, Othello et Beaucoup de bruit pour rien. Alternant des chants lyriques caractéristiques du registre de l’opéra avec des sonnets que les artistes récitent avec passion, le spectacle jouit d’un dynamisme qui manque parfois à certaines œuvres classiques. Le décor est sobre: seuls quelques objets – chaises, coussins, un bouquet de
fleurs – entourent les artistes. D’ailleurs, l’élément principal du décor reste le piano, seul instrument du spectacle, qui accompagne pendant un peu plus d’une heure les chanteurs. Ce à quoi on assiste n’est pas tout à fait un opéra, dans le sens commun du terme, avec tout son caractère théâtral et son travail de scénographie. Cependant, à l’arrivée de la haute-contre, Collin Shay, qui ouvre le spectacle avec «Come unto these yellow sands», tiré de La Tempête, le spectateur comprend que si tout autour des chanteurs est aussi sobre, c’est sûrement pour les sublimer, pour les mettre en avant. Et on a du mal à leur en vouloir, tant on est captivé par les voix justes et puissantes des seize interprètes. Pour l’occasion, ces chanteurs deviennent aussi acteurs. Interprétant des personnages qui ont été créés par la troupe ellemême, ils créent un lien entre les sonnets et les chansons. Par exemple, comme l’explique le metteur en scène, «notre haute-contre jouait un genre de Gatsby, qui organise des fêtes, il était l’hôte de la soirée. Russel Morris Wustenberg, le bariton, était com-
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me une bénédiction de la fête. Nous avons beaucoup joué avec tout ça». Au long de cet opéra qui n’en est pas vraiment un, on retrouve dans les sonnets et les chansons des thèmes chers à l’écriture de Shakespeare, tels que l’amour, la mort ou l’éternité. Oscillant entre le comique, avec des chansons comme «Sigh no more», et la tragédie, avec «Come away death», le spectateur se retrouve parfois un peu confus. Pour Mayra Smith Romero, une spectatrice étudiante de la Faculté des arts, «les transitions n’étaient pas forcément très claires, il était un peu difficile de suivre le déroulement de l’histoire. Mais les performances exceptionnelles des solistes compensaient largement ce manque». Les spectateurs et les chanteurs s’accordent sur une chose, en tout cas: l’originalité du spectacle. C’était la première fois que Katrina Westin, la mezzo-soprano de la troupe, participait à un projet de ce genre. Et elle admet que ce format-là a permis de donner plus de vie aux chansons que les récitals habituels ne le permettent: «normalement, on chante, seul devant le piano, et
c’est tout. Mais cette fois-ci, les sonnets et la mise en scène ont vraiment mis en lumière le sens de ce qu’on chante». Les chansons étaient celles qu’on peut retrouver dans les récitals habituels. Mais Patrick Hansen les a choisies de façon à ce qu’elles construisent une histoire, entre elles, peu importe qu’elles viennent de pièces différentes. Les mélodies montent en puissance au fil du spectacle pour culminer, à la toute fin, à la «Sérénade à la Musique» de Vaughan Williams, dont le texte est tiré du Marchand de Venise. En réalité, c’est cette composition, écrite pour seize chanteurs, qui a orienté le choix des précédentes et la taille de la troupe, avoue le metteur en scène. On ne peut que saluer son choix. Ce final, tant en émotion dans les solos qu’en puissance en chœur, laisse le spectateur bouche bée, et un peu sur sa faim. Opéra McGill a bien réussi son coup: les spectateurs sont ravis. Néanmoins, il faudra attendre les 21, 22, 23 et 24 novembre pour aller assister à leurs prochaines représentations, en collaboration avec l’orchestre baroque de McGill. [
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INTERVIEW
Un mix intello-artistique Entrevue avec Bridge & Law, DJ à Montréal et étudiant à McGill. Thomas Simonneau Le Délit
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ucas Ranalli, plus connu sous son nom de scène Bridge & Law, est un producteur de musique électronique et DJ originaire de Toronto. Étudiant en troisième année d’économie de McGill, il s’est notamment fait connaître grâce à son remix de «Pumped Up Kicks» de Foster The People. Le Délit: Tout d’abord, l’artiste Avicii était au Frosh de McGill il y a deux ans, que penses-tu de lui, de son travail? Bridge & Law: Alors, c’est sûr que du point de vue d’un producteur, je le trouve très critiqué. Je connais beaucoup de gens qui ont tendance à cracher sur lui à cause de son flair. C’est vrai qu’il a commercialisé sa musique pour un public beaucoup plus large, notamment les gens qui aiment l’électro plus standard ou la deep house. Il fait aussi beaucoup de «top 40», de succès populaires mais je pense qu’il le fait très bien. La preuve: sa nouvelle chanson «Wake me up», a une influence country est très bien ficelée. Tout le monde l’aime, ma mère l’aime, ma sœur l’aime. Je le définirais comme un «DJ économique» par rapport au fait que son approche artistique est tout de même liée au business, mais qui fait un travail génial en général. J’applaudis sincèrement ses efforts. LD: Qu’en est-il de la scène électro du début des années 2000? Qu’est-ce que des noms tels que Justice ou Daft Punk évoquent pour toi? B&L: C’est les premiers trucs que j’ai écoutés! Mais pour quelqu’un qui entend ça aujourd’hui, ça doit sonner beaucoup plus impétueux. Les sons sont plus déformés et tordus que ceux qu’ont trouve aujourd’hui. L’une des premières chansons que j’ai entendues était «Mille cigarettes» de Masterkraft, un morceau bien brut mais révolutionnaire, en ce qui me concerne, du moins. Après il y a eu Justice et toute la musique d’Ed Banger très influencée par le rock. J’adore tout ça, je joue encore ce genre de morceaux par-
fois dans mes sets, pour rendre hommage à cette génération. Mais je ne pense pas que ton fan typique d’EDM (electronic dance music) aujourd’hui, qui va à des festivals d’électro genre Ultra à Miami, apprécie vraiment cette musique. Sûrement parce qu’il n’a pas baigné dans cette génération et n’a pas été exposé à ces morceaux autant que la nôtre l’a été. Mais ces artistes sont incroyables. J’aime vraiment ce qu’ils font et ce qu’ils ont fait! LD: Du coup, tu t’intéresses à quel type de musique en ce moment? Que produis-tu? B&L: Je me suis pas mal éloigné de ce que je faisais habituellement. Je travaille avec de nouveaux sons, je conçois aussi mes propres sons pour qu’ils soient un peu plus adaptés à un style plus «profond», avec plus de basses. Les gens autour de moi me disent que ça ressemble à Disclosure mais j’ai vraiment envie de garder l’aspect mélodique dans mes chansons. En parlant d’Avicii, je veux moi aussi être très polyvalent et ouvert à un grand marché. Je veux jouer ma musique pour quelqu’un qui est plus âgé ou plus jeune. Donc je me concentre sur une musique que j’aime personnellement, mais que je peux aussi montrer à tout le monde dans la rue et espérer qu’ils ressentent la même chose. Fondamentalement, beaucoup de sons deep, mais toujours avec une mélodie enracinée qui fait qu’on peut chanter mes morceaux facilement. LD: Qu’en est-il d’autres influences musicales telles que le rap? Je pense à un remix que tu as fait avec Ain’t No Love intitulé «Love me Lots». B&L: Je suis probablement le mec qui a une connaissance du hip-hop la plus restreinte des gens que je connais. La raison pour laquelle j’ai fait ce remix est que le producteur de Ain’t No Love est l’une des premières personnes que j’ai rencontrées à Montréal. Il m’a appris à peu près tout ce que je connais en matière de production. C’est un ami, un mentor, un mec vraiment bien. Bref, il avait commencé à bosser sur un projet parallèle avec Ain’t No Love et avait besoin de quelqu’un pour faire
un remix. Il m’en a parlé et j’ai accepté direct. Je ne sais pas si c’est vraiment comme ça qu’il l’avait prévu, mais j’ai gratté l’instrumentale et le chant tout en changeant complètement la dynamique de la chanson et ça a plutôt bien marché. Pour moi comme pour eux. LD: Et maintenant, il a plus de 1 000 000 vues sur Youtube... B&L: Ce qui est complètement barge! (rires). Quand je travaillais sur ce morceau, j’étais encore à Molson, une résidence universitaire de McGill. Je travaillais dessus dans ma chambre, sans doute en train de réveiller tout l’étage. Et puis, quand je l’ai mis sur internet j’étais vraiment content car il y a eu 1000 lectures en moins d’une semaine. Après ça, certains blogs l’ont utilisé, l’effet domino a commencé et la magie a opéré. Je ne peux toujours pas le croire. LD: Question plus pratique, comment gères-tu ton temps entre ta vie de DJ et ta vie d’étudiant? B&L: Je ne le fais pas. (rires). C’est dur. C’est pourquoi je suis un peu dans un «vide musical» en ce moment car j’essaie de savoir ce que je veux faire avec mes études et ma carrière. À un moment, l’année dernière, j’ai même pensé à arrêter McGill pour devenir producteur ou peut-être aller à Concordia trouver une sorte de programme en technologie de la musique. J’ai pesé le pour et le contre, j’ai calculé les coûts des différentes opportunités et je me suis dit que c’était une mauvaise idée d’abandonner à cet âge alors que je suis à la moitié de mon diplôme. Je me suis dit que j’allais assurer mon baccalauréat puis voir où le vent me mènerait. Mais bon, la gestion du temps n’est pas mon point fort. Je crois que je fais trop la fête et que je n’étudie pas assez... LD: Tes projets d’avenir? B&L: Eh bien, comme je l’ai dit, je suis un peu en baisse en ce qui concerne la production. J’ai deux chansons sur lesquelles je travaille en ce moment qui devraient pas mal marcher. L’une d’elles est une reprise de The Cure. C’est comme une interprétation
EDM de leur chanson. Elles devraient sortir d’ici trois ou quatre mois. En attendant, je vais probablement faire des représentations à Montréal et à Toronto. LD: J’allais oublier, Bridge & Law, ça sort d’où? B&L: On me pose toujours la question. En réalité, ce nom ne détient aucune valeur symbolique réelle. En gros, au lycée, mon ami Spencer et moi-même avons commencé un duo DJ/production et ce nom vient d’un raccourcis du nom de ses parents… Par la suite, on a réalisé qu’il ressemblait un peu à un blaze deep house prétentieux. Quand Spencer est parti, j’ai choisi de garder le nom parce qu’il s’était déjà fait une petite réputation. De plus, je préfère être reconnu comme un musicien et passer moins de temps à trouver une définition philosophique clichée de ce que ma musique représente.
Le questionnaire du Délit Ton mot préféré: Catastrophe. Même si je ne veux pas que ça soit lié à ma musique de quelque manière que ce soit (rires), mais je dois dire que l’accent roule bien sous la langue. C’est un mot cool. Un mot que tu détestes: Bouillie Un son que tu aimes: J’adore le son d’une alarme qui sonne dans une grande salle. Je l’utilise dans mes chansons. Crescendo et decrescendo, pas de discrimination. Un son que tu détestes: La corne de brume. Ton juron préféré: Tabernacle! Juste pour dire une chose en français dans toute cette entrevue! (rires). Ta drogue préférée: La tise! (ndlr l’alcool) Si Dieu existe, qu’aimerais-tu qu’il dise après ta mort: J’approuve et soutiens Bridge & Law. [
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[ le délit · le mardi 24 septembre 2013 · delitfrancais.com
EXPOSITION
Une galerie pas si Net Cedezlepassage.com dématerialise l’exposition photo. Baptiste Rinner Le Délit
L
a fin de semaine dernière, Le Délit est allé voir une exposition particulière bien que «voir» ne soit peut-être pas le terme approprié. Effectivement, cette dernière ne se situait pas dans une petite galerie hipster de Griffintown. Nous n’avons pas non plus remonté le boulevard SaintLaurent à vélo pour atterrir dans le Mile End. À vrai dire, Le Délit est resté au bureau. Bien installé dans les sous-sols du bâtiment Shatner, nous avons ouvert un navigateur web et tapé cedezlepassage.com pour découvrir la nouvelle exposition du jeune photographe québécois Simon Belleau, fraîchement diplômé de l’Université Concordia et actuellement en Maîtrise au Art Institute de Chicago. Le mandat de cedezlepassage.com est simple: créer un «espace virtuel d’exposition et de références en photographie pour la relève québécoise». L’idée n’est pas compliquée et semble géniale. Au lieu que les jeunes talents se ruinent pour louer une galerie, ou qu’ils ne s’offrent qu’une visibilité restreinte via un blog ou un site officiel, les voici rassemblés sur une plateforme qui leur est dédiée, où leur œuvre est diffusée à moindre coût. Au programme ce mois-ci, une série de photos sur la nature prise par Simon Belleau et les liens que nous entretenons avec cette dernière. Baptisée Isjberg, cette série de seize clichés interpelle par son côté mystique: un chien blanc sur fond
blanc, des blocs de glace dans l’immensité islandaise, des nuages sombres rappelant le nuage du volcan Eyjafjallajökull. Ces photos sont belles (triste jugement de valeur, je vous prie d’excuser mon statut de noninitié), elles marquent l’esprit, on les accrocherait au mur de sa chambre, mais il manque quelque chose. L’espace d’exposition ne va pas. On est devant un diaporama d’images, on appuie sur la flèche de droite pour passer à la suivante, on peut plier l’affaire en deux minutes chrono. Chose impossible dans une galerie, à moins de courir d’un bout à l’autre de la salle en tournant la tête pour essayer de profiter de l’exposition. Peut-être que la plateforme n’est pas destinée au grand public mais aux professionnels de la photo; à ceux qui chercheraient à dénicher des talents émergents sans bouger de leur canapé. Dans ce cas-là, tant pis pour nous. Mais pour que cedezlepassage. com soit réellement un espace artistique, et non pas seulement un moyen de communication, il faudrait une certaine esthétique, une certaine organisation de l’exposition, comme la galerie et son conservateur. Même avec ça, il manquerait encore quelque chose, un vecteur de lien social, un véritable contact entre l’artiste et son public. Ça, Internet ne peut pas le remplacer. [
Romain Hainaut
cedezlepassage.com Fondateur: Simon Belleau Gratuit
THÉÂTRE
De la fourrure à un grand vison Le théâtre Jean-Duceppe et la Vénus au Vison. Gabriel Cholette
I
l faut croire qu’après le monstrueux succès de Cinquante nuances de grey, le thème sado-maso est bel et bien d’actualité. C’est en effet au tour du metteur en scène Michel Poirier et de la traductrice Maryse Warda de monter au Québec le Venus in Furs de David Ives, spectacle qui avait déjà beaucoup fait parler de lui en 2012. Le contexte de la pièce reprend de grands thèmes déjà galvaudés: Vanda (Hélène Bourgeois Leclerc), une jeune actrice encore inconnue, rencontre un metteur en scène nommé Thomas (Patrice Robitaille) afin de faire une audition pour le rôle principal de sa nouvelle pièce. Les clichés sont présents et s’accumulent: Vanda, jeune québécoise, n‘a pas très fière allure, mais incarne parfaitement le rôle de Vanda pour lequel elle auditionne, à croire qu’elle était faite pour le rôle. Le grand metteur-en-scène Thomas, quant à lui, n’est au contraire pas très à l’aise à donner la réplique, ce qui constraste avec sa condition. Sur scène, Vanda et Thomas reprennent pour l’audience l’histoire de La Vénus à la Fourrure de Leopold von Sacher-Masoch, que Thomas a adapté. Vanda est une actrice si exceptionnelle que Thomas s’empresse
de lui faire jouer les scènes les plus érotiques, avec une telle ardeur qu’ils se retrouvent tous deux dans un jeu coquin d’écho entre la pièce et leur propre vie. Un grand miroir est installé sur la scène Jean-Duceppe, il agit comme une belle métonymie de la pièce en entier: le miroir dédouble à la fois Vanda de son rôle écrit, mais aussi la scène et l’audience qui voient leurs propres reflets. Nous voilà en présence du théâtre dans le théâtre, de la mise en abyme. Pendant que les acteurs reprennent le scénario de pièce, il apparaît dans ce grand miroir un foyer qui rappelle la passion dévoilée par le jeu de séduction qu’est le dialogue d’acteur. La double histoire se poursuit rapidement jusqu’à ce que Thomas se fasse réellement dominer par Vanda, physiquement et mentalement. De la même manière que les personnages en apprennent sur euxmêmes et leurs propres passions, la pièce elle-même réfléchit et relit le célèbre roman duquel elle est inspirée. Car après tout, comme l’affirme Thomas, «le théâtre ne se questionne pas seulement sur de petites questions sociologiques ou anthropologiques». La Vénus à la Fourrure dévoile donc plus sur les relations entre les amants que le ferait «un petit livre porno», comme le décrit d’une fausse naïveté Vanda. Au
[ le délit · le mardi 24 septembre 2013 · delitfrancais.com
François Brunelle
contraire, plus la pièce avance et plus elle y voit, ou plutôt fait voir à Thomas, comment l’intrigue est ambivalente. Par ailleurs, les réflexions sur le rôle de la femme et celles sur les études de genre contribuent à donner un sens moderne à l’œuvre de Leopold von Sacher-Masoch. Les petits clichés du début de la pièce viennent même s’accorder avec brio pour aller tisser un réseau de sens. À la sortie du théâtre, une spectatrice anonyme affirme: «Considérant l’état dans lequel j’étais, je n’étais pas prête à voir une pièce lente. Je me serais écroulée sous la fatigue. Mais là, j’ai ri aux éclats tout le long!»
Sa réaction n’est pas isolée: c’est en effet toute l’audience qui s’est esclaffée. C’est finalement la précision de jeu des acteurs qui permet à cette pièce de prendre son sens. Car si le discours est polyphonique, c’est parce que les deux acteurs s’amusent à changer de registre et de ton pour nous faire voir toutes les beautés du texte. Cet impressionnant dialogue d’une heure et quarante minutes, sans pratiquement aucun répit pour les acteurs, brille par son humour et par la réflexion qu’il suscite et transforme ainsi la petite fourrure de Vénus en un beau vison vivant. [
Arts & Culture
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