Édition du 27 février 2018

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Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

injustice p. 6

Mardi 27 février 2018 | Volume 107 Numéro 18

On ne provoque pas depuis 1977


Volume 107 Numéro 18

Éditorial

Le seul journal francophone de l’Université McGill

rec@delitfrancais.com

Colten Boushie et Tina Fontaine: quand le système canadien néglige ses jeunes

rédaction 3480 rue McTavish, bureau B•24 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6784 Rédactrice en chef rec@delitfrancais.com Mahaut Engérant Actualités actualites@delitfrancais.com Lisa Marrache Antoine Milette-Gagnon Margot Hutton Culture articlesculture@delitfrancais.com Lara Benattar Grégoire Collet Société societe@delitfrancais.com Simon Tardif

L’équipe du délit

L

e mois de février s’ouvrait sur l’indignation et la colère causées par le verdict qui acquittait Gerald Stanley du meurtre au second degré de Colten Boushie, un jeune de 22 ans de la Première Nation Red Pheasant. L’encre n’avait pas fini de sécher sur cette affaire qu’un autre verdict de non-culpabilité secouait le Canada. Cette fois-ci, c’est Raymond Cormier qui fut prononcé non-coupable du meurtre de Tina Fontaine, une jeune fille de 15 ans de la Première Nation de Sagkeeng, retrouvée sans vie il y a trois ans et demi dans la rivière Rouge à Winnipeg. Deux verdicts à quelques semaines d’écart qui jettent la lumière sur les injustices auxquelles font face les peuples autochtones. Deux cas qui soulignent de manière douloureusement évidente les failles de la société canadienne. Deux vies perdues et des proches qui réclament justice, en vain. Comment expliquer qu’un accusé ait été acquitté alors qu’il ne nie pas être responsable de la mort du jeune Colten? Dans cette affaire, la Couronne l’a accusé de meurtre au second degré, impliquant la volonté de tuer, ce qui n’a jamais pu être établi au delà du «doute raisonnable», faute de preuves. Néanmoins, le fait est que Gerald Stanley a causé la mort de Colten Boushie, que ce soit volontaire ou non, ce pour quoi il aurait pu être condamné. En effet, si le chef d’accusation avait été homicide involontaire, Stanley serait-il derrière les barreaux? Ce chef d’accusation aurait-il pu être accepté sans y voir là une autre instance de discrimination contre un membre d’un peuple autochtone? Pour ce qui est de l’impact du racisme dans ces affaires, il est impossible d’ignorer le traitement dégradant subi par la famille de Colten Boushie à l’annonce du décès du jeune homme: l’intervention brutale des policiers, les accusations et la méfiance, un policier qui demande à la mère de Colten, effondrée après avoir appris la mort de son fils, «M’dame, vous avez bu?». Comment ne pas sourciller devant le jury, composé entièrement de personnes blanches grâce au pouvoir de récusation péremptoire qui permet à chacun des partis de rejeter des jurés potentiels sans avoir à fournir de raison? Ce pouvoir a permis à la défense de rejeter du processus de sélection des individus d’apparence autoch-

tone, ce qui lance d’ailleurs un débat sur de possibles refontes constitutionnelles. Tant de coups portés dans cette affaire qui révèlent des problèmes inhérents au système judiciaire canadien. Dans le cas de Tina Fontaine, dont la cause du décès n’a toujours pas été déterminée, les preuves étaient si minces qu’elles n’auraient de toute façon pu conduire à un verdict concluant. «Le système, tout ce qui faisait partie de la vie de Tina, l’a laissé tomber. Nous l’avons tous laissé tomber. Nous devons, en tant que nation, faire davantage pour nos jeunes gens» disait Sheila North Wilson, la grande chef du Manitoba Keewatinowi Okimakanak, suite à ces événements. Quelques jours avant sa mort, alors qu’elle avait été placée sous tutelle du Centre de la jeunesse et de la Famille du Manitoba, on l’avait retrouvé évanouie dans un parking, des drogues dans le sang. Alors qu’elle était portée disparue, elle n’avait pas été prise en charge par deux policiers qui l’avaient interpellé dans la voiture d’un homme qui cherchait «une fille avec qui trainer».

Innovations innovations@delitfrancais.com Louisane Raisonnier Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com Nouédyn Baspin Coordonnatrices visuel visuel@delitfrancais.com Alexis Fiocco Capucine Lorber Multimédias multimedias@delitfrancais.com Béatrice Malleret Coordonnateurs de la correction correction@delitfrancais.com Éléonore Berne Léandre Barôme Webmestre web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Coordonnateur réseaux sociaux reso@delitfrancais.com Pierre Gugenheim

Quelle ampleur prit le racisme systématique dans les événements précédant la mort de ces deux jeunes gens et dans les événements qui les suivirent?

Événements evenements@delitfrancais.com Madeleine Gilbert

«Un manque de preuve; un manque d’action», voilà une formule qui ne cesse de se répéter et qui nous rappelle notamment le cas, il y a à peine un an et demi, de six policiers, soupçonnés d’agressions physiques et sexuelles envers des femmes autochtones dans la ville de Val-D’or, qui n’avaient pas été incriminés, faute de preuves.

Alexandre Zoller, Astrid Delva, Fatima Silvestro, Prune Engérant, Audrey-Fréférique Lavoie, Katherine Marin, Clemence Auzias, Nathan Hubert, Aziyadé Abauzit, Juliette de Lamberterie, Eva-Meije Mounier, Marc-Antoine Gervais, Marie Boudard, Antoine Forcione, Evangélie Durand-Allizé, Fanny Devaux

Le Canada, du haut de ses 150 ans, n’est pas imperméable à la haine et au racisme, contrairement à ce que certains aimeraient penser. Il ne faut pas oublier le passé colonialiste du pays qui ne fait pas que le hanter; mais se fait bien sentir et se matérialise tous les jours. Pour cela, le système d’éducation canadien se doit de jouer un rôle crucial en éduquant les enfants —futurs citoyens, futurs politiciens, futurs législateurs— sur l’histoire de leur pays. Au Québec, par exemple, le programme scolaire fut dénoncé l’année dernière pour le manque d’intérêt qu’il accorde à l’expérience des peuples autochtones. C’est seulement dans des incidents comme ceux de Colten Boushie et Tina Fontaine qu’il apparaît sous son jour le plus sanglant. N’oublions jamais que le Canada s’est construit sur le génocide de plusieurs peuples autochtones. x

Contributeurs

Couverture Capucine Lorber Alexis Fiocco

bureau publicitaire 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 0E7 Téléphone : +1 514 398-6790 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Représentante en ventes Letty Matteo Photocomposition Mathieu Ménard & Geneviève Robert The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Inori Roy Conseil d’administration de la Société des Publications du Daily Yves Boju, Marc Cataford (Chair), Marina Cupido, Mahaut

La version de l’éditorial de l’édition précédente a été modifiée dans sa version en ligne, suite à de sérieuses fautes d’éditions lors de la publication papier. Le Délit regrette cette erreur.

2 Éditorial

L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Les opinions de nos contributeurs ne reflètent pas nécessairement celles de l’équipe de la rédaction. Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavant réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal.Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).

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Actualités actualites@delitfrancais.com

Les mots qui marquent

À noter dans l’agenda Les Jeux olympiques d’hiver de Pyeongchang se sont officiellement terminés dimanche. Voici le total des médailles gagnées par l’équipe olympique canadienne lors des jeux. Les Jeux paralympiques se dérouleront quant à eux du 9 au 18 mars prochains. x

Or 11 Argent 8 Bronze 10

Ce lundi 26 février, La Presse a révélé que Ashok Malla et Ridha Joober, deux psychiatres affiliés à l’Université McGill, ont omis d’informer des patients adolescents à qui ils faisaient tester l’efficacité d’un médicament antipsychotique qu’ils travaillaient en même temps pour la pharmaceutique développant ce médicament. Les médecins auraient également indiqué de façon erronée aux patients que le médicament ne causait pas de prise de poids. Contacté par La Presse, les deux médecins ont refusé d’accorder une entrevue ou de révéler leur rémunération. x

LE délit revient leauto mardi 20 mars promo suivez-nous en ligne sur facebook, twitter et instagram delitfrancais .com

C’est ce que Perry Bellegarde, chef de l’Assemblée des Premières Nations a écrit sur son compte Twitter suite au verdict de non culpabilité qui avait suivi le procès du meurtre de Tina Fontaine. Pour en apprendre plus, allez page 6. x

Cette semaine

À suivre...

Bonne semaine de relâche!

« Encore une fois, la justice n’a pas été servie dans une salle d’audience pour un individu issu des Premières Nations »

Rencontre spéciale Appel de candidatures

&

Les membres de la Société des publications du Daily (SPD), éditrice du McGill Daily et du Délit, sont cordialement invité.e.s à sa

Rencontre spéciale des membres :

Le lundi 9 avril @ 18 h

Dimanche 25 février, plus de 1 500 personnes ont manifesté dans les rues de Montréal pour exiger la démission du ministre de la Santé, Gaétan Barrette. L’évènement, organisé par Québec Solidaire, visait à dénoncer plusieurs problèmes dans le système de santé, notamment la récente entente conclue entre la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ, ndlr) et le gouvernement. Cette entente contient une hausse de rémunération des médecins spécialistes s’élevant à 11,2% sur huit ans. Actuellement, le salaire moyen d’un médecin de la FMSQ s’élève à 450 000 dollars par année.x

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Pavillon McConnell de génie, Salle 304 La présence des candidat.e.s au conseil d’administration est fortement encouragée.

La SPD recueille présentement des candidatures pour son conseil d’administration.

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Les candidat.e.s doivent être étudiant.e.s à McGill, inscrit.e.s aux sessions d’automne 2018 et d’hiver 2019, et aptes à siéger au conseil jusqu’au 30 juin 2019. Le poste de représentant.e des cycles supérieurs ainsi que le poste de représentant.e de la communauté sont également ouverts. Les membres du conseil se rencontrent au moins une fois par mois pour discuter de la gestion des journaux et des sites web, et pour prendre des décisions administratives importantes. Pour déposer votre candidature, visitez : dailypublications.org/how-to-apply/?l=fr

Date limite : le vendredi 6 avril à 17 h

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actualités

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campus

Désaccord lors des élections L’AÉUM ne parvient pas à se décider sur son processus électoral. margot hutton

Le Délit

C

omme tous les quinze jours, le Conseil législatif de l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM, ou SSMU en anglais, ndlr) s’est réuni. Beaucoup d’éléments ont été ajoutés à l’ordre du jour initial, notamment une revue du budget par Esteban Herpin, vice-président (v.-p) aux Finances, ainsi que diverses motions. À l’ordre du jour, des motions en rapport avec des frais liés à l’AÉUM: ceux liés au Centre Universitaire, aux fonds des clubs, mais aussi sur l’augmentation des frais du Black Student Network (BSN, ndlr). C’est toutefois la motion sur la modification des régulations internes des élections et référenda qui fit durer le débat. Désaccords et incertitudes Ajoutée à l’agenda en début de réunion, la motion sur la modification des régulations internes sur les élections et référenda fut l’épicentre du débat. Il y eut beaucoup d’interrogations sur le fait

qu’elle soit ajoutée à la dernière minute. Même s’il fut reconnu que les élections imminentes de l’AÉUM (qui ont lieu au même moment que celles de certaines facultés) justifiaient l’importance de cette motion, de nombreux·se·s représentant·e·s ont déploré le fait qu’ils·elles n’avaient pas eu la possibilité de faire des recherches sur ses différents aspects. Une mention fut donc proposée pour faire passer cette motion en dernier. L’AÉUM fit venir un représentant de Elections SSMU afin de répondre aux questions des différent·e·s représentant·e·s pour clarifier la motion. Le vote fut appelé alors que le débat s’éternisait, et au final, la motion échoua à passer. Bicentenaire et BSN L’autre moment clé de ce conseil fut la présentation de Gérard Cadet, directeur du bicentenaire de l’Université McGill. Il a présenté les différentes options envisageables pour cette célébration qui se déroulera à partir du Homecoming de 2020 jusqu’en décembre 2021. Il s’agit d’un évènement qui vise à com-

muniquer avec les différents groupes de la communauté mcgilloise afin de créer une vision commune de l’Université. Beaucoup de questions furent posées, notamment concernant les priorités d’un tel évènement. Ce dernier représenterait en effet un budget colossal tandis que certains services à McGill manquent encore de soutien, notamment en ce qui concerne la santé mentale et les ressources académiques. Le directeur a assuré que «tous les fonds ne viendraient pas nécessairement de l’université», et que des financements extérieurs, comme des sponsors, seraient programmés. Ensuite, ce fut au tour d’Andreann Asibey, présidente du BSN, de prendre la parole. Elle présentait une motion visant à augmenter les frais que les étudiants versent à ce club chaque semestre. De 0,40 dollars pour les étudiants à temps plein, ils passeraient à 1 dollars. L’intervention de la présidente avait pour but d’expliquer l’importance de l’utilisation de ces frais en plus de l’importance du club au sein de la communauté mcgilloise. La motion fut ensuite présentée, elle passa avec succès.

alexis fiocco

« Jemark Earle, v.-p. à la Vie étudiante, précisa que la fermeture anticipée du Players’ Theatre avait été faite pour des raisons de sécurité » Rapports des exécutifs Lors de son rapport, Jemark Earle, v.-p. à la Vie étudiante, précisa que la fermeture anticipée du Players’ Theatre avait été faite pour des raisons de sécurité. Connor Spencer, v.-p. aux Affaires externes, annonça sa participation

au Congrès de l’Union étudiante du Québec (UEQ, ndlr) qui se déroula les 24 et 25 février. Pour conclure, Maya Koparkar, v.-p. aux Affaires internes, insista sur l’importance d’établir des rapports sur les mandats exécutifs, à cause d’un manque flagrant de mémoire institutionnelle pour son portfolio. x

campus

L’indignation prend la plume Une conférence discute du racisme au sein du programme GSFS. juliette de lamberterie

Le Délit

L

a Faculté des arts de McGill regroupe un nombre important de départements visant, chacun à leur façon, à la formation d’un esprit critique et à l’acquisition de connaissances étendues. Les plus connus sont traditionnels: la science politique, la littérature, l’économie, etc... D’autres s’y font plus discrets. Parmi ceux-ci, les études de genre, sexualité, féminisme et justice sociale, un programme prônant particulièrement l’égalité, l’inclusivité et l’integrité. Une nécessité d’intervenir Pourtant, deux discussions organisées par l’association des étudiants en Gender, Sexuality, Feminist and Social Justice Studies (études de genre, sexualité, féminisme et justice sociale, ndlr) ont eu lieu la semaine dernière, portant sur la discrimination des personnes de couleur au sein du programme.

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ACTUALITÉS

L’évènement déclencheur s’est produit récemment, lorsqu’un poste de professeur·e s’est ouvert dans le département, et que, parmi des dizaines de candidatures, aucun·e candidat·e noir n’a reçu d’entrevue. Ceux·elles qui l’ont remarqué ont immédiatement voulu partager leur colère. Ainsi, plusieurs étudiant·e·s ont décidé de rédiger une lettre, destinée à être publiée dans le McGill Daily; celle-ci dénonce notamment un comité de sélection entièrement blanc et l’hypocrisie de certains qui se proclament pourtant acteur·rice·s de l’équité à McGill. Le programme, selon ses fondateurs, a pour objectif d’étudier les sujets centraux de manière inter-temporelle, mais surtout inter-sectionnelle, regroupant des cours de Critical Race Theory ainsi que d’études Autochtones. La situation semble donc pour certains tristement ironique. Plusieurs étudiant·e·s issus de minorités témoignent du fait qu’ils n’ont presque aucun professeur de couleur, ce qui,

d’après eux, révèle clairement une inégalité au sein du personnel. «Ne voyant jamais de professeurs qui me ressemblent, il est parfois plus difficile de m’identifier à eux», nous confie une étudiante au cours de la soirée. D’autres observent qu’il est presque impossible de témoigner de conversations complexes et profondes sur les questions raciales. Plusieurs racontent que, plus souvent que l’on ne le soupçonne, certains commentaires déplaisants, voire insultants, sont ouvertement prononcés par des élèves ou des professeur·e·s; beaucoup s’indignent en disant qu’il leur est difficile de croire qu’on puisse entendre le «n-word» pendant un cours ou encore en apprendre sur les «bienfaits et inconvénients» du colonialisme. La pointe de l’iceberg Tous·tes assis·es autour d’une table, un groupe diversifié d’étudiant·e·s échangent et partagent leurs expériences. Une conversation, entamée par

capucine lorber

l’invitation aux commentaires sur la lettre qui sera publiée prochainement, dérive peu à peu vers la question de sa pertinence même. L’on tente alors de dresser une liste de «prochaines étapes» sur une grande feuille blanche,

mais celle-ci ressemble bien vite à un désordre d’idées et de mots, écrits dans tous les sens, un à un ajouté après la prise de parole d’un nouveau participant. Cela montre l’implication des étudiant·e·s dans le débat. x

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montréal

Repenser le

Deux camps opposés veulent faire valoir leurs opinions sur Camilien-Houde.

audrey frédérique-lavoie

Le Délit

D

ans les années 50, un investissement de 1,3 millions de dollars a permis à l’Hôtel de Ville de construire la route Camillien-Houde au centre du parc du Mont-Royal. Le projet-pilote de fermeture de la voie Camilien-Houde comme voie de transit sera bientôt mis en place par la ville, ne faisant pas l’unanimité auprès de tou·te·s les citoyen·ne·s montréalais·es.Cet été, la voie Camillien-Houde aura 60 ans. Soixante ans plus tard, ce chemin est encore au centre des débats non seulement sur la protection des parcs mais aussi, de façon encore plus importante, sur la protection des cyclistes sur

la montagne. Ce débat s’est enflammé plus particulièrement à la fin de l’été dernier lorsqu’un jeune cycliste est décédé après avoir été frappé par un automobiliste sur Camilien-Houde, réveillant alors la population quant au sujet de la protection du parc Mont-Royal ainsi que la protection des cyclistes à Montréal. Le Mont-Royal est un parc historique, national, une partie du patrimoine qui, bien avant d’appartenir aux automobilistes, appartient à l’ensemble de ses citoyen·ne·s. «Ce grand poumon au plein centre-ville est un joyau qu’il faut protéger et mettre en valeur», affirme la mairesse de Montréal Valérie Plante. La redéfinition de CamilienHoude a dressé deux camps opposés avec des arguments diver-

gents. D’un côté: Luc Ferrandez, maire de Plateau-Mont-Royal, le projet-pilote de Projet Montréal et les cyclistes utilisant la voie Camilien-Houde. De l’autre: les automobilistes. Securité et préservation Le maire Ferrandez prône l’aspect de la sécurité avant tout: la sécurité des citoyen·ne·s et des cyclistes, mais aussi la préservation des parcs naturels, plus précisément la montagne. C’est dans cet esprit qu’il veut à tout prix fermer la voie Camilien-Houde. Selon les données de la Ville de Montréal, environ 10 000 voitures utilisent ce chemin quotidiennement dans les deux sens, ce qui est comparable au trafic sur une voie du boulevard

René-Lévesque. La montagne est déjà complète «grugée», comme le dit la journaliste Michelle Ouimet, avec plus de 7 000 immeubles, 40 institutions et quatre cimetières. D’où l’intérêt de renforcer la protection du parc en bloquant l’accès aux automobilistes. Toutefois, pour MarieClaude Lortie, la solution n’est ni blanche ni noire. En effet, cette journaliste de La Presse s’est exprimée cette semaine, déclarant que la solution serait plutôt de trouver un entre-deux puisque cette voie est selon elle si essentielle et fait partie du quotidien des citoyen·ne·s qui voyagent avec leur automobile et n’appartient pas seulement aux touristes, piétons, coureur·euse·s et cyclistes. Le problème, selon les

citoyen·ne·s, réside plutôt dans la vitesse et la fréquence du passage des automobiles et nécessite une plus grande réflexion ainsi que des propositions de solutions plus innovatrices. À la place de fermer la voie aux voitures, des solutions alternatives pourraient être envisagées, comme l’ajout plus de feux de circulation, de dos d’âne ou même d’aménager une piste cyclable plus sécuritaire. Quoi qu’il en soit, le débat sur le MontRoyal ne semble pas être clos. x

capucine lorber

québec

Des logis pour tout le monde? Le FRAPRU organisera une marche de 500km pour les logements sociaux. antoine milette-gagnon

courtoisie du frapru

Le Délit

L

e FRAPRU (Front d’action populaire en réaménagement urbain, ndlr) prévoit pour septembre prochain une marche de 500 kilomètres entre Ottawa et Québec pour revendiquer l’importance du droit au logement. Le FRAPRU est un regroupement panquébécois d’une trentaine d’organismes qui définit sa mission comme étant «la promotion du droit au logement» selon la porte-parole Véronique Laflamme. Parmi les membres du regroupement se retrouvent des comités de logement, des associations de locataires et des comités de citoyen·ne·s. En septembre prochain aura donc lieu une marche reliant Ottawa, capitale canadienne, et Québec, capitale du Québec. «Au FRAPRU, on constate que malgré toutes les interventions du groupe[…], les gouvernements [provincial et fédéral] en font trop peu pour faire respecter le droit au logement qu’ils se sont engagés

à faire respecter il y a plusieurs années en signant le Pacte international relatif au droits économiques, sociaux et culturels», explique la porte-parole du regroupement. Partant d’Ottawa pour se rendre à Québec en environ un mois, la marche organisée par le FRAPRU comptera également des journées thématiques abordant différentes facettes du droit au logement, comme le logement des étudiant·e·s et la situation des femmes en situation de violences conjugales.

L’appel aux dirigeants Le FRAPRU qualifie cet évènement comme étant le «projet le plus ambitieux» de son histoire. Selon Véronique Laflamme, la marche a pour but d’interpeller les deux paliers de gouvernement sur l’insuffisance des investissements dans les logements sociaux (logement dont la location ne génère pas de profit, ndlr). «Ce n’est pas compliqué: il y a des surplus budgétaires à Québec! À Ottawa, il

y a une Stratégie nationale sur le logement. Mais on a l’impression que les gouvernements n’arrivent pas à prioriser une bonne fois pour toutes leurs investissements dans le logement social», s’exclame la porte-parole. Par ailleurs, La Presse révélait cette semaine que la ville de Montréal possède environ 11 millions de dollars «dormant» dans ses coffres et qui sont destinés à l’établissement de logements sociaux. En effet, depuis 2012, 13 millions de dollars avaient été recueillis auprès de promoteurs privés qui décidaient de ne pas inclure la norme de 15% de logements sociaux et de 15% de logements abordables dans les projets de plus de 200 unités. Or, depuis 2012, seulement 2 millions de dollars ont été investis dans la construction de logements sociaux. Situation du logement Selon Véronique Laflamme, les problèmes liés au logement perdurent à Montréal et au Québec en général. En effet, ce sont plus

de 195 000 ménages québécois qui consacrent plus de 50% de leurs revenus pour leur logement, ce qui est bien au-delà du 30% établi comme seuil de problème d’abordabilité comme l’indique Statistiques Canada. 87 000 de ces ménages se trouvent justement à Montréal. «Le marché privé ne permet pas de répondre aux besoins de tout le monde et surtout [pas] des ménages qui sont à faibles revenus», explique la porte-parole. Le FRAPRU dénonce également les problèmes d’insalubrité et d’accessibilité pour les personnes en situation de handicap. «Le droit à la sécurité d’occupation [d’un logement] n’est, pour plusieurs personnes, pas respecté», rajoute Véronique Laflamme. L’une des solutions proposées par le FRAPRU consiste à augmenter le nombre de logements sociaux sur le marché québécois. Environ 10% des logements sont hors du marché privé, un nombre que le FRAPRU estime trop bas pour répondre aux besoins actuels. x

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actualités

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CANADA

La justice et les autochtones Une vigile a lieu pour commémorer la mort de la jeune autochtone Tina Fontaine. Margot hutton antoine milette-gagnon

Le Délit

C

e samedi 24 février avait lieu une vigile au square Cabot à Montréal en réaction au verdict du procès de Raymond Cormier pour le meurtre sans préméditation de Tina Fontaine, en 2014. Le corps de la jeune fille de 15 ans, venant de la Première nation de Sagkeeng au nord-est de Winnipeg, avait été retrouvé dans la rivière Rouge dans une couverture lestée de pierres. Son assassin présumé, Raymond Cormier, a été déclaré non-coupable ce vendredi 23 février par manque de preuves. «Justice pour Tina» Le rassemblement était organisé conjointement par le Foyer pour femmes autochtones de Montréal et le professeur de méditation Dexter X. L’évènement, nommé Justice pour Tina sur Facebook, rassemblait plus d’une centaine de personnes. Parmi les intervenants s’étant exprimés se trouvaient notamment Ellen Gabriel, militante de Kanehsatà:ke, Nakuset, directrice générale du Foyer pour femmes autochtones de Montréal, Viviane Michel, présidente de Femmes autochtones du Québec, Norman Achneepineskum, artiste Anishinabe ainsi que Clifton Ariwakehte Nicholas, cinéaste et militant de Kanehsatà:ke. Les Buffalo Hat singers, groupe contemporain de tambours powwow, ont également offert une performance musicale. «Le but de cet évènement était d’honorer la mémoire de Tina Fontaine, mais également de soutenir l’appel à la justice faite par sa famille», a expliqué Dexter X au Délit. L’intervenant, professeur de méditation, a également décrié le système canadien actuel. «Il semble y avoir des lois différentes pour différentes catégories d’individus. Cela est clairement le résultat du racisme. Les juges, les avocats et les policiers ne sont pas éduqués sur l’histoire coloniale du Canada et c’est l’histoire d’un génocide», a-t-il dit. Plusieurs manifestant·e·s portaient des pancartes où il était possible de lire divers messages: «Canada failed Tina Fontaine» (Le Canada a laissé tomber Tina Fontaine, ndlr), «Love for Tina» (Amour pour Tina, ndlr) et aussi «Justice for Tina Fontaine + Colten Boushie» (Justice pour Tina Fontaine + Colten Boushie, ndlr). Des preuves faibles Lors du procès, la Couronne n’a pas présenté de preuves médicolégales ni de témoins oculaires, mais plutôt des preuves circonstancielles de témoins ayant vu Tina Fontaine et Raymond Cormier ensemble quelques jours

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ACTUALITÉS

avant la découverte du corps de la jeune autochtone. Parmi les autres preuves présentées au procès se trouvaient des enregistrements de Raymond Cormier où celui-ci aurait, selon la Couronne, émis des aveux de culpabilité pour la mort de Tina Fontaine. La défense a contesté la légitimité des enregistrements, plaidant que ceux-ci étaient très peu audibles. Notons que la cause du décès n’a pas été identifiée avec certitude par l’expertise médicolégale. Le verdict de non-culpabilité, délivré par un jury composé de sept femmes et quatre hommes, a déclenché une multitude de réactions vives à travers le pays. De nombreuses manifestations ont été organisées, notamment à Vancouver, Ottawa, Winnipeg, Halifax et Montréal. Des voix se sont élevées au pays pour dénoncer ce qu’elles appellent «l’échec du système de justice canadien», entre autres celles de leaders autochtones au Manitoba. «Le Service à la Famille du Manitoba, […] la Police de Winnipeg [et] la société canadienne ont laissé tomber Tina Fontaine» a déclaré Kevin Hart, chef régional du Manitoba pour l’Assemblée des Premières nations selon une information de RadioCanada Manitoba. Perry Bellegarde, chef de l’Assemblée des Premières Nations, a également déploré qu’«encore une fois, la justice n’a pas été servie dans une salle d’audience pour un individu issu des Premières Nations», sur son compte Twitter. L’affaire Colten Boushie Plus tôt ce mois-ci avait lieu le procès Colten Boushie, où le jeune homme de 22 ans de la Première nation de Red Pheasant, avait été tué par balle en août 2016 par Gerald Stanley, 56 ans. Colten Boushie était présent sur le terrain de Gerard Stanley en compagnie de quatre autres jeunes dans le but de chercher de l’assistance suite à une crevaison de pneu. C’est sur sa propriété que Gerard Stanley a tiré trois coups de feu avec un pistolet dont un en direction de Colten Boushie, qui l’a atteint mortellement à la tête. La défense a plaidé pour un accident causé par le malfonctionnement de l’arme, mais des experts en balistique appelés par la Couronne ont indiqué que l’arme semblait fonctionner normalement. Stanley a été acquitté en février de meurtre au second degré, reconnu non-coupable par les 12 membres du jury —tous de race blanche— de la Cour du Banc de la Reine à Battleford, au Saskatchewan. Notons que des potentiels jurés d’apparence autochtone ont été rejetés par les avocats de la défense grâce à leur pouvoir de récusation péremptoire. Une vague de sympathie envers la

« Le verdict de non-culpabilité, délivré par un jury composé de sept femmes et quatre hommes, a déclenché une multitude de réactions vives à travers le pays » famille de Colten a suivi le verdict, et de nombreuses manifestations ont eu lieu pour dénoncer les problèmes de discrimination au sein du système judiciaire canadien et réclamer justice pour la famille. Tout comme pour le cas de Tina Fontaine, de nombreuses manifestations avaient eu lieu partout à travers le pays pour dénoncer le verdict et offrir un soutien aux proches des victimes. Politique et justice Ces deux affaires ont également eu des retentissements du côté de la classe politique. Plusieurs chefs de partis fédéraux se sont exprimés sur les verdicts. Le chef du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh, avait déclaré sur son compte Twitter que «[Tina Fontaine] a été brutalement assassinée» et que «le système l’a laissé tomber à chacune des étapes, même dans la recherche de la jus-

tice». Aussi, le premier ministre Justin Trudeau avait exprimé son soutien à la famille Boushie tandis que la ministre de la Justice Jody Wilson-Raybould avait écrit sur Twitter que «nous pouvons et devons faire mieux». En entrevue à CTV, la ministre avait également rajouté qu’«il n’y avait pas de place dans le système de justice pour le racisme, la discrimination et les biais de toute sorte» comme rapporté par Le Devoir. L’Association du Barreau canadien avait dénoncé ces commentaires qu’elle qualifie de politiques, soulignant que ceuxci pouvaient donner l’idée que les verdicts étaient fautifs. Par rapport à l’attitude des politiciens, Dexter X s’exprime en disant craindre que les paroles ne soient pas suivies d’actions. «L’attitude du gouvernement actuel est différente de celle du gouvernement précédent [...] mais les citoyens doivent mettre de la pression sur les politiciens, car ceux-ci

sont souvent sensibles à l’argent, au pouvoir et à la menace d’une élection perdue.» Rejoint par Le Délit, Alain-Guy Tachou-Sipowo, chargé de cours dans la Faculté de droit de l’Université McGill, explique que le système judiciaire canadien a souvent été remis en cause par la façon dont les cas étaient traités. «C’est une volonté canadienne de ne pas assimiler les systèmes des nations autochtones, mais ceux-ci n’ont pas nécessairement la souveraineté internationale. […] Cela pose des questions sur la légitimité de ce droit particulier qui, néanmoins, s’insère dans le grand cadre juridique tracé par le Canada.» Questionné à savoir si les verdicts auraient pu être différents si les victimes n’avaient pas été autochtones, Alain-Guy Tachou-Sipowo répond par l’affirmative: «Possiblement, ça aurait été différent parce que [les cas] auraient été régis par des règles différentes.» x

le délit · mardi 27 février 2018 · delitfrancais.com


Monde francophone AMÉRIQUE

AFRIQUE

FRANCOPHONE

HAÏTI

FRANCOPHONE

Jeudi 22 Février Le gouvernement haïtien a décidé de suspendre pendant deux mois les activités de la branche britannique d’Oxfam, la confédération de plusieurs associations caritatives. En effet, des employé·e·s de l’ONG ainsi que plusieurs de ses responsables sont accusé·e·s d’abus sexuels, d’avoir eu recours à maintes reprises à des prostituées ainsi que de plusieurs affaires d’intimidation et de harcèlement au lendemain du séisme de 2010. De plus, l’organisation fait face à une possible expulsion définitive du pays. Cette décision, qui n’est pas sans conséquence pour Haïti, souligne la volonté du gouvernement de contrôler de manière plus stricte les organisations caritatives présentes sur son territoire. x

ALGÉRIE

Depuis plusieurs jours, près de 1 400 personnes notamment chauffeur·euse·s de bus, enseignant·e·s, parents d’élèves et citoyen·ne·s se sont rassemblé·e·s pour dénoncer un climat de violence et d’insécurité dans les milieux scolaires de l’île. Ces derniers mois déjà, plusieurs membres de l’Éducation nationale ainsi que certain·e·s chauffeur·euse·s de bus avaient exercé leur droit de retraite. Le 19 janvier dernier, un établissement scolaire de l’île avait notamment été attaqué par des jeunes à coups de bâton et barre de fer. Depuis, la violence ne s’est pas calmée malgré certains moyens mis en place par le gouvernement, trop légers d’après la population. Les habitant·e·s impliquent la responsabilité de l’État et demandent notamment la démission de Frédéric Veau, préfet de Mayotte. x

Dimanche 18 février Environ 21 ONG et associations humanitaires, algériennes comme internationales, se sont horrifiées des conditions de vie des migrant·e·s subsaharien·ne·s venu·e·s se réfugier en Algérie. La vague d’expulsions massives d’octobre et novembre derniers a en effet repris ces dernières semaines, ce qui a contraint certain·e·s migrant·e·s à se cloitrer dans des mauvaises conditions. D’après un récent communiqué, ces ONG indiquent qu’hommes, femmes (dont certaines enceintes) et enfants sont envoyé·e·s au milieu du Sahara vers Tamanrasset avant d’être expulsé·e·s de nouveaux vers leur pays d’origine. Ce jeudi 22 février, Amnistie Internationale souligne qu’aucune amélioration ne peux être constatée quant aux droits de l’Homme en Algérie. x

MAYOTTE

TEXTE ÉCRIT PAR MARIE BOUDARD INFOGRAPHIE RÉALISÉE PAR BÉATRICE MALLERET

satire

Dopage olympique à Pyeongchang Pourquoi les rumeurs de dopage aux Jeux olympiques sont infondées. astrid delva

Le Délit

D

e nombreux cas de dopage font les manchettes depuis le début des Jeux olympiques de Pyeongchang. Le premier athlète puni étant le japonais Keo Sati, patineur de vitesse contrôlé positif à

l’acétalozamide, un produit qui masque la détection de substances dopantes. Du côté russe, le curleur Alexandro Krusinitsky ayant remporté la médaille de bronze dans la catégorie double mixe a été contrôlé positif au meldonium, une substance jugée illicite par l’Agence Mondiale Antidopage depuis 2016.

capucine lorber

Concernant le japonais Keo Sati, ce dernier a été contrôlé pour l’usage d’un produit diurétique qui masquerait les traces de dopage mais aucune substance dopante n’a été détectée, ainsi la décision du tribunal laisse des interrogations quant à son renvoi du village olympique quatre jours après le début des Jeux. Il est donc normal de se demander si le dopage est acceptable dans certaines situations? La théorie du complot En effet, la Russie est le pays ayant remporté le plus de médailles aux Jeux olympiques de Sotchi en 2014 face à la Norvège, les États-Unis et le Canada. Il n’est pas impossible de penser que l’athlète Krushelnitsky est la cible d’un complot de la part d’un ou plusieurs ennemis politiques de la Russie étant donné que la Russie avait ramené 29 médailles aux Jeux de Sotchi de 2014 et que le curling n’est franchement pas le sport où il serait le plus stratégique de se doper volontairement.

le délit · mardi 27 février 2018 · delitfrancais.com

Les dirigeants russes du curling soutiennent cette théorie en ajoutant que la contamination des aliments et breuvages de l’athlète est une piste très sérieuse. Dans une ère de dénonciation, les dirigeants affirment qu’il serait plus que temps d’attribuer des goûteurs à chaque athlète afin de lutter efficacement contre une pratique «honteuse». Un athlète n’est pas toujours maître de lui-même; la prévention contre le dopage involontaire est essentielle quand certains athlètes peuvent être dopés à leur insu par leur médecin, entraineur ou toute personne les accompagnant dans leur parcours. Le chemin de la droiture De plus, le pays le plus concerné par le dopage, à savoir la Russie, a payé sa part de responsabilité. La Russie s’est honorablement engagée à verser 15 millions de dollars au Comité international olympique (CIO, ndlr) en 2017 afin de permettre «le développement des systèmes antidopage et la facilitation de la coopération entre le

CIO, l’Agence mondiale antidopage (AMA, ndlr) et les fédérations sportives internationales», ce qui laisse imaginer la politique stricte menée à l’égard de toute forme de dopage en Russie. Ce n’est pas la coureuse du 800m, Yuli Stepanivi, aujourd’hui exilée aux États-Unis avec son époux, ancien contrôleur de l’agence russe antidopage ayant révélé le système de dopage organisé en Russie, qui pourra dire le contraire. Rappelons aussi que la Russie est en attente de la décision de la commission exécutive de lever ou non la suspension du comité olympique russe (ROC, ndlr) qui à ce jour n’a pas encore été annoncé par le Comité international olympique. En attendant la décision du Comité olympique, n’oublions pas la célèbre citation de Pierre de Coubertin, fondateur des Jeux olympiques modernes: «Le plus important aux Jeux olympiques n’est pas de gagner mais de participer, car l’important dans la vie ce n’est point le triomphe mais le combat; l’essentiel, ce n’est pas d’avoir vaincu mais de s’être bien battu». x

actualités

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Société

« Chacun de nous, se tournant vers lui-même, se sent évidemment libre de suivre son goût, son désir ou son caprice, et de ne pas penser aux autres hommes. Mais la velléité ne s’en est pas plutôt dessinée qu’une force antagoniste survient, faite de toutes les forces sociales accumulées... »

societe@delitfrancais.com

Henri Bergson

opinion

Le Québec à quota de la plaque La stratégie actuelle d’accès à l’égalité en emploi ne suffit pas. Marc-Antoine Gervais

Le Délit

T

homas Gerbet, journaliste chez Ici Radio Canada, a fait paraître un texte au titre évocateur «Les employés du secteur public sont trop blancs» en fin janvier. Il y expose le piètre bilan de la composition des organismes publics au regard des cibles étatiques en matière de diversité. Les objectifs fixés par l’État présentent de sérieuses failles méthodologiques qui seront exposées plus loin.; Ccependant, la situation évoque un problème réel auquel le Québec fait face: le pourcentage toujours trop élevé d’immigrants et de minorités visibles au chômage ou occupant des emplois pour lesquels ils sont surqualifiés. J’avance que l’imposition de quotas d’embauche, du moins pour les organismes publics, obvierait largement à ces problèmes et permettrait de mieux intégrer les nouveaux arrivants à notre société. Le constat sur la diversité Selon les chiffres de Statistique Canada, les minorités visibles et les immigrants constituaient respectivement 13% et 14% de la population québécoise en 2016, contre 7% et 10% au recensement de 2001. La population se diversifie, et c’est tant mieux. Néanmoins, les nouveaux arrivants font face à des problèmes liés au marché du travail: la difficulté de se trouver un emploi, qui se traduit par un taux de chômage supérieur à la moyenne québécoise, et la faible reconnaissance des diplômes, qui résulte en un taux de surqualification plus élevé que pour les Québécois nés ici. En effet, le taux de chômage des immigrants était 3,3% plus élevé que celui de la population québécoise dite native en 2016, une statistique toutefois en baisse par rapport à l’écart de 5,3% en 2011. Les membres des minorités visibles, même ceux qui sont nés au pays, présentent des statistiques similaires. Pour ce qui est de la pertinence de la formation, environ 30% des Québécois sont surqualifiés, alors que cette proportion frôle les 50% chez les immigrants. Pour pallier les difficultés rencontrées par les minorités visibles sur le marché du travail, l’État québécois a édicté la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics. Suivant cette mesure législative, les organismes publics de plus de 100 employés sont tenus de

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société

mettre en place et d’appliquer un programme d’accès à l’égalité en emploi. La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) prévoit des cibles pour chaque organisme en fonction de la représentation des communautés culturelles possédant les qualifications nécessaires dans la zone de recrutement. En théorie, le CDPDJ pourrait déposer une plainte au Tribunal des droits de la personne contre un organisme qui n’applique pas son programme d’accès à l’égalité. En pratique, malgré le non-respect des cibles par la quasi-totalité des employeurs concernés, aucune plainte n’a été portée à l’attention du Tribunal. L’inobservance de la Loi n’entraine aucune conséquence, et l’inadéquation des cibles y est pour quelque chose. D’abord, fondamentalement, les cibles ne portent pas sur le bon objet: elles sont fixées en fonction de la composition des organismes, un reflet du passé, plutôt que sur les taux d’embauche. Cela revient à dire que, si le CDPDJ voulait réellement pointer du doigt des organismes, ce serait pour les pratiques historiques et non pas pour ses efforts actuels. La ville de Laval, par exemple, a quintuplé son pourcentage de minorités visibles entre 2015 et 2017. Bien que son taux d’embauche récent reflète la diversité des Lavallois, elle n’atteint que 40% de son objectif portant sur la composition totale de ses employés. Les cibles ne sont d’aucune utilité pour brosser un portrait actuel de l’application des programmes d’accès à l’égalité. Ensuite, les «zones de recrutement» sont inadaptées à la réalité du marché du travail. Les organismes situés en banlieue ont une zone de recrutement qui englobe la ville de Montréal, où la majorité des minorités visibles vivent, alors que pratiquement aucun Montréalais ne souhaite s’exiler de la ville. Finalement, les objectifs ne tiennent pas compte de la langue, alors que pas moins de 200 000 immigrants ne maîtrisent pas le français, et que l’on connaît la propension de plusieurs nouveaux arrivants à s’intégrer à la communauté anglophone. Au final, les organismes du centre-ville et anglophones, grâce à leur pouvoir d’attraction élevé, parviennent à mieux atteindre leurs objectifs que les organismes de banlieue et francophones. Il est légitime de se demander à quoi peuvent bien servir ces cibles injustes et non contraignantes, vu l’inadéquation des critères et l’inaction consécutive à leur

Capucine Lorber inobservance. Un mécanisme qui assure l’application rigoureuse des programmes d’accès à l’égalité s’impose. Les quotas: la solution? Gérard Bouchard, sociologue et co-président de la célèbre Commission Bouchard-Taylor, soutient l’idée selon laquelle l’intégration des immigrants passe par l’implantation de quotas d’embauche. Néanmoins, cette stratégie fait l’objet de sévères critiques, en raison de l’impression d’iniquité que les quotas créent. Certains employés sont alors perçus comme ayant été embauchés uniquement parce qu’ils permettent à l’employeur de cocher une case de diversité. Pourtant, le climat actuel est bel et bien inique pour les immigrants et minorités visibles. S’il existait une égalité réelle entre tous les Québécois, sans égard à la nationalité ou à la couleur de peau, il n’y aurait pas lieu d’implanter une telle mesure de «discrimination» positive, ou plutôt d’action positive ( je préfère ce terme, qui réfère spécifiquement au redressement de certaines inégalités, à la «discrimination», dont la connotation est toujours négative et antipo-

Les quotas d’embauche, en plus d’égaliser les chances entre les citoyens de toutes provenances, auraient aussi pour effet d’accroître les contacts entre les cultures dans un environnement de travail davantage multiculturel. De cette façon, cette action positive sert bien les objectifs de l’interculturalisme. Notre modèle québécois de gestion du pluralisme promeut l’intégration des immigrants par des échanges entre les différentes communautés culturelles. Son dessein est de créer une culture commune à partir de la culture majoritaire, dont on reconnaît la légitimité, et des cultures minoritaires, qu’on souhaite intégrer dans le respect de la diversité. Plus la composition des travailleurs est représentative de la diversité québécoise, plus les occasions d’interactions interculturelles sont nombreuses. Les quotas représentent un refus de l’homogénéité, où l’absence de diversité fragmente les cultures majoritaires et minoritaires et nuit aux objectifs de l’interculturalisme. Foncièrement, l’adhésion des cultures minoritaires au modèle interculturaliste requiert l’équité sur le marché du travail. Le premier ministre du Québec,

bien s’intégrer économiquement et socialement à la population québécoise: «Quelqu’un d’exclu et victime de discrimination ne développera jamais de sentiment d’appartenance. Pour sensibiliser quelqu’un et pour le faire vibrer à nos valeurs, il faut d’abord lui donner un travail.» Le discours interculturaliste promouvant la création d’une culture commune est ainsi tributaire d’un marché du travail suffisamment ouvert aux membres de cultures diverses. Cela dit, étendre la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi aux entreprises privées, comme le propose Gérard Bouchard, serait non seulement fort difficilement justiciable, mais entrainerait aussi un problème de liberté de conscience. Interdire la discrimination, comme le fait présentement la Charte québécoise, et imposer l’action positive à des personnes privées, suivant la suggestion du sociologue, sont deux choses complètement distinctes. Il est loin d’être moralement abject de préférer l’égalité dite «formelle» à l’égalité dite «réelle». La première approche mise sur une méthode colourblind, où les candidats sont jugés uniquement en fonction de leur compétence, alors que la seconde exige l’action positive comme mesure de redressement aux iniquités dont sont victimes les immigrants des minorités visibles. Imposer l’égalité «réelle» aux citoyens constitue, à mon sens, une attaque indue à leur liberté de conscience. En définitive, la Loi sur l’accès à l’égalité, dans sa forme présente, ne se traduit pas en une représentativité suffisante de la diversité québécoise dans les organismes publics. Le CDPDJ établit des cibles inadaptées et non contraignantes qui ne sont atteintes que par une fraction des employeurs concernés. Les quotas d’embauche permettraient d’assurer l’imputabilité des mauvaises pratiques d’embauche aux organismes québécois et, espérons-le, de diversi-

« Le discours interculturaliste promouvant la création d’une culture commune est ainsi tributaire d’un marché du travail suffisamment ouvert aux membres de cultures diverses » dale à l’égalité). Bref, les quotas serviraient à corriger l’injustice systémique; il va sans dire, cependant, que la ligne est mince entre la correction d’une injustice et la création d’une inégalité.

Philippe Couillard, a soutenu que «le meilleur outil d’intégration des immigrants, c’est l’emploi». Sur ce point, Gérard Bouchard le rejoint. Le travail serait, à son avis, une condition sine qua non pour

fier leur composition. Ce mécanisme s’avère être une solution attrayante pour garantir l’égalité réelle entre les Québécois de toutes provenances et pour favoriser l’interculturalisme. x

le délit · mardi 27 février 2018 · delitfrancais.com


Opinion

La bataille à l’antiféminisme Il faut combattre toutes les tentatives sournoises d’entraver les progrès gagnés. Katherine Marin

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uite à la montée de la droite politique et du mouvement féministe, il fallait bien s’attendre aux contrecoups des antiféministes. Les adeptes de l’antiféminisme n’auraient pu défendre leurs opinions avec crédibilité s’ils s’étaient eux-mêmes décrits antiféministes; c’est donc pourquoi la plupart d’entre eux se glissent malhonnêtement chez les masculinistes. Or, que pourrait-on qualifier de masculinisme? Le mandat initial de ce mouvement est de démystifier et de sensibiliser la société aux problèmes sociaux touchant une majorité d’hommes comme le décrochage scolaire ou le suicide (pour ne nommer que ceux-ci), et son nom à lui seul suffit à créer la controverse. Il semble alors difficile de conserver cette supposée direction lorsque des individus qui se proclament de ce même mouvement sapent en même temps ses valeurs fondatrices.

Comme le mentionne Cécile Richetta dans son article L’abysse du masculinisme, il est désolant de voir le mot «masculinisme» associé avec celui de l’antiféminisme, mais c’est la couverture sous laquelle les partisans de ce

qu’un, certains individus, ne sachant plus sur quel pied danser, se mettent en colère et rétorquent à ces désirs avant-gardistes qu’ils ne comprennent pas. Le désir d’affirmation de la virilité chez certains hommes s’en voit donc renforcé, et

L’enjeu du rapport au corps concerne donc non seulement les femmes, mais aussi les hommes qui voient d’anciennes contraintes sociales et culturelles renaître de leurs cendres. Ainsi, cette réaffirmation d’une «virilité ultime» nous concerne tous.

Masculinisme et féminisme

Les antiféministes: tour d’horizon Le mouvement antiféministe me semblait auparavant plutôt inoffensif, comme s’il s’agissait du simple résultat d’un manque de connaissances sur le féminisme, mais peu de recherches sont nécessaires pour réaliser que ce mouvement et ses revendications sont beaucoup plus dangereuses que ce que l’on pourrait croire. Le mouvement A Voice for men en est la preuve concrète. Une petite visite sur le site web de ce même mouvement fondé par Paul Elam illustre bien la manière dont on peut s’imprégner de cette désolante réalité. C’est au premier regard sur la page d’accueil que je suis tombée sur un texte rédigé par le docteur Maxwell Light —docteur qui semble être introuvable ailleurs que sur ce site web— portant sur l’histoire du féminisme: A brief history of the feminist revolution (part 3). On y dépeint une réalité fictionnelle où le mouvement féministe, qui en est à sa quatrième vague, tirerait toutes les ficelles de la société, où l’homme n’aurait plus de réelle liberté, où le président des États-Unis, M. Donald Trump, serait censuré par ce mouvement contraignant, où les hommes, même s’ils dominent dans la plupart des métiers sous-entendant une position d’autorité, n’auraient plus de réel pouvoir puisque le féminisme les aurait forcés à se taire. Bien que tout ceci puisse apparaître grotesque, il faut probablement soi-même se plonger dans la lecture d’un texte de ce genre pour saisir toute l’ampleur que peut prendre cette fabulation masculiniste.

pour critiquer ouvertement une femme libre sexuellement. Il va sans dire que certains hommes adhèrent à ces mêmes critiques. On voit bien, dans ce genre de situation, la généralisation du désir de retour à des traditions sexuelles rassurantes et auparavant bien ancrées dans les relations interpersonnelles. Les antiféministes nourrissent avec plaisir ce double standard sur la liberté sexuelle et minent ainsi la crédibilité féministe si laborieusement acquise au fil des années. C’est aussi dans cette optique que les revendications féministes deviennent des armes pour l’antiféministe du dimanche.

PRUNE ENGÉRANT

« Dans un désir de désobéissance aux codes culturels, les féministes se réapproprient ce corps que les antiféministes ne sauraient voir » dernier se cachent et se complaisent. C’est indéniable, les antiféministes, protégés par un mouvement initialement noble, viennent aujourd’hui teinter tous les combats pour leur donner une toute nouvelle couleur. Deux enjeux relatifs à cela gravitent autour du même thème: le corps. Le rapport au corps L’une des fins du féminisme serait, il me semble, l’appropriation du corps qui nous a été attribué. Dans un désir de désobéissance aux codes culturels, les féministes se réapproprient ce corps que les antiféministes ne sauraient voir. Les cartes ainsi brouillées, les codes désignant respectivement les hommes et les femmes ne faisant maintenant

le délit · mardi 27 février 2018 · delitfrancais.com

c’est dans cette posture que s’enracine l’argumentaire antiféministe. Ainsi, Yvon Dallaire, psychologue, qualifie une masculinité de «saine» lorsqu’un homme présente des caractéristiques physiques et psychologiques telles qu’une forte libido ou du charisme, et de «malsaine» lorsqu’il se montre timide et émotif. Au-delà du contenu des articles antiféministes, ces derniers sont souvent ornés d’une image révélatrice, tantôt d’une femme tenant un fouet, tantôt d’un bras de fer entre un homme musclé et un autre sans musculature très apparente. Conséquemment, il est juste de dire que cette appropriation du corps dérange les antiféministes qui tentent un «retour aux sources», un retour au pouvoir symbolique de l’homme dans la société et sur la femme.

Une liberté qui dérange Outre le recentrement masculin et les rectifications concernant la virilité chez l’homme d’aujourd’hui, ce désir de retour «au bon vieux temps» se ressent dans les interactions entre homme et femme et dans les désagréments qu’entraînent les libertés sexuelles et sociales des femmes. On peut ici parler de slut shaming lorsqu’il s’agit de juger une femme sur la base de son activité sexuelle. Malheureusement, ce phénomène connaît de la popularité, et ce chez les individus de tous genres. Les femmes se jugent entre elles par rapport au nombre de partenaires sexuels, à la nature de leur relation avec leur·s partenaire·s, bref toutes les raisons semblent bonnes

Il semble révoltant de se battre pour quelque chose d’aussi naturel que la liberté et la sécurité de nos corps, ou plus simplement pour nos droits sur celui-ci. Il est extrêmement difficile de croire qu’après tout le chemin parcouru, nous en sommes toujours, en quelque sorte, au point de départ. Pourtant, il faut y croire et y penser toujours, puisqu’un seul moment de stupeur semble suffisant pour laisser les idées reçues et les doubles standards prendre le dessus sur nos victoires. Je mets ici en lumière les exemples les plus frappants, et bien que mon but ne soit évidemment pas de provoquer une haine envers le mouvement masculiniste ou de la misandrie, il faut parfois être rudement secoué pour mieux avancer. La quatrième vague de féminisme en est une sans répit, les réseaux sociaux ne dorment jamais, et les avancées du féminisme se retournent contre les femmes lorsqu’elles se retrouvent entre les mains d’antiféministes. Le monde sert de scène a bien d’autres combats incluant les hommes, et les hommes souffrent aussi de plusieurs maux, mais dire que les femmes et le féminisme font partie des éléments déclencheurs de ces maux est non seulement faux, mais enlève de la crédibilité à une noble bataille. De même que pour le masculinisme qui perd lui aussi, nécessairement, des lettres de noblesse lorsque les antiféministes greffent à lui les trop nombreuses idées qui sont les leurs, il nous faut prendre garde. La force et les techniques utilisées par ces antiféministes semblent résider dans l’apposition excessive d’étiquettes et l’accusation. Il s’agit d’une technique efficace dans la mesure où elle attire un large public indifférencié cherchant à décomplexer une vision du monde réprimé par les féministes. Malheureusement, pointer du doigt n’a jamais réglé quoi que ce soit, et c’est le piège dans lequel les féministes et les masculinistes doivent bien se garder de tomber. x

société

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Opinion

Osez penser autrement et vous serez sauvés L’idéal de la croissance nous enferme à désirer ce qui nous tuera tous. Simon Tardif

Le Délit

À

ce stade tardif de notre développement civilisationnel , nous détenons assez de connaissances sur les conséquences de notre technique et notre système pour affirmer que si nous continuons à croître de la sorte, la planète ne sera plus en mesure d’accueillir l’humanité et sera à un tel point transformée que notre passage aura laissé la place à une autre grande extinction. Face au constat d’un système économique suicidaire, comment pouvonsnous penser un système qui ne soit pas basé sur la croissance, sur le productivisme? Cette question est fort problématique puisqu’elle sous-entend que nous sommes actuellement en mesure de changer collectivement. Or, il semble plutôt évident qu’un certain processus nous empêche de prendre en main notre destin et nous ne saurions nous insulter davantage que de croire qu’il n’est question que d’une guerre des classes. Bien davantage qu’un système politique et économique contrôlé par certains lieux de pouvoir, notre système repose avant tout sur la colonisation de notre imaginaire, sur le spectacle.

système actuel module d’une telle manière nos désirs que nous préférons réagir cyniquement à de telles choses et choisissons donc l’inertie, le marché lucratif de la bête réaction. Pourtant, il ne s’agit pas d’infantiliser les citoyens, mais bien de faire remarquer —quoique tragiquement— à quel point les êtres humains sont fragiles au regard de certains jeux cognitifs. Ce n’est donc pas sans raison, pour retourner à notre exemple, que «la lucrative lutte contre certains cancers occupera le devant de la scène aux dépens de sa prévention», suivant les mots d’Alain Deneault.

supportée par des formes culturelles qui accentuent les manières selon lesquelles la consommation apporteraient la satisfaction tant désirée par l’individu» et donc produit ce que l’on pourrait nommer le consumérisme. Le problème étant, un tenant du capitalisme pourrait objecter le choix libre et rationnel de chaque individu, or il nous apparaît que la dynamique culturelle, et donc sociale, dans laquelle nous enferme le capitalisme (la croissance) commande que nous repensions cette supposée liberté au profit d’une malheureuse organisation manufacturée de la société.

L’imaginaire et le spectacle

Croître pour croître En effet, et c’est là toute la beauté ironique des systèmes basés sur la consommation et la production (donc la croissance): nous ne pouvons pas les changer de manière aussi soudaine puisque nous ne le voulons pas. Ainsi, il n’est pas tant difficile d’entrevoir des possibilités différentes, mais il apparaît plutôt impossible de vouloir mettre en action ces mêmes alternatives; le système a développé des mécanismes pour prémunir le changement de ton. C’est pourquoi, si l’on veut réellement penser autrement qu’à travers la croissance et éviter le piège dans lequel se sont aventurés les marxistes et les socialistes, penser un système dans les limites écologiques de notre planète et donc décoloniser notre imaginaire, il convient maintenant à toutes et tous de comprendre la manière dont le système croissantiste colonise nos esprits. À vrai dire, similairement à notre réaction face aux catastrophes écologiques qui pourraient bien causer à tous notre mort, alors que l’on pourrait s’attendre à ce que face aux problèmes endémiques des cancers, un pan important de la population et de la structure politique se mobilise afin de travailler au niveau de la prévention à travers la nutrition et un mode de vie sain, le

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société

modeler l’imaginaire de générations entières, n’auraient fort probablement jamais vu le jour ni même persisté de la sorte. À travers cette science de la propagande consumériste qu’est le marketing, l’alcool, la cigarette, les aliments riches en gras et en sucres et plusieurs autres «choix» auxquels sont confrontés les citoyens ne sont pas vraiment des «choix», mais plutôt des décisions fabriqués à travers une colonisation de notre imaginaire. Comme le disait si bien Georges Bernanos dans ses Écrits de combat (à travers les paraphrases de Jacques Allaire): «le totalitarisme de l’économie [croissantiste] est aussi puissant que celui que les hommes ont combattu auparavant. Mais sa forme est sournoise, parce qu’elle aiguise les appétits et les désirs jusqu’à ce que nous en venions à désirer ce qui nous détruit.» Corolairement, nous ne nous sauvons pas collectivement des catastrophes écologiques en devenir.

Capucine Lorber

« Le totalitarisme de l’économie [croissantiste] est aussi puissant que celui que les hommes ont combattu auparavant » Le choix «éclairé» Le système croissantiste doit naturellement organiser les désirs des consommateurs puisqu’il serait aussitôt mis en danger si la demande ne savait plus répondre à la production. Le capitalisme, tout comme les systèmes croissantistes en général, produit puisqu’il doit produire pour survivre. Autrement, tout s’écroule. Erik Olin Wright, sociologue célèbre pour son livre Envisioning Real Utopias, avance en ce sens qu’en considération de cette logique, le capitalisme a une «dynamique portant à toujours acroître la consommation, elle-même

En effet, pour retourner au capitalisme et à la manière qu’il a d’organiser la croissance, il semblerait qu’au niveau des académiciens et des professionnels de l’économie, un certain type de discours a plutôt privilégié longtemps faire croire que la tournure dramatique qu’ont pris nos sociétés tient d’un choix éclairé. L’une des prémisses profondément absurdes sur laquelle se sont longtemps fondées les différentes pensées classiques et néoclassiques, des écoles libérales en économie, repose sur le fait que l’humain serait un agent rationnel. Or, les travaux du nobélisé Richard Thaler, notamment, nous ont amenés à écarter cette prémisse trompeuse qui a justifié une grande série des ignominies qui jonchent dorénavant les sols de nos sociétés. Les travaux de Thaler ont démontré ce que plusieurs méta-analyses nous montraient déjà très bien : l’humain est hautement influençable. Autrement, toutes les grandes théories de marketing, ces mêmes théories qui ont réussi à

Face à ce genre de manipulations qui empêchent de vouloir ce qui nous sauverait, Cornelius Castoriadis, un grand philosophe franco-grec, avança à cet effet quelque chose de fort important : «Révolution signifie une transformation radicale des institutions de la société. […] Mais pour qu’il y ait une telle révolution, […] il faut que l’idée que la seule finalité de la vie est de produire et de consommer davantage —idée à la fois absurde et dégradante— soit abandonnée; il faut que l’imaginaire capitaliste d’une pseudo-maîtrise pseudorationnelle, d’une expansion illimitée, soit abandonnée.» Autant pour dire, il nous faut changer de haut en bas toutes nos manières d’aborder nos désirs et notre volonté. Si l’on en croit Cornelius Castoriadis, les orientations singulières d’une société, ce qu’elle institue, caractérisent une société conceptuellement donnée. En parlant de ces choses, Castoriadis en appelle à ce que Durkheim nommait le «sacré», c’est-à-dire ce qui fait office de norme inébranlable, de nécessité du monde et donc ce qui organise le social. Castoriadis nomme ces choses les «significations imaginaires sociales» et il les nomme ainsi puisqu’elles ne sont pas réelles, mais proviennent d’une grille d’analyse du monde assez particulière qui ne saurait se suffire ailleurs que dans l’imaginaire collectif. Suivant cela, il semblerait que tous les types de sociétés offrent leur propre schéma de l’aliénation. Pour combattre la société croissantiste, il

faudra lui substituer ses schémas destructeurs puisque productivistes par d’autres schémas, eux-mêmes possiblement aliénants dans une autre mesure, qui permettront de demeurer dans les limites écologiques de la planète. Une fois sauvés, nous apprendrerons à vivre. Dans la même lignée que celle de Castoriadis, l’écrivain et philosophe Guy Debord nous amène à penser certains des aspects colonisateurs de la société croissantiste à travers, chez Debord, le prisme du capitalisme. Suivant les thèses

« Une fois sauvés, nous apprendrerons à vivre » de Debord tirées de la Société du spectacle, le capitalisme ne consiste pas seulement en un système d’accumulation et de production, mais aussi en une colonisation de l’imaginaire des populations à travers plusieurs dispositifs très précis. Le capitalisme, ayant transformé nos imaginaires, nous amène à aménager la planète en fonction d’une logique qui nous surplombe tous; nous ne produisons plus pour un quelconque bonheur, mais puisque le système nécessite que l’on continue à croître et à produire en masse toujours plus grande. C’est ici qu’un concept central à la lecture de la colonisation des esprits prend toute son importance : le spectacle, concept clef chez Debord, se définit par le développement d’une aliénation sociétale où le fétichisme de la marchandise vise à transformer la vie des citoyens. Ceux-ci perdent leur statut de membre actif au sein de la communauté et deviennent des consommateurs passifs. Ainsi, pour reprendre nos exemples mentionnés plus tôt, le consommateur ne cherchera pas à répondre aux problèmes politiques urgents, ni même à prendre soin de luimême, mais cherchera plutôt à recréer la dynamique sociale dans laquelle le capitalisme l’enferme. Cette idée du spectacle est, à plusieurs niveaux, très proche de celle des «significations imaginaires sociales» pensées par Castoriadis. Alors, devant ce macabre constat, que pouvons-nous faire? Il semblerait que s’extirper du spectacle, du schème des désirs du système, soit très complexe, voire impossible à l’heure actuelle. Seule issue possible: questionner, ne pas se suffire des mêmes doctrines doxales et oser penser autrement. x

le délit · mardi 27 février 2018 · delitfrancais.com


innovations innovations@delitfrancais.com

Avancer le diagnostic de plusieurs maladies rares Le Délit a rencontré David Rosenblatt, chercheur pour l’IR-CUSM. clemence auzias

Le Délit

En ce début d’année, des chercheurs de l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé de McGill (IR-CUSM), en collaboration avec l’Université de Lorraine, ont découvert l’épimutation responsable de certaines maladies génétiques qui impliquent la vitamine B12. Le docteur David Rosenblatt, chercheur pour l’IRCUSM, travaille sur cette vitamine depuis ces débuts dans la science et a participé à cette collaboration. Le Délit l’a rencontré afin de comprendre les enjeux de cette nouvelle découverte. Le Délit (LD): Comment ce projet a-t-il commencé? Et pourquoi avoir choisi de se concentrer sur la vitamine B12? David Rosenblatt (DR): Je travaille depuis très longtemps sur les maladies génétiques en lien avec la vitamine B12; j’ai d’abord commencé à travailler sur les maladies génétiques liées à l’acide folique quand j’étais à Boston et puis quand je suis revenu à Montréal je suis passé à la vitamine B12. En 1975, on a commencé à s’intéresser aux troubles héréditaires causés par cette vitamine: certains enfants qui ne peuvent pas l’activer grandiront avec des problèmes de sang (anémie) ou de cerveau. La vitamine B12 est très intéressante et très importante aujourd’hui parce que la tendance est au végétalisme ou au végétarisme et elle se trouve principalement dans la viande. Donc, si vous êtes végétalien, vous devez la prendre en supplément parce que votre corps ne peut pas la métaboliser seul et elle ne se trouve pas dans les légumes. LD: Existe-t-il d’autres laboratoires comme le vôtre qui s’intéressent à ces maladies? Quel est l’intérêt d’étudier des troubles si spécifiques? DR: Ces troubles sont rares et il y a seulement deux centres de recherche dans le monde qui les étudient, le nôtre à Montréal et un autre à Zurich, en Suisse. Ici, nous avons réussi à identifier des patients qui ont des mécanismes d’activation de B12 bloqués à différents endroits. Ensuite, nous les comparons à des patients normaux, sans la maladie, et observons les différences dans le processus d’activation de la vitamine. Grâce à cette méthode, nous avons pu trouver et comprendre ce mécanisme d’activation. C’est là l’importance d’étudier des patients atteints d’une maladie rare parce que vous savez que leur mécanisme est bloqué et que cela cause une maladie.

LD: La maladie étudiée pour ce projet rend les patients incapables de métaboliser la vitamine B12. Pouvez-vous nous en dire plus sur la mutation qui en est à l’origine? DR: Cette maladie est due à une mutation du gène MMACHC et les personnes atteintes ne peuvent activer aucune des deux formes de B12 (un méthyle et une adénosine). C’est une maladie autosomique récessive donc normalement pour l’avoir, vous devez avoir une mutation héritée de la mère et une du père. Nous avons remarqué, après avoir étudié environ 500 patients, que dans certains cas nous ne trouvions qu’une mutation chez un des deux parents mais que le patient agissait comme s’il avait la maladie. Nous n’avons jamais pu découvrir ou était la deuxième mutation et cela a duré de nombreuses années. J’ai alors travaillé avec Jean Louis Guéant (Université de Lorraine) et il a fait l’observation que ce qui devait se passer est que, au lieu d’être muté, le gène été complètement désactivé chez le second parent et chez l’enfant, ce qui permettait à la mutation d’être exprimée. Cela explique pourquoi nous ne pouvions pas trouver la deuxième mutation dans ces patients; elle n’était pas sur le gène lui-même mais sur un gène en aval, qui cause un effet d’inactivation secondaire appelé épimutation. LD: La découverte de cette épimutation est-elle plutôt une bonne nouvelle ou pas? DR: Le côté positif d’une épimutation est que, en théorie, nous pouvons la traiter avec un produit chimique, l’azacitidine, qui permet la réexpression et donc la réactivation du gène affecté. Il y a encore un long chemin à parcourir, mais

« Il y a seulement deux centres de recherche qui les étudient, le nôtre à Montréal et un autre à Zurich, en Suisse » au moins c’est un processus en cours et le plus intéressant est que ce mécanisme peut être généralisable pour beaucoup de maladies où l’on ne trouve qu’une seule mutation. C’est pour cela que nous sommes très enthousiastes et nous essayons de travailler ensemble

le délit · mardi 27 février 2018 · delitfrancais.com

sur une subvention avec les pays européens impliqués dans ce projet de recherche afin de généraliser ce phénomène. LD: Pour revenir sur la collaboration entre les différents laboratoires impliqués, quel est le rôle que chacun a joué? DR: Comme je l’ai mentionné, notre laboratoire et celui de Zurich sont les seuls endroits au monde où les gens sont diagnostiqués pour cette maladie où le gène MMACHC est muté et nous possédons une grande collection de cellules provenant de nos patients. C’est pour cela que les chercheurs ont tendance à nous contacter quand ce gène est concerné, donc quand Guéant a observé cette épimutation en France, il a demandé si nous avions des patients comme ceux-ci et si nous avions des cellules qu’ils pourraient utiliser. Ensuite, nous avons contacté le laboratoire de Zurich pour voir s’ils avaient aussi des mutations similaires et c’est comme ça qu’ils ont rejoint le projet. Cette collaboration avec ces deux laboratoires a été vraiment fructueuse et a très

bien fonctionné parce qu’elle permet à plusieurs scientifiques avec différentes expertises de se retrouver après qu’ils aient fait des tests chacun de leur côté. LD: Quels sont vos projets pour le futur après cette découverte? DR: Pour ce qui est de la recherche, nous mettons une proposition de subvention avec le groupe français, le groupe suisse, un groupe à Prague et un autre en Allemagne pour généraliser cette découverte à d’autres maladies rares. Cette découverte est aussi directement applicable aux diagnostics des patients et nous pouvons faire des changements tout de suite. Notamment, maintenant que nous connaissons le mécanisme génétique, nous pouvons détecter des porteurs de l’épimutation au sein de la famille et si l’un des enfants grandit avec et qu’il rencontre un autre porteur, nous pouvons les aider afin d’éviter d’avoir des enfants ayant la maladie. Par contre la thérapie est une autre question, nous devons d’abord trouver un modèle animal; nous travaillons actuellement sur un facteur de transcription avec

un laboratoire à Denver et un au Texas, qui étudient respectivement les poissons-zèbres et certains modèles de souris. Dans tous les cas, notre laboratoire va continuer de collaborer avec d’autres chercheurs, car nous ne pouvons pas tout faire et plutôt que de développer un énorme laboratoire, je préfère me concentrer sur certaines expertises et compétences. LD: Avez un mot à ajouter pour terminer cette entrevue? DR: J’ai eu beaucoup de plaisir à travailler sur ce projet car il prouve que lorsque vous avez affaire à des maladies rares, vous pouvez obtenir des leçons très intéressantes en biologie et que lorsque l’on travaille avec le système humain, même si l’on n’arrive pas immédiatement à la réponse finale, on peut toujours aider les gens avec des réponses intermédiaires. x Propos recueillis par clémence auzias

Le Délit

innovations

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Culture articlesculture@delitfrancais.com

théâtre

Une quête stérile de vérité Véritable show théâtral, Jean dit étonne, dérange, puis lasse.

ment. La vérité alors transcende littéralement les corps pour atteindre le·la spectateur·rice. Les éléments de mise en scène sont autant d’outils utilisés pour pousser le·la spectateur·rice à s’impliquer dans la question de la vérité. La musique, mais aussi les lumières allumées ou encore les acteur·rice·s qui s’adressent au public déconstruisent sans relâche le quatrième mur. Olivier Choinière, metteur en scène et auteur de la pièce, nous plonge la tête la première dans les méandres de ce culte absolu.

fanny devaux

«O

n va jouer à un jeu, c’est simple, quand je dis ‘Jean dit’, tu fais ce que Jean te dit de faire, mais quand je dis pas Jean dit, tu fais rien, t’as compris?» Jean, c’est l’objet d’un culte qui ne demande qu’une chose: la vérité. Ce jeu, sans cesse invoqué au cours de la pièce, fédère un à un les personnages autour de la vénération de Jean. Jean Dit s’organise autour de cet unique schéma, porté par un texte et une mise en scène qui poussent le procédé théâtral dans ses retranchements. Malgré les grands moyens et l’audace notable employés par Olivier Choinière, Jean Dit s’essouffle rapidement, incapable de porter son potentiel au-delà d’un show assourdissant porteur d’un message inachevé.

Un questionnement inachevé

La violence de la vérité La salle principale du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, déjà, instaure l’ambiguïté entre salle de concert et salle de théâtre. Immense, elle est saturée d’éclairages qui ne s’éteignent qu’à la moitié de la pièce, et ornée de trois écrans géants qui diffusent les décors quand ils ne retransmettent

valérie remise pas la pièce. L’ambition d’un show est assumée. Dans la fosse, le jeu d’un groupe de death métal se mêle à celui des acteurs. Chaque fois qu’un nouveau personnage est converti au culte, le groupe joue et le chanteur chante une phrase s’articulant aut-

our de «la vérité». Le son, très fort, surprend le public peu habitué aux sonorités de la musique métal. Le choix du death métal est audacieux, il est la vérité qui nous parvient brouillée, nous fait peur, et pourtant nous frappe régulière-

«Je jure de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité», psalmodient les personnages les uns après les autres. C’est d’abord une mère, puis un fils, une amie, un employeur, un itinérant, un prof d’histoire, une journaliste, une médecin, jusqu’au premier ministre, qui sont enrôlé·e·s. Cette volonté de représenter autant d’acteur·rice·s de la vérité porte le potentiel d’une réflexion critique intéressante sur notre rapport à la vérité individuellement, et collectivement, sa relativité ou son caractère transcendant et la nécessité de n’énoncer qu’elle, ou la possibilité de mentir. Dans le contexte actuel de remise

en cause permanente de la vérité, Jean Dit avait initialement été écrite comme une fable dépeignant l’ascension d’un leader politique au pouvoir de par son culte de la vérité. Elle a ensuite évolué pour s’affirmer en une vérité qui existe en chacun·e et qui pourtant unit tous les personnages. Si la pièce frôle parfois ces problématiques, son schéma complètement linéaire résulte d’abord en une conception unique de la vérité, à peine questionnée ou débattue. Le culte grandit mais ne questionne pas plus à la fin qu’au début. Durant deux heures, les acteur·rice·s présent·e·s sur scène se multiplient pour mener à une escalade stérile qui débouche sur un dénouement absurde et rocambolesque. L’auteur propose un thème central, et un concept déroutant, mais ne parvient à se saisir ni de l’un ni de l’autre et répète encore et encore le même procédé, jusqu’à causer l’ennui des spectateur·rice·s. Peut-être que l’intérêt de la pièce réside, selon l’auteur, justement dans ce trop-plein, cette intensité de chaque instant qui ne mène à rien. Dans ce cas, la pièce gagnerait à être explicitée pour ne pas laisser le·la spectateur·rice abasourdi·e par un spectacle qui souhaite l’inclure mais le·la laisse froid·e. x

cinéma

La forme de l’autre

Avec son dernier film, Guillermo Del Toro se noie dans un verre d’eau. grégoire collet

Le Délit

L

a forme de l’eau est le dernier film de Guillermo Del Toro, réalisateur connu pour sa fascina-tion pour les créatures fantastiques et leurs rencontres avec les humains. Le film nous plonge dans la vie d’une femme muette qui travaille en tant que femme de ménage dans un laboratoire secret du gouvernement américain dans les années 60. Elle y fait la rencontre d’un monstre marin à la silhouette humaine tenu captif. Les deux se comprennent étonnamment et commence alors à se dessiner une histoire d’amour. Une exigence louable La scène d’ouverture magnifique promet une ambiance et une réalisation travaillées, et Del Toro ne déçoit pas. Le réalisateur place la couleur verte au centre de l’univers esthétique, teinte l’histoire d’une

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culture

légère illusion d’être hors du temps et immerge le spectateur dans l’intrigue qu’il tente de raconter. La force du film réside dans ses détails visuels, son inventivité constante et l’accomplissement d’une cohérence graphique. L’œil est amusé, la première source de divertissement est visuelle. Del Toro fait là ce qu’il fait de mieux, accompagner le récit d’une exigence esthétique rare. Le personnage principal, une femme muette et discrète, est entouré de son meilleur ami, un vieil homme homosexuel et d’une collègue noire au caractère extravagant. On sent un Hollywood qui se veut plus inclusif et porte le drapeau de la diversité. Malgré l’effort évident et l’échec à s’éloigner de certains stéréotypes, l’intention reste à saluer. Le film dépeint une Amérique de la guerre froide, marquée par ses discriminations qui donnent une certaine profondeur au récit et rajoute une pertinence au choix du contexte.

Une poésie précipitée Là où La forme de l’eau réussit à impressionner visuellement, il échoue à nous émouvoir. L’histoire d’amour est accélérée pour laisser place à une intrigue peu utile qui vient grossir les traits d’une poésie promise au début du film. Le personnage principal a un potentiel émotionnel qu’il nous a été donné de sentir le temps d’une ou deux scènes. Cependant, toute tension se voit transférée dans des péripéties annexes qui viennent traiter la question intéressante mais ici surexploitée qu’est le rejet de l’autre. L’histoire d’amour, puisque pas assez abordée, devient absurde et perd sa crédibilité. On ne comprend plus l’intérêt d’une telle trame, le spectateur commence à se lasser. La question des attentes que l’on devrait imposer à une œuvre se pose. S’y étant rendu

courtoisie de fox searchlight

espérant un film poétique, une ode à l’amour, on est rapidement déçu par les ficelles hollywoodiennes venues assommer le récit de lourdeur et de prévisibilité. Pourtant, avec la frénésie générale autour du film, on aurait pu s’attendre à une singularité et une intention assumée. On ne peut pas juger un film sur ce qu’il ne propose pas, une comédie ne peut pas être soumise aux critères d’un film historique.

Cependant, quand il en vient à la vaste catégorie des films hollywoodiens, doit-on se satisfaire de ces ficelles sans les questionner? On en ressort en se disant que c’est dommage de voir la créativité du début s’évaporer pour laisser place à des codes toujours répétés. L’ambition du film est à saluer, mais on aurait pu espérer une œuvre réellement innovante qui aurait pu plus marquer. x

le délit · mardi 27 février 2018 · delitfrancais.com


théâtre

Partir sans retour?

Invisibles, une pièce subversive qui revisite poétiquement l’adolescence et ses tumultes.

eva-meije mounier

Le Délit

F

ugue et adolescence, liberté et violence, norme et marginalité, recherche et découverte de soi —autant de thèmes sublimement abordés par le texte de Guillaume Lapierre-Desnoyers, Invisibles, mis en scène par Édith Patenaude au Théâtre La Licorne. La liberté pour horizon La pièce s’ouvre sur une dispute acerbe, syndrome d’une crise d’adolescence difficile et d’une relation mère-fille conflictuelle. Chloé, quinze ans, incarne ce refus global des normes: refus des pilules de vitamines journalières aux livres de développement personnel de sa mère, refus d’une vie rangée et lisse avec un mari agréable et un travail correctement rémunéré. «J’veux te dire que j’étouffe, que je manque d’air. De lumière aussi. Que j’veux rien savoir d’une vie aussi ennuyante que

la tienne. Il y a d’autres choses que les talons hauts, le rouge à lèvres, pauvre brebis à la recherche des bras protecteurs d’un homme. Je veux plus, plus haut, plus loin, plus intensément. Que j’suis pas faite pour les enclos, même quand on met une piscine hors terre de vingt-quatre pied dedans.»

Pour vivre et ressentir enfin, Chloé prend la route, direction les États-Unis. En tête? Aucune destination, aucun projet, rien que manger et dormir, échapper à la mort et autant que possible aux violences et au viol, dépeint comme «une loto où t’as enfin des bonnes chances de gagner…» Un texte saisissant de

« Je veux plus, plus haut, plus loin, plus intensément » éva-maude tc

fraîcheur et de justesse, sublimé par une interprétation crue et subtile. La perpétuelle recherche À gauche de la scène, Madame Lise St-Aubin, mère de famille éplorée, ressasse à chaque instant les souvenirs de sa fille perdue, à la recherche d’un signe de vie ou d’une clé de compréhension de ces événements qui la dépassent et la laissent anéantie, seule avec son brushing impeccable dans une trop grande maison terne. À droite, le bureau de P., policier-enquêteur travailleur, spécialisé en enlèvement et fugue de mineur·e·s, exposé à longueur de journée à des images de cadavres d’adolescent·e·s et à des histoires familiales sordides, hanté par les visages des disparu·e·s, entreprend un tour des truckstops (aires d’autoroutes, ndlr) pour retrouver Chloé. Entre les deux, un pan incliné —la route, et en fond, un écran sur lequel se succèdent des images de bitume et de câbles élec-

triques. Perchées au sommet, Chloé et son amie Stacy racontent la fugue, la vie de femmes dans la rue, les abus, la faim et le manque de sommeil, les rêves lointains de voyage et le vacarme des camions. En guise de décor, des champs de blé d’Inde à perte de vue et des stations-services glauques, au milieu desquels se mêlent camionneurs et fugueuses, partageant les mêmes burgers huileux. En fond surtout, une indifférence sociale profonde et délétère, éveillée deux fois l’an par des reportages alarmants sur un nouveau tueur en série, alors que l’on retrouve chaque semaine des corps de jeunes femmes dans des conteneurs à déchets. Le portrait sociétal dressé par la pièce est résolument noir, bien que les personnages brillent par leur humanité et leur poursuite du sens. x

Invisibles au Théâtre La Licorne Jusqu’au 16 mars mise en scène par Édith Patenaude

théâtre

Entre érudition et féminisme Les Marguerite(s) brise l’espace et le temps et provoque la rencontre d’icônes.

Aziyadé Abauzit

S

téphanie Jasmin, autrice et metteuse en scène avec Denis Marleau des Marguerite(s), re-constitue le portrait de Marguerite Porète. Cette écrivaine presque inconnue du 13e siècle a été condamnée au bûcher pour son traité Miroir des âmes simples anéanties dans lequel elle remettait en question l’autorité de l’Église. Une pièce innovante Le procès de Marguerite Porète, pendant lequel l’accusée est restée silencieuse, est évoqué dans la première partie. La danseuse et chorégraphe Louise Lecavalier, accompagnée de violons stridents, se meut lentement sur scène. La deuxième partie, d’autant plus attendue par le spectateur du fait que la première partie dure (trop) longtemps, est sans doute la plus intéressante. Cinq Marguerite historiques —de Constantinople, d’York, de Navarre, d’Oingt, Duras— racontent leurs liens

réels ou imaginés avec la femme du Moyen-âge. Elles témoignent également de leur propre histoire de reine, princesse, religieuse ou femme de lettres et de l’influence du traité de Marguerite Porète sur leur vie. Stéphanie Jasmin et Denis Marleau font revivre ces Marguerite à travers chacun de leur portait sculpté grâce à un système vidéo. Celui-ci projette sur les sculptures le visage de Céline Bonnier qui interprète les cinq Marguerite en avantscène. L’idée est originale et bien trouvée, mais finit en fait par desservir la pièce. Voir un visage parler sans le reste du corps devient pénible, ce qui incite à regarder la comédienne. Mais une imposante caméra est fixée tout autour de sa tête, ce qui gêne également la vue ainsi que le jeu pourtant juste et agréable de Céline Bonnier. Cette idée de mise en scène est exécutée pour chacune des Marguerite, ce qui rend la deuxième partie très répétitive. La pièce s’achève par le témoignage d’une jeune femme d’aujourd’hui, tombée par hasard sur Le Miroir des âmes simples

le délit · mardi 27 février 2018 · delitfrancais.com

et anéanties. La comédienne, quoiqu’à la diction parfaite, récite son texte extrêmement rapidement et sans aucune interprétation, ce qui est d’autant plus dommage que le texte est beau et très bien écrit. Une ambition qui s’essouffle Enfin, à part le jeu des lumières particulièrement esthétique et agréable, la scénographie des Marguerite(s) est assez simple et en plusieurs points superflue. La pièce se déroule dans un décor épuré, un atelier d’artiste où se mêlent escabeaux et sculptures. Du fait de sa lenteur et de son statisme, la pièce semble durer bien plus longtemps qu’elle ne dure réellement. Ainsi, Les Marguerite(s) est à voir pour son côté instructif et érudit, mais à éviter si l’on recherche du spectaculaire ou une pièce plus conventionnelle avec dramaturgie et coups de théâtre. x Les Marguerite(s) à L’Espace Go Jusqu’au 17 mars Mise en scène par Denis Marleau & Stéphanie Jasmin

caroline laberge

Culture

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LIGNE DE FUITE spéciale photo

a n t o i n

F

e

o r c i o n e

DELTA DU MÉKONG, VIETNAM, DÉCEMBRE 2016

ARRONDISSEMENT DE NAKANO, TOKYO, JAPON, DÉCEMBRE 2016

ÎLES GILI, INDONÉSIE, JANVIER 2017

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culture

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Evangéline Durand-Allizé photos

Majorelle Marrakech, maroc janvier 2018

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culture

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LA SOCIÉTÉ DE PUBLICATION DE LA TRIBUNE ET LA SOCIÉTÉ DES PUBLICATIONS DU DAILY

MARDI 27 FÉVRIER 4:00 PM - LES FEMMES ET LES MÉDIAS (FR) Salle Madeleine Parent, AÉUM

Marie-Ève Tremblay (ICI Radio-Canada)

CONFÉRENCE SUR LE JOURNALISME ET LES MÉDIAS 26-28 FÉVRIER 2018

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bande dessinée

MERCREDI 28 FÉVRIER 6:00 PM - JOURNALISME DE TERRAIN vs. JOURNALISME DE DONNÉES (FR) Salle Madeleine Parent, AÉUM

Eugénie Lépine Blondeau (ICI Radio-Canada)

Simon Coutu (VICE)

MERCREDI 28 FÉVRIER

Roberto Rocha (Montreal Gazette)

4:00 PM - ÉDITEURS.TRICES EN CHEF DES JOURNAUX ÉTUDIANTS (BILINGUE)

8:00 PM - SOIRÉE RÉSEAUTAGE (BILINGUE) Gerts, AÉUM

Salle Madeleine Parent, AÉUM Nicholas Jasinski (The McGill Tribune) Mahaut Engérant (Le Délit) Inori Roy (The McGill Daily)

Pour plus d’info / horaire complet : https://redefinirlejournalisme.com/

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