Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill
harcèlement sexuel Brisons le silence pages 8 à 10
Mardi 7 novembre 2017 | Volume 107 Numéro 9
Beyoncé depuis 1977
Volume 107 Numéro 9
Éditorial
Le seul journal francophone de l’Université McGill
rec@delitfrancais.com
rédaction 3480 rue McTavish, bureau B•24 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6784 Rédactrice en chef rec@delitfrancais.com Mahaut Engérant
L’AÉUM ne soutient pas la francophonie mahaut engérant et Sébastien oudin-Filipecki Le Délit
L
es éditoriaux dans notre journal ont souvent servi de tribune, du haut desquels il était de notre devoir de défendre la francophonie à McGill, facilitant ainsi le maintien d’un campus accessible et accueillant pour la communauté francophone. L’AÉUM (Association des étudiant·e·s en premier cycle de l’Université de McGill, ndlr) étant un organisme censé protéger et représenter ses étudiants, il subit donc souvent notre mise en examen à ce sujet. Nous louons l’organisation quand elle passe une motion bénéficiant la francophonie, et nous la condamnons quand elle faillit à son devoir. La semaine dernière, une motion demandant que l’AÉUM soutienne (endorse en anglais, ndlr) l’existence de la SPD — Société des Publications du Daily, organisme qui régit les publications du Délit et du McGill Daily — fut apportée au conseil législatif. Elle ne fut pas adoptée. L’AÉUM refuse donc de prendre parti et de soutenir l’existence de la SDP. Ainsi, l’AÉUM refuse non seulement de soutenir l’existence de la presse étudiante — outil qui assure la transparence et la responsabilité de cette institution étudiante — mais elle décide aussi de ne pas soutenir un des organes de la francophonie sur le campus. Quelle gifle pour la communauté francophone et ce, alors même que la semaine dernière l’AÉUM passait une motion afin de refonder la Commission des Affaires Francophones… Un pas en avant, un pas en arrière, somme toute? Des débats familiers Cette motion ne fut pas — il est important de le noter — votée à l’unanimité, avec 12 Conseiller·ère·s se prononçant contre, 10 pour et 2 s’abstenant de voter. Un volte-face pour le Conseil législatif qui avait choisi, à l’époque du dernier référendum, de soutenir la SPD. Ce n’est malheureusement pas la première fois que le Délit connait une relation regrettable avec l’AÉUM. Il y a 40 ans, lors de la naissance du Délit dans les pages de sa contrepartie anglophone, l’AÉUM (dont le McGill Daily était encore à l’époque l’organe de presse), s’était violement opposée à la création d’un journal francophone sur le campus, et elle n’avait pas hésité à traîner le rédacteur en chef de l’époque, Daniel Boyer, devant la Commission Juridique. Cette dernière (fort heureusement pour
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nous) jugea que l’usage du français était une prérogative de l’équipe du journal et permit ainsi à l’édition française de survivre. Aujourd’hui, un des arguments semblant décisif de la part de certains opposants reposait sur la revendication que L’AÉUM devrait rester «neutre» face à ce référendum. Il ne faudrait pas, selon eux, donner l’impression que la presse étudiante est dans la poche de l’AÉUM, ou que les Conseillers soutiennent un organe de presse qui ne plaira pas à tous leurs électeurs. Ne serait-ce qu’un argument faisant office d’écran de fumée, pour masquer un désaccord avec la couverture de cette presse? Dans un éditorial du Délit datant de 2012, à propos du refus de l’AÉUM de soutenir un référendum de CKUT, l’équipe du journal se prononçait déjà à ce sujet: «Le Délit croit que le rôle du Conseil est de prendre ce genre de décisions. Les membres de l’exécutif sont élus selon une certaine plateforme électorale et non pas selon leurs compétences bureaucratiques. De plus, le fait de voter oui, de voter non, ou de s’abstenir constituent tous des énoncés politiques.» Cinq ans plus tard, ces mots sonnent toujours aussi juste. Passer une minorité sous silence Nous notons aussi avec déception la réponse et le vote de la présidente Muna Tojiboeva, elle-même francophone, et qui avait fait de la promotion de la francophonie un point important de sa campagne: «Je ne me sens pas confortable de soutenir (endorse en anglais, ndlr) un journal qui marginalise les étudiant·e·s», déclara la présidente à propos du McGill Daily et de sa politique anti-sioniste. Une autre Conseillère souligna cependant que «Si la SPD cesse d’exister il y a déjà une voix minoritaire qui ne sera pas entendu et c’est la voix de la francophonie». Ceci ne fut évidemment pas assez convaincant, car la majorité des Conseillers votèrent quand même contre la motion. Quel message le Conseil législatif envoi-t-il exactement aux étudiant·e·s? Que l’une des seules voix de la francophonie sur le campus peut-être sacrifiée uniquement à cause d’un désaccord avec la ligne éditoriale d’un autre journal, qui s’avère être publié par la même société de publications? Que le seul hebdomadaire francophone du campus ne serait qu’un simple dommage collatéral en cas d’échec ce référendum? Il y a 40 ans l’AÉUM s’opposait à la naissance du Délit, aujourd’hui elle décide de ne plus soutenir sa continuité. Le Délit regrette amèrement les résultats de ce vote.x
Actualités actualites@delitfrancais.com Léandre Barôme Lisa Marrache Sébastien Oudin-Filipecki Culture articlesculture@delitfrancais.com Lara Benattar Sara Fossat Société societe@delitfrancais.com Hortense Chauvin Innovations innovations@delitfrancais.com Louisane Raisonnier Coordonnatrice de la production production@delitfrancais.com Hannah Raffin Coordonnatrices visuel visuel@delitfrancais.com Alexis Fiocco Capucine Lorber Multimédias multimedias@delitfrancais.com Grégoire Collet Coordonnatrices de la correction correction@delitfrancais.com Éléonore Berne Thais Romain Webmestre web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Coordonnatrice réseaux sociaux reso@delitfrancais.com Dior Sow Événements evenements@delitfrancais.com Madeleine Gilbert Contributeurs Boushra Sara, Kharoll-Ann Souffrant, Beatrice Malleret, Margot Hutton, Marine Idir, Adel Mohamedi, Prune Engérant, Fernanda Muciño, Abigail Drach, Joachim Dos Santos, Chloé Mour Couverture Capucine Lorber , Alexis Fiocco, Mahaut Engérant bureau publicitaire 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 0E7 Téléphone : +1 514 398-6790 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Représentante en ventes Letty Matteo Photocomposition Mathieu Ménard & Geneviève Robert The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Inori Roy n Conseil d’administration de la Société des Publications du Daily Yves Boju, Marc Cataford (Chair), Marina Cupido, Mahaut Engérant, Ikram Mecheri, Taylor Mitchell, Inori Roy, Boris Shedov, Rahma Wiryomartono, Xavier Richer Vis
L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Les opinions de nos contributeurs ne reflètent pas nécessairement celles de l’équipe de la rédaction. Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavant réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal.Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).
le délit · mardi 7 novembre 2017 · delitfrancais.com
Actualités
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AU CŒUR DU QUARTIER DES SPECTACLES
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Les chiffres à retenir
11%
C’est la part de la population canadienne étant sous antidépresseurs. Est-ce une preuve de plus témoignant de la montée du surdiagnostic dans le domaine de la santé mentale? Pour en savoir plus sur le sujet, allez voir page 5. x
À suivre...
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Walksafe étend ses services en se lançant dans un partenariat avec l’école élémentaire nommée FACE. Suite aux coupures de budget l’année dernière, les services de bus scolaires ont été retirés. Walksafe offrira donc ses services durant la journée pour escorter les écoliers devant marcher huit blocks pour se rendre à l’école chaque jour. x
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La représentante de la Faculté d’Arts, Jennifer Chan, prend la parole pour expliquer l’importance du Délit sur le campus durant le Conseil législatif du 2 Novembre. Alors que le référendum sur l’existence de la SPD (Société des Publications du Daily, ndlr) est imminent, la campagne pour faire perdurer cette presse étudiante bat son plein. x
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PENTHOUSE À PARTIR DE
« En laissant le Délit fermer, on marginalise la voix d’une minorité sur le campus, celle des francophones. »
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La Société des publications du Daily (SPD) organise un référendum d’existence entre le 13 et le 16 novembre qui permettra de déterminer le sort du Délit et du McGill Daily. Les médias étudiants et indépendants sont une source importante pour le journalisme critique et le travail créatif sur n’importe quel campus – votez oui pour la liberté de presse, et sauvez Le Délit !
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le délit · mardi 7 novembre 2017 · delitfrancais.com
actualités
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CAmpus
L’AÉUM: retour sur les évènements des dernières semaines QUE DISENT-ILS?
QUE S’EST-IL PASSÉ? 17 septembre Le Conseil des Directeurs, organe suprême de l’AÉUM ratifie une décision de la Commission Juridique (sorte de «Cour Suprême» de l’association) jugeant une motion qui demandait à l’AÉUM de soutenir le mouvement Boycott, Désinvestissements et Sanctions (BDS), inconstitutionnelle.
15 octobre
Muna Tojiboeva
Présidente de l’AÉUM « Je ne pense pas comme eux et je ne reçois pas d’ordres de la presse étudiante ou des groupes militantistes. […] La vraie raison pour laquelle l’Establishment de l’AÉUM ne m’apprécie pas c’est parce qu’il a peur qu’il n’ait désormais plus de laquais fiable pour obéir à leurs ordres. » dans sa lettre ouverte publiée par le Bull&Bear. «160 personnes ont votés non à [la confirmation] d’un Directeur seulement parce qu’il est juif.» lors de l’Assemblée Générale.
La v.-p. aux Finances Arisha Khan est suspendue pendant deux semaines du siège qu’elle occupe au Conseil des Directeurs sur des accusations de violation de confidentialité. Selon la présidente Muna Tojiboeva, cette dernière aurait «réexpédié une conversation confidentielle […] à un membre de l’AÉUM ne faisant pas partie de l’équipe exécutive.» L’intéressée se disait «très déçue» par la décision du conseil «n’ayant même pas eu la possibilité de [se] défendre», etant a une conférence en Californie où elle représentait l’AÉUM au moment du vote.
20 octobre Muna Tojiboeva publie une lettre ouverte dans le Bull and Bear pour se défendre des accusations de la veille. Elle explique qu’elle se sent marginalisée et harcelée par ses collègues au sein de l’AÉUM à cause de ses opinions politiques.
24 octobre Dans un post Facebook, Noah Lew accuse l’organisme Democratize SSMU d’avoir mené une campagne «pour révoquer tous les étudiant·e·s juif·ve·s et anti-BDS de la direction de l’AÉUM» et de l’avoir «publiquement ciblé». Cette information est reprise par de nombreux médias tels que le National Post, la Montreal Gazette et le Times of Israël.
26 octobre
Anthony Housefather Député de Mont-Royal
« Je pense que c’est une bonne première étape, [...] je félicite Mme Fortier pour avoir reconnu que la situation n’était pas acceptable et [..] que McGill d[evait] agir. » en parlant des mesures annoncées par la principale suites aux allégations d’antisémitisme.
Noah Lew
Étudiant en 3ème année à McGill « J’ai été empêché de participer dans la gouvernance étudiante à cause de mon identité juive et mon affiliation avec des organisations juives. » dans sa lettre.
4 ACTUALITÉS
Democratize SSMU publie un communiqué s’excusant d’avoir publié des propos indélicats sur les juifs et réaffirment que leur intention est de «rendre la démocratie au sein de l’AÉUM plus accessible, transparente et signifiante, [et] non de créer une division au sein du corps étudiant».
28 octobre Saisie par Jonathan Glustein, la Commission Juridique rend une injonction temporaire qui suspend la motion divisant la ratification des membres du Conseil des Directeurs. Selon l’injonction «les directeurs n’ayant pas été ratifiés par l’Assemblée Générale [...] ne seront pas démis de leurs fonctions»
31 octobre
La prinicpale Fortier nomme Spencer Boudreau, ancien protecteur des étudiant·e·s comme responsable afin d’enquêter sur les allégations antisémites ayant pris place lors de l’Assembée Générale de l’AÉUM. M. Boudreau devrait rendre ses conclusions d’ici le 15 décembre prochain.
24 septembre Le McGill Tribune publie un article questionnant la constitutionalité de la composition du Conseil des Directeurs. En effet, ce dernier n’était composé, à l’époque, que de 3 membres exécutifs (élus par les étudiant·e·s) au lieu de 4 comme le prévoit l’article 6.2 de la constitution et de 9 membres non-élu·e·s. Cet article est vivement critiqué dans une série de commentaires sur Faceboook par le Directeur Jonathan Glustein qui l’accuse de contenir de nombreuses erreurs factuelles. La situation est rectifiée le 28 septembre avec la nomination du vice-président (v.-p.) à la Vie étudiante Jemark Earle au Conseil des Directeurs.
19 octobre Durant le Conseil Législatif, le v.-p. À la Vie étudiante Jemark Earle lit une lettre, co-signé et soutenu par les cinq autres vice-présidentes de l’AÉUM exprimant une position de «non-confiance» envers la présidente Muna Tojiboeva, et demandant sa démission en tant que porteparole de l’association, en l’accusant, entre autres, de manque de transparence.
23 octobre Durant l’Assemblée Générale, la v.-p. Aux Affaires Internes Maya Koparkar propose une motion pour voter individuellement sur la confirmation de chaque membre du Conseil des Directeurs au lieu de ratifier les 12 membres d’un seul coup comme cela s’est fait par le passé. Certains membres du public questionnent alors la constitutionalité d’une telle procédure. Après avoir consulté le juge en chef (Chieff Justice, ndlr) de la Commission Juridique et la député du Conseil, (parlementarian, ndlr) le président du Conseil Jad El Tal autorise la motion. Trois candidat·e·s sont rejetté·e·s: Noah Lew, Joséphine Wright O’Manique et Alexander Scheffel.
25 octobre
Suite à ces allégations et aux éléments de l’AG, la Principale Suzanne Fortier dit prendre la situation «très au sérieux» et annonce une série de mesures dont l’ouverture d’une enquête, la mise sur pied d’un groupe de travail et le lancement d’une ligne d’écoute téléphonique.
27 octobre Dans une entrevue avec Global News, Noah Lew est soutenu par Muna Tojiboeva qui affirme que le résultat du vote «n’[était] pas quelque chose auquel je ne m’attendais pas car j’ai vraiment vu des gens se mobiliser et distribuer des prospectus et des informations.» Ces affirmations sont remises en question par le Réseau d’Action BDS qui, par la voix d’Iris Madline affirme: qu’«Il n’y a pas eu de ralliement spécifique pour destituer Noah Lew» et que «ça n’était pas une action planifiée».
29 octobre Le Conseil des Directeurs de l’AÉUM annonce la création d’un «Comité spécial sur l’antisémitisme» afin de «créer un plan d’action [...] pour combattre l’antisémitisme sur le campus et faire en sorte que les étudiant·e·s s’identifiant comme juif·ve·s se sentent plus à l’aise, spécifiquement au sein de l’AÉUM». Texte écrit par Sébastien Oudin-Filipecki et Lisa Marrache Infographie réalisée par Grégoire Collet Illustration de Capucine Lorber Crédit photos: Chambre des communes
le délit · mardi 7 novembre 2017 · delitfrancais.com
campus
Le surdiagnostic en psychiatrie High-value care invite le Dr. Paris pour une conférence. madeleine gilbert
Le Délit
A
vec 11% de la population canadienne sous antidé presseurs, le surdiagnostic devient une épidémie. Le surdiagnostic se manifeste par la tendance des psychiatres à prescrire trop souvent des médicaments aux personnes qui ne sont pas atteintes d’une maladie mentale. La psychiatrie étant une science exacte, comment se fait-il que les psychiatres se trompent aussi souvent dans leur diagnostic? Et quelles sont les solutions à cette épidémie ? Lors d’une conférence à ce sujet, Dr Joel Paris, professeur en psychiatrie à McGill, répond à nos questions.
Les causes du surdiagnostic Si le surdiagnostic est aussi courant c’est parce qu’on en sait en réalité très peu sur la santé mentale. En effet, la psychiatrie moléculaire enseignée est très réductionniste car très compliquée. Par conséquent, les psychiatres ont tendance à trop facilement interpréter des symptômes comme type d’une maladie mentale. Par exemple, afin d’être classifié comme dépressif il suffit d’avoir cinq symptômes pendant deux semaines. Pourtant, la majorité des gens vivrons éventuellement une tristesse semblable à la dépression sans qu’elle soit pour autant liée à un problème neurologique. Le diagnostic est d’autant plus compliqué qu’il est difficile de définir une norme en terme de santé mentale. La psy-
Pour la survie Du Délit
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chiatrie étant le seul domaine de la médecine où la maladie ne peut pas être repérée par des outils médicaux, le diagnostic se fait par analyse des symptômes observables et repose donc entièrement sur le jugement du psychiatre. Dr Joel Paris affirme «qu’en fondant son analyse sur les symptômes que lui rapportent ses patients, il lui est très difficile de faire la différence entre la tristesse et la dépression, les sauts d’humeur et la bipolarité, ou encore l’introversion et l’autisme ».De plus, nombreux sont ceux qui accusent le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM ou Diagnositical and Statistical Manuel of Mental Disorders en anglais, ndlr), ouvrage auquel se réfèrent les psychiatres pour classifier les troubles mentaux, d’encourager le surdiagnostic. Il
recense près de 400 troubles mentaux, de plus, «d’une version à l’autre, certains troubles sont retirés et de nouvelles pathologies inutiles et dangereuses exploitées par les firmes pharmaceutiques sont ajoutées» confie Dr Joel Paris. En effet, en fonction des nouvelles découvertes pharmaceutiques, les psychiatres sont plus susceptibles de pousser certains nouveaux traitements. Ceci est d’autant plus inquiétant lorsqu’on voit les effets secondaires et la dépendance que crée ces traitements. Le surdiagnostic est aussi lié au manque de financement. Les consultations chez le psychologue n’étant pas remboursées par la sécurité sociale, les psychiatres sont poussés à prescrire des médicaments afin de compenser ce manque de suivi.
Les solutions possibles Les psychiatres devraient s’interroger sur les facteurs psychologiques et socio-culturels qui pourraient être à la source de la détresse de son patient tels que son rapport à sa famille, ses sources de stress et autres facteurs externes. Il est aussi urgent d’augmenter le financement dans la santé mentale. Cela permettrait de pouvoir financer à la fois la recherche mais aussi les suivis des patients par un psychologue afin d’éviter les prescriptions par défaut. Dans une étude menée par le Dr Joel Paris, on apprend que «si chacun avait 20 sessions gratuites chez le psychologue, le gouvernement réduirait ses dépenses» car les personnes réclameraient moins de médicaments. x
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actualités
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campus
En mémoire des femmes autochtones McGill Students for Amnesty International organise une veillée sur le campus. Boushra sara
Soutien médiatique
elon une révision récente du rapport de la commission d’enquête mise en place par le gouvernement fédéral en 2015, on estime que plus de 1200 femmes et filles autochtones ont été portées disparues ou assassinées au Canada au cours des trente dernières années.
Plus tard dans la soirée du 1er novembre, une projection du film Finding Dawn organisée par McGill Students for UN Women, suivie par le témoignage de deux femmes autochtones prirent place dans le bâtiment Shatner. Les femmes invitées, Melanie Morrison et Cheryl McDonald, qui ont chacune perdu une sœur aux mains de ce fléau, ont partagé avec l’assistance leurs expériences et les difficultés qu’elles ont traversées en tentant de faire appel aux autorités canadiennes qui ont été très lentes à agir. Elles ont dénoncé les préjugés propagés sur la femme autochtone et le peu de soutien médiatique que reçoit la disparition ou le meurtre de l’une des femmes de leur communauté. Elles ont invité les personnes présentes à reprendre le message et à parler de la cause pour encourager des mesures plus grandes afin de retrouver ces femmes et de découvrir ce qui leur est arrivé. Melanie Morrison a souligné que toute femme canadienne victime de violence, qu’elle soit autochtone ou non-autochtone, a le droit à des efforts égaux de la part des autorités et des médias. x
S
Des statistiques accablantes Pour le simple fait qu’elle soit autochtone, indépendamment de son milieu, de son statut social ou de son âge, la femme ou la fille autochtone au Canada a trois fois plus de risques de subir des actes de violence et six fois plus de risques d’être assassinée qu’une autre femme ou fille canadienne. D’après une étude de Statistique Canada citée dans le même rapport, bien qu’elles ne constituent que 4% de la population, les femmes autochtones représentent presque 25% des victimes d’homicide, tous sexes confondus. Une veillée en mémoire des femmes autochtones disparues et assassinées mise en place par
alexis fioccoo McGill Students for Amnesty International a eu lieu le mercredi 1er novembre sur le Lower Field de l’Université McGill. Une trentaine de participant·e·s se sont réuni·e·s pour entendre les mots de Gabrielle Doreen, une membre du programme d’études autochtones à McGill, et pour écouter le slam percutant et touchant d’une étudiante mcgilloise autochtone, Bea Dimaculangan. En cercle, une bougie sur laquelle
est inscrit le nom d’une femme disparue ou assassinée à la main, les personnes présentes ont observé une minute de silence en mémoire des victimes. Après sa présentation, Bea Dimaculangan a accordé quelques mots au Délit. Elle a fait remarquer le peu de support que reçoit la cause des femmes autochtones disparues et assassinées par les autorités et le gouvernement canadien et a ajouté que les organisations étu-
diantes mcgilloises font un bon travail en parlant de ce cas, mais il serait certainement avantageux que McGill, en sa qualité d’institution, prenne des mesures: «McGill, étant une institution, a plus de pouvoir pour exercer une pression sur le gouvernement que d’autres organisations plus petites. […] C’est pour ça que plus de cohésion, de coordination et de solidarité peuvent aussi rendre nos voix plus fortes.»
MONTRÉAL
Les élections municipales en chiffres Les montréalais ont élu hier la nouvelle mairesse de la ville. MAIRESSE DE MONTRÉAL
DISTRICT DE PETER MCGILL
Cathy Wong (Équipe Denis Coderre) 46,33% Jabiz Sharifan (Projet Montréal) 33,56% Steve Shanahan (Vrai changement pour Montréal) 11,81%
MAIRIE DE L’ARONDISSEMENT DU PLATEAU MONT-ROYAL Luc Ferrandez (Projet Montréal) 65,69%
VALÉRIE PLANTE
51,36%
DENIS CODERRE
45,63%
TAUX DE PARTICIPATION 42,46%
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Zach Machlovitch (Équipe Denis Coderre) 34,31% Texte écrit par Sébastien Oudin-Filipecki Infographie réalisée par Grégoire Collet Crédits photos: Projet Montréal, Équipe Denis Coderre
le délit · mardi 7 novembre 2017 · delitfrancais.com
campus
Le Conseil tourne le dos à la presse L’AÉUM ne soutiendra pas la DPS dans leur référendum. léandre barôme
Le Délit
D
écidément, les conflits et coups de théâtre en tous genres deviennent une tradition des Conseils Législatifs. Après la dispute opposant les Vice-président·e·s (v.-p) exécutifs à la Présidente Muna Tojiboeva, c’est au tour de la Société de Publication du Daily (SPD, ou DPS en anglais, ndlr), organe responsable du financement de Délit et du McGill Daily, d’être la cible de tous les débats et litiges. Une première partie dans le calme Premier contraste avec le Conseil précédent, celui du jeudi 2 novembre semblait plutôt vide. En plus du public qui n’était pas au rendez-vous, de nombreux Conseillers étaient également absents —certains avaient prévu un remplacement, d’autres non. De plus, deux v.-p de l’Association des Étudiants en premier cycle de l’Université McGill (AÉUM, ndlr) laissèrent un siège vide: le v.-p. à la Vie étudiante Jemark Earle, et la v.-p. aux Affaires internes Maya Koparkar. Ces absences furent d’ailleurs vivement critiquées par plusieurs membres du Conseil, notamment celle du représentant de la Faculté de Management Mutoko, manquant pour la troisième fois sans excuse et sans remplaçant. Second contraste discernable: après la démission du Président du Conseil Jad El-Tal, c’est une organisatrice avec moins d’expérience qui modèra la réunion pour la première fois, et avec moins de succès. Malgré ces quelques difficultés, le Conseil avança sans encombres dans les premières minutes. La v.-p. aux Affaires externes, Connor Spencer, ajouta quatre motions de dernière minute à l’ordre du jour, dont une particulièrement intéressante: «la motion concernant le soutien de la SPD dans la question du référendum». La v.-p. Connor Spencer procèda ensuite à une présentation de Notre Tour (Our Turn en anglais, ndlr), association luttant contre les violences sexuelles et genrées sur les campus. Elle rappela tout d’abord le rôle de l’organisation, qui comprend la prévention et le soutien aux survivant·e·s, et annonça que McGill avait obtenu une note de 61% concernant sa politique contre les violences sexuelles —sur une moyenne de 64% dans les autres Universités.
Après quelques annonces concernant principalement les évènements à venir sur le campus, la dernière Assemblée Générale (AG), et des plaintes concernant l’accessibilité des motions par les Conseillers et les médias, le Conseil passa à l’ordre du jour. La question qui divise La sérénité du début de la réunion perdura pendant encore un temps. Une première motion passa sans débat et sans difficulté: celle de créer un Comité pour la Représentation Provinciale, dont le rôle serait la diffusion d’informations concernant l’Union Étudiante du Québec (UÉQ, ndlr) et l’Association pour la Voix Étudiante au Québec (AVÉQ, ndlr) avant que l’AÉUM choisisse quelle association rejoindre.
Finalement, c’est la v.-p. Spencer qui sera chargée des négociations avec les autres Universités, comme son mandat le prevoit. C’est avec la motion suivante que le Conseil retrouva cependant une atmosphère similaire à celle du précédent.
Prenant fermement position contre le McGill Daily Muna Tojiboeva et d’autres représentants du même avis, tels que le Conseiller Fodor, s’opposèrent à la motion. Le représentant de la Facultés des Arts et Sciences
« Les seuls à venir ouvertement à la défense de la SPD sont le Conseillers des Services sociaux Savage, les représentants de la Faculté d’Arts, et la v.-p. aux Affaires externes Connor Spencer » En effet, tous les cinq ans, la SPD se doit de réaliser un référendum d’existence auprès des étudiants, afin de savoir si ses publicatins pourront continuer
Fodor insista sur le manque de «standards d’intégrité journalistique de la SPD», et reprocha un possible conflit d’intérêt des journalistes du McGill Tribune,
montrerait aux étudiants, en approuvant la motion, qu’ils soutiennent les médias libres, qui forment un contre-pouvoir, et qui forcent le gouvernement étudiant à rendre des comptes. Lametti rétorqua alors qu’il votera «oui» au référendum, mais que ce n’est pas le rôle de l’AÉUM de pousser les étudiants à un certain choix. Les seuls à venir ouvertement à la défense de la SPD sont le Conseillers des Services sociaux Savage, les représentants de la Faculté d’Arts, et la v.-p. aux Affaires externes Connor Spencer. L’hommage au goût doux-amer Notons que pour toutes les critiques accordées au McGill Daily, le Délit obtint de nombreuses motions favorables, y compris de ceux hostiles à la motion —comme le Conseiller Lametti. Les commentaires portaient souvent sur le fait que le Délit était le seul journal francophone de McGill, et qu’il serait dommage de le perdre. La Conseillère Chan de la faculté des Arts, par exemple, affirma: «En laissant le Délit fermer, on marginalise la voix d’une minorité sur le campus, celle des francophones». Après près d’une heure de débats clivants, le Conseil passa au vote. Résultats: deux abstentions, dix en faveur, douze contre. La motion échoue donc de peu, et contrairementa ala dernière fois, l’AÉUM ne soutiendra pas le «oui» dans le référendum d’existence du Délit et du McGill Daily. Suite et fin
sébastien oudin-filipecki Une seconde motion fut également approuvée avec une large majorité, mais cette fois non sans débat: la contestation de la loi 62, et sa non-application sur le campus.
de recevoir le financément des mcgillois, jusqu’au prochain référendum. À la dernière échéance, le Conseil Législatif accorda le soutien de l’AÉUM à l’organis-
« Les débats concernaient principalement une consultation avec l’UdeM et l’UQAM, avant de tenter de faire pression au niveau du gouvernement fédéral ou provincial contre la loi [62] » Les débats concernaient principalement une consultation avec l’UdeM et l’UQAM, avant de tenter de faire pression au niveau du gouvernement fédéral ou provincial contre la loi.
le délit · mardi 7 novembre 2017 · delitfrancais.com
me, et encouragea les étudiants à voter «oui» au référendum afin que le Délit et le McGill Daily puisse continuer d’être publiés. Cependant, les choses furent un peu différentes cette fois-ci.
du Délit et du McGill Daily qui votèrent aux différentes moions de la dernière AG, alors que ceux du Bull and Bear s’abstenèrent. Les critiques du McGill Daily se firent nombreuses et acerbes, provenant parfois de la Présidente Muna Tojinoeva ellemême. Un autre Conseiller fit remarquer que le McGill Daily prenait fermement position contre l’État israélien et pour BDS, et qu’il lui semblait donc «absurde de forcer les étudiants de confession juive à payer pour le financement du journal». Le Conseiller Lametti, représentant de la Faculté de Médecine, nota quant à lui qu’il voyait un clair conflit d’intérêt dans le soutien d’une institution politique telle que l’AÉUM à une institution médiatique. Le représentant de la SPD, Xavier Thomas, répondit que l’AÉUM
La motion suivante pour appeler une période spéciale de référendum, proposée par Connor Specer et trois Conseillers, fut rapidement reportée au prochain Conseil. Celle qui suivit concernait la lutte contre les stages nonrémunérés, illégaux au Québec, mais pour lesquels on trouve pourtant toujours des annonces sur le campus. La proposition passa sans débat, et sans résistance de la part des différents représentants, avec une nette majorité. Enfin, les divers Comités, Conseillers et membres de l’exécutif présentèrent leurs rapports, avant de clore la réunion aux alentours de 23h. Ce dernier Conseil Législatif dura donc un peu plus de cinq heures, nettement moins que le Conseil précédent, qui s’était achevé à 0h30, après un total de sept heures de délibérations laborieuses. x
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L’affaire Weinstein, et après? Quelles seront les retombées de #moiaussi au Québec? Kharoll-Ann Souffrant
Le Délit
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l s’est écoulé un mois depuis que l’affaire Harvey Weinstein a éclaté à Hollywood. Le puissant producteur hollywoodien s’est vu déchu à la suite d’accusations de viols, d’agressions et de harcèlement sexuel par plus d’une quarantaine de femmes. Dans sa chute, Weinstein a perdu sa conjointe et ses assises professionnelles. L’Académie des Oscars l’a expulsé de son organisation en émettant le commentaire suivant: «Non seulement nous prenons nos distances avec quelqu’un qui ne mérite pas le respect de ses collègues, mais nous envoyons un message pour affirmer que le temps de l’ignorance délibérée et de la complicité honteuse vis-à-vis des comportements d’agression sexuelle et du harcèlement sur le lieu de travail dans notre industrie est terminé». Dans la foulée de ce scandale, le mot-clic #metoo (#moiaussi en français, ndlr), initialement lancé par Tarana Burke il y a une dizaine d’années, est devenu viral sur les réseaux sociaux, rappelant #BeenRapedNeverReported (#AgressionNonDénoncée), lancé en 2014 par Sue Montgomery et Antonia Zerbisias. En France, même son de cloche avec le mot-clic #BalanceTonPorc, qui vise à renverser le fardeau des dénonciations des épaules des survivantes pour le placer sur ceux qui commettent cette violence. Des retombées québécoises L’affaire Weinstein a des échos jusque chez nous, au Québec. Dans les jours ayant suivi le scandale, de nombreuses personnalités publiques se sont également retrouvées visées par des accusations de viols, d’agressions et de harcèlement sexuel. On compte parmi elles Éric Savail et Gilbert Rozon. Tous deux ont aussitôt disparu du paysage médiatique québécois. Dans la même période, le Service de police de la Ville de Montréal a ouvert une ligne de dénonciations, qui a reçu plus de trois cent appels en l’espace d’une semaine . Les Centres d’aide et de lutte aux agressions à caractère sexuel (CALACS) ont vu le nombre de demandes de services augmenter de 100 à 533%. Les CALACS réclament depuis fort longtemps une augmentation de leur financement afin de répondre à une demande qui se veut grandissante, due aux dénonciations plus nombreuses, comme en 2014. Toutefois, quelque chose est différent cette fois-ci: des têtes tombent. Le temps de l’impunité semble révolu. La ministre responsable de la Condition féminine, Hélène David, parle même
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société
Fernanda Muciño
« L’incapacité de notre système à rendre justice aux survivantes d’agression sexuelle est d’une indécence crasse » d’un «ouragan social». Un mois. On pourrait pratiquement parler d’une autre époque. Et pourtant. Un système de justice encore inaccessible à certaines femmes Au Canada, on estime qu’une femme sur trois et un homme sur six sera victime d’une agression sexuelle au cours de sa vie. L’avalanche de témoignages qui a inondé les réseaux sociaux ces dernières semaines est éloquente en ce sens. Toutefois, seulement 5% des crimes sexuels sont rapportés à la police. Parmi les crimes sexuels rapportés aux autorités, seulement 3 plaintes pour agressions sexuelles sur 1000 se soldent par une condamnation. L’incapacité de notre système à rendre justice aux survivantes d’agression sexuelle est d’une indécence crasse. C’est encore plus vrai pour les femmes oubliées de cette conversa-
tion et dont un potentiel processus de dénonciation se retrouve davantage complexifié et alourdi. Je pense entre autres aux femmes des communautés LGBTQ, dans l’industrie du sexe, autochtones, racisées, en situation de handicap physique et/ ou mental, immigrantes, réfugiées ou encore sans statut. Ces femmes ne sont jamais à l’avant-plan des conversations et des débats publics ayant cours sur les agressions sexuelles. Et pourtant, elles sont plus à risque de vivre des situations de victimisation sexuelle et les ressources adaptées à leurs réalités d’autant plus limitées. Plaidoyer pour un retour des cours d’éducation sexuelle au Québec La violence sexuelle n’est pas exclusive au milieu artistique. C’est un fléau présent dans l’ensemble de la société et partout à travers le mon-
de. Pourtant, les cours d’éducation sexuelle dans les écoles du Québec ne semblent pas prêts de revenir, en dépit de l’activisme de groupes tels que la Fédération automne de l’enseignement , de groupes de femmes et de chercheurs universitaires qui pressent depuis des années le gouvernement d’en instaurer et d’en assurer la prise en charge par du personnel formé et qualifié pour le faire. Il est impératif d’intervenir le plus tôt possible afin de conscientiser sur les rapports égalitaires entre hommes et femmes. Car, non, l’égalité entre les sexes n’est jamais acquise. Elle est même loin d’être atteinte. Un récent rapport du forum économique mondial faisait même état d’un recul quant à cette question . Selon cette étude, au rythme actuel, les inégalités entre les hommes et les femmes ne disparaîtront pas avant 2234, soit cinquante ans de plus que les
estimations du dernier rapport. Le Canada a quant à lui perdu deux places au classement mondial de la parité hommes-femmes. On peut se réjouir du fait que de plus en plus de personnes décident de ne plus accepter l’intolérable, et choisissent de le dénoncer sur les réseaux sociaux. Néanmoins, quelle sera la réponse du ressac antiféministe? Est-ce que ces dénonciations en masse se solderont par des condamnations et un changement de mentalité au sein de la société et de nos institutions? Cela reste à voir. À l’heure actuelle, nous avons toujours un homme qui s’est vanté d’être un agresseur sexuel à la présidence des États-Unis d’Amérique. Pourquoi les choses sont-elles différentes pour lui? Comment peuton expliquer cette banalisation de la violence sexuelle dans son cas, alors que plusieurs estiment que nous sommes face à un changement radical de paradigme en ce qui a trait à la violence sexuelle faite aux femmes? La réponse à ces interrogations, elle aussi, reste à voir. x
le délit · mardi 7 novembre 2017 · delitfrancais.com
Harcèlement sexuel opinion
#balancetonprof
Il est temps de déconstruire et repenser la relation pédagogique prof-élève. Néanmoins, la spécificité de la relation professeur·e/étudiant·e est beaucoup moins explorée. En réalité, cette relation hiérarchique est bien souvent perçue comme stimulante et positive — surtout pour les étudiant·e·s de master et de doctorat qui bénéficient d’un·e tuteur·rice tout au long de leur parcours académique. En effet, que pourrait-on redouter d’individus cultivés pour qui l’éducation et l’échange de savoirs font parties intégrantes de leur mandat? Tout, à en croire les chiffres et témoignages récoltés par l’enquête ESSIMU, ainsi que par les multiples associations luttant contre les violences sexuelles à l’université. Plus précisément, deux statistiques sont révélatrices. Presque un tiers des personnes ayant subi une forme de violence sexuelle indiquent qu’au moins une des
chloé Mour
Le Délit
«À
dix-neuf ans, Juliette n’est pas en phase avec les garçons de son âge. C’est alors qu’elle rencontre Victor, le nouveau professeur de philosophie. Partagés entre amour et raison, ils tenteront d’échapper à l’évidence de leurs sentiments.» Tant de films, livres et séries ont usé de ce fantasme populaire, cet amour interdit entre professeur·e et élève. Tabous, ces relations intimes nous sont vendues comme «sexy», désirables — le nec plus ultra de l’expérience amoureuse et sexuelle à l’université. Pourtant, les paroles des victimes de violences sexuelles qui progressivement se libèrent sur les réseaux sociaux (#metoo, #balancetonporc), et à travers différents médias — notamment les récentes accusations d’agressions sexuelles du réalisateur Harvey Weinstein par plusieurs femmes — nous montrent que les dynamiques de séductions entre individus de statuts différents ne sont pas aussi alléchantes qu’elles en ont l’air…
« L’université, comme le reste de la société, est imprégnée de normes sexistes et violentes »
Un traitement médiatique sexiste Si une prise de conscience sur les violences sexuelles s’opère, aussi bien dans l’industrie du cinéma que dans le milieu universitaire, c’est qu’il existe aujourd’hui en 2017, dans les pays occidentaux, un meilleur traitement journalistique du sujet. Les paroles des femmes sont moins remises en question, et les affaires d’agressions sexuelles sont sujettes à davantage d’enquêtes, et surtout de contextualisation. Autrement dit, parler de harcèlement sexuel ou de viol amène à s’interroger sur un problème structurel: notre société patriarcale où une culture — «culture du viol» — perpétue des normes sexistes qui banalisent, voire érotisent, les violences sexuelles envers les femmes. Une autre caractéristique de cette culture est la constante culpabilisation des victimes, qui empêche bien souvent ces dernières de rompre le silence. Toutefois, halte à trop d’optimisme. Nombre de médias ont continué à parler des récentes accusations d’agressions sexuelles (l’affaire Weinstein, l’affaire Kevin Spacey — l’acteur de House of Cards), sous l’angle du sensationnalisme et de l’anecdotique. Pis encore, ces affaires sont reléguées aux rubriques «Célébrités», «Faits divers» et «Culture et Loisirs» des journaux. Dès lors, cette couverture médiatique occulte le problème sociétal et continue de rendre invisibles les violences sexuelles.
Ces mesures prises par l’administration suite à une initiative étudiante prévoient des structures de sensibilisation (comité, cours obligatoire de prévention, etc.), et du soutien aux victimes, ainsi que la clarification des procédures disciplinaires sanctionnant les présumés coupables. Des bureaux ou cellules de veilles sont également présents dans la plupart des universités (UQAM, UdM, McGill, etc.), ou vont ouvrir leurs portes. Ces efforts sont néanmoins susceptibles d’être mis en péril par des investissements financiers insuffisants. Dans les Cégeps, le manque de fonds se fait sentir, notamment en région. De plus, les 23 millions de dollars versés par le gouvernement aux établissements supérieurs en août dernier ne permettent pas de pallier à leurs moyens limités.
dior sow Quant aux «idylles» entre professeure·s et étudiant·e·s, il reste du chemin à parcourir afin de déconstruire et démystifier ces relations. Remue-ménage au Québec Contrairement à ses voisins francophones outre-Atlantique, le Québec a connu ces dernières années une sensibilisation aux violences sexuelles sur les campus. La vague d’agression sexuelle à l’Université Laval en octobre 2016 avait été fortement médiatisé et avait engendré plusieurs marches afin de protester contre la culture du viol. Par ailleurs, six universités québécoises ont publié en décembre 2016 des données chiffrées sur les «situations de violence sexuelle vécues en milieu universitaire». Cette enquête «Sexualité, Sécurité et Interactions en Milieu Universitaire» (ESSIMU) vient combler un grand vide en terme de statistiques. Qu’y apprend-on? 33,5% des répondant·e ·s (étudiant·e·s et employé·e·s universitaires) ont
le délit · mardi 7 novembre 2017 · delitfrancais.com
vécu des gestes de harcèlement sexuel depuis leur début à l’université, et 18,3% rapportent des comportements sexuels non désirés avec ou sans contact physique. Lorsqu’on aborde le harcèlement sexuel sur les campus, ce sont généralement les activités sociales et festives qui viennent à l’esprit comme instances favorables à ces événements. À l’évidence, l’université, comme le reste de la société, est imprégnée de normes sexistes et violentes, qui se manifestent par des agressions d’un·e étudiant·e à l’autre lors d’évènements «extrascolaires» principalement — mais pas que... Professeur·e et étudiant·e: une relation épineuse Comme les autres institutions, les universités impliquent des relations hiérarchiques entre ses membres; entre employeur·e et employé·e, mais aussi entre professeur·e et étudiant·e. Les abus et le harcèlement au travail font l’objet depuis plusieurs années d’une certaine médiatisation.
situations impliquait une personne détenant un statut supérieur. D’autre part, ces gestes ont été commis au moins une fois par des enseignant·e·s dans 25,6% des cas. Les rapports hiérarchiques s’imbriquent dans des rapports de pouvoir liés au prestige d’un·e professeur·e, à sa fonction, son grade, son autorité, exacerbant la vulnérabilité des étudiant·e·s. Dans le cas d’encadrement de thèse, le professeur est souvent l’interlocuteur premier et principal des étudiant·e·s dans leur milieu universitaire. S’ajoute à la personnalisation de la relation pédagogique et la proximité de travail une forte dépendance en terme de réussite académique. Lettres de références, démarches administratives (demandes de bourse), et autorisations de publications sollicitent l’intervention du professeur·e. Cette relation de dépendance est non seulement un facteur de risque, mais empêche souvent les étudiant·e·s de porter plainte lors de harcèlement et/ou d’agression sexuelle. Les répercussions sont alors néfastes: abandon de thèse, traumatisme psychologique, ou encore isolement social. Quelles solutions? Suite aux révélations d’agressions sexuelles sur les campus québécois, plusieurs universités se sont dotées de politiques de lutte contre la violence sexuelle, à l’instar de l’Université McGill.
Récemment, la ministre de l’Enseignement Supérieur, Hélène David, a apporté un brin d’espoir et a permis de faire un nouveau pas dans la lutte contre l’impunité des agresseurs. Le projet de loi 151 prévoit en effet «d’encadrer les liens intimes, amoureux ou sexuels qui peuvent s’établir entre un étudiant et une personne ayant une influence sur le cheminement de ses études». Ce code de conduite se retrouve dans d’autres professions, notamment les professions médicales. Il impose aux professeur·e·s de déclarer à un tiers (collègue, faculté) sa relation avec un·e étudiant·e, et permettra à l’administration d’instaurer les mesures nécessaires pour protéger l’élève et empêcher tous conflits d’intérêts (désignation d’un co-directeur de thèse par exemple). Reste à voir si donner la responsabilité de la protection de l’élève au professeur s’avère efficace. De plus, d’autres envisagent d’aller plus loin en souhaitant l’interdiction totale de ces relations, comme sur certains campus américains. En parallèle, peutêtre serait-il intéressant de tout bonnement repenser la structure de notre éducation et de la pédagogie au sein des établissements d’enseignement supérieur. Entre autres, ne devrait-on pas concevoir un autre moyen d’encadrer et supporter les travaux de recherche des masterant·e·s et doctorant·e·s, évitant ainsi cette relation dépendante et asymétrique? x
société
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DOSSIER SPÉCIAL
Enquête
Une nuit avec Walksafe Immersion dans le quotidien de l’association mcgilloise.
chez eux sans peur quand la nuit s’installe. Certains ont également recours à leurs services de manière récurrente pour des trajets quotidiens, de la bibliothèque au pas de leur résidence étudiante. Cet accompagnement régulier est capital pour certaines étudiantes souhaitant éviter les mauvaises rencontres. Julie*, une étudiante en première année, m’a expliqué avoir régulièrement recours à leurs services pour faire
hortense chauvin
Le Délit
* Les prénoms ont été modifiés
«N
’importe où, n’importe qui sur l’île de Montréal», explique le poster accroché sur le mur du bureau. Il est neuf heures. Ce vendredi soir, j’ai rendez-vous avec l’équipe de Walksafe pour une immersion d’une nuit dans le quotidien de l’association qui propose de raccompagner gratuitement les étudiants en situation de détresse jusqu’à chez eux. Au standard, un membre de l’équipe répond aux appels. Munis d’une trousse de secours, d’une carte de Montréal et de collations, les volontaires se préparent pour leurs shifts nocturnes. En moyenne, l’association reçoit entre zéro et huit appels par soir. La plupart des volontaires expliquent avoir été attirés par la perspective de rencontrer de nouvelles personnes, tout en contribuant au bien commun. «Les gens sont rassurés. Ça empêche une situation désagréable d’arriver. Ça me fait me sentir bien, de savoir que personne n’a à se sentir en danger parce qu’ils veulent sortir et faire la fête. Tout le monde devrait avoir cette opportunité», ajoute Clara*, volontaire au sein de l’association. En sécurité, même les soirs de fête Soir d’Halloween oblige, une grande partie des personnes raccompagnées le soir de cette enquê-
Prévenir avant de guérir Afin de prévenir toute forme de harcèlement ou de violence sexuelle, Consent McGill a mis au point un atelier spécialement élaboré pour les volontaires de Walksafe, auquel ils ont l’obligation de participer. L’atelier Devenir un spectateur actif est destiné à «permettre aux membres de la communauté d’identifier et d’interrompre des situations potentielle-
« De nombreux étudiants font appel à Walksafe pour rentrer chez eux sans peur quand la nuit s’installe »
capucine lorber te étaient en état d’ébriété. Une utilisatrice les remercie: You guys are awesome (vous êtes formidables, ndlr). L’association est particulièrement occupée en fin de semaine et lors d’évènements festifs, comme Frosh. Dans le cas où les marcheurs sont trop inconscients pour marcher jusqu’à chez eux, Walksafe peut les rediriger vers Drivesafe, ou bien les urgences. «Nous nous appuyons sur d’autres personnes pour nous aider», explique Aiman, volontaire depuis le début de l’année. Walksafe collabore également avec les ser-
vices de sécurité de McGill, ainsi qu’avec des associations axées sur la prise en charge psychologique, comme McGill Nightline. Un service essentiel pour certaines étudiantes Les activités de Walksafe ne se limitent pourtant pas aux soirs de fête: le service est également sollicité en semaine, en particulier pendant les périodes d’examens. Révisant jusqu’à des heures tardives, de nombreux étudiants font appel à Walksafe pour rentrer
le trajet du campus jusqu’à chez elle à la nuit tombée. Walksafe joue un rôle essentiel dans sa vie étudiante, lui permettant de ne pas se sentir en danger dans les rues de Montréal. Lorsqu’elle n’utilise pas Walksafe, elle demande à des femmes rencontrées dans la rue de faire le trajet avec elle pour éviter d’être harcelée. «Généralement, les femmes se sentent moins en sécurité», ajoute Clara*. Les rares études menées sur le sujet mettent en lumière le caractère généralisé de ce sentiment d’insécurité. Ainsi, selon le Centre d’éducation et d’action des femmes de Montréal (CEAF), 90% des femmes sondées estiment que le harcèlement de rue est un problème au sein de la ville.
ment dangereuses, et de répondre de manière bienveillante aux individus touchés par la violence sexuelle». Dans cette optique, Walksafe a adopté d’autres mesures, comme l’interdiction de solliciter un contact non-désiré avec un usager rencontré au cours d’un shift, d’entrer à l’intérieur de son appartement, ou encore la constitution de binômes de volontaires mixtes. Afin de répandre son initiative, Walksafe soutient également des projets similaires au sein d’autres universités canadiennes. Avec cette collaboration, les volontaires espèrent que tous et toutes puissent rentrer chez eux en sécurité, à Montréal et au-delà. x
Le Délit s’en va en élections! Un ou plusieurs postes se libère(nt) dans notre équipe éditoriale le semestre prochain. Vous êtes tous invités à vous présenter s’il vous intéresse de vous consacrer plus sérieusement au Délit. Les élections auront lieu le dimanche 19 Novembre. Pour se présenter, il faut avoir trois points de contribution au Délit. Un point peut être un article, une illustration, une photo, ou un passage un lundi soir en soirée de production pour venir faire des relectures. Plus de détails sur les postes en jeux très bientot! Pour toutes questions envoyez un courriel à l’adresse rec@delitfrancais.com ou passez nous voir lors de nos soirées de production tous les lundis soirs à partir de 18h00 dans nos bureaux au bureau (B24, sous-sol de SSMU, en face du Bar Gerts)
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société
le délit · mardi 7 novembre 2017 · delitfrancais.com
opinion
Déstigmatisons les troubles alimentaires. jeanne lefebvre
L
a semaine dernière est parue l’édition sur les identités culturelles. Elle m’a permis de faire une introspection sur mon propre vécu. J’ai lu les nombreux articles sur l’expérience de vie de plusieurs personnes de mon entourage, parfois proches, sans pouvoir imaginer un seul instant la peine qu’il pouvait y avoir derrière ces sourires étincelants, la force qui vivait en eux, ni le courage dont ils faisaient preuve en se livrant à nous, juste le temps d’un instant. J’ai donc pu repenser, non sans émotions, à ce que j’ai vécu, à ce qui m’a marqué dans la vie, et qui continue quelquefois de me porter préjudice à l’heure actuelle. «Tiens toi droite et rentre le ventre» Je viens d’une famille relativement stricte sur l’apparence physique. Mes souvenirs d’enfance sont bercés par plusieurs paroles en particulier. «T’es sûre que tu veux en reprendre?», «il faut souffrir pour être belle ma puce». Que de paroles que je trouvais injustes et qui me causaient déjà beaucoup de peine. Si à la maison les remarques fusaient, l’école ne me laissait guère de repos. C’est à cet instant que j’ai compris la méchanceté dont peut être capable un enfant. Après un mois de scolarité, j’avais
intériorisé le fait que je n’étais pas comme les jolies filles de ma classe, que l’on me choisirait toujours comme la bonne amie, et que c’était comme ça. Je me rappelle pourtant d’un événement en particulier qui a marqué mon esprit et qui est peutêtre, aussi ridicule soit-il, à l’origine de toute ma remise en question. Un jour, à la sortie de la classe, j’ai vu un groupe de filles glousser à la lecture d’une feuille. Il s’agissait d’un «classement des jolies filles de la classe». Curieuse, je l’ai lu, pour y voir écrit en gros mon prénom, en bas de page, avec une petite vache dessinée à côté. Adolescence et indécence Joufflue, petite et rondouillarde. Voilà comment je me vois lorsque que je regarde les photos de ma rentrée au collège. Tout le monde rit à la vue de ses photos de collège, en voyant ses coupes catastrophiques ou les phénomènes de mode des early 2000s. Pour ma part, ça ne m’amuse pas. Je repense aux insultes. «Hey la grosse!», «bouge tes grosses fesses», «t’es contente, y’a des frites à la cantine!» Je repense aussi aux phrases lourdes de sens de mon entourage. «Tu sais, la société est triste. Il faut soit être belle, soit intelligente, et toi, il va te falloir être intelligente», «si tu maigrissais tu sais, tu serais si jolie». Des phrases si lourdes, une peine si grande m’ont forcées à prendre une décision radicale: j’allais maigrir. Alors pendant tout
un été, je me suis engagée dans un régime draconien. En deux mois, je m’étais affinée d’environ dix kilogrammes. Miroir, miroir J’ai ensuite vu le regard des gens changer. Mon caractère était toujours le même, pourtant les gens semblaient me trouver plus drôle. J’avais plus d’amis, j’ai découvert que je pouvais plaire, et au lieu de m’indigner contre ce comportement hypocrite, où l’apparence est plus importante que le contenu, ce sentiment m’a plu. J’ai tout fait pour le garder. Je
Le début de la faim Cette préoccupation devenait obsessionnelle, si bien que je commençais à culpabiliser dès que je mangeais un peu plus que d’habitude. Cette culpabilité a laissé place à de la privation. Je mangeais moins, et sautais parfois volontairement des repas. J’avais aussi trouvé une technique que j’ai longtemps gardé par la suite, qui consistait à mâcher tous les aliments que je voulais, puis les recracher directement, afin d’avoir leurs goûts sans leurs calories. Cela arrivait de plus en plus souvent. Plus je le faisais et mieux je
« Rien ne comptait plus pour moi que le sentiment d’être approuvée, d’être validée par le regard des autres » pouvais passer trois heures dans la salle de bain avant d’aller en classe, au risque de mettre en retard mes parents et d’énerver mon frère. Ça m’était égal. Rien ne comptait plus pour moi que le sentiment d’être approuvée, d’être validée par le regard des autres, moi qui n’avait jamais vraiment reçu cette forme d’approbation auparavant. J’alimentais à mon tour cette société ultra narcissique et pervertie. «L’enfer, c’est les autres», disait Sartre. Et bien moi, j’étais devenue l’Autre.
me sentais; parce que j’étais fine et mes proches me félicitaient; parce que je portais du 0; parce que mon petit ami de l’époque me trouvait belle et je ne voulais sous aucun prétexte que cela change. Pour toutes ces raisons et bien d’autres encore, je n’ai pas arrêté aussi vite que je l’aurais voulu. Le freshman 15 La rentrée à l’université marqua pour moi un tournant. L’indépendance, être libre du
regard de ma famille a laissé libre arbitre à mes désirs, si bien que je mangeais ce que je voulais, quand je voulais. C’est là que j’ai compris la signification de l’expression freshman 15. Son sens a pris une nouvelle ampleur lorsque je suis retournée chez moi pour les vacances d’été. «Que tu as grossi!», «redresse la tête tu as un double menton», «c’est dommage, tu étais si belle». Ces mots là m’ont fait verser de nombreuses larmes. Tant de cruauté a suscité beaucoup de questionnements: valait-il mieux être moins heureuse et plus fine? Fallait-il se soucier de leurs regards? Et de leurs regards tu te soucieras Cet été là, j’ai eu l’opportunité unique de faire un stage en région parisienne. J’en garde pourtant l’un des pires souvenirs de ma vie. Seule dans mon studio, je ressassais les mots de mes proches. Je me rappelle m’être sentie minable en voyant les corps élancés des parisiennes, et de les envier. Dans le milieu journalistique où je faisais mon stage, je voyais défiler de superbes créatures qui faisaient office de présentatrices, et dont les repas étaient toujours les mêmes: un grand verre d’eau et surtout pas trop de salade. À force d’évoluer dans ce milieu, je me suis habituée à faire comme elles, et au moindre écart, je m’empressais de me faire vomir. Ou alors je ne mangeais pas le repas suivant, et celui d’après, et encore d’après. Tout en continuant, en parallèle, de recracher ce que je mangeais quand l’occasion se présentait. Bien heureusement, et surtout avec beaucoup de chance, car j’ai bien conscience qu’un cas comme le mien n’est pas coutume, j’ai réussi à arrêter ce comportement par moi même, sans en parler à personne. Ce n’est pas si facile
dior sow
le délit · mardi 7 novembre 2017 · delitfrancais.com
Mon expérience n’est sûrement pas la pire, et certainement pas la seule. C’est pourquoi je la partage avec vous. Parce que je sais à quel point il est facile de ne pas s’aimer. Parce que je sais à quel point l’idée de se faire vomir semble être si simple. Parce que je sais combien c’est dur de se priver pour pouvoir maintenir un idéal. Aujourd’hui, j’essaye de m’accepter comme je suis, de manger de tout, de profiter des moments et d’apprécier les choses, sans complexes. Je lutte chaque jour contre la tentation de me comparer à d’autres femmes. J’essaye d’abord et avant tout de me débarrasser et de débarrasser ceux autour de moi de cette peur de grossir, avant qu’elle ne nous bouffe. x
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Culture articlesculture@delitfrancais.com
PENSER l’ART
Le paradoxe de la valeur de l’art
Au-delà du beau et de l’utile, oÚ rÊside la vraie valeur de la crÊation artistiqueW? BÊatrice malleret
Le DĂŠlit
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l est souvent bien difficile de dÊterminer ce qui constitue la valeur d’une œuvre d’art. D’oÚ vient le fait que l’on accorde *&/-ŗ ē#'*),. ( ŗBŗ/(Ċ ŗ ,.#-. ŗ +/ēBŗ/(Ċ ŗ /., Ďŗ )'' (.ŗ 2*&#quer la valorisation de Balloon Dog de Jeff Koons à la modique somme de 58,4 millions de dol& ,-Ďŗ ē ,.ŗ -.ŗ#( )(. -. & ' (.ŗ ( ,Zŗ (-ŗ/(ŗ )(. 2. ŗ+/#ŗ0 ŗ& ŗ forger, l’influencer et l’interprÊter. À tel point que nous pouvons rarement observer une œuvre et rÊussir à faire abstraction des circonstances de sa crÊation, tout d’abord, mais aussi du cadre dans lequel nous l’observons. Vouloir Bŗ.)/.ŗ*,#2ŗ --#!( ,ŗ/( ŗ0 & /,ąŗ un sens à une œuvre d’art peut en fait nous Êloigner de sa vÊritable essence.
' -- ! ŗ ŗ* #2Ąŗ ŗ0 & /,ŗ ŗ ŗ tableau est donc due en grande partie au fait qu’il est porteur d’un message qui surpasse la discipline artistique. Mais est-ce que toute œuvre artistique acquiert sa valeur seulement en Êtant le reflet d’une Êpoque, d’un mouvement, )/ŗ ē/( ŗ )/./' Ďŗ /ē (ŗ -.Ě#&ŗ -ŗ /., -ŗ+/ &#.Z-ŗ ŗ&ē ,.Ď
$/-+/ē /2ŗ (0#,)(-ŗ /ŗÝÿè siècle, l’art a surtout de la valeur pour -)(ŗ , .f, ŗ, &#!# /2Ąŗ &ŗ* ,mettait de reprÊsenter des scènes bibliques, et de leur donner un , .f, ŗ. (!# & ŗ .ŗ,Z &ąŗ ð(ŗ ŗ satisfaire, mais aussi de conte(#,ąŗ&ē#' !#( .#)(ŗ -ŗð f& -Ąŗ ŗ preuve que l’art est utilisÊ à des ð(-ŗ, &#!# /- -ŗ -.ŗ,Z0Z&Zŗ* ,ŗ& ŗ
le dÊpasse. Dans ce sens-là , l’art se Z. " ŗ (ŗ* ,.# ŗ ŗ-)(ŗ , .f, ŗ /.#& ŗ .ŗ, 0 ( #+/ ŗ& ŗ ,)#.ŗ ē 2#-. ,ŗ *)/,ŗ& ŗ /.Zŗ'`' Ąŗ ŗ(ē -.ŗ*&/-ŗ tellement le sujet de reprÊsentation qui importe, mais la manière dont il -.ŗ, *,Z- (.ZĄŗ ŗ$/-. -- ŗ /ŗ., #.ąŗ & -ŗ+/ &#.Z-ŗ ŗ* ,-* .#0 ąŗ& ŗ ")#2ŗ des couleurs sont tous des critères pris en compte dans l’Êvaluation Abigail Drach
L’art, vouÊ à être contextualisÊ? Que ce soit en cours d’Histoire de l’Art ou dans un musÊe, à la contemplation d’une œuvre se joint gÊnÊralement un question( ' (.ŗ-/,ŗ-)(ŗ )(. 2. ŗ"#-.),#que ainsi que ses motivations politiques, religieuses ou culturel& -Ąŗ # (ŗ-)/0 (.ąŗ 2*&), ,ŗ /.)/,ŗ d’une œuvre permet d’en saisir & ŗ- (-ŗ*&/-ŗ*,) )( Ąŗ )(( z., ŗ & ŗ )(. 2. ŗ* ,' .ŗ ē &.Z, ,ŗ- ŗ vision du travail, d’en saisir les
 L’art est ancrÊ dans une rÊalitÊ politique et sociÊtale dont il ne peut être dÊtachÊ  nuances et les rÊfÊrences. Notre observation n’en devient que plus ,# " ŗ .ŗ-#!(#ð .#0 Ąŗ
ŗ. & /ŗGuernica de Picasso est reconnu pour avoir un fort impact Êmotionnel, qui &/#Ě'`' ŗ0Z"# /& ŗ/(ŗ' -- ! ŗ *)&#.#+/ ŗ*/#-- (.Ąŗ #-- (.ŗ ŗ côtÊ son analyse plastique — qui a beaucoup de valeur en elle-même, notamment pour son caractère innovant — cette œuvre est louÊe parce qu’elle a avant tout un sens "#-.),#+/ Ąŗ *,Z- (. (.ŗ& -ŗ bombardements allemands de Guernica durant la guerre civile espagnole (1936-1939), cette toile porte la douleur et l’angoisse d’un . &ŗZ0Z( ' (.ŗ$/-+/ē /ĊBŗ& Ċ ŗ -* . . /,Ċ,# ąŗ /ŗ')3 (ŗ ŗ ()' , /2ŗ-3' )& -ĄŗAŗ*,Z- (.ąŗ Guernica est reconnu comme un
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culture
 Tout a le potentiel de devenir art, mais tout n’est pas naturellement art  Le beau comme valeur artistique Ė ē -.ŗ # (ŗ*&/-ŗ /ŗ&),-que c’est inutile. Quand le personnage Êponyme de Cyrano de Bergeracŗ*,)()( ŗ .. ŗ*", - ŗ dans le dernier acte de la pièce, il ne fait pas rÊfÊrence à l’art, mais à &ē .#0#.Zŗ"/' #( ŗ (ŗ!Z(Z, &Ąŗ .ŗ pourtant, cette formule lapidaire trouve son sens dans le domaine ,.#-.#+/ Ąŗ (ŗ /,)* ŗ ŗ&ē / -.ąŗ
fait que les artistes ne signaient $ ' #-ŗ& /,ŗ., 0 #&Ąŗ &-Ċ && -ŗ Z. # (.ŗ ē #&& /,-ŗ )(-# Z,ZĊ -ŗ )'' ŗ -ŗ ,.#- (Ċ Ċ-ŗ .ŗ()(ŗ* -ŗ des artistes. ē -.ŗBŗ* ,.#,ŗ ŗ& ŗ ( #-- ( ŗ que l’art devient plus apprÊciÊ pour - ŗ+/ &#.Zŗ -."Z.#+/ ąŗ .ŗ&ē ,.#-. ŗ , )((/Ċ ŗ*)/,ŗ- ŗ- (-# #&#.Zŗ ,.#-.#+/ Ąŗ ŗ0 & /,ŗ ŗ&ē ,.ŗ( ŗ,Z-# ŗ donc pas seulement dans sa capacitÊ à reprÊsenter un ÊvÊnement qui
de la beautÊ d’une œuvre. Ainsi, les critères de beautÊ peuvent aussi être une forme de contrainte 2 , Z ŗ-/,ŗ&ē ,.Ąŗ &-ŗ&ē -., #!( (.ŗBŗ ,Z*)( , ŗBŗ ,. #(-ŗ ,#.f, -ŗ -."Ztiques qui, bien que variant d’une Êpoque à une autre, d’une culture à une autre, limitent l’art aussi bien au niveau de la libertÊ de crÊa.#)(ŗ+/ ŗ ŗ- ŗ* , *.#)(ŗ* ,ŗ& Ċ ŗ -* . . /,Ċ# Ąŗŗŗŗ Pour libÊrer l’art des règles
-."Z.#+/ -ŗ+/#ŗ& ŗ )(., #!( (.ąŗ #&ŗ-ē !#.ŗ ē )*. ,ŗ/( ŗ **,) " ŗ #ÎZ, (. ŗ ŗ& ŗ /.ZĄŗ ŗ /ŗ- ŗ #-.#(!/ ŗ ŗ&ē -."Z.#-' ŗ (-ŗ& ŗ mesure oÚ il s’agit d’une qualitÊ +/#ŗ(ē -.ŗ* -ŗ*,Z Zð(# ąŗ .ŗ+/#ŗ( ŗ ,Z-# ŗ* -ŗ (-ŗ& ŗ$/-. -- ŗ. "nique d’une œuvre, mais dans les Z').#)(-ŗ+/ē && ŗ-/- #. Ąŗ ŗ /ŗ devient personnel, discutable. Ainsi, le fait que la perception ŗ& ŗ /.Zŗ -.ŗ/( ŗ ")- ŗZ'#nemment personnelle permet de sÊparer encore plus l’œuvre de son caractère utilitaire. Si la valeur d’une œuvre d’art rÊside dans les 3 /2ŗ ŗ &/#ŗ+/#ŗ&ē) - ,0 ąŗ&ē# Z ŗ même de valeur devient subjec.#0 ŗ .ŗ " (! (. Ąŗ ē -.ŗ /ĊBŗ& Ċ ŗ -* . . /,Ċ,# ŗ- /&Ċ ŗ ŗ Z. ,miner quels sont les ÊlÊments ē/( ŗ¢/0, ŗ+/#ŗ& Ċ ŗ.)/ " (.ąŗ l’Êmeuvent ou tout simplement, &/#ŗ*& #- (.Ąŗ ē¢/0, ŗ* , ŗ ŗ- ŗ ð2#.Ząŗ ŗ- ŗ,#!# #.Zŗ*)/,ŗ.,)/0 ,ŗ un caractère plus libre et mallÊa & Ąŗ ē ,.#-. ŗ #.ŗ -ŗ ")#2ŗ+/#ŗ( ŗ -)(.ŗ* -ŗ#'*)- & -ŗBŗ &/#Ċ& ŗ qui observe. Sa production est Z. "Z ŗ ŗ )(., #(. -ŗ ŗ /.Zŗ )/ŗ ŗ$/-.#ð .#)(Ąŗ * ( (.ąŗ la notion de beautÊ, même subjective, demeure une contrainte 2.Z,# /, ŗBŗ&ē ,.ŗ&/#Ě'`' Ąŗ ē -.ŗ un critère à remplir pour que l’art soit considÊrÊ vÊritablement
 À l’Êpoque des acadÊmies d’art, les règles d’esthÊtisme suivaient des dogmes extrêmement stricts et rÊglementÊs, et la beautÊ d’une œuvre passait pour être mesurable de manière quasiobjective  comme de l’art. Peut-on atteindre un stade oÚ la crÊation artistique ( ŗ ' ( ŗ / /( ŗ$/-.#ð .#)(ŗ /., ŗ+/ē && Ě'`' Ďŗ L’art pour l’art Ainsi, la poursuite du beau peut être vu comme un obstacle à l’atteinte de l’essence de l’art. Sa valeur peut être autre, comme en tÊmoigne les œuvres Ready-
le dÊlit ¡ mardi 7 novembre 2017 ¡ delitfrancais.com
madeÄ—Ä…Ĺ—. "(#+/ Ĺ— ,.#-.#+/ Ĺ— )(.Ĺ— & Ĺ— " Ĺ— Ĺ—Ă°& Ĺ— -.Ĺ— , &Ĺ— / " '*Ä„Ĺ—
Ĺ—-#(!/& ,#.ZĹ— Ĺ—., 0 /2Ĺ— )'' Ĺ— Fontaine ĂŠmane de ce qu’ils ne poursuivent aucunement l’idĂŠal /Ĺ— /Ä„Ĺ— Ä“/,#()#,Ĺ—, .)/,(ZĹ— Ĺ— d’ailleurs causĂŠ bien des remous lors de sa prĂŠsentation au public, car il allait Ă l’encontre de l’idĂŠe que la sociĂŠtĂŠ se faisait de ce +/#Ĺ— )(-.#./ Ĺ—/( ŗ¢/0, Ä„Ĺ— ŗßúè siècle rĂŠvèle ainsi une nouvelle dimension possible pour l’art, et +/ -.#)(( Ĺ—& -Ĺ— ZĂ°(#.#)(-Ĺ—+/#Ĺ—& Ĺ— rĂŠgissaient jusqu’alors. Si l’art ne peut ĂŞtre ni porteur d’un message politique, sociĂŠtal ou autre, ni Ă la poursuite du beau, quel but , " , " Äš.Äš#&Ĺ— )( ÄŽĹ— ĂŒĹ—- Ĺ—.,)/0 Ĺ— - Ĺ—0 & /,ÄŽĹ— Ĺ—+/ Ĺ—,Z0f& (.Ĺ— / )/*Ĺ— d’œuvres contemporaines, c’est que, pour saisir la valeur de l’art, '# /2Ĺ—0 /.Ĺ—( Ĺ—* -Ĺ—&Ä“ ), ,Ĺ— Ĺ— manière pragmatique. Ă€ savoir, il est rĂŠducteur d’interprĂŠter une Ĺ“uvre d’art uniquement comme /(Ĺ— )/,-Ĺ— Ä“"#-.)#, Ĺ—)/Ĺ—/(Ĺ— 2 '*& Ĺ— de canon de beautĂŠ, parce que la crĂŠation artistique est une interprĂŠtation d’un fait, d’une percep.#)(Ä…Ĺ— Ä“/(Ĺ—,`0 Ä…Ĺ— Ä“/( Ĺ—# Z Ä„Ĺ— && Ĺ—( Ĺ— peut donc ĂŞtre rĂŠduite Ă un seul
 C’est dans l’idÊe que l’artiste est libre de crÊer comme il¡elle l’entend, sans la poursuite d’une utilitÊ prÊdÊfinie, que rÊside la valeur de l’art 
BEATRICE MALLERET
ÊlÊment, car en tant qu’interprÊtation, elle se prête à être interprÊtÊe elle-même. Ainsi donc, ce qui rÊgit l’art est le principe ŗ&# ,.ZĄŗ ē -.ŗ (-ŗ&ē# Z ŗ+/ ŗ l’artiste est libre de crÊer comme il¡elle l’entend, sans la poursuite d’une utilitÊ prÊdÊfinie, que rÊsi ŗ& ŗ0 & /,ŗ ŗ&ē ,.Ąŗ ē ,.ŗ, 0 (dique le droit de ne pas être utile, .ŗ& ŗ ,# ŗ" /.ŗ .ŗ ),.ŗ (-ŗ& -ŗ '/-Z -ąŗ& -ŗ # (( & -ąŗ& ŗ,/ Ąŗ ŗ contemplation d’une œuvre d’art acquiert de la valeur lorsque nous la laissons nous imprÊgner d’un - (-ŗ+/#ąŗBŗ& ŗ )#-ąŗ()/-ŗ" #. ŗ .ŗ nous transcende.
Ton corps t’appartient-il?
ŗ*"#&)-)*"# ŗ /ŗ')/0 ' (.ŗ &/2/-ŗ#( ,( ŗ .. ŗ* (sÊe. Toute leur crÊation est articulÊe autour de l’idÊe que l’art, ē -.ŗ& ŗ0# ėĄŗ ŗ-. ./.ŗ ŗ&ē ,.#-. ŗ est remis en cause, l’art peut se trouver partout, peut Êmerger de n’importe quel objet, n’importe quelle situation. Difficile donc, de dÊfinir une valeur particulière à l’œuvre d’art. Mais cela ne signifie pas que tout est art. Tout a le potentiel de devenir art, mais tout n’est pas naturel& ' (.ŗ ,.Ąŗ ē -.ŗ&ē '*, #(. ŗ ŗ l’artiste qui apporte de la valeur Bŗ/(ŗ) $ .Ąŗ ē -.ŗ& ŗ, ( )(., ŗ du regard de l’artiste avec celui du¡e le¡a spectateur¡rice qui a de la valeur — une valeur intangible .ŗ#(- #-#-- & Ąŗ #( & ' (.ąŗ c’est dans la gratuitÊ de l’art (entendu en tant qu’objet de contemplation, et non de possession), que se trouve sa plus grande valeur, sa plus grande ,# " -- Ąŗ ,.# /&#f, ' (.ŗ dans une sociÊtÊ oÚ tout objet, toute action doit être empreint d’utilitÊ pour avoir la lÊgitimitÊ ē 2#-. ,ąŗ&ē ,.ŗ +/# ,.ŗ- ŗ0 & /,ŗ du fait que son utilitÊ ne peut être dÊfinie. x
Une rÊflexion sur l’appropriation sensible et profonde de notre corps. thaïs Romain
Le DĂŠlit
A
mbiance cabaret, sans coulisse, sans distance avec le public. Une convivialitÊ et un partage avec les spectateurs s’installent dès le dÊbut, grâce à ce dÊcor intime. 4 acteurs, 4 interprè. -ąŗ/( ŗ'/&.#./ ŗ ŗ$ /2ŗ ŗ,ž& -ŗ et par-dessus tout, des remises en +/ -.#)(Ąŗ (-ŗ' -+/ ŗ .ŗ- (-ŗð& ., Ton corps t’appartient-il? est une pièce de la jeune troupe Minuit )#(-ŗ ( ŗ "Z:., Ąŗ ( ŗZ+/#* ŗ talentueuse et dynamique qui a su, de mains de maitres, Êveiller les esprits en jouant une mosaïque de . 2. -ŗ )(. '*), #(-ŗ .ŗ & --#+/ -ąŗ traitant de la conception du corps "/' #(ŗ .ŗ -ŗ #ÎZ, (. -ŗ R)(-ŗ ŗ se le rÊapproprier.
table, on peut nÊanmoins se rendre compte qu’elle peut très vite aboutir Bŗ -ŗ+/ -.#)(-ŗ.,f-ŗ*)&Z'#+/ -Ąŗ (ŗ effet, que penser de l’avortement
2/ &#.ZÄ…Ĺ—-Z / .#)(Ä…Ĺ—0#,#&#.ZÄ…Ĺ— fĂŠminitĂŠ ou encore avortement furent quelques-uns des grands ."f' -Ĺ—., #.Z-Ĺ—&),-Ĺ— Ĺ— Ĺ—*/44& Ĺ—
!, ( Ĺ—+/ &#.ZĹ— -Ĺ—. 2. -Ĺ—$)/Z-Ä…Ĺ— && (.Ĺ— Ĺ— /2Ĺ— Ĺ— ),! -Ĺ— 3 /Ĺ—BĹ— , (R)#-Ĺ— , " ' /&.Ä…Ĺ— (Ĺ—* -- (.Ĺ— par quelques-uns de la plume des Laurent Forget
Provoquer la sensibilitÊ et la rÊflexion Suis-je rÊellement maitre de ')(ŗ ),*-Ďŗ /#ŗ-/#-Ě$ ąŗ+/ ŗ-/#-Ě$ ŗ -#ŗ$ ŗ( ŗ-/#-ŗ* -ŗ')(ŗ ),*-ĎŗAŗ+/#ąŗ )/ŗBŗ+/)#ąŗ ** ,.# (.ŗ ŗ ),*-Ďŗ ē -.ŗ')#ąŗ' ŗ* (-Z ąŗ')(ŗ -*,#.ŗ )/ŗ ( ), ŗ')(ŗ:' Ąŗ (ŗ #-.#(!/ ąŗ ŗ .. ŗ R)(ąŗ (ŗ/(ŗ- /&ŗ`., ąŗ/(ŗ -/$ .ŗ .ŗ/(ŗ) $ .ŗ ,ŗ+/ ŗ-#!(#ð ŗ appartenir sinon être un objet, un # (ąŗ/( ŗ*,)*,#Z.ZĎŗ .. ŗ / &#.Zŗ /ŗ -/$ .ŗ (., z( ŗ#''Z # . ' (.ŗ -ŗ ($ /2ŗZ."#+/ -ŗ .ŗ #)Z."#+/ -Ćŗ-#ŗ mon corps m’appartient, j’ai le droit d’en user et d’en abuser comme je l’entends. J’en aurais ainsi un usage absolument libre. Nul autre que moi n’aurait le droit de s’en servir, du moins sans mon consentement prÊalable. Si cette affirmation semble de prime abord tout à fait accep-
)/Ĺ— Ĺ—& Ĺ—*,)-.#./.#)(ÄŽĹ— *,f-Ĺ— 0)#,Ĺ— assistĂŠ Ă trois reprĂŠsentations de cette pièce depuis l’annĂŠe dernière, $ Ĺ—-/#-Ĺ—.)/$)/,-Ĺ— /--#Ĺ—.)/ "Z Ĺ—ÄœĹ—-#Ĺ— Ĺ— n’est davantage avec le temps — par les sujets controversĂŠs traitĂŠs avec Ă°( -- Ĺ—* ,Ĺ—& -Ĺ— . /,-Ä„Ĺ—
le dÊlit ¡ mardi 7 novembre 2017 ¡ delitfrancais.com
."Z:., &Ąŗ ,: ŗBŗ/(ŗ$ /ŗ /--#ŗ( ./, &ŗ +/ ŗ.)/ " (.ąŗ .. ŗ.,)/* ŗ ŗ*)/,ŗ premier objectif — et pas des moindres — de provoquer la sensibilitÊ du */ &# ŗ*)/,ŗ&ē#( #. ,ŗBŗ& ŗ,Zó 2#)(ąŗ voire même à la prise de position. But atteint avec brio grâce à une
#, .,# -ŗ ,.#-.#+/ -ŗ && -Ě'`' -Ćŗ ( b&& ŗ )3 ,Ě )-. ŗ .ŗ &# ŗ
!/#..)(Ä„Ĺ— ÂŤNous ne sommes pas seulement corps, ou seulement esprit; nous sommes corps et esprit tout ensemble.Âť George Sand
Ă€ vous la parole (Ĺ—Z " (! Ĺ— 0 Ĺ—& -Ĺ—-* tateurs vient ensuite clore " +/ Ĺ—, *,Z- (. .#)(Ĺ— Ĺ—& Ĺ— .,)/* Ä„Ĺ—Ä– Ä“ -.Ĺ— -- (.# &Ĺ—*)/,Ĺ— nous d’entendre ce qu’a ressenti le public, d’avoir leur point de 0/ Ä—Ä…Ĺ— Z & , Ĺ— Z&# Ĺ— !/#..)(Ä…Ĺ— directrice artistique et actrice. Quelle partie de votre corps prĂŠZ, 4Äš0)/-ÄŽĹ— Äš Äš.Äš#&Ĺ— Ĺ—()-Ĺ—$)/,-Ĺ— un renouveau dans le regard +/ Ĺ—()/-Ĺ—*),.)(-Ĺ— /Ĺ— ),*-ÄŽĹ— )'' (.Ĺ— Z #(#-- 4Äš0)/-Ĺ—& Ĺ— Z'#(#.ZÄ…Ĺ—& Ĺ—0#,#&#.ZÄŽĹ— )/,+/)#Ĺ— Äš.Äš)(Ĺ—. (.Ĺ— -)#(Ĺ— Ä“Z.#+/ .. -ÄŽĹ— Un point de convergence dans l’opinion s’est rĂŠsumĂŠ au fait que la femme se respecte si elle-mĂŞme est respectĂŠe. Si dans notre monde moderne, les termes fĂŠminitĂŠ et virilitĂŠ ont des signi# .#)(-Ĺ— &)/ -Ĺ—-#()(Ĺ—#( 2#-. (. -Ä…Ĺ—BĹ—'#Äš " '#(Ĺ—- Ĺ—.,)/0 Ĺ— &Ä“"/' (#.ZĹ—+/#Ĺ—* /.Ĺ—., (- ( ,Ĺ— ces concepts. Ainsi, mon corps ne m’ap* ,.# ( , #.Ĺ— )( Ĺ—* -Ćŗ$ Ĺ—-/#-Ĺ— mon corps. Mais cette affirmation ne doit pas aboutir Ă une forme de rĂŠaction contre la libĂŠration du corps, notamment &# Z, .#)(Ĺ—- 2/ && Ä…Ĺ— /Ĺ—*,Z. 2. Ĺ— Ĺ—*,#( #* -Ĺ—'), /2Ĺ—,#!# -Ä„Ĺ— && Ĺ— doit aboutir Ă repenser une so #Z.ZĹ—+/#Ĺ—) , Ĺ—& Ĺ—, -* .Ĺ— Ĺ— " cun et l’auto-dĂŠtermination de son corps, comme de sa volontĂŠ. #Ĺ—0)/-Ĺ— /--#Ĺ—0)/-Ĺ— Z-#, 4Ĺ— 0)#,Ĺ—& Ĺ— " ( Ĺ— Ĺ— Z )/0,#,Ĺ— .te troupe engagĂŠe et passionnĂŠe, && 4Ĺ—- (-Ĺ—*&/-Ĺ— .. ( , Ĺ—0)/-Ĺ— )(( ,Ĺ—BĹ—& /,Ĺ—* ! Ĺ— ))%Ĺ— *)/,Ĺ—-/#0, Ĺ—& /,-Ĺ—*,) " #( -Ĺ—, *,Z- (. .#)(-ĆŗBĹ—( Ĺ—* -Ĺ—, . ,ÄŒĹ—x
culture
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Musique
Il les a
battus
Loud lance Une Année Record, son premier album qui s’annonce prometteur. MARGOT HUTTON
Le Délit
A
près avoir fait sonner son premier EP solo New Phone tout l’été, le rappeur montréalais Loud sort Une année record, un album marquant pour son originalité. Prévu le 10 novembre, il est possible de l’écouter sur les plateformes de streaming depuis le 27 octobre. Jusqu’ici tout va bien L’album a été réalisé par Ajust et Ruffsond, avec qui il avait déjà travaillé pour son EP. Du côté production on retrouve Ride Record, coordonné avec Caroline International France, pour prévoir une sortie outre-Atlantique simultanée, mais aussi quelques dates de concerts en France. Il y aurait également un contrat avec la compagnie européenne Auguri Productions, ce qui est plutôt exceptionnel pour un premier album solo. Affaire à suivre donc. Si Loud Lary Ajust, l’ancien groupe de l’artiste, n’est plus d’actualité, ce n’est pas pour autant qu’il faut complètement tirer un trait dessus. Le rappeur souligne dès So far so
ments (évènements, albums, clichés) qui ont fait partie de sa vie alors qu’il grandissait à Athunsic.
good que ses origines s’y trouvent, même s’il y annonce son chemin divergeant. L’on retrouve par ailleurs Lary Kidd sur deux chansons de l’album ainsi que 20Some, membre des Dead Obies en collaboration sur une piste.
Officiellement dans le game Ce triomphe ne lui est pas tombé dessus par hasard, comme en témoigne TTTTT , où Loud parle des défis liés à son art, notamment gérer simultanément sa vie privée et sa vie d’artiste. Cette seconde vie apporte tout de même son lot de désagréments, énumérés dans Hell, what a view: les envieux, les groupies, avec qui le rappeur ne veut plus avoir affaire. C’est pourquoi il s’élève au-dessus d’eux. Malgré son énorme succès, le rappeur n’hésite pas à dénoncer les dérives dans les comportements de certains artistes dans SWG, où il est secondé par Lary Kidd. Dans Une année record, qui conclut l’album, l’artiste revient sur le chemin qu’il a parcouru, avec «Le rap de garderie [qui] s’apprête à graduer le collège», même si certains étaient persuadés que le rap québécois était voué à l’échec. Nul doute que l’ambitieux rappeur ne s’arrêtera pas là, et qu’il a mérité sa place parmi les plus grands. x
Traverser les frontières Loud se démarquait déjà par un style fluide, vulnérable et poétique. Ce style est plutôt bien conservé tout au long d’Une année record, et particulièrement dans Devenir immortel (et puis mourir). À cette légèreté viennent s’ajouter des punchlines marquantes, et des images fortes, presque clichées. Tout cela est souligné par des beats d’Ajust et Ruffsound, avec lesquels on obtient finalement un cocktail explosif. L’un des aspects frappants de l’album est aussi le côté autobiographique et la franchise de ses chansons. Une année record est un album qui tourne beaucoup autour des phénomènes qui font le quotidien d’un artiste de renom: la gloire, le succès, la réussite. Le rappeur ne se détache pas de ses origines pour autant. Dans Il était moins une, il ressasse des élé-
JOACHIM DOS SANTOS
Sur la planche
Avec FLIP, Lomepal propose un rap agile, poétique et malicieux. MARINE IDIR
Le Délit
(Re)
découvert avec son dernier album solo FLIP, l’artiste parisien a pourtant commencé la musique en 2011 avec l’EP 20 mesures. Comme le fil d’Ariane qui l’a conduit au rap il y a six ans et qui donne son nom à FLIP, la passion de Lomepal pour le skate marque en filigrane son univers artistique. Le disque est inauguré par l’enregistrement d’une chute, et les échos des planches qui roulent rythment le son instrumental Skit Skate. Le rappeur mise sur la cadence des phrases et l’intelligence des mots, qu’il enchaîne avec une facilité déconcertante. A l’image du skateur à la recherche de la figure maîtrisée, il jongle avec les figures sonores, s’amuse des références de son époque, et propose un rap agile, poétique et malicieux. Un artiste complet Dans Ray Liotta, Malaise ou 70, l’artiste est aux prises avec des sentiments qu’il tente de décortiquer. Il joue avec l’universalité des émotions humaines et tend la main à une audience qui parvient aisément à se retrouver dans ses mots. Son rap reflète la vision d’un nouveau poète qui n’hésite pas à critiquer les injustices absurdes auxquelles on finit pourtant par s’habituer: «la misère ça impressionne moins qu’un salto / ça les ennuie comme le goût de l’eau plate» (Ray Liotta).
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culture
CAPUCINE LORBER
Cette façon habile de mettre des mots justes sur un vécu simple est soulignée par une ironie et un goût de l’esthétique visuelle qui font de Lomepal un artiste complet. Inspiré par l’expérience de Milgram, le clip hypnotique de Palpal expose les dangers de l’appât du gain et du culte du divertissement à tout prix. Après visionnage, on a dans la bouche la saveur douce-amère que laissent les épisodes de la série dystopique Black Mirror. Une plume sincère et des histoires vraies Le processus de création artistique de Lomepal semble prendre racine en grande partie dans son histoire personnelle, sur laquelle il revient avec subtilité et discernement. L’artiste débute l’écriture de Bécane avant la fin de la relation que le morceau illustre, anticipant le manque de l’être aimé avant même de le ressentir. Enfin, le récit familial bouleversant Sur le sol apporte une touche de vulnérabilité et clôture l’album avec intensité. Entre les lignes de FLIP se lisent tout à la fois cynisme, clairvoyance, douceur, et une certaine forme de violence. Lomepal tente avec persévérance de combattre sa tendance à l’égocentrisme et à l’obsession. La musique est alors un moyen d’apprendre à s’effacer, de résister et de trouver un équilibre face à l’adversité des relations humaines. x
le délit · mardi 7 novembre 2017 · delitfrancais.com
expression créative Rencontre avec la compagnie Dikie Istori: LE SOULèvement Photos Adel Mohamedi
Le Délit
En 2017, la compagnie Dikie Istorii s’est lancée sur un nouveau projet «¡No Pasarán!», dans lequel les chorégraphes Véra Gorbatcheva et Tom Grand Mourcel s’intéressent à la notion de soulèvement. Que se passe-t-il corporellement lorsque nous nous soulevons pour une cause qui nous est chère, au moment précis où nous nous engageons viscéralement pour nos désirs?
Une pièce qui tire son inspiration de l’exposition «soulèvement», au Jeu de Paume à Paris, coordonnée par le philosophe Georges Didi Huberman. Une nouvelle création pour cinq performeurs, dont deux musiciens live, qui souhaite redéfinir la place du spectateur en le plaçant sur scène avec les interprètes. L’histoire nous a montré qu’à l’encontre des désirs de chacun, il y a parfois des énergies qui se soulèvent. À un niveau personnel ou à plusieurs, nous avons pu constater la puissance avec laquelle un soulèvement peut renverser un État, un pays, abolir des lois, dire non. C’est donc cette puissance, et cette énergie viscérale parfois risquées, dans la violence ou le pacifisme, que nous avions envie de remettre en jeu dans cette nouvelle création. Durant ces trois semaines de résidence aux Subsistances de Lyon et au CCN de Rillieux la Pape, nous avons pu explorer la notion de soulèvement en traversant différents états de corps. En s’inspirant de textes de Victor Hugo ou de photos comme celles de Gilles Caron et Marc Riboud, ou bien encore des peintures telles que Guernica de Piccasso ou Tres de Mayo de Goya.
Le défi pour nous a été de trouver ce moment précis où nous nous engageons viscéralement pour nos désirs, au moment précis où ces forces nous dépassent et nous surpassent. Pour trouver cette explosion intérieure, cet état instinctif, nous avons plongé le corps dans un état d’oppression, de soumission, de saturation afin de voir comment celui-ci se soulève. C’est à travers la musique live, l’échange, la circulation d’énergie qui se transmettait de corps en corps que nous avons pu trouver notre soulèvement personnel et collectif.
Texte
Tom Grand Mourcel Réalisé avec le soutien du Centre chorégraphique National de Rillieux-la-Pape — Direction Yuval Pick pour le prêt de studio. Avec le soutient des Subsistances de Lyon.
le délit · mardi 7 novembre 2017 · delitfrancais.com
culture
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expression créative Mercredi 25 octobre 2017, J’ai rendez-vous aux Subsistances de Lyon afin de rencontrer la compagnie Dikie Istorii. Je reçois un message assez énigmatique disant «Atelier 7». Je me fraye un chemin dans ce chantier de la création que sont les Subsistances de Lyon. Une porte en bois usé, assez gris, porte l’inscription «Atelier 7», c’est donc ici. J’entre en essayant de me faire le plus discret possible, et aperçoit une masse humaine informe qui bat à l’unisson, sans rythme, créant sa propre musique. Cette vision est remarquable. De ce groupe émerge Vincent Guiot, il se saisit d’un micro: «Qu’est qu’une meute?». Au moment où ma curiosité a atteint son paroxysme, tout s’arrête. Les corps se disloquent et je vois apparaître un à un chaque danseur. Arnaud Bacharach, ami de longue date et danseur me présente Tom Grand Mourcel et Véra Gorbatcheva, les deux chorégraphes du projet. Puis, je me présente aux autres danseurs, Vincent Guiot, Jules Martin et Jazz Barbé. Aussitôt présenté, aussitôt disparu, l’atelier est plongé dans la pénombre. Seuls quelques spots de lumière ponctuelle éclairent le lieu, ce qui me permet de me fondre dans l’obscurité et de devenir simple observateur. Une atmosphère de travail et de camaraderie flotte dans l’air. On sent d’emblée une grande affection dans ce groupe, et la répétition n’en est que plus intéressante. Aujourd’hui est un grand jour pour tous, ils présentent le résultat de trois semaines de résidences devant un public trié sur le volet. Pour certains, des amis, pour d’autres il s’agit de représentants d’organismes qui pourraient leur permettre un financement, et donc de prolonger cette belle aventure qu’ils ont intitulée «¡No Pasarán!». Il est à présent 12h30, la répétition prend fin et je suis gracieusement invité à me joindre au groupe pour déjeuner avec eux. Nous sommes rejoins par Simon Herengt qui, depuis quelques jours, filme les aventures de la compagnie. Tom me présente le projet autour d’un délicieux plat de riz aux légumes. Je quitte ma position d’observateur et prend part aux conversations. Je suis très curieux et questionne chacun des danseurs sur leurs expériences passées. Comment en sont-ils arrivés là? Quel est leur sentiment actuel concernant le projet? Et qu’est-ce qu’ils en attendent? Ce qui a été surprenant, c’est bien l’humilité avec laquelle chacun d’entre eux aborde son travail aujourd’hui. Le recul qu’ils sont capables de prendre sur leur propre vie et travail. Les conversations se prolongent donc sous le doux soleil de Lyon, et nous reprenons doucement la route de l’atelier. 14h30, il est temps de s’échauffer pour la première représentation qui a lieu à 15h30. Je reprends donc position dans l’ombre, enveloppé de mes deux appareils photo quand soudain, Tom allume la lumière et m’invite à les rejoindre pour ce
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culture
qu’ils appellent «la chauffe», un échauffement assez particulier. J’accepte volontiers sans savoir que cela allait changer quelque peu mon point de vue. Caroline Capelle Tourn, photographe chargée de couvrir l’événement, entre dans l’atelier et se joint également à nous. Et nous voilà pris; nous marchons, sans dire un mot, tentant d’écouter le corps, de le libérer de tout dictat. Nous marchons, sans but, sans espoir, sans savoir réellement pourquoi et sans y accorder la moindre importance. Et puis, c’est à la voix de se libérer, je marmonne doucement n’osant pas tellement faire partie du brouaha général, mais je m’y essaye.Les voix ne forment plus qu’un seul son uniforme. Plus rien ne suit la raison, il n’y a que nous, nous ne faisons attention qu’à nous. Par deux, nous nous assemblons et détendons le corps de l’autre, le frappant parfois, et le corps se réveille, s’affirme et prend place, s’encre. L’énergie du groupe est palpable, nous sommes à présent un orchestre, différents instruments harmonieusement accordés. Encore pris dans cet échauffement qui a vraiment été très fort, je me rend à peine compte que la vingtaine de personnes composant le public commencent à entrer dans l’atelier. La luminosité baisse, les chuchotements de chacun se fondent dans l’ombre des lampes. Puis, c’est le calme complet. Un moment d’interrogation absolument sublime. Personne ne voit les danseurs, personne ne comprend grand chose à la situation, si ce n’est que nous sommes quelque part. Tout compte fait, nous ne sommes nulle part, et c’est très perturbant. J’aperçois Véra de l’autre côté de la salle, elle ne danse pas, mais son corps la trahi, et je sens son envie d’entrer dans la danse. Mais où est cette danse? Est-ce que la représentation a commencé? Que se passe-t-il? Soudain, je suis bousculé, Tom passe et disparaît dans l’ombre. Ombre de laquelle surgit Jules, qui s’évanouit instantanément dans la foule. Les danseurs apparaissent au fur et à mesure, puis disparaissent, ainsi de suite, dans un rythme de plus en plus soutenu. Ça a donc commencé. Une masse se forme sous nos yeux sans que l’on s’en rende compte. Il n’y a pas encore de musique, mais on entend la respi-
ration de chaque corps, on aperçoit la contraction de chaque muscle. Cette masse se forme, puis se déforme, constituant un dialogue des énergies de chacun dont le public fait partie. Nous ne sommes pas que de simples observateurs. Je me rapproche, j’observe, je touche, je sens et j’entends tout. Mes cinq sens sont en éveil pour mon plus grand plaisir. «Qu’est-ce qu’une meute?» Sans que je m’en soit aperçu, Vincent a quitté la masse, a saisi le micro, et récite un texte d’une force subjuguante. Accompagné d’une diction impeccable, cela nous emmène dans un univers encore différent. Ce que nous abordions avec la plus grande curiosité, et qui était d’un certain calme a disparu. Une intensité prend place dans toute la salle, et l’excitation gagne tous les cœurs. «Bah alors!» s’exclame Vincent, «Bah alors!». Il hurle. Et chaque mot résonne dans chaque corps, entraînant chaque cœur dans un rythme qui n’est pas le sien. Claquant toutes les portes qui n’existent pas, brisant tout le verre que l’on pourrait un jour souffler. J’entends une guitare. Cette fois, Jazz a disparu du groupe et fait entendre sa guitare. La tension monte et nous sommes pris d’une réelle force, d’une conviction naissante pour un sujet qui n’existe pas, mais qui importe peu finalement. C’est un soulèvement dont nous sommes les acteurs. La lumière diminue, le public se regroupe, et le ton ainsi que le son montent. Des instruments électroniques résonnent, dont Vincent est l’instigateur. Jules, Arnaud et Tom courent, ils courent à pleine haleine et disparaissent dans le seul angle totalement noir de l’atelier. On entend les sirènes, des bruits d’enfants. Des choses se brisent et ils reviennent, se cachent derrière nous, nous touchant comme pour nous prier de nous réveiller, de ne pas les laisser seuls. Ils livrent une bataille silencieuse mais physique. Une bataille qu’on entend mais qui est terrifiante parce qu’on en voit rien, il s’agit d’un soulèvement bon sang! Mais contre quoi, pour quelles raisons, mais enfin pourquoi? Mon cœur bat très fort, très vite. Ils réapparaissent tous, les uns après les autres, la musique ralentit, le son diminue, la lumière reprend de l’intensité. Ils sont là, devant nous, inanimés. Contre quoi se soulever, pourquoi? J’ai compris en les fixant figés qu’il n’y avait pas de raison particulière à ce soulèvement, si ce n’est la plus élémentaire. Un soulèvement du corps, de l’esprit, des sentiments. En bref, un soulèvement pour la vie. Photos et texte Adel Mohamedi
Le Délit
le délit · mardi 7 novembre 2017 · delitfrancais.com