Le Délit du 28 octobre

Page 1

Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

Le mardi 28 octobre 2014 | Volume 104 Numéro 7

Sans pyjama depuis 1977


Volume 104 Numéro 7

Éditorial

Le seul journal francophone de l’Université McGill

rec@delitfrancais.com

«Le coquin ! S’il était gendarme et moi Guignol, Je lui montrerais bien de quel bois je me chauffe, Après un coup frappé dans les jambes du beauf Il saurait épeler ce doux mot: roubignoles.» Raymond Radiguet

McGill/Méguill joseph boju

Le Délit

N

ous sommes le mercredi 22 octobre au soir, l’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM) est en train de tenir son Assemblée Générale. Près de 750 étudiants ont répondu présent. Les milliers d’autres n’ont pas pu, cependant, se présenter au Pavillon Shatner où se tenaient les discussions. Nous suivons donc avec eux, en direct, les évolutions des débats via le site Internet du McGill Daily. Il est près de minuit. La tension s’est relâchée. On entre maintenant dans la phase plus consensuelle de l’Assemblée Générale. La motion en rapport au conflit israëlo-palestinien ayant été ingénieusement sabotée par un de ses pourfendeurs, l’essentiel semble avoir été dit. L’AÉUM a fait sa démonstration de force. 23:56 “Motion Regarding Solidarity Against Austerity enters discussion. Moustaqim-Barrette motivates.” 23:57 “Moustaqim-Barrette: $21 million being cut from McGill will affect students widely. ‘McGill administration has taken these cuts without a word against [...] SSMU should take a stance firmly against them.’ Mentioned Masi’s upcoming forum on budget cuts to the university.” Capital. L’administration fait des efforts pour expliquer sa démarche, voilà qui mérite d’être salué. Pour la démarche en elle-même, c’est une autre question. Elle est traitée en page cinq de ce journal. 23:58 “McKenzie Kibler: this motion sounds too much like a general strike precursor, and I will vote against. Worrying.” Quel curieux personage! Il s’inquiète. A-t-il tort? 00:00 ‘‘SSMU VP Internal Daniel Chaim: Really hard to look at cuts pro-

2 éditorial

perly, not pushing for strike action but says this is important for students to be informed about.’’ 00:01 “Lea, Law (in French): McGill is a Quebec university. With the Quebec government taking austerity measures, it has a responsibility to oppose them.” 00:02 “McKenzie Kibler: McGill students are independent of the rest of Quebec. This will make us form alliances with universities who would be more supportive of a strike, which is not something we want.” Lourd. L’échange est lourd de sens. C’est-à-dire qu’il en dit long sur les forces en mouvement au sein de notre institution. McGill, une université du Québec? «Absurde!» nous répondon. Si absurde que nous devrions supporter toutes les coupures budgétaires, gouvernementales et/ou administratives, sans coup férir. Qui e������������������������������������� st cette étudiante francophone — animal étrange et plein de rage — qui ose ouvrir son [Qué]bec pour affirmer le contraire? C’est énorme, au sens le plus rabelaisien du terme. On ne sait même plus si l’on doit s’indigner, en rire ou en pleurer. Lord McKenzie, vous êtes un cancre! Mais on vous pardonne. Pourquoi tant de magnanimité? Parce qu’un chevalier de la confrérie Gamma Lambda Sigma Chi a certainement ses raisons pour être Président de l’Association des Conservateurs de l’Université McGill. Assez pavané, assez polarisé, assez moralisé, assez ri. Il est facile de taper sur les doigts de ceux qui, au nom de la «liberté d’expression», ferment la porte au débat dans nos Assemblées Générales. Ils se sanctionnent euxmêmes par tant d’incohérence. La vraie question est: à quand le réveil d’une conscience québécoise dans notre université? Faut-il nécessairement qu’une horde d’étudiants prenne le campus d’assaut pour que l’on se rappelle que McGill est au Québec? Deux pavillons flottent au centre de notre campus, l’un porte la feuille d’érable, l’autre est le fleurdelisées. C’est aussi simple que cela. x

RÉDACTION 3480 rue McTavish, bureau B•24 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6784 Télécopieur : +1 514 398-8318 Rédacteur en chef rec@delitfrancais.com Joseph Boju Actualités actualites@delitfrancais.com Léo Arcay Louis Baudoin-Laarman Culture articlesculture@delitfrancais.com Baptiste Rinner Thomas Birzan Société societe@delitfrancais.com Julia Denis Économie economie@delitfrancais.com Charles-Élie Laly Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com Thomas Simonneau Coordonnatrices visuel visuel@delitfrancais.com Cécile Amiot Luce Engérant Coordonnatrices de la correction correction@delitfrancais.com Any-Pier Dionne Céline Fabre Webmestre web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Coordonnatrice réseaux sociaux réso@delitfrancais.com Gwenn Duval Contributeurs Théo Bourgery, Inès Chabant, Emma Combier, Arthur Corbel, Virginie Daigle, Noor Daldoul, Inès L. Dubois, Julia Faure, Chloé Francisco, Prune K., Sandra Klemet, O. Lamarre, Frédérique Lefort, Laurence Nault, Éléonore Nouel, Esther Perrin Tabarly, Philippe Robichaud, Victor Tricaud. Couverture Inès L. Dubois (photographie) Luce Engérant (illustration) BUREAU PUBLICITAIRE 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6790 Télécopieur : +1 514 398-8318 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Représentante en ventes Letty Matteo Photocomposition Mathieu Ménard, Lauriane Giroux, Geneviève Robert The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Dana Wray

Conseil d’administration de la Société des publications du Daily (SPD) Juan Camilo Velzquez Buritica, Dana Wray, Joseph Boju, Thomas Simonneau, Rachel Nam, Hillary Pasternak & Ralph Haddad.

L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal. Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec). Le Délit est membre fondateur de la Préf (Presse étudiante francophone

le délit · le mardi 28 octobre 2014 · delitfrancais.com


Actualités

Nous recherchons des personnes atteintes d’ICHTYOSE pour participer à une étude de recherche sur un traitement topique approuvé qui a lieu à Montréal.

actualites@delitfrancais.com

politique étudiante

Une assemblée chargée L’AÉUM accueille près de 750 étudiants pour débattre.

Les participants recevront une somme de 300$ pour quatre visites.

solidarité envers les étudiants et manifestants demandant un gouvernement démocratique à Hong Kong, et la deuxième, proposée par Amina Moustaqim-Barrette sur la solidarité contre l’austérité. Retour sur huit heures de débat.

Communiquez avec derek.ganes@ganespharma.com

Le Délit

C

’est étendue sur trois salles bondées que l’Assemblée générale du semestre d’automne de l’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM) s’est déroulée le mercredi 22 octobre, tant les étudiants voulant débattre sur les motions proposées étaient nombreux. Résultat: près de 750 étudiants répartis entre la salle de bal, la cafétéria, sa salle adjacente et les couloirs du bâtiment Shatner, tous désireux de faire entendre leur voix. «C’est vraiment gratifiant de voir tout ce monde ici aujourd’hui qui prend part à la vie politique étudiante», commente Amina MoustaqimBarrette, vice-présidente aux affaires externes de l’AÉUM. Les motions à débattre portaient sur l’action concernant les changements climatiques, un campus sans développement de technologies militaires nocives, et surtout, une motion sur la solidarité de l’AÉUM envers les peuples des Territoires palestiniens occupés. Cette dernière, raison du succès de l’AG du 22 octobre, avait résulté en la création de deux groupes Facebook pour le Oui et pour le Non, regroupant plus de 500 internautes chacun. À ces trois motions se sont ajoutées dès le début de l’Assemblée générale deux autres motions, une proposée par le conseiller David Benrimoh sur la

La motion sur la solidarité avec les peuples palestiniens occupés étouffée C’était la grande motion de l’AG de l’AÉUM d’octobre 2014, celle pour laquelle s’étaient déplacés tant d’étudiants, et qui s’est vue reportée indéfiniment avant même d’avoir été débattue. L’annonce d’un débat sur une telle motion avait déjà causé une telle mobilisation avant le début de l’Assemblée que le compte Facebook de Mlle Dina el-Baradie s’était vu piraté le jour de l’AG afin de supprimer la page du Oui, selon ses propos. Juste avant d’entamer les débats, Ameya Pendse, étudiant en Arts, a proposé de reporter la motion indéfiniment. Une telle décision empêche la possibilité de débat sur la motion telle qu’elle est avant l’automne 2015. L’argument principal des partisans du report de la motion était similaire à celui des partisans du Non à la véritable motion, selon lesquels une telle motion ne pourrait que diviser le campus. «Je me sens inconfortable à l’idée que l’AÉUM prenne si hâtivement une position sur un enjeu poli-

tique très controversé et qui divise sans apprécier à sa juste valeur toute sa complexité» complète Max, un étudiant en sciences environnementales. Ralph Haddad, une des personnes à l’origine de la motion, perçoit la motion comme un enjeu humanitaire avant tout: «Le discours qui entoure cet enjeu est perçu comme divisant les étudiants, mais nous voulons vraiment que les gens se concentrent sur l’aspect humanitaire de la question.�������������� »������������� D’autres invoquent de manière plus générale l’importance d’un débat constructif sur la question par le corps étudiant, comme Théo, étudiant en sociologie: «En tant qu’étudiants d’une université de renom international, nous sommes parfaitement capables de débattre d’une manière constructive.» Après une heure et demie de débat sur le besoin de débattre, la demande de report de la motion indéfiniment est passée à 402 voix contre 337.

le délit · le mardi 28 octobre 2014 · delitfrancais.com

LA CONSTRUCTION A DÉBUTÉ

À quelques pas seulement du campus, Le Peterson est au cœur de tout ce que la ville a de mieux à vous offrir.

La motion sur l’action sur les changements climatiques approuvée Devant une assemblée réduite par le départ de ceux qui n’étaient venus que pour soutenir ou empêcher la motion sur la solidarité avec les peuples palestiniens, la motion sur l’action sur les changements climatiques a été abordée. Cette motion prévoit que l’AÉUM se joigne aux Étudiants Contre les Oléoducs (ÉCO), une association étudiante qui lutte contre les projets de pipeline au Québec ainsi que contre l’extraction des énergies fossiles. La motion, une des plus consensuelles de l’AG même avant le 22 octobre, est passée avec 111 voix pour et 17 contre. On remarque l’écart important dans le nombre d’étudiants votant entre la première et la deuxième motion. La motion sur la recherche militaire modifiée

inès l. dubois

VIVRE. APPRENDRE. JOUER. TRAVAILLER.

La motion concernant le soutien à un campus sans développement de technologies militaires nocives s’est vue quant à elle modifiée par l’ajout de deux amendements ayant une étrange teinte de déjà-vu, tant ils se rapprochaient de la motion pour la solidarité avec les peuples palestiniens. La motion initiale prévoyait le renouvellement et le renforcement de la position de l’AÉUM contre la recherche militaire nocive et létale sur le campus mcgillois. Un amendement a été ajouté par

t Situé sur une rue tranquille t Service de concierge 24 h t Terrasse au 25e étage t Gym en altitude avec vue sur

le Quartier des spectacles t Condo pour invités conçu par un

designer pour votre famille et vos amis t Classé projet no 1 par BuzzBuzzHome t Acompte aussi bas que 5 %

65 % VENDU CONDOS 1 CHAMBRE À PARTIR DE 251 900 $

*L’illustration est une représentation artistique

Louis baudoin-laarman

CONDOS 2 CHAMBRES À PARTIR DE 339 900 $

Imaginez la vie au Peterson grâce à nos visites virtuelles et nos écrans tactiles interactifs. DÉCOUVREZ CE QUE LE PETERSON A À VOUS OFFRIR AU 445, PRÉSIDENT-KENNEDY (PRÈS DE BLEURY)

ENCORE DISPONIBLES

LePeterson.com

Cadence O’Neal, l’une des auteurs de la motion, afin que l’AÉUM soit solidaire envers les populations affectées par la recherche militaire létale produite à McGill. La motion est passée à 146 voix contre 11. Hong Kong et austérité La motion sur la solidarité de l’AÉUM avec les manifestants Hongkongais en début d’AG par Benrimoh a été reportée afin de pouvoir mieux éduquer les étudiants sur la portée d’une telle motion. Certains craignaient en effet que l’absence de campagne

pour la motion avant le 22 octobre n’avait pas permis suffisamment de réflexion au corps étudiant. Le report de la motion a été voté à 105 voix contre 77. La motion proposée par la v.-p. aux affaires externes Amina Moustaqim-Barette est cependant passée, et ce malgré les peurs de certains qu’une position de l’AÉUM contre l’austérité implique un débat sur la grève. Cependant, la motion n’étant que destinée à condamner les coupures budgétaire du gouvernement provincial dans l’éducation post-secondaire, la motion a été approuvée à 142 voix contre 14. x

actualités

3


politique universitaire

Université cherche subventions M. Masi expose à la communauté mcgilloise la situation financière de l’Université. louis baudoin-laarman

Le Délit

L

e vice-principal exécutif de McGill, Anthony Masi, a convié hier étudiants, membres de l’administration et employés de McGill à une tribune libre sur la situation financière de l’Université. McGill ayant déjà dû réviser et modifier plusieurs fois son budget prévu pour l’exercice fiscal 2015, c’est-à-dire la présente année scolaire, M. Masi a tenu à expliquer publiquement les récents changements et coupures dans le financement de diverses institutions. La tribune s’est déroulée le matin dans la salle de bal du Pavillon Thompson, et l’après-midi dans la salle 232 du Pavillon Leacock. Son objectif était, selon l’invitation envoyée par courriel à la communauté mcgilloise, de répondre aux questions vis-à-vis des compressions, ainsi que de «recueillir les commentaires et suggestions quant aux mesures envisageables pour conjuguer avec les compressions continues exercées par le gouvernement du Québec». Vaste programme dira-t-on, mais visiblement d’importance mineure pour les étudiants de premier cycle à en juger par le public présent, principalement composé d’employés de McGill désireux

de savoir s’ils doivent craindre de nouvelles compressions sur leurs emplois. «Ceci n’est pas une crise financière, c’est une situation difficile mais nous nous en sortirons.» Tels étaient les premières phrases de M. Masi lors de sa tribune, afin de rassurer d’emblée son public. Selon lui, McGill a réussi à s’assurer une position financière plutôt saine compte tenu de la situation, en réagissant dès les premières compressions du gouvernement provincial il y a quelques années avec des mesures d’austérité: «Quand les premières coupures sont arrivées il y a quelques années, on a fait avaler la pilule très tôt.» En effet, suite aux compressions budgétaires des dernières années, l’administration avait dû effectuer différentes coupures dans certains départements, ainsi qu’une hausse des frais de scolarité. Plus de compressions à venir Seulement, les compressions gouvernementales sont toujours d’actualité, et selon M. Masi, le problème est le manque de précision du gouvernement québécois à l’égard de leur envergure. Le budget de l’exercice fiscal 2015, approuvé fin avril 2014 par le Conseil des gouverneurs, comptait sur une subvention du

«Ceci n’est pas une crise financière, c’est une situation difficile mais nous nous en sortirons.» gouvernement provincial d’environ 360 millions de dollars. Or, le gouvernement provincial a communiqué à l’administration mcgilloise que la subvention serait finalement de 345 millions de dollars, soit 15 millions de moins que prévu. Après avoir dû modifier le budget une première fois, l’administration a appris début octobre que de nouvelles coupures de l’ordre de 4 à 12 millions de dollars seraient imposées dans les mois à venir. Étant donné que le budget en mai dernier prévoyait un déficit de 7 millions de dollars, cela signifierait dans le pire des cas un déficit de 34 millions. Cependant, relativise M. Masi, une telle somme n’est pas tant pour une université de l’envergure de McGill, qui se trouve d’ailleurs parmi les bons

élèves des universités québécoises. Décalage entre prévisions et résultats Cependant, les chiffres avancés lors des budgets présentés chaque année en avril ne sont pas toujours fiables. Par exemple, alors que le budget de l’exercice fiscal 2014 prévoyait un déficit de 10,4 millions de dollars, il est apparu quelques mois après la fin de l’année budgétaire que McGill avait en fait réalisé un surplus de 3,2 millions de dollars, auxquels sont venus s’ajouter les 12,5 millions des réductions du passif au titre du régime de retraite des employés. Ce surplus, l’administration l’a remarqué trop tard pour l’inclure dans son budget 2014, assure M. Masi. Il a donc été directement utilisé pour le remboursement de la dette de l’université, qui s’élève maintenant à 271,8 millions de dollars. Serrer la ceinture Afin de parer aux prochaines coupes qui s’annoncent, le viceprincipal exécutif de McGill a dévoilé lundi toute une série de stratégies destinées à maximiser les économies de l’Université. Elles seront révisées en janvier dit-il, lorsque la situation financière sera plus claire. Il est

prévu, entre autres, le gel des embauches d’assistants et d’employés administratifs, le report indéfini de tout achat d’équipement non essentiel [celui relatif à la recherche, ndlr] ainsi que des coupes dans le budget transports et voyages. Il est également prévu d’utiliser le coussin de 9 millions de dollars que représente le budget des projets spéciaux, et donc de reporter à plus tard tout ce à quoi cette enveloppe pourrait contribuer.

La dette de l’université s’élève maintenant à 271,8 millions de dollars. Il reste donc à savoir si les nouvelles coupures permettront de maintenir le niveau d’excellence académique actuel de l’Université. Comme le souligne M.Masi, cela reste l’objectif principal de l’université: «L’accent reste sur la livraison de nos programmes universitaires et de recherche, car ainsi seulement maintiendrons-nous notre réputation». x

politique étudiante

Le financement de la bibliothèque remis en question par l’AÉUM. Léo arcay

Le Délit

L

a question du financement des horaires prolongés de la bibliothèque McLennan-Redpath est de nouveau tombée sur la table lors du dernier conseil législatif de l’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM), jeudi dernier. En effet, l’association subventionne présentement l’accès aux bâtiments de cette bibliothèque aux heures tardives. Le représentant de la Faculté de médecine, David Benrimoh, est le premier à être intervenu, affirmant que ce service devrait être financé par McGill. Selon lui, il est injuste que l’association étudiante ait à payer pour cela, elle devrait remettre en cause le status quo. «Nous voulons que l’Université

4 actualités

comprenne que ce n’est pas permanent. Nous aidons, mais nous ne pouvons pas faire ça pour toujours, et ça va cesser d’ailleurs!», tonne-t-il. Bien que certains soient plus réticents que d’autres à affronter l’administration, le conseil est plutôt en faveur de cette proposition. M. Benrimoh propose de diminuer le financement petit à petit, pour éviter que l’AÉUM ne «passe pour le méchant». La vice-présidente au financement et aux opérations Kathleen Bradley pousse la discussion vers l’orientation des fonds ainsi débloqués. Avec une plus grande part du Fond pour l’amélioration des bibliothèques (FAB) disponible, l’association serait ainsi en mesure de financer davantage les installations, les collections, et d’autres projets à long terme. x

gwenn duval

le délit · le mardi 28 octobre 2014 · delitfrancais.com


campus

Vers une culture du consentement Former de meilleurs communicateurs sur le campus. chloé francisco

«D

emande, écoute et respect mutuel». Tels étaient les trois axes clefs de la première semaine du consentement à McGill, qui s’est tenue du 20 au 24 octobre (et du 22 au 24 sur le campus Macdonald). Cette campagne éducative est le fruit d’une collaboration entre le personnel de McGill et de nombreuses associations étudiantes. Le SACOMSS [Sexual Assault Centre of the McGill Students’ Society, Centre des Agressions Sexuelles de l’Association Étudiante de McGill, ndlr], le Bureau de l’équité sociale et de l’éducation sur la diversité (SEDE), le groupe Union for Gender Empowerment, le comité éthique de l’AÉUM ou encore, entre autres, Healthy McGill, ont mis en place une série d’ateliers, de discussions et de projections de films afin d’encourager la réflexion sur ce qu’est le consentement. Bien qu’il s’agisse principalement de prévenir les agressions sexuelles, la notion de consentement a été abordée dans un cadre plus général. En effet, «le consentement n’est pas toujours sexuel et affecte de multiples aspects de notre vie» rappellent les intervenantes de l’atelier Zones Grises et Consentement. En examinant divers scénarios ou lors de discussions sur l’écoute active, les participants ont donc réfléchi sur comment mieux communiquer, l’objectif étant de prendre conscience des rapports

luce engérant

de pouvoir implicites et des contextes pouvant brouiller les limites du consentement dans nos interactions quotidiennes. Les discussions ont également porté sur les manières d’aborder le consentement, car l’aspect «demande» semble poser le plus de problèmes pratiques. Selon la facilitatrice Vareesha, les gens rapportent souvent qu’il est

le délit · le mardi 28 octobre 2014 · delitfrancais.com

bizarre et gênant de demander à quelqu’un son consentement explicite. «Vous savez ce qui est encore plus gênant? Commettre une agression sexuelle», répondelle en distribuant des exemples de phrases à utiliser pour clarifier une situation. Le comité d’équité de l’AÉUM a également organisé une discussion sur les mesures à prendre pour promou-

voir une culture du consentement au sein de l’université. Les événements ont eu un succès variable en termes de participation. Ainsi, l’atelier de mardi a attiré une quinzaine de participants tandis que celui du jeudi était principalement constitué des facilitateurs. L’écrasante majorité des participants était d’ailleurs composée de parti-

cipantes, ce qui suggère qu’un important travail de sensibilisation reste à faire sur le campus. Certains interrogés par Le Délit regrettent que le contenu soit resté relativement superficiel. C’est le cas de Rose et Micah, qui disent ne pas avoir appris beaucoup plus que ce qu’ils savaient déjà. Il est vrai que le public touché par la semaine du consentement est en général déjà sensibilisé aux thèmes abordés. Toutefois, les étudiants ont activement pris part aux discussions et ont majoritairement apprécié ces activités. L’intervenante Isabel, membre du comité de l’équité de l’AÉFA, explique en entrevue avec Le Délit que cette campagne constitue une réponse à une certaine passivité de l’univer��������� sité en matière de prévention des violences sexuelles. Elle rappelle que McGill n’a pas de politique officielle concernant ces cas et que ces agressions sont fréquentes sur le campus, bien que les gens n’en aient pas conscience. Des associations comme le SACOMSS pressent d’ailleurs McGill d’adopter une politique claire en matière d’agressions sexuelles, en particulier suite à la réaction très tardive de l’administration face aux accusations visant les anciens joueurs des Redmen. Selon les intervenants, la responsabilité de combattre la culture du viol sur le campus ne devrait pas incomber seulement aux étudiants. x

actualités

5


campus

La faculté des sciences s’engage L’ AÉFS lève des fonds pour les personnes atteintes de troubles mentaux. léo arcay

Le Délit

P

our la deuxième année consécutive, l’AEFS (Association des étudiants de la faculté des sciences) a lancé sa Social Sustainability Week, du 20 au 26 octobre. Cette année, la collecte de fonds se focalisait sur la santé mentale et soutenait l’organisme communautaire AMI-Québec, qui vient en aide aux familles dont certains membres souffrent de troubles mentaux. De nombreuses activités étaient organisées sur le campus et ailleurs en ville. L’initiative ne se limite pas à cette semaine; d’autres événe-

ments ont eu lieu pendant le mois d’octobre. Marchés, barbecue, et même beer-pong: la plupart des activités étaient plus tournées vers le festif que vers la sensibilisation. Il y a eu toutefois quelques projections de films à caractère éducatif au cours du mois d’octobre et un discours d’AMI-Québec le lundi 20. En revanche, certains événements ont été annulés ou reportés ; par exemple, le tournoi de soccer du samedi n’a finalement pas eu lieu. Social Sustainability Week compte sur l’engagement de la communauté mcgilloise pour soutenir la communauté montréalaise plus large. Selon la vice-

présidente aux affaires externes de l’AÉFS, Emily Boytinck, en entrevue avec le Délit, la plupart des fonds de l’événement proviennent des étudiants en sciences, peu importe leur département spécifique. La SUS vise un objectif de 10 000 dollars reversés à AMI-Québec, contre 12 000 dollars l’année dernière. La vice-présidente n’a toutefois pas précisé la raison de cette baisse. Les étudiants ajoutent leur pierre La semaine du 13 octobre était celle de la sensibilisation aux maladies mentales. Un certain nombre d’organismes com-

munautaires et de firmes privées avait ainsi contribué à cette cause par des dons ou des événements. Les experts à la disposition des étudiants ayant des questions relatives au sujet de McGill ont connu un succès plutôt limité. L’implication de l’AÉFS démontre une exception notable au manque d’intérêt général des étudiants pour la santé mentale. En effet, très peu de ces derniers étaient présents lors des manifestations soutenant la cause. Pourtant, Emily Boytinck affirme que «la santé mentale affecte beaucoup d’étudiants; il est donc important que les étudiants soutiennent leurs pairs et soient solidaires». De nombreux articles dans les

trois dernières éditions du Délit illustrent l’ampleur des problèmes de santé mentale en milieu universitaire. Stress, anxiété, suicide: ces symptômes sont loin d’être banals. La vice-présidente aux affaires externes de l’AÉFS conclut sur une note d’espoir: «Je pense que les initiatives étudiantes à McGill et à Montréal ont un impact considérable». Si l’objectif est atteint, AMI-Québec pourra sans doute aider de nombreuses familles. Les problèmes concernant l’organisation des activités laissent toutefois penser que le manque de professionnalisme de l’association pourrait être un vrai frein. x

montréal

L’ordre au-dessus de la paix

Rassemblement commémoratif annuel pour les victimes de bavures policières. Inès chabant

emma combier

P

lusieurs associations et sympathisants se sont réunis sous la bannière de la Coalition Justice pour les Victimes de Bavures Policières devant la Fraternité des policiers et policières de Montréal le mercredi 22 octobre. Pour la 5ème année consécutive, ce rassemblement commémoratif composé d’une cinquantaine de manifestants et de familles de victimes de violences policières a brisé le silence sur le nombre de victimes: plus de 90 depuis 1987 à Montréal. Ce chiffre, fourni par la Coalition Justice pour les Victimes de Bavures Policières, est étonnement����������������� ��������������������������� introuvable ailleurs. Aucune source gouvernementale ne peut le confirmer ou le nier, étant donné qu’il n’existe pas de chiffres officiels concernant la violence sur les civils par le SPVM. Sur les causes permettant de justifier le SPVM dans leurs actions, peu ou rien n’est dit lors de la manifestation. Il ne s’agit que de témoigner pour revendiquer la mémoire et la paix civile, ou dans les mots de Stella Jeté, sympathisante connue de la scène musicale montréalaise et membre du collectif Kalmunity: «Les forces de l’ordre ont oublié que ce sont nos agents de la paix����������������� »���������������� . [Le SPVM, absent au rassemblement – quoique quelques policiers observaient l’événement derrière les portes de la Fraternité – ne se prononce pas su le sujet].Devant le micro, les familles défilent et les témoignages s’accumulent. Josiane,

6 actualités

notamment, raconte dans quelles circonstances est mort son compagnon Jean-François Nadreau en 2012. Elle avait appelé le 911 après que l’homme, pris d’une crise, avait commencé à s’entailler. Cinq policiers armés ont été envoyés à la place de l’ambulance qu’aurait espéré Josiane. «Il y avait une arme de collection posée sur le meuble; les policiers étaient très impressionnés en la voyant et ont tout de suite agi avec violence pour retenir Jean-François; peut-être de peur qu’il ne l’utilise alors que ce n’était qu’une arme blanche. JeanFrançois se débattait et c’est pourquoi ces cinq policiers l’ont abattu, lui qui était seul et désarmé������ »����� , décrit-elle.

Intouchables Depuis mai 2012, le règlement P-6 ou «Règlement sur la prévention des troubles de la paix, de la sécurité et de l’ordre publics, et sur l’utilisation du domaine public» encadre le droit de manifester en faveur du pouvoir exécutif qui en est largement renforcé. Du 5ème paragraphe de ce règlement, fait de lacunes législatives accordant un grand pouvoir d’interprétation aux services de l’ordre, est à souligner l’extrait suivant: «lorsqu’il y a des motifs raisonnables de croire que la tenue d’une assemblée, d’un défilé ou d’un attroupement causera du tumulte, […] le comité

exécutif peut, […] interdire pour la période qu’il détermine, en tout temps ou aux heures qu’il indique, […] la tenue de toute assemblée, tout défilé ou attroupement». Le 14 février dernier s’était tenue une manifestation sœur, servant à protester contre l’action policière. Au bout de dix minutes elle avait été déclarée illégale et dissoute conformément avec l’article 5 du règlement P-6. François du Canal, membre du Collectif Opposé à la Brutalité Policière (COBP), à déclaré lors du rassemblement de mercredi que: «depuis ������������������������� le P������������� -6, les manifestations annuelles du 15 Mars ont été interdites en l’espace

de quelques minutes et par le fait d’une arrestation de masse. Avant, il fallait un motif de violence de la part des manifestants; aujourd’hui avec le P-6, le SPVM n’a plus besoin de prétexte pour les dissoudre. Des manifestations totalement légales et pacifiques sont donc interdites sans raisons valables». Il note également le «surarmement», la «surenchère des pouvoirs» «l’intimidation», et la «peur» visà-vis des services de police; mais jamais ne se dit favorable à une police désarmée. Les sympathisants se réuniront de nouveau le 15 mars 2015, pour la journée internationale contre la violence policière. x

le délit · le mardi 28 octobre 2014 · delitfrancais.com


québec

Fortin fait bande à part

Un nouveau parti nationaliste québécois sur la scène fédérale. laurence nault

Le Délit

L

ors d’une conférence de presse tenue le 21 octobre, Jean-François Fortin, député de la Haute-Gaspésie—La Mitis—Matane—Matapédia et ancien membre du Bloc Québécois, a annoncé la création du parti Forces et Démocratie. Le parti est pour le moment composé de deux députés: M. Fortin ainsi que Jean-François Larose, député de la circonscription de Repentigny, ayant tout récemment quitté le Nouveau Parti démocratique (NPD). Bien que Jean-François Fortin ait auparavant appartenu au Bloc Québécois, il a souligné que Forces et Démocratie est un parti régionaliste et non pas souverainiste. Bien que l’objectif ne soit pas la souveraineté du Québec, il s’agit d’un parti nationaliste qui ne sera en action qu’au Québec. L’objectif premier du parti est d’offrir une meilleure représentation aux régions du Québec incluant celle de Montréal. Le nouveau chef assure que le parti sera en mesure de présenter 78 candidats pour la province aux prochaines élections. Forces et Démocratie se donne pour mandat de faire valoir les intérêts des régions auprès du gouvernement fédéral, de simplifier les relations région-fédéral à tous les niveaux et d’assurer une nation québécoise forte et résiliente. Selon un document sur les mesures proposées émis par le parti, ces engagements prendront une forme concrète comme, par exemple, élargir le

frédéric lefort

mandat des agences fédérales de développement économique. Le parti propose aussi de stimuler la main-d’œuvre qualifiée en région en offrant un crédit d’impôt aux jeunes diplômés qui choisissent de s’y établir. Ce nouveau parti, selon ses fondateurs, se veut une solution aux problèmes qui affectent la démocratie au Canada. Dans une entrevue à l’émission Pas de midi sans info de Radio-Canada, M.Fortin a souligné le manque d’intérêt de la population canadienne pour la politique. Il accuse

les partis traditionnels d’en être la cause en imposant des lignes de parti et des politiques pancanadiennes qui ne répondent pas aux besoins des régions. Selon lui, les populations ne se sentent plus écoutées et incluses dans les décisions politiques. Une réforme s’impose afin de donner plus de pouvoir aux députés au sein des partis. Interrogé au sujet de la nécessité d’un nouveau parti pour accomplir cette tâche, JeanFrançois Fortin déclare qu’il ne croit pas que les partis présentement en place soient en mesure

campus

Nouvelle association pour les russophiles any-pier dionne

Le Délit

L

e campus accueille un nouveau club, l’association des étudiants russophones de McGill [McGill Russian Speaking Students’ Association] depuis septembre dernier. Vasily Rassokhin, le vice-président aux relations publiques de l’association, explique au Délit que le but de cette nouvelle association est de «promouvoir la culture, la langue et les arts provenant de la Russie et des pays de la Communauté des États indépendants (CÉI) sur le campus». Le club souhaite y arriver par le biais d’événements culturels – éducatifs ������������������������������ ou non – ������������� qui permettront de tisser des liens entre

étudiants russophones et russophiles. Bien que le groupe mette de l’avant la langue et la culture russe, on assure vouloir faire entendre la voix des différents pays de la Communauté des États indépendants (qui réunit onze anciennes républiques soviétiques). Le club compte organiser différentes activités à cet effet, dont une conférence portant sur les personnalités influentes de l’histoire de la CÉI (sans se limiter à la Russie), ou des événements visant à faire connaître la gastronomie des différentes communautés. Jusqu’à maintenant, des soirées de cinéma russe sous-titré en anglais ont été organisées, mais on annoncé une variété d’événements à venir, incluant une reprise d’un jeu télévisé populaire

le délit · le mardi 28 octobre 2014 · delitfrancais.com

en Russie et dans la CÉI lors de la prochaine rencontre du club, un concert-bénéfice en janvier, et des activités spéciales pour célébrer les fêtes russes, comme le Noël orthodoxe ou encore la Maslenitsa (semaine des crêpes) en février. L’association discute également de ������������������������� la possibilité d’organiser des événements conjointement avec l’association des étudiants de premier cycle du département de russe(RUSS Russian Undergraduate Students’ Society, ndlr), notamment des ateliers de tutorat et d’échanges linguistiques entre locuteurs natifs et non natifs. �������������� Autant d’occasions de s’imprégner de la culture russe dans une ambiance ouverte et conviviale, promet-on. x

d’effectuer les changements nécessaires pour donner une plus grande voix aux députés: «présentement, les structures des partis sont tellement fortes qu’elles empêchent tout changement interne parce que le parti, à chaque fois, tente de se protéger.» Le départ de Jean-François Fortin du Bloc Québécois au moins d’août avait causé bien des remous dans l’organisation. Le chef du parti, Mario Beaulieu, avait accusé le député d’hypocrisie, de manque de loyauté et de transparence lors d’une confé-

rence de presse suite à sa démission. Celui-ci avait défendu son choix en reprochant à M. Beaulieu de détourner la vocation du Bloc Québécois. Du côté du NPD, la réaction n’est pas tendre quant au changement d’allégeances de Jean-François Larose. Robert Aubin, président du caucus québécois du NPD et député de TroisRivières, condamne le geste dans les médias. Selon lui, «c’est une trahison pure et simple de la mémoire de Jack Layton et du choix démocratique des électeurs de Repentigny». x

Démission de la v.-p. aux affaires internes de l’AÉFA esther perrin tabarly

Le Délit

L

a vice-présidente aux affaires internes de l’Association Étudiante de la Faculté d’Arts (AÉFA) a officiellement rendu son tablier le 1er octobre dernier. Dans un communiqué, l’AÉFA explique que la démission est due à l’absence prévue de la concernée, Leila Alfaro, durant le semestre d’hiver. Le v.-p. aux affaires internes représente les intérêts des diverses associations départementales auprès du conseil exécutif de l’AÉFA. En outre, il est en charge du Salon des Arts et préside le Comité pour les étudiants de première année (FEARC), le Comité d’équité, et le Comité environnemental (AUSec).

L’AÉFA se chargera d’élire le prochain v.-p. aux affaires internes. L’élection se fera sans difficulté: Roma Nadeem est la seule candidate. L’échéance pour les postulations avait d’ailleurs été repoussée au 22 octobre, pour tenter de motiver plus de candidats, sans succès. Selon Guillaume Bauchu, Directeur du Scrutin au sein de l’AÉFA, la compétition avait commencé avec «cinq ou six personnes intéressées par le poste, mais toutes, sauf une, ont abandonné le processus de nomination ou ont changé d’avis». Le vote se tiendra en ligne, comme d’habitude, du 28 au 30 octobre. x

actualités

7


Société

enquêtes

societe@delitfrancais.com

L’itinérance: problème négligé?

luce engérant

La situation des sans-abris de Montréal appelle à l’action. Julia Faure

Le Délit

L

’itinérance est depuis longtemps un problème majeur au Canada: selon les dernières statistiques gouvernementales, en 2005, on comptait entre 150 000 et 300 000 itinérants sur l’ensemble du territoire. Malgré le flou des statistiques nationales quant au nombre d’itinérants, la situation est indéniablement alarmante. En particulier à Montréal, où 30 000 sans-abris auraient été recensés en 2006 par le Secrétariat national pour les sans-abris. D’après le rapport de 1987 du Comité des sans-abris de la ville de Montréal, une personne itinérante est «celle qui n’a pas d’adresse fixe, de logement stable, sécuritaire et salubre pour le jour à venir, a un très faible revenu, une accessibilité discriminatoire à son égard de la part des services, a des problèmes de santé physique, de santé mentale, de toxicomanie, de violence familiale et/ou de désorganisation sociale et est dépourvue de groupe d’appartenance stable». La situation est de plus en plus préoccupante, puisque selon les différents indicateurs (contraventions, fréquentation des refuges, etc.) le nombre d’hommes et de femmes sans toit ne cesse d’augmenter au Québec. Dans la rue pour une raison Les origines de l’itinérance sont multiples. Les ruptures familiales ou problèmes de santé mentale sont des causes parmi d’autres, et prises isolément, aucune ne peut prétendre tout expliquer. Ces 25 dernières années, d’autres facteurs sont venus s’ajouter et n’ont fait qu’amplifier et complexifier le phénomène. Tout d’abord, la réforme des services de santé mentale au Québec dans les années 1980 a entrainé la fermeture de nombreux lits dans les hôpitaux psychiatri-

8 société

ques. Laissés à eux-mêmes, un nombre considérable de patients se sont retrouvés à la rue, avec un suivi médical minime, trop souvent peu adéquat. Ces réformes ont eu un impact important, puisqu’aujourd’hui, d’après un reportage de Radio Canada, entre 30% et 50% des sans-abris à Montréal souffrent de troubles mentaux, et plus de 10% de la clientèle des missions et des refuges de Montréal est diagnostiquée schizophrène, dépressive, ou atteinte de troubles bipolaires. La moindre prise en charge psychiatrique publique ne suffit toutefois pas à expliquer la situation au Québec. Les problèmes liés à la drogue et à l’alcool ne sont pas nouveaux, mais ils prennent de plus en plus d’ampleur. Ils sont davantage la conséquence du passé et présent difficiles de certains sans-abris que la cause de leur situation. Néanmoins, au-delà du phénomène de dépendance, cette consommation de drogues accentue leur vulnérabilité, dont notamment leur exposition à des maladies comme le sida et l’hépatite. L’augmentation de la pauvreté est évidement un autre des facteurs principaux de la croissance du nombre d’itinérants. Par exemple, fait tristement étonnant, une grande partie des sans-abris a un emploi, mais ne peut pas s’offrir un logement: d’après le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM) 42 000 ménages locataires à Montréal dépensent plus de 80% de leurs revenus pour se loger, ce qui explique dans une certaine mesure l’ampleur du phénomène. Un véritable cercle vicieux quand on sait qu’il est d’autant plus difficile de trouver un emploi stable sans qualification, sans téléphone ou sans logement. D’autre part, le contexte familial — et plus spécialement celui des familles dysfonctionnelles — joue un rôle important dans l’augmentation alarmante du nombre de jeunes sans-abris.

Une discrimination sociale chronique Les sans-abris sont généralement des hommes et des femmes particulièrement seuls, coupés de la société telle que nous la connaissons, isolés des relations humaines. Ils sont livrés à eux-mêmes et perdent souvent tout espoir en des projets plus ambitieux que leur prochain repas. La survie est tout ce qui leur importe. Ce sont des hommes et des femmes qui sont ignorés ou évités par les passants dans les rues, et pire, qui sont discriminés par les services sociaux et la population en général. En fait, on observe récemment que les sans-abris sont considérés comme des personnes «dérangeantes, non grata et indésirables» dans les espaces publics de Montréal. On a même pu observer à Montréal l’installation de « pointes anti-itinérants » sur le sol devant certaines vitrines, pour empêcher les sans-abris de s’allonger à ces endroits. D’après un rapport du RAPSIM, près de la moitié des intervenants auprès des itinérants interrogés ont rapporté avoir fréquemment entendu des sans-abris victimes d’abus verbaux. En 2009, la Commission des droits de la personne et de la jeunesse observait que les itinérants recevaient un montant disproportionné de contraventions. La majorité des amendes concernaient des actes nommés «incivils», en grande partie puisque les lois concernant l’interdiction de boire en public, de se rassembler en public ou encore de dormir dans les espaces publics sont plus susceptibles d’être violées par ceux qui n’ont pas de logement. Johanne Galipeau, d’Action Autonomie, indique qu’ «en conséquence de toutes ces contraventions, les sans-abris ont fait une connexion entre la police et être escorté en prison ou à l’hôpital. Perdre confiance en le système, cela signifie tout simplement qu’ils arrêtent de demander de l’aide». Ce

phénomène de société conduit ainsi inévitablement au déni des droits et besoins primordiaux d’une partie de la population de Montréal. Des stratégies de réponses à modifier Certes, il existe à Montréal une trentaine de refuges où les itinérants peuvent venir se reposer, parfois même prendre une douche. D’après le témoignage de Serge, qui a lui même été sans-abri, il est souvent plus dangereux d’aller aux refuges que de rester dehors. Il nous explique que ce sont «des dortoirs où il peut y avoir jusqu’à dix lits superposés dans une petite pièce. Dès que l’un des sans-abris s’endort, toutes ses possessions lui sont dérobées. S’ils protestent, ils se font battre par les autres sans-abris; c’est souvent chacun pour soi. Ils préfèrent alors rester dans la rue». Le gouvernement s’appuie beaucoup sur ces systèmes de refuges temporaires, et propose également des aides financières. Cependant, les bourses sont bien souvent trop limitées, les services semblent trop superficiels et s’arrêtent à un maintien de pension, de subsistance et d’hygiène. En incluant les besoins de se nourrir, les bourses ne suffisent souvent pas à financer un logement. Selon l’organisation Centraide du Grand Montréal, qui vient en aide aux personnes en situation de pauvreté, «chaque itinérant coûte au gouvernement, en terme de soins médicaux, de temps de prison, et tout le reste inclus, environ 100 000 dollars canadien par an. Il y a 33 000 itinérants en ce moment à Montréal». Interrogée par Le Délit, Sue McDougall, fondatrice de l’association De la rue à la réussite, rebondit sur ces informations. Elle «pense qu’il leur serait bien plus profitable de les aimer, de les éduquer et de les encourager à réussir (rires)». En effet, il est intéressant de se demander si des programmes de rééducation et de réintégration ne

manqueraient pas à Montréal. Car dans de nombreux cas, les sansabris ont perdu toute estime de soi. Sue McDougall insiste sur l’importance que l’emploi peut jouer dans le processus de réintégration des sans-abris: «il conditionne le revenu, l’identité, la dignité et l’accès aux réseaux d’information et de contacts.» Cette approche n’est que peu ou pas présente au Canada, et d’après la Chumir Ethics Foundation (Fondation d’éthique de Chumir, une fondation à but non lucratif de Calgary qui vise à promouvoir des politiques et des mesures pour une société plus juste, ndlr), notre pays est l’une des seules nations du G8 sans stratégie essentielle sur le logement et la réintégration des sans-abris. «La lutte contre la pauvreté doit être menée sur deux niveaux importants. Le premier consiste à créer des ressources pour ceux qui en ont besoin. Le second est de détruire les stéréotypes et préjugés négatifs, et de fournir le respect». Paul Cargnello, auteur-compositeur et membre de l’association Le Sac à Dos, qui vient en aide aux sans-abris, insiste bien sur cette dernière approche, si importante et si souvent oubliée par le système social. L’itinérant, c’est le jeune homme dans la trentaine à la sortie d’un café qui demande de l’argent; c’est la personne âgée enveloppée dans des couvertures par terre à la sortie du métro; c’est aussi la jeune femme qui se drogue, assise sur le trottoir Sainte-Catherine et qu’on évite du regard. C’est surtout l’être humain qui n’a pas eu la chance d’accéder à tous les privilèges dont nous disposons. À l’échelle de l’individu, il est facile de se sentir impuissant, mais c’est un phénomène de société que l’on peut changer tous les jours, à commencer par un sourire, la reconnaissance de la présence de ces personnes, car ces gestes si simples, d’après Sue, «peuvent avoir un impact plus important que l’on ne le pense sur leurs vies». x

le délit · le mardi 28 octobre 2014 · delitfrancais.com


Fait du logis Un besoin d’initiatives en matière de logements étudiants abordables. Léo arcay & julia denis

Le Délit

L

e manque de logements étudiants abordables à Montréal est toujours d’actualité. Les étudiants de l’Université McGill et des autres établissements d’enseignements supérieur ont aujourd’hui plusieurs choix en terme d’habitation autour de leur campus; mais ces options ont chacune leurs limites, et conduisent de nombreux étudiants dans des situations financières ou logistiques compliquées. Les résidences universitaires ont une capacité très limitée. De plus, ce type de logement est surtout destiné à une population transitoire, et a donc la possibilité de proposer des prix très élevés. McGill, tristement, en est le parfait exemple. Les frais d’habitation de ses résidences du centre-ville sont en moyenne deux fois plus importants que ceux des autres universités de Montréal. En effet une chambre simple dans Solin Hall (la résidence la plus abordable de McGill, et légèrement excentrée qui plus est) coûte 1013 dollars par mois, alors qu’un même type de logement à l’Université de Montréal (UdeM) coute 375 dollars par mois, et 525 dollars à Concordia. De plus, les prix des résidences mcgilloises semblent augmenter sans cesse depuis ces dernières années (environ 25% en trois ans). Janice Johnson, du service de logement étudiant et d’hôtellerie de McGill, justifie les loyers peu compétitifs des résidences de McGill par les services qui y sont offerts aux étudiants. En effet ces résidences «ont pour mission d’être plus que de simples logements pour les étudiants»: les résidences de McGill emploient de «larges équipes de haut niveau» pour soutenir les étudiants. Enfin, «la plupart des bâtiments de résidence sont très anciens et sont chers à maintenir.» Le secteur privé propose également des logements temporaires très dispendieux, notamment dans des hôtels reconvertis. On a vu depuis quelque temps fleurir dans le quartier de McGill, des résidences offrant une multitude de services, mais à un prix très élevé: par exemple la toute nouvelle résidence Evo située sur Sherbrooke, à deux pas de McGill, propose des chambres simples dès 1150 dollars par mois.

Restent les locations d’appartements privés entre particuliers. Mais comme nous l’explique Raphaël Fischler, directeur de l’École d’urbanisme de l’Université McGill en entrevue avec Le Délit, bien que la collocation étudiante se présente comme une solution plus abordable, les loyers continuent d’augmenter et «les quartiers où les étudiants

diants. En effet, Accès logis — un programme d’aide financière qui encourage le regroupement des ressources publiques, communautaires et privées pour favoriser la réalisation de logements sociaux et communautaires — stipule qu’«un programme visant uniquement une clientèle étudiante n’est pas admissible» par leur programme. La nécessité de

qui pourrait mener au développement d’initiatives similaires à travers la province. Ces «coops» promeuvent de larges colocations pour amoindrir les frais par personne; en opposition aux résidences universitaires qui, pour la plupart, proposent des studios ou de petits appartements. Une «coop» rassemblera plusieurs de ces appartements

L’oasis de la coopérative Ce n’est pas la première fois que l’on voit des initiatives telles que celle-ci. Depuis 2002, le U.S. Department of Energy Solar Decathlon organise des compétitions d’architecture environnementales interuniversitaires à travers le monde. À Versailles, en France, des équipes d’étudiants présentaient, l’été dernier, leurs projets pour la prochaine édition. Le logement en coopérative est récurrent. La mise en commun des espaces et des appareils électriques permet de faire chuter à la fois les coûts et l’empreinte carbone d’une collectivité. Les médias ont souvent parlé de ce type de logement comme étant «l’habitat du futur».

Les étudiants sont généralement exclus des services d’aides au logement public au Québec.

prune k.

trouvent des logements abordables, seuls ou en groupe, sont situés plus loin des universités que dans le passé». Cela sous-entend donc des temps de déplacements plus longs, et souvent plus chers pour ces étudiants.

développer une autre voie pour ouvrir l’accès à des logements étudiants plus abordables s’est donc fait sentir.

Des étudiants délaissés par les aides publiques

L’Unité de travail pour l’implantation du logement étudiant (UTILE) est un groupe d’étudiants qui vise à développer de nouveaux types de logements et de coopératives à Montréal. Malgré cet enjeu spécifique, ils jouent sur plusieurs tableaux: la recherche et développement, la communication, l’étude de marché, et la promotion. Le Délit a pu obtenir une entrevue avec Laurent Levesque, coordonnateur général de l’organisme. La solution selon l’UTILE? Après une étude de marché, la réponse semble porter vers les coopératives étudiantes. L’organisme projette de lancer la première d’ici 2017. Un test

Bien qu’étant une part de la population aux revenus particulièrement bas et aux dépenses fixes élevées (essentiellement liées aux frais scolaires), les étudiants sont généralement exclus des services d’aides au logement public au Québec. Les étudiants ne sont pas éligibles au programme d’allocation logement, ni aux habitations à loyer modique (HLM), ni aux logements coopératifs subventionnés, à part s’ils ont un enfant à charge. De la même façon, les logements coopératifs publics sont aujourd’hui très peu orientés vers les étu-

le délit · le mardi 28 octobre 2014 · delitfrancais.com

Une initiative indépendante au secours des étudiants

autour d’espaces et d’activités en commun, comme des groupes d’achat ou des ateliers collectifs. D’autre part, l’UTILE va créer, l’hiver prochain, un site web qui inclura de nombreuses informations relatives au logement à Montréal: de la manière de faire ses recherches aux droits des locataires, en passant par les différents quartiers de la ville et d’autres recommandations. M. Levesque souligne que l’offre et la demande actuelles n’incitent en rien les universités à proposer elles-mêmes des logements plus abordables. «Si la population étudiante veut une option d’habitation pas chère, […] il faut qu’on le fasse nousmêmes!», affirme-t-il. L’UTILE travaille par ailleurs sur différents projets avec de nombreuses associations étudiantes, et collabore horizontalement avec des organismes étudiants qui partagent le même but, afin d’échanger leur expertise.

Raphaël Fischler nous a luimême confirmé que «la coopérative est une excellente idée pour faire face au manque de logements abordables, que ce soit pour des étudiants ou d’autres personnes». Il explique qu’au-delà des avantages de coûts, le logement en coopérative offre la possibilité de participer à des activités communes, ce qui en fait «un lieu d’apprentissage intéressant pour des activités futures dans la gestion d’organismes communautaires, des activités de leadership, etc.» Raphaël Fischler soulève cependant que cette vie en communauté peut être plus difficile à développer avec une population étudiante, donc «transitoire». De plus, la création de logement coopératif «exige du soutien du gouvernement», or les fonds sont limités et ne permettent généralement pas de créer ces «coops » dans les quartiers alentours aux universités (généralement plus chers). Dans tous les cas, les étudiants sont extrêmement dépendants des subventions du gouvernement. À défaut de s’attaquer au problème à la racine, les initiatives en matière de logement semblent tout de même être capables d’améliorer la situation. Le lancement de la «coop» de l’UTILE en 2017 permettra à cette hypothèse de faire ses preuves.x

société

9


points de vue OPinions / assemblée générale

Je pourrai mourir en paix théo Bourgery

Le Délit

2

8 février 2013, rédigé par Théo Bourgery: «Une AG de chaises vides: malgré une forte campagne de publicité, les chaises restent vides à l’AÉUM.» 11 octobre 2013, rédigé par Théo Bourgery: «Une AG qui n’en est pas une: seulement une cinquantaine d’étudiants se sont présentés à l’Assemblée générale de l’AÉUM .» Puis arrive le 11 février 2014, aussi rédigé par Théo Bourgery: «Une AG pas comme les autres: le quorum est atteint, une première depuis plusieurs années.» Un début, une lumière au bout d’un tunnel — qui sait, le quorum sera-t-il désormais atteint tous les semestres? Plus de chaises vides? Plus de samossas pour attirer les foules? Dieu, que croire; les rêves me rongent. La vie suit cependant son cours et après un suivi intense de la vie étudiante au sein de l’équipe éditoriale du Délit, je dois me retirer. Et là, PAF!, l’Assemblée générale d’automne 2014 attire huit cents jeunes convaincus ! Courtney Ayukawa, présidente de l’Association Étudiante de l’Université McGill, le dit sans bégayer: «deux cents personnes attendent dehors. La cafétéria et la salle de bal du bâtiment de l’AÉUM sont entièrement remplies». À sa place, j’aurais fondu en larmes. Il faut me comprendre: un an et demi durant, j’ai bataillé pour

que mes colocataires et mes amis Facebook lèvent ce long carton jaune avec moi. Je me suis battu avec les sections Actualités et Société de votre hebdomadaire (Culture aussi, quand je n’avais plus rien à perdre) pour glisser un article à la terrifiante rubrique «politique étudiante». Et tout le monde de me rire au nez: «Qui te lit de toute façon?» ou encore «Il en faut des [gens] comme toi pour continuer à croire que la politique étudiante sert à quelque chose». Rira bien qui rira le dernier: Who’s reading me now? Malgré l’émotion, ou plutôt pour mieux la comprendre, je me demande: pourquoi sommes-nous tous là? Pourquoi ce semestre et non pas les autres? Ne nous voilons pas la face: personne n’est là pour Divest McGill, encore moins pour la nomination du conseil d’administration. Tout le monde (pardon, une large majorité: n’insulter personne est dans l’air du temps) se fout du CA. Si les étudiants ont sorti le nez de leurs examens le temps de quelques heures, ce n’est que pour une motion particulière: «exprimer [une] solidarité envers les peuples des territoires palestiniens occupés» — bref, la motion qui n’a rien à voir avec la politique étudiante. D’ailleurs, beaucoup se plaignent en amont du débat: «L’AÉUM n’a pas le droit de parole là-dessus! Elle ne doit pas se prononcer!» Et moi de leur répondre: «Mais regarde ce

monde; c’est la première fois que je ne me sens pas seul! Même ma copine est venue!» Décidément, ils ne (me) comprennent pas. Que l’AÉUM ait un droit de parole sur de tels sujets, je n’en ai cure. Je constate seulement que huit cents étudiants sont venus pour exprimer leur opinion. Donc les étudiants de McGill ont une opinion — vous savez, avec le temps, je l’avais presque oublié. Pardon, soyons plus précis et moins méchant: cette motion (son contenu importe peu) est la preuve que les étudiants ne sont pas complètement apathiques, comme beaucoup aiment le penser.

Notez: je dis bien «pas complètement». Ils le sont toujours un peu: l’absence de participation au sein des instances exécutives de l’AÉUM reste consternante. Et d’entendre un de nous lancer à la salle: «pourquoi ne pas débattre sur des motions qui concernent l’AÉUM directement?», je ne peux que questionner son absence lors des autres AG. Et d’entendre un autre clamer que «je ne sais pas à quoi sert l’AÉUM», je ne peux que constater qu’il ne fait aucun effort pour vraiment comprendre l’assoc’. Venu un moment, chéri, on ne va pas te tenir la main.

Du travail reste donc à faire et je souhaite à l’AÉUM tout le courage du monde (et quelques changements de procédures, mais je ne veux pas trop en demander). Les étudiants sont intéressés par la politique étudiante, encore faut-il leur faire savoir. Quant à tous les étudiants présents, je me contente d’un insignifiant «merci» qui vient du cœur. Quant à moi, je vois l’Assemblée générale du 22 octobre 2014 comme un graal. Comme Snowden pour les journalistes. Comme Cahuzac pour Médiapart. Comme la barbe pour l’imberbe. Ce jour là, j’ai eu de la barbe. x inès l. dubois

Une bonne leçon à tirer?

Retour sur les conclusions à tirer de l’échec du débat de la dernière AG. victor tricaud & Fabien daudier

L

orsque McGill tente de s’exprimer, elle bredouille. C’est en tout cas ce que laisse penser le vote organisé par l’AÉUM (Association Étudiante de l’Université McGill), mercredi dernier. La question était de savoir si l’AÉUM devrait ou non exprimer sa solidarité envers les populations civiles des Territoires palestiniens occupés. Néanmoins, à l’issue du rassemblement, la proposition n’avait nullement été débattue. Bien au contraire, le débat s’est trouvé «reporté indéfiniment». L’un des arguments avancé en faveur de cet ajournement s’inquiétait de la division du corps étudiant qu’occasionnerait cette clause contentieuse. Cependant, la proposition n’avait rien de contentieux: tous s’accorderont pour condamner les violations des droits de l’Homme

10

société

et l’oppression de populations innocentes — comme proposé par l’AÉUM à multiples reprises. De plus, les abus commis par l’armée israélienne s’avèrent un fait documenté par de nombreuses entités internationales, institutions juridiques et organisations tant palestiniennes qu’israéliennes. La discussion aurait certes pu porter sur l’étendue des condamnations en incluant les activités terroristes de tous bords. Toutefois, le contenu de la proposition n’aura pas eu l’occasion d’être amendé. En effet, la discussion de mercredi dernier s’est plutôt portée sur la légitimité de l’AÉUM à s’exprimer au nom des étudiants sur de tels enjeux — une remarque tout à fait légitime. Cependant, cette préoccupation institutionnelle a pris le pas sur la question initiale. Ce détournement a permis à l’un des partis d’éviter de se prononcer sur une question humanitaire perçue

comme une attaque identitaire: la condamnation d’Israël. Ainsi, la décision finale résulte d’un malentendu quant au contenu du vote. En fin de compte, il semblerait que de part et d’autre, la proposition aurait été entendue comme une prise de position politique concernant le conflit israélo-palestinien, plutôt qu’une considération éthique. Le résultat de ce mercredi soir souligne certaines particularités du conflit israélo-palestinien. L’une d’entre elles concerne le problème de l’identité communautaire. Ce qu’on a pu constater lors de cette Assemblée générale était l’extrême polarisation entre «pro ou anti». Cet attachement émotionnel pousse l’individu à confondre une critique envers un aspect de sa communauté — souvent indépendant de sa volonté — avec une attaque personnelle. Cependant, aucun État ne conduit de politique irréprochable. Ainsi, de telles violations des droits

de l’Homme devraient être������� ����������� objectivement condamnées à domicile comme à l’étranger sans pour autant en revenir au débat «pro ou anti». Un détachement impartial est en effet chose rare dans tout débat émotionnel. Comme l’indique le vote de l’Assemblée générale, sans le recul nécessaire, les tensions se cristallisent autour d’un vote «oui» ou «non». Ce genre de procédure unilatérale ne peut amener de résultats constructifs; et subjuguer l’opinion de l’opposition ne résout pas un problème de cette envergure. Bien au contraire, il alimente le conflit en frustration. C’est pourquoi cette procédure s’est vue vouée à l’échec. Pour illustrer ce dernier point, une proposition similaire en faveur des droits des Palestiniens avait déjà connu les mêmes résultats en février 2009. Et tout laisse à penser que ce vote stérile sera à envisager de nouveau d’ici quelques années.

Plutôt que de proposer un référendum à la communauté mcgilloise, peut-être vaudrait-il mieux se tourner vers une sollicitation plus constructive. Par exemple, créer un espace pour un échange d’expériences et d’opinions familiariserait chacun des partis avec les idées opposées. Que ce soit au travers d’une semaine thématique, ou par l’organisation de tables rondes, plusieurs options permettraient une discussion instructive pour les étudiants. D’autre part, cela positionnerait McGill parmi les universités engagées dans le conflit de façon positive. L’aboutissement de ce débat aura donc échoué, de par sa forme. Néanmoins, cet épisode aura permis de sensibiliser la population mcgilloise. Ainsi peut-on espérer une évolution dans l’approche du problème, pourvu que chacun se souvienne de ces conclusions. x

le délit · le mardi 28 octobre 2014 · delitfrancais.com


Chronique

De la fonction du journalisme Esther Perrin Tabarly | Raconter au prix d’une vie.

G

lenn Greenwald a donné jeudi dernier une conférence à l’Université McGill à l’occasion du rendezvous annuel Beaverbrook, organisé par l’organisation Média@ McGill. Glenn Greenwald, exavocat et journaliste du Guardian US, s’est fait connaitre pour être le médiateur presse d’Edward Snowden. En juin 2013, ce dernier a fourni à Greenwald et à une autre journaliste, Laura Poitras, plusieurs dizaines de milliers de

documents prouvant les activités de surveillance assidue de l’Agence nationale de la sécurité américaine (NSA), dont seulement une petite partie a été publiée par les deux journalistes jusqu’ici. En ce moment, ils travaillent en duo à la mise en place du journal The Intercept, vu sur le court terme comme une plateforme pour la diffusion des documents de Snowden; et pour plus tard comme fleuron d’un journalisme «sans peur». Au nom de la lutte contre le terrorisme, la NSA intercepte chaque jour des milliards d’appels téléphoniques et de courriels. Greenwald l’accuse de procéder quotidiennement à une «élimination complète de la vie privée à l’âge digital», suivant ainsi à la lettre sa devise: «Collect it all» («Tout recueillir»). Greenwald voit en Internet une plateforme sans limite qui sait donner la parole aux plus petits acteurs, et qui a eu la

le délit · le mardi 28 octobre 2014 · delitfrancais.com

force de révolutionner l’accès à l’information en tout lieu, en tout temps. Malheureusement, explique-t-il, d’outil de démocratie, Internet est devenu un outil d’oppression. Tout le paradoxe qu’il trace repose sur la notion de consentement tacite. Beaucoup d’entre nous ont peu ou rien à cacher de leur historique. Ainsi, aucun sentiment de culpabilité ne nous accable individuellement; par conséquent nous ne nous sentons pas menacés par un système vicieux de surveillance de masse qui, par ailleurs, est une violation illégale de notre vie privée. Quand on parle d’illégalité à l’ex-avocat, il fait une moue de désintérêt. Ce qu’il expliquait jeudi, c’est que l’évidente infraction à la constitution américaine par la NSA n’est pas ce qu’il a retenu de plus choquant durant ces seize mois. La plus grande leçon, dit-il, c’est la réalisation que nous, Occidentaux, ne vivons finalement pas dans cette jolie

démocratie qu’on nous enseigne à l’école. Les pratiques de la NSA sont une totale subversion de notre idéal de gouvernement. Snowden n’a pas choisi Glenn Greenwald entre des milliers de journalistes par hasard. Il a su voir en lui, peut-être, un homme qui ne reculerait pas devant la charge du scandale, ni devant le mastodonte qu’est la NSA. De même, il n’a pas choisi un journaliste du Guardian pour rien. Les grands titres de la presse ont souvent trop de relations avec l’État pour être totalement libres d’influence — voire de censure — lors de la publication de leurs scoops. Le Guardian représentait un titre à plus petite échelle, un peu moins emmêlé dans les cordons du gouvernement américain. S’en est suivie, dans le discours de Greenwald à McGill, toute une leçon sur ce qu’est le journalisme aujourd’hui, sur ce qu’il devrait être, et sur les facteurs de ses évolutions diverses.

Glenn Greenwald déplore qu’on essaie de plus en plus d’écrire des articles objectifs, dénués d’engagement, qui s’en tiennent aux faits. Il regrette ce manque de passion dans le journalisme qui lui a donné une logique d’entreprise. C’est là qu’intervient Internet: l’accès à un public moins restreint, mais surtout, un haut-parleur universel. Internet a donné à l’individu le pouvoir d’influencer une vision du monde. Snowden est un exemple parmi des milliers, mais on ne cesse de remarquer l’importance de la Toile dans tous les mouvements démocratiques: le printemps arabe, les révoltes récentes à Hong Kong... Greenwald conclut sa conférence sur un mot de sagesse aux accents révolutionaires: n’importe quelle institution qui a été construite par les hommes peut être déconstruite par les hommes, tant qu’il y a des passionnés. x

société

11


Culture

luce engérant

articlesculture@delitfrancais.com

entrevue musicale

Kilomètre après kilomètre Entrevue avec l’auteur-compositeur-interprète Yves Marchand. virginie daigle

Le Délit

Y

ves est né au Témiscamingue à une époque où les professeurs de musique y étaient rares, et les bonnes sœurs étaient chargées de cette portion de l’éducation. De huit à douze ans, Yves suit des leçons de piano puis soudainement lâche «pour faire du sport avec les autres garçons». La formation reçue est suffisante pour lui permettre de devenir musicien autodidacte et «accompagner Mononc chanter à Noël». Au moment de choisir une carrière, Yves explique que musicien, «ça n’existait pas à l’époque comme choix de réponse», de même qu’il n’y avait pas d’université au Témiscamingue. C’est ainsi qu’il s’est retrouvé à l’Université de Sherbrooke avec la vague idée de devenir professeur d’histoire. À plus de huit heures de route de sa famille, atteint par la solitude asphyxiante qui est le lot de la vie en résidence étudiante, Yves a redécouvert le piano dans un petit local disponible pour les étudiants, redécouvrant et poussant plus loin les leçons des religieuses. C’est là qu’avec d’autres amis il a formé le «SS12 Blues Band» (SS12 étant le nom du local), qui a décidé de tenter sa chance dans la métropole. C’est dans le contexte post-référendaire en 1980 qu’il débarque à Montréal, dans cette atmosphère particulière de désenchantement collectif. «Après le référendum, il n’y avait plus de gens intéressés à entendre de la musique québécoise… les séparatistes avaient eu leur chance et on n’avait plus envie d’entendre parler du Québec. C’est à ce moment-là que beaucoup de groupes se sont mis à chanter en anglais, c’était moins courant avant». Néanmoins, il continue à jouer avec d’autres partenaires de route, plus souvent dans les bars, pendant presque une décennie. «Pis après dans les années 90, il y a eu

12

Culture

un renouveau, c’est là que Zébulon a commencé, à la même époque y’avait les BB, les Colocs et Jean Leloup. C’est à ce moment-là que notre groupe a pu avoir du succès. Les gens pensaient qu’on était jeunes, mais nous ça faisait dix ans déjà qu’on jouait dans les bars».

«Un bon disque il te nourrit, il t’a pas vidé de toi.» Zébulon est un groupe aux admirateurs fervents et au genre iconoclaste et ludique. Pensez à du pur rock’n’roll mélangé avec des histoires de village, mélangé à des harmonies viriles, mélangé à des chansons salaces et des ballades déchirantes, et une bonne dose de gazou pour faire bonne mesure. Difficile à décrire. C’est que, comme l’explique Yves: «dans Zébulon, les quatre gars écrivent en même temps. Ça ressemble à rien.» Suite à la dissolution de Zébulon, Yves Marchand a sorti un premier album solo en 2004 intitulé Belvédère. Il sort à présent son deuxième, Si l’homme est fait de kilomètres, après une décennie exactement. «Y’a fait un grand détour cet album-là. Il y a des chansons vieilles de dix ans, de quinze ans, de dix mois…» Pour expliquer le concept de son album, il se souvient des longues heures de route qui ont occupé sa vie, de son va-et-vient du Témiscamingue à la ville: «ma vie était un exil obligé, je me suis souvent dit que j’arriverais jamais à être complètement heureux, que je pourrais pas avoir ma famille et mon métier.» Plus tard, la longue route s’est poursuivie dans la vie de tournée partout à travers le Québec et au NouveauBrunswick. Ces moments se sont souvent déroulés en compagnie

d’un album qui jouait dans la radio de la voiture. «Aujourd’hui c’est un peu moins vrai, mais à l’époque c’était vraiment un voyage, un album. Un mini-film, une bulle de 45 minutes, avec des joies, des peines et des rebondissements. Un bon disque il te nourrit, il t’a pas vidé de toi. Et tu l’écoutes au complet, pas juste les chansons. C’est comme un film; c’est rare d’écouter juste des bouts de films.» C’est cet esprit qui a nourri la conception de l’album, une œuvre imprégnée de contemplation, dans une musique qui prend le temps de se définir et de se trouver jusqu’à ses mélodies sinueuses, parfois joyeuses, parfois calmes et enveloppantes. La composition musicale est véritablement un point central

‘‘Une chanson à la façon de Yves Marchand’’.» «Je fais la musique en premier» dit-il pour expliquer sa méthode de travail. «Le plus beau compliment que j’ai reçu était de la part d’un anglophone qui m’a dit qu’il avait adoré mon spectacle même s’il n’avait rien compris. Ça veut dire que ma musique peut séduire… selon moi, la musique est plus universelle que le poème de cette façon-là.» Cela ne veut pas dire pour autant que sa virtuosité musicale lui fait négliger l’écrit: «Je tiens à faire mes textes; j’aime le défi.» Il s’agit pour lui, avec l’écriture, d’un travail plus ardu et plus délicat: «je pense qu’un beau texte peut être beau sur n’importe quelle musique, mais qu’un mauvais texte peut briser O. LAMARRE

pour cet artiste coiffé du fameux triple titre d’«auteur-compositeur-interprète»: «dans les bars de 82 à 92 j’ai chanté des centaines de chansons différentes, je sais comment une chanson est faite. Je sais comment sont les chansons à la façon des autres. J’aimerais qu’on puisse dire

un belle musique. Les textes ont déjà leur musique dans eux, il faut la respecter. Ça me fait penser à une anecdote de Victor Hugo: un jeune musicien était venu le voir pour lui demander s’il pouvait mettre de la musique sur ses textes et il avait répondu ‘‘Quoi? Il n’y en a pas déjà?’’.»

«Je tiens à faire mes textes; j’aime le défi.» Ces dernières années, la notoriété acquise avec son premier album lui a permis de devenir mentor au Festival de la chanson de Granby, ce qu’il continue à faire aujourd’hui: «y’a pas grand monde que j’ai pas vu ben avant qu’ils soient prêts à faire des disques, Alex Nevsky, Lisa Leblanc, les sœurs Boulay.» Il a également fait du travail de claviériste et de choriste pour de nombreuses célébrités du milieu: Sylvain Cossette, France d’Amour, Caroline Néron. Il se trouve donc à un niveau privilégié pour constater l’état de la musique aujourd’hui. Et bien qu’il juge que le Québec ne se trouve pas «dans une période de diffusion», il est certain qu’il se passe «quelque chose de vraiment intéressant au niveau artistique». «On est en manque d’éducation au niveau de l’art au Québec et ça fait qu’on n’apprécie pas ce qu’on devrait apprécier. C’est la blague de la jeune québécoise qui invite son chum à la maison. Ses parents demandent au gars: «Toi tu fais quoi dans la vie?», il répond: «Je suis musicien» et les parents trouvent pas ça sérieux. La même chose arrive en France «Ah vraiment tu es musicien? Wow!» C’est la même phrase, mais une autre culture. Pourtant je sais qu’on n’a rien à envier à personne sur la créativité». De la créativité et de l’originalité, Yves Marchand n’en a certainement pas à envier à qui que ce soit, comme le prouve les horizons musicaux qu’il ouvre au public avec Si l’homme est fait de kilomètres et qu’on attend de voir en format spectacle au printemps prochain. x

le délit · le mardi 28 octobre 2014 · delitfrancais.com


chronique

Essayer l’erreur

Gwenn Duval | Petit cours d’écriture à l’usage de tous.

M

a proposition de cette semaine est la suivante: arpenter la montagne de l’essai au risque de faire erreur. Je me demande encore si l’entreprise d’une telle randonnée est une bonne idée. Quoi qu’il en soit, elle me titille assez pour que je ne puisse l’ignorer. N’ayez crainte, nous pourrons toujours faire escale dans le safe space du déni des pensées délictueuses. «Try again. Fail again. Fail better», «Essaye encore. Échoue encore. Échoue mieux». Un Thomas me parlait dernièrement d’un certain Samuel et j’ai songé à la douce particularité que nous offrait ici la langue de Beckett. Tout porte à croire que c’est l’impératif qui s’est imposé à sa

pensée. Pourtant, vous pardonnerez mon esprit zélé d’y ajouter une petite onomatopée qui se prête, aujourd’hui, assez couramment à l’échec: «aïe». - Aïe. - Try again. Fail again. - Aïe! Homonymie parlante: I fail again. Nul besoin de fléchir le fail, il est déjà en bonne et due forme. Même chose pour vous: you fail again. Oui, vous échouez. Vous échouez à comprendre où je veux en venir. Peut-être ne suis-je pas assez claire, aussi laissez-moi avoir recours à ce cher Raymond Devos qui a écrit tout spécialement pour moi, vous et tous les autres dont la langue se fait parfois obscure et les oreilles tordues: «si vous voulez comprendre ce que je dis, ne m’obligez pas à m’exprimer clairement!». De deux choses l’une: premièrement, qui fail? Celui qui échoue à se faire comprendre, à transmettre sa pensée, ou bien celui qui n’attrape pas la balle qui a été lancée dans une trajectoire inattendue? Les deux, peut-être. Deuxièmement, échouent-ils sur la même île — la métaphore me semble, ici, très loin d’être abu-

sive — ou sur des rivages éloignés? L’unique différence se loge peutêtre dans la distance qui sépare les deux naufragés. Cette distance dépend-elle de l’envergure de l’erreur? Si la forme est foireuse, c’est le fond qui sombre. Dans un écrit, l’abondance de détails médiocres peut être bien plus difficile à régler que s’il en avait simplement fallu modifier la teneur. Tirez des traits, si le chemin est parsemé d’apories, tentez une nouvelle route. Il faut oser la relance. Si j’avais le choix entre me laisser dériver parmi les mots ou garder le cap, j’opterais sans doute pour la route directe. Elle amène plus rapidement à destination, et, bien que j’apprécie la ballade autant que l’arrivée, toucher au but permet de repartir vers une nouvelle terre. Plus long parcours, plus de paysage, plus de découvertes, plus d’apprentissages. Cela dit, de la façon que je tiens la plume, il m’est impossible de ne pas me soumettre, ne serait-ce qu’un brin, aux intempéries du langage; puisque mon petit cours est un navire qui vogue sous le vent des pensées. Voyez, ma montagne s’est transformée en vague. Pour dire vrai, je préfère parler des choses

que je connais un peu mieux. Je ne pense pas que ce soit une fermeture de l’esprit, mais plutôt un essai d’humilité, peut-être que je fais erreur. Les raisonnements que je pourrais partager avec vous seront certainement plus intéressants s’ils touchent à une discipline dont je connais un peu les ressorts. Permettez-moi de vous parler de réglages pour les essais et erreurs qu’ils requièrent. Ne perdez pas de vue la page, c’est votre voile. Je vous ai dit plus tôt qu’il fallait oser la relance, sans vous préciser ce que je pouvais sous-entendre: à bord d’un navire qui remonte au vent, relancer c’est laisser sa grand-voile se gonfler après un virement de bord. Accepter de relâcher la tension pour gagner de la vitesse, ne pas optimiser sa direction pour un temps en attendant que le vent adonne. Un capitaine sur la Méditerranée m’a un jour dit: «Trran-quillement, on va bien plous rra-pidement». Imaginez-vous faisant face aux récifs, vous avez enchaîné les erreurs et vous voilà mal pris (ou bien volontairement mis dans une telle situation pour voir comment vous réagirez). Une analyse fine du contexte vous fera voir que le vent

ne vous permettra aucune erreur. Que faire quand on n’y a pas droit et que le choix d’agir ne se pose pas? Vous essayerez, délicatement d’abord, pour tester les réactions de votre embarcation. Le risque de perdre trop de vitesse vous guette, décrocher vous précipiterait sur les rochers. L’oreille tendue vers le vent, c’est ici que vous inventerez votre livre du maître… ou exprimerez vos dernières volontés. Se mettre en danger, le laisser se rapprocher pour apprendre à l’esquiver, par écrit et dans la vie. Se mettre en danger est, selon mon humble avis et pas seulement le mien, une condition sine qua non à la réussite. Créer des amalgames d’idées susceptibles de susciter les sifflements viscéraux, générer des malaises et les apaiser ensuite, glisser des thèses affligeantes au milieu de discours sensés, c’est cela, pour moi, jouer. Radicalismes, essais; erreurs, horreurs. L’intention n’est pas d’effrayer la chronique, c’est une simple histoire de réglages. Gauss viendra à point éclairer l’équation, nous en reparlerons. J’essaye de façonner tout en tentant de vous traduire mon babil: ça fait flop, flop, flop, comme les ailes d’un geai blessé: «aïe». x

Événement

«Je vois, je vois...» Quel est l’avenir de la culture à Montréal?

arthur corbel

Le Délit

«L

a meilleure façon de prédire l’avenir, c’est de le créer», disait Peter Drucker, professeur et théoricien de management. C’est justement au milieu des affaires qu’on demandait, ce jeudi, de façonner l’avenir de la scène artistique montréalaise. Invités par la toute nouvelle BAAM (Brigade des Arts et Affaires de Montréal), les grands du milieu artistique (le comité de gestion de la Place des Arts, le Musée des Beaux-Arts de Montréal, les jeunes leaders des arts de la scène, l’Opéra de Montréal, le Musée d’Art Contemporain, les Grands Ballets …) et du milieu des affaires (Le journal Les Affaires, des représentants d’HEC Montréal, et tous les jeunes cadres et entrepreneurs invités) se retrouvaient en masse au Musée des Beaux Arts. Ambiance distinguée donc, alors que tous les invités profitent d’un cocktail offert par la BAAM en présence d’invités de marque, comme la rédactrice en chef du

luce engérant

journal Les Affaires, Géraldine Martin. Cette dernière félicite d’ailleurs ceux qui ont répondu présent ce soir, avant de rappeler l’objectif de la soirée; «Vous êtes les artisans de demain. A vous de décider dans quelle société vous voulez vivre». Les orateurs ne sont définitivement pas avares de compliments. Alexandre Taillefer,

le délit · le mardi 28 octobre 2014 · delitfrancais.com

du Musée d’Art Contemporain de Montréal (MAC), ne fait pas exception à la règle: «Qui aurait cru, que ce serait la génération Y qui sauverait la société?». Nous y voilà: l’appel aux dons. Les invités de la réception sont appelés à assumer «leur rôle très important: celui de mécène». Les orateurs donnent l’exemple, deux d’entre eux étant à

l’origine des premiers dons pour la BAAM: 1000 dollars chacun. C’est alors que le spectacle commence: chaque don de 1000 dollars est signalé par une alarme, le nom du donneur s’affichant sur un écran géant, spécialement affrété pour l’occasion. Commence alors le jeu des alarmes, qui n’arrêtent pas en début de soirée, dans

une cascade de dons. On se croirait dans une scène de L’Argent de Zola, revivant la folie de la Bourse du début du 20e siècle: le succès est incontestable. Les organisateurs avaient tout prévu: 850 personnes ont répondu positivement à l’invitation, expliquant les nombreux dons de la soirée. Mais la vraie réussite se construit dans la durée. La question des actions à venir pour les arts à Montréal est donc d’une importance capitale. Géraldine Martin s’explique au Délit sur son engagement passé et à venir via Les Affaires: «C’est assez facile vous savez. Il faut régulièrement amener ce sujet. La clé appartient aux jeunes, nous cherchons du renouveau. C’est pourquoi il est important d’être présent dans des évènements comme celui-là. Quant à nos actions à travers le journal, nous tenons par exemple une page philanthropie chaque semaine, ainsi que des cahiers philanthropiques deux fois par an.» Devant la générosité des mécènes-philantropes, l’industrie culturelle montréalaise semble promise à un avenir doré. x

Culture

13


théâtre

Top chrono à deux langues Soirée théâtre improvisé au Théâtre Sainte-Catherine. gwenn duval

Le Délit

2

4 heures pour écrire et monter une pièce d’une vingtaine de minutes, c’est le défi que lance Le Nouveau International, une compagnie de théâtre montréalaise. Les auteurs se rencontrent, prennent connaissance du thème, éteignent leur téléphone, coupent Internet et écrivent pendant la nuit. Dès le matin, les metteurs en scène montent les cinq pièces avec les acteurs et, le soir même, les spectateurs peuvent venir apprécier, au petit théâtre SainteCatherine, le résultat de cette expérience. L’événement est complètement bilingue. Une phrase peut commencer en français, continue in English and repasser dans l’autre langue. «Pourquoi? Parce que c’est Montréal criss de tabarnak». Alain Mercieca, le présentateur, annonce d’entrée de jeu que ceux qui n’auront pas tout compris peuvent venir le voir après, au bar, pour «une traduction intime». C’est le

Cécile amiot

ton de la soirée: humour, good old fashioned laugh, proximité et spontanéité. Pour les auteurs, c’est l’occasion de mettre sous pression la production artistique. Pour les idées, c’est le moment de s’extirper des esprits avec la bonne excuse de n’avoir eu que quelques heures pour se préparer. La courte échéan-

ce n’empêche pas cependant de belles inventions et l’on voit germer des procédés hors du commun, des pirouettes pour se sortir de faux pas qu’entraine la courte préparation. «On jette tout sur le mur, si ça colle tant mieux», confie Alain Mercieca pendant l’entracte. La part d’improvisation est indénia-

ble. D’ailleurs, une guitare éclatée contre un mur un peu plus tard souligne les propos du présentateur qui finira le spectacle avec de plates excuses pour son amie à qui appartenait l’instrument. Les pièces sont très différentes les unes des autres; ce qui les rassemble c’est un grilled cheese. Absurde, vous pensez? En plus du

petit air de ressemblance entre le théâtre Sainte-Catherine et la Huchette, les procédés de répétitions et changements de narrateur de la première pièce Efficiently flying birds plongent directement le spectateur dans un univers où l’on sent qu’au fond, quelque chose essaye de se dire. Certaines inspirations sont plus parlantes que d’autres. Au palmarès des meilleurs moments de la soirée: une quête au grilled cheese qui donne lieu au mime de la vie d’un oiseau, superbement interprété par Olivier Lalancette dans la pièce écrite par Marie-Paul Ayotte et mise en scène par Jenn Quinn. Pour ces quelques instants, nul besoin de parler une langue ou l’autre, toute la salle se déride par des éclats de rire frais et vivifiants. Le Nouveau International, c’est l’abondance de production dans l’optique de maximiser le potentiel artistique, de ne pas perdre une seconde pour mettre sur planche des idées, au risque de laisser s’immiscer des choses un peu moins WOW! x

«Pense, porc!» En attendant Godot au Théâtre Denise-Pelletier. philippe robichaud

Le Délit

«A

u Théâtre Denise Pelletier? Par expérience, ce théâtre-là est douteux; c’est qu’il a surtout une vocation scolaire…» Certains amis ont le don de savoir exactement comment me désenchanter des choses qui, de prime abord, ont su m’exciter. Parce que oui, en principe, une représentation de En attendant Godot, je me fous bien d’où elle est donnée: ça m’excite. Dans une généreuse liste Excel d’événements culturels à couvrir pour la semaine, offerte comme un recueil de merveilles à la Mille et une nuits par la section Culture d’un journal étudiant, le titre En attendant Godot — une pièce écrite en 1948 qui a été jouée, rejouée, archi-jouée — eh bien ce titre arrive toujours à exciter. Ainsi se déploie l’horizon de mes attentes en entrant au théâtre, à la bourre. Lendemain. Même heure qu’hier, lorsqu’il lisait l’Excel d’événements culturels. Même endroit. Usagers de la bibliothèque près de leurs ordinateurs, yeux rivés, mains au clavier. Quelques feuilles de plus sur le bureau — un dossier de presse.

14

Culture

S’assoit P***, vivement. Il ne sait pas. Il veut s’en aller. Mais il ne peut pas. Pourquoi? Il attend une forme de libération que lui donnera, il l’espère, la complétion d’un article sur En attendant Godot. Mérite considérable: la représentation a su raviver en P*** un sentiment d’absurdité quant à son existence, sentiment agréablement oublié depuis quelque temps. Autant dire tout de suite que je remercie mon ami un brin altier d’avoir dédaigné le Théâtre DenisePelletier, ayant ainsi abaissé mon espoir au minimum: la pièce étant ce qu’elle fut, je n’en suis sorti pas moins qu’estomaqué. Mise en scène par Serge Mandeville et la microscopique compagnie de théâtre Absolu Théâtre, la pièce est montée avec des moyens minimes, un peu à l’image du feuillage dépouillé de l’arbre, unique décor scénique. Le fait que cet arbre soit suspendu à l’envers est sans doute la transgression la plus radicale que la production ose apporter au texte de Beckett — de toute façon, on le sait bien, la succession de l’écrivain s’assure qu’aucune représentation de son œuvre ne la modifie sans son consentement. Ces petits moyens n’ont par contre pas empêché Mandeville de

faire jouer la pièce à une distribution dont l’inégalité faisait d’autant plus briller les perles qu’elle comptait. Vladimir et Estragon (Pierre Limoges et Louis-Olivier Mauffette) soutiennent solidement le texte malgré des accents français un brin forcés pour des Québécois. Lucky, le domestique-chien joué par un André-Luc Tessier fraîchement sorti du Conservatoire, donne à voir une brillante virtuosité lors du célèbre épisode où son maitre lui ordonne de «penser». Les lauriers sont par contre à lancer au fulgurant Pozzo, joué par François-Xavier Dufour. Si son rôle est celui qui permet la plus grande amplitude de jeu — entre fat commandant au début de la pièce et aveugle épave déconfite par la suite —, il sait saisir et exploiter jusqu’au bout les nuances de ces deux états, livrant un numéro magistral, troublant. Lucky, qui pense: Selon les récents travaux de Testu et Conard de l’Acacadémie de Berne-en-Bresse, on ne… ne… ne saurait justifier la pertepertinence de tels art-articles de critique théâtrale par d’autres prérogatives que celles de l’express-pression d’une sublimité insoupçonnée d’une lecture de BéBeckett — en l’occurrence, celle qui se joue toujours à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise Pelletier jusqu’au 8 novembre. x

alexandre trudeau

le délit · le mardi 28 octobre 2014 · delitfrancais.com


cinéma

Moi, moche et méchant Le provoquant Listen Up Philip est un des meilleurs films indépendants de l’année. noor daldoul

Le Délit

L

isten Up Philip est la nouvelle comédie dramatique d’Alex Ross Perry. Philip (Jason Schwartzman) incarne un écrivain misanthrope enivré par le succès de son premier livre. Dans l’attente de la parution de son second roman, le protagoniste décide de partir s’isoler loin de sa petite amie newyorkaise (Elisabeth Moss) afin de trouver paix et inspiration dans la maison de son idole, l’écrivain Ike Zimmerman (Jonathan Pryce). Cette comédie existentielle insiste sur la fragilité et l’inconstance des rapports humains, sur les dégâts de la création artistique, et surtout sur la solitude, ce fléau que l’écrivain à la fois adore pour être une source de création et hait puisqu’il le prive de la glorification dont il a tant besoin. Projeté la première fois en janvier 2014 lors du Festival de film de Sundance, Listen Up Philip a trouvé sa place dans le monde audacieux du cinéma indépendant. À l’autre bout de l’hémisphère cinématographique populaire d’Hollywood, Listen Up Philip rejette les conventions du schéma narratif classique. Il joue en effet avec une narration fragmentée, un mouvement circulaire, en zigzag, sans direction

tribeca film

finale. Pire, il lance le pari risqué de présenter un personnage principal dont la présence est insupportable, voire anxiogène. Loin du héros à la conduite idéale et – comme son nom l’indique – héroïque, il l’est tout autant de l’anti-héros, ordinaire mais somme toute attachant. Philip est une sorte d’anti-antihéros; l’antagoniste antipathique dont on hurle à l’héroïne de se méfier. Philip est égoïste, insensible, arrogant, narcissique, imbu de sa personne, sans cœur et autodestructeur sur les bords. En gros, l’idée stéréotypée que l’on a de

l’écrivain, la caricature à gros coups de crayons. Le film est ponctué d’autant de rencontres – autant de relents d’espoir – que de déconvenues de sauver Philip de son égocentrisme et de son carriérisme méprisant. Le spectateur est donc mis à mal, frustré de ne pas pouvoir crier à pleins poumons à Philip à quel point il est détestable. De Listen up Philip ne restera surement pas l’histoire, même s’il faut reconnaitre sa franchise quant aux difficultés d’écrire et d’aimer. Si ce film a le fabuleux destin d’habiter les mémoires – et je dis bien si! – ce

sera grâce à ses qualités cinématographiques. Une des missions du Festival Sundance est de promouvoir «la découverte et le développement d’artistes et d’audiences indépendantes». En élève modèle, Listen Up Philip pose la première pierre vers l’affranchissement de l’audience de toute la stigmatisation du cinéma populaire. La caméra s’érige en arme poétique puissante qui nous apprend non pas à regarder, mais à voir. En effet, la caméra a son propre œil, nullement manipulé par l’histoire dont il est le témoin. Est présentée la vie de Philip, de sa

petite amie, de son mentor, mais le cinéma utilise son langage pour dessiner une nouvelle histoire: la caméra est instable, le gros plan est surprenant, la focalisation est externe. D’autre part, une voix hors champ patriarcale, chaude et réconfortante nous berce tout au long du film. Ce n’est pas la voix du protagoniste à la Joe dans Sunset Blvd; c’est la voix neutre, à la troisième personne du singulier et omnisciente de la caméra-narratrice. Prenant l’allure d’un livre audio, Listen Up Philip propose la mise en abîme originale d’un roman qui narre la création d’un roman. Le pouvoir littéraire est donc transféré de Philip à l’outil filmique lui-même. Ainsi, le cinéma s’internalise et prend de la matière: il n’est plus spectateur de l’intrigue. Au contraire, il reconnaît ses capacités cognitives et prend chair pour tisser le fil de sa pensée. Ce n’est qu’à partir du moment où on remarque la caméra comme personnage à part entière qu’on retrouve un peu de légèreté, car, oubliant vite l’histoire solitaire de Philip, nous jouons avec elle et cherchons des signes de son existence. Cent ans après l’ère Griffith et Delluc, peut-être que le cinéma a trouvé ce que ces pionniers du cinéma cherchaient désespérément: un langage cinématographique propre. x

exposition

À vos crayons!

Le dessin, porte ouverte sur tous les possibles. sandra klemet n’guessan

D

errière les grands tableaux se cachent l’esquisse, le «pur dessin». C’est à La Chaufferie que Camilla Vasquez et Claudette Lemay nous ont donné rendez-vous ce vendredi 24 octobre pour un vernissage haut en lignes et en formes. Le cadre minimaliste et intimiste de l’exposition ainsi que la présence de la plupart des artistes exposés ont permis d’avoir une meilleure appréciation des œuvres et du projet artistique qui s’y cache. Du crayon, des traits grossiers, épais, gras; une forêt. Ou alors des lignes plus fines mais apposées d’une main agile et sûre. Michel T. Desroches est portraitiste et s’est imposé depuis un certain nombre d’années une discipline: dessiner trois croquis par jour. Trois par jour, plus de 900 par an, Michel «capture» les âmes et les retranscrit à travers ses portraits. Non pas des personnes en particulier, ces visages sont des émotions,

«des visages habités et non pas des coquilles vides» affirme-t-il. Le dessin est son «laboratoire», l’essai avant le produit final, une manière d’acquérir une meilleure saisie et maitrise du sujet. À regarder ces dizaines de croquis, trois traits principaux semblent être accentués suivant le visage: le nez, la bouche, les yeux. L’étonnement, la colère, le simple cri, le regard sévère, la joie; toutes sortes d’expressions quotidiennes et de mimiques sont représentées. Pas très loin, une série de neuf petits tableaux carrés attire le regard. Beaucoup de couleurs, les crayons de couleur de notre enfance, des cours élémentaires. Des tonalités bonbons et des motifs à l’aspect naïf semblent émaner la joie et la candeur. Chaque cadre contient un cercle représentant la Terre et nous rappelle les petits bonshommes multicolores que l’on dessinait alors petits pour représenter «le monde de toutes les couleurs où tout le monde s’aime». Puis l’on se

le délit · le mardi 28 octobre 2014 · delitfrancais.com

rapproche et l’on se rend compte que ce monde parfait s’avère être une illustration d’événements tragiques. «Tapisserie de l’économie de guerre» ou un vague souvenir de l’opération «Africa Command» en 2008. Des fusils, les ressources naturelles et richesses pillées, volées, le pouvoir et la soumission, les victimes et corps roses qui s’empilent les uns sur les autres sur un fond bleu ciel. L’artiste Stéphanie Morissette nous rappelle que la guerre est un véritable commerce dans un climat où la violence est banalisée. Le sang pour la gloire, la domination pour la puissance, et les responsables qui se délectent et se partagent «le pain d’or» derrière une longue table rectangulaire, autour d’un chef auréolé de victoire, comme une amère référence à La Cène de Leonardo de Vinci. Sur les quatre murs de la salle se font écho un empilement de personnages calqués par un simple coup de crayon. On voit des forces de l’ordre, des affrontements, et cet-

éléonore nouel

te sorte de brouhaha perpétuel sorte de brouhaha au centre du dessin où s’entremêlent des corps de manifestants et de policiers. On reconnaît la troublante expression de violence policière durant le conflit social de 2012 au Québec; une signature de Pascal Cauto. Enfin, des gravures, un carnet de bord dont une tache d’encre chaque fois différente est le seul motif représenté, de l’aquarelle en passant par le pastel, la matérialité à travers des frottis et le mouvement à travers la spirale; un large panel

rendant compte de la pluralité des pratiques du dessin. André Cloutier, un des participants à l’événement, témoigne: «Des œuvres présentées émanent une certaine dynamique, vibration tandis que d’autres semblent être plus difficiles d’accès; une grande variété technique.» x

Pur Dessin

La Chaufferie, 2220 rue Parthenais Jusqu’au 23 novembre

Culture

15



Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.