Le Délit - 14 septembre 2021

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Publié par la Société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

Le Délit est situé en territoire Kanien’kehá:ka non-cédé.

Mardi 2 septembre 2021 | Volume 110 Numéro 2

Du Saran wrap dans les lunettes depuis 1977


Éditorial rec@delitfrancais.com

Volume 110 Numéro 2

Le seul journal francophone de l’Université McGill RÉDACTION 3480 rue McTavish, bureau 107 Montréal (Québec) H3A 1B5 Téléphone : +1 514 398-6790 Rédacteur en chef rec@delitfrancais.com Philippe Bédard-Gagnon Actualités actualites@delitfrancais.com Félix A. Vincent Vacant Vacant

Le silence de l’écoute

Société societe@delitfrancais.com Opinion - Aymeric L. Tardif Enquête - Louise Toutée Philosophie philosophie@delitfrancais.com Marco-Antonio Hauwert Rueda

Philippe Bédard-Gagnon Rédacteur en Chef Plus que quelques jours nous séparent de la date du scrutin de l’élection fédérale 2021. Deux ans après la victoire minoritaire des libéraux, le gouvernement de Justin Trudeau a relancé la machine électorale dans l’espoir de gagner quelques sièges. L’équipe du Délit vous encourage par ailleurs à aller voter, et à vous inscrire rapidement si ce n’est pas déjà fait – la date limite pour le faire est le mardi 14 septembre.

connu. Et les entreprises comme Facebook, Twitter et Instagram doivent assumer leur responsabilité de limiter leur propre quête de profit en faveur de la protection des institutions démocratiques. On peut dénoncer l’inaction du politique et la violence des autres, et, surtout, ne pas proférer d’injures et de menaces. Au-delà de cette décence des plus élémentaires, l’individu ne peut pas y faire grand-chose.

La popularité d’une option n’est pas garante de sa qualité. Pour qu’une population arrive à une décision éclairée, il lui faut s’informer au sujet des enjeux qui la concernent. C’est le rôle du journalisme, mais c’est aussi celui des citoyens et citoyennes qui discourent dans l’espace public. L’avènement d’Internet et des médias sociaux a confié aux individus le pouvoir de propager de l’information à une échelle inédite et à une vitesse quasi instantanée. En ce sens, les partages massifs démocratisent la liberté de presse, les idées les plus populaires n’ayant plus besoin de grand financement afin d’être transmises. Plus besoin de faire valoir son point de vue aux conglomérats médiatiques pour s’adresser à une audience virtuellement infinie. La reconnaissance des pairs suffit alors à porter, sans effort, les propos de quelqu’un aux quatre coins du globe.

Alors, que reste-t-il aux gens qui souhaitent contribuer positivement à la construction de leur société par leur parole? Il est toujours possible de s’indigner du sort des plus vulnérables, de partager sa frustration face aux diverses injustices d’ici et d’ailleurs. Mais est-ce là vraiment la meilleure stratégie? Bien sûr, il est important d’attirer l’attention sur ce qui cloche – cela fait partie de l’information importante pour voter de manière éclairée. De l’injustice et de la souffrance, il y en a dans le monde. Des Yéménites aux victimes d’actes terroristes, en passant par les personnes en situation d’itinérance, on aurait de quoi écrire pendant des heures, des jours, une vie entière. Le Délit pourrait présenter un éditorial par semaine décriant les situations les plus révoltantes de l’humanité contemporaine. Cependant, occuper un tel espace – celui à l’avant d’un journal, ou d’un fil d’actualité Facebook – vient à un prix. Celui, d’abord, de ne pas le laisser à d’autres qui subissent ces injustices, mais aussi celui de ne pas prendre la peine d’écouter. C’est en renonçant à participer, ne serait-ce que pour un instant, que l’esprit développe sa conscience de l’autre. x

On a vu les dérives possibles : chambres d’échos, manipulation de masse, corruption des processus démocratiques et pouvoir de l’argent. Constater que les commentaires sur sa propre page partagent son point de vue, comme l’a fait François Legault, n’est pas la preuve d’un consensus national, c’est bien

Culture artsculture@delitfrancais.com Sophie Ji Florence Lavoie

Coordonnatrice de la production production@delitfrancais.com Adélia Meynard Coordonnateur·rice·s visuel visuel@delitfrancais.com Illustration - Alexandre Gontier Photographie - Vacant Multimédias multimedias@delitfrancais.com Olivier Turcotte Coordonnatrice de la correction correction@delitfrancais.com Vacant Webmestre web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Coordonnateur·rice·s réseaux sociaux reso@delitfrancais.com Eleonore d’Espinose Andrew Ma Contributeurs·rices Jean-Simon Gagné-Nepton, Mélina Nantel Couverture Alexandre Gontier BUREAU PUBLICITAIRE 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 0E7 Téléphone : +1 514 398-6790 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Représentante en ventes Letty Matteo Photocomposition Mathieu Ménard The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Pandora Wotton Conseil d’administration de la SPD Philippe Bédard-Gagnon, Kate Ellis, Marco-Antonio Hauwert Rueda, Asa Kohn, Thibault Passet, Abigail Popple, Simon Tardif, Pandora Wotton

Les opinions exprimées dans les pages du Délit sont celles de leurs auteur·e·s et ne reflètent pas les politiques ou les positions officielles de l’Université McGill. Le Délit n’est pas affilié à l’Université McGill. Le Délit est situé en territoire Kanien’kehá:ka non-cédé. L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Les opinions de nos contributeurs ne reflètent pas nécessairement celles de l’équipe de la rédaction. Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavant réservés). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans le journal. Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).

2 Éditorial

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L'AÉUM manifeste pour la vaccination obligatoire L'association étudiante s'est installée devant le bâtiment de l'administration de McGill le premier jour de classe. McGill. Questionnée à savoir si elle pensait que la manifestation porterait des fruits, Claire Downie a admis ne pas en être certaine. « Nous avons eu beaucoup de couverture médiatique de la part de différentes organisations. C’est toujours utile, car ce qui importe le plus à l'administration, c'est la réputation de l'Université. Si l'administration pense que leur image publique [est en péril], les choses peuvent changer. »

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e mercredi 1er septembre 2021, jour de la rentrée, l'Association étudiante de l'Université McGill (AÉUM) a organisé une manifestation devant le Pavillon James pour critiquer la stratégie sanitaire de l'administration de l’Université McGill. De 9h à 17h, les étudiant·e·s de l'Université ont pu s'y rendre pour participer à la manifestation, écrire une carte postale à l'administration ou simplement poser des questions aux organisateur·rice·s. Les demandes de l'AÉUM Interrogée par Le Délit, la v.-p. aux Affaires universitaires de l'AÉUM, Claire Downie, a déclaré que « l'Université manque d'accommodements pour les étudiants immunosupprimés et les étudiants internationaux qui ne peuvent pas retourner à McGill ». Depuis quelques semaines, les témoignages d'étudiant·e·s internationaux·les ne pouvant pas retourner au Canada se sont multipliés. Pour ces étudiant·e·s, explique Claire Downie, « l'Université n'offre pas d'enseignement à distance, malgré le fait que nous sommes l'une des dernières uni-

national cancer institute | Unsplash versités au Canada sans vaccination obligatoire». Disant vouloir prioriser la santé des étudiant·e·s, l'AÉUM réclame avant tout un « mandat de vaccination clair et inclusif » à l'échelle de l'Université. Pour ceux et celles qui ne pourraient pas être sur le campus en personne – soit «les étudiants et membres du personnel immunosupprimés » et certains « étudiants internationaux » –, l'AÉUM souhaite voir de nombreux accommodements dont, notamment, l'enseignement à distance.

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Par ailleurs, l'association demande aussi à l'administration qu'elle fasse davantage appel aux étudiant·e·s dans ses décisions quant aux mesures sanitaires. Malgré ses courriels à l’administration tout l'été, Claire Downie dit ne pas avoir reçu de réponse. « Il n'y a pas du tout eu de consultation de la part de l'administration. » Et maintenant? La manifestation conclue, il reste maintenant à voir si les demandes de l'AÉUM résonneront au sein de l'administration de

Dans un courriel envoyé le 27 août dernier à l'ensemble de la population mcgilloise, la principale Suzanne Fortier soutient que les engagements de l'Université sont, pour l'instant, suffisants pour lutter contre la pandémie sans compromettre la qualité de l'expérience universitaire des étudiant·e·s. Selon elle, « l'heure est venue de nous retrouver sur le campus ». Quant à la demande de rendre la vaccination obligatoire sur le

« Si l'administration pense que leur image publique [est en péril], les choses peuvent changer » Claire Downie campus, Suzanne Fortier a précisé que l'Université doit se « conformer au cadre juridique propre au Québec, notamment au Code civil du Québec », qui garantit le « droit de refuser un acte médical – comme la vaccination – sauf disposition contraire prévue par la loi ». Pour l’instant, le taux de vaccination et l’évolution de la pandémie ne justifieraient pas d’exiger une preuve de vaccination pour l’accès aux activités de recherche et d’enseignement sur le campus. x

Les demandes de l'AÉUM : 1. Un mandat de vaccination clair et inclusif 2. Des accommodements pour les personnes vulnérables 3. L'enseignement à distance pour les étudiant·e·s internationaux·les 4. De la consultation et de la représentation étudiante dans les décisions de McGill

Actualités

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ENTREVUE

Les projets d’Ana Popa pour la francophonie mcgilloise

Le Délit en conversation avec la nouvelle commissaire aux Affaires francophones.

Ana Popa

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e Délit s’est entretenu avec Ana Popa, nouvelle commissaire aux Affaires francophones, pour discuter de son rôle, de ses projets et de sa vision de la francophonie à McGill.

Le Délit (LD) : Tout d’abord, parle-nous un peu de ton parcours. Comment en es-tu venue à t’intéresser à la Commission des Affaires francophones (CAF)? Ana Popa (AP) : C’est une grosse question. Je suis étudiante de troisième année au DLTC, le Département de littérature française de McGill, d’où j’espère sortir cet été avec un bac et une spécialisation en traduction de la langue de Shakespeare vers celle de Molière. Ce que je trouve très intéressant, c’est que je suis à McGill, une université anglophone, et pourtant, j’ai découvert qu’il est possible de terminer un diplôme de premier cycle sans jamais avoir suivi de cours en anglais.

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actualités

Par ailleurs, j’aime bien m’impliquer dans la vie étudiante en général. Sans jamais connaître l’existence de la Commission des Affaires francophones, j’ai réalisé que toutes les petites activités auxquelles je participais touchaient directement aux activités de la CAF. Et puis, j’ai été approchée, l’année passée, par l’ancienne commissaire aux Affaires francophones. C’est comme ça que j’ai appris l’existence de la Commission. Avant d’arriver à McGill, aussi, j’ai étudié dans un cégep anglophone où j’ai peut-être passé un peu trop de temps à vagabonder dans le département de français. LD : Résume pour nous ton rôle en tant que commissaire aux Affaires francophones. AP : En fait, je vais peut-être parler d’abord de la Commission elle-même. Le mandat de la Commission des Affaires francophones est d’encourager et de faciliter la participation des francophones à la vie étudiante mcgilloise, mais aussi de défendre les droits de cette communauté

francophone. Il faut comprendre que le rôle de la Commission n’est pas du tout de franciser McGill. On est donc très loin de « l’Opération McGill français » de 1969. Le rôle de la commissaire est essentiellement de présider cette commission. Je le vois vraiment comme un rôle de ralliement, d’aller cher-

« Le mandat de la Commission des Affaires francophones est d’encourager et de faciliter la participation des francophones à la vie étudiante mcgilloise » cher un peu les petits morceaux de la francophonie de McGill, et essayer d’unir le tout. Et voilà, mon rôle en est un d’information et de sensibilisation en général.

LD : Pour pouvoir réunir et représenter les francophones de l’Université, il faudrait, bien sûr, que ces francophones s’impliquent au sein de la CAF. Penses-tu que la CAF a assez de visibilité pour pouvoir mettre en œuvre son mandat correctement? AP : Quand j’ai accepté ce rôle, j’avais un peu peur pour la francophonie de McGill, dont j’avais entendu parler longuement, mais de manière très vague. C’était quoi, exactement, la francophonie à McGill? Je n’en avais aucune idée. Mais je constate depuis quelques semaines que la francophonie y est bel et bien vivante. Cependant, je décrirais les divers groupes francophones et francophiles ici comme des petits villages d’irréductibles Gaulois qui n’ont pas toujours connaissance de l’existence de groupes semblables sur le campus. Et donc, j’espère vraiment parvenir à mettre en contact ces petits villages les uns avec les autres et voir apparaître et se développer graduellement une communauté francophone mcgilloise plus unie, plus homogène, peut-être.

Pour y arriver, je suis vraiment allée contacter les divers comités francophones sur le campus, dont des associations étudiantes, par exemple, mais également des journaux. Et puis, je compte vraiment sur la participation de ces divers comités qui ont leur propre communauté francophone. J’espère vraiment maintenir un effet de bouche à oreille. LD : Je vois que l’un de tes objectifs principaux est celui de mettre en contact, comme tu l’as dit, les différents « villages » francophones au sein de l’Université. Peux-tu nous parler un peu de tes autres objectifs? AP : Bien sûr, j’ai toute une liste. Un des premiers points serait d’assurer la représentation des francophones non seulement à l’Université McGill, mais au sein de la Commission et de l’AÉUM. Ce qu’il faut savoir, c’est que la Commission a été, surtout par les années passées, composée de personnes qui étaient déjà impliquées dans la vie étudiante à McGill ; beaucoup étaient surtout très impliquées avec l’AÉUM. Cette année, j’espère

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ENTREVUE marco-antonio hauwert rueda | Le délit

« [Même si] les ressources ne sont pas toujours là à l’AÉUM, [...] je constate une très bonne volonté des différents membres de [l’Association] d’améliorer la situation » vraiment inviter des étudiants et étudiantes francophones qui ne le sont pas déjà à s’impliquer au sein, par exemple, des associations étudiantes de McGill et à établir quelques partenariats avec les publications et les comités étudiants du campus. Un autre point important est d’assurer la qualité et l’uniformité des traductions de McGill, ou plus particulièrement de l’AÉUM; on va y aller petit bout par petit bout... J’ai la chance d’être moimême étudiante en traduction. Je pense que j’ai peut-être un regard différent de celui de la majorité des étudiants à McGill. LD : Mais d’assurer la qualité des traductions, est-ce dans ton mandat officiel? AP : Je ne serais même pas capable de te dire si ça fait officiellement partie du rôle. Je sais que, l’année passée, ce

n’était pas officiellement dans le mandat de la commissaire. Par contre, depuis le début de mon processus d’embauche, j’ai été très ouverte quant à ma volonté, peut-être en tant que commissaire, peut-être en tant qu’étudiante en traduction, de donner un coup de main avec les traductions qui, je remarquais, laissaient encore à désirer. Une chose que j’ai remarquée, c’est que les ressources ne sont pas toujours là à l’AÉUM. Par contre, je constate une très bonne volonté des différents membres de l’AÉUM d’améliorer la situation. Je sais, par exemple, qu’il y a présentement un processus d’embauche pour un ou plusieurs traducteurs à temps plein et qu’on a aussi une équipe d’étudiants qui se chargent des traductions à temps partiel. Mais c’est sûr que c’est un peu difficile de gérer tout ça parfois.

LD : L’un de tes autres objectifs est d’assurer le respect des droits des francophones. Penses-tu qu’il y a des défaillances dans le respect de ces droits, dans l’affirmation de ces droits à McGill? AP : Ce que je pense, surtout, c’est que quand on parle de droits francophones à McGill, c’est un terme qui est très vague et qui est souvent employé sans trop préciser de quoi il s’agit. Ce que j’ai pu voir comme droits francophones, ce sont tout d’abord le droit de remettre des travaux en français – c’est un sujet qui a été longuement débattu par le passé – mais aussi le droit de l’accès à l’information en français. L’AÉUM, par exemple, est tenue de fournir tous ses documents en anglais et en français. C’est surtout ce que je retiens comme droits francophones à l’Université. C’est problématique qu’on en parle de manière très vague alors même que les gens sont très peu au courant du fait qu’il existe des droits francophones à l’Université McGill. Il est difficile de défendre une chose dont on n’a jamais entendu parler et dont on n’a pas pleinement connaissance. Et donc, une grosse partie du plan cette année va être justement d’aller chercher surtout les étudiants de première année et leur présenter

connaissance de l’Université de ces enjeux francophones. J’ai découvert qu’il y a vraiment une bienveillance et une bonne volonté des gens, en général, de respecter ces droits francophones, et d’en découvrir plus sur la communauté. LD : Justement, par rapport à ton dernier objectif, celui de « briser les préjugés envers la communauté francophone », que veux-tu dire par « préjugés »? Quels sont ces préjugés envers les francophones? Et comment penses-tu les déconstruire? AP : Je dois dire que j’ai eu la chance de ne jamais avoir été directement confrontée à ce genre de préjugés, à des remarques blessantes ou négatives par rapport au français à McGill. Par contre, de bouche à oreille, on entend ce genre d’histoires et j’ai vu passer, même dans certaines publications mcgilloises, des choses qui ont été dites à propos des francophones qui, si on les avait dites à propos d’une autre minorité à McGill, auraient suscité une plus grande réaction, je crois. Donc, je pense qu’il y aurait un travail d’information et de sensibilisation à faire : peut-être autour des enjeux francophones à McGill ou au Québec, peut-être en

« Ce sont de beaux projets dont on parle. Mais c’est sûr que cette année va être chargée pour la Commission » ces droits francophones, même si le « comment » de ce projet reste à déterminer. Après, que les gens les utilisent ou non... ça, c’est une autre chose ; on n’est pas là pour mettre de la pression sur qui que ce soit. Mais le fait d’informer les gens que ces droits existent, qu’ils sont disponibles, c’est un travail qu’il faut faire.

rappelant d’où viennent ces droits francophones : « Pourquoi ces droits sont-ils acquis? Pourquoi n’est-ce pas une simple lubie des étudiants francophones? Pourquoi le français a-t-il vrai-

ment intégré la Charte étudiante de McGill? » C’est sûr qu’étant moi-même immigrante et ne faisant donc pas partie de ces classes francophones ayant subi de la discrimination par le passé, je ne suis pas nécessairement à l’aise de me prononcer, d’aller corriger les gens sur certains sujets. Par contre, en tant que commissaire aux Affaires francophones, je pense que j’ai un rôle et une parole qu’il me fera plaisir de céder à d’autres personnes, par exemple au sein de la Commission. Ce sont bien sûr des projets non concrétisés, mais on pensait peutêtre écrire un petit guide répondant aux questions « Pourquoi le français à McGill ? », « Quels ont été les enjeux par le passé ? », « Que reste-t-il à faire ? » ou encore « Quelles sont les principales critiques envers le mythique “French side” de McGill? » Ce sont de beaux projets dont on parle. Mais c’est sûr que cette année va être chargée pour la Commission.

« Quand on parle de droits francophones à McGill, c’est un terme qui est très vague et qui est souvent employé sans trop préciser de quoi il s’agit » Pour plus d’information, visitez la page Facebook de la Commission des affaires francophones de McGill ou posez vos questions directement à la commissaire à caf@ssmu.ca. x

Au cours de la dernière année, la question du « droit au français » a été hautement médiatisée à McGill, avec la publication du rapport de l’AÉUM sur le sujet. Il y a aussi une chose qui est, sauf erreur de ma part, obligatoire, et c’est l’existence, la simple présence d’une mention dans les plans de cours informant que la remise de travaux en français est possible, sauf, bien sûr, dans les cours qui évaluent les compétences linguistiques d’une autre langue. C’est une exigence qui est respectée par la majorité des professeurs, mais il y a une minorité de cas dans lesquels cette partie manque au plan de cours. Et donc, on aimerait assurer, aussi, une certaine uniformisation pour s’assurer que cette mention y soit.

marco-antonio hauwert rueda | le délit

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J’encourage les gens à parler, de manière très détendue, avec leurs professeurs, avec leurs collègues et avec n’importe quelle

marco-antonio hauwert rueda | le délit

actualités

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MONTRÉAL

La politique municipale au féminin Panel sur la participation des femmes aux prochaines élections municipales. Mélina Nantel

Contributrice

politique, car avant toute forme de diplôme, il faut des convictions. D’après la panéliste Pauline D’Amboise, secrétaire générale et vice-présidente au sein du Mouvement Desjardins, il n’existe pas de leadership typiquement féminin ou typiquement masculin. Il y a plutôt, selon elle, des perceptions, des attentes et des idées reçues qui créent

critique fait partie de la politique quotidiennement. La divergence d’opinion, il faut l’utiliser pour avancer », a-t-elle défendu. Le poids de ces critiques fait pourtant des ravages

« Quand les femmes décident de s’impliquer en politique, elles sont énormément engagées dans leur leadership. Elles sont extrêmement travaillantes »

Animée par la journaliste féministe Judith Lussier, la table ronde rassemblait un panel de femmes d’influence, qui ont partagé leurs réflexions sur la place des femmes en politique, en plus de témoigner de leur propre implication et expériences. Un message d’ouverture a d’abord été présenté par Mme Isabelle Charest, ministre responsable de la Condition féminine, ainsi que par Mme Andrée Laforest, ministre des Affaires municipales et de l’Habitation. Toutes deux impliquées au niveau provincial, elles se sont dites convaincues que voir plus de femmes en politique représente un atout non seulement pour les femmes, mais pour l’étendue de la population. « Une meilleure représentativité de la population engendre des décisions qui se collent davantage aux défis et besoins des individus. C’est le principe de la démocratie: il faut une représentation juste et claire de la population », a affirmé Mme Charest.

« La beauté de la démocratie, c’est que tout le monde peut s’impliquer. Tout le monde peut faire la différence, il n’y a pas de candidat·e parfait·e » Chantale Lavoie Valoriser le leadership Selon la conférencière Cloé Caron, une des limites inhérentes à la participation féminine en politique est l’idée reçue que

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actualités

Engin akyurt | unsplash

L

es élections municipales auront lieu le 7 novembre prochain. Au dernier scrutin de 2017, une proportion de 32,4% des postes ont été remportés par des femmes. Pour en inspirer davantage à occuper le rôle d’élue municipale, la Fédération québécoise des municipalités et le Comité femmes et politique municipale ont organisé le 1er septembre dernier une table ronde sur le leadership au féminin. L’événement était l’occasion d’engager une discussion sur les freins et les défis inhérents à la participation des femmes en politique.

les femmes, au contraire des hommes, doivent « tout » faire. Ces hautes attentes pousseraient les femmes à vouloir et à devoir, parfois malgré elles, tout prendre en charge. Cette norme culturelle limiterait donc les femmes dans l’expression de leur leadership, car en plus de s’en mettre énormément sur les épaules, les femmes auraient tendance à vouloir exceller dans tout ce qu’elles

Marie-Claude Barrette

Alexandre Gontier | le délit entreprennent. Ce désir de perfection serait un frein significatif à l’expression du leadership féminin, selon Mme Caron. Parmi la centaine de femmes présentes lors de la table ronde, 31% d’entre elles se limiteraient dans leur implication par peur de ne pas être suffisamment qualifiées, 20% croiraient ne pas en faire assez, puis 15% craindraient ne pas être appréciées par leurs semblables.

des barrières dans l’implication féminine ou masculine. Mme D’Amboise invite donc les femmes à prendre davantage leur place et à s’affirmer en tant que leaders. « La clé, c’est qu’il y ait de l’hétérogénéité. Il y a autant de types de leadership que de types d’individus », a souligné Pauline d’Amboise.

« Souvent, comme femme, on regarde ce qu’on n’a pas plutôt que ce qu’on a. On attend un diplôme plutôt que de vraiment considérer nos compétences », a affirmé Marie-Claude Barrette, invitée comme panéliste. D’après l’animatrice et personnalité publique, les femmes devraient se faire davantage confiance et plonger en

De nombreux freins et obstacles attendent les femmes qui veulent s’impliquer, a affirmé la préfète de la MRC de La Matapédia, Chantale Lavoie. Cependant, ayant été à de nombreuses reprises la cible de critiques depuis son élection en 2009, l’important selon Mme Lavoie est de savoir s’auto-réfléchir et faire fi des critiques non constructives. « La

Des freins à surmonter

importants, s’est indignée MarieClaude Barrette. Tout au long de sa carrière, Mme Barrette a vu de nombreuses élues quitter la politique parce qu’elles trouvaient trop acerbes les commentaires déferlant sur les réseaux sociaux. Dans bien des cas, ces critiques ne concernaient pas leurs engagements politiques, mais plutôt des aspects complètement hors sujet, comme l’apparence physique. « On est en train d’aseptiser le droit de parole des femmes par le fait d’individus qui créent la zizanie sur les réseaux sociaux. On ne peut pas se permettre de perdre des femmes en politique », s’est désolée Mme Barrette.

ment inférieure à celle des hommes, la participation des femmes non blanches est d’autant plus marginale. La composition de la table ronde en était effectivement un exemple, a noté l’animatrice Judith Lussier, forcée d’admettre que les invitées du panel étaient issues de milieux socioculturels considérablement homogènes. Selon Pauline D’Amboise, l’implication municipale de toutes et de tous est toutefois souhaitable pour couvrir l’ensemble des besoins de la population, mais aussi pour amener de nouveaux modes de pensée. « Les jeunes, par exemple, nous permettent d’apporter de nouvelles solutions à la question environnementale, et de redéfinir les priorités. La politique doit être le miroir des besoins réels et actualisés », a renchéri la femme d’affaires. La période de dépôt des candidatures des élections municipales a lieu du 17 septembre au 1er octobre 2021. Pour plus d’informations, visitez www.electionsmunicipales.gouv.qc.ca.

Diversité et modes de pensée Si la participation des femmes en politique municipale est large-

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entrevues

Les élections fédérales sous la loupe du Délit

Le Délit a rencontré six candidats montréalais se présentant aux élections fédérales du 20 septembre prochain dans le but de dresser le portrait des propositions mises de l’avant par leurs partis respectifs. De la lutte aux changements climatiques à la réconciliation avec les peuples autochtones en passant par la crise du logement, Le Délit a produit ce dossier afin d’offrir à la population étudiante un meilleur aperçu des idées proposées par les cinq principaux partis fédéraux.

Alexandre gontier | Le délit

Pour le Parti libéral du Canada, Le Délit s’est entretenu avec le ministre du Patrimoine et cofondateur de l’organisme environnemental Équiterre Steven Guilbeault. M. Guilbeault brigue un deuxième mandat comme député de la circonscription de Laurier–SainteMarie, à Montréal.

Pour le Nouveau Parti démocratique du Canada (NPD), Le Délit a rencontré Nimâ Machouf, chercheuse et épidémiologiste, qui tente d’obtenir un premier mandat dans Laurier–Sainte-Marie. Le Délit a également rencontré Ève Péclet, candidate du NPD dans Outremont et députée de Pointe-de-l’Île pour le NPD de 2011 à 2015.

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Pour le Bloc Québécois, Le Délit a discuté avec Simon Marchand, spécialiste en gestion et prévention de la fraude numérique et candidat pour une troisième élection de suite dans Hochelaga.

Pour le Parti vert, Le Délit s’est entretenu avec Sarah Carter. Militante pour le Parti vert depuis 2007, elle présente sa candidature dans LaSalle–Émard– Verdun. Elle complète actuellement son doctorat et enseigne un cours de premier cycle en histoire de l’art à l’Université McGill.

Pour le Parti conservateur, Le Délit a rencontré Ronan Reich, étudiant en finance au HEC Montréal, qui brigue un premier mandat dans Laurier–Sainte-Marie.

société

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ÉLECTIONS FÉDÉRALES 2021 - ENTREVUES DE CANDIDATS

Steven Guilbeault

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e Délit (LD) : Le bilan environnemental du Parti libéral du Canada (PLC) a été critiqué par plusieurs partis, dont le Nouveau Parti démocratique (NPD), qui soulignait le fait que, depuis 2015, le Canada est le seul pays du G7 à avoir augmenté ses émissions de gaz à effet de serre (GES). Que répondez-vous à ces critiques? Steven Guilbeault (SG) : Lorsque nous sommes arrivés au pouvoir en 2015, les projections pour 2030 étaient que le Canada allait dépasser de 12% à 15% les niveaux d’émission de 2005. Nous étions bien loin de les réduire sous la barre des 30% tel que le gouvernement Harper s’était engagé à le faire. Avant de commencer à réduire les émissions actuelles, il fallait infléchir cette courbe-là. Les dernières données disponibles d’Environnement Canada (qui datent de 2019) nous montrent que nous avons bel et bien infléchi la courbe. Sur l’horizon 2030, les projections

idée que l’on peut claquer des doigts et tout changer, c’est mon plus grand reproche au NPD. Selon plusieurs analystes indépendants, les mesures présentées dans notre plan climat de décembre 2021 nous amèneraient, en 2030, à réduire de 36% les émissions de GES par rapport à 2005. Quand Erin O’Toole dit qu’il veut revenir aux objectifs de Stephen Harper en vertu de l’Accord de Paris, soit 30% de réduction, cela permettrait plus d’émissions que ce que les mesures présentement en place ne permettent. Le Canada devrait donc se retirer de l’Accord de Paris, puisque les engagements du Canada y sont de 40% à 45% depuis le printemps dernier. Or, l’Accord de Paris ne permet pas aux pays d’ajuster leurs cibles à la baisse. LD : Plusieurs critiquent aussi le fait que le gouvernement Trudeau ait continué de subven-

faux-grillon à Longueuil. On a utilisé l’évaluation environnementale pour dire non au projet Laurentia, un projet d’agrandissement du port de Québec. Un gouvernement qui utilise l’évaluation environnementale pour dire non à un projet, ça n’arrive pas souvent. Je pense que nous avons le courage de nos ambitions et nous avons la capacité de protéger l’environnement. LD : Si votre gouvernement est réélu, vous ferez face à un double défi : relancer l’économie canadienne après la pandémie tout en maintenant vos objectifs de lutte aux changements climatique. Comment les réconcilier? SG : On doit en premier lieu se libérer le plus possible de notre dépendance aux combustibles fossiles. C’est pourquoi nous avons décidé, en pleine pandémie, d’aller encore plus loin et plus vite avec la tarification du carbone : le prix à la tonne émise augmentera de 15$ par an plutôt que 10$ à partir de 2022. Déjà, cette année, le prix est à 40$, soit plus que le Québec, la Colombie-Britannique et la Californie. À 170$ la tonne en 2030, on fera partie des deux ou trois États au monde où la tarification du carbone sera la plus élevée.

but. À la fin de l’exercice, c’était près de la moitié du cabinet qui était sur ce comité. L’environnement doit être la responsabilité de tout le monde. Autrement, c’est comme si on dédouanait les finances, tous les ministères à caractère économique, les transports, les ressources naturelles... LD : Que propose votre parti pour améliorer les conditions des étudiants universitaires au pays ? SG : La Société canadienne d’hypothèques et de logement a commencé à financer plusieurs projets de logements étudiants. On le sait, l’accès au logement est un problème pour beaucoup de gens, mais notamment pour les étudiants et les étudiantes. Je pense que les jeunes ont pu voir pendant la pandémie qu’on était un gouvernement qui était là pour aider ceux dans le besoin, par exemple avec la PCU et la PCRE. Nous avons été critiqués pour ça, notamment par le Parti conservateur du Canada (PCC) et par le Bloc québécois (BQ). L’idée selon laquelle la PCRE aurait incité les jeunes à rester chez eux et à attendre leur chèque est un mythe : les chiffres de Statistique Canada nous montrent qu’il y a plus de jeunes entre 18 et 30 ans

première fois qu’on a vraiment coconstruit une loi avec les peuples autochtones. Ils étaient à la table avec les fonctionnaires et le ministère lorsqu’on a créé cette loi-là, et nous la mettons en œuvre conjointement. Cet effort législatif est accompagné d’investissements importants dans les langues autochtones : 60 millions de dollars cette année et 115 millions de dollars l’année prochaine, comparativement à cinq millions de dollars en 2015. Pour ce qui est de l’eau potable, il y avait en 2015 un total de 150 avis d’ébullition d’eau dans les communautés autochtones : nous en avons réglé un peu plus de 100. Je crois qu’un autre mandat libéral permettra la fin des avis d’ébullition dans les communautés autochtones. Je pense que nous sommes résolument engagés vers la réconciliation, mais je ne sais pas si un jour on va pouvoir dire : « ça y est, on y est arrivé. » Pour moi, c’est un cheminement dans lequel nous sommes, avec les peuples autochtones, vers un modèle qui n’est plus le modèle colonial en place depuis plus de 150 ans.

Notre plan de relance prévoit des investissements dans « Je pense que nous avons le courage de nos ambitions l’économie verte de 40 milliards de dollars cette nous avons la capacité de protéger l’environnement année, ce qui nous place au deuxième rang des pays du LD : En tant que ministre du sur le marché du travail mainteG20 selon l’ONG internationale inPatrimoine, vous avez piloté le projet nant qu’avant la pandémie. dépendante Energy Policy Tracker. de loi C-10. Pouvez-vous nous expliSeule l’Inde en fait plus que nous. quer les grandes lignes de ce projet? LD : La découverte de dépouilles sur les terrains d’anciens penPrésentement, il est vrai qu’on inSG : Depuis plus d’une trentaine sionnats autochtones a remis au vestit encore dans les combustibles d’années, les diffuseurs de radio et cœur du débat la question de la fossiles, même si ces investissede télévision doivent réinvestir une ments ont diminué de trois milliards réconciliation. Que pensez-vous partie des revenus qui sont générés des actions déjà prises à ce sujet de dollars par année depuis 2018. au Canada dans les cultures québépar votre parti, et quel est votre Cependant, pour chaque dollar coise et canadienne. Or, les géants du plan pour rétrécir l’écart entre les qu’on investit aujourd’hui dans les conditions de vie des communautés Web n’ont aucune telle obligation. combustibles fossiles, on en investit Le projet de loi C-10 dit essentielleautochtones et celles du reste de la deux dans l’énergie verte. Pour moi, ment que les entreprises bénéficiant population canadienne? c’est ça, la transition. Je comprends du système canadien – ces géants du l’angoisse et l’impatience de jeunes Web génèrent des centaines de milSG : Il y a deux éléments qui sont – je suis père de quatre enfants – qui lions sur notre territoire – doivent y communs à toutes les lettres d’insvoudraient voir des changements réinvestir et y contribuer. truction que le premier ministre rapides. Or, changer les fondements donne à ses ministres : la lutte contre énergétiques et industriels d’une Comme les revenus publicitaires les changements climatiques et la société comme la nôtre ne se fait pas des diffuseurs conventionnels diréconciliation. Quand on regarde en criant ciseau. minuent de plus en plus parce qu’ils l’ensemble des recommandations sont accaparés par les géants du LD : De nombreuses personnes ont de la Commission de vérité et réWeb, le ministère du Patrimoine esconciliation, on a soit mis en œuvre été déçues de vous voir nommé au time que si rien n’est fait d’ici 2023, ou commencé à mettre en œuvre à poste de ministre du Patrimoine il y aura 1,3 milliards de dollars en peu près la moitié des recommandaplutôt que de l’Environnement. moins pour des investissements tions. Je suis moi-même porteur de Pensez-vous que cela pourrait culturels au Canada, soit presque la trois d’entre elles. J’ai fait adopter le influencer votre réélection dans moitié du financement. Avec l’adopprojet de loi pour créer la Journée Laurier–Ste-Marie? tion du projet de loi C-10, on estime de la vérité et de la réconciliation, que non seulement cette perte serait qui aura lieu pour la première fois SG : Non. Beaucoup de gens voient évitée, mais il y aurait une injection le 30 septembre prochain. Il s’agit que, même en tant que ministre d’une initiative en partie basée sur le supplémentaire d’un peu plus de 800 du Patrimoine, je continue de millions de dollars. x mouvement de la Journée du chanjouer un rôle très important en dail orange. Je suis aussi le ministre Environnement. J’étais sur le comiresponsable de la mise en œuvre de té du Cabinet chargé de l’économie Propos recueillis par la Loi sur les langues autochtones et de l’environnement ainsi que sur Louise Toutée et adoptée en 2019. Elle est vraiment celui de la relance verte, où nous Aymeric tardif unique dans la mesure où c’est la n’étions que trois ministres au déÉditeur·rice·s Société

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Aymeric Tardif

d’émissions sont de 30 millions de tonnes plus faibles qu’elles ne l’auraient été sans les mesures mises en place, ce qui représente presque la moitié des émissions du Québec. LD : Donc, sans avoir réduit les émissions de GES, avez-vous tout de même réussi à réduire leur augmentation? SG : C’est exact. Il y a eu une augmentation des émissions de GES de 2018 à 2019, c’est vrai, mais je suis de ceux qui pensent que 2019 sera la dernière année où nous aurons vu les émissions augmenter. Le NPD nous accuse de n’avoir rien fait. Philosophiquement, je suis d’accord avec le NPD sur à peu près tout, sauf sur leur idée qu’il est possible de cesser immédiatement le financement des combustibles fossiles. Nous sommes dans une démocratie et non dans un système autoritaire. Si on veut changer la réglementation, il faut tenir des consultations avec les parties prenantes, passer par des processus parlementaires et mettre sur pied des comités. Cette

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tionner les énergies fossiles, que leur répondez-vous? SG : Malgré ce que dit le NPD, le Canada a respecté son engagement. À Pittsburgh en 2009, tous les pays du G20 se sont engagés à éliminer les subventions inefficaces aux combustibles fossiles avant 2025. Nous avons décidé dans notre plateforme de devancer la cible de deux ans, donc le Canada l’atteindra en 2023. LD : Comment voyez-vous le bilan environnemental libéral des deux dernières années? SG : Outre les 300 projets de transports collectifs en construction et les 1 000 autres financés, la tarification du carbone et l’électrification des transports, le Canada protégeait en 2015 2% de ses océans et nous sommes maintenant à 14%. On a fait des pas de géants en matière de protection des habitats. Nous sommes le premier gouvernement dans l’histoire du pays à utiliser la Loi sur les espèces en péril pour freiner un développement urbain dans l’habitat d’une espèce menacée, la rainette

le délit · mardi 14 septembre 2021 · delitfrancais.com

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ÉLECTIONS FÉDÉRALES 2021 - ENTREVUES DE CANDIDATS

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Nimâ Machouf et Ève Péclet

e Délit (LD) : Que pensez-vous du bilan environnemental du présent gouvernement?

Nimâ Machouf (NM) : C’est un bilan catastrophique. Malgré ce que le gouvernement et mon vis-à-vis dans Laurier–Ste-Marie Steven Guilbeault disent, le Canada est en train de vivre un réchauffement accéléré, et on fait figure de de cancre quand on se compare

pour qu’on ne puisse plus le polluer. Si on pense que la situation est grave, il faut agir avec courage.

LD : En tant qu’épidémiologiste, qu’avez-vous pensé de la gestion de la pandémie par le PLC? Qu’aurait fait le NPD différemment? NM : Un point de critique, c’est qu’on a fermé les frontières trop tard. Le gouvernement Trudeau n’a pas agi avec courage par rap-

Équipe de campagne nimâ Machouf avec les autres pays du G7. Les libéraux ont investi des milliards de dollars dans l’industrie du gaz et du pétrole, même un peu plus que ce que les conservateurs avaient investi, surtout en achetant l’oléoduc Trans Mountain. Cet oléoduc a triplé notre capacité de transport de pétrole provenant de l’Ouest canadien, donc de sables bitumineux, une exploitation qui crée non seulement des gaz à effet de serre (GES), mais qui gaspille aussi énormément d’eau. Le gouvernement libéral essaie de nous dire que cet achat n’est pas grave, car les profits de la vente de pétrole seront investis dans les énergies vertes. Ça, c’est prendre les gens pour des valises! LD : Quelles sont les principales différences entre les plan du Nouveau Parti démocratique (NPD) et du Parti libéral du Canada (PLC) en la matière? NM : Nous, on n’investirait pas dans le pétrole : ce n’est pas l’énergie de l’avenir. On a un devoir envers notre population. Votre génération hésite à faire des enfants parce qu’elle ne sait pas sur quelle planète ses enfants vont grandir – c’est grave ça! Ce sentiment d’urgence, nous, on le prend au sérieux. Souvent, on nous demande ce qu’on va faire pour l’Ouest canadien, qui tient à l’industrie pétrolière. Notre parti est un allié traditionnel des travailleurs et travailleuses, donc on ne va jamais abandonner les classes ouvrières. En fait, en Alberta, ce n’est pas au pétrole qu’ils tiennent : c’est à la job. Ces milliards de dollars que les libéraux et les conservateurs injectent dans cette industrie, on va les récupérer pour recycler tous les travailleurs et travailleuses, leur donner des formations et leur donner accès à des emplois verts de qualité. On va même donner un statut juridique au fleuve Saint-Laurent

port à cela. La mairesse de Montréal a dû aller avec des lingettes à l’aéroport Dorval pour sensibiliser les voyageurs qui arrivaient sur la question de la COVID-19! Le jour où ils ont décidé d’agir et de fermer les frontières, ils l’ont fait avec le reste du monde, mais pas avec les États-Unis, par peur de représailles de M. Trump. Et pourtant, une bonne partie de nos cas arrivait de la frontière sud. Plus récemment, on a réalisé qu’on n’avait pas d’autonomie par rapport aux vaccins. Le gouvernement de M. Trudeau a choisi de débloquer de l’argent pour investir dans la production de vaccins. C’est bien, mais pourquoi avoir donné ces sommes au privé? Les libéraux injectent de l’argent public dans Moderna, une compagnie privée qui a fait des profits records juste au cours des premiers mois de l’année! Pourquoi ne pas avoir investi ces milliards dans un embryon de fabrication de médicaments à l’intérieur du Canada, qui serait resté dans le public? LD : Quelle serait la marche à suivre pour l’avenir, alors que nous allons devoir apprendre à vivre avec la COVID-19? NM : La population canadienne est quand même très bien vaccinée. Cependant, pour que ça aille bien au Canada, il faut que ça aille bien dans le monde. Tant que la COVID ne sera pas maîtrisée au Bangladesh, par exemple, on ne pourra pas penser qu’on sera en sécurité ici. Donc, il faut faire pression sur le secteur pharmaceutique pour que le monde entier ait accès aux médicaments requis. Il faut que ces compagnies fassent leur part, car elles ont bénéficié d’énormément de subventions publiques pour la recherche et le développement et elles ont vendu le vaccin à prix assez élevé, faisant des milliards de dollars en profits. Maintenant, c’est le temps de redonner à la population.

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Et, c’est vrai qu’il va falloir apprendre à vivre avec la COVID-19, car on n’a pas encore réussi à développer un médicament qui tue le virus. Le jour où l’industrie pharmaceutique développera un médicament qui pourra faire cela, la donne va complètement changer. Pour l’instant, on peut juste faire de la prévention.

LD : Avec la découverte de dépouilles sur les terrains d’anciens pensionnats autochtones, il y a de plus en plus d’attention tournée vers le traitement passé et présent de l’État vis-à-vis des peuples autochtones au pays. Dans ce contexte, que pensez-vous des actions déjà prises par le gouvernement Trudeau pour favoriser la réconciliation? NM : Le gouvernement fédéral a demandé pardon, nommé des autochtones au Sénat, mis des drapeaux en berne. C’est très bien tout ça, mais c’est symbolique. Si le gouvernement fédéral est très sérieux à ce sujet, pourquoi continue-t-il de dépenser des millions de dollars pour s’opposer aux survivants des pensionnats qui demandent réparation au gouvernement?

« Votre génération hésite à faire des enfants parce qu’elle ne sait pas sur quelle planètes ses enfants vont grandir – c’est grave ça ! »

Nous, on aimerait nommer un procureur spécial, pour que les auteurs des crimes des pensionnats soient tenus responsables. On veut aussi veiller à ce que les dossiers des pensionnats soient rendus publics et que les familles puissent enfin savoir ce que sont devenus leurs proches.

LD : Beaucoup d’étudiants s’inquiètent de ne pas pouvoir payer leur loyer ou de ne jamais pouvoir, un jour, s’acheter une maison. Quel est votre plan pour faciliter l’accès à la propriété? Ève Péclet (EP) : L’un des facteurs qui contribue à cette crise est tout simplement le manque de logements. La vérité, c’est que ça fait des dizaines d’années que le gouvernement n’a pas investi massivement pour la construction de logements sociaux et abordables. Seulement à Montréal, on a une liste de plus de 20 000 personnes qui sont en attente d’un tel logement. La première chose à faire, ce serait donc d’investir massivement pour contrebalancer la privatisation et la financiarisation du droit au logement qu’on a vu dans les dernières années. La deuxième chose, ce serait de favoriser les initiatives communautaires. L’Union étudiante du Québec, la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) et l’Unité de travail pour l’implantation de logement étudiant (UTILE) demandent toutes de pouvoir construire des coopératives de logements étudiants. Pour cela, il va falloir travailler avec la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) pour définir les étudiants comme une population cible et ensuite pour changer les critères de la SCHL. En ce moment, les critères ne sont pas assez avantageux pour les regroupements étudiants : les taux d’intérêts sont plus élevés et les modalités de paiement sont sur une très courte échéance.

LD : Quelles sont les propositions de votre parti pour améliorer les conditions des étudiants universitaires au pays? NM : Pour nous, l’éducation est un droit, et non un privilège. On ne peut pas directement agir là-dessus puisque ce n’est pas de juridiction fédérale, mais on va au moins essayer d’alléger les problèmes, entre autres avec les prêts et bourses. On va éliminer les intérêts que les étudiants paient sur les prêts. On voudrait que les gens puissent commencer à rembourser leurs prêts cinq ans après la fin de leurs études, le temps de se trouver un emploi et d’être en situation financière stable. On serait même prêt à éliminer la dette étudiante jusqu’à hauteur de 20 000 dollars, car ce n’est pas normal que les diplômés soient endettés jusqu’au cou. Quand les étudiants arrivent sur le marché du travail extrêmement endettés, ça n’aide en rien l’activité économique.

Équipe de campagne Ève Péclet

Autour des campus universitaires, il y a une compétition qui s’effectue entre les familles, les personnes seules et les étudiants. Les propriétaires en profitent pour augmenter le prix des loyers, car c’est beaucoup plus facile pour trois ou quatre étudiants dans un appartement de payer 1 700 dollars par mois que pour une famille monoparentale. Si on est capable de favoriser le logement étudiant, ça va permettre d’abaisser les augmentations de loyer pour le reste de la population également. LD : Les mesures ambitieuses pour la justice sociale et pour lutter contre contre les changements climatiques que vous proposez représentent des investissements massifs. Comment

allez-vous vous assurer de trouver les fonds nécessaires à ces grands projets sociaux, sans pour autant léguer une dette trop importante aux futures générations? EP : La vérité, c’est que le Canada a le ratio dette/PIB le plus avantageux de tous les pays du G7. Il ne faut pas tenir ça pour acquis, évidemment, mais pour l’instant on est en santé financièrement. On ne peut pas parler d’équité intergénérationnelle ou de fiscalité responsable sans parler de la capacité de l’État à aller chercher du revenu. Dans les 40 dernières années, il y a eu un changement radical dans la politique fiscale des gouvernements. Avant, la majorité des revenus provenaient des grandes entreprises et des personnes les plus riches. Aujourd’hui, on voit que la majorité du fardeau fiscal repose sur les travailleurs et les travailleuses. Oui, notre plateforme est très ambitieuse, mais on propose une réforme complète du droit fiscal canadien. Cela va nous permettre de nous attaquer au vide juridique qui permet aux plus riches de ne pas payer d’impôts sur certaines transactions et de lutter contre l’évasion et l’évitement fiscaux. L’État perd des milliards de dollars par année parce qu’on ne s’attaque pas clairement à cet enjeu. De plus, le taux d’imposition des grandes entreprises au Canada est l’un des plus bas des pays de l’OCDE, plus bas encore que celui des États-Unis! Nous voulons augmenter le taux d’imposition des grandes entreprises, ainsi qu’ajouter une taxe COVID sur les profits excédentaires qu’ont fait les compagnies de grosse envergure durant la pandémie. On parle d’entités hautement profitables, comme des banques ou des pétrolières : augmenter leur taux d’imposition ne va pas les rendre moins compétitives. Et de là à dire qu’ils vont quitter le Canada – la Banque Royale du Canada ne va pas quitter le Canada! Notre planification fiscale, qui a été faite par le Directeur parlementaire du budget et rendue publique le 11 septembre dernier, prévoit des déficits moins importants que ceux des conservateurs et des libéraux, justement parce qu’on est le seul parti qui s’attaque aux inégalités et à la concentration de la richesse. Quand on s’entraide, quand on s’élève ensemble en tant que société, tout le monde y gagne. C’est un peu ça la vision du NPD. x

Propos recueillis par Louise Toutée

Éditrice Société

Félix A. vincent

Éditeur Actualités

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e Délit (LD) : Quelles sont les propositions du Bloc Québécois (BQ) en matière d’environnement? Simon Marchand (SM) : Ce sont plusieurs propositions qui sont aux antipodes de ce que proposent les libéraux. On sait qu’ils ont racheté Trans Mountain : on pense que ce projet-là devrait être annulé. On veut arrêter tous les forages exploratoires dans le fleuve Saint-Laurent, qui ont été autorisés en 2020 lorsque personne ne portait attention à cause de la pandémie. On dit aussi qu’il est temps d’arrêter de financer les énergies fossiles au Canada. On les subventionne assez grassement, à plusieurs milliards de dollars par année, même plus avec Trudeau que ce qu’on voyait sous Harper. C’est assez déstabilisant, pour quelqu’un qui avait promis en 2015 d’arrêter de les financer. On veut aussi instaurer une péréquation verte à l’échelle du Canada. Le Québec avait déjà lancé la bourse du carbone avec la Californie, mais un système de péréquation, qui permettrait de faire payer les provinces les plus polluantes tout en bénéficiant à celles qui font déjà leur effort, pourrait aussi encourager l’Ouest canadien à sortir rapidement des énergies fossiles. On veut aussi forcer les grandes banques canadiennes à retirer leurs investissements dans les énergies fossiles qui sont de l’ordre des centaines de milliards, par exemple en s’assurant que les REER dans lesquels les contribuables peuvent investir ne contiennent pas de tels investissements. L’objectif est que l’argent des grandes banques serve à financer la transition, afin que ce ne soit plus profitable d’exploiter les énergies fossiles au Canada. Ce qui va découler de ça, c’est plus d’électrification et plus de transports collectifs. On devrait tous en bénéficier. LD : Votre parti se montre très sévère vis-à-vis du bilan écologique du reste du Canada, le qualifiant même d’« État pétrolier ». Cependant, vous demeurez neutre au sujet du projet de tunnel entre Québec et Lévis (le troisième lien), et Yves-François Blanchet a même laissé savoir qu’il était personnellement « en faveur d’un troisième lien qui respecterait l’environnement ». Pourtant, le troisième lien a été décrié par de nombreux experts pour ses conséquences néfastes d’un point de vue écologique. Comment réconciliez-vous ces deux positions? SM : Les gens qui nous critiquent, ce sont des gens qui veulent s’immiscer dans des affaires sur lesquelles elles

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Simon Marchand

n’ont pas de juridiction. C’est ce que répond M. Blanchet de point de presse en point de presse, en disant : « Ce n’est pas une affaire de si on est pour ou contre : c’est à Québec de choisir. Appelez votre député de la Coalition Avenir Québec (CAQ) si vous n’êtes pas d’accord ». Comme parti québécois à Ottawa, qui veut ramener nos pouvoirs à Québec, on serait malvenu de vouloir intervenir dans le dossier. C’était une position personnelle que M. Blanchet a exprimée, mais la plateforme du Bloc Québécois ne contient rien sur le troisième lien. LD : Plus localement, quelle est votre position par rapport au Réseau express métropolitain (REM) de l’Est et à ses programmes d’infrastructures à Montréal?

SM : L’un des problèmes fondamentaux dans nos relations avec les autochtones, c’est la Loi sur les Indiens. Cette loi fédérale est problématique, notamment car elle met toutes les nations autochtones du Canada dans un seul grand panier. Ce que le Bloc propose, c’est de négocier avec chaque nation autochtone, en créant des traités qui conviennent à chacune individuellement, plutôt que d’essayer d’avoir une solution pour tout le monde. C’est un peu basé sur le modèle de la Paix des braves de 2002, sous le Parti Québécois. Une fois qu’on aura des traités qui respectent le désir d’autonomie par rapport à l’investissement en éducation ou en services sociaux, par exemple, on aura les outils pour abroger la Loi sur les Indiens. Là, on sera

Équipe de campagne Simon Marchand SM : Les transports collectifs, c’est bien, mais le manque de transparence fait en sorte que le modèle de développement du REM de l’Est est très problématique. On n’a pas vu les études d’impacts du segment qui touche Hochelaga, on n’a pas vu les scénarios étudiés, et personne n’a expliqué pourquoi ce REM allait être à quatre étages dans les airs en plein milieu du quartier. Et, surtout, à un endroit où il n’y a pas nécessairement de besoin criant de transports collectifs de cette nature – le métro de la ligne verte est à trois coins de rue. Ensuite, il faut que CDPQ Infra conçoive son rôle comme impliquant davantage que le simple transport. On s’en vient dans des milieux de vie qui sont très défavorisés. Un édicule de REM, ça n’amène rien ; par contre, si c’est bien intégré, si on a des commerces de proximité comme des épiceries de quartier, on est peut-être capable de s’attaquer à certains problèmes de désert alimentaire. Au-dessus de l’édicule, il n’y a rien qui empêche d’avoir des logements, des espaces à bureaux. Quand on commence à faire ça, ça répond à beaucoup plus de problèmes que celui du transport. LD : Quel est le plan de votre parti pour rétrécir l’écart entre les conditions de vie des communautés autochtones et celles du reste de la population canadienne, ainsi que pour assurer la réconciliation?

alignés avec la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Pour ce qui est de la réconciliation, le gouvernement fédéral pourrait en faire plus. On a demandé que toutes les recherches sur les sites des anciens pensionnats soient financées par le fédéral, mais aussi que le gouvernement contraigne l’Église catholique à rendre disponibles au public tous les registres qui auraient pu être accumulés par les communautés religieuses ayant géré les pensionnats autochtones. LD : De manière plus générale, quelles sont les propositions de votre parti pour améliorer les conditions des étudiants universitaires au pays? SM : On veut bonifier les bourses de financement à la recherche pour les études supérieures, car la recherche fondamentale est une partie importante de la mission des établissements d’enseignement. On ne veut pas des universités qui font juste produire des travailleurs. Maintenant, ce qui va bénéficier aux étudiants, ça peut venir d’ailleurs : par exemple, quand on parle de logement social, le Bloc demande qu’un pourcentage des revenus totaux du gouvernement soit investi en logement social. Cela va créer des fonds qui seront

disponibles pour, par exemple, des OBNL qui veulent créer du logement coopératif étudiant. LD : Votre parti a souhaité suspendre la PCRE, sauf pour le domaine culturel. Comment expliquez-vous cette décision, et sous quelles conditions souhaitez-vous maintenir cette prestation? SM : On la maintient pour toutes les industries qui souffrent des limitations qu’on doit mettre en place, comme le nombre de personnes permises en salle de spectacles ou dans les festivals. Ces limitations ont un impact direct sur le milieu culturel, évidemment : leurs revenus ne sont pas retournés à leur niveau prépandémique. Maintenant, la raison pour laquelle on veut la mettre en sourdine puis voir si elle est nécessaire, sans l’annuler complètement, c’est qu’il y a une pénurie de main-d’œuvre criante. Il y a des milieux, surtout les petites entreprises, qui ont besoin de main-d’œuvre active pour continuer d’opérer. Certaines personnes nous disent que l’incitatif que représente la PCRE pour de potentiels employés est plus grand que le salaire que ces entreprises sont capables d’offrir. Le but de la PCRE à l’origine était d’offrir des revenus à des gens qui ne sont pas en mesure de travailler : si les emplois sont là, s’il y a une possibilité de travailler, il n’y a pas de raison de la maintenir.

« Si on n’a pas le Bloc, on va se faire absorber par la culture canadienne, par les partis libéral et conservateur, qui ne nous représentent pas »

LD : Qu’avez-vous pensé de la gestion de la pandémie par le Parti libéral? Qu’aurait fait le Bloc québécois? Quelle serait la marche à suivre pour l’avenir, considérant que nous allons devoir apprendre à vivre avec la COVID-19?

SM : La plus grande erreur que Justin Trudeau a faite en début 2020, c’est de ne pas écouter quand le Bloc et Québec ont demandé la fermeture des frontières terrestres. En mars, quand les gens circulaient encore par frontière terrestre, mais que les vols avaient été suspendus, il y avait énormément de gens qui venaient de New York, qui était alors l’épicentre de la pandémie aux États-Unis. C’est ce qui a

probablement accéléré la pandémie à Montréal et au Québec en général. De plus, essayer d’imposer des normes nationales dans nos CHSLD, donc instrumentaliser politiquement les difficultés qu’on avait dans certains établissements de santé, alors que tout ça découlait directement du sous-financement en santé du fédéral, c’était assez hypocrite. C’était de la partisanerie dans une situation qui n’en nécessitait pas du tout. Maintenant, je pense qu’on doit travailler à avoir un approvisionnement de vaccins au Canada la prochaine fois. Moderna a indiqué son intérêt à venir s’établir ici : ça permettrait d’être plus résilient face à une autre vague, un autre variant, une autre pandémie. LD : Dans le contexte actuel, quelle est la place de la souveraineté du Québec dans la plateforme du Bloc? SM : Ultimement, le Bloc existe pour faire l’indépendance. Pas pour la réaliser, mais pour la préparer : évidemment, ça ne se fera pas à Ottawa. Chaque gain qu’on fait pour le Québec, chaque moment où on s’exprime pour affirmer ce qui nous distingue du reste du Canada, c’est un pas de plus pour notre indépendance. Si on n’a pas le Bloc, on va se faire absorber dans la culture canadienne, par les partis libéral ou conservateur, qui ne nous représentent pas. LD : Que répondez-vous aux critiques qui affirment que vous êtes le porte-parole de la CAQ à Ottawa? SM : On va toujours se faire blâmer d’appuyer un gouvernement à Québec, d’un côté ou de l’autre. On porte les consensus de l’Assemblée nationale. On a une responsabilité : si on prétend amener à Ottawa ce que les Québécois veulent à Québec, c’est sûr qu’il y a certains projets de la CAQ qu’on va porter. Pas tous, pas aveuglément, mais inévitablement, on est là pour être le porteparole de l’Assemblée nationale. Si l’Assemblée nationale, demain matin, était contrôlée par Québec solidaire, elle trouverait en nous des alliés tout autant à la défense de leurs projets et des consensus qu’elle réussirait à faire dégager. Même chose pour le Parti Québécois ou les libéraux. x

Propos recueillis par Aymeric tardif

Éditeur Société

Félix A. Vincent

ÉditeurActualités

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Sarah Carter

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e Délit (LD) : Qu’est-ce qui vous différencie du NPD? Est-ce que la compétition entre ces deux partis peut nuire à la cause progressiste au pays ? Sarah Carter (SC) : Non. Je pense que le fait que nos deux partis partagent beaucoup d’idées est quelque chose de bien. Pour ce qui est du climat, nous avons plein de propositions en commun. Nous ne voulons pas soutenir l’énergie nucléaire, nous souhaitons imposer une tarification sur le carbone – il s’agit même d’une idée commune à tous les grands partis, ce qui est une bonne indication de l’efficacité de cette mesure – et nous voulons tous les deux éliminer les subventions aux énergies fossiles. Nous partageons également l’idée de mettre fin à tous les projets d’oléoducs et à la fracturation hydraulique.

SC : Comme nous n’avons que deux députés élus pour l’instant, le Parti vert votera avec le NPD ou avec les libéraux s’ils soutiennent des politiques environnementales. Ce qui est bien au sein de notre parti, c’est que ses positions ne nous contraignent pas dans nos votes : nous pouvons voter avec nos valeurs. Alors même si le NPD au pouvoir ne formait pas un gouvernement complètement vert, notre parti voterait en faveur de ses mesures pour combattre les effets des changements climatiques.

2050. Toutefois, ce que l’on fait maintenant est plus important que ce que l’on fera en 2040. LD : Avec la découverte de dépouilles sur les terrains d’anciens pensionnats, il y a de plus en plus d’attention tournée vers le traitement passé et présent de l’État vis-à-vis des peuples autochtones du pays. Dans ce contexte, que pensez-vous des actions prises par le gouvernement Trudeau pour favoriser la réconciliation? SC : Je suis très déçue du bilan libéral à ce niveau. Aux dernières élections, M. Trudeau a promis de faire plein de choses pour les communautés autochtones, mais il n’a pas agi en conséquence. Encore aujourd’hui, il y a des gens qui n’ont pas accès à l’eau potable, il a baissé les bras sur cet enjeu durant son dernier mandat. Il a une très belle rhétorique, mais rien n’a changé.

« Nous ne voulons pas que le climat soit un enjeu politique »

Ce qui nous différencie, c’est que nos objectifs de réduction des gaz à effet de serre (GES) sont 10% plus ambitieux que ceux du NPD. C’est comparable à ce qui se fait au sein de l’Union européenne. Il faut avoir des objectifs plus

C’est vrai que ce n’est pas forcément réaliste de dire que l’élection d’un gouvernement vert est possible, mais c’est bien de voter pour nous quand même, parce que ça envoie un message très fort aux

LD : Quel est le plan de votre parti pour entamer la réconciliation et comment comptez-vous réduire l’écart entre les conditions de vie des communautés autochtones et celles du reste de la population canadienne? SC : Le plus important, c’est de mettre l’accent sur la collaboration avec les communautés. Il faut se débarrasser de l’approche par le haut qui ne fonctionne pas. Il faut travailler avec les communautés pour développer une nouvelle politique visant à les aider à avoir plus d’accès par exemple aux services de santé et de santé mentale, à des logements abordables et à l’eau potable.

Équipe de campagne Sarah carter agressifs dès aujourd’hui, puisque ce que nous faisons maintenant est beaucoup plus important que ce que nous ferons dans 10 ans : les risques d’un changement climatique incontrôlable seront de plus en plus grands plus on attend. Ce que j’aime bien de la plateforme verte, c’est l’accent mis sur la collaboration entre les partis. Nous ne voulons pas que le climat soit un enjeu politique. Le Parti vert a donc proposé de former un comité auquel prendraient part tous les partis pour combattre les effets des changements climatiques. LD : Une coalition serait-elle possible face à l’urgence climatique qui commande peut-être de mettre de côté certaines divergences partisanes?

autres partis que les gens veulent des politiques environnementales plus progressistes. LD : À la lumière du dernier rapport du GIEC, quelle est la mesure phare que votre parti propose pour lutter contre les changements climatiques qui n’est pas déjà en place? SC : Notre objectif est une réduction de 60% des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport aux niveaux de 2005. Les libéraux proposent une réduction de 45%, ce n’est pas assez élevé : en Europe, ils veulent atteindre une réduction de 55% des émissions de carbone, mais par rapport au niveau de 1970. Nous voulons également atteindre, comme tous les autres partis, la carboneutralité en

le délit · mardi 14 septembre 2021 · delitfrancais.com

Nous proposons notamment une mesure pour fournir du financement durable afin de créer des centres de guérison pour remédier aux dommages psychologiques causés par les pensionnats. Néanmoins, il demeure important de demander aux communautés ce qu’elles veulent et non pas leur imposer une conception blanche de la guérison. LD : Quelles propositions fait votre parti pour améliorer les conditions des étudiants universitaires au pays ? SC : Dans notre plateforme, on veut que les frais d’inscriptions soient complètement abolis afin de rendre l’éducation gratuite pour tout le monde. J’ai passé dix ans déjà à l’université, et c’est très cher. C’est pire aux États-Unis, certes, mais c’est quelque chose qu’il faut améliorer ici aussi. La deuxième chose, c’est de radier toutes les dettes liées aux prêts fournis par le gouvernement fédéral : les étudiants qui ont déjà terminé leurs études n’auront pas

à les rembourser. C’est très important : j’ai beaucoup d’amis qui ont des prêts très élevés, et dans le contexte actuel où le logement est cher, il est impossible de s’acheter une maison avec beaucoup de prêts étudiants à rembourser. C’est quelque chose de magnifique dans notre plateforme, c’est une mesure très agressive, mais je crois que c’est quelque chose de bon. LD: Que pensez-vous de la stratégie de votre chef de faire campagne exclusivement dans sa circonscription de Toronto-Centre? On a entre autres vu qu’elle avait du mal à nommer ses candidats au Québec. Pensez-vous que cela peut affecter les chances du Parti vert de faire des gains au Québec? SC : Non, parce que le Québec est déjà une région où nous avons une très grande équipe et beaucoup de ressources pour mener une bonne campagne électorale. Pour ma part, comme je suis candidate pour la première fois, je travaille avec des candidats d’autres circonscriptions pour collecter des signatures, mettre les affiches, faire des événements ensemble, etc. Si j’ai une question, je peux demander aux autres candidats. Comme ça, j’apprends beaucoup et j’ai les ressources dont j’ai besoin pour faire une bonne campagne. LD : Votre parti propose de nombreuses mesures très ambitieuses, comme le revenu minimal garanti ou l’université gratuite pour tous. Comment proposez-vous de payer pour ces mesures? SC : Il faut traiter cette question sur chaque enjeu. Pour les frais de scolarité, on a proposé d’économiser de l’argent en annulant le comité responsable des prêts étudiants. Il y a beaucoup de prêts qui ne sont jamais remboursés, cela représente beaucoup de pertes d’argent. Donc, si on élimine ce système, on va économiser beaucoup. Pour les autres enjeux, par exemple pour le climat, on va aller chercher de l’argent principalement grâce à la taxe carbone. Si on ferme les industries pétrolières, on doit les remplacer, donc il faut investir dans les secteurs plus durables, plus verts. C’est comme cela que nous allons redémarrer l’économie. LD : Votre parti reconnaît qu’il y a une crise du logement. Que proposez-vous comme mesures à cet égard? SC : La première chose, c’est de s’attaquer à l’offre. Il faut construire de nouveaux logements ; on a proposé d’acquérir ou de construire 300 000 logements abordables pendant les dix prochaines années.

Bien sûr, si on construit de nouveaux logements, il faut penser à leur emplacement. Je suis contre l’étalement urbain : il faut penser à l’endroit où il faut les mettre pour éviter cela, et pour redensifier les centres urbains. Je veux voir les communautés davantage pensées sur le modèle du « 15 minutes de transport », où les gens peuvent travailler, habiter, avoir accès aux services sociaux, aux espaces verts, tout ce dont ils ont besoin, à distance de marche. On évite ainsi d’avoir des gens qui doivent conduire pendant une heure pour aller travailler. L’autre chose que le Parti vert a proposée, c’est d’avoir un ministre du logement. Le logement est quelque chose d’organisé par les provinces et les municipalités. Si le gouvernement veut s’occuper de cet enjeu national, il faut collaborer avec elles. Ce serait le rôle de ce ministère : travailler avec les provinces et comprendre les besoins de chacune. Les besoins ne sont pas les mêmes partout : ce dont on a besoin à Montréal n’est pas ce dont on a besoin à Halifax. C’est un enjeu complexe et il faut le traiter comme tel. LD : Qu’avez-vous pensé de la gestion de la pandémie par le Parti libéral? Qu’aurait fait de différent le Parti vert? Quelle serait la marche à suivre pour l’avenir alors que nous allons devoir apprendre à vivre avec la COVID-19? SC: Comme Anammie Paul et l’entièreté des chefs d’oppositions l’ont dit, je suis déçue qu’on soit en élection maintenant pendant la 4e vague de la pandémie. C’est dommage : il faut plutôt concentrer nos efforts sur la santé publique. Ce qui est nécessaire pour l’avenir, c’est de combattre l’hésitation à la vaccination, car il est nécessaire d’avoir un niveau de vaccination assez élevé pour arrêter le virus dans nos communautés. Ce dont on a besoin, c’est plus de recherche sur ce sujet. Il faut travailler avec les communautés qui ont eu de mauvaises expériences avec le système de santé. C’est quelque chose qu’il faut réparer. Il faut travailler avec elles pour comprendre leur expérience, avant d’avoir le pouvoir de faire quelque chose. x

Propos recueillis par Aymeric L. Tardif

Éditeur Actualités Félix A. Vincent

Éditeur Société

société

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ÉLECTIONS FÉDÉRALES 2021 - ENTREVUES DE CANDIDATS

Ronan Reich

L

e Délit (LD) : Les membres de votre parti ont voté à 54% contre une motion visant à reconnaître l’existence des changements climatiques et l’importance de s’y attaquer. Sachant cela, comment allez-vous concilier des mesures suffisamment ambitieuses pour lutter contre cette crise avec la position des membres de votre parti qui ne la reconnaissent pas? Ronan Reich (RR) : C’est sûr qu’au Québec ou en Ontario, on a des valeurs différentes de celles de l’Alberta. Les gens d’Alberta et nous avons des idées similaires, mais un député représente sa circonscription avant tout. Pour ma part, et comme Erin O’Toole l’a dit, je crois aux changements climatiques et on a un plan environnemental qu’on a sorti en avril

de vaccins. Il a d’abord essayé de passer un contrat avec la Chine, ce qui a pris beaucoup de temps pour finalement ne pas fonctionner, et a donc retardé le processus. Les mesures de quarantaine sont donc restées plus longtemps en vigueur et les entreprises ont été fermées plus longtemps en conséquence. 40% de l’économie du Québec a dû fermer. Un gouvernement conservateur aurait essayé d’acquérir des vaccins beaucoup plus rapidement et c’est ce qu’on veut faire pour l’avenir. On a développé un plan pour être capable de créer des vaccins ici même au Canada, si jamais il y a une autre pandémie.

nombre d’emplois disponibles. Par exemple, un gouvernement conservateur est prêt à payer jusqu’à 50% du salaire d’un employé nouvellement embauché pour les six premiers mois de travail. On a aussi un plan de rétablissement de l’économie dans le secteur du tourisme, de l’hôtellerie et de la restauration dans lequel

tion de l’avortement, nous allons voter « pro-choix ».

beaucoup de jeunes travaillent. Par exemple, quand ce sera sécuritaire, on instaurera pendant un mois dans les restaurants, du lundi au vendredi, un rabais de 50% sur la nourriture et les boissons non alcoolisées, ce qui injectera près d’un milliard de dollars dans ce secteur-là.

nous représentent dans le parti et qu’on laisse toujours l’Ouest canadien avoir le monopole des candidats élus. Dans ce dernier cas, on va simplement garder les mêmes valeurs et on ne progressera pas.

« On est le seul parti qui a un plan réaliste sur l’environnement »

Pour l’instant, il faut commencer à rouvrir le pays, mais il faut être sécuritaire en même temps : c’est pour ça que nous

LD : La plateforme conservatrice continue de promettre l’abolition du décret qui interdit 1500 modèles d’armes à feu. Quels objectifs poursuivez-vous derrière cette mesure? Pouvez-vous aussi clarifier l’ajout récent dans votre plateforme qui indique que cette interdiction ne concernerait pas les armes déjà interdites?

Équipe de campagne ronan reich

dernier pour montrer aux gens qu’on est sérieux sur cet enjeu. On est le seul parti qui a un plan réaliste sur l’environnement et on va lutter contre les changements climatiques, tout en préservant les emplois des Canadiens.

croyons aux vaccins. Ils sont extrêmement importants pour la réouverture du pays, les tests de dépistages le sont également. Ça prend un rétablissement économique, on ne peut pas rester dans la situation actuelle.

Par exemple, nous avons proposé de mettre un prix sur le carbone. L’argent ainsi perçu sera redonné aux consommateurs et c’est eux qui décideront ce qu’ils achèteront avec cet argent. Ces achats devront toutefois être écologiques. Par exemple, vous pourrez mettre l’argent que vous recevrez dans l’achat d’une voiture électrique ou dans des aménagements écologiques pour votre maison.

LD : Vous parlez de vaccination. Est-ce que la vaccination obligatoire pour les employées fédéraux ou même pour la population canadienne en général serait quelque chose de possible pour un gouvernement conservateur?

LD : Qu’avez-vous pensé de la gestion de la pandémie par le Parti libéral? Qu’aurait fait de différent le Parti conservateur? Quelle serait la marche à suivre pour l’avenir alors que nous allons devoir apprendre à vivre avec la COVID-19 et pour assurer la relance économique? RR : La pandémie a été complètement mal gérée par Justin Trudeau, en commençant par la fermeture des frontières : ça lui a pris beaucoup de temps. Ensuite, il y a eu la lenteur de l’acquisition

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Société

C’est très important de voter pour des candidats conservateurs au Québec parce qu’on veut progresser, on veut changer le parti par rapport à ce qu’il était dans le passé. C’est impossible de faire ça si on ne vote pas pour des gens qui

RR : Les vaccins sont extrêmement importants et on va toujours pousser pour que les gens reçoivent leurs vaccins. Je suis moimême doublement vacciné et je connais des gens qui ne le sont pas, mais je les pousse à aller recevoir leurs doses. Toutefois, si c’est leur décision, on ne peut pas les forcer. Nous sommes dans un pays libre. LD : Quelles propositions fait votre parti pour améliorer les conditions des étudiantes universitaires au pays ? RR : Pour aider les jeunes et les étudiants, on mise davantage sur l’accès au marché du travail. On a donc un plan de hausse du

RR : On ne lèvera pas l’interdiction sur les armes d’assaut. Erin O’Toole a été clair là-dessus. Toutefois, on veut vraiment se concentrer à travailler avec les services de police pour retirer les armes à feu des mains des criminels. C’est ça pour nous le vrai problème, ce n’est pas les non-criminels qui possèdent des armes, mais plutôt les gangs de rue, surtout à Montréal comme l’on a vu récemment.

LD : Comment comptez-vous assurer la réconciliation avec les peuples autochtones et la réduction de l’écart entre les conditions de vie des communautés autochtones et du reste de la population canadienne? RR : D’abord, il faut toujours reconnaître les torts du Canada envers les Premières Nations, qui sont complètement horribles. Le gouvernement libéral a fait plein de promesses, mais ne les tient pas. Ils ont l’idée qu’Ottawa doit décider à la place des peuples autochtones. Les conservateurs veulent fournir de l’aide, mais laisser de l’autonomie aux personnes, aux provinces et aux nations. On veut travailler en partenariat avec les leaders autochtones et les communautés pour qu’ils aient leur autodétermination, pour qu’ils puissent créer des entreprises et faire croître leur économie. On veut également leur fournir l’eau potable parce que c’est un droit

Nous voulons rétablir un million d’emplois en un an. Pour ce qui est de la crise du logement, nous voulons créer un million de logements dans les trois prochaines années pour rendre le logement plus abordable. Tout ça va diminuer l’inflation et le Canada deviendra plus riche. La vie deviendra donc plus abordable. C’est avec cette création de richesse qu’on va équilibrer le budget. LD : Le plan des conservateurs prévoit d’annuler le programme de garderies mis en place par les libéraux – qui aurait créé plus de 37 000 nouvelles places en garderies – et le remplacer par un crédit d’impôt. Comment est-ce que ce crédit d’impôt viendra compenser la perte de ce programme? RR : On va créer un crédit d’impôt de 75% sur les frais de garde, principalement pour les familles à faibles revenus, ce qui va remettre des milliers de dollars dans les poches de ces familles-là, qui vont pouvoir payer pour la garderie elles-mêmes. LD : Erin O’Toole a signifié à plusieurs reprises son appui pour le projet de tunnel entre Québec et Lévis (troisième lien), en insistant être le seul parti fédéral qui pourrait aider les Québécois à réaliser ce projet. Pouvez-vous nous expliquer les raisons de cette position? Comment réconci-

« C’est très important de voter pour des candidats conservateurs au Québec parce qu’on veut progresser, on veut changer le parti par rapport à ce qu’il était dans le passé » LD : Vous affirmez dans votre plateforme vouloir protéger le droit de conscience des professionnels de la santé, c’est-à-dire qu’une médecin ou une infirmière pourrait décider de refuser de pratiquer un acte médical parce qu’il est contraire à ses valeurs. Ne pensez-vous pas qu’une telle proposition pourrait ramener le Canada en arrière sur la question du droit à l’avortement? RR : Je suis pro-choix et Erin O’Toole l’est également. Comme je l’ai dit précédemment, le Québec et l’Ontario ont des valeurs très différentes de celles de l’Ouest canadien. Je connais mes collègues au Québec et nous sommes tous pro-choix. S’il y a quelque chose en chambre qui est votée sur la ques-

humain. Il est insensé qu’il y ait encore des gens dans notre pays qui n’aient toujours pas accès à l’eau potable. LD : Le plan conservateur promet de revenir à l’équilibre budgétaire dans une décennie. Pouvez-vous nous expliquer les principales mesures que vous allez mettre en place pour réaliser cela? Pensez-vous qu’un plan sur une décennie soit réaliste dans un système politique comme le nôtre? RR : L’idéal serait d’avoir un gouvernement majoritaire conservateur pour les dix prochaines années. Nous voulons créer beaucoup d’emplois au Canada.

liez-vous cela avec vos promesses d’une relance verte? RR : D’abord, c’est un projet qui va créer beaucoup d’emplois. Aussi, un troisième lien va réduire le trafic. Il n’y aura plus de voitures presque stationnées qui font juste émettre des gaz à effet de serre sans avancer sur l’autoroute. De plus, en 2030, il y aura beaucoup plus de voitures électriques donc les émissions seront alors de zéro. Au final, ça va augmenter l’efficacité et la productivité de la ville de Québec. x

Propos recueillis par Aymeric Tardif

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Philosophie portrait de philosophe

« Au fond de ma révolte contre les forts, je trouve du plus loin qu’il me souvienne l’horreur des tortures infligées aux bêtes [...]. On m’a souvent accusée de plus de sollicitude pour les bêtes que pour les gens : pourquoi s’attendrir sur les brutes quand les êtres raisonnables sont si malheureux ? C’est que tout va ensemble, depuis l’oiseau dont on écrase la couvée jusqu’aux nids humains décimés par la guerre. » Louise Michel - 1886

philosophie@delitfrancais.com

Pour un véganisme de sollicitude Critique de l’ouvrage éthique La philosophie à l’abattoir.

Philippe bédard-gagnon

Rédacteur en chef

P

eu de livres m’ont autant marqué que La philosophie à l’abattoir : Réflexions sur le bacon, l’empathie et l’éthique animale. L’écriture vulgarisée et exempte de paternalisme, chose rare dans les sphères militantes véganes, a su me convaincre de ne plus consommer de produits animaux. Ce petit ouvrage de 94 pages écrit par Catherine Bailey, candidate au doctorat en philosophie à l’Université de Montréal, et Jean-François Labonté, professeur de philosophie au Cégep de Sherbrooke, est un chef-d’œuvre d’introduction au véganisme. La philosophie à l’abattoir vise d’abord à informer et persuader les non-véganes, et ensuite à promouvoir la perspective intersectionnelle pour les initiés.

Afin de se rapprocher encore plus du public québécois, il explore ensuite l’état de sa législation provinciale et fédérale. Lorsque l’on examine le droit des animaux domestiques – soit tous les animaux sauf les animaux sauvages – du Québec, on constate qu’il se résume à deux éléments : la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal (ou loi BÊSA) et l’article 898.1 du Code civil du

traditions religieuses et spirituelles, ce premier portrait des débats sur la question animale réduit son histoire à deux thèses : soit les animaux sont des machines, soit ils sont comme les humains. L’ambition de cet ouvrage introductif n’est pas de répertorier toutes les pensées sur la question puisqu’il doit demeurer accessible au grand public (un chapitre décrit néanmoins d’autres approches de

impossible pour un être humain, l’être-au-monde des animaux étant radicalement différent du nôtre. Pour éviter l’impasse, les auteurs nous proposent alors de plonger dans la science-fiction. Utilisant un épisode de The Twilight Zone, une série des années 60, dans lequel des extraterrestres arrivent sur Terre pour manger l’humanité, ils introduisent le concept-clé de spécisme.

La métaphysique de la viande L’histoire racontée dans le livre débute avec le philosophe français René Descartes, à l’origine du fameux « Je pense, donc je suis », qui affirme que les animaux ne seraient que des assemblages complexes de pièces dénués de toute forme de conscience. Les comportements animaux qui semblent être liés à des affects comme la souffrance ou le plaisir ne seraient en réalité que des imitations mécaniques des émotions humaines. Après tout, comment pourraient-ils réellement ressentir s’ils n’ont pas une âme pareille à celle qui confère à l’humain son statut divin? Après ce départ obligé au 17e siècle, le livre quitte la sphère proprement philosophique en sautant directement à la Déclaration de Cambridge sur la conscience, signée en 2012 par un groupe d’éminents scientifiques. Le texte de la déclaration stipule que de nombreuses espèces animales possèdent une circuiterie neuronale aux capacités similaires à celle des êtres humains en ce qui a trait à l’expérience consciente. L’incapacité de la philosophie à décrire l’expérience animale au cours des trois siècles qui nous séparent de Descartes a laissé un vide que la science a tenté de combler. Plutôt que de dire : les animaux sont conscients, elle déclare : les animaux sont conscients de manière similaire aux humains. À nous d’en tirer nos propres conclusions. Le saut temporel du 17e siècle à 2012 peut sembler abrupt pour les historiens et pour les véganes assidus, mais il aide à la visée pédagogique de l’ouvrage auprès du grand public.

Alexandre gontier | Le délit alexandre gontier

« L’histoire du véganisme serait en fait indissociable des autres luttes sociales » Québec. La loi BÊSA propose une série d’exigences que doivent suivre les propriétaires d’animaux. Elle stipule toutefois que les animaux d’élevage et de recherche sont exclus de ces protections. Le Code civil du Québec, quant à lui, accorde le statut d’« êtres doués de sensibilité » aux animaux mais ajoute que ceux-ci ne sont que des biens aux yeux de la loi. En bref, la protection des animaux québécois est pour l’instant principalement symbolique. En laissant de côté les « trois âmes » d’Aristote, l’autonomie kantienne et les points de vue des différentes

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l’histoire). Toutefois, souligner cette opposition fondamentale sert l’argumentaire des auteurs, qui voient dans cette dichotomie une raison de plus d’aborder les questions d’éthique animale à travers le prisme de l’intersectionnalité. Spécisme, sexisme, racisme et cie Que manque-t-il à l’humain pour agir correctement envers les animaux? De l’empathie, répondraient probablement Christiane Bailey et Jean-François Labonté. S’imaginer ce que cela ferait d’être un porc, une vache ou un poulet est une tâche

Le spécisme est l’attitude selon laquelle l’appartenance à une espèce est un critère suffisant pour traiter un individu de manière différente. Ce concept n’est pas sans rappeler les autres -ismes : sexisme, racisme, capacitisme, etc. De la même manière que le mépris d’un extraterrestre spéciste envers l’humanité justifie à ses yeux l’asservissement de notre espèce, celui d’un esclavagiste blanc envers les autres couleurs de peau lui permet de dormir tranquille malgré toute la souffrance qu’il inflige. Ce n’est pas simplement que les arguments racistes et spécistes se ressemblent, défendent

les auteurs. L’histoire du véganisme serait en fait indissociable des autres luttes sociales. Ils soulignent par exemple que non seulement les défenseurs des droits des animaux étaient-ils péjorativement décrits comme féminins, mais que de nombreuses pionnières des droits des femmes dénonçaient également les conditions des animaux. Une conséquence de cette influence féministe est l’émergence de l’éthique du « care », ou de la « sollicitude », comme approche de l’éthique animale. Plutôt que de se préoccuper de règles universelles comme la maximisation du bonheur ou l’autonomie, la sollicitude demande une considération au cas par cas, en prenant en compte les structures de pouvoir qui rendent inopérantes toute tentative d’universalisation des actions. Sans se contenter d’accorder des droits aux animaux, les tenants de la sollicitude soutiennent un changement de paradigme : il s’agirait de voir l’animal non pas comme un bien mais comme un être dont on doit se soucier. Une conséquence de cette doctrine, par exemple, serait qu’il ne faut pas libérer tous les animaux de ferme dans la nature sans se préoccuper de leur devenir, car des pratiques historiques ont fait de certaines espèces des membres d’une communauté humaine. C’est entre autres le cas des vaches laitières, dont le pis énorme est le résultat d’une sélection artificielle et qui seraient complètement vulnérables si elles n’étaient pas protégées des prédateurs. Les auteurs expliquent ensuite la vision proposée dans Zoopolis : une théorie politique des droits des animaux, écrit par Will Kymlicka et Sue Donaldson en 2011, qui prévoit plusieurs niveaux de citoyenneté pour les animaux en fonction de leurs relations actuelles avec les êtres humains. Finalement, La philosophie à l’abattoir ne présente pas l’urgence climatique comme argument premier pour la défense du véganisme. Il est vrai que la consommation actuelle de viande et de produits de l’élevage est insoutenable et conduira certainement l’humanité à sa perte si elle n’est pas réduite. Cette perspective est toutefois problématique en ce qui concerne l’éthique animale, car elle réduit l’animal à un polluant, ce qui s’opposerait aux visées de l’éthique de la sollicitude. Le problème de l’élevage, comme bien d’autres, ne sera réglé que si l’on développe un réel souci pour autrui. La beauté de tout cela? Rien n’empêche chacun d’entre nous de commencer ce projet dès aujourd’hui. x

Philosophie

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Culture

artsculture@delitfrancais.com

ligne de fuite

La ville des solitudes jean-simon gagné-nepton évangéline durand-allizé

Contributeur

Par certains pays on te malmène On se moque, on te voit petite Je te vois en majesté Tu es la reine de ta vallée Où je te maudis en hiver Et par soirs de doux temps Me blottis sur tes flancs ______________________ Agrippé à tes côtes En cette position tu jubiles Ma hantise est ton rêve Esprit léthargique, corps exalté L’arbre et le fruit Une fois mûr se séparent Tu m’adores, moi non plus

alexandre gontier | le délit

théâtre

Rire pour mieux réfléchir La pièce alterIndiens ébranle les idées reçues.

FLorence lavoie

Éditrice Culture

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ans l’intimité de la salle Fred-Barry, les sièges ont été aménagés en cercle autour d’une scène, campée au niveau du sol ; c’est là que se déploie la pièce alterIndiens. De par le titre, le public peut supposer qu’il s’apprête à

assister à une pièce riche d’enjeux contemporains et de conversations importantes – le tout à travers une approche humoristique. La pièce, écrite en 2000 par l’auteur ojibwé Drew Hayden Taylor, est traduite pour la première fois en français par Charles Bender et habilement adaptée pour le Montréal de 2021. Elle met en lumière les relations entre

alexandre gontier | le délit

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autochtones et allochtones, elle les ressasse et les retourne, pour mieux confronter le public, toutes identités confondues, à ses paradoxes, à ses idées reçues et à son racisme internalisé. Texte et enjeux Gabriel, écrivain et personnage central de la pièce, est en couple avec Corinne, professeure de littérature autochtone d’origine juive. La pièce se campe alors que la professeure décide d’inviter à souper un couple d’ami·e·s vétérinaires végétalien·ne·s, en plus de deux ami·e·s d’enfance de son conjoint, Anishinaabeg comme lui, s’identifiant comme activistes radicaux. Les personnages sont aux antipodes les uns des autres et incarnent avec brio des clichés sociaux, mettant ainsi la table pour une soirée mouvementée. Danielle, végétalienne aguerrie, toise de haut le plat de caribou de Bobby ; Yvonne, étudiante à la maîtrise, questionne la légitimité qu’a Corinne d’enseigner la littérature autochtone. Corinne, de son côté,

voudrait que Gabriel utilise son talent d’écriture pour raconter ses expériences en tant qu’autochtone plutôt que d’écrire de la science-fiction. Les critiques lancées sont nombreuses mais l’humour et le cynisme qui les entourent affinent et dosent le texte avec précision, atténuant le malaise et clarifiant le message de la pièce. Celle-ci invite au débat et à l’échange entre autochtones et allochtones, à la remise en question – elle se veut « lieu de rencontre ». Scénographie et maladresses Le décor est brillamment épuré – des piles de livres tout en gris tiennent lieu de chaises pour les personnages et d’imposants carrés de lumière blanche baignent la scène. Les livres donnent le ton : l’académisme de Corinne s’impose d’emblée, mais ses certitudes – ce qu’elle considère être de la bonne littérature, par exemple – seront inévitablement ébranlées par ces questions d’appropriation culturelle et de légitimité avec lesquelles elle est confrontée. Néanmoins, quelques

choix scénographiques laissent perplexes, comme les rires qui fusent en début de pièce, enregistrés à la manière d’un sitcom – le tout donne lieu à un rythme un peu trop rapide, qui se replace lorsque les rires s’arrêtent et que le couple est rejoint par les ami·e·s. Cependant, la fluidité est brisée par quelques erreurs techniques et trous de mémoire. Les acteur·rice·s ont néanmoins su porter la pièce avec brio malgré tout. Les relations entre autochtones et allochtones ont évolué au cours des dernières années, nous dit le metteur en scène Xavier Huard dans le programme. La pièce de Taylor remet en question ces relations ainsi que les images que se font beaucoup d’allochtones à propos des autochtones, tout en appelant à l’ouverture d’esprit, à l’humilité et à l’écoute celui ou celle qui se dit allié·e. x alterIndiens est présenté dans la salle Fred-Barry du théâtre DenisePelletier jusqu’au 25 septembre.

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RÉFLEXION

Redécouvrir Centre-Sud Le partage et l’espace public dans Plácido-Mo.

Sophie ji

Éditrice Culture

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ans le spectacle déambulatoire Plácido-Mo présenté et coproduit par Espace Libre, Diane Gariépy, Mario StDenis et Nicolas Leclair, trois personnes autrefois en situation d’itinérance, partagent leur ancienne réalité sous la forme de témoignages audio. Plácido-Mo invite les spectateurs et spectatrices, muni·e·s d’un casque d’écoute, à découvrir le quartier Centre-Sud, tout en réfléchissant à la perception collective de l’espace public.

des témoignages dans le casque d’écoute. Bien que ce dernier isole les spectateur·rice·s les un·e·s des autres, il permet de porter au premier plan les voix souvent ignorées, voire tues, des personnes en situation d’itinérance. Comme l’exprime Nicolas, même si « la rue, ça a tout détruit autour de [lui] », son désir d’échanger avec les gens ne l’a jamais quitté. Nicolas explique notamment que ce désir est l’une des raisons pourquoi il préfère les rues aux ruelles et pourquoi il aime quê-

Le titre Plácido-Mo tire son origine du pseudonyme emprunté par un chômeur espagnol sur Twitter en 2010, alors que celui-ci partageait aux internautes son quotidien dans la rue. Le compte, toujours actif, est présentement géré par plusieurs personnes qui ont vécu en situation d’itinérance et qui désirent à leur tour partager leur expérience. Le spectacle déambulatoire Plácido-Mo a d’abord été présenté à Barcelone en catalan d’après une idée de l’actrice et productrice Magda Puig Torres avant d’être mis en scène dans une version francophone et montréalaise par Magda Puig Torres et Ricard Soler Mallol.

plutôt axée sur l’espoir et des moments plus joyeux. Ainsi, même si certains moments traitent très brièvement de brutalité policière et des problèmes causés par l’architecture anti-itinérance – par exemple, les barres installées sur les bancs de parc afin d’empêcher les gens de s’allonger – la majorité du spectacle se concentre sur des moments plus doux ; l’on apprend notamment que Nicolas a passé deux semaines aux chutes Niagara, que Diane rêve de s’acheter « un vrai dauphin » et que Mario adore Le Parrain.

hivernal. En omettant de discuter de l’hiver montréalais, Plácido-Mo ferme la porte à une occasion de sensibiliser et d’encourager le public à réfléchir à la répartition des ressources essentielles en hiver et à l’impact de cette répartition et du climat sur les personnes en situation d’itinérance. Comme cette réflexion continue sans cesse d’affecter des vies réelles chaque hiver, elle mérite qu’on s’y attarde davantage. Mettre en scène un spectacle ayant pour sujet l’itinérance à Montréal est une excellente

Alexandre gontier | le délit

Partage d’expériences Ricard Soler Mallol explique que Plácido-Mo n’a pas été réalisé dans une salle de théâtre traditionnelle, car « imaginer [la rue] sur la scène » n’équivaut pas à « sentir la rue ». Dès le début du spectacle, le public est alors invité à porter un casque d’écoute et à quitter en groupe la salle de théâtre d’Espace Libre pour aller directement dans les rues avoisinantes. Le contact immédiat entre le public et les différents bâtiments, ruelles et parcs de Centre-Sud permet de briser la distance spatiale qui existe habituellement entre la scène et le public. Au théâtre, il est possible d’arguer que cette distance peut contribuer à déresponsabiliser le public de ce qui se passe sur la scène, car la réalité dans laquelle vivent les spectateurs et spectatrices n’est pas directement interpellée ; la fiction et la réalité sont séparées par le quatrième mur. En marchant dans le quartier au rythme des témoignages de Diane, de Mario et de Nicolas, les spectatrices et spectateurs deviennent alors des participant·e·s activement impliqué·e·s dans les récits des trois narrateur·ice·s, ce qui permet d’accentuer l’effet d’intimité créé par la diffusion

ter pour « tuer le temps ». Ainsi, le casque d’écoute devient alors un important lieu de partage de connaissances et d’expériences qui encourage l’écoute active et la sensibilité du public.

« Plácido-Mo n’a pas été réalisé dans une salle de théâtre traditionnelle, car “imaginer [la rue] sur la scène” n’équivaut pas à “sentir la rue” » Espoir trois saisons Tout en prévenant le public que Plácido-Mo ne prétend ni offrir un portrait exhaustif des personnes en situation d’itinérance à Montréal, ni réduire toute la complexité d’une expérience dans la rue à un spectacle d’une heure, Magda Puig Torres et Ricard Soler Mallol ont fait le pari de sensibiliser le public à l’itinérance à Montréal à l’aide d’une approche

le délit · mardi 14 septembre 2021 · delitfrancais.com

En ce sens, Plácido-Mo s’oppose aux œuvres qui cherchent à sensibiliser les gens à l’itinérance en mettant en lumière les aspects les plus rudes de la vie dans la rue. Bien que l’approche choisie par Plácido-Mo soit très humaine et permette de mettre en valeur les caractéristiques personnelles de Diane, de Nicolas et de Mario, le spectacle aurait pu accorder davantage d’attention aux questions plus dures concernant l’itinérance, quitte à rendre un segment du spectacle un peu plus difficile à écouter. Les voix des personnes en situation d’itinérance sont trop souvent ignorées dans les sphères publique et culturelle, et la plateforme créée par Plácido-Mo aurait pu être une excellente occasion de davantage sensibiliser le public à la réalité complexe et ardue des personnes en situation d’itinérance, au-delà des anecdotes plus personnelles qui soulignent davantage la bonté d’âme de trois personnes. Par exemple, contrairement à Tant que j’ai du respir dans le corps (2020) de Steve Patry, documentaire consacré aux grandes difficultés vécues par les personnes en situation d’itinérance à Montréal face aux températures très froides de l’hiver, Plácido-Mo ne fait pas mention des problèmes causés par le climat

initiative qui permet de visibiliser les personnes en situation d’itinérance, mais souligner davantage des anecdotes plus triviales plutôt que de mettre de l’avant une réflexion plus importante freine à un certain degré la portée sociale de Plácido-Mo et peut contribuer à déformer, voire romancer notre perception de la réalité des personnes en situation d’itinérance. « Vois-tu ce que je vois? » Tout au long de la promenade déambulatoire, plusieurs objets, banderoles et figures humaines anonymes jaunes ajoutés à plusieurs endroits questionnent notre perception du lieu public et du chez-soi. Que se passe-t-il lorsque ces deux lieux deviennent le même? Même si, pour Mario, être à l’extérieur est synonyme de « liberté », particulièrement quand il compare cela à l’ambiance « stricte » des refuges, PlácidoMo nous invite à repenser notre perception de l’espace en mettant en lumière toutes les contraintes amenées par le fait de définir certains espaces comme étant publics. Selon la narration, en définissant et en percevant les

espaces publics comme « des lieux où des inconnu·e·s passent et se croisent », les personnes en situation d’itinérance sont effacées de notre perception de l’espace. La mise en scène du spectacle à l’extérieur met alors en question cet effacement, et les divers objets, figures humaines et banderoles jaunes

« Le spectacle aurait pu accorder davantage d’attention aux questions plus dures concernant l’itinérance » qui parsèment le parcours nous rappellent que nos perceptions des espaces sont subjectives et à quel point il est facile d’effacer des éléments de ces dernières. En effet, les éléments scénographiques ne sont pas directement mentionnés par la narration ; ils sont simplement posés près du parcours. Pour cette raison, l’expérience individuelle des spectateur·rice·s peut aussi être matière à réflexion puisqu’elle peut interroger les biais inconscients derrière nos perceptions individuelles de l’espace. Par exemple, comment choisit-on quels éléments sont importants dans un certain endroit? Qu’est-ce qui fait qu’une personne verra certains éléments scénographiques, mais en manquera d’autres? Ces questions sont une bonne façon d’entamer le plus long processus de réflexion requis afin de faire davantage attention à la façon dont nous percevons – ou ne percevons pas – les espaces publics. Somme toute, les témoignages de Nicolas, de Diane et de Mario et le format déambulatoire réussissent efficacement à nous faire découvrir Centre-Sud d’une façon originale et éducative. Bien que l’absence d’interprètes et d’artistes durant le parcours permette d’accorder une plus grande place aux voix de Nicolas, de Diane et de Mario, l’absence d’éléments plus vivants au sein du spectacle peut rendre la capture de l’attention du public un peu plus difficile à certains moments. Ce désavantage est toutefois bien compensé par l’enthousiasme véhiculé par les témoignages et l’ajout ponctuel d’éléments scénographiques pertinents, qui enrichissent les sujets et questionnements soulevés par Plácido-Mo.x

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le délit et des livres

Se reconstruire dans la tempête Le roman Les falaises propose une plongée intergénérationnelle. florence lavoie

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es falaises, premier roman de l’autrice Virginie DeChamplain, raconte l’histoire de V., qui retrouve sa Gaspésie natale lorsque le corps de sa mère s’échoue sur les berges du Saint-Laurent. Plongée dans un deuil conflictuel, la narratrice ressasse la relation difficile qu’elle entretenait avec sa mère. Le roman en est un de guérison et de reconstruction de soi ; à travers la mémoire autant individuelle que collective, de la Gaspésie jusqu’aux falaises islandaises, V. fait la paix avec son enfance et avec le souvenir de sa mère. Retour au bercail Dès les premières pages du roman, V. rejoint la Gaspésie à reculons, où elle se retrouve quelque part entre la nécessité de faire le tri dans la maison de la défunte et les tempêtes intérieures qu’occasionnent le retour au bercail et le décès de la mère. L’enfance remonte et d’anciennes plaies s’ouvrent ; la narratrice se voit désireuse d’en finir au plus vite avec cette douleur, dans « l’impression brûlante de découvrir l’histoire pour mieux l’effacer ». Cependant, contre toute attente, elle exhorte sa soeur et sa tante venues l’aider de rentrer chez elles et entreprend de vider seule la maison, malgré

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permet cependant pas à la mère de vivre ces sentiments négatifs en toute légitimité, elle n’accepte pas que si la magie se transmet, les traumatismes aussi. Le roman ressasse alors ces visions à travers les personnages de V., de sa mère Frida, de sa grand-mère Claire et de son amante Chloé et les remet en question pour mieux les déconstruire. L’utilisation de ce thème trouve son importance dans cette déconstruction. La bonne mère n’est pas celle qui disparaît tout entière ; cette mère-là n’existe pas. Le roman rend sa complexité à la maternité, la questionne. À travers l’abus vécu par V. et sa sœur ainsi que la relation entre Claire et Frida, il interroge les rapports entre la mère et la fille et redonne leur légitimité aux sentiments conflictuels qui peuvent cohabiter avec l’amour maternel si souvent glorifié et simplifié.

« La voix est orale, familière, décomplexée ; elle brille des imaginaires qui l’habitent — ceux des vents et des marées — et raconte par bribes, par impressions sensorielles » son envie pressante de laisser la Gaspésie derrière elle pour retrouver la frénésie montréalaise et y enterrer ses souvenirs. La nécessité de guérir fait alors surface et s’ensuit un long processus de réparation ancré dans la violence des traumatismes de l’enfance, qui amènera la narratrice jusqu’en Islande, lieu de naissance de sa grand-mère maternelle, qu’elle n’a jamais connue. La maternité s’impose comme l’un des thèmes les plus importants du roman. Culturellement, la maternité est glorifiée ; la vie d’une femme n’est complète que lorsque celle-ci devient mère et ses enfants deviennent le centre de sa vie et l’essence de son être. Pourtant, en réalité, un enfant peut être source d’une myriade de sentiments négatifs comme il peut être source de joie. La société ne

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Roman de la filiation Le roman mêle trois voix : celle de la narratrice principale, celle de sa mère qui se manifeste sous la forme de courts poèmes, et celle de sa grand-mère déployée à travers des entrées de journal que V. découvre dans la maison à vider.

La narratrice retrace les parcours des deux femmes à mesure qu’elle se reconstruit et qu’elle apprivoise son deuil. Dans l’oeil social, l’individualité des mères tend à disparaître — l’essence de la femme se retrouve alors injustement réduite à sa maternité, ce qui, notamment, fait souffrir Claire : « Mon nom n’existe plus. Plus personne ne s’en souvient. Je suis maman maintenant. Maman! Maman la guérisseuse, la cuisinière, la couveuse, maman la disciplinaire, la couturière, la maîtresse. » Cette mère, celle de Frida, aime ses enfants plus que tout au monde, mais sent son identité faillir et se perdre derrière sa maternité. L’inclusion des récits des aïeules amène V. à les considérer tout entières, à voir les femmes qu’elles étaient au-delà de leur maternité. Cela lui permet de comprendre qui était vraiment sa mère et, dans une certaine mesure, de lui pardonner les crises, les déracinements, la folie. Néanmoins, les trois voix se superposent d’une manière telle qu’elles se fondent l’une dans l’autre, que la raison d’être de chacune se perd dans les deux autres, rendant le message de chacune plus difficile à déceler. V. emprunte le chemin de sa mère et de cette grand-mère qu’elle n’a pas connue ; vient alors l’impression que les histoires se répètent sans dénouement et que le désir de fuite ini-

tial de la narratrice ne trouve pas d’évolution, ne connaît qu’une transformation subite.

« La figure de la femme, dans le roman, est à l’image de celle de la mer ; grande, belle, puissante » Langue et mer C’est une langue simple et épurée qui traverse Les falaises. À travers des phrases courtes, parfois averbales, elle dépasse souvent l’énonciation et les règles de syntaxe et tend à rendre avec authenticité le ressenti de la narratrice — cru, sec, à vif et dénué de toute fioriture qui ne lui est pas essentielle. La voix est orale, familière, décomplexée ; elle brille des imaginaires qui l’habitent — ceux des vents et des marées — et raconte par bribes, par impressions sensorielles. Le roman est fort d’une poétique marine propre aux lieux qui sont le théâtre de la guérison de V. ; partout le lectorat retrouve la mer, ses tempêtes et son potentiel cathartique. L’histoire se

déploie à travers la violence de cet imaginaire et les corps fusionnent avec l’eau, depuis le motif du cadavre rejeté par le fleuve jusqu’au désir de V. de se « projeter dans le paysage ». L’eau est menaçante, mais elle lave aussi. La mer et le fleuve sont des lieux familiers et réconfortants pour la narratrice, là où elle revient. La narration reprend le ressac des vagues dans les allées et venues de V. et dans le va-et-vient entre les différentes voix. La figure de la femme, dans le roman, est à l’image de celle de la mer ; grande, belle, puissante. Les femmes des Falaises font partie intégrante du monde, elles s’affirment comme sujets. Elles s’affranchissent du regard des hommes et de la société, des attentes qui leur sont extérieures, des jeux

« L’eau est menaçante, mais elle lave aussi » de séduction hétéronormatifs dont elles ne veulent pas. Elles construisent leurs histoires selon leur bon vouloir et laissent transparaître le désir profond de se sauver soi-même et de vivre.x Les falaises, premier roman de Virginie DeChamplain, a été publié en février 2020 aux éditions La Peuplade.

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