delitfrancais.com Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill
Chartre de la discrimination 7 L’Avenir de la presse 10 La vie d’Adèle 11 Exposition Chihuly 14 Le mardi 10 septembre 2013 | Volume 103 Numéro 01
Nu-e-s sur un boulet depuis 1977
Éditorial rec@delitfrancais.com
Un salaire notĂŠ Camille Gris Roy Le DĂŠlit
L
es enseignants devraient dĂŠsormais ĂŞtre rĂŠmunĂŠrĂŠs non pas en fonction de leur expĂŠrience, mais selon les rĂŠsultats scolaires qu’obtiennent leurs ĂŠlèves. C’est ce que recommande l’institut Fraser, dans un rapport intitulĂŠ: ÂŤ Obtaining Better Teachers for Canadian Public Schools: A Review of the “Teacher Effectivenessâ€? Research LiteratureÂť. L’Êtude, pas encore traduite en français, est signĂŠe Rodney Clifton, professeur ĂŠmĂŠrite Ă l’UniversitĂŠ du Manitoba, et a ĂŠtĂŠ rendue publique lundi le 9 septembre. L’Institut Fraser se dĂŠfinit sur son site internet comme ÂŤun organisme de recherche et de formation non partisan et indĂŠpendant basĂŠ au CanadaÂť. On lui attribue cependant souvent une tendance de droite, conservatrice. Selon cette ĂŠtude, les critères ÂŤtraditionnelsÂť sur lesquels sont basĂŠes les ĂŠchelles salariales pour les professeurs – soit la formation et l’expĂŠrience – ne sont pas pertinentes. ÂŤLa croyance selon laquelle il existe une relation entre diplĂ´me, expĂŠrience et efficacitĂŠ est fausse. Plusieurs professeurs sont beaucoup plus efficaces dès leur première et deuxième annĂŠe d’enseignementÂť. C’est le mot ÂŤefficacitĂŠÂť qui revient sans cesse dans l’Êtude. On parle en chiffres et en termes ĂŠconomiques. Selon l’auteur, l’idĂŠe est de rompre ÂŤle monopole de l’Êducation publiqueÂť, et y instaurer les principes de la compĂŠtitivitĂŠ. Ainsi, comme des gĂŠrants d’entreprise, les enseignants devront obtenir des ÂŤrĂŠsultatsÂť, ĂŞtre ÂŤefficacesÂť et meilleurs que les autres. Ces enseignants seront soumis rĂŠgulièrement Ă des examens de ÂŤre-certificationÂť, pour s’assurer qu’ils maintiennent toujours leurs objectifs (des sortes de ÂŤcontrĂ´les techniquesÂť, plutĂ´t que de simples inspections de routine). Et pourquoi pas soumettre une ĂŠtude de marchĂŠ Ă leur direction en dĂŠbut d’annĂŠe, pour identifier les ĂŠtudiants qui pourraient leur ĂŞtre plus rentables ?
Les directeurs d’Êcole auront quant à eux la libertÊ de faire le mÊnage dans leur entreprise, en offrant des promotions aux enseignants qui rÊussissent le mieux à combler les objectifs de l’Êtablissement, et en [licenciant] les mauvais enseignants afin de crÊer des Êquipes-Êcoles optimales, comme il est Êcrit dans le communiquÊ de presse qui accompagne le rapport. C’est une autre forme de marchandisation de l’Êducation. La rÊussite scolaire sera dÊsormais un but à atteindre non pas seulement pour le bien de l’enfant mais au fond pour‌ gagner de l’argent! Les enseignants dont les Êlèves ont les meilleures notes sont mieux payÊs que ceux qui obtiennent des rÊsultats moins bons. Certes, à la base, si un Êlève obtient des bonnes notes, c’est en bonne partie parce qu’il reçoit une Êducation de qualitÊ, qu’il est capable d’assimiler sans peine. L’idÊe est quand même d’inciter les professeurs à donner le meilleur d’eux-mêmes pour que les enfants reçoivent une meilleure formation. Mais la motivation de l’argent sera là . C’est si facile, donner un A par ci par là et puis‌ s’acheter une belle auto? Et oÚ est passÊe l’esprit du bien commun dans tout ça? De l’Êcole publique qu’on bâtit ensemble ? Un système basÊ sur les primes individuelles en fonction de la performance va Êvidemment engendrer compÊtition, mÊfiance et tensions. Le rapport vient tout juste de sortir; on en sait peu sur les implications qu’il aura. Ce qui est certain, c’est qu’il a bien de quoi mettre mal à l’aise, et qu’il invitera au dÊbat. Quel bel esprit, pour notre Êducation. C’est la première publication du DÊlit cette annÊe ! Toute l’Êquipe Êditoriale vous souhaite une très belle rentrÊe. Nouvelle principale à McGill, coupures budgÊtaires, application du nouveau code de conduite Êtudiant, Êlections municipales, charte des valeurs, expositions et festivals‌plein de belles choses nous attendent cette annÊe ! Pour pouvoir rester au fait de l’actualitÊ, on aura besoin de vous ! Le sous-sol du bâtiment Shatner et son bureau B24 vous attendent ! [
Volume 103 NumĂŠro 01
Le seul journal francophone de l’UniversitÊ McGill
RÉDACTION 3480 SVF .D5BWJTI CVSFBV #t MontrÊal (QuÊbec) H3A 1X9 TÊlÊphone : +1 514 398-6784 TÊlÊcopieur : +1 514 398-8318 RÊdactrice en chef rec@delitfrancais.com Camille Gris Roy ActualitÊs actualites@delitfrancais.com Chef de section Alexandra Nadeau SecrÊtaire de rÊdaction Sophie Blais Arts&Culture artsculture@delitfrancais.com Chef de section Thomas Simonneau SecrÊtaire de rÊdaction Joseph Boju SociÊtÊ societe@delitfrancais.com Vacant Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com ThÊo Bourgery Coordonnateurs visuel visuel@delitfrancais.com Camille Chabrol Romain Hainaut Infographie infographie@delitfrancais.com Vacant Coordonnatrices de la correction correction@delitfrancais.com Claire Launay Anne Pouzargues Coordonnateur Web web@delitfrancais.com Mathieu MÊnard Coordonnateur des rÊseaux sociaux rÊso@delitfrancais.com Mathilde Michaud Collaboration AurÊlie Garnier, Côme de Grandmaison, LÊa Gruyelle, StÊphany Laperrière, Michael Lessard, Daisy de Montjoye, Edouard Paul, Julien Perthuis, Baptiste Rinner, ChloÊ Roset Couverture Image : Camille Chabrol Montage : Camille Chabrol
BUREAU PUBLICITAIRE 3480 SVF .D5BWJTI CVSFBV #t MontrÊal (QuÊbec) H3A 1X9 TÊlÊphone : +1 514 398-6790 TÊlÊcopieur : +1 514 398-8318 ads@dailypublications.org PublicitÊ et direction gÊnÊrale Boris Shedov Photocomposition Mathieu MÊnard et Geneviève Robert The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Anqi Zhang Conseil d’administration de la SociÊtÊ des publications du Daily (SPD) Lola Duffort, Benjamin Elgie, Jacqueline Brandon, Camille Gris Roy, Anthony Lecossois, Samantha Shier, Anqi Zhang, Boris Shedov L’usage du masculin dans les pages du DÊlit vise à allÊger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.
Les opinions exprimÊes dans ces pages ne reflètent pas nÊcessairement celles de l’UniversitÊ McGill.
Le DÊlit *44/ FTU QVCMJ� MB QMVQBSU EFT NBSEJT QBS MB SociÊtÊ des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant ÊtÊ auparavent rÊservÊs, incluant les articles de la CUP). L’Êquipe du DÊlit n’endosse pas nÊcessairement les produits dont la publicitÊ paraÎt dans ce journal.ImprimÊ sur du papier recyclÊ format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (QuÊbec). Le DÊlit est membre fondateur de la Canadian University Press (CUP) et du Carrefour international de la presse universitaire francophone (CIPUF).
2 Éditorial
[ le dÊlit ¡ le mardi 10 septembre 2013¡ delitfrancais.com
Actualités actualites@delitfrancais.com
Brève/Politique étudiante
Poursuite et faillite Sophie Blais Le Délit
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ien que la crise étudiante soit terminée, ses répercussions se font encore sentir, comme en témoignent les événements survenus cet été. L’Association des étudiants et étudiantes en histoire de l’Université de Laval devra rembourser les droits de scolarité d’un de ses ex-étudiants pour la session d’hiver 2012. C’est ce que le juge de la division des petites créances de la Cour du Québec a décidé suite au
procès qui s’est déroulé le 16 août. L’étudiant en question avait annulé sa session en mars 2012 à cause de la grève étudiante, ne voulant pas avoir la mention «échec» en cas d’absence de plan de rattrapage. Ceci est une nouvelle préoccupante pour les associations étudiantes, qui redoutent que ce verdict n’établisse un précédent, selon une entrevue du président de la Fédération Étudiante Universitaire du Québec (FEUQ), Antoine Genest-Grégoire, avec Radio-Canada. Les associations étudiantes ne sont pas les seules à subir des
conséquences financières majeures. Denis Poitras, qui fut l’avocat des étudiants pendant la grève, se trouve également en eaux troubles. Cet été, ce dernier a été contraint de déclarer faillite par Revenu Québec, à qui il doit plusieurs dizaines de milliers de dollars en impôts impayés. Durant la crise étudiante, la majorité des manifestants arrétés se sont tournés vers lui pour qu’il les défende des nombreuses accusations portées à leur égard. Poitras se chargeait de ces dossiers de manière gratuite en général. [
Démission à l’AÉFA Alexandra Nadeau Le Délit
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teven Curran a démissionné de son poste de représentant de l’Association Étudiante de la Faculté des Arts (AÉFA) le 4 septembre dernier. Il quitte son poste en raison d’un conflit d’horaire, l’un de ses cours l’empêchant d’assister au Conseil de l’AÉFA. Il laisse ainsi sa chaise
vide, qu’il occupait depuis mars 2013. Afin de combler son poste, l’AÉFA a décidé de tenir de nouvelles élections ouvertes à tous les étudiants de la Faculté des Arts. Justin Fletcher, président de l’AÉFA, explique dans un courriel envoyé au Délit que «le Conseil avait la possibilité de nommer un représentant provisoire. Aucun membre du Conseil n’a cependant proposé sa candidature».
D’ici à l’élection d’un nouveau représentant, c’est M. Fletcher qui agira en tant que représentant des étudiants de la Faculté des arts au Conseil de l’Association étudiante de l’université McGill (AÉUM) au côté des deux autres représentants qui y siègent toujours. La période de nomination aura lieu du 16 au 24 septembre. La période d’élection aura lieu, quant à elle, du 3 au 8 octobre.[
Rentrée à pied Alexandra Nadeau Le Délit
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’interdiction de rouler à vélo sur le campus de McGill est maintenant renforcée. De nouvelles barrières, à l’entrée Milton/University, ont été installées avant la rentrée scolaire, comme le rapporte le McGill Reporter dans un article du 30 août. Il n’est désormais plus possible d’y passer sur son vélo, car des panneaux pivotants qu’il faut pousser avec les mains restreignent le passage. L’administration justifie cette nouvelle mise en place par son intérêt pour la sécurité de tous sur le campus. Quelques collisions entre piétons et cyclistes ont été rapportées au cours de la dernière année. Il ne s’agit pas de décourager les étudiants de McGill seulement, mais aussi les cyclistes montréalais qui empruntaient parfois le campus pour raccourcir leurs déplacements. Le projet sera réévalué cet automne, afin de savoir s’il est efficace ou non. Le groupe militant mcgillois Mob-squad organise déjà une mobilisation contre ces nouvelles barrières le 27 septembre. L’événement partagé sur Facebook dans le style des «Critical Mass» (les derniers vendredis du mois) invite les étudiants à se rassembler pour critiquer le
Écrivez pour Le Délit ! Envoyez-nous un message pour plus d’informations. rec@delitfrancais.com Camille Chabrol
contrôle que McGill veut exercer sur les étudiants et l’espace public du campus. Emory Shaw, étudiant en dernière année en planification urbaine à McGill, trouve
que ces barrières donnent l’image d’un McGill moins accessible à la communauté environnante et d’un campus fermé et exclusif à la communauté mcgilloise.[
UNIVERSITÉ
Initiations controversées Les initiations en communication à l’UQAM font polémique. Alexandra Nadeau Le Délit
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es initiations du Département de communication à l’Université du Québec à Montreal (UQAM) ont provoqué un tollé dans les médias sociaux la semaine dernière. Marie-Christine Lemieux-Couture, écrivaine, a partagé son indignation dans un billet sur le site web voir.ca: «Des pimps pis des putes. C’est ça le thème plein de gros bon sens des initiations des étudiantes et étudiants de la Faculté de communication de l’UQAM. Est-ce ce genre d’aperçu du merveilleux monde des communications que les étudiantes et étudiants de l’UQAM veulent donner aux nouvelles et aux nouveaux venus?» Elle y dénonce le caractère dégradant de ces initiations, spécialement leur façon de représenter la femme comme un objet sexuel. Elle critique les nombreux slogans dégradants et jeux à caractère sexuel, où tout tourne autour du lexique de la prostitution et du viol. Elle dénonce également la participation des étudiants à ces activités qui font la promotion de la domination de l’homme sur la femme et de la culture de la sexualité hors de tous tabous. Des étudiants en communication, exinitiés et ex-organisateurs ont écrit une lettre ouverte pour répondre à l’article de Mme Lemieux-Couture. Ils spécifient que le thème des initiations n’était pas «des pimps pis des putes», mais plutôt X-Men. Ils reconnaissent toutefois que les noms des équipes étaient «pimp-zèbres» et «putes-zèbres». Les étudiants expliquent dans leur billet qu’ils comprennent que certains aient pu être choqués par les idées des initiations, mais disent que «déranger est
quasiment un but avoué». Ils invitent au dialogue ceux qui auraient pu être atteints d’une quelconque façon par ces initiations. Le Délit n’a pas réussi à avoir une entrevue avec les organisateurs des initiations, ces derniers disant qu’ils ne commenteraient plus à ce sujet, la semaine étant terminée et ayant déjà assez attiré l’attention des médias. Kira Page, coordinatrice externe du Groupe de recherche d’intérêt public (GRIP-Q) de McGill, mentionne dans un courriel au Délit que ce n’est pas seulement l’UQAM qui a fait la promotion de la dégradation de la femme, de la culture du viol et de la prostitution lors de ses initiations. L’Université de la ColombieBritannique et l’Université Simon-Fraser ont également fait appel à ces concepts lors de leur «frosh week». Du côté de McGill, dans le Rad Frosh organisé par le GRIP-Q, Kira Page explique que la sexualité est également utilisée, mais dans un but éducatif: «Cette année, nous avons eu beaucoup d’ateliers sur la culture du viol, le pouvoir, le sexe et le consentement.» Le Rad Frosh a aussi pour principe de ne pas être hétéronormatif et tient à créer un espace de respect entre personnes de tous sexes. Jan Simonson, initiateur des événements de la Faculté des arts à McGill, dit en entrevue avec Le Délit que durant le Frosh de McGill, «il y a évidemment quelques jeux à connotation sexuelle, même si l’emphase est mise sur la rencontre personnelle entre deux personnes, plutôt que sur une rencontre seulement physique». Ils expliquent que ce ne sont pas les coordonnateurs qui organisent les jeux, mais que ce sont les initiateurs qui en sont responsables. Jan croit que certains jeux à caractère sexuel aident les
Romain Hainaut
nouveaux étudiants à ne plus être gênés. Parfois, certains «froshies» peuvent sembler mal à l’aise face à de tels jeux, mais il s’agit
Brève/International
d’aborder les jeux graduellement. «Il faut que ça reste comique, même si ça peut être perçu comme sexuel», dit-il. [
Brève/Campus
Ingérence en Syrie
La foire annulée
Sophie Blais Le Délit
Sophie Blais et Alexandra Nadeau Le Délit
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e conflit qui ravage la Syrie depuis le début de l’année 2011 a pris un tournant majeur ces dernières semaines. Le régime du président syrien Bachar Al-Assad a été accusé d’avoir perpétué une attaque aux armes chimiques à Damas le 21 août dernier. Le nombre de morts varie entre 300 et 1400 morts selon différentes sources. La Syrie a cependant nié en bloc d’avoir utilisé de tels procédés sur sa propre population, mettant la responsabilité du massacre sur le dos de l’opposition au gouvernement actuel. Les réactions au sein de la communauté internationale sont mitigées. Alors que les États-Unis, la France et le Royaume-Uni ont exprimé un penchant pour une action militaire, de nombreuses voix au sein de la communauté internationale demandent qu’aucune sanction ne soit donnée avant que les Nations Unies ne prou-
4 Actualités
vent l’utilisation d’armes chimiques par le régime syrien. Aux États-Unis, le président Barack Obama a déclaré être convaincu que le gouvernement syrien avait bien utilisé des armes chimiques, et a lancé des démarches pour consulter l’opinion publique sur une éventuelle intervention. Le Congrès reste divisé à ce sujet.
Une enquête est menée en ce moment par des inspecteurs de l’ONU, et un rapport provisoire sera remis le 10 septembre. La Chine et la Russie, quant à elles, s’opposent à toute intervention. Cette escalade de la violence récente redéclenche de vifs débats sur le recours à l’intervention dans des pays en conflit.[
Romain Hainaut
L
a foire aux livres, qui se tient à chaque automne depuis 1971, sera annulée cette année pour la première fois. Les travaux de construction sur le campus de McGill devant les bibliothèques Redpath et McLennan sont la cause de cette interruption. Comme on peut le lire sur le site internet de l’événement, la foire sera de retour l’année prochaine. Les livres récoltés
cette année seront utilisés pour l’année suivante. La foire aux livres est l’occasion pour les étudiants de McGill et la communauté environnante de venir acheter des livres de toutes sortes et ce, à bas prix. L’événement a failli disparaitre l’année dernière, car les traditionnels organisateurs prenaient leur retraite. Néanmoins, Jonathan Haines et Fraser Dickson ont repris en charge la foire l’année dernière avec succès. Les travaux en cours devraient se terminer avant le début de l’hiver si tout se déroule comme prévu. [
Camille Chabrol
[ le délit · le mardi 10 septembre 2013 · delitfrancais.com
POLITIQUE QUÉBÉCOISE
Anniversaire au son des casseroles Une manifestation contre le Parti québécois pour son premier anniversaire. Stéphany Laperrière
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e 4 septembre dernier, le gouvernement Marois célébrait sa première année au pouvoir. Une année remplie de déceptions pour quelques centaines de manifestants, qui ont profité de cet anniversaire pour se rassembler dans les rues de Montréal afin de témoigner leur mécontentement. Le maintien de la taxe santé, la loi sur la reprise des travaux dans l’industrie de la construction et la réforme de l’aide sociale ne sont que quelques exemples des reproches exprimés à l’encontre du gouvernement Marois, un gouvernement « sans conviction » et « hypocrite » aux yeux de plusieurs des participants. Amir Khadir, ancien co-porte-parole du parti Québec Solidaire, était présent lors de la manifestation. « Le gouvernement n’est pas au service de la population, ça se ressent, c’est un gouvernement au service des même affairistes qui avaient le contrôle du parti libéral », confie-t-il au Délit. Côté éducation, le Parti Québécois a provoqué beaucoup de mécontentement chez plusieurs québécois. Olivier Melançon, étudiant en mathématiques à l’Université McGill, croit que le gouvernement Marois n’a fait que poursuivre « la même logique que le gouvernement libéral ». Il accuse le Parti Québécois de ne pas avoir su protéger la recherche universitaire de l’influence du secteur privé, entre autres en encourageant les partenariats de recherche avec les entreprises au lieu d’accroitre leur financement public. En effet, le gouvernement annonçait en décembre dernier une réduction de 31 millions de dollars dans les fonds de recherche du Québec.
Camille Chabrol
Pour Frédérique Bernier, professeure de littérature au Cégep de Saint-Laurent, les engagements d’un parti en matière d’éducation devraient aller bien au-delà de la question des frais de scolarité. « Il faut mettre en l’avant une vision de l’éducation et du savoir qui soit celle d’une émancipation et non celle d’une reconduction d’un ordre social qui me semble profondément inégalitaire et injuste ». Si plusieurs manifestants ont été incapables de mentionner une seule réussite du gouvernement Marois, certains saluent le moratoire sur les gaz de schiste dans les Basses Terres du St-Laurent. De son côté, Martin Trudel-Racine, étudiant en sciences humaines au Cégep de Joliette,
trouve le gouvernement Marois « moins pire » que le gouvernement Charest, notamment sur la question des frais de scolarité. Il s’empresse toutefois d’ajouter que « ça ne le rend pas bon pour autant ». Manifestation illégale La manifestation a été déclarée illégale une quinzaine de minutes à peine après son commencement, en vertu du règlement P-6 de la Ville de Montréal. Les avertissements des policiers n’ont toutefois pas refroidi les participants au rassemblement, qui ont continué de faire sonner les casseroles pour rythmer la marche. Aucune arrestation n’a été rapportée. Rappelons qu’avant les élections,
Pauline Marois avait momentanément pris part au mouvement des casseroles en manipulant deux couvercles de chaudron, des images que les libéraux avaient pris plaisir à rapporter dans une de leurs publicités. Un an plus tard, ces mêmes instruments sont utilisés, cette fois-ci pour dénoncer les politiquesndu gouvernement péquiste. Les casseroles sont un moyen « de montrer que nous sommes encore là » affirme l’une des manifestantes, étudiante au Cégep de Saint-Laurent. Un message d’espoir lancé dans un contexte où, comme le rappelle Amir Khadir, « une partie du mouvement étudiant, celle qui a collaboré avec le parti québécois, aujourd’hui se trouve orpheline ». [
POLITIQUE QUÉBÉCOISE
Reprise des travaux de la Commission Les Québécois retrouvent leur feuilleton quotidien. Camille Gris Roy Le Délit
L
es audiences de la commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction, ou «commission Charbonneau» ont repris le 3 septembre dernier, après près de deux mois et demi de pause. «Au cours de la dernière année, vous avez entendu des témoignages touchant divers sujets, notamment l’implication et le rôle des firmes de génie-conseil et d’entrepreneurs en construction dans les stratagèmes de collusion […], la corruption de fonctionnaires municipaux afin d’influencer l’octroi des contrats publics, […] l’influence et l’implication du crime organisé dans les stratagèmes de collusion et dans le milieu de la construction en général» a rappelé Sonia LeBel, la procureure en chef à la commission, lors de son discours d’ouverture de la première session d’audiences, le mardi 3 septembre. L’année dernière, la Commission a fait la lumière sur un vaste système de collusion et de corruption à Montréal et à Laval.
En ce qui concerne l’Université McGill, le CUSM (Centre universitaire de santé McGill), en construction, avait fait l’objet d’une enquête. On avait alors notamment découvert que la firme SNC-Lavalin en charge des travaux avait versé à l’ancien directeur du CUSM, Arthur Porter, des millions de dollars en dessous-de-table pour l’obtention de contrats. (Voir l’éditorial du Délit du 26 novembre 2012, et les articles du Délit sur la commission) Dans son discours d’ouverture, Sonia LeBel a présenté les principaux thèmes qui seront étudiés cette année. Elle a souligné le fait que la commission s’intéresserait plus particulièrement aux syndicats, notamment à la «possible infiltration des syndicats par des organisations criminelles», et aux phénomènes «d’intimidation» et «d’extorsion» sur les chantiers. La Commission devrait de plus se pencher sur la question du financement des partis politiques, et sur les contrats dans le domaine des transports. Lors des deux premières audiences, les 3 et 4 septembre, les avocats à la commission ont entendu les témoignages de Marc-André Gélinas, directeur géné-
[ le délit · le mardi 10 septembre 2013 · delitfrancais.com
ral en Outaouais pour la compagnie AECOM (une société d’experts-conseil) et de Patrice Mathieu, ancien vice-président génie urbain et transport pour l’Est du Québec pour la même compagnie. Ces témoignages ont mis au jour un système de collusion à Gatineau, où quatre grandes firmes (CIMA +, Dessau, Génivar et Tecsult) partageaient le monopole des contrats, qu’elles s’échangeaient selon un commun accord. Ce témoignage a prouvé que le phénomène n’est pas propre uniquement à la région de Montréal et Laval, mais qu’il est également élargi à toute la Province. La première semaine d’audiences de la Commission s’est conclue sur le témoignage du Sergent-enquêteur de la Sûreté du Québec, Alain Belleau, qui a, quant à lui, évoqué la question des motards criminalisés, les «Hells Angel», et leur infiltration dans l’économie légale. Cette semaine, la Commission entendra à ce sujet une série de témoignages supplémentaires. Toutefois, les audiences ne seront pas comme à l’habitude diffusées publiquement, car le Directeur de poursuites criminelles et pénales (DPCP)
a obtenu une ordonnance de non-publication. La fin des travaux de la Commission avait été initialement prévue pour le 19 octobre 2013, d’après le décret gouvernemental du 9 novembre 2011 qui explique le mandat de la Commission. Mais le gouvernement du Québec a accepté la prolongation de 18 mois de ce mandat, soit jusqu’au 19 avril 2015. Entre-temps, un rapport d’étape devrait être présenté vers la fin de l’année 2013. [
Romain Hainaut
Actualités
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POLITIQUE MONTRÉALAISE
Des idées sur les murs Une démocratie participative dans le quartier des spectacles Chloé Roset
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u 4 septembre au 4 novembre, les Montréalais se réapproprient l’espace public. En plein cœur du quartier des spectacles, l’installation «Mégaphone» offre aux citoyens une expérience multisensorielle où chacun est invité à prendre la parole pour mieux penser ensemble au Montréal de demain. Du mercredi au samedi, la Promenade des Artistes se transforme en un espace de démocratie participative, s’inscrivant ainsi dans la continuité des «assemblés populaires» qui se tenaient à Montréal dans la première moitié du 20eme siècle. Grâce à une technologie basée sur la reconnaissance vocale, le mégaphone ne fait pas qu’amplifier la voix des orateurs, mais identifie également les mots prononcés et les projette sur la façade du pavillon PrésidentKennedy de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Au fil de la soirée, alors que les interventions s’accumulent, les mots les plus utilisés apparaissent plus gros et les couleurs des murs varient selon les sujets abordés. Chacun des spectateurs est invité à participer à cette œuvre collective et, ainsi, éclaire la Promenade des Artistes d’idées nouvelles pour améliorer le paysage culturel, politique et urbain de demain. Chaque soirée couvre plusieurs thèmes sur des sujets aussi
divers que la place des femmes en politique ou les élections municipales du 3 novembre. Le but étant toujours de remettre la démocratie participative au goût du jour et permettre aux citoyens de s’impliquer dans la vie de la ville en dehors du bureau de vote. L’école Urbania imagine Montréal L’Université du Québec à Montréal s’associe au projet et donne la parole, chaque jeudi soir, aux étudiants de l’école Urbania pour présenter, sur l’ensemble des deux mois, une centaine de propositions afin d’améliorer la vie urbaine montréalaise. Le projet nommé «Imaginer Montréal» a germé pendant l’été. Dix étudiants de l’UQAM issus de dix programmes différents ont travaillé afin de recueillir de nombreuses idées créatives et réalistes. Chaque semaine, le thème varie et le groupe d’étudiants présente une dizaine d’idées sous forme de manifeste afin d’engager le débat sur des thématiques en lien avec l’avenir de la ville. Ils espèrent ainsi que, à l’approche de l’élection des futurs élus municipaux, toutes ces idées novatrices ne tombent pas dans l’oubli. Ces rencontres sont l’occasion pour tous de prendre la parole et de réfléchir à la fonction sociale de la ville à travers dix grands thèmes, dont le design, le développement économique, l’environnement et le développement durable.
Un flot d’idées La première rencontre «Imaginer Montréal» s’est déroulée le jeudi 5 septembre. Le thème abordé portait sur les transports. Après l’intervention des élèves d’Urbania, les spectateurs ont spontanément pris la parole et partagé leurs idées. Anny Schneider, strasbourgeoise immigrée au Québec depuis plus de trente ans, se demande pourquoi nous n’avons toujours pas mis en place un système de tramway qui permettrait de pallier les lacunes du métro et, ainsi, avoir accès plus facilement aux zones encore mal desservies. À la question d’une ville sans voiture, les étudiants d’Urbania expliquent que c’est encore un projet trop irréaliste. Ils offrent cependant deux propositions permettant de limiter l’accès des véhicules au centre-ville. Premièrement, faire de la rue Sainte-Catherine une rue piétonne toute l’année et pas uniquement de manière occasionnelle l’été. Deuxièmement, installer des «péages dynamiques» à l’entrée de la ville afin de dissuader le va-et-vient constant de voitures entre le centre et la banlieue. Le but de ce mégaphone est de réanimer l’intelligence collective, de réinventer «la ville» pour lutter contre l’aliénation et améliorer le quotidien montréalais. Des Bixis d’hiver aux jeux collectifs dans les abribus pour créer du lien social comme proposent les élèves d’Urbania, toutes les idées sont les bienvenues. Christopher M. Gutierrez, professeur
Camille Chabrol
en Communication à l’Université McGill explique l’importance de s’impliquer dans la vie quotidienne de nos villes. Il dit qu’il est difficile pour un citoyen d’influencer de manière concrète les choix faits au niveau provincial ou national alors qu’il est plus facile pour celui-ci d’exprimer sa voix au niveau urbain. Pour cette raison il explique qu’«améliorer nos villes est ce qui fera du monde un monde meilleur». [
Priorité aux voitures
L’étalement urbain favorisé au détriment des transports collectifs. Aurelie Garnier
J
eudi midi le 5 septembre étaient rassemblés, à la Maison du Développement Durable, experts et journalistes pour discuter du déséquilibre du système de financement des transports au Québec. La table ronde, mise en place par l’organisation Vivre en Ville, avait comme thème «Règles de financement en transport: l’étalement urbain subventionné, les transports collectifs freiné ». Le nouveau bilan de Vivre en Ville constate qu’au Québec, les municipalités préfèrent poursuivre le développement de systèmes d’autoroutes plutôt que de mettre en place et de favoriser les réseaux de transport en commun. À la table étaient invités Christian Savard, directeur général de Vivre en Ville, François Cardinal, éditorialiste à La Presse, Gérard Beaudet, professeur à l’Institut d’urbanisme de l’Université de Montréal ainsi que l’économiste JeanPierre Lessard. À l’origine de ce phénomèn : la mise en place de la Reforme Ryan en 1992. Cette dernière avait pour but la révision du partage des responsabilités du financement des transports. La réforme stipulait que l’État était responsable à 100% des grands déplacements interurbains, et donc de la construction et de l’entretien des autoroutes. Les municipalités quant à elles devaient se charger des petits déplacements au niveau local, et devaient assumer financièrement au moins 50% des dépenses liées à la mise en place des transports collectifs. Le problème avec cette réforme est que les autoroutes sont tout aussi utilisées lors de déplacements quotidiens et interurbains. Depuis, il est donc plus profitable pour les municipalités de tirer parti du réseau rou-
6 Actualités
tier supérieur plutôt que de développer un système de transports en commun urbain. Selon Christian Savard, la première conséquence du déséquilibre des règles de financement en transport est l’étalement urbain, et donc le développement de banlieues en périphérie des centres urbains. S’en suivent une série de problèmes, tels que le développement de villes axées sur la mobilité automobile, qui rend les citoyens dépendants de leurs voitures, et qui complique leurs déplacements quotidiens. De sérieux impacts négatifs sur l’environnement sont aussi générés en raison de la pollution causée par tant de déplacements automobiles. Quant aux solutions, il faudrait, d’après lui, d’abord réaffirmer le rôle majeur de l’état dans le leadership du transport en commun et son financement, cesser l’augmentation de la capacité routière, et imposer des coûts aux municipalités, promoteurs, commerces ou navetteurs qui profitent du subventionnement des autoroutes. François Cardinal insiste quant à lui sur le fait que le problème vient surtout de l’hypocrisie fiscale du gouvernement, et du décalage entre les intentions et les pratiques du gouvernement Québécois. Il propose comme solution la mise en place d’un système de péage, pour tarifer les passages sur l’autoroute afin de les limiter et décourager les citoyens d’aller s’installer hors de la ville. Jean-Pierre Lessard, dans son étude sur le transport en commun, souligne le fait que, paradoxalement, non seulement les transports en commun diminuent la congestion routière et ses coûts, et sont bénéfiques pour l’environnement, mais qu’ils produisent aussi 2.6 fois plus de
Camille Chabrol
valeur ajoutée que l’usage de l’automobile, créant environ 1.2 milliard de dollars en valeur ajoutée, et plus de 14 000 nouveaux emplois par an. D’après lui, afin de favoriser les transports collectifs, il est nécessaire d’avoir non seulement un gouvernement efficace et capable de financement, mais aussi d’avoir des transports modernes, performants, et donc attrayants. Le Délit a demandé à Joël Thibert, professeur en urbanisme à McGill, son point de vue sur le sujet. Il insiste lui aussi sur les conséquences indirectes liées à l’étalement urbain, qui sont plus difficiles à mesurer bien que toutes aussi importantes. Il parle du phénomène de ségrégation socio-économique et ethnique, de désolidarisation des habitants des banlieues face à des problèmes considérés plus urbain » tels que la pauvreté ou l’itinérance, et bien sur la sédentarisation des populations dé-
pendantes de l’automobile qui résulte en l’augmentation des taux d’obésité et autres maladies. Selon lui, afin de lutter contre cette tendance, il est nécessaire de bien définir et mesurer ce qu’est l’étalement urbain. Il conseille ensuite de prioriser le développement de la ville sur elle-même, et comme François Cardinal, il voit les péages et autres systèmes de tarification comme le meilleur moyen de lutter contre l’éparpillement urbain. M.Thibert nous explique que si la plupart des étudiants habitent déjà en centreville pour leurs études, c’est au moment où nous voudrons devenir propriétaires, et donc serons confrontés au choix de vivre en ville ou non, que nous pourrons réaffirmer notre choix d’y résider. Les étudiants peuvent donc avoir un véritable impact sur l’étalement urbain et la valorisation des transports en commun. [
[ le délit · le mardi 10 septembre 2013 · delitfrancais.com
OPINION
La charte de la discrimination Michaël Lessard
E
n 1763, la Couronne britannique introduisait le serment du Test au Québec. Afin d’accéder à la fonction publique, le Canadien français devait renier sa foi catholique. Il y a des peuples qui reproduisent les souffrances qu’on leur a fait endurer. Le gouvernement péquiste dépose cet automne son projet de Charte des valeurs québécoises. Si ce projet de loi est adopté, l’accès à la fonction publique sera refusé aux individus portant des signes religieux. La société québécoise reproduirait ainsi les mêmes effets que le serment du Test. Elle créerait deux classes de citoyens, discréditant celui qui souhaite vivre sa religion. Parce qu’il faut se l’avouer, un bon nombre de ces immigrants, qui semblent problématiques pour notre gouvernement, ne retireront pas leurs signes religieux. Ils ont fui la discrimination religieuse de leur pays d’origine : le juif d’Europe, le sikh d’Inde ou la musulmane de Turquie. Ils habitent le Québec
pour vivre leur religion, une liberté qu’ils n’avaient pas antérieurement. Le juif ne retirera pas sa kippa, le sikh son turban ou la musulmane, son voile. On n’enlève pas si facilement une part de son identité. Ils devront donc quitter leur emploi. Une belle épuration de la fonction publique québécoise. Curieuse façon de bâtir un pays. Face à des hommes croyants refusant de discuter avec une policière simplement parce qu’elle est une femme, le public québécois s’estvindigné, et avec raison. Or, il propose maintenant de systématiser l’intolérance sur le plan religieux. On refusera l’intervention d’un policier portant une kippa parce que la liberté de religion a pris le bord avec le rejet du catholicisme lors de la Révolution tranquille. Comme l’indiquaient Gérard Bouchard et Charles Taylor dans leur rapport «Fonder l’avenir : Le temps de la conciliation» (2008), «le danger, c’est de retourner contre l’ensemble des religions le sentiment d’hostilité hérité du passé catholique.» Dans une société libre et démocratique, l’État représente la collectivité, une
pluralité d’individus. L’État doit permettre au citoyen de vivre en liberté plutôt que de lui imposer sa vision. Au regard de la religion, l’État doit se positionner en neutralité, comme agnostique, en respectant la diversité des croyances avec égalité. Il doit être un exemple de tolérance. Pour un État, engager un secrétaire portant une kippa pour sa compétence, c’est prouver son engagement à un des principes fondamentaux de la démocratie : l’acceptation de tous comme égaux. L’État est une pluralité d’individus avec leurs propres opinions. Il doit se représenter comme tel. La face de l’État s’homogénéise, se stérilise quand l’on renvoie une technicienne de laboratoire et une releveuse de compte d’Hydro-Québee parce qu’elles portent le voile. La fonction publique serait affectée en profondeur en rejetant ces croyants. Pourtant, une éducatrice de CPE portant un voile, un professeur portant une kippa ou un éboueur portant une croix représentent la réalité sociale du Québec. Leur contact avec le public a le potentiel de renforcer l’ouverture d’esprit de notre population; cela, seulement,
si le gouvernement actuel n’impose pas sa propre croyance selon laquelle toute religion visible est une maladie. Ce gouvernement s’illustre comme un exemple d’intolérance. En plus de brimer l’individu, le Parti Québécois croit-il vraiment qu’il s’attaquera, ne serait-ce qu’à un seul des enjeux concernant l’inégalité hommefemme propre à certaines cultures religieuses via cette nouvelle Charte? À ce niveau-là, il s’agira d’une mesure superficielle qui balayera, avec le reste de la poussière, le voile de la musulmane sous le tapis. Plutôt que d’aider ces femmes , parfois obligées par leur famille à porter le voile, le Parti Québécois propose simplement d’ignorer l’existence de femmes voilées, de les ostraciser, brimant par la bande la liberté de réelles croyantes. Au final, le Parti Québécois propose un réel rejet des valeurs québécoises. Un rejet de la liberté de religion cristallisée dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Espérons que le Parti Québécois, comme à son habitude, va reculer. [
L’écriture vous intéresse ? Envie d’une expérience en journalisme ? Un thème de l’actualité vous interpelle ? Écrivez pour Le Délit ! Toute participation est acceptée;; aucune expérience journalistique nécessaire. Envoyez un message à rec@delitfrancais.com pour plus de détails, ou passez au bureau B-24 du bâtiment de l’AÉUM le lundi pour rencontrer l’équipe éditoriale!
[ le délit · le mardi 10 septembre 2013 · delitfrancais.com
Actualités
7
Votre équip Camille, notre nouvelle rédac-
Benjamin du Délit, mais non
trice en chef! Étudiante en scien-
moins important, Théo Bourgery
ces politiques et en développe-
accède au poste de coordonateur
ment international, elle termine
de production après seulement six
sa dernière année à McGill. De
mois au poste de secrétaire de ré-
retour d’un échange en Argentine,
daction actualité. Malgré son em-
elle n’a pas peur des défis. Calme
ploi du temps chargé de deuxième
et discrète, remplie d’initiatives, de
année en sociologie, il reste bien
surprises et d’une belle énergie,
souvent au bureau jusqu’au petit
l’équipe du Délit t’aime !
matin.
Camille Chabrol est la photo-
Claire Launay est coordinatrice
graphe officielle du Délit Français et
de la correction. Cette étudiante en U3
notre sponsor officiel de fous rires
d’études est-asiatiques et sciences poli-
depuis le semestre dernier. Elle
tiques n’a pas qu’une bonne connais-
est partout pour tout couvrir, en
sance de la langue française: elle pos-
tous temps. Jeunes photographes,
sède une playlist illimitée qui se révèle
aidez-la un peu et envoyez vos ti-
être très utile lors des soirées de pro-
rages au Délit !
duction. Attention, ses goûts musicaux se détériorent parfois à mesure que les heures passent !
Joseph Boju, en plus d’être
Mathilde Michaud est notre
secrétaire de la section Arts et
nouvelle coordonnatrice de ré-
Culture, n’est pas un élève com-
seaux sociaux! Membre du Délit
me les autres: il chante, il danse,
Français depuis l’année dernière,
il joue de la guitare! Et il a l’esprit
c’est depuis les bancs de l’UQAM,
de contradiction, il a quitté sa belle
en baccalauréat d’histoire, qu’elle
France pour étudier la littérature
continue à participer activement à
française dans une université an-
la vie du journal!
glophone. Oups!
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[ le délit · le mardi 10 septembre 2013 · delitfrancais.com
pe du délit
Notre seul et unique illustrateur est
Thomas Simonneau est un vrai chef
Sophie Blais surprend le «tout-McGill» par
un artiste aux multiples talents, tout droit
de section Arts et Culture: pour aller le
son énergie et sa bonne humeur. Sophie est «in de
venu de l’école de musique de McGill:
plus loin possible dans son poste, il est prêt
chez in»: double spécialisation en développement
dessinateur, graphiste, musicien et pro-
à partir un peu plus tôt afin d’assister à des
international et sciences politiques, on ne fait rien
ducteur, il nous surprend chaque semaine
événements culturels tard dans la nuit. À
de mieux sur le campus des Arts. Ajoutons à cela
par sa créativité et son humour discret.
part ça, il est étudiant en troisième année
qu’elle est productrice des nouvelles à TVMcGill.
en architecture à McGill!
What else? Ah oui, elle est secrétaire de la section Actualités au Délit.
Alexandra Nadeau est de retour
Secrétaire de la section Arts
cette année en tant que chef de section
et Culture l’année dernière, Anne
Actualités, après avoir passé un semestre
Pouzargues est désormais coor-
en échange a Buenos Aires. Étudiante
donnatrice
en géographie, elle est toujours à la re-
Étudiante en maîtrise en littératu-
cherche d’expériences nouvelles, que ce
re française, elle nous éclaire par sa
soit en matière d’engagement social ou
sagesse et sa connaissance aiguisée
d’amélioration de ses pas de danse - les
de la langue française. [
de
la
correction.
mardi soirs vous pouvez la trouver sur la piste en train de Jiver a l’Abreuvoir!
Camille Chabrol
Société
9
Société societe@delitfrancais.com
Seconde vie pour la presse écrite Quand Darwin s’attaque à la pige. Thomas Simonneau & Théo Bourgery Le Délit
U
n papier de la bibliothèque de SciencesPo Paris intitulé «Quel avenir pour le journalisme: crise structurelle ou évolution de la profession?» paru en juin 2004 parlait déjà d’une «société de l’information où la communication se trouve au centre de toutes les stratégies [et où] les médias et leurs agents sont de plus en plus l’objet de violentes contestations». Inutile de préciser qu’une décennie plus tard, cette évolution est bel et bien au cœur de l’actualité, sans vilain jeu de mots. Dans un univers médiatique de plus en plus diversifié et transparent, constamment remis en question et critiqué, la crise du journalisme n’est pas un mythe. Au contraire, elle est plus que jamais concrète et présente dans nos esprits, qu’on le veuille ou non. Explications. Une crise structurelle majeure Avec un taux de licenciements de l’ordre de 10 à 15% chaque année dans les pays occidentaux, une disparition accélérée des titres de presse et une diminution des ressources publicitaires partiellement liée à la crise économique mondiale, mais aussi au développement d’Internet, le journalisme a subi une crise conjoncturelle au début du 20ème siècle. S’en est suivi une crise structurelle qui remettait en cause son avenir financier mais aussi utilitaire, identitaire, voire existentiel. Effectivement, la question se pose de savoir s’il est encore viable de payer pour une presse écrite dans une société numérisée où le prix du papier est en augmentation constante. Qui prendra le temps demain de lire son journal matinal alors que nous sommes confrontés sans arrêt à une information gratuite et facile? Cette évolution est pourtant à relativiser car elle tend vers la notion d’ «infobésité», pour utiliser les termes du jargon journalistique. Notion qui possède de nombreuses limites, notamment vis-à-vis de la qualité de l’information et la capacité à évaluer son contexte. Chaque individu a, semble-t-il, plus intérêt à développer une aptitude à traiter l’information et à la classer ainsi qu’une capacité d’analyse pour être «bien informé». Une profession qui se métamorphose Ces changements impliquent aussi un véritable bousculement dans la pratique de la profession en tant que telle. Le journaliste d’aujourd’hui n’est plus ce qu’il était il y a 5, 10 ou 15 ans. Désormais, le journaliste, «manipulateur-manipulé, dispose-t-il encore du pouvoir dont on le crédite? Participe-t-il à cette fabrication de l’opinion où tous les sujets sont passés au tamis du système médiatique»? Ces interrogations sont relevées par la même analyse menée à SciencesPo; elle mérite toute notre attention. Le rôle du journaliste est, en effet, de plus en plus ambigu et contradictoire, car
ce dernier est aussi devenu informateur(sur)informé, contestateur-(sur)contesté. L’avènement des nouvelles technologies n’y est pas pour rien dans cette restructuration du métier. La transparence de l’information insufflée par Internet, notamment mise en lumière par les scandales de WikiLeaks, Prism ou par l’affaire Cahuzac, rend la profession plus vulnérable, plus difficile mais aussi plus libre et solidaire. De nouvelles figures se sont également imposées dans ce contexte révolutionnaire. Parmi elles, citons les exemples du journaliste-citoyen, actif sur les sites d’information participatifs, sur ses blogs et autres supports. L’homme-média, présent sur les réseaux sociaux, conséquence du monde contemporain, exerce quant à lui une certaine influence sur l’avenir de la profession. Effectivement, c’est par le biais de l’apparition de ce genre de phénomène que l’on comprend que le journaliste n’a plus le monopole de l’information, que son pouvoir est diminué et qu’il est constamment appelé à s’adapter. En conclusion, le rôle de «contre-pouvoir», de «cinquième pouvoir» historiquement attribué à la presse, est contrebalancé par une armée de cyber-citoyens qui dirigent l’information et le débat public. Les temps du journaliste à la barbe de trois jours, attablé sur son bureau avec sa machine à écrire, son café et une cigarette sont donc bel et bien révolus. Le journaliste «2.0» est en pleine mutation, constamment devant son écran d’ordinateur ou de téléphone intelligent et n’ayant presque plus le temps de se poser pour écrire. Son rôle est altéré, son pouvoir minimisé, son identité malmenée. Cela dit, la crise du journalisme n’appelle certainement pas à une disparition de la profession mais bien à une adaptation. Comme évoqué précédemment mais dans le cas des «journalistes-citoyens», le journaliste professionnel devra accroître sa capacité à traiter l’information, à l’analyser et à la vérifier plus qu’à produire un article dynamique et revendicateur. Une situation intéressante où le producteur et le consommateur sont de plus en plus similaires et liés. L’adaptation se dessine également au niveau du médium avec lequel le journaliste travaille désormais. En effet, le web constitue en soi une base de données gigantesque que tout le monde peut consulter quand bon lui semble. L’écriture journalistique s’oriente de plus en plus vers son allié: la prose littéraire. Les articles contemporains sont alors davantage tournés vers un aspect analytique plus qu’une simple exposition des faits. Un avenir prometteur Sur une note plus optimiste, cette crise semble faire tendre le journalisme vers une information plus objective, moins influencée par les conflits d’intérêts qui pullulent dans les grands groupes médiatiques. Nous devrions ainsi assister à un modèle journalistique plus participatif et
riche qui pousserait chacun à développer une réflexion personnelle vis-à-vis des événements qui façonnent notre monde. Ce n’est donc pas une nouvelle page qui se tourne dans l’histoire du journalisme mais une histoire qui ne fait que commencer. Le journalisme a de beaux jours devant lui, semé d’embuches, de tragédies et de soucis, comme à son habitude. Presse écrite, tout n’est pas perdu Fini le temps des gavroches, un tas de journaux sous le coude, criant à qui veut l’entendre la une de la journée. Fini le temps des quotidiens lancés aux aurores sur le seuil des maisons. La presse écrite, outil démocratique des plus puissants depuis l’invention de l’imprimerie, semble aujourd’hui perdre son aura d’antan. Depuis Internet, qui offre à la planète entière un accès à l’information varié et instantané, la feuille de papier tombe en pleine désuétude. Au point que son existence même est aujourd’hui remise en question. «S’adapter ou disparaître» Les journalistes de la prose doivent-ils donc vraiment s’inquiéter? Selon beaucoup d’entre eux, il existe un, voire des, moyens pour développer une presse 2.0, qui soit non seulement témoin, mais aussi acteur de ce tournant numérique hors-norme. Il est avant tout dans l’intérêt de tout journaliste d’accepter l’existence de la toile, et de «jouer son jeu» plutôt que de le subir comme la perte de toute une culture journalistique. Comme le lançait la jeunesse française de Mai 68, «cours, camarade, le vieux monde est derrière toi». En d’autres termes, ne pas s’attarder sur ce qui est en phase de disparaître, pour mieux adopter ce qui arrive. Une telle notion, Médiapart l’a comprise. Né en mars 2008 de la plume d’Edwy Plenel (ancien journaliste au grand quotidien français Le Monde), reconnu pour son travail d’investigation qui lui fit découvrir, entre autres, le scandale des Rainbow Warriors, le quotidien Médiapart n’existe que sur Internet. Pas question d’y rajouter une version papier, qui n’est plus rentable depuis longtemps. Pour le rédacteur en chef lui-même lors d’une entrevue en 2010, il s’agit de créer «un journal de référence» ainsi que «participatif», qui permette donc aux internautes de discuter des sujets d’actualité, voire d’en offrir une approche nouvelle. Il s’agit donc là de détruire le monopole qu’avaient les journalistes sur les lecteurs, pour que l’information devienne sujet à l’échange et puisse représenter «le peuple, ainsi que la démocratie». Moins de publicités pour plus d’indépendance Selon le Manifeste XXI, publié par le journal du même nom en janvier dernier, la presse écrite de la nouvelle ère «n’est ni une transposition, ni une transmutation, c’est un autre média». Qui commence par un organe plus indépendant. Les plus grands journaux, du New York Times au Monde en
passant par El Pais, ont depuis toujours eu recours à des campagnes publicitaires pour garder leurs comptes à flot. Imaginez alors les conflits d’intérêt et les censures que certains de ces quotidiens ont dû mettre en place, afin de respecter les conditions des sociétés qui les finançaient. Aujourd’hui, Internet permet aux journaux virtuels de ne survivre qu’avec les abonnements de leurs lecteurs; des coûts fixes bien moindres – l’impression n’étant qu’un mauvais souvenir – donc une baisse considérable des revenus nécessaires. À la clef: une indépendance totale, le «sceau de [l’]authenticité», dixit Manifeste XXI. Médiapart a fait bon usage de ses mains déliées: plusieurs affaires d’État en France – Bettencourt-Woerth, Takieddine, Cahuzac – ont été mises sur la place publique, afin que «ce qui doit être connu des citoyens puisse enfin l’être», d’après Fabrice Arfi, journaliste à Médiapart. D’autres médias participatifs, tels Rue89, n’hésitent pas non plus à user d’une telle liberté pour mettre en avant leur idéal de transparence et de démocratie. Amener l’actualité au lecteur C’est le devoir de tout journaliste d’être prêt à rechercher de nouvelles alternatives afin de survivre à la montée en puissance du tout-électronique. À commencer par percevoir l’écriture journalistique comme un «change[ment] […] de nature», et non juste de support. Il s’agit d’abord de permettre au lecteur de se balader virtuellement sur des sites simples d’utilisation et qui offrent un grand choix d’articles à lire. En d’autres termes, le lecteur a la possibilité de sélectionner les articles qu’il souhaite consulter; si un thème est sans intérêt à ses yeux, il est mis de côté. Il peut donc personnaliser son utilisation du site d’actualités, a contrario du journal papier, qui est amovible peu importe le lecteur. Dans une société plongée dans l’hyper-rapidité, il faut aussi se rappeler que le lecteur n’a pas le temps de chercher les nouvelles du jour. Amenons alors ces nouvelles à lui. Alertes push (sur téléphone intelligent), applications pour que des nouvelles flash apparaissent sur l’écran principal de son ordinateur; tout est mis en œuvre pour que le potentiel intéressé ne perde plus le temps de chercher. Le journal «physique» est aussi fixé dans le temps; impossible d’y faire le moindre changement une fois envoyé à l’imprimeur. Dans le cas de sujets d’actualités dont la valeur temporelle est minime, donc qui peut se développer rapidement, certains articles prennent donc le risque de perdre de leur pertinence. Ce problème, sur un Web en constante motion, disparaît. D’un clic, l’article est mis à jour, remanié, et enfin corrigé si besoin est. Il s’agit donc d’être acteurs d’une révolution copernicienne et encore jamais vue auparavant. Mais pas de panique: ce n’est pas une cause perdue. La presse écrite n’a pas encore dit son dernier mot. [
Arts&Culture artsculture@delitfrancais.com
CINÉMA
Adèle intime
Avec La Vie d’Adèle, Abdellatif Kechiche livre un chef-d’œuvre de cinéma-vérité. Baptiste Rinner
A
dèle a 16 ans. C’est une adolescente de la banlieue de Lille, avec ses lectures, sa bande de potes, ses flirts. Sa vie bascule lorsqu’elle croise le regard d’Emma, une femme envoûtante aux cheveux bleus. S’ensuit une relation amoureuse où Adèle explore ses tendances homosexuelles. Rien de plus banal comme scénario, si ce n’est la nature et la force de la relation entre les deux personnages principaux. Ce film aurait pu passer inaperçu mais c’était sans compter le génie de Kechiche et le formidable travail de ses actrices, Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos. L’intrigue est sans importance, sans rebondissement aucun, sans climax. Il n’y a pas de suspense, le spectateur n’a aucune attente. La force d’Adèle tient en effet plus à ses personnages et à la mise en scène qu’à la narration. Kechiche prend son temps dans ce récit d’apprentissage avec près de trois heures d’images. Il développe dans la longueur un plan de vie de cette belle Adèle qui affronte les doutes de l’adolescence et l’entrée dans le «vrai monde». Chose étonnante, on ne tombe pas dans le cliché du film à thèse ou à morale, il n’y a pas ou peu de visée sociale, pas de vision sociologisante. La Vie d’Adèle est en cela un bijou de mise en scène, misant sur les émo-
tions plus que sur les idées, le jugement. C’est un film où le corps a toute sa place, comme en témoigne les plans rapprochés, très fréquents tout au long du métrage. Ce n’est pas un film sur l’homosexualité; là où la magie opère, c’est que l’on oublie que le couple est un couple lesbien, on croit à la passion qui unit Emma et Adèle, que pourtant tout oppose. Adèle est perdue dans l’univers intello-gay de sa petite amie, elle qui est terre-à-terre et simple. Elle est trop jeune pour être exposée à un tel milieu, encore pleine d’illusions nourries par ses lectures, La Vie de Marianne en premier lieu, le chef-d’oeuvre de Marivaux. La force du film de Kechiche tient dans sa captation du viscéral, d’une réalité des plus rugueuses. En cela, les scènes de sexe sont primordiales. Contrairement à tant de mauvais chick flicks, où «le coït ne peut jamais être montré [alors que] tout tourne autour de lui» selon Adorno, La Vie d’Adèle nous expose à plusieurs scènes très crues, à la limite de la pornographie. Loin d’être scandaleuses, ces scènes donnent une dimension plus vraie à cette relation amoureuse, nous la livre dans toute sa violence, toute sa bestialité. Kechiche ne veut pas flatter son public, il veut faire un grand film. Quitte à faire preuve d’autodérision. C’est un autre aspect d’Adèle qui peut être incompris, la capacité de Kechiche à se moquer de son propre film. Il tire tous les traits, sombre Crédit photo: Camille Chabrol
Crédit photo: Camille Chabrol
souvent dans le cliché (on pense notamment aux discussions soi-disant intellectuelles des vernissages d’Emma, qui sont d’une vacuité sans nom) mais tous cela est en fin de compte très ironique. Au lieu du film d’auteur fantasmique et rasoir de près de trois heures qui multiplie les références intellectuelles - ce à quoi certains
Interview avec Adèle Propos recueillis par Joseph Boju et Baptiste Rinner Le Délit Le Délit: On a beaucoup entendu parler des difficultés de tournage pour ce film, quels ont été, au contraire, les points forts, les points positifs ? Adèle Exarchopoulos: «Il y a eu beaucoup de négatif, mais c’est parce que je me suis rendue compte qu’il ne fallait pas toujours faire confiance aux journalistes, parce que ça a été très amplifié. Le positif, ça a été cette expérience, c’était comme une vraie passion donc il y avait des hauts et des bas, et c’est vrai que j’ai eu une souffrance à un moment qui se retrouve aussi dans la souffrance de mon personnage. Mais le positif réside dans tout ce que l’on a appris, il y avait une liberté que l’on ne retrouve sur aucun autre film. Si j’avais envie de percher une scène où je n’étais pas dedans, Abdel (le réalisateur) me disait «vas-y perche-la!». On avait de la liberté dans le temps, on pouvait tourner une heure. On avait de la liberté dans l’espace: si je devais faire une scène dans un café, et si j’avais envie de me tirer et fumer une clope et d’appeler quelqu’un, la caméra allait me suivre. Et puis bon on a eu une Palme d’Or, c’est positif»!
[le délit · le mardi 10 septembre 2013 · delitfrancais.com
pouvaient s’attendre - Kechiche nous offre un long-métrage sublime et drôle, intelligent et travaillé. C’est un bonheur de se laisser porter par ces images qui méritent leur Palme d’Or, images d’autant plus agréables au vu du charme d’Adèle et Emma, un couple beau dans sa différence, dans sa faiblesse, dans sa vérité. [
LD: C’est pas mal, c’est pas mal en effet. Dans le film, Adèle raffole de pâtes bolognaises, est-ce que c’est véritablement ton plat préféré? AE: «Franchement, ça m’a un peu dégoûté! Mais à la base, ouais». LD: Vous avez fait combien de prises de ces dîners-là? AE : «Au moins trente d’affilée! Je crois que tu ne te rends pas compte. Au début t’es trop content, tu te dis «j’ai pas bouffé de la journée, je me suis réservée un bon creux pour la scène des spaghettis» et puis à la fin, je te jure quand tu en remanges… Et la grande scène où je prépare des briques tunisiennes on l’a faite sur une semaine… Tous les soirs des briques, c’était pfiouuu»! LD: Quels sont tes projets en ce moment? AE: «Alors je vais faire le prochain film de Sara Forestier, qui est une jeune fille qui a joué dans L’Esquive donc qui est de la même école «Kechiche». Du coup je pense qu’on va s’allier toutes les deux et elle a un super beau projet dans lequel j’ai un grand rôle dans le sens où je vais jouer une bègue, donc ça c’est génial». LD: Et elle, elle en pense quoi de Kechiche? AE: «Elle l’aime beaucoup»!
Arts & Culture
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LITTÉRATURE
Un cri désenchanté Reflexion sur Scoops de Christophe de Ponfilly. Côme de Grandmaison Le Délit
E
n 2002, Scoops paraît aux Éditions du Félin. Il s’agit, selon les mots de l’auteur, d’un «coup de gueule romanesque». En effet, dans cet ouvrage, le grand reporter Christophe de Ponfilly, lauréat du Prix Albert Londres, dénonce les rouages du système médiatique. Il montre, de manière lucide, à quel point le sensationnalisme et la course à l’audimat faussent la réalité. Tout commence pendant la guerre du Vietnam, lorsque John Leny, un jeune homme franco-américain, décide de rejoindre ce pays pour rencontrer les grands reporters qui l’inspirent et dont les récits ont peuplé sa jeunesse. Sur place, il réalise que l’on peut diviser ces journalistes en deux espèces très différentes: ceux qui écrivent sans vivre les événements, qui ne font que raconter avec lyrisme les instants qu’on leur rapporte; et les autres, les «allumés», ceux qui vouent un culte à la vérité et qui méprisent leur vie. Parmi eux, Pontiac, un Français désabusé, moqueur, mais si authentique et passionné que Leny s’attache à lui, le suit, et devient son apprenti. Il retiendra notamment cette phrase, qui le suivra toute sa vie: «Le journalisme si ça sert à quelque chose c’est à montrer la réalité. La vérité à poil. Les hommes». Après le Vietnam, Leny enchaîne les reportages pour une grande chaîne américaine, la WWX, avec l’impression croissante de ne pas être à sa place. En effet, on lui demande en permanence de se conformer à ce que montrent les autres chaînes, c’est à dire ce que l’audimat attend. Son chef a ainsi cette phrase, qui résume le cynisme de l’intelligentsia médiatique: «Le bonheur des autres n’intéresse personne. Seules les tragédies passionnent les gens. Le filon est inépuisable». Pour la WWX, Leny parcourt le monde en quête d’images, de témoignages, pour montrer les choses
telles qu’elles sont, et non telles qu’elles devraient être. Seulement la tâche est rude, car son patron lui demande de montrer ce que le public attend, c’est-à-dire ce que les autres reporters proposent. Parfois au prix de leur éthique, comme pour ce journaliste qui paie des enfants en Irlande pour lancer un cocktail Molotov sur une voiture afin d’illustrer la violence du conflit qui déchire le pays. Face à cette malhonnê-
teté intellectuelle, Leny se retrouve bientôt perdu, sa raison d’être l’abandonne. Il va alors tout plaquer, et devenir free-lance: il pense ainsi pouvoir gagner en liberté, travailler sans se compromettre et être enfin la voix de ceux qui n’en ont plus. Mais une fois encore il se trouve soumis à la loi de la demande, car aucune télévision n’accepte de diffuser ses images, ou au prix de coupures au montage. Dégouté, Leny aban-
Bastien Bernard
donne finalement ses illusions, ses idéaux, et décide de terminer sa carrière dans une apothéose cynique, mais tristement crédible. Il choisit de prendre la WWX à son propre piège, tout en montrant au monde entier la puissance destructrice des médias. Il va monter une série de faux reportages, de plus en plus incroyables, de plus en plus violents, de plus en plus crus, et de moins en moins vrais.Jusqu’à ce que la vérité explose. Ce livre est une critique aboutie et documentée du monde de l’information, et si nous ne pouvons pas nous identifier au héros, nous partageons au moins ses doutes, ses aspirations, et ses réflexions. Dans la jungle vietnamienne, Leny est rempli d’une étrange impression de solitude. Au fil du livre, l’étrangeté ne vient plus de la peur d’être tué, mais de celle de se mentir. La question se pose. Comment être vrai, fidèle à ses idéaux et ses principes, dans un monde qui ne réclame que l’efficacité, le superficiel? Comment parler des hommes qui souffrent quand ceux qui pourraient les aider n’en ont cure? À travers ces questions, Christophe de Ponfilly nous amène à réfléchir à la manière dont notre société fonctionne. Car si les médias sont montrés sous un jour si mauvais, il ne faut pas oublier que c’est parce qu’ils cherchent justement à séduire leurs auditeurs. Cette logique est biaisée, car le grand reportage n’est pas un bien comme les autres, il n’est pas une offre qui doit s’adapter à la demande globale. Au contraire, le grand reportage doit asséner la vérité, quelle qu’elle soit, et ne pas se compromettre. Les derniers mots du livre expliquent comment la société, en se croyant informée, est en fait manipulée, et ce pour son plus grand plaisir: Il faudrait écrire un texte de réflexion sur la dégradation du métier de journaliste et les dangers que les médias font actuellement courir aux sociétés qui pensent être éclairées sur le monde qui les entoure. [
CHRONIQUE
«Ceci tuera-t-il cela?» Chronique du temps qu’il fait.
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NOUS SOMMES À MANHATTAN, EN mai 2013. Dans la rame de métro où je lis le Voyage, il devient difficile de ne pas les remarquer. Ils sont partout. À force de calculs très savants, j’en arrive au ratio suivant: deux kindles pour un livre sur la ligne F, entre 7h30 et 8h le matin, 7h30 et 8h le soir. Cela doit être l’effet mégalopole. Alors je méprise et j’exècre tout autour de moi, c’est assez viscéral comme réaction. Faut-il que la forme épouse le fond? Si l’on révolutionne le mariage en France, pourquoi pas l’industrie du livre non plus? Je suis réactionnaire si je me cramponne au livre. Il me faudrait les résultats d’une étude sérieuse prouvant que la lecture sur ebook abîme la rétine, ou mieux, qu’elle procure moins de plaisir que celle
Arts & Culture
d’un véritable bouquin. «C’est pratique, je stocke ici toute ma bibliothèque». Bim. Je me demande quels sont les moines copistes qui ont protesté lorsque l’imprimerie s’est imposée au XVe siècle? «Après tout, dans un monde de plus en plus globalisé, on ne fait que faciliter la tâche, on avance de plus en plus vite tout en essayant d’obtenir le meilleur rendement» (phrase à prononcer niaisement de préférence). Or, la littérature n’est pas utile. La rationaliser est contre productif, antinomique. Un livre n’est pas un actif potentiel. Et comme il ne faut rien faire à moitié je propose que l’on élargisse les champs de lutte, que les hommes réapprennent à écrire à la main. Fermez les écoles, tous à la copie, tous au monastère! «Stop and smell the roses». Proverbe
anglais à prendre au pied de la lettre. Le Kindle, comme son père l’Argent, n’a pas d’odeur. Vive le sens donc, vive l’odorat! Et puis, il serait vain de vous servir un discours apocalyptique. L’homme typographique est loin d’avoir écrit son dernier mot. D’ailleurs, on entend parler de «Mort du livre» depuis Memex, le terminator envoyé dans notre monde en 1945 (c’est-à-dire le premier livre électronique). La mort n’arrive pourtant qu’une fois, bien qu’elle se fasse sentir à tous les moments de la vie; «il est plus dur de l’appréhender que de la souffrir». Enfin, on dira pour l’embarrasser cette fameuse mort, que le texte numérique complète, mais ne substitue pas. Le livre à la vie devant lui, toutes les promesses de l’aube aux doigts de roses, les racines du ciel et j’en passe. [
[ le délit · le mardi 10 septembre 2013 · delitfrancais.com
MUSIQUE
«103»
Interview avec Blasé, producteur de hip-hop et étudiant à McGill. Julien Perthuis
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lasé est un producteur de hip-hop et de musique électronique français. Après avoir grandi à New York, il intègre la Faculté de musique de l’Université McGill. Le 24 mars 2013, il sort sa première mixtape réunissant nombre de rappeurs de son entourage. Le 28 août dernier, il publie le premier clip vidéo issu du projet. C’est le titre «103» qu’il a mis en image. Nous nous sommes penchés avec lui sur tout cela.
Ils ont écrit les paroles et ont enregistré, ils m’ont renvoyé le tout et je l’ai mixé. Je trouve que c’est un des titres les plus forts du projet et j’en suis content». Le Délit: Pour ce clip, tu as collaboré avec un autre artiste, le cinéaste Axel de Chaunac. Comment vous êtes-vous rencontrés? Blasé: «Il a un an de plus que moi, il est jeune et super doué, je l’ai rencontré dans mon lycée aussi».
Le Délit: Quelle impression avez-vous voulu transmettre à travers le clip? Blasé: «On a choisi le titre un peu par hasard. Quand je produis des instrumentals, je les intitule au hasard. Normalement, les artistes qui les prennent les renomment. J’avais mis «103» au hasard mais Ioan et Prime l’ont interprété en termes de température et ils ont écrit un texte en jouant avec le thème de la chaleur. On a donc voulu représenter cela dans le clip,
Blasé: «Je suis un producteur de hip-hop connu sous le nom de Blasé. La plupart des sons que je produis sont hiphop avec une influence plutôt musique électronique. J’ai commencé en jouant du saxophone vers l’âge de onze ans, puis je me suis mis à la guitare avant de découvrir la production sur ordinateur et c’est à partir de là que j’ai commencé à créer de la musique. Je me suis ensuite familiarisé avec le hip-hop parce que c’était un style que je ne connaissais pas trop mais que j’aimais bien écouter».
Blasé: «Au départ, l’idée n’était pas de clipper ce titre-là, mais plutôt «Me And You», le seul titre qui incluait tous les participants de la mixtape. On voulait faire un beau clip avec tout le monde mais on n’a malheureusement pas pu organiser cela. On a donc filmé «103» avec Ioan et Prime qui étaient tous les deux disponibles. C’est un de mes morceaux préférés de la mixtape et ça a donné un bon résultat».
Le Délit: Peux-tu éclaircir le sens des paroles qui introduisent le clip? Blasé: «Elles sont extraites d’un poème de Henry Lawson intitulé «103». Il est inspiré des jours que le poète a passé en prison. Son numéro de prisonnier était 103. J’en ai coupé un morceau et je l’ai mis au début du clip. Il dit «Keep step 103». Il y a le thème de la persévérance et de la motivation, il ne faut jamais abandonner, même en prison. On continue toujours et on ne s’arrête jamais. C’est un peu l’idée qu’on a avec les rappeurs avec qui j’ai travaillé. On continuera toujours à faire du son, on est dans notre élan».
Le Délit: Pourrais-tu te présenter et nous décrire ton parcours musical?
Le Délit: Tu as récemment publié sur Internet le clip vidéo de «103», extrait de ta première mixtape, «Bad Wake Up», où apparaissent notamment les deux rappeurs Prime et Ioan Delice. Pourquoi avoir choisi ce titre en particulier?
clips de rap, qui se trémousse et tout… Mais Axel est quelqu’un d’assez mystérieux, il joue pas mal avec les images de religion, les crânes, les incantations… Du coup on s’est dit qu’on allait faire quelque chose d’un peu plus sombre et original. On a voulu lui faire faire des incantations mais on a pas gardé ces images et on a juste des zooms un peu intrigants sur son visage».
Le Délit: Qu’aimerais-tu dire à tous ceux qui lisent cette interview et regarderont peutêtre ton clip? Blasé: «Faites tourner si ça vous plaît et attendez-vous à entendre du nouveau bientôt parce qu’on s’arrête pas». Axel de Chaunac
Le Délit: Comment vous êtes-vous organisé pour donner vie à ce clip? On te sait également dessinateur et graphiste, quelle fut ta contribution à la réalisation de la vidéo en soi? Blasé: «Le directeur, c’est Axel, c’est lui qui a tout pris en main, il a filmé, fait l’édition… Je l’ai un peu conseillé dans la direction artistique. Je lui disais ce qui me plaisait ou pas, les idées de base venaient de lui».
c’est pour ça qu’on a des images de lave qui reviennent. Mais il y a aussi des images froides et sensuelles avec la fille qui apparaît. On a voulu faire quelque chose d’agressif car les raps sont énergétiques». Le Délit: Justement, la jeune fille qui apparaît à plusieurs reprises à l’écran est assez énigmatique. Pourquoi lui avoir donné ce rôle? Blasé: «Ça s’est fait un peu sur le moment. Au départ, on cherchait une fille pour faire un peu comme dans tous les
Le Délit: Quels sont tes futurs projets musicaux? Blasé: «J’ai des collaborations en cours avec plusieurs rappeurs, avec des gens de Montréal. Sinon, je travaille avec une chanteuse sur un autre projet mais ça ne va pas sortir avant un bout de temps parce qu›on essaie de faire un truc vraiment abouti. C›est différent, pas trop dans le style hip-hop. C’est plutôt de la chanson, mais c’est avec une fille qui compose super bien et qui a une voix magnifique». [
Le Délit: Le titre est très rap, tu as clairement des influences boom-bap. Comment t’es venu cet intérêt pour le hip-hop? Blasé: «J’ai commencé en écoutant Eminem, tout le monde a écouté un peu d’Eminem dans sa vie, jai tout de suite accroché, il y a eu une période où je n’écoutais quasiment que ça. J’ai ensuite découvert d’autres choses, et notamment DJ Premier, sans doute ma plus grande influence, mon producteur préféré. C’est un des pionniers du boom-bap. J’ai beaucoup pensé à lui en faisant les titres de ce projet». Le Délit: Peux-tu nous en dire un peu plus sur ta collaboration avec ces deux rappeurs? Blasé: «Ioan et Prime sont basés à New York, moi à Montréal. Ioan était dans ma classe au Lycée Français de New York, c’est comme ça que je l’ai connu, et Prime est son cousin. J’ai invité sur ma mixtape tous les rappeurs que je connaissais et qui étaient assez bons. Ils sont tous les deux talentueux c’est pour ça qu’ils ont naturellement participé. Ça s’est fait sur Internet, je leur ai envoyé l’instrumental et ils m’ont dit qu’ils voulaient faire un titre avec ça.
[ le délit · le mardi 10 septembre 2013 · delitfrancais.com
Axel de Chaunac
Arts & Culture
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ARTS VISUELS
Un rendez-vous sensoriel Chihuly : un univers à couper le souffle. Daisy de Montjoye
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ale Chihuly est un sculpteur de verre américain actuellement exposé au Musée des Beaux Arts de Montréal (MBAM). Né en 1941 dans l’état du Washington, Chihuly a acquis une renommée internationale dans les années 1960 grâce à ses magnifiques sculptures de verre. Après avoir développé ses techniques à la Rhode Island School of Design (RISD), ainsi que dans une usine de fabrication de verre à Venise, Chihuly a poussé les limites de la sculpture de verre en créant des œuvres gigantesques. Le verre étant un matériau extrêmement fragile et difficile à manier, les compositions extravagantes de l’artiste et leurs formes subtiles et raffinées semblent presque irréelles. En 1971, Chihuly participe à la fondation de la Pilchuck Glass School à Washington, et il a même établi un programme centré sur le verre dans son ancienne école, RISD. Considéré comme le Tiffany de notre époque, ses œuvres sont exposées partout dans le monde. Un monde hypnotisant Son exposition au MBAM est une vraie expérience visuelle et sensorielle. Il y présente huit environnements immersifs (dont quatre ont été créés pour le site d’exposition même), et la visite est rapide et intense. Chihuly nous invite à entrer dans son univers avant même l'entrée au musée: une œuvre monumentale est en effet placée devant le bâtiment sur la rue Sherbrooke. L’exposition en elle-même se trouve dans le pavillon Hornstein, de l’autre coté de la rue, auquel on accède en passant par le souterrain. Avant même le début de la visite, tout semble majestueux, notamment grâce aux grands escaliers et la colonnade du péristyle ornée de gigantesques disques de fleurs en verre. En haut des marches, on peut admirer son œuvre Roseaux Turquoises, composée de près de 200 morceaux de verre d’un turquoise vif et pur, taillés comme des lances et plantés dans des troncs d’arbres.
Enfin face à l’exposition même, on est automatiquement hypnotisé, les yeux tournés vers le ciel, fixant le Plafond Persan formé d’une multitude de pièces de verre coloré placées sur un faux plafond transparent. La salle s'en retrouve subtilement éclairée de toutes les couleurs d’un arc-en-ciel et nous laisse bouche bée. Les salles suivantes sont bien plus sombres, afin de mettre encore plus en valeur les couleurs des sculptures. L’atmosphère est bel et bien à couper le souffle. L’éclairage fait ressortir les ombres des sculptures qui s’étendent sur les murs, ajoutant un effet dramatique à l’exposition. L’œuvre Tours et les lustres nous fait comprendre les difficultés et les compétences techniques requises pour un tel travail. Ces sculptures sont de tailles impressionnantes et constituées de centaines de tentacules de verre, surmontées d’une structure d’acier. Attachées soit au plafond soit au sol, les sculptures se complètent parfaitement, donnant l’impression de marcher à travers un univers magique remplis de stalactites et stalagmites géantes. Le jardin secret de l'artiste L’installation Mille Fiori est, elle aussi, de taille surprenante, traversant une énorme pièce : c’est de loin l’apogée de cette exposition. L’œuvre est inspirée de l’enfance de l’artiste passée dans le jardin fleuri de sa mère. Installé sur une petite plateforme, Mille Fiori est d’une beauté incomparable et nous donne l’impression d’être en train d’observer un jardin féerique. Cette impression ne nous quittera plus jusqu’à la fin de la visite. La forêt de verre, éthérée et mystérieuse, a été créée en soufflant du verre blanc rempli de gaz d’argon et de néon, donnant une couleur rose subtile et une forme particulière, ressemblant à des tiges poussant d’un bulbe. Enfin, Chihuly nous offre ses fabuleux Macchia pour finir l’exposition en beauté. Les Macchias sont d’énormes fleurs, toutes dotées de deux couleurs, une à l’intérieur, une à l’extérieur. L’artiste s’exprime ainsi: «Je suis obsédé par la couleur. Je n’en ai jamais vu une seule
Camille Chabrol
que je n’aimais pas!» Et au fond, pourquoi pas? Ce n’est pas plus mal, car ses œuvres communiquent une joie infaillible. Il est possible d’affirmer avec certitude que rares sont les expositions d’art contemporain qui transmettent une telle énergie positive. Un lieu idyllique pour des étudiants qui chercheraient à décompresser après une semaine de cours bien chargée. [
Chihuly Où: Musée des Beaux Arts de Montréal Quand: Jusqu’au 20 octobre Combien: Environ $12
Camille Chabrol
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Arts & Culture
[ le délit · le mardi 10 septembre 2013 · delitfrancais.com
Festival
Un festival de plus en plus POP Soirée de lancement du programme de POP Montréal Thomas Simonneau Le Délit
Q
ui dit rentrée scolaire dit adaptation, nouveaux cours, nouveaux projets et, bien sûr, dépenses onéreuses. Cependant, ce n’est pas dans l’habitude de la vie culturelle et festive de Montréal de se laisser abattre et encore moins d’avoir la délicatesse de laisser aux étudiants le temps de vaquer à des occupations aussi sérieuses que celles énoncées plus haut. La preuve? Parmi tant d’autres, la soirée de lancement du festival de musique POP Montréal qui avait lieu jeudi dernier au Labo Culinaire de la Société des Arts Technologiques (SAT). Mercredi le 4 septembre, le Labo, bien que principalement destiné à la gastronomie moléculaire, n’est pas, comme on aurait pu s’y attendre, occupé par divers chimistescuisiniers, exemple parmi d’autres de professions hybrides. Bien au contraire, dans une ambiance plutôt casual chic, on dirait que la salle est peuplée par l’intelligentsia montréalaise de l’événementiel, probablement venue faire ses mondanités et déguster un petit verre de Chardonnay bien frais. Quoiqu’il en soit, les organisateurs n’ont pas lésiné sur le budget pour cette première soirée du fameux festival, lequel fut d’ailleurs «lancé en 2002 par des amis et collègues désireux de créer une manifestation culturelle d’envergure», comme l’indique son site Internet.
Après quelques mouvements superflus du barman, une petite tombola et deux trois gestes techniques de la part de DJ Noah Bick, la soirée débute tranquillement et Le Délit prend le temps de s’intéresser à la programmation, qu’il vous livre ci-contre: Un festival qui promet donc d’être riche sur le plan culturel et artistique grâce à la grande diversité de son offre. Événement incontournable de la rentrée, POP Montréal tire sa popularité de la formule suivante: encourager «l’indépendance artistique en présentant des artistes émergents et renommés du monde entier». Cette formule, ajoutée au caractère non lucratif du festival, lui assure une place de choix dans les agendas étudiants; on lui souhaite donc de continuer dans sa folle ascension. [
POP Montréal Où: partout dans la ville Quand: 25 -29 septembre Combien: de gratuit à 350 dollars
Danse
«OUMF!»
Gracieuseté de POP Montréal
Festival d’arts émergents Léa Gruyelle
P
eintures au sol, discothèques silencieuses, tricot, théâtre et breakdance. Des termes qui définissent le festival d’arts émergents OUMF qui a eu lieu du 4 au 7 septembre dans les rues du quartier latin. En cette douce soirée du 6 septembre, c’est un breakbeat qui résonne dans les alentours. Une rue, deux morceaux de linoleum, un DJ, un cercle de spectateurs et la deuxième édition du
battle « How old R you » (HORU) est lancée. HORU réunit dans le cercle la old school et la nouvelle génération de breakdancers pour un cours d’histoire. Les duels pour chaque catégorie d’âge s’enchaînant, il est facile de constater que les mouvements, tout comme l’attitude ou la musicalité, changent avec les générations. La première catégorie «New Generation Kidz» oppose des danseurs de 16 ans et moins (parfois beaucoup moins),
Léa Gruyelle
[ le délit · le mardi 10 septembre 2013 · delitfrancais.com
les «Upcoming cats», seconde catégorie, ont, eux, entre 16 et 25 ans; enfin les «Old School soldiers» ont 26 ans et plus. Les Bboys s’affrontent en un contre un dans des battles d’improvisation. Une battle est un affrontement, ici de seulement deux danseurs, sur une musique n’ayant pas été prédéterminée. Le DJ lance la musique et le premier danseur effectue un passage comprenant un certain nombre de figures au sol et acrobatiques et une partie dansée, le «top rock»; steps de préparation aux figures. Pour HORU, les danseurs ont droit à un, deux ou trois passages selon le stade de la compétition auquel ils se trouvent: un passage pour les qualifications, deux pour demi finales et trois pour la finale. À la fin de chaque duel, les trois juges, sans se concerter, votent pour celui qui, seloneux, doit poursuivre la compétition et celui qui doit être éliminé. Bboy «Minus» fut le gagnant de la première catégorie, Bboy «Effect» celui de la seconde et «Lost Child» le gagnant vétéran. Ce n’est cependant pas les résultats de la compétition que l’on retient de cette
soirée mais le grand moment de partage vécu. Sur le lino, les danseurs se suivent et ne se ressemblent pas, ils ont de 8 à 40 ans, viennent de tous les coins de Montréal et du monde pour faire vibrer la rue St Denis. Le public, quant à lui, est âgé de 4 mois à 70 ans et se compose aussi bien de danseurs, et de passionnés que de passants ayant entendu la musique et n’ayant pas pu s’empêcher de rester. Et on les comprend. Ce public n’est pas simple spectateur; installé en cercle, c’est lui qui forme le «dance floor» et c’est aussi lui qui, par ses réactions, donne vie aux duels. Lors de la pause entre les demi-finales et les finales, il est d’ailleurs invité à se lever et plusieurs cercles (appelés cyphers) se forment spontanément dans tous les coins et chacun peut y entrer pour s’exprimer corporellement. Vous découvrez alors que vos voisins de gradin cachaient bien leur jeu! Le festival OUMF a su se donner une couleur hip hop comme on aime en voir, un hip hop convivial, familial, qui n’en reste pas moins impressionnant, voire intimidant de talent, de force et de style. [
Arts & Culture
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[le d茅lit 路 le mardi 10 septembre 2013 路 delitfrancais.com