Le Délit - 3 novembre 2021

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Publié par la Société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

Le Délit est situé en territoire Kanien’kehá:ka non-cédé.

Mercredi 3 novembre 2021 | Volume 110 Numéro 8

En attendant Gödel depuis 1977


Volume 110 Numéro 8

actualités campus

Le seul journal francophone de l’Université McGill

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Atelier sur les droits trans à McGill La Clinique d’information juridique à McGill prend une initiative à la suite du dépôt du controversé projet de loi 2. FÉLIX A. VINCENT Éditeur Actualités

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e projet de loi 2, déposé le jeudi 21 octobre, s’inscrit dans la première réforme du droit de la famille depuis les années 1980, entamée par le ministre de la Justice Simon Jolin-Barrette. Ce projet de loi encadre le recours aux mères-porteuses et la reconnaissance de l’identité de genre par l’État. Ce dernier aspect a davantage retenu l’attention : plusieurs ont dénoncé que le projet de loi dans sa forme actuelle serait discriminatoire envers les personnes trans. Le projet de loi prévoit qu’une personne transgenre – dont le sexe assigné à la naissance et le genre ne correspondent pas – puisse faire la demande à l’État civil d’ajouter une mention de son identité de genre. Celle-ci serait distincte de la mention du sexe déjà existante sur son certificat de naissance et sur ses cartes d’identité. Autrement dit, la mention d’identité de genre sur des documents officiels d’une personne serait un signe sûr qu’elle est trans. Pour pouvoir réellement changer le marqueur d’identité de sexe, il faudrait désormais subir des « traitements médicaux et des interventions chirurgicales impliquant une modification structurale de ses organes sexuels », exigence qui avait été retirée en 2013 du Code civil du Québec et qui n’existe plus dans aucune autre province canadienne. L’objet de nombreuses critiques Plusieurs politicien·ne·s – notamment ceux·lles du Parti québécois et de Québec Solidaire – ainsi que divers·es activistes ont dénoncé le projet de loi, le qualifiant comme étant « le plus transphobe dans l’histoire du Québec ». Une pétition ayant reçu près de 8 000 signatures demande à Québec de retirer un total de neuf articles jugés discriminatoires du projet de loi. On reproche notamment à cette loi que le marqueur d’identité de genre n’existant que pour les personnes trans, celui-ci les exposerait comme telles. Puisque ces documents peuvent être demandés dans de nombreuses circonstances – notament pour la location d’un logement, pour l’embauche et même pour l’accès à un lieu public – la révélation de cette information privée comporterait un risque que les individus trans subissent davantage de préjudice et discrimination. Bien que certaines personnes désirent faire correspondre leur sexe à leur

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genre en recevant une chirurgie de réassignation sexuelle, que l’on qualifie également de chirurgie d’affirmation de genre, la procédure est extrêmement invasive et entraîne la stérilité. C’est pourquoi les signataires de la pétition considèrent que l’exigence est discriminatoire et qu’elle constitue une atteinte à la dignité des personnes trans. À la suite de la réponse qu’a soulevée le projet de loi 2, le ministre Jolin-Barrette a dit avoir « entendu » les critiques et se montre ouvert à apporter des changements qui satisferont les demandes des diveres parties impliquées. L’information juste, à temps En réponse à cette controverse, un atelier de vulgarisation juridique intitulé Just Info : Transgender Civil Rights était organisé mardi le 26 octobre dernier afin de faire connaître les droits et recours légaux que possèdent les personnes trans au Québec. Les sujets couverts incluaient les protections prévues par la Charte des droits et libertés de la personne (Charte québécoise), notamment en ce qui a trait aux droits des locataires, des employé·e·s et des patient·e·s en santé,mais aussi quant à la couverture de la RAMQ pour les soins spécifiques aux personnes trans. L’activité était organisée conjointement par la Clinique d’information juridique de McGill (CIJM), le Campus Life & Engagement (Cl&E) et Queer McGill (QM). L’animation était assurée par deux étudiantes en

« L’identité de genre fait partie des catégories protégées contre la discrimination et appartient à la sphère de la vie privée, laquelle est protégée de l’intervention abusive de l’État » droit et bénévoles de la Clinique. Les animatrices ont commencé par présenter brièvement le cadre juridique applicable aux droits civils trans. Elles ont notamment affirmé que l’exigence de réassignation sexuelle dont il est question n’aurait pas eu un effet pro-

hibitif sur les demandes de changement de genre inscrit à l’État civil en raison d’une augmentation de la demande à la suite de la levée de l’exigence. Les deux étudiantes ont expliqué qu’au Québec et au Canada, l’identité de genre fait partie des catégories protégées contre la discrimination et appartient à la sphère de la vie privée, laquelle est protégée de l’intervention abusive de l’État. Les protections les plus fondamentales émanent de deux sources : la Charte des droits et libertés du Canada et la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. À cet égard, les présentatrices ont expliqué que la principale différence entre ces deux sources de droits est que la Charte québécoise est plus large dans son application. Celle-ci engage non seulement l’État, mais également tout individu ou toute compagnie privée, au respect des droits qui sont enchâssés dans la Charte. À l’inverse, la Charte canadienne ne s’applique qu’à l’État. En d’autres termes, la Charte québécoise offre une protection plus large aux personnes trans. Les deux présentatrices ont ajouté que, dans le cas où des lois provinciales brimeraient des droits et libertés enchâssés dans la Charte canadienne – incluant ceux des personnes trans –, cette première aurait préséance. La présentation s’est poursuivie avec une explication des différentes façons par lesquelles il est possible de se prévaloir de ses droits dans différents contextes. Dans le cas du harcèlement au travail ou d’autres violations de la Loi sur les normes du travail, il est possible de porter plainte à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), qui peut, au besoin, les référer au Tribunal administratif du travail ou à la Commission des droits de la personne et de la protection de la jeunesse (CDPDJ). Dans le domaine de la santé, les professionel·le·s ne peuvent pas refuser à une personne des soins parce qu’elle est trans et sont tenu·e·s de suivre leur code de déontologie respectif en fonction de leur ordre professionnel. Selon l’objet d’une plainte, celle-ci peut être adressée à l’ombudsman de l’hôpital concerné, à la CDPDJ, à l’ordre professionnel concerné ou même directement à la cour en cas de blessure, comme l’ont indiqué les présentatrices. L’activité s’est conclue avec l’explication des deux étudiantes rappelant que le controversé projet de loi 2 n’est toujours pas en vigueur. Avant son éventuelle adoption, il reste encore plusieurs étapes impliquant des modifications. X

RÉDACTION 3480 rue McTavish, bureau 107 Montréal (Québec) H3A 1B5 Téléphone : +1 514 398-6790 Rédacteur en chef rec@delitfrancais.com Philippe Bédard-Gagnon Actualités actualites@delitfrancais.com Félix A. Vincent Vacant Vacant Culture artsculture@delitfrancais.com Sophie Ji Florence Lavoie Société societe@delitfrancais.com Opinion - Aymeric Tardif Enquête - Louise Toutée Philosophie philosophie@delitfrancais.com Marco-Antonio Hauwert Rueda Coordonnatrice de la production production@delitfrancais.com Adélia Meynard Coordonnateur·rice·s visuel visuel@delitfrancais.com Illustration - Alexandre Gontier Photographie - Vacant Multimédias multimedias@delitfrancais.com Olivier Turcotte Coordonnateur·rice·s de la correction correction@delitfrancais.com Gabrielle Genest Léonard Smith Webmestre web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Coordonnateur·rice·s réseaux sociaux reso@delitfrancais.com Éléonore d’Espinose Andrew Ma Contributeur·rice·s François Céré, Antoine Grobon, Justine Lepic Couverture Alexandre Gontier BUREAU PUBLICITAIRE 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 0E7 Téléphone : +1 514 398-6790 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Représentante en ventes Letty Matteo Photocomposition Mathieu Ménard The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Pandora Wotton Conseil d’administration de la SPD Philippe Bédard-Gagnon, Kate Ellis, Marco-Antonio Hauwert Rueda, Asa Kohn, Thibault Passet, Abigail Popple, Simon Tardif, Pandora Wotton

Les opinions exprimées dans les pages du Délit sont celles de leurs auteur·e·s et ne reflètent pas les politiques ou les positions officielles de l’Université McGill. Le Délit n’est pas affilié à l’Université McGill. Le Délit est situé en territoire Kanien’kehá:ka non-cédé. L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Les opinions de nos contributeurs ne reflètent pas nécessairement celles de l’équipe de la rédaction. Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavant réservés). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans le journal. Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).

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Campus

Les clubs mécontents de l'AÉUM Le Nouveau Vic et l’échec de la Soirée des activités continuent à faire des remous au conseil législatif. sente comment McGill prévoit rénover les bâtiments qui lui ont été cédés.

mahaut engérant | Le délit marco-antonio hauwert rueda

Éditeur Philosophie

L'

Association étudiante de l'Université McGill (AÉUM) a tenu le quatrième conseil législatif de la session le jeudi 28 octobre dernier. Les 23 conseiller·ère·s y ont notamment discuté d’une mise à jour sur le projet du Nouveau Vic, du rapport du représentant des clubs et de l'approbation des questions pour le référendum d'automne. Absences inexpliquées Pour la quatrième fois sur quatre séances du conseil législatif, le président de l'AÉUM, Darshan Daryanani, était absent. Officiellement, Daryanani était déclaré « absent mais excusé », ce qui signifie qu’il aurait annoncé son absence en avance, selon le président du conseil législatif, Alexandre Ashkir. Le directeur général, Daniel

Dufour, était également absent. Une série de questions portant sur leur absence ont chaque fois reçu la même réponse du vice-président aux Finances, Eric Sader : « [La personne en question] est en congé et nous demandons à tout le monde de respecter cela ». L'équipe exécutive de l'AÉUM « fonctionne tout à fait bien » malgré l'absence de son président, a déclaré Sader en réponse à une question du Délit. Présentation sur le Royal Vic Le doyen de la Faculté des sciences et responsable académique du projet du Nouveau Vic, Bruce Lennox, a inauguré la session avec une présentation sur le progrès du projet de rénovation de l'ancien hôpital Royal Victoria. La présentation, comportant des images virtuelles jamais révélées de la nouvelle conception du site, est disponible en ligne. Le document pré-

Questions pour référendum

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e conseil a aussi été l'occasion d'approuver les questions qui seront posées à la communauté mcgilloise pendant le référendum de cette session. Voici un compte rendu des questions :

Questionné sur le processus de consultation par Sacha Delouvrier, le v.-p. aux Affaires externes de l'AÉUM, Lennox a affirmé que son équipe a rencontré plusieurs groupes communautaires locaux, dont Les amis de la montagne et le Comité des Citoyen(ne)s de Milton Parc. De plus, répondant aux critiques concernant le manque de consultation autochtone entourant le projet, le doyen a tenu à réitérer l’importance de la participation de la compagnie en consultation autochtone Acosys, ainsi que du plan d'inclure des motifs et œuvres d'art d'origine autochtone à l'intérieur des bâtiments. La portion du site nouvellement occupée par l'Université constituera 15% de l'ancien site du Royal Victoria, mais environ la moitié de ses bâtiments. À la suite des travaux, ces bâtiments seront alimentés à 50% à partir d'énergie géothermique générée par des puits de McGill, selon le doyen. Le mécontentement des clubs L'une des deux représentant·e·s des clubs, Nadia Dakdouki, a présenté le rapport du Comité des clubs. Celui-ci est chargé de présenter des recommandations au conseil législatif sur les affaires des clubs et associations financés par l'AÉUM. La représentante a exprimé un mécontentement généralisé de la part des clubs, qui se sentent ignorés par

l'AÉUM et qui déplorent la bureaucratie de l'Association. Dakdouki a d'abord fait part de la frustration liée à l'échec de la Soirée des activités, tenue en septembre. Celle-ci aurait été essentielle au recrutement pour de nombreux clubs, a expliqué la

« La restriction d'un·e représentant·e par club imposée pour des raisons sanitaires constituerait une perte de qualité par rapport à l'expérience habituelle » représentante. La Soirée était en effet marquée par des problèmes techniques qui avaient totalement empêché son bon fonctionnement. Questionnée à ce propos, la v.-p. à la Vie étudiante Karla Heisele Cubilla a expliqué que la plateforme n'avait pas supporté le grand nombre de personnes présentes et que la compagnie responsable de cette technologie ne répondait pas aux demandes d'aide de l'association. L'AÉUM a éventuellement été remboursée par la compagnie pour les frais de l'événement. Afin de rectifier cette erreur et

Renouvellement du contrat d'existence du Groupe de recherche d'intérêt public à McGill (QPIRG), organisation travaillant pour la justice sociale et environnementale au niveau local, ce qui entraînerait des frais facultatifs de 5$ par an pour tous·tes les étudiant·e·s de l'Université.

Instauration de frais facultatifs de 2$ pour l'organisation de trajets de bus abordables pour Boston, Toronto, Ottawa et New York à partir de la session d'hiver 2022.

Augmentation des frais des services de référence

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Selon la représentante, « certains individus sentent que les exigences [imposées par l'AÉUM] pour les clubs sont trop strictes et/ou inutiles ». Il serait plus facile, selon elle, de se réunir officieusement entre représentant·e·s de clubs plutôt que de passer par le processus encombrant de l'AÉUM. Par le passé, l'un des avantages d'être un club officiel de l'AÉUM était de pouvoir réserver des salles du Centre universitaire, mais l’accès au bâtiment est limité depuis la pandémie. À l’heure actuelle, les réservations doivent se faire par courriel auprès de l'administrateur·rice des événements de l'AÉUM. De plus, la publicité offerte par l'Association pour les clubs étudiants ne serait plus aussi efficace que par le passé, selon le rapport. Tout cela contribue en somme à décourager la population étudiante à former des clubs à travers le processus de l'AÉUM.x

Existence de QPIRG

Frais MUSTBUS

Augmentation des frais de 3,97$ à 4,37$ pour financer des services tels que McGill Students' Nightline, Queer McGill, le Syndicat d'émancipation des genres, Peer Support Centre et le Centre de ressources sur les troubles de l'alimentation.

donner aux clubs une nouvelle opportunité de recrutement, l'AÉUM a organisé une « Soirée des activités 2.0 » du 1er au 3 novembre. Selon Dakdouk, cependant, ces dates seraient beaucoup trop tardives étant donné que plusieurs clubs ont déjà commencé leurs activités et pourraient avoir du mal à intégrer de nouveaux·lles membres dans leur fonctionnement. De plus, malgré le caractère hybride de cette nouvelle Soirée, la restriction d'un·e représentant·e par club imposée pour des raisons sanitaires constituerait une perte de qualité par rapport à l'expérience habituelle.

Existence de CKUT Renouvellement du contrat d'existence de CKUT, une radio menée exclusivement par des étudiants de McGill, qui entraînerait des frais facultatifs de 5$ pour les étudiant·e·s à temps plein et 3$ pour les étudiant·e·s à temps partiel.

Augmentation des frais des services de sécurité Augmentation des frais pour financer des services tels que Drive Safe, MSERT, SACOMSS et Walk Safe.

Actualités

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élections municipales

montréal 2021

Les élections municipales sous la loupe du Délit À l’occasion des élections municipales du 7 novembre prochain, Le Délit a préparé ce dossier sur les principaux enjeux de la campagne électorale montréalaise. Vous pourrez en apprendre davantage sur les propositions des principaux partis dans la course à la mairie - Projet Montréal, le parti de Valérie Plante et Ensemble Montréal, le parti de Denis Coderre –, sur le fonctionnement des élections municipales et sur la répartition démographique du vote. Vous retrouverez également une entrevue avec Balarama Holness, chef du nouveau parti Mouvement Montréal.

Comment les élections montréalaises fonctionnent-elles? Condensé sur la théorie électorale de la métropole. louise toutée

Éditrice Enquête

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elon leur arrondissement, les citoyen·ne·s de Montréal sont invité·e·s à voter pour combler de deux à cinq postes lors des élections municipales. Comment tout cela fonctionne-t-il?

Lorsque vous allez aux urnes, vous votez tout d’abord pour élire des candidat·e·s qui vont représenter votre district électoral aux différents conseils. Les districts sont en quelque sorte les équivalents des circonscriptions aux élections fédérales et provinciales : c’est la plus petite division de territoire affectant le résultat des élections. La Ville de Montréal compte 58 districts électoraux. En plus d’être divisée en districts, Montréal est divisée en 19 arrondissements formés d’un regroupement de deux à cinq districts. Ces arrondissements ont un certain degré d’autonomie : ils possèdent un conseil d’arrondissement qui a pour but d’assurer

les services de proximité et de prendre des décisions notamment en matière de loisirs, de permis, ou d’urbanisme. Il est composé d’un·e maire·sse d’arrondissement, des conseiller·ère·s d’arrondissement ainsi que des conseiller·ère·s de ville élu·e·s dans cet arrondissement. Finalement, le Conseil municipal représente l’instance décisionnelle principale de la Ville de Montréal. Il prend des décisions pour l’ensemble de la Ville et s’occupe notamment du budget, des règlements, des programmes de subventions et des ententes gouvernementales. Il est composé de le·a maire·sse de la Ville, des 18 maire·sse·s d’arrondissement et des 46 conseiller·ère·s de ville. Ainsi, les citoyen·ne·s de tous les arrondissements votent pour élire d’abord le·a maire·sse de la Ville et leur maire·sse d’arrondissement. Dans le cas de l’arrondissement Ville-Marie, les citoyen·ne·s n’ont pas à élire de maire·sse d’arrondissement :

le·a maire·sse de la Ville devient automatiquement maire·sse de l’arrondissement Ville-Marie. De plus, les postes à combler varient d’un arrondissement à l’autre. En effet, plus un arrondissement est populeux, plus il possède de conseiller·ère·s de ville, afin d’assurer une représentation équitable au Conseil municipal. Par exemple, dans l’arrondissement le plus peuplé de Montréal, Mercier– Hochelaga-Maisonneuve, il n’y a que des conseiller·ère·s de ville et aucun·e conseiller·ère d’arrondissement. Dans les arrondissements peu peuplés, comme Outremont, il n’y a aucun conseiller·ère de ville, ce qui signifie que le·a maire·sse d’arrondissement est leur seul·e représentant·e au Conseil municipal.

CONSEIL MUNICIPAL Maire·sse de la Ville, également maire·sse de l’arrondissement VilleMarie 18 maire·sse·s d’arrondissement 46 conseiller·ère·s de la ville

Les électeur·rice·s qui n’ont pas voté par anticipation pourront se rendre aux urnes les 6 et le 7 novembre prochains.x

CONSEILS D’ARRONDISSEMENT Maire·sse de l’arrondissement Conseiller·ère·s de la ville élu·e·s dans cet arrondissement

Alexandre Gontier | le délit

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Conseiller·ère·s d’arrondissement

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élections municipales

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Que proposent Projet Montréal et Ensemble Montréal?

Aymeric tardif louise toutée

Éditeur·rice·s Société Félix A. Vincent

Éditeur Actualités le délit · mercredi 3 novembre 2021 · delitfrancais.com

Valérie Plante et Denis Coderre n’ont pas donné suite à nos nombreuses demandes d’entrevue. Les sommaires des plateformes de Projet Montréal et d’Ensemble Montréal ne sont pas exhaustifs. Nous vous encourageons à vous rendre sur leurs sites Internet respectifs – à partir desquels nous avons créé ces résumés – pour en apprendre davantage.

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élections municipales

Propos recueillis par

Montréal en mouvement

Louise Toutée Aymeric Tardif

Éditeur·rice·s Société Le Délit (LD) : Vous dites que Mouvement Montréal est un parti communautaire. Quelle est la philosophie derrière Mouvement Montréal? Pourquoi avoir lancé ce parti? Balarama Holness (BH) : C’est pour enrichir notre démocratie et favoriser la participation citoyenne. On parle souvent de l’implication de la jeunesse, de la diversité, mais ces idées sont véhiculées par les grandes institutions qui ne les implantent que très rarement. Je suis un entrepreneur social, dans le sens que je crée un parti politique, mais je ne suis pas un politicien. En d’autres mots, je suis d’abord et avant tout un juriste, enseignant avec une maîtrise en éducation, un coach et un père de famille. Notre parti amène donc de l’authenticité et de l’honnêteté à un secteur politique qui en manque. Pour nous, la création d’un parti est importante pour deux raisons en particulier. D’abord, pour faire en sorte que des gens qui ne se sont jamais lancés en politique et qui ne se sentent pas représentés par une formation politique en place dé-

« Notre parti amène donc de l’authenticité et de l’honnêteté à un secteur politique qui en manque » cident pour la première fois de leur vie de se présenter. 95% des personnes au sein de notre formation ne s’étaient jamais lancées en politique auparavant. Ce sont des avocats, des acteurs du milieu culturel, des urbanistes, des enseignants, des professionnels de tous les horizons qui s’engagent dans la démocratie. Ensuite, on veut créer une plateforme qui est à l’image des Montréalais et Montréalaises, qui répond à leurs besoins réels, mais aussi qui correspond à un démarrage très frais. C’est-à-dire que l’on peut vraiment créer notre plateforme et notre parti à partir de zéro, en partant des racines communautaires. LD : Contrairement à Valérie Plante et à Denis Coderre, vous êtes le seul chef à promouvoir le définancement de la police à Montréal. Quelle est votre stratégie à cet égard? BH : D’abord, nous n’avons jamais parlé de définancement. On parle plutôt de réallocation. « Définancement » est un mot utilisé dans le but de connoter négativement une politique qui est juste. Par exemple, la ville de Montréal a coupé

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Le Délit s’est entretenu avec Balarama Holness.

100 millions de dollars dans les infrastructures. Pourtant, personne ne dit que Valérie Plante a définancé les infrastructures. En ce moment, il y a près de 4 000 policiers à Montréal. Le budget pour leurs salaires est de 550 millions de dollars et 40% des contraventions sont remises aux itinérants. Ça veut dire que 40% de nos effectifs servent à « policer » la pauvreté. À la place, nous proposons d’utiliser ces fonds-là pour donner aux itinérants un logement, une trousse de survie : aide en santé mentale, services sociaux, interve-

faut mettre fin à l’idée archaïque de l’homogénéisation du SPVM voulant qu’il faille absolument un policier armé, mais qui n’est pas apte à intervenir spécialement pour désamorcer certaines crises. LD : Quelles sont les raisons qui vous poussent à vouloir faire de Montréal une ville bilingue? Ne pensez-vous pas que ça pourrait éloigner l’électorat francophone, notamment à la suite du départ de Marc-Antoine Desjardins et de plusieurs de ses candidats de votre caucus?

équipe de balarama holness

nants, etc. Il faut également mettre en place un encadrement pour favoriser leur réinsertion dans la société. Par analogie, s’il y a une famine, il n’est pas logique de mettre de l’argent pour mobiliser l’armée autour de la boulangerie. Il faut plutôt le mettre dans la distribution de pain pour nourrir la population. Il est aussi important de parler des gangs de rue et de la prolifération des armes à feu. Nous sommes en faveur des agences spécifiques qui ciblent ces individus-là et ces problèmes-là avec des connaissances accumulées par le SPVM et d’autres niveaux de gouvernement. C’est un moyen à court terme pour limiter la violence, qui ne doit pas non plus se traduire par une carte blanche pour le profilage racial et social. Mais à long terme, on doit s’inscrire dans la prévention en distribuant l’argent pour l’aménagement d’espace verts et pour favoriser le loisir, la récréation et le sport, l’éducation et l’expression culturelle. C’est une vision holiste de la sécurité publique. On utilise les ressources pour venir en aide aux personnes qui ne sont pas dangereuses mais qui sont en danger : celles qui se trouvent dans la rue, qui ont une dépendance à la drogue et qui sont à risque d’overdose, dont on a abusé, qui ont des problèmes de santé mentale, etc. Il faut commencer à encadrer la population vulnérable. Il faut arrêter de financer le SPVM avec 800 millions de dollars et continuellement oublier de diversifier les intervenants dans le secteur de la sécurité publique. Il

BH : Il faut comprendre que ce n’est pas qu’une question politique. Cette position part de qui je suis. Ma mère est blanche, francophone, catholique et a grandi à Montréal. Elle a rencontré mon père, un immigrant jamaïcain noir, anglophone, protestant et issu d’un milieu rural, dans un concert de Bob Marley. Mon identité est donc intersectionnelle : à la fois francophone et anglophone, blanche et noire, etc. Je pense que ce raisonnement s’applique aussi à Montréal, qui est une ville internationale, cosmopolite, multiculturelle. C’est la réalité montréalaise et ça va au-delà de la politique. C’est donc pour ça que nous nous avançons cette politique de bilinguisme. Il y en a qui pensent qu’ils peuvent légiférer sur la culture et la langue d’une personne en utilisant la clause dérogatoire [de la Charte canadienne de droit et liberté, ndlr] – je parle ici du projet de loi 96 – pour faire en sorte que les tribunaux ne puissent pas intervenir. Nous allons leur répondre, et les gens vont se lever pour protéger leurs droits culturels et linguistiques. LD : Vous souhaitez adopter officiellement la Déclaration des Nations Unies sur les Droits de Peuples Autochtones. Que proposez-vous concrètement pour ce faire? BH : Nous sommes le seul parti qui souhaite reconnaître dans la Charte montréalaise des droits et responsabilités que Montréal est un territoire non cédé. Sans reconnaissance, il est difficile d’avancer.

Ensuite, nous voulons allouer un pourcentage de notre budget, qui est actuellement de 6 milliards de dollars, pour pouvoir répondre à tous les besoins des peuples autochtones. En ce moment, le chiffre que nous avançons est de 400 à 500 millions de dollars. Puisque nous reconnaissons que nous sommes sur un territoire non cédé, cela implique qu’un pourcentage des taxes et de la prospérité économique générée à Montréal doit en partie être redistribué à ceux qui étaient là avant nous. On sait que les Autochtones sont surreprésentés dans la population itinérante de Montréal. Cet argent-là irait dans la construction de logements, dans l’aide à la santé mentale, dans l’intervention sociale, dans les services médicaux de proximité. On veut également innover dans le monde de l’entrepreneuriat en s’assurant de créer des emplois pour des personnes autochtones qui leur permettront de contribuer socialement, culturellement et politiquement à l’économie montréalaise. Finalement, il faut également favoriser la participation politique des personnes issues de communautés autochtones. À l’heure actuelle, à ce que je sache, il n’y a pas de candidats ou candidates autochtones qui se présentent aux élections montréalaises. Il faut y remédier. LD : Que proposez-vous pour améliorer les conditions de vie des étudiants? BH : Il faut créer des logements spécifiquement pour les étudiants. Le plus grand enjeu est qu’il y a 180 000 étudiants à Montréal, ce qui représente une population plus grande que des centaines de municipalités au Québec. À eux seuls, les étudiants pourraient former une ville. Nous proposons d’adopter un règlement qui oblige les promoteurs à construire des logements abordables, sociaux et familiaux. Dans notre programme, nous souhaitons créer 5 000 logements pour étudiants. Nous perdons également nos étudiants au profit de villes comme Toronto et Vancouver, car ils ne peuvent pas rester à Montréal en raison de la langue. Nous voulons faire en sorte que les entreprises puissent opérer en français et en anglais, en plus de permettre aux diplômés, dont le niveau de français est trop bas par rapport aux standards actuels, de tout de même travailler pour qu’ils puissent apprendre la langue dans leur milieu de travail. On ne veut pas qu’ils soient exclus avant même d’avoir accès au marché du travail. LD : Quelle est votre vision pour le transport en commun à Montréal? En ce moment, la Société de transport de Montréal (STM) a un déficit de 62 millions de dollars et des coupures de service de 30% sont

prévues (selon Le Devoir, il s’agit d’une possibilité, mais le scénario priorisé par la STM consiste en des coupures de service d’environ 10%, ndlr). Le modèle d’affaire de la STM est basé sur l’achat individuel de billets d’autobus ou de métro, et si une pandémie frappe et que les ventes baissent, la STM tombe en déficit. Nous proposons donc que les grandes entreprises comme les banques et les universités soient partenaires de la STM en achetant automatiquement des abonnements pour leurs employés ou leurs étudiants. Le gouvernement du Québec ou celui du Canada rembourserait par la suite en partie ces institutions partenaires à hauteur de 60% à 75%, par exemple. On s’assure ainsi que les institutions qui ont les plus grandes empreintes écologiques ainsi que les gouvernements jouent leur rôle dans la lutte aux changements climatiques tout en garantissant un revenu à la STM. LD : Le Devoir rapportait que MarcAntoine Desjardins avait été pressenti pour se rallier à Denis Coderre et que, selon vous, cela aurait assuré la victoire d’Ensemble Montréal le 7 novembre. Vous avez donc fusionné avec Ralliement pour Montréal malgré vos différends. On comprend ainsi que vous ne souhaitez pas la victoire de Denis Coderre. Considérezvous donner votre appui à Valérie Plante, si celle-ci est toujours à égalité avec Ensemble Montréal au moment du scrutin? BH : D’abord, je n’ai pas fait d’alliance avec M. Desjardins pour empêcher M. Coderre de gagner, mais bien parce que je souhaite une victoire pour Mouvement Montréal. Pour ce qui est de donner mon appui à Valérie Plante, la réponse est non, absolument pas. Projet Montréal est d’abord et avant tout une équipe de marketing. Parlons du bilan de Projet Montréal. En ce qui concerne le logement, ils ont mis trois ans et demi à implanter le règlement mixte (le Règlement pour une métropole mixte prévoit que ​​toute personne réalisant un projet résidentiel de plus de 450 m2 – environ cinq logements – doit contribuer à l’offre de logements sociaux, abordables et familiaux, ndlr). Aucun bâtiment construit à Montréal durant les quatre dernières années n’était assujetti à ce règlement. Ils prétendent avoir permis la construction 12 000 logements abordables, mais la vérificatrice générale de la Ville de Montréal et La Presse ont établi que moins de 1 200 logements sociaux sont actuellement occupés. Durant les quatre dernières années, le marché immobilier s’est enflammé, et c’est une faillite du point de vue de l’abordabilité. De plus, Projet Montréal définit comme abordable un logement dont le loyer est à 90% de la moyenne déjà énorme du quartier. C’est donc impossible pour nous de fusionner avec eux, car ils font le contraire de ce qu’ils disent.x

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élections municipales

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Montréal, vue par ses cartes

t si l’on pouvait prédire notre allégeance politique à partir de l’endroit où l’on habite? C’est ce que suggèrent les différentes cartes de résultats électoraux de l’île de Montréal. Plusieurs tendances se dessinent lorsqu’on étudie les résultats par bureau de vote plutôt que par circonscription, et ces tendances s’observent autant aux élections fédérales que provinciales et municipales. On peut par exemple voir ressortir ce que Frédéric Castel, chargé de cours au Département de géographie de l’UQAM, a baptisé le « triangle

Élections fédérales de 2008

de la ville centre ». Ce triangle, délimité par Ahuntsic au Nord, Tétreaultville à l’Est et St-Henri à l’Ouest, est marqué par un vote généralement plus indépendantiste et plus progressiste que le reste de l’île. Ce triangle s’est démarqué dès les élections fédérales de 2008 avec ses votes pour le Bloc Québécois et le Nouveau Parti Démocratique, au milieu d’une ville très majoritairement libérale, comme c’était le cas lors des élections provinciales de la même année, où il était dominé par le Parti Québécois.

Rouge : Libéral Vert : Bloc Orange: NPD Bleu : Parti conservateur Gracieuseté de Cedric Sam

Aux élections provinciales de 2018, la forme était aussi reconnaissable et portait, cette fois-ci, les couleurs de Québec Solidaire.

Élections provinciales de 2018 Rouge : Libéral Orange: Québec Solidaire Bleu foncé: Parti Conservateur Bleu: Coalition Avenir Québec Gracieuseté du Devoir

Élections municipales de 2013

Bien que la question nationaliste n’y soit pas présente, cette tendance est également valide pour les élections municipales : lors les élections de 2013, le triangle correspond presque exactement aux zones ayant voté pour Projet Montréal, un parti progressiste mené, à l’époque, par Richard Bergeron.

Qu’est-ce qui explique cette division aussi nette entre cette région de la ville et les régions environnantes? À première vue, plusieurs caractéristiques démographiques sont particulières à ces quartiers : les gens y habitant sont généralement francophones, pour la plupart locataires d’un appartement, plus jeunes que la moyenne, et sans enfants. Un regard historique est cependant nécessaire afin de réellement comprendre les divergences de vote. Le triangle de la ville centre correspond fortement aux limites de la Ville de Montréal telle qu’elle existait en 1960, ce qu’on pourrait appeler le « Montréal historique ». Les rues y sont plus étroites, les infrastructures y sont plus vieilles et requièrent davantage d’investissement pour les entretenir, le réseau de transport en commun y est très développé et les résidents en dépendent pour se déplacer. D’ailleurs, les limites de la Ville de Montréal de 1960 correspondent de façon assez fidèle au tracé des lignes du métro.

Rouge : Équipe Coderre Vert : Projet Montréal Orange: NPD Bleu : Groupe Mélanie Joly Gracieuseté de Nicolas Kruchten

De l’autre côté, les régions plus excentrées sont des anciennes municipalités ayant été annexées à la ville de Montréal plus récemment, notamment durant la vague de fusions en 2001. Plusieurs d’entre elles, comme Anjou, s’apparentent davantage à des banlieues : il y a plus de lieux verts, on s’y déplace en voiture et on y habite dans des maisons unifamiliales dont les habitants sont souvent propriétaires. De plus, en raison de leur ancien statut de ville, plusieurs de ces régions réclament davantage d’indépendance dans leur administration. On peut donc bien imaginer que les besoins des habitants de ces régions soient totalement différents de ceux habitant la vieille ville.

Élections municipales de 2017 Rouge : Équipe Coderre Vert : Projet Montréal

La lutte pour la mairie de 2021

Gracieuseté de Nicolas Kruchten

Les districts à surveiller L’arrivée de Mouvement Montréal, le nouveau parti de Balarama Holness, est cependant venu briser le bipartisme de 2017 et pourrait brouiller les cartes. Ce parti comptait plus de 80% de candidats provenant de minorités visibles (bien que ce chiffre ait baissé après la fusion avec Ralliement pour Montréal), soit beaucoup plus que les autres partis et que la moyenne montréalaise, qui environne les 30%.

Lorsque l’on regarde la carte des élections municipales de 2017, le triangle de la ville centre n’y est plus très évident. C’est justement là la clé du succès de Valérie Plante : elle a réussi à étendre l’influence de son parti au-delà de ses territoires de prédilection, notamment dans les districts francophones hors centreville comme l’Île Bizard ou Verdun. Le parti de Denis Coderre a néanmoins résisté dans ses propres

Si Mouvement Montréal réussit à gagner le soutien des populations racisées, cela nuira particulièrement aux tentatives d’expansion de la mairesse sortante. Cela pourrait aussi affecter le parti de Denis Coderre – néanmoins, celui-ci tire davantage d’appuis de ce qu’on appelle l’« ancienne immigration », soit l’immigration européenne (grecque, italienne, juive) d’avant 1975. On pourra observer l’impact de l’arrivée de Mouvement Montréal

le délit · mercredi 3 novembre 2021 · delitfrancais.com

sur l’échiquier politique, particulièrement dans le district de MontréalNord : Holness y était précédemment candidat sous la bannière de Projet Montréal, ce qui lui accorde une certaine notoriété locale. La principale épine dans le pied du parti de Plante, davantage que ce que représente Mouvement Montréal, pourrait cependant être les partis d’arrondissement. Depuis 2017, deux mairesses d’arrondissement élues sous la

bastions, soit les régions avec des populations anglophones – comme St-Laurent ou St-Michel – ou immigrantes, comme Montréal-Nord. Ces deux populations votent aussi fortement libéral, au provincial comme au fédéral. Coderre a par le passé été ministre libéral fédéral élu à Montréal-Nord, lui conférant un avantage fort dans ce district. Le défi d’Ensemble Montréal sera donc de séduire l’électorat francophone habitant au centre

bannière de Projet Montréal ont été expulsées du parti à cause de controverses liées à la gestion de leur équipe. Ces deux mairesses, Sue Montgomery dans Côte-desNeiges et Giuliana Fumagalli dans Villeray, ont décidé de se représenter sous la bannière de partis indépendants n’existant que dans leur arrondissement respectif. Une lutte chaude s’annonce pour ces quartiers : leur composition multiethnique ainsi que la popularité dont bénéficient

de l’île ; celui de Projet Montréal sera de gagner des appuis dans des quartiers plus diversifiés. Il semble y avoir eu un gros effort en ce sens de la part de Projet Montréal, notamment en ce qui concerne ses candidats. En effet, alors que Projet Montréal ne comptait en 2017 que 20% de candidats de la « nouvelle immigration » venant d’Amérique du Sud, du Moyen-Orient ou d’Afrique, il en compte aujourd’hui 39%, soit presque le double.

toujours les deux mairesses promet de compliquer leur reconquête par Projet Montréal.x Les districts à surveiller

Louise Toutée Éditrice Enquêtes

Article réalisé avec les informations fournies par Frédéric Castel, chargé de cours au département de géographie de l’UQAM.

société


philosophie philosophie@delitfrancais.com

prose d’idée

Jusqu’à présent, les neurobiologistes ont fait de grands progrès en utilisant les techniques conventionnelles de l’anatomie et de la physiologie pour cartographier les circuits visuels du cerveau. Deux personnes ont déjà reçu le prix Nobel pour ce genre de travail, et il s’est avéré énormément précieux... Le problème est que, après 50 ans de travail, les neurobiologistes ne peuvent toujours pas expliquer une seule perception visuelle, aussi simple soit-elle, en termes de circuits visuels. Cela vous dit assez clairement que quelque chose ne va pas.

DAVE PURGES

Ne sommes-nous qu’un tas d’atomes? Le réductionnisme en science cognitive doit encore patienter. alexandre gontier | le délit

ment de l’automate? Les tenants du déterminisme matérialiste, qui soutiennent que l’avenir est déjà défini par l’état actuel des entités physiques et par les lois qui les régissent, n’attendent qu’une théorie complète de la physique afin de démontrer que ce que nous appelons émotions, pensées et valeurs ne sont en réalité que des phénomènes régis par des lois strictes. Cette hypothèse, bien que séduisante, est contestée dans le champ de la philosophie des sciences. Les failles du réductionnisme

Philippe Bédard-Gagnon

Rédacteur en chef

P

our René Descartes, philosophe français du 17e siècle, l’être humain est composé de deux parties distinctes : l’âme et le corps. Le corps, de par sa nature matérielle, se doit de suivre les lois de la physique. Comme tous les autres objets, il tombe vers le bas, peut être propulsé, et perd de sa chaleur au contact de l’air. L’âme, quant à elle, contient la nature divine de l’humain, selon le philosophe. C’est en elle que l’on retrouve le libre arbitre et les facultés mentales. Sans elle, le corps ne serait qu’un automate dénué de liberté.

Malheureusement pour le philosophe, ce dualisme a très mal vieilli. Aujourd’hui, on rencontre rarement des scientifiques et des philosophes croyant en une substance immatérielle qui anime nos corps. Le matérialisme, c’est-à-dire l’idée selon laquelle seuls les objets physiques existent réellement, fait désormais presque l’unanimité dans les sociétés laïques. Par conséquent, le corps humain ne serait qu’un tas d’atomes, l’idée d’une âme est abandonnée, et, avec elle, la seule garantie de libre arbitre... Si nous pouvons prédire le comportement de quelques atomes avec des théories physiques poussées, qu’est-ce qui nous sépare fondamentale-

« Il est certain que ce moi, c’est-àdire mon âme, par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement et véritablement distincte de mon corps, et qu’elle peut être ou exister sans lui » René Descartes

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Philosophie

Toute science vise à expliquer son objet d’étude. Pour ce faire, elle se dote de deux outils principaux : les entités et les lois. Les entités correspondent aux « choses » qui existent, et les lois sont les chaînes causales qui les relient. Prenons l’exemple de la science cognitive, qui s’intéresse à la pensée humaine et parfois animale. Cette science reconnaît une série d’entités : l’individu, les idées, le stress, etc. Elle fait également usage d’une série de principes comme la loi de l’effet, qui dicte que les organismes adoptent des comportements plaisants plutôt que déplaisants. Une fois ces entités et ces lois définies, on peut les agencer pour prédire et manipuler des événements : par exemple, on peut motiver un enfant à faire ses devoirs en rendant l’activité agréable. Ces lois ne sont pas aussi déterministes que celles que l’on applique en physique puisque, contrairement à la trajectoire d’une particule dans un accélérateur, on ne peut jamais deviner le comportement d’un être humain avec certitude. Pourtant, si nous sommes composés d’atomes, pourquoi ne pouvons-nous pas simplement utiliser la physique pour prédire nos comportements avec précision? Après tout, la cognition n’est que neuroscience, la neuroscience n’est que chimie, et la chimie n’est que physique! Un tel recours à une science fondamentale comme la physique pour expliquer une science superficielle comme la psychologie est un exemple de réductionnisme, un processus qui doit répondre à des critères spécifiques. Premièrement, les entités de la science en cours de réduction doivent être définies dans des

termes issus de la science qui réduit. Cela demanderait à la physique d’offrir une définition atomique du plaisir et de la souffrance, par exemple. Une fois ces définitions obtenues, on doit également dériver les lois du niveau superficiel à partir de lois plus fondamentales. Dans le cas qui nous occupe, cela signifie que la physique devrait utiliser ses propres lois comme la gravité, la thermodynamique et l’électromagnétisme pour arriver à la loi de l’effet. La physique ne respecte pas ces conditions par rapport à la science cognitive : nous n’avons toujours pas d’explication physique des émotions ou de la perception. On en conclut donc que la cognition résiste à la réduction. En fait, ces mêmes critères font en sorte que la science cognitive n’est réduite ni par la biologie, ni par la neuroscience, ni par la chimie. En attendant Gödel Et si c’était une simple question de temps? On pourrait tout simplement attendre que la neuroscience explique la cognition, que la chimie résume la neuroscience, que la chimie soit déduite de la physique et que la physique se prouve elle-même. Nous aurions alors un modèle déterministe physique du comportement humain! Pas de bol, car le mathématicien Kurt Gödel a démontré (en 1931) qu’une théorie complète comme celle-ci est impossible grâce à son célèbre théorème de l’incomplétude. Celui-ci stipule qu’aucun système théorique ne peut prouver sa propre validité, ce qui implique nécessairement l’existence d’autres théories non réduites. Si nous admettons tout de même l’idée d’une physique complétée, il faut encore faire preuve de prudence.

« Affirmer que l’être humain n’est qu’un tas d’atomes est au mieux inutile et au pire erroné »

D’abord, déclarer que le comportement humain se réduit à des phénomènes physiques reviendrait à faire de la pure spéculation sans aucune utilité pour les

scientifiques d’aujourd’hui. Un laboratoire de psychologie ne saurait que faire d’un accélérateur de particules, du moins pour les prochaines années (décennies, siècles, millénaires?). Pour l’instant, les théories psychologiques et sociales ont une puissance explicative bien plus élevée que les théories physiques en ce qui concerne le comportement humain. Ensuite, il existe des raisons fondamentales de s’opposer à la réduction. L’une d’elles est que certaines entités ne peuvent être définies correctement qu’en faisant appel au contexte plus large. Prenons l’exemple d’une pièce de casse-tête. On pourrait s’amuser à analyser les matériaux qui la composent au niveau microscopique, mais l’intérêt de la pièce réside en réalité en dehors d’elle-même, dans le rôle qu’elle joue dans le casse-tête. Par définition, sans casse-tête, il ne peut pas y avoir de pièces de cassetête. La même chose est vraie pour la cognition humaine : même si elle est ultimement le résultat de processus physiques, son sens réside dans le rôle qu’elle joue dans notre conscience et dans nos rapports sociaux. Une science qui considèrerait le langage comme de simples vibrations laisserait s’échapper le sens même du langage. Voir les entités non pas comme des ensembles de matériaux mais plutôt comme des particules de systèmes plus complexes est à l’opposé du réductionnisme. Cette approche a également un nom : l’holisme. Bien sûr, on ne peut pas dire que les sciences fondamentales n’apportent rien à la psychologie. De nombreux médicaments aident à guérir certaines maladies mentales sur des bases neurochimiques, et l’imagerie cérébrale offre une perspective essentielle à la psychologie actuelle. Toutefois, affirmer que l’être humain n’est qu’un tas d’atomes est au mieux inutile et au pire erroné. Le réductionnisme ne tient pas en compte certaines caractéristiques humaines relevant de la sociabilité et de la conscience, qui n’ont de sens que lorsque nous les analysons dans leur contexte. De même, dire que nous ne sommes mus que par des forces physiques déterministes et que le libre arbitre n’est qu’une illusion n’explique pas grand-chose de nos vies et n’est propice qu’au déclenchement de crises existentielles.x

le délit · mercredi 3 novembre 2021 · delitfrancais.com


culture artsculture@delitfrancais.com

cinéma

Il faut tuer Kate Bush Le Festival du nouveau cinéma présentait After Blue (Paradis sale).

sophie ji

Éditrice Culture

D

ans le cadre de sa portion en ligne, le Festival du nouveau cinéma présentait After Blue (Paradis sale), un long-métrage de science-fiction réalisé par Bertrand Mandico. L’œuvre suit le périple de Roxy et sa mère Zora, mandatées de trouver et tuer Kate Bush, une criminelle condamnée à mort, après que Roxy l’ait délivrée de son châtiment. Rencontres et exagérations Dans le futur mis en scène par Mandico, la terre a « pourri » et les survivantes habitent maintenant sur la planète After Blue, où seules les femmes peuvent survivre, où la reproduction se fait par insémination et où les cous des habitantes sont recouverts de poils. La rencontre occupe une place primordiale dans After Blue

théâtre

(Paradis sale) ; le montage superpose fréquemment les corps de plusieurs personnages, tandis que les rencontres vers les autres et vers soi, à travers le toucher et la masturbation, se multiplient dans l’intrigue. À maintes reprises, le rythme de l’action est ralenti par des scènes de caresses subites qui renforcent l’ambiance onirique du « paradis » futuriste de After Blue en brusquant les liens logiques entre les actions des personnages. Cette absence de liens causaux, qui résulte en une trame narrative décousue, contribue à renforcer l’ambiance onirique de After Blue, une planète dont les habitantes font appel au rêve afin de donner un sens à l’imprévisibilité de la nature. Un dialogue très simple accompagné d’intonations fluctuant parfois trop rapidement du chuchotement au cri désespéré contribue cependant à créer une impression de surexagération qui peut devenir lourde par moments. Ainsi, il

alexandre gontier | le délit peut être difficile d’éprouver de la compassion envers les personnages ; la rencontre entre Zora, Roxy et deux habitantes de la forêt d’After Blue au début de leur périple tourne notamment au ridicule en raison du contraste créé entre l’interprétation exagérée des comédiennes et les répliques plutôt banales, qui consistent

entre autres en une discussion sur la malpropreté de la selle de cheval sur laquelle est assise Roxy. Trame sonore réussie La trame sonore du film, composée par Pierre Desprats, évite cependant que la démesure dans le long-métrage ne supplante la qual-

ité générale de l’œuvre. Grâce à la musique, plusieurs scènes sont bonifiées d’un rythme entraînant assuré par une trame sonore originale composée de plusieurs morceaux aux styles différents. Ce rythme propulse l’intensité de l’ambiance sonore du longmétrage à un niveau comparable à celui du jeu des interprètes. En conséquent, la trame sonore a pour effet de diminuer le contraste entre l’intensité du jeu et la banalité de certaines répliques en renforçant l’ambiance onirique de After Blue (Paradis sale). La musique permet au moment où Zora crie avec une grande intensité physique à son cheval « avale, avale » d’atteindre une absurdité qui ne détonne pas avec l’ambiance sonore et visuelle de la scène. Dans l’ensemble, After Blue (Paradis sale) présente un futur déstabilisant et original où le toucher et le corps façonnent la perception du monde des personnages, qui se retrouvent sans repères dans un univers dépourvu de normes et de tabous sociaux.x

Embrasser les êtres chers

La nouvelle pièce de Michel Marc Bouchard au Théâtre du Nouveau Monde. alexandre gontier

Coordonnateur Illustrations

«J

e dois faire une véritable œuvre de réconciliation » : c’est à l’aune de cette mission que Michel Marc Bouchard rédige Embrasse. Dans un échange avec la metteuse en scène de la pièce, Eda Holmes, le

l’humanité ; dans Embrasse, il nous amène au-delà du confort du nondit qui nous arrête au quotidien. L’acmé dès l’exposition Le rideau se lève sur une scène onirique et marmoréenne, l’éclairage est froid et vaporeux. Les lumières plantent un décor froid,

alexandre gontier | le délit dramaturge insiste sur l’impact des deux dernières années sur son écriture. Le théâtre est un microcosme pour se représenter

sérieux. Le personnage d’Hugo (incarné par Théodore Pellerin) est seul sur scène et soliloque sur un drame antérieur à l’exposi-

le délit · mercredi 3 novembre 2021 · delitfrancais.com

Enlacer les histoires pour que l’on s’y démêle

sergent Régis (attribué à Anglesh Major) a une fonction proche de celle de Madame Maryse : tous·tes deux permettent à l’intrigue de maintenir une certaine vraisemblance, il·elle·s sont deux adjuvant·e·s, le plus souvent sur scène pour nous rappeler l’intrigue principale. Le policier est joué par un comédien noir, et ce choix pourrait donner à l’auditoire un premier indice de l’œuvre. Régis incarne les institutions policière et judiciaire, il peut être compris comme une allégorie de deux systèmes qui se contredisent, particulièrement dans notre société, surtout à l’égard des minorités. Le jeu d’Anglesh Major, comme celui d’Alice Pascual, est rafraîchissant et léger, mais leurs envolées lyriques sont regrettables et peu convaincantes.

Le dramaturge donne à chaque personnage ses moments d’éclat, hautement contrastés. Il est le plus convaincant dans les scènes comiques. Par exemple, AnneMarie Cadieux, qui joue Béatrice, représente les stéréotypes campagnards et les tourne en dérision en même temps. Le personnage du

Ainsi, on sent la volonté de Michel Marc Bouchard de proposer une pièce contemporaine. En effet, violence domestique, homophobie et racisme sont des tares que Michel Marc Bouchard développe, sans surprise. Toutefois, on éprouve des réserves lorsque le dramaturge représente des gestes d’automuti-

tion. Sa mère, Béatrice, jouée par Anne-Marie Cadieux, et Madame Maryse, incarnée par Alice Pascual, sont les protagonistes du drame. Elles nous l’expliquent dans une analepse brillante : elles interviennent tour à tour, la lumière s’éteint sur celle qui finit de parler et sur sa portion de la scène. Elle reste immobile et en silence lorsque l’autre comédienne livre sa version des faits. Ainsi, le procédé de retour en arrière est livré avec précision dans une atmosphère clinique. Le nœud dramatique semble être déjà serré, dès l’exposition. L’intensité est bien maintenue même en alternant entre les registres comique, pathétique et même tragique.

lation. La scène semble être écrite à la fois avec pudeur et intensité ; la contradiction maladroite rend la scène peu appréciable. La grandiloquence : baiser empoisonné Souvent dans la pièce, le personnage d’Yves Saint Laurent (joué par Yves Jacques) apparaît à Hugo, comme un guide imaginaire. Le jeune homme aspire à une carrière de la même ampleur que son idole. L’interaction entre les deux personnages est appuyée, les mots se veulent à plusieurs moments poétiques mais deviennent emphatiques et lourdement solennels. Bien qu’Yves Jacques maîtrise son rôle, le personnage est exagéré et rend mal à l’aise. Même après une dernière réplique lamentable « Je suis fier de toi », on sort de la pièce satisfait·e, même séduit·e. On sent que le cadre pandémique a profondément marqué Embrasse. On assiste en demiteinte à un procès de notre société dans lequel on est invité·e à se juger soi-même et à faire face aux conséquences de l’impulsivité.x

culture

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entrevue

Un balado intergénérationnel

Le Délit reçoit Bénédicte Bérubé, créatrice du balado Vingt kilomètres à pied.

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ingt kilomètres à pied est un balado théâtral et musical en cinq épisodes. Il retrace l’histoire de Reine, âgée de 17 ans lors du débarquement de Normandie, alors qu’elle fuit avec 150 enfants l’orphelinat dans lequel elle travaille. Le balado est inspiré de la vie réelle de Renée Lacour, la grand-mère de la créatrice et coautrice du balado, Bénédicte Bérubé. Le Délit a rencontré cette dernière afin de discuter du processus de création de Vingt kilomètres à pied et de l’importance des aîné·e·s dans le milieu artistique.

« J’ai créé une fiction à partir de faits véridiques qui retracent l’histoire de ma grand-mère lorsqu’elle avait 17 ans » Le Délit (LD) : Comment t’est venue l'idée d'écrire un balado sur la vie de ta grand-mère? Bénédicte Bérubé (BB) : Je voyais que ma grand-mère vieillissait, qu’elle devenait plus fatiguée, sa mémoire n’était pas la même non plus. En revenant d'un stage d'un an en Biélorussie, j'ai commencé à aller la voir plus fréquemment avec l'idée d'écrire un spectacle, un monologue sur sa jeunesse en temps de Deuxième Guerre mondiale. Ça n'a pas été facile parce que ma grandmère voulait s'accrocher aux souvenirs heureux plutôt qu'aux souvenirs plus sombres de sa vie. Il y avait bien sûr des trous à remplir dans ses récits. Je cherchais du matériel pour remplir ces trous-là et pour pouvoir construire une histoire. Ma grand-mère avait 17 ans et travaillait dans un orphelinat en Normandie quand s’est déroulé le débarquement. Elle m’a prêté le livre Les orphelines de Normandie de Nancy Amis, on y trouve toute une histoire autour du récit de ma grand-mère et des orphelines dont elle s'occupait pour fuir les combats du débarquement. Le livre regroupe des témoignages de certaines enfants de l’orphelinat et des dessins réalisés par les fillettes et transmis à la grand-tante de Nancy Amis. En combinant les témoignages de ma grand-mère, de ceux du livre Les orphelines de Normandie et de certaines anecdotes provenant de ma famille du côté français, j’ai créé une fiction à partir de faits véridiques qui retracent l’histoire de ma grandmère lorsqu’elle avait 17 ans.

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Culture

« Je vois la richesse de chaque génération, jusqu’à l’expérience que ces artistes ont acquise avec les années »

LD : En plus de te baser sur le livre d’ Amis, sur les témoignages de ta grand-mère et de ta famille, as-tu aussi entrepris un travail de recherche dans les archives de la Deuxième Guerre mondiale? BB : Je suis aussi allée consulter d’autres sources, notamment au Musée des civils, à Falaise, en France. J'ai aussi lu beaucoup d'articles et emprunté des livres à la bibliothèque pour me contextualiser un peu sur cette histoire-là. La source la plus marquante dans ma recherche a été une émission de radio qui rapportait des témoignages de personnes qui ont vécu la Deuxième Guerre mondiale, à l’occasion du 75e anniversaire du

« Il y a des pièces de Debussy et de Poulenc dans le balado. Je trouve que leurs compositions illustrent bien l’action qui s’y déroule » débarquement de Normandie. Dans l’émission, il y avait des témoignages très détaillés et très touchants sur des événements absolument horribles. Pour moi, c'était la première fois que j'entendais l'horreur de la guerre par la bouche de gens qui l'ont vécue, qui ont vu des personnes mourir à un mètre d'eux. Ça m’a ouvert les yeux et ça m'a inspiré dans l'écriture, parce que j'ai accédé un peu à ce côté plus émotif, mais aussi au côté plus horrible de la guerre auquel ma grand-mère ne me permettait pas d'accéder. Elle a sûrement vu des morts, elle a sûrement vécu des choses vraiment traumatisantes, mais soit ces expériences étaient enfouies très loin dans sa mémoire, soit elle ne voulait pas y retourner.

« Le théâtre fait aussi partie de ma formation ; je le mêle au chant classique dans le balado » LD : Ta formation au Conservatoire de musique de Montréal a-t-elle influencé le processus de création derrière Vingt kilomètres à pied? BB : J'ai passé neuf ans au Conservatoire de musique de

ANNIE ÉTHIER Montréal, dans un profil en chant classique. J'ai fait pas mal d'opéra là-bas, de toutes sortes de styles musicaux différents : j’ai notamment touché au baroque, à la mélodie française, à la mélodie allemande, mais j’ai beaucoup accroché sur la mélodie française, et c’est pour cette raison qu'il y a des pièces de Debussy et de Poulenc dans le balado. Je trouve que leurs compositions illustrent bien l'action qui s’y déroule. Le théâtre fait aussi partie de ma formation ; je le mêle au chant classique dans le balado. J’ai eu des cours de théâtre durant mon passage au Conservatoire, mais j’ai surtout suivi une formation en théâtre d’un an en Biélorussie, de 2017 à 2018. Et c'est au retour de cette formation-là que j'ai voulu commencer le balado pour allier tout ce que j’ai développé à travers mes formations.

« J’ai appris à voir le texte, la musique, les chansons comme un tout et non pas comme des choses fragmentées » LD : Comment le processus de création de ton balado différait-il de ce dont tu étais habituée à créer auparavant? BB : Avant le balado, j'écrivais de la poésie et des chansons. Mais l'écriture dramatique, c'est vraiment autre chose. Il y a des codes différents à comprendre, à utiliser. J’ai vraiment appris ces spéci-

ficités-là à travers le projet Vingt kilomètres à pied. J’ai appris à voir le texte, la musique, les chansons comme un tout et non pas comme des choses fragmentées, contrairement au chant par exemple, où dans un concert de mélodies, c'est une chanson après l'autre.

« On entend souvent dire qu’il est dur de garder son nom, de rester vivant dans l’industrie artistique lorsqu’on vieillit» LD : Pour réaliser ton balado, tu as travaillé avec « une équipe intergénérationnelle entièrement composée de femmes. » Pourquoi cet aspect intergénérationnel dans ton équipe était-il important pour toi? BB : Parce que j'avais envie d'apprendre. J'avais envie d'apprendre autant des gens qui avaient des années d'expérience derrière eux que des gens qui en avaient moins ; j’avais envie de collaborer avec des gens qui avaient différentes expériences, différents points de vue. Je trouvais aussi cela important, car on entend souvent dire qu’il est dur de garder son nom, de rester vivant dans l'industrie artistique lorsqu’on vieillit. Les écoles génèrent toujours de nouveaux·lles acteur·rice·s et chanteur·se·s, et c’est normal, c’est très bien qu’il y ait une relève. Mais c’était important pour moi de faire cohabiter cette relève-là avec des gens qui avaient plus d'expérience.

LD : Dirais-tu que ces rencontres avec des gens ayant plus d’expérience a enrichi ta perception de l’art puisque, comme tu le relèves, il peut être difficile de demeurer « vivant » dans l’industrie artistique passé un certain âge? BB : Effectivement, en travaillant avec ma grand-mère, je pense que j'ai déjà une sensibilité, puis une ouverture vers les gens plus âgés. Je vois leur importance. Je pense que c'est pour ça que j'ai fait ce projet-là. C'est aussi pour ça que j’ai voulu travailler avec Kim Yaroshevskaya pour le balado ; j’avais envie qu'elle ait sa voix dans cette œuvre-là, qu'elle donne sa voix au personnage qui avait à peu près le même âge qu'elle. Mais oui, à travers le processus, à travers tout ce que j'ai appris de Maryse Pelletier (à l’écriture, ndlr) et de Lucie Caucho (à la musique, ndlr), je vois la richesse de chaque génération, jusqu’à l'expérience que ces artistes ont acquise avec les années. C’est ce qui fait des personnes plus âgées des allié·e·s de taille et de cœur ; ils et elles ont passé à travers tant d’expériences.x

« Ils et elles ont passé à travers tant d’expériences » Les cinq épisodes de Vingt kilomètres à pied sont disponibles gratuitement sur les plateformes Apple Podcasts, Breaker, Google Podcasts, Podbay, Spotify et Radio Public.

Propos recueillis par sophie ji

Éditrice Culture

le délit · mercredi 3 novembre 2021 · delitfrancais.com


cinéma

Le Dune de Villeneuve Retour sur une écocritique du colonialisme aux motifs stoïques et féminins. françois céré

Contributeur

D

une (1965), de Frank Herbert, est un roman recélant une sublime complexité géopolitique, environnementale, anticoloniale, antireligieuse et met aussi en garde contre les plus grands crimes de l’ère moderne et de l’avenir : l’hubris, le fanatisme et le culte de la vitesse. Dune est un univers où l’humain a proscrit toute forme d’intelligence artificielle, et, ayant presque succombé à son avènement et à sa domination, a choisi de se réapproprier son esprit naturel. C’est l’histoire familiale de Paul Atréides (Timothée Chalamet), fils du Duc Leto Atréides (Oscar Isaac) et de Dame Jessica (Rebecca Ferguson), une sœur de l’ordre du Bene Gesserit (un ordre qui utilise leurs pouvoirs mystiques pour contrôler la politique de l’univers). Plus précisément, c’est l’histoire d’une querelle provoquée entre les maisons Harkonnen et Atréides pour le contrôle de la planète Arrakis et de sa production de l’épice (une ressource naturelle précieuse permettant un voyage interstellaire plus rapide et sécuritaire). C’est également l’origine de la création, par le Bene Gesserit, d’un messie qui unirait l’univers connu.

« Le Dune de Villeneuve, c’est aussi la cinématographie onirique des grands espaces » Avec Dune (2021), Denis Villeneuve ne tombe pas dans le piège facile que la science-fiction tend souvent aux réalisateurs – le risque de perdre la complexité intellectuelle de l’œuvre au profit de l’action gratuite. Le primat est accordé à la complexité des personnages, à un esthétisme poétique lent et symbolique qui se fond magistralement au propos. Le réalisateur trouve des moyens habiles d’exposer l’histoire complexe de Dune de manière fluide. Ce faisant, Villeneuve propulse la science-fiction vers un nouveau sommet, mais y pose aussi ses bases en nous donnant à voir ce qu’elle devrait être. Car, outre le souci de formuler une certaine écocritique d’un capitalisme sauvage colonial, le Dune de Villeneuve se démarque par une apologie du stoïcisme et une valorisation du pouvoir féminin à même la forme de l’œuvre. C’est ce souci accordé à la forme qui vient cimenter Dune comme véritable œuvre d’art.

Stoïcisme, Gom Jabbar et pouvoir féminin

justine lepic et antoine grobon

Depuis les stoïciens Zénon et Sénèque, cette tendance à la démesure a tenté d’être matée par la modération, la sagesse, la justice et la grandeur d’âme. Par la puissance de son esprit, le stoïcien parvient à modérer les pulsions du corps. Dans l’univers de Dune, les Harkonnen et leur Baron Vladimir (Stellan Skarsgaard) incarnent cette démesure alors que la maison Atréides représente cette modération stoïque qui recherche la tranquillité de l’âme. Car si dans Dune l’hubris tue la raison, il nous est rappelé, par la scène du Gom Jabbar (un test de résistance à la douleur), que la peur et la douleur la tuent aussi. Il sera donc question pour Paul d’endurer la torture extrême du test et montrer qu’il est différent d’un être de pulsions pour faire face à son destin. Le symbolisme que le lieu de l’ancienne bibliothèque révèle dans cette scène en est un de savoir ancestral ; une transmission intergénérationnelle du contrôle du corps par l’esprit pour dominer la mort. La vision de Villeneuve consistait peut-être à associer la douleur du Gom Jabbar au lien mère-fils et tout ce qu’il comporte de métaphorique dans le fait d’enfanter douloureusement. En faisant en sorte que la mère de Paul se torde de douleur en même temps que son fils qui a les mains sur son ventre (rappelant un accouchement métaphorique), l’actrice Rebecca Ferguson donne à voir la puissance du lien métaphysique maternel et celle du féminin. C’est un contraste entre désir de pouvoir et puissance maternelle que nous donne à voir cette scène. Il faut mentionner que, dans le Dune de Herbert, il y a une haute importance accordée au fait de posséder un équilibre entre le féminin et le masculin à l’intérieur

« Depuis les stoïciens Zénon et Sénèque, cette tendance à la démesure a tenté d’être matée par la modération, la sagesse, la justice et la grandeur d’âme » de l’âme. Le Bene Gesserit croit que Paul est le Kwisatz Haderach, c’est-à-dire un messie-oracle génétiquement manipulé au fil du temps

le délit · mercredi 3 novembre 2021 · delitfrancais.com

par l’ordre et qui aurait atteint, finalement, une perfection grâce à sa capacité de posséder le savoir intergénérationnel de la branche généalogique féminine et masculine de sa lignée afin de mieux anticiper les possibilités de futurs. Paul voit donc mieux le futur qu’une sœur du Bene Gesserit parce qu’il possède cet équilibre ancestral hybride, sa mère lui ayant transmis son pouvoir féminin. Mais le Dune de Villeneuve, c’est aussi la cinématographie onirique des grands espaces. Une poétique de la lenteur, de la petitesse de l’homme. Une cinématographie qui nous renvoie au grain de sable dans la dune, à la dune dans le désert, au désert sur la planète et à la planète en tant que grain de sable dans l’univers. Or, cette nature ne semble pas trop grande pour Paul ; il n’est pas perdu et sans solution vis-à-vis d’elle. Il s’y résigne. L’accepte. Il la respecte, là où les Harkonnen cherchent à la contrôler, à l’épuiser à profit ; épuiser cette lenteur par désir de vitesse. La domination de Paul envers elle en est une de tranquillité plutôt que de violence. Il est calme, tout comme le stoïcien antique, au regard de l’inévitable puissance de la nature sur son destin. Il le dit lui-même : « Je fais partie d’un plan . » Paul est un antihéros qui ne désire pas le devenir. C’est l’humain et non pas la nature qu’il dominera sur Arrakis plutôt que d’y forger une alliance pacifique telle que le stoïcisme de son père lui recommandait. Ultimement, c’est l’idée d’une instrumentalisation colonialiste qui est à l’œuvre, et les préceptes du troubadour Gurney Halleck (Josh Brolin) de se battre seulement « quand il le faut » seront oubliés.

Il sera corrompu par la puissance de la planète. Mais cette première partie nous montre simplement le moment charnière où la dichotomie entre stoïcisme et fantasme l’assaillit.

« Villeneuve propulse la science-fiction vers un nouveau sommet, mais y pose aussi ses bases en nous donnant à voir ce qu’elle devrait être » L’ancestral et le symbolisme animal Villeneuve reporte également en images un symbolisme ancestral par les décors et l’architecture antique propres à sa vision. Une architecture mésopotamienne, des fresques murales à l’esthétique ancienne et la présence d’ornementations animalières singulières à la famille Atréides amènent le public à y percevoir cette temporalité ancestrale et même généalogique. Car si le Gom Jabbar mettait en évidence le stoïcisme et la généalogie féminine de Paul, c’est par le motif récurrent du taureau que Villeneuve nous informe sur son penchant masculin. Le grand-père de Paul combattait les taureaux et plusieurs scènes donnent à voir ce motif comme une représentation du stoïcisme. Lorsque Paul regarde

une figurine d’un combattant face à un taureau, c’est l’idée qu’il doit apprivoiser ses peurs qui est, selon moi, symboliquement mise de l’avant. Quand la tête de taureau est transportée sur Arrakis avec la famille Atréides, c’est la notion de ces valeurs familiales, de ce bagage hérité qui voyage avec eux, c’est-à-dire l’homme stoïque face à l’animal. La scène où le Duc Leto, dénudé et surplombé par cette même tête de taureau, fait face au Baron Harkonnen, qui, semblable à un porc, engloutit un repas immense devant lui, semble être une façon symbolique pour Villeneuve d’afficher cette dualité entre celui qui modère ses pulsions et l’autre qui en est l’esclave. Par la suite, le Baron Harkonnen paraît même être dépeint comme une coquerelle ou un hippopotame. Certains critiques du film tentent d’associer le trope du « sauveur occidental » à Paul. Cependant, puisque celui-ci est un tyran en devenir, il ne s’agissait pas pour Villeneuve de mettre en scène un personnage se voulant « sauveur », mais davantage de critiquer les dangers de ce qu’un dirigeant charismatique peut faire : pousser un peuple autochtone stoïque et pacifiste au djihad génocidaire. Pour l’adaptation de ces nuances à l’écran par une mise en scène symboliste et une direction juste de ses acteurs, Denis Villeneuve se démarque encore par sa vision sérieuse du septième art en lui nouant un aspect littéraire, voire poétique.x Dune est en salle depuis le 22 octobre. La deuxième partie sortira en 2023.

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entrevue

Le théâtre en suspens Le Délit rencontre les artistes de la pièce À quelle heure on est mort? BK : On ne peut pas vraiment comparer ce que Gilles et Louise ont fait avec ce qu’on a fait avec Frédéric. C’est un angle de spectacle complètement différent. Déjà, on joue la pièce à l’envers, alors que Gilles et Louise la jouaient à l’endroit : on se base sur des ruines pour construire quelque chose de complètement neuf. Ce que ç’a nourri, c’est de jouer avec les fantômes des personnages de Mille Milles et Chateaugué par Gilles et Louise et de voir comment ces fantômes teintaient l’atmosphère de la création. Frédéric a dirigé le spectacle d’une main de maître. Il savait dans quelle direction amener le spectacle, et il a bien mesuré l’apport de la première, deuxième et troisième versions, pour le faire avec un souci pour ce que le public recevrait.

alexandre gontier | le délit

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raîchement diplômé·e·s de l’École nationale de théâtre du Canada, où il·elle·s ont étudié sous l’égide du metteur en scène Frédéric Dubois, Marie-Madeleine Sarr et Bozidar Krcevinac interprétaient jusqu’au 30 octobre BéréniceChateaugué et Mille Milles dans la pièce À quelle heure on est mort?, également mise en scène par Frédéric Dubois, qui résultait du collage de certains romans de Réjean Ducharme. Il s’agissait également d’un spectacle reconstruit, né des cendres de la pièce À quelle heure on meurt? qui devait être représentée en avril 2020. Le Délit les a rencontré·e·s. Le Délit (LD) : Pouvez-vous nous parler un peu de la reprise du projet? Avez-vous dû recommencer certains aspects du projet à zéro? Bozidar Krcevinac (BK) : Ça s’est bien passé, la mise en place du texte n’était pas super loin. Il fallait surtout approfondir, rechercher ce qu’on pouvait améliorer par rapport à la version de l’année passée. Marie-Madeleine Sarr (MS) : On avait une captation du spectacle de l’année passée, donc dès qu’on avait un blanc ou qu’on ne savait plus, on avait une référence. LD : Le décor ressemblait à un terrain de jeu d’enfants avec lequel vous interagissiez. Quel rôle avezvous joué dans la conception de la mise en scène? BK : Il y a plusieurs propositions sur le coup de notre part que Frédéric Dubois, le metteur en scène, a décidé de garder. Je pense qu’il y a autant de Frédéric dans ce

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spectacle-là que de notre humour, tout ça est pris à travers la lentille de la mise en scène.

mesure considérez-vous que vos personnages sont fidèles à ceux de Réjean Ducharme?

MS : Frédéric est clair dans sa mise en scène, mais après ça, je pense qu’on a une belle liberté dans l’interprétation, dans les mouvements, dans les blagues. Il y a beaucoup de lui et de sa personnalité dans le spectacle.

BK : Connaissant Frédéric depuis le début de notre école, c’est certain qu’il ne s’est jamais retenu de nous parler de Ducharme, de la nature de ses personnages. Dans le montage de Martin Faucher (l’auteur du collage ndlr), c’est d’abord Mille Milles et Chateaugué du Nez qui voque, mais il prend énormément d’extraits d’autres œuvres ducharmiennes dans lesquelles le duo iconique entre frère et sœur, mère et fille revient constamment. Je ne dis pas que chaque œuvre a les mêmes personnages, mais je pense que Marie-Madeleine et moi nous sommes plus teinté·e·s de leur cruauté et de leur tendresse. On a un peu distillé les personnages de Ducharme pour les rendre plus simples à interpréter, mais aussi pour leur donner un angle plus personnel.

BK : Une fois qu’on a compris la direction que Frédéric empruntait, on savait un peu quelle était notre marge de manœuvre dans nos propositions. LD : Est-ce que les différents confinements ont affecté la chimie entre vous? Est-ce que votre jeu en a été influencé? MS : Non, parce que Bozidar et moi pouvions répéter entre et après les répétitions, pendant et avant la pandémie. Ça ne nous a pas influencé négativement, mais ça nous a sûrement rapproché·e·s, en fait. Même l’année dernière, lorsqu’on savait que le spectacle n’allait pas être nécessairement représenté, c’était un grand luxe de pouvoir répéter et créer ensemble sur scène, sachant qu’on avait plusieurs ami·e·s qui ne pouvaient pas travailler. BK : Je suis complètement d’accord. Le confinement nous a surtout permis de mesurer la chance qu’on avait de pouvoir remonter sur scène et répéter. Je pense que l’influence première du confinement, c’était d’être content·e d’être là et de pouvoir exercer notre métier. LD : Si on peut parler un peu plus du texte lui-même, dans quelle

LD : Quel intérêt avez-vous trouvé dans ces personnages et dans l’univers ducharmien et qu’ont-ils apporté à votre pratique artistique? MS : Ce que je retiens de Chateaugué et de ma propre interprétation de ce personnage-là, c’est sa liberté, sa fougue. Le passage de « Tout m’avale », où on se rend compte qu’elle n’est pas juste lumière et n’est pas juste « jeu », m’a vraiment parlé. Je me suis beaucoup identifiée à sa bonne humeur, à son envie de jouer, car c’est notre métier aussi, de jouer. BK : Pour ce qui est de Mille Milles, ce qu’il était intéressant d’explorer, c’est son ambiguïté.

Il reste longtemps dans un état d’incompréhension par rapport à ce qui lui arrive, à ne pas vouloir embarquer dans le jeu de Chateaugué mais en même temps de la trouver lumineuse. En tant qu’interprète, c’était intéressant de doser cette ambiguïté-là, sans avoir l’air d’un mur qui reçoit les interventions de Chateaugué. Même dans son indécision, Mille Milles a quelque chose de sincère et c’était quelque chose d’intéressant à retirer du personnage. LD : Vous êtes-vous inspiré·e·s du travail sur les personnages qu’ont accompli Gilles Renaud et de Louise Turcot, les acteur·rice·s qui devaient jouer la pièce à l’origine? BK : Pour ma part, pas vraiment. Je ne me suis pas basé sur quelque chose que j’ai refait, comme on n’avait pas énormément de sources pour pouvoir le faire. La beauté de ce que Gilles et Louise ont fait, c’était de l’interpréter à travers leur vécu, à travers leur expérience, et on n’a définitivement pas la même expérience. Je pense qu’il ne fallait pas essayer de recréer quelque chose que des acteur·rice·s avec énormément d’expérience ont fait avant nous. MS : Je sais que certaines personnes ont vu leur version avant que tout s’éteigne, mais pour notre part, on ne les a jamais vu·e·s, on a seulement entendu leur entrevue. C’était difficile de se baser sur ce qu’il·elle·s ont fait sans référent. LD : En sachant que vous avez dû recréer la pièce d’origine, quelle part de création avez-vous dû ajouter au fil conducteur de celle-ci?

MS : J’ajouterais aussi qu’un point positif de la transition de leur version à notre version, c’est que ça finit dans la lumière. Je pense que Frédéric avait un souci de faire un spectacle qui réconforte, qui fait rire et qui finit sur une bonne note, alors que dans la version originale, c’est le contraire qui se produit. Je crois que c’est un point positif pour notre version. LD : Comment avez-vous vécu la mise en suspens de vos personnages? MS : On a monté le spectacle en octobre 2020 et ça faisait plusieurs mois qu’on était dans le néant. Je pense aussi que notre expérience de laisser aller les personnages était différente de celle de Gilles et Louise. On ne savait pas non plus si on allait refaire le spectacle, il n’y avait rien de sûr encore. Pour ma part, ça s’est fait assez doucement, assez naturellement, comme on était dans un état végétatif depuis mars. BK : Laisser ces personnages-là se déposer, même sans vraiment en avoir conscience, nous a donné une première chance de les explorer. Un an de pause, même si tu ne t’en rends pas compte, ça mûrit en toi. Personnellement, j’ai trouvé Mille Milles très difficile au début, et je ne savais pas trop comment l’aborder. Je crois que l’année qui a passé a éclairé beaucoup de choses. Toute l’équipe est sortie de cette année-là avec une vision plus claire de la manière d’aborder les thèmes et les personnages centraux de la pièce.x Propos recueillis par florence lavoie

Éditrice Culture léonard smith

Coordonnateur de la correction

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