Le Délit - 30 mars 2022

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Publié par la Société des publications du Daily Daily,, une association étudiante de l’Université McGill

Édition spéciale Nourriture et alimentation

Photographie culinaire, déchétarisme, cannibalisme, et bien plus au menu!

Le Délit est situé en territoire Kanien’kehá:ka non-cédé. Mercredi 30 mars 2022 | Volume 111 Numéro 22

Délit-cieux depuis 1977


Volume 111 Numéro 22

actualités campus

Le seul journal francophone de l’Université McGill

actualites@delitfrancais.com

Un courriel qui fait du bruit

Conseil législatif : la Politique en solidarité avec la Palestine ne passe pas inaperçue. thomas fridmann Éditeur Actualités

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a rencontre du conseil législatif de l’Association étudiante de McGill (AÉUM) avait lieu par Zoom le jeudi 23 mars au soir. Outre les activités normales, la rencontre a été marquée par des discussions entourant le courriel envoyé par Fabrice Labeau (Premier vice-principal exécutif adjoint) sur la nouvelle Politique de solidarité avec la Palestine (Palestine Solidarity Policy, ndlr) adoptée le 21 mars dernier. Le message de Labeau mentionne que cette politique serait « contraire aux principes mêmes de l’AÉUM » et demande à l’AÉUM de remédier à la situation, faute de quoi le protocole d’entente entre cette dernière et l’Université pourrait être résilié. Au terme de la rencontre, le conseil a approuvé une motion déposée durant la soirée qui proposait l’écriture d’une réponse de l’AÉUM au message de Labeau. Des débats sur la réponse à apporter face à McGill La rencontre du conseil a commencé dans le calme, mais il n’a suffi que de 10 minutes pour entrer dans le vif du sujet. Au moment d’approuver l’ordre du jour de la réunion, la représentante de la Faculté des Arts, Yara Coussa, a proposé un point de discussion supplémentaire sur le message de Fabrice Labeau reçu le jour même, seulement quelques heures avant la réunion. Ce message faisait part d’accusations de l’administration mcgilloise comme quoi la Politique de solidarité avec la Palestine polariserait la communauté étudiante et promouvrait une culture d’ostracisation. La Politique avait été adoptée dans le dernier référendum, 71,1% des étudiants s’y étant montrés favorables. Le taux de participation au référendum s’élevait à 16,5%, plus qu’à la dernière élection de l’exécutif de l’AÉUM. Les modifications proposées par la représentante Coussa ont été approuvées avec 16 voix en faveur et trois contre. La présidence du conseil en a ensuite profité pour rappeler les règles parlementaires – comme le fait de ne pas interrompre l’agenda et de ne pas s’adresser directement aux conseillers – aux membres de la galerie, venus en grand nombre afin de questionner leurs représentants sur le message qu’ils avaient eux aussi reçu. En effet, les membres de la gallerie ne savaient pas à qui s’adresser, ni quand intervenir ou pas.

Bien qu’il ait été absent de la soirée en raison de ses obligations au Conseil des gouverneurs de McGill, le président de l’AÉUM Darshan Daryanani a toutefois publié un communiqué le vendredi 25 mars à l’attention des membres du conseil législatif. Il y a mentionné sa peur que la récente sortie de McGill empiète sur l’autonomie de l’AÉUM tout en soulignant que « l’intention de McGill de mettre fin au protocole d’entente avec l’AÉUM » est préoccupante.

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actualités

RÉDACTION 3480 rue McTavish, bureau 107 Montréal (Québec) H3A 1B5 Téléphone : +1 514 398-6790 Rédacteur en chef rec@delitfrancais.com Philippe Bédard-Gagnon Actualités actualites@delitfrancais.com Félix A. Vincent Myriam Bourry-Shalabi Thomas Fridmann Culture artsculture@delitfrancais.com Sophie Ji Florence Lavoie Société societe@delitfrancais.com Opinion - Aymeric Tardif Enquête - Louise Toutée Philosophie philosophie@delitfrancais.com Marco-Antonio Hauwert Rueda Coordonnatrice de la production production@delitfrancais.com Gabrielle Genest Coordonnateur·rice·s visuel visuel@delitfrancais.com Alexandre Gontier Vacant

alexandre gontier | le délit Lors de la période des questions, le v.-p. aux Affaires externes, Sacha Delouvrier, a mentionné que l’Université mettait de la pression sur l’AÉUM afin de changer le contenu de la Politique, malgré le fait qu’elle ait été approuvée démocratiquement. Il a suggéré une « consultation avec [leurs] avocats quant à la réponse à donner et pour discuter de nos options. » Au sujet de la possible réaction de l’AÉUM, le v.-p. aux Finances, Éric Sader, a rappelé l’importance d’entamer des discussions avec l’administration plutôt qu’adopter une approche frontale. La représentante Yara Coussa a souligné l’importance de ne pas abandonner la Politique, car elle a été approuvée par la majorité des votants. La représentante de la Faculté des Arts, Charlotte Gurung, a quant à elle répondu que la prochaine étape serait une décision du conseil judiciaire sur la constitutionnalité de la Politique en solidarité avec la Palestine.

« Delouvrier et Gurung [expliquaient] par exemple qu’il fallait prendre en compte qu’une “ bataille judiciaire ” contre McGill serait particulièrement coûteuse » Une période de discussion a ensuite eu lieu, prolongée à deux reprises. Plusieurs des intervenants du public ont incité l’AÉUM à répondre immédiatement à la prise de position publique de McGill. Cependant, les différents conseillers et membres exécutifs ont appelé au calme, Delouvrier et Gurung expliquant par exemple qu’il fallait prendre en compte qu’une « bataille judiciaire » contre McGill serait particulièrement coûteuse. Selon les représentants, cette bataille judiciaire utiliserait de l’argent venu de la poche des étudiants dont 83,5% ne se sentent pas suffisamment concernés pour voter. L’idée d’écrire une affirmation con-

jointe avec le mouvement Étudiants de McGill en solidarité pour les droits humains palestiniens (Solidarity for Palestinian Human Rights, SPHR) a été écartée. Toutefois, la motion concernant l’écriture d’une déclaration par l’AÉUM sur le message du McGill Relations Office (MRO) de l’Université a été approuvée par 11 voix en faveur, mais quatre s’y sont opposées et deux se sont abstenues. Elle implique la consultation de SPHR et de l’équipe légale de l’AÉUM avec pour objectif de publier la déclaration le 28 mars. Autres sujets d’intérêt Parmi les points importants soulevés durant la rencontre du conseil législatif, le v.-p. aux Finances, Éric Sader, a fait une courte présentation sur le désinvestissement dans les finances de l’AÉUM. Il a ainsi mentionné la priorisation des compagnies vertes, transparentes, et l’importance de ne pas investir dans des compagnies socialement irresponsables. Il a reconnu que l’institution dans laquelle est placé l’argent de l’AÉUM, la Banque royale du Canada (RBC), n’est pas la meilleure option en raison de ses investissements dans les sables bitumineux. Selon lui, cependant, il serait difficile de transférer vers une autre banque, en prenant l’exemple d’un transfert passé des finances de l’AÉUM de la Banque Scotia vers RBC. Deux autres motions ont également été approuvées à l’unanimité. La première visait à confirmer la nomination de FL Fuller Landau LLP comme vérificateur de l’année fiscale 2023. La deuxième touchait à l’accessibilité aux bibliothèques sur le campus, et donnera comme mandat au v.-p. aux Affaires universitaires la responsabilité d’évaluer l’accessibilité dans les bibliothèques et de recommander des changements. La rencontre du conseil s’est clos avec les rapports des différents conseillers et comités. Bon nombre de ces rapports ont été repoussés à la prochaine rencontre.X

Multimédias multimedias@delitfrancais.com Olivier Turcotte Vacant Coordonnateur·rice·s de la correction correction@delitfrancais.com Natacha Papieau Léonard Smith Webmestre web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Coordonnateur·rice·s réseaux sociaux reso@delitfrancais.com Anna Henry Vacant Contributeur·rice·s Léa Dakessian Sonia Nouri Marie Prince Couverture Alexandre Gontier BUREAU PUBLICITAIRE 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 0E7 Téléphone : +1 514 398-6790 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Représentante en ventes Letty Matteo Photocomposition Mathieu Ménard The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Pandora Wotton Conseil d’administration de la SPD Philippe Bédard-Gagnon, Kate Ellis, Marco-Antonio Hauwert Rueda, Asa Kohn, Thibault Passet, Abigail Popple, Simon Tardif, Pandora Wotton, Mylene Kassandra

Les opinions exprimées dans les pages du Délit sont celles de leurs auteur·e·s et ne reflètent pas les politiques ou les positions officielles de l’Université McGill. Le Délit n’est pas affilié à l’Université McGill. Le Délit est situé en territoire Kanien’kehá:ka non-cédé. L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Les opinions de nos contributeurs ne reflètent pas nécessairement celles de l’équipe de la rédaction. Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavant réservés). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans le journal. Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).

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campus

10 ans après, la mobilisation continue Les étudiant·e·s redescendent dans la rue pour la gratuité scolaire. Photos et Texte : louise toutée

Éditrice Enquête

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e mardi 22 mars dernier, une décennie jour pour jour depuis l’une des plus grandes manifestations du printemps érable, le mouvement étudiant revenait à la charge en défilant de nouveau dans les rues de Montréal pour réclamer la gratuité scolaire. La manifestation s’est effectuée dans le cadre d’une semaine wde grève touchant 82 000 étudiant·e·s de cégeps et universités, certaines associations comme le Regroupement des étudiantes et les étudiants de sociologie de l’Université de Montréal ayant même voté pour une grève générale illimitée. Le rendez-vous était donné pour mardi 13h, à la Place du Canada. Au pied de là où se trouve normalement la statue de

John A. McDonald, une série de discours ont été prononcés. Ceuxci reflétaient le large éventail de revendications de la manifestation : certains ont parlé de frais de scolarité, d’autres de stages non payés, un autre a dénoncé la loi 21 au tournant d’une phrase, et celui d’une étudiante bolivienne issue du peuple Quechua portait finalement sur la précarité des étudiant·e·s internationaux·les et de l’importance de « décoloniser l’éducation ». Le même constat s’impose en regardant les symboles portés par les manifestants : de nombreux carrés rouges, symboles des manifestations de 2012, mais aussi plusieurs cercles verts, en référence aux mouvements de grève pour la justice climatique. Plusieurs pieuvres mauves sont venues compléter le tableau, figure de la lutte pour la rémunération des stages.

« Plus chaud, plus chaud, plus chaud que le climat! », « Tout le monde déteste la police! », « Un peuple instruit jamais ne sera soumis! », « On a la rue, ils ont le parlement. Il y a plus de rues que de parlements! »

La foule, qui réunissait environ 2 000 personnes, a ensuite défilé dans les rues du centre-ville, passant en début de parcours devant le portail Roddick. Des policier·ère·s en vélo ainsi que quelques dizaines de policier·ère·s anti-émeutes encadraient la marche qui s’est déroulée dans le calme.

Slogans scandés par les manifestant·e·s

Des percussionnistes de la formation Movimento, créée par des étudiant·e·s en musique durant la grève de 2012, étaient présent·e·s pour donner le rythme de la manifestation.

« En offrant des bourses, vous nous prouvez que vous avez de l’argent. Mais nous, stagiaires, ne demandons pas de bourses, nous demandons un salaire! »

Il·elle·s se sont arrêté·e·s plusieurs fois – dans le tunnel sous la rue Sherbrooke, par exemple, qu’il·elle·s ont utilisé comme caisse de résonance – pour donner de courtes performances chorégraphiées.

Discours prononcé au ressemblement de départ Après plusieurs détours, la manifestation s’est terminée non loin du parc Émilie-Gamelin, où les étudiant·e·s se sont assis·es au milieu de l’intersection Sainte-Catherine w/ Berri. Aucun discours n’a marqué la fin de la marche, et les manifestant·e·s ont lentement commencé à se disperser. Pour plusieurs des étudiant·e·s en grève, la mobilisation n’était pas terminée. Une manifestation pour la rémunération des stages avait lieu le jeudi soir à la place Émilie-Gamelin, là où les « manifs de soir » du printemps érable avaient l’habitude de commencer, et finalement une manifestation pour la justice climatique avait lieu le vendredi 25 mars. x

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Actualités

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CAMPUS

Nourrir les étudiant·e·s isolé·e·s en résidence Les résident·e·s atteint·e·s de la COVID-19 ne se confinent plus. ur le campus de McGill, le nombre de cas signalés de COVID-19 a doublé en une semaine, passant de 69 personnes ayant reçu un diagnostic du 6 au 12 mars à 143 personnes la semaine suivante. Le 22 mars dernier, les étudiant·e·s en résidence universitaire ont reçu une liste de nouvelles directives autorisant les personnes positives à la COVID-19 à quitter leur chambre pour prendre un repas ou aller aux toilettes.

De son côté, Abby, une résidente du RVC, trouve « irresponsable de laisser des personnes positives à la COVID-19 errer dans la cafétéria et dans les salles de bain ». Abby a expliqué au Délit qu’elle connaît une personne en isolement qui avait essayé de commander un repas du service de livraison de Nouvelle Résidence à RVC, mais qu’elle avait dû attendre deux heures avant de recevoir son plat. Par conséquent, Abby a créé un groupe de messagerie avec les étudiant·e·s de sa résidence afin que les contaminé·e·s puissent demander l’aide des autres résident·e·s.

Dans un premier communiqué envoyé le 22 mars, le Service de logement étudiant et d’hôtellerie expliquait que lorsqu’un·e étudiant·e commence à manifester des symptômes, il·elle devrait s’isoler dans sa chambre pour une période de cinq jours en quittant sa chambre uniquement pour aller aux toilettes. Pour les étudiant·e·s dans des chambres doubles (partagées), il·elle·s étaient transféré·e·s dans des chambres d’auto-isolement à Nouvelle Résidence. Cependant, un deuxième courriel envoyé le lendemain a annoncé que « le nombre d’étudiants ayant reçu un résultat de test positif a dépassé le nombre de chambres d’auto-isolement disponibles ». Le courriel précise néanmoins que les personnes infectées qui sont logées dans des chambres doubles peuvent être assignées une chambre d’auto-isolement si certaines sont encore disponibles.

Pour Aliya, une responsable d’étage (floor fellow) à RVC, « les mesures concernées constituent un facteur de stress pour les étudiants qui sont responsables de se procurer leur propre repas, mettant des personnes à risque ». Elle a affirmé que les personnes de son groupe d’âge considèrent qu’attraper la COVID n’est « pas grave » mais en réalité, selon elle, « c’est injuste envers les personnes immunodéprimées ». La responsable d’étage propose d’abord de rendre le service de livraison de nourriture plus accessible et abordable, ensuite de désigner les salles de bains spécifiques pour les personnes contaminées, et finalement de transmettre aux responsables d’étage le nombre de cas positifs dans la résidence. Aliya conclut que « ce n’est pas la faute des étudiants s’ils attrapent la COVID, mais des mauvaises mesures en place ».x

MYRIAM BOURRY-SHALABI

alexandre gontier | le délit

Éditrice Actualités

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CAMPUS

Si ce n’est pas le cas, « [le Service logera] les colocataires des étudiants ayant reçu un résultat de test positif dans des chambres individuelles » à la résidence Royal Victoria College (RVC) et la personne ayant reçu un résultat de test positif s’isolera dans sa chambre. McGill demandait initialement aux mcgillois·es en résidence universitaire d’avoir recours à un·e ami·e pour leur amener des repas. Le nouveau communiqué autorise maintenant les étudiant·e·s ayant reçu un résultat de test positif à quitter leur chambre afin de « récupérer des repas à remporter des salles à manger mais d’y retourner pour les manger ».

Réactions mitigées Lorsque Becca, une résidente de Molson Hall, a reçu un test positif, elle a dû s’isoler à Nouvelle Résidence pour une période de cinq jours. Les étudiant·e·s qui y sont logé·e·s ont l’option d’avoir un service de livraison de nourriture : « J’ai commandé des plats du service de livraison que la résidence offre, j’ai commandé du Doordash et j’ai acheté des livraisons de commandes d’épiceries – mais toutes les options étaient très coûteuses », expliquet-elle. Selon Becca, les mesures en place sur le confinement en résidence « sont irrespectueuses envers les personnes immunodéprimées sur

le campus », mais elle a nuancé sa pensée, affirmant que ce doit être « difficile pour une grande université de trouver des accommodations lorsqu’il y a un grand nombre de cas ». Quant à Aidan, un résident de McConnell, il a dû rester dans sa chambre parce que « Nouvelle Résidence était remplie » et que son état de santé aurait rendu son déménagement difficile. Il se dit chanceux d’avoir des ami·e·s qui lui livraient ses repas lorsqu’il était en isolement. « Puisque le taux de vaccination est assez élevé dans les résidences, je ne pense pas que les nouvelles directives mettent des personnes à risque », affirme-t-il.

Opposition à la Politique de solidarité avec la Palestine L’adoption d’une politique par l’AÉUM est contestée par l’administration. d’entente », la convention entre l’AÉUM et l’Université. L’article 12.2 du protocole d’entente indique que « la partie défaillante, après la réception d’un avis de défaut, dispose de 30 jours pour remédier à ce dernier ».

Félix A. Vincent

Éditeur Actualités

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RO Communications a envoyé le 24 mars dernier, au nom du vice-principal exécutif adjoint (études et vie étudiante) Fabrice Labeau, un courriel qui dénonçait l’adoption de la Politique de solidarité avec la Palestine. Cette Politique avait été approuvée le 21 mars dernier au référendum d’hiver 2022 par le corps étudiant avec 71,1% des voix et avec un taux de participation de 16,5%. Dans son courriel, Fabrice Labeau affirme qu’une initiative comme la Politique polariserait « à l’excès notre communauté » en créant « une culture d’ostracisme et d’irrespect fondés sur l’identité, la religion ou les convictions politiques ». Le message porte à croire que cette Politique inciterait à cibler des individus sur la base de leur

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actualités

religion ou de leurs convictions politiques, alors qu’elle vise spécifiquement des entreprises et des institutions. Fabrice Labeau fait appel à la direction de l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM) afin « de remédier à la situation sans délai ». À défaut de cela, Fabrice Labeau indique que le protocole d’entente entre l’Association et

Paul Lowry l’Université pourrait être résilié. Le protocole d’entente détermine les paramètres d’opération de l’AÉUM sur le campus ainsi que sa relation avec l’Université. Dans un courriel envoyé le 22 mars à Darshan Daryanani, président de l’AÉUM, Fabrice Labeau signalait que la Politique irait à l’encontre « d’une condition présente dans le protocole

Contactée par Le Délit pour en savoir davantage sur ce qu’impliquerait une résiliation du protocole d’entente, Shirley Cardenas, relationniste de l’Université, a écrit : « Les débats constructifs sont au cœur de notre mission universitaire et de notre identité mcgilloise. Toutefois, le respect et l’inclusion sont les préalables incontournables de ces échanges. Les politiques et les initiatives qui donnent à des membres de notre communauté le sentiment de ne pas être l​ es bienvenus ou d’être rejeté [sic] sur nos campus ne contribuent en rien à la réalisation de notre mission ». La Politique en question engage l’AÉUM à reconnaître « le système colonial israélien contre la

Palestine ». Selon le préambule de la Politique, « ce système colonial se caractérise par un régime brutal d’appropriation des terres, de postes de contrôle, de démolitions de maisons, de destructions de l’environnement, de déportations et d’exécutions extrajudiciaires aux mains des soldats, de la police et des colons ». La Politique dénonce que « l’Université McGill investisse et collabore étroitement avec plusieurs institutions complices d’un système d’apartheid colonial ». Dans son courriel, Fabrice Labeau allègue que la Politique donnerait « le sentiment à des membres de la communauté de ne pas être à leur place sur nos campus ». La Politique était proposée par les Étudiant·e·s de McGill en solidarité pour les droits humains palestiniens (Students for Palestinian Human Rights, SPHR). L’Université n’a toujours pas offert d’explications sur ce qu’impliquerait une résiliation du protocole d’entente avec l’AÉUM. x

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campus

Manifestation pro-palestinienne L’adoption d’une politique par l’AÉUM est contestée par la direction.

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e 21 mars dernier, la Politique de solidarité avec la Palestine a été approuvée au référendum d’hiver 2022 par le corps étudiant mcgillois avec 71,1% des voix. La Politique en question engagerait l’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM) à reconnaître « le système colonial israélien contre la Palestine » et à dénoncer que « l’Université McGill investisse et collabore étroitement avec plusieurs institutions complices d’un système d’apartheid colonial ». Le plan est proposé par les Étudiant·e·s de McGill en solidarité pour les droits humains palestiniens (Students for Palestinian Human Rights, SPHR). À la suite de l’annonce de l’adoption de la Politique, le groupe SPHR a souligné la nature historique du vote sur Facebook : « Nous exhortons tous les étudiants à s’inspirer de cette campagne victorieuse pour s’engager davantage sur le plan politique, non seulement avec SPHR, mais aussi avec d’autres communautés anticoloniales et de justice sociale sur le campus », peut-on lire dans un communiqué du 22 mars dernier. Le même matin, un jour après les résultats du référendum, le

président de l’AÉUM Darshan Daryanani a reçu un avis de défaut de Fabrice Labeau, premier vice-principal exécutif adjoint (études et vie étudiante). Celui-ci signalait que la Politique irait à l’encontre « d’une condition présente dans le protocole d’entente », la convention entre l’AÉUM et l’Université. Selon le communiqué, la Politique serait « inconstitutionnelle et discriminatoire » sans donner de justificatifs précis. L’article 12.2 du protocole d’entente indique que « la partie défaillante, après la réception d’un avis de défaut, dispose de 30 jours pour remédier à ce dernier ». Deux jours plus tard, le 24 mars dernier, Fabrice Labeau a envoyé un courriel intitulé « Résultat du référendum de l’AÉUM » à l’ensemble de la communauté mcgilloise en expliquant que le plan empiéterait sur le nouveau programme d’examen et de prévention de l’antisémitisme et de l’islamophobie de l’Université McGill. Cette initiative, annoncée le 21 mars dernier, vise à « maintenir une communauté universitaire ouverte et inclusive [et représente] un travail de tous les instants qui interpelle chacun d’entre nous », selon le courriel envoyé par Christopher Manfredi, vice-prin-

cipal exécutif et vice-principal aux études. Le communiqué de Fabrice Labeau a ensuite souligné que la Politique de solidarité avec la Palestine créerait « une culture d’ostracisme et d’irrespect » et donnerait « le sentiment à des membres de la communauté de ne pas être à leur place sur nos campus ».

« Si l’administration semble autant affolée par une revendication démocratique d’action pour la condition palestinienne, je me dis que notre activisme porte ses fruits » Jeanne*, membre de SPHR

Lorsque Jeanne*, membre de SPHR, a lu le courriel du v.-p. exécutif adjoint, elle était « bien sûr outrée, mais pas tant surprise » puisque « McGill nous prouve constamment qu’elle est déconnectée des réalités étudiantes et que ses intérêts capitalistes et libéraux passent avant la démocratie étudiante », a-t-elle expliqué. Le 25 mars dernier, en réaction au courriel de l’administration, les membres de SPHR ont organisé un rassemblement d’une cinquantaine de personnes devant le Pavillon James, siège de l’administration. Déroulement de la manifestation

SONIA NOURI

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Entourée d’une foule brandissant des drapeaux palestiniens, une membre de SPHR a débuté la manifestation en

affirmant que l’adoption de la Politique de solidarité avec la Palestine est avant tout une victoire pour non seulement SPHR mais pour tous· les étudiant·e·s pro-palestinien·ne·s. Par la suite, deux autres membres du groupe SPHR ont exprimé leur frustration vis-à-vis de l’administration et ses « nombreuses tentatives de réduire au silence, de censurer et de réprimer les voix des étudiants palestiniens et pro-palestiniens sur le campus ». La parole est ensuite passée à des étudiant·e·s de confession juive qui ont lu à voix haute une lettre ouverte adressée à Fabrice Labeau, exprimant leur déception vis-à-vis de l’administration mcgilloise pour avoir insinué que la Politique ciblerait l’identité juive alors que ce n’est pas le cas. Les deux étudiant·e·s ont exprimé leur solidarité avec la Palestine. Pendant la manifestation, l’ancien président de l’AÉUM, Bryan Buraga, et le président actuel, Darshan Daryanani, ont également pris la parole afin de partager leurs expériences et les difficultés de communication avec l’administration de McGill au sujet de la Palestine. Buraga a avancé que « la menace qui existe présentement n’est pas la dissolution de l’AÉUM, mais porte plutôt sur l’indépendance et l’autonomie de l’Association comme organisation étudiante ». Daryanani a quant à lui affirmé

SONIA NOURI que l’AÉUM allait faire tout son possible pour « défendre le processus démocratique ». Après les discours, la foule a commencé à scander le slogan « le campus nous appartient ». La manifestation s’est close dans une ambiance de célébration avec une performance de la dabkeh, une danse traditionnelle de groupe dans la culture palestinienne.x *Nom fictif MYRIAM BOURRY-SHALABI

Éditrice Actualités SONIA NOURI

Contributrice

actualités

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société

societe@delitfrancais.com

opinion

Les textes d’opinion sont-ils utiles? Lettre à mon·a successeur·e.

Aymeric l. tardif Éditeur Opinion

ALEXANDRE GONTIER | Le Délit

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lors que mon mandat à titre d’Éditeur Opinion du Délit tire à sa fin, je prends quelques lignes de l’édition de cette semaine pour réfléchir à l’utilité de ma section, dont je laisserai prochainement les rênes à mon·a successeur·e. Les opinions ont la cote dans les médias ; elles attirent des clics et malheureusement, il s’agit parfois de leur principale fonction. Tandis que le financement des journaux est en crise, les opinions sont souvent formulées dans une logique de marché, et leur qualité argumentative en pâtit quelque peu. Dans sa République, Platon nous enseignait que l’opinion est une chose distincte de la connaissance (ne vous inquiétez point, j’ai d’abord reçu l’approbation de notre Éditeur Philosophie avant de me lancer dans cette digression platonicienne). Il existe donc également une distinction entre ceux·lles qui opinent, c’est-à-dire les individus qui ne voient pas les choses en ellesmêmes, mais qui voient plutôt les manifestations de ces choses dans le monde visible (par exemple, il·elle·s voient les choses belles, mais ne reconnaissent pas la beauté en ellemême), et ceux·lles qui connaissent, c’est-à-dire qui voient les choses en elles-mêmes. Ces dernier·ère·s peuvent être qualifié·e·s de philosophes : il·elle·s éprouvent de l’affection « pour ces choses dont il y a connaissance ». Platon établit donc une hiérarchie entre ce qui est opinable et ce qui est connaissable, la première catégorie étant inférieure à la deuxième. Or, Platon n’émet-il pas une opinion en classant l’opinion comme étant inférieure à la connaissance?

« Certain·e·s affirment que toutes les opinions se valent. C’est faux » Pour moi, il ne fait aucun doute que oui. Il s’agit certes d’une opinion argumentée sur des dizaines de pages, mais il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une opinion, aussi métaphysique soit-elle. Surtout, elle fait encore réfléchir, plus de 2 400 ans plus tard.

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société

« L’affirmation que la terre se réchauffe pouvait être considérée à une certaine époque comme une opinion alors qu’aujourd’hui, c’est un fait incontestable » Les opinions ont la particularité de soulever les passions et de susciter le débat. C’est entre autres de la confrontation des idées que le changement naît. Mais pour qu’une opinion soit bonne, il faut qu’elle corresponde à un certain nombre de critères. Catégories d’opinions Certain·e·s affirment que toutes les opinions se valent. C’est faux : certaines opinions valent plus que d’autres. D’abord, certaines d’entre elles sont tout simplement irrecevables, car elles ne peuvent pas être soutenues. On peut penser au négationnisme, à la prétention que la terre est plate ou même, à mon humble avis, à la prétention selon laquelle les changements climatiques actuels ne sont pas d’origine anthropique. Face à ce type d’opinion, la fermeture d’esprit est de mise. Sur ce sujet, je vous réfère à un texte écrit récemment par mon collègue Philippe Bédard-Gagnon, rédacteur en chef du Délit, intitulé « Quand faut-il se boucher les oreilles? ». Pour ce qui est des opinions plausibles, qui méritent que l’on s’y attarde, leur valeur sera toujours

déterminée par la qualité de l’argumentation qui les sous-tend. Vous comprendrez donc que par « valeur », je n’entends pas « mérite idéologique ». On peut par exemple avoir plus d’affinités avec des opinions s’inscrivant davantage dans la gauche économique et sociale que dans la droite, mais cela ne veut pas dire qu’on doit considérer que les opinions de gauche ont toujours plus de valeur argumentative. Valeur argumentative On oppose souvent fait et opinion. Le fait est une réalité que personne ne peut mettre en doute, car il est empiriquement vérifiable, alors que l’opinion implique un jugement sur un fait. Mais la ligne entre les deux n’est pas toujours aussi claire. Elle se déplace en fonction des croyances

et des époques. Ainsi, l’affirmation que la terre se réchauffe pouvait être considérée à une certaine époque comme une opinion alors qu’aujourd’hui, c’est un fait incontestable. C’est cet aspect incontestable du fait qui fait dire à plusieurs qu’il est supérieur à l’opinion. Or, l’opinion est nécessaire au progrès, et si l’on veut qu’elle fasse changer les mentalités, elle doit être complémentaire au fait : une opinion ne vaut rien sans faits. C’est à partir de prémisses factuelles que l’on bâtit un argumentaire. Il est facile de discourir sur un sujet et de simplement dire ce que l’on en pense. C’est une autre paire de manches si l’on souhaite convaincre son lectorat d’adhérer à une position donnée. Chaque affirmation devrait être réfléchie et soutenue autant que possible par un élément factuel. Il faut montrer pourquoi notre thèse est la bonne. Il faut être expert·e de notre sujet. Par exemple, l’opinion d’un·e épidémiologiste sur la COVID-19 aura sans doute plus de valeur argumentative que celle d’un quidam. Cela n’empêche cependant pas n’importe qui d’avoir une opinion possédant une certaine valeur argumentative

« Une opinion sans valeur argumentative peut très bien avoir plus d’impact qu’une opinion solidement argumentée, au grand plaisir des polémistes »

sur la COVID-19, mais cette personne devra entourer ses propos d’une expertise, en invoquant par exemple des études réalisées par des spécialistes. Le bon texte d’opinion est celui rempli d’expertise. Une fois cette expertise mobilisée, il faut que l’argument lui-même soit logique et intelligemment construit. On évitera donc évidemment les sophismes. Malheureusement, une opinion sans valeur argumentative peut très bien avoir plus d’impact qu’une opinion solidement argumentée, au grand plaisir des polémistes qui font de ce type de vacuités argumentatives leur pain et leur beurre. Cependant, cela ne veut pas dire qu’il faille se contenter de textes chocs remplis de sophismes. Si l’on veut que l’opinion ait une utilité sociale bénéfique, il faut la promouvoir dans sa forme la plus noble, car ce sont les opinions les mieux argumentées qui s’inscriront dans la postérité. Pour en revenir à Platon, celui-ci croyait que la plus haute forme de connaissance n’était atteignable que par l’art du dialogue : la dialectique. C’est précisément le rôle que doivent revêtir les textes d’opinion. Ils doivent se répondre entre eux, se déconstruire mutuellement pour que de meilleures versions d’eux-mêmes apparaissent dans nos pages, jusqu’à ce qu’une idée triomphe et gagne la faveur populaire. Et si cette idée ne vous plaît pas, vous pouvez toujours défendre la vôtre dans un texte d’opinion.x

le délit · mercredi 30 mars 2022 · delitfrancais.com


opinion

S’alimenter de manière responsable Le dumpster diving, pourquoi ne pas l’essayer?

des quantités impressionnantes d’aliments. Beaucoup des produits que l’on peut y dénicher viennent tout juste de périmer et, parfois, leur date de péremption n’est même pas encore dépassée. Souvent, ils n’ont pas trouvé preneur·se car leur emballage était légèrement endommagé : une boîte de carton était froissée, une boîte de conserve était cabossée, etc. Néanmoins, la plupart des aliments sont bons bien plus longtemps que ce que leur étiquette laisse présager, croyez-moi.

Aymeric L. Tardif

Éditeur Opinion

L

’humain, avant d’être un animal politique, est un animal. Nous sommes des organismes hétérotrophes dont la vie est rendue possible par l’ingestion de matières organiques. Il nous est donc impossible de vivre sans consommer, et manger est la forme la plus élémentaire de consommation. Lorsque l’on parle de consumérisme, on imagine souvent ces montagnes de cellulaires obsolètes après deux ans d’utilisation ou encore aux garde-robes occidentales renouvelées chaque année afin de suivre les dernières tendances éphémères de la mode. Mais à l’instar de tous nos gadgets, les éléments organiques que nous n’ingérons pas deviennent également déchets. Que se passe-t-il lorsque les aliments destinés à la consommation humaine dépérissent avant même d’avoir été consommés, et ce, à très grande échelle? Et, surtout, comment remédier à cette destruction préconsommation? Selon le rapport de 2019 sur l’indice du gaspillage alimentaire du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), après sa commercialisation, pas moins de 17% de la production alimentaire mondiale finirait aux

opinion

alexandre gontier | le délit poubelles avant même d’avoir été consommée. L’ensemble de cette nourriture gaspillée pourrait nourrir sept fois les individus souffrant de malnutrition. Par ailleurs, les ménages canadiens sont ceux qui gaspillent le plus en Amérique du Nord, loin devant les États-Unis. En effet, 63% de la nourriture jetée au Canada aurait pu être consommée. Combattre le gaspillage alimentaire a plusieurs vertus. Assurément, vous sauverez de l’argent – particulièrement en période d’inflation – mais surtout, vous réduirez votre empreinte écologique. Considérant qu’environ 30% des émissions de CO2 dans le monde sont liées au

secteur de l’alimentation, réduire le gaspillage alimentaire a le potentiel de diminuer ces émissions. Il existe de nombreuses solutions au problème du gaspillage alimentaire, dont une meilleure gestion de son réfrigérateur. Mais il n’y a pas que les ménages qui jettent de la nourriture, il y a aussi les restaurants et les épiceries. Le dumpster diving, parfois nommé déchétarisme, glanage alimentaire ou trésordure en français, s’avère une excellente façon de combattre le gaspillage alimentaire des fournisseurs de nourriture. On trouve effectivement dans les bennes à ordures des épiceries montréalaises

Si vous souhaitez intégrer le dumpster diving dans votre quotidien, repérez les épiceries de votre quartier et prenez l’habitude d’aller jeter un coup d’œil dans leurs bennes à ordures lorsque vous sortez faire une marche ou lorsque vous rentrez de l’université. Il y a de fortes chances que vous tombiez sur des légumes frais, des conserves ou des céréales. Pour ceux·lles qui ne souhaitent pas s’y risquer, vous pouvez télécharger l’application Too good to go, qui offre un service vous permettant d’acheter des paniers de produits invendus à très bas prix chez les commerçants participants. Bien que plusieurs pratiquent le dumpster diving par conscience environnementale, beaucoup le font aussi par nécessité. Certain·e·s avancent donc qu’il vaut mieux ne

« 63% de la nourriture jetée au Canada aurait pu être consommée » pas toucher au contenu des poubelles pour le laisser à ceux·lles qui en ont le plus besoin. Certains endroits sont en effet davantage fréquentés par des sans-abris qui peuvent dépendre du dumpster diving pour se nourrir. Si c’est le cas, il est préférable d’éviter de se servir et de trouver un autre endroit. Restez sensibles à votre environnement et à la population de votre quartier et adaptez-vous en conséquence. Toutefois, dire qu’il ne faudrait jamais pratiquer le déchétarisme si l’on en a pas absolument besoin, c’est mal connaître la quantité de nourriture jetée quotidiennement. Certes, il vaut mieux ne pas tout prendre et en laisser, mais dans le monde actuel où la production alimentaire surpasse la demande afin d’assurer le fonctionnement de sa logique consumériste, je suis d’avis qu’il nous faut être un plus grand nombre de glaneur·se·s alimentaires pour mettre de la pression sur les épiceries. Un nombre grandissant d’entre elles ont désormais des partenariats avec des banques alimentaires, et il faut en inciter davantage à se joindre au mouvement.x

Une nouvelle épidémie?

Portrait de la situation des troubles alimentaires au Québec. Léa Dakessian

Contributrice

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n ces temps de pandémie, les thèmes d’isolement, de solitude et d’anxiété courent nos journaux et inondent nos fils d’actualité. L’incertitude constante et la distanciation sociale ont plongé certain·e·s dans des états de dépression et de stress. Sans aucun doute, ces houleuses dernières années ont fragilisé la santé mentale des Québécois·e·s. Cette toile de fond devient un terreau fertile pour l’apparition de troubles alimentaires chez plusieurs jeunes. Analysant l’impact de la COVID-19 sur la santé mentale des adolescent·e·s de 12 à 17 ans, une étude de l’Université de Montréal révèle que les visites à l’urgence associées à ces troubles ont augmenté de 62% en 2020 au CHU Sainte-Justine et à l’Hôpital pour enfants de Montréal. Le Plan d’action : Services psychosociaux et services en santé mentale en contexte de COVID-19 (2020) du gouvernement québécois ne mentionne aucunement les troubles d’alimentation. Or, la promotion de la santé mentale requiert une implication individuelle, collective et politique.

Les hôpitaux accueillent actuellement un plus grand nombre de jeunes en situation physiquement critique s’étant parfois abstenu·e·s de manger pendant plusieurs jours. Cette hausse est aussi notable dans le reste du Canada, ainsi qu’aux États-Unis et en Europe. Comment l’expliquer et comment s’assurer que des solutions soient disponibles? Les troubles alimentaires sont des maladies mentales perturbant les attitudes d’un·e individu quant à son corps, à son poids et à la nourriture. Ils résultent d’un profond mal-être et ne peuvent pas être résolus « juste en mangeant ». L’anorexie nerveuse, par exemple, se caractérise par une crainte maladive de s’alimenter par peur de grossir. Cette fixation s’accompagne d’une perception déformée de sa corpulence et de techniques de contrôle de poids aussi présentes dans d’autres troubles de la sorte : boulimie, hyperphagie boulimique, etc. 90% des jeunes anorexiques sont des filles, la plupart entre 13 et 16 ans. Certain·e·s sociologues expliquent cette proportion par la pression sociale ressentie par ces adolescentes. Nombre d’entre elles

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tentent de se conformer aux normes de minceur féminine émanant de la socialisation genrée et des rapports sociaux de sexe. Une anxiété émane de l’écart entre leur corps réel et le corps « rêvé » dont seul un nombre infime d’individus se rapprochent. Cette tension est de nos jours exacerbée par l’omniprésence des réseaux sociaux puisque ces plateformes permettent une constante comparaison de soi-même.

« Les visites à l’urgence associées à ces troubles ont augmenté de 62% en 2020 » Plusieurs professionnel·le·s de la santé attribuent l’augmentation de troubles alimentaires durant la pandémie à la prédominance des réseaux sociaux dans cette nouvelle réalité d’isolement. Selon eux, un temps accru sur les plateformes numériques peut provoquer une diminution de l’estime de soi et attiser des préoccupations entourant l’image corporelle. Au cours des deux dernières années, ces facteurs ont été combinés avec une perte de repères importante.

Marie Prince Le bouleversement de la routine quotidienne, le manque de contact social et le continuel besoin d’adaptation sont aussi un ensemble d’éléments pouvant influencer le niveau de stress, l’humeur et les comportements alimentaires. Ainsi, il est sans surprise que la pandémie ait provoqué l’apparition ou l’aggravation de symptômes de ce genre de maladies chez certaines personnes. Les rétablissements sont possibles, mais nécessitent un support continu et accessible. La politique budgétaire du gouvernement caquiste, publiée le 22 mars dernier, semble oublier l’enjeu de la santé mentale. Pourtant, les spécialistes du domaine préconisent vivement une intervention gouvernementale pour sensibiliser la tranche d’âge

vulnérable et surtout pour mettre en place un soutien adéquat à la disposition des patient·e·s et de leur famille (psychologues, psychoéducateur·rice·s et travailleur·se·s sociaux·les). Investir pour remédier à ce manque de ressources criant en santé mentale est essentiel : bien que le processus de guérison soit de longue haleine et puisse paraître décourageant, les plus récentes données démontrent que le parcours en vaut souvent les efforts.x Besoin d’aide et de soutien pour vous ou un·e proche? Anorexie et boulimie Québec (ANEB) offre un service de clavardage et une ligne d’écoute (514-630-0907 ou 1-800630-0907) pour les jeunes. Des ressources et des informations se trouvent sur le site de l’organisme.

société

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philosophie prose d’idée

philosophie@delitfrancais.com

« Ses dents étaient dangereusement rivées à mon gland. Et je craignais que parvenue comme elle l’était aux combles de la frénésie, des larmes et de la passion, elle ne vint le mordre à pleines dents et à me le guillotiner. J’ai dû la chatouiller pour la forcer à desserrer la mâchoire » HENRY MILLER

Encas de petit creux : creuser ses joues Défense de l’antropophagie. alexandre gontier | le délit

Alexandre Gontier

Illustrateur

J’

Par ailleurs, dans certaines tribus anthropophages, on croyait que boire le sang et manger les corps ennemis permettait de se nourrir de leur force vitale. Ce délire sanglant est une conviction psychotique ; il reposait sur la croyance que boire du sang rapprochait l’anthropophage du divin. Dans Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil, Jean de Léry, voyageur et écrivain français, se rend compte du décalage entre la perception européenne de l’Amérique du Sud et la réalité sur place. Il écrit que « leur principale intention est, qu’en poursuivant et rongeant ainsi les morts jusqu’aux os, ils donnent par ce moyen crainte et épouvantement aux vivants ». On comprend ainsi que l’acte cannibal peut être réalisé non pas seulement par la volonté de consommer ses semblables pour se défouler, mais aussi pour des raisons religieuses. De plus, ces rituels n’avaient lieu que très rarement et n’étaient pas systématiques, suggérant à nouveau que l’acte anthropophagique peut être dénué de toute pulsion émanant d’une addiction.

ai du mal à parler, donc je vais te l’écrire. La fin de semaine dernière, je me suis mâché l’intérieur des joues jusqu’à ce que la douleur me sorte de mon obsession momentanée. Autrement dit, je me suis creusé l’intérieur des joues pour me nourrir jusqu’à la limite ; plus je m’en approchais, plus l’euphorie provoquée par ce comportement autophagique était exaltante. Cela fait déjà quelques jours, et bien que je me serais passé de mes aphtes hérités, ils m’ont quand même fait réaliser à quel point il est banal de consommer des parties de son propre corps. Peutêtre es-tu toi même en train de lire cet article en te rongeant la peau autour des doigts pour savourer des morceaux d’ongle sans vraiment en prendre conscience. Si tu as de la chance, tu n’y seras confronté qu’en lisant ces lignes, sinon un panaris te le rappellera. Le cannibalisme désigne la consommation de chair humaine dans le cadre d’un rituel tandis que l’anthropophagie ne couvre que la consommation. Ces deux pratiques sœurs fascinent les humains tant elles attirent qu’elles repoussent. Les comportements d’autoconsommation décrits plus haut peuvent, en quelque sorte, être rapprochés à l’anthropophagie. Ce constat est déroutant parce qu’il ampute une partie du caractère fantasmé que l’on rattache habituellement à cette pratique. Quelle est donc la part de trivialité attachée à la consommation de son corps – et, a fortiori, de celui de nos congénères? Avec une préoccupation contemporaine grandissante liée à la consommation de viande, pourrait-on même tendre vers une acceptation éthique de l’anthropophagie?

« L’anthropophagie affirme à la fois la bassesse de l’homme et le paroxysme de la cruauté »

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Philosophie

ment diabolisés, et rappelle que son sens premier se réfère aux étrangers, soit tout simplement ceux qui ne sont pas grecs.

Ambiguité : cuit, cru et pourri L’anthropophagie relève du monstrueux sans pour autant être fantastique. La violence qu’on associe à ses adeptes est rattachée à une force mythique, voire romancée. C’est un acte spectaculaire qui affirme à la fois la bassesse de l’homme et le paroxysme de la cruauté : l’individu dévore son congénère. Toutefois, la simplicité de l’acte est animale tant elle implique, dans la culture, un instinct de survie. Prenons Le Radeau de la Méduse, du peintre romantique Théodore Géricault. Dans cette peinture, on observe des naufragés sur un radeau qui sont conduits, selon le critique d’art Jonathan Miles, « aux frontières de l’existence humaine ». Il ajoute : « Devenus fous, isolés et affaiblis, ils massacrèrent les plus rebelles, mangèrent les cadavres et tuèrent les plus faibles ». Alors que l’homme peut survivre plusieurs semaines sans s’alimenter, les naufragés se sont livrés à des actes anthropophagiques dès le septième jour. Par conséquent, dans cette

situation, la motivation de survie peut, à certains égards, perdre en crédibilité. En effet, si la consommation de ses camarades n’est pas nécessaire pour rester en vie, elle représente donc un caprice cannibale, doublement barbare. Dans ses Essais, le philosophe français Michel de Montaigne critique la démarche sophistiquée qu’avaient les Européens lorsqu’il s’agissait d’aborder les peuples autochtones pratiquant l’anthropophagie. En effet, les Européens avaient tendance à faire une représentation caricaturale, erronée et finalement crédule des populations autochtones alors qu’ils reprochaient justement la naïveté de ce que Rousseau, puis ses contemporains, appelaient « bons sauvages ». Les occidentaux du 16e siècle estimaient que les mœurs étrangères étaient inférieures à celles auxquelles ils étaient habitués. Par conséquent, elles n’étaient perçues que sous le spectre de la sauvagerie. Montaigne met à mal l’utilisation du mot « barbare », utilisé abusivement pour décrire les peuples autochtones outrageuse-

La lecture de ces deux penseurs met en lumière la perception erronée de l’anthropophagie tenue par les sociétés occidentales à travers l’histoire, qui la voyaient uniquement comme une expression de déviance, de perversité et de démence. Le projet Ouroboros Steak : une faim en soi? Dans son livre Du goût de l’autre : Fragments d’un discours cannibale, l’anthropologue Mondher Kilani écrit sur le projet Ouroboros Steak, qui propose de créer de la viande humaine à partir de cellules prélevées au niveau des joues et cultivées pendant trois mois. La logique de la mesure serait de résoudre à la fois des considérations environnementales et éthiques contemporaines, car elle permettrait de produire de la viande sans la pollution et la souffrance liées à l’élevage animal. Selon le penseur, la consommation d’un produit comme celui-ci « ne constituerait pas une rupture anthropologique majeure ». En effet, il faut rappeler que le rapport actuel que nous avons avec la viande repose métaphoriquement sur un modèle cannibal : nous gardons les ani-

maux d’élevage proches de nous, les transformons en membres de notre communauté, seulement pour les envoyer à l’abattoir quelque temps plus tard. Lorsque l’on se rappelle qu’avant un steak, il y a un veau, l’idée de le consommer peut rendre plus mal à l’aise. C’est pour cela que les abattoirs sont cachés et hautement protégés, pour permettre un déni suffisant. Le touche-à-tout Roland Topor écrit au 19e siècle dans La Cuisine cannibale que le mythe ancestral qui motive les expériences cannibales est la croyance que la viande humaine serait, au même titre que l’espèce humaine, supérieure. Cela rappelle l’expression « Nous sommes ce que nous mangeons », qui insinue que seuls les cannibales sont véritablement humains. Cet adage est d’ailleurs originellement rattaché à l’hindouisme avant d’être vulgarisé.

« Le rapport actuel que nous avons avec la viande repose métaphoriquement sur un modèle cannibal » Somme toute, si l’on se fie à ce vieil adage hindou, un cannibale ne mange pas vraiment quelqu’un d’autre lorsqu’il mange quelqu’un qui lui ressemble ; il se l’approprie jusqu’à ce qu’il fasse partie de lui-même. Il l’ingère, le digère et l’incorpore. Le cannibale dans la conscience populaire est mystifié. Il est vu comme un « barbare », pour reprendre Montaigne, comme un étranger alors qu’il reste en fait le même que nous, avec les mêmes que nous, au même endroit que nous et en mangeant les siens. On peut interpréter les pratiques anthropophages comme des pulsions de fin, s’exprimant en réponse à une conception profondément pessimiste de son existence. Ce serait un aveu : le rapport est et restera impossible. La crudité de cette réalisation est insupportable. Finalement, elle serait encore plus dure à digérer que l’un des siens…x

le délit · mercredi 30 mars 2022 · delitfrancais.com


culture entrevue

artsculture@delitfrancais.com

Une gommette sous un bleuet Le Délit rencontre Catherine Côté, photographe culinaire.

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LD : Y-a-t’il certains aliments ou types de recettes qui sont particulièrement difficiles à photographier?

atherine Côté est photographe culinaire et réalise notamment des projets pour des producteur·ice·s alimentaires, des chefs, des restaurants et des livres de recettes. Le Délit l’a rencontrée afin de discuter de sa pratique artistique et du processus de création derrière les projets de photographie culinaire.

Le Délit (LD) : Parlez-nous un peu de votre parcours. Pourquoi êtes-vous devenue photographe culinaire? Catherine Côté (CC) : J’ai étudié en Intégration multimédias au Cégep de Sainte-Foy, puis j’ai débuté mon parcours professionnel en tant que développeuse web. J’ai fait de la programmation de sites Internet pendant environ sept ou huit ans et en travaillant pour trois agences publicitaires. Ensuite, j’ai commencé à développer un intérêt pour la photo de nourriture ; ça a débuté par des soupers entre ami·e·s, où je prenais en photos des plats et partageais des recettes. Puis à un certain moment, comme je savais créer des sites web, j’ai créé un blogue culinaire. À Québec, il y a une espèce de communauté de gens qui adorent la nourriture et les restaurants qui se sont ensuite mis à parler de mon blogue. Un peu grâce à ces réseaux-là, l’éditeur de Québec Amérique a éventuellement repéré mon blogue et m’a offert mon premier contrat de photos culinaires. Me lancer en photo culinaire n’était pas nécessairement un « vrai plan » au départ, mais tranquillement, les contrats se sont mis à arriver, puis à un certain moment, j’ai commencé à travailler un peu moins pour les agences publicitaires afin d’avoir plus de temps à consacrer à ces contrats. J’ai fait le saut vers la photographie culinaire à temps plein à la fin 2012, début 2013.

« Au final, chaque photo me prend environ une heure, mais la première photo de la journée sera toujours plus longue et prend parfois le double du temps à réaliser » LD : Quel est le rôle du·e la photographe culinaire dans le procesus de création d’une photo?

Sam Murdock CC : C’est souvent un travail d’équipe. Le·a photographe est responsable du bon déroulement des choses et de la satisfaction de tout le monde. C’est aussi d’essayer de penser d’avance au look des aliments : est-ce qu’on a pensé à tout ce qu’il fallait ? Est-ce que j’ai posé toutes les questions aux client·e·s afin de ne pas avoir de surprises une fois rendu·e·s à la séance photo? Puis c’est aussi d’apporter des idées et d’écouter, il faut toujours tâter un peu le pouls de ce que le·a client·e a besoin et de ce qu’il·elle aime. Chaque photographe a aussi habituellement un style, une signature, mais c’est sûr que j’aime croire que je suis assez polyvalente. Par exemple, certains projets peuvent nécessiter des photos un peu plus foncées, tandis que d’autres, des styles super colorés ou très éclairés. Ensuite, une fois sur le plateau de photos, il y a beaucoup de feeling aussi, parfois ça ne sert à rien de prévoir d’avance un style trop préparé non plus ; sur place, on joue avec les décors, avec la vaisselle, on teste plein de combinaisons différentes pour voir ce qu’on peut faire de beau, dépendamment du style voulu. LD : Quelle est la durée moyenne de la réalisation d’un projet photo culinaire? CC : Pour la plupart des photos dans mon portfolio, j’essaie de ne pas dépasser six à huit photos par jour. Parfois, ce n’est pas toujours possible selon les contrats et si la complexité des concepts n’est pas trop grande, il m’arrive d’aller jusqu’à 10 photos par jour. Au final, chaque photo me prend environ une heure, mais

le délit · mercredi 30 mars 2022 · delitfrancais.com

« Sur place, on joue avec les décors, avec la vaisselle, on teste plein de combinaisons différentes pour voir ce qu’on peut faire de beau »

Catherine côté la première photo de la journée sera toujours plus longue et prend parfois le double du temps à réaliser, comme on doit s’installer et décider de la direction du style des photos, qui donnera ensuite un peu le ton au reste du projet. Un livre de cuisine, par exemple, prendra en moyenne 10 jours de séances photos, pour environ 60 à 80 photos par livre.

CC : Oui, les lasagnes et les pâtés, comme le pâté chinois ou les pâtés à la viande, c’est ce que je trouve le plus difficile à rendre « beau ». Ce qui est difficile, mais très plaisant à photographier cependant, ce sont les hamburgers et les sandwichs ; on doit prendre notre temps afin que tous les étages soient bien visibles et parfois ajouter un cure-dent en arrière et créer des tourniquets de viande. Tout l’effort se finit par un très beau résultat. LD : Vous arrive-t-il de revisiter certaines recettes, par exemple en ajoutant certains ingrédients qui ne sont normalement pas utilisés, afin de changer la texture d’un plat pour qu’il paraisse mieux à la caméra? CC : Une fois, j’ai eu un contrat de photos de crème glacée, où on devait faire des formes particulières, donc c’était vraiment pas une option de travailler avec de la vraie crème glacée ; on a plutôt fait une recette de fausse crème glacée, avec de la purée de pommes de terre Betty Crocker et de la margarine. Dans ces moments-là, je fais souvent affaire avec des stylistes culinaires ; pendant les premières années, je m’occupais moi-même de styliser les aliments, mais avec le temps, c’était important pour moi d’avoir une personne responsable de cela sur les plateaux, afin que je puisse me concentrer sur le reste. Parfois aussi, lorsque quelque chose doit être en hauteur ou bien tenir d’une certaine façon, je peux, par exemple, mettre une gommette en dessous d’un bleuet, un cure-dent par-ci, un morceau de papier collant par-là. Comme mes client·e·s sont des producteur·ice·s alimentaires et des chefs, on n’altère pas vraiment leur nourriture, ce sont des photos naturelles. Et ce qu’on prend en photos, on risque de le manger pendant l’heure du dîner, donc c’est rare qu’il y ait beaucoup d’altérations. Parfois aussi, je mets quelques sous en dessous des verres pour changer un peu leur angle et éviter un effet lightbulb, c’est-à-dire l’effet créé par le fait que plus la caméra est loin, plus les objets ont un peu l’air de tomber. LD : En lien avec ce que vous venez de mentionner concernant la nourriture que vous mangez le midi, avez-vous des stratégies implantées en photographie culinaire pour éviter le gaspillage des aliments?

CC : C’est beaucoup le ou la chef qui s'en occupe, mais souvent, je dirais que les séances photos sont aussi du « développement recettes » pour les client·e·s, donc ils et elles vont aimer ce qui est cuisiné et vont vouloir le manger pour dîner. L’horaire des photos tient très souvent compte de cela. Par exemple, on va planifier ce qu’on mange pour dîner et prendre les photos de la recette en question juste avant la pause. Sinon, c’est sûr que ça arrive que j’aie beaucoup de restants provenant de séances photos dans mon frigo, je vais parfois les porter dans les frigos de partage en basse-ville de Québec, ou sinon il m’arrive d’appeler des ami·e·s en leur disant par exemple : « J’ai beaucoup de saucisses dans mon frigo, je ne vais pas m’en sortir toute seule ». Je suis toujours contente de faire profiter les gens autour de moi. Je dirais que les restants de nourriture sont quand même un « beau problème » de mon travail, que j’arrive habituellement à gérer. Je fais attention au gaspillage le plus possible, mais par contre, si je prends une photo d’un plat avec de la viande et que ce plat reste pendant des heures sur la table, je ne prends pas de chances non plus.

Vous pouvez suivre les prochains projets de Catherine Côté sur son site web, sa page Facebook et sa page Instagram.x

Catherine côté chef : hubert cormier, nutritionniste

Propos recueillis par Sophie ji

Éditrice Culture

culture

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entrevue

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Minutie et dextérité

Le Délit rencontre Gabrielle Dalessandro, styliste culinaire et accessoiriste. vais prendre le produit et ajouter chaque grain de sésame noir et beige, et ajouter quelque chose pour améliorer l’adhésion si nécessaire. Même chose pour les œufs de poissons sur un sushi ; je vais les placer au centre un par un, je vois cela comme une sculpture qui demande une très grande minutie et beaucoup de précision. C’est un métier à part entière.

abrielle Dalessandro est styliste culinaire et accessoiriste. Elle œuvre dans le domaine culinaire depuis vingt ans. Le Délit l’a rencontrée afin de discuter de sa pratique artistique et du processus de création derrière le stylisme culinaire. Le Délit (LD) : Parlez-nous un peu de votre parcours. Pourquoi êtesvous devenue styliste culinaire?

LD : Quelle est la durée moyenne de la réalisation du stylisme d’un aliment?

Gabrielle Dalessandro (GD) : J’ai débuté mon parcours avec des études en diététique, puis avec un double DEC en arts. Lors de mon deuxième cours d’arts, mon professeur m’a demandé ce que je faisais en diététique, car selon lui, j’étais vraiment une artiste. J’ai réfléchi et j’ai eu l’idée de jumeler mes passions liées à l’alimentation, la chimie et les arts, donc les aliments sont devenus mon médium.

« J’ai un plaisir fou à défaire la perfection maintenant, mais c’est un chaos harmonieux, c’est ça le défi » LD : Avez-vous des esthétiques ou des styles particuliers que vous utilisez souvent pour styliser les aliments? GD : Je m’adapte selon les styles demandés. Au départ, lorsque j’ai commencé ma carrière, tout devait être parfait, c’était un facteur très difficile pour moi, parce qu’en tant qu’artiste, on aime la liberté, mais le côté scientifique prenait le dessus. Par exemple, on devait couper une tarte aux pommes avec un couteau de précision, alors qu’aujourd’hui, le plaisir que j’ai, c’est de lancer une fourchette dans une tarte aux pommes, aussi imparfaite soit-elle. J’ai un plaisir fou à défaire la perfection maintenant, mais c’est un chaos harmonieux, c’est ça le défi. LD : À quelles occasions les gens ont-ils recours aux services d’une styliste culinaire? GD : J’ai d’abord été employée à temps plein pendant 10 ans pour une entreprise, ce qui est très rare pour les stylistes culinaires. Ensuite, j’ai eu à m’adapter à la vie de pigiste et je fais un peu de tout aujourd’hui : des publicités, du travail avec Instagram, du lifestyle, des livres de recettes, je fais des décors pour les arrière-

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culture

GD : Ça roule ! Lorsque je parlais de « chaos harmonieux » plus tôt, c’est vraiment ça, il faut faire le mieux possible, le plus rapidement possible, en respectant les temps alloués pour chaque contrat. C’est aussi très relatif, par exemple, une soupe est plus rapide à styliser que certains autres plats.

guy hamelin plans des photos… Il suffit que quelqu’un m’appelle avec un projet alimentaire et je réponds à la demande du client ! LD : Qu’est-ce qu’un lifestyle? GD : C’est en quelque sorte d’« humaniser » les projets alimentaires, en mettant en scène des gens en mouvement avec des aliments, en train de manger ou boire. LD : Vous arrive-t-il de revisiter certaines recettes en ajoutant, par exemple, certains ingrédients ou en ajoutant des éléments non comestibles pour que la texture paraisse mieux dans un lifestyle ou dans une photo?

« Je vois cela comme une sculpture qui demande une très grande minutie et beaucoup de précision » GD : C’est là que le défi chimique fait son entrée. Mais aussi, l’expérience aide énormément, car après avoir fait environ 50 livres de recettes, on connaît mieux les modifications que nécessiteront différentes recettes. Par exemple, maintenant, je suis souvent en mesure de lire une recette et de prévoir qu’une sauce sera trop liquide pour la caméra et que je devrai l’épaissir, ou encore qu’un

« Parfois, il faut aussi prendre des raccourcis ; si j’ai seulement deux heures pour faire cuire une dinde, je n’aurai pas le choix de modifier les recettes originales » pain nécessitera un peu plus de lumière. Parfois, il faut aussi prendre des raccourcis ; si j’ai seulement deux heures pour faire cuire une dinde, je n’aurai pas le choix de modifier les recettes originales.

LD : Certains aliments ou certains types de recettes sont-ils particulièrement difficiles à styliser? GD : Tout ce qui est en sauce est assez difficile ! Par exemple, lorsque tu mets une sauce sur une viande, si tu manques ton coup, tu salis l’assiette et la viande, donc je fais souvent des farces et je dis que je vais prier le dieu de la sauce pour qu’il m’aide à faire le bon jet. Ensuite, il y a aussi la texture de la sauce qui doit être travaillée. Certains concepts avec de la sauce nécessitent aussi beaucoup de dextérité, comme avoir un aliment sur une fourchette dans les airs et devoir faire couler de la sauce dessus, ou encore travailler avec du fromage qui fond. Ce n’est pas impossible, mais c’est plus difficile. LD : Puis à l’opposé, certains aliments ou recettes sont-ils plus plaisants ou simples à styliser?

LD : Sur un plateau de photographie culinaire, qu’estce qui différencie le rôle du styliste culinaire des autres personnes présentes? GD : C’est toujours un travail d’équipe. Ce qui nous différencie, c’est vraiment nos spécialités. Par exemple, pour un sushi, le chef sera responsable de le faire, comme c’est sa spécialité. Ensuite, moi je

Patricia Brochu

« Je vois cela comme une sculpture qui demande une très grande minutie et beaucoup de précision » GD : La sauce, je trouve ça très plaisant, car j’aime le défi. Sinon, au début de ma carrière, les desserts me faisaient peur, car j’ai étudié en diététique et je connais la chimie des aliments, mais je ne connaissais pas bien la pâtisserie, jusqu’à ce que je doive réaliser 63 tartes pour un livre de tartes. Maintenant, lorsque j’ai un contrat de livres de recettes, je commence toujours par les desserts, car j’adore ça. LD : Y a-t-il des stratégies implantées en stylisme culinaire afin d’éviter le gaspillage alimentaire? GD : Ça dépend des plateaux. Lorsque je travaillais pour une grande entreprise, au départ, nous redistribuions les restes à des organismes. Mais si je crains une possibilité d’intoxication, comme j’ai étudié en diététique, je ne prends pas de risques non plus et je jette. Par exemple, si je fais une fausse crème glacée, une fausse crème fouettée ou si je mets de la vaseline sur des tomates, je ne veux pas que personne mange ça, mais tout va au compost quand c’est possible. Sur les plateaux, tout le monde finit aussi par repartir avec certains plats ou aliments.x Vous pouvez suivre les prochains projets de Gabrielle Dalessandro sur son site web et sa page Instagram. Propos recueillis par Sophie ji

André Noël

Éditrice Culture

le délit · mercredi 30 mars 2022 · delitfrancais.com


gastronomie

Le Délit et la bouffe Recommandations de la rédaction : recettes. myriam bourry-shalabi

Éditrice Actualités

Les feuilles de vigne farcies de Baba Depuis mon plus jeune âge, j’ai des souvenirs de ma grand-mère et de mon père assis·es à la table de la cuisine pendant des heures, en train de méticuleusement farcir et rouler des feuilles de vigne. Tout commence avec la farce. Pour les carnivores, on mélange du riz avec du bœuf haché et des épices de son choix (persil, poudre d’oignon et d’ail). Pour les paresseux·ses, je suggère d’errer dans un marché moyen-oriental afin d’acheter du kofta, un mélange déjà préparé. Des lentilles vertes avec des épices zaatar peuvent substituer la farce traditionnelle. Ensuite, on coupe les tiges de la feuille de vigne, on farcit le centre de la feuille avec le mélange de son choix et on s’assure de bien rouler le tout « comme une couche pour bébé bien serrée », comme dirait mon père. Finalement, on ajoute de la sauce tomate par dessus et on met au four pour une heure afin de laisser cuire la feuille farcie dans la sauce. À déguster avec ses doigts!

3/4 de tasse de riz 250 g de bœuf haché Persil 2 c. à soupe de poudre d’oignon 2 c. à soupe de poudre d’ail 1 pot de feuilles de vigne 2 tasses de sauce tomate 1. Mélanger le riz avec la viande, le persil, la poudre d’oignon et d’ail. 2. Couper les tiges de la feuille de vigne. 3. Farcir le centre de la feuille avec le mélange et rouler le tout. 4. Ajouter de la sauce tomate par-dessus. 5. Faire cuire 45 minutes à une heure à 375°F.

marco antonio hauwert rueda 1 cuisse de poulet 1 poivron rouge 1 oignon 3 ou 4 gousses d’ail Vos épices de poulet préférées Une baguette 1. Couper l’oignon, le poivron rouge et les gousses en tout petits morceaux. 2. Cuire l’oignon, le poivron rouge et les gousses d’ail dans une poêle avec de l’huile d’olive. 3. Couper la cuisse de poulet en cubes. 4. Ajouter les cubes de poulet à la poêle. 5. Ajouter les épices. 6. Couper la baguette en tranches, couper les tranches en deux. 7. Mettre un morceau de poulet recouvert de légumes sur chaque demi-tranche de baguette. 8. Traverser d’un pique!

philippe bédard-gagnon

Rédacteur en chef

Les galettes aux bananes de Mme Saint-Pierre

Ce n’est pas le genre de recette qui rallongera votre espérance de vie, mais c’est celle qui la rendra digne d’être vécue. Ma grand-mère la tient d’une certaine Mme Saint-Pierre, la mère d’une de ses amies d’enfance. À ce jour, nous n’avons pas trouvé mieux! Il s’agit d’une recette toute simple de galettes aux bananes pour laquelle j’ai seulement remplacé l’œuf par une alternative végétale, soit un mélange de graines de lin et d’eau. Ces galettes permettent de valoriser des bananes très mûres ou congelées. Simples et abordables, elles requièrent peu de temps de préparation et de cuisson ; Mme Saint-Pierre était une enseignante qui devait nourrir ses sept enfants. Conserver les galettes dans un endroit frais et sec, les réfrigérer pour plus de longévité. Elles resteront moelleuses et bien grasses!

Éditeur Philosophie

Pinchos espagnols à la Marco En honneur à mon pays d’origine, l’Espagne, dont les odeurs et les saveurs me manquent tellement dans le climat glacial de Montréal, j’ai choisi de présenter ma version personnelle des traditionnels pinchos espagnols. Les pinchos contiennent généralement autour de trois ingrédients principaux que l’on traverse d’un pique. L’on sert habituellement plusieurs plats de pinchos différents lors d’un repas pour pouvoir les partager avec ses proches. Les recettes peuvent être extrêmement variées et personnalisables. L’on peut avoir un pincho « méditerranéen », avec un cube d’avocat, un cube de fromage feta et une tomate cerise (à aligner avec de l’huile d’olive et du sel). L’on peut avoir un pincho au poulet, avec du poivron rouge, de l’oignon et un peu de citron. L’on peut avoir un pincho plus traditionnel, avec un anchois, un morceau de fromage de chèvre et une olive, le tout sur un morceau de pain. Les possibilités sont infinies!

1 tasse de bananes pilées 3/4 de tasse de graisse végétale fondue 1 1/2 tasse de farine 1 tasse de sucre 1 3/4 tasse de gruau ou de gruau rapide 1/4 de c. à thé de muscade 1 c. à thé de poudre à pâte 3/4 c. à thé de cannelle moulue 1 c. à thé de sel Œuf végétal : 1 c. à soupe de graines de lin moulues 3 c. à soupe d’eau 1. Dans un petit bol, mélanger les graines de lin moulues avec l’eau. 2. Laisser reposer pendant 5 minutes en mélangeant de temps à autre. 3. Dans un grand bol, combiner les ingrédients secs. 4. Incorporer les ingrédients mouillés et l’œuf végétal dans le grand bol à l’aide d’un mélangeur électrique. 5. Sur une plaque de cuisson non graissée, transférer l’entièreté du mélange en formant de petits disques espacés. 6. Mettre au four pendant au moins 20 minutes à 350°F. 7. Sortir du four et laisser refroidir pendant 5 minutes avant de se servir. 8. Les manger telles quelles ou avec un verre de lait végétal.x

illustrations : Florence lavoie | Le Délit

le délit · mercredi 30 mars 2022 · delitfrancais.com

culture

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cinéma

L’art pour sauver le monde Le documentaire Je me soulève à l’affiche depuis le 25 mars.

alexandre gontier | Le Délit

florence lavoie Éditrice Culture

À

la croisée des chemins : là se tient debout et fière la poésie, selon le documentaire Je me soulève, toute nouvelle réalisation d’Hugo Latulippe et gagnant du prix du meilleur film canadien à la 40e édition du Festival international du film sur l’art (FIFA). Le film nous donne à voir le processus de création de la pièce de théâtre éponyme, qui a été créée en 2019 au Théâtre du Trident. Le spectacle, idée originale des

« Je revendique fièrement mon appartenance au monde de l’intuition et des sentiments » Hugo Latulippe sœurs Gabrielle et Véronique Côté, reprenait les textes de 35 poètes québécois·es pour en extirper un air du temps, des préoccupations et des idées qui marqueraient notre époque et qui seraient palpables dans les voix des poètes. Pourquoi la poésie nous touche-t-elle? Que peut-elle dire sur notre époque? Où les voix individuelles se rejoignent-elles? Véronique Côté et Hugo Latulippe sont également les auteur·rice·s de

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culture

deux essais parus chez Atelier 10, La vie habitable et Pour nous libérer les rivières, chacun criant la nécessité de replacer la poésie et l’art au centre de nos préoccupations. La pratique des créateur·rice·s est donc plurielle, interdisciplinaire, et en appelle à la présence de l’art dans toutes les sphères de nos vies. Vivre de l’autre côté du miroir C’est à la poésie que donne corps Je me soulève. En opposition à un langage transactionnel, qui est soumis à la volonté du système marchand et qui n’a pour fin que la « communication de contenus sémantiques », la poésie est un langage autre, en marge ou alors au creux de la langue maternelle – elle est manière de vivre. Véronique Côté, dans La vie habitable, nous dit : « la [poésie] appartient au langage et le met au monde à la fois ». On la retrouve dans la couleur du café, dans les rais de lumière sur le plancher, quand on fait l’amour avant midi, quand la grandeur de la mer donne envie de pleurer. La poésie touche un mystère de l’expérience humaine, une faille au creux de chacun·e où entre le monde et depuis laquelle la parole émerge. Car la poésie est dans le monde et dans le contact que l’on entretient avec lui, elle se fait le témoin de la subjectivité et de la particularité de l’expérience de chacun·e. Poésie : chant de l’insoumission. Appel à la lenteur ; il faut être attentif·ve au sublime. En sollicitant la parole des poètes, Gabrielle et Véronique Côté interrogeaient aussi le langage et son potentiel.

Oui, la poésie est un genre littéraire, mais l’effet est tout autre lorsqu’on l’incarne sur scène. Le médium du documentaire ajoute alors au message que transmet Je me soulève en ce qu’il met en lumière toute la pensée et la sensibilité qui ont accompagné la création du spectacle.

« Nous. Ce qui nous constitue. Nous les marsouins, nous le fleuve, nous les îles, nous le silence, nous les champs, nous la douceur de vivre, nous les jardins, nous les générations à venir, nous les baleines, nous l’amour » Véronique Côté « Je voulais des enfants » Ancré dans une démarche interdisciplinaire – poésie, théâtre, cinéma –, le documentaire suit non seulement les

artistes du spectacle tout au long de sa création, mais donne également à les voir marcher en forêt, lire des recueils de poésie au cœur de Montréal, échanger sur la beauté du territoire, les expériences formatrices, l’arrivée de la poésie dans leur vie. Les paysages québécois se succèdent à l’écran ; « il y a une beauté de la nature, du territoire, qui provoque en nous quelque chose qui nous élève, ou mieux, nous agrandit », écrit Véronique Côté dans son essai. C’est ce que le documentaire transmet aussi, un amour du territoire et un désir furieux de le protéger, pour nous et pour ceux et celles à venir. « Je voulais des enfants » : c’est le titre d’un texte de la dramaturge, inclus dans le spectacle, qu’elle a également performé à l’occasion d’une manifestation. Le texte soulève une importante préoccupation chez les jeune : ne pas vouloir d’enfants est commun, mais renoncer au désir d’en avoir devant l’état du monde l’est encore davantage. Un accent est ainsi mis sur les générations à venir et sur le monde qui leur est légué – les enfants sont nombreux·ses dans la pièce. L’on assiste alors à une scène touchante où les comédien·ne·s adultes traversent la scène avec révérence et simplicité, chacun·e portant un·e enfant. Le symbole est lourd de sens : pour ces enfants, nous devons « refonder le monde ». L’art est notre arsenal, martèle Hugo Latulippe dans Pour nous libérer les rivières. Le documentaire souligne alors le potentiel politique de l’art et montre, en

parallèle du processus de création du spectacle, l’entrée en politique de Catherine Dorion (qui devait jouer dans la pièce, mais qui a plutôt rejoint l’équipe de Québec Solidaire) et les mobilisations citoyennes qui ont secoué le Québec – et ailleurs – pour la justice climatique. C’est alors un plaidoyer que présente Hugo Latulippe, une ligne directe entre œuvre d’art et acte de résistance.

« L’art permet de révéler des cathédrales jusqu’alors invisibles. L’art est un geste de légitime défense, une riposte à la laideur » Hugo Latulippe Tout autant que le spectacle, le documentaire Je me soulève heurte de plein fouet par sa beauté, sa colère et l’amour qu’il porte au monde. Les créateur·rice·s de la pièce et du film s’en remettent à la poésie, à son mysticisme, sa part d’intangibilité qui, à la fois, nous rend uniques et nous rejoint tous et toutes ; il·elle·s appellent à (re)penser le monde.x

le délit · mercredi 30 mars 2022 · delitfrancais.com


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