Le Délit - Édition du 22 novembre 2023

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Publié par la Société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill Le Délit est situé en territoire Kanien’kehá:ka non cédé.

Édition Spéciale Voyage

Mercredi 22 novembre 2023 | Volume 114 Numéro 10

« Ce soir j”vais faire des folies » depuis 1977.


Éditorial

Volume 114 Numéro 10

Le seul journal francophone de l’Université McGill

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Le voyage a-t-il un avenir?

L

e voyage est souvent vu comme une opportunité de tisser un lien fort avec la destination d’accueil, que ce soit par la création d’amitiés ou de souvenirs durables. Cet impact positif du voyage sur l’individu tend parfois à nous faire oublier ses répercussions sur l’ensemble de la société. Là où voyager a une empreinte culturelle positive, il comporte aussi une empreinte environnementale non négligeable qui pèse sur le climat. Selon une étude réalisée auprès de 160 pays et publiée en 2018 dans la revue scientifique Nature Climate Change, le tourisme représente environ 8 % de l’ensemble des émissions de carbone produites dans le monde. Voyager différemment

Le voyage atteste finalement de notre rapport individualiste à l’environnement : nous savons que prendre l’avion est très polluant, mais comme il nous accommode dans nos déplacements, nous abandonnons rapidement l’idée de revoir nos modes de transport. Le voyage peut-il devenir plus écologique à long terme? À quel point sommes-nous aptes à faire des sacrifices pour l’environnement? Telles sont les questions d’éthique contemporaines qu’implique le voyage. L’augmentation de phénomènes météorologiques violents comme les ouragans, les feux de forêt ou encore les inondations auront un impact sur la désirabilité de certaines destinations. On peut estimer que les choix de voyage de plus en plus limités dans les années à venir contribueront à accroître le phénomène de tourisme de masse. Plus on continue de voyager sans égard à notre empreinte environnementale, plus certaines destinations pourraient devenir inaccessibles. C’était le cas l’été dernier en Grèce, où les épisodes de forte canicule ont limité le tourisme, notamment l’accès à l’acropole, qui avait dû fermer ses portes pendant plusieurs heures de la journée. Mais cet impact sur le voyage demeure mineur face à la dégradation des conditions de vie de

certaines régions du globe. Alors que les touristes peuvent faire le choix ou non de s’envoler vers certaines destinations, celles-ci sont un lieu de vie pour les populations locales, qui doivent vivre avec les conséquences directes du réchauffement climatique au quotidien. Et les études à l’étranger? En plus de leur coût économique, les études à l’étranger contribuent à la dégradation de l’environnement, car elles amènent les étudiants à prendre l’avion à plusieurs reprises dans l’année sur de plus ou moins longues distances. Cela, pour retourner voir leurs familles au moment des fêtes ou simplement rentrer pendant les vacances. Dans un monde où il va falloir redéfinir nos moyens de transports, les études internationales peuvent-elles être conciliées avec la lutte contre la dégradation de l’environnement? McGill possède une communauté étudiante internationale qui vient des quatres coins du monde. À l’automne 2023, ce sont 11 987 étudiants qui proviennent de près de 150 pays. Si l’on considère que chaque étudiant international fait un aller-retour chaque année, cela représente environ 22 000 trajets d’avions. Alors que nous tentons de revoir nos modes de consommation, favoriser les études dans sa propres région semble être le choix écologiquement responsable. Pourtant, selon le principal de McGill Deep Saini, la récente décision du premier ministre François Legault de rehausser les frais de scolarité ne contribuerait pas à diminuer le nombre d’étudiants internationaux à McGill. Dans sa forme actuelle, le voyage doit être amené à se réinventer. Si nous voulons conserver des conditions de vie de qualité, peut-être nous faut-il renoncer au confort de voyager quand l’on veut, et où l’on veut. Les étudiants à l’étranger ont eux aussi un rôle à jouer dans la protection de l’environnement. Là où faire des études à l’étranger est encore aujourd’hui acceptable et valorisé, qu’en sera-t-il dans quelques décennies? Traverser l’Atlantique pour étudier sera-t-il devenu un choix irresponsable? x Léonard smith Rédacteur en chef Vincent Maraval Éditeur Actualités

Rédacteur en chef rec@delitfrancais.com Léonard Smith Actualités actualites@delitfrancais.com Hugo Vitrac Vincent Maraval Margaux Thomas Culture artsculture@delitfrancais.com Adèle Doat Juliette Elie Société societe@delitfrancais.com Jeanne Marengère Titouan Paux Au féminin aufeminin@delitfrancais.com Marie Prince Coordonnatrice de la production production@delitfrancais.com Camille Matuszyk Visuel visuel@delitfrancais.com Clément Veysset Rose Chedid Multimédias multimedias@delitfrancais.com Jade Lê Dominika Grand’Maison (photographe) Coordonnateur·rice·s de la correction correction@delitfrancais.com Béatrice Poirier-Pouliot Malo Salmon Coordonnatrices réseaux sociaux reso@delitfrancais.com Layla Lamrani Ema Sédillot-Daniel Contributeur·rice·s Genny Plumptre, Emma Custer, Molly Kines, Anouchka Debionne, Alexia Poupet. Esthétique de l’édition Jade Lê Couverture Clément Veysset BUREAU PUBLICITAIRE 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 0E7 Téléphone : +1 514 398-6790 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Ventes et assistance administrative Letty Matteo Support graphique et technique Alyx Postovskiy Comptable Andrea Gluck The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Olivia Shan Conseil d’administration de la SPD Olivia Shan, Emma Bainbridge, Asa Kohn, Camille Matuszyk, Léonard Smith, Boris Shedov, Marc Cataford.

Les opinions exprimées dans les pages du Délit sont celles de leurs auteur·e·s et ne reflètent pas les politiques ou les positions officielles de l’Université McGill. Le Délit n’est pas affilié à l’Université McGill. Le Délit est situé en territoire Kanien’kehá:ka non cédé.

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L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Les opinions de nos contributeurs ne reflètent pas nécessairement celles de l’équipe de la rédaction. Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mercredis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavant réservés). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans le journal. Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).

Éditorial

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Actualités actualites@delitfrancais.com

campus

Hugo vitrac Éditeur Actualités

Le volontourisme

Entre volontariat et tourisme, quelle est la frontière?

margaux thomas Éditrice Actualités

ainsi prendre en compte l’impact sur les communautés locales : est-ce réellement un bénéfice ou alors un préjudice? La durabilité du projet de volontariat ne peut être à court terme, et une prise de conscience est absolument nécessaire avant de s’engager.

vincent maraval Éditeur Actualités

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ans une ère où le volontourisme – un néologisme formé des mots volontariat et tourisme – gagne en popularité, Le Délit a voulu se pencher sur les motivations et conséquences de cette forme d’engagement. Pour cela, nous avons rencontré Charlotte Laverne, étudiante en troisième année à McGill et Clémence, ancienne étudiante de McGill.

L’engagement civique associé à l’entreprise d’activités bénévoles comme faire des maraudes ou distribuer de l’aide alimentaire par l’association de son quartier peut paraître pour certains trop « banal ». Depuis quelques années, certains ont trouvé un moyen de rendre leur engagement plus dépaysant ou « exotique » : partir à l’étranger pour aider. Dans un monde inégalitaire où près d’un milliard d’individus vivent dans l’extrême pauvreté, des personnes des pays riches et développés, désireux de s’engager pour une cause, veulent venir en aide aux communautés les plus vulnérables. Moyennant des sommes parfois exorbitantes, des associations proposent des expériences humanitaires, dont les impacts sur les communautés locales sont parfois loin d’être positifs. Voyager (souvent en Afrique ou en Asie) pour aller aider les populations locales est une ambition qui suscite des questionnements et des critiques. Outre son but qui consiste à apporter de l’aide à ceux qui en ont besoin, cette activité peut souvent être accompagnée d’intentions parallèles, notamment pour satisfaire sa bonne conscience, passer des vacances légitimes et pouvoir affirmer à tout son entourage : « Je suis quelqu’un de bien. » Ce phénomène de légitimation moral est aussi appelé « syndrome du sauveur blanc ». Dans le cadre universitaire, les opportunités de volontariat à l’étranger sont nombreuses, et mises en avant au sein de la communauté étudiante. Interrogée sur la popularisation du volontourisme, Clémence nous a confié : « Je pense qu’un facteur important, c'est que ce type d’expérience est valorisé dans les universités. On nous encourage davantage au volontariat à l'étranger, qu’au volontariat local. » Ce phénomène s’est popularisé à travers l’instagrammabilisation de nos voyages,

rose chedid | Le Délit

« Je suis quelqu’un de bien »

Des alternatives?

cette envie de montrer et d’étaler notre vie sur les réseaux sociaux. Pour Clémence, « quand on voit d'autres gens le faire, on se dit que ça peut être bien, sans comprendre les conséquences du volontourisme. Donc, au final, c'est faire un voyage en se donnant bonne conscience ». Les gens iraient-ils à l’autre bout du monde pour aider des enfants s’ils ne pouvaient pas l’afficher sur les réseaux sociaux? L’influence sur les populations locales Charlotte est partie deux mois en Tanzanie, près de la ville de Mikungani, pour aider dans une école. Celle-ci fait partie de l’association, Life Support For Change, créée par Myriam, une femme du village, ayant pour le but s’occuper des enfants en bas âge. D’abord affectée aux classes, Charlotte s’est ensuite occupée de l'administration et de la rédaction de rapports pendant le reste de son séjour au sein de l'association. Elle explique qu’au cours de la période, des groupes d’une vingtaine de Sud-Américaines sont arrivées à plusieurs reprises, pour faire ce qu’elle considère du volontourisme. Elles ont voyagé pendant deux semaines avec cette même association, pour un montant exorbitant de plus de 1 000 dollars américains, dédié à l'association Travelers with Cause. Charlotte considère cela comme du volontourisme, car ces personnes « estimaient vraiment les enfants comme des attractions. Elles les appelaient souvent pour s’afficher sur les

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réseaux, en leur disant “venez par ici, on fait un selfie” ». L’impact du volontourisme sur les enfants est documenté et dénoncé par l’association ChildSafe Movement, qui a lancé une campagne de sensibilisation : « Les enfants ne sont pas des attractions touristiques! (tdlr) » Que ce soit pour prendre une photo ou pour créer des liens d’affection, ces enfants revivent – volontaire après volontaire – la même expérience traumatisante de voir ces affinités déchirées lors du départ de ces bénéoles, que ce soit pour deux semaines ou trois mois. Bénéfice ou préjudice? Au-delà du comportement avec les enfants, Charlotte dénonce un autre problème rencontré avec les volontouristes : « On a eu affaire plusieurs fois à des filles qui disaient “non, je n'ai pas envie de travailler aujourd'hui”, alors qu’elles ne travaillaient déjà qu'une demijournée, et avaient leur week-end de libre. » Charlotte avait interrogé Myriam, la directrice de l’association à ce sujet, celle-ci lui a confiée rechercher activement d’autres sources d’argent pour s’émanciper de ces groupes, afin de clairement séparer volontariat et tourisme, parce que ces refus trop récurrents au travail perturbent le fonctionnement de l’école. Malgré tout, l’association avoue avoir besoin de ces fonds pour lancer le projet : « Ces filles, quand elles viennent, elles apportent énormément d'argent. Je dirais qu'en moyenne, chacune de ces filles permettait de sponsoriser trois enfants. Et même quand elles sont sur place, elles dépensent

énormément dans l’économie locale. Donc, au sein de l’école, il y a un petit magasin qui a été mis en place pour que les groupes puissent acheter des souvenirs. » Pour Charlotte, le volontourisme est un phénomène répandu et une entreprise florissante pour les associations bien intentionnées, ou non. « J'ai rencontré d'autres gens qui pensaient faire du volontariat au Togo. Au final, en s'engageant dans l'association, elles se sont rendu compte que les sommes payées par les volontaires n'étaient pas du tout reversées aux enfants. » De son côté, Clémence identifie plusieurs niveaux de volontourisme : « Il y a le niveau financier. Donc, le volontourisme, c'est vraiment comme payer pour faire du tourisme, mais pour

Alors, comment faire du volontariat sans tomber dans les travers du volontourisme? Nous avons posé la question à Clémence, qui s’était engagée dans un projet à l’étranger via le scoutisme. « L'idée, c'est que les projets qu'on doit construire sont en collaboration avec des associations. On doit vraiment apporter quelque chose. On n'a pas le droit de juste payer une association pour faire du bénévolat. L'idée, c'est d'insister sur un suivi, de ne pas partir un mois et ne jamais en reparler. L'idée, c'est potentiellement de lever des fonds après, de faire un suivi, de pousser d'autres équipes à aller faire du bénévolat avec les mêmes associations. » Cependant, Clémence considère que la démarcation avec le volontourisme reste fine. « On reste des gens de 19 ans, qui vont faire un projet à l'étranger pendant une période courte d’environ un mois, sans avoir beaucoup d'expérience. Je pense que le but est principalement éducatif, c'est surtout de nous apprendre à ne pas avoir peur de partir à l'étranger et d'aller à la rencontre d'autres communautés. Mais pour les locaux, je ne vois pas toujours l'intérêt. » Quelle est la nécessité de parcourir des milliers de kilomètres si le but principal est de nourrir son propre égo? L’engagement

« L'idée, c'est d'insister sur un suivi, de ne pas partir un mois et ne jamais en reparler » Clémence, ancienne étudiante de McGill faire du bénévolat. Il y a aussi le bénévolat dans un cadre où la personne n'a pas les compétences pour ce qu’elle fait. Puis il y a aussi la structure dans laquelle tu le fais. Est-ce que tu le fais dans une structure qui est en train de vraiment remplir un besoin? Es-tu vraiment en train de remplir un besoin qui ne peut pas être rempli par des locaux, soit parce qu'il y a un manque de compétences, un manque de main d'œuvre, ou un manque de formation? Quelque chose qui peut être fait sur place, c’est du volontourisme. » Le volontariat à l’étranger doit

local pourrait finalement être la meilleure solution aux problèmes posés par le volontourisme, afin de tirer une ligne claire entre volontariat et tourisme, entre aide et divertissement. En effet, comme nous l’a expliqué Clémence, le volontourisme est fondé sur le syndrôme du « sauveur blanc », qui découle du racisme et de la suprématie blanche, plaçant ces derniers dans une position de privilège et ayant le rôle de « sauveur » vis-à-vis de ceux qui ont été historiquement opprimés et exploités. x

Actualités

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campus

Voyage au cœur de l’activisme mcgillois Reportage photo sur la manifestation pro-Palestine du 9 novembre.

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e froid automnal n’a pas démotivé le regroupement d’une centaine de manifestants le 9 novembre dernier devant le pavillon des arts McCall MacBain pour dénoncer la « complicité » du Canada avec Israël dans ses bombardements intensifs à Gaza. Les associations étudiantes SPHR (Solidarité pour les Droits Humains de la Palestine) des universités Concordia, McGill, UQAM, UdeM, ainsi que du collège Dawson ont organisé une manifestation étudiante pour Gaza et ont appelé les étudiants à une journée nationale de « shutdown ». Le convoi a commencé devant le pavillon des arts McCall MacBain à 13h et a défilé jusqu’à la tour Scotia, l’une des banques ayant le plus investi dans la compagnie d’armement israélienne Elbit Systems. Depuis les attaques du Hamas le 7 octobre, l’offensive israélienne à Gaza a entraîné la mort de plus de 10 000 Palestiniens, dont 70% seraient des femmes et des enfants, selon l’ONU. Alors que les bombardements ont touché des hôpitaux et des camps de réfugiés, plusieurs pays, dont le Canada et les États-Unis, soutiennent Israël dans son droit de se défendre. De plus en plus d’universitaires et de spécialistes du droit international qualifient ces bombardements de génocidaires. Les associations étudiantes montréalaises ont ainsi lancé un appel général à briser leur silence et à dénoncer l’absence d’action du gouvernement fédéral et de leurs institutions universitaires face à une telle violence. Des tambours ont rythmé les revendications le 9 novembre : « Israël, tu ne peux pas te cacher, tu commets un génocide », « Israël terroriste, Canada complice ». Les manifestants ont ordonné un cessez-le-feu immédiat et plus largement la libération de la Palestine de l’État israélien. « Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre » était à la fois visible sur les pancartes et se faisait entendre dans la foule.x

Alexianouchka debionne

anouchka debionne Contributrice

Des affiches sont collées aux murs de la tour Scotia : « Le Canada finance le génocide », « Libérez la Palestine ».

Le 9 novembre, des manifestants défilent du pavillon des arts McCall MacBain jusqu’à la tour Scotia en chantant au rythme des tambours « Solidarité avec la Palestine ».

Ces affiches rappellent les altercations entre deux groupes d’étudiants à Concordia le 8 novembre, qui organisaient des ventes en soutien aux victimes palestiniennes des attaques d’Israël et les otages israéliens du Hamas.

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Une banderole porte l’écriture : « Cette entreprise soutient le génocide. Boycottons » Des manifestants crient « Honte! » devant les bureaux de la tour.

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société Opinion

societe@delitfrancais.com

Le voyage transforme-t-il? Permettre au voyage d’agir en nous.

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in juin de cette année, à la veille de ce qui est pour beaucoup de Québécois le début des vacances estivales, le magazine The New Yorker publiait un essai qui remettait en question le fantasme d’été par excellence : Les arguments contre le voyage (tdlr). Rappelant le dédain de Socrate et de Kant envers le voyage, Agnes Callard creuse une place dans le for intérieur du pèlerin et sème le doute quant aux aspects « transformateurs » du voyage, dont les adeptes vantent trop rapidement les mérites. Cet article tente de briser l’illusion miraculeuse d’un bref échappatoire du quotidien. « On sait déjà ce qu’on sera à notre retour [...] Le voyage est comme un boomerang, il nous dépose là où il nous a pris », et il n’est pas en tort d’affirmer : « Les voyages sont amusants, il n’est donc pas mystérieux que nous les aimions. » Il l’est par contre lorsque, dans la phrase suivante, il affirme : «Ce qui est mystérieux, c’est la raison pour laquelle nous lui donnons une si grande importance, une telle aura de vertu. » Le voyage a cette vertu qu’on lui accorde parce qu’il peut s’avérer transformateur, parce qu’il peut nous déposer ailleurs que là où il nous a pris ; à condition qu’on le lui permette. Le voyage est un phénomène qui transcende toute culture. L’Épopée de Gilgamesh, l’une des œuvres littéraires les plus anciennes, est un récit de voyage. Le récit fondateur des trois grandes religions monothéistes, celui d’Abraham, commence également par un appel au voyage, et le plus renommé des chants de l’époque de Socrate en est devenu éponyme. Toutes ces histoires pérennes, plus influentes les unes que les autres, voient le voyage opérer sur les héros une chirurgie corporelle et spirituelle. L’un part tyran et revient chez lui exemple de l’humanité même, l’autre consolide sa foi en son Dieu, et le dernier apprend la patience et l’humilité qui feront de lui un homme sage. Ces trois méta-récits illustrent la raison pour laquelle la notion du voyage est ainsi conçue : la culture, populaire ou non, dépeint le voyage comme la toile de l’évolution. Toujours est-il que le Québécois lambda qui traverse l’Atlantique n’est pas en risque d’être dévoré par Scylla ; ce qui l’attend est moins de l’ordre des monstres marins, des

déesses perverties et des sacrifices filiaux, que celui de journées passées à errer dans un dédale de rues inconnues ou sur les plages dont les eaux sont légèrement plus limpides que celles du Saint-Laurent. L’oisiveté qui habite les vacanciers empêchet-elle au voyage d’engendrer une transformation qui ne s’anéantit pas quelques semaines après le retour au quotidien? Si la rencontre avec un cyclope est impossible, qu’estce qui pourrait bien traumatiser le regard d’un Québécois, qui passe

la transformation? Comment le voyage répond-il à son appel? L’environnement Le voyage opère par le changement d’environnement. Tant le paysage que le rythme de vie, les habitudes, les goûts et mœurs, ou encore les bruits et les odeurs sont altérés par l’échappatoire. Cette altération de la routine, bien qu’artificielle et éphémère, a pourtant fait ses preuves. C’est en quelque sorte

soit propre à lui-même, soit propre à la culture qui l’entoure : c’est la personnalisation de l’expérience. L’entièreté du vécu dans l’inconnu reçoit chaque péripétie comme un événement singulier parce qu’il est difficilement explicable selon les repères de son chez-soi. S’offre donc au voyageur le choix de l’explication : d’un côté que ce sont la culture et le mode de vie qui sont différents, et de l’autre son dernier recours face à l’inconnu ; le hasard, la (mal) chance, les esprits, Dieu… Une telle

clément veysset | Le dÉliT

deux semaines sans voir de cône orange? Sans doute la réponse est telle que la magie du voyage opère particulièrement ainsi : il répond à ce que nous cherchons. Le touriste français qui veut s’entourer d’autres Français pour rappeler que « le fromage est quand même meilleur en France » réussira à en trouver d’autres qui fuient leur pays seulement pour en éprouver la nostalgie ; les Américains qui refusent d’apprendre d’autre langue que l’anglais trouveront un guide qui le parle couramment et qui veut bien tout leur expliquer pour une somme généreuse ; le « voyageur » qui souhaite se différencier du « touriste » trouvera d’autres « voyageurs » avec lesquels il pourra s’enorgueillir d’avoir appris comment dire « bonjour » dans la langue locale. Mais qu’en est-il de celui qui cherche

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de la même façon que procèdent les centres de réhabilitation comme Portage, qui retirent les participants de leurs environnements pour leur

interprétation d’événements dont l’apparence serait banale chez-soi peut-elle provoquer chez le voyageur davantage qu’un étonnement fu-

« Qu’est-ce qui pourrait bien traumatiser le regard d’un Québécois, qui passe deux semaines sans voir de cône orange? » montrer un milieu différent, leur faire (re)découvrir des habitudes de vies ignorées en espérant que ce qui est découvert sera ramené chez-eux. Lors du voyage, la métamorphose de l’environnement voit l’entourage du voyageur devenir un miroir, non seulement de ce qu’il souhaite voir, mais également de qui il est. Tout ce qui arrive est

gace? C’est dans son approche de ces incompréhensions que le voyageur devient réfléchi par son entourage, et qu’il se voit choisir entre permettre au voyage d’agir en réponse à son appel ou revenir chez lui tel qu’il en est parti. Le redécouverte de l’interaction avec le monde qui l’entoure offre au pèlerin l’opportunité de remettre en question sa responsabilité

vis-à-vis de ce qui lui est avancé. Le voyage le place au centre de l’expérience, et s’il souhaite être transformé, il doit autant s’approprier la beauté qui lui est révélée, qu’il doit délaisser son orgueil, qui l’empêcherait de l’entrevoir. Après tout, « Partir, c’est mourir un peu ». Le voyage associe espace et temps L’une des forces du voyage est le lien qu’il crée entre le temps et l’endroit où il a lieu. La personne que le voyageur est à ce moment est également ce qu’il est en ce lieu. La référence à l’expérience ne se fait plus autant par l’entremise d’une ancre temporelle que par le souvenir de l’environnement qu’il habitait alors ; ou plutôt, les deux marqueurs deviennent indissociables. L’association de ces deux domaines durant une courte période, dans un lieu éphémère, permet d’en réaliser la dissociation acquise dans son quotidien. Celui qui permet au voyage de l’entraîner dans son flot a la possibilité d’entrevoir comment le temps est le cœur du voyage, et que les changements de l’espace qui l’entoure ne sont qu’un moyen de rendre plus saillant le chemin parcouru : le voyage se fait davantage à l’intérieur de soi-même qu’à l’extérieur. Ce qui fait sa magie est cette volonté de découverte et d’émerveillement par laquelle on l’appelle, et l’humilité avec laquelle on reçoit ses réponses. Mais cette magie du voyage peut être reproduite dans une même ville, et le voyage peut se faire sur place. Le défi se trouve dans la conservation de l’approche à l’espace et au temps qu’il insuffle lorsque l’environnement est le même à l’année longue. Ulysse et Gilgamesh, même si leur odyssée les dépose là où elle les a pris, ne sont pas tels qu’ils se sont imaginés à leur départ. Le voyage a agi sur eux, et ce qui fait leur gloire est ce qu’il sont devenus, les personnes qu’ils sont à leur retour. Si le voyageur veut être transformé, il doit non seulement permettre au voyage d’opérer sur lui, mais prendre soin des souvenirs qui lui ont été impartis. x malo salmon Coordonnateur de la correction

SOCIété

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enquÊte

Tour du monde avec Le Délit

Les éditrices du journal vous racontent leurs histoires de voyage.

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es réminiscences de voyage vont au-delà des simples souvenirs et font naître bien plus que des sourires nostalgiques. Notre esprit tout entier est plongé dans une douce épopée vers le passé, qui nous ramène là-bas avec une telle force que nous perdons nos repères et sommes transportés par notre pensée volatile. Les souvenirs de voyage, c’est la force du moment, ce qui nous lie à notre passé, et ce qui nous offre un aperçu de notre évolution personnelle. Les réminiscences d’un voyage, c’est la beauté. Celle d’un temple grec ou d’un bout de plage croate, celle d’un glacier de Patagonie, des marmonnements d’excuse d’un Tokyoïte ou de l’ambiance chaleureuse d’un café new-yorkais. Outre ces pérégrinations poétiques, le voyage détient une force unique : celle de profondément nous changer. L’enrichissement de nos opinions, la remise en question de nos habitudes de vie, vestimentaires, alimentaires ou langagières, nos expressions, nos références, en somme, le développement de notre moi, passent grandement par le voyage. Il nous permet de nous décentrer de notre chez-soi, de notre confort, avec une force particulière qui favorise le questionnement profond et la prise de recul. Le voyage remet en perspective nos convictions et nos façons de faire à travers l’observation et l’apprentissage, ces dernières pouvant parfois être brutales et saisissantes, à un tel point qu’on en ressort souvent changé à jamais, équipé de souvenirs inoubliables. Le voyage, c’est la mémoire, certes, mais c’est aussi l’instant présent, ainsi que l’avenir. Au vu de son impact, il est important de garder en tête que le voyage est un privilège hors du commun. Il est différent pour chacun d’entre nous, c’est pourquoi nous avons décidé de compiler quelques anecdotes et photos de voyage des éditeur·rice·s du Délit. Nous espérons vous permettre de voyager à travers nos yeux, à travers nos souvenirs, de vivre une aventure qui vous permettra sûrement de vous replonger également dans le bonheur du voyage, avec ses surprises et ses émotions, dans sa grandeur et sa perfection.

LE MAROC AU TRAVERS DES YEUX DE LAYLA LAYLA LAMRANI | Le dÉlit

EMA, SAGE-FEMME DE TORTUES Ema, Coordonatrice Réseaux : L’été passé, j’ai été bénévole dans un projet de conservation des tortues de l’océan Pacifique au Costa Rica. C’était situé dans une ferme qui s’appelle Finca Ganadito. C’était ma première patrouille de nuit : on marchait en groupe de cinq personnes sur la plage, dans le noir, avec des lampes frontales, puis on essayait de détecter s’il y avait des nids de tortues ou des tortues qui pondaient leur œufs, pour les prendre et les mettre dans un sanctuaire spécialisé. Là-bas, le vol d’œufs de tortues est vraiment commun. C’est ce que les locaux appellent des « bandits », qui s’emparent des oeufs et les revendent au marché noir, souvent avec des connexions aux cartels de drogue. Soudainement, au loin, on a vu une sorte de boule noire sortir de l’eau. À ce moment-là, tout le monde s’est dit : « Oh mon dieu, une tortue! » C’était une tortue particulière, appelée « tortue olivâtre ». On a alors commencé à s’approcher tranquillement, et on s’est aperçu·e·s qu’elle était en train de faire son trou. Un professionnel qui nous accompagnait a expliqué qu’elle se préparait à pondre des œufs. À partir de ce moment-là, notre mission était de récupérer les œufs, prendre des mesures, et les mettre dans un sac pour les ramener au sanctuaire. Notre « professeur » nous a tous regardé·e·s, et nous a dit : « OK, Ema, ce soir, tu vas être celle qui va attraper les œufs, puis les mettre dans le sac ». J’étais très stressée. J’ai mis les mains dans le trou, puis j’ai commencé à compter les œufs. Ils étaient très fragiles, et sont extrêmement précieux pour les tortues. J’ai commencé à compter « 1, 2, 3 … » et je me rends à 87. Je ne m’y attendais tellement pas! 87 œufs en environ 15 minutes! Quand la tortue a terminé sa ponte, on a reculé, et on l’a laissée repartir dans l’eau. Je ne réalisais toujours pas ce qui s’était passé, c’était tellement magique. C’était honnêtement un moment merveilleux. Je ne sais pas comment le décrire exactement, mais je recommande fortement cette expérience. Cependant, il faut le faire dans les bonnes conditions, être encadré·e et le faire dans un contexte éthique. Ça m’a vraiment marquée. C’est quelque chose que j’ai partagé avec des étrangers, mais grâce à ça, on est tous liés. C’était tout simplement fou.

DOMINIKA À DEUX DOIGTS D’ÊTRE SANS PASSEPORT Dominika, photographe : J’étais en backpacking solo et j’ai pris un Flixbus de nuit de Zagreb pour me rendre à Varsovie. Vers cinq heures du matin, le chauffeur annonce qu’on va prendre une pause de 10 minutes à une gare routière se trouvant sur le chemin. J’avais très faim, donc j’ai décidé d’aller m’acheter quelque chose à manger au dépanneur de la gare. Il y avait une petite file, et je commençais à trouver ça un peu long, mais j’avais cru voir au loin quelqu’un qui ressemblait à mon chauffeur donc je me suis dit que ça allait. Je paye mes courses et lorsque je sors de la gare, je ne vois plus mon autobus où il était stationné lorsque je l’avais quitté. Je regarde autour en panique et je vois l’autobus vert fluo qui roule vers la sortie du parking souterrain, à une cinquantaine de mètres. Je me mets à sprinter avec mes lacets détachés. Arrivée côte à côte avec l’autobus, celui-ci ne s’arrête toujours pas. Sans penser, je lance de toutes mes forces la canette de breuvage que je venais de m’acheter sur la portière, et l’autobus finit par s’arrêter. J’ai failli me retrouver au milieu de nulle part sans mon sac à dos, et donc, sans tous mes biens essentiels pour le reste de mon voyage.

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SOCIété

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ENQUÊTE CAMILLE MAtuszyk | Le dÉlit

SOUVENIR D’AURORES BORÉALES DE CAMILLE Camille, coordonatrice de la production : En 2019, j’ai eu la chance de partir en colonie de vacances en Finlande. J’avais 16 ans et je rêvais depuis toute petite de voir des aurores boréales. Pendant le séjour, nous sortions plusieurs fois chaque soir pour surveiller le ciel, mais sans succès, puisqu’il restait couvert de nuages pendant la nuit. Les animateurs nous préparaient donc à devoir retourner chez nous, sans avoir pu apercevoir les belles traînées vertes dont tout le monde rêvait. Ce n’était pas facile de se dire que seuls quelques nuages nous séparaient peutêtre de ce spectacle. Nous étions arrivés en Finlande le samedi et ce n’est que le jeudi soir, un peu après 23 heures, alors qu’on était tous couchés prêts à dormir, que quelqu’un a crié dans le couloir du chalet qu’il fallait s’habiller. En plus d’être dégagé, le ciel commençait à être vert. C’est devenu l’une des plus belles nuits de ma vie. Malgré la température glaciale, j’ai passé plusieurs heures couchée dans la neige à regarder les aurores boréales danser au-dessus de moi et changer de couleur en quelques secondes. Elles étaient bien plus impressionnantes que tout ce que j’avais souhaité, c’était vraiment magique.

BÉATRICE DANS UN TOUT-INCLUS MEXICAIN Béatrice, coordonatrice de la correction : Quand j’avais à peu près 12 ans, j’ai été au Mexique avec ma famille passer une semaine dans un tout-inclus. Ma soeur et moi voulions nourrir les coatis (une espèce de raton laveur méxicain) qu’il y avait sur le site, et nous avions jugé que leur donner les bananes que nous subtilisions du buffet le matin était un choix judicieux. Un matin, on sort deux bananes et on commence à nourrir un coati, qui semblait heureux de recevoir un tel traitement. Rapidement, plusieurs autres coatis émergent des buissons avoisinants et on se retrouve embusquées assez vite. Ceux-ci étaient également plus agressifs que le premier, tentant de grimper sur les jambes de ma sœur pour qu’elle les nourrisse. On se rend bien vite compte que c’est maintenant une horde de ratons laveurs mexicains qui nous entoure. Je hurle à ma sœur : « Lance la banane! Lance la banane! » Heureusement pour nous, on a été épargnées.

LA FROUSSE SRI LANKAISE DE JEANNE LA CHINE VUE PAR ROSE

Jeanne, éditrice Opinions: Durant mon voyage au Sri Lanka, j’ai été témoin d’un événement des plus choquants : le quasi-décès d’une dame. Pour voyager de ville en ville, il est commun de prendre le train. Ces trains sont assez particuliers, puisqu’ils offrent des vues incroyables sur les paysages verts sri lankais. Pour beaucoup, il s’agit aussi d’une opportunité photo à ne pas manquer. Il est important de noter que ces trains ont aussi comme caractéristique que leurs cabines ne sont pas dotées de portes coulissantes comme les trains que nous connaissons. Imaginez-vous donc que plusieurs touristes entreprennent des cascades peu recommandées pour obtenir la photo parfaite. C’est ainsi qu’une touriste suédoise munie d’un selfie-stick a entrepris une manœuvre dangereuse, où son corps se trouvait complètement hors de la cabine, à laquelle elle restait accrochée à une main. Comme vous pouvez vous l’imaginez, la pauvre dame, sous nos yeux, est tombée hors du train. En panique, nous avons enclenché le frein d’urgence. Le train s’est remis en marche peu après, mais sans qu’on revoit la dame. Il fallut quelques jours pour qu’on recroise la dame et son copain, sur la plage, dans une autre ville. Apparemment, elle avait subi une grosse commotion cérébrale et était condamnée à passer quelques semaines de plus ici parce qu’elle ne pouvait pas reprendre l’avion.

rose chedid | Le dÉlit

titouan paux Éditeur Enquête JEANNE MARENGÈRE Éditrice Opinion

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Concours d’écriture de chroniques journalistiques

ette semaine, Le Délit vous présente le fruit de son tout premier projet collaboratif avec le Centre d’enseignement du français à McGill (CEF). Dans le cadre du cours

« FRSL 449 - Le français des médias », les étudiant·e·s en apprentissage du français comme langue seconde ont été invité·e·s à soumettre des chroniques qui portent sur des faits mar-

quants de l’actualité, culturelle ou politique, d’ici ou d’ailleurs. Ayant pour thème commun « Une image vaut mille mots », les chroniques développent les points de vue personnels des au-

teur·rice·s sur les enjeux sociaux illustrés dans des œuvres d’art ou des photos journalistiques qui ont attiré leur attention. Ces textes, préalablement révisés dans un contexte académique

par la professeure Élisabeth Veilleux, ont par la suite été sélectionnés pour être publiés dans Le Délit. Nous vous présentons donc notre sélection des trois meilleures chroniques.

Les illustrations qui figurent ci-dessous ont été créées par les illustrateur·ice·s du Délit et s’inspirent librement des images originales.

Cette illustration de Clément Veysset est une création dérivée d’une photographie de Fredrick Sandberg.

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e 21 janvier 2022, un homme dans la quarantaine se tient devant l’ambassade de Turquie à Stockholm. Portant une casquette sur laquelle on peut lire « Stram Kurs », il tient un livre entre ses mains. Bien que la manifestation à laquelle il participe soit assez restreinte, avec une foule modeste de spectateurs tenus à distance par la police, les images de ce qui est sur le point de se produire vont faire le tour du monde. Avec quelques caméras fixées sur lui, l’homme prend un briquet et met le livre – une traduction en anglais du Coran – en feu. L’homme s’appelle Rasmus Paludan, et ce n’est pas la première fois qu’il brûle un Coran. Il est le fondateur du parti politique danois de l’extrême droite

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Le droit de propager la haine Stram Kurs, dont les membres sont connus pour avoir brûlé des Corans à plusieurs reprises, en Suède comme au Danemark, dans le but d’exprimer leur opposition à l’Islam, explique un TikTok publié par Mise à Jour en avril 2022. Dès le moment où ces images ont été diffusées dans les médias, elles ont suscité de vives réactions des partisans comme des critiques de Stram Kurs. « Vive la Suède il faut qu’on se défendent (tdlr) », écrit un internaute pour montrer son soutien à Stram Kurs dans les commentaires du TikTok. « Les flammes de l’enfer se régaleront de leur chair pour leurs méfaits », écrit un autre pour critiquer les auteurs de ces autodafés. La question qui s’impose à la suite de cette polémique est la suivante : est-ce que la liberté

d’expression s’étend aux autodafés de livres saints? Les autorités suédoises affirment que oui ; tout en dénonçant l´islamophobie, le ministre suédois des Affaires étrangères rappelle que la Constitution protège le droit d’expression. En revanche, selon un article de l’Agence FrancePresse (AFP) et du Monde, les 57

similaires, proposant une loi qui interdirait ces autodafés, a rapporté l’AFP dans un article relayé par Radio-Canada. Tandis que le débat semble se centrer sur la question de la liberté d’expression, une question plus importante se noie dans les voix énervées : celle de l’isla-

« L’homme prend un briquet et met le livre – une traduction en anglais du Coran – en feu » États membres de l’Organisation de la coopération islamique se sont dits déçus que la Suède n’ait rien fait sur le plan juridique pour prévenir ces actes. Après tout, c’est ce qu’a fait le Danemark face à des incidents

mophobie. Il suffit de regarder les effets virulents de l’islamophobie dans notre société pour comprendre que ces autodafés ne sont pas une cause, mais un symptôme d’un phénomène répandu à travers le monde occi-

dental. Selon le Conseil national des musulmans Canadiens, le Canada était le pays parmi les états du G-7 avec le plus de musulmans tués en raison de l´islamophobie entre 2016 et 2021, ce qui n´est pas choquant quand on considère un sondage mené cette année par l’Institut Angus Reid, qui révèle que 39% des Canadiens ont une opinion défavorable à l’égard de l’Islam. Comme ces autodafés ne sont qu’une des nombreuses conséquences de l’islamophobie, modifier une loi ne changera rien aux mentalités populaires. La question qui aurait dû être posée depuis le début est plus difficile à résoudre que celle de la liberté d’expression : comment peut-on éliminer les racines de l’islamophobie en Occident? Emma custer Contributrice

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De bonnes clôtures font des voisins précaires

Cette illustration de Rose Chedid est une création dérivée d’un extrait du film Voisins (1952) de Norman McLaren.

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lôturer et déposséder : c’est une pratique encore plus ancienne que le Canada. Dans les premiers temps de la colonisation du Nouveau Monde, les colons anglais et français s’appuyaient sur des signes de possession, tels que les clôtures et le développement agricole, pour manifester leur droit au territoire et l’exclusion conséquente des Premières Nations. Encore aujourd’hui, les clôtures sont une expression du contrôle exclusif dont les propriétaires bénéficient. Mais si clore son terrain est un droit de propriété privé reconnu au Québec, il ne faut pas oublier que cet acte physique et symbolique peut faire violence. C’est ce que nous apprend le court-métrage classique de Norman McLaren, qui documente une rupture des relations de voisinage à la suite de l’installation d’une clôture entre deux propriétés. Les clôtures peuvent faire du mal. Elles peuvent même tuer. Telle est la réalité que vivent les habitants du secteur MiltonParc, particulièrement les personnes en situation d’itinérance qui ont été expulsées du terrain vague situé à l’angle de l’avenue du Parc et de la rue Milton en 2020. Goldmanco Inc,

« Contrairement à ce que la Ville souhaite nous faire croire, les droits de propriété privée ne sont pas impénétrables ; ils doivent parfois céder aux droits et libertés constitutionnels. Au Québec, la Charte des droits et libertés de la personne affirme que nul ne peut empêcher autrui d’avoir accès aux lieux publics ou commerciaux sur une base discriminatoire telle que leur condition sociale, y compris l’absence de domicile fixe. Le partage d’espace figure donc parmi les valeurs fondamentales d’une société démocratique » la société immobilière à laquelle appartient le terrain, aurait installé une première grille pour apaiser des voisins qui se plaignaient du bruit, entre autres nuisances. En conséquence, la zone bétonnée qui servait autrefois de plaque tournante pour plusieurs personnes en situation d’itinérance – principalement issues des communautés inuites — leur est maintenant inaccessible. Malgré les efforts de certains organismes communautaires tels que le Comité des citoyen·ne·s Milton Parc, une deuxième clôture permanente a été érigée en juillet 2021.

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Face à cette expulsion, la Ville de Montréal prétend avoir les mains liées. Dans un courriel envoyé au journal Métro, le Cabinet de la mairesse a indiqué que la municipalité ne peut pas intervenir quand il est question de propriété privée. Au lieu de se prononcer sur les actions de Goldmanco Inc, la Ville espère étendre les options de logements sécuritaires et abordables pour la communauté autochtone. Bien que louable, la solution proposée est inadéquate et esquive le cœur du problème. Lorsque l’exercice des droits de propriété met activement en danger un groupe dé-

favorisé, ces droits devraient-ils toujours prévaloir? Le coût humain de la clôture est déjà manifeste. En 2020, Kitty Kakkinerk, une femme inuite, a été heurtée par un camion à quelques mètres de la grille. Des témoins de l’accident, dont son frère, ont affirmé que la clôture avait joué un rôle déterminant dans sa mort. Dans un rapport publié l’année dernière, Nadine Mailloux, l’ombudsman de Montréal, affirme que l’itinérance autochtone dans le quartier Milton-Parc constitue une « crise humanitaire ». Les rela-

tions au sein de la communauté semblent également s’être détériorées depuis l’installation de la clôture. En effet, la fermeture du terrain vague a contraint les sans-abri du quartier à s’établir sur le trottoir, ce qui engendre des frictions avec les établissements commerciaux. Contrairement à ce que la Ville souhaite nous faire croire, les droits de propriété privée ne sont pas impénétrables ; ils doivent parfois se soumettre aux droits et libertés constitutionnels. Au Québec, la Charte des droits et libertés de la personne affirme que nul ne peut empêcher autrui d’avoir accès aux lieux publics ou commerciaux sur une base discriminatoire telle que leur condition sociale, y compris l’absence de domicile fixe. Le partage d’espace figure donc parmi les valeurs fondamentales d’une société démocratique. Norman McLaren avait raison de dévoiler la brutalité des clôtures. Il est temps de revoir notre déférence inconditionnelle à l’égard de cet élément naturalisé du paysage urbain. Genny PLumptre Contributrice

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L’itinérance autochtone : une crise humanitaire

Cette illustration de Rose Chedid est une création dérivée d’une photographie de Jacques Nadeau dans Le Devoir

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ue diriez-vous si une crise humanitaire se déroulait au cœur même de votre ville? Comment réagiriez-vous? C’est une réalité regrettable qui a cours à Montréal actuellement, comme le montre une photo de Jacques Nadeau publiée dans Le Devoir. L’itinérance autochtone est un grave problème qui devrait tous nous préoccuper. En 2022, l’ombudsman de Montréal a publié un rapport avec cinq recommandations à la ville sur l’urgence d’agir pour les peuples autochtones dans le besoin. Depuis lors, malgré certaines avancées, l’itinérance au sein de la population autochtone à Montréal reste endémique. À mon avis, nous pouvons et devons en faire plus pour soutenir cette population vulnérable. Afin d’avancer vers une solution, il faut établir des logements à long terme pour les itinérants autochtones, ainsi qu’un meilleur programme d’accueil pour les personnes inuites qui s’installent à Montréal. Tout d’abord, il faut mettre en place des logements sûrs, stables

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en tenant compte des besoins psychosociaux liés aux traumatismes intergénérationnels qu’ils pourraient avoir vécus. Avec des ressources d’accueil culturellement sensibles, les personnes inuites seront plus à même de s’établir à Montréal.

« Le passé de cette population au Canada est chargé de racisme, de discrimination et d’abus. Bien que nous ne soyons pas les auteurs directs de ces mauvais traitements, nous occupons une position privilégiée en tant que membres du groupe dominant. Cette position implique une certaine responsabilité, malgré la De toute évidence, l’itinérance à Montréal est un gêne que nous pouvons ressentir face à ces vérités troublantes. autochtone problème qui persiste en dépit Je vous laisse donc avec la question suivante : vous sentez-vous de nombreux appels à l’action. Malheureusement, le passé de responsable? Et si oui, comment comptez-vous agir? » cette population au Canada est et disponibles à long terme pour ces peuples à Montréal. En 2022, l’Hôtel des Arts, un refuge qui accueille les personnes autochtones 24 heures sur 24, a été construit dans l’arrondissement de Ville-Marie. Selon un article de Radio-Canada, cet hébergement ne compte que 50 chambres et a été conçu comme une solution temporaire pour les périodes de grand froid. D’après moi, ces refuges sont un pansement sur une artère coupée : insuffisants et lacunaires par rapport au vrai problème. Ainsi,

la Ville de Montréal doit proposer un plan d’action solide, qui inclut une solution permanente à la question du logement. Par ailleurs, la situation de la population inuite à Montréal est particulièrement préoccupante. Selon le recensement canadien de 2021, la population de Montréal comptait 1 130 personnes inuites. D’après un article de Radio-Canada, de nombreux Inuits déménagent à Montréal pour obtenir des soins de santé ou pour échapper à des

situations précaires, mais se retrouvent ensuite à la rue. La psychiatre Marie-Ève Cotton, qui soigne la population autochtone à Montréal, affirme que cette dernière se heurte souvent à différentes formes de discrimination et à la difficulté de trouver un emploi et un logement. Des services sociaux, des ressources et des logements abordables doivent donc être fournis après leur arrivée, afin d’éviter qu’elle se retrouve en situation d’itinérance. Tout ceci devrait se faire dans les langues autochtones et

chargé de racisme, de discrimination et d’abus. Bien que nous ne soyons pas les auteurs directs de ces mauvais traitements, nous occupons une position privilégiée en tant que membres du groupe dominant. Cette position implique une certaine responsabilité, malgré la gêne que nous pouvons ressentir face à ces vérités troublantes. Je vous laisse donc avec la question suivante : vous sentez-vous responsable? Et si oui, comment comptez-vous agir? x Molly kines Contributrice

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AU féminin auféminin@delitfrancais.com

militante

Petit guide du voyage solitaire S’évader seule pour mieux se retrouver.

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n tant que femmes, l’espace public est souvent vécu comme un lieu menaçant. Même les endroits qui nous sont les plus familiers deviennent inquiétants une fois la nuit tombée. Nous ne pouvons pas pour autant rester confinées dans notre sphère privée, dans les endroits sécuritaires, tandis que la possibilité de mobilité procure probablement le plus grand sentiment de liberté. Et cette liberté n’est que partielle lorsqu’elle n’existe qu’en compagnie d’un homme. Avons-nous vraiment toujours besoin de cette présence pour être en sécurité? Alors que la solitude dans l’immensité de notre monde est bien plus dangereuse lorsqu’elle est conjuguée au féminin, partir s’aventurer à l’extérieur, armée de notre courage seulement, peut permettre de se réapproprier ce monde, qui est aussi le nôtre. Voyager seule, tout simplement. Voyager seule pour faire tomber les barrières mentales, celles qui nous font craindre l’espace public, celles qui nous empêchent de surpasser nos peurs de l’inconnu, celles qui nous font croire que nous ne nous suffisons pas. Voyager seule pour se retrouver avec ses pensées, mais aussi avec les inconnues qui croisent nos routes. Se retrouver pour développer sa créativité et apprécier ses émotions, les laisser s’étendre partout, sans la peur qu’elles ne dérangent qui que ce soit. Parce que je crois que la peur ne devrait pas nous empêcher de nous évader, voici un petit guide de voyage solitaire au féminin, avec des idées de destinations sécuritaires, des musiques à écouter et des livres à emporter… La liste des destinations les plus sûres que je vais vous partager a été établie par le cabinet New World Wealth et partagée par le journal français Elle. Ils précisent ainsi que plusieurs critères telles que les violences faites aux femmes (viols, agressions et même esclavage) dans les pays ont été pris en compte. L’étude montre néanmoins également que seuls 58 des 195 pays ont des statistiques fiables sur la criminalité. Pour finir, j’aimerai vous conseiller le blog de l’agence Les voyageuses du Québec, qui donne d’autres idées de destinations sûres, accompagnées de nombreuses informations (budget, idées pour s’héberger et se déplacer sur place…) Si vous ne vous sentez pas encore prêtes pour le voyage solitaire, Les voyageuses du Québec organise des voyages uniquement entre femmes dans un large panel de destinations. Alors, lancez-vous! Le courage des féministes qui ont parcouru les routes pour s’émanciper vous accompagne. Et surtout, n’oubliez pas de voyager en respectant l’environnement, et pour ça, il n’y a rien de tel que la marche, le train, le vélo ou les transports en commun. C’est d’autant plus important que cela nous permet de nous rendre compte du chemin parcouru, et d’expérimenter une certaine difficulté, qui à elle seule peut nous faire prendre soin de nos voyages. Parcourir des milliers de kilomètres en quelques heures n’a rien de normal, rendons-nous compte des espaces pour apprendre à les respecter. Je vous conseillerai aussi d’écrire. Voyager seule, cela fait réfléchir, et écrire permet à la fois d’apaiser, de comprendre et de garder une trace de nos pérégrinations mentales. Allez, laissez votre corps et votre imagination divaguer!x

marie prince | Le dÉlit

« Voyager seule pour faire tomber les barrières mentales, celles qui nous font craindre l’espace public, celles qui nous empêchent de surpasser nos peurs de l’inconnu, celles qui nous font croire que nous ne nous suffisons pas »

Marie Prince Éditrice Au féminin

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culture

artsculture@delitfrancais.com

entrevue

Le courage de briser les codes de la société Entrevue avec Nathan Ambrosioni, réalisateur du film Toni en famille.

adÈle DOAT Éditrice Culture ortie le 6 septembre dernier, en France, la comédie dramatique Toni en famille participait en ce début de mois de novembre au festival du Film Francophone Cinemania à Montréal. Après Les Drapeaux de papiers (2018), il s’agit du deuxième long-métrage de Nathan Ambrosioni, qui, à seulement 24 ans, est à l’origine de l’écriture du scénario, de la mise en scène et du montage.

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Le film raconte l’histoire d’Antonia, surnommée Toni, une mère de 42 ans, qui élève seule cinq adolescents en parallèle à son métier de chanteuse. Alors que ses enfants s’apprêtent à passer le baccalauréat et faire leurs vœux sur Parcoursup (plateforme d’affectation des futurs étudiants dans l’enseignement supérieur français), Toni décide de reprendre les études pour devenir enseignante, lassée d’une carrière qu’elle n’a pas vraiment choisie. Pour incarner la résiliente Toni, il fallait une femme forte qui ne pouvait être autre que l’actrice Camille Cottin, pour qui Nathan a écrit le rôle. Le Délit a rencontré le réalisateur lors de son passage à Montréal. Le Délit (LD) : Le film nous plonge au cœur du quotidien très réaliste d’une famille plutôt normale. Pourquoi as-tu fait le choix de ce sujet?

effort titanesque pour elle. C’est quelque chose auquel s’oppose la société ; même ses enfants ne la comprennent pas vraiment. Pourtant, elle va avoir le courage de le faire. Son courage m’intéressait beaucoup. J’avais envie d’un film très quotidien, justement. J’avais envie que ça parle de nous et que chacun puisse se retrouver un peu dans cette famille. Je voulais faire un

mère. C’est-à-dire qu’on ne nous apprend pas, quand on est petit, à imaginer notre maman indépendamment de son rôle de mère, et ça reflète bien ce que notre société inflige à la mère qui doit s’en contenter. Parce qu’un père absent, c’est un père qui travaille, mais une mère absente, c’est une mère indigne. Elle doit un amour absolu à ses enfants et ça doit être absolu-

ment suffisant. Mais le film ne raconte pas qu’elle n’aime pas ses cinq enfants. Au contraire, elle les aime énormément, elle avait envie d’être une mère, et ça a été un grand projet dans sa vie. C’est un énorme travail de s’occuper de cinq enfants. Tandis qu’ils grandissent et sont

« Parce qu’un père absent, c’est un père qui travaille, mais une mère absente, c’est une mère indigne » Nathan Ambrosioni (NA) : Alors déjà, j’avais très envie de parler de quelqu’un qui s’autorise à se remettre en question, et qui s’autorise à interroger son quotidien. Pourquoi? Je ne sais pas, mais j’étais très attiré par un personnage qui prend des décisions, fait des grands choix qui paraissent tout petits. Parce qu’au final, si je résume le film, c’est une femme qui va s’inscrire sur Parcoursup. Et il n’y a rien d’extraordinaire, mais c’est un

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LD : Tu dis qu’elle doit faire des efforts titanesques. Quand elle décide de reprendre ses études, elle doit passer par de nombreuses procédures administratives : on dirait que tout est fait pour que son projet soit impossible à mener à bien. Est-ce que c’est ce que tu voulais dénoncer? NA : Oui. En fait, indépendamment d’une inscription sur Parcoursup, notre société, en France, invisibilise pas mal la femme une fois qu’elle devient

au métier de maman et à la fonction de la mère. Je dis métier parce que c’est un métier aussi. Ça peut être un métier de papa, mais là, en l’occurrence, c’est le métier de maman. Qu’est-ce que c’est? Je voulais montrer à quel point c’est un travail immense, et particulièrement dans le cas de Toni, puisqu’il est multiplié

« Même si le film est quotidien, il raconte vraiment un exploit »

clÉment veysset | Le dÉlit

film un peu bonbon. Quand tu le regardes, tu te dis : « C’est ce que je ressens quand je me sens bien chez moi. » C’était important pour moi que le film donne cette impression de confort. C’était un long projet de l’apporter jusqu’ici.

Donc, pour moi, Toni a énormément de courage. Même si le film est quotidien, il raconte vraiment un exploit. LD : Les préjugés sont tellement ancrés dans les esprits, que même Toni admet qu’une part d’elle-même résiste à ce projet. Comment est-ce qu’on fait pour s’en affranchir?

tous en train de devenir des humains indépendants, en train de trouver leur individualité, personne n’a laissé à Toni le choix d’être autre chose et d’avoir une vie à côté de ses enfants, parce qu’ils lui prennent tellement de temps et parce qu’encore une fois, c’est un rôle dans lequel notre société veut l’emprisonner. Et c’est dur d’aller contre les injonctions. Mais que ce soit ça ou n’importe quelle autre injonction sociétale, c’est très dur d’aller à l’encontre de ce rôle-là.

NA : Moi, en tant que réalisateur et jeune homme dans cette société, tout ce que je peux faire, c’est représenter pour que les personnes qui sont concernées par ces représentations se reconnaissent. Quand on fait des débats, des présentations, des avant-premières ou des soirées pour le film, on a plein de femmes qui lèvent la main pour poser des questions et qui nous disent : « Moi, j’ai fait comme Toni, ça me fait du bien de me voir à l’écran. J’ai repris mes études malgré mes enfants. » Cela permet d’ouvrir des discussions. Je crois que c’est ce que peut faire le cinéma. Et après, en général, je ne sais pas trop comment on s’affranchit de ces préjugés. Il faut beaucoup de courage, et je crois qu’il ne faut surtout pas culpabiliser. Ce n’est pas parce qu’on n’arrive pas à être comme Toni, à avoir une vie indépendamment de sa vie de famille, que c’est grave. Je crois qu’il faut écouter ses envies, mais c’est compliqué. Moi, tout ce que je peux faire à mon échelle, c’est représenter les gens qui ont besoin d’être représentés. LD : Le rôle de la mère, en tant que figure d’autorité parentale, c’est souvent le mauvais rôle. C’est celle qui dit ce qu’il ne faut pas faire, ce qu’il faut faire. En faisant de la maman le personnage principal du film, cherchais-tu à revaloriser son image? NA : Oui, carrément. Je pense que le film est également un hommage

par cinq, c’est un travail fou. En même temps, il y a la fonction et le symbole de mère. Qu’estce que représente une maman? Que représente-t-elle pour ses enfants? Que représente-t-elle au sein de notre société? Qu’est-ce que la figure maternelle? Et comment arrête-t-on de l’opposer à la femme? Je crois que c’est important d’arrêter de se dire qu’il y a femme et mère, et que ce n’est pas du tout incompatible. Quand je dis « femme », c’est individualisé. Comment trouve-t-on une individualité par rapport à ses enfants? Je crois que ce n’est vraiment pas incompatible, et c’est un discours qui doit absolument se démocratiser. LD : À chaque fois que Toni passe des entretiens dans son parcours administratif pour s’inscrire à l’université, la caméra est centrée sur elle, et ne montre pas l’autre interlocuteur. Le film semble vouloir lui laisser la place pour exprimer ses désirs et libérer sa parole, là où partout, personne ne l’écoute, ni ne l’entend. Est-ce que c’est un choix délibéré? NA : Oui, le film, c’est Toni, et c’est Camille qui l’incarne. C’est pour elle que j’ai écrit le film. C’est parce que j’avais envie de connaître ce personnage. C’est parce que j’avais envie de lui donner la parole. J’avais envie de la représenter. J’avais envie que ce soit son accomplissement, que ce film soit sa destinée. Donc c’était important pour moi qu’on ne se moque jamais d’elle, qu’elle ne soit jamais négligée.

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entrevue

« Moi, tout ce que je peux faire à mon échelle, c’est représenter les gens qui ont besoin d’être représentés » Elle est négligée par les autres personnages, mais nous, en tant que spectateurs, on est toujours de son côté. Le film ne se met jamais contre elle, il ne la juge jamais. Je pense qu’en tant que réalisateur, on ne juge pas, sauf quand on a des personnages immoraux. Mais dans le cas de Toni, je ne suis pas là pour juger mon personnage. Au contraire, je suis là pour l’aimer telle qu’elle est, pour aimer ce qu’elle défend, pour l’aider à se défendre, même

LD : Il y a aussi beaucoup de colère dans le film, que ce soit entre les enfants et les parents, ou entre frères et sœurs, comme si chacun ressentait une injustice. Est-ce que c’est un sentiment que tu as déjà expérimenté dans ta famille?

comme lorsque l’un des enfants fait un coma éthylique. Par contraste, les scènes heureuses, comme quand ils chantent ensemble dans la voiture ou quand ils jouent au Uno, ressortent et en sont embellies.

LD : Le film est ponctué par des scènes assez difficiles comme les scènes de violence, ou de peur,

NA : Je suis content. Pour moi, il faut vraiment tirer de la tendresse du film. Parce que dans la famille,

on s’aime autant qu’on se déchire et c’est un peu l’endroit de tous les mots. C’est autant se dire les choses que ne pas réussir à les dire. Ou de les dire trop frontalement, ou à l’inverse ne jamais les exprimer. C’est un endroit tellement com-

« il y a toujours quelque chose contre lequel on est révolté quand on est adolescent [...] c’est normal, il faut passer par là » plexe. Je voulais quand même que le film décrive des gens généreux, des gens humains et des gens qui s’aiment, globalement.x

Il y a du chemin à faire

cinéma

juliette elie Éditrice Culture

si elle n’a pas besoin de mon aide. Je suis là pour montrer Toni dans tout ce qu’elle a de fantastique et tout ce qu’elle a d’important.

NA : Oui, quand on est adolescent, on est assez égoïste quand même. On a l’impression que nos parents ne nous comprennent pas, qu’ils ne nous écoutent pas. Moi, j’ai eu beaucoup de chance. Mes parents ne sont pas dans le cinéma, mais ils m’ont laissé faire des films avec mes amis. Ils m’ont toujours encouragé à faire ça. Et je n’ai pas vraiment fait de crise d’adolescence comme les ados de Toni. Mais je crois que de toute façon, il y a toujours quelque chose contre lequel on est révolté quand on est adolescent. Ma sœur était très révoltée. C’est normal, il faut passer par là.

Le documentaire L’Océan vu du coeur appelle à une prise de conscience.

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ela fait déjà plus d’un mois que l’astrophysicien, vulgarisateur scientifique et militant écologiste Hubert Reeves nous a quittés. Il a légué, à ceux qui l’écoutaient et l’admiraient, une soif d’apprendre à propos du monde qui nous entoure, celui qu’on habite : la Terre. Son livre, intitulé La Terre vue du cœur, coécrit avec Iolande Cadrin-Rossignol, avec la participation du sociologue et écrivain Frédéric Lenoir, réunit avertissements écologiques et remise en question de la place de l’humain dans la nature, tout en s’adressant aux générations futures. Le livre L’Océan vu du cœur est la suite de cette réflexion, s’attardant précisément au sujet des océans, ces géants plus fragiles qu’ils en ont l’air. L’adaptation en film documentaire de L’Océan vu du cœur, par Iolande Cadrin-Rossignol et MarieDominique Michaud, est sortie en salle le 10 novembre 2023. Le documentaire, rythmé d’entretiens avec Hubert Reeves et Frédéric

climatique et ses effets néfastes sur les océans. Se laisser submerger par la beauté L’Océan vu du cœur porte bien son nom. Grâce aux images limpides et sensibilisantes de Noé Sardet, Sharif Mirshak, Valentin Proulx et de nombreux collaborateurs (Sandra Bessudo, Yves Lefèvre, Sea Shepherd, Cyril Chauquet, etc.), on plonge visuellement dans ce qui fait de l’océan un organe vital de notre planète bleue. Les illustrations d’Eruoma Awashish et de son collègue animateur Étienne Deslières accompagnent aussi brillamment les explications scientifiques poussées, et vulgarisent l’interconnectivité présente partout dans le vivant. Partir du bon pied Le cerveau humain a tendance à se qualifier lui-même de « machine la plus avancée de l’univers », ou du moins de la planète Terre.

« Là où L’Océan vu du cœur se démarque d’autres documentaires, c’est dans la perspective peu médiatisée qu’il choisit, soit celle de l’optimisme» Lenoir, rassemble les témoignages de scientifiques, d’artistes et de penseurs interpellés par la cause

Peut-être qu’il est biaisé, peut-être qu’il a raison. Dans tous les cas, le cerveau humain doit se rappeler

le délit · mercredi 22 novembre 2023 · delitfrancais.com

qu’il forme avec son corps un simple organisme complexe, parmi plusieurs autres organismes vivants. « Avec ce documentaire, nous voulions inviter les spectateurs à être plus attentifs à ces dons [des êtres vivants] et aux manières dont nous pouvons collectivement les soutenir, plutôt que de continuer de croire que l’humain est l’être qui domine ‘la création’ », a expliqué MarieDominique Michaud en entrevue.

pratiques durables, en harmonie avec l’interconnectivité de la nature, pour la survie de l’être humain et de toutes les espèces vivantes. Être en bonne voie Connaître les conséquences des changements climatiques et être sensible à la vie et à sa protection ne suffit pas toujours pour mettre en place des actions conséquentes d’un point de vue environnemental.

de subir. Selon Lenoir, il ne faut pas se sentir coupable d’être heureux, même lorsqu’il y a davantage de raisons d’être malheureux. Là où L’Océan vu du cœur se démarque d’autres documentaires, c’est dans la perspective peu médiatisée qu’il choisit, soit celle de l’optimisme. Le documentaire présente des faits pour la plupart alarmants, mais plutôt que de mettre l’accent sur les catastrophes imminentes des changements climatiques, il s’at-

Vers un équilibre L’océan a une capacité de régénération exceptionnelle, si on lui laisse la chance de s’y mettre. Le documentaire s’intéresse à plusieurs activités humaines dangereuses pour la vie marine, mais celle dont l’impact est le plus frappant, c’est la pêche. Chaque année, des quantités phénoménales de poissons, victimes des « dommages collatéraux » de la pêche de certaines espèces, sont relâchées dans l’océan. Ces poissons ne sont pas considérés comme « pêchés » par la loi, puisqu’ils ne sont pas vendus ou consommés. C’est l’un des exemples du documentaire qui nous montre l’absurdité des lois supposées protéger la vie. L’Océan vu du cœur adopte une approche multidimensionnelle pour aborder les enjeux qui menacent les océans, de l’aspect scientifique à l’aspect économique, en passant par l’aspect juridique. Son but n’est pas de moraliser, mais plutôt d’éduquer, de sensibiliser et d’encourager les gens à adopter collectivement des

noÉ sardet Pourtant, c’est déjà un meilleur point de départ que l’ignorance ou l’indifférence, tant que cela ne mène pas au désespoir ou au défaitisme. Dans le documentaire, Frédéric Lenoir explique qu’on est plus utile quand on est heureux. Une personne qui choisit d’être heureuse – lorsqu’elle en a la possibilité – plutôt que malheureuse, choisit d’être motivée, engagée, d’aller chercher de l’énergie pour agir, pour apporter des changements nécessaires au bien de tous. Une personne qui se réfugie plutôt dans le désespoir et le malheur choisit d’être passive,

tarde sur les pistes de solutions efficaces et réalisables. L’Océan vu du cœur est absolument à voir. Pour s’éduquer davantage sur les conséquences des changements climatiques et leurs possibles solutions, pour remettre en question ses habitudes de vie, pour s’émerveiller devant l’immense intelligence de la nature, et pour réfléchir à la place de l’humain au sein d’un tout et son devoir envers son environnement. Il y a du chemin à faire : ce documentaire est un pas dans la bonne direction.x

culture

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création littéraire

Quand l’encre a sêché...

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l existe une pratique délicate qui se perd parfois dans le tumulte numérique de notre ère moderne : l’envoi de cartes postales.

Fragments de souvenirs d’une inconnue.

lorsque l’on pourrait aujourd’hui envoyer un message instantané qui se perdrait tout autant dans le flux constant de données. Écrivons, envoyons, recevons.

Celles jamais reçues Ces cartes entament un voyage subtil entre l’écriture et C’est ici que j’aimerais la découverte, entre celui qui mettre en avant des cartes envoie et celui qui reçoit. L’acte postales qui n’ont jamais été de choisir une carte postale reçues, des souvenirs jamais représente une tentative de cappartagés, et des mots jamais turer une parcelle d’émotion, un dévoilés, bref, des histoires souvenir, un paysage, qui d’une perdues que j’aimerais que l’on manière ou d’une autre, raconte retrouve, dont on se souvienne. une histoire. Les étagères poussiéreuses des boutiques de cartes postales deviennent des fenêtres sur des cultures inconnues, et parfois réconfortantes. margaux thomas | Le Délit

« Peut-être que son adresse a changé, sans qu’elle ne soit au courant. Peut-être qu’Hilda, surnommée la “cowgirl” par Aunt Mimi, n’a jamais reçu ces cartes, et c’est pour cela qu’elles se sont retrouvées chez un antiquaire »

Parmi les cartes postales égarées que j’ai récupérées, certaines ont été envoyées à une mère, un fils, un grand-père ou encore à un amour. Elles ont donné des nouvelles en temps de guerre en Pologne, en Italie, en France, au Québec, aux ÉtatsUnis et bien d’autres régions du monde. Parmi elles, il y a ces sept cartes envoyées par « Aunt Mimi » à Miss Hilda Hellmich. Elles datent toutes de 1941 et ont été retrouvées chez un antiquaire à New York, il y a quelques semaines. En cherchant son nom sur Internet, je suis tombée sur une certaine Emily Hilda Hellmich Hofhine, qui aurait été âgée de 41 ans lorsque ces cartes postales ont été écrites, et qui, comme l’indiquent également les tampons de ses cartes, vient de la ville de Salt Lake City dans l’Utah. Hilda Hellmich aurait eu dix petits-enfants et dix-neuf arrières petits enfants. Elle est décédée en 1981. Aunt Mimi quant à elle, semblerait être plus âgée que Hilda, mais nous ne saurons jamais quel âge elle avait lorsqu’elle a écrit. La plus ancienne de ces sept cartes date du 25 juin 1941, et la plus récente du 5 novembre 1941. Dans la première carte, Aunt Mimi demande « Comment va maman? Répondez-moi bientôt », et elle continuera d’écrire « Répondez-moi bientôt » ou « Donnez-moi des nouvelles s’il vous plaît » dans toutes les cartes qui suivront. Aunt Mimi s’addressera a Miss Hilda Hellmich, qui, au fur et à mesure des cartes, devient « Hulda, » puis « Helda ». L’envoi de certaines cartes est espacé margaux thomas | Le Délit

Écrire une carte postale est tout un art : peser ses mots, ceux qui se poseront sur le papier et voyageront jusqu’à leur destinataire. Ce n’est pas une simple transmission d’information, mais une façon de partager une expérience, de tisser un lien entre deux personnes séparées par la distance, en attendant une réponse sans jamais savoir si elle à été livrée, ou perdue. En recevant une carte postale, les images et les mots se mêlent pour créer un souvenir palpable, cartonné, une connexion physique avec un lieu lointain. Chaque carte postale est une promesse de présence, un morceau de papier qui dit : « Même à des kilomètres, je pense à toi. » La carte en tant que telle importe peu, c’est la valeur sousjacente de l’attention qui compte,

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margaux thomas | Le Délit

de seulement deux, parfois cinq jours. Tout cela laisse penser qu’Aunt Mimi a des problèmes de mémoire, et qu’elle n’a peutêtre jamais reçu de réponse de la part de cette Hilda. Peutêtre que son adresse a changé, sans qu’elle ne soit au courant. Peut-être qu’Hilda, surnommée la « cowgirl » par Aunt Mimi, n’a jamais reçu ces cartes, et c’est pour cela qu’elles se sont retrouvées chez un antiquaire. Toutes ces questions sans réponses nous laissent libres d’imaginer la vie de ces deux femmes appartenant à une époque passée. Nous laisser toucher du bout des doigts un fragment de vie sans pouvoir le saisir complètement, c’est tout le mystère des cartes postales. x margaux thomas Éditrice Actualités

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cinÉma

Entre histoire et quête d’identité Le voyage intime de Tatiana Zinga Botao.

alexia poupet Contributrice

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zinga est une œuvre théâtrale unique, à la croisée des continents, des histoires et des récits. Pendant une heure et demie, Tatiana Zinga Botao nous emmène avec elle dans un voyage alliant émotion, humour, et réflexion, le tout habilement tissé dans une sorte d’autobiographie théâtrale. Née au Congo et ayant grandi à Bruxelles avant de s’installer au Québec, ce n’est que tard dans sa vie que l’artiste découvre l’existence de son homonyme historique, la reine Nzinga du Congo, ayant vécu au 17e siècle. Plus qu’un simple nom partagé, Nzinga, cette figure qui a marqué l’histoire par sa résistance contre les colonisateurs portugais, devient une source d’inspiration. La pièce rend ainsi hommage à cette reine emblématique, tout en tissant des similitudes subtiles avec l’histoire personnelle de Tatiana. On en apprend beaucoup sur l’histoire du Congo et sur le passé colonial du pays. Mais on comprend aussi au

fur et à mesure de la pièce l’importance de connaître ses origines afin de mieux se connaître soi-même. La pièce nous invite ainsi à nous questionner sur notre identité et nos origines. « D’où viens-tu? », « Et avant cela? », « Et encore avant? » interpelle l’artiste. Si au départ j’ai pu avoir des préjugés sur le fait que la pièce ne mette en scène qu’une seule personne, mes doutes se sont vite envolés. Tatiana n’est pas simplement une actrice, mais aussi une conteuse passionnée et engagée qui nous offre bien plus qu’un simple « one woman show ». Car si l’artiste raconte en effet son

avec la salle. Zinga en vient même à distribuer quelques coupes de champagne à une partie de son public. Malgré une mise en scène très dépouillée et minimaliste, avec pour simple décor du sable et un grand drap au sol, l’artiste parvient parfaitement à créer une atmosphère intime et puissante. Très rapidement, cette dernière arrive à faire éprouver une véritable palette d’émotions à son public. Du sentimental au rire, de la compassion à la culpabilité, Zinga démontre son talent en naviguant habilement entre des discours solennels et des interactions légères.

« La pièce nous invite ainsi à nous quessant par le congolais pour nous raptionner sur notre identité et nos origines » porter ses expériences personnelles. histoire personnelle, elle le fait avec une énergie vibrante et nous marque par sa prestance sur scène. Elle passe de la danse au chant, tout en ponctuant son spectacle de nombreuses interactions dynamiques

Ce qui m’a également plu est la facilité de l’artiste à jouer avec les registres linguistiques, en employant un français international pour son récit, le québécois au moment des interactions avec le public, en pas-

Tatiana Zinga Botao mélange ainsi les langues pour immerger toujours davantage le public dans les différentes facettes de son histoire. En fin de compte, bien plus qu’une autobiographie, Nzinga

rose chedid | Le dÉlit est une pièce au croisement des genres, entre passé et présent. C’est un hommage à la puissance des femmes, et à la recherche d’autonomie et d’affirmation de soi dans un monde complexe. La pièce nous rappelle surtout que chaque histoire personnelle est une épopée en soi. x

cinéma

Voyage dans le militantisme écologique français Critique d’Une année difficile d’Eric Toledano et Olivier Nakache. et douloureuse de notre planète. Le talent des réalisateurs réside dans le ton du récit : l’humour! Consuméristes perdus à la recherche d’activisme profitable

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rose chedid | le délit

mages de catastrophes naturelles, de réfugiés écologiques, rapports alarmants du GIEC : tous les moyens semblent avoir été employés par le militantisme écologique pour sensibiliser la population à passer à l’action contre le réchauffement climatique. La surdose d’informations en a peut-être rendu plus d’un insensible. Et si la conscience pouvait s’éveiller

entre deux rires et trois larmes, en étant spectateur de notre propre société? Une année difficile, réalisé par Eric Toledano et Olivier Nakache, est un film français qui traite de la surconsommation, de l’endettement et de l’activisme écologique, et qui nous rappelle la finalité du cercle vicieux de la consommation : la mort lente

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Albert (Pio Marmaï) et Bruno (Jonathan Cohen) se rencontrent dans un groupe de soutien pour personnes surendettées. Le premier est contraint de dormir au bureau et le deuxième se fait saisir sa maison par l’État français : ils n’ont pas d’argent, plus grand-chose à perdre, et des tas de dettes à rembourser. Attirés par des bières et croustilles gratuites à un événement organisé par des jeunes militants du groupe écologiste Objectif Terre, ils se retrouvent à rejoindre le mouvement et leurs actions, bien plus par intérêt que par conviction. En organisant des blocages de magasins lors du Black Friday et en barrant des grands axes routiers à Paris, le mouvement veut perturber l’ordre du quotidien pour réveiller les citoyens. Bien qu’Albert et Bruno – rebaptisés des surnoms activistes Poussin et Lexo – profitent de chaque coup pour se faire de l’argent, leur conscience s’éveille, et par le fait même, celle du spectateur aussi.

Éveiller les consciences par le rire Les réalisateurs ont fait un choix fort quant à leurs personnages principaux : deux consuméristes surendettés qui se moquent du réchauffement climatique, étant eux-mêmes dans un état de survie immédiat. Le personnage candide de Jonathan Cohen, naïf et hilarant, se marie parfaitement avec celui plus calculateur et

assez pour le climat, et d’autres jugent ceux qui en font trop avec des ricanements (les « écolos »!). L’humour subtil des réalisateurs se mêle à leur empathie pour tous les personnages. Tout est sujet à être gentiment moqué : les surnoms que les écologistes se donnent – comme Cactus et Quinoa – et les situations embarrassantes dans lesquelles se retrouvent les deux trentenaires aux poches vides. Le film permet à tous de rire d’eux-mêmes et de

« Le rire et l’empathie véhiculent un message d’engagement plus fort que n’importe quel discours d’effroi »

perspicace de Pio Marmaï. On les suit dans leur prise de conscience écologique, alors qu’ils réalisent que s’engager pour la planète, c’est bien plus que recevoir des surnoms ridicules, participer à des séances de câlins, manger des légumes crus et s’asseoir par terre chez soi parce qu’on refuse de « consommer » un canapé. C’est aussi un moyen de contrôler son anxiété écologique et de s’entourer d’une équipe soudée avec qui bâtir un projet pour le futur. La cohabitation entre Albert et Bruno et les activistes écologiques rebelles est une représentation juste de notre société : certains critiquent ceux qui n’en font pas

leurs positions sur la cause climatique, pour finalement s’ouvrir à l’autre et voir que ce n’est qu’en s’unissant qu’on pourra pousser les gouvernements à agir et changer les consciences. Une année difficile est un film qui donne envie d’être vivant, de faire des erreurs, de s’engager, de trouver l’amour, et surtout, de se rappeler que le rire et l’empathie véhiculent un message d’engagement plus fort que n’importe quel discours d’effroi. x anouchka debionne Contributrice

culture

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Ligne de fuite

Série de photos de mon premier voyage backpack seule. J’ai eu la chance de faire le tour de l’Écosse en train pendant 10 jours l’été dernier, en passant par Glasgow, Fort William, l’île de Skye, Inverness et Édimbourg. Le train m’a fait découvrir des paysages éloignés des grandes villes, des étendues vertes et des grands lacs absolument magnifiques. Le crissement des roues sur les rails, les paysages qui défilent, la pluie qui tombe, j’aime l’Écosse.

Portree, Île de Skye

ChÂteau de dunvegan, Île de skye

ChÂteau d’Urquhart, Loch ness

Dean Village, Édimbourg

Les jardins de la rue des princes, Édimbourg

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Camille Matuszyk Coordonatrice de la production

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