Le Délit - Édition du 10 janvier 2024

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Publié par la Société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université Le Délit est situé en territoire Kanien’kehá:ka non cédé.

Mercredi 10 janvier 2024 | Volume 114 Numéro 1.2

On brise nos résolutions depuis 1977.


Éditorial

Volume 114 Numéro 1.2

Le seul journal francophone de l’Université McGill

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Aborder les fêtes différemment

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haque année, le même manège nous rappelle l’état de notre vie familiale, l’état de notre vie quand le temps ralentit un peu. Les fêtes de fin d’année ancrent le mois de décembre dans ces mêmes traditions que nous répétons chaque année. Pour tous·tes, le monde se calme un peu et nous nous retrouvons dans les lieux de notre enfance, face aux éléments et aux personnes qui constituent ce moment que nous vivons chaque mois de décembre, matérialisant la répétition infinie des années. Le monde qui fête s’accorde sur le calme et la lenteur, nous arrêtons de travailler et retrouvons ceux et celles que nous ne voyons pas forcément pendant le reste de l’année, et qui peuvent aussi attester de notre évolution. Quelle période étrange! Elle nous oblige souvent à faire face à l’état de notre vie après tous les mois écoulés. Les traditions font du mois de décembre ce chapitre qui se répète et nous met face à notre propre évolution. Est-ce le monde qui nous entoure qui a tant changé? Ou bien, est-ce nous? Les fêtes sont souvent associées à un sentiment de mélancolie. Nous savons à quoi elles ressemblent ou à quoi elles devraient ressembler, et pourtant elles semblent intrinsèquement appartenir à une forme de passé. Est-ce un hasard que les fêtes inscrivent ainsi la fin de l’année dans ce calme frénétique, comme un rite de passage parfois sacré, parfois forcé? Il s’agit pour nous d’une occasion de faire le point. Pour Le Délit, l’année 2023 a été marquée par le mandat de rédacteur en chef de Léonard Smith, par la section Au Féminin, par une équipe complète et soudée, par une édition spéciale sur la sexualité, qui a remué notre conseil éditorial. Notre équipe a travaillé dur pour faire vivre le journalisme étudiant, et a lutté pour porter les voix de demain avec autant de rigueur que de passion. À la fin de l’année, nous nous sommes aussi arrêté·e·s pour échanger des présents, remercier les membres qui nous ont quittés, et faire le point sur l’année écoulée. Puis chacun·e a retrouvé son univers intime pour fêter, ou non, la fin de l’année. Durant décembre, pendant un mois, nous avons tous·tes été plongé·e·s dans le fantasme de Noël, que nous le fêtions ou non, dans une effusion de bonheur lumineux et coloré. Le sentiment de joie nous est presque imposé par les décorations et musiques traditionnelles. Tout cela résonne comme une grande fête de fin, comme si après tout cela, il était possible de laisser derrière soi l’année merveilleuse ou difficile passée. Comme si, pour tous·tes, les retrouvailles avec le foyer et les proches de notre enfance devaient résonner avec bonheur. Comme

Rédactrice en chef rec@delitfrancais.com Marie Prince Coordonnatrice de la production production@delitfrancais.com Camille Matuszyk

si nous devions rentrer dans ce moule, que la société s’obstine à former pendant un mois, pour accéder à la joie. Le mois de décembre devrait avant tout être l’occasion de se questionner sur ce que l’on veut pour nous, ou que l’on ne veut plus. Cette séparation superficielle entre les années peut être un moyen d’éviter de laisser le temps échapper complètement à notre contrôle, un moyen de regarder en arrière, de faire le bilan, pour entamer demain plus consciemment. La dernière étape des fêtes de fin d’année est bien sûr la fête du Nouvel An, comme marqueur de commencement. Un commencement noyé dans les rires, la musique forte et l’alcool, selon les conventions. Un commencement qui, peu importe combien il peut être effrayant, se doit d’être joyeux. Un commencement ancré dans le temps ; même si nous ne sommes pas tout à fait prêt·e·s, il n’est minuit le 1er janvier qu’une seule fois, il ne faut pas l’oublier, ni oublier de s’embrasser à ce moment-là. Fêter ce renouveau peut autant créer un soulagement qu’un néant effrayant. Ce marqueur nous donne l’impression qu’il est possible de faire table rase du passé, qu’il est possible d’oublier nos problèmes et nos tares, une impression merveilleuse… et illusoire? Si on a le droit de refuser toutes les impositions de la nouvelle année, les bonnes résolutions, les pressions sociales, les effusions de bonheur criant, il est possible d’envisager la première journée de l’année avec plus de sérénité. Le mois de janvier a souvent le goût des balbutiements. On peut chercher, en tâtonnant, de nouvelles façons de réclamer sa vie. En tant que nouvelle rédactrice en chef du Délit, j’entreprends moi aussi une nouvelle aventure. Janvier est un nouveau départ pour le journal et pour l’équipe. Nous avançons avec les renouveaux, mais rien ne sert de le faire avec pression. Ce marqueur temporel auquel nous sommes tous·tes confronté·e·s ne doit pas nécessairement nous obliger à nous réinventer, nous forcer à oublier le passé ou à devenir la personne que nous avons toujours rêvé d’être, et ce, en quelques mois. Il peut aussi s’agir, avec plus d’humilité, d’une opportunité de constater que notre existence n’est pas confinée à notre passé, et que nous avons le droit d’espérer et de demander plus du futur. Alors au nom de toute l’équipe, j’aimerais souhaiter à notre lectorat une très belle année 2024, en espérant qu’elle sera l’occasion pour chacun·e de poursuivre son chemin, avec les ajustements qu’il·elle juge nécessaire, tout en n’oubliant pas, que les renouveaux peuvent être réclamés à n’importe quel moment de l’année.x marie prince Rédactrice en chef

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Éditorial

Actualités actualites@delitfrancais.com Vincent Maraval Layla Lamrani Vacant Culture artsculture@delitfrancais.com Hugo Vitrac Jade Lê Société societe@delitfrancais.com Jeanne Marengère Titouan Paux Environnement environnement@delitfrancais.com Adèle Doat Juliette Elie Visuel visuel@delitfrancais.com Clément Veysset Rose Chedid Réseaux Sociaux reso@delitfrancais.com Dominika Grand’Maison Vacant Vacant Coordonnateur·rice·s de la correction correction@delitfrancais.com Béatrice Poirier-Pouliot Malo Salmon Contributeur·rice·s Olivia Pizzuco Ennis, Catherine Renaud Dessureault, Laura Tobon. Couverture Clément Veysset

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MONTRÉAL

Syndicats et gouvernement Legault : Grèves et nouvelles ententes Entretien avec le Professeur Barry Eidlin.

LAYLA LAMRANI Éditrice Actualités

CLÉMENT VEYSSET | Le Délit

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u 23 novembre au 29 décembre dernier, plus de 566 000 travailleurs du secteur public sont entrés en grève, perturbant ainsi de façon conséquente le système de santé et le milieu de l’éducation à travers la province. Plusieurs syndicats et fédérations de syndicats dans les domaines de l'éducation, de la santé et des services sociaux ont participé aux grèves. Le plus grand regroupement est celui du Front Commun, composé de quatre centrales syndicates : la Confédération des syndicats nationaux (CSN), la centrale des Syndicats du Québec (CSQ), la Fédération des Travailleurs et Travailleuses du Québec (FTQ) et l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS). On retrouve également la Fédération autonome de l'Enseignement (FAE), qui compte à elle seule 66 500 enseignants, ainsi que la Fédération Interprofessionnelle de la Santé du Québec (FIQ), rassemblant près de 80 000 travailleurs, deux fédérations qui se sont alliées au mouvement du Front commun durant les derniers mois. Depuis décembre 2022, les différents syndicats tentent de négocier leurs conventions collectives respectives, c’est-àdire un contrat avec le patronat établissant les conditions de travail des travailleurs dans le cadre de leur emploi. Les revendications générales des grévistes comprennent une amélioration des conditions salariales et de travail, une plus

du secteur public en septembre dernier. Pour remédier à la lenteur des négociations, les différents syndicats ont choisi l’option de la grève générale, dont cinq jours pour le Front Commun et la grève général illimitée pour d’autres avec un seul objectif : contraindre le Conseil du Trésor de Sonia LeBel (présidente du Conseil du Trésor) à négocier leurs demandes avec urgence. À la suite de plusieurs semaines de grève, les négociations se sont intensifiées mi-décembre et ont conduit à des hypothèses d'ententes concluantes pour tous les syndicats impliqués. Du côté du Front commun, une augmentation de salaire de 17,4 % sur cinq ans a été conclue, accompagnée d’autres avantages, notamment des améliorations aux régimes de

« Le gouvernement Legault n’a simplement pas l’habitude de négocier » Professeur Barry Eidlin grande flexibilité des horaires de travail et une amélioration des services publics dans le domaine de l’éducation, de la santé et des services sociaux.

retraite et aux régimes parentaux. De plus, la FAE a mis fin à sa grève générale illimitée à la suite d’un accord de principe, dont les détails n'ont pas encore été révélés.

Néanmoins, les négociations n'ont pas avancé à un rythme jugé satisfaisant par les différents acteurs, malgré l’utilisation de nombreux moyens de pression, dont une manifestation qui comptait plus de 100 000 travailleuses et travailleurs

Interrogé sur les accords conclus entre les syndicats du secteur public et le gouvernement du Québec, Barry Eidlin, professeur au programme de Sociologie de l'Université McGill, a partagé ses réflexions avec Le Délit sur divers aspects de cette grève.

le délit · mercredi 10 janvier 2023 · delitfrancais.com

La réaction du gouvernement Legault Durant les cinq semaines de grève au sein du secteur public québécois, impactant grandement l’éducation des enfants et le domaine de la santé, l'opinion publique, notamment de la part des parents d'élèves, était plutôt favorable à la grève. Syndicats et citoyens se sont alliés pour critiquer la gestion de la grève par le gouvernement Legault, ainsi que la lenteur du processus de négociation avec les différents syndicats. Pour le professeur Eidlin, la forte remise en question de cette gestion de la crise est principalement dû au fait que : « Le gouvernement de la CAQ n’a simplement pas l’habitude de négocier. Ils ont de grandes majorités parlementaires, donc ils vont discuter, prendre vos avis en compte, mais en fin de compte, auront les votes pour passer ce qu’ils veulent. » Le Professeur Eidlin nous a fait part de l’importance du soutien des citoyens envers le mouvement qui a pris place au cours des dernières semaines. Plus de sept Québécois sur dix soutiennent les travailleurs et travailleuses en grève, selon la maison de sondage SOM. Pour le professeur, une grande partie de la réussite de la grève s’explique par ce support massif : « L’appui du public ne cessait de s'accroître et est plus fort parmi les plus impactés, dont les parents d’enfants d’âge scolaire, et le gouvernement a été

obligé de négocier. » Ce soutien massif du public, couplé à la mauvaise gestion de la crise par le gouvernement a donc joué en faveur des grévistes. Les hypothèses d’ententes La crise s’est conclue par plusieurs hypothèses d’ententes. Depuis le début des négociations entre les syndicats et le gouvernement québécois en décembre 2022, un accord sur les salaires a permis de nettes et concrètes augmentations. Pendant une grande partie de l'année, le

présentée a augmenté considérablement, « les demandes initiales des syndicats portaient sur une augmentation salariale de 24% sur 3 ans, donc l'accord conclu représente une réduction significative de leurs exigences ». S’ajoutant aux augmentations salariales, des améliorations de conditions de travail et des avantages sociaux ont été négociés au sein de l’hypothèse d’entente du Front Commun. On y retrouve une amélioration du régime de retraite, une majoration salariale de 10% pour les psychologues dans le secteur public et des améliorations des régimes parentaux en place. Le Professeur Eidlin renchérit sur ces avancées : « Les détails dans ce cas-ci sont très importants et vont changer beaucoup de choses, car le plus important n’est pas nécessairement l’augmentation salariale, mais les conditions de travail, donc les heures supplémentaires, le personnel supplémentaire, etc., qui font une grande différence pour la qualité de vie des travailleurs. » Une victoire potentielle pour les syndicats En date du 7 janvier, le Front commun a annoncé les précisions des accords de son hypothèse d’entente avec le gouvernement québécois. Ces détails ont été révélés afin d’informer les membres des plus de 300 syndicats respectifs, qui auront à leur tour, la chance de faire part de leurs

« C’est le vote des membres qui décidera si c’est un succès. On ne s’attend pas à gagner tout ce qu’on demande : c’est ça le but d’une négociation » Professeur Barry Eidlin Conseil du Trésor a offert une augmentation salariale de 9% dans le secteur public, ce qui, selon le professeur Eidlin, équivaut à une baisse de salaire pour les travailleurs et travailleuses du secteur public, si l'on considère l'inflation qui est de 9% seulement en 2023. Peu à peu, les négociations ont fait augmenter les salaires de 9% à 12,7%, pour finalement aboutir à une entente sur une augmentation de 17,4 % sur cinq ans en décembre 2023 pour le Front Commun. À ce sujet, le Professeur Eidlin mentionne que même si l’offre salariale

opinions sur leurs ententes, lors d’assemblées générales organisées. Lorsque nous lui avons demandé si ces accords peuvent être considérés comme une victoire pour les syndicats, le Professeur Eidlin nous répond que « c’est le vote des membres qui décidera si c’est un succès. On ne s’attend pas à gagner tout ce qu’on demande : c’est ça le but d’une négociation ». Les membres des syndicats du Front commun seront appelés à voter d’ici le 15 janvier sur les hypothèses d’ententes conclues fin décembre avec le Conseil du Trésor. x

Actualités

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Campus

Retour sur le projet du Nouveau Vic

Olivia-Jeri pizzuco-ennis Catherine Renaud Dessureault Contributrices oûte que coûte, les travaux de développement de l’ancien site de l’hôpital Royal Victoria se poursuivent. L’absence du panel d’archéologues indépendants se prolonge sur le site qui pourrait contenir des tombes anonymes, malgré une ordonnance de la Cour supérieure du Québec qui a exigé son rappel, le 20 novembre 2023. L’Université McGill, se considérant non tenue par les recommandations de son propre groupe d’experts, s’est interposée entre ces experts qui surveillaient l’excavation du site du Nouveau Vic et les travailleurs de la compagnie Ethnoscop, firme de consultation archéologique et patrimoine culturel, engagée par McGill et la Société québécoise des infrastructures (SQI). Selon la formulation de l’accord de règlement rectifié, les recommandations formulées par les membres du panel doivent être respectées pour que le projet puisse avancer, bien qu’elles ne soient pas juridiquement contraignantes. Cela aurait fait avancer plus rapidement l’excavation des terrains sur le site de l’ancien hôpital Royal Victoria. Qu’est-ce que cela peut nous apprendre sur la formation d’un nouveau panel en 2024, comme l’a ordonné le juge Gregory Moore?

Elle lie les Kahnistensera ( Mères mohawks), qui exige que le site soit fouillé afin d’investiguer la présence de tombes anonymes, et les promoteurs du projet de développement du Nouveau Vic : l’Université McGill et la SQI. Ces derniers ont pour leur part un échéancier de cinq ans et un budget de 870 millions de dollars à respecter pour accomplir leur projet selon la foire aux questions publiée par McGill sur le Nouveau Vic.

Le travail du panel, composé des archéologues Adrian Burke, Lisa Hodgetts et Justine BourguignonTétreault, s’est terminé au milieu de l’été 2023, alors que les recherches archéologiques battaient leur plein. Le trio venait alors d’émettre des

Selon la convention, le mandat de ce panel indépendant est d’identifier les techniques d’analyse archéologique appropriées et de recommander les experts les mieux qualifiés pour les appliquer. Les Mères mohawks, l’Université McGill et la SQI

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Des recommandations du panel scientifiques mal respectées ? Catherine Renaud Dessureault

Des recommandations mal respectées

« Les Mères mohawks, l’Université McGill et la SQI ont nommé les membres du panel conjointement. Cette approche de concertation entre les parties a néanmoins rencontré des difficultés au cours des derniers mois » recommandations qui restent jusqu’à maintenant peu respectées selon Julien Falconer, avocat du Bureau de l’interlocutrice spéciale (BIS) de Kimberley Murray. Deux membres du panel sur trois sont aussi membres du Groupe de travail de l’Association canadienne d’architecture sur les sépultures non marquées (ACA). Une convention sujette à l’interprétation Le panel en question résulte d’une convention de règlement signée en avril 2023 devant le juge Gregory Moore, au terme d’un processus de négociation de 6 mois et de 3 journées de médiation en cour.

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qui conseille la Cour en matière de sépultures autochtones non identifiées, déplore que Simon Santerre ne reconnaisse qu’une seule autorité, soit celle de la SQI. Me Falconer regrette la « réticence » totale de Simon Santerre à travailler avec les Mères mohawks dans un partenariat jugé « incontournable » par le BIS.

ont nommé les membres du panel conjointement. Cette approche de concertation entre les parties a néanmoins rencontré des difficultés au cours des derniers mois, comme l’ont dicté la partie demanderesse et la partie défenderesse au tribunal le 27 octobre. Lors d’une entrevue, un membre du panel nous a toutefois confié s’être senti très tendu dans son rapport avec McGill. McGill et la SQI ont maintenu de fortes pressions sur les archéologues, qui « ne sont pas habitués à travailler avec quelqu’un qui regarde par-dessus leur épaule ». Le panéliste a demandé de rester anonyme. C’est donc dans ce contexte tendu que le panel intervient dès le

départ. Dans une entrevue, Philippe Blouin, un doctorant en anthropologie qui accompagne les Mères mohawks dans leurs démarches depuis le début, nous a notamment avisé que « moins de deux semaines après la signature de la convention [McGill a, ndlr] voulu faire signer des contrats aux membres du panel, pour faire en sorte qu’ils travaillent pour eux, pour pouvoir les payer, mais sans nous le dire, sans les faire passer par nous ». Ce n’est pas le genre de comportement malhonnête que McGill considère comme le sien, invoquant au contraire sa propre transparence avec les panélistes. Selon Christopher Manfredi, vice-principal exécutif et vice-principal aux études, « toutes les parties de l’entente de règlement ont reçu les rapports des experts réalisant les travaux archéologiques », et cela depuis le début des travaux en automne 2022. Autre accroc : « Nos recommandations étaient contraignantes [d’un point de vue juridique, ndlr], c’est ainsi que nous l’avons toujours compris (tdlr)», soutient le panéliste. Les promoteurs qui engagent le panel ne l’ont pas compris de cette façon. La SQI et McGill font front commun et soulignent le fait qu’elles « ne sont pas légalement tenues » de suivre les recommandations du panel, comme le plaide Me Mitchell en faveur de McGill lors de l’audience pour l’ordonnance de sauvegarde le 27 octobre dernier. Dans son analyse, le juge Moore rappelle aux parties qu’elles sont bel et bien liées (« bound ») par les recommandations sur les techniques de fouille et d’analyse. Et sur le terrain? Le panéliste, qui continue de suivre l’affaire de près, bien qu’il ne soit plus sous contrat, évoque

un environnement tendu « qui va à l’encontre de la conduite d’un travail archéologique approprié ». Une des membres du panel, Justine Bourguignon-Tétreault, s’est d’ailleurs désistée le 3 août, à la suite du refus catégorique et répété de la SQI de faire réviser le rapport de relève géoradar produit par la compagnie Geoscan. Elle a décliné nos demandes d’entrevue, mais selon Philippe Blouin, Mme BourguignonTétreault « n’en pouvait plus », « se sentait écartée ». M. Simon Santerre est l’archéologue Chargé de projet employé par Ethnoscop. Il est spécialisé en archéologie historique et préhistorique. Sur le site de travail, il est accompagné d’une archéologue spé-

Au fil des événements, et alors que le panel indépendant est aujourd’hui absent du portrait pour rétablir la confiance, les Mères mohawks sont à couteaux tirés avec les promoteurs du projet. « Je trouve ça dérangeant que ces genslà veuillent favoriser un développement effréné sur des terres où il y a possiblement des restes humains », lâche Philippe Blouin. L’Université McGill dit avoir respecté « l’expertise recommandée par le panel indépendant d’experts, conformément à l’Entente de règlement » dans un courriel envoyé à la communauté étudiante et facultaire de McGill le 20 décembre 2023. À l’heure actuelle, le groupe ne s’est pas réuni à nouveau, malgré l’avancement des travaux sur le site du Nouveau Vic. Aucun élément ne confirme si McGill réintégrera ou non les deux anciens panélistes, la Dre Lisa Hodgetts et le Dr Adrian Burke. McGill n’a pas encore choisi de

« Nos recommandations étaient contraignantes [d’un point de vue juridique, ndlr], c’est ainsi que nous l’avons toujours compris »

Paneliste troisième membre et est en train cialisée en bioarchéologie, c’est-àde trouver un remplaçant approdire l’analyse des restes humains et prié, selon une source qui s’est matières biologiques. Rapidement, confiée à nous. ses relations avec les Mères mohawks et les moniteurs culturels qui Les abords du pavillon Hersey, les accompagnent s’enveniment. un périmètre rond situé à l’interM. Santerre serait considéré « hausection des rues Docteur Penfield tain » et « expéditif », selon M. et des Pins, ont été dégagés par Blouin. Le panéliste jette une partie les archéologues. Nous avons du blâme sur les promoteurs, affirvisité le site le 12 décembre, et mant que McGill et la SQI, qui « ne l’un des contremaîtres a déclaré : comprenaient pas l’injonction », voulaient forcer Santerre à travailler « L’inspection archéologique est déjà faite ici ». Les zones autour plus vite. « Les archéologues ne sont du pavillon Hersey ne sont pas pas habitués à travailler de cette manière », déclare le panéliste, après une priorité de développement, car elles ne nécessitent pas de s’être rendu sur le chantier pour obdémolition ou de recâblage. Les server le travail à plusieurs reprises. travaux se sont arrêtés pour les fêtes le 22 décembre 2023, deux En cour le 27 octobre 2023, le jours après l’envoi du courriel représentant légal du Bureau de par McGill à la communauté étul’interlocutrice spéciale indépendiante et facultaire. x dante Kimberlay Murray (BIS),

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campus

McGill et l'écologie : enfin un désinvestissement

Une victoire décisive dans la lutte pour une université écologiquement responsable.

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e 14 décembre dernier, le conseil d’administration de l’Université McGill a voté en faveur d’un désinvestissement majeur. L’institution va abandonner toute participation directe dans les entreprises de combustibles fossiles figurant dans la liste Carbon Underground 200 (CU200) à compter de 2024, pour un abandon complet en 2025. Cette nouvelle décision représente une étape majeure dans la stratégie d’investissement socialement et écologiquement responsable de l’Université. Cette mesure met fin à plus d’une décennie de mobilisation étudiante, notamment incarnée par l’association étudiante Divest McGill, dédiée à la lutte contre les investissements dans les énergies fossiles et à la promotion de la justice climatique. Depuis sa création il y a douze ans, l’association est devenue le porte-parole des étudiants en désaccord avec le soutien de l'Université aux industries polluantes.

rigide et bruyants, on a fait des sit-ins, des pétitions, mais lors des derniers mois on était plus dans une approche où

joué un rôle important sur le campus et a impacté la communauté enseignante et étudiante au fil du temps. Par exemple,

leur victoire le 17 décembre 2023, le travail de l’association « ne s’arrête pas ici ». En effet, bien que la trajectoire future

appliqué à plein de causes ». Divest McGill s’est déjà engagé par le passé à soutenir d’autres causes, environnementales ou non. En 2021, Divest McGill s’était notamment joint aux côtés d'autres associations dans la foulée du mouvement « Divest for Human Right Campaign at McGill ». Plus récemment, l’association a aussi apporté son soutien au Kahnistensera (Mères mohawks) dans leur lutte pour l'arrêt provisoire du projet du Nouveau Vic, porté par McGill et la Société québécoise des infrastructures. Vers une coalition environnementale?

Rose Chedid | Le Délit clément veysset | Le dÉlit on parlait directement avec eux [le conseil d’administration, ndlr], en leur faisant des présentations. Il y a eu un dialogue et une collaboration. »

le professeur de philosophie et d’éthique environnemenMaintenant ou jamais tale, Gregory Mikkelson, avait démissionné en 2020, face au Après plus d’une décennie manque d’action de la part de de lutte pour le désinvestisseMcGill pour le désinvestissement sans réelle action de la Une mesure symbolique ment des énergies fossiles. part de McGill, la possibilité Malgré cette victoire, la qu’une telle demande puisse se Dans ces circonstances très porte-parole de Divest souligne concrétiser pouvait être quesfavorables de soutien massif que ce désinvestissement aura tionnée. Dans une entrevue et de climat apaisé, le vote en tout de même pris douze années, ce qui symbolise aussi selon elle un problème au sein de l’instituDominika grand'maison | Le Délit tion. « Un point d’amélioration à considérer, c’est que l'on devrait démocratiser ces prises de décisions là. Une grande majorité [d’étudiants, ndlr], soutenus par la science, étaient pour ce désinvestissement depuis des années, mais ce n’est que quelques personnes haut placées Naomi Pastrana Mankovitz de l’administration qui ont pu pour Le Délit, Naomi Pastrana faveur du désinvestissement prendre cette décision. » Naomi Mankovitz, membre de Divest était donc plus attendu que ajoute que bien qu’elle soit très McGill depuis sa première année jamais. Naomi nous a mentioncontente, il n’est pas normal que d’étude et porte-parole de l’asné la portée très symbolique de les étudiants aient à supplier le sociation, nous a fait part de son ce vote : « Lorsque j’ai vu [les conseil d’administration pour ressenti face à cette avancée résultats, ndlr] j’ai crié, j’ai lancé que celui-ci daigne les écouter. majeure : « C’était dur de s’atmon cellulaire par terre. C’était tendre à une telle décision, incroyable parce que j’ai vu Et maintenant? mais on sentait qu'on n'avait douze années d'efforts de la part jamais été aussi près [du but, de l’association se refléter sur Maintenant que ce désndlr], parce qu'on avait reçu une seule décision. Puis, partaginvestissement majeur a été des retours positifs du conseil er ce moment avec les collègues annoncé, et le but de l’assod’administration et un soutien qui travaillent encore dans ciation atteint, le futur de très important. (...) Toutes les l’association et penser à ceux Divest peut être questionné : circonstances étaient réunies, qui ont gradué, c’était vraiment que va devenir l’association? c’était maintenant ou jamais. nice. » En effet, ce désinvestisse- L’idée d'arrêter est d’abord (...) Tous les rapports enviment concrétise l’aboutissement venue à l’esprit de Naomi. « En ronnementaux étaient en notre d’un long travail. Naomi expliseptembre, on avait déjà pensé faveur et il n’y avait aucune que : « Des milliers de personnes à une potentielle réussite, on raison de ne pas le faire. » ont été impliquées, pas juste se faisait déjà à l’idée que cette De plus, Naomi ajoute qu‘afin des étudiants, mais aussi des session serait peut-être la d’arriver à son but, la manière professeurs. Toute l’université dernière », nous a-t-elle confiés. d’agir de Divest a dû évoluétait derrière Divest à travers Néanmoins, comme l’a affirmé er au fil du temps : « Depuis des lettres, des pétitions et des l’association dans un commudes années, on était vraiment mobilisations. » Cette lutte a niqué sur Instagram suite à

« Toutes les circonstances étaient réunies, c’était maintenant ou jamais (...) Il n’y avait aucune raison de ne pas le faire »

le délit · mercredi 10 janvier 2023 · delitfrancais.com

de l’association soit pour le moment incertaine, Naomi nous a fait part de potentielles perspectives pour l’avenir. Premièrement, il y a la nécessité de finir le travail. Selon elle, il y a encore des choses à améliorer dans le portefeuille d’investissement de l’Université. Il y a encore 0.4 % des investissements du fonds com-

La porte-parole de Divest nous a partagé l’idée de créer « une coalition gouvernementale », « parce qu'en ce moment, il n’y a pas vraiment de groupes activistes qui font des actions directes à McGill ». Naomi mentionne la potentielle création d’un front uni pour l’environnement à McGill, qui compte déjà plusieurs autres associations luttant pour la cause environnementale comme ESG McGill, McGill Energy Association, Little Forest McGill, et bien d’autres. Divest McGill peut afficher aujourd’hui une grande victoire sur son palmarès. Cette victoire, ainsi que ses compétences de mobilisation et « la

« Avec un peu de chance ça va se développer en quelque chose de plus large, qui couvre plus de sujets (...) les choses vont beaucoup changer » Naomi Pastrana Mankovitz mun qui sont indirectement liés à des industries fossiles. Parallèlement, Divest a aussi déclaré vouloir continuer à surveiller l'application du plan d'investissements « durables » de McGill. En plus de finir le travail de désinvestissement, Naomi nous mentionne l’envie de pousser à réinvestir l’argent libéré, et à mener des investissements plus responsables, verts et durables. Il faut « réinvestir l’argent qu’on n’investit plus dans les énergies fossiles, et continuer la communication qu’on a avec McGill par rapport à ces investissements ». Deuxièmement, Naomi a mentionné la volonté de continuer à faire pression pour des investissements socialement responsables. Comme le souligne Naomi, « Divest est un mot qui peut être

connaissance institutionnelle » acquise ces douze dernières années pourraient constituer un point de départ pour un nouveau mouvement de plus grande ampleur. « Avec un peu de chance ça va se développer en quelque chose de plus large, qui couvre plus de sujets (...) les choses vont beaucoup changer. » Cette victoire montre finalement que les mobilisations étudiantes ne sont pas vaines, et peuvent avoir une influence déterminante sur les institutions. Pour Divest McGill, cette victoire signifie que « tout est possible » et que l’action environnementale doit se poursuivre coûte que coûte. x Vincent Maraval Éditeur Actualités

Actualités

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société enquÊte

societe@delitfrancais.com

Résolutions et désillusions Pourquoi les résolutions sont-elles dépassées?

titouan paux Éditeur Enquête

clÉment veysset | le dÉlit

L

e temps des fêtes est pour beaucoup un moment de joie, de retrouvailles, de temps passé avec la famille et les amis, qui marque le tournant vers une nouvelle année. Pour nous autres étudiants, qui terminons la période d’examen à cran, avec bien souvent des cauchemars de cette horloge numérique au gymnase Tomlinson, la fin d’année est synonyme de relâche, de soirées entre copains, mais aussi de préparation pour le nouveau semestre. Voilà qu’intervient une tradition qui revient chaque janvier : les résolutions de la nouvelle année. De nombreux étudiants voudront ainsi devenir une meilleure version d’euxmêmes, en se convainquant qu’ils arriveront à décrocher de leur écran de téléphone et de consacrer plus de temps à leurs études, ou d’arrêter d’aller acheter trois cafés lattés par session

Comprendre l’échec : une histoire d’équilibre

ment louable. Cependant je fais preuve d’un grand scepticisme, voire pessimisme, quant aux résolutions de la nouvelle année.

bien longtemps), l’échec peut alors susciter une haine intérieure : on se demande pourquoi c’est si dur, on a l’impression

« Une sorte de discours de radicalité accompagne toujours les nouvelles années, puisque tout le monde fait des résolutions, ces dernières ont tendance à être radicales, et ainsi des plus irréalistes » de révision, finalement utilisant tout leur temps disponible à faire des allers-retours entre le Tim Hortons et la bibliothèque. Pourtant, ils s’apercevront bien souvent que leurs si chers engagements feront rapidement l’objet d’exceptions (parce que les lattés, quand même, c’est délicieux), et seront sitôt oubliés. Enterrées au cimetière des promesses que l’on se fait à soi-même et que l’on ne tient jamais, ces résolutions seront seulement dérangées par celles de l’année suivante. Pourquoi les résolutions? Sur le papier, les résolutions sont loin d’être négatives. Qu’y a-t-il de malsain à vouloir changer nos mauvaises habitudes d’une année à l’autre? Désirer un plus grand bienêtre, que cela soit pour soi ou pour les autres, est parfaite-

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SOCIété

née, tombera à un moment ou à un autre sur une vidéo d’un ou une athlète, au corps qui correspond aux standards de beauté, montrant sa routine fitness parfaite, où tout semble si facile.

Même si elles sont une source de motivation intrinsèque, c’est-àdire non imposée par les autres, cela ne veut pas dire qu’elles ne peuvent pas être une source de pression. Ainsi, quand cette motivation imposée par soi-même devient un fardeau à porter, il est plus difficile de s’en détacher, puisque nous sommes la seule cause possible d’un potentiel échec, et nous ne pouvons pas remettre la faute sur les autres. Les résolutions que nous nous imposons peuvent ainsi devenir relativement anxiogènes, et réveiller un paradoxe : alors que ces promesses étaient censées faire de nous des personnes meilleures, elles n’ont finalement fait que nous empoisonner, doucement et calmement, jusqu’au jour de l’abandon. Pour celles et ceux qui croyaient vraiment en leurs résolutions (ce qui n’est plus mon cas depuis

que les autres réussissent, et on finit par se mettre une pression encore plus intense pour l’année

Comme je l’ai dit plus haut, les résolutions ne sont pas intrinsèquement mauvaises. Elles sont un symbole d’espoir et de renouveau important. Je pense cependant que ce fameux symbolisme qui les accompagne, toute cette rhétorique du « nouvelle année, nouveau moi », rendent les résolutions peu réalistes à long terme. Une sorte de discours de radicalité accompagne toujours les nouvelles années, puisque tout le monde fait des résolutions, ces dernières ont tendance à être radicales, et ainsi des plus irréalistes. En effet, je pense que les résolutions de nouvelle année, dans leur format actuel, encouragent relativement peu la vraie réussite. Reprenons l’exemple de la personne qui veut perdre du poids. Lors d’un dîner avec des amis, elle apprend que certains d’entre eux se donnent l’objectif d’aller à la salle de sport cinq fois par semaine. Prise dans l’engouement du moment, elle se dit qu’elle va les suivre, bien qu’elle ne soit jamais allée dans un tel lieu, et ne fasse pas d’exercice

l’équilibre : il est important de faire du sport, certes, mais estce qu’il est nécessaire d’adopter les habitudes d’un athlète du jour au lendemain? J’estime que les résolutions de nouvelle année favorisent cette radicalité qui entraîne bien souvent le découragement. Il est important d’aborder de nouveaux défis pas à pas, et d’apprécier sa courbe de progression, voir l’objectif se dessiner peu à peu avec le temps. Notre société est aujourd’hui trop axée vers la performance, l’efficacité et le résultat immédiat. Et si nos envies de changement ne suivaient pas ces schémas anxiogènes, qui misent tout sur la productivité? Et si, au lieu d’attendre la nouvelle année pour se donner des objectifs concrets, comme arrêter de fumer, ou passer plus de temps à réviser, nous nous concentrions sur les choses simples? Parfois même, la nouvelle année devient une excuse : si quelqu’un constate qu’il devrait arrêter de fumer en juin, il peut se dire qu’attendre à la nouvelle année pour le faire sera plus symbolique. Cependant, je trouve qu’il est déraisonnable d’attendre le prochain 1er janvier pour entreprendre les changements qui sont réellement nécessaires. Des prises de conscience immédiates doivent être suivies d’actions immédiates – et non radicales, ne vous y méprenez

« Notre société est aujourd’hui trop axée vers la performance, l’efficacité et le résultat immédiat. Et si nos envies de changement ne suivaient pas ces schémas anxiogènes, qui misent tout sur la productivité? » suivante. Bien évidemment, ce joli cocktail d’émotions toxiques est agrémenté d’un subtil soupçon de réseaux sociaux, qui nous rappelle constamment notre échec en nous montrant en permanence la réussite d’autrui. Une personne qui désirait perdre du poids – une résolution qui figure, d’ailleurs, parmi les plus populaires à chaque année – et qui n’aurait pas réussi à maintenir le rythme d’exercice hebdomadaire prescrit en début d’an-

physique régulièrement. Aussi motivée qu’elle puisse l’être, un tel défi s’avérera probablement très difficile à réaliser. Même si elle arrive à tenir le rythme quelques semaines, y arriver durant une année complète n’est pas la même chose. Par ailleurs, elle risque même d’être dégoûtée de la salle de sport, puisqu’elle va l’associer à des moments difficiles, tout simplement parce qu’elle n’a pas commencé avec un rythme adapté. Tout est dans

pas. Je pense que la page qui s’ouvre avec la nouvelle année doit être celle qui nous permet de nous concentrer sur des valeurs plus abstraites, que l’on perd bien souvent de vue au cœur d’une société moderne. L’amour vrai, l’appréciation des choses simples, des petites attentions, la reconnexion avec la réalité, le véritable bien-être et non le bien-être induit par la performance : en somme, de quoi se rappeler que la vie est belle.x

le délit · mercredi 10 janvier 2023 · delitfrancais.com


opinion

La lutte du Front commun est-elle un combat féministe? Rôle des femmes dans le syndicalisme québécois.

JEanne Marengère Éditrice Opinion

17,4% sur cette même période, offre finale représentant un compromis de la part du gouvernement qui permettra de freiner l’appauvrissement de ses employé·e·s.

À

l’occasion de la Journée internationale des droits de la femme, en mars dernier, des militantes du Front commun s’étaient déjà réunies devant le Secrétariat du Conseil du trésor afin d’exprimer leur mécontentement quant à l’offre initiale du gouvernement de François Legault. Celui-ci prévoyait alors une inflation de 16,6% sur cinq ans, mais n’offrait qu’une bonification salariale de 9% sur la même période. Ainsi, le Front commun, qui compte une majorité importante de femmes, a choisi de se battre contre l’appauvrissement inévitable qu’aurait impliqué l’acceptation d’une telle offre. En discutant avec des membres de ma famille durant le temps des Fêtes, qui travaillent eux·ellesmêmes dans le secteur public, j’ai eu cette même réalisation : les femmes non seulement recevaient un traitement moins favorable que les hommes, mais étaient spécifiquement les cibles d’une marginalisation consciente au sein de la fonction publique. Leur lutte m’est apparue comme un combat servant clairement la cause féministe, puisqu’il s’agit de militer contre l’appauvrissement des Québécoises, celles qui portent sur leurs dos la société québécoise. Depuis novembre, le Front commun a ébranlé l’écosystème québécois, lorsque quelque 420 000 fonctionnaires du niveau provincial, regroupé·e·s au sein de quatre centrales syndicales majeures, ont décidé de faire la grève pour de meilleures conditions de travail. Si on compte la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) et la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), ce sont près de 575 000 travailleuses et travailleurs qui se sont mobilisé·e·s pour démontrer leur insatisfaction vis-àvis le traitement que leur réserve la fonction publique. Parmi les grévistes, on note une majorité indéniable de femmes, représentant entre 80 et 85% des militants. Malgré tout, on continue de voir des commentateurs remettre en question la nature féministe du combat du Front commun. Mais est-ce que le nombre écrasant de femmes portant cette lutte permet en lui-même au Front commun de s’inscrire dans un plus grand mouvement féministe, ou est-ce simplement, comme plusieurs le suggèrent, un combat humain pour une plus grande dignité pour ces travailleur·euse·s? Sans enlever à la noblesse du combat et à son aspect universel, il est indéniable que les femmes sont au coeur même de cette

Il est à souligner qu’une telle offre représente une victoire tangible pour les femmes du secteur public. En effet, cette offre est considérée comme l’augmentation la plus importante sur la durée d’une convention collective depuis 1979. Il est donc crucial de reconnaître le rôle vital des femmes, qui s’est manifesté au cours des derniers mois dans les rues montréalaises et à travers tout le Québec, dans la lutte pour de meilleures conditions de travail pour des corps d’emploi, il faut le dire, dominés par les femmes. Un pas pour la cause féministe

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lutte, et que le traitement que ces employé·e·s subissent est grandement lié au caractère systémique de la discrimination contre les femmes, encore aujourd’hui. D’une part, l’argumentaire en faveur de l’aspect féministe de la lutte du Front commun est grandement soutenu par la propension des rôles revendicateurs à être occupés par des femmes. On pense notamment aux enseignantes et aux infirmières, deux corps d’emploi largement dominés par les femmes. Ceci étant dit, il y a plusieurs autres titres d’emploi plus méconnus, plus souvent occupés par des femmes, qui sont également en grève : les orthopédagogues, les psychologues, les techniciennes de laboratoire, les

situation fragile en leur faisant des offres en deçà de l’inflation. D’autre part, il n’est pas complètement erroné de mettre de l’avant l’idée que le Front commun se bat pour plus d’égalité entre les secteurs publics et privés québécois. Dans une certaine mesure, il est vrai que les hommes travaillant dans les réseaux de l’éducation, de la santé et de l’administration publique sont tout autant marginalisés économiquement que les femmes. Néanmoins, ce n’est pas pour autant que les femmes et les hommes recevront un traitement similaire dans leur milieu de travail. Bien que tous·tes préféreraient croire que le Québec n’est plus sol fertile pour la discrimination genrée, celle-ci est

dans de tels milieux de travail : on pense notamment à l’ascension vers les postes de direction ou encore à l’administration des tâches, parmi tant d’autres. On peut donc imaginer qu’il est plus difficile pour une femme de gravir les échelons du milieu professionnel, y compris dans la fonction publique. Avancée féministe pour le Front commun Cette semaine, le Front commun et le gouvernement ont confirmé avoir atteint une entente de principe, signifiant que les différentes instances du Front commun ont décidé de recommander l’adoption de cette entente à l’ensemble de

La mobilisation du Front commun au Québec pour de meilleures conditions de travail dans la fonction publique a dévoilé une dimension féministe au syndicalisme québécois. Face à une offre gouvernementale initialement insuffisante, les fonctionnaires concernées, en majorité des femmes, ont manifesté contre les offres dérisoires du gouvernement Legault. La mobilisation massive, comptant des centaines de milliers de travailleurs, aura su mettre en lumière la prédominance féminine parmi les grévistes. En refusant des conditions de travail justes à ses employé·e·s, le gouvernement Legault a jusqu’ici renforcé la précarité économique des femmes, certaines grevant sans fonds de grève, signifiant que plusieurs étaient sans salaire depuis déjà quelques semaines. Toutefois, cette mobilisation a

« Sans enlever à la noblesse du combat et à son aspect uni- également mis en évidence la nécessité de promouvoir une versel, il est indéniable que les femmes sont au coeur même plus grande égalité entre les secteurs public et privé, afin freiner l’exode massif vers de cette lutte, et que le traitement que ces employé·e·s su- de le privé que plusieurs milieux L’accord de principe bissent est grandement lié au caractère systémique de la dis- subissent. conclu entre le Front commun et le gouvernement représente crimination contre les femmes, encore aujourd’hui » une victoire majeure pour les éducatrices spécialisées, les orthophonistes, et j’en passe. Ainsi, bien que des hommes occupent également ces rôles au sein de notre société, il est indéniable que ces emplois, au sein de la fonction publique spécifiquement, sont largement occupés par des femmes, et subissent une marginalisation économique cooptée par le gouvernement. En refusant de leur accorder des conditions de travail - et de vie - favorables, le gouvernement met ces femmes en situation de précarité, et perpétue leur

le délit · mercredi 10 janvier 2023 · delitfrancais.com

profondément institutionalisée, et le sera probablement pour les années - voire décennies - à venir. Si on se penche simplement sur la question de l’équité salariale au Canada, en date de 2021, les employées de genre féminin gagnaient encore en moyenne 11,1% de moins que les hommes, selon Statistique Canada. Bien que les salaires soient standardisés au sein de la fonction publique, il existe plusieurs autres formes de discrimination bien plus insidieuse qui peuvent avoir lieu

leurs membres. Les membres pourront donc passer au vote afin de confirmer l’adoption de l’entente négociée, qui comprend une augmentation salariale de 17,4%, sur cinq ans, ainsi qu’une provision protégeant le pouvoir d’achat des travailleuses et travailleurs de la fonction publique, pouvant atteindre jusqu’à 1% pour chacune des trois dernières années de la convention collective. Ainsi, l’offre du gouvernement Legault est passée de 9% sur cinq ans à

travailleuses et travailleurs du secteur public. Cette avancée, fruit d’une mobilisation exceptionnelle des femmes, marque une progression pour le féminisme québécois en reconnaissant et en luttant contre les discriminations structurelles persistantes dans le monde du travail. Cette lutte souligne l’importance de poursuivre les efforts pour l’égalité des genres et la reconnaissance du rôle crucial joué par les femmes dans tous les secteurs de la société québécoise, notamment au sein de la fonction publique.x

société

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environnement environnement@delitfrancais.com

Virage vert

Lancement de la nouvelle section Environnement. adèle doat et juliette elie Éditrices Environnement

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ui dit Nouvel An, dit nouvelles résolutions, et ce, même pour Le Délit! Ce semestre, votre journal francophone lance une nouvelle section : Environnement. Tout aussi engagée que sa prédécesseure Au Féminin, elle servira de tribune aux arguments des étudiants en faveur de la protection de l’environnement. Devenu un sujet omniprésent dans nos vies, de plus en plus au cœur des débats et des inquiétudes, il nous a semblé impératif de lui accorder une place particulière au sein du journal. Cette nouvelle section aura la tâche colossale de s’emparer d’un sujet complexe et parfois délicat, avec pour objectif de rendre les défis et les enjeux plus accessibles et moins effrayants qu’ils ne paraissent. C’est pourquoi nous serons deux à nous y consacrer. En tant que citoyennes dédiées à la cause environnementale, nous considérons nos rôles de journalistes comme une opportunité précieuse de donner à l’écologie un écho d’une plus grande ampleur, et nous comptons bien la saisir.

monde, des individus s’activent à trouver des solutions. Chaque jour de nouvelles découvertes sont faites, de nouvelles résolutions écologiques sont décidées, de nouvelles prises de conscience ont lieu. Si à chaque instant, des personnes changent d’avis et se décident d’agir, alors pourquoi n’en feriez-vous pas partie? S’engager, c’est faire un choix personnel, pour son propre bien et celui d’autrui. C’est décider selon ses propres termes comment on veut agir et quel engagement on veut fournir à une cause. Le simple pouvoir de se résoudre, du jour au lendemain, à faire des efforts individuels pour limiter le réchauffement de la planète est un espoir prometteur pour répondre aux défis de demain. Comme il ne suffit que d’une seule poussée pour faire

notre optimisme et en accord avec la capacité des êtres humains à se mobiliser face à un défi important, nous voulons adopter une perspective active plutôt que passive face aux dangers imminents. Pour ce faire, la section Environnement aura pour but de permettre au plus grand nombre d’étudiant·e·s possible de mieux comprendre les enjeux complexes des changements climatiques. Que vous soyez peu ou pas informé·e·s sur la situation, ou que vous y soyez déjà totalement sensibilisé·e·s, Environnement aura quelque chose pour vous intéresser et vous aider à explorer le sujet. Nous allons présenter des informations accessibles, afin de permettre à tous·tes les étudiant·e·s de McGill de s’orienter parmi les nombreux débats, discussions, et opinions, et de former

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tomber en cascade tous les dominos, une simple prise de conscience a des effets positifs instantanés. Au sein de notre section, nous avons

leur propre point de vue. Nous souhaitons, à travers Environnement, amener un maximum d’étudiant·e·s à réfléchir à leurs habitudes de vie

« Au sein de notre section, nous avons pour ambition d’être l’une des étincelles qui déclenchent la flamme ardente vous motivant au quotidien à agir pour la planète » pour ambition d’être l’une des étincelles qui déclenchent la flamme ardente vous motivant au quotidien à agir pour la planète. À l’image de

et celles de leurs pairs, à discuter des manières de les adapter à une vision écologique, et à développer le réflexe de remettre en question

comme société par la recherche scientifique est importante pour évoluer. C’est essentiel afin de rester sur la meilleure voie possible en ce qui concerne la situation climatique. Dans « Réflexions », nous souhaitons entendre les points de

« Nous voulons encourager la discussion constructive, l’action utile, l’entraide, l’apprentissage et la motivation intrinsèque » battre ce qui est indéniablement l’un des plus grands défis auquel fait face l’humanité actuellement. Nous avons l’ambition de faire un bout de chemin avec tous·tes les étudiant·e·s dans les idées et pratiques environnementales. Trois sous-sections La sous-section « Au quotidien » est directement consacrée aux étudiant·es de McGill. Elle se veut être un guide pratique pour savoir comment adopter des habitudes écologiques dans la vie de tous les jours. Est-il plus écologique d’acheter des aliments biologiques ou locaux? Est-ce vraiment utile de réduire sa consommation de viande pour limiter le réchauffement climatique? Toutes ces questions que vous vous posez peut-être au sujet de l’environnement pourront y être abordées. Nous mettrons également en avant-plan les initiatives écologiques mises en place sur le campus par des individus ou des comités, ainsi que plus largement celles à Montréal et au Québec.

L’union fait la force « Si vous pensez que vous êtes trop petit pour changer quoi que ce soit, essayez donc de dormir avec un moustique dans votre chambre », a dit Betty Reese (mère de l’actrice américaine Reese Witherspoon) sur le ton de l’humour. C’est dans cet esprit que nous lançons la section Environnement (sans le caractère énervant du moustique, bien sûr). Peu importe l’ampleur de notre influence, nous disposons tous·tes d’un certain libre arbitre, et nos choix ont un impact sur nos vies et celles des autres. Lorsque des obstacles se présentent, il est trop facile de laisser place au pessimisme, et de refuser d’agir. Aujourd’hui, l’écologie est un enjeu majeur auquel fait face l’humanité. De toutes parts, les médias, les scientifiques et les activistes nous assomment de chiffres et d’informations alarmants sur le réchauffement climatique : fonte des glaces, hausse du niveau des océans, sécheresses… Pour autant, ce n’est pas une raison de se laisser abattre et d’accepter la fin, que beaucoup jugent inévitable. Si la crise environnementale peut parfois sembler insurmontable, il ne faut pourtant pas oublier que partout dans le

leurs choix et leurs impacts sur l’environnement. Nous voulons encourager la discussion constructive, l’action utile, l’entraide, l’apprentissage et la motivation intrinsèque. Ce sont les aspects essentiels d’un engagement à com-

Dans la sous-section « Bonnes Nouvelles », nous voulons mettre en lumière les avancées positives en ce qui concerne la situation climatique : les découvertes utiles à la recherche, les événements scientifiques, les nouvelles technologies comme pistes de solutions, etc. « Bonnes Nouvelles » regroupe des articles de journalisme scientifique de sujets variés dans la sphère des changements climatiques et de l’environnement, en accord avec la visée optimiste d’Environnement. La sous-section « Réflexions » accueille des textes libres sur n’importe quel sujet en lien avec l’environnement. La remise en question constante des choix qu’on fait comme individu et des connaissances qu’on acquiert

vue, les introspections, les critiques constructives, bref, les réflexions des étudiant·e·s de McGill en ce qui a trait à l’environnement. À vous de jouer Environnement se veut être une section des plus collaboratives. Nous voulons entendre les idées, les conseils et les découvertes des étudiant·e·s, afin qu’un maximum de gens puisse en profiter. Chacun·e a son mot à dire sur le sujet de l’environnement. Peut-être êtes-vous passionné·e·s par les impacts du réchauffement des océans sur la biodiversité? Peut-être êtes-vous un·e expert·e des techniques de magasinage en friperies? Peut-être êtes-vous un·e foodie végétarien·ne qui connait plein de recettes et de bons restaurants? Peut-être êtes-vous un·e citoyen.ne choqué·e par la gestion du recyclage à Montréal? Peu importe votre angle d’intérêt pour l’environnement ou votre niveau d’engagement dans la cause climatique, nous voulons vous lire! Environnement va avoir besoin de vous, les étudiant·e·s, pour remplir sa mission. Vous pouvez contribuer à la manière, la quantité et la fréquence qui vous plaît. Nous sommes aussi totalement ouvertes aux suggestions pour améliorer la section. N’hésitez pas à saisir cette opportunité de participer à votre façon à la lutte contre les changements climatiques et, qui sait, à vous découvrir une passion pour le journalisme! Pour nous rejoindre pour toute question ou pour contribuer, écrivez un courriel à environnement@delitfrancais.com et restez à l’affût de nos publications dans le groupe Facebook Contribuer au Délit (dont le lien est disponible sur le site web du journal)! x

le délit · mercredi 10 janvier 2023 · delitfrancais.com


rÉflexions

Bonne année et mauvaise santé! Comment rendre les fêtes de fin d’année plus écologiques?

adÈle doat Éditrice Environnement

L

a période de Noël est gourmande dans tous les sens du terme. Au sens culinaire, il n’existe sûrement aucun autre moment de l’année durant lequel nous mangeons autant, et autant de sucreries. Dans un sens plus figuré mais aux conséquences des plus concrètes, les vacances de fin d’année sont très gourmandes en énergie. Au cours de cette période de surconsommation et de gaspillage, notre empreinte carbone augmente inévitablement, ce qui contribue ainsi à l’accélération du réchauffement climatique. Si pour beaucoup Noël reste une fête religieuse, c’est désormais devenu essentiellement un évènement commercial. Comment pouvons-nous alors repenser notre manière de célébrer les fêtes de fin d’année? De la gourmandise à la gloutonnerie Le constat est clair : Noël et le Nouvel an sont tout sauf écolos. Moments de retrouvailles en famille et de célébrations, les deux réveillons s’accompagnent de larges dépenses associées à une augmentation de la consommation. Dès le mois de novembre et les soldes de l’Action de grâce, les consommateurs se ruent dans les magasins pour faire leurs courses de Noël. L’achat massif de cadeaux, que ce soit des vêtements, des appareils électroniques ou des jouets en plastique, entraîne une augmentation des émissions de gaz à effet de serre. D’ailleurs, les cadeaux s’achètent de plus en plus en ligne et sont livrés à domicile par des plateformes comme Amazon. Les émissions liées aux transports par les entreprises de livraison s’ajoutent

plats de Noël traditionnels sont souvent gargantuesques et se déclinent de toutes sortes autour d’un seul leitmotiv : la viande. Au Québec, les plus réputés sont la dinde rôtie, la tourtière à base de viande hachée, le pâté à la viande, sans oublier le ragoût de boulettes et la Cipaille (de la viande en croûte). En plus de l’empreinte carbone élevée de la viande, représentant 15% des émissions de gaz à effet de serre mondiales, ces grands repas festifs digne d’une page de fin de la bande dessinée Astérix et Obélix, conduisent à beaucoup de gaspillage et donc de nombreux déchets. L’organisme Zéro déchet Canada à Vancouver, avait établi en 2022 que chaque Canadien jette 50 kg d’ordures pendant cette période, c’est-à-dire 25% de plus que le reste de l’année. Les fêtes gourmandes, où l’on prend plaisir à manger pour le raffinement des plats, se transforment en fêtes gloutonnes tant la quantité prime sur la qualité. Il arrive même que l’on mange tant de chocolat, pains d’épices, bûches glacées que l’effusion de sucre nous rende malade. Des pratiques contraires aux objectifs climatiques? En plus de nous donner une indigestion, la logique de Noël de l’abondance et de la profusion va à l’encontre des objectifs de sobriété globaux visant à réduire nos émissions de gaz à effet de serre, afin de limiter le réchauffement de la planète. En 2022, le gouvernement canadien a adopté le Plan de réduction des émissions pour 2030, s’engageant à réduire les émissions « de 40 à 45 % sous les niveaux de 2005

« Chaque Canadien jette 50 kg d’ordures pendant cette période, c’est-àdire 25% de plus que le reste de l’année » aux déplacements de chacun qui se rend auprès de leurs proches pour les célébrations. Par ailleurs, on ne peut pas penser aux fêtes de fin d’année sans parler de la hausse de la consommation alimentaire. Les

d’ici 2030.» La hausse des émissions de gaz à effet de serre entraînée par le pic de consommation pendant la période des fêtes va donc dans le sens contraire de ces objectifs. Il semble urgent de revoir nos pratiques bien que beaucoup d’entre elles re-

le délit · mercredi 10 janvier 2023 · delitfrancais.com

rose chedid | Le dÉlit

lèvent de la tradition. Souvent profondément ancrées dans nos cultures et sociétés, elles représentent un véritable défi à la lutte climatique. Réussironsnous à nous en affranchir pour assurer un avenir durable? (Re)mettre l’amour au centre À l’origine, Noël est une fête traditionnelle. Il s’agit d’une célébration païenne du solstice d’hiver et du renouveau de la nature et de la lumière. Elle est ensuite devenue une fête religieuse lorsqu’au 2e siècle le christianisme a fixé la date du 25 décembre pour établir la naissance du Christ. La tradition de l’échange de cadeaux est née aux 18e et 19e siècle inspirée par les présents des Rois mages à Jésus. C’est après avoir été importée aux États-Unis qu’elle s’est petit à petit développée en fête commerciale après les Trente Glorieuses. Aujourd’hui, les entreprises se sont emparées des traditions pour produire des produits dérivés et faire un maximum de profits à partir de l’esprit généreux de Noël et de ses symboles. Mais plus que la joie de recevoir des cadeaux et la dégustation des plats, le bonheur de Noël ne réside-t-il pas principalement dans les retrouvailles entre proches? Pour Sophie, étudiante québécoise à McGill, le plus important à Noël, c’est « l’ambiance générale des fêtes avec les lumières de Noël, la musique, une joie et une excitation collective. C’est aussi les moments en famille, les rassemblements,

le fait que les gens prennent vraiment le temps d’être ensemble et de partager ». Vers un Noël zéro-déchet? Souvent, certains cadeaux que l’on reçoit finissent au fond d’un tiroir de notre chambre, abandonnés avant même d’avoir eu une vie. Sophie confie que cela lui arrive de recevoir des cadeaux dont elle n’a pas besoin, ou qu’elle n’aime pas, lorsque des membres de sa famille plus

cadeaux à la façon des origamis. Organiser des Noëls canadiens (Secret Santa) où chacun se voit assigner une personne à qui offrir un cadeau permet de réduire la quantité de produits consommés. La normalisation des cadeaux de seconde main, des cadeaux fait soi-même, ou des cadeaux utiles est essentielle pour un Noël plus responsable. Offrir des cadeaux immatériels comme une place pour un concert ou un spectacle, un abonnement à la salle de sport, représente également une bonne alternative. Bien qu’éphémères, ces cadeaux fabriquent des souvenirs indélébiles n’ayant pas de prix. Une autre option est d’offrir un don à une association. Nature Québec a lancé un appel aux dons pour les fêtes afin de financer ses projets de protection de l’environnement. Planetair propose également d’offrir un certificat de compensation carbone : un bon moyen d’avoir un impact positif à l’échelle individuelle. Noël invite à la créativité. Quoi de mieux que de se transformer en artiste-bricoleur le temps des fêtes pour fabriquer les décorations, ou encore un sapin à

« Ce qui compte le plus, c’est le geste d’offrir plus que le cadeau » éloignés sentent le besoin de lui offrir quelque chose, mais ne la connaissent pas assez pour connaître ses goûts. Cela représente alors du CO2 émis pour rien. Pour remédier à ce phénomène courant, il est nécessaire d’offrir différemment et d’offrir utile. Ce qui compte le plus, c’est le geste d’offrir plus que le cadeau. En général, plus un cadeau est personnel, plus il plaît. Il existe pleins de manières de faire plaisir à quelqu’un tout en respectant l’environnement. Tout d’abord, plutôt que d’acheter du papier cadeau, il est plus écologique d’emballer les cadeaux dans du papier journal et le ruban adhésif peut être remplacé par une ficelle. Il existe également une technique japonaise - la méthode furoshiki - qui se sert de tissu pour emballer des

partir d’emballages cartonnés et de branches, et de pommes de pin ramassées dans la nature? Peu importe le débat sapin de Noël artificiel ou naturel, le sapin fait-maison restera toujours le choix le plus écologique! Sinon le sapin de Noël en pot pouvant être replanté constitue une autre solution. Enfin, il est temps de revisiter les traditionnels plats de Noël pour les rendre plus végétariens et plus légers. Sur son compte instagram, The Chef Tomy partage pleins de recettes végétales à vous en lêcher les babines. Des fêtes de fin d’année plus sobres, c’est une planète en meilleure santé, et en plus cela permet de faire des économies! Alors s’il faut faire un vœu pour cette nouvelle année, faisons celui de futures traditions plus respectueuses de l’environnement.x

environnement

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culture

artsculture@delitfrancais.com

calendrier

Survivre à l’hibernation

Quelques conseils pour sortir à Montréal en hiver.

A

lors que l’hiver s’installe lentement dans la métropole québécoise, et que le froid lancinant commence à se faire sentir, Le Délit te livre quelques conseils pour survivre à l’hibernation montréalaise. Si la tentation de rester chez soi au chaud peut être forte, si la motivation pour sortir avec des amis baisse, ou si tu ne sais pas trop où aller la fin de semaine, cet article est pour toi! Tu peux aussi découvrir notre sélection culturelle dans le calendrier qui se trouve ci-dessus. Pièces de théâtre, films, expositions ou même spectacles de danse, nous te partageons toutes ces sorties chaque mois. Tu peux aussi accéder à notre playlist du mois en numérisant le code QR! Pour les sportifs et les sportives d’abord Avec le gel et la neige, fini les petits footing quotidiens ou

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hebdomadaires, les bonnes résolutions pourront bien attendre l’été. Il va falloir se réinventer. Mais qui veut s’enterrer dans une salle de sport lugubre, aux lumières blanches d’hôpital, pour répéter invariablement les mêmes gestes, la musique à fond dans les oreilles? Montréal l’hiver c’est aussi l’occasion de découvrir de nouveaux sports, de nouvelles joies. Tout en haut du Mont-Royal, un petit loueur

Dès décembre, les patinoires font aussi leur apparition, Lacaux-Castors pour les dates, parc La Fontaine avec la traditionnelle Banquise à la clé, Place des Arts, Vieux-Port, et même Jeanne Mance pour une initiation au hockey sur glace entre amis ; Montréal regorge de pépites. Look grano, mousqueton qui pend sur le sac, bonnet Arc’teryx, … et oui, Montréal

« Si la motivation pour sortir avec des amis baisse, ou si tu ne sais pas trop où aller la fin de semaine, cet article est pour toi! » installe chaque hiver son stand de ski de fond. C’est l’opportunité pour tout le monde de s’initier, ou de réessayer un sport de glisse, et de parcourir les pentes du Mont-Royal à ski.

c’est aussi l’escalade. On a tous un ami qui s’y est mis, qui nous propose à chaque fois de l’accompagner. Finalement pourquoi pas? Il y en a pour tous les niveaux, de la V1 à la V13 ainsi

que pour tous les styles, du grano qui en fait trop au pyjama, avec bien souvent un sauna à la clé. Les salles d’escalades sont à tous points de la ville, Café Bloc dans le centre, Bloc Shop dans Mile End, Allez Up sur le Plateau et à Atwater, vous pouvez trouver toutes les localisations sur Internet. Et pour sortir ? Bon, on a compris, Montréal l’hiver, c’est pas la fin du sport, mais que faire pour un après-midi ou une soirée détente? Si vous souhaitez réviser mais que vous ne voulez plus mettre les pieds dans les bibliothèques McLennan ou Redpath, le Plateau regorge de petits cafés où vous pourrez travailler et vous détendre dans un environnement plus chaleureux. Le Santropol, à 15 minutes à pied de l’Université offre une ambiance sympa ; le Céramique café, plus haut sur Saint-Denis, est l’occa-

sion de s’initier à la poterie, et de prendre une pause avec les études. Pour les amoureux des animaux, le Café Chato à Verdun, ou encore le Café Chat L’Heureux sur l’Avenue Duluth vous permettent même d’apprécier votre boisson chaude en compagnie d’adorables chats. Et le soir alors? De nombreux bars offrent des Jam Sessions des soirées de performances musicales ouvertes à tous, comme le Turbo Haüs dans le Plateau, que ce soit pour jouer d’un instrument ou simplement en profiter. L’hiver à Montréal c’est aussi l’occasion de découvrir du divertissement en salle dans les théâtres et les cinémas. Grâce à notre calendrier culturel mensuel que vous pouvez retrouver sur nos éditions papier et en ligne, vous pourrez découvrir ce qui se joue, et avoir quelques idées de sorties. x hugo vitrac Éditeur Culture

le délit · mercredi 10 janvier 2023 · delitfrancais.com


littérature

Plume québécoise : zoom sur Kim Thúy Écrire l’immigration du Viêt Nam au Québec.

jade lê Éditrice Culture

K

im Thùy, autrice d’oriclément veysset | Le dÉlit gine vietnamienne, s’est imposée comme une voix majeure dans le paysage littéraire québécois depuis 2009, à travers ses œuvres sur l’expérience complexe qu’implique le fait d’être immigrante. Elle a reçu plusieurs prix, dont le prestigieux Prix littéraire du Gouverneur général en 2010 pour son livre Ru, qui l’a famille est forcée de prendre la mer à propulsée sur la scène littéraire bord d’une embarcation de fortune. internationale. Ses courts récits, qui traitent de l’expérience migra- Après un long périple, elle parvient enfin à s’installer au Canada. Cette toire et de l’adaptation à une nouexpérience d’immigration, elle la velle culture, sont tous rédigés raconte avec une sensibilité si partien français, sa « seconde langue culière. Avec humour et tendresse, maternelle », comme elle le dit, et elle parvient à transmettre son choc sont traduits dans 29 langues. Les culturel et son adaptation délicate ventes de ses ouvrages s’élèvent à l’hiver québécois. Elle partage aujourd’hui à plus de 765 000 coégalement son apprentissage long et pies dans le monde. difficile de la langue française. Enfance Oeuvres littéraires À l’âge de dix ans, Kim Thúy fuit la Son premier roman Ru est publié répression du régime communiste en 2009 chez Libre Expression. au Viêt Nam avec ses parents et ses Composé de courts récits autobiodeux frères. Comme beaucoup, sa

critique

hugo vitrac Éditeur Culture

graphiques mettant en scène ses proches, il raconte le long voyage de sa famille et leur progressive adaptation à leur nouveau milieu de vie au Québec. Mère d’un enfant atteint d’un trouble du spectre de l’autisme, elle aborde également ce sujet, et y sensibilise ainsi le public. En 2011, elle publie À toi avec Pascal

« Les œuvres de Thùy résonnent avec des lecteurs de divers horizons, offrant une perspective intimement liée à l’expérience de nombreux Canadiens »

Janovjak : une série d’échanges épistolaires, un coup de foudre amical entre deux auteurs expatriés. Puis,

la fiction Mãn, en 2013, dont le récit est celui d’une Vietnamienne arrivée au Québec à l’âge adulte, sa mère l’ayant mariée à un restaurateur vietnamien déjà installé ici. En 2016, l’autrice propose un nouvel ouvrage inspiré de son histoire familiale. Vi raconte la fuite de Saïgon d’une mère et de ses quatre enfants, l’expérience migratoire, le deuil du pays et le choc des cultures. Un récit qui s’adapte au cinéma Son récit autobiographique éponyme Ru a vu le jour au cinéma le 24 novembre 2023 dernier. Réalisé par Charles-Olivier Michaud et scénarisé par Jacques Davidts, il connaît déjà un grand succès et dépasse maintenant 1,5 million de dollars au box office! Ce succès québécois continue d’attirer de nombreux cinéphiles en salle chaque jour. Il prendra d’ailleurs l’affiche dans toutes les autres provinces du Canada à partir du 26 janvier prochain. Ce long-métrage a aussi donné lieu à une réédi-

tion du roman original avec l’ajout d’annotations, d’images du film, d’anecdotes supplémentaires, et même d’observations manuscrites de la part de Kim Thúy sur son parcours littéraire. Parler immigration Au-delà des récompenses, Kim Thúy occupe une place spéciale dans le paysage culturel canadien en abordant la question de l’immigration. Dans un pays connu pour sa diversité, les œuvres de Thùy résonnent avec des lecteurs de divers horizons, offrant une perspective intimement liée à l’expérience de nombreux Canadiens. Ses œuvres servent de pont entre les cultures, mettant en lumière les défis et victoires des immigrants. Alors que le Canada continue d’évoluer en tant que nation multiculturelle, des auteurs comme Kim Thúy jouent un rôle crucial en facilitant la compréhension et la célébration de la diversité. x

Céline Wachowski, la chute

Que notre joie demeure : Critique du dernier livre de Kevin Lambert.

Q

ue notre joie demeure paru en septembre 2022, est le troisième roman de l’écrivain québécois Kevin Lambert. Sélectionné pour le prix littéraire français le Goncourt, il a finalement remporté le prix Médicis en novembre dernier. Que notre joie demeure est le récit d’une chute : celle de Céline Washowki, une architecte montréalaise, qui devient une icône populaire internationale jusqu’à ce qu’elle tombe subitement après des accusations sur le rôle qu’un de ses projets aurait joué dans la gentrification de la ville. Kevin Lambert nous plonge dans des trames qui se croisent et se superposent. Celle de Céline d’abord, et plus largement, celle d’une élite qui cherche à tout prix à conserver et à justifier ses privilèges ; celle d’une génération en mal d’idéaux ; et enfin, celle de Montréal, le portrait d’une ville qui vit et se transforme, de sa pauvreté à ses lofts. Le roman se déroule en trois parties : la découverte de Céline, de sa célébrité plébiscitée ; sa chute ; et enfin, ses questionnements et sa transformation. Magnétique et froide Lors d’une soirée « sélect » montréalaise, dans un penthouse

avec vue sur le Mont-Royal, Céline fait son apparition. Respectée, crainte et haïe, son arrivée ne passe pas inaperçue. Les conversations se tarissent, les regards se tournent et restent fixés, comme magnétisés par l’élégante architecte de 70 ans. Dans sa prose ininterrompue, brisant les frontières géographiques et temporelles, Kevin Lambert nous propulse dans la peau des différents invités et inspecte les tréfonds de leurs âmes,

« L’histoire de Céline est celle d’une chute que seule notre époque peut produire, une chute subite qui divise et interroge » dressant des portraits complexes, profonds et moqueurs d’un entresoi. Le commentateur radio, l’artiste en vogue, l’ex-premier ministre, la journaliste, tous craignent cette dame froide, ce « robot tyrannique » comme certains la décrivent, mais tous meurent d’envie de lui parler, rêvent d’un sourire, ou d’un mot de sa part. Céline, c’est une étoile partie de rien qui s’est élevée au-dessus de la masse. Malgré sa célébrité, elle

le délit · mercredi 10 janvier 2023 · delitfrancais.com

sait d’où elle vient, elle veut inspirer une nouvelle génération d’architectes, renouveler un milieu encore trop masculin, trop macho. Céline a une conscience de classe : l’architecture, c’est pour elle « l’art du peuple » capable de s’inscrire dans

jour au lendemain, sa vie bascule ; ses amis et ses connaissances ne répondent plus à ses appels, elle est évincée de sa propre entreprise, son passé est scruté à la loupe. D’icône, Céline devient l’ennemie d’une jeunesse militante. Elle est la mil-

clément veysset | Le dÉlit

l’invitation Céline reprend goût à la vie. Mais une foule cagoulée pénètre dans son dernier refuge, sa maison, où elle a patiemment entreposé ses souvenirs, et détruit tout. Dans les dernières pages, telle une somnambule, Céline se réveille et se range du côté des opprimés. Mais la transition est imparfaite, est-ce seulement par jeu ou par facilité ? À nouveau humaine

l’énergie d’un quartier, d’améliorer le quotidien des gens. « Ô que sa joie demeure ». La chute Dès la deuxième partie du roman, Céline chute, rattrapée par le projet qu’elle développe sur le flanc du Mont-Royal, lequel est accusé de gentrifier la ville. La polémique grossit, cristallisant les mécontentements, et Montréal se soulève, entraînant Céline avec elle, au moment où la COVID secoue la province. Du

liardaire responsable de la gentrification, l’oppresseur à abattre. Désormais seule, Céline doute. Est-elle cette personne tyrannique, cruelle que l’on décrit? Est-elle responsable des maux dont on l’accuse? Ce projet vient dynamiser un quartier, attirer une population qualifiée et créer de nombreux emplois, les fous qui l’accusent finiront par se réveiller. Elle est du bon côté de l’histoire et compte bien le prouver. Lors d’une soirée d’anniversaire, entourée des rares qui ont accepté

Si le début de Que notre joie demeure dresse le portrait d’une célébrité charismatiqueet froide, dans sa chute, Céline redevient humaine. Des sentiments complexes l’assaillent, elle doute, apparaît vulnérable. Dans ce portrait de l’élite montréalaise et de l’une de ses étoiles, Kevin Lambert propose une description complexe, vivante, et ambigüe de personnes qui luttent pour justifier leurs privilèges, et de leurs détracteurs. L’histoire de Céline est celle d’une chute que seule notre époque peut produire, une chute subite qui divise et interroge. Dans une prose inimitable, à la fois saccadée, précise et lyrique, ce livre nous fait vivre une histoire qui résonne en nous, et nous amène à nous questionner sur la place de cette élite mondiale dans notre imaginaire.x

culture

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création littéraire

je suis assise à cette table en jade jade comme mon prénom jade comme cette pierre verte plus ou moins ordinaire qui me rapproche étrangement de ma culture faible lien entre la france le viêt nam le canada histoire familiale qui m’est inconnue je cherche à en connaître les détails mais un voile translucide recouvre ces souvenirs alors que j’écoute les autres rire, parler vietnamien– langue que j’ignore 1975 ma famille quitte saïgon mon père, le plus jeune, est détaché de ses frères et soeurs il atterrira en france, accompagné de sa tante tous les autres arrivent au québec comme beaucoup d’immigrants, il ne parle plus que très peu le vietnamien un désir profond d’intégration se fait sentir et pour cela il faut parler la langue aller à l’école leur ressembler oublier d’où on vient

création littéraire

rose chedid | Le dÉlit 2022 je commence mes études à montréal assise à cette table en jade j’observe les visages de ma famille si peu familiers nous portons le même nom, mais je me sens à l’écart ils rigolent de la façon dont je prononce des plats en vietnamien ils rigolent du fait que mon père ne parle que très rarement ils rigolent du fait que mes traits ne soient pas « très asiatiques » ils ne se moquent pas ils rigolent mais je ne peux que me sentir à part comme si ma présence n’était pas justifiée assise à cette table en jade je réalise que je deviens le pont la liaison entre la france le viêt nam le canada je trouve ma voix entre les cultures

j’ai beau ne pas leur ressembler, on partage une histoire et il est de mon devoir de la partager comme chacun d’entre nous, je suis histoire jade lê Éditrice Culture

Un espace (pas si) bilingue

Réflexion d’une personne née au Canada, mais d’une famille hispanophone.

À

chaque fois que je pénétrais dans un magasin, ou que je me rendais en cours à McGill quand j’étais étudiante, il m’était nécessaire d’alterner entre l’anglais et le français, parfois très rapidement. Après plusieurs années, c’est devenu un automatisme, comme les paramètres de langue d’un logiciel. Lors de mes études, je n’avais seulement que quelques minutes de pause entre les réflexions sur le romantisme britannique et les exercices de grammaire normative française. Je marchais d’un local à l’autre, d’un cours à l’autre, d’une langue à l’autre. Lors de mon trajet, je pouvais voir les commerces montréalais autour de moi. Ils avaient de gros titres dans l’une de ces deux langues. Presque tous les restaurants autour de l’Université affichaient sur une fenêtre un menu bilingue. Si je croisais un·e ami·e de l’Université sur mon chemin, je savais à qui parler en français ou en anglais. Il m’était impossible d’ignorer la présence des deux langues officielles à Montréal. Cependant, je ne peux pas dire la même chose de mon « chez moi ». Après une journée typique remplie de cours, d’essais, de sessions d’étude et d’examens, je rentre dans une tout autre atmosphère linguistique. Je suis chaleureusement accueillie par ma abuela, qui me demande à chaque fois : « ¿Como fue tu día? ¿Tuviste buenas notas? » (Comment a été ta journée ? As-tu eu de bonnes notes?, tdlr)

12 culture

tous les deux capables d’alterner entre l’anglais, le français ou l’espagnol très facilement selon le contexte. Mais, moi je suis née au Canada, et j’ai grandi ici. Je ne suis jamais allée au Chili, et je n’ai visité la Colombie qu’une fois. J’utilise donc davantage le français et l’anglais au quotidien.

laura tobon dans son accent chilien. Les conversations à table, tout comme la ville où j’étudiais,

comprendre et de continuer la conversation jusqu’à la fin, créant une atmosphère assez unique.

fil du temps, ce qui me laissait parfois peu de moments pour me consacrer à ma famille.

« Les clients parlaient espagnol, et j’ai pu commander des empanadas en espagnol. Je sais que ces moments sont rares comparé à mes autres interactions à Montréal, et je sais qu’il existe d’autres espaces culturels à Montréal où les gens parlent d’autres langues » sont traversées par un mélange linguistique. Contrairement à moi, ma abuela est plus à l’aise en espagnol, ce qui explique pourquoi mes parents changent d’une langue à une autre à chaque repas. Malgré cela, tout le monde est capable de se

Si je prends un petit moment pour comparer mon espace public et mon espace privé, je crains parfois de vivre une perte linguistique. Le temps consacré à mes études, à mon travail et à mes amitiés prenait de plus en plus d’ampleur au

Cependant, je voyais aussi mon père, né en Colombie, et ma mère, née au Chili, devoir utiliser des langues différentes dans leur vie professionnelle et leur vie privée, et cela depuis qu’ils ont immigré au Canada alors qu’ils étaient encore enfants. Ils sont

Cependant, si je marche un peu plus, et si je porte plus mon attention à l’environnement qui m’entoure, je vois par moment cet aspect linguistique de ma vie privée entrer dans la métropole. Je vais toujours me souvenir du moment où mes parents donnaient des légumes à un petit restaurant latino qui acceptait des donations pour les membres de la communauté ayant peu de ressources. Les clients parlaient espagnol, et j’ai pu commander des empanadas en espagnol. Je sais que ces moments sont rares comparé à mes autres interactions à Montréal, et je sais qu’il existe d’autres espaces culturels à Montréal où les gens parlent d’autres langues. Cependant, dans ce restaurant, je ne voyais plus une juxtaposition d’un espace public et privé divisé par les différences entre les langues officielles et la langue maternelle. C’était comme si ces deux espaces cohabitaient dans ce restaurant. En bref, je voyais cette même alternance de langue que je faisais à l’université. Seulement, ce n’était pas du français à l’anglais ou vice-versa mais dans la même langue que celle parlée chez moi, ce qui différait de mon quotidien lors de mes études et chez moi. x laura tobon Contributrice

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