Le Délit - Édition du 07 février 2024

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Publié par la Société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université Le Délit est situé en territoire Kanien’kehá:ka non cédé.

ÉDITION SPÉCIALE

MOIS DE L’HISTOIRE DES NOIR·E·S

Mercredi 7 février 2024 | Volume 114 Numéro 4.2

En photo de classe depuis 1977.


Éditorial

Volume 114 Numéro 4.2

Le seul journal francophone de l’Université McGill

rec@delitfrancais.com

Le Mois de l’histoire des Noir·e·s Le 1er février 2024 a marqué le lancement du Mois de l’histoire des Noir·e·s, et bien que celuici existe depuis 1978, il n’est célébré à McGill que depuis 2017. Cette année, Le Délit a décidé de lui dédier son édition spéciale, ainsi qu’à tous·tes les étudiant·e·s noir·e·s du campus. Le journalisme s’intègre indéniablement dans la structure raciale de la société québécoise, ayant une part d’influence sur la hiérarchisation raciale et les inégalités. Nous rapportons les histoires des autres, nous sommes engagé·e·s pour l’équité et déterminé·e·s à lutter contre les oppressions, mais nos identités ne peuvent pas, pour autant, disparaître de nos mots. Le manque de diversité dans le milieu du journalisme doit donc être questionné, car il participe à la perpétuation des inégalités sociales et structurelles de la société canadienne. Selon une enquête menée par l’Association canadienne des journalistes (ACJ) en 2022 et rapportée par Radio-Canada, 78% des journalistes canadien·ne·s sont blanc·he·s. De surcroît, parmi dix salles de rédactions interrogées, huit ne comptaient aucun·e journaliste noir·e ou autochtone. De telles proportions dans le milieu du journalisme impacte nécessairement le type de nouvelles et de discours mis de l’avant, en plus de limiter la compréhension et l’interprétation de certaines dynamiques raciales dans la société canadienne. « Tout est une question de race », car les institutions canadiennes ont été bâties sur les ruines du génocide culturel et des massacres des peuples autochtones, puis l’esclavage et l’exploitation des personnes noir·e·s. Si nous voulons comprendre les fonctionnements politique, culturel, institutionnel et économique de la société canadienne dans le but de partager avec exactitude toutes les nouvelles que nous traitons, nous ne pouvons pas nous abstenir de prendre en compte ces éléments dans les dynamiques de pouvoir. Si les structures ne changent pas, alors il est de notre devoir de promouvoir l’inclusion des journalistes noir·e·s, de questionner notre fonctionnement, notre structure, et de mettre en place des démarches actives pour faire de nos journaux des espaces qui ne reproduisent pas des schémas

d’oppression, et qui osent aller à contre-courant pour apporter un peu de changement à l’ordre de notre société. Lutter pour la diversité et l’inclusion des journalistes noir·e·s est absolument nécessaire, car tous les discours se nourrissent en partie des mots diffusés par les médias. Enfin, nous croyons en la création et la valorisation de nouvelles plateformes qui favorisent la diffusion des expériences et pensées des étudiant·e·s noir·e·s, afin de proposer des alternatives qui soient des sources de pouvoir et d’émancipation. Pour cette édition spéciale, nous avons ainsi eu la chance de collaborer avec le Réseau des étudiant·e·s Noir·e·s de McGill (Black Students Network), une association étudiante dont l’existence est vitale au sein d’une université comptant seulement 4,6% d’étudiant·e·s noir·e·s dans sa population. Cette collaboration permet notamment au Délit d’accueillir la participation d’étudiant·e·s noir·e·s qui ont partagé avec nous leur talent et leur perspective unique. Nos pages arborent notamment des contributions artistiques tout aussi magnifiques que pertinentes. Notre couverture est l’œuvre de la talentueuse Océane Nzeyimana, étudiante en première année, qui réalise des collages que vous pouvez retrouver sur son compte Instagram @ohciseaux. La dernière page accueille quant à elle les photographies et le texte de Harantxa Jean, qui propose des interprétations de peintures ou de photographies connues afin de questionner les représentations de la beauté féminine et de s’en réapproprier les codes. Avec ces collaborations, notre journal bénéficie de regards qui méritent d’être mis de l’avant bien au-delà des limites du mois de février. Nous dédions alors cette édition à tous·tes les étudiant·es noir·e·s de l’Université McGill. Le Mois de l’histoire des Noir·e·s est une occasion de célébrer les accomplissements, mais aussi de se rappeler des inégalités profondes et structurelles auxquelles les personnes noires font face dans leur quotidien. Néanmoins, ce mois est aussi loin d’être une fin en soi. La lutte contre le racisme systémique est un combat constant, qui dépasse largement les pages de notre journal.x

marie prince Rédactrice en chef

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RÉDACTION 3480 rue McTavish, bureau 107 Montréal (Québec) H3A 1B5 Téléphone : +1 514 398-6790 Rédactrice en chef rec@delitfrancais.com Marie Prince Coordonnatrice de la production production@delitfrancais.com Camille Matuszyk Actualités actualites@delitfrancais.com Vincent Maraval Layla Lamrani Ysandre Beaulieu Culture artsculture@delitfrancais.com Hugo Vitrac Jade Lê Société societe@delitfrancais.com Jeanne Marengère Titouan Paux Environnement environnement@delitfrancais.com Adèle Doat Juliette Elie Visuel visuel@delitfrancais.com Clément Veysset Rose Chedid Réseaux Sociaux reso@delitfrancais.com Dominika Grand’Maison Camélia Bakouri Chau Anh Nguyen Coordonnateur·rice·s de la correction correction@delitfrancais.com Béatrice Poirier-Pouliot Malo Salmon Contributeur·rice·s Naomie Munderere, Nathan Gars, Alexia Poupet, Mathias Poisson, Harantxa Jean, Andree Lanthier, Ambre Giovanni, Antoine Chedid. Couverture Océane Nzeyimana (@ohciseaux).

BUREAU PUBLICITAIRE 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 0E7 Téléphone : +1 514 398-6790 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Letty Matteo Ventes et assistance administrative Letty Matteo Support graphique et technique Alyx Postovskiy Comptable Andrea Gluck The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Olivia Shan Conseil d’administration de la SPD Olivia Shan, Emma Bainbridge, Asa Kohn, Letty Matteo Camille Matuszyk, Marie Prince.

Les opinions exprimées dans les pages du Délit sont celles de leurs auteur·e·s et ne reflètent pas les politiques ou les positions officielles de l’Université McGill. Le Délit n’est pas affilié à l’Université McGill. Le Délit est situé en territoire Kanien’kehá:ka non cédé. L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Les opinions de nos contributeurs ne reflètent pas nécessairement celles de l’équipe de la rédaction. Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mercredis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavant réservés). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans le journal. Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).

Éditorial

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CAMPUS

L’héritage de l’engagement des étudiant·e·s noir·e·s à McGill Portrait du Réseau des étudiant·e·s noir·e·s de l’Université McGill (BSN). aux étudiant·e·s par l’Université, Chloé fait part des services du centre de bien-être et de son appréciation pour la présence des conseillers de bien-être noirs et autochtones ; une étape importante pour l’inclusivité au sein de l’Université selon elle.

LAYLA LAMRANI Éditrice Actualités

L

e Réseau des étudiant·e·s noir·e·s de l’Université McGill (BSN) est l’une des plus anciennes associations étudiantes de l’Université. Elle a été fondée en 1970 dans le but d’unir les étudiant·e·s noir·e·s de l’Université, de leur offrir des services tels que des événements de réseautage et des événements sociaux, de les aider à rencontrer des nouve·aux·lles étudiant·e·s noir·e·s et de créer un sentiment de communauté entre les élèves noir·e·s au sein de l’Université. BSN opère sous l’Association des Étudiants de l’Université McGill (l’AÉUM) et est donc considérée comme une association qui assure un service aux étudiant·e·s. À ce titre, l’association a pour mandat de « travailler pour rendre le campus de McGill sûr et accessible aux étudiant·e·s

Des initiatives à souligner

CITATION DE MéSHAMA, PRÉSIDENTE DE BSN nauté étudiante. De ce fait, plusieurs étudiant·e·s se sen-

« BSN contribue activement à la prospérité de la communauté noire à McGill et au bien-être de ses membres » noir·e·s afin de soutenir leur réussite scolaire ainsi que leur bien-être mental et physique […] et sensibiliser la communauté mcgilloise aux enjeux concernant les peuples noirs (tdlr) ». Ce mandat façonne tous les événements et initiatives de l’association depuis sa conception. Événements de réseautage pour les étudiant·e·s noir·e·s, journées de soins personnels et une cérémonie de graduation exclusivement pour les étudiant·e·s noir·e·s : BSN contribue activement à la prospérité de la communauté noire à McGill et au bien-être de ses membres. Afin d’exécuter un portrait de BSN et mettre de l’avant leurs initiatives ainsi que quelquesuns de leurs membres, Le Délit s’est entretenu avec quatre de ces derniers : Méshama EyobAustin – présidente, Simi Ogunsola – vice-présidente Social, Chloé Nyiligira – directrice de projet au sein du portfolio social, Nkwanzi Banage vice-présidente Plaidoyer. Une association au service des étudiants L’Université McGill ne compte que 4,6% d’étudiant·e·s noir·e·s au sein de sa commu-

tent isolé·e·s à leur arrivée à l’Université. Une association comme BSN est donc nécessaire et très appréciée par ces étudiant·e·s. Questionnée sur l’apport de cette association aux étudiant·e·s de McGill, Méshama, présidente de BSN, explique que BSN représente une opportunité « de constituer une communauté qui donne des conseils et de la joie à la communauté noire au sein du campus ». Ce sentiment est similaire pour Chloé, qui ajoute que BSN lui a apporté beaucoup en réseautage et contacts professionnels : « Ce qui est intéressant, c'est qu’on nous met en contact avec des personnes ayant eu la même expérience et le même programme d’études que nous, et qui peuvent venir partager leur expertise. » L'activisme noir à McGill Historiquement, BSN s’est battu pour plusieurs avancées sociales et éthiques au sein de l’Université. L’un de leurs combats les plus important et médiatisé jusqu’à aujourd’hui a été leur campagne menée pour le désinvestissement par McGill de toute sociétée liée à l’apartheid en Afrique du Sud. Ce combat a été conjointement mené avec la

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Société des étudiants africains de l’Université McGill (MASS) et a entrainé, en 1985, la fin de tout investissement par l’Université dans les sociétés liées à l’apartheid. Depuis 1991, BSN a aussi mené de multiples campagnes étudiantes afin d’établir un programme d’études Africana à McGill. Ce programme d’études se concentrerait sur l’enseignement de l’histoire, de la politique et des cultures des diasporas africaines à travers le monde. Actuellement, l’Université McGill n’a qu’un programme d’études africaines et un autre d’études d’Amérique latine et des Caraïbes. Pour Méshama, présidente de BSN, ces deux projets d’activisme ont forgé le mandat de l’association et son héritage qui la précède : « Nous essayons de faire tout notre possible pour offrir de la solidarité [aux peuples minoritaires, ndlr] [...] La liberté pour les personnes noir·e·s découle du principe que nous ne sommes pas libres tant que tout le reste du monde n'est pas libre. » Pour Nkwanzi, ce mandat d’activisme au sein du campus mcgillois est réellement nécessaire : « BSN a une capacité impressionnante à combler les vides laissés par l’Université. Lorsqu’elle n'a admise que 15 étudiant·e·s noir·e·s en 1969, l’ensemble de la communauté noire de McGill a lancé le programme Across the Halls, un programme de mentorat et de tutorat par les pairs pour encourager les candidat·e·s noir·e·s. » Le soutien de l’Université BSN est l’une des associations les plus grandes et influ-

ROSE CHEDID | Le Délit entes de l’Université. Cette responsabilité ne peut se maintenir sans l’aide financière de l’AÉUM et l’apport stratégique de l’administration de McGill. Depuis 2017, l’Université honore tous les févriers, le Mois de l’histoire des Noir·e·s (BHM) avec une cérémonie d’ouverture, des conférences diverses et des événements de rassemblement pour la communauté noire de McGill. Ce mois est conçu en collaboration partielle avec les

Afin de promouvoir le Réseau des étudiant·e·s noir·e·s de l’Université McGill, il est indispensable de mettre de l’avant certaines de leurs initiatives qui permettent de rencontrer des nouveaux étudiant·e·s noir·e·s et créer un sentiment de communauté. L’événement Soul Food, un repas-partage organisé tous les semestres, réunit des centaines d’étudiant·e·s dans le but d’apprendre à se connaître et manger de la nourriture originaire des différentes cultures de la communauté étudiante. De plus, BSN met progressivement en place un système de prêt de livres, en se servant de l'inventaire de l’association pour créer une bibliothèque communautaire. Nzwanki souligne cette initiative qui sera officiellement mise en place le 28 février prochain lors de l'événement Les Voix Noires en Publication : « Je souhaite part-

« BSN a une capacité impressionnante à combler les vides laissés par l’Université » Nkwanzi, vice-présidente de Plaidoyer associations étudiantes BSN et MASS. Questionnée sur le support que l’administration mcgilloise offre à BSN et la communauté noire, Méshama souligne l’initiative des célébrations du Mois de l’histoire des Noir·e·s : « Les événements du Mois de l’histoire des Noir·e·s sont éducatifs, amusants, intéressants et importants. Cela donne aux étudiants l'opportunité de réseauter, de se rencontrer, de se sentir vus par l'établissement. » De son côté, Simi rajoute que tout au long de l’année et surtout durant le Mois de l’histoire des Noir·e·s, « McGill inclut beaucoup les étudiant·e·s noir·e·s. Ils nous donnent les ressources, l'argent et la capacité de faire ce que nous voulons avec l’association et ce qui convient le mieux à la communauté mcgilloise ». En lien avec les ressources offertes

ager cela avec d'autres étudiants de McGill qui n’auraient pas un accès facile à la littérature noire au sein ou en dehors du milieu universitaire.» Finalement, la cérémonie de graduation exclusivement pour les étudiant·e·s noir·e·s qui a pour but de « mettre en lumière les réalisations et exploits des étudiant·e·s noir·e·s malgré les obstacles institutionnels, économiques et socioculturels à l’accès à l’enseignement supérieur ». Ces initiatives sont quelques-uns des dizaines d’événements que BSN met en place au cours du Mois de l’histoire des Noir·e·s chaque année, et démontrent l’engagement de tous ses membres et leur volonté d’offrir un environnement propice à la réussite et l’inclusion de la communauté noire à McGill. x

Actualités

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Canada

Regard critique sur le Mois de l’histoire des Noir·e·s

Entretien avec Rosemary Sadlier, ancienne présidente de l’Ontario Black History Society.

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e 1er février a marqué le début du Mois de l’histoire des Noir·e·s. Afin de souligner l’occasion, l’Université McGill, en coopération avec Le Bureau de l’équité de L’Université McGill, organise une série d’événements mettant de l’avant l’excellence des personnes noires au sein de l’Université. Cependant, sa longue histoire de discrimination et d’exclusion raciale, décrite par Suzanne Morton dans l’un de ses récents travaux, soulève plusieurs questions sur la manière dont l’Université McGill aborde ce mois. Pour contextualiser la célébration du Mois de l’histoire des Noir·e·s en 2024, Le Délit s’est entretenu avec Rosemary Sadlier, ancienne présidente de l’Ontario Black History Society (OBHS), qui a joué un rôle fondamental dans sa mise en place. Le Mois de l’histoire des Noir·e·s au Canada Le mois de février est reconnu en 1995 au niveau fédéral comme le Mois de l’histoire des Noir·e·s, grâce aux efforts de Sadlier et de la députée parlementaire Jean Augustine. Ce mois est plus communément associé aux ÉtatsUnis, où il est officialisé 19 ans plus tôt. Ce retard, selon elle, est dû à la tendance canadienne à se considérer moins raciste que son voisin du sud, et même à ignorer sa propre histoire d’esclavage.

Sadlier explique avoir consacré 20 ans de sa carrière à l’instauration du 1er août comme Jour de l’émancipation, combat qui a finalement abouti en 2021 à la Chambre des communes. En effet, comme les discours soulignant l’inclusivité et la tolérance des Canadiens dominent, Sadlier explique qu’ils « rendent le travail de personnes comme moi très compliqué et difficile (tdlr) ». Elle identifie un manque d’éducation sur l’histoire des personnes noir·e·s dans le pays, ce qui « rend

ment surface, et quand ce sera le cas, il sera difficile de l’aborder. Il est donc important pour les institutions universitaires d’être proactives dans leur approche. »

Rosemary Sadlier

Cependant, l’Université McGill n’est pas restée entièrement inactive, et a publié un Plan de lutte contre le racisme anti-noir en 2020. Le document souligne les connexions historiques de l’Université avec la traite transatlantique d’esclaves, et établit un plan d’action et des cibles ancrées dans les expériences et les espaces étudiants, la recherche et l’action communautaire. Depuis, des rapports annuels ont été publiés par l’Université, décrivant ses progrès vers les cibles établies dans le plan, le dernier étant sorti en 2023. Échapper à la responsabilité fondamental pendant le Mois de l’histoire des Noir·e·s. Cette éducation commence par l’inventaire du contenu disponible au sujet de l’histoire des personnes noires au Canada. Sadlier explique que les manquements potentiels dans cette histoire posent problème aux étudiant·e·s de tous les niveaux. Bien que cette éducation soit cruciale pour tous·tes, plusieurs étudiant·e·s noir·e·s se voient sous-représenté·e·s dans le curriculum pendant leur scolarité. Mais le problème ne s’arrête pas là. Un·e étudiant·e noir·e qui arrive au niveau universitaire fait encore face à de nombreux obstacles : « Je connais un étudiant noir qui voulait faire son doctorat sur un chapitre de l’Histoire des personnes noires, qui a été rejeté sous prétexte qu’il n’y avait pas assez de contenu. » McGill dans l’équation Selon Sadlier, le Mois de l’histoire des Noir·e·s a pour mission de faire ressortir la vérité. Ceci requiert en première partie

plique : « Si le rôle de l’université est d’élargir les horizons de ses étudiants, de promouvoir la diversité, d’enseigner la pensée critique, il est important de considérer la contribution des personnes noires. » Dans le contexte universitaire, comme elle le fait remarquer, ceci requiert aussi l’honnêteté de la direction et de l’administration de McGill par rapport à leur propre histoire de discrimination : « La plupart des universités au Canada ont une connexion à l’esclavage des personnes noires et autochtones. » Sadlier conclut que plusieurs d’entre elles ont tendance à filtrer et même omettre certains épisodes peu glorieux de leur passé colonial. McGill ne fait pas exception à la règle. En effet, le dernier projet ayant pour but de rapporter une histoire exhaustive de McGill a été publié en 1980, et omet entièrement le statut de propriétaire d’esclaves de son fondateur James McGill. D’après Sadlier, il est donc important de garder un esprit critique et de se questionner sur ce qui est pris pour

« Si le rôle de l’université est d’élargir les horizons de ses étudiants, de promouvoir la diversité, d’enseigner la pensée critique, il est important de considérer la contribution des personnes noires » Rosemary Sadlier difficile la pensée critique chez les étudiants », et accorde donc aux institutions éducatives un rôle

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l’avancement des points de vue des personnes noires dans les milieux universitaires. Elle ex-

acquis. Elle explique : « La vérité doit prendre le dessus sur les non-vérités. Elle fera éventuelle-

Une ambiguïté persiste autour de la commémoration du

l’histoire des Noir·e·s dans un plus grand contexte de décolonisation, un mouvement qui favorise l’action concrète aux avancées symboliques. Sadlier affirme que les obstacles auxquels les personnes noires font face sont similaires à ceux des personnes autochtones, surtout au sein du milieu universitaire. « Les Premières Nations étaient “l’Autre”, comme les personnes noires, elles ont été traitées de la même manière ». « L’Autre » correspond à n’importe quelle personne perçue comme n’étant pas blanche. « La doctrine de la découverte a été appliquée sur les terres autochtones, comme sur les terres africaines. Ces deux groupes et leurs luttes sont donc unis », conclut-elle. La reconnaissance attribuée à McGill pour sa commémoration du Mois de l’histoire des Noir·e·s et même son plan contre le racisme anti-noir est à

« Si une institution opprime un groupe et manque de respect à leur histoire et à leurs voix, cette même institution traitera n’importe quel autre groupe minoritaire de la même manière » Rosemary Sadlier Mois de l’histoire des Noir·e·s dans les universités en 2024. Sadlier elle-même éprouve une certaine ambivalence envers cet événement. « Est-ce un système parfait? Non, évidemment pas. (...) Moi-même, j’en ai fait la promotion [du Mois de l’histoire des Noir·e·s, ndlr] en faisant des présentations dans 2000 écoles, mais c’était parce qu’il n’y avait rien. Il n’existait aucune base pour l’enseignement de l’histoire des Noir·e·s. » Le manque de ressources disponibles pour la promotion de l’histoire des Noir·e·s faisait des victoires autrement superficielles de bons points de départ. Bien que la commémoration du Mois de l’histoire des Noir·e·s constitue une avancée de la part de l’Université, Sadlier clarifie que cette stratégie s’avère souvent performative. « Quand une université souligne le Mois de l’histoire des Noir·e·s, elle n’a pas à faire autre chose, à faire des changements substantiels. Ce n’est pas dans son intérêt de le faire. » Il est donc d’autant plus important de situer le Mois de

relativiser, considérant son traitement des groupes autochtones. Le projet d’expansion du campus de McGill illustre cette ambiguïté. En effet, une entente conclue mettait les Mères Mohawk à la tête du projet, mais l’Université aurait ignoré plusieurs recommandations du panel indépendant d’archéologues mandaté par la Cour Supérieure du Québec. Conséquemment, plusieurs sont d’avis que McGill réduit intentionnellement au silence les voix autochtones. Sadlier fait remarquer que « si une institution opprime un groupe et manque de respect à leur histoire et à leurs voix, cette même institution traitera n’importe quel autre groupe minoritaire de la même manière ». Il est donc important de garder un œil critique sur l’usage du Mois de l’histoire des Noir·e·s comme représentatif d’universités comme McGill, et de situer leurs actions dans un plus grand contexte. x

Ysandre Beaulieu Éditrice Actualités

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montréal

Immersion au sein des grèves étudiantes Les étudiants de Concordia et de McGill se mobilisent contre la hausse des frais de scolarité.

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e 13 octobre dernier, le gouvernement du Québec a annoncé une augmentation de 33% des frais de scolarité pour les étudiants non québécois dès la rentrée d’automne 2024. Dans le but de protéger la langue française à Montréal, le gouvernement compte prélever par le biais de cette mesure, un montant forfaitaire pour chaque étudiant non québécois, et réinvestir ces fonds dans le réseau des universités francophones, telles que l’UQAM ou l’Université de Montréal. Rapidement après cette annonce, des manifestations étudiantes se sont organisées, et les recteurs des trois universités anglophones du Québec, c'est-à-dire l’Université Bishop’s, Concordia et McGill, ont exprimé conjointement leur mécontentement.

En décembre, le gouvernement du Québec est revenu sur sa décision initiale, et a proposé une augmentation plus modérée des frais d’études pour les étudiants canadiens non québécois. Alors qu’ils devaient initialement augmenter de 9 000$ CA à 17 000$ CA, l’augmentation requise est désormais de 3 000$ CA, soit 12 000$ CA par an. En revanche, les universités anglophones du Québec devront franciser 80% de leurs étudiants de premier cycle. Ces derniers devront suivre des cours de langue française et atteindre un niveau « intermédiaire » avant la fin de leur diplôme : une mesure excessive et irréalisable selon les recteurs des trois universités concernées. Alors que les étudiants avaient déjà mené une manifestation contre l’augmentation des frais de scolarité fin octobre 2023, ces derniers se sont une nouvelle fois mobilisés pour faire pression sur le gouvernement Legault. Du 31 janvier au 2 février, les étudiants de Concordia et de McGill ont fait la grève, empêchant ainsi la tenue de nombreux cours. À Concordia : 3 jours de grève Afin d’éclaircir la situation à Concordia, Le Délit s'est entretenu avec Oli Sinclare, étudiant·e en études interdisciplinaires de la sexualité à Concordia. Oli nous explique que ces grèves étaient bien organisées, et légalement encadrées. Avant le début de ces dernières, les étudiants des nombreux départements des facultés de Concordia ont voté démocratiquement pour tenir ces grèves. « Vous avez certains droits en tant que membre de votre association

étudiante. Techniquement, parce que vous êtes reconnu comme un syndicat, si vous faites la grève, c'est comme une grève officielle du syndicat. Vous ne pouvez pas être pénalisé. (tdlr) » Au total, ce sont 11 000 étudiants

le fonctionnement des blocages. Arrivé devant la salle de classe, le petit groupe s’organise pour réaliser ce qu’ils appellent du « picketing », du « piquetage » en français. Le groupe, équipé de dépliants et de bannières, se

cordent pour dire que c'est [la hausse des frais de scolarité, ndlr] une décision terrible qui va affecter tout le monde. Je pense que les gens sont ravis de voir qu'il y a une mobilisation, que les gens font quelque chose. » Oli

clement veysset | Le Délit de Concordia qui ont fait la grève au cours de la semaine. Bloquer les classes Au 7ème étage de l’édifice Henry F. Hall de Concordia l’espace dédié aux actions et

positionne devant l’entrée de l’auditorium pour bloquer le passage, et dissuader les étudiants et le ou la professeur d’y entrer. Le but : empêcher la tenue du cours. Oli nous explique : « Nous n'empêcherons pas physiquement les gens d’aller en classe. Si un

ajoute que lorsque les étudiants sont bloqués en dehors de leur salle de classe, « neuf fois sur dix, les gens se disent : “cool, je vais rentrer chez moi” , mais parfois ils restent et discutent avec nous ». Iel nous a aussi fait part des réactions des profes-

« En tant qu'étudiants, l'une de nos principales sources de pouvoir est de cesser d'aller en classe. Arrêter de travailler dans le domaine de l'éducation, c'est comme arrêter de travailler pour les travailleurs qui sont en grève. C'est comme si nous pouvions arrêter de contribuer à l'école. » Oli Sinclare - Étudiant·e de Concordia associations étudiantes de la faculté des arts et des sciences de Concordia - des blocages de salles de classes ont été organisés pendant ces trois jours. Dans les couloirs, à voix haute, à peine pouvait-on entendre : « Qui veut bloquer une classe de science politique? », ou « Qui veut bloquer l’entrée d’une classe qui commence dans 20 minutes? », que de nombreuses mains se levaient, motivées et assoiffées d’engagement. Par groupes de trois, les étudiants grévistes, appartenant à une grande variété d'associations et de syndicats, se dirigaient alors vers leurs classes attribuées.

étudiant est vraiment déterminé à entrer, nous ne le retiendrons pas. Mais nous lui expliquerons qu'il s'agit d'une mesure qui a été votée démocratiquement, et qu’aller en classe revient à ne pas respecter cette décision. »

seurs, et précise que, même si ceux-ci ont la responsabilité d’au moins de tenter de tenir classe, ils jouent le jeu la majorité du temps, et acceptent d’annuler leur cours lorsque les étudiants grévistes bloquent le passage.

Un support impressionnant…

… et contesté

La mobilisation étudiante à Concordia a eu un effet très important : pour beaucoup, les cours furent annulés du mercredi au vendredi. Oli nous explique qu’il y a eu un engouement important en faveur de la grève, que ce soit du côté des étudiants, autant que celui des professeurs.

Nous avons suivit le groupe d’Oli, afin de mieux comprendre

« Les gens veulent vraiment en parler. Beaucoup de gens s’ac-

Cela n’a pas été facile de bloquer toutes les classes, certains étudiants et professeurs ont fait part de leur mécontentement à plusieurs reprises. Certains professeurs ont tenu à donner leur cours coûte que coûte, en les remplaçant par davantage d’heures de bureau, ou encore en réalisant leurs cours à distance, via la plateforme Zoom. Si les étudiants grévistes n’ont

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pas pu bloquer les heures de bureau, ils ont tout de même trouvé le moyen d’empêcher les cours à distance par le biais de « Zoom-bombing », qui consiste à s’introduire dans une conférence Zoom et de gêner la tenue du cours en faisant beaucoup de bruit, en écrivant des messages, ou encore en incitant les étudiants à quitter la conférence. Si les grèves étudiantes ont eu une ampleur moins importante à McGill, plusieurs cours ont tout de même été bloqués par des étudiants grévistes. Maxime*, étudiant en géographie à McGill, qui a souhaité garder l’anonymat, nous a fait part de ses observations au cours de la semaine : « Ils [les étudiants grévistes, ndlr] ont bloqué l’entrée et ont essayé de nous limiter l'accès à la salle. Ils ne m’ont pas empêché d’y entrer, mais j’ai dû forcer le passage, et me faufiler entre eux. [...] Je soutiens la cause, mais je ne peux pas manquer mes cours pour autant. Je pense que c’est un des seuls moyens qu’ils [les grévistes, ndlr] ont pour avoir un impact significatif et je pense que ça a fonctionné, parce que vendredi, il y avait nettement moins de personnes en classe. Alors que d’habitude nous sommes 200, nous n’étions que 50. » À Concordia, certains étudiants et professeurs se sont également opposés au blocage des cours. Face à cela, Oli répond qu’« en tant qu'étudiants, l'une de nos principales sources de pouvoir est de cesser d'aller en classe. Arrêter de travailler dans le domaine de l'éducation, c'est comme arrêter de travailler pour les travailleurs qui sont en grève. C'est comme si nous pouvions arrêter de contribuer à l'école. » Après ces trois jours de grève, les étudiants grévistes sont désormais dans l’attente d’une réponse du gouvernement caquiste. « Après la première mobilisation en décembre, il y a eu des modifications, ils ont donc réduit le montant de l'augmentation des frais de scolarité, et j'espère que cela se reproduira. » Finalement, Oli Sinclare conclut que tant qu’il n’y aura pas davantage de modifications de cette mesure gouvernementale, les étudiants continueront de se mobiliser pour faire entendre leurs voix. *Nom fictif x vincent maraval Éditeur Actualités

actualités

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enquÊte

Être Noir·e à McGill

Professeur·e·s et étudiant·e·s s’entendent qu’il faut faire plus. titouan paux Éditeur Enquête

coup moins d’étudiant·e·s noir·e·s que maintenant. » Cependant, les initiatives de ce genre restent limitées, notamment selon le domaine d’étude. Le Black Student Pathway reste limité à la faculté de médecine, et sur le site on comprend rapidement que le processus vise directement à pallier les différences au niveau du nombre de personnes provenant de populations sous-représentées strictement en médecine.

jeanne marengère Éditrice Opinion

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’expérience académique pour les étudiant·e·s noir·e·s de McGill s’avère être sensiblement différente de celle du reste des élèves. Pour en apprendre plus sur le bien-être de la communauté noire au sein de l’environnement étudiant mcgillois, Le Délit s’est entretenu avec Reggie, KendraAnn et Sophie, qui étudient respectivement en science politique, développement international et Med-P (année préparatoire pour le programme de médecine). Le Délit a aussi eu la chance de discuter avec deux professeurs noirs au sein de l’Université : Khaled Medani, professeur en science politique, et N. Keita Christophe, professeur au sein du département de psychologie. Les prochaines sections ont pour objectif d’offrir un portrait général des expériences vécues par les étudiant·e·s et professeur·e·s noir·e·s à McGill, en identifiant les défis récurrents auxquels ceux·celles-ci ont pu faire face dans le milieu académique.

antoine chedid cours de macroéconomie, et je dirais qu’on était environ cinq élèves noirs dans le cours, alors qu’il comptait plus d’une centaine d’étudiants au total. Je pense que la sous-représentation est claire. J’ai l’impression que spécifique-

« quand je vais étudier à McGill, ça sera comment? » Cependant, Sophie a confié avoir constaté un certain progrès dans la représentation des Noir·e·s dans son programme, notamment grâce

« Le niveau actuel de représentation des personnes noires au sein du corps professoral mcgillois est encore relativement bas, mais il s’est certainement amélioré grâce à l’initiative Anti-Black Racism (ABR) de McGill » Khaled Medani, professeur en science politique et études islamiques Ressentis sur la sous-représentation Malgré leurs différents programmes, les trois étudiantes se sont toutes accordées sur la sous-représentation évidente, ou du moins le sentiment de sousreprésentation dans leurs classes et sur le campus en général. Reggie explique avoir l’impression « qu’en science politique il n’y a pas beaucoup de personnes noires dans les cours. La majorité des gens sont blancs ». De son côté, Kendra-Ann raconte son ressenti durant ses premières semaines à McGill : « Je ne rencontrais pas beaucoup de personnes noires, j’en trouvais peu dans mes cours. J’ai pris un

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SOCIété

ment, il n’y a pas assez d’hommes noirs. Je vois pas mal de femmes noires, mais pas assez d’hommes noirs, je ne sais pas pourquoi c’est le cas. » Dans son programme Med-P, une classe préparatoire destinée à intégrer les prestigieux programmes de médecine de McGill, Sophie complète le tableau : « J’ai ressenti une certaine isolation parce qu’on n’est vraiment pas beaucoup de personnes noires comparé au reste de la classe. On est peut-être quatre ou cinq sur une centaine d’étudiants. De ce côté-là, j’ai quand même eu un choc. Par exemple, on avait eu notre journée d’orientation en août avant de commencer l’école. On était assis dans la salle, j’ai vu qu’on était très peu, et j’ai eu un peu peur parce que je me suis dit :

à une initiative de l’administration : « Ça s’est amélioré au fil des années parce qu’ils ont mis en place le Black Candidate Pathway. Les

Pour ce qui est des professeur·e·s interrogé·e·s, il semblerait que ceux·celles-ci perçoivent la communauté étudiante d’un œil différent que les étudiantes rencontrées. Le professeur N. Keita Christophe nous confie : « Je constate facilement en me promenant sur le campus et dans mes cours que McGill a un corps étudiant très diversifié. (tdlr) » Professeur Medani renchérit : « Je pense que la plupart reconnaîtraient fièrement que le corps étudiant de McGill est diversifié, et, qui plus est, que c’est l’un des aspects les plus admirables de la communauté du campus. » Cette discordance entre la perception des étudiant·e·s et des professeur·e·s de McGill peut être due aux différents domaines d’études, certains étant beaucoup plus diversifiés que d’autres, ou encore à une compréhension différente de ce qu’est la diversité : du côté des étudiant·e·s, l’enjeu est de trouver des personnes qui leur ressemblent en classe, alors que du côté des professeur·e·s, c’est de voir une salle de classe marquée par sa diversité. On peut notamment se référer à la faculté de droit de McGill, qui a une politique claire recommandant l’autoidentification des membres de la communauté noire lors du proces-

professeur·e·s notent une certaine diversité culturelle sur le campus mcgillois, il reste encore du travail à faire du côté de l’administration pour véritablement permettre aux personnes noires de se sentir incluses. Le professeur N. Keita Christophe a également soulevé sa préoccupation quant au projet d’augmentation des frais de scolarité pour les étudiant·e·s internationaux·ales, qui a le potentiel de limiter directement l’accès à l’éducation supérieure pour les personnes noires. Il affirme que ce projet met en danger l’inclusion des personnes noires à McGill : « Le gouvernement du Québec prévoit d’offrir des frais de scolarité provinciaux aux étudiants francophones venant exclusivement de la France, de la Belgique et de la Suisse, alors que ces tarifs réduits ne sont pas disponibles pour les étudiants provenant d’autres pays francophones. Je suis certain que ce n’est en rien une coïncidence : tous ces pays francophones dont les ressortissants n’ont pas accès à ces tarifs réduits sont majoritairement non blancs. Le français est la seule langue officielle dans 10 pays en Afrique, il est parmi les langues officielles dans de nombreux autres pays et est encore couramment utilisé dans les anciennes colonies françaises telles que le Maroc, la Tunisie et l’Algérie. Il est à noter qu’il y a une population haïtienne particulièrement importante à Montréal, ce qui peut rendre McGill attrayante pour les personnes en provenance d’Haïti (un autre pays francophone à majorité noire), mais cette réduction de frais ne s’appliquerait pas non plus à eux. Cela constitue une preuve flagrante de

« En tant qu’élève, il faut vraiment que tu recherches les professeurs noirs, que tu essaies de les trouver. C’est ce que j’ai fait. Je n’ai pas eu de professeur noir dans mes cours. Pour les rencontrer, il faut aller à des événements » Kendra-Ann, étudiante en développement international étudiant·e·s noir·e·s peuvent passer par ce processus qui facilite leur entrée. Ça encourage beaucoup les élèves noirs à appliquer dans ce programme-là. De ce qu’on m’a dit les autres années, il y avait beau-

sus d’admission. Malgré sa reconnaissance de la diversité du corps estudiantin, le professeur N. Keita Christophe conclut en disant : « Il y a encore tellement plus à faire dans ce domaine. » Ainsi, bien que les

racisme systémique de la part du gouvernement québécois, privilégiant les étudiants internationaux des pays francophones plus blancs, tout en refusant ces privilèges à ceux des pays francophones

le délit · mercredi 7 février 2024 · delitfrancais.com


ENQUÊTE majoritairement non blancs. À mon avis, McGill, en tant qu’institution d’enseignement supérieur, a la responsabilité de dénoncer cela et de veiller à pallier à cette décision. » Représentation au sein du corps professoral Les ressentis sur la sous-représentation des professeur·e·s noir·e·s semblent similaires, voire même plus inquiétants. Quand on lui demande si elle estime qu’il faudrait avoir plus de professeur·e·s noir·e·s à McGill, Kendra-Ann raconte : « En tant qu’élève, il faut vraiment que tu recherches les professeurs noirs, que tu essaies de les trouver. C’est ce que j’ai fait. Je n’ai pas eu de professeur noir dans mes cours. Pour les rencontrer, il faut aller à des événements, notamment ceux de Black Student Network (BSN). Sinon c’est très compliqué. Dans les cours obligatoires que je dois prendre, la plupart du temps, il n’y a pas de personnes de couleur, mais bien souvent des hommes blancs. » Sophie et Reggie confient avoir des impressions similaires. Les professeur·e·s avec lesquels Le Délit s’est entretenu partagent aussi l’avis qu’il existe une disparité au niveau de l’embauche chez les professeur·e·s embauché·e·s par McGill. Professeur Medani relève que « Le niveau actuel de représentation des personnes noires au sein du corps professoral mcgillois est encore relativement bas, mais il s’est certainement amélioré grâce à l’initiative Anti-Black Racism (ABR) de McGill. Le fait que McGill ait mis en place ce projet suggère qu’il y a une reconnaissance étendue que l’Université doit encore atteindre des objectifs plus élevés en termes de recrutement et de rétention des membres du corps professoral noir ». L’initiative ABR est un programme valant 15 millions de dollars, qui s’étend de 2020 à 2025, qui cherche à s’attaquer à différentes préoccupations de la communauté noire de McGill, notamment de promouvoir le recrutement, la représentation, la rétention, le bien-être et le succès des employé·e·s noir·e·s à McGill. L’initiative a également pour but d’améliorer l’expérience étudiante pour les étudiant·e·s noir·e·s à McGill, de s’engager à examiner les liens institutionnels entre l’Université et la traite transatlantique des esclaves, de mettre en lumière les contributions de la communauté noire à McGill à travers son histoire, ainsi que d’établir des liens avec les communautés locales afin de mieux représenter la diversité montréalaise sur le campus, tout en créant un campus plus accueillant pour la communauté noire. Les entrevues menées par Le Délit ont permis de relever l’importance d’avoir un corps

« Je pense que McGill doit changer un peu son image pour avoir l’air plus attrayant pour la communauté noire. Je pense que d’autres universités comme Concordia n’ont pas ce genre de problèmes. Le prestige, c’est bien, mais il faut quand même aussi avoir l’air ouvert et accueillant pour toutes les communautés » Reggie, étudiante en science politique

professoral plus inclusif, notamment en encourageant l’embauche de professeur·e·s noir·e·s. Selon professeur Medani, « c’est la diversité au sein du corps étudiant qui rend nécessaire le recrutement de davantage de professeurs noirs dans le cadre des politiques de diversification et d’inclusion. De nombreuses études ont montré un écart important entre la diversité du corps étudiant et celle du corps professoral au sein de multiples

Sentiment d’isolation et difficulté d’intégration Cette impression de sous-représentation a un impact déterminant sur l’intégration des élèves noirs dans la communauté mcgilloise, et crée un sentiment d’isolation. Reggie, étudiante de première année, raconte : « C’est mon deuxième semestre, personne n’est venu me parler dans mes classes. J’ai moi-même seulement

répondre à la question. C’est comme si c’est toi qui devenait le professeur, celui qui doit éduquer la classe au complet sur le sujet, juste parce que ça parle de quelque chose qui entoure la communauté noire. Ils veulent que tu deviennes la personne qui va éduquer les gens, mais en réalité, tu n’as pas envie de faire ça. » Par ailleurs, cette difficulté d’intégration semble impacter plus profondément les étudiant·e·s

ROSE CHEDID | le dÉlit

établissements d’enseignement en Amérique du Nord. C’est cet écart qui doit être comblé, non seulement pour des raisons de collégialité et de représentation, mais aussi parce que réduire cet écart engendre des avantages académiques, intellectuels et pédagogiques concrets pour tous les membres de la communauté universitaire ». Il ajoute que « l’environnement académique bénéficie de la diversification du corps professoral en termes de production de connaissances, de diversité pédagogique, d’élargissement du contenu du programme, et contribue à moderniser l’institution en harmonie avec un corps étudiant de plus en plus diversifié ». Le professeur N. Keita Christophe confie : « Du côté des étudiants, je pense qu’un énorme manque de professeurs noirs signifie implicitement aux étudiants noirs que les personnes qui leur ressemblent et viennent des mêmes endroits qu’eux ne sont pas les bienvenues dans les espaces académiques. »

le délit · mercredi 7 février 2024 · delitfrancais.com

interagi avec d’autres étudiants noirs. Eux-mêmes m’ont dit la même chose. Ils m’ont expliqué que parfois, ils pouvaient se sentir inconfortables, que les gens vont rarement faire le premier pas pour devenir amis. Au final, ils sont souvent dans un coin en classe, écoutent leur cours et rentrent chez eux. Ce n’est pas vraiment le type de vie sociale auquel tu t’attends avoir à l’université. » Cette difficulté d’intégration semble toucher particulièrement les étudiant·e·s noir·e·s à McGill, et il peut en découler un véritable mal-être pendant les cours et sur le campus en général. Reggie continue : « Il y a une sorte de malaise dans ce que les gens attendent de toi. J’ai beaucoup de cours qui parlent de l’esclavage ou de la colonisation en Afrique. Plusieurs fois, les professeurs, quand ils en parlent ou posent des questions qui abordent ce sujet, ils vont te regarder toi, ou ils vont pointer vers toi pour

noir·e·s internationaux·ales. Interrogée sur les besoins des étudiant·e·s noir·e·s internationaux·ales en matière de santé mentale, Reggie exprime ses inquiétudes : « Je pense que c’est très important [la santé mentale, ndlr] surtout pour les élèves qui ne viennent pas d’ici. Personnellement, j’avais des amis noirs au cégep, puis au secondaire aussi. J’avais déjà cette communauté ou cet entourage, mais les étudiants qui viennent d’autres pays ou qui viennent d’autres provinces canadiennes, eux, ils n’ont souvent pas cette chance. Il y a alors un risque de dépression, ou un sentiment d’isolement. Ça serait bien d’avoir quelqu’un qui peut aider pour ça. » McGill : une image à retravailler Les étudiantes avec lesquelles Le Délit a pu discuter se sont entendues sur la question de l’image particulière

projetée par McGill. « Quand je suis arrivée ici, je me suis dit que je ne trouverais personne comme moi, que ça serait difficile de m’intégrer. Concordia et l’Université de Montréal, par exemple, sont connues pour avoir une assez grande communauté noire, et aussi africaine. Il y a beaucoup de choses qui se rattachent à l’image élitiste de McGill. Avant même de regarder les exigences de l’Université, les gens se disent que McGill c’est prestigieux et qu’ils ne pourront jamais y rentrer. C’est très décourageant, alors que c’est souvent très probable qu’ils soient acceptés », confie Sophie. De son côté, Reggie identifie ce point comme un problème majeur à régler pour McGill : « Je pense que McGill doit changer un peu son image pour avoir l’air plus attrayant pour la communauté noire. Je pense que d’autres universités comme Concordia n’ont pas ce genre de problèmes. Le prestige, c’est bien, mais il faut quand même aussi avoir l’air ouvert et accueillant pour toutes les communautés. Moi, j’ai été motivée à postuler parce que des étudiants noirs de McGill sont venus visiter mon cégep, et nous ont parlé de la sous-représentation noire à l’université. Alors, ça m’a motivée. S’ils continuent à faire ça, ça pourrait encourager d’autres étudiants également. » Le vécu des étudiant·e·s noir·e·s à McGill est marqué d’une sous-représentation sur le campus, suscitant des sentiments d’isolement et des défis d’intégration. Les étudiant·e·s comme les professeur·e·s soulignent un besoin clair pour une plus grande inclusion des personne·e·s noir·e·s parmi le corps professoral, affirmant que des mesures favorisant l’embauche et la rétention de professeur·e·s noir·e·s pourraient jouer un rôle considérable dans la création d’un espace plus accueillant et inclusif à McGill. En outre, le professeur N. Keita Christophe a noté sa préoccupation quant au manque de données sur la situation de la communauté noire à McGill : « L’une des plus grandes lacunes au niveau universitaire, qui, selon moi, perpétue les disparités existantes, est l’absence de collecte (ou du moins de publication) de données démographiques sur la race des étudiants. Je ne suis pas sûr s’il s’agit d’une politique de McGill, du Québec ou du Canada, mais de ce que je comprends, l’université n’est soit pas disposée à collecter, soit pas disposée à publier des données sur l’origine ethnique-raciale des étudiants. Des données sur la nationalité existent, mais bien sûr, la nationalité n’est pas synonyme d’origine raciale. » Nous aimerions faire écho à cette inquiétude, et souligner l’importance de mettre en avant ces chiffres, qui permettraient sans doute d’avoir une meilleure idée quant à la situation à McGill, mais surtout, quant aux défis qu’elle se doit de relever.x

société

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OPINION

Capitalisme Noir : Entre solidarité et exploitation Que croire, le succès ou ses mirages? designer a inspiré des groupes marginalisés à travers le monde en partant de la Barbade, un petit pays des Caraïbes, pour devenir une femme d’affaires accomplie. La marque de Rihanna tire profit de l’utilisation de l’inclusivité comme un élément central des stratégies de marketing, tout en négligeant les mesures de base pour protéger les droits fondamentaux de ses travailleur·se·s.

CAMÉLIA BAKOURI Coordinatrice réseaux sociaux

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n ce Mois de l’histoire des Noir·e·s, une multiplication de produits, de collaborations et de campagnes de commercialisation mettent en avant cet événement. Chaque année, mes amis et moi nous interrogeons sur la pertinence de ces pratiques et discutons de la signification derrière cette soudaine solidarité. La plupart du temps, nous sommes d’accord sur le caractère performatif de ces représentations, qui visent principalement à attirer une clientèle plutôt qu’à exprimer une réelle pensée authentique. Cette année, notre réflexion s’est tournée vers une situation au caractère ambigu : qu’en est-il des entrepreneur·euse·s noir·e·s? Le capitalisme noir propose d’encourager les afro-américain·e·s à supporter des entreprises dirigées par des personnes noires oeuvrant au profit de la communauté. Ce mouvement réactionnaire essaye de combattre les infrastructures économiques américaines qui ont historiquement rendu l’enrichissement des Noir·e·s américain·e·s presque impossible, comme le détaille Earl Ofari Hutchinson dans The Continuing Myth of Black Capitalism. Bien que l’attrayante proposition de la création d’une nouvelle économie noire soit basée sur la collectivité et la fraternité, plusieurs activistes critiquent ce genre de capitalisme. Le problème récurrent avec cette méthode est le succès d’un petit nombre d’entrepreneur·euse·s uniquement. La majorité des communautés noires continue à participer à cette économie ségrégationniste en achetant et en travaillant avec l’espoir de surmonter leurs inégalités financières. À première vue, l’encouragement d’entreprises noires est bénéfique, mais ne change pas les systèmes économiques racistes dont plusieurs sont victimes. Pour les penseur·euse·s comme Angela Davis, combattre le racisme par l’intérim du capitalisme est une mission impossible. Le livre Marxisme noir de Cedric Robinson, un politologue américain, introduit une notion importante, celle du capitalisme racial. Robinson explique que le capitalisme n’est pas une révolution

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SOCIété

clÉment veysset | le dÉlit contre le système féodal comme la pensée marxiste l’interprète, mais plutôt une évolution du système féodal et du racisme. Le capitalisme racial dépend de l’exploitation humaine se traduisant en esclavage, en impérialisme et en violence. En d’autres termes, le système capitaliste a historiquement utilisé des mécanismes racistes pour justifier et perpétuer l’oppression, en par-

en Afrique du Sud en 1877, durant la période coloniale où l’exploitation des mineurs africains et la destruction de leurs communautés était monnaie courante. Cette image présentée par Beyoncé n’est pas celle de la libération noire, mais plutôt une représentation de richesse et surtout d’un « symbole douloureux de colonialisme » comme le décrit Karen Attiah, rédactrice et chroni-

Au-delà de la perpétuation du cycle d’exploitation par les riches noir·e·s, le capitalisme noir attire également d’autres entreprises. La demande pour plus de diversité dans les médias est constante. Depuis quelques années, les industries sautent sur l’opportunité d’agrandir leur marché en créant l’illusion d’une réussite imminente, en utilisant l’image de personnes noires prospères. Dans le monde de la mode, l’utilisation de l’inclusivité est souvent commercialisable et évite la nécessité d’un changement structurel substantiel. Pour répondre à la demande, des mannequins noir·e·s sont souvent engagés. Pour ce faire, les agent·e·s ne cherchent pas de nouveaux profils, mais plutôt des jeunes femmes qui ressemblent à une tendance préétablie. Avec l’émergence de mannequins tels qu’Alek Wek, née au Soudan du Sud et arrivée en

ayant duré 22 ans. Les aspirant·e·s mannequins du camp de réfugié·e·s de Kakuma sont recruté·e·s avec la promesse d’une opportunité de quitter le camp, d’obtenir un permis de travail et de se lancer dans l’industrie du mannequinat. En Europe, on leur propose un logement et une allocation hebdomadaire bidon de 70 à 100 euros. Cependant, l’industrie du mannequinat fonctionne sur un système de dette. Toutes les dépenses initialement couvertes par les agences doivent être remboursées, et si les mannequins échouent à obtenir suffisamment de travail rémunéré ou sont jugé·e·s inaptes par les agences, les mannequins sont renvoyé·e·s au camp avec une dette importante. Selon une enquête du Sunday Times, la facture envoyée aux mannequins « échoué·e·s » peut atteindre jusqu’à 3 000 euros. Cette forme brutale d’exploitation se cache derrière une poursuite de diversification des distributions artistiques. Comme l’a écrit le directeur général de l’agence Select Model Management, Matteo Puglisi : « Voulez-vous revenir à des défilés de mode tous blancs? (tdlr) » Ce système de repêchage pseudo-inclusif exploite l’image d’une personne noire accomplie pour attirer des client·e·s qui souhaitent soutenir des figures qui les représentent.

« À première vue, l’encouragement d’entreprises noires est bénéfique, mais ne change pas les systèmes économiques racistes Le capitalisme noir n’a pas pour but de perpétuer les inégalités raciales, dont plusieurs sont victimes. Pour les penseurs comme Angela mais plutôt d’offrir une voie de sortie d’un système généralement discriminatoire. Néanmoins, il est Davis, combattre le racisme par l’intérim du capitalisme est difficile de s’éloigner des habitudes néfastes profondément ancrées une mission impossible » ticulier à travers des structures économiques et politiques qui ont favorisé l’exploitation des groupes raciaux spécifiques.

queuse au Washington Post dans l’article intitulé « Sorry, Beyoncé, but Tiffany’s blood diamonds aren’t a girl’s best friend ».

Ces dynamiques de disparité peuvent être reprises par des entrepreneur·euse·s noir·e·s. En effet, en 2021, Beyoncé s’est associée à Tiffany & Co, la marque de bijoux estimée à plus de 16 milliards de dollars, pour la campagne de l’album About Love en collaboration avec son mari, Jay-Z. Dans les photographies promotionnelles, l’artiste portait fièrement le diamant jaune Tiffany, un diamant de 128,54 carats. Elle fut la première femme noire à arborer ce joyau. Cependant, le diamant jaune Tiffany a été extrait

Plus récemment, la compagnie Savage X Fenty, dirigée par Rihanna, récolte les résultats les plus bas selon le Fashion Accountability Report, une évaluation comprenant une analyse de la transparence et de la responsabilité des marques sur les catégories suivantes : la traçabilité, le salaire et le bien-être des employé·e·s, les pratiques commerciales, les matières premières, la justice environnementale et la gouvernance. Sur 150 points, Savage X Fenty n’a obtenu que quatre points. Pourtant, la chanteuse, interprète et

Angleterre en tant que réfugiée, l’industrie de la mode pourrait jouer le rôle d’actrice humanitaire. Cette histoire inspirante, comme celle de Rihanna, est précisément ce que les agences de mannequins tentent de reproduire en cherchant de nouveaux talents dans le camp de réfugié·e·s de Kakuma. Situé dans le comté de Turkana, au nordouest du Kenya, ce camp a été créé en 1992 par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) dans le but de relocaliser les personnes déplacées du Soudan et de l’Éthiopie. Plus de la moitié de ses habitant·e·s viennent du Soudan du Sud en raison de l’insécurité alimentaire extrême et de la violence causée par la deuxième guerre civile

lorsqu’on utilise un modèle basé sur l’exploitation, comme le capitalisme. Ces instances d’abus ne devraient pas être considérées comme une impossibilité de libération, alors qu’elles mettent plutôt en valeur le besoin d’une solidarité noire. Aaron Ross Coleman, journaliste spécialisé en économie, propose dans son article « Black Capitalism Won’t Save Us » une entraide qui ne considère pas les personnes noires comme des consommateur·rice·s, mais comme des citoyen·ne·s actif·ve·s. Les organisations sociales, les mouvements de boycott et les médias servent de tribunes pour mettre en lumière les inégalités sociales et économiques, une profondeur que les entreprises ne peuvent pas offrir.x

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opinion

Ce qui ne va pas

Réflexions d’une étudiante noire. NAOMIE MUNDERERE Contributrice

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orsque j’ai désespérément voulu décrire à des conseillers d’orientation blancs ou encore à des hommes ce que c’était que d’être noire et féminine dans le monde des études supérieures, leur réponse était toujours de m’expliquer le concept du syndrome de l’imposteur. Pensaient-ils que c’était du jamais vu pour moi, pour nous? Je savais que c’était une tentative de relier leurs expériences aux miennes. C’est humain de le faire. Mais cette expérience, être noire et féminine dans le milieu des études, ne concerne que nous. J’écris féminine par faute de meilleurs mots pour désigner une identité et une réalité qui nous est imposée et qui ne correspond pas nécessairement à notre perception interne du soi : vivre en tant que femme noire, que nous nous identifions ou non comme telle. L’école est généralement parmi les premiers endroits où nous commençons à soupçonner que quelque chose ne va pas. Et parce que nous n’avons pas

clément veysset | le dÉlit

dation de votre professeur blanc qui donne un cours sur la race alors qu’il applaudit vos « observations » poignantes? L’avezvous observé ou l’avez-vous vécu? Il y a des choses que nous savons, non pas grâce à une démarche scientifique, mais grâce à des expériences vécues précieuses et souvent douloureuses. Que devons-nous alors penser de

regard. Cette évaluation qui conclut que nous sommes forcément perturbatrices et lentes. J’ai surmonté ces étiquettes, non pas parce que j’étais particulièrement sage ou douée. Je lisais simplement beaucoup et j’étais profondément anxieuse, ce qui me rendait calme et timide dans la plupart des cours. Qu’arrive-til alors à la fille noire qui ne peut

« Beaucoup d’entre nous, ayant conclu que nous ne sommes tout simplement pas faites pour l’école, abandonnent les études. Dans ce cas-là, nous n’avons pas eu le temps de nous demander si c’était peut-être l’école qui n’était pas faite pour nous, et non l’inverse » encore appris que les adultes peuvent se tromper, nous nous blâmons. Ceci dit, il est évident que quelque chose ne cloche pas en nous. Au moment où les marées changent, peut-être sommes-nous tombées sur un livre, un film, une entrevue ou une conversation qui nous a poussées à entamer le démantèlement de nos croyances antérieures, le mal est déjà fait. Beaucoup d’entre nous, ayant conclu que nous ne sommes tout simplement pas faites pour l’école, abandonnent les études. Dans ce cas-là, nous n’avons pas eu le temps de nous demander si c’était peut-être l’école qui n’était pas faite pour nous, et non l’inverse. Pour celles d’entre nous qui poursuivent des études supérieures, nous essayons toujours de réparer notre passé et de faire nos preuves auprès de nos pairs. Comment appelez-vous cela lorsque vous vous sentez fière de recevoir la vali-

ces innombrables fois où nous avons regardé nerveusement la porte en chuchotant une prière silencieuse, en attendant que quelqu’un entre et nous épargne le fardeau d’être, une fois de plus, la seule femme noire dans la classe? Que devons-nous alors penser du « aucun résultat trouvé », qui apparaît chaque fois que nous recherchons une étude se concentrant sur les femmes noires? Je ne prétends pas détenir la réponse à ces questions, mais j’ai constaté que nous n’obtiendrons pas les réponses aux questions que nous n’osons pas poser. Je ne crois pas que la révolution naît dans des salles de classe, mais nous nous devons d’en faire des milieux où peut se cultiver l’esprit révolutionnaire. À quel moment notre expérience prend-elle sa forme unique? C’est peut-être la première fois qu’un éducateur décide qu’il peut nous évaluer en un seul

le délit · mercredi 7 février 2024 · delitfrancais.com

pas rester assise, qui ose être une enfant enjouée, enthousiaste et sans peur? Elle est souvent punie. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu une relation particulière avec l’école. D’une part, je ne me souviens pas d’une époque où je n’ai pas rêvé d’être enseignante. Je trouve que la

qu’ils pouvaient aussi facilement inspirer la confiance d’un enfant qu’ils pouvaient anéantir ses espoirs. Et malheureusement, il est plus probable qu’un enseignant brise les rêves des jeunes qui me ressemblent. Il se pourrait que dans ma quête pour devenir professeure se cache un désir de réparer les torts que j’ai subis au cours des premières années de mon éducation conventionelle. Après tout, n’y a t-il pas en chacune d’entre nous une enfant blessée qui souhaite qu’on lutte pour elle? D’ailleurs, c’est précisément ce combat qui me ronge. Devoir lutter pour se faire respecter, pour être traitée également, pour être écoutée, pour être crue dès notre entrée à l’école. Le rôle d’activiste nous est assigné sans qu’on ait eu la chance d’être des enfants insouciants au même titre que nos camarades de classe. Dans ma poursuite d’une carrière en enseignement, je vois surtout de l’espoir. Je ne peux pas faire de retour dans mon passé, peu importe à quel point je le souhaite, mais je pourrais changer le cours de l’avenir d’une étudiante noire, si ce n’est qu’en lui offrant un es-

une véritable tentative d’examination et de proposition de solutions possibles. Une plus grande représentation dans le milieu scolaire, aussi nécessaire soit-elle, ne sera jamais l’objectif final. Pourtant, ce serait une faute de la considérer comme insignifiante. Je me considère chanceuse, car du primaire au secondaire, je n’ai jamais été la seule fille noire de ma classe. Cependant, je n’ai jamais eu d’instructrice noire, et cela s’est avéré plus difficile. Je ne voulais pas admettre mon mécontentement à ce sujet, car j’aurais fait n’importe quoi pour ne pas avoir à faire face à la douleur et à la déception que je ressentais. Comme le dit le dicton affiché sur les murs de nombreuses écoles québécoises : « L’expert dans la classe, c’est le prof ». Ils étaient l’autorité et ils choisissaient les règles. On peut alors imaginer l’impact que ça a eu sur nous quand la tolérance et la grâce qu’ils accordaient n’étaient pas les mêmes pour tous. À cette époque, ce qui me permettait de persévérer, c’était de partager et de me défouler avec mes sœurs – au sens figuré et littéral. Nous nous sommes consolées, validées et édifiées les unes et les autres. Avant tout, la communauté est, en effet, notre outil le plus puissant. Le monde des études supérieures continue d’être pour beaucoup d’entre nous une source d’aliénation. Ces institutions n’ont pas été construites pour nous accueillir. Les programmes d’études n’ont pas été faits pour nous apprendre. Plus tôt nous pourrons faire la paix avec cela, plus tôt nous commencerons à comprendre qu’il y a effectivement quelque chose qui ne va pas, mais pas en nous. En fin de compte, notre objectif devrait être de faire en sorte que, lorsque les autres filles noires à l’école commencent à se douter que quelque chose ne va pas, elles ne dirigent pas leurs soupçons vers elles-mêmes, car cela peut déterminer la suite

« Je ne crois pas que la révolution naît dans des salles de classe, mais nous nous devons d’en faire des milieux où peut se cultiver l’esprit révolutionnaire » dynamique entre l’enseignant et l’élève a quelque chose de précieux, qui permet aux deux de s’enseigner et d’apprendre mutuellement. Je n’avais pas besoin d’être convaincue de la nécessité et de l’importance des enseignants ; je les admirais pour leur capacité à bâtir toute une génération. Je ne savais pas

pace où elle n’a pas besoin d’être en lutte contre la misogynoire du système scolaire. J’avais l’habitude de me moquer des gens qui utilisaient à l’excès la représentation comme un mot en vogue dans toute conversation qui constituait

de leur parcours scolaire. Nous voulons nous émanciper sur le plan académique, donc nous devons assurer notre présence en plus grand nombre. Si le premier obstacle qui s’y oppose est la conviction que nous n’avons pas notre place ici, alors notre travail commence par là.x

société

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environnement environnement@delitfrancais.com

Comprendre le racisme environnemental

La nécessité d’inscrire les principes d’une justice environnementale dans la loi. adèle doat Éditrice Environnement

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n distingue souvent les inégalités sociales et la crise environnementale comme deux problèmes séparés sans considérer leur intime connexion. Quand on pense au racisme, on pense aux discriminations qui ont lieu dans la vie de tous les jours, comme dans le milieu du travail, avec les obstacles qu’il pose dans l’obtention d’un emploi ou de salaires équitables. On pense aussi aux expressions du racisme qui prennent la forme d’insultes lancées dans la rue : les exemples ne manquent pas. Toutefois, le racisme s’exprime également sous la forme de discriminations environnementales. Elle est une forme d’injustice environnementale dont le statut reste faible dans la législation. Le Délit s’est entretenu avec Sabaa Khan, une avocate spécialisée dans le droit international de l’environnement, qui a récemment participé à la publication du livre La nature de l’injustice à l’initiative de la Fondation David Suzuki, dont elle est également la directrice générale pour la branche Québec-Atlantique. Qu’est-ce que la justice environnementale? « Quand on parle de la justice environnementale, on parle du traitement et de la participation équitable de toutes les personnes - indépendamment de la race, du revenu, de l’éducation, du sexe, ou de la culture - dans la création, la mise en œuvre

cisées ou autochtones, qui sont surexposées aux impacts des changements climatiques et à la pollution des industries. Dans son rapport Pour une justice environnementale québécoise, paru en 2022, la fondation David Suzuki désigne par l’adjectif « racisée » les personnes, pouvant être nées au Canada, appartenant à un groupe racial ou à un groupe minoritaire sur le plan culturel, linguistique, social ou religieux, et ayant subi un processus de racisation, à savoir un processus politique, social et mental d’altérisation. Ce terme souligne le fait que la race est une idée socialement construite dans le but de représenter, catégoriser et exclure « l’Autre ». À Montréal, ces injustices environnementales se manifestent, par exemple, avec les îlots de chaleur qui sont concentrés dans le trois-quart des quartiers avec le plus faible statut socio-économique. Le risque sur la santé des habitants de ces quartiers défavorisés est bien plus élevé lors des vagues de chaleur en été. L’injustice environnementale peut prendre une grande variété de formes et le racisme environnemental est l’une d’entre elles. Sabaa le définit comme « le résultat de politiques ou de pratiques environnementales, intentionnelles ou non, qui affectent de manière disproportionnée des communautés racisées ou autochtones ». Sabaa reconnaît que le terme de racisme environnemental est assez récent, apparu dans les années 1980 aux États-Unis. Cela pourrait expliquer pourquoi on n’en

rose chedid | Le dÉlit Nature de la Justice, ndlr], c’est que les populations vulnérables sont assujetties aux iniquités environnementales, qui sont assez flagrantes et généralement ignorées. » Elle nous apprend que « la sociologue Ingrid Waldron a documenté la réalité des populations noires en Nouvelle-Écosse pour démontrer qu’historiquement, c’est une population qui a toujours subi l’impact disproportionné des sites dangereux, des installations de déchets, etc. Ingrid a aussi réalisé un film sur Netflix à ce sujet, qui s’appelle There’s Something in the Water (2019) ». Dans La Nature de la Justice, l’objectif était « de mettre en lumière cette réalité qui affecte non seulement la population noire, par exemple en Nouvelle Écosse, mais aussi les populations urbaines un peu partout dans les grands centres au Canada », ajoute Sabaa. Quelles formes ces discriminations prennent-elles?

« Souvent, quand on parle de la discrimiSabaa nous fait comprendre nation ou du racisme on parle de la défaqu’il existe plusieurs niveaux à vorisation matérielle. Quand on parle de la ces injustices environnementales. Tout d’abord, on peut pauvreté, on ne parle pas assez souvent de la parler des injustices géographiques ou de distribution des risques environnementaux. défavorisation environnementale » et l’application des lois, règles, politiques, systèmes et structures qui ont un impact sur les écosystèmes dans lesquels elles vivent », nous explique Sabaa. La justice environnementale cherche à mettre en lumière les inégalités subies par certaines communautés défavorisées, ra-

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entend pas encore beaucoup parler au Canada. « Souvent, quand on parle de la discrimination ou du racisme on parle de la défavorisation matérielle. Quand on parle de la pauvreté, on ne parle pas assez souvent de la défavorisation environnementale. Et ce qu’on essaie de montrer [dans La

« La vallée chimique de céréales en Ontario en est un exemple. C’est un endroit où se situent 60 usines chimiques et raffineries de pétrole. 60% des émissions provenant de ces usines sont à cinq kilomètres d’une communauté de Premières Nations. [...] C’est un exemple d’une communauté qui est sur son

territoire traditionnel, qui ne peut pas simplement déménager pour éviter les émissions provenant de ces usines-là. » Ce type d’injustice est également mis en évidence quand on s’intéresse aux canopées urbaines (couvert arboré urbain). Comme le précise Sabaa : « Souvent, ce sont dans les quartiers les plus affluents que l’on trouve le plus de canopées. À Rosemont, un quartier de la ville de Montréal où le revenu moyen des ménages est de 110 000$ CA, on trouve une couverture de canopée de 40%. Juste à côté, où le revenu moyen est de 32 000$ CA, on trouve une couverture de qualité de 7%. » Les populations autochtones subissent également ces discriminations environnementales. « Il y a aussi l’exemple des Inuits. Si on mesure les concentrations de polluants organiques persistants, on trouve que cette communauté est exposée de deux à 11 fois davantage aux polluants qu’on trouve dans les produits chimiques, les plastiques et les cosmétiques que la population en général. Et même si ce ne sont pas eux qui consomment ces substances-là, celles-ci migrent à cause des courants au nord, impactant directement les Inuits. Or, on ne prend pas en compte la santé de ces populations quand on commercialise ou quand on met ces substances sur le marché. » Une autre dimension de l’injustice environnementale comprend les injustices de participation et de justice procédurale, à savoir l’accès à l’information, la participation à la prise de dé-

cision, le partage du pouvoir décisionnel, etc. À Rouyn-Noranda au Québec, la Fonderie Horne (une des principales productrices mondiales de cuivre et métaux précieux) émet de nombreux polluants atmosphériques, des quantités qui dépassent largement les normes établies par le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC), auxquels la population la plus défavorisée de la ville est particulièrement exposée. Sabaa précise que « des groupes citoyens demandent plus de stations d’échantillonnage pour mesurer l’arsenic dans l’air. Il n’y a pas beaucoup d’opportunités pour ces groupes de recevoir des données en temps réel pour faire un suivi pour des raisons de santé. D’ailleurs, la norme québécoise n’est toujours pas alignée avec la norme de l’Organisation mondiale de la santé. » Où en est-on dans la législation? On entend encore très peu parler du racisme environnemental dans les médias ou dans l’espace public. La première étape pour traiter un problème, c’est d’abord de reconnaître qu’il existe, et de l’inscrire dans le programme d’action du gouvernement. Qu’en est-il de la législation à propos de la justice environnementale? « L’ONU a récemment [en 2022, ndlr] adopté le droit à un environnement sain, le reconnaissant ainsi comme un droit fondamental et universel. Mais cela revient aux pays d’adopter leur propre législation à ce sujet. Au Canada, le droit à un environnement sain a été reconnu à travers une réforme de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (LCPE) l’année dernière. Le fait que c’est un droit qui se trouve dans la LCPE, signifie que le gouvernement fédéral devrait être obligé de prendre en considération la justice environnementale dans toute prise de décision sur cette législation. Ainsi, la prochaine étape est de créer un cadre d’implémentation », explique Sabaa Khan. Aujourd’hui, la législation sur la justice environnementale connaît un essor timide. Un projet de loi sur la stratégie

le délit · mercredi 7 février 2024 · delitfrancais.com


Sabaa Khan. Aujourd’hui, la législation sur la justice environnementale connaît un essor timide. Un projet de loi sur la stratégie nationale relative au racisme environnemental et à la justice environnementale - la

ronnemental ». Selon l’avocate, ambre giovanni il pourrait aussi pousser le gouvernement « à examiner le lien entre la race, le statut socio-économique et les dangers environnementaux, et aussi à recueillir des données sur l’emplacement de

« Il est urgent de ‘‘repenser les principes qui alimentent notre droit de l’environnement’’. Pour cela, il est nécessaire de ‘‘décoloniser nos approches pour mettre l’humain au même niveau que la nature plutôt que de la dominer’’ » Sabaa Khan loi C-226 - a récemment vu le jour. Adopté en mars 2023 par la Chambre des communes, le texte doit encore être approuvé par le Sénat canadien pour devenir une loi. Selon Sabaa, ce projet « pourrait changer des choses pour beaucoup de groupes et de populations, parce que cela obligerait le gouvernement à adopter une stratégie pour lutter contre les injustices et le racisme envi-

ces derniers ». Elle ajoute qu’« au Québec, nous avons le droit environnemental dans notre charte, et nous avons aussi la Loi sur la qualité de l’environnement. Mais en réalité, il n’y a aucune façon de mettre en œuvre ce droit-là. Il est nécessaire de bonifier le droit à un environnement sain et de faire progresser la justice environnementale au Québec et au Canada ». Sabaa suggère une

Sabaa Khan première stratégie : « D’abord, il faut étudier pour mieux décrire la situation d’injustice environnementale et améliorer l’implication du public dans les processus décisionnels. » Repenser les principes du droit environnemental La gouvernance environnementale a longtemps été marquée par une vision très anthropocentrée de l’environnement planétaire, établissant l’Homme comme

maître de la nature, capable de la contrôler à sa guise. Cette mentalité est caractéristique du colonialisme. Sabaa rappelle : « Si on remonte dans l’histoire, c’est la doctrine de la découverte qui a permis l’exploitation et le vol des territoires autochtones. Je dois avouer que la gouvernance environnementale en faisait aussi partie. Au tout début, le concept de la conservation était destiné à chasser les peuples autochtones de leurs territoires. (...) Ces racines sont toujours implantées dans notre législation et dans nos systèmes juridiques. » Sabaa oppose l’approche des systèmes occidentaux « dans laquelle la nature est un objet et est la propriété des humains » à celle des autochtones « où les humains ne dominent pas la nature, mais sont en relation avec elle. Ils sont les gardiens de la biodiversité. Si on compare ces deux approches, on voit qu’il y a un système qui est basé sur la domination et l’autre sur la relation ». Elle en conclut qu’il est urgent de « repenser les principes qui alimentent notre droit de l’environnement ». Pour cela, il est nécessaire de « décoloniser nos approches pour mettre l’humain

au même niveau que la nature plutôt que de la dominer. » Pour Sabaa, un problème supplémentaire des négociations internationales au sujet de l’environnement est l’exclusion de certains acteurs, telles que les populations autochtones qui « n’ont pas le droit de vote, n’ont pas les mêmes droits de participation que les autres acteurs (les pays, nations) même s’ils sont souverains ». C’est donc le système lui-même qui doit être repensé. D’autant plus que les inégalités environnementales ont tendance à s’aggraver avec les conséquences du réchauffement climatique. « Nous l’avons vu ici au Canada pendant les feux de forêt, c’étaient les communautés autochtones qui étaient les plus impactées. On peut ainsi constater comment ces populations-là peuvent devenir des migrants climatiques au sein de leur propre territoire. » Ces populations racisées et économiquement marginalisées sont aussi les plus dépourvues de ressources pour contrer les effets des changements climatiques, ce qui renforce leur vulnérabilité. x

bonnes nouvelles

Portrait de la militante Fatou Jeng

Membre du Groupe consultatif de la jeunesse sur les changements climatiques 2023-2024. juliette elie Éditrice Environnement

«

Votre génération sera essentielle. Aujourd’hui, pour vivre déjà. Demain, pour pouvoir gérer et inverser cette tendance et sauver la planète. Et je vous souhaite le meilleur des succès - le succès que, malheureusement, ma génération n’a pas pu avoir, (tdlr) » a dit António Guterres, Secrétaire général de l’ONU, au Forum de la jeunesse dans le cadre de la Conférence des Nations Unies sur les océans, le 26 juin 2022 à Lisbonne. Dans cet article sera mise en lumière la militante Fatou Jeng, qui est un exemple de passion authentique pour l’engagement au sein de la cause climatique. Fatou Jeng en résumé Nom : Fatou Jeng Âge : 27 ans Origine et lieu de résidence : Banjul, Gambie Instagram : @fatoulaminjeng L’activiste s’engage depuis plusieurs années dans la lutte contre les changements climatiques, le développement communautaire et l’égalité des sexes. En 2017, elle fonde l’ONG Clean Earth Gambia, un organisme gambien dirigé par des jeunes, visant à éduquer la population aux changements climatiques et aux actions possibles pour lutter contre

ceux-ci. Les activités de l’organisme comptent entre autres la plantation d’arbres, le nettoyage de déchets et les discussions en ligne. En 2019, Fatou Jeng a été co-responsable du groupe de travail sur les femmes et le genre de YOUNGO, l’organe officiel de représentation des jeunes dans la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Fatou Jeng s’intéresse aux questions d’égalité des genres dans l’action climatique. Fille d’un fermier, elle a dans son enfance à Banjul, la capitale de la Gambie, été témoin des défis climatiques auxquels doivent faire face les fermiers, et surtout les fermières. Fatou Jeng détient une maîtrise en environnement, développement et politique de l’Université du Sussex, au Royaume-

ne s’agit pas seulement de la nomination elle-même, mais de ce que je peux accomplir dans ce rôle pour représenter la voix des jeunes... et défendre les intérêts des communautés les plus vulnérables et sous-représentées en matière d’adaptation climatique. » Groupe consultatif de la jeunesse sur les changements climatiques Le Groupe consultatif de la jeunesse sur les changements climatiques du Secrétaire général des Nations Unies pour les années 2023-2024 est la deuxième cohorte du projet, celui-ci ayant été initié à l’ONU en 2020. La cohorte actuelle est composée de sept membres : Ayisha Siddiqa

« Il ne s’agit pas seulement de la nomination elle-même, mais de ce que je peux accomplir dans ce rôle pour représenter la voix des jeunes... et défendre les intérêts des communautés les plus vulnérables et sous-représentées en matière d’adaptation climatique » Fatou Jeng Uni. À propos de sa nomination au Groupe consultatif de la jeunesse sur les changements climatiques du Secrétaire général des Nations Unies, Fatou Jeng précise ceci : « Il

le délit · mercredi 7 février 2024 · delitfrancais.com

(États-Unis), Beniamin Strzelecki (Pologne), Jevanic Henry (SainteLucie), Josefa Tauli (Philippines), Joice Mendez (Colombie/ Paraguay), Saoirse Exton (Irlande)

rose chedid | Le dÉlit et Fatou Jeng (Gambie). Le Groupe consultatif de la jeunesse sur les changements climatiques est un groupe de jeunes activistes environnementaux qui agissent comme conseillers au Secrétaire général des Nations Unies. Chaque candidat est d’abord désigné par des organisations non gouvernementales et des organisations de la société civile reconnues, puis nommé par le Secrétaire général. Les jeunes viennent de partout dans le monde, et de milieux diversifiés, ce qui donne d’autant plus de valeur à leurs conseils concrets, qui visent à accélérer l’exécution du programme d’action sur le climat. Dans la vie, le degré d’engagement pour la cause environnementale

est propre à chacun. Certains vont faire le choix de prendre les transports en commun plutôt que la voiture, et d’autres vont rejoindre le Groupe consultatif de la jeunesse sur les changements climatiques de l’ONU. Tous les efforts sont utiles, peu importe leur envergure! Fatou Jeng a commencé par s’engager dans sa communauté locale en Gambie avant d’étendre son activisme à l’échelle internationale. Des modèles diversifiés de prise d’action, comme Fatou Jeng et ses six co-conseiller·ère·s au Secrétaire général, sont nécessaires à la sensibilisation du plus grand nombre de jeunes à la cause environnementale. Il ne faut pas attendre pour réaliser les changements qui sont nécessaires dès aujourd’hui. x

environnement

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rÉflexions

Drôles de plastiques

Les multiples impacts de la pollution plastique et les limites du recyclage. l’exposition grandissante au plastique, que ce soit dans l’alimentation ou dans les objets du quotidien. Sans oublier la pollution entraînée par sa production même, qui émet des substances toxiques pour les populations à proximité des usines.

nathan gars Contributeur

L

e monde entier produit au total plus de 400 millions de tonnes de plastique par an. Ce matériau fait partie intégrante de notre vie : on le retrouve dans la médecine, l’éducation, le textile, le numérique, et évidemment, dans l’alimentation. L’industrie du plastique a connu une croissance exponentielle depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, notamment parce que les armées en avaient besoin pour leurs équipements, ce qui a encouragé des capacités de production importantes. Le monde croule aujourd’hui sous les tonnes de plastique, qui prennent entre une dizaine d’année (10 ans pour un mégot) et des centaines (450 ans pour une bouteille en PET, Polyéthylène-téréphtalate) à se décomposer. En 2050, il y aura plus de microplastiques (particules de plastique de moins de cinq millimètres) dans les océans qu’il y aura de poissons. Chaque année, les poissons vivant entre 100 et 200 mètres de profondeur ingurgitent au total entre 12 et 24 000 tonnes de plastique. Pour ce qui est des sols, ceuxci pourraient avoir une concentration en microplastiques entre 4 et 23 fois supérieure aux océans. Face à ce tsunami de déchets, une solution existe et revient toujours dans les conversations portant sur l’écologie et dans les publicités : le recyclage. Cette industrie de 37,6 milliards de dollars semble donner aux consommateurs (généralement dans les pays développés) un espoir face aux montagnes de plastique qui croissent due à la consommation de plus en plus importante de l’Homme. Cependant, derrière cette image quasi parfaite du recyclage, qui promet de

dominika grand’maison | Le dÉlit solution, mais la réalité est bien différente. Tout d’abord, seulement la moitié des plastiques produits sont recyclables. De plus, à l’échelle mondiale, seulement 9% de ceux-ci sont réellement recyclés. De ces plastiques recyclés, 12% sont incinérés et 79% sont accumulés dans des décharges ou dans la nature. Au Canada, nous pouvons penser que ce n’est pas le cas. En effet, nous vivons dans un pays développé où le tri est largement démocratisé, mais en réalité, c’est seulement 14% de nos déchets qui sont recyclés. À titre de comparaison, la moyenne européenne est de 41%. Le processus n’est toutefois pas aussi vert que ce que l’on peut penser. Le recyclage est une entreprise, puisque les pays et les compagnies cherchent avant tout à faire des bénéfices avec le plastique. Aujourd’hui, la stratégie du recyclage est d’envoyer les déchets dans des pays en développement

« En 2050, il y aura plus de microplastiques (particules de plastique de moins de cinq millimètres) dans les océans qu’il y aura de poissons » pouvoir continuer à consommer de la même façon de manière écologique, se cache une réalité beaucoup plus complexe. Le recyclage, une solution réellement écologique? Aujourd’hui, le recyclage est présenté comme une partie de la

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– notamment en Malaisie – pour qu’ils y soient recyclés ou brûlés. Or, ces pays font face à une telle masse de plastique qu’ils ne peuvent pas traiter tous les déchets, qui se retrouvent alors dans des décharges illégales près d’habitations, et surtout loin de leur consommateur d’origine. D’autre part, le processus de

recyclage est très polluant et dangereux pour la santé. La combustion du plastique afin de le faire fondre et créer du nouveau plastique émet non seulement des gaz à effet de serre, mais aussi des substances toxiques pour l’humain. C’est donc un processus très mauvais pour la santé des populations proches des raffineries, des usines de recyclage ou encore des décharges. Sans compter que ce type d’usine puise généralement son énergie dans les énergies fossiles, ce qui alourdit encore le bilan écologique du recyclage.

tion de l’utilisation de plastique faites par les industriels, leur objectif reste la consommation. Le cas de la ville de Laredo au Texas en est un exemple : après avoir passé une loi interdisant l’utilisation des sacs de plastique à usage unique, l’industrie pétrolière a attaqué cette municipalité en justice et l’a traduite devant la Cour suprême du Texas pour empêcher cette loi d’être appliquée.

Le plastique a un effet direct sur notre santé, mais aussi sur la faune et la flore. Il contribue à l’augmentation des risques d’une sixième extinction de masse en détruisant des écosystèmes entiers. Cette destruction peut être indirecte, par le dérèglement climatique dû aux gaz à effet de serre, ou directe, par la destruction des habitat à cause des déchets et par l’extraction du pétrole nécessaire à sa production. En effet, la production de plastique contribue à 13% des émissions de gaz à effet de serre et représente 12% de la consommation mondiale de pétrole. Quelles solutions pour lutter contre le plastique? Comme toujours, le consommateur a un rôle à jouer. Il y a des solutions qui existent qui impliquent de simples changements

« Le recyclage ne remet pas en cause le système capitaliste qui vise à la consommation Certaines entreprises et groupes et à la croissance économique » politiques continuent néanmoins d’utiliser l’argument du recyclage dans leurs programmes environnementaux, celui-ci conservant une image de solution écologique. Cependant, cet argument fait miroiter depuis près de 50 ans de fausses promesses. Le recyclage s’inscrit toujours dans une logique productiviste, c’est à dire que le but reste de produire toujours plus de produits à recycler pour nourrir une industrie et lui permettre de fonctionner et de faire de l’argent. Il permet de justifier l’utilisation du plastique et de relativiser son impact sur l’environnement, et ne pousse pas à l’arrêt de sa consommation. Cette industrie est en fait, comme bien d’autres, tournée vers le profit. Le recyclage ne remet pas en cause le système capitaliste qui vise à la consommation et à la croissance économique. Il s’agit d’un argument de l’industrie pétrolière pour continuer à produire et à consommer de la même façon. Malgré les promesses de réduc-

L’industrie pétrolière a finalement obtenu gain de cause. Cet exemple montre qu’au-delà des déclarations des différents gouvernements (ici le gouvernement étasunien), l’industrie pétrolière conserve une influence importante sur les décisions des États, qu’elle a le pouvoir d’adapter en faveur de ses intérêts privés. Quel impact le plastique a-t-il sur notre santé et celle de la planète? Le plastique a un impact sur notre santé difficile à mesurer, mais qui ne peut être négligé. Nous savons que celui-ci contient des perturbateurs endocriniens qui affectent la fertilité et augmentent le risque d’obésité, d’asthme, de diabète, de puberté précoce, ou encore de cancers (notamment du sein, multiplication par 5 des risques). Ces dangers pour la santé humaine risquent de devenir beaucoup plus importants, à cause de

d’habitudes. On peut, tout d’abord, commencer par arrêter d’acheter des bouteilles en plastique et privilégier remplir soi-même une bouteille de verre (ancienne bouteille de vin, par exemple) ou une bouteille réutilisable. Par ailleurs, on peut préférer l’achat de canettes plutôt que de bouteilles - le métal étant recyclable à l’infini et moins polluant. Ceci n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. En bref, il faudrait acheter moins – ou même arrêter d’acheter – de produits emballés ou contenant du plastique. Néanmoins, le consommateur n’est pas le seul à blâmer, loin de là. Si nous sommes responsables de la demande, les gouvernements et les entreprises sont responsables de l’offre et de la production. Il faut donc sensibiliser les personnes autour de soi et ne pas oublier de faire soimême des efforts pour changer les choses et se diriger vers un monde plus durable.x

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culture calendrier

danse

artsculture@delitfrancais.com

Danser pour se souvenir

Retour sur la cérémonie d’ouverture du Mois de l’histoire des Noir·e·s. hugo vitrac Éditeur Culture

À

l’occasion de la cérémonie d’ouverture du Mois de l’histoire des Noir·e·s organisée par McGill dans l’amphithéâtre Tanna Schulich de l’école de musique, les Montreal Steppers ont réalisé une performance devant une salle comble. Formé en 2019 par Kayin Queeley, ce collectif d’artistes fait vivre l’art du step. La step dance est un style de danse issu de la diaspora afro-descendante, utilisant le corps comme seul instrument, mélangeant danse, cadences de pieds, claquements de main et chants. La vocation du groupe dépasse la simple performance artistique ; les Montreal Steppers se servent aussi du step pour faire vivre l’héritage culturel afro-américain, et ainsi enrichir les conversations sur l’histoire des Noir·e·s. Instrument de résistance De 19h à 19h30, les Montreal Steppers se sont produits sur scène, dans une performance éducative mélangeant stepping,

chants, et interactions avec le public. Le fondateur du groupe, Kayin Queeley, ainsi qu’une autre artiste du groupe, ont aussi pris le temps d’exposer l’histoire de cet art, son évolution, et sa résonance aujourd’hui, particulièrement alors que s’amorce le Mois de l’histoire des Noir·e·s. Seuls sur scène, sans autre instrument que leurs corps, les cinq artistes se sont mis en place sous les applaudissements des spectateurs, les poings collés à quelques centimètres de leur torse, les jambes légèrement écartées. La prestation commence, en rythme, ils frappent le sol de leurs pieds, suivis par des clappements de mains. Le groupe évolue sur la scène, chacun suivant sa propre trajectoire, en dansant tout en créant avec son corps une mélodie commune, accompagnée par des chants ou du slam. Après quelques minutes de démonstration, Kayin a pris la parole pour contextualiser son art: « Le step, c’est utiliser son corps pour créer de la musique, pour se souvenir des mains de notre peuple qui cultivaient les champs,

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rose chedid | Le dÉlit

mais aussi de leurs pieds, qui ont parcouru des milliers de kilomètres. Avec le step, notre peuple s’est réapproprié son corps, qui n’est pas seulement une propriété, mais un instrument de création pour faire vivre nos traditions, ainsi qu’un outil de résistance et de justice (tdlr). »

par les quatre autres derrière elle. Tout aulong du spectacle, le public a été invité à accompagner les artistes, en chantant, en tapant des mains, et vers la fin en se levant et en performant avec eux une mélodie commune.

Le groupe a aussi entonné « Stand up »de Cynthia Evira, chantée en solo par l’une des artistes, accompagnée dans le rythme, la mélodie et la danse

Tout au long de la performance, l’accent a été mis sur l’histoire de l’art du step et sur sa résonance avec l’histoire des Noir·e·s. L’une des fondatrices

L’art du step

du mouvement au Canada, membre du premier groupe de step canadien – les Vanier Stompers, a été invitée au cours de la performance pour raconter son histoire. « J’avais 19 ans en 1991. Tout a commencé au cégep Vanier, on était inspiré et on aspirait à se transformer et à faire vivre notre communauté. Ce sont nous, les femmes de couleur, qui avons lancé le mouvement. Tout au long de notre histoire, on a su réagir rapidement, créer du changement et faire du bruit ». Elle a alors été rejointe sur scène par les trois membres féminins des Montreal Steppers, puis par leurs collègues masculins, et ils ont entamé ensemble une mélodie en tapant sur leurs corps, en frappant le sol de leurs pieds, transformant sa narration en slam. Introduit au Canada d’un petit groupe issu du cégep Vanier, le step rassemble aujourd’hui des milliers de participants, et l’art continue de vivre, notamment grâce aux Montreal Steppers, qui se produisent partout en Amérique du Nord, particulièrement au Canada lors de leur tournée 2023-2024. x

culture

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théâtre

Hommage à nos travailleurs essentiels

La pièce Diggers pour débuter en beauté le Mois de l’histoire des Noir·e·s. jade lê Éditrice Culture

Cette pièce, réalisée en coproduction avec le Prairie Theatre Exchange met en scène trois fossoyeurs noirs qui travaillent

un rôle crucial, mais trop souvent oubliés. L’absence d’indication sur le lieu précis ou l’époque (bien que cela semble se dérouler avant les années 2000) apporte un aspect universel à cette situation : peu importe où et quand, ces travailleurs ignorés sont partout autour de nous. Comme l’écrit Dian Marie Bridge, directrice artistique du Théâtre BTW, « Diggers est une histoire saisissante qui offre au public un moment collectif de réflexion et de compassion ».

« Diggers est une histoire saisissante qui offre au public un moment collectif de réflexion et de compassion » à l’extérieur de leur village. Successivement exclus, fatigués ou pleins d’espoirs, les trois ouvriers n’ont aucun autre choix que de continuer à creuser. Nous sommes alors invités à questionner le rôle des travailleurs, essentiels dans nos sociétés, de reconnaître leur travail acharné et d’admirer leur résilience. Ce sont en effet des individus qui ont

théâtre

L

e rideau s’ouvre sur un personnage d’horreur mystérieux au visage masqué. Ses premiers mots sont les suivants : « La seule différence entre la réalité et la fiction, c’est que la fiction doit faire sens. » Avec cette citation, l’auteur François RuelCôté et le metteur en scène Cédrik Lapratte-Roy annoncent directement la couleur de leur nouvelle pièce : Terrain Glissant. Cette pièce absurde aux allures de suspense nordique psychologique relate l’aventure en huis clos de cinq amis partis en escapade hivernale dans un chalet

Posons le décor : Abdul (Chance Jones) et Solomon (Christian Paul) travaillent dans leur cimetière depuis un moment. C’est alors que Bai (Jahlani GilbertKnorren), personnage plus jeune, plus naïf et plus innocent, les rejoint. Alors, une maladie frappe la ville, rendant leur travail encore plus difficile. Ils se voient submergés par des montagnes de corps,

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leur propre pauvreté et le manque de sommeil. Leur charge de travail augmente alors que le soutien de la communauté diminue. C’est sous des pleurs, des rires et des lueurs d’espoirs que le public suit le quotidien difficile de ces trois hommes, séparés du reste de la ville par un mur qui tombe petit à petit en ruine. En parlant de décor – littéralement, cette fois-ci – il faut dire que Courtney Moses Orbin les a bien pensés. L’absence de scène surélevée permet une réelle connexion entre les acteurs et le public. Au milieu de la pièce, une zone délimi-

tée par une petite clôture blanche. À l’intérieur, des copeaux de bois recouvrent le sol, permettant à nos trois personnages de creuser et d’enterrer les corps. On y retrouve également un patio sur lequel les pelles sont rangées et où les trois hommes se réfugient lorsqu’il pleut. Dans un coin, une vieille pelleteuse abandonnée rappelle au public que les machines ne font pas tout. Cette atmosphère immersive est maintenue tout au long de la pièce : les personnages entrent et sortent de la « scène » en passant par les gradins. Au final, cette clôture ne sépare pas l’audience des acteurs, mais bien les travailleurs

Cette pièce, dirigée par Pulga Muchochoma, montre de façon juste et remarquable la manière dont nous réagissons en situation de crise, ainsi que l’importance de la solidarité entre les communautés. Cela permet au BTW de poursuivre leur philosophie. Cette compagnie de théâtre se dédie à l’œuvre de la communauté noire au Canada depuis plus de 50 ans en réalisant chaque année une pièce ayant pour but d’éduquer et de divertir leur public, permettant un rapprochement culturel et offrant une meilleure représentation des artistes et des auteur·e·s canadien·ne·s noir·e·s. Finalement, nos applaudissements sont grandement mérités. La pièce Diggers se tient au Centre Segal des arts de la scène jusqu’au 17 février 2024. Pour plus d’information, vous pouvez visiter leur site web.x

Quand l’épouvante côtoie l’absurde Une aventure déjantée au cœur des Laurentides.

annoncer quelques règles impératives à respecter au chalet, la soirée dégénère. Les personnages découvrent avec stupéfaction qu’un homme loge dans le grenier de leur chalet. Cet homme est nul autre que l’auteur américain Blake Sniper, surnommé le maître de l’horreur, soupçonné d’avoir tué sa femme. Les personnages apprennent peu après que des êtres étranges peuplent la forêt qui entoure le chalet, des créatures attirées par la peur des humains. C’est alors que l’un des personnages se volatilise et ses amis se retrouvent catapul-

« Nous sommes plongés dans le roman d’horreur du mystérieux scénariste vivant dans le grenier du chalet » à quelques heures de Montréal. Seulement, tout ne se passe pas comme prévu pour le groupe : dès leur rencontre avec le propriétaire Guillaume, venu leur

de la ville. Le dernier lien qu’ils parviennent à maintenir avec la communauté de la ville s’illustre par la « tante » Sheila (Warona Setshwaelo), qui leur rend visite avec des paniers de provisions.

Andree Lanthier

L

e 1er février, Le Délit a eu la chance d’assister à la première mondiale de la pièce Diggers de Donna-Michelle St. Bernard. La représentation marque le début de la 53e saison du Théâtre Black Theatre Workshop (BTW) et souligne le lancement du Mois de l’histoire des Noir·e·s.

tés au sein d’une étrange enquête pour élucider sa disparition. Tout au long de la pièce, les personnages tentent de donner un sens à ce qui leur arrive,

brouillant la frontière entre la réalité et la fiction. Si l’ambiance à l’intérieur du chalet donne à rire, à la nuit tombée, celle dans la forêt suscite l’angoisse. Ce que l’on retient de la pièce, ce sont des acteurs brillants, qui parviennent à nous faire passer du rire aux frissons avec brio. Les effets sonores et l’éclairage sont spectaculaires : le noir complet, les flashs lumineux, et la musique siniste nous plongent dans un monde effroyable et nous tient en haleine tout au long du spectacle. Dès que les lumières se rallument, les personnages enchaînent des blagues d’un humour bien décalé, qui nous font vite oublier l’ambiance angoissante des minutes précédentes. La pièce se rythme au fil des « chapitres de l’épouvante », dont les titres sont annoncés à chaque rebondissement. Nous sommes plongés dans le roman d’horreur du mystérieux scénariste vivant dans le grenier du chalet. Les protagonistes en viennent eux-même à se demander s’ils ne sont pas devenus les

pour l’entendre, l’arbre est-il vivant? » Cette pièce atypique essaiet-elle de transmettre un message plus profond? Je ne saurais dire, mais elle a certainement le don de nous bouleverser.

rose chedid | Le dÉlit personnages du nouveau roman de l’énigmatique écrivain. Après une fin tragique, toute forme de réalisme est abandonnée lorsque chaque personnage ressuscite et relate sa version des faits. Tout cela peut donner le tournis. Si une première partie de mon cerveau crie à l’absurde, la deuxième se retrouve complètement immergée dans l’histoire. Enfin, tout au long de la pièce, une voix hors-scène nous pose des questions philosophiques absurdes : « Si un arbre tombe dans la forêt, mais que personne n’est là

J’ai également apprécié les références culturelles québécoises tout au long de l’histoire. En filigrane, on y découvre la présence de critiques sociales et politiques. La pièce dénonce en effet le manque de connaissances de la population urbaine sur les parcs nationaux environnants, ainsi que le projet d’y créer un « nouveau Montréal ». Lorsque la lumière se rallume sur la salle bondée et que les applaudissements se tarissent, j’écoute les discussions de mes voisins. Ils semblent avoir trouvé la pièce saugrenue et difficile à résumer, mais tous paraissent conquis. Si certains spectateurs ont beaucoup ri, d’autres ont eu davantage peur. Une chose est sûre, nous avons tous été traversés par une palette d’émotions. x alexia poupet Contributrice

le délit · mercredi 7 février 2024 · delitfrancais.com


musique

Atelier Festival Gospel

McGill ouvre le Mois de l’histoire des Noir·e·s avec l’Atelier Festival Gospel.

À

l’occasion du Mois de l’histoire des Noir·e·s, l’école de musique Schulich de l’Université McGill a organisé ce jeudi 1er février un atelier de musique gospel. Entièrement gratuite, cette chorale chaleureuse et collaborative était dirigée par Karen Burke, cheffe du Toronto Mass Choir, professeure et chanteuse spécialisée dans la musique vocale afro-américaine. La chorale était composée de plusieurs dizaines d’étudiant·e·s, de quatre musiciens et de trois vocalistes.

rose chedid | Le dÉlit

« Cette musique apporte une touche émotionnelle en plus. En chantant, tu peux voir que tout le monde autour est aussi content que toi » Participante de la chorale Cette dernière s’est révélée être un spectacle de deux heures, joyeux et réconfortant, rythmé de plusieurs chants gospels et d’exercices vocaux impliquant la participation du public. Aucune qualification ou expérience en chant de la

cinéma

part des spectateur·rice·s n’était nécessaire pour prendre part au spectacle interactif. Mme Burke est parvenue à rendre l’expérience dynamique et amusante, si bien qu’il était difficile d’y rester insensible. Plusieurs personnes du public ont d’ailleurs pu mon-

ter sur scène et performer – très talentueusement – un solo, accompagné des musiciens et des voix de la chorale en fond. Malgré la courte durée des répétitions, l’ensemble des participant·e·s ont su faire vibrer les murs de la salle et provoquer un bonheur contagieux « Nous jouons souvent des morceaux plus “classiques” et c’est super, mais cette musique apporte une touche émotionnelle en plus. En chantant, tu peux voir que tout le monde autour est aussi content que toi », explique l’une

des voix de la chorale. Les élèves de McGill étaient enchanté·e·s d’avoir pris part à cette expérience, mais aussi d’avoir découvert l’histoire derrière cette musique. « Je trouve que c’est formidable qu’il y ait eu cette représentation de la musique gospel. Surtout à McGill, où la rigidité du programme crée un manque de représentation [musicale, ndlr]. Là, on a pu apprendre d’une professeure qui connaît l’histoire du gospel et c’était vraiment intéressant. Je trouve que c’est très important d’inclure cela dans le programme [pédagogique de McGill, ndlr] », partage une étudiante de l’école de musique Schulich ayant participé à l’atelier. Ouverture du Mois de l’histoire des Noir·e·s Cet atelier musical marque le début du Mois de l’histoire des Noir·e·s, qui se déroule du 1er au 29 février. Pour rappel, le thème de cette année mis en place par le gouvernement est « L’excellence des personnes noires : un patrimoine à célébrer ; un avenir à construire ». Une invitation pour toute la population canadienne

à s’informer sur les communautés noires et les manières dont elles contribuent à façonner le Canada.

« Mme Burke est parvenue à rendre l’expérience dynamique et amusante, si bien qu’il était difficile d’y rester insensible »

Dans le cadre de ce programme, plusieurs activités culturelles prendront place à Montréal, notamment au cinéma Moderne, au Black Theater Workshop, la Sotterenea, ou encore au Ausgang Plaza. Des spectacles d’humour, de musique, des conférences, des projections de film, ainsi que des expositions seront au rendez-vous pour faire valoir la richesse du patrimoine culturel de ces communautés. x mathias poisson Contributeur

13e édition du Festival Fondu au Noir

Un festival mettant en avant les figures noires de la scène culturelle québécoise. haïtienne, et producteur de la nouvelle série à succès, Lakay Nou, diffusée par Radio Canada depuis le 17 janvier 2024. Au cours de panels de discussion, le festival mettra aussi en lumière la mémoire occultée des esclaves noirs et autochtones au Canada, et se penchera sur la notion de racisme environnemental. Animées par des leaders communautaires montréalais, ces discussions se tiendront à l’Afromusée dans le quartier Latin.

hugo vitrac Éditeur Culture

D

u 7 au 11 février 2024 se tiendra à Montréal la 13e édition du Festival Fondu au Noir, créé en 2011 par l’actrice et productrice canadienne d’origine haïtienne, Fabienne Colas. Le festival met à l’affiche de nombreuses figures de la scène culturelle québécoise et canadienne à travers un programme diversifié combinant des projections de films, des panels de discussions, des spectacles humoristiques, des ateliers de contes, ou encore de réalité virtuelle. Ce festival hybride propose aussi de nombreux événements en ligne sur son site internet. La programmation Le film documentaire clé du festival, L’Audience sera projeté lors de la cérémonie d’ouverture le 7 février à 18h au Cinéma moderne, suivi d’une discussion avec la réalisatrice et protagoniste du film Peggy Nkunga

La reconnaissance

léona carthy Ndona, d’origine congolaise. L’Audience, sorti en mai dernier, suit le combat de Peggy, Simon et de leurs trois enfants, qui après avoir fui la répression politique en République Démocratique du Congo et traversé clandestinement 11 pays, attendent

le délit · mercredi 7 février 2024 · delitfrancais.com

l’audience qui déterminera s’ils seront acceptés comme réfugiés politiques au Canada. Le festival hybride met aussi à l’affiche une entrevue retraçant le parcours de Frédéric Pierre, acteur québécois d’origine

Cette dernière édition du festival s’inscrit aussi dans la décennie internationale des personnes d’ascendance africaine, proclamée en 2015 par l’ONU, comme nous l’a rappelé Nerline Labissière, employée du festival chargée des relations avec la communauté, en entrevue avec Le Délit. « Cette année, on veut rayonner encore plus parce que c’est non seulement le mois de l’histoire des Noir·e·s, mais aussi la dernière année de la décennie des personnes afro-descendantes. Donc notre objectif

pour cette édition est de vraiment faire reconnaître qu’on est un peuple avec une culture singulière à protéger, mais aussi à souligner. » C’est selon elle l’essence même du festival : « Fondu au Noir, c’est un mélange et la mise à l’honneur de tous les talents afro-descendants, de la musique, des performances d’humour en passant par le cinéma. » Une autre particularité du festival est sa vocation interculturelle. « Le rayonnement qu’on a est avant tout québécois. Je pense qu’aujourd’hui on est capable de dire qu’on a été en mesure de créer des ponts entre les cultures, de faire découvrir nos talents, ainsi que notre vécu à la société. Ce dont je suis fière, c’est aussi de notre association avec d’autres cultures similaires à la nôtre, qui vivent ou qui ont vécu des situations similaires, entre autres la culture autochtone. » Cette fusion culturelle se retrouvera notamment le 9 février au soir, lors d’une prestation musicale mélangeant rap, hip-hop, et électro, avec des artistes haïtiens et autochtones. x

culture

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création visuelle

Contrapposto

Quelle est la place de la femme noire dans l’art? Harantxa Jean lui rend le statut qui lui est dû. STATUESQUE, inspiré par la Vénus de Milo (150-130 AV. J.-C.) CRÉOLE, inspiré par Madame X (1884)

Stéréotypée, oppressée, ou carrément ignorée, la femme noire n’était pas jugée digne d’être un sujet de beauté par le canon historique de l’art occidental. Reléguée aux marges, j’ai voulu changer les choses en créant Contrapposto : une série d’auto-portraits qui réinventent les chefs-d’œuvre antiques et contemporains, à travers le prisme de la beauté et de l’ identité Noire. Issue de la Grèce antique, la pose contrapposto était jadis un symbole de beauté et de grâce, mettant en valeur les courbes sinueuses de la figure féminine. J’ai choisi de m’ insérer dans cette tradition célébrée au fil des siècles, en défiant les idéaux blancs et eurocentristes afin d’ insuffler une nouvelle vie à des œuvres mythiques. Dans l’esprit du mouvement

Black is Beautiful, mon oeu-

vre est une déclaration de la splendeur, du pouvoir et de la résilience de la femme Noire face à l’adversité. De Statuesque, inspirée par la Vénus de Milo, à She’s The First rendant hommage à Donyale Luna, pionnière noire de la mode et du mannequinat, en passant par l’actrice Zendaya, cette série redéfinit l’ importance essentielle de l’ inclusion et d’une représentation fidèle. Bien plus que des images,

Contrapposto est une révolu-

tion visuelle, invitant chaque femme noire à s’affirmer telle qu’elle est : autant bellissime qu’éminente.

Direction artistique, stylisme, éclairage, édition et mannequinat par Harantxa Jean.

A MUSE, inspiré par Helen Bennett pour Vogue France (1936) SHE’S THE FIRST, inspiré par Zendaya pour le magazineEssence, qui rend hommage à Donyale Luna (2020)

16 culture

le délit · mercredi 7 février 2024 · delitfrancais.com


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