Le Délit - Édition du 18 septembre 2024

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Dédicace à F. Meunier depuis 1977.
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titouan paux

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Royalmount : un nouveau centre commercial luxueux à Montréal

Le 5 septembre dernier a été inauguré le nouveau centre commercial Royalmount à Montréal. Présenté comme la « nouvelle destination art de vivre » sur son site web, cet imposant projet annoncé en 2015 est situé à l’angle des autoroutes 15 et 40, à la station de métro De La Savane. Il a pour objectif de devenir le « nouveau midtown de Montréal, comme l’explique Andrew Lutfy, principal investisseur du projet, cité dans un article du Journal de Montréal. Le centre commercial vise une clientèle plutôt aisée, au vu des nombreuses boutiques de luxe au sein desquelles Gucci et Louis Vuitton font figure de tête. Au niveau des restaurants, l’offre reste classique, avec des enseignes bien connues des Montréalais, telles que Sammi & Soupe Dumpling, Poulet Rouge ou A&W.

Malgré ses grandes ambitions, le projet reste sujet aux critiques. En effet, comme l’explique un article du Devoir, l’avènement du centre d’achats risque d’avoir un impact non négligeable sur le trafic routier des autoroutes adjacentes, empirant la congestion déjà présente sur ces axes. Par ailleurs, le projet a également fait parler au niveau éthique. Certains critiquent le concept de « luxe inclusif » du projet et son hypocrisie, alors que d’autres questionnent son impact sur l’économie du centre-ville de Montréal. Enfin, Royalmount est au cœur d’un conflit avec la mairie de la ville de Mont-Royal concernant la construction prévue de 6 000 logements autour du centre. Le maire de la ville, Peter J. Malouf, a promis à ses électeurs de ne jamais permettre à Royalmount la construction de logements, remettant en question le bien-être des potentiels résidents. Après tout, le projet reste situé dans une zone très industrielle.

GP cycliste de Montréal : Tadej Pogačar s’illustre une nouvelle fois

Ce dimanche 15 septembre s’est déroulé le Grand Prix cycliste de Montréal, dans le cadre du UCI World Tour, compétition internationale qui réunit les meilleurs coureurs cyclistes de la planète. Il a eu lieu deux jours après le Grand Prix de Québec, lui aussi étape du World Tour, remporté cette année par le coureur australien Michael Matthews au terme d’un sprint haletant. À Montréal, le GP s’est déroulé sur une boucle de 12,3 kilomètres que les coureurs ont dû compléter pas moins de 17 fois. L’itinéraire comportait, entre autres, la côte Camilien-Houde, qui permet de rejoindre le sommet du Mont-Royal. Les coureurs devaient ensuite longer la face Nord du Mont-Royal afin de retourner vers le Parc Jeanne-Mance, point de départ de la boucle. Au total, les coureurs ont parcouru un peu moins de 210 kilomètres et 4 573 mètres de dénivelé en environ 5h30.

Le slovène Tadej Pogačar s’est imposé avec la manière, grâce à une attaque tranchante sur les derniers kilomètres dans la côte Camilien-Houde, qui lui a permis de se creuser une avance confortable sur son poursuivant, l’espagnol Pello Bilbao. Ce genre d’attaque, dont Pogačar est un spécialiste, faisait partie d’une tactique mise au point avant la course par sa formation, l’UAE Team Emirates. Il faut dire que l’issue de la course a été peu surprenante ; Pogačar est considéré par beaucoup comme le meilleur coureur cycliste mondial depuis maintenant quelques années. Selon le Wall Street Journal, le niveau de performance de Pogačar ne serait même pas comparable avec celui de ses concurrents directs, tant ses exploits sont nombreux. Sa performance mémorable tout au long du Tour de France 2024, qui lui avait d’ailleurs garanti un troisième titre au terme de cette compétition prestigieuse, témoigne de son impressionnant palmarès. Au GP, le poursuivant Pello Bilbao se classe deuxième, suivi par le français Julian Alaphilippe, victorieux du sprint pour la troisième place.

Air Canada : une grève des pilotes évitée de justesse

Depuis plus d’un an, des négociations étaient en cours entre l’Air Line Pilots Association (ALPA, Association des Pilotes de Ligne, tdlr), qui regroupe plus de 5 200 pilotes d’Air Canada, et la direction de la compagnie aérienne, qui reste la plus importante du pays. Selon La Presse, les demandes du syndicat qui avaient déclenché le conflit étaient avant tout financières : les pilotes remettaient en question des salaires inférieurs à la moyenne du marché, alors qu’Air Canada affichait une croissance significative. Ces derniers jours, les tensions avaient grimpé autour d’un désaccord majeur sur ces questions de rémunérations.

Cependant, dans la nuit du samedi 14 au dimanche 15, un accord de principe a été conclu entre les deux parties. Un arrangement surprenant, compte tenu des tensions qui avaient caractérisé les échanges entre l’ALPA et Air Canada les jours précédents. Cet accord a ainsi permis d’éviter de justesse un arrêt de tra vail qui aurait impliqué des conséquences majeures pour la compagnie et ses clients. Enfin, sur X, l’accord a été salué par le ministre du Travail Steven MacKinnon, qui a précisé que « les accords négociés sont toujours la meilleure façon d’avancer et produisent des résultats positifs pour les entreprises et les travailleurs ».

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Confusion dans la communauté anglophone

Changements à l'admissibilité aux services de santé en anglais sous la CAQ.

Le 3 juillet, le Ministère de la langue française adoptait une directive précisant les situations dans lesquelles le réseau de la santé et des services sociaux pouvait utiliser une autre langue que le français. Le 12 septembre, seulement quelques semaines plus tard, une motion a été votée à l’Assemblée nationale pour rendre explicite les conditions qui régulent l’accès aux soins de santé en anglais pour les anglophones du Québec. Cette motion, votée à l’unanimité, met fin à des mois de confusion concernant les prérequis nécessaires pour obtenir des soins de santé et des services sociaux en anglais.

Le français étant l’unique langue officielle du Québec, comme le dicte la Charte de la langue française (CLF), aucune autre langue n’est utilisée de manière systématique dans la province. Cependant, la directive du gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ) détermine qu’une langue autre que le français peut être utilisée dans certaines situations, notamment lorsque la santé l’exige. Le texte réfère ici à des des situations exceptionnelles, c'est-à-dire si le patient démontre qu’il ne peut pas comprendre ou communiquer en français dans une situation d’urgence dans

d’éligibilité , ( tdlr ) » pourrait maintenant être demandé aux anglophones cherchant à obtenir des soins dans leur langue.

Le certificat en question

tificat d’admissibilité à l’éducation en anglais, a tenté de mieux comprendre comment un tel certificat pouvait être obtenu. Celui-ci explique : « je n’ai

“merci de votre demande, mais vous n’êtes pas en ce moment à l’école, et n’êtes donc pas éligible à recevoir de certificat d’admissibilité” ». Gary poursuit : « Je

carissa tran

est mentionné de manière ambiguë dans la directive. Celle-ci énonce : « Un organisme du RSSS [réseau de la santé et des services sociaux,

« Cette motion, votée à l’unanimité, met fin à des mois de confusion concernant les prérequis nécessaires pour obtenir des soins de santé et des services sociaux en anglais »

laquelle l’usager doit recevoir de l’assistance, donner son consentement, ou participer aux décisions affectant son bien-être, ou s’il détient la documentation nécessaire pour démontrer qu’il a le droit d’être servi en anglais.

Une directive ambiguë

C’est précisément cette directive, publiée en juillet, qui a généré des inquiétudes au sein de la communauté anglophone du Québec. Peu de temps après sa publication, Quebec Community Group Networks, un organisme à but non-lucratif réunissant des communautés anglophones à travers la province, publie sur son site un court commentaire dénonçant ce changement. La Montreal Gazette , un journal anglophone, conteste également ces nouvelles mesures, avertissant notamment ses lecteurs qu’un « certificat

ndlr ] peut communiquer en anglais exclusivement avec une personne déclarée admissible à recevoir l’enseignement en anglais si celle-ci : s’est vue délivrer le document Déclaration d’admissibilité à recevoir l’enseignement en anglais du ministère de l’Éducation du Québec; en fait expressément la demande. »

La confusion concernant la nature de ce certificat semble découler du fait qu’il n’est pas évident si ces deux points sont deux exemples de scénarios dans lesquels un organisme du RSSS peut communiquer en anglais exclusivement avec un patient, ou s'ils représentent une liste exhaustive des conditions à remplir.

C’est pourquoi Gary Bernstein, un anglophone et résident de Montréal depuis plusieurs années ne détenant pas de cer -

jamais eu de grosses difficultés à obtenir des soins de santé en anglais à Montréal ». Toutefois, au vu de la directive annoncée au cours de l’été, celui-ci a tenté d’obtenir un certificat comme celui mentionné. Le certificat en question est, en temps normal, détenu par tous ceux étant éligibles à l’éducation en anglais, selon la loi 101. Cette loi, passée en 1977, dispense certaines personnes d’avoir à faire leur scolarité en français. Cependant, pour d’autres comme Gary, qui ont été éduqués en anglais avant la mise en place de cette loi, les directives sont moins claires. Un anglophone ayant reçu sa scolarité en anglais avant la mise en place de la loi 101, et

savais que ce serait leur réponse, mais je me disais que je tâterais le terrain quand même ». Il semble que ce manque de clarté ait été pris en note par le gouvernement. En effet, la motion du 12 septembre, visant à éviter toute future confusion, souligne explicitement qu’elle « exige du gouvernement que toute directive donnée au réseau de la santé et des services sociaux soit claire et explicite à ce sujet ».

Une situation tendue

Malgré la confirmation qu’aucun changement ne serait apporté à l’accès aux soins de santé en anglais pour les anglo -

« Les enjeux auxquels font face les anglophones du Québec ne sont donc pas uniques en eux-mêmes, et révèlent en fait une tendance plus générale au Canada »

ne détenant pas de certificat peut-il, avec cette nouvelle directive, recevoir des soins en anglais? C’est donc pour répondre à cette question que Gary a tenté d’obtenir ce fameux certificat. « Dans la publication du ministère, il y avait une adresse courriel à laquelle on pouvait écrire pour avoir un certificat. J’ai écrit pour enquêter, et j’ai reçu un message poli qui disait :

phones, certaines inquiétudes règnent dans la communauté. Gary explique : «  Quand il y avait des changements aux règles, j’anticipais qu’une partie du personnel médical serait hésitant à nous servir en anglais, de peur de se faire pénaliser . Plusieures directives sous la loi 96 [la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français, ndlr ] ont été mal

comprises ». Il conclut que «  certains [membres du personnel médical] ont peur de défier des directives ministérielles qui n’existent pas vraiment ».

L’adoption de la motion du 12 septembre vient seulement quelques jours avant la publication d’un article de RadioCanada sur le suicide d’un homme de 66 ans à Val-desmonts. L’article explique que l’individu aurait souffert de dépression, et qu’après avoir insisté pour consulter un psychologue anglophone et avoir été mis sur une liste d’attente pour le faire, il aurait changé d’avis. Bien qu’il ne soit pas possible de déterminer de manière définitive si son suicide était lié au manque d’accès aux services de santé pour les minorités anglphones du Québec, il est évident que la question n’est pas résolue. Un problème canadien

L’accès des minorités linguistiques à des services de santé dans leur langue n’est pas un enjeu isolé et propre au Québec. En effet, bien qu’il existe toujours des problèmes, le Québec est en réalité l’une de seulement quelques provinces où la législation encadre l’offre de services dans la langue minoritaire. La santé étant de compétence provinciale, c’est aux provinces individuelles de déterminer si et comment elles offrent des services de santé dans la langue minoritaire. La ColombieBritannique, par exemple, n’offre pas de services en français, mais met à disposition des patients des services d’interprétation à ceux qui en ont besoin. Cette approche peut être contrastée à celle de l’Ontario qui est légalement obligée d'offrir des soins de santé en français dans des zones où sont concentrées les populations franco-ontariennes, conformément à une loi provinciale, la Loi sur les services en français. De plus, bien que la Loi sur les langues officielles légifère l’universalité d’accès aux services dans les deux langues partout au Canada, celle-ci s’applique uniquement aux institutions fédérales. La santé étant de compétence provinciale, et les démographies des minorités linguistiques n'étant pas les mêmes de province en province, il est difficile d’uniformiser le profil des langues officielles dans ce secteur à l'échelle canadienne. Les enjeux auxquels font face les anglophones du Québec ne sont donc pas uniques en eux-mêmes, et révèlent en fait une tendance plus générale au Canada. x

Ysandre beaulieu

Éditrice Actualités

Incertitude pour les libéraux

La fin de l’entente entre les libéraux et le NPD marque un retour à la normale.

Le 4 septembre dernier, Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), met fin à son entente de soutien sans participation avec le Parti libéral du Canada (PLC). Ceci marque, d’une part, un retour à la normale marqué par l’incertitude caractéristique d’un gouvernement minoritaire, et ouvre, d’autre part, la possibilité d’une élection prématurée.En mars 2022, le NPD accordait au PLC une entente de soutien sans participation. Cette entente représentait un accord de confiance entre le NPD et les libéraux, élus en gouvernement minoritaire. Grâce à ce soutien, le Parti libéral a pu agir comme un parti majoritaire en coalition avec le NPD. Cela signifie qu’au cours des deux dernières années, les libéraux ont pu obtenir aisément les votes de confiance des membres du Parlement, sans avoir à négocier chaque vote avec les partis d’opposition, tel qu’il est courant de le faire pour un gouvernement minoritaire.

« Il existait des tensions [entre le NPD et les libéraux], par exemple, autour de projets sur l’assurance médicament, dont la mise en œuvre tardait »

Daniel Béland, professeur de sciences politique à McGill

Fin de l’entente : Pourquoi ?

J’ai pu m’entretenir avec Daniel Béland, professeur au Département de sciences politiques de l’Université McGill, afin d’obtenir des réponses à la suite de la fin de l’entente entre le NPD et le PLC. Une première explication concerne des divergences sur des dossiers clés : « Il existait des tensions [entre le NPD et les libéraux, ndlr], par exemple, autour de projets sur l’assurance médicament, dont la mise en œuvre tardait. Je pense qu’un aspect important a été la décision du gouvernement libéral concernant la grève dans le secteur des chemins de fer, alors que les travailleurs en grève ont été forcés à retourner au travail », explique le professeur. Cependant, un autre enjeu plus stratégique a sans doute aussi influencé la rupture de l’entente entre les partis : « Je pense que sur le plan politique, le NPD est trop étroitement associé aux

libéraux, et ces derniers sont en baisse dans les sondages depuis plus d’un an », constate Professeur Béland. « Le NPD est associé directement au gouvernement libéral, ce qui nuit à sa popularité. Certains députés du NPD sont insatisfaits de cette entente, et leur association directe à Justin Trudeau et à son gouvernement leur déplaît fortement. »

Cette mise à terme de l’entente de soutien sans participation survient une semaine après l’annonce de Pierre Poilievre, chef du Parti conservateur, dans laquelle il encourageait le NPD à mettre fin à l’entente. Poilievre souhaite maintenant

obtenir le soutien du NPD et du Bloc québécois lors d’un éventuel vote de confiance durant lequel il voterait en défaveur des libéraux. Dans l’éventualité où ces derniers n’obtiendraient pas de soutien d’un parti de l’opposition, une élection fédérale prématurée serait envisageable.

Élection fédérale : un risque réel ?

Depuis l’annonce de la dissolution de l’entente entre le NPD et les libéraux, une question se pose : une élection prématurée serait-elle possible? Certains affirment que oui, évoquant l’annonce de Poilievre durant laquelle il annonce que « Justin

Trudeau ne va pas démissionner. Il faut le congédier ». Cependant, selon le professeur Béland, les probabilités d’une élection générale prématurée sont minces. En effet, dans le contexte d’un gouvernement minoritaire, le NPD et le Bloc québécois détiennent un certain pouvoir de négociation. Ceci dit, si une élection devait se tenir cet automne, les sondages prédisent une victoire majoritaire des conservateurs, retirant aux NPD et au Bloc une grande part de leur influence au Parlement. Le Professeur Béland affirme que : « Pour le Bloc et surtout pour le NPD, il serait préférable de maintenir les libéraux au pouvoir au moins jusqu’au printemps. Effectuer le vote de confiance après le prochain budget, ce serait peut-être une meilleure occasion de faire tomber le gouvernement pour déclencher des élections vers la fin du printemps 2025. Cela dit, si les libéraux réussissent à se

« Selon le Professeur Béland, [...] les probabilités d’une élection générale prématurée sont maigres. En effet, dans le contexte d’un gouvernement minoritaire, le NPD et le Bloc québécois détiennent un certain pouvoir de négociation »

négocier des ententes, ils pourraient survivre jusqu’à la fin de leur mandat, soit jusqu’à la fin de l’année 2025. »

Il faudra donc attendre une journée d’opposition [journée durant laquelle les partis d’opposition peuvent choisir la motion à débattre, ndlr] pour découvrir si une élection aura lieu.

Retour à la normale

Selon le Professeur Béland, ce qui est normal dans un contexte de minorité au sein d’un gouvernement, c’est l’incertitude du parti au pouvoir, qui le contraint donc à négocier et faire des concessions avec les autres membres du Parlement, comme dans le cas de l’entente entre les néo-démocrates et les libéraux.

La rupture entre le NPD et le PLC représente donc un retour aux négociations pour tout ce que le gouvernement souhaite entreprendre. Il est à noter que même en tant que gouvernement minoritaire, le Parti libéral reste relativement fort parce qu’il ne requiert le soutien que d’un seul autre parti d’opposition pour mener à bien ses projets. Comme note professeur Béland, les libéraux risquent donc de se tourner vers le Bloc québécois, ce qui pourrait leur garantir une certaine capacité d’action.

« Si on écoute le discours politique d’Yves-François Blanchet [chef du Bloc québécois, ndlr], et de d’autres députés du bloc, il est évident que le parti voit maintenant son influence grandir », affirme le Professeur Béland. « Ça ne veut pas nécessairement dire que le Bloc votera en faveur des libéraux et leur offrira un soutien inconditionnel, mais il est évident que les libéraux ont maintenant les yeux tournés vers le Bloc, et non le NPD. Par contre, c’est un jeu dangereux pour les libéraux étant donné que le Bloc québécois n’est pas actif ailleurs qu’au Québec, et que c’est un parti souverainiste : s’allier avec eux pourrait poser des risques politiques. » La seule certitude pour les libéraux semble donc être l’incertitude de leur avenir politique, au vu de leur retour à un statut minoritaire. x

gabrielle adams

Contributrice

societe@delitfrancais.com ENQUÊTE

Comment poussent mes légumes? société

ANOUCHKA DEBIONNE

Éditrice Enquête

Le WWOOFing (World Wide Opportunities on Organic Farms, Opportunités

Mondiale Sur Fermes Biologiques, tdlr) est une plateforme de mise en relation de fermes biologiques avec des bénévoles dans 132 pays. Au Québec, en échange d’un couvert et d’un toit, les « WWOOFeurs » - nom donné aux utilisateurs du site - contribuent à diverses tâches dans des productions maraîchères, apicoles, d’élevage, ou de récolte de sirop d’érable. La plupart travaillent bénévolement dans les fermes pour découvrir les régions où elles sont établies. Il est également possible de faire du WWOOFing par curiosité d’en apprendre plus sur la culture biologique, pour comprendre la réalité des producteurs, ou pour couper avec le quotidien de la ville. Le Délit est allé à la rencontre des propriétaires de la ferme des Jardins du Cheval blanc, situés à 50 minutes de Montréal, qui accueillent des bénévoles pour le temps d’une fin de semaine ou de plusieurs mois.

Donner et apprendre

Jean-François, qui a ouvert sa ferme biologique il y a quatre ans, raconte avoir  pour projet de bâtir une entreprise éco-responsable, qui produirait de la nourriture de proximité pour la communauté du village de Saint-Antoine-deRichelieu. Il a commencé à utiliser la plateforme de WWOOF par nécessité de main-d’œuvre : « On en accueillait entre un et quatre [bénévoles, ndlr]. On s’est finalement plu à rencontrer des gens, à recevoir du monde, à avoir de l'aide, à partager, à échanger. C’est devenu à la fois le moteur des ressources

AMéLIA OuDINOT

J’aimerais bien avoir mon propre potager un jour, et c’est important de savoir comment mettre les mains dans la terre de la bonne façon, et comment faire pousser ses légumes dans un écosystème qui a du sens! »

Découvrir la réalité d’un projet agricole

Faire du WWOOFing, c’est avant tout être curieux de la façon dont on produit nos fruits et légumes. « Je veux comprendre d’où vient la nourriture que l’on consomme et le travail nécessaire à sa production », explique Amélia. Les échanges lors des repas permettent aux bénévoles de comprendre la gestion d’une ferme. Le rêve de Jean-François est de trouver des

« Pour moi, c’est vraiment une expérience humaine. C'est rencontrer des gens qui ont les mêmes valeurs que toi »

Julie, associée à la ferme Les Jardins du Cheval Blanc

humaines de la ferme et une façon d’offrir un lieu d'apprentissage pour les gens, de donner au suivant. »

L’une des bénévoles, Amélia, étudiante à McGill au baccalauréat, s’y est rendue deux jours de fin de semaine au mois de septembre. Elle a offert de son temps à l’entretien de la ferme et à la récolte des légumes de saison. « J’ai eu envie de travailler ici parce que j’entreprends quelque chose de concret, qui fait changement des cours universitaires.

fermiers motivés pour former une coopérative : « Il y aurait des gens qui s'occupent des animaux, des gens qui s'occupent des céréales, puis de la transformation des céréales. Nous, on s'occuperait des légumes et on aimerait avoir des arbres fruitiers. On aimerait que ça devienne une espèce d'écosystème avec un étang, des lacs, en suivant un modèle d'agriculture régénératrice. » Ce type de modèle agricole consiste à produire soi-

le délit · mercredi 18 septembre 2024 · delitfrancais.com

même de quoi fertiliser et semer sa terre : le fumier, aujourd’hui acheté à l’élevage intensif, et l’engrais vert et semences, achetés à des fermes qui ne produisent que ça.

Jean-François évoque un problème auquel font face de nombreux petits agriculteurs : la différence de prix entre le moment où il a établi son plan d’affaires, il y a cinq ans, et le prix actuel des terres. « La location de nos terres, des équipements et les semences ont doublé de prix alors que le prix des légumes a augmenté seulement de 25% ou 30%. C'est en train de ne plus devenir rentable de faire pousser des légumes bio sur des petites surfaces. Il y a énormément de fermes sur notre modèle qui ferment ou qui sont menacées de fermeture en ce moment, dont certaines qui existaient depuis longtemps. » Il mentionne que la seule façon d’être rentable est d’accroître sa production, ou simplement d’en réduire la taille, pour que sa famille soit autosuffisante.

« En ce moment, 50 paniers à notre kiosque du marché de SaintHilaire, ce n'est pas rentable. Il faut augmenter la production pour pouvoir être rentable parce qu'il y a des frais fixes auxquels on ne peut pas échapper », déplore-t-il.

Des valeurs en commun

L’aventure du WWOOFing a motivé Julie, immigrée de France, à s’engager dans la ferme en tant qu'associée. « Dès que je suis arrivée, je me suis sentie vraiment à ma place. C'est incroyable de se

dire que là, j'ai préparé la terre, j'ai planté les semences, elles ont poussé, je les ai arrosées, je les ai plantées dans le sol, j'ai préparé les planches et elles deviennent des légumes. » Julie avait déjà eu une expérience de WWOOFing en France, proche de chez elle, avec un couple qui avait le projet de rebâtir une maison en ruine. « Pour moi, c’est vraiment une expérience humaine. C'est rencontrer des gens qui ont les mêmes valeurs que toi. »

Arrivée depuis mars au Québec, elle a choisi de s’associer à cette ferme, car elle partage la vision de Jean-François : « J’aime l’idée de pouvoir nourrir son monde. Jean-François décide de rester à Saint-Antoine, parce qu'il a envie de nourrir Saint-Antoine. »

L’image du colibri

Julie continue de travailler à la ferme avant tout parce que c’est un travail gratifiant, non seulement dans le suivi des pousses de ses plants, mais aussi dans le contact humain au marché. « Je suis très adepte de l'image du colibri. Chaque petite action est nécessaire et une toute petite action peut avoir une grande conséquence. C’est une petite ferme, et c’est un travail énorme de faire pousser des légumes. Mais tu l'offres à des gens, tu leur donnes à manger, ils vont souper avec mes légumes le soir, tu leur donnes des idées de recettes. C’est un contact intime avec les gens, de les nourrir et d’y mettre du sien. C'est beaucoup de travail, mais pour

la bonne cause. » Julie aime accueillir des « WWOOFeurs » à la ferme, parce qu’elle aime leur enseigner : « Je trouve que c'est vraiment important de savoir pourquoi tu fais les choses. Ce n'est pas simplement: "Je te donne une tâche de désherbage à faire." C'est “je t'explique pourquoi c'est important de désherber cette culture-là et qu'est-ce que ça va faire après.” » Elle ne sépare pas sa journée de travail du reste : pour elle, c’est un tout, un quotidien qu’ils partagent ensemble, dans le champ la journée, et en chantant le soir. Hugo, présent en même temps qu’Amélia, est étudiant en horticulture. Il apprécie l’impact qu’il peut avoir en tant que maind’œuvre extérieure au projet. « J’adore que chacun apporte une aide précieuse à la ferme, et que la plupart des propriétaires soient à l’écoute de nos idées. Parfois cela peut se développer en projet ou plan pour plus tard. »

AMéLIA OuDINOT

Bien que les valeurs puissent être communes à la plupart des utilisateurs de la plateforme, c’est la diversité des expériences possibles dans les fermes du Québec ainsi que leur proximité à de grandes villes comme Montréal qui fait leur richesse. Travailler chez un producteur de sa région permet de comprendre ce qui pousse au gré de nos saisons et les enjeux auxquels font face ceux qui remplissent nos assiettes. x

Jeanne

MARGAUX THOMAS

Cet été, lors d’un voyage à Paris, j’ai retrouvé mon amie Margaux, que je n’avais pas vue depuis un an, et nous avons discuté de nos amours et de nos amitiés. J’ai parlé de mes rencontres de la dernière année. Margaux m’a parlé de sa lecture du moment, Nos puissantes amitiés d’Alice Raybaud. Après un long échange sur les différentes formes que peut prendre l’amour, nous sommes arrivées à la conclusion que les amitiés – bien trop souvent considérées comme futiles ou secondaires – avaient fautivement été remplacées par le couple comme source principale d’amour au quotidien. Toutes deux, nous avons convenu que nous nous devions de refuser la sacralisation du couple, comme la société semble si souvent le faire, parce que nous percevons nos amitiés comme un véhicule unique d’amour qui se doit d’être revalorisé. Nous rêvons d’un monde où le couple est relégué au second plan et où les amitiés sont réimaginées et mises au centre de nos vies.

La place de l’amour dans nos vies

On s’entend tous·tes pour dire qu’être aimé·e est crucial au bon déroulement de nos vies. Quelqu’un·e qui se sent constamment seul·e, ou entouré·e de personnes ne lui accordant pas l’amour qu’il·elle requiert, se sentira vite déprimé·e, abandonné·e. Ceci dit, dans la vingtaine, on semble souvent associer couple et amour comme deux concepts intrinsèquement liés. Néanmoins, cette association omet les formes d’amour platonique, toutes aussi importantes que l’amour romantique. Pour beaucoup, l’amitié offre un réconfort comparable au couple – sinon supérieur – en procurant une connexion profonde et un soutien sans contraintes.

Pourtant, il est normalisé dans notre société de délaisser ces liens amicaux afin de privilégier son·sa partenaire, son travail ou ses enfants. Replacer nos amitiés au centre de nos vies requiert un effort conscient qui peut être difficile lorsqu’on navigue dans un emploi du temps chargé au début de la vingtaine. L’amitié, contrairement aux relations de couple qui peuvent parfois être marquées par la possession ou la dépendance, propose un amour dénué d’attentes exclusives. Elle permet une exploration plus vaste des sentiments, une

Lettres à nos vrais amours

L’hé gé monie du couple est largement dé passé e.

découverte de soi et de l’autre, où chacun·e peut s’épanouir.

C’est pourquoi, comme le note Raybaud dans Nos puissantes amitiés , les amitiés peuvent offrir un sentiment de liberté puissant, souvent initiateur d’émancipation. Ces relations, comme l’autrice le souligne, peuvent faire de l’amitié un outil de révolution, un espace de résistance.

Histoire du couple

Le couple, tel qu’il vit dans notre imaginaire collectif, est loin d’avoir toujours été fondé sur l’amour et le romantisme. Pendant des siècles et encore aujourd’hui selon les cultures, le mariage servait d’abord à consolider des alliances sociales et économiques, au détriment de satisfaire des désirs affectifs.

C’est à partir du 20 e siècle, avec l’émergence des idéaux bourgeois et la montée d’une société individualiste, que l’amour romantique a pris la place centrale qu’on lui connaît. Adulte, il n’est désormais plus commun de vivre avec nos parents et grands-parents sous le même toit. Alors, on met des attentes irréalistes sur le·la partenaire avec qui on vit, qui doit combiner à la fois le poids émotionnel d’une relation amoureuse, et le rôle de famille. Dès l’enfance, on nous inculque dans les contes de princesses qu’il nous faut trouver un prince charmant et qu’on devrait consacrer la majorité de notre temps à notre partenaire romantique. Aujourd’hui, notre société est organisée de manière couple-centrique , avec une monogamie largement privilégiée. Sur le plan fiscal, les avantages offerts aux couples mariés ou en union civi-

l’Histoire du couple, il devient évident que ce modèle n’a jamais été une réalité fixe mais bien une invention culturelle qui évolue avec le temps. Alors pourquoi ne pas imaginer de nouvelles formes d’organisations sociales, plus adaptées à notre vision de la vie?

Remettre l’amitié au cœur de nos vies

Être et vivre en couple n’est pas un problème en tant que tel : le binôme conjugal convient à bon nombre de personnes. Ce que nous jugeons problématique, c’est qu’il s’agisse du seul horizon possible et acceptable pour exister dans l’ensemble du paysage social. L’« amatonormativité », théorisée par la philosophe Elizabeth Brake, décrédibilise et invisibilise toute autre relation d’affection et d’intimité, à commencer par l’amitié. Les personnes aromantiques ou asexuel·le·s, par exemple, sont les premier·ère·s à exprimer d’autres façons de donner et recevoir de l’amour. Sur TikTok, on voit apparaître des hashtags platonic life partnership (partenariat de vie platonique, tdlr) qui accompagnent des vidéos du quotidien d’ami·e·s qui collaborent financièrement et domestiquement, sans sentiment romantique ni attirance sexuelle.

Cette création de liens de communauté revient donc au cœur de la discussion, car nous avons tous·tes besoin de partage, de mise en commun et de solidarité pour se construire individuellement. Mais pourquoi chercher à construire ces relations exclusivement avec des partenaires

féminisme. La vie en communauté attire et c’est grâce à l’influence de la communauté queer – trop souvent amenée à choisir sa famille – que nous avons vu les bienfaits de faire de ses ami·e·s et de sa famille choisie les pilliers de nos vies.

À notre échelle

Il est bien beau de prêcher l’amitié comme forme ultime d’amour, mais comment peut-on appliquer ces belles paroles à notre quotidien? Dans un monde

« En fin de compte, l’idée n’est pas de rejeter le couple ou de nier son importance pour ceux et celles qui s’y épanouissent, mais de faire de la place à d’autres manières d’aimer et de vivre ensemble »

le, comme les réductions d’impôts et les facilités pour l’acquisition de biens immobiliers, renforcent cette norme. La cohabitation avec son·sa partenaire est banalisée et surtout, moins chère à tous les niveaux. Cette incitation à former une famille, souvent réduite à une structure biologique et hétéronormative, marginalise les autres formes de relations.

L’idée que le couple doit être l’unique source d’épanouissement et d’accomplissement personnel est ainsi une construction récente, souvent liée à l’idéal de la famille nucléaire. En retraçant

romantiques, avec qui on a des relations sexuelles ou dont on est amoureux·se? Cette faible valorisation de l’amitié dans les projets de vie est paradoxale. Au quotidien, nous sommes tous·tes d’accord pour dire que les ami·e·s sont essentiel·le·s et que l’on nécessite leurs conseils, leur soutien, leur humour et amour. De même, un deuil amical est tout autant voire plus déchirant qu’un deuil amoureux.

Une nouvelle hiérarchisation de nos relations s’impose. Les réflexions autour de la sororité commencent à grandir avec le

où l’on nous pousse à prioriser carrière, couple et enfants, on peut choisir des modes de vie alternatifs, comme la colocation à un âge plus avancé ou l’éducation d’enfants en coparentalité amicale. Ces choix permettent une remise en question de l’idée que le couple doit être le pilier de toute organisation sociale, et permet de choisir les relations centrales à nos vies.

Cependant, ce sont les avantages institutionnels, légaux et financiers accordés aux couples qui rendent ces changements plus complexes. Acheter une

maison ou bénéficier de réductions fiscales sont des privilèges souvent réservés aux couples, reléguant ce choix de mode de vie hors couple aux marges.

Une nouvelle manière de vivre

L’amitié, et toutes les autres formes de relations fraternelles·sororales, est, selon nous, un modèle de vie qui peut s’ajouter à la vie binomiale déjà largement acceptée. Dans l’habitation, la parentalité, la vieillesse, c’est le désir de prendre soin les uns des autres qui prime, et ce besoin de mutualité est loin d’être exclusif au cadre étroit du couple romantique. Ce que Margaux et moi avons envisagé au cours de notre discussion, c’est une nouvelle manière de vivre, où les amitiés ne seraient plus des compléments à nos quotidiens, mais des piliers fondamentaux de nos existences.

En fin de compte, l’idée n’est pas de rejeter le couple ou de nier son importance pour ceux et celles qui s’y épanouissent, mais de faire de la place à d’autres manières d’aimer et de vivre ensemble. D’ailleurs, Mona Chollet nous fait mettre en perspective notre épanouissement amoureux dans son ouvrage que nous vous conseillons, Réinventer l’amour En réinventant nos relations et en remettant l’amitié au cœur de nos vies, nous ouvrons la voie à des formes de solidarité et d’amour plus inclusives, plus libres, et peut-être, finalement, plus justes. x

MARGAUX THOMAS | Le Délit

environnement

environnement@delitfrancais.com

Réflexions

Comment sauver l’espèce humaine en s’amusant

1. S’engager pour l’environnement sur les réseaux sociaux.

Une de mes premières rencontres avec la question environnementale a été à travers le jeu Eco Ego, sur la plateforme Friv. La première fois que j’y ai joué, je n’en comprenais pas vraiment le but. J’avais environ sept ans, et je n’avais pas la patience de lire la description du jeu ; je cliquais simplement sur le bouton « Play ». Je me suis rapidement retrouvée à faire tomber les feuilles d’un arbre à cause du réchauffement climatique, à polluer une rivière avec de l’eau de vaisselle souillée et à asphyxier un petit personnage ressemblant à une gousse d’ail à cause du dioxyde de carbone dans l’atmosphère. J’ai abandonné. Des années plus tard, après avoir reçu une meilleure éducation environnementale, j’ai décidé d’y

revenir. Cette fois, je comprenais l’objectif. Voulant réussir, j’ai appris et répété les actions favorables à l’environnement. Le but du jeu, décrit sur la page d’accueil, était simple : « Quelque chose de confortable pour ��. Quelque chose de confortable pour �������� Réfléchis bien à tes choix dans le jeu et dans la vie! Temps imparti : six minutes (tdlr) ». La limite de temps visait à simuler le sentiment d’urgence qu’on ressent face à la crise climatique.

Ce n’est pas un hasard si on dit qu’on apprend mieux en s’amusant. Le plaisir favorise l’ouverture d’esprit, une curiosité accrue, une diminution de l’anxiété, et stimule la créativité ainsi que l’innovation, tout en facilitant l’application des notions acquises. Eco Ego s’inscrit dans une panoplie de méthodes ludiques pour sensibiliser à la cause environnementale. Les jeux, les concours, les

AGA &

Appel de candidatures

Les membres de la Société des publications du Daily (SPD), éditrice du McGill Daily et du Délit, sont cordialement invités à son Assemblée générale annuelle :

Le mercredi 2 octobre à 18h

Centre universitaire de McGill 3480 Rue McTavish, Salle 107

L’assemblée générale élira le conseil d’administration du SPD pour l’année 2024-2025.

Les membres du conseil de la SPD se rencontrent au moins une fois par mois pour discuter de l’administration du McGill Daily et du Délit, et ont l’occasion de se prononcer sur des décisions liées aux activités de la SPD.

Le rapport financier annuel et le rapport de l’expertecomptable sont disponibles au bureau de la SPD et tout membre peut, sur demande, obtenir une copie sans frais.

Questions? chair@dailypublications.org

mèmes (memes) et même l’humour sont des outils aussi amusants qu’efficaces pour sauver la planète. Ils inspirent des comportements plus écologiques et réduisent les inquiétudes concernant l’engagement environnemental, rendant ce dernier plus accessible et attrayant.

Se mettre au défi

Il y a quelques années, quand on éduquait mon chien, j’ai appris le concept du renforcement positif. Il s’agit d’une méthode pour encourager les comportements positifs en offrant une récompense lorsque ceux-ci sont adoptés. L’idée est que l’ajout d’un stimulus agréable augmente la probabilité que le comportement souhaité soit répété. C’est un concept qui s’applique aussi aux humains, avec des récompenses adaptées, bien sûr (pas de croquettes pour moi, merci).

Les concours, compétitions et simples défis pour la cause environnementale sont un bon moyen d’inciter la participation des gens.

YouTube) à propos d’un enjeu environnemental lié à leur domaine d’études. Les étudiant·e·s avaient

« Aussi drôles soient-ils, ces mèmes servent à diffuser un message important : la crise environnementale n’est pas une blague  »

C’est aussi une manière de récompenser les gagnant·e·s et/ou participant·e·s, de mettre en valeur leur apport à la cause, et de les encourager à poursuivre leurs efforts. J’ai parlé dans mon dernier article de deux exemples de défis lancés à la population, le No Mow May et le Défi pissenlit, qui visaient à retarder la tonte des pelouses pour laisser plus de temps aux pollinisateurs de profiter de la végétation. Au printemps 2024, le Cégep Saint-Jean-sur-Richelieu a lancé le concours intercollégial « Deviens l’écho responsable

la possibilité de remporter des prix allant jusqu’à 1 000$.

Des mèmes pour la planète

De plus en plus d’organisations agissant pour la protection de l’environnement publient sur leurs réseaux sociaux des mèmes, ces images rigolotes reprises à l’infini, accompagnées de texte ironique auquel on peut s’identifier. Pour ma part, je suis abonnée au compte Instagram de Greenpeace Québec, champion de la sensibilisation grâce à l’humour viral. Greenpeace

nous permettent de connecter avec des gens qui pensent comme nous et de créer un sentiment d’appartenance à la cause environnementale. L’utilisation du format du mème permet aussi de rejoindre un public plus large en améliorant la visibilité de la cause sur les réseaux sociaux, grâce à la nature variante et virale de ce type de contenu. Au-delà de la consommation de mèmes, leur création semble tout aussi amusante. Je me suis donc essayée à l’exercice (voir mon mème environnemental ci-haut).

Aussi drôles soient-ils, ces mèmes servent à diffuser un message important : la crise environnementale n’est pas une blague. L’absurdité de la situation est telle qu’il vaut mieux en rire, car si les mises en garde n’ont pas mené à l’action, peut-être que l’humour le fera.

Protéger l’environnement n’a pas à être une tâche sérieuse et monotone. En intégrant des éléments ludiques dans notre approche de la durabilité, on peut non seulement rendre l’engagement

« Le plaisir favorise l’ouverture d’esprit, une curiosité accrue, une diminution de l’anxiété, et stimule la créativité ainsi que l’innovation, tout en facilitant l’application des notions acquises  »

de ton domaine d’études », qui invitait les étudiant·e·s à créer une capsule d’influence (un Reel sur Instagram ou une vidéo sur

Québec, à travers les mèmes, pratique l’autodérision, ce qui rend l’organisation plus accessible et proche de son public. Les mèmes

écologique plus attrayant, mais aussi plus efficace. On peut créer quelque chose de confortable pour ���������� x environnement

juliette elie | le délit
Image créée à l’aide de imgflip

Il y a quelques semaines, je suis allée voir le Gong Show au Bordel Comédie Club. C’est une soirée humoristique où des amateur·trice·s de monologues comiques (stand-up) se succèdent sur scène, chacun·e disposant de trois minutes pour faire rire le public, sans se faire interrompre par le son du gong. Un jury composé de trois humoristes expérimenté·e·s évalue la qualité des blagues et de la prestation du participant. Après chaque numéro, les juges commentent de manière humoristique la performance en donnant des critiques directes et hilarantes, des conseils, ou des félicitations.

J’ai rencontré Dhanaé A. Beaulieu, acteur et humoriste québécois, qui était sur le jury pour la première partie du Gong Show. Ses blagues percutantes sur la crise environnementale m’ont particulièrement marquée et ont inspiré cet article.

Le Délit (LD) : Pourquoi as-tu choisi d’intégrer le sujet de l’environnement dans ta carrière d’humoriste?

Dhanaé A. Beaulieu (DAB) : C’est surtout pendant la pandémie que j’ai réalisé que les sujets que je devais aborder devaient être seulement les sujets qui m’intéressaient vraiment, parce qu’au final, quand je suis sorti de l’École [nationale de l’humour, ndlr], je pense que

au quotidien

adÈle doat

Éditrice Environnement

Aujourd’hui, l’industrie de la mode est responsable de 10% des émissions annuelles de dioxyde de carbone dans le monde et il est prévu que ce chiffre atteigne 26% d’ici 2050. Si la mode contribue au réchauffement de la planète et à la dégradation des écosystèmes, elle est aussi la cause de nombreuses formes de pollution (plastique, eau, pesticide). En plus de ses conséquences environnementales, l’industrie textile entraîne d’importants coûts sociaux, qui se traduisent par de nombreuses violations des droits humains. Ainsi, le consommateur, lorsqu’il se retrouve à magasiner, doit souvent faire face à un dilemme moral : acheter ou ne pas acheter?

Le Délit s’est entretenu avec Ben Heinkel, le cofondateur du site ethical clothing, un moteur de recherche de vêtements et marques éthiques qui vise à éclairer ses utilisateurs dans leurs décisions de consommation en matière de mode.

Un outil pour le consommateur

À l’origine, Ben Heinkel et son associé Jack Hesketh ont été confrontés dans leur vie personnelle au même problème : « Nous voulions acheter des vêtements de marques qui prenaient le développement durable au sérieux, mais nous ne savions pas vraiment où les trou-

2. Rencontre avec l’humoriste Dhanaé A. Beaulieu.

j’essayais d’aller chercher un public qui n’était pas le mien. Je parle de ce que je connais, finalement.

LD : Quel effet souhaites-tu avoir sur ton public quand tu fais des blagues sur l’environnement?

DAB : Ça dépend du public. Quand je sais que le public n’est pas impliqué en environnement, c’est plus une façon de planter une graine dans leurs esprits sur un sujet qu’ils ne

associé à quelque chose de positif. Quand je présente mon show solo, le but c’est vraiment d’enfoncer le clou. Je n’hésite pas à être un peu plus caustique, si on veut!

LD : Quels ont été tes projets préférés en lien avec l’environnement?

DAB : Pour mon spectacle solo, en 2022, j’ai obtenu une bourse du Conseil des arts et des lettres du Québec pour faire un voyage

comprennent peut-être pas. J’essaie d’être le plus rassembleur possible, puis de faire des blagues qui ne ridiculisent pas le mouvement écologiste. Si c’est la première fois qu’ils sont exposés au sujet de l’environnement, tant mieux que ce soit dans un show d’humour, parce que ça sera

dans l’Ouest canadien et visiter des forêts anciennes afin d’inspirer mon spectacle. C’est dur à battre! Je suis content de travailler aussi avec le média Unpointcinq, qui est le seul média indépendant se concentrant uniquement sur les questions environnementales au Québec.

Ils me proposent de faire des sketchs pour leur Tiktok, parce que Meta bloque toutes leurs nouvelles sur Facebook et Instagram. Je participe aussi à Feu vert, l’émission à Radio-Canada qui parle des questions environnementales. J’y fais des chroniques tous les mois. C’est vraiment un beau projet.

LD : Tu as dit qu’il n’y a pas beaucoup d’humoristes qui parlent d’environnement. Penses-tu que ce nombre augmentera au cours des prochaines années?

DAB : Oui. J’espère, en tout cas! Chaque année, j’organise un spectacle sur cette thématique et j’y invite d’autres amis humoristes à venir faire un numéro qui parle de l’environnement. Je me dis que plus il y a de gens qui montrent que ces numéros peuvent être accessibles pour un large public, probablement que plus de gens vont vouloir en faire aussi. Pour l’instant, je peux te dire que je connais presque tous ceux qui ont des numéros sur l’environnement, mais j’ai hâte au jour où je ne pourrai plus te nommer les noms des personnes qui font des numéros de ce type.

LD : Penses-tu que l’humour pourrait être perçu comme une façon peu sérieuse de traiter les ques-

La mode jetable à la poubelle!
Ethical clothing : le répertoire des marques éthiques.

ver, (tdlr). » Pour eux, comme pour beaucoup d’autres consommateurs, il n’était plus question de soutenir la mode éphémère ou jetable (fast fashion) au prix si onéreux pour l’environnement. Ils se sont donc renseignés sur les marques éthiques, mais il ne leur était pas toujours facile de naviguer à travers les discours d’écoblanchiment (greenwashing) des entreprises. Toutefois, ils ont découvert qu’il existait de nombreuses marques vestimentaires plus vertueuses, « mais elles ont tendance à être plus petites, à avoir des budgets plus modestes et à ne pas avoir les ressources nécessaires pour rivaliser avec le bruit que font les grandes marques de fast fashion en ligne ». C’est ce qui les a motivés à créer ce moteur de recherche, comme l’explique Ben Heinkel : « Grâce à notre expérience en matière de marketing, nous avons pensé que nous pourrions aider ces marques à obtenir la visibilité qu’elles méritent et aider les consommateurs conscients, comme nous, à les trouver facilement. »

Idées fausses sur la mode éthique

La mode éthique est empreinte de nombreux préjugés. « L’idée fausse la plus répandue est que les vêtements éthiques sont chers, voire un produit de luxe », nous dit le cofondateur. À cela, il répond : « Payer 15 ou 20 dollars pour un t-shirt produit de manière durable n’est pas cher si l’on tient compte de tous les

coûts de production. Si vous comparez ce prix à celui d’un t-shirt à 2 dollars de Primark ou Shein, alors oui, c’est relativement cher, mais nous ne devrions vraiment pas utiliser ces marques comme norme. » Mais si autant de personnes ne sont pas attirées par cette mode plus durable, c’est aussi parce qu’elles ne la connaissent pas assez. Par ailleurs, le public n’est pas assez éduqué sur les pratiques commerciales des marques de mode jetable : « Je pense que si davantage de personnes connaissaient les conditions dans lesquelles les travailleurs du Bangladesh ou de Chine travaillent

élevée : « La qualité est généralement bien meilleure, de sorte que le coût au quotidien de la vie d’un vêtement éthique est le calcul qu’il convient de faire. »

Le moteur de recherche

Sur leur moteur de recherche, on peut retrouver une « large gamme de vêtements éthiques de différentes marques ». Pour choisir quelles marques figureront dans les résultats de recherche, Ben Heinkel et son équipe prennent le temps de « vérifier leur catalogue de produits pour s’assurer que 100 % de leur cata-

tions environnementales, et qu’il pourrait ainsi nuire à la cause?

DAB : Si tu ridiculises le mouvement, je pense que ce n’est pas une bonne idée. Au lieu de rire un peu du mouvement, ris plutôt de toi, de tes travers. Si le fond de ta pensée, c’est qu’il faut en faire plus pour l’environnement, si tout le monde comprend où tu loges, à mon avis, il n’y a pas de problème.

LD : Quel conseil donnerais-tu aux gens pour qu’ils prennent du plaisir dans la protection de l’environnement?

DAB : Il faut trouver quelque chose que tu aimes faire. Moi, j’avais besoin de quelque chose de concret, un peu pour combattre mon éco-anxiété, puis pour avoir l’impression que j’agis vraiment. Je me suis dit que je pourrais planter des arbres. Alors j’ai mis de l’avant des projets pour planter des arbres sur le terrain de ma coopérative d’habitation à Hochelaga. Pour moi, c’était amusant, parce que j’aime travailler dans la terre. Il faut juste trouver un projet qui nous parle.

Pour rire, apprendre, et être au courant des projets de Dhanaé Audet-Beaulieu, vous pouvez suivre sa page Instagram, Facebook ou Tiktok @dhanaebeaulieu. x

ndlr], et essayer de trouver des informations sur les conditions de production avant d’envisager de les inclure ». Il est possible, par exemple, de filtrer les marques par pays pour acheter des marques locales. En outre, le site propose aux utilisateurs de calculer leur empreinte de mode avec le fashion footprint calculator

Enjeux pour l’avenir

eileen davidson| le délit

pour produire ces sept paires de jeans, elles y réfléchiraient deux fois avant de les soutenir. » Il argumente donc en faveur de la mode éthique pour son espérance de vie bien plus

logue utilise des matériaux durables, demander des certificats tels que GOTS et OEKO-TEX [labels textiles qui prennent en compte l’impact environnemental et social du produit,

Nos pratiques sociétales de surconsommation pèsent lourd sur notre planète. « Malheureusement, l’un des problèmes de notre époque est l’évolution constante des styles de mode qui, par définition, oblige les gens à changer constamment de look s’ils veulent être considérés comme étant à la mode. C’est difficile à faire avec un salaire moyen, à moins de recourir à la fast fashion », remarque Ben Heinkel. C’est ainsi aux consommateurs de repenser leurs habitudes d’achat. Le cofondateur espère néanmoins que la responsabilité tombera éventuellement moins sur l’individu, et qu’il y aura « plus de régulation gouvernementale au niveau mondial pour aider à stopper les effets négatifs de la fast fashion ». La règle d’or avant d’acheter est de se demander si c’est vraiment nécessaire, ou s’il existe une alternative comme réparer ou acheter des vêtements de seconde main. Le cas échéant, il vaut mieux se tourner vers des marques de mode éthique et durable, qui respectent l’environnement. x

eileen davidson | le délit

culture

artsculture@delitfrancais.com

Ses yeux m’ont rappelé les tiens

Mettre en pause l’actualité au World Press Photo.

La 17e édition de l’exposition internationale du World Press Photo présente les 24 gagnants des photos et projets multimédias les plus marquants de l’année 2023. Sous les projecteurs du Marché Bonsecours, elle souligne la persévérance, le courage et l’empathie de photojournalistes originaires des cinq continents, qui ont su retranscrire un portrait douloureux et résilient de l’humanité. Les photos exposées immortalisent la persévérance en temps de guerre et de maladie, et célèbrent ceux qui se battent pour la démocratie et la biodiversité. Cette année, pour la première fois en 25 ans, un Québécois se démarque dans le palmarès des lauréats avec la photo du pompier Thomas Dagnaud, capturée lors des incendies forestiers de l’été 2023. Retour sur une exposition loin des notifications et des breaking news

REPENSER NOTRE BOULIMIE MÉDIATIQUE

L’exposition World Press Photo est une occasion de se détacher de l’urgence médiatique pour accéder à une compréhension approfondie de l’actualité. Les journalistes lauréats sont pour la plupart des photographes locaux, qui assurent la couverture des événements marquants de leur pays ou de leur région. Ils retranscrivent par leur art leur culture et ses dynamiques, tout en partageant une réalité « sous-jacente » à l’actualité dépêchée dans les grands médias. Ainsi, le photographe Eddie Jim dépeint la montée des eaux dans le Pacifique à l’échelle d’une vie humaine : celle d’un grand-père et son petit-fils submergés dans l’eau, à l’endroit-même du littoral où ce premier pouvait marcher quarante ans plus tôt.

REPLACER L’INDIVIDU AU COEUR DE L’ACTUALITÉ

Chaque portrait invite son spectateur à entamer une relation avec l’individu qu’il représente : c’est un lien intime, unique, curieux, qui suscite une profonde empathie. Le photographe est le médiateur d’une rencontre, celle du spectateur « privilégié » avec le « héros » de la photo. L’essence des photos de l’exposition semble reposer dans la transmission des émotions universelles du deuil, de la douleur, du courage et de l’émerveillement - bien au-delà de la simple transmission des faits. C’est dans l’humanité que l’on trouvera de l’empathie, et c’est avec celle-ci que les photographes semblent appréhender la réalité qui les entourent. La photo de l’année de l’exposition représente une femme palestinienne qui tient le corps de sa nièce de cinq ans, décédée après la frappe d’un missile israélien à Gaza le 17 octobre 2023. Cette photo donne une autre dimension aux chiffres de victimes transmis dans la presse. Parfois, un seul regard suffit pour comprendre l’ampleur de la catastrophe.

Ailleurs, Mesut Hancer, un père de famille turc, ne lâche pas la main de sa fille à la suite du tremblement de terre dans le sud de la Turquie en février 2023. Victime de l’effondrement de la maison de sa grand-mère, elle est décédée à l’âge de 15 ans. Le contexte socio-politique, explicité sur l’affiche à côté de chaque photo de l’exposition, appuie l’injustice de la situation : le nombre démesuré de victimes est en partie dû aux immeubles construits avec des matériaux de piètre qualité au profit d’entrepreneurs frauduleux.

La douleur d’un père © Adem Altan, Agence France-Presse

UN JOURNALISME MILITANT ET COURAGEUX

Les photos lauréates sont le fruit du travail laborieux et risqué de journalistes qui se détachent de la transmission de faits d’actualité en épousant le quotidien de ceux qui les vivent. Certains projets à long terme permettent de capturer une réalité vécue sous différents angles. Alejandro Cegarra a choisi de documenter le parcours de migrants illégaux à bord de La Bête, un train qui traverse le Mexique pour rejoindre les États-Unis. Ce dernier, réputé dangereux, compte de nombreuses victimes tombées du train ou kidnappées par des cartels. Le photographe humanise ainsi ceux qui subissent au premier rang les diverses crises mondiales qui les amènent à fuir leur pays. La photo à gauche représente Ruben et Rosa, migrants vénézuéliens et du Honduras, tombés amoureux lors de leur voyage migratoire pour les États-Unis. Les projets, au-delà de faits d’actualité, saluent aussi la résilience et la persévérance humaine.

Lutter, ne pas sombrer © Eddie Jim, The Age/ Sydney Morning Herald
Une femme palestinienne serre le corps de sa nièce © Mohammed Salem, Reuters
Les deux murs © Alejandro Cegarra, The New York Times/ Bloomberg

UN PRIX POUR LES FEUX QUÉBÉCOIS

Le photographe Charles-Frederick Ouellet a capturé ce cliché du pompier Theo Dagnaud scrutant l’horizon pour s’assurer que les patrouilles de pompiers ont quitté les lieux, et qu’il peut délimiter cette zone comme étant « contrôlée », en juillet 2023. Cet été-là, la saison des incendies a brûlé trois fois plus de terres que d’habitude. Le jury a précisé avoir été impacté par la représentation d’une bataille impuissante contre les changements climatiques, avec la composition de la photo qui paraît représenter un monument. C’est la première fois en 25 ans qu’un Québécois gagne le prix prestigieux du World Press Photo.

Plus qu’une expo, le World Press Photo influence le regard de quatre millions de visiteurs dans 60 villes chaque année. Cette capacité de représentation humaine peut également être saluée dans le documentaire Human du photojournaliste français Yann-Arthus Bertrand, qui permet de plonger nos yeux dans ceux du reste du monde. x

ANOUCHKA DEBIONNE

Éditrice Enquête

Cordes : trois frères, trois inconnus, un absent Une traversée au fil des liens familiaux.

TESS guillou

Présentée au Théâtre de La Licorne depuis le 9 septembre, la pièce de théâtre

Cordes nous dépeint l’histoire de trois frères, qui s’embarquent dans un voyage des plus tumultueux. Avec l’insistance de leur père, voltigeur connu qu’ils n’ont plus revu depuis leur enfance, ils se rendent à son dernier numéro : une traversée sur un fil tendu entre deux tours.

On y retrouve Peter, l’aîné cherchant à se défaire du modèle paternel et à se construire une vie stable et Paul, bavard farfelu souffrant de son statut d’enfant du milieu. Enfin, Prince, le petit dernier à l’allure décontractée, est en couple avec la mystérieuse

Contributrice stu doré | le dÉlit

Andrea — au grand dam de son frère aîné. Leur périple s’annonce dès lors chaotique. C’est sans compter quelques secrets, une once de rancœur, une pointe de jalousie et une bonne dose de retenue.

Cordes. Un nom évocateur pour une pièce qui traite des liens familiaux, ces liens qui se tordent, se distendent, s’entremêlent, et parfois, se rompent. Ces liens dont nous sommes tous les détenteurs, à l’image de Peter, Paul et Prince. Des garçons qui ont grandi en l’absence de leur père, des hommes qui se sont forgés en l’absence de leurs frères. Des personnages hauts en couleurs, poignants, uniques, vulnérables.

Car derrière leur carapace, leurs tics et leurs mimiques se cachent des émotions profondes, des doutes, des regrets, des peurs. Des blessures qui demeurent et qu’ils croient nécessaire de dissimuler. Des blessures illustrées par des instants suspendus, où se croisent français et espagnol, souvenirs d’enfance et traumatismes, des monologues hors du temps dont la metteure en scène est à l’origine.

Cet ajout ingénieux nous plonge dans l’univers intérieur de chaque personnage, les dévoilant petit à petit et; nous rapprochant d’eux. Car oui, cette pièce est à la fois une

traduction et une adaptation, qui conserve certaines répliques en espagnol, nous permettant de mieux comprendre les origines des personnages, de rendre les émotions plus authentiques. Comme me l’a si bien témoigné la metteure en scène Margarita Herrera Dominguez, ce mélange linguistique nous permet de « sortir de l’exotisme de l’Amérique latine », en abordant des thèmes qui nous touchent tous et qui pourtant, il n’est pas simple de discuter. Des thèmes actuels, issus du « plus profond des quartiers », tel que me l’a confié Victor Cuéllar, l’acteur jouant Prince. Comment oser dire à son père qu’il ne nous

« voit pas »? Comment exprimer le manque, cette impression de ne pas être « assez »? Comment supporter le poids, la certitude de ne jamais parvenir à ressembler à ceux qui sont nos modèles? Comment se relever, sans toujours avoir un filet de sécurité?

Avec un décor composé uniquement de blocs et de murs portatifs se dessine sous nos yeux une scène de vie, plus vraie que nature, où chaque détail a son importance. Chaque parole, quand bien même elle semble n’être présente que pour combler le vide, a un poids. Un sens. Cette profusion de détails

peut cependant tendre à déstabiliser l’auditoire, à l’éloigner de l’essence même du texte, et des émotions qu’il cherche à traduire.

Parfois, la simplicité permet de mieux transmettre les sentiments, d’apporter une touche de profondeur supplémentaire. Certes, la pièce ne manque pas en émotions, mais les jeux de lumière, de voix et de sons ne doivent pas être au détriment du texte, ni du fil narratif. En effet, en discutant avec des membres de l’audience, certains m’ont avoué avoir perçu une perte de celui-ci à certains moments, ce qui ne fut toutefois pas mon cas.

Entre hilarité et sensibilité, Cordes nous plonge, l’espace d’une soirée, dans une réalité que l’on préfère parfois oublier. Car là réside, toute la magie du théâtre : transmettre une vérité par la fiction. Si je peux me permettre de vous conseiller une seule chose : ne partez pas trop vite. Car c’est là que l’on fait les rencontres les plus intéressantes, que l’on s’interroge, que l’on apprend. Alors, prenez le temps et restez un peu plus longtemps dans cette atmosphère chaleureuse et familiale avant de retrouver votre quotidien.

La pièce Cordes sera représentée au Théâtre de La Licorne jusqu’au 2 octobre 2024. x THéâTRE

Unejournéedanslavied’uneéquipedepompiersauQuébec© Charles-Frederick Ouellet, pour The Globe and Mail, CALQ

S’émanciper de la violence par l’écriture

Entretien avec Marie-Pier Lafontaine, autrice de Chienne et Armer la rage.

C’est en 2019 que Marie-Pier Lafontaine publie Chienne, son premier roman, adapté de son mémoire de maîtrise. Les réactions sont immédiates : le roman se voit récompensé du Prix Sade en 2020, et devient finaliste du Prix littéraire du Gouverneur Général la même année. L’autrice québécoise explore les profondeurs de la violence familiale et la fragmentation de la mémoire traumatique à travers une écriture viscérale, hachurée, où chaque mot semble arraché à la rage qui habite la narratrice. J’ai eu la chance de la rencontrer et de m’entretenir avec elle lors d’un après-midi dans un café, où nos interactions ont été d’une grande richesse. Place à une discussion intime et riche, où Marie-Pier Lafontaine revient sur son parcours, ses choix stylistiques, et l’élaboration de Chienne , tout en levant le voile sur ses futurs projets.

Anouk Lefebvre (AL) : Comment la ponctuation et la phrase asyntaxique se sont-elles présentées à toi lors de l’écriture? Est-ce venu naturellement dans les premiers moments d’écriture, ou est-ce plutôt un travail de la phrase qui s’est imposé plus tard ?

Marie-Pier Lafontaine (MPL) : C’est une question intéressante parce que c’est un mélange des deux. J’ai d’abord été formée en théâtre par la comédienne Rita Lafontaine. Un bon texte, pour elle, était un texte qui n’avait pas un seul mot de trop. Cette idée me parlait énormément. Il y avait donc déjà cette tension dans mon écriture :

« Comment pouvais-je essayer de montrer, dans la syntaxe ellemême et dans la construction de la phrase, la répétition de la violence? »

- Marie-Pier Lafontaine

essayer d’être précise, concise et juste. Puis, au fil de l’écriture de Chienne , je me suis mise à ha -

churer la phrase de plus en plus. Comment pouvais-je essayer de montrer, dans la syntaxe ellemême et dans la construction de la phrase, la répétition de la violence? Il y avait quelque chose de répétitif dans l’idée de la phrase courte et des hachures, qui rejoint un peu la question du coup de poing : comment arracher la violence des mains du père et la retranscrire dans l’écriture?

Ce qui était important pour moi d’exprimer, c’est qu’il y a des conséquences aux violences commises par le père. Il pense qu’il crée des pures victimes, qui seront soumises et dominées, mais le langage qu’il apprend à ses enfants, c’est le langage de la violence. Nécessairement, il leur montre comment être violents et comment employer cette violence. Il ne pense pas, à ce moment-là, qu’elle sera utilisée contre lui parce qu’il se croit tout-puissant. Alors, l’écriture me permettait de dire : « Ah ah! Moi aussi je suis capable de donner des coups! » C’est dans cette esthétique du coup de poing que

j’ai voulu écrire, mais ça ne s’est pas fait spontanément. Au fil du travail, de la réflexion et de toute la littérature que je lisais autour des théories et concepts féministes, j’ai pu trouver la bonne écriture. C’était la bonne forme et la bonne construction syntaxique pour ce sujet-là. J’ai écrit d’autres textes qui ne sont pas hachurés, parce que cette logique du coup de poing ne s’appliquait pas. La forme, pour moi, est vraiment reliée au sujet. Le livre que j’écris en ce moment n’est pas construit tout à fait de la même manière.

AL : Comment as-tu réfléchi au personnage de la mère lors de l’écriture?

MPL : Le personnage de la mère a été le plus dur à écrire parce que je me posais beaucoup de questions sur la représentation et ce qui pouvait exister dans l’espace littéraire. Chienne est mon mémoire de maîtrise. Je me disais que personne n’allait le lire, mais il était tout de même important pour moi que sa re -

présentation se fasse de manière éthique. J’avais lu un article qui portait sur le trauma, mais étudié d’une perspective féministe, et écrit par une psychologue qui venait des États-Unis dans les années 1980-1990 [ Not outside the range : One feminist perspective on psychic trauma , Laura S. Brown, ndlr ]. Elle mentionnait qu’on a souvent tendance à blâmer les femmes, lorsqu’il y a de l’abus sexuel commis par le père envers les enfants, dû à leur aveuglement volontaire.

Mais on ne peut pas tenir les femmes responsables des violences commises par les hommes. Dans mes convictions féministes, je suis bien d’accord, mais intimement, ma mère, je veux qu’on la tienne responsable de sa complicité. Alors j’étais coincée entre l’éthique féministe et mon propre féminisme ; comment je voulais le vivre et comment je voulais qu’il soit incarné dans ma vie intime. Ayant vécu ces abus là, j’ai le désir d’avoir justice, d’avoir droit à la dénonciation et à la colère contre cette femme-là.

Dans la représentation de la mère dans Chienne, au final, j’ai décidé d’écrire ce personnage en essayant d’être le plus impitoyable possible, tout en venant suggérer qu’elle aussi est victime du même homme que ses filles. L’accent est tout de même mis sur sa participation. Je voulais vraiment qu’on comprenne sa complicité. Je me suis dit qu’il y aurait un autre livre à écrire, et que dans cet autre livre, je pourrais alors complexifier le personnage de la mère. C’était vraiment compliqué, mais j’ai fait ce choix, et j’en suis contente. Je voulais une écriture assez radicale, directe, sans compromis, presque injuste, alors je voulais dépeindre la mère à partir d’un sentiment d’injustice et de mauvaise foi. La question de la représentation est vraiment complexe. Même si la mère est victime d’abus de violence conjugale sévères et répétés, il y aussi sa propre jouissance dans la situation. J’essaie de réfléchir, dans mon prochain roman, à comment la violence de son mari à l’égard de ses enfants la protège ; parce que pendant ce temps, elle ne vit pas de violence. Il y a aussi la question de la séparation entre femme coupable et femme victime. Elle ne peut pas être pure

victime ou pure coupable, et c’est tout le chemin entre ces deux pôles que je trouve complexe.

AL : J’ai pu remarquer l’utilisation des déterminants « le » et « la » pour désigner le père ou la mère, ce qui me semble noter une distanciation et une réification des figures parentales. Pourquoi, à certains endroits, les déterminants possessifs ( « mon » et « ma » ) sont-ils utilisés?

« Moi aussi je suis capable de donner des coups! C’est dans cette esthétique du coup de poing que j’ai voulu écrire »

- Marie-Pier Lafontaine

MPL : J’ai voulu utiliser « le » et « la » pour créer cette distance, pour que les parents soient nommés par leur fonction, que ce soit réducteur : c’est le père, c’est la mère, et c’est tout. Aussi, puisque je travaille près du réel, cette distance suscitée par les pronoms, elle me met à l’abri, dans le sens où les parents sont limités à leur statut de personnage. Mes parents existent dans le monde réel et sont de vraies personnes, avec d’autres enjeux que leur rôle de parent, mais ces personnes-là ne sont pas dans le livre. Je m’inspire du réel, mais la distanciation avec ma vie intime et la narratrice est importante pour moi. La narratrice, c’est la narratrice. Elle est créée et n’est pratiquement qu’un être de colère. Ce n’est pas moi, même si elle me ressemble beaucoup. Alors je pense que la distance avec les pronoms me protégeait de ma vie intime et créait une séparation entre le littéraire et le personnel.

Je pense que si « ma » ou « mon » se retrouvent dans le livre par moments, c’est parce que c’était naturel au moment de l’écriture. Je ne saurais pas te dire où j’ai écrit ces pronoms, précisément. En fait, je n’ai su qu’il y avait ces déterminants dans mon livre que lorsqu’il a été traduit en espagnol.

La traductrice m’avait demandé si je voulais qu’elle laisse les « mon » et « ma » dans le texte et je lui avais répondu : « Mais il n’y a pas ces déterminants dans le livre! », et elle m’avait confirmé que oui. Je ne le savais pas et je connais mon texte par cœur! Si c’était à réécrire aujourd’hui, il n’y aurait pas de « mon » ou de « ma ».

AL : À un moment du récit, on voit le renversement de la parole et de l’écriture, c’est-à-dire que la parole de la narratrice, et non plus celle du père, devient toute-puissante, tandis que l’écriture manque à modifier le réel de la narratrice. Pourrais-tu me parler de ce renversement?

MPL : C’est intéressant parce que cette scène du « non » de l’enfant m’est arrivée telle quelle dans ma propre enfance. C’est mon plus beau souvenir, j’étais tellement fière de moi. Il y avait quelque chose de tellement immense dans ce mot-là. Finalement, ce qui est si marquant de ce « non », c’est que le père part enfin. Je pense que je le regardais avec tellement de confiance, avec défiance presque. « Vas-y, saute-moi dessus, on va voir ce qui va se pas -

« Je pense qu’avoir une maîtrise du langage, mieux parler et moins “sacrer” sont des manières de m’éloigner de ma famille »

- Marie-Pier Lafontaine

ser. » Je l’aurais dénoncé, je serai partie. Il y avait quelque chose de tellement radical en moi, que même lui, il l’a perçu.

Dans mon essai Armer la rage, je parle de cette banalisation des événements violents par les individus qui la perpétuent ; ils reprennent le langage à leur compte, et la victime de cette violence perd l’espace d’énonciation. Avec mon « non », il y a eu un renversement. Mais il y avait également cette inquiétude qui persistait face à l’insuffisance de l’écriture parce qu’au final, le fait de dire non ne sauve pas l’enfant. C’est un moment de victoire, où soudain, le père se rend compte que l’enfant n’est pas totalement impuissante. Mais il revient. Et je pense que c’est peut-être ce que l’inquiétude représente : ce moment ultime dans la vie de l’enfant, qui s’avère insuffisant. La violence recommence.

Si la colère de l’enfant qui dit non a été suffisante pour chasser le père, mais pas assez pour l’empêcher de revenir, serait-ce possible d’avoir une écriture qui le tue? Soudain, on dirait que le langage manque. Je pense que ces deux moments se sont articulés de cette façon dans

« Dans

Ce qui me fait le plus violence dans ma vie, c’est lorsqu’on me fait dire quelque chose que je n’ai pas dit, quand on n’utilise pas les bons mots, ou lorsque je raconte un événement et qu’on le raconte autrement ensuite. On m’a tellement dit de me taire, que j’étais folle, que ce n’était

AL : L’écriture renverse totalement la parole supposée toute-puissante du père, n’est-ce pas?

MPL : Du père qui possède le langage, oui. C’est le langage qui est utilisé pour violenter, réduire et écraser. Mais la littérature ne sert pas à réduire ou à écraser, parce

la violence, il n’y a pas de nuances, il y a une radicalité dans le franchissement de toutes les limites et de tous les interdits. Je veux tenter d’intégrer cette part de nuance dans mes prochains romans »

STU DORé I LE DéLIT

l’écriture, mais je n’avais jamais réfléchi à cette inversion.

AL : Crois-tu que l’écriture a réussi à t’émanciper de cette violence?

MPL : Je pense que oui, à cause de la liberté et la reprise en charge de cette violence par l’écriture. Le choix des mots est vraiment important pour moi.

pas arrivé, que c’était dans ma tête, que c’était légal au Québec de battre ses enfants. Or, dans l’écriture, il y a une reprise en charge. C’est moi qui choisis les mots. Même lorsque l’écriture est de la pure fiction, c’est moi qui rends l’histoire avec le plus de justesse possible. Ce geste m’ancre énormément dans le réel, même dans le cas de la pure fiction. C’est là que je sais qui je suis. Personne ne peut m’enlever ça.

sonne, par la littérature. Donc, il y a le pouvoir de la parole dans cette reprise en charge, le pouvoir de faire mieux. Je cherche à m’éloigner le plus possible de ma famille, de cette logique de la violence, et la littérature m’y aide. Changer de nom m’y a aidée. L’instruction m’y aide également ; on organise et on nuance notre pensée. Dans la violence, il n’y a pas de nuances, il y a une radicalité dans le franchissement de toutes les limites et de tous les interdits. Je veux tenter d’intégrer cette part de nuance dans mes prochains romans.

AL : Et pourquoi représenter la parole en italique, la rapporter telle quelle?

MPL : Je voulais qu’il y ait un contraste. Quand j’ai lu Histoire de la violence d’Édouard Louis, je trouvais que souvent, lorsqu’il donnait à lire la parole de sa sœur, il y avait un contraste dans la forme. C’était plus près de l’oralité que de l’écriture. Je voulais qu’il y ait ce genre de contraste dans la parole du père et de la mère. Je voulais qu’on l’entende, qu’il y ait un clash entre la forme esthétique de l’écriture et la parole, qu’elle soit donnée dans toute sa vulgarité, toute son oralité, afin de créer une plus grande distance.

La littérature donne du vocabulaire, du langage ; on a accès à des mots plus scientifiques, à des notions et des concepts. Je viens d’un milieu très pauvre aussi bien financièrement et émotionnellement qu’intellectuellement. Cela peut sembler élitiste, mais je pense qu’avoir une maîtrise du langage, mieux parler et moins « sacrer » sont des manières de m’éloigner de ma famille. Dans la littérature, je peux le faire en rapportant la parole telle quelle, en demeurant très près du langage. Non pas pour signaler une pauvreté, mais pour amplifier ce clash entre la parole et l’écriture. C’est ce que j’essaie de travailler, non pas pour mépriser l’oralité en général, mais plutôt pour distancier la voix narrative de la parole des parents. Leur parole en est une qui sert à violenter des enfants. Je veux m’en distancier le plus possible, sur toutes les dimensions.

que ce n’est pas le but du langage. En tout cas, pas dans la question esthétique, même quand on aborde ces violences. J’essaie d’atteindre une certaine beauté par la justesse de la phrase et de l’émotion. Pas pour écraser qui que ce soit, mais pour dénoncer. Lorsqu’on dénonce, c’est pour s’émanciper et essayer d’avoir un minimum d’impact social, ne serait-ce que sur une seule per -

Si Chienne a marqué par son écriture coup de poing, les prochains textes de Marie-Pier Lafontaine s’annoncent tout aussi percutants. Elle travaille désormais sur son doctorat en recherche-création dans lequel elle y complexifie la figure de la mère. Plus nuancée, mais toujours radicale, son écriture continue d’explorer des zones sombres, avec une lucidité implacable et un désir d’émancipation profonde, que l’écriture lui permet de transmettre. x

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