Le Délit - Édition du 25 septembre 2024

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Le Délit est situé en territoire Kanien’kehá:ka non cédé.
Publié par la Société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

Actualités

actualites@delitfrancais.com

SPHR rayé des clubs de l’AÉUM

Entrevue avec Dymetri Taylor,

président de l’AÉUM.

Le 16 septembre 2024, l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM) a diffusé une déclaration de son conseil d’administration à l’ensemble de la communauté étudiante du premier cycle, au sujet du collectif Solidarité pour les droits humains des Palestiniens, récemment renommé Étudiants pour l’honneur et la résistance de la Palestine (Students for Palestinian Honour and Resistance, SPHR). Cette déclaration annonçait la décision du conseil d’administration de retirer au SPHR son statut de club de l’AÉUM, éliminant tout lien entre les deux entités. Le collectif SPHR perd donc son statut officiel, mais également son droit d’accéder au financement de l’AÉUM. Pourquoi ? Selon l’Université, l’AÉUM aurait enfreint sa propre constitution en maintenant son soutien pour le collectif.

Le Délit s’est entretenu avec Dymetri Taylor, président de l’AÉUM, pour mieux comprendre les procédures et négociations internes qui ont mené à cette décision.

Dymetri Taylor explique que depuis le 7 octobre 2023, l’administration de l’Université a tenté à plusieurs reprises de contacter SPHR via l’AÉUM pour conclure des ententes concernant les activités du groupe. « L’AÉUM a établi que toute discussion entre l’administration de McGill et le SPHR se ferait uniquement avec l’AÉUM comme intermédiaire, en partie à cause de la confidentialité de l’identité des membres exécutifs du SPHR (tdlr) », précise Taylor. Selon lui, cependant, aucune vraie conversation ne s’est tenue entre l’Université et le collectif pro-palestine.

Il poursuit : « Au début de l’été nous en sommes arrivés à un point où l’administration avait fini de négocier. [...] La vice-provost (vie étudiante et apprentissage) [Angela Campbell, ndlr], a donc envoyé un avis de défaut concernant le protocole d’entente (PE). » Un avis de défaut se réfère à une clause du PE entre l’Université et l’AÉUM, qui est invoquée notamment lorsqu’un élément du protocole n’est pas respecté, comme, par exemple, dans une situation où l’AÉUM enfreint la loi canadienne, ou québécoise, sa propre constitution, ou encore si une des parties enfreint les termes du protocole. Si la situation n’est pas rectifiée en 60 jours, deux options sont possibles. Si l’Université enfreint les termes du PE, celui-ci est automatiquement dissous. Si l’AÉUM enfreint les termes du PE, son budget est placé dans un fond fiduciaire administré par cinq représentants : deux de l’AÉUM, deux de l’Université et un représentant externe.

Une décision précipitée

L’Université McGill précise au Délit que le 10 juillet dernier, un avis de défaut a été envoyé à l’AÉUM, informant l’association

« qu’elle avait 60 jours pour remédier à la situation en rompant ses liens avec le collectif Solidarité pour les droits humains des Palestiniens, notamment en révoquant le statut de club affilié de ce dernier et en cessant de le financer ». L’Université qualifiait le discours et les actions du collectif comme « contrevenant sans équivoque aux politiques de l’Université ainsi qu’à celles de l’Association ». Plus spécifiquement, l’Université revendique le non-respect du mandat principal de l’AÉUM tel qu’il l’est décrit dans le PE, soit la représentation des intérêts de l’ensemble des étudiants et étudiantes au premier cycle de l’Université et sa responsabilité de s’assurer que tous les groupes se conforment aux modalités énoncées dans le protocole d’entente. C’était donc ce non-respect que l’Université avait identifié comme étant un cas de défaut.

« Face à cet avis, l’AÉUM avait deux options pour déterminer s’il y avait réellement un défaut », explique Taylor. « Nous pouvions emmener McGill devant les tribunaux, ou négocier. Les deux auraient coûté du temps et de l’argent, mais en calculant les risques, une procédure juridique aurait été beaucoup plus nuisible aux 24 743 étudiants membres de l’AÉUM. » C’est donc dans ce contexte que l’association étudiante a rompu tout lien avec le SPHR, bien que son équipe légale continue d’affirmer que l’avis de défaut est sans fondement. Cependant, faute de rectification de la situation de la part de l’AÉUM dans les délais appropriés (60 jours), un fond fiduciaire aurait été établi pour gérer les fonds alloués à l’AÉUM, ce que Taylor explique vouloir éviter.

Selon Taylor, étant donné qu’aucune conversation ou action significative n’a été entreprise entre l’Université et le SPHR après l’envoi de l’avis, l’AÉUM s’est retrouvée avec des options limitées. La date limite du 8 septembre donnée à l’AÉUM pour remédier aux événements de défaut, l’absence de vraies négociations entre les trois parties,

et des priorités concurrentes, laissaient seulement une fine marge de manœuvre à l’AÉUM. Taylor souligne notamment que plusieurs autres enjeux étaient prioritaires pour l’AÉUM, « notamment notre bail mensuel et notre relation avec l’Université. La question s’est posée de savoir si nous allions nous engager dans une bataille juridique avec McGill ou si nous allions accepter le défaut ». L’AÉUM a toutefois décidé de rompre ses liens avec le collectif, évitant ainsi un combat légal. Concernant la description des activités du collectif comme ayant des « comportements profondément troublants » dans l’avis émis par la vice-provost, l’AÉUM refuse d’exprimer leur accord ou leur désaccord avec une telle qualification.

Prochaines étapes

Le Délit a questionné Taylor sur les prochaines étapes pour l’AÉUM, concernant sa séparation du collectif Étudiants pour l’honneur et la résistance de la Palestine. Il explique que « l’AÉUM n’est ni en accord avec, ni en opposition à la situation [la séparation des deux groupes, ndlr], simplement c’est ce qui a été fait en fin de compte ». Il précise cependant que l’AÉUM cherche à regagner son indépendance politique en changeant certaines clauses du PE. « En ce moment, les questions incluses dans nos référendums doivent être approuvées par le bureau de la vice-provost. Nous essayons de reprendre de notre autonomie pour pouvoir faire voter la population étudiante sur n’importe quelle question, liée à la gestion de fonds de l’AÉUM, que ce soit politique ou non. » L’AÉUM affirme avoir mis en place une équipe de négociation, avoir envoyé une première version du nouveau PE à l’administration de l’Université, et attend maintenant une réponse de la part de l’Université. x

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McGill sous les échaffaudages

Photoreportage d'un campus en construction.

ysandre beaulieu Éditrice Actualités
Le bâtiment Leacock, sous construction.
Vues sur le campus du centre-ville depuis l'avenue du Docteur-Penfield.
Le projet New Vic en cours, à l'ancien Hôpital Royal Victoria.

titouan paux

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vincent

La sélection d’actus du Délit

EXPLOSION DE BIPEURS AU LIBAN : UNE NOUVELLE ESCALADE AU PROCHE-ORIENT ?

Ces 17 et 18 septembre, plusieurs milliers d’appareils électroniques piégés, tels que des bipeurs et des talkies-walkies, ont simultanément explosé au Liban, faisant au moins 37 morts et plus de 3 500 blessés. Les dispositifs ayant explosé appartenaient à des membres du Hezbollah, mouvement terroriste islamiste libanais soutenu par l’Iran. Le Hezbollah et le Hamas ont pour ennemi commun Israël, qui est au cœur d’un conflit violent avec le Hamas depuis l’attaque du 7 octobre 2023. Le Hezbollah a accusé Israël d’avoir orchestré l’attaque des bipeurs, cependant l’État Hébreu n’a pas commenté. Les bipeurs auraient été vendus et livrés au Hezbollah il y a quelques mois de cela, à travers des sociétés-écrans créées par Israël, révèle une enquête du New York Times. Dès l’été 2022, les services de renseignement israéliens auraient donc placé des éléments explosifs dans certains bipeurs exclusivement vendus au mouvement islamiste. Bien qu’elles ciblaient des membres du Hezbollah, les explosions ont touché de nombreux civils, dont des enfants, note France 24

L’attaque aux bipeurs marque une escalade majeure dans le conflit au Proche-Orient. La BBC note que cet événement augmente les risques de guerre totale entre le Hezbollah et Israël. Le mouvement islamiste a affirmé qu’il allait riposter en infligeant à Israël un « terrible châtiment ». Il est important de noter que la frontière israélo-libanaise est une zone de tension depuis la création d’Israël en 1948. Cependant, selon Al-Jazeera, le conflit a augmenté en intensité depuis octobre 2023, avec des échanges de roquettes de plus en plus fréquents, ainsi que des opérations militaires israéliennes et des assassinats de membres du Hezbollah au Liban. Le vendredi 20 septembre au soir, une autre figure majeure du Hezbollah a été tuée dans un bombardement sur la banlieue sud de Beyrouth. Enfin, ce lundi 23 septembre, de nouvelles frappes israéliennes sur des sites du Hezbollah ont fait au moins 274 morts, dont 21 enfants.

NOUVELLE VICE-DOYENNE DE L’ÉCOLE DES SCIENCES INFIRMIÈRES : UNE DÉCISION CONTROVERSÉE?

Le 11 septembre dernier, Lynne McVey a été nommée doyenne associée et directrice de l’École de sciences infirmières Ingram de McGill (ÉSII), qui fait partie de la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université. Lynne McVey, qui était déjà professeure associée au sein de l’ÉSII, entrera en fonction le 1er octobre. La Faculté de médecine et des sciences de la santé explique que Lynne McVey « dirigera les missions d’éducation, de recherche et de service de l’ÉSII ». Elle dispose de beaucoup d’expérience dans « la pratique infirmière et de la haute direction dans le secteur de la santé », d’après une communication officielle de McGill. Elle a notamment occupé le poste de présidente directrice-générale du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSS) de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal.

Cependant, cette nouvelle nomination est source de controverse. En effet, Lynne McVey avait été sévèrement critiquée pour sa gestion de la crise du Centre d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD) Herron, à Dorval, pendant la pandémie du Covid-19. Le CIUSS avait assumé la gestion du CHSLD après des retours faisant état d’un manque de personnel et de services qui mettaient la vie des résidents en danger. Cependant, selon un rapport de la coroner Géhane Kamel, la situation ne s’est pas améliorée sous l’autorité du CIUSS, et 47 résidents ont perdu la vie avant le printemps 2020. La majorité des décès seraient survenus après la prise en charge de la situation par le CIUSS, qui était censé pallier les problèmes du CHSLD. Dans son rapport, daté de mai 2022, Kamel a explicitement tenu McVey responsable.

NOUVEAU GOUVERNEMENT FRANÇAIS : ESPÉRER GOUVERNER

À la suite des résultats des élections européennes de début juin – largement gagnées par le parti d’extrême droite Le Rassemblement National (RN) avec 31% des voix , Emmanuel Macron a annoncé la convocation d’élections législatives anticipées pour début juillet, afin de permettre une « clarification » de la situation politique, alors largement défavorable au camp présidentiel. Les élections de juin ont apporté leur lot de surprises. En effet, le RN est arrivé en tête du premier tour avec 33% des suffrages, suivi de près par la toute nouvelle union de gauche « Le Nouveau Front Populaire » avec 28% des voix. Le second tour a abouti à une situation complexe, où trois grands groupes distincts se partagent le devant de la scène : le Nouveau Front Populaire initialement en tête avec 182 députés, le groupe présidentiel de centre droit à 168 sièges, et finalement l’extrême droite, à 143 élus, ce qui reste néanmoins un record pour cette dernière. Ne disposant pas de la majorité absolue (289 sièges) pour pouvoir gouverner correctement, Emmanuel Macron a dû retarder la nomination de son premier ministre. Habituellement nommé la semaine suivant les élections, il aura finalement fallu 51 jours au Président pour annoncer le républicain Michel Barnier comme nouveau premier ministre, permettant de créer un groupe de centre droit de 212 députés. Macron a choisi sa stratégie de faire partenariat avec la droite pour gouverner.

Ce samedi 21 septembre, Michel Barnier a donc annoncé la composition de son gouvernement. Si sur les 19 ministres de plein exercice, 13 sont du groupe macroniste. Il est clair que l’équipe gouvernementale est désormais plus marquée à droite, avec plusieurs Républicains aux postes clés, comme Bruneau Retailleau au ministère de l’intérieur. La nomination de Michel Barnier a généré de nombreuses critiques. Premièrement, une grande partie des électeurs de gauche voit ce choix comme un manquement de la part du président, un non-respect des institutions démocratiques. Deuxièmement, les Républicains, très nettement affaiblis et minoritaires à l’Assemblée (47 sièges), influencent désormais des décisions majeures au sein même du gouvernement. Enfin, si Macron est aujourd’hui plus fragile que jamais, il semblerait que l’épisode politique estival n’ait rien changé : malgré les teintes républicaines, le gouvernement est toujours macroniste. Même si son gouvernement parvient à éviter une motion de censure, Michel Barnier devra faire face à de nombreux défis dans les mois à venir, comme le vote du budget, le redressement des finances publiques, et surtout, faire face à la percée inédite de l’extrême droite en France.

DEUX ASSOCIATIONS ÉTUDIANTES S’ENGAGENT POUR LUTTER CONTRE LA PRÉCARITÉ ÉTUDIANTE AU QUÉBEC

Ce samedi 21 septembre, L’Union étudiante du Québec (UEQ) et la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) ont lancé une campagne visant à lutter contre la précarité sur les campus des universités du Québec. L’UEQ regroupe 12 associations étudiantes à travers la province et vise à trouver des solutions concrètes aux différents enjeux économiques que rencontrent les étudiants. De son côté, la FECQ travaille sur les mêmes problématiques au niveau des CÉGEPs. Les deux groupes se sont associés pour alerter quant à la précarité étudiante grandissante à travers le Québec. Selon Radio-Canada, la sévère inflation qui touche le Canada ces dernières années, ainsi que la crise du logement, seraient les principales causes des difficultés financières de cette population. Samedi matin, lors d’une conférence de presse au Collège Ahuntsic, les deux groupes ont manifesté leur inquiétude face au nombre croissant d’étudiants ayant recours aux services de banques alimentaires.

Cité dans un article de La Presse, Étienne Paré, président de l’UEQ, a expliqué que les aides financières du gouvernement sont devenues largement insuffisantes, et que les étudiants ont tendance à s’endetter auprès de banques privées. Cet automne, les deux organisations parcourront le Québec sur les campus de nombreux CÉGEPs et universités pour trouver des solutions sur le terrain. Cette campagne s’inscrit dans un combat plus large pour les droits des étudiants : ces dernières années, les deux organisations avaient notamment mené une campagne pour la rémunération des stages, une autre manière de soulager les étudiants financièrement. x

ILLUSTRATIONS : EILEEN DAVIDSON | Le dÉlit

Ce dimanche 22 septembre, le départ du Marathon de Montréal a été lancé depuis l’espace 67 du Parc Jean-Drapeau, sur l’île Sainte-Hélène. Le plus grand événement de course à pied au Québec, créé en 1979 sous la supervision du journaliste sportif Serge Arsenault, a marqué sa 32 e édition avec un parcours symbolique, traversant Montréal de rive en rive. L’occasion est d’autant plus significative puisque le parc Jean Drapeau célèbre ses 150 ans cette année.

Au programme, la traversée de cinq quartiers emblématiques de la ville, qui ne sont autres qu’Ahuntsic-Cartierville, Plateau-Mont-Royal, RosemontLa Petite-Patrie, Ville-Marie et Villeray-Saint-Michel-ParcExtension, tout en longeant les principaux parcs. Les coureurs ont notamment eu l’occasion d’apercevoir la basilique NotreDame de Montréal ainsi que d’autres monuments symboliques du patrimoine montréalais. Cette année, l’événement a réuni 27 000 coureuses et coureurs, un record d’inscriptions depuis son commencement. Pour établir une comparaison, l’année 2003 ne comptait que 2 400 coureurs. La popularité de l‘événement n’a cessé de croître, attirant des participants provenant de l’extérieur de la province et même du pays!

Malgré son nom, le Marathon de Montréal ne propose pas seulement un marathon annuel. Sur trois jours, du 20 au 22 septembre, les épreuves du 10, 5 et 1 kilomètres, ainsi que le mile et les courses jeunesse se sont déroulés sous l’égide du Marathon Beneva, en se clôturant par les 42,2 kilomètres phares ce 22 septembre. Les marathoniens étaient accompagnés des participants du demi-marathon pendant 14 kilomètres, avant de se séparer au niveau du Boulevard Saint-Joseph.

Une équipe d’encadrement mobilisée

Les membres de l’organisation du marathon étaient présents tout au long du parcours pour s’assurer de la fluidité de l’événement : « On doit préparer plusieurs mois à l’avance, c’est un événement qui demande

Marathon de Montréal 2024

Retour sur un événement riche en succès.

beaucoup de préparation et de monde, pour encadrer et gérer des flux de spectateurs », explique l’un des organisateurs.

Les organisations travaillent en collaboration avec la ville de Montréal, qui apporte notamment son aide pour la fermeture des routes et la sécurité. La police, la sécurité et les pompiers étaient présents pour assurer le bon déroulement du marathon.

La compagnie Beneva constitue également un partenariat majeur en ce qui concerne le financement de l’événement depuis 2020. Le personnel encadrant était notamment composé de bénévoles, qui étaient responsables de nettoyer les trottoirs jonchés de verres en carton et d’emballages après le passage des coureurs aux zones de ravitaillement. Joaquim et Olivier participaient à cette activité bénévole dans le cadre scolaire : « On est censés réaliser deux activités de bénévolat dans l’année, et on était motivés par le marathon, parce qu’aider les coureurs et les encourager, c’est une expérience intéressante. »

Lancement du Marathon : entre excitation et changement

Au départ de la course, et malgré la température fraîche, l’ambiance était déjà électrique. Des milliers de marathoniens se préparaient pour la course à l’aide de musique ou de méditation, et toutes autres méthodes utile pour se mettre dans sa bulle.

Lou et Héloïse étaient toutes les deux présentes, l’une sur la ligne de départ et l’autre prête à en-

courager derrière les barrières. Les deux amies se sont beaucoup entraînées ensemble l’année précédente pour le marathon 2023, mais rien ne prépare entièrement à la course officielle : « Pendant les entraînements, on ne court ja-

mitigés au sein de la communauté montréalaise : « Les années précédentes, le parcours était moins étalé dans la ville et c’était peut-être plus festif parce que les supporters étaient tous plus regroupés », maintient Anna,

« Pendant les entraînements, on ne court jamais le parcours en entier, donc il y a un mélange d’excitation et de stress

de savoir si on sera capable d’aller jusqu’au bout »

mais le parcours en entier, donc il y a un mélange d’excitation et de stress de savoir si on sera capable d’aller jusqu’au bout », explique Héloïse, qui avait déjà couru le demi-marathon en 2023.

Parmi les coureurs du Marathon, de nouveaux athlètes étaient présents, mais aussi d’anciens participants, qui n’avaient pas eu l’occasion de tester le nouveau circuit. Jusqu’en 2022, en effet, le parcours du Marathon de Montréal passait principalement par le centre-ville, avec un départ souvent situé près du Pont Jacques-Cartier ou dans des zones proches du centre historique. Il longeait des quartiers emblématiques comme le Vieux-Port, avant de traverser d’autres parties de l’île, incluant le parc Jean-Drapeau. Ce tracé valorisait des sites historiques, mais l’édition actuelle a changé pour inclure davantage d’espaces verts et un nouveau parcours entre l’île Sainte-Hélène et le parc Maisonneuve. Ce changement de parcours relève des avis

spectateurs ont personnalisé des bannières avec des messages encourageants et humoristiques. Le dossard nominatif est également un élément-clé de motivation : « Le fait que les spectateurs voient notre nom et nous encouragent personnellement, c’est plus touchant aussi », affirme Justine, qui a couru son premier demi-marathon cette année.

Le public semble constituer un facteur clé de motivation pour les coureurs, ce qui explique en partie l’annulation du marathon de 2021, en raison des conditions sanitaires qui auraient empêché le rassemblement de spectateurs au fil du parcours. Emmanuelle, qui a couru le marathon plusieurs fois depuis six ans, comprend cette décision : « Je me suis blessée six semaines avant la course, le public était donc vraiment nécessaire pour rester motivée dans les moments compliqués. » Gabriel, participant au marathon, partage le même constat : « À chaque kilomètre, il y avait toujours des groupes avec de nouveaux slogans…Surtout dans les passages difficiles où je pensais que je m’arrêterais, le public m’a vraiment aidé. Je ne pense pas que j’aurais aussi bien performé sans eux. »

Une ligne d’arrivée bien méritée

qui encourage ses amis depuis quelques années.

Emportés par la foule

Depuis le Pont JacquesCartier au parc La Fontaine, et jusqu’à la ligne d’arrivée, les nombreux spectateurs ont acclamé les coureurs avec vigueur, tout en profitant de l’ambiance festive du marathon. Déjà nombreux au départ, tous ont participé à la grandeur de l’événement en encourageant amis, famille, et inconnus : « C’est sûr qu’au bout d’un moment, [les encouragements, ndlr] aident à trouver la motivation », déclare un groupe de Montréalais, venu encourager des amis à l’aide de clochettes et de magnétophones. Chloé, supportrice de longue date, souligne l’importance du public : « On peut voir sur le visage des sportifs que cela leur fait plaisir quand on les encourage. »

D’autres sources de motivation étaient également populaires le long du chemin de course : musique, bulles, jets d’eau… Certains

À l’arrivée située au parc Maisonneuve, l’ambiance générale était festive : « On est fières d’avoir accompli le challenge et d’avoir fini », affirment Stéphanie et Y-Lan. Gabriel partage les mêmes conclusions : « Je suis super fier de ce que j’ai accompli, puisque c’est mon premier marathon, et j’ai réussi à pousser à travers les crampes et le mal de jambes. »

Les objectifs étaient différents, certains ayant pour but de se dépasser tout en priorisant la santé et d’aller au-delà de leurs capacités, tandis que d’autres se sont lancés un défi entre amis. Pour Justine et Joëlle, novices du demi-marathon, l’objectif était de ne pas s’arrêter : « Partir lentement c’est mieux pour garder de l’énergie à la fin ; nous n’étions pas des coureuses avant, et notre seul objectif était de ne pas marcher, ce qu’on a réussi. »

Une chose est sûre, tous étaient déterminés d’atteindre la ligne d’arrivée, et certains sont déjà sûrs de retenter l’expérience en septembre 2025, cette fois avec des objectifs plus ambitieux en tête. x

Margaux thomas | Le dÉlit

société

societe@delitfrancais.com enquête

Horizon 2035, un tri à la fois

Enquête sur les réussites et freins sur la route du zéro déchet à McGill.

ANOUCHKA DEBIONNE

Éditrice Enquête

Dans les 70 bâtiments fréquentés par plus de 40 000 étudiant·e·s et employé·e·s, les poubelles se remplissent au même rythme que les têtes « forgées par McGill » : des emballages de nourriture, de café, des papiers, des maquettes d’architecture, des chaises cassées ou encore des matières de laboratoire. « Qui n’a pas retrouvé une tasse de café dans les trois poubelles de tri?! », ironise le Dr Grant Clark, professeur du cours de Gestion des détritus organiques au campus Macdonald. Selon un sondage mené par le Bureau de développement durable de McGill et communiqué au Délit par sa directrice, seulement 33% des étudiant·e·s sont au courant des objectifs du projet Zéro Déchet 2035 et de neutralité carbone 2040 de l’Université. Ce pourcentage n’est pas totalement alarmant, mais les objectifs sont ambitieux et les erreurs de tri et le manque de bennes de compost dans les bâtiments y sont des freins. Continuer la mise en place de mesures infrastructurelles sans éduquer les cerveaux qui devront les utiliser ne permettra pas d’atteindre ces objectifs. À l’échelle d’une communauté diversifiée regroupant étudiant·e·s et employé·e·s, tant locaux·les qu’étranger·ère·s, faire avancer tout le monde d’un même geste peut s’avérer être un casse-tête.

En s’entretenant avec la directrice du Bureau de Durabilité de McGill, Shona Watt, le professeur de sciences environnementales, Dr Grant Clark, ainsi que la conseillère d’orientation du Département de géographie, Michelle Maillet, Le Délit tente de démystifier les freins aux pratiques de recyclage à McGill.

Le compost comme angle d’attaque pour le zéro déchet

Contrairement à ce que suggère son nom, le zéro déchet ne signifie pas que l’on ne pourra plus rien jeter à McGill. La certification internationale du zéro déchet est attribuée aux entreprises et communautés qui réacheminent 90% de leurs déchets hors des décharges et des incinérateurs – en éduquant la population et en offrant des solutions de recyclage et de

compost. L’enfouissement des déchets ou leur combustion étant une source importante de méthane, un gaz à effet de serre 30 fois plus polluant que le dioxyde de carbone, ce but s’inscrit dans l’objectif de McGill d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2040.

déchets sont entassés en montagne que l’on recouvre d’argile. Les déchets organiques, qui représentent 40% des déchets résiduels, se décomposent sous l’argile et deviennent une source importante de méthane. Pour diminuer son émission, ils doivent être séparés du reste des

«

Les déchets organiques, qui représentent 40% des déchets résiduels, se décomposent dans les décharges et deviennent une source importante de méthane »

- Dr. Grant Clark, professeur en Gestion des déchets organiques à McGill

Le Dr Grant Clark explique l’importance du compost pour réduire la quantité de déchets dans les décharges et l’impact de leurs émissions. « Lorsqu’ils sont acheminés dans les décharges, comme celle de Terrebonne pour l’agglomération de Montréal, les

déchets et traités en contact avec l’oxygène ( tdlr ). » Le méthane étant un gaz à effet de serre que la plupart des gouvernements, dont celui du Canada, visent à réduire, le compost est une alternative privilégiée qui est graduellement mise en place par d’autres

stu doré | le dÉlit

institutions et municipalités du pays. Le Dr Clark explique les enjeux liés au mélange des déchets organiques et généraux : « Nous avons besoin d’une séparation claire entre les flux de déchets organiques et autres déchets, car ils se contaminent l’un et l’autre lorsqu’ils sont en contact. Si des déchets généraux se retrouvent dans le bac de compost, celui-ci sera contaminé de déchets qui ne se décomposent pas, et, à l’échelle microscopique, pourra être contaminé de plastiques qui se retrouveront dans les sols fertilisés par le compost. Si les déchets généraux sont contaminés par des déchets organiques, ils produiront plus de méthane, comme expliqué plus tôt ».

Pratiquer ce que l’on prêche

En 2024, McGill réachemine 45% de ses déchets hors des décharges, via son système de recyclage et de compost. L’installation de stations de triage dans plusieurs bâtiments et sites extérieurs du campus a été le mandat principal de sa stratégie de réduction et de réacheminement des matières

résiduelles 2018 – 2025. Shona Watt, directrice associée au Bureau de la durabilité de McGill, informe des actions entreprises ces cinq dernières années : « Depuis 2018, nous avons installé plus de 715 stations de tri des déchets à flux multiples dans des emplacements centraux à travers 27 bâtiments universitaires majeurs. Depuis l’introduction du flux de compostage, la quantité de déchets organiques collectés est passée de 0% des déchets collectés en 2015 à 7% en 2022 »

Cependant, l’installation de poubelles de tri prend du temps et certains bâtiments en sont encore dépourvus. Michelle Maillet, conseillère d’orientation du Département de géographie, déplore le manque de compost dans le pavillon Burnside, qui accueille pourtant des étudiant·e·s en programme de Développement durable, sciences et société. « On est une institution qui fait de la recherche de haut niveau sur ces enjeux-là, c’est frustrant de ne pas pouvoir pratiquer ce que l’on prêche. » Le Dr Grant Clark ajoute que face à une poubelle à deux flux (général et recyclage, sans compost), il est préférable de jeter les ustensiles « compostables » dans le bac général, car ils ne sont pas faits de matériaux recyclables. « S’ils sont mis dans la poubelle de recyclage, ils seront simplement triés à nouveau, ou ils contamineront le matériau recyclable et diminueront sa qualité globale ou conduiront à son rejet ».

Michelle Maillet ne se sentirait pas légitime de promouvoir son programme en Développement durable, sciences et société sans participer à son échelle à une transition vers le zéro déchet. Faute de poubelles compost dans le pavillon Burnside, elle a ellemême créé et imprimé des affiches pour renseigner sur les endroits où trouver les bennes de compost sur le campus.

Lors de l’événement d’orientation de son département, elle a dû également elle-même repasser derrière le tri des déchets mené par les étudiant·e·s. « On a été certifié événement durable par le bureau de développement durable de McGill, on m’a donné des bacs de compost, mais les déchets étaient mélangés dans chaque bac », raconte -t-elle. Cela soulève une autre problématique : celle du manque d’éducation et de renseignements immédiatement disponibles proche des flux de tri.

« Encourager des milliers d’étudiant·e·s, de professeur·e·s et de membres du personnel très occupé·e·s à réduire et à trier de manière réfléchie leurs déchets quotidiens sur le campus est un véritable défi »

- Shona Watt, Directrice du Bureau de développement durable à McGill

Enjeux d’une communauté étudiante diversifiée

« Encourager des milliers d’étudiant·e·s, de professeur·e·s et de membres du personnel très occupé·e·s à réduire et à trier de manière réfléchie leurs déchets quotidiens sur le campus est un véritable défi » confie Shona Watt. Le site de McGill offre une base de connaissance sur le gaspillage qui permet d’apprendre les pratiques de séparation des déchets, et de mettre à l’épreuve ses capacités avec un test. On peut facilement se rendre compte, par nos propres erreurs, qu’il y a encore un fossé dans les connaissances. « Personne ne va sur le site web de McGill chaque fois qu’il a besoin de jeter quelque chose à la poubelle » soulève Michelle Maillet. McGill offre pourtant de nombreuses ressources d’apprentissage et de renseignement sur ses pratiques de tri de déchets. Shona Watt

mentionne le module étudiant de durabilité, un cours qui « inclut une étude de cas sur les déchets et une activité sur comment faire des choix réfléchis sur le rejet de ses déchets ». Ce module permet d’avoir des crédits extra-curriculum, qui peuvent être mis en avant sur le CV. Shona Watt mentionne également les ressources médiatiques mises en place par le Bureau de développement durable de McGill, dont l’application Ça va Où et le compte Instagram @sustainmcgill , qui publie dans ses stories à la une des conseils pour trier les différentes composantes des tasses de bubble tea , de café, de contenants de repas à emporter ou encore d’agrafes dans le papier.

Une communauté aussi diversifiée que celle de McGill peut également devenir un enjeu à la participation active de tous. « Les gens à McGill sont originaires de pleins d’endroits et de cultures

dans le monde, et ne savent pas nécessairement comment trier à Montréal », rappelle Michelle Maillet. « Il y a beaucoup de monde à McGill : est-ce que tout le monde se soucie des enjeux du zéro déchet, ou plus largement, de la durabilité? » questionne le Dr Grant Clark. « L’éducation est une grande partie de la solution, et la mise en application de règles aussi. McGill devra dépenser beaucoup de temps et d’argent pour motiver l’ensemble de sa communauté, investir dans ses établissements et poser des instructions claires. » Le professeur mentionne un des problèmes qui peut survenir lorsqu’on essaye de changer les habitudes de vie d’une communauté aussi large : « Des villes ont déjà mis en place des amendes aux ménages qui ne respectent pas les tris de poubelles. Comment savoir à McGill qui a fait quoi? » Il mentionne aussi qu’il serait idéal mais bien futuriste de reposer sur une technologie qui ouvre les poubelles en fonction du déchet scanné.

Des solutions pour s’engager

Michelle Maillet rappelle que le Fonds des projets durables (FPD) est accessible et disponible pour que les étudiant·e·s entreprennent des projets pour le campus, là où ils sentent qu’il manque d’alignement avec les

objectifs de durabilité. « Il y a des fonds qui sont disponibles pour faire bouger les choses, notamment le FPD qui pourrait financer des affiches plus claires au-dessus des poubelles. », ditelle. Le Fonds des projets de durabilité est un des plus grands fonds de son genre au Canada, estimé à un million de dollars. Financé au moyen de 55 cents par crédit par étudiant·e, il a permis le développement du projet Zéro Déchet 2035 dans les salles à manger de résidences à hauteur de 100 000$, transformant leurs formules pour des buffets « à volonté » et le nouveau projet de 400 000$ de gestion des déchets de laboratoires.

changer les produits utilisés. Si tous les contenants et ustensiles étaient compostables, il y aurait moins d’erreurs au moment du tri!  » s’engoue-t-il.

Une enquête difficile à mener

Un des objectifs du plan d’action 2020-2025 de la neutralité carbone 2040 est de renseigner la communauté et son gouvernement sur les pratiques responsables. Cependant, l’Université manque parfois de transparence sur les problèmes liés au développement de ses stratégies. Lors de son enquête sur la réalisation des objectifs de chacune des unités responsables, Le Délit s’est fait redirigé à de nombreuses

« Il y a des fonds qui sont disponibles pour faire bouger les choses, notamment le FPD qui pourrait financer des affiches plus claires au-dessus des poubelles »

- Michelle Maillet, conseillère d’orientation du Département de géographie

Le Dr Clark mentionne également qu’il est impératif d’uniformiser le type de matériaux des emballages distribués. « O n devrait regarder en amont dans la chaîne de consommation et

reprises. Le Département des bâtiments et terrains, responsable de la collecte des déchets, ainsi que le Service de logement étudiant et hôtellerie n’ont pas voulu se prononcer autrement que par le biais du Bureau du développement durable - et ce dernier a rassemblé des informations disponibles sur le site. Aucune réponse n’a été apportée à la question de comment les erreurs de contamination sont gérées par le Département des bâtiments et terrains.

L’Université est avant tout un espace où chacun·e peut trouver sa place pour essayer de construire son monde idéal, pour ensuite le traduire dans ses gestes du quotidien. Instaurer ces bonnes habitudes sur des jeunes adultes entraînera leur conscientisation pour la vie et « forgera » des acteurs qui dirigeront entreprises et municipalités. La mise en oeuvre de l’objectif zéro déchet peut être améliorée, notamment avec des affiches plus claires sur toutes les stations de poubelles et des modules obligatoires de test des connaissances sur le tri. Le Dr Clarke salue néanmoins les initiatives : « Bien qu’ils ne seront probablement pas respectés, les objectifs de 2035 ne sont pas inutiles. C’est important de se les fixer pour commencer quelque part ». Cela n’empêche pas l’Université de devoir montrer plus de transparence à sa communauté quant aux lacunes de ses avancements, et à la façon dont ses déchets sont triés au quotidien. x

Souffler : quand l’espoir renaît enfin

Trump, Biden et Harris nous en auront fait voir de toutes les couleurs.

En matière de politique américaine, les consensus se sont fait rares au cours des deux dernières décennies. En effet, depuis le début des années 2000, la société américaine s’est fortement polarisée. De plus, n’importe qui s’intéressant un tant soit peu à ce qui se passe chez nos voisins du sud vous dira que cet été a été long, rempli de surprises et de rebondissements. Cette période aura certainement été insoutenable pour nos pauvres nerfs. En quatre mois seulement, on a été témoin des spéculations entourant Biden et de son pénible déclin, qui a culminé lors de sa désastreuse prestation au débat présidentiel. On a aussi connu deux tentatives d’assassinat contre Trump et l’avènement de la messe républicaine qui voyait déjà son candidat à la Maison-Blanche. Dans le camp démocrate, c’est l’abandon à a course présidentielle de Biden, la formation de l’unité démocrate autour de Kamala Harris et enfin l’espoir qui s’est établi lors de la convention démocrate. Bref, on en a vu beaucoup. Beaucoup à analyser, beaucoup à traiter, beaucoup à démystifier.

Une année électorale rocambolesque

Comme on le dit trop souvent, nous vivons des moments historiques sans précédent.

partisane pour représenter son parti. Jamais une élection américaine s’est annoncée être si serrée.

Comme beaucoup, toutes ces nouvelles variables inconnues dans l’équation des présidentielles américaines m’ont fait peur. J’ai passé plus d’heures que j’aimerais admettre sur X à regarder les sondages, à analyser les mille et unes façon dont Harris pourrait atteindre le chiffre magique

voir dans quelle direction on s’en allait. Pourtant, quand j’y pense, c’est futile. Je ne suis pas Américain. Je ne pourrai pas voter. Je ne pourrai pas faire de dons à la campagne démocrate.

Comme beaucoup des lecteurs du Délit , la seule chose que je puisse faire, c’est prendre une grande inspiration et attendre. Attendre. Par contre, la seule idée de revoir Trump à la tête de l’appareil américain me rend malade et je ne peux m’y résoudre. Et là, quelque chose de concret est arrivé ; le débat du 10 septembre. On y a découvert une nouvelle dynamique, une nouvelle candidate; bref, une toute nouvelle campagne. On rebrasse les cartes et on recommence à zéro.

Un débat réconfortant

Et moi je vous répondrais que ce que j’affirme ici, je tente de le dire au-delà de mon biais définitivement pro-démocrate. Je le dis parce que je tente de me mettre dans la peau d’un républicain et tout ce que je

comprend que Harris a réussi à faire ce qu’elle avait à faire : elle est arrivée sur la scène en possession de ses moyens, lumineuse, ferme et préparée. Trump, lui, paraissait vieux, aigri et faible. Mais surtout, il n’a pas offert un spectacle drôle et original comme sa base en attendait de lui. Non, il était simplement ennuyeux et revanchard. Je pourrais vous dire toutes les choses folles qu’il s’est permis de dire, mais je m’y refuse. Je refuse de faire le messager, de continuer à lui donner de l’attention. Tout ce que je veux retenir de ce débat c’est que j’ai soufflé. Pas pour longtemps, juste un petit souffle ; mais tout de même un souffle de soulagement, d’encouragement pour ce qu’il y à venir.

En somme, le 5 novembre demeure encore loin aujourd’hui. Beaucoup de choses risquent de se passer d’ici là. Comme cet été nous l’aura appris, rien ne peut être tenu pour acquis. Si Harris veut gagner les clés de la Maison Blanche, elle devra travailler fort, elle devra bûcher, aller là

« Après 90 longues minutes, pour la première fois depuis le début de l’été, j’ai soufflé. J’ai soufflé parce que Harris a été formidable et Trump, lui, a été pitoyable » « Jamais auparavant un délinquant criminel, maintes fois poursuivi en justice, n’avait obtenu la nomination de son parti. Jamais auparavant une femme de couleur n’avait été sélectionnée par la base partisane pour représenter les couleurs du parti. Jamais une élection américaine s’est annoncée être si serrée »

Jamais auparavant un président en fonction n’avait décidé de se désister si tard dans le processus électoral. Jamais auparavant un délinquant criminel, maintes fois poursuivi en justice, n’avait obtenu la nomination de son parti. Jamais auparavant une femme de couleur n’avait été sélectionnée par la base

de 270 grands électeurs (le nombre requis pour gagner la présidence) le 5 novembre prochain et à écouter les rallyes des deux candidats. Pour moi, toute bribe d’information, tous les détails étaient importants et devaient être analysés. Ils me permettaient de prendre le pouls du peuple américain, de

J’ai écouté le débat avec mes deux meilleures amies à la soirée organisée par Democrats at McGill. J’avais le cœur serré et j’étais dans l’appréhension la plus totale. Un verre à la main, puis deux, pour calmer mon esprit, j’ai tout regardé. Le laid comme le plus beau. Après 90 longues minutes, pour la première fois depuis le début de l’été, j’ai soufflé. J’ai soufflé parce que Harris a été formidable et Trump, lui, a été pitoyable.

Bon, bon, bon... Je vous vois venir, me dire que je suis un maudit vendu, que je dirais n’importe quoi qui est dans le meilleur intérêt de Harris…

vois, c’est que Trump est mal paru. Ce n’est un secret pour personne, nous avons des attentes différentes pour les deux candidats. Pour Harris, on s’attend à ce qu’elle soit forte, qu’elle soit préparée, qu’elle soit intelligente, mais pas trop (elle ne doit pas faire comme Hillary Clinton), qu’elle soit souriante et qu’elle articule ses idées autour de projets rassembleurs pour faire avancer la démocratie américaine. Pour Trump, on veut qu’il soit un homme fort, on veut qu’il dise des petites folleries qui nous feront rire, qu’il dénonce le statu quo, qu’il nous fasse sortir du « vieux » modèle politique.

Donc, quand on y pense, toute la pression était sur les épaules de la vice-présidente. Elle qui est moins connue que son adversaire devait prouver beaucoup plus à l’électorat que Trump. Dans cet esprit, on

où les démocrates ne sont pas allés depuis longtemps, visiter les sept états pivots (Caroline du Nord, Pennsylvanie, Michigan, Wisconsin, Géorgie, Arizona et le Névada), montrer sa vision et serrer le plus de mains possible pour former la plus grande coalition possible. Trump, lui, s’il veut gagner, il devrait se taire un peu et se concentrer sur les faiblesses démocrates comme la frontière sud et l’économie chancelante, héritage de Biden, mais je crains pour lui que ce ne soit pas dans sa nature. Bien que je ne connaisse pas l’issue du 5 novembre, je me permets d’être résilient et quelque peu optimiste pour les chances de Kamala Harris. Elle n’est ni parfaite, ni ma politicienne favorite, mais elle n’est pas Donald Trump. Pour moi, c’est tout ce qui me faut. Juste assez pour souffler. x ELLIOTT GEORGE GRONDIN Contributeur

EILEEN DAVIDSON | le dÉlit

environnement

environnement@delitfrancais.com

Semaine nationale de l’arbre et des forêts

L’approche du double regard.

listique des Premières Nations face à l’environnement.

Du 22 au 28 septembre a lieu la Semaine nationale de l’arbre et des forêts (SNAF) dont l’objectif est de sensibiliser le public à la protection des forêts et de l’industrie forestière. Organisée par l’Institut forestier du Canada (IFC), qui prône « la confiance et la fierté à l’égard de la foresterie canadienne », plusieurs activités à travers le pays sont mises sur pied, notamment sur les défis climatiques, l’éducation forestière et la conservation, et ce, avec l’intégration du « savoir autochtone. » Le thème de cette année est « L’approche du double regard : accueillir tous les savoirs pour préserver nos forêts. » Comme l’IFC le met de l’avant, cette démarche s’inscrit dans une volonté de combiner savoirs traditionnels autochtones et savoir occidental afin de « favoriser l’innovation économique et d’atténuer les défis climatiques en constante évolution […] et de s’y adapter. »

Un des regards adopté cette semaine est celui des Premières Nations, particulièrement touchées par les feux de forêts. Leur population représente 5% de la population canadienne, mais 80% d’entre eux·elles sont situé·e·s dans des zones à risque de feux de forêt selon le gouvernement du Canada. Les communautés autochtones du territoire Secwépemc, dont le mode de vie dépend de leur environnement, souhaitent préserver et restaurer les écosystèmes de leur région. Voyant les compagnies de l’industrie forestière replanter des sapins et des épinettes noires, elles expliquent que simplement planter des arbres ne restaure pas la diversité de la forêt. Angela Kane, présidente-directrice générale de la Société de restauration et d’intendance des Secwepemcúl’ecw (Secwepemcúl’ecw Restoration and Stewardship Society), dit que sa communauté a besoin d’infrastructures de culture et d’entreposage de semences, ainsi que leur propre pépinière dans une perspective d’autosuffisance. Elle espère ainsi recréer des écosystèmes complexes : « Nous voulons créer notre propre programme de collecte afin de pouvoir récolter nos propres graines spécifiques à la région et à nos communautés. »

L’expérience de restauration des forêts par les communautés Secwépemc illustre le savoir ho-

Wabigoon. En plus d’un épisode de déversement dans les années 60, la

L’approche du double regard mise à l’épreuve

Bien que la SNAF tente de sensibiliser autant à la protection des forêts qu’à leur exploitation durable, des enjeux éthiques peuvent survenir. En effet, les intérêts des communautés autochtones et des compagnies de l’industrie forestière se sont opposés à plusieurs reprises, et les commanditaires de l’événement sont impliqués dans ces conflits. Par exemple, la majorité des commanditaires sont des compagnies de pâtes et papiers et de produits forestiers, dont Millar Western, Tolko, Résolu, Canfor et Dryden Fibre Canada. Alors que l’IFC souhaite sensibiliser le public sur la richesse de nos forêts canadiennes lors de cet événement, ses actes ne sont pas toujours cohérents. La Dryden Fibre Canada, pour n’en nommer qu’une, a, en mai dernier, été décriée dans les médias par la Première Nation Grassy Narrows pour la contamination de la rivière

communauté autochtone accuse l’entreprise de continuer de rejeter à ce jour des résidus chimiques, dont du méthylmercure. La concentration élevée de mercure dans l’eau affecte particulièrement la santé physique et mentale des membres de cette nation autochtone et augmente les cas de maladies chroniques, de diabète et de troubles neuropsychologiques.

Ainsi, tandis que les compagnies forestières sont motivées par des objectifs économiques, les Premières Nations, comme celle de Grassy Narrows, cherchent à maintenir la santé de leur environnement et de leur communauté. Ces dernières ont une vision plus holistique de la forêt qui est pour eux un lieu d’habitation, de chasse et de cueillette. Comme l’explique Angela Kane, les feux de forêt n’ont pas seulement privé les autochtones d’une ressource matérielle, mais de leur mode de vie : « Ça a été un moment vraiment traumatisant. Voir les panaches de fumée se

rapprocher de jour en jour, entendre les hélicoptères jour et nuit, c’était presque comme vivre en temps de guerre. [...] C’est une expérience dévastatrice. Certain·e·s membres de notre communauté ont perdu leur maison, d’autres leur mode de vie. »

C’est avec cette vision que les communautés Secwépemc ont restauré un territoire de forêts ravagées par l’incendie d’Elephant Hill près de Kamloops en Colombie-Britannique en 2017.

Avant de s’intéresser aux différentes perspectives et à différents moyens de répondre aux feux de forêts, il est pertinent de faire un bref état des lieux à la fin de cette saison estivale.

Retour sur l’état des forêts canadiennes après l’été 2024

La couverture de plusieurs médias ainsi que les données de Ressources naturelles Canada soulignent que les feux de forêt de l’été 2024 ont définitivement ravagé moins de surface au pays que l’an passé, qui avait été une saison hors du commun (17,9 millions d’hectares de forêts brulés en 2023 contre 5,1 millions d’hectares en 2024).

Cependant, la saison 2023 reste toujours bien au-dessus des moyennes des dernières décennies et les incendies ont été répartis différemment.

Bien que le Québec et l’Ontario aient été épargnés en raison des fortes pluies en lien avec les tempêtes tropicales Béryl et Debby, plusieurs feux majeurs ont été enregistrés dans l’est et dans l’ouest du pays, ce

préoccupante. Face à cette réalité, la SNAF organise un atelier le 25 septembre prochain, abordant comment les changements climatiques affectent nos forêts.

Explorer les récentes innovations

Lors de la SNAF, une étude présentée par des chercheurs de Concordia est en cours pour utiliser l’intelligence artificielle dans la lutte contre les feux de forêt. Il reste plusieurs tests à faire avant que cet outil ne soit utilisé par la Société de protection des forêts contre le feu au Québec (SOPFEU). Néanmoins, il semble prometteur pour la détection préventive des feux via un système complètement automatisé de drones, de réseaux neuronaux (donc un module d’intelligence artificielle apprenant par luimême) et de traitements d’images. You Zhang, l’un des auteurs et professeur au Département de génie mécanique, industriel et aérospatial de Concordia, croit que cette avancée pourrait détecter plus rapidement les feux, et donc aider au contrôle de ceux-ci.

Finalement, il est intéressant d’aller au-delà de l’appréciation d’un événement de sensibilisation comme celui-ci et de voir les enjeux qui sont et vont devenir plus importants pour notre société. En s’éloignant de cette lecture de la forêt comme ressource économique et des intérêts des entreprises, plusieurs incertitudes planent toujours quant à l’avenir de nos forêts et de notre

« Les intérêts des communautés autochtones et des compagnies de l’industrie forestière se sont opposés à plusieurs reprises, et les commanditaires de l’événement sont impliqués dans ces conflits »

qui a peut-être donné l’impression d’un radoucissement au Québec. Les feux qui ont dévasté la ville de Jasper, en Alberta, en juillet dernier, ont été contrôlés après quatre semaines de propagation et après avoir brûlé le tiers de la municipalité, obligeant l’évacuation de 25 000 personnes dont 5 000 résidents. Les changements climatiques ont augmenté les risques de feux de forêts dans les dernières années et ce phénomène est maintenant une réalité

réponse face aux changements climatiques. Ce que ce double regard peut potentiellement amener dans la réflexion, c’est en partie l’inclusion des Premières Nations, surreprésentées dans les zones à risques. Cette semaine est aussi une opportunité d’apprendre des savoirs autochtones et ce, non seulement pour la replantation d’arbres, mais pour la restauration des écosystèmes de nos forêts. x

environnement

Margaux thomas | Le Délit
sabrina denis Contributrice

Une journée au campus Macdonald

À la découverte d’une ferme aux multiples visages.

adÈle doat

juliette elie

Éditrices Environnement

D’où provient la viande que l’on achète en épicerie? Comment a-t-elle été produite? Longtemps chasseurcueilleur, l’Homme a toujours su trouver sa nourriture dans la nature par lui-même et ce n’est que récemment qu’il a commencé à se poser ces questions.

Aujourd’hui, la majorité de la population est totalement déconnectée du processus de production alimentaire et se nourrit de ce qu’elle trouve en magasin, se fiant uniquement aux étiquettes sur la composition et provenance des produits. Parfois, le consommateur décide d’acheter du bio et se sent écolo sans savoir réellement si l’étiquette ne cache pas une réalité moins verte. Finalement, seuls les acteurs du système agroalimentaire connaissent les dessous de la production. Or, il est essentiel de savoir ce que l’on mange au quotidien, car cela impacte à la fois notre santé et l’environnement.

Afin de mieux comprendre l’origine des aliments qui se retrouvent dans notre assiette tout comme celles des cantines de McGill, nous nous sommes rendues à la ferme du campus Macdonald. Cette escapade d’une matinée nous a offert une bouffée d’air dans notre quotidien éreintant d’étudiantescitadines. Parfois, il suffit d’un retour à la terre pour se rafraîchir la tête et s’échapper de notre monde de béton.

Loin de la ville

Le campus Macdonald se situe à l’extrémité Sud-Ouest de l’île de Montréal, dans la ville de SainteAnne-de-Bellevue, à 32 kilomètres du campus du centre-ville. Pour s’y rendre, il est possible de prendre la navette gratuite offerte par McGill dont on peut retrouver les horaires sur le site de transport de McGill.

Nous nous retrouvons devant le bâtiment Sherbrooke 680 d’où part la navette pour rejoindre le campus Macdonald. Le trajet jusqu’au campus Macdonald ne dure qu’une trentaine de minutes. Peu de temps après notre arrivée, nous voilà déjà apaisées par la quiétude qui règne sur le campus délocalisé. À quelques dizaines de mètres du fleuve Saint-Laurent, les étudiants étudient dans l’herbe qui s’étend à perte vue. Ici, l’environnement est dans toutes les consciences. Après avoir vagabondé entre les bâtiments de cours, nous gagnons

la campagne et les champs. Nous finissons par distinguer la ferme Macdonald, plus facilement accessible en voiture qu’à pied. L’odeur de fumier pénètre nos narines : pas de doute, nous sommes au bon endroit.

techniciens qui s’occupent du troupeau et de l’entretien de l’étable.

Une fois à l’intérieur, Aynsley nous prévient que la prise de photos nécessite une autorisation des Comités du soin des animaux des

Au cœur de la ferme laitière

Poursuivant notre route, nous arrivons au complexe d’élevage laitier, où nous apercevons à travers la grille de l’étable une employée en train de s’occuper des vaches. Celle-ci nous invite à la rejoindre pour nous faire visiter le complexe et, au passage, répondre à nos questions. Nous enfilons des couvre-chaussures en plastique, « pour des raisons

installations (Facility Animal Care Committees). Dans les étables, il est difficile de s’entendre entre le bruit des machines et des animaux. Nous sommes arrivées tout juste au moment où les vaches venaient de rentrer après leur exercice extérieur quotidien. L’équipe était en plein ménage : « Elles sortent généralement pendant deux heures dans l’après-midi, après avoir été nourries et traites », nous explique Aynsley. Elle nous décrit les sortes de vaches dans l’étable : « Comme

Caressant la vache en question, Aynsley poursuit : « Elles sont toutes très amicales parce que nous les touchons tout le temps. Elles sont vraiment habituées aux humains. Nous les éduquons pour qu’elles soient gentilles, car nous avons des étudiants qui travaillent ici et nous ne voulons pas qu’ils se blessent. »

La ferme laitière du campus

Macdonald sert avant tout à la recherche et à l’éducation. Certains étudiants rendent visite aux vaches dans le cadre de leur cours : « Les étudiants du programme de santé animale viennent travailler avec elles pour apprendre [ entre autres , ndlr] à prendre leur température. Tous les cours de biologie animale comportent généralement une visite de l’installation laitière. Il y a un programme de Gestion et technologies d’entreprise agricole, qui y est présent en permanence. »

Un des projets de recherche en cours à la ferme laitière est guidé par la professeure Elsa Vasseur, et porte sur le bien-être des animaux et la recherche comportementale. Aynsley nous explique que la ferme du campus utilise ce qu’on appelle une installation de stalles à attaches : « C’est une vieille école dans le sens où les animaux sont attachés à une stalle, mais c’est [l’installation, ndlr ] que l’on trouve le plus au Canada et au Québec. Je pense que le monde évolue vers un environnement libre où les animaux ne sont pas attachés, où ils ont une aire de repas et une aire de couchage, et ils ont plus d’autonomie, mais ils ne sortent pas à l’extérieur. » La professeure Vasseur s’intéresse à améliorer le bien-être des vaches dans l’étable du campus. Son équipe et elle font des tests de personnalité sur les animaux. Aynsley nous pointe un système de cordes et poulies attachées au plafond de l’étable : « Toutes ces lignes servent à attacher

« Je pense que ce qui m’enthousiasme le plus dans mon travail, c’est de voir à quel point les consommateurs ont du pouvoir et à quel point des changements positifs se profilent à l’horizon »

de biosécurité et pour garder les chaussures propres ( tdlr ) », nous explique Aynsley Merk, technicienne animalière pour le troupeau laitier de recherche de l’Université McGill. Aynsley fait partie d’une équipe de cinq

vous pouvez le voir, nous avons des vaches laitières de différentes races. La plupart d’entre elles sont des vaches noires et blanches. Ce sont des Holstein. Nous avons aussi des vaches brunes appelées Jersey et celle-ci est une Suisse brune. »

différents objets, que nous plaçons devant [les vaches, ndlr] et nous filmons ce qu’elles font. »

En plus d’être une ferme de recherche et d’éducation, elle vend le lait produit à des fins commerciales : « [Les vaches, ndlr] sont traites deux fois par jour. Au Canada, tout est acheminé au même endroit, mélangé au lait de toutes les autres fermes, et les produits sont ensuite distribués. Chaque fois que vous mangez du fromage OKA ou du Québon, il se peut que cela vienne d’ici. » Aynsley nous fait entrer dans une autre pièce dans laquelle se trouvent les veaux : « Si nous gardions tous les bébés, nous ne pourrions pas fonctionner. C’est pourquoi nous élevons un certain pourcentage de notre troupeau pour en faire de la viande de bœuf. »

Aucun doute, Aynsley aime son quotidien. Elle connaît chaque vache par son nom (Starburst, Bahamas, Abba, etc.), et peut même distinguer leurs personnalités : « Elles sont toutes totalement différentes. Et nous avons tous nos préférées. » Son travail a eu beaucoup de conséquences sur sa vie, notamment sur son alimentation : « Ce que je préfère raconter aux gens, c’est que j’ai été végétarienne pendant la majeure partie de ma vie, parce que je me suis toujours sentie inconfortable par rapport à l’agriculture animale. J’ai eu l’occasion d’assister à des conférences et de parler à de vrais producteurs affiliés à des universités. Et ce que l’on constate surtout, c’est qu’ils aiment leurs animaux. Je me sens beaucoup mieux à l’idée de manger des produits d’origine animale aujourd’hui parce que je vois qu’on s’occupe d’eux. Il ne s’agit pas d’une culture d’abus, du moins pour les produits laitiers et le bœuf. » Elle ajoute : « Je pense que ce qui m’enthousiasme le plus dans mon travail, c’est de voir à quel point les consommateurs ont du pouvoir et à quel point des changements positifs se profilent à l’horizon. »

Un autre projet de recherche en cours est celui du professeur Raj Duggavathi. « Ses étudiants au doctorat s’intéressent généralement à la physiologie de la reproduction, plus précisément aux cycles œstraux et à la présence de marqueurs dans le sang et le lait. » Les éleveurs de vaches laitières tendent à se débarrasser des vaches qui ne tombent plus enceintes, car elles ne produisent plus autant de lait. « Nous aimerions donc que nos vaches vivent longtemps, la longévité est donc l’un de nos principaux objectifs », nous explique Aynsley. « L’espérance de vie moyenne d’une vache laitière dans l’industrie, dans les grandes exploitations au Canada, est de cinq ans », selon la technicienne, « La vache la plus âgée que nous ayons jamais eue ici avait 18 ans, et elle était vieille! »

adÈle doat | le dÉlit

Aynsley témoigne de l’influence des changements de mentalité sur l’industrie : « En effet, lorsque les laits alternatifs sont apparus, comme le lait d’amande et le lait d’avoine, l’industrie laitière a commencé à changer. Elle se demandait comment faire pour que les gens se sentent à nouveau à l’aise en buvant du lait. C’est ainsi que l’on voit apparaître ces éléments dans le code de bonnes pratiques ou dans diverses lignes directrices auxquelles tous les agriculteurs doivent se conformer. On assiste à de grands changements dans le domaine du bien-être animal. Par exemple, plus personne ne pourra construire d’étables avec des stalles à attaches. De notre côté, nous attendons une nouvelle étable, mais McGill, comme vous le savez, traverse un peu une période difficile… »

L’agriculture régénératrice

Aynsley souhaite nous faire rencontrer Janice Pierson, la responsable de la ferme, mais elle est absente de son bureau. Alors que tous les employés cherchent à la contacter pour qu’elle puisse nous recevoir, en vain, nous nous résignons à lui envoyer un courriel et poursuivons notre visite. Nous nous dirigions vers le Mac Market, ouvert de juillet à novembre, qui vend des fruits et légumes de saison produits sur le campus Macdonald quand, soudain, une voiture nous arrête. Il s’agit du professeur Raj Duggavathi, dont nous avait parlé Aynsley. Il ar -

y a dix ans. Grâce à cette initiative, chaque année, 25 000 kg de fruits et légumes produits par le centre de recherche d’horticulture remplissent les cuisines des cafétérias de McGill.

La ferme cherche à développer une agriculture plus durable. Cela ne veut pas dire pour autant

cendent jusqu’en bas parce qu’un jour, j’espère que les vaches iront paître là sans avoir à traverser de route. »

Dans sa vision de l’avenir, les pesticides occupent une place moindre. « L’objectif, c’est d’utiliser moins de produits chimiques. Cela ne signifie pas que nous n’en

qu’elle va devenir une ferme biologique. Janice explique : «  On parle beaucoup du bio comme étant bon pour la santé, mais il y

utilisons pas, mais que nous en utilisons beaucoup moins et que nous adoptons des pratiques plus responsables. Par exemple, nous

« Nous devons apprendre à faire de l’agriculture un peu mieux et un peu plus doucement et à travailler avec l’environnement »

rive à temps pour nous prévenir que Janice est de retour. La nouvelle de notre visite surprise a donc vite fait le tour du campus.

Janice ne tarde pas à nous rattraper et nous faisons sa connaissance. « J’ai obtenu mon diplôme en 2000 au campus Macdonald et je suis revenue 23 ans plus tard pour devenir cheffe d’exploitation. Et je ne viens pas d’une ferme. Je viens de la jungle de béton de Toronto! », explique-t-elle. Janice a décidé de consacrer sa vie à la ferme et à ses animaux. Fièrement, elle nous décrit son lieu de travail d’une superficie de 250 hectares de terre qui ne comprend pas que la ferme laitière mais aussi le centre d’horticulture, ou encore l’unité de volaille.

Janice met en avant le rôle de la ferme Macdonald dans le projet McGill Feeding McGill , lancé il

a des choses bio qui, sur le plan de l’environnement, ne sont pas toujours les meilleures. Par exemple, c’est le cas pour le travail du sol.

Dès que l’on commence à labourer un champ, on libère beaucoup de CO 2 . Nous, nous pratiquons l’agriculture sans labour. » Ce qu’ils ont décidé de faire plutôt que de mettre en place une agriculture biologique, c’est de développer l’agriculture régénératrice. Cette méthode vise à préserver la qualité des sols en adoptant des pratiques de culture et d’élevage plus raisonnées, notamment en favorisant la biodiversité dans les sols pour augmenter leur teneur en matière organique. Selon Janice, cela « ouvre de nombreuses possibilités ». Elle a un plan très précis en tête pour le futur de sa ferme : « Dans nos champs, j’aimerais que les andains [ alignement de foin , ndlr] des -

dehors si elles n’ont pas d’ombre et qu’il fait 30 degrés Celsius . »

Avant de continuer : «  Elles sont heureuses à l’extérieur si les conditions sont bonnes. Si vous

plantons des cultures de couverture. Elles ont non seulement un impact sur la population de mauvaises herbes, mais aussi sur la qualité du sol et sur la réduction de notre impact sur l’environnement. » Si beaucoup d’agriculteurs ont gardé leurs habitudes traditionnelles héritées de génération en génération, qui se traduisent souvent en l’élimination des obstacles à la culture au détriment de l’environnement, Janice est persuadée qu’il est temps de changer de mentalité : « Nous devons apprendre à faire de l’agriculture un peu mieux et un peu plus doucement et à travailler avec l’environnement . » D’autant plus que l’activité de la ferme Macdonald subit de plein fouet le réchauffement climatique et doit s’y adapter. La chaleur impacte à la fois les cultures mais aussi l’élevage. « Nous ne pouvons pas laisser les vaches

qu’il s’agit de notre première visite. L’atmosphère est chaleureuse, la générosité des gens ne cesse de nous impressionner. Il est temps de terminer cette matinée

« Toutes les personnes que nous avons interrogées ont mentionné le manque d’attention et de visibilité donné à la ferme du campus Macdonald. Les projets de nouvelles infrastructures ne semblent pas être la priorité de McGill »

les mettez dehors quand il fait chaud et qu’elles ont l’occasion de retourner dans l’étable, où il y a de la ventilation et où elles peuvent s’allonger, il y a de fortes chances qu’elles se présentent à la porte et qu’elles veuillent retourner dans l’étable.  »

Un manque de visibilité

Janice prévient Laura Caralampides, gestionnaire du Centre de recherche horticole, de notre arrivée imminente, et notre exploration du campus Macdonald se poursuit. Laura est trop occupée pour discuter avec nous mais nous accorde le droit de

enrichissante avec un pique-nique bien mérité sur la pelouse du McEwen Field

Toutes les personnes que nous avons interrogées ont mentionné le manque d’attention et de visibilité donné à la ferme du campus Macdonald. Les projets de nouvelles infrastructures ne semblent pas être la priorité de McGill.

Ce qu’on en conclut, c’est que le campus Macdonald gagne absolument à être visité. Cet endroit vert et accueillant regorge de gens tous plus généreux les uns que les autres. Le futur de la lutte contre les changements climatiques réside dans la

visiter les serres, qui font partie du programme McGill Feeding McGill. Nous nous dirigeons ensuite vers le Mac Market, où nous sommes accueillies chaleureusement : la caissière nous offre gratuitement un sac en papier rempli des légumes et fruits de notre choix, simplement parce

recherche scientifique qui permet des projets innovants, exactement ce à quoi se dévouent les professeur·e·s, étudiant·e·s et employé·e·s du campus Macdonald.

Merci à Aynsley Merk, Janice Pierson, et à tous·tes celles et ceux qui nous ont guidées x

adÈle doat | Le dÉlit
Janice Pierson, responsable de la ferme
juliette elie | Le dÉlit

culture

artsculture@delitfrancais.com entrevue

Olivia Leblanc : profil d’une directrice artistique de renom

En conversation avec la visionnaire derrière les couvertures de Elle Canada et Elle Québec.

HARANTXA JEAN

Édirice Culture

ll me faut plus d’un mois pour obtenir un rendez-vous avec Olivia Leblanc. La date que nous avions fixée à la fin de l’été est maintes fois repoussée : entre ses vacances, son engagement sur le plateau de ELLE, et les demandes de dernière minute de ses clients, ses disponibilités se font rares. Nous sommes maintenant en automne, la Semaine de la Mode de Montréal battant son plein, et ma date limite pour rendre cet article approche à grands pas. Pourtant, je reste déterminée : je veux un tête-à-tête avec l’une des directrices artistiques les plus sollicitées au Canada. « Ce sont des gens comme toi dont on a besoin dans l’industrie », me dit-elle, en pointant ma ténacité. « Quand tu sais ce que tu veux, tu dois persister. Tu ne peux pas baisser les bras dès les premières difficultés. »

Son ton est ferme, mais encourageant, et je ne peux m’empêcher de penser qu’elle délivre ce conseil autant à moi qu’à la jeune Olivia de 18 ans, sur le point de plonger dans le monde de la mode. Occupant aujourd’hui le rôle de directrice artistique, non seulement dans ses

« Quand tu sais ce que tu veux, tu dois persister. Tu ne peux pas baisser les bras dès les premières difficultés. »

- Olivia Leblanc

nombreuses collaborations avec ELLE Québec et ELLE Canada, mais aussi en travaillant avec des marques primées comme Reitmans et Joe Fresh ; Leblanc évolue dans cet univers depuis plus de vingt ans. Parmi les vedettes hollywoodiennes avec qui elle a collaboré figurent Catherine O’Hara (Beetlejuice, 1988, 2024), Barbie Ferreira (Euphoria, 2019), et Maitreyi Ramakrishnan (Mes premières fois, 2020) : autant dire que j’échange avec une experte.

Assises à l’extérieur d’un café du Mile End, le soleil éclaire notre table, accentuant la légèreté inat-

Margaux Thomas | le dÉlit

tendue de notre conversation. Si son horaire chargé correspond au stéréotype du monde frénétique de la mode, toute appréhension de l’attitude condescendante que l’on attribue aux grands de ce milieu s’estompe dès notre première interaction. Ce n’est pas le Diable s’habill[ant] en Prada (2006) qui se présente à moi, mais une femme bienveillante et intuitive, au style sobre rehaussé par des Ray-Ban fumées qui se posent élégamment sur son nez. Dans un univers où semblent régner les paillettes et la perfection, Olivia est bien consciente des revers moins élégants qui s’y dissimulent et de la résilience indispensable pour y naviguer.

« Le métier que je fais en ce moment, en tant que directrice artistique, je n’aurais jamais pu l’exercer à mes débuts », explique-t-elle, en ajustant les mèches d’or posées sur ses épaules. « Ce sont toutes les années passées en tant que styliste qui m’ont menée jusqu’ici. » En effet, c’est au terme d’une quinzaine d’années en stylisme qu’Olivia Leblanc s’établit en tant que directrice artistique. Le stylisme, m’expliquet-elle, c’est l’art d’imaginer le look d’un modèle, alors que la direction artistique élève cette vision à un niveau supérieur en orchestrant l’esthétique d’une campagne toute entière. « C’est comme une recette »,

ajoute-elle. « Tous tes ingrédients — le choix des mannequins, la lumière, les couleurs — doivent s’harmoniser pour que la préparation soit parfaite, que le gâteau lève et que ce soit un succès. » Ce rôle exige donc une maîtrise aiguë de la gestion de productions de grande envergure.

Mais l’esprit entrepreneurial d’Olivia Leblanc ne date pas d’hier. Son emploi à l’ancienne boutique Maximum sur le Plateau de Montréal, à l’âge de 18 ans, s’avère être un tremplin pour sa carrière. Elle se retrouve gérante seulement deux semaines après son embauche, puis, peu après, acheteuse. « Je pense que ma formation de styliste a véritablement commencé là-bas », raconte-t-elle.

« À l’époque, les stylistes n’étaient pas très nombreux. J’habillais des personnalités comme Louise Deschâtelets, ce qui s’est avéré être une formation incroyable. J’ai appris à cerner les goûts des clients, à savoir les guider dans leurs choix sans jamais les brusquer. » Elle ajoute que son expérience en tant qu’acheteuse lui a aussi ouvert les yeux sur le fonctionnement de l’industrie : « Il fallait connaître son public, savoir qui fréquentait la boutique et ce qu’il fallait leur offrir. Ce fut extrêmement formateur. J’ai adoré cette expérience. Je suis très

chanceuse d’avoir fait mes débuts à cet endroit et d’avoir eu de la chance rapidement, mais cela ne serait pas arrivé sans mon travail acharné. »

Olivia insiste sur le fait que la chance est une opportunité que l’on se crée, et non de la simple sérendipité. Elle se remémore sa vingtaine, se décrivant comme une jeune femme dotée d’une personnalité forte, n’hésitant pas à aller à la rencontre des designers qu’elle admirait après leurs défilés pour consolider son réseau. En imaginant cette Olivia plus jeune, on comprend mieux la clé de son succès. « Les clients m’appréciaient, et mon patron a rapidement remarqué cela. Il m’a promue stratégiquement, convaincu que je méritais une meilleure position. Tout s’est aligné à ce moment-là. », continue-t-elle, à propos de son ascension à Maximum.

C’est d’ailleurs en apprenant à gérer les rouages derrière les projecteurs qu’Olivia ressent le désir de devenir designer. « J’ai décidé d’aller me former à l’école en design de mode, mais j’ai vite observé que c’était un métier très solitaire », explique-t-elle. C’est ainsi qu’elle comprend que sa motivation réside dans le travail d’équipe, un aspect fondamental qu’elle a toujours envié au médium cinématographique, une autre de ses passions.

Sans le savoir, ces doutes corroborent ceux de ses mentors. La créatrice mentionne que malgré ses prouesses académiques, ses professeurs ont découragé son ambition, en lui affirmant qu’elle ne serait « jamais » designer de mode. En l’interrogeant sur ce manque de reconnaissance, j’attends une réponse croustillante, mais elle me surprend par sa sagesse : « Je pense que les professeurs avaient raison », me confie-t-elle, tandis que mes sourcils se soulèvent d’étonnement.

« Parmi les vedettes hollywoodiennes avec qui elle a collaboré figurent Catherine O’Hara, Barbie Ferreira, et Maitreyi Ramakrishnan : autant dire que j’échange avec une experte. »

« Oui ! Parce que ce n’était pas ma passion, le design. Ma passion, c’était tout ce qui entourait la mode, et c’est pour cette raison que je suis devenue styliste. Ce que mes professeurs m’ont dit, au fond, c’était : « Tu es talentueuse, tu feras quelque chose dans ce milieu, on ne sait pas encore quoi, mais tu ne seras pas designer.» À l’époque, pour moi, c’était une défaite. Mais le temps est tellement important. Le temps fait tout. J’ai fini par constater qu’ils avaient raison. »

La vie, selon l’experte du style, est une symphonie entre contrôle et lâcher-prise. Ses plus grands succès sont nés de moments où elle a dû se fier à son instinct, et trouver des solutions dans l’urgence. « Après seulement un an, j’ai quitté l’école de design, et mes parents s’étaient alarmés parce que j’avais dépensé une fortune pour suivre cette formation. Ils ne comprenaient pas trop ma décision. » Elle poursuit, une lueur animant son regard : « Et la même semaine, j’ai reçu un appel d’ Elle Québec pour devenir assistante-styliste. »

ENTREVUE

À ce moment-là, je me suis dit, ‘‘c’est un signe, c’est sûr.’’ »

Olivia s’arrête entre deux bouchées de son toast et me demande de lui parler de moi. Je lui confie que je poursuis des études en développement international, mais que mes passions pour la mode, l’art et le cinéma ne me quittent jamais. « Avec des cours obligatoires comme l’économie, c’était ardu durant ma première année », lui disje. « J’étais déchirée entre mes intérêts artistiques et diplomatiques, car mes cours n’étaient pas aussi créatifs que ce que j’avais pu faire en Arts, Lettres et Communications au CÉGEP. » Elle hoche la tête, assimilant à ce dilemme sa propre fille et ses difficultés à concilier ses passions polymorphes : « J’ai une fille de 14 ans qui est au secondaire, et j’ai l’impression de l’entendre », me dit-elle.

Je poursuis en lui expliquant comment je m’efforce de balancer toutes ces facettes de ma vie et que ce mélange porte ses fruits : l’actrice Zendaya a « liké » mon dernier projet mode en avril dernier. « Wow! C’est une grande tape dans le dos en début de carrière! » affirme-t-elle, sa passion pour le parcours des étudiants résonnant dans ses mots. « En ce moment, tu es en train de tracer ton chemin. La vie t’oriente vers

MODE

plusieurs directions, et c’est super. Moi aussi, j’étais, et je reste une personne multi-passionnée. » Effectivement, lorsqu’elle répondit au fameux appel d’ Elle Québec , elle se retrouva quelques jours plus tard sur un plateau de tournage, la combinaison ultime de toutes ses passions : « Être en équipe, rencontrer des gens talentueux... Cela rassemblait ma passion pour le cinéma, être derrière la caméra, et la mode. Il y avait une forme d’effervescence : les abeilles butinaient. »

La créatrice utilise l’analogie des abeilles sur un plateau, chacune détenant son rôle afin d’atteindre un but commun : produire du miel. Sur le plateau, tous bourdonnent avec une énergie collective. C’est au sein de cet environnement dynamique qu’Olivia voit sa carrière décoller. Rapidement, elle se fait un nom dans le secteur, se démarquant à travers diverses sphères : télévision, stylisme de célébrités, publicité, et bien plus encore.

Cependant, il ne faut pas oublier que les abeilles peuvent aussi piquer. Elle me partage une anecdote sur les défis auxquels elle a

été confrontée : une fois, après avoir travaillé d’arrache-pied sur la direction artistique d’un défilé de mode, elle découvre que son nom a été retiré du programme de présentation pour être remplacé par un autre. Cette expérience lui rappelle les rivalités et les jalousies qui peuvent exister dans l’industrie. « Beaucoup de

Brunet : une composition nous rappelant les Trois Grâces de la mythologie grecque. Ou encore ses clichés de Winnie Harlow pour ELLE Canada, où les sculptures marbrées en arrière-plan rappellent le vitiligo de la mannequin, illustrant la manière dont l’artiste maîtrise l’amalgame du symbolisme et de l’esthétique.

images respirent? Quelles émotions aimerais-je susciter ? », sont les questions qui dirigent son processus.

Alors que notre conversation touche à sa fin, Olivia saisit l’occasion de me dévoiler, en exclusivité, les photos de la personnalité qui sera à la une de la prochaine édition d’ELLE Québec. Je ne peux

« La créatrice utilise l’analogie des abeilles sur un plateau, chacune détenant son rôle afin d’atteindre un but commun : produire du miel. Tous bourdonnent avec une énergie collective »

gens gravissent les échelons en rabaissant les autres », déploret-elle. Malgré ces obstacles, elle insiste sur l’importance de reconnaître le travail de chaque membre de l’équipe, des assistants aux maquilleurs. « C’est comme Obama l’a dit : Le meilleur stagiaire fera le meilleur président. »

De même, au fil de son parcours de styliste, elle prend le temps de perfectionner son art, ce qui se traduit aujourd’hui par des images singulières : il y a un aspect sculptural, voire architectural, aux images signées Leblanc. Prenons par exemple, la couverture d’ ELLE Québec avec Catherine Souffront Darbouze, Virginie Fortin, et Catherine

Lorsque je l’interroge sur les réflexions derrière son génie créatif, elle me répond : « Chaque individu m’inspire une histoire. » Pour elle, l’objectif est de représenter artistiquement la personnalité qu’elle met en lumière. « Qu’ai-je envie que mes

révéler son identité, mais l’ambiance des clichés évoque l’univers fantastique d’un film de Tim Burton, avec des teintes sombres et des détails excentriques qui captivent l’imagination.

Avec un horaire toujours aussi chargé, Olivia Leblanc butine à la Semaine de la Mode de Paris au moment où vous lisez cet article. Peut-être trouvera-t-elle une nouvelle ruche : « J’aimerais aller au-delà de la mode. Je veux être présente dans d’autres milieux, parce que je pense que j’ai plus à donner. » Restez alertes, car Olivia n’émet certainement pas son dernier bourdonnement.x

ILLUS | stu doré

Haute couture et art sous les projecteurs du Four Seasons

HARANTXA JEAN

Édirice Culture

La soirée du mercredi 18 septembre dernier, au Four Seasons de Montréal, restera gravée dans les mémoires comme l’un des événements phares de la Semaine de la Mode de Montréal 2024. La Maison Marie Saint Pierre nous a dévoilé en exclusivité sa collection de l’hiver 2025, après avoir marqué les esprits avec un panel exclusif, réunissant quatre femmes emblématiques du monde des Arts et de la Mode montréalaise. Organisé par la légendaire designer Marie Saint Pierre et animé par l’icône Varda Étienne, cet événement a permis de mettre en lumière des femmes influentes et inspirantes, en partageant leurs parcours, leurs défis et leur vision de l’avenir dans des domaines où la parité reste un enjeu.

Le panel débuta avec la présentation des invitées, toutes revêtues de créations de la Maison Marie Saint Pierre. Sur la scène, de gauche à droite : Catherine St-Laurent, actrice primée pour ses rôles dans Tu dors Nicole (2014) et District 31 (2016-2022) ; Erika Del Vecchio, commissaire d’art contemporain, ainsi que directrice

Marie Saint Pierre nous dévoile le Beau Monde québécois.

de projets spéciaux ; Caroline Codsi, fondatrice de l’organisme à but non lucratif La Gouvernance au Féminin et femme d’affaires canadienne d’origine libanaise ; et enfin, Marie Saint Pierre elle-même, considérée par plusieurs comme la plus grande designer québécoise, et la première créatrice de mode à avoir été admise à l’Académie des arts du Canada.

La présence d’un corps féminin aussi prospère peut faire rêver toute femme aspirant à une carrière similaire, mais ce n’est pas tout ce qui brille qui est fait d’or : leurs discussions ont tourné autour de l’égalité des genres dans l’industrie de la mode, une question essentielle dans un domaine majoritairement féminin, mais souvent dirigé par des hommes. Pourquoi, s’interrogeait-on, l’industrie de vêtements de couture, bien que portée par des femmes, estelle si peu égalitaire à son sommet?

Erika Del Vecchio a également partagé sa frustration face au manque de représentation féminine dans l’art et les expositions, où la féminité est présentée comme une expérience singulière, contrairement à leurs homologues masculins.

délit · mercredi 25 septembre 2024 · delitfrancais.com

Marie Saint Pierre, fidèle à son engagement social, a souligné l’importance de la solidarité féminine dans le monde des affaires et a rappelé son initiative Opération Sous Zéro, un projet destiné à fournir des vêtements chauds à des milliers d’enfants. La designer s’est exprimée avec passion sur la nécessité de créer un environnement plus inclusif et accessible aux femmes créatrices et entrepreneures.

Entre les conversations du panel et le défilé tant attendu, j’ai eu l’opportunité d’échanger avec Varda Étienne en aparté. Autrice, femme d’affaires, comédienne et animatrice d’origine haïtienne, Varda est une figure incontournable de l’industrie du spectacle québécois depuis des décennies. Elle m’a confié que la confiance en soi est une qualité essentielle pour les femmes évoluant dans les milieux artistiques et de la mode. « Si tu n’as pas cette confiance, le monde te dévorera », a-telle déclaré avec son franc-parler habituel. La soirée s’est poursuivie avec la présentation de la nouvelle collection hiver 2025 de la Maison, un mélange harmonieux de coupes classiques et atypiques. Les mannequins, en majorité des influenceuses québécoises,

ont défilé sous des lumières tamisées et sur une bande sonore électrisante, mêlant house et techno. Lysandre Nadeau, influenceuse et animatrice du podcast Sexe Oral, a ouvert le bal, vêtue d’une robe ample en toile blanche, tandis que Naadei Lyonnais, ancienne participante d’OD Chez Nous (2020) et animatrice de L’île de l’amour (20212022), a clôturé le défilé du haut de ses 5’10’’ dans un complet noir ajusté.

Entre ces deux figures publiques, d’autres personnalités comme la chanteuse Clodelle Lemay et la créatrice

de contenu Gabrielle Marion, autrice trans reconnue pour la démocratisation de la transidentité au Québec, ont apporté une touche personnelle à chaque tenue. Le défilé a incarné l’essence même de la Maison : des pièces aux lignes nettes, intemporelles, mais toujours avec cette touche de modernité et d’audace.

Alors que la Semaine de la Mode de Montréal touche à sa fin, cet événement marque une nouvelle étape dans l’évolution de la mode québécoise menée par des femmes visionnaires x

HARANTXA JEAN | le dÉlit

béatrice poirier-pouliot

Éditrice Culture

Le Festival international de la littérature (FIL), est un événement incontournable de la scène littéraire montréalaise, qui célèbre depuis maintenant trois décennies la magie des mots et des récits. Bien plus qu’un simple festival littéraire, le FIL est une véritable ode à la littérature sous toutes ses formes, offrant à chaque édition une expérience unique où la littérature se mêle au théâtre, au cinéma, à la danse, à la musique et au cinéma. La littérature se libère des carcans du livre et prend d’assaut les ruelles, les tavernes et les cinémas. Ce sont des lectures, des performances, des poèmes murmurés ou scandés qui résonnent, des mots qui dansent dans les rues et s’immiscent dans le quotidien des Montréalais. Des apéros littéraires aux cabarets festifs, en passant par des hommages aux grandes plumes d’ici et d’ailleurs, cet événement multidisciplinaire s’empare depuis 1994 du Quartier des spectacles, où se rencontrent écrivains, artistes et passionnés de la littérature sous toutes ses formes.

Au-delà de son rôle de créateur d’événements littéraires, le FIL se positionne également comme un acteur majeur dans la professionnalisation des arts littéraires. Il offre un soutien artistique et financier aux écrivains et aux artistes, leur permettant de collaborer avec des professionnels du milieu et de présenter leurs œuvres devant un public passionné. Le festival sert

Le FIL célèbre ses 30 ans

Hommage à une littérature vivante.

tistes. 30 ans de programmations surprenantes, riches et diversifiées, où la littérature s’est intégrée à la vie urbaine montréalaise, où chaque coin de rue devient une scène potentielle, chaque recoin une page blanche prête à accueillir une nouvelle histoire.

Pour souligner comme il se doit cette 30e édition du FIL, une exposition installée à la galerie de l’Espace culturel Georges-ÉmileLapalme fait un retour ludique sur le parcours du festival. Elle retrace ses débuts depuis 1994 jusqu’à sa renommée d’aujourd’hui, qui s’étend bien au-delà de l’île de Montréal.

Lors du dévoilement de sa programmation le 20 août dernier, l’effervescence régnait déjà parmi les invités. En effet, au-delà de son exposition commémorative, le FIL a su célébrer en grand ses 30 ans : ce sont des artistes renommés qui participent à cette édition, des auteurs reconnus sur la scène littéraire, des comédiens chéris par le public québécois, et des metteurs en scène d’expertise. Parmi ces visages familiers, on reconnaît Dominique Fortier, Anaïs Barbeau-Lavalette et Antoine Charbonneau-Demers.

Terrasses : lecture polyphonique

C’est d’abord le spectacle

Terrasses, adapté du récit éponyme de Laurent Gaudé, qui a inauguré le festival ce mercredi 18 septembre. Si à Paris, en mai dernier, l’adaptation scénique de Denis Marleau a bouleversé le public, à Montréal, c’est sous la forme d’une lecture-spectacle

de la chaleur humaine, l’ombre s’est glissée, implacable, prête à frapper. Le texte, à la fois intime et universel, sombre et lumineux, réinvente la poésie de Gaudé et capture les dernières lueurs d’une normalité volée, avec une simplicité désarmante. Des comédiens prêtent leurs voix aux personnages, incarnant les éclats de vies brisées qui s’entremêlent dans un tableau collectif d’une humanité fragile, mais résiliente.

Le texte de Gaudé, porté par la musique de Jérôme Minière, devient une véritable onde qui traverse le public. Dans le silence qui ponctue chaque réplique, la poésie des mots de Gaudé est ré-

« La belle-mère, cet archétype millénaire, objet de méfiance et de malentendus dans l’imaginaire collectif occidental, se dépouille ici de ses oripeaux de sorcière maléfique pour révéler les complexités profondes de son rôle  »

également de vitrine, assurant la visibilité des spectacles auprès d’un large public, et permettant à la littérature de rayonner bien au-delà des frontières québécoises.

L’édition de cette année marque un jalon symbolique, soit les 30 ans du festival. 30 ans d’expérimentation, au fil desquels la parole écrite a pris vie au fil des mises en scène et des dialogues entre ar-

que le récit prend vie. La mise en scène épurée nous invite à assister aux derniers échos d’une soirée ordinaire, pour laisser place à ce moment suspendu, cette fracture entre l’avant et l’après.

C’est sous les yeux attentifs de l’auteur lui-même que se déroule cette lecture percutante des événements survenus au Bataclan le 13 novembre 2015, où au cœur

inventée : « Nous resterons tristes longtemps, mais pas terrifiés », répètent les voix, comme un mantra, une promesse de résilience.

La représentation du mercredi soir a lieu devant une salle comble, tout comme celle du jeudi soir d’ailleurs, telle que la mention « COMPLET » sur le site du FIL l’indique. À la fascination initiale s’ajoute un bouche-à-oreille

convaincant, qui consacre le sort de cette deuxième représentation : c’est avec une ovation que s’est clôt l’ultime lecture-spectacle.

La belle-mère : un conte de fée réinventé

Alors que Terrasses vivait pour une deuxième soirée un succès retentissant, j’assistais à la première représentation de La belle-mère, un spectacle mis en scène par Elkahna Talbi, elle-même comédienne et « slameuse ». Si l’aura de célébrité de Laurent Gaudé a sans doute contribué à l’engouement autour de Terrasses , La bellemère n’a pas bénéficié d’une notoriété similaire.

Pourtant, lorsque j’ai pénétré les lieux de la représentation à 19h00 pile (contrairement à mon habitude, je me suis assurée d’arriver à l’heure : les retardataires ne seraient pas admis), il restait à peine quelques places. Par souci de discrétion (et peut-être aussi par dépit, je l’admets), alors que les lumières s’éteignaient, j’ai pris place au fond de la salle. Heureusement, l’intérieur de la Maison de la culture de Maisonneuve, où se déroulait la représentation, était suffisamment exigüe pour que la voix des actrices retentisse jusqu’à moi.

Co-écrit et interprété par Amélie Prévost et Rachel McCrum, La belle-mère est bien plus qu’un spectacle : c’est une invitation à

davidson | le dÉlit

repenser les relations familiales sous l’angle de la vulnérabilité, de la responsabilité et de l’amour - souvent caché- mais toujours présent. À travers une succession de fragments narratifs poétiques, la protagoniste de l’histoire, une belle-mère confrontée à une crise au sein de sa famille recomposée, plonge dans un exercice d’introspection d’une honnêteté déconcertante. Face à elle-même, aux choix qu’elle a faits, elle s’évertue à se conformer, non pas aux attentes de la société en ce qui concerne son rôle au sein de cette famille particulière, mais plutôt à celles de ceux qui l’aiment.

Confrontée à une version d’ellemême intransigeante, lui offrant tour à tour la vérité brute et les doutes intimes qui l’assaillent, le personnage de la belle-mère prend vie sous une lumière nouvelle, loin des stéréotypes éculés et des préjugés tenaces. La bellemère, cet archétype millénaire, objet de méfiance et de malentendus dans l’imaginaire collectif occidental, se dépouille ici de son allure de sorcière maléfique pour révéler les complexités profondes de son rôle.

Le jeu des deux comédiennes, Amélie Prévost et Rachel McCrum, est tout simplement renversant. D’un côté, Prévost, avec sa sensibilité à fleur de peau, déploie une palette d’émotions d’une justesse troublante. Elle incarne une femme

eileen

à la fois forte et fragile, capable d’affronter les tempêtes intérieures tout en tentant de rester debout pour ceux qui l’entourent. De l’autre, McCrum, avec son discours incisif et sarcastique, se fait la voix d’une autre facette de cette même belle-mère, celle qui lutte avec les non-dits, les incompréhensions et les attentes silencieuses. À maintes reprises, le ton railleur de la comédienne sème le rire parmi le public, moi y compris. Toutefois, l’accent anglais marqué de McCrum était parfois difficile à saisir - bien que cette diction à l’anglaise ajoute encore davantage à l’excentricité du personnage. Cet aspect caractéristique du jeu de McCrum lui a probablement bénéficié lors de la représentation suivante, le lendemain, où le spectacle s’est déroulé en anglais. Peut-être me serai-je alors plainte de l’accent francophone de Prévost si j’avais assisté à cette séance.

La performance des deux actrices offre un portrait réimaginé des liens familiaux, un portrait plus universel, qui interroge ce modèle canonique d’une famille nucléaire. La belle-mère n’hésite pas non plus à explorer les zones d’ombre, à soupeser les devoirs et libertés qui incombent à ce rôle ingrat, à analyser sans complaisance les attentes et les déceptions qui en découlent. Il ne s’agit pas ici d’une réhabilitation facile de l’image de la bellemère, mais bien d’une relecture honnête et profonde de ce que signifie être au centre d’une famille recomposée, avec tout ce

que cela implique de sacrifices et de malentendus, de moments de grâce et de tendresse.

La mise en scène, minimaliste mais d’une efficacité redoutable, laisse toute la place à la puissance des mots et à la subtilité des émotions. Chaque geste, chaque regard compte, et les silences entre les répliques parlent tout autant que les mots. L’aspect poétique de la narration renforce cette impression que le spectacle est plus qu’un simple récit : il est une véritable réflexion sur la place de chacun dans la famille, sur les choix que l’on fait et ceux que l’on subit, sur l’amour qui unit malgré tout.

Triste Tigre : le rugissement du silence

Samedi le 21 septembre dernier, j’ai eu la chance d’assister à une lecture-spectacle que j’anticipais fortement : Triste Tigre . Ce récit hybride, à la fois autofiction et essai, n’est pas simplement une exploration des abus sexuels que l’autrice, Neige Sinno, a subis dans son enfance, mais une réflexion complexe

une froide lucidité la portée de ce qu’elle a vécu, et explore même la psyché de son bourreau. C’est cette démarche unique, cette complexité déroutante, qui a poussé Angela Konrad à vouloir donner vie à ce texte sur scène. Malgré les réticences initiales de l’autrice, qui a d’abord refusé la moindre adaptation scénique de son œuvre, la sincérité de Konrad l’a ultimement convaincue. C’est devant une salle pleine à craquer qu’a lieu la première représentation de cette lecture, délicate et percutante.

Sous une musique mélancolique, presque sinistre, la lecture-spectacle s’amorce. En arrière-plan, le visage d’une enfant, celui de Neige Sinno. De longues secondes s’écoulent, puis, l’écran s’assombrit et les lumières éclairent la scène, d’une blancheur immaculée. Une sobriété glaçante règne. Pour seul décor, une table, sur laquelle repose un MacBook et un verre d’eau. Derrière, une sculpture d’agneau en peluche.

Anne-Marie Cadieux, la comédienne qui prête sa voix au récit de Sinno, s’avance lentement vers la table.

« Le moindre mot compte, chaque réflexion porte un poids immense, chaque silence est calculé, chaque pause, délibérée »

sur la violence, la survie, et la puissance du langage. Triste Tigre interroge la capacité de la littérature à transcender l’horreur. Sinno n’offre pas de simple témoignage, mais dissèque avec

Pieds nus, le visage grave, elle prend place devant l’ordinateur portable. Son regard transperce le public, qui anticipe la suite, dans un lourd silence. L’écran derrière elle s’allume :  Triste

tigre. Portrait de mon violeur. Pas de théâtralité excessive, pas de symbolisme appuyé. Konrad reste près du texte, laissant les mots déployer leur puissance brute. Le moindre mot compte, chaque réflexion porte un poids

complexe, et le duo CadieuxKonrad transmet cette réalité douloureuse sans compromis. Lorsque la lecture s’achève, le silence règne dans la salle. Lorsqu’un membre de l’audience

« Ce soir-là, nous avons tous pleuré pour Neige Sinno, pour toutes les victimes dont les histoires résonnent trop souvent dans le silence »

immense, chaque silence est calculé, chaque pause, délibérée.

Anne-Marie Cadieux livre une performance d’une rare intensité. Au fil des aveux de Sinno, sa voix se brise, ses yeux larmoient, débordent parfois. Elle incarne cette lutte, cette résilience qui émane au fil des phrases. Sa présence sur scène est à la fois sobre et électrisante, bouleversante par son courage et sa sincérité. Personne ne peut rester imperturbable face à cette lecture percutante. Alors que je tente (en vain) de retenir mes larmes, j’entends les reniflements de mes voisins, qui se livrent à la même bataille perdue d’avance. Nous savons tous qu’il ne s’agit pas d’une simple performance qui se déroule devant nous, mais d’une expérience partagée, un lieu de « coprésence », tel que l’indique Konrad, où acteurs et spectateurs s’accompagnent pour affronter l’indicible, pour résoudre l’insoluble : peut-on esthétiser la violence? Pour l’autrice, la réponse est infiniment

ose enfin applaudir, c’est bientôt une véritable ovation qui envahit la salle, saluant la performance de Cadieux. Plusieurs minutes s’écoulent, durant lesquelles la comédienne laisse libre cours à l’émotion qui animait sa lecture. Elle salue le public avec humilité en essuyant ses larmes, quitte la scène… et revient sous les projecteurs, lorsqu’elle constate, non sans un sourire, que les applaudissements ne se taisent pas, bien au contraire. Lorsque le silence regagne la salle, j’ai la gorge serrée et les paumes endolories. J’aurais décidément dû prévoir des mouchoirs. La salle, qui bourdonne désormais sous les murmures, semble encore enveloppée de la charge émotionnelle de ce moment partagé, de cette communion entre scène et spectateurs. C’est là toute la beauté — et la douleur — de Triste Tigre. À travers les mots de Neige Sinno, la salle toute entière a traversé l’obscurité, côte à côte, comme pour mieux se plonger dans l’abîme de la violence, et en ressortir, non indemne, mais transformée. Ce soir-là, nous avons tous pleuré pour Neige Sinno, pour toutes les victimes dont les histoires résonnent trop souvent dans le silence.

L’effervescence se poursuit

Cette 30e édition du FIL se poursuit jusqu’au samedi 28 septembre prochain, où la soirée de clôture du festival, « Le bal littéraire », alliera les mots et la musique dans une fable déjantée performée par des auteurs audacieux. D’ici là se poursuivent les Midis littéraires à l’Esplanade tranquille, où en association avec l’Espace de la diversité (EDLD), le FIL organise une série de rencontres littéraires, abordant des problématiques actuelles tout en explorant les frontières de la création littéraire. Les librairies le Port-de-Tête, la Livrairie et la Librairie du Square-Outremont accueillent les Salons littéraires, lieux de rencontres et de lectures avec des auteurs reconnus partout dans la francophonie. La programmation complète des événements du FIL est d’ailleurs disponible sur leur site internet. x

eileen davidson | le dÉlit

(Re)connecter avec ses racines en voyageant au Vietnam

La pièce La démagogie des dragons, un joyeux chaos culturel.

jade lê

Coordonnatrice de la production

Comment comprendre qui l’on est alors que l’on grandit à Montréal en tant qu’asiatique et que le seul rapport que nous entretenons avec notre culture, c’est d’aller chercher un bubble tea au L2 du quartier chinois? Comment reconnecter avec son héritage vietnamien alors qu’on connaît seulement trois mots appris sur Duolingo? Comment renouer avec ses racines? Est-ce possible?

Mon premier article pour Le Délit, écrit en mars 2023, s’intitule « Conflit intérieur d’une eurasienne ». Pour la première fois, je sentais que j’avais besoin d’écrire, mais surtout que j’avais besoin d’être lue. Je me disais que mon expérience, si personnelle soit-elle, pouvait résonner avec bien plus de monde que ce que je pouvais imaginer. N’importe qui considérant avoir une identité hybride : quelqu’un qui grandit loin de son pays d’origine, quelqu’un qui ne ressemble pas tout à fait à ses parents, ni à ses camarades de classe, ou même quelqu’un qui se regarde dans le miroir et ne saurait définir son ethnicité en un seul mot pourrait comprendre ma réalité. Connais-toi toi-même. Pas facile quand notre visage, notre langue, notre culture, et nos valeurs sont à la fois un peu asiatiques, mais pas vraiment, un peu québécoises, mais pas vraiment, un peu françaises, mais pas vraiment.

L’autrice Tamara Nguyen et le metteur en scène Vincent Kim s’attaquent justement à cette question dans leur nouvelle pièce La démagogie des dragons présentée au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui (CTDA).

Claudia Chan Tak et Dominick Rustam interprètent respectivement l’autrice et le metteur en scène. Ils se prénomment donc Tamara et Vincent dans la pièce qui retrace leur rencontre, leurs interrogations sur leur héritage asiatique, et surtout, leur premier voyage au Vietnam. Ce n’est pas tout à fait autobiographique car l’enchaînement des événements ne correspond pas exactement à celui de la vraie vie, mais largement inspiré de l’expérience de ces deux artistes.

On pense souvent que se rendre dans le pays d’origine de ses parents permettra une sorte de déclic. Comme si, dès l’arrivée à l’aéroport, quelque chose se réveillait en nous et nous connectait instantanément avec la po -

pulation là-bas. Comme si, tout à coup, on comprenait qui on est. Pourtant, la réalité demeure que, pour la majorité, un pèlerinage de la sorte ne change pas grandchose. Il en va de même pour Tamara et Vincent qui, lorsqu’ils se rendent au Vietnam, ne se sont pas tout de suite sentis chez eux. Pourtant, ce voyage a été une étape importante dans leur développement personnel, qui leur a permis de mieux se comprendre. Parce qu’ils ont compris que l’endroit où ils habitent, là où ils ont grandi et la langue qu’ils parlent importe peu. Ce message est d’ailleurs explicité à la fin de la scène, lorsqu’un témoignage de l’autrice et du metteur en scène est projeté au public. Tamara a beau être française et vietnamienne et Vincent coréen, vietnamien et québécois, ce qui leur importe, ce n’est pas de s’identifier à une origine précise, c’est que ce joyeux mélange de cultures leur a permis de devenir qui ils sont aujourd’hui.

C’est au sein d’une ambiance chaleureuse que se déroule la pièce : des lampions colorés tendus sur une guirlande au-dessus du public ; une bande-son typiquement vietnamienne qui me rappelle le CD que ma

Michelle Zauner dans lequel l’autrice, moitié coréenne et moitié américaine, découvre que de se rendre au supermarché asiatique et apprendre à préparer les plats de son enfance est la seule façon pour elle de reconnecter avec son côté coréen suite au décès de sa mère.

En parallèle de l’histoire jouée par les deux comédiens, la pièce est rythmée par des témoignages vidéos projetés sur un grand écran. Ces projections apportent un contexte historique et permettent au public de prendre le temps de réfléchir. Aussi touchant que troublant, il y a notamment le récit d’une grand-mère qui a immigré au Canada en 1975 – tout comme ma grand-mère – et qui nous raconte la façon dont elle s’est sentie forcée d’effacer chaque trait vietnamien de son apparence afin de faciliter son intégration au Québec et celle de ses enfants, qui ne parlent maintenant plus vietnamien. Ces discours remplis d’émotion résonnent auprès de nombreuses familles immigrantes, et permettent de mieux com-

grand-mère joue en boucle dans sa voiture. On y retrouve également des éléments asiatiques : un écran de projection avec des bordures rouges tel un sanctuaire Shinto ; une áo dài (robe traditionnelle) suspendue ; le fameux chat porte-bonheur qui ne se lasse jamais de dire bonjour ; une statue du Bouddha et des oranges dans une coupelle dorée, des offrandes, comme celles qu’on retrouve à l’entrée des restaurants asiatiques ou des temples bouddhistes.

J’aime la façon dont la nourriture est placée au premier plan. Dans mon premier article au Délit j’expliquais que ce qui me fait d’abord sentir vietnamienne, c’est mon amour pour le pho. Similairement, dans la pièce, la quête de soi de Tamara se transforme en une quête désespérée lors de son voyage pour dénicher la soupe tonkinoise qui aura exactement le goût de celle de sa grand-mère. Malgré les incertitudes des deux amis et leurs difficultés à se faire comprendre et à se sentir chez eux, leur rapport envers la nourriture s’établit comme un lien tangible avec une culture qui est la leur. Ce rapprochement me rappelle un livre que j’ai énormément aimé, Pleurer au Supermarché (ou Crying in H Mart), écrit par

prendre le traumatisme intergénérationnel vécu par ces personnes.

La démagogie des dragons, est une pièce que l’on ressent. Ce qui est important, ce ne sont ni les retrouvailles entre Tamara et Vincent des années après le secondaire, ni l’histoire de leur voyage et leurs péripéties à Hanoi, ni les tentatives désespérées de Tamara qui tente de devenir influenceuse sur Tiktok en forçant Vincent à apprendre des chorégraphies de K-pop. En fin de compte, l’essentiel de la pièce réside dans les réflexions qu’elle provoque inévitablement chez son auditoire. Les doutes des deux personnages, les remarques racistes qu’ils subissent, leur difficulté à connecter avec leur héritage, et leur relation mouvementée nous forcent à réfléchir à notre propre histoire, à notre relation avec une culture qui peut nous paraître si familière, mais pourtant si lointaine.

La démagogie des dragons est présentée au CTDA jusqu’au 11 octobre. Vous pouvez vous procurer des billets sur leur site Internet. x

AGA & Appel de candidatures

Les membres de la Société des publications du Daily (SPD), éditrice du McGill Daily et du Délit, sont cordialement invités à son Assemblée générale annuelle :

Le mercredi 2 octobre à 18h

Centre universitaire de McGill 3480 Rue McTavish, Salle 107

L’assemblée générale élira le conseil d’administration du SPD pour l’année 2024-2025.

Les membres du conseil de la SPD se rencontrent au moins une fois par mois pour discuter de l’administration du McGill Daily et du Délit, et ont l’occasion de se prononcer sur des décisions liées aux activités de la SPD.

Le rapport financier annuel et le rapport de l’expertecomptable sont disponibles au bureau de la SPD et tout membre peut, sur demande, obtenir une copie sans frais.

Questions? chair@dailypublications.org

stu doré | le dÉlit

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