Le Délit - Édition du 13 novembre 2024

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Publié par la Société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

Nos bibliothèques du futur

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Actualités

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La sélection d’actus du Délit

ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES AMÉRICAINES: LE « RETOUR DE DONALD TRUMP »

Ce mercredi 6 novembre, l’ex-président républicain Donald Trump a été élu 47e président des ÉtatsUnis, signant son retour à la Maison Blanche. Avec un total de 312 grands électeurs, Trump a dépassé le seuil des 270 nécessaires à la victoire, face à la candidate démocrate Kamala Harris qui a remporté 226 voix. Les acteurs clés de cette élection étaient les sept États pivots (swing states), caractérisés par leur tendance à basculer d’un camp à l’autre à chaque élection, et ce de manière imprévisible. Ensemble, ils comptabilisaient 88 des grands électeurs, et représentaient un enjeu crucial pour les deux candidats. Les résultats des votes en Arizona et au Nevada, attendus ce samedi, ont confirmé la victoire de Trump dans les sept États clés.

Donald Trump a été félicité par de nombreux dirigeants internationaux. Compte tenu du contexte géopolitique, la réaction de certains représentants était impatiemment attendue par la communauté internationale. Côté européen, le président ukrainien Zelensky espère obtenir l’aide des États-Unis pour aboutir à une « paix juste ». Côté russe, Poutine a félicité Trump pour sa victoire ce jeudi, se disant prêt à reprendre contact avec la Maison Blanche. Finalement, le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a chaleureusement félicité Donald Trump pour sa victoire, la qualifiant du « plus grand retour de l’Histoire (tdlr) ».

Lors de son discours officiel, le futur président des États-Unis a affirmé vouloir « mettre fin aux guerres », déclaration dont les actions associées sont attendues par les autres pays dès le début du mandat de Trump, le 20 janvier 2025.

CONGÉDIEMENT INATTENDU DU MINISTRE DE LA DÉFENSE EN ISRAËL

Le mardi 5 novembre, le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a annoncé le limogeage de son ministre de la Défense Yoav Gallant. Cette déclaration survient dans un contexte géopolitique plus instable que jamais pour le pays toujours engagé dans plusieurs opérations militaires à Gaza et au Liban, nécessitant la mobilisation constante de l’armée.

Nétanyahou justifie cette décision par l’érosion de sa relation avec Gallant, dans une situation où « la confiance est plus que jamais requise entre le premier ministre et son ministre de la Défense ». Ces propos témoignent d’une augmentation des divergences entre les deux hommes sur plusieurs sujets. Concernant les otages détenus dans la bande de Gaza, notamment, M. Gallant avait plaidé pour une trêve avec le Hamas afin d’obtenir leur libération, tandis que le premier ministre priorise avant tout l’anéantissement du mouvement palestinien.

Ce vendredi 8 novembre, Gallant a officiellement laissé sa place à l’ancien ministre des Affaires étrangères, Israel Katz. Nétanyahou justifie ce choix en expliquant que leurs positions sont alignées dans le domaine militaire, ce qui permettra de résoudre les conflits avec son prédécesseur.

L’annonce a déclenché des manifestations à Tel Aviv dès mardi soir, pour protester contre le limogeage de Gallant et pour prier son successeur de prioriser la libération des otages à Gaza. Le président israélien Isaac Herzog, quant à lui, qualifie ce renvoi comme « la dernière chose dont l’État d’Israël a besoin », compte tenu du manque d’unification au sein du pays.

L’OTAN FAIT PRESSION SUR OTTAWA AU NOM DE LA DÉFENSE COLLECTIVE

Le gouvernement canadien a annoncé ce vendredi 8 novembre vouloir prendre des « mesures efficaces » concernant l’atteinte des 2% de dépenses militaires promis à l’OTAN, cible fixée en 2006. Le premier ministre Justin Trudeau, ainsi que les 32 autres pays membres, se sont engagés à atteindre l’objectif de dépense de 2% du PIB alloué à la défense collective, principe fondateur de l’alliance atlantique.

Cependant, jusqu’ici, le Canada fait partie des huit pays qui n’ont pas atteint la cible. Trudeau subit la pression des alliés pour contribuer de manière égale à cet effort économique, et la prise de mesures accélérée du gouvernement canadien pourrait être influencée par la victoire de Donald Trump aux élections présidentielles, bien que cette hypothèse ait été niée par le ministre de la Défense canadien Bill Blair. En effet, Trump avait averti par le passé que les États-Unis ne viendraient pas en aide aux pays qui ne respectaient pas la cible de 2%.

Pour le moment, le Canada conserve un retard de 0,42% avec l’objectif final. Combler cet écart impliquerait une hausse des dépenses militaires canadiennes jusqu’ à 81,9 milliards de dollars d’ici 2032-2033, un montant deux fois plus élevé que celui fixé pour 2024-2025, mais atteignable selon le directeur parlementaire du budget, Yves Giroux.

Le premier ministre Justin Trudeau s’est entretenu ce jeudi 7 novembre avec le secrétaire général de l’OTAN, Mark Rutte, afin de réaffirmer l’engagement du Canada pour atteindre les dépenses attendues pour la défense militaire. Malgré cette promesse, le gouvernement canadien est toujours appelé par Rutte et les autres pays membres à se présenter avec un plan clair concernant la manière d’atteindre cette cible, qui n’a pas été clarifié pour le moment.

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Inondations en Espagne : entre colère et solidarité Retour sur un épisode meurtrier.

Les 29 et 30 octobre derniers, plusieurs régions espagnoles, notamment Valence, Castille-La Manche et l’Andalousie, ont été touchées par des pluies torrentielles provoquant de violentes inondations. En date du 5 novembre, ces dernières avaient causé la mort de 219 personnes, ainsi que la disparition de 89 autres individus, un bilan encore provisoire. Cette catastrophe a entraîné de très lourds dégâts matériels dans l’ensemble de la région, dont la destruction de nombreux logements et infrastructures. Dans la région valencienne, ce sont principalement les villages de la banlieue de Valence qui ont été touchés et ravagés par les inondations.

Selon une première étude du World Weather Attribution, le réchauffement climatique serait une des causes principales de ces pluies diluviennes associées au phénomène DANA (Dépression Isolée à Niveau Élevé). Ce phénomène est un système météorologique destructeur et fréquent dans le bassin méditerranéen, dans lequel l'air froid et l'air chaud se rencontrent et produisent de puissants nuages de pluie. Néanmoins, cet épisode d’inondation constitue, selon le premier ministre Pedro Sánchez, « le plus grave que [l’Europe] ait connu depuis le début du siècle (tdlr) ». Selon l’analyse, les pluies qui ont frappé l'Espagne ont été 12% plus importantes que si le climat ne s'était pas réchauffé. De nombreux spécialistes ont aussi pointé du doigt « l’urbanisation incontrôlée » de la région, qui a accru l’imperméabilité des sols, provoquant une augmentation des risques d'inondation et de sécheresse.

À la suite des inondations, les habitants des zones sinistrées se sont mobilisés afin de commencer à réorganiser les villes, de retrouver les personnes disparues, et de venir en aide aux plus nécessiteux. Le gouvernement espagnol a également mobilisé l’armée et débloqué des fonds d’urgence pour venir en aide aux victimes ; cependant, beaucoup ont jugé cette réponse trop lente et inadaptée, et ont exprimé leur mécontentement. Afin de mieux comprendre la situation, Le Délit s’est entretenu avec Vanessa Verde, une enseignante vivant à Valence et qui, avec sa famille, s’est mobilisée pour venir en aide aux sinistrés.

Une colère grandissante

Plus de 10 jours après les inondations, la colère des habi -

tants des communes touchées ne diminue pas. Le 9 novembre dernier, des centaines de milliers de personnes ont défilé dans Valence pour protester contre la gestion défaillante des institutions du pays. Dans les rues de la ville, les pancartes des manifestants illustrent la colère des survivants : « Nous sommes couverts de boue, vous avez du sang sur les mains. » En chœur, ils demandent la démission du président de la région autonome, Carlos Mazón. Celui-ci avait attendu plusieurs heures avant de lancer l’alerte à la communauté. Vanessa affirme en

en colère contre tout le monde. » En effet, beaucoup reprochent également au gouvernement du premier ministre Pedro Sánchez d’avoir été passif. En effet, celui-ci attendait la demande du président de la région autonome pour envoyer de l’aide militaire supplémentaire. Néanmoins, « selon la loi espagnole, lorsque plus d'une communauté est en danger, le gouvernement [central , ndlr ] doit prendre les commandes. Et dans ce cas-ci, il y avait trois communautés particulièrement affectées  : Valence, Castille-La Manche et l’Andalousie  ».

impressionnantes de bénévoles se sont rendues dans les villages dans l’espoir d’aider les habitants à la reconstruction de leurs communautés. Vanessa et sa famille se sont rendus dans un village près de Valence, Picaña, pour prêter main forte aux sinistrés. «  C’était comme une zone de guerre  », explique-t-elle. Avec émotion, elle loue les efforts de tous, mais particulièrement ceux des jeunes : « Tous ces gens ont commencé à traverser les ponts, et c'était émouvant, tous ces jeunes qui aidaient : ils les appellent maintenant la

effet que le soir du 29 octobre, « à 20h seulement, l'alerte d'urgence que l’on reçoit sur les téléphones portables s'est déclenchée. Mais à ce stade, tout s’était déjà produit : dès 18h, les gens étaient en train

L’opinion publique concernant le Roi, quant à elle, est divisée. Si certains admirent sa venue dans les villages touchés et son soutien aux habitants dans les jours suivant la catastrophe,

“génération cristal”. C'était impressionnant. » Sa fille Bianca, étudiante en orthodontie, s’est elle aussi rendue dans plusieurs villages pour aider les personnes dans l’incapacité de se déplacer

« À 20h seulement, l'alerte d'urgence que l’on reçoit sur les téléphones portables s'est déclenchée. Mais à ce stade, tout s ’était déjà produit : d ès 18h, les gens étaient en train de se noyer dans tous ces villages »

Vanessa Verde, enseignante

de se noyer dans tous ces villages ».

L’agence météorologique espagnole Aemet avait de son côté communiqué les risques d'inondations plusieurs jours auparavant, et sonné l’alerte rouge dès le mardi 29 octobre au matin.

Selon Vanessa, la révolte se fait ressentir au sein de la communauté espagnole au niveau régional comme national : « Nous sommes

d’autres ont exprimé leur colère en l'accueillant avec des jets de boue lors de son passage à Paiporta, l’épicentre des inondations.

Élan de solidarité

Les inondations ont marqué une élan de solidarité importante au sein de la population, et à travers toute l’Espagne. Dans la région de Valence, des foules

cruellement absents dans l’aide aux survivants et à la gestion des dégâts matériels. Dans les jours suivant le 29 octobre, l’arrivée tardive des secours et les moyens insuffisants pour reconstruire les villes ont laissé les habitants hors d’eux : « On ne voyait pas de pompiers, pas de militaires, rien ; juste des bénévoles. Juste des citoyens, comme moi, comme ma fille, comme tous les amis de ma fille, qui sont allés aider. » Selon Vanessa, le peuple se sent abandonné par son gouvernement. «  C'est de là qu'est née l'expression : “Le peuple sauve le peuple” : les seuls à pouvoir vous sauver, ce sont vos voisins. »

Et maintenant?

L’éducation est aussi directement touchée par les événements. De nombreux écoles, collèges et lycées ont été entièrement détruits par le passage de l’eau, laissant enfants, parents et enseignants désemparés. Certaines communautés tentent de trouver des solutions pour que les élèves bénéficient d’une éducation d’une manière ou d’une autre : « Il y a des endroits où des centres sportifs ont été sauvés parce qu'ils se trouvaient dans une zone plus élevée », permettant ainsi aux enseignants de les transformer temporairement en salles de classe, explique Vanessa. Mais cette initiative ne suffira probablement pas à reloger l’entièreté des nombreux élèves sinistrés.

en besoin de services médicaux. «  Il y avait des personnes qui, par exemple, avaient des points de suture parce qu'elles avaient subi une opération dentaire, alors [Bianca, ndlr ] est allée les retirer à leur domicile.  »

Lors du nettoyage des communes, les citoyens continuent de reprocher aux gouvernements locaux et nationaux d’avoir été

À la suite des inondations, le premier ministre espagnol Pedro Sánchez a annoncé une aide d’urgence de plus de 10 milliards d’euros pour soutenir les victimes et les entreprises de la région. Cette aide a pour but premier de permettre la remise en état des grandes infrastructures affectées, ainsi que la restauration des logements. Bien que le premier ministre n’ait pas fait appel à l’aide des autres pays de l’Union européenne pendant les inondations (notamment aux propositions d’envoi de pompiers et d’équipes d’assistances), il a annoncé avoir pris contact avec la Commission européenne pour demander de l’aide financière auprès du Fond de solidarité européen. Vanessa soupçonne néanmoins que les aides ne soient pas aussi rapides que l’affirme le gouvernement : «  Ils ont dit qu'il n'y aurait pas de bureaucratie, espérons que ce soit le cas, mais j'en doute. » Au cours des prochaines semaines, les yeux seront donc rivés sur les actions du gouvernement, et sa capacité à mettre en œuvre ses promesses aux espagnols. x

eileen davidson | Le Délit
Lara

société

societe@delitfrancais.com ENQUÊTE

Nos bibliothèques du futur

Le Centre des collections de McGill débarrasse McLennan de ses livres.

anouchka debionne

Éditrice Enquête

Depuis octobre 2023, les livres de la bibliothèque de McLennan disparaissent petit à petit. C’est un vide auquel il faudra s’habituer : ces ouvrages ont à présent trouvé refuge dans un entrepôt. Chacun a une place bien enregistrée, parmi les 95 092 bacs manipulés quotidiennement par des robots. Fini l’expérience du rayonnage, l’emprunt d’un livre se fait désormais sur la plateforme Sofia, un système interbibliothèquaire utilisé depuis des années par les bibliothèques de McGill. Afin d’en savoir plus, Le Délit a interrogé la doyenne des bi -

bliothèques de McGill, Guylaine Beaudry, et visité le Centre des Collections situé à 45 minutes du centre-ville, guidé par le directeur associé du bâtiment.

Le vestige McLennan

En revisitant l’histoire des bibliothèques universitaires, Guylaine Beaudry souligne l’importance des projets de rénovation pour adapter nos espaces à nos besoins actuels. « Le rayonnage dans les bibliothèques tel qu’on le connaît aujourd’hui ne date que depuis la fin de la seconde guerre mondiale » explique la doyenne. « Avant, les grandes bibliothèques universitaires avaient un “magasin”,

comme dans les musées, où s’entreposaient les livres jusqu’à ce qu’on ait besoin de les sortir pour les prêter ou les exposer. Les architectes ont pensé ces espaces pour l’entreposage de livres, pas pour l’expérience du public. »

Aujourd’hui, seulement 8% des collections imprimées sont consultées à McGill, soit une baisse de 90% en 30 ans. La consultation numérique a quant à elle dépassé celle papier, et le budget s’est lui aussi adapté : selon la doyenne, 95% du budget des bibliothèques est alloué aux ressources numériques. « Ça finit par coûter cher, de conserver les ouvrages imprimés sur le campus, et on n’a plus assez de

anouchka debionne | le dÉlit

« Ça finit par coûter cher, de conserver les ouvrages imprimés sur le campus, et on n’a plus assez de place pour les étudiants qui étudient dans ces espaces »

Beaudry, doyenne des bibliothèques de McGill

place pour les étudiants qui étudient dans ces espaces » revendique-t-elle. Ainsi, la préservation de la collection générale de 200 ans de travail académique à McGill tient de la responsabilité des bibliothèques. Elles doivent assurer des conditions optimales pour leur conservation : une luminosité réduite, une humidité à 40% et une température de 18 degrés. Cependant, l’évolution de l’utilisation des espaces laisse les étudiants dépourvus de lieux pour se rencontrer, étudier, et créer.

Bibliothèque du XXI e siècle

Le projet de rénovation de la bibliothèque McLennan, FiatLux, en cours de conception depuis 2014, réimagine l’espace pour les étudiants qui veulent y étudier dans le silence autant que pour ceux qui veulent débattre de leurs idées pour un projet d’équipe. « La bibliothèque est un des rares lieux à Montréal où les étudiants peuvent travailler en silence ; et où d’autres viennent pour discuter et travailler en collaboration, dans une ambiance qui ressemblerait à un bistrot », imagine Dr. Beaudry.

Celle-ci réimagine ce que pourrait être une bibliothèque dans la vie des étudiants : « Entre les espaces de silence et “bistrot”, il y a les salles de travail en collaboration, les salles pour pratiquer ses présentations, des espaces pour faire des balados, et expérimenter avec la visualisation des données, des espaces sans Wi-Fi pour minimiser les distractions. » Le but de la bibliothèque est de créer un espace social « fait pour les humains, pas pour les livres », ironise-t-elle.

Afin de résoudre la question du manque d’espace, McGill s’est inspiré de ce qui se fait dans les autres universités : des centres de collections, bâtiments ex-

térieurs aux bibliothèques de l’université, où sont entreposées les collections et où les livres peuvent être commandés par les étudiants et les employés des institutions académiques. Ça ressemble étrangement aux « magasins » de l’époque, mais on exporte ces magasins pour adapter nos espaces du centre-ville pour les utilisateurs. Cinq universités en Ontario partagent un même centre de collections, dont celles de Toronto et d’Ottawa. Bien qu’elle ait tardivement ouvert son centre en juin 2024, l’Université McGill est la première à y avoir plus de robots que d’employés.

« Nos critères étaient de trouver un lieu à moins d’une heure du centre-ville qui entre dans notre budget », renseigne la doyenne. La construction du centre a ainsi commencé en mars 2022 à Salaberry-de-Valleyfield, à 50 minutes en voiture du centreville et à 25 minutes du campus MacDonald. « Les déplacements de livres se font quotidiennement par camions électriques », assure Dr. Beaudry.

Une « usine de connaissances »

Le Délit a visité le centre de collections à Salaberry-de-Valleyfield, accueilli par Carlos Della Motta, directeur associé du Centre, et Mary, la superviseure de la bibliothèque du Centre. Le bâtiment est divisé en deux grandes unités : l’une est un grand espace de cotravail pour les cinq employés à temps plein, où sont reçus les retours de livres. « Ici, » montre Carlos della Motta en désignant une grande salle vide avec seulement deux, trois tables, « on entreprend des petites réparations si les matériaux du livre tombent, et ensuite ils peuvent retourner dans l’entrepôt ».

Passé deux ensembles de portes, on entre dans un entrepôt où se

dresse un mur rouge, derrière lequel s’échafaudent 95 092 bacs contenant 2,4 millions de livres. Les livres proviennent des collections de McLennan et Redpath, ainsi que du gymnase Currie où étaient entreposés les livres de la bibliothèque Schulich lors de ses rénovations de 2019 à 2023. Les robots sont disposés sur des rails juste au-dessus de caisses empilées qui forment un mur de plusieurs mètres de haut. Ils se déplacent pour soulever des bacs afin d’en

pour l'envoyer au centre-ville. La fonction du robot se limite donc à récupérer le bac qui se trouve à l'intérieur de la grille. Le reste du travail est effectué par le personnel de la bibliothèque.

Les livraisons ont commencé en octobre 2023. « Nous avons reçu environ 20 000 livres par jour du centre-ville, dont le code-barre était numérisé dans les bacs, puis les bacs ont été insérés dans la grille. Ce processus a duré environ six à sept mois », souligne

« Nous avons reçu environ 20 000 livres par jour du centre-ville, dont le code-barre était numérisé dans les bacs, puis les bacs ont été insérés dans la grille. Ce processus a duré environ six à sept mois »

Guylaine Beaudry, doyenne des biblithèques de McGill

atteindre d’autres, et faire descendre la caisse qui contient le livre commandé. Les robots sont programmés pour mener un travail d’équipe : chacun à son poste, deux peuvent bouger du nord au sud de la grille, et deux bougent d’est en ouest. Ainsi, les quatre robots orientés vers le sud sont ceux qui peuvent prendre un bac et le livrer au port. Quant aux deux robots orientés vers le nord, leur principale responsabilité est de pré-trier les bacs pour les quatre autres robots. Le personnel cherche ensuite le livre dans le bac, le sort et le traite

Carlos della Motta. « On travaille avec trois systèmes indépendants : AutoStore, qui a créé le système automatisé de récupération des caisses et qui localise les caisses et contrôle les robots, le système Dematic, qui suit l’inventaire des livres dans les bacs, et enfin le système interbibliothèques Sofia, utilisé par les utilisateurs pour commander les livres » explique le directeur associé du Centre. Ce genre d’entrepôt est d’habitude utilisé par les industries qui entreposent des marchandises. Il a séduit McGill comme une alternative

aux autres centres de collections plus traditionnels, qui se font d’habitude avec des chariots élévateurs ou des assistants virtuels. Pour l’instant, les deux personnes interrogées ne connaissent que deux autres lieux au monde qui utilisent cette technologie pour entreposer des documents : le FBI, et un centre d’archives à Abu Dhabi. « Depuis notre mise en service en juin, notre moyenne est d'environ 850 livres commandés par semaine », renseigne Carlos Della Motta. « On s’occupe aussi d’envoyer des livres pour être scannés dans le centre, qui nous sont ensuite retournés. »

Certification faible impact

Le centre de collection a été certifié Platinum LEED ( Leadership de conception en énergies et environnement, tdlr) pour ses efforts en termes d’utilisation des ressources énergétiques comme l’électricité et d’aménagement intérieur et extérieur pour les cinq employés qui viennent quotidiennement sur place. « Nous avons un bac à compost, nos meubles viennent du campus du centre-ville et nous avons gagné la certification Pelouse Fleurie pour notre engagement envers la biodiversité de la ville de Valleyfield. On n'utilise pas de pesticides, pas d'engrais, pas de dérogation. Il y a un certain nombre de plantes endémiques nécessaires pour obtenir la certification », raconte Carlos Della Motta. Le bâtiment est fourni d’une salle de conférence, d’une cuisine, et même d’une douche, pour ceux qui voudraient venir à vélo au travail. Les robots chargés avec des bat -

« Le but de la bibliothèque est de créer un espace social fait pour les humains, pas pour les livres »

teries de voiture électriques, eux, consomment en 24 heures ce que consomme un aspirateur branché durant 30 minutes.

Projet de rénovations retardé

Le Centre des Collections a accueilli les premiers livres à Salaberry-de-Valleyfield en octobre 2023 afin de vider la bibliothèque McLennan pour le début des travaux en 2025. « C’est seulement après avoir déplacé les livres que le projet de rénovation a été mis en pause » informe Carlos Della Motta. Les travaux, retardés dû à « une augmentation des coûts dans la construction », ont été impactés par l'augmentation des frais de scolarité pour les étudiants hors Québec. La doyenne Dr. Beaudry précise : « c'est certain que ça a contribué, parce que c'est la santé financière de McGill qui a été touchée, et la capacité d'emprunt de notre Université ». Les plans de rénovation sont actuellement retravaillés afin de rentrer dans le budget. La doyenne précise que les étagères de McLennan resteront vides et ne seront pas démantelées tout de suite : « Pour le moment, on a confiance que d'ici au printemps, on saura où on s'en va. Si l’on démantèle les rayons et qu’on crée des espaces avec les moyens qu’on a, on risque de devoir tout changer à nouveau au printemps, quand on aura plus de visibilité sur la poursuite des travaux. »

Le futur du Centre

Le Centre ne restera donc pas seulement un entrepôt durant les travaux, et compte d’ailleurs accueillir les collections d’autres universités. Selon Carlos Della Motta, « lorsque d'autres bibliothèques, comme la bibliothèque d'Études islamiques, le campus MacDonald ou celle de l’École de musique commenceront à manquer d'espace, nous devrons mettre en place des protocoles et des procédures pour qu'elles puissent déplacer des documents ici. Nous ne sommes pas encore au maximum de notre capacité ». Le Centre de Collections accueille actuellement 2,4 millions de livres, et la doyenne mentionne qu’ils prévoient le retour de 400 à 500 000 livres dans la bibliothèque McLennan. « On se pose la question en discutant avec les étudiants mais aussi avec les professeurs : de quelles collections a-t-on besoin au centre-ville? » S’y retrouveront sûrement les livres qui ont été empruntés récemment, les nouveaux livres achetés par l’Université et ceux qui figurent sur les syllabus des professeurs.

Ainsi, les bibliothèques sont des espaces dans lesquels les étudiants passent un grand pourcentage de leur temps : le Centre de Collection est une première étape vers l’adaptation de nos bibliothèques pour nos besoins numériques du XXIe siècle. x

lara cevasco
lara cevasco | Le Délit

Nous, le Nord

Ce qui restera au Canada après l’élection de Trump.

C’est aux alentours de 22 heures lundi dernier que j’ai eu l’impression de revivre 2016 pour la première fois, et que les souvenirs de la dernière défaite démocrate ont commencé à me revenir à l’esprit. C’est à ce moment que je me suis revu âgé de tout juste 13 ans, regardant seul les résultats de l’élection présidentielle être annoncés, et comprendre que non, Hillary Clinton ne deviendrait pas la première femme présidente des États-Unis d’Amérique - et ne briserait ainsi pas le dernier plafond de verre en politique. Cette fois, Elliott, 21 ans, comprenait que non, Kamala Harris ne deviendra pas non plus la première femme présidente des États-Unis et que ce plafond de verre allait une fois de plus résister. Pourtant, malgré ses airs de famille avec la victoire républicaine de 2016, celle de 2024 est totalement différente.

Pour commencer, les femmes ont aujourd’hui moins de droits qu’elles en avaient il y a de cela huit ans déjà, lors de la première victoire du MAGA (Make America Great Again). En effet, si en 2016 une loi fédérale prévoyait et garantissait l’accès à l’avortement pour les femmes à l’échelle des États-Unis, aujourd’hui, ce sont les États qui décident s’ils vont offrir - ou non - ce service. Un service de santé que je juge essentiel et qui, je dois le rappeler, sauve la vie de femmes qui dans de nombreux cas doivent faire usage de la procédure à la suite de

complications qui les mettent en danger. Maintenant que cette légalisation nationale de l’avortement est chose du passé, on n’a qu’une personne à remercier : Donald J. Trump. Il s’en est largement vanté d’ailleurs, disant à plusieurs reprises qu’il est le seul président à avoir réussi à renverser Roe v. Wade, le jugement de 1973 qui avait rendu légal l’avortement dans tout le pays.

Sous cette nouvelle administration Trump, on doit s’attendre à encore plus de réglementation entourant la santé et le corps des femmes. Au-delà du fait qu’il aura la charge de l’appareil exécutif, Trump risque d’enraciner la majorité conservatrice à la Cour Suprême et de remplir

pas grand-chose sur les droits des membres de la communauté LGBTQ2+, en 2024, son agenda y est fermement opposé. Les dernières semaines de la campagne nous l’ont démontré alors qu’à coup de millions de dollars, Trump menait une campagne médiatique axée sur un discours anti-trans dans les États pivots pour remporter la MaisonBlanche. De plus, le fameux projet 2025, un manifeste écrit par certains de ses plus proches collaborateurs et qui fait office de plateforme de campagne, nous fait comprendre dans quelle direction cette nouvelle administration compte se diriger, au détriment des minorités de genres et sexuelles. Si le projet 2025 est mis en application, nous risquons

arrière serait tout autant un crève-cœur pour les défenseurs de la cause du mariage pour tous, sachant qu’il a fallu attendre des décennies pour que la plus haute instance judiciaire du pays reconnaisse sa légalité à l’échelle du pays. En somme, avec Trump de retour dans le rôle de président, on doit s’attendre à ce que les droits des communautés sexuelles et de genre soient remis en question ou simplement supprimés.

Avec ce rapide comparatif entre la première élection de Trump et sa réélection, on comprend que non seulement le contexte qui a permis au candidat républicain de devenir le président des ÉtatsUnis a changé, mais aussi que le candidat et la nature de ses poli-

« Pourtant, malgré ses airs de famille avec la victoire républicaine de 2016, celle de 2024 est totalement différente »

l’administration américaine de certains de ses collaborateurs tels que Elon Musk et Robert F. Kennedy Jr., deux hommes qui se sont déjà prononcé contre l’avortement. Bref, l’entièreté du gouvernement fédéral américain étant sous le joug de Trump et de ses alliés anti-choix, les femmes devront faire preuve de courage et de résistance alors que les droits fondamentaux et sacrés de leur personne sont sous-pression et qu’ils seront assurément attaqués. Deuxièmement, alors que Trump avait été élu en 2016 avec une plateforme qui ne disait

de voir une interdiction nationale des chirurgies de réassignement de sexe avant la majorité, la remise en application d’une interdiction pour les personnes trans d’entrer dans l’armée ou encore limiter leur capacité à joindre des équipes professionnelles de sport. Pour les minorités sexuelles, comme l’a affirmé le juge controversé et ultra-conservateur de la Cour Suprême, Clarence Thomas, c’est aussi la légalisation nationale du mariage entre conjoints de même sexe qui risque d’être renversée, à l’instar de l’arrêt Roe v. Wade. Un tel recul en

tiques ont changé. Ceux et celles qui pensent que 2024-2028 sera une continuité avec le premier mandat de Trump se leurrent. Le septagénaire s’est radicalisé et il risque de faire encore plus de ravages pour les plus faibles. Cette fois-ci, Trump menace d’aller encore plus loin et de s’attaquer à des tranches de la population qui avaient jusqu’ici été épargnées.

En terminant, permettez-moi de m’adresser directement à vous, chers lecteurs du Délit . Les États-Unis ont fait leur choix la semaine dernière. Ils ont élu

Trump. D’une incroyable manière, des États pourtant traditionnellement démocrates sont tombés dans le giron républicain et d’autres, comme la Virginie, ont failli eux aussi succomber à la marée rouge. Pour la première fois en 20 ans, le candidat républicain à gagné le vote populaire. Maintenant, le Canada devra aussi faire un choix, et ce rapidement. On devra décider comment se positionner face aux États-Unis dirigés par un extremiste et comment on fera la politique chez nous. Je ne sais pas ce qu’on décidera de faire. Je ne sais pas non plus ce qui nous attend. Ce que je sais, cependant, c’est qu’on devra serrer les dents et se tenir droit devant la Maison-Blanche. Parfois, ce qu’on va voir au sud de notre frontière choquera, ça fera mal au cœur. Plus d’une fois, on sera témoin de terribles injustices, mais on ne peut pas se permettre de sombrer avec eux. Nous, le nord, nous devrons faire preuve de force et de résilience. Nous, le Canada, nous devrons nous serrer les coudes pour nous assurer que ce genre de dérives totalitaires ne se rendent pas jusqu’à chez nous. On devra aussi renforcer nos autres alliances, parce qu’avec Trump à Washington, le Canada n’aura pas besoin de se chercher d’ennemi. Nous, le nord, nous devons leur faire face, ensemble. x

ELLIOTT GEORGE GRONDIN Contributeur

STU DORÉ | le dÉlit

Cette semaine, Le Délit vous présente le fruit de la deuxième édition de son projet collaboratif avec le Centre d’enseignement du français à McGill (CEF). Dans le cadre du cours « FRSL 449 – Le français des médias », les étudiant·e·s en apprentissage du français comme langue seconde ont été invité·e·s à soumettre des chroniques qui portent sur des faits marquants de l’actualité, culturelle ou politique, d’ici ou d’ailleurs. Ayant pour thème commun « Une image vaut mille mots », les chroniques développent les points de vue personnels des auteur·rice·s sur les enjeux sociaux illustrés dans des œuvres d’art ou des photos journalistiques qui ont attiré leur attention. Ces textes, préalablement révisés dans un contexte académique par la professeure Élisabeth Veilleux, ont par la suite été sélectionnés pour être publiés dans Le Délit. Nous vous présentons donc notre sélection des quatre meilleures chroniques. chroniques

Khudadadi : une réfugiée qui incarne l’esprit des Jeux

Voilà bien une image qui illustre la joie immense d’un rêve enfin réalisé. C’est Zakia Khudadadi, la paralympienne qui a marqué l’histoire en remportant la première médaille de l’équipe des réfugiés à Paris, en taekwondo. À ses côtés, son entraîneuse Haby Niare, la porte triomphalement. Lorsque la nouvelle de sa médaille de bronze a été annoncée, Niare a soulevé la championne dans un geste de soutien qui a fait le tour des réseaux sociaux.

Pour l’équipe olympique des réfugiés, ce podium est un premier, mais pour Khudadadi, il représente une plateforme de visibilité qu’elle peut utiliser pour sensibiliser à la situation des femmes afghanes opprimées. Les Jeux ont fait de Khudadadi une icône para-

Votre

Elympique, et à juste titre : elle incarne l’esprit de persévérance de ces femmes en luttant à la fois pour elle-même et pour leur droit à l’égalité.

Devenir paralympienne était un rêve pour Khudadadi, mais à l’origine, elle voulait représenter son pays natal, l’Afghanistan. Elle s'était préparée à Kaboul pour les Jeux de 2021, mais elle a dû fuir le pays lors de la prise de pouvoir des Talibans. Désormais

en sécurité en France, elle concourt pour l’équipe des réfugiés tout en restant engagée dans la cause des femmes afghanes. Alvin Koualef, journaliste pour Ouest France , souligne que Khudadadi est une inspiration non seulement pour les personnes en situation de handicap, mais aussi pour les réfugiés. En effet, son accomplissement est déjà porteur d’une grande signification pour cette nouvelle équipe.

Ceci étant dit, la vie n’est pas toujours idyllique pour une réfugiée. Sophie Hienard, journaliste pour Le Point, explique que Khudadadi a risqué non seulement sa vie, mais aussi sa participation aux Jeux de Tokyo en fuyant l’Afghanistan. Soutenue dans sa fuite par plusieurs pays, elle n’a pu rester

en France que deux semaines avant de devoir repartir pour les Jeux de Tokyo. Même face à une situation nécessitant du repos, le choix de Khudadadi de participer souligne un dilemme pour les athlètes réfugiés qui doivent trouver l’équilibre entre leur bien-être et la reconnaissance du public.

Aujourd’hui, l’athlète profite de sa liberté pour vivre pleinement et pour s’exprimer sur la situation en Afghanistan. Dans une entrevue accordée à France 24, la paralympienne a déclaré croire que sa notoriété découlait de son histoire unique, dans laquelle ses sympathisants se reconnaissaient. En effet, son parcours atypique s’inscrit dans les valeurs des Jeux : elle est admirée pour avoir surmonté des difficultés considérables

afin d’obtenir une vie meilleure. Ses supporteurs n’acclament pas qu’elle : ils soutiennent toutes les femmes afghanes qui ne connaîtront peut-être jamais une telle liberté.

Les Jeux paralympiques nous émeuvent parce qu’ils nous rappellent l’importance de persévérer. La réponse du public à la victoire de Khudadadi démontre la nécessité d’avoir une équipe de réfugiés et démontre que ses athlètes incarnent véritablement l’esprit des Jeux. Le handicap de Khudadadi la définit comme paralympienne, mais c’est sa capacité à devenir un phare d’espoir qui fait d’elle un symbole si puissant des Jeux paralympiques. x

Jacob Shannon Contributeur

cinquième tasse Stanley ne protège pas la planète

n décembre 2023, une vidéo publiée sur TikTok a récolté des millions de mentions « j'aime » et des centaines de milliers de partages, tout en attirant l’attention des journaux. La vidéo montrait l’agitation provoquée par la mise en vente des fameuses bouteilles d’eau réutilisables de la marque Stanley dans un magasin Target. La collection vendue exclusivement dans cette chaîne de grande surface a disparu en moins de quatre minutes. Selon Statista, les ventes annuelles de la compagnie Stanely ont atteint 750 millions de dollars américains en 2023. Ce succès s’explique par une véritable frénésie pour ces produits réutilisables, publicisés comme « écologiques ». Pourtant, il semble que les bouteilles Stanley font plus de mal que de bien : l’obsession qu’elles ont suscité chez les acheteurs illustre notre société de surconsommation.

La surconsommation

Selon Jessica Katz, journaliste d’Analyst News, l'engouement face aux bouteilles Stanley provient de l'incitation à collectionner plusieurs couleurs et styles différents. Les fanatiques

de la marque accumulent des dizaines de bouteilles même s’ils n’en utilisent véritablement qu’une seule à la fois. Ceci démontre une tendance à choisir le plaisir immédiat d’avoir ce qui est à la mode et ce que l’on considère beau, plutôt que de considérer l’utilité du produit à long terme. De plus, bien que les bouteilles soient composées à 90% d’acier inoxydable recyclé, une entrevue publiée dans un article de Radio-Canada a révélé que Stanley n’a pas de programme de reprise ou d'options de recyclage en fin de vie pour ses propres produits. La production d’un si grand nombre de bouteilles réutilisables en acier inoxydable détruit la planète de sa propre manière, ce qui remet en question les véritables motifs de ceux qui achètent une cinquième Stanley « pour la planète ».

Une bouteille en vogue

La bouteille réutilisable est devenue un accessoire de mode, ce qui indique que son usager la remplacera un jour par une bouteille considérée plus tendance. Une journaliste de Radio-Canada remarque que ce qu’on observe actuellement avec les Stanleys s’est déjà produit plusieurs fois avec d’autres marques, notam-

ment Yeti, Hydro flask, S’well, Nalgene, et Owala. Ainsi, les Stanley accumuleront de la poussière au fond de nos placards, pour qu’on puisse les remplacer par la prochaine bouteille attrayante.

Un discours d’écoblanchiment

La vidéo virale contraste avec le discours d’écoblanchiment de la compagnie Stanley. Selon ses dirigeants, la compagnie se veut construire un monde plus durable, adoptant le slogan « Built for Life » (Conçu pour la vie, tdlr). Cependant, un article du Frontier Group révèle qu’en janvier dernier, la compagnie a sorti 17 nouvelles couleurs, encourageant les fans de la marque à acheter plus d’une bouteille. De plus, les bouteilles d’eau sont vendues en édition limitée, créant un sentiment de rareté qui incite les consommateurs à acheter une nouvelle couleur avant qu’elle ne soit plus disponible. « Stanley » est une entreprise et conséquemment, sa priorité est le profit et l’efficacité de production. Malgré son slogan, les produits de Stanley sont principalement fabriqués en Chine et au Brésil, ce qui entraîne un transport sur de longues distances, contribuant ainsi à une empreinte carbone importante avant d'atteindre leur

principal marché en Amérique du Nord. Même si son produit est « écologique », le fonctionnement de l’entreprise ne l’est pas.

En somme, la vidéo nous oblige à réévaluer notre perception des bouteilles d’eau Stanley, ainsi que les produits « réutilisables » en général. Acheter une autre bouteille simplement parce qu’elle est à la mode perpétue un cycle de

surconsommation. Enfin, en dépit des belles promesses écologiques de Stanley, l’entreprise est bien consciente du fait que son succès dépend de notre surconsommation. Aussi faudra-t-il se satisfaire des belles bouteilles d’eau qui se trouvent déjà chez nous. x

claire ambrozic

Contributrice

Quand la liberté d’expression artistique suscite l’indignation de l’Église

Madonna, Lady Gaga, Lil Nas X, Sabrina Carpenter : chacun de ces artistes a choqué l’Église avec son choix de clip vidéo. Les démonstrations sexuelles dans les espaces sacrés et les représentations irrespectueuses des figures religieuses dans ces clips ont suscité une réaction brutale de la part des communautés religieuses. Cela dit, les critiques sont-elles justifiées, ou devrions-nous reconnaître la liberté d’expression artistique de ces chanteurs?

Un clip vidéo controversé

Le 31 octobre 2023, la chanteuse pop américaine Sabrina Carpenter a sorti un clip pour sa chanson « Feather », dans laquelle elle marque la fin d’une relation amoureuse toxique en chantant qu’elle se sent « légère comme une plume , ( tdlr ) ». Dans la scène qui a fait réagir, la chanteuse porte une robe noire aguichante et danse de manière provocatrice sur l’autel d’une église, en évoquant la métaphore de l’enterrement de sa relation toxique. Suite à ce clip

vidéo, la communauté chrétienne a critiqué l’utilisation inappropriée d’un lieu de culte allant à l’encontre des valeurs catholiques de chasteté et de pureté. En dépit des critiques, le clip a été visionné plus d’un million de fois en moins de 24 heures suivant sa publication et, depuis lors, ce nombre a augmenté à 88 millions. De plus, la chanteuse continue à gagner en popularité avec son nouvel album « Short n’ Sweet » et sa tournée internationale qui vient de passer à Montréal le 11 octobre.

En plus des critiques qui ciblent Sabrina Carpenter, l’Église catholique a démis de ses fonctions le pasteur Monseigneur Jamie Gigantiello comme administrateur de l’Église Annunciation of the Blessed Virgin Mary à New York, qui a permis le tournage du clip à cet endroit. Dans une lettre d’excuses, Gigantiello a expliqué que, faute de détails communiqués par les réalisateurs du clip, il a donné son aval au projet en vue de renforcer les liens entre l’Église et la communauté artistique. De

façon à se faire pardonner, les 5 000 dollars reçus par l’église pour le tournage du clip seront donnés à la fondation Bridge to Life , qui offre des services aux femmes vivant des grossesses non planifiées.

Liberté d’expression

En explorant l’histoire de clips controversés, on découvre qu’il en existe plusieurs qui ont suscité une réaction comparable à celle de la vidéo de Sabrina Carpenter. Le mélange d’érotisme et de religion dans le clip « Like a Prayer » de Madonna a suscité la même polémique, et continue de le faire encore 25 ans après sa sortie. En 2011, Lady Gaga a scandalisé l’Église avec son titre «  Judas », de façon similaire au clip de Lil Nas X sorti cette année dans lequel il incarne Jésus Christ. Les motivations de ces artistes varient : elles vont de messages sur les enjeux sociaux, comme le racisme abordé dans le clip de «  Like a Prayer », aux critiques des normes religieuses, en particulier concernant l’exclusion des personnes

LGBTQIA+. Mais les artistes font aussi appel à l’illustration métaphorique de leurs expériences, comme celle employée par Lil Nas X à travers la réincarnation de Jésus pour approfondir son message de retour sur la scène musicale. Bien qu’ils aient été parfois condamnés, ces artistes ont conservé leur popularité, puisque leurs admirateurs se reconnaissent dans leurs messages. On pourrait donc penser que Sabrina Carpenter, à travers ses clips, tente de critiquer la sensibilité religieuse de la société ou de se distancer de ses débuts plus innocents de façon à développer sa carrière.

Quelles que soient les motivations des artistes qui attisent ce type de controverse, cela remet en question les limites de la liberté d’expression à laquelle les artistes ont droit. Les vidéoclips permettent aux membres de la société d’exprimer leurs opinions de manière créative sous forme artistique. L’encadrement du contenu artistique, sous prétexte d’éviter les offenses ou les critiques, s’avère fâcheux, puisqu’il contreviendrait

à la liberté d’expression. Voilà pourquoi, plutôt que d’établir des contraintes aux sujets sur lesquels portent les arts, il vaudrait mieux comprendre les motivations des artistes afin d’apprécier leur art sans y trouver offense. x

Emilie Fry Contributrice

La laïcité française est-elle en contradiction avec l’esprit des JO?

Contributrice

Alors que le monde entier se prépare à célébrer la diversité aux Jeux Olympiques (JO), une controverse éclate : l’interdiction du port du hijab pour les athlètes françaises. Cette décision, perçue par certains comme une atteinte à la liberté religieuse, a rapidement enflammé le public. Elle a également mis en lumière le fossé entre les idéaux du pays et la diversité de sa société. En mettant en place cette interdiction, la France défend sa conception de la laïcité, mais à quel prix? Est-ce une mesure nécessaire à la mise en œuvre de la laïcité ou est-ce une exclusion injuste qui travestit l’esprit des JO? En tant que pays qui valorise l’égalité, la liberté et la fraternité, l’imposition de cette règle pose une question fondamentale : la France est-elle en train de compromettre ses propres valeurs

au nom d’une laïcité inflexible?

Cette interdiction repose sur un plan rigide de la laïcité, concept hérité de la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905.

Comme événement international, les JO représentent un espace dans lequel le respect des valeurs universelles doit prévaloir. En ce sens, la France va à contre-courant de l’esprit-même des JO. Bien qu’il soit légal et compatible avec les règles du Comité International Olympique d’imposer un code vestimentaire aux JO selon un article du Figaro (2023) : « JO 2024 : l’interdiction de porter le hijab pour les Françaises est compatible avec les règles olympiques », le pays risque de marginaliser les athlètes musulmanes qui ne devraient pas avoir à choisir entre leur foi et leur passion pour le sport. D’un autre côté, certains soutiennent cette interdiction, car elle pro-

ILLUSTRATIONS : Eileen Davidson | le dÉlit

meut la neutralité religieuse des athlètes. Cependant, je pense qu’il ne faut pas que la neutralité devienne un synonyme de l’uniformité imposée où chacun est obligé de sacrifier son identité pour se conformer.

Le sport est un vecteur puissant pour l’intégration sociale. Notamment, les athlètes voilées sont des modèles pour de nombreuses jeunes filles à travers le monde, qui montrent qu’il est possible de concilier la foi et le sport. En les excluant, nous envoyons un message de rejet à toute une génération. Par exemple, un incident lors de la cérémonie d’ouverture a créé une vive polémique. Sounkamba Sylla, coureuse de relais de l’équipe française, a participé à la cérémonie en portant une casquette après que le port de son voile ait été interdit. Cet acte, perçu comme une forme de défiance par la socié -

té, a capté l’attention de divers médias et souligné l’absurdité de l’interdiction. Par exemple, Amnistie internationale, une organisation pour la défense des droits humains, dénonce la discrimination flagrante à l’égard des athlètes musulmanes. Pour les athlètes voilées, cette interdiction représente non seulement une violation de la liberté religieuse, mais aussi une exclusion injustifiée qui vise à effacer une partie de leur identité.

Selon moi, cette interdiction est une manière de contrôler l’expression de la foi sous le prétexte de neutralité. Il n’est donc plus seulement question de sport, mais plutôt d’un débat sur l’acceptation de la diversité dans les espaces publics. En empêchant les athlètes voilées de participer aux JO, la France rate une opportunité unique de montrer que la laïcité peut

être un cadre d’inclusion et non d’exclusion. Si l’objectif est de maintenir un environnement où chacun se sens respecté dans ses croyances personnelles, ne devrions-nous pas accepter les croyances des athlètes, quelles qu’elles soient? Il

environnement

environnement@delitfrancais.com

au quotidien

Biologique ne rime pas toujours avec écologique

Acheter bio est-il toujours le meilleur choix pour l’environnement?

Au début de la session, ma co-éditrice Adèle et moi avons visité le campus Macdonald de l’Université, où nous avons eu la chance de rencontrer Janice Pierson, responsable de la ferme. Elle a piqué notre curiosité en mentionnant le rôle parfois néfaste de l’agriculture biologique pour l’environnement. Une perte d’informations entre les agriculteurs et les consommateurs entraîne souvent des comportements bien intentionnés mais infondés, comme la préférence pour les produits bio, basée sur des perceptions inexactes. Ces derniers ne sont pas aussi parfaits que ce qu’on pourrait croire.

En quoi consiste l’agriculture biologique

Afin d’approfondir mes connaissances à propos de l’agriculture biologique, je me suis entretenue avec David Wees, chargé de cours au Département de sciences végétales et directeur associé du Programme de gestion et technologies d’entreprise agricole. M. Wees explique que « biologique » ne signifie pas simplement l’absence de pesticides ou d’engrais : « C'est plus compliqué que ça. Le bio utilise des pesticides, mais ce sont des pesticides à moindre impact environnemental. On utilise aussi des engrais, mais la plupart sont des engrais d'origine naturelle, comme du compost ou du fumier. Si on

de regarder son ensemble et de se demander si on peut travailler de façon à minimiser l'impact environnemental, tout en maintenant la santé du sol, des travailleurs, des animaux, etc. »

Les avantages (et mirages) du bio

Les produits bios semblent à première vue toujours avoir un moindre impact environnemental, entre autres parce que plusieurs techniques sont priorisées avant l’utilisation de pesticides et d’engrais. David Wees détaille diverses méthodes alternatives utilisées pour lutter contre les insectes, les maladies et les mauvaises herbes : « Si on applique [l’agriculture biologique, ndlr ] de façon théoriquement parfaite, lorsqu'on essaie de lutter contre les insectes, les maladies et les mauvaises herbes, on va toujours préconiser des méthodes non pas pour éliminer les problèmes, mais pour mieux les gérer. Autrement dit, on va tolérer un certain pourcentage de mauvaises herbes, d'insectes ou de maladies. » Ces méthodes incluent le labour du sol, le désherbage thermique, l'utilisation de paillis, l'introduction d'insectes bénéfiques (l’exemple le plus populaire étant les coccinelles pour éliminer les pucerons), et les pièges collants. L’utilisation de pesticides doux, comme des solutions savonneuses ou à base de soufre, arrive en dernier recours.

Pour ce qui est de la santé des consommateurs, il est vrai que les produits bios peuvent au pre -

« Il serait donc préférable de s’interroger sur la provenance d’un produit avant de vérifier s’il est certifié biologique »

utilise des minéraux [comme engrais ou pesticides, ndlr ], ce sont des minéraux qui ont été minés et non pas synthétisés. » En comparaison, l’agriculture conventionnelle peut faire usage d‘organismes génétiquement modifiés (OGM), de pesticides chimiques et de fertilisants.

David Wees ajoute que l’agriculture biologique va au-delà de ces techniques : « Le bio s'inscrit dans une approche où on essaie de voir la ferme presque comme un organisme vivant, c'est-à-dire

mier abord sembler plus sains, puisqu’ils n’ont pas été traités avec des pesticides synthétiques. « Si on regarde les rapports de Santé Canada sur les cas de maladies ou d'intoxications dûes à des aliments contaminés, il y en a très peu concernant les fruits et légumes. La plupart du temps, ce n'est pas une intoxication dûe aux pesticides, mais à des bactéries qui se développent souvent lors de la manipulation des récoltes. Dans le cas de la viande, c’est lors de l'abattage, de l'emballage ou du transport [que peut survenir cette

contamination, ndlr]. », souligne David Wees. Les contaminations auraient lieu non pas pendant la production, mais le plus souvent après. « Lorsqu’il y a eu des cas d'intoxication dûs aux pesticides, c'était presque toujours lors de leur application ou de leur préparation. Donc, les plus à risque sont le producteur ou les employés, plutôt que le consommateur », précise M. Wees.

nelle. Selon la définition d’Équiterre, l’agriculture conventionnelle « comporte d’importantes limites notamment environnementales (contamination des eaux et des sols, désertification, salinisation des sols, disparition des pollinisateurs, destruction de la biodiversité, etc), et sur la santé humaine ».

Pour obtenir la certification biologique au Québec, « il ne suffit

Les inconvénients du bio

Les techniques alternatives peuvent cependant parfois avoir un coût plus insidieux. David Wees donne l’exemple du cuivre : « Nous utilisons le cuivre depuis plusieurs siècles comme fongicide [pesticide servant à éliminer ou contrôler le développement de champignons parasites, ndlr ]. Le problème, c'est qu’il ne se décompose jamais, contrairement aux pesticides organiques, qui se décomposent éventuellement. C’est un métal qui reste dans le sol. Pourtant, le cuivre est permis en agriculture biologique. »

David Wees explique que certaines techniques visant à éviter l’utilisation de produits chimiques nocifs proposent des alternatives qui ne sont pas forcément meilleures : « Souvent, en agriculture biologique, on doit utiliser beaucoup de labourage, soit de travail du sol, ce qui signifie que l’on passe encore plus de temps sur le tracteur, et donc qu’on consomme plus de diesel. On remplace finalement un problème par un autre : la consommation de carburant qui émet des gaz à effets de serre. » On a tendance à penser que le bio est idéal, mais il a tout de même un coût climatique considérable. L’agriculture biologique reste cependant une alternative préférable à l'agriculture convention-

pas simplement de dire que nous sommes bios. » David Wees explique qu’il faut procéder à des vérifications exhaustives, et parfois à des inspections, qui vérifient la « trace écrite » ( paper trail ), comme les achats du producteur : « Pour prouver qu'on est une institution biologique, il faut conserver tous les reçus de tous nos intrants et être capable de décrire comment on s'en sert. » Certains producteurs décident de pratiquer l’agriculture biologique sans chercher à obtenir de certification, en raison des formalités écrasantes qui s’ajoutent au travail déjà très exigeant de la terre.

La paperasse administrative est souvent déjà insurmontable pour certains producteurs. Selon Janice Pierson, il y a une quantité démesurée de documents à compléter, et la raison derrière tous ces rapports qui se ressemblent n’est pas toujours évidente. « Je dois pratiquement embaucher quelqu'un rien que pour remplir les formalités administratives! », s’était-elle exclamée.

De son côté, la ferme du campus Macdonald a décidé de ne pas pratiquer l’agriculture bio, mais plutôt l’agriculture régénératrice, visant à préserver la qualité des sols, notamment en favorisant la biodiversité dans la terre pour augmenter sa teneur en matière organique. Selon Cultivons

Biologique Canada, les pratiques de l’agriculture régénératrice comprennent « le compostage, les cultures de couverture, les engrais verts de légumineuses, la rotation des cultures, l’agriculture mixte et la culture peu profonde et réduite ».

Comment devenir un consommateur écoresponsable

« Malgré tout l'intérêt que les consommateurs ont pour le bio, si on regarde la production des fruits et des légumes au Canada, seulement à peu près 5% sont biologiques », signale David Wees. Pourtant, la demande est croissante au Québec et ailleurs dans le monde. Une grande partie des produits bios consommés au Canada sont donc importés, surtout des États-Unis : « La plupart du temps, les produits ne viennent pas de New York ou du Vermont, mais de la Californie. Donc, des carottes bios ont été récoltées en Californie, ont été mises sur un camion et y ont passé trois à quatre jours pour se rendre jusqu’à Montréal, alors que des carottes non biologiques cultivées au sud de Montréal ont peut-être passé seulement trois heures sur un camion. » Il serait donc préférable de s’interroger sur la provenance d’un produit avant de vérifier s’il est certifié biologique.

Au-delà de l’achat local, David Wees donne quelques conseils pour améliorer son comportement en tant que consommateur. Pour atténuer les impacts liés à la pollution par le transport des produits importés, il faut privilégier les fruits et légumes de saison. Il est également préférable de consommer ceux qui se conservent bien, comme les pommes ou les canneberges, plutôt que les fraises.

Même si l’agriculture biologique est en général une meilleure option pour l’environnement, il ne faut pas supposer que ce l’est dans tous les cas. Biologique ne rime pas toujours avec écologique : il est possible que certaines méthodes de l’agriculture conventionnelle ou régénératrice s'avèrent plus durables dans certains contextes. En s’informant sur les pratiques agricoles et leurs effets sur l’environnement, on peut éviter les pièges des idées reçues et faire des choix plus éclairés en tant que consommateurs, comme regarder d’où les produits proviennent avant de vérifier s’ils sont bios. x

juliette elie | le délit

culture

artsculture@delitfrancais.com cinéma

Cinemania : la francophonie à l’écran

Gros plan sur quatre films en tête d’affiche du festival de cinéma.

HARANTXA JEAN

Éditrice Culture

Béatrice Poirier-Pouliot

Éditrice Culture

En célébrant ses 30 ans, le Festival Cinemania nous offre une sélection de films aussi diversifiée que captivante, reflétant la richesse du cinéma contemporain. C’est précisément cette variété qui fait de ce festival de films francophone, ayant la plus grande envergure en Amérique du Nord, un événement unique. Faisons un gros plan sur quatre de leurs pépites.

Monsieur Aznavour : petit de taille, mais plus grand que nature

Présenté en première internationale lors de la soirée de gala marquant le 30e anniversaire du Festival Cinemania, Monsieur Aznavour , réalisé par Grand Corps Malade et Mehdi Idir, met en vedette Tahar Rahim dans le rôle du chanteur mythique. Dès les premières images, nous sommes immergés dans les souvenirs d’enfance de Charles Aznavour, fils de réfugiés arméniens installés à Paris, qui grandit au cœur de la Seconde

est marqué par des apparitions d’autres figures emblématiques de l’époque qui surprennent, telles que Frank Sinatra, Gilbert Bécaud ou Johnny Hallyday, renforçant l’image d’Aznavour comme un artiste évoluant parmi les grands de son époque. Cependant, les réalisateurs ne cherchent pas à adoucir les difficultés de son parcours. Que ce soit par le racisme auquel il a été confronté, la pression de correspondre à une certaine image,

« En célébrant ses 30 ans, le Festival Cinemania nous offre une sélection de films aussi diversifiée que captivante »

Guerre mondiale et de la pauvreté. Ses débuts modestes sont filmés avec une justesse qui révèle l’essence de l’homme avant la légende, et pose les bases d’un parcours d’opportuniste obstiné.

Autodidacte, il écrit, compose et interprète ses chansons ; sa polyvalence témoigne de son désir de réussir et, épaulé par son premier complice de scène Pierre Roche (interprété par Bastien Bouillon), Aznavour arpente les cabarets parisiens pour atteindre ce but.

Ensemble, ils tombent sous le mentorat d’Édith Piaf (interprétée par Marie-Julie Baup), qui les inspire à poursuivre leur carrière à Montréal. La complicité entre Piaf et Aznavour est abordée avec finesse : le film présente l’interprète de L’hymne à l’amour comme une seconde mère qui, par ses gestes tant bienveillants que brusques, contribue à façonner l’Aznavour iconique que l’on connaît. Le film

ou ses échecs répétés dans sa quête d’une vie de famille stable, les moments sombres de la vie du chanteur sont révélés.

« C’était un père très présent, je l’ai accompagné dans ses tournées, et j’en garde des beaux souvenirs », témoigne la fille de l’artiste, Katia Aznavour, présente à l’avant-première. Ce témoignage, bien qu’émouvant par son intimité, contraste avec l’image tourmentée de l’artiste que le film expose, notamment avec son rôle de père parfois absent. Vers la fin, le film revêt un ton mélancolique, nous laissant face à un homme vulnérable, contemplant le chemin parcouru. Une interprétation de Hier encore conclut le film, et offre au public un dernier au revoir à l’homme qui, jusqu’à son dernier souffle, a incarné l’intemporalité et la beauté de la chanson française.

Monsieur Aznavour prendra l’affiche au Québec le 29 novembre 2024.

L’Amour ouf : quand la jeunesse réinvente le cinéma

Dans L’Amour ouf, Clotaire et Jackie, deux âmes écorchées, se rencontrent et s’apprivoisent au fil d’une romance douce-amère. Dès les premières notes de la bande sonore, le film nous plonge dans un univers musical à la fois riche et nostalgique, composé de tubes des années 80 et 90 qui évoquent une ambiance rétro.

L’Amour ouf est avant tout une déclaration d’amour au cinéma. Le réalisateur Gilles Lellouche nous livre un film vibrant, plein d’audace, de vitalité et d’une ambition créative intense. Certes, le film tombe parfois dans la surenchère d’effets, mais cette exubérance contribue à l’authenticité et à l’émotion brute qui en émanent.

Même si le scénario est classique et reconnaissable — le bad boy au cœur tendre et la manic pixie girl un peu désabusée — L’Amour ouf parvient à captiver et émouvoir, porté par des personnages incroyablement attachants. La véritable force du film réside dans la chimie entre les jeunes interprètes (Mallory Wanecque et Malik Frikah) qui éclipsent leurs homologues plus âgés (Adèle Exarchopoulos et François Civil). Leurs échanges sont si naturels qu’on se sent presque intrus dans les scènes les plus intimes.

L’Amour ouf n’est certes pas exempt de défauts : les dialogues manquent parfois de finesse, et le montage évoque par moments des transitions Vidéo Star, mais ces éléments ajoutent une touche kitsch qui s’intègre bien au charme du film.

Loin de proposer quelque chose de révolutionnaire, L’Amour ouf réussit cependant un recyclage brillant

des clichés, avec un mariage entre modernité et nostalgie qui fait écho aux souvenirs romancés de l’adolescence, dans un film profondément touchant sur la jeunesse.

L’Amour ouf prendra l’affiche au Québec le 1er janvier 2025.

L’Athlète : Stevens Dorcelus sous un nouvel angle

L’Athlète, réalisé par MarieClaude Fournier, offre un regard intime sur la vie de Stevens Dorcelus, une personnalité marquante de la télévision québécoise. Bien que principalement connu pour sa victoire à Occupation Double Dans l’Ouest (2021), Dorcelus est présenté dans ce documentaire comme un jeune homme animé par le désir de concrétiser ses rêves à travers la discipline du saut en longueur. Ses performances font de lui une figure respectée dans le domaine ; mais son histoire ne s’arrête pas à ses médailles. C’est ce que la caméra de Fournier, qui le suit depuis 2013, cherche à révéler.

Dès les premières scènes, l’authenticité se fait ressentir. Les échanges en créole haïtien avec ses proches nous immiscent dans un quotidien sans artifice, où chaque dialogue fait ressortir la chaleur de la famille « tissée serrée » que le jeune Stevens rêve de rendre fière. Issu d’un foyer monoparental, Dorcelus est marqué par un devoir de redonner à sa communauté, sa passion allant au-delà d’une quête personnelle. Ladite passion incarne celle de toute une communauté, celle de la diaspora haïtienne au Québec. À travers ses exploits, il montre aux jeunes, notamment ceux issus de milieux modestes, qu’il est possible de s’élever, de « sortir » des contraintes imposées par leur

environnement, et d’accomplir de grandes choses.

En salle dès le 13 décembre 2024.

Les Femmes au Balcon : une ode à la sororité… ratée

Les Femmes au Balcon de Noémie Merlant, écrit en collaboration avec Céline Sciamma, tente de dénoncer le patriarcat à travers une intrigue mêlant surnaturel et satire. Malgré quelques moments de comédie noire réussis, le film échoue à maintenir un ton cohérent, et sa conclusion maladroite affaiblit son propos féministe.

Si l’on espérait une satire piquante ou une comédie d’horreur, seuls certains moments réussissent à éveiller cet esprit irrévérencieux. Ces touches d’humour noir ne sont pas suffisantes pour équilibrer la violence brute qui domine certaines scènes et brime l’intention humoristique initiale. Le film tente également d’introduire des éléments surnaturels de manière inattendue, mais ceux-ci sont finalement sous-exploités, et semblent être aléatoires.

La comédie, bien que souvent volontairement outrancière, passe par des ressorts puérils, et amène même certaines scènes à des registres involontairement sordides, notamment lorsqu’un viol conjugal est présenté comme une plaisanterie de mauvais goût. L’humour grossier se révèle ici totalement dissonant, et manque cruellement de discernement.

La conclusion, une scène qui revendique le mouvement Free the Nipple, manque de nuance et semble presque hors de propos dans le cadre d’un récit du genre cinématographique Rape and Revenge (Viol et vengance). En tentant de toucher à plusieurs thématiques sans les explorer pleinement, le film finit par diluer son message, et amoindrit la portée de sa dénonciation féministe.

Malgré la générosité et l’esprit risqué de Merlant, cette comédie déjantée demeure un film raté. On ressent ici une vision assez limitée : le propos se veut un pamphlet contre le patriarcat, une ode à la sororité, mais l’exécution est en réalité étroite et trop marquée par un féminisme qui se révèle superficiel.

Une représentation de Femmes au Balcon aura lieu le 13 novembre à 21h00 au Cinéma Quartier Latin, dans le cadre de la programmation Cinemania Le Festival prend fin le 17 novembre 2024.x

FELIX SCHAAF

La résilience face aux flammes

Les soeurs Talbi adoptent Incendies sur scène.

Vingt ans après sa publication, la pièce Incendies de Wajdi Mouawad est revisitée sur scène par le duo des sœurs Talbi, dans un contexte à la fois universel et intime, qui dévoile les ravages de la guerre et la résilience de ceux qui en portent les cicatrices. Le récit empreint de souffrance dénonce l’absurdité de la violence, confrontant l’auditoire à une réalité terrible, que l’on ne peut détacher de son contexte géopolitique actuel.

Incendies raconte la quête déchirante de Jeanne et Simon, deux jumeaux qui, à la mort de leur mère Nawal, reçoivent une mission déconcertante : retrouver un père qu’ils croyaient mort et un frère dont ils ignoraient l’existence. La pièce frappe toujours avec la même intensité. Le cycle de la violence qu’elle dénonce, immuable, lui accorde une dimension intemporelle. En unissant des scènes du passé et du présent, le récit devient le témoignage d’une souffrance qui transcende les frontières et les générations.

Le rôle d’une vie

La tâche colossale d’interpréter les différentes étapes de la vie de Nawal incombe à Dominique Pétin,

qui relève ce défi avec une aisance déconcertante. Elle incarne son personnage de l’adolescence jusqu’à la mort, transcendant ainsi notre perception du temps. Pétin offre une performance saisissante, rendant tangible la douleur de Nawal, sublimant d’autant plus sa résilience. Chaque épreuve endurée par le personnage est subtilement rendue, et son interprétation, habitée, lui confère une cohésion sensible. Cette fluidité accorde à l’histoire une force singulière, qui permet une exploration de la mémoire de Nawal. La pièce se déploie ainsi comme une rétrospection où la voix de cette femme se fait entendre sans rupture.

« Il n’y a rien de plus beau que d’être ensemble »

Pétin confère à ce personnage une profondeur qui rend justice aux mots de Mouawad, au-delà de la fiction. Les racines autochtones de la comédienne, d’origine huronne-wendate, ajoutent une dimension supplémentaire à la pièce, qui conjugue les horreurs de la guerre à la violence coloniale vécue par les peuples au-

tochtones. Cette résonance intime confronte le public à l’héritage colonial du Canada, qui dissipe l’illusion d’une violence lointaine en l’inscrivant dans une réalité locale. Alors que dans la pièce originale, les origines de Nawal et des jumeaux sont explicites, l’adaptation des sœurs Talbi maintient un flou délibéré à cet égard, dans un rappel subtil de l’universalité de la souffrance, qui s’inscrit à la fois dans le corps, dans le territoire, et dans la mémoire.

Entre jeunesse et sagesse

Les jeunes acteurs de la pièce apportent une forte crédibilité dans l’incarnation des jumeaux, Simon et Jeanne. Sabrina Bégin Tejeda et Neil Elias incarnent à merveille la relève théâtrale, insufflant à l’œuvre une nouvelle vitalité. L’intensité de Simon, porté par une énergie brute et une intensité crue, contraste avec le pragmatisme calme de Jeanne. Cette complémentarité renforce l’opposition de leurs personnalités, tout en soulignant la complexité du lien fraternel, à la fois fragile et indestructible. On peut également saluer la performance impeccable de Denis Bernard, qui démontre l’étendue de son expérience dans le rôle du notaire, chargé de transmettre

les dernières volontés de Nawal aux jumeaux. Sa présence apporte une touche de légèreté à cette histoire poignante, offrant des instants de répit à l’auditoire. La tension dramatique demeure suspendue dans un équilibre subtil, habilement dosé entre l’humour et le tragique.

Une mise en scène symbolique

Enfin, l’ingénieux dispositif scénique, constitué de cubes mobiles qui se transforment et se décomposent au fil des souvenirs, illustre avec finesse l’éclatement de la mémoire et les blessures invisibles de Nawal. La scène en perpétuelle transformation agit comme

Un lien rouge sang

Le théâtre Denise-Pelletier nous

fait

Avec sa pièce Ma vie rouge

Kubrick, le metteur en scène Éric Jean entreprend la tâche complexe d’adapter sur la scène du théâtre Denise-Pelletier le roman éponyme de Simon Roy. Œuvre entre l’autofiction et l’essai, elle relate l’obsession de son auteur pour le film d’horreur The Shining (1980) de Stanley Kubrick, inspiré du roman de Stephen King. Cette idée fixe, partiellement due au passé sinistre de Simon Roy lui-même, lui permet de s’interroger sur la capacité de l’être humain à transcender son héritage tragique familial. Telles des poupées russes, toutes ces œu-

vres se font écho dans une mise en abîme intertextuelle.

L’œuvre de Simon Roy prend vie sous les traits de Mickaël Gouin et Marc-Antoine Sinibaldi. À eux seuls, ces deux acteurs incarnent le dédoublement, thème récurrent dans toutes les œuvres à l’origine de cette adaptation. Tandis que Gouin, tout de bleu vêtu, incarne Simon Forest – personnage principal de cette auto-fiction – Sinibaldi, habillé en rouge Kubrick, personnifie ses maux générationnels ainsi que les nombreux autres personnages qui lui donnent la réplique. Le jeu de

une métaphore visuelle qui soutient parfaitement la quête des jumeaux, dans une reconstruction du passé douloureux de Nawal, qui s’intègre à l’espace scénique. La scène finale, qui reconstitue le tableau familial sous une chute de pétales rouge sang, est à couper le souffle : une traduction poétique du triomphe de l’amour et de la résilience sur la violence. Car « il n’y a rien de plus beau que d’être ensemble ».

Incendies est présentée au Théâtre Duceppe jusqu’au 30 novembre 2024.x

Béatrice poirier-pouliot Éditrice Culture

réfléchir aux tragédies familiales.

Sinibaldi se distingue par sa capacité à revêtir l’essence de ces multiples personnalités hétérogènes, tandis que Gouin fait preuve d’un jeu d’une versatilité singulière.

On retrouve également l’omniprésence du double à travers un jeu d’ombres astucieux projeté sur le mur qui longe le fond de l’espace scénique. Sur celui-ci défilent ainsi toutes sortes de projections multimédias (photographies, statistiques, définitions et paysages) qui accompagnent et illustrent judicieusement les paroles des acteurs. En effet, la série d’adaptations ayant mené à la création de la pièce ouvre la voie à une véritable transmutation des médias, avec une pièce située à la croisée du film, du livre, et de la scène. Ainsi, par la lecture à voix haute de longs monologues tirés du livre et les projections sur le cyclorama en arrière-plan, la pièce invite l’auditoire à découvrir un hybride entre l’imaginaire et le réel. De plus, l’alternance entre les répliques prononcées simultanément par les deux comédiens et les silences

soudains qui envahissent la scène suscitent chez l’auditoire une anxiété qui persiste tout au long de la pièce. La moquette rouge au sol et les éclairages colorés contribuent également à l’ambiance lugubre qui plane dans la salle.

Si l’adaptation est réussie avec brio en ce qui a trait à l’incarnation de l’atmosphère d’angoisse suintante et inconfortable propre au genre de l’horreur, la pertinence de certains choix narratifs décevait par moments. Le livre de Simon Roy et le film de Kubrick abordent de nombreux thèmes qui ne pouvaient vraisemblablement pas tous être représentés dans une pièce de 70 minutes. Malheureusement, la clarté du fil conducteur a été sacrifiée au profit du traitement d’une panoplie d’enjeux hérités du livre. Alors que le livre de Roy tricote délicatement l’enchevêtrement entre l’histoire tragique de sa famille et la trame sanglante de The Shining, la pièce nous perd légèrement et ce n’est qu’à la toute fin que les fils narratifs auparavant disparates sont reliés.

C’est pourquoi il faudrait plutôt considérer la pièce comme la cerise sur le gâteau d’une trilogie dont les pierres angulaires demeurent les œuvres de Roy et Kubrick. Nous vous conseillons donc d’aller voir la pièce si les univers de Kubrick et Roy vous sont familiers ; elle incarne visuellement l’ambiance des deux œuvres précédentes, mais il serait difficile d’en saisir toute la profondeur hors de ce contexte. La pièce reprend effectivement de manière plus légère et moins explicite les interrogations sur la fatalité de la violence qui hantent le film et le livre. Elle nous procure toutefois une ébauche de la réponse esquissée par Simon Roy, en nous offrant une projection opportune et émouvante accompagnée des mots imagés de l’auteur défunt : « Audessus de ma tête, le soleil s’évertue à essayer de déjouer les nuages. »

Ma vie rouge Kubrick est présentée au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 16 novembre 2024. x

NAomi Delgueldre

Contributrice CATVY TRAN

Contributrice

Ligne de fuite

Dessert amer

Je marche le long d’une route

Et j’emporte toutes mes blessures

Ce dessert amer que je goûte

Chaque fois, censure mon coeur

Je voudrais tant enlever ces pensées qui me tourmentent

Je me suis déjà assez battue

Mon cœur est troué d’épines

Et mon âme est trop abattue

Je ris, je crie, je prie

Mais est-ce suffisant?

Je marche, je cours, je m’enfuis

Mais est-ce important?

Je vois disparaître dans les nuages

Les pleurs de mes nuits sans étoiles

Je me cache dans mon coquillage

Et je navigue sans voile

On dit qu’aimer, ça fait mal

C’est sans doute pour cela que je suis anéantie

Souvent, en morceaux j’ai été brisée

Quantité infinitésimale

Je chante des chansons d’amour

Mais je fais la guerre

Vêtue de mon habit de bravoure

Laury-Layne Myrtild

Contributrice

théâtre

Je me relève à terre

Eileen davidson I Le délit

Cygnus : une pièce d’improvisation et d’émotions
L’imprévu au service du théâtre.

Improviser, c’est laisser l’imagination prendre le dessus.

Laisser le théâtre ne faire qu’un avec votre corps, vos gestes, votre voix. Il s’agit d’un art à part entière, d’une prouesse des plus techniques, de sauter à pieds joints dans l’inconnu et d’entraîner avec nous acteurs et spectateurs. C’est ce qu’ont remarquablement réussi à faire les comédiens de Cygnus, en nous livrant une prestation inédite et émouvante.

Assis autour d’un cercle lumineux à l’allure futuriste, affublés de costumes semblables, les comédiens ont pour tâche de créer chaque soir une nouvelle pièce. Une nouvelle trame, de nouveaux personnages, sans le moindre décor sur lequel s’appuyer. Tout passe par le langage corporel de deux comédiens, qui donnent chacun vie à un personnage qui leur est propre. Ils lui confèrent ainsi avec brio, des mimiques, des intonations, une identité sur l’instant, sans avoir le temps de réfléchir aux possibles développements. L’évolution de leur personnage est

Najim Chaoui
« La seule limite est celle que l’on s’impose. Cette dynamique imprévisible, loin de fragiliser la pièce, en est le moteur-même »

imprévisible. L’ensemble s’articule ensuite au fil des interactions entre les deux acteurs. Ces interactions sont d’abord dictées par un cercle, dont le changement de lumière désigne les comédiens devant entrer en scène. Nul ne sait à l’avance qui jouera avec qui, qui sera qui. L’incertitude règne. Si l’improvisation peut laisser place à

des incohérences, des moments de flottements, des silences que l’on n’ose briser, le doute est bien vite remplacé par la force des dialogues qui en découlent. Certes, il arrive que les comédiens s’interrompent entre eux, ou que certains personnages ne soient pas parfaitement impliqués dans l’intrigue. Mais c’est aussi cela qui confère son

charme à la pièce, et qui lui octroie des intrigues secondaires. Tout se joue dans la spontanéité et l’écoute de l’autre. Les acteurs réagissent du tac au tac, tissent une trame à la fois comique et poignante, créant des situations rocambolesques. Des moments de tension et de légèreté se succèdent, que ce soit le meurtre involontaire d’un chien par intoxication aux cacahuètes, en passant par des conflits familiaux, amoureux, jusqu’à la mise en scène de violences conjugales. La seule limite est celle que l’on s’impose. Cette dynamique imprévisible, loin de fragiliser la pièce, en est le moteur-même. On assiste à des scènes du quotidien, à des aventures surprenantes dont l’authenticité est marquante. Ce qui m’a d’autant plus frappée, c’est la détermination des comédiens à rester dans la peau de leurs personnages, même hors du cercle où se déroulait l’action. Chaque entrée en scène, chaque sortie, chaque séance détenait le même impact.

Après un temps où les comédiens entrent et sortent du cercle à leur guise, sans plus être appelés par les signaux lumineux du cercle, la pièce s’achève sur une brève

conclusion. Celle-ci repose sur la parole d’un personnage, choisi au hasard. Cette fin des plus inattendues permet une résolution instinctive, et suscite une surprise totale chez le spectateur. En l’espace de quelques secondes, l’acteur doit réfléchir à la touche finale qu’il désire apporter à la pièce, une tâche capitale, d’autant plus que souvent, c’est la fin qui marque les esprits. En ce qui me concerne, je me souviendrai longtemps de la liste de conseils pour s’occuper d’un chien sur laquelle s’est clôturée la représentation.

Nul ne sait l’issue de la pièce avant qu’elle ne se joue. Quelle intrigue, quels personnages rencontrerez-vous? Personne ne le sait. Plongez dans le mystère de l’improvisation et laissez vous emporter par le jeu et l’intelligence de ces huit acteurs à l’imagination sans pareille. Restez suspendus aux lèvres des comédiens qui sauront, à coup sûr, vous surprendre.

Cygnus se tient du 7 au 16 novembre au Théâtre Rouge du conservatoire d’art dramatique de Montréal. x

Tess guillou
Contributrice

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