Le Délit - Les horaires boréals

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Dans le cadre du concours Délier la poésie de l'Hiver 2021, les participants et participantes étaient invités à s'inspirer d'un premier poème, écrit par l’éditeur François Céré et l'éditrice Elissa Kayal. La section Culture vous présente les dix poèmes retenus pour son cadavre exquis. Lauréats et lauréates Première place : Frank Herbier Deuxième place: Geneviève Lagacé Troisième place: Ketzali Yulmuk-Bray


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Hiver 2021



François Céré et Elissa Kayal

7

Frank Herbier

11

Laura Doyle Péan

17

Étienne Boucher-Lemay

20

Geneviève Lagacé

23

Maya Gauvreau

27

Charlotte Duplessis-Leonhart

30

Gabrielle Potvin

37

Mathieu Soucy

41

Elizabeth Cossette

43

Ketzali Yulmuk-Bray

48


François Céré

6|Délier la poésie


LES HORAIRES BORÉALS

François Céré et Elissa Kayal

Nous sommes les semi-salauds enneigés Sauvés par l’acte manqué d’une hache Nous ne marcherons jamais assez loin Pour contourner les lignes électriques Les sentiers balayés Où nous faisions encore deux La foudre construit nos arbres Qu’on brûle avant les pas (Ne me cherche pas dans le feu des forêts mon frère) Au fond du lac gelé il y a une flamme bleue Un fusil de chasse au fond il y a une femme Qui fait des colliers de coquillages Avec la honte de sa race Pour des enfants qui ne sont pas moi

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L’avenir est une suite de bûches mouillées Il y aura des troupeaux de bâtards abattus Sur un champ de marelle Il y aura la lenteur obligée du deuil Les écorces qui ricochent notre inaptitude Et les ventres ne se lèveront plus. Nous questionnons la chaleur idéale de l’eau du bain La durée du vol d’une coccinelle Mais il y a un conflit d’horaire sur nos suicides (C’est toi qui es allé au fond des algues mon frère) Je cherche les eaux d’origine Que j’ai su trouver ailleurs sans tes traces Même après les nombres Nos jours seront comptés Et nous ne savons plus comment faire un feu.

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Adélia Meynard

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LE CRI DE RAGE

Frank Herbier

Au début La mère donne naissance à l'enfant L'enfant tout d'innocence court Court parmi les bois parmi les marées Inutilement contre les vagues de sel S'en fichant il passe par les champs en friche À pleine joie en perte de moyens Le coeur plein l'enfant a faim La mère aussi Une bestiole traîne Ils la prennent et la mettent sous leur sein La digèrent longuement Deviennent un peu d'elle Et elle un peu d'eux

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Mais soudain pousse un cri le petit homme L'exécrable petit homme Un cri de rage un cri d'enfer Un cri qui déchire naïvement les bulles d'air Un cri en pointes de flèches Lancées au hasard sur les planètes Qu'il embroche une à une Avec ces électrodes de Neptune Les rapproche grâce à des câbles de fer Fixés à l'enfant et à son diaphragme Il connecte le tout ensemble, puis Reprend son souffle... Et crie plus fort Si fort que l'enfant qui devait être dans la vie Pousse un cri qui englobe toute la vie Vie fort intérieurement explosive Dynamitages insoupçonnés dans les endroits humides De la gorge et du larynx Où les mots ont fini par se donner

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Plus rien n'est clair Sur les lianes de fer court l'enfant Par-dessus les bois par-dessus les marées Oublie la houle et sa fertilité Entre sa main dans la terre de si loin Qu'elle ressort blanche dure moindre Passe une clairière de béton Fouette la cime des absurdités avec son rebord de pantalon Passe les mornes forêts de bâtons Vole pour ainsi dire déchante sur l'air d'une biche Passe un des nombreux champs en affiches Il se rend au coeur de la chose Toujours enragé en criant Il se rend au coeur de toutes choses Désirant percer le voile rapiécé Couvrant la cuisse dénaturante de sa vie La surplomber du regard ne suffisant en rien

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Il plombe sur elle comme un obus Tombe sur elle en tyran En tirant abrutissement sur ses vêtements Pour que la chose fende Pour que toutes bonnes choses fendent Pendentif de soleil luette de lune Cuirasse de pierre poitrail de montagne Cheveux de grains herbe d'esprit Sous la couche superficielle des nombres Embusquée au bûcher Se retrouve la petite fille La petite vie Que l'enfant criard aime tant à tourmenter Maintenant nue petite réduite à son corps de lait et de miel Elle regarde l'enfant À la hauteur de sa perte d'âme De ce regard que seuls lancent les bourreaux Elle le regarde Le juge Et l'aime.

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Christina Kayal

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AU FOND DES ALGUES (JE TE RETROUVERAI)

Laura Doyle Péan

au fond des algues il y aura ma mère dont j'ignore encore le prénom il y aura le froissement des feuilles sur le sentier d'automne de mes trois ans l'immobilité des sapins lors d'une nuit sans vent mes mains sont désormais trop grandes pour caresser les herbes marines entendre la mer au creux de ton cœur elles frissonnent ton absence toi qui est remonté comme mon souffle à la surface avant que l'heure ne sonne que les oiseaux migrateurs ne reviennent me chanter des berceuses pour ma sieste d'après-midi avant que j'apprenne à dire ton nom

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au fond des algues il y aura le secret des heures blanches et je descendrai plus profondément ensorcelé·e par le spectre de ta voix qui hante encore mes souvenirs je le convoiterai jusqu'aux profondeurs de la Terre là d'où jaillissent les rêves incendiaires où grandit l'amour des prochaines générations c'est dans son ventre qu'est né l'espoir avant de remonter le fleuve à contre courant de se couper sur les récifs de la honte de s'essouffler en escaladant les montagnes

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au fond des algues c'est ici qu'il reviendra l'espoir renaître de ses cendres embrasser l'abondance (l'abondance de la collectivité mon frère) il ne cherchera plus à gravir les montagnes partagera les richesses de la vallée c'est ici que je te retrouverai en moi au fond des algues et quand je fermerai les yeux ta voix remplacera les berceuses des oiseaux migrateurs je te saurai là je réapprendrai à caresser les herbes marines et entretenir le feu (je te retrouverai)

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à


CONFLIT D'AURORES

Étienne Boucher-Lemay Nous ne savons plus faire de feux Or nos langues brûlent Bleues. Nous ne savons plus Laver nos langues tachées D’encre de seiche et de slush. Aux grands vents nous avons Coagulé comme du sang Hors des veines. Nous avons perdu le sens du mot Commencer Dans une forêt blanche Coupée. Le temps s’est enfui par nos bouches béantes Et avides d’étoiles filantes Nous cherchons les clés d’une voiture volée C’est par la fenêtre que le temps s’est envolé Et le petit change au fond de nos poches Tinte comme autant de clochers. Lorsque la neige aura fondu Nous ne saurons même plus pourquoi Nous aurons froid.

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Étienne Boucher-Lemay

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CONSOMPTION

Geneviève Lagacé

de la côte à ma gorge, nos horizons s’entrechoquent. tu fermes les volets, le temps que passent les ouragans, mais rien n’y fait: les étincelles ne s’éteignent plus, bruissent sous nos peaux de pointillés qui s’érodent; les murs tremblent nos fractures et, dans les heures blanches, nous glissons, coulons, nous échouons au pied des vagues

l’écume sur la berge comme l’écho de nos tempêtes

nous avalons le vent, déchaînons nos humeurs, fixons la fin de nos flots lapidaires. au bout du rivage, nos secrets se créent des univers avec tout ce qu’ils contiennent de failles, d’excès. ils alimentent nos brasiers, courent

longtemps sans pour autant s’essouffler sans pour autant s’éteindre

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nous sommes des jardinières de crépuscule suspendues au tonnerre. nous sommes l’imprévisible. des flambées qui touchent ciel, des confins inatteignables. devant nos fureurs, je frissonne, électrique. tu refuses d’arrêter le jeu, et dans les flammes frénétiques naufragent nos ombres, mes lueurs bleues

des fissures creusent nos peaux-porcelaines nous crépitons, exaltés nos échanges illusoires deviennent cri ardent les ouragans stagnent –

fuir n’est jamais une option quand c’est toi qui tiens les allumettes

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Anne Tamar Morency

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Elissa Kayal 26|Délier la poésie


ÉMANCIPER LES FORÊTS

Maya Gauvreau

Te souviens-tu m’avoir dit « Nous cherchons l’Étoile Polaire » Nous étions étendus le dos gris Les mains sales sur l’asphalte Nos corps-gravier enfoncés dans le driveway De ta maison d’enfance Jamais je n’aurais cru en la grandeur De nos aspirations fusionnées De nos futurs éclatants Si tu ne m’avais pas aidée à me décoller De ce béton de banlieue.

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Regarde-nous aujourd’hui À traverser les forêts gelées À se balancer aux lignes électriques Notre fougue à elle seule Coupe le courant de tout le quartier. Ils cherchent la lumière artificielle Alors que les arbres s’agenouillent Pendant que la neige amortit nos chutes L’immensité de notre oisiveté Saurait intimider les aurores Nous ne marcherons jamais assez loin Pour oublier les enfants que nous étions Recueillis au fond des résineux Il y a là le réconfort absolu L’audace du souvenir.

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DOROTHÉE

Charlotte Duplessis

depuis que tous les arbres tombent mes larmes sont sèches je ne peux plus abreuver les ruisseaux tu as encore manqué les oiseaux ils sont passés hier j’aimerais bien m’accrocher aux ailes venir te voir retrouver la douceur de l’herbe

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ma peau craque de voir la fumée si souvent ce n’est pourtant pas un spectacle

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un jour leurs racines ont éclaté j’aurais voulu les retenir les replanter un à un j’aurais appelé les voisins par leurs vrais prénoms nous aurions sûrement ri sous la musique des mésanges je demande seulement une brise sur la joue le son des feuilles dans le vent encore une fois plonger dans l’étang une algue entre les orteils fondre sur le pédalo puis s’effondrer dans la vase rattraper les chats courir les champs écouter les ouaouarons ta voix douce sous le crépitement

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mais les poteaux électriques ne veulent pas disparaître et la maison est toujours vide je me demande si les rideaux flottent encore si ton odeur est toujours là je laisse tomber des cheveux pour ne pas oublier

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pour ne pas oublier les bains de minuit le chat qui part pendant des jours (je suis certaine qu’il a une copine) les grains de beauté qui deviennent des constellations les balles de golf dans la piscine les livres de maman mouillés et moi qui joue à retenir son souffle jusqu’à ce que le souper soit servi

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Gabrielle Potvin

Je t’entends et j’arrête Les feuilles sont une chambre d’écho La clé se cache encore Le métal roule sur ma langue La glace perle Tu cours plus près Je continue d’attendre Je sens qu’il vente Soulevant les roches Elles t’accrochent Tombent dans la rivière Touchent le fond Je crie mon cœur (tu n’as rien perdu, tu n’as rien compris, mon miel) Je prends et je jette C’est à mon tour de courir À oublier de compter les lunes Avant ton prochain gâteau de fête Les couleurs me chassent Tu les as suivis

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Nous serons des chemins oubliés Nous roulerons vides À entendre des cloches anciennes Sonnant les mots Que nous n’aurions jamais dits (te détester sans t’ouvrir serait un crime) Tout de nous est impardonnable Peu importe nos endroits Les preuves se sont amenées au poste Je continue à boire Pour te signer des lettres (je t’observe comme je t’aimerai jamais) Les mouches tournent autour d’une statue Sentant une mort longue J’aurais dû me perdre plus loin

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Ella Khoury 38|Délier la poésie


DÉRACINÉS

Mathieu Soucy Nous questionnons l’emplacement la hauteur La tour sera construite néanmoins L’ivoire dérobé s’élèvera en ruines Sous l’effet de mains agiles Qui ont perdu leur tronc leurs racines On dirait que là-haut La honte a le vertige Elle se décline en semblant de puissance Mais en vérité les reins de notre ascension ont déjà cédé Nous n’avons plus de filtre La mort la vie, des appels confondus car Nous leur avons donné le même numéro J’essaie de retrouver les miens de descendre jusqu’à nos racines Mais ils n’ont fait aucune trace Par-delà le sol foulé je cherche un signe Une empreinte négative Un sourire muet Nous avons tout touché Et nos yeux ne tiennent plus rien L’aiguille qui tourne est un mensonge Son cliquetis est linéaire Comme le chemin que nous indique la boussole Vers le tombeau que nous nous sommes érigé

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Alexandre Gontier 40|Délier la poésie


DES PEINES SAUVAGES

Elyzabeth Cossette

Nous surmonterons ces peines sauvages Guidées par des boussoles déréglées pointant vers le désastre. Je n'ai pas peur pourtant Je n'ai pas peur des prédateurs des fleurs des terrifiantes et désertes journées ensoleillées par nos âmes-sœurs. Ma race noie la sécheresse Le chagrin le tumulte Des furies fécondes. Ma résilience brille Gloire triste, un diamant l'éclipse Femme granite Modeler pétrir reluire la violence à même ma chair.

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L'exil est éphémère mais le retour est aveuglant. Les embûches se consument de rire devant Nos pas hésitants. L’embuscade du volcan entre les côtes, condescendante ébullition la menace mesquine Enfuis-toi vite la douleur brûle tout Son passage n'épargne que les plus fortes d'entre nous. Entends-tu pourtant après les ravages Mon cœur crépite, une vie ardente Vois-tu la lueur mes yeux le feu Illuminer les nuits sans étoiles Goûte les baies sures de ma peur Emprunte ce sentier battu Dont le vent soulève et fait renaître Mes ancêtres déchues.

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(Lorsqu'une femme crie dans une forêt Mais qu'il n'y a personne pour l'entendre Fait-elle du bruit?)

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Nous nous sommes égarées vers le Nord Nord nulle destination nul repère vers cette terre trouble Qui a vu mûrir et mourir les Hommes Avant l’âge de la raison. L'âme enfouie trop loin Smog dans nos esprits flous. Essorer ces larmes qui inondent nos chemins Pleurer pour remplir les trous De nos naufrages submergés d’avance. Nos racines soumises creusent un tombeau Où mon sommeil est agité.

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Nos vicissitudes

Ketzali Yulmuk-Bray

Nos remords sont exhumés par les intempéries Et la chasse ne sert qu’aux enfants Qui préparent soupe et thé En y crachant goulument nos grandes légendes L’expiation s’écoule plus facilement par les trous Ce qui est à venir ne nous regarde pas Du moment que les bêtes s’attroupent Ou se dispersent Nous serrerons les dents, les coudes aussi Rien ne s’oublie grâce à l’écorce Sur laquelle sont écrites nos aptitudes Nous apprenons tôt à fabriquer les couvertures À tisser la honte sur le bas de nos crânes Pour que vienne s’y abreuver l’oiseau de proie. (Je me souviens de ton grand saut, mon frère) Nous bénissons nos terres d’origine Chaque saison, l’arbre du temps fait sonner ses cloches Et leur écho se répercute jusqu’aux confins de la zone Ainsi se déroulent nos vies Certains disent que nous devrions tout mettre en feu.

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François Céré

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