Volume 94, numĂŠro 7
Le mardi 2 novembre 2004
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Adieu Pierre depuis 1977.
02 Le Délit x 2 novembre 2004 nouvellesbouchetrou Ici on place la lie.
Insolites
Philippe G. Lopez
C’est le cornichon qui l’a fait. (ABC) Une boîte branchée de Houston devra débourser une somme importante afin d’effectuer des réparations après qu’un automobiliste ait percuté l’édifice. Son excuse? Il aurait commandé un burger sans cornichon, et cornichon il y avait. S’ensuit une forte réaction allergique, entraînant le fâcheux incident. Le cornichon est présentement interrogé et comparaîtra en cour d’ici peu. Oh Canada! (ABC) L’Université de Victoria offre désormais un cours unique au Canada et probablement au monde entier: littérature du hockey. Le professeur Doug Beardsley, ayant notamment enseigné la littérature relative à l’Holocauste et la poésie post-moderne canadienne, affirme que le hockey, solidement
Commentaires?
Menaces de mort? Une seule adresse: redaction@delitfrancais.com
Ultime recours. (Pravda) Les employés d’une usine de 4x4 en Roumanie ont trouvé un moyen efficace d’éviter que la compagnie fasse faillite, coulant sous plusieurs millions de dollars de dettes. Ainsi, les mille employés se rendent chaque semaine à la clinique de sperme située au coin de la rue afin de retirer trentedeux précieux dollars par éjaculation. D’après les estimations de la compagnie, il faudra entre deux et trois mois pour payer la totalité de la dette. Mauvaise journée pour naître citrouille. (The Republican) Le festival annuel de la mitrailleuse de Westfield pousse à sa fin. Le prestigieux événement inclus un vaste arsenal de cibles, dont un bateau de dix-huit pieds, quelques vieilles bagnoles, et surtout, beaucoup, beaucoup de citrouilles. Tous ces fanatiques de gros calibres ont ainsi pu s’en donner à cœur joie, mitraillant ces innocentes citrouilles pendant des jours et des jours. Mme Sullivan, secrétaire dans une église Baptise et mère de deux enfants, armée d’un Browning M-2 .50 affirmera aux caméras: «C’était très amusant».
Questions?
incrusté dans la culture canadienne, représente en quelque sorte le côté sombre de l’esprit commun. «Cette façon de fonctionner sur glace est en quelque sorte un bordel à demilégal». C’est vous qui le dites, Doc. Le Brésil va à la source des vrais problèmes. (Modbee.com) Reinaldo Santos a une cause. Il cherche à rendre illégal le fait de donner à un animal un nom humain. Le député se
fonde d’ailleurs sur les recherches de quelques psychologues soutenant que certains enfants, apprenant que des animaux portent leurs noms, sont plus propices à la dépression. Si la loi est passée, les vétérinaires et les magasins d’animaux devront obligatoirement afficher l’interdiction. Les fautifs, quant à eux, seront soumis à diverses amendes. Honte à tous ceux possédant un chat nommé Jean-Pierre! x
2 novembre 2004 x Le Délit
éditorial
Élections, encore et toujours De passage à Montréal, Howard Dean est venu parler au chic hotel Queen Elizabeth.
x Le Délit Le journal francophone de l’université McGill
3480, McTavish, bur. B-24 Montréal (Québec) H3A 1X9
Philippe G. Lopez
H
oward Dean, c’est cet ancien gouverneur du Vermont, candidat favori de la go-gauche durant les primaires. Un type bien, charismatique, idéaliste qui, pendant longtemps, a été considéré comme le prochain candidat démocrate à la Maison-Blanche. Il sera finalement devancé par John Kerry et n’aura d’autre choix que de se ranger derrière le sénateur du Massachusset. En l’espace de quelques semaines, le temps de perdre les primaires, il est propulsé dans les bas-fonds de la scène politique et passera le reste de la campagne électorale à faire de beaux discours ici et là. «Si Bush gagne les élections, il les gagnera avec 51 p. cent des voix» commence-t-il son plaidoyer. Mais malgré tout, Howard Dean demeure optimiste, il inspire la confiance. Ce positivisme forcé, un peu à l’image de son sourire, fait réaliser l’absurdité de la situation: une semaine avant les élections, Howard Dean est à Montréal, parlant à un public séduit d’avance. Quand on lui posa la question, il se contenta de répondre d’une manière charmante que «le Canada est un voisin important des ÉtatsUnis, un voisin qui ne peut se permettre d’être délaissé». Il faut comprendre que, dans la foulée du sprint final, le parti démocrate ne cherchera certainement pas à convertir les convertis: on écarte alors les éléments redondants. C’est un stade de la campagne électorale où ils ne souhaitent pas entendre Dean critiquer la guerre au terrorisme ou proposer un système de santé universel: on préfère plutôt exploiter l’image de John Kerry, fusil à la main, en train de chasser la bestiole. Étonnamment, la question de l’Irak n’a pas paru peser clairement en faveur de Kerry durant la campagne. On a parlé
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rédactrice en chef Valérie Vézina chef de pupitre-nouvelles Philippe G. Lopez chef de pupitre-culture Flora Lê rédacteur-reporteur Eleonore Fournier coordonnateur de la mise en page David Drouin-Lê coordonnateur de la photographie Éric Demers coordonnateur de la correction Julien Vinot chef illustrateur Jany Lemaire
de loi internationale, d’armes de destruction massives, mais ce qui a surpris, c’est bien le manque total d’intérêt de l’opinion publique pour les victimes irakiennes du conflit. Ces douze cents soldats américains tués au combat sont pourtant vénérés: c’est avec précaution et respect que l’on parle de ceux qui ont libéré l’Irak sans toutefois mentionner les victimes civiles tuées durant le processus. Iraqbodycount.net répertorie environ quinze mille victimes civiles directes des forces de la coalition, un jour seulement avant les élections. Et quelques jours auparavant, la revue médicale The Lancet estimait que cent mille civils seraient décédés seulement depuis mars 2003, af-
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Les associations étudiantes
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fichant ainsi un taux de mortalité en hausse de 150 p. cent depuis l’occupation américaine. Cette catastrophe humanitaire, profondément enterrée par la mort d’un millier de G.I. occidentaux, aurait pu servir de munition politique pour les détracteurs de l’invasion américaine en Irak, Kerry n’a pas osé. Il n’a pas osé évoquer le massacre injustifié des civils irakiens pour la simple et bonne raison que, pour l’Américain moyen, un Irakien reste un ennemi. Si Kerry a choisi de ne pas porter en martyres les innocentes victimes du conflit, c’est qu’il comprend l’ignorance générale face au Moyen-Orient, au terrorisme et à Al-Qaeda. D’un côté, on vante
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Portrait d’un d’un héros
leur libération, d’un autre, on tait leur extermination. Le Délit paraîtra le matin des élections. En ce mardi fatidique, tous les éditorialistes de la planète tenteront de se distinguer par leurs prédictions et leurs analyses. Les plus audacieux vont avancer le candidat sortant, les plus prudents vont passer leur tour. Les couillons, quant à eux, devraient finir par une phrase du genre: «… Et n’oublions pas que ce soir, c’est l’avenir de l’Amérique qui va se jouer ». Bref, chers lecteurs, en ce mardi 2 novembre, l’Histoire, celle avec un grand H, va changer à jamais. x
Hommage à Paul Leduc
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Le capitalisme nouveau
Vous n’avez rien à faire ce mardi à 16h30? Venez au Délit, réunion local B-24 du Shatner.
collaboration Alexandre de Lorimier Jean-Philippe Dallaire Jasmine Bégin Marchand Jean-Loup Lansac Vo Nghi Nguyen Olivia Lazard Marie-Noëlle Bélanger-Lévesque Marie-Madeleine Rancé Alexia Germain Borhane Blili-Hamelin Émilie Beauchamp David Pufahl Virginy Lavallée Pascal Sheftesty Éric Ross Félix Meunier Marc-André Séguin Laurence Bich-Carrière Xavier Van Pradelles de Palmaert Miroslav Crépeau webmestre Bruno Angeles couverture Éric Demers gérance Pierre Bouillon publicité Boris Shedov photocomposition et publicité Nathalie Fortune le McGill Daily Daniel Cohen Conseil d’administration de la Société de Publication du Daily: Marie-Eve Clavet, Emily Kingsland, Eugene Nicolov, Jeff Carolin, Jean-Olivier Dalphond, John Jeffrey Wachsmuth, Daniel Cohen, Valérie Vézina, Joshua Ginsberg
L’usage du masculin dans les pages du Délit français vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Le Délit français est publié par la Société de publications du Daily. Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et illustrations dont les droits avaient été auparavant réservés, incluant les articles de la CUP). Les opinions exprimées dans ces pages ne reflètent pas nécessairement celles de l’Université McGill. L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal. Imprimé par Imprimerie Quebecor, St-Jean-sur-Richelieu, Québec. Le Délit est membre fondateur de la Canadian University Press (CUP) et de la Presse universitaire indépendante du Québec (PUIQ). Imprimé sur du papier recyclé. ISSN 1192-4608
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04 Le Délit x 2 novembre 2004 nouvellesscience
Les Palmes de la bêtise humaine
Quatre prix célébrant la connerie nationale et internationale David Drouin-Lê
L
e 23 octobre dernier, se tenait à Montréal le quatrième Gala des Palmes d’or de la Bêtise humaine, événement organisé par le Couac, l’un des derniers journaux indépendants du Québec. Lors de cette soirée festive et politiquement très incorrecte, certains trophées peu convoités ont été attribués. Évidemment, aucun des chanceux récipiendaires ne s’est présenté pour réclamer son prix. La première palme accordée a récompensé la sortie de l’année, c’est-à-dire la personne décédée dans les douze derniers mois pour le grand bien de l’humanité. Ronald Reagan, disparu au cours de l’été, s’est vu attribué le prix à titre posthume principalement pour la grandeur de son action humanitaire
en Amérique centrale lors de ses deux mandats à la Maison-Blanche. La seconde palme décernée, nommée la Matraque d’or, a été remise à Immigration Canada pour son excellent travail de christianisation. En effet, lors de la présente année, Immigration Canada a expulsé ou est en voie d’expulser des centaines de réfugiés politiques, principalement issus de pays musulmans. Son grand coup de théâtre s’est produit l’hiver dernier lorsqu’elle a déporté, vers les Etats-Unis, l’Algérien Mohammed Cherfi. Ce dernier est un défenseur connu des sans-statuts au Canada. Il a été capturé dans le cadre d’une opération menée conjointement par la police et Immigration Canada pour l’extirper d’une église de la région
de Québec, créant un précédent au Canada. La troisième palme attribuée l’a été pour la déclaration de l’année, palme remise à Patrick Le Lay, patron de TF1, la plus importante chaîne de télévision française. Il a déclaré le plus sérieusement du monde: «Pour que le message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible, c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible». La quatrième palme félicitant la commandite de l’année a été obtenue par le populaire et charisma-
tique Jean Charest. Il s’est mérité le prix pour la création des PPP ou partenariat public-privé. Les entreprises pourront donc désormais s’incruster à leur guise dans presque tous les secteurs d’activité actuellement occupés par l’État. Il va s’en dire que les conflits d’intérêts et le manque de transparence sont à l’avantage du contribuable pour qui travaille M. Charest. En terminant, un petit mot sur l’instigateur de la soirée, le journal satirique le Couac qui profitait de l’occasion pour fêter son septième anniversaire. Le mensuel est parvenu à survivre tout ce temps sans subvention ni commandite de l’État. De plus, il préserve toujours son indépendance, Québécor ne l’ayant pas encore bouffé. x
nouvellescontroverse
Les associations étudiantes Cette semaine: Félix Meunier et Éric Ross s’affrontent dans le ring. Il est à noter que les positions exprimées ne sont pas nécessairement partagées par leur auteur.
Chaque semaine, le Délit choisit un sujet controversé. Au hasard sont tirés le nom des journalistes devant défendre respectivement le pour et le contre.
POUR
L
’association étudiante est incontestablement essentielle au maintien de relations saines et productives entre administration universitaire, corps étudiant et communauté. Aucun effort n’est ménagé par cette organisation lorsque se manifeste une occasion de défendre les intérêts de leurs protégés et, à cet égard, leur excellente réputation ne mérite absolument pas une remise en question d’ordre existentielle. Comment en effet ignorer l’implication des associations étudiantes dans les dossiers relatifs aux réformes des systèmes de prêts et bourses au cours des années 80? Et qu’en est-il des efforts contestataires déployés par celles-ci lorsque d’importantes coupures furent envisagées ou mises de l’avant au ministère de l’Éducation durant la dernière décennie? La SSMU est directement responsable du déblocage par l’administration universitaire de sommes considérables ayant permis entre autre l’achat d’équipements et de documents destinés aux librairies du campus et la création de fonds spéciaux destinés aux étudiants éprouvant des difficultés financières. Plusieurs clubs sportifs et culturels à McGill sont nés de la volonté d’étudiants motivés ayant bénéficié d’une oreille attentive et intéressée auprès de l’association étudiante,. La présence d’une somme ajoutée aux frais de scolarité et destinée au financement des associations étudiantes est donc pleinement justifiée et vitale en ce qui concerne la défense de nos intérêts et droits en tant qu’étudiants. Le présent débat vise à déterminer si les associations sont réellement utiles et la réponse m’apparaît d’une évidence catégorique. Illogisme flagrant que de songer à écarter une façon aussi efficace et puissante de faire entendre notre voix en tant que futurs leaders de notre société. En arriver à la conclusion pour le moins irréfléchie que ces associations sont inutiles ne peut qu’être le fruit d’un raisonnement provenant d’une âme profondément antidémocratique ou incroyablement ignorante. x
P
CONTRE
our plusieurs, il peut être difficile d’entrevoir une simple ombre d’utilité aux associations étudiantes, particulièrement à McGill. Ce n’est pas faux. Les assos vont se vanter de geler les frais de scolarité et de leur puissant lobbying auprès des autorités gouvernementales. En fait, ça semble être le seul mandat auquel elles accordent de l’importance. Plutôt que de se prétendre ambassadrices du monde étudiant et de la jeunesse, les assos ne peuvent penser à autre chose qu´à ces satanés droits de scolarité. Nos assos n’ont jamais été autant inutiles que maintenant. Elles ne sont devenues qu’une pépinière pour futurs «politicos» et sont surtout utilisées pour remplir un CV. Ces «politicos» se prétendent élus au suffrage universel, ce qui est vrai, sauf que ce suffrage universel n’est jamais plus universel que 20 p. cent de la population estudiantine. Ils devraient représenter la majorité, mais on ne peut qu’observer un fossé de plus en plus grand entre eux et la majorité étudiante. Les «politicos» vont défendre les intérêts «traditionnels» des étudiants tout en débattant en assemblée trop souvent sur des points de droit et de politicailleries insignifiantes plutôt que sur le sort des étudiants. Ils sont en fait jugés sur leurs capacités à défendre le gel des droits de scolarité. Ils pourront alors grimper les échelons des différents partis politiques dans lesquels ces «politicos» sont impliqués. Le jeu de l’exécutif des assos est maintenant de faire semblant de faire quelque chose en organisant des grèves, des manifestations anti-dégel des frais de scolarité, des toilettes mixtes au Shatner ou des partys 4 floors. A-t-on vraiment besoin de tout ça? L’important est d’avoir des représentants étudiants au Board of Governors, au Sénat pour avoir un mot à dire dans l’administration de l’Université. Il est, de plus, important qu’il y ait un dialogue entre le responsable académique des départements et Facultés et les étudiants. Dans tous les cas, avoir une asso en bonne et due forme n’est pas nécessaire. Elle ne représente plus qu’un héritage périmé qu’il faut de préférence réformer, au pire abolir, à tout le moins dans sa forme actuelle. x
2 novembre 2004 x Le Délit
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nouvellesinternational
Wal-Mart fait scandale en Amérique La multinationale constuit sur un cimetière. Marc-André Séguin
L
a multinationale Wal-Mart a provoqué la controverse ce mois-ci lors de l’ouverture de son nouveau magasin de huit cents employés, le 13 octobre dernier à Honolulu, Hawaii. Ce magasin, le plus grand à Hawaii, a été construit sur un ancien site funéraire et a nécessité qu’on déterre quarante-quatre corps de personnes qui y avaient été enterrées. On rapporte que certains de ces corps étaient là depuis plus de cent cinquante ans. La cérémonie d’ouverture a été perturbée par des manifestants qui dénonçaient le traitement qui a été réservé aux restes de leurs ancêtres. Au moment de l’ouverture du magasin, les corps déterrés n’avaient toujours pas été replacés dans un autre site funéraire, mais étaient enfermés dans une remorque climatisée située dans le stationnement du magasin. Ce comportement a été qualifié par la population autochtone de la région comme étant «extrêmement irrespectueux». La porte-parole du magasin a affirmé que la compagnie avait traité les restes avec respect et que le magasin ne pouvait ré-enterrer les corps avant d’avoir reçu l’approbation de l’État. Cette réponse n’a toutefois pas été jugée suffisante par les groupes autochtones, qui dénoncent le manque de sensibilité de la compagnie face aux traditions locales.
Jean-Loup Lansac
Le feu F
ini l’été, cette petite éternité où nous avons eu vingt ans, cheveux au vent, rien dans la tête et tout dans les poches. Adieu randonnées à vélo, adieu pique-niques au bord de l’eau. Au revoir à toi, petit voleur de bicyclettes, tu nous manqueras. On se dit à l’an prochain, balades à pied sur cette île qui ne dort jamais. L’automne a repris ses droits sur la nature et nous avons froid. Or, quelle est la chose à faire, en ces cas là? Sortir la peau d’ours du grenier pour la dérouler devant l’âtre, avant de se blottir dans la réconfortante chaleur d’un bon feu. Ça va de soi. Mais ne brûlons pas d’étapes et voyons un peu comment s’y prendre pour préparer le feu qui fera de vous le vrai maître du foyer. L’étape la plus importante, à laquelle nous consacrerons tout le temps nécessaire, est également la première. C’est comme ça. Les choses simples, il n’y a pas de raison de les rendre compliquées. Cessons alors tout de suite nos tergiversations et commençons par le commencement: le choix entre les allumettes ou le briquet. D’un strict point de vue alphabétique, les allumettes l’emportent haut la main. Mais ne nous laissons pas leurrer par cet apparent knock-out argumentatif et analysons la situation sous tous ses angles. Du côté économique d’abord, puisque c’est celui qui parle le plus fort, les allumettes triomphent encore. Pour le prix d’un bon briquet, vous pouvez avoir une infinité de cartons d’allumettes. Plus besoin de se ronger les sangs quand, dans une soirée dansante, on vous demandera s’il est possible de vous emprunter votre feu. Avec suffisamment d’allumettes et un brin de chance, vous passerez pour la personne la plus généreuse de la place. Et puis, qu’est-ce qui risque de s’avérer fort utile lorsque viendra le temps de noter le numéro de téléphone de cette petite fille qui aimait trop les allumettes? Si vous avez répondu «un briquet», refaites vos leçons. Les autres auront compris qu’ils ne se retrouveraient jamais à court au moment propice en faisant confiance aux bonnes vieilles allumettes. Oui, mais qu’en est-il du faste, de
l’apparat, de l’étalage? Toutes ces qualités sont davantage associées au briquet qu’aux allumettes, concédons-le. Nul bâton de bois ne pourra jamais jouer la Lambada lorsque allumé. Le briquet peut se permettre ce luxe. Mais comme le disait si bien René Lévesque, l’apparat, c’est comme les cheveux: à quoi bon s’en soucier si à la moindre occasion vous risquez de le perdre à tout jamais. L’étalage, serions-nous tentés d’ajouter, ce n’est guère mieux. On vous le volera en moins de deux. Jusqu’ici, les allumettes semblent donc le choix logique. Mais j’entends le tollé des écologistes qui au loin résonne: «Ouh, non, pas d’allumettes, c’est fait en bois, pouah». Argument valide. Il faut, pour obtenir de bonnes allumettes, raser une partie de l’Amazonie. Soit. Demandez-vous toutefois combien de guerres nous avons dû mener pour défricher l’Amazonie, dans les dix dernières années? Comparez maintenant avec le total de massacres engendrés pour le simple nom du pétrole qui coule dans vos briquets. Vous me direz qu’ils sont remplis de gaz, mais je ferai la sourde oreille. D’ailleurs, quel écolo sérieux lirait ce journal, lui-même constitué de résidus de forêt amazonienne sauvagement défrichée, alors qu’il pourrait s’adonner à la lecture du National Géographic, qui, lui, est publié sur du papier glacé. Glace qui, on le sait bien, est beaucoup plus renouvelable que l’Amazonie. Un petit tour au congélateur et hop! vous avez un magazine tout neuf. Tandis que l’Amazonie, on la fiche dans le congélo et tout ce qui arrive, c’est qu’elle chope un rhume.Voilà qui règle la question du feu. Allumettes un, briquets zéro. Et la variété de bois, me direz-vous? Et l’aération? Et les boulettes de papier, les préfère-t-on bien tassées ou chiffonnées à la hâte, en cette saison, allez vous encore me demander? Futilités que tout cela. Vous habitez à Montréal, vous n’avez pas d’âtre dans votre appartement et vous n’en ferez pas même de feu. Il faut en finir avec cette manie que vous avez de vivre dans un monde de fantaisie, à la fin, quoi! x
Mexique Au Mexique, un autre groupe exprime son opposition face à la multinationale. Wal-Mart compte ouvrir un nouveau magasin en décembre à Teotihuacan, un site archéologique majeur près de Mexico. Le magasin ouvrira ses portes au pied d’anciennes pyramides ornant les lieux depuis des siècles, et sera visible du sommet de ces dernières. Le groupe d’opposants condamne ce que plusieurs qualifient comme étant la destruction de leurs racines en échange d’aubaines d’achat. Alors que certains habitants de la région pensent que ce magasin leur sera utile vu sa proximité, plusieurs estiment qu’il causera des dommages aux commerces locaux. Venant ajouter à la controverse, l’État mexicain a confirmé qu’un petit autel datant de l’époque précoloniale a été découvert sur le chantier de construction. Des plans ont été suggérés pour maintenir cet autel dans son lieu d’origine. Selon ces plans, ce dernier sera recouvert et protégé sous du plexiglas dans ce qui deviendra le stationnement du magasin. Personne n’est certain de l’origine de ceux qui ont fondé et construit le site de Teotihuacan, mais les spécialistes confirment qu’il était habité par les Aztèques vers 600 ap. J-C. Québec L’entreprise a aussi récemment vécu des tensions avec certains de ses employés au Québec. La Commission des relations du travail (CRT) a, en septembre dernier, ordonné à Wal-Mart de cesser d’entraver la syndicalisation de son magasin de Brossard. La CRT a en effet reconnu que la compagnie a exercé des pressions et de l’intimidation à l’égard de certains employés, notamment en leur interdisant de solliciter des employés sur les lieux de travail ainsi qu’à leur domicile. Aussi, la multinationale a récemment affirmé que son magasin de Jonquière, dont les employés sont syndiqués, était déficitaire. Le syndicat de ces employés, les Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce (TUAC), a dénoncé cette affirmation, la qualifiant de manœuvre pour maintenir l’incertitude des employés et nuire à la négociation de leur convention collective. Le magasin de Jonquière est présentement le seul magasin syndiqué de la chaîne Wal-Mart en Amérique du Nord. x
Un magasin de la célèbre chaîne dans toute sa splendeur banlieusarde
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Le Délit x 2 novembre 2004
L’AÉUM
sous observation
L’AÉUM consulte sur les frais étudiants L’indépendance des journaux étudiants remise en question
Jean-Philippe Dallaire
D
epuis vendredi dernier, les membres de l’AÉUM sont invités à se prononcer par référendum sur quatre questions touchant au financement des activités étudiantes sur le campus et aux journaux étudiants. La première question concerne la cotisation étudiante de base à l’AÉUM. L’association souhaite en effet voir ses membres débourser 3 $ de plus par session à compter de cet hiver. La proposition vise aussi à indexer cette cotisation au taux d’inflation. Selon l’AÉUM, la cotisation de base à l’association étudiante, c’est-à-dire celle calculée sans tenir compte des autres frais reliés aux associations étudiantes imposés
aux étudiants, n’aurait pas augmenté depuis 1992. L’AÉUM a indiqué que cette hausse de près de 10 p. cent viserait à rattraper les effets de l’inflation des douze dernières années. La deuxième question touche les frais de 75 cents par étudiant reliés au Centre contre l’agression sexuelle de l’AÉUM. Cette cotisation étant sujette à renouvellement tous les trois ans, les étudiants ont cette année une occasion de se prononcer à son endroit. La troisième question concerne l’indépendance des journaux étudiants sur le campus. Elle propose que l’AÉUM respecte et reconnaisse l’indépendance financière de
la Société de Publications du Daily (SPD), qui publie les journaux McGill Daily et Le Délit. Cette dernière question est intimement liée à la quatrième, qui demande aux étudiants s’ils désirent obtenir l’opportunité de s’exclure des frais de 5 $ par session versés aux journaux indépendants du campus. En effet, la SPD n’étant pas affiliée à l’AÉUM, certains questionnements ont été soulevés quant à la portée d’une consultation référendaire sur les frais versés par les étudiants pour les deux journaux. L’association n’a en effet pas le pouvoir de décider des frais perçus auprès des étudiants pour la SPD, une société complètement
indépendante tenant elle-même ses propres assemblées, consultations et élections auprès des étudiants. Le membership de la SPD diffère de plus de celui de l’AÉUM, ce qui pose d’autres problèmes. Certains laissent entendre que le seul effet qu’une réponse affirmative à cette question pourrait avoir serait de donner à l’AÉUM le mandat de faire pression auprès du Conseil des gouverneurs de l’Université pour faire changer la façon dont la cotisation est perçue. Lors du mandat portant sur les questions référendaires qui avait lieu mercredi dernier, deux anciens exécutants de l’AÉUM ont défendu la possibilité d’offrir aux étudiants
de s’exclure de la perception des frais perçus pour les journaux étudiants. Il s’agit de Vivian Choy, ancienne Vice-présidente aux affaires académiques, et de Rod De Castro, ancien Vice-président aux opérations. Notons enfin que, suite à une décision d’Élections McGill maintenue par le Conseil judiciaire de l’AÉUM, le règlement de l’association qui interdisait aux éditeurs des deux journaux visés par la question référendaire et aux étudiants gradués de participer à la campagne référendaire a été maintenu en vigueur. x
nouvellesinternational
Dans la tête du colonel
Le monde selon la nouvelle coqueluche du monde libre Laurence Bich-Carrière
«
Ils sont fous ces Libyens», aurait pu dire Obélix en entendant le colonel Mouammar Kadhafi lancer un appel à la coopération avec les États-Unis dans la lutte contre le terrorisme et al-Qaïda, cet «ennemi commun», lui dont l’attitude de voyou international et de commanditaire du terrorisme avait valu à la Jamahiriya arabe libyenne le choc et la stupeur de l’opération ElDorado Canyon de 1986. Le début d’un temps nouveau? Pour un pays qui avait été sur la liste noire de l’Occident depuis si longtemps, une nouvelle ère s’ouvrait avec la visite de Tony Blair en mars dernier. Exit l’attentat de Lockerbie, où, en décembre 1988, deux cent soixante-dix passagers d’un vol de la PanAm avaient trouvé la mort: ça, c’était le Kadhafi des années 80 et 90. Le Mouammar Kadhafi moderne, c’est plutôt celui qui cherche à se faire une beauté sur la scène internationale en se distançant du terrorisme, celui qui, en juillet 2000, annonçait son implication dans les négociations visant la libération de six touristes pris en otage par les intégristes d’Abu Sayyaf. Résultat: en août, les otages quittaient l’île philippine de Jolo et leur cauchemar. Suffit-il de retourner sa veste? Bien sûr, les réserves de pétrole de la Libye ne sauraient être étrangères au changement de cap de l’opinion internationale, mais Kadhafi se croit dorénavant investi d’un rôle de médiateur international. Et c’est pas fini, c’est rien qu’un début, pour reprendre un air populaire: les plus récentes déclarations de Mouammar Kadhafi ont de quoi en rendre plus d’un sceptique.
En effet, à la fin du mois de septembre, il proclamait qu’il fallait «mettre sur pied un Conseil des sages regroupant Bill Clinton, Mikhaïl Gorbatchev et Nelson Mandela». Un peu plus tard, il publiait un livre blanc dans lequel il annonçait qu’il importait d’unir Israël et la Palestine dans le seul État d’Isratine (on suppose qu’en arabe, ça sonne mieux que «Palaël» et à peine moins mal que des aberrations relationnelles comme «Bennifer»). Plus récemment, Kadhafi martelait que s’il n’en tenait qu’à lui le Cachemire serait indépendant et pacifié de ce fait. Dans la foulée, son ministre des affaires internationales affirmait, avec la bénédiction du colonel, que «les pouvoirs-clés du Conseil de sécurité de l’ONU devraient être transférés aux cent quatre-vingt-onze membres de la «chose morte» que constitue l’Assemblée», mais qu’à défaut, un siège permanent à la Libye pourrait faire l’affaire. Algathafi.org Son site officiel (jusqu’à preuve du contraire) répertorie ses dernières allocutions. Les menues fautes d’orthographe jaillissant çà et là (et çà et là et çà et là encore et je ne donne pas cher de la tête des traducteurs) sont aussi savoureuses que l’article «L’Afrique a très besoin de stabilité et de référence» ou que le très éloquent «La ligue arabe: n’est-elle qu’une méconnaissance ou une ignorance de la réalité?» où l’on compte quatre-vingt-dix points de suspension en mille sept cent quatre-vingt-huit mots et où, surtout, l’on apprend que «l’Italie va disparaître dans trente ans si elle ne fait pas partie de l’union européenne». Mais c’est un détail, comme les fluctuations dans l’orthographe de «Kadhafi». On
semble avoir adopté le «g» de l’orthographe anglo-américaine, mais on hésite encore: Gathafi, Gadafi, Ghadhafi. Encore une fois, ce sont là de bien petites choses qui ne doivent pas empêcher l’esprit du lecteur de «s’élever sur la paix», formule par laquelle le «frère meneur de la Révolution» conclut son allocution intitulée L’antagonisme des armes de foi (disponible en arabe seulement pour le mo-
ment). Mais laissons les derniers mots au colonel lui-même, qui nous explique le terrorisme en ces termes: «Le fanatisme d’oripeaux et ses formes passées sont inutiles comme les missiles et les bombes. Réexaminons tout. Ne parions sur rien. Parce que nos mains sont vides.» x
2 novembre 2004 x Le Délit
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nouvellesinternational
Plan de désengagement de la bande de Gaza: rien de plus incertain La proposition de Sharon est acceptée par le cabinet israélien Jasmine Bégin Marchand
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ardi 26 octobre 2004. Il faudra retenir cette date qui pourrait marquer le premier pas vers un processus de paix dans le conflit israélo-palestinien. Ariel Sharon a remporté le vote concernant le démembrement des colonies juives dans la bande de Gaza. Pourtant, il semblerait que les deux parties concernées, soit les Palestiniens et les colons juifs, s’opposent avec force à ce plan proposé par le Premier ministre de l’État d’Israël. Après deux jours de discussion, la Knesset a voté pour la ratification du plan de retrait de la bande de Gaza, ce qui serait la première évacuation de colonies juives d’un territoire palestinien. La bande de Gaza est occupée par les colonies israéliennes depuis 1967, cela fait maintenant trente-sept ans. C’est un dénouement peu attendu et qui laisse une majorité de gens surpris. En effet, celui qui se présentait comme le plus grand défenseur de la colonisation en territoires palestiniens est aujourd’hui celui qui propose le «Plan de désengagement». Ce dernier prévoit de retirer chacune des vingt et une colonies juives de la bande de Gaza et quatre colonies de Cisjordanie et ce, avant la fin de l’année 2005. Il permettrait de renforcer la sécurité
d’Israël ainsi que de solidifier le reste des colonies en Cisjordanie, considérées comme plus importantes. Les Palestiniens, cependant, sont sceptiques: cette décision unilatérale pourrait cacher un plan de renforcement du contrôle israélien en Cisjordanie et à Jérusalem Est. Comme l’indique l’une des clauses de ce plan, Israël s’apprêterait à annexer certaines parties de la Cisjordanie, ce qui n’a pas été fait depuis l’annexion de Jérusalem-Est. Aussi, Israël s’autorise le droit d’élargir la zone de sécurité dans la bande de Gaza: Israël, ayant droit d’agir de manière préventive et réactive aux soulèvements dans la bande de Gaza, il semblerait que les habitants ne verront pas la fin des opérations militaires. Les États-Unis, pour leur part, se sont empressés de féliciter Ariel Sharon pour ce vote historique, et ont clairement indiqué aux Palestiniens qu’il était temps de saisir leur chance malgré le fait que cette entente soit unilatérale. Selon Colin Powell, ce plan est une opportunité que les autorités palestiniennes devraient saisir afin de s’assurer le contrôle de la bande de Gaza et d’amorcer le dialogue avec leur homologue israélien. Les colons israéliens, quant à eux, sont outrés. Ils voient en ce
nouveau plan une capitulation face aux activistes palestiniens et leurs projets pour le futur s’écrouler. Plusieurs avaient commencé à s’installer, à construire des maisons. Bien sûr, l’évacuation des colonies serait accompagnée de compensations monétaires d’une valeur de plusieurs milliers de dollars, mais pour certains, ce n’est pas assez. Il ne faut pas oublier que c’est Ariel Sharon qui avait aidé à bâtir l’implantation de Gush Katif. Peu sont ceux qui
comprennent ce drastique changement d’idée. De plus, en remportant le vote, Sharon semble avoir perdu l’appui au sein même de son parti. Plusieurs ministres réclament un référendum d’ici deux semaines, sans quoi ils démissionneraient. Ceci pourrait déclencher des élections anticipées, ce qui mènerait au chaos. Pour l’instant, il est impossible de faire des prédictions sur ce qui va advenir de ce plan de retrait
des colonies. Quelques faits à surveiller: dans dix jours se termine l’ultimatum de Benjamin Nétanyahou, le ministre des finances israélien qui menace de démissionner si Sharon ne déclenche pas de référendum. Ensuite, en mars 2005, les quatre phases du projet de retrait unilatéral de Gaza devront être approuvées avant d’être mise en œuvre, attendons-nous à de nouvelles oppositions. x
Taiwan et le statu quo Vo Nghi Nguyen, chroniqueur en exil
A
lors que les Américains se préparent aux élections, Colin Powell rendait visite aux dirigeants japonais, chinois et sud-coréens. Assez curieux, étant donné que d’ici quelques jours la politique extérieure américaine pourrait changer si Bush n’était pas réélu. En Chine, le Secrétaire d’État lançait une déclaration plutôt controversée: Taiwan n’est pas un pays et elle devrait être réunifiée à la Chine. D’un autre côté, les États-Unis continuent de vendre de l’armement militaire à Taiwan. Les États-Unis ont toujours adopté cette position ambiguë, ou hypocrite selon certains, face à Taiwan. Cette position a un but précis: maintenir le statu quo. Taiwan et la Chine sont deux partenaires économiques importants pour les États-Unis. Bien que Bush ait déclaré que les ÉtatsUnis défendraient Taiwan si la Chine l’attaquait, il n’est pas clair pour autant que, si conflit il y a, les États-unis se lancent dans une
guerre aux proportions mondiales. Le statu quo permet aux Américains de profiter de l’économie chinoise sans trop en offenser les dirigeants et, en même temps, de vendre de l’armement à des prix d’or à Taiwan. La question taiwanaise est probablement la plus médiatisée parmi tous les conflits en Chine. Et avec raison, puisque la Chine braque quatre cent quatre-vingtseize missiles sur l’île. Pourquoi y at-il un enjeu si grand pour les dirigeants chinois? Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la Chine est loin de former un ensemble homogène. Bien que les Hans chinois constituent la vaste majorité de la population, les minorités ethniques représentent 9 p. cent de la population totale, quatre-vingtseize millions de personnes, soit, si vous voulez, trois fois la population du Canada. Pour la Chine, perdre la face devant Taiwan et lui accorder son indépendance reviendrait à donner des munitions à d’autres
mouvements séparatistes comme celui du Tibet, des minorités dans la province du Xinjiang ou dans une certaine mesure, Hong Kong. Aussi, pour la Chine, une guerre contre Taiwan, et potentiellement contre les États-Unis, serait catastrophique pour le développement économique. Du côté taiwanais, l’identité taiwanaise atteint des niveaux historiques, une grande partie de la population s’identifie comme des Taiwanais et non comme des Chinois. Lors d’un récent référendum au sujet de la position de Taiwan face à la Chine, la grande majorité des participants ont voulu plus d’indépendance face à la Chine. Cependant, le taux de participation était inférieur à 50 p. cent, invalidant ainsi le référendum, ce qui laisse croire que plusieurs sont satisfaits de la politique actuelle du gouvernement, le maintien du statu quo. Que nous réserve l’avenir? Tout le monde semble profiter du
statu quo pour l’instant. Dans un avenir proche, il est peu probable qu’un conflit de grande envergure éclate (certains pessimistes affirment le contraire). Il y aura une intégration économique progres-
sive entre la Chine et Taiwan ce qui, espérons-le, diminuera les tensions militaires. D’ici-là, la Chine lancera des menaces de temps à autre, question de faire taire un peu le nationalisme taiwanais. x
08 Le Délit x 2 novembre 2004 nouvellesregional
La séparation est-elle encore à l’ordre du jour? La question de l’indépendance dans un monde interdépendant. Eleonore Fournier
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e 16 octobre dernier, le président du Parti québécois Bernard Landry a présenté un plan d’action proposant un nouveau référendum pendant la première moitié de son mandat s’il était réélu comme Premier ministre du Québec en 2006. Ses propos ont soulevé une vague de dissidence à l’intérieur du parti, dirigée notamment par François Legault et Pauline Marois. M. Legault serait le successeur potentiel de M. Landry lors d’une éventuelle course au leadership du parti. Gilles Duceppe, chef du Bloc québécois, a souligné son appui pour M. Landry, en déclarant qu’une crise au sein du Parti québécois nuirait au mouvement souverainiste. Deux jours après la fermeture du Conseil national les 16 et 17 octobre derniers, M. Landry a changé d’avis, préférant finalement ne pas fixer d’échéance pour le référendum. Bien qu’on puisse avoir des doutes quant à la cohérence stratégique du parti, une chose est claire, la séparation est à nouveau à l’ordre du jour. Qu’est ce que cela signifie pour les Québécois? Après la défaite du souverainisme en 1995, la cause a perdu de l’importance dans les médias. Pourtant, presque dix ans après, la question se repose. Kimon Valaskakis, ancien ambassadeur du Canada à l’OCDE, président du Club d’Athènes et du Groupe de Gouvernance globale, est l’auteur de plusieurs analyses sur le sujet, dont Le Piège de l’indépendance, co-écrit avec Angéline Fournier. Paru juste avant le dernier référendum en 1995, cet ouvrage part de la thèse que la souveraineté du Québec serait illusoire et qu’un Québec indépendant perdrait en fait beaucoup de son autonomie. Interviewé la semaine dernière, M. Valaskakis a parlé de la problématique de l’indépendance en 2006. «Aujourd’hui, la souveraineté est encore moins pertinente, car le monde est encore plus interdépendant (…) l’avenir est dans les grands ensembles» a-t-il déclaré. En effet, les vingt-cinq pays de l’Union européenne ont sacrifié une partie de leur souveraineté nationale au Parlement européen. Bien que de culture et de langue distinctes, ils ont trouvé opportun de s’unir pour créer une entité économique et politique plus forte. Incontestablement, l’euro est devenu l’une des monnaies les plus valorisées, et a
L’ancien charismatique chef du PQ en action.
donné un poids politique important à l’Europe Le Québec, en s’isolant, irait contre le courant du système international, limitant énormément son influence et donc sa souveraineté. Selon M. Valaskakis, la souveraineté juridique est le pouvoir absolu d’une nation sur son propre territoire, tant économique que politique. Dans le monde d’aujourd’hui, très peu de pays sont réellement souverains. Le Canada lui-même est dépendant du dollar américain et de l’euro, même en tant que membre du G-8. Bien évidemment, l’économie d’un Québec souverain serait encore plus petite et donc son poids minime. A l’intérieur du Canada, pourtant, notre province exerce une influence qui surpasse sa taille réelle. «La menace de quitter est un atout pour le Québec». Le gouvernement fédéral fait beaucoup de concessions, et, avec son statut spécial, la
province est déjà très autonome. La balance fiscale du budget fédéral est en faveur du Québec, qui reçoit plus en subventions gouvernementales qu’il n’en donne en taxes. Cet argent provient des provinces plus riches, notamment l’Alberta et la Colombie Britannique. Indépendant, le Québec ne recevrait plus d’aide financière, au détriment de l’économie. Que deviendrait le Canada dans l’éventualité d’une séparation? Dans une confédération, l’unité des provinces est consensuelle. Le départ du Québec pourrait faire éclater cette unité et causer le départ, entre autres, de l’Alberta. M. Valaskakis a avancé la théorie d’une intégration de certaines provinces avec les États-Unis. «Le Canada pourrait s’effondrer et le Québec serait encore plus orphelin.» Ne pouvant plus compter sur le soutien du Canada, le Québec se retrouverait encore plus isolé
et dépendrait complètement des États-Unis, comme certains pays d’Amérique Latine. Pourtant, selon le chapitre 1 du programme du Parti québécois adopté au Congrès national en mai 2000, «Le parti s’est formé à partir de la conviction qu’il y a urgence d’établir un Québec souverain, avec, au premier plan, l’urgence d’assurer que le Québec demeure un territoire de langue et de culture françaises». En accord avec M. Valaskakis, ce document affirme que «pour un État, la souveraineté, c’est la compétence totale et exclusive sur les pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires exercés sur son territoire. Les Québécoises et les Québécois doivent être maîtres chez eux (…)». Le Parti québécois dit que, lors de la Confédération de 1867, le Québec a été forcé de faire partie du Canada, et qu’il est en droit d’être souverain. C’est effectivement un
argument qui touche beaucoup de Québécois. Selon M. Valaskakis, «ce n’est pas impossible que le Québécois vote pour l’indépendance». Bien qu’aujourd’hui la notion d’indépendance soit peu à peu sacrifiée pour l’interdépendance, beaucoup de nations veulent toujours l’autodétermination. C’est le cas du Québec. Pourtant, il semble que dans l’éventualité d’une séparation, la langue française serait encore plus en danger. Il n’est peutêtre pas si mauvais de compter sur le patronage fédéral pour protéger notre langue. Le français a une place importante au sein du pays, et nous avons la chance d’exercer beaucoup d’influence dans l’une des dix premières économies mondiales. Après tout, la majorité des Premiers ministres canadiens du XXe siècle a été québécoise. C’est à nous de décider quel rôle nous voulons jouer dans le système international. x
2 novembre 2004 x Le Délit
culturefestival
09
Bain culturel 100% arabe
À ne pas manquer: le Festival du Monde Arabe de Montréal, jusqu’au 14 novembre. Marie-Noëlle Bélanger-Lévesque
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n entend tellement parler du monde arabe, sur la scène politique, mais trop peu est encore connu de sa culture… Le Festival du Monde Arabe (FMA) en est pourtant déjà à sa cinquième édition et le thème de cette année est Razzias. «Razzias est un voyage tant de la mémoire que de l’imagination vers un univers profond», décrit le directeur artistique, Joseph Nakhlé. Et c’est tout un voyage qu’on nous offre ici même dans les multiples salles de Montréal. Comme les années précédentes, le festival est composé de trois volets: les arts de la scène, le Salon de la culture et le cinéma. Il est tout simplement impossible de vous présenter tout ce qu’il y a à voir et à entendre, je fais ici un bref survol des deux premiers volets (pour le troisième, voir l’article ci-dessous). Le Salon de la culture ouvre ses portes le 3 novembre. Exposition, conférences avec artistes et universitaires d’Europe et du MoyenOrient, rencontres avec des auteurs, poètes, danseurs, expositions, colloques, musique, danse, cinéma… C’est une chance inouïe d’approfondir vos connaissances par divers médias et ce, sans vider vos poches car le Salon est entièrement gratuit! La diversité est aussi au rendez-vous dans le volet «arts de la scène». Les affiches de certains de ces spectacles ont sûrement attiré
culturefestival
Nassir Shamma et son ensemble sont invités au Festival du monde arabe pour présenter leur spectacle «Le luth de Bagdad».
votre attention, car c’est le volet le plus médiatisé. Et pour cause! La qualité des représentations nous promet du grand divertissement. En fait, au moment où j’écris cet article, plusieurs spectacles remarquables ont déjà été présentés. Ne vous inquiétez pas pour autant, des présentations musicales, théâtrales et de danse, toutes aussi sublimes, restent à venir. En musique, je ne manquerai pas Nassir Shamma le 7 novembre avec son ensemble
dans leur spectacle «Le luth de Bagdad». Le parcours musical de l’Irakien, que plusieurs ont décrit comme étant «l’oudiste du siècle», démontre tout son génie. Il réinvente des techniques nouvelles, inventant le jeu à une main et créant un oud à huit cordes (et non à six). Son interprétation de grande musique andalouse du IXe siècle est à inscrire dans votre agenda et, si vous voulez mon avis, réservez tôt.
Sinon pour ceux qui veulent un peu plus de beat, assistez à «Groove Arabica!» le 13 novembre au théâtre Corona. Nacer Eddine Aissaoui et vingt et un musiciens et danseurs, dans un mélange de raï, de tarab et de R’n’B à saveur orientale, vous feront passer une soirée des plus rythmées. Côté danse, «Corps rebelles» est le fruit des dernières années de recherche de deux chorégraphes arabes, Imed Jemâa (Tunisie) et Motaz Kabbani (Québec). Une exploration «extra-territoriale et temporelle» nous diton, laissant place à notre imagination pour en deviner la saveur. Un spectacle double est présenté au Tangente du 11 au 14 novembre. À la dernière édition, j’avais assisté au concert «Constantinople» et j’avais tout simplement adoré. Les arts de la scène sont, bien entendu, plus dispendieux (généralement entre 20 et 30$), mais c’est un bon investissement. Et d’ailleurs, quand un voyage dans le monde arabe vous sera offert-il pour si peu? Le FMA en présente pour tous les goûts, vous ne pouvez pas être déçu! x Le Festival du Monde Arabe est présenté jusqu’au 14 novembre. Pour plus d’information ou pour réservation: www.festivalarabe.com. Le prix des billets varie entre 5 et 25$. (514) 7470000.
Émouvante arabie
Le Festival du Monde Arabe célébrait samedi dernier les débuts de son 5e passage à Montréal en inaugurant son volet cinéma avec le documentaire mille fois applaudi en Europe, Soraïda, une femme de Palestine, de Tahani Rached, une réussite aussi touchante que choquante. Émilie Beauchamp u cœur de West Bank, territoire habité par maints Palestiniens mais aussi sous occupation israélienne, Soraïda, la femme, la mère, la militante, nous parle de la vie. De la vie de milliers de Palestiniens opprimés sous l’occupation depuis 1967. Des couvre-feux angoissants, des snipers postés à chaque coin de rue, des morts non plus sporadiques mais désormais habituelles… Entourées d’amis et de sa famille, on découvre peu à peu, à travers l’objectif de Rached, ce que la vie quotidienne est pour les Palestiniens, ce que sont leurs angoisses et leurs peines. Mais plus encore, elle nous parle d’humanité. Du combat non plus physique que la plupart des gens doivent mener, mais de la constante bataille intérieure que chacun mène. Se laisser emporter par la colère ou se montrer au-delà de tout cela? Comment détester le soldat en uniforme qui lui aussi a une vie, une famille, des enfants, qui lui aussi est un être humain, mais qui représente tout ce qui les empêche de vivre librement? Se montrer plus monstrueux que le monstre qui attaque? Ces questions, Soraïda se les pose chaque jour, tout comme elle pleure chaque jour. Malgré tout, elle et son entourage cherchent la clé du bonheur parmi les morts et les fantômes, oscillant entre les sentiments de rage, de tristesse, d’espoir et d’éclaircies de joie que leur fournit la vie sous l’occupation. Réalisé par Tahani Rached, cinéaste d’origine égyptienne ayant étudié à
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Montréal, ce documentaire est le dernier rejeton d’une bonne vingtaine d’œuvres, chacune célébrée. Rached nous apporte encore une fois une vision du monde touchante et intéressante. Soraïda, une femme de Palestine est un documentaire passionnant sur une femme attachante et téméraire, qui raconte comment l’on vit dans le rêve d’un autre et comment se réaliser soi-même à travers cela. Soraïda, une femme de Palestine sera représenté mercredi 10 novembre à 19h au cinéma L’Impérial en version originale arabe avec sous-titres anglais. Aperçu des quelques films à l’affiche au FMA Algérie, mes fantômes, de Jean-Pierre Lledo En exil depuis 1993, Lledo nous apporte des témoignages poignant sur son Algérie natale, portrait d’un pays que chaque témoin, chaque deuil, chaque fantôme essaie de reconstruire à travers les fragments éclatés de son histoire. Documentaire présenté le samedi 6 novembre à 21h à l’Office National du Film. Littoral, de Wadji Mouawad Après la mort subite d’un père qu’il n’avait jamais connu, Wahad, un jeune Québécois issu d’une famille iranienne, tente de retrouver ses racines et de se sortir peu à peu de son insouciance typiquement nord-
Vous pourrez voir le film Mille mois de Faouzi Bensaidi durant le FMA.
américaine. Par ses multiples péripéties au Liban, Wahad en apprend plus sur lui-même et sur ses origines ainsi que sur l’impitoyable réalité universelle telle celle dans laquelle est plongé le Liban. «Série fiction» présentée le mardi 2 novembre à 19h à l’Office National du Film. Mille mois, de Faouzi Bensaidi
Dans un Maroc du début des années 80, une mère tente de protéger son fils de la réalité de l’emprisonnement de son père en quittant Marrakech pour s’installer dans un petit village avoisinant. Prétendant que son père est parti travailler en France, la femme compte épargner à l’enfant une terrible peine. Mais tout cela à quel prix? «Série fiction» présentée le mardi 9 novembre à 20h à l’Office National du Film. x
10 Le Délit x 2 novembre 2004 culturelittérature
L’héroisme redéfini
Repenser la vie avec et depuis les camps de concentration, telle est la mission de Soljenitsyne dans Une journée d’Ivan Denissovitch. Eric Ross
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lexandre Soljenitsyne, pour l’ensemble de son œuvre dénonciatrice du régime communiste stalinien, est considéré par plusieurs comme l’auteur soviétique le plus marquant du vingtième siècle. Lauréat du prix Nobel de littérature en 1970, cet homme livre un témoignage bouleversant dans Une journée d’Ivan Denissovitch, document qui fût étonnamment publié dans la revue Novy Mir en 1962 malgré un contenu explicitement destiné à faire ressurgir chez les survivants des camps de concentration de sinistres souvenirs. Soljenitsyne ne croit pas qu’il faille reléguer aux oubliettes cette expérience indescriptible et douloureuse; elle doit plutôt être transmise pour cicatriser les plaies et ainsi favoriser la libération de millions d’âmes traumatisées. Assumant pleinement ses responsabilités et son devoir face au monde en tant qu’intellectuel, Soljenitsyne veut préserver le passé pour le communiquer et toucher les gens par le réalisme de ses propos en entretenant ainsi l’espoir que plus jamais les aberrations communistes terribles vécues sous le régime de Staline ne se reproduisent. Il a confiance en l’Homme et en sa capacité à apprendre de ses erreurs. Son témoignage, livré à travers le cheminement de divers personnages dont celui de Choukhov, est d’autant plus crédible qu’il a luimême dû purger une sentence en
culturedanse
camp de travail pour avoir transmis, dans ses correspondances postales avec un ami alors qu’il servait l’armée sur le front de Prusse Orientale en 1942, des propos signifiant son «indignation politique» et contenant des mentions de Staline qu’il qualifiait de «caïd». Pour revenir à Choukhov, l’auteur le présente vraisemblablement comme un modèle de courage et nous offre une définition nouvelle de l’acte héroïque par son action. Malgré les conditions infernales du bagne, jamais nous n’avons l’impression que le personnage cède au désespoir. Il semble bien déterminé à assumer pleinement sa nouvelle situation de vie en ne songeant ni au passé plus heureux ni à l’éventualité d’une libération. Accomplir quotidiennement des tâches absurdes telles la construction de murs inutiles au beau milieu de nulle part de manière à pouvoir réclamer une insuffisante portion de nourriture infecte à la fin de journées interminables avant de se diriger vers les inconfortables dortoirs congelés semble être une routine que Choukhov s’est résigné à accepter. Les détenus sont constamment battus, humiliés, harcelés et surexploités. C’est en faisant face à cet enfer qu’il trouvera son salut, sa nouvelle raison d’être. Compenser la privation de liberté physique par la libération de l’âme, une entité que personne ne peut lui retirer, voilà la nouvelle philosophie de
vie du héros. Nous pouvons tracer un parallèle entre le caractère stoïque de certains personnages des œuvres de Camus et l’attitude de Choukhov en ce sens qu’ils tentent le même exploit dans des situations d’isolement du monde extérieur: sauver leur vie du conflit existentiel lié à l’absurdité d’une situation. De façon à nous guider vers l’essentiel, l’auteur s’efforce de ne pas décrire en détail la violence physique présente au camp. Le véritable drame, l’horreur de la situation des prisonniers dans les bagnes, c’est de devoir faire face à un interminable quotidien. Et l’ensemble du chef-d’œuvre que constitue ce court roman reste fidèle aux intentions de l’auteur. Par souci de réalisme, Soljenitsyne utilise un vocabulaire restreint et cru tout au long de l’œuvre. L’absence de découpage en chapitres produit une expérience de lecture continue, dépourvue de répit à l’image des journées de travail au bagne. Choukhov n’est pas différent des autres hommes en ce sens qu’il a besoin de croire, d’avoir foi en quelque chose pour le guider. À défaut de croire en Dieu, il croit en l’Homme, maître de son destin. Il croit profondément que la vie sous toutes ses formes est un parcours incontournable ayant une forte valeur. Soljenitsyne nous transmet, par l’intermédiaire de Choukhov, une façon de philosopher la vie qu’il estime beaucoup selon moi, et c’est
pour cette raison que j’étends l’admiration éprouvée envers le héros du roman à son créateur. Le grand penseur russe s’est efforcé d’écrire en se basant sur son expérience personnelle pour traiter de grands
thèmes philosophiques et mérite ainsi une grande crédibilité.x Alexandre Soljenitsyne, Une journée d’Ivan Denissovitch, 2002.
Flamenco à Montréal
Les artistes ont du mal à joindre les deux bouts. Eleonore Fournier ontréal est une ville qui bouge, surtout en arts. Capitale canadienne de la danse, tous les styles s’y mélangent; le contemporain, le New York jazz, le hip hop. Mais les Montréalais sont surtout fans des danses à saveur latines, qui sont de plus en plus populaires. Grâce au travail de plusieurs artistes québécois au début des années quatre-vingt-dix, notamment Marie Parisela, Lynne McGee et quelques autres, la communauté flamenco de Montréal est en pleine expansion. Nous sommes tous au courant du succès énorme de la comédie musicale Don Juan qui s’est terminée en septembre dernier après presque un an de représentations. Tiré d’une pièce de l’Espagnol Tirso de Molina, le personnage a été repris par Molière et Mozart pour finalement être adapté par Félix Gray pour la scène québécoise. Aujourd’hui, les artistes, dont
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Jean-François Breau, Mario Pelchat et Marie-Ève Janvier se sont unis aux danseurs espagnols pour poursuivre les représentations sur les scènes parisiennes. Mais que les fans du flamenco se rassurent, ils auront l’occasion de voir des spectacles de qualité sans se déplacer en France. En effet, les premiers dimanches de chaque mois, le bar La Place à Côté organise une Peña Flamenca, pour donner une scène aux jeunes artistes, et faire connaître l’esprit flamenco à la ville. Les danseuses et danseurs sont accompagnés de chanteurs, de percussionnistes et de guitaristes de haut niveau, qui font régulièrement des stages en Espagne, et donnent des cours ici et là-bas. Pourtant, il est encore difficile pour ces artistes de gagner leur vie. Comme beaucoup de leurs spectacles ont lieu dans des bars et des restaurants, ils ne reçoivent que peu de crédits de
l’Union des Artistes, et donc, n’ont pas de salaire minimum ni de contrats garantis. Du 10 au 31 octobre dernier, le Centre Sadie Bronfman produisait la comédie musicale Don Quichotte de la Mancha, avec des artistes flamencos non membres de l’Union. L’argument de l’administration était que c’était une opportunité pour les danseurs de se faire un nom. Pourtant, ils n’étaient pas payés, contrairement aux techniciens et aux acteurs. C’est dommage que pour danser, les artistes flamencos doivent accepter de se faire exploiter. Plus leur art sera connu a Montréal, plus il leur sera facile de gagner leur pain.x Soutenez les danseurs le dimanche 7 novembre. à La Place à Côté, 4571, rue Papineau à 20h. Les billets sont au coût de 7$.
2 novembre 2004 x Le Délit
D’images en maux
Collection cinémathèque québécoise
La Cinémathèque québécoise offre au cinéaste Paul Leduc une rétrospective qui réhabilitera le mérite qui revient à son œuvre exceptionnelle. Flora Lê
Une oeuvre marginale Le cinéaste mexicain Paul Leduc (prononcez Lédouque) est l’un de ceux qui fait le choix d’investir son art d’une mission, celle de montrer la réalité de son pays. Il présente donc tout au long de son œuvre une fresque du Mexique avec son lot de misères et d’injustices. C’est donc un cinéma résolument engagé que nous donne à voir Leduc, touchant par la profondeur de sa sensibilité et de sa solidarité pour les déshérités. Mais voilà un cinéaste qui s’est bâti une œuvre en marge du cinéma étatisé et qui s’en est tenu à distance pour conserver le caractère authentique de ses images. Il fuyait les effets de mode et tournait, pour cette raison, dans des conditions parfois précaires, le plus souvent artisanales. On comprend pourquoi son œuvre est modeste en nombre, mais puissante en images, gages de vérité et de la sincérité du cinéaste. Mais malgré le fait que les films de Paul Leduc aient été à maintes reprises couverts d’éloges par la critique et sujets d’analyses par les étudiants cinéphiles, son œuvre en
culturefnc
est restée ignorée du grand public. C’est là à la fois une injustice pour le cinéaste et un bienfait pour nous qui profiterons d’un cinéma qui a été préservé de l’épuisement du grand déploiement. À nous de découvrir ces films comme autant de perles qui ont été polies à l’abri des grands remous du fond marin. Une rétrospective originale Leduc réalise son premier long métrage en 1972, Reed, México insurgente, dans lequel il évoque la révolution mexicaine telle que l’a vécue le journaliste américain John Reed. Héritant de son travail documentaire, ce premier film a voulu «montrer l’aspect journalier, humain de ce qu’on a trop coutume de considérer comme une glorieuse épopée, […] dénoncer l’antagonisme entre les dirigeants politiques et militaires, faire ressortir enfin la crise et la prise de conscience du journaliste, témoin d’une réalité qui le dépasse, son attitude d’observateur, puis de participant engagé dans le combat», affirmait Leduc à sa sortie. Son génie à capter en images la cruauté se trouve consacré dans son documentaire Ethnocide qui traite de l’exploitation séculaire des indiens Otomis. Réalisé en 1977 et coproduit avec l’ONF, Ethnocide rapporte la méchanceté dans ce qu’elle a de dévastateur et d’ineffable: son ton est militant et dénonciateur, mais pourtant aucun commentaire autre que les propos lucides des Otomis, sans voix-off importune, le film nous guide par ses images au
cœur d’un meurtre culturel. Enfin Historias prohibidas de Pulgracito nous fait, sur le même ton, l’histoire du processus révolutionnaire au Salvador, inspiré d’un fragment du livre éponyme du poète Roque Dalton. Cette poétique par l’image donnera aussi naissance à un exceptionnel portrait de la peintre Frida Kalho. C’est en laissant la parole aux images et à la musique que se racontent dans Frida, naturaleza viva la passion, les souffrances et les amours de cette femme dont toute l’œuvre est un douloureux autoportrait. De même les images se passent de mots dans Barroco, où Leduc tente de résumer l’influence musicale et culturelle entre l’Espagne, Cuba et le Mexique dans la genèse de l’enivrante musique latino-américaine. Si l’esthétique visuelle a toujours pour lui prévalu sur le texte, on en retrouve la consécration dans Latino bar, où une histoire amoureuse entre une prostituée et son amoureux sert de prétexte à une danse maléfique des corps qui raconte l’histoire de la souffrance humaine des laissés-pour-compte. x
Frida, naturaleza viva, long métrage sur la vie de la peintre mexicaine. Collection cinémathèque québécoise
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l y a deux façons de faire des films. On peut en faire le lieu du probable et de l’imaginaire, du vraisemblable mais sans vérité, l’endroit où se laisse aller l’esprit avec la légèreté de savoir qu’il ne s’agit que de fiction. Mais il y a ceux qui «promènent la caméra le long du chemin», qui saisissent au vif des moments de vie réelle, avec ce qu’elle a de beau et de terrible.
Latino bar raconte une histoire d’amour sans la moindre parole...
Voyez donc Historias prohibidas de Pulgracito le 3 novembre (20h30); Frida, naturaleza viva le 4 (20h30); Barroco le 5 (20h30); et Latino bar le 6 (21h) au coût de 6$ par représentation à la salle Claude-Jutras de la Cinémathèque québécoise, au 355, boul. Maisonneuve Est (métro BerriUQAM). (514) 842-9768, ou www. cinematheque.qc.ca Barroco retrace l’histoire de la musique latino-américaine.
Collection cinémathèque québécoise
culturerétrospective
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Acapulco Gold, petit film aux grands espoirs
La plus récente excursion dans l’univers fantastique d’André Forcier. Virginy Lavallée
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a présentation du plus récent film d’André Forcier, Acapulco Gold, a été précédée, dans le cadre du Festival du nouveau cinéma, d’une introduction de l’auteur lui-même. C’était ma première rencontre avec lui et je dois dire que j’ai découvert un personnage haut en couleur, cru, intelligent et incroyablement drôle. Il nous a expliqué son film, tourné sans l’aide d’aucune institution ni l’appui d’un producteur ou d’un distributeur, mais plutôt avec des gens proches de lui et sa caméra digitale. Il l’a décrit comme une «comédie qui swingue», «une fiction où il y a du documentaire», «tourné avec des chums» selon les enseignements de Truffaut. Suite à une introduction aussi vibrante, j’avais de grandes attentes.
L’histoire est celle de Bob Carrigues, un Français du sud, victime de narcolepsie, qui aurait rencontré Elvis Presley à Acapulco en 1991, soit quatorze ans après la mort de ce dernier. Librement inspiré d’une rencontre qui aurait effectivement eu lieu entre Michel Maillot (qui interprète Carrigues) et le King, le récit nous transporte par magie (littéralement) de Longueuil à Acapulco où Carrigues veut vendre son histoire à un producteur hollywoodien sceptique. Par une accumulation de preuves farfelues, le producteur est convaincu alors que le spectateur l’est de moins en moins. Les personnages sont plus gros que nature, la farce est par moment un peu exagérée, mais l’on s’attache néanmoins à Carrigues et à son univers qui nous fait sortir de
notre morne quotidien. C’est un film d’une grande beauté esthétique malgré les moyens utilisés dans sa réalisation, qui plaira à tous ceux qui aiment à se perdre, le temps d’un
film, dans le monde fantastique et invraisemblable de Forcier. Il sera présenté à l’Ex-Centris dès la fin du mois de novembre. x
12 Le Délit x 2 novembre 2004 cultureévénement
Femme vs Femmes
Comme le disait Musset, «prenez le temps comme il vient, le vent comme il souffle, la femme comme elle est». Ça vous choque? Mais ce n’est que pour mieux vous faire réagir. Marie-Madeleine Rancé
U
n coup de gueule est à l’origine de cette soirée Femmes au café Sarajevo... et un coup de poing dans notre politiquement correct. Étudiante en sexologie, Kadia Saint-Onge en a marre de son statut de mouton noir, parce que ses classes, composées à 99 p. cent par la gent féminine, tournaient toutes à la récrimination sans appel alors que Madame osait défendre le vil sexe adverse… Et pourquoi? Droits des femmes peutêtre, clame notre oriflamme, mais le féminisme de base n’était-il pas de défendre le droit de vivre tous égaux dans la différence? De ce point de vue, aucune critique n’est plus permise! Ce trop plein, il fallait qu’elle l’exprime. Voilà la genèse de Femmes. Macédoine de citations sur le sujet en guise d’apéritif, et du Sacha Guitry en plat principal. Quoi lui?! Et oui, Guitry, dans la culture-confiture, est synonyme de misogynie. Il est vrai qu’il n’y va pas avec le dos de la cuillère. Un ramassis de clichés sexistes vous me direz, mais là aussi le metteur en scène invite à aller plus loin. Clichés, mais on rit dans la salle, et pas forcément jaune. Clichés qui ont une once de cet «éter-
culturecinéma
nel féminin»? Non pour toutes les ranger dans le même sac, mais n’y auraient-ils pas certains traits communs qu’on devrait pouvoir reconnaître avec humour? Et le théâtre, pour notre metteur en scène, est le moyen par excellence pour susciter au moins un «chouïa» de ce genre de réflexion. Comme elle le remarque, l’espace intime du café Sarajevo est beaucoup plus propice à rendre au théâtre ce pouvoir. Il y a là des habitués, mais aussi des consommateurs de passage... Il permet une relation d’égal à égal avec les acteurs, et une attention qui se porte plus sur les mots... Les mots, les idées, le théâtre comme moyen de communication. Voilà quelques principes à développer. Notre metteur en scène ne s’en fit pas prier, et la revoilà partie contre ses moulins, avec des vues qui recoupent celles de votre dévoué porte-plume. Le théâtre contemporain tend à s’asphyxier lui-même. Ce n’est plus du théâtre pour l’art, le message, le désir de partager quelque chose. Mais pour le public... En tendant de plus en plus à se conformer aux désirs du plus grand nombre de spectateurs, les productions s’uniformisent,
Le théâtre est un jeu de stratégie, devant public
devenant des produits aseptisés et identiques. Autre aspect, le théâtre dit «d’art», où cette détermination va pouvoir faire gober à tout public «éclairé» qui se respecte des inepties flagrantes dont personne ne pourra nier le génie sous peine d’être ostracisé de la société in... le public a
ce qu’il veut, mais il ne peut plus critiquer. Tableau extrêmement bien noir, je l’admets, mais ce n’est que pour mieux vous faire réagir cher lecteur. N’est-il pas temps pour le théâtre de se redéfinir? La réponse à cette question, Saint-Onge la
voit dans ce genre de création. Des petites salles, une relation avec un public qui en fait une expérience commune. Un public qui aura son mot à dire, mais qui pourra aussi être choqué et malmené. Le type de commentaire qu’elle reçoit après une pareille performance la conforte dans son opinion. Ils sont plus du genre «vous avez fait honneur au texte» ou une réaction sur une idée X, plutôt qu’un compliment sur un jeu de jambe ou pour tous mots plat «c’était sympa». Faire du théâtre une expérience, un travail pensé, et partagé. Moyen de communication par excellence, rendezlui sa voix! Et pour clore cet article, rappelons que c’est au café Sarajevo qu’acteurs comme public peuvent vivre ce genre d’expérience... Les Femmes, c’était mardi dernier. Dommage, vous l’avez raté. Mais ne manquez pas le prochain. Car ce sont tous les derniers mardis du mois que la troupe du café propose un projet. x Rendez-vous au Café Sarajevo, 2080, rue Clark, (514) 284-5729. Entrée libre.
Double personnalité
Ghost in the Shell 2 est à la fois un film d’action aux images magnifiques et un film philosophique un peu trop bavard. David Pufahl e thème le plus développé dans les films de sciencefiction est sans doute la venue de robots dans nos vies. En effet, parce qu’ils ont été créés à notre image, ils en viennent à désirer nous ressembler en tous points. Dans Ghost in the Shell 2: Innocence, il n’existe plus de distinction entre les humains et les machines. C’est ainsi que le futur nous est présenté dans ce dessin animé japonais réalisé par Mamoru Oshii, présenté en compétition au dernier festival de Cannes et très attendu par les fans du premier opus, sorti en 1995. L’action se passe en l’an 2032. Après avoir perdu sa précédente partenaire Motoko Kusanagi dans le cyberespace, Batou, un cyborg policier, est toujours affecté à la division anti-terroriste de la police de la ville. Sa prochaine enquête concerne des robots féminins créés pour assouvir les désirs sexuels les plus dépravés des humains. Mais ces robots ont commencé à assassiner leurs utilisateurs sans raison apparente. On soupçonne une organisation criminelle de les contrôler. Accompagné de son nouveau partenaire, l’humain Togusa, Batou ira jusqu’à la source
L
de cette conspiration. Alliant avec brio le dessin animé traditionnel et les effets spéciaux informatiques, le film en devient parfois envoûtant. En fait, il y a des scènes où je me suis surpris à penser qu’il s’agissait d’un véritable film et non pas d’un dessin animé. Il s’agit peut-être de l’influence de tous les films récents (The Lord of the Rings et The Matrix, entre autres) utilisant l’animation par ordinateur à outrance. On en vient à confondre les deux genres. Peut-être viendrat-il un temps où il n’existera qu’une seule grande catégorie de cinéma. Les acteurs deviendraient inutiles et ils ne pourraient que fournir les voix des personnages. Les scènes d’action du film sont assez sanglantes. L’animation lors de ces scènes m’a fait penser au chapitre d’O-Ren Ishii dans Kill Bill. De ce point de vue, on peut dire que Batou livre la marchandise. Il tue sans remords et très efficacement. Il est dommage que ces scènes soient constamment interrompues par les conversations philosophiques qu’il entretient avec son partenaire humain. Elles concernent surtout la volonté des robots à devenir humain, un discours déjà entendu
dans les films Blade Runner et A.I.: Artificial Intelligence. Il s’agit de propos intéressants, certes, mais qui ne correspondent pas à mes attentes de spectateur. Je m’attendais à un film d’action qui fait réfléchir, mais la partie philosophique a vraiment pris le dessus. D’autre part, on a l’impression de manquer des bouts avec le soustitrage en anglais d’un film en japonais. J’ai eu le sentiment que les dialogues entendus étaient plus profonds que le texte. Peut-être l’intrigue aurait-elle été plus claire si j’avais pu comprendre le japonais ou écouter une version doublée. On aurait alors perdu la performance des voix originales, mais j’aurais certainement gagné une meilleure compréhension du sujet. Récemment, plusieurs films américains ont embrassé la culture asiatique dans leurs thèmes. J’ai déjà mentionné Kill Bill, un hommage aux films des frères Shaw. Il y a eu aussi Lost in Translation, une comédie sentimentale à propos de deux américains perdus au Japon. Je peux vous assurer qu’Innocence ne contient aucune trace des États-Unis. Si vous tenez à être complètement dépaysé, il s’agit d’un excellent choix.
Quand il s’agit d’être sanglant, on peut dire que Batou livre la marchandise dans Ghost in the Shell 2: Innocence.
Le seul autre manga que j’avais vu avant celui-ci est Spirited Away que j’avais trouvé excellent et qui avait remporté aux Oscars le prix pour le meilleur dessin animé. Malheureusement, Innocence ne lui arrive pas à la cheville. J’ai perdu
tout intérêt pour l’intrigue car le film veut trop nous instruire sur un possible futur. Heureusement, je pouvais compter sur des images d’une esthétique hors du commun. x
culturethéâtre
Rien ne va plus
2 novembre 2004 x Le Délit
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Les auteurs irlandais sont de retour à la Licorne avec la pièce d’Hilary Fannin Doldrum Bay, une comédie tragique sur la dérive de nos valeurs sociales. Flora Lê
Faites vos jeux Deux couples d’amis, à l’aube de la quarantaine, voient leur vie soudainement leur échapper. Comme une poignée de sable dont on se saisit, la vie leur glisse entre les doigts et se dérobe sans égards à leurs prières. Il y a Francis d’abord, un ex-publicitaire de talent qui a décidé de quitter le milieu pour accoucher d’un premier roman mais qui passe plus de temps à en parler qu’à l’écrire. Il y a Magda, sa femme, délaissée par son mari, et pourtant affligée par la mort imminente de son père, artiste quelque peu controversé mais de renom. Et puis il y a Chick, le copain et ancien collègue, obsédé par son dernier contrat publicitaire parce que sa carrière en dépend. Et sa femme, Louise, dangereuse pour elle-même et pour les autres quand elle décide de ne pas prendre ses anti-dépresseurs… Ce qu’ils ont en commun, c’est de vivre une vie en apparence normale. Le couple, la carrière, les ambitions et la famille sont au rendez-vous de ces personnages pour qui la quarantaine a sonné. Ainsi, ils sont rattrapés comme tous ceux de leur génération par les questions de l’adultère, la dépression, la peur de vieillir, la mort. Mais si tout semble avoir été prévu, organisé, réglé selon leur volonté, en dessous, en profondeur, à l’intérieur, tout dérape. Là-dessous, c’est la
crise, et rien ne semble pouvoir leur venir en aide. Le manuscrit de Francis, c’est de la foutaise. Parler de Dieu sans y croire et ériger le sexe comme valeur fondamentale, c’est ce que Magda appelle de la «pornographie nostalgique». Pour Magda, le drame, c’est de voir son père, qu’elle admire autant qu’elle abhorre, à l’article de la mort, et de se voir à ce moment trompée par son mari avec une jeune serveuse, sirène, étudiante en psychologie et herboristerie. Et pour Chick et Louise, c’est le constat d’échec: ils n’auront jamais une vie normale, celle des gens heureux, même si Louise fait de gros efforts pour ne pas sombrer dans sa dépression spectaculaire. Les jeux sont faits En réalité, rien ne va plus. Les personnages ont perdu le contrôle de leurs destinées, et cela n’est pas sans s’accompagner d’une mort des valeurs qui ne sont plus là pour dicter la voie à suivre. Les valeurs n’existent plus que dans l’expression «valeur marchande» et elles se troquent et se commercent pour atteindre un plus haut niveau de superficialité. Parce que le responsable de cette dérive est plus grand que les personnages eux-mêmes, c’est l’œuvre de toute une génération, d’une société qui a tant voulu se faire révolutionnaire qu’elle a tout saccagé sur son passage, ne laissant derrière elle qu’un vide immense que ne seront jamais capables de remplir la consommation (telle que représentée dans la publicité manipulatrice) et l’amour (qui ne survit que dans l’insatisfaction et les blessures qu’il engendre). Que leur reste-t-il alors? Des illusions et des faux-semblants, des blessures et leur criante souffrance
Yanick Macdonald
Q
u’est-ce que cette Doldrum Bay? C’est une véritable baie qui forme la côte de Dublin. C’est aussi l’endroit qui a servi de terrain de jeu d’enfance à l’auteur de la pièce et qui se transforme ici en une plage où tout est instable, s’écroule et s’enlise.
Sur une scène recouverte de sable, les personnages de Doldrum Bay font le douloureux constat de la dérive de leur vies. Portrait d’une société qui s’enlise dangereusement.
qui ne trouve le mot juste que dans l’ironie caustique et la dérision du désespoir. Alors on rit. On rit quand Chick nous annonce que son juvénile patron l’a congédié: «En tout cas, c’est ce que je pense. C’est difficile à dire avec sa voix qui mue». Ou quand Louise nous confie que ce qu’elle aime le plus des avions, «c’est la veste de sécurité sous le siège». Et comme le disait Beckett, qui connaît si bien ce sentiment d’absurdité, «quand vous êtes dans la merde jusqu’au cou, il ne vous reste plus qu’à chanter».
Tout comme Winnie dans Oh! les beaux jours, les personnages de Fannin restent là, ne fuient pas. Ils se «sablemouvenlisent», glissent un peu plus, vivent un peu moins. L’heureuse collaboration de l’œuvre d’Hilary Fannin, de la mise en scène de Soldevila, de la traduction de Létourneau et de la distribution des comédiens donne à voir un spectacle qui bouleverse par sa joie dans le désespoir, par son humour dans la détresse. Émouvant certes, mais révélateur surtout, parce
qu’il nous rappelle que tellement de choses échappent à notre contrôle. Le jeu du hasard. On peut mettre sa mise, prier la chance, mais là où la boule s’arrêtera, personne ne le sait. x Doldrum Bay joue jusqu’au 27 novembre à la Licorne, 4559, rue Papineau (au coin de Mont-Royal). Les billets sont au coût de 17$ pour les étudiants; billetterie (514) 523-2246. Pour plus d’information, consultez le www.theatrelalicorne.com
culturebrève
Orphée aux enfers D u 2 au 7 novembre, les finissants de l’École nationale de théâtre (ÉNT) présentent l’opérette Orphée aux enfers du compositeur français Jacques Offenbach. C’est dans la salle Ludger-Duvernay du Monument-National que les finissants montent le premier exercice public de leur dernière année de formation. Dans la version d’Offenbach, Eurydice, l’épouse d’Orphée, trompe son mari avec un berger, qui se révélera être nul autre que Pluton, le roi des enfers... Fidèle à sa légende, Orphée ira aux enfers pour chercher sa compagne, sauf que cette fois-ci, ses motivations
profondes n’ont aucun lien avec l’amour! À la barre de cette production, le metteur en scène René-Daniel Dubois nous transporte dans les années 1950 pour suivre les fantasmes d’une dame au foyer — la même Eurydice — qui fait voler en éclats les rouages du mariage conventionnel de l’époque. Orphée aux enfers est une œuvre qui, sous le masque de l’Antiquité (où les divinités se mêlent de tout), parodie les mœurs contemporaines tout en critiquant une certaine bourgeoisie… Et, soyons prévenus, dans une belle maison des années 1950, l’enfer, ce n’est pas les autres: c’est le four!
Allemand naturalisé Français, génie musical exceptionnel, auteur de cent quarante et un opéras dont Les Contes d’Hoffmann (qu’on entend dans le film La Vita è bella), Jacques Offenbach incarne au plus haut point l’esprit européen d’une certaine époque. Bouleversant l’univers musical de la seconde partie du XIXe siècle, il est aujourd’hui, avec Georges Bizet — qui a composé Carmen — le compositeur d’opéra français le plus joué au monde. Rossini, dont il est l’héritier, le définissait même comme le «Mozart des Champs-Élysées». Les exercices publics des finissants et
finissantes sont une tradition, un rite de passage. Tout ce qui se déroule sur scène et en coulisses relève du travail des étudiants de l’ÉNT, habilement dirigés par des metteurs en scène de renom qui les guident à travers toutes les étapes de la création. x Orphée aux enfers sera présenté du 2 au 7 novembre à la salle Ludger-Duvervay du Monument-National, 1182, boulevard Saint-Laurent (métro Saint-Laurent). Les billets sont au coût de 7 $. Pour réservations, (514) 871-2224.
14 Le Délit x 2 novembre 2004 culturecinéma
«Occuper. Résister. Produire.» Le documentaire The Take de Naomi Klein et Avi Lewis apparaît comme la lueur au bout du tunnel dans la lutte contre le capitalisme brutal de la fin du XXe siècle. Alexandre de Lorimier
D
ans une salle quasiment comble de l’AMC Forum a eu lieu mercredi dernier l’avant-première de The Take, un nouveau documentaire des journalistes canadiens Naomi Klein et Avi Lewis, co-produit par l’Office National du Film. «Je suis bien dans la bonne salle, n’est-ce pas? Ce n’est pas la réunion des jeunes entrepreneurs?» ricane Lewis, face à un public clairement activiste. Le ton est donné, l’ambiance se veut décontractée et chaleureuse, même si le thème du documentaire est, lui, bien sérieux. Les reporters ont choisi de se rendre en Argentine au début de 2003, quelques mois avant les élections présidentielles. Le pays est en proie à une grave crise économique, attribuée aux mesures ultra-libérales appliquées par l’ancien président Carlos Menem. Pendant ses deux mandats, le gouvernement Menem a privatisé toutes les entreprises de la République, y compris les services publics. Et bien qu’il ait été accusé de corruption et placé en résidence surveillée, son nom figurera sur la liste des candidats à la présidentielle de 2003… En décembre 2002, le gouvernement argentin déclarera faillite, ce qui fait fuir non seulement les capitaux étrangers mais également le président de l’époque, Fernando de la Rua, qui a été contraint de s’échapper en hélicoptère du haut de la Casa Rosada, le siège du gouvernement à Buenos Aires. Une situation bien inquiétante donc dans le pays qui, quelques années auparavant, était considéré comme le modèle à suivre par le Fonds monétaire international, dans une Amérique latine en pleine croissance, dans les années 90. The Take raconte l’histoire de quelques groupes d’ouvriers qui décident d’assurer leur avenir euxmêmes, dont un groupe de la Forja San Martín, une fabrique de pièces automobiles dans la banlieue de la capitale. La crise économique a causé la fermeture d’un très grand nombre de ces usines, les patrons prétextant qu’ils ne pouvaient plus payer les salaires de leurs employés. Les ateliers sont donc abandonnés et les machines sont vendues par les propriétaires afin d’en extraire jusqu’au dernier profit possible. Grâce à une injonction de la cour, les ouvriers réussissent à accéder à l’usine et à en inspecter les installations. Avec l’appui du Movimiento Nacional de Fábricas Recuperadas (Mouvement National des Usines Récupérées), les travailleurs décident de reprendre la Forja, d’où le titre du film, The Take (La Prise).
Ils veulent en faire une coopérative à l’image de plusieurs autres fabriques argentines reprises par leurs employés après qu’elles aient été fermées au lendemain de la crise de décembre 2002. Dans ces nouvelles usines «démocratiques», il n’y a pas de patron, tous les ouvriers ont le même salaire et chacun compte pour une voix dans une assemblée qui prend toutes les décisions auparavant réservées aux administrateurs. Évidemment, cette nouvelle formule n’est pas du goût des propriétaires. Les journalistes s’entretiennent d’ailleurs avec Luis Zanon, le propriétaire d’une fabrique de céramique reprise. L’homme incarne avec perfection le cliché de l’oligarque: dents jaunies, sourire en coin, installé dans un
décor feutré de rouge et entouré de portraits d’époque d’on ne sait quels personnages. Dans un pays où les classes moyennes se sont carrément volatilisées en quelques jours, on a du mal à croire que de tels individus existent encore… et qu’en plus ils se prennent au sérieux! «C’est au gouvernement de me rendre mon usine. C’est moi qui l’ai construite. Elle est à moi» insiste Zanon. L’homme est un ami proche de Menem et il s’attend à récupérer son usine, si son ami gagne les élections. Du côté de la Forja, le nouveau président de la coopérative ouvrière nous présente sa famille: lui, sa femme et ses trois filles vivaient paisiblement avant la crise, mais doivent maintenant faire face à la musique. L’usine a été reprise illégalement et
la police pourrait arriver d’un jour à l’autre pour faire évacuer les ouvriers. Ces derniers ont tenté sans succès d’obtenir une autorisation de la cour pour démarrer les machines et reprendre les activités de l’usine. Leur dernière chance repose sur le Parlement provincial. The Take est un documentaire qui s’ajoute à la liste des The Corporation et Fahrenheit 911 de ce monde. Klein et Lewis essayent ici de répondre à la question suivante: «What are the protesters fighting for?» (Pour quoi les activistes se battent-ils?), posée par le journaliste Tim Sebastian de la BBC. Animateur de l’émission Hardtalk, Sebastian a demandé à Naomi Klein quelle était la solution des activistes qui semblent toujours critiquer le modèle économique actuel sans
jamais en proposer un autre. Le documentaire donne un élément de réponse. Bien que le film ne se concentre pas sur les réussites du système d’autogestion mais plutôt sur l’accession à celui-ci, les coopératives récupérées semblent fonctionner. Les ouvriers sont fiers, ils ont retrouvé leur dignité et voilà probablement le message le plus important du documentaire. Le peuple a enfin réussi à battre la «nomenklatura», ne serait-ce que pour nourrir ses familles. x Si vous n’êtes pas trop occupés par l’analyse des résultats de la présidentielle américaine, allez donc voir The Take à l’Ex-Centris ou à l’AMC Forum. Pour plus d’informations sur le film, visitez le www.onf.ca/thetake.
2 novembre 2004 x Le Délit
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culturemusique
L’histoire d’un concert en trois temps
Compte-rendu d’un concert à la Casa del Popolo de GaPa, le vendredi 29 octobre dernier. Borhane Blili-Hamelin
U
n concert est la rencontre d’un artiste et de son public dans le temps et le dialogue qui s’en suit. Un concert dont la rencontre réussit devient un espace dans lequel l’un et l’autre se perdent. Un concert dont la rencontre est partielle devient un espace dans lequel l’un et l’autre vont et viennent. Un concert dont la rencontre échoue se dresse comme un mur qui isole les protagonistes.
Premier mouvement: GaPa Le duo GaPa est né, il y a cinq ans, de la collaboration des percussionnistes montréalais Ganesh Anandan et Patrick Graham. Au cœur du duo, une fascination commune pour les techniques de percussion de la musique karnatique. Outre sa grande complexité, ce système musical du sud de l’Inde est caractérisé par l’incroyable raffinement des techniques de jeu des instruments utilisés. Une partie du travail de GaPa est l’application de concepts inspirés de ce système à une grande variété d’instruments et de styles. Le résultat est aussi rafraîchissant
que l’exécution impeccable. Second mouvement: Ben Grossman, GaPa + 1 Pour moi, la surprise de la soirée a été Ben Grossman avec sa vielle à roue électro-acoustique. Ma connaissance se limitait au statut traditionnel de cet instrument européen: une relique d’anciennes époques. Ce que j’ai découvert hier était beaucoup plus. Le timbre de cette vielle à roue amplifiée me rappelait à la fois le son envoûtant et énigmatique du sarangi indien, la chaleur de l’alto et l’opacité de certains synthés modernes. L’exécution, elle aussi impeccable, n’était que valeur ajoutée. Troisième mouvement: 29 octobre, Casa del Popolo Le format du concert était simple: pièces solo, pièces en duo et d’autres avec Ben Grossman. Un trompettiste s’est aussi joint à eux à quelques reprises. Les pièces en duo étaient intéressantes. Ganesh s’en est surtout tenu à ses frame drums: leur son riche en harmoniques
combiné avec l’approche particulière du musicien emplissait l’espace d’un étrange mystère. Patrick Graham comblait en général l’autre partie du spectre sonore avec une grande variété d’instruments. Le mélange fait de GaPa une danse de timbres qui se happent et virevoltent sans toutefois perdre l’équilibre. Quelques taches, cependant, sur ce paysage: surtout au début du spectacle, quelques pointes de relâchement ou d’inconstance dans les pièces en duo acidulaient l’ambiance. Heureusement, à chaque présence de Grossman, ce flou s’éclipsait et la musique se faisait magie. La présence du trompettiste à quelques reprises multipliait la beauté et l’intensité du moment. La scène se transformait alors en arène de combat, en piste de danse, en nuit étoilée ou en un lac paisible. Les musiciens usaient d’autant de pyrotechnies que de sensibilité. Les pièces étaient variées, mais toutes aussi enivrantes. Alors, pendant cinq à dix minutes, le spectacle prenait tout son sens. Bien sûr, un concert est surtout
Patrick Graham (gauche) et Ganesh Anandan (droite).
une performance artistique, et elle était au rendez-vous. Mais les moments hors performance jouent aussi un rôle important. Hier, entre chacune des pièces, il y avait un malaise. Les musiciens semblaient intimidés, en conséquence ils prenaient maladroitement la parole. La performance était généralement superbe, mais ces blancs la tronçonnaient de froids irritants. Plutôt qu’un bloc
dans lequel le spectateur n’a qu’à plonger la tête pour s’y perdre, le concert faisait l’effet d’une série de diapositives dont certaines étaient assez foudroyantes pour qu’on y entre. La soirée était une construction et une déconstruction perpétuelle de leur espace sonore. Malgré la musique, ce n’était qu’une rencontre partielle. x
cultureentrevue
Retour aux sources Après avoir donné un concert privé au studio de la Place des Arts, Patrick Prévost m’a reçu en toute simplicité dans son chez-lui. Rencontre avec un homme qui a le cœur dans les nuages mais qui garde les pieds sur terre. Olivia Lazard «La vie est un rêve. C’est le réveil qui me tue». ette citation de Virginia Wolff, Patrick Prévost la garde au frais dans son esprit chaque matin qu’il se lève.Voilà un jeune homme qui a décidé de porter sur le monde un regard simple qu’on retrouve dans sa musique, sa «maladie». Parti du journalisme pour se reconvertir à sa passion, ce chanteur a dû faire bien de la route. Il a pris le temps de se construire, de se tromper aussi car ce sont avec les erreurs qu’on distingue le bon chemin du mauvais. Comme il le clame dans Road trip, «tout ce qu’on a c’est son chemin». Il ne se sentait pas heureux dans son ancienne activité, il savait que ce n’était pas sa place et que quitte à faire quelque chose, il fallait qu’il tente de vivre de ce qui l’habite. Il ne cherche pas à se soumettre à l’aspect commercial du monde musical, il veut de la sincérité, du bonheur et de la douceur. Il fait de sa musique un cadeau que chacun accepte comme il le souhaite. Bien sûr, ce n’est pas facile, loin de là. Se lancer à ce point
ne le savent pas». Alors il a décidé d’apporter son coup de pinceau au tableau avec ce qu’il sait faire. Il ne perd jamais de vue les sentiments, «toucher les gens», les rendre sensibles à l’environnement qu’ils habitent, comme ça le monde peut changer, doucement. C’est pour faire vibrer l’émotion que Patrick se permet de monter sur scène, tout en restant humble. «Il ne faut jamais être trop sûr de soi en tant qu’artiste, sinon on perd la fragilité».
C
Patrick Prévost accepte le prix de ses rêves. Voilà un artiste courageux certes, mais réaliste avant tout.
là dans le milieu artistique, «c’est accepter de payer le prix de ses rêves, aussi bien financier qu’émotionnel. C’est un peu comme faire de l’alpinisme sans harnais. Le principe, c’est de regarder en bas le moins possible, toujours en haut». Pourtant, Patrick garde les pieds bien ancrés dans la réalité. Il
n’oublie pas que ce qui lui a permis de se lancer aussi loin dans son rêve et ce qui nourrit sa musique, ça reste ses proches qui sont toujours à lui tendre la main en cas de coups durs. Le paradoxe, comme il me le disait, c’est que la musique reste son plus gros choc. Il doit vivre tous les jours avec les exigences du marché
qui ne correspondent pas forcément à sa vision des choses. «Mais c’est le sel de la vie», il se doit de repousser ses limites pour toujours aller de l’avant. De ces difficultés découlent son vœu d’un monde avec plus de beauté, plus d’égalité. «Les gens sont sensibles à la beauté, mais ils
«Le monde est un cirque». Il semble que Patrick Prévost ne se lassera jamais de le dire ni de le chanter. Sa vie, il a décidé de la rêver et de ne faire aucun compromis avec la réalité parfois trop cruelle. Comme il le dit lui-même, «quand on devient sérieux, on vieillit. C’est en rêvant qu’on ne vieillit pas». Le rêve nous permet d’aller chercher ailleurs ce qu’on pense ne pas avoir en nous et qu’on finit par découvrir à l’intérieur. Patrick Prévost a eu ce courage là. Comme quoi, rien est impossible. x
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Le Délit x 2 novembre 2004
Sigur Rós Ba ba Ti ki Di do (Geffen records) Entre l’Amérique et le continent eurasiatique, se situe l’Islande, île volcanique d’un peu plus d’un quart de million d’habitants. Pays d’origine de Björk, l’Islande semble être le berceau de plusieurs artistes et groupes contemporains des plus intéressants. Sigur Rós, l’un de ces groupes, a su réinventer son esthétique sonore à chaque album. Avec Ba ba Ti ki Di do, le groupe nous offre trois compositionsimprovisations commandées par le Merce Cunningham Dance Foundation (groupe de danse moderne) pour son spectacle intitulé Side Split Performances. En comparant les trois pièces de Ba ba Ti ki Di do avec n’importe quelle autre œuvre de Sigur Rós, on y remarque pratiquement aucune similitude. En fait, la vingtaine de minutes de musique que l’on retrouve sur cet album est fondamentalement abstraite et se constitue en un collage organisé de différentes sonorités suivant une forme apparemment libre (selon le groupe, les trois pièces peuvent être appréciées dans n’importe quel ordre!). Les sons de percussions, de glockenspiel, de boite à musique et de voix modulées sont agencés à des sons de nature complètement électronique pour créer des espaces acoustiques riches et nuancés. Cependant, l’écoute de Ba ba Ti ki Di do est inévitablement incomplète et l’on se demande parfois à quel point la musique est complémentaire de la chorégraphie. Un DVD aurait été plus approprié . x
C’est l’audace et l’effronterie qui ont fait son succès. Eminem «comes back with a brand new rap». Son premier single fait foi de la volonté de l’artiste de continuer à railler les vedettes internationales de tout acabit. Bien qu’il aborde les thématiques régulières du rap, à savoir le sexe, la drogue et le pouvoir, Eminem se démarque encore une fois par la pluralité de ses sarcasmes. À la suite de sa parodie de Madonna, PeeWee Hermann, MC Hammer et Micheal Jackson, le réseau Black Entertainment a trouvé le propos offensant au point d’en annuler la diffusion, à la demande explicite, faut-il le préciser, de l’ex-icône (et ex-noir) de la pop. Bien que le rythme et le débit de la voix du «chanteur» soient intéressants, l’intérêt de sa composition réside davantage dans l’aspect vidéo que dans sa musicalité. Par contre, le second extrait d’Eminem «Mosh» mérite autant d’éloges au niveau de la créativité musicale, de l’originalité du vidéoclip et le contenu. Le «king of controversy», comme il se qualifie, entre directement dans le nouveau mouvement artistique américain qui tente de sensibiliser la jeunesse à l’importance du vote électoral. Par des basses lourdes, profondes et répétitives, sa nouvelle chanson critique les incohérences du président et incite les victimes du système à s’insurger contre les abus en s’enregistrant en vu du scrutin du 2 novembre. Ironiquement, le ton violent de la pièce donne une envie de vengeance à l’auditeur, mais est habilement orienté vers une voie pacifique. x
Pascal Sheftesty
culturemusique
Miaroslav Crépau
Les aventures de Lucky Luck en Haïti Sensible à la crise humanitaire qui sévit aux Gonaïves, Luck Mervil devance la sortie de Ti Peyi A, un album renversant dont une généreuse part des profits servira la cause haïtienne.
Alexia Germain
T
out d’abord, comment expliquer l’ampleur du désastre? Bien qu’il ne faille pas nier la rigueur des cyclones qui s’y sont abattus récemment, sachez que la géographie des Gonaïves est aussi responsable des inondations. En effet, puisque cette ville portuaire est l’heureux point d’aboutissement d’un bassin versant, elle bénéficie d’un réseau hydrographique très important, voire un peu trop important. Les Haïtiens, quant à eux, dans une logique de survie et faute d’électricité ou de gaz, font brûler tout ce qui pousse pour en tirer du charbon de bois. Le résultat n’est rien de moins que des montagnes pelées à perte de vue, soit le produit d’une déforestation massive et incontrôlée. Imaginez le scénario tragique qui accompagne les précipitations abondantes: aucune végétation pour retenir l’eau, glissement de la couche de terre arable vers le lit des rivières et évidemment, débordement de ces rivières. Ainsi, lorsque Jeanne frappa aux portes d’Haïti le 18 septembre dernier, le destin des Gonaïves était pratiquement déjà connu de tous. C’est à ce moment-ci qu’entre en scène Luck Mervil, auteur-compositeur-interprète, animateur et acteur accompli. Si sa carrière artistique vous impressionne, sachez qu’il est tout aussi polyvalent aux niveaux linguistique et humanitaire. C’est d’ailleurs un bon p’tit ménage à trois de ces ingrédients qui a poussé M. Mervil à mobiliser ses forces et ses ressources pour venir
en aide à son pays natal. Et croyezmoi, c’est de façon brillante et engagée qu’il mène ce noble combat. De retour d’un séjour en plein Haïti sinistré, Luck Mervil est bouleversé. Des milliers de corps ensevelis sous la boue, des ruées d’enfants qui crient famine, tétanos et gangrène qui viennent s’en mêler: il faut agir. Et rapidement. Luck Mervil et Jajou Productions s’associent donc pour le lancement médiatique du tout dernier album de l’artiste, une mine d’or intitulée Ti Peyi A. Le mardi 26 octobre dernier étaient ainsi rassemblés au Spectrum de Montréal plusieurs médias qui certes partageaient l’intérêt de promouvoir le nouveau chef-d’œuvre musical de Mervil, mais surtout celui de sensibiliser la population à la crise haïtienne. De plus, un spectacle bénéfice au coût de 15 $ par personne et spécialement concocté par l’artiste lui-même suivait le lancement. La salle étant une gracieuseté de Spectra, les profits se sont exclusivement dirigés vers le CECI (Centre Canadien d’Étude et de Développement International), dont Mervil est le porte-parole, et vers Médecins du Monde Canada. Les profits réalisés grâce au CD simple de la chansontitre de l’album, Ti Peyi A, seront aussi totalement remis à ces organismes. Mais encore, pour chaque album complet vendu, 2 $ seront réservés à cette même cause. Enfin, d’ici la fin novembre, Luck Mervil se rendra au cœur de Port-auPrince afin d’y donner un concert
Ti Peyi A est une compilation presque exclusivement en créole, qui respire la joie de vivre.
gratuit. C’est pas beau ça? Et qu’on taise les mauvaises langues qui accusent M. Mervil de manipuler la crise haïtienne pour faire grimper ses ventes! Maintenant, si nous parlions de ce fameux album? Ti Peyi A, c’est un son authentique, une mu-
sique qui colle à la peau, de la romance soul. Entièrement en créole à l’exception de la chanson officielle du dernier film de Danny Laferrière, Le Goût des jeunes filles, Mervil n’en propose pas pour autant une musique «ghettoïsée», au contraire! On y jase du respect de la femme,
des tabous haïtiens, de prostitution infantile, de vie quotidienne et d’amour bien sûr. Cette compilation qui respire la joie de vivre saura sans doute rejoindre la diaspora antillaise et vous donnera, je l’espère, la piqûre de ces airs tantôt émouvants, tantôt grivois. x