Volume 94, numĂŠro 9
Le mardi 16 novembre 2004
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Chatnounou depuis 1977.
02 Le Délit x 16 novembre 2004 nouvellesbouchetrou
Insolites Ici on place la lie. Philippe G. Lopez Videz les poches, bordel! (Yahoo!) Une femme japonaise de soixante-dix-sept ans a donné, la semaine dernière, un de ses vieux kimonos à la charité. Or, ayant subi dans le passé de nombreux vols, elle avait décidé de cacher la somme rondelette de deux millions de yens (soit approximativement 20 000 USD) dans la ceinture dudit kimono. Probablement sénile, la vieille femme avait complètement oublié la présence de ses petites économies dans le vêtement. Après avoir lu dans le journal local un article décrivant la trouvaille, elle se rappela avec horreur de la petite bourse. Bien que dix-sept personnes prétendaient également être propriétaires de la somme d’argent, la dame
s’en est tirée et a pu reprendre le précieux kimono. Policiers à la rescousse (AFP) Une canaille, prétendant être propriétaire d’un magasin de bijoux à Paris, a réussi tout un coup samedi dernier. L’homme de trente ans a appelé la station de police, prétendant qu’il avait oublié ses clés et qu’il avait absolument besoin d’entrer dans le magasin. Pourtant, le serrurier a exprimé quelques soupçons lorsque le supposé propriétaire s’empara prestement de quelques Rolex. S’enfuyant avec un butin estimé à 10 000 euros, le scélérat s’est malheureusement fait rattraper le jour suivant. x
Questions? Commentaires? Menaces de mort? Une seule adresse: redaction@delitfrancais.com
AVIS À TOUS La fin de session approche et les élections aussi. Bref, l’équipe de rédaction du Délit tient des élections le 30 novembre afin d’élire ses membres. Vous voulez vous impliquer, devenir rédacteur? Pour ce faire, vous devez être étudiant à McGill et avoir contribué au moins trois fois au Délit (photos, articles, soirées de production, lavage de notre linge sale). Si vous désirez soumettre votre candidature, vous n’avez qu’à déposer votre nom dans l’enveloppe du poste qui vous intéresse, à l’extérieur du local du Délit (Shatner B-24) dès mercredi. Les candidatures doivent être approuvées par deux collaborateurs ou rédacteurs du Délit. Libre à vous de tenter un coup d’état et de putscher la rédactrice en chef. Bonne chance à tous!
16 novembre 2004 x Le Délit
éditorial
Le Délit
Le pouvoir des mots
Le journal francophone de l’université McGill
Réflexion sur le pouvoir des médias.
3480, McTavish, bur. B-24 Montréal (Québec) H3A 1X9
Valérie Vézina
L
e Délit est mort. L’annonce hier de l’explosion du local du Délit a provoqué tout un émoi au sein de la société étudiante de McGill. Ce sympathique journal francophone publiait six mille exemplaires par semaine; il était d’ailleurs fort apprécié de ses membres. Petite voix dans un univers anglophone, il ne faisait certes pas l’unanimité, mais son départ ne passera pas sous silence. Vous y avez cru? Je vais vous rassurer à l’instant: Le Délit est bien vivant. Pourtant, il y a bien du vrai dans ce qui est écrit au paragraphe ci-dessus. Alors, que croyez-vous? Je sais, vous avez certainement déjà débattu du sujet, du pouvoir des médias, mais je crois bon qu’il soit remis sur la table. Yasser Arafat est mort. On l’annonce pour ensuite défaire l’annonce et la refaire quelques jours plus tard. Quand exactement est-il mort? Le saura-t-on jamais? C’est cette nouvelle, aussi grandiose soit-elle, qui m’a fait réaliser à quel point on est manipulé, à quel point on peut manipuler. La loi qui régit nos médias ne concerne ni leur intégrité ni le souci de la vérité, mais plutôt l’obsession d’être le premier à annoncer. Vous vous rappelez les élections présidentielles en 2000? Toutes les chaînes se battaient pour annoncer en primeur le nouveau président américain. Se trompant tour à tour, rejetant leurs propres affirmations, s’excusant maladroitement; le jeu aura duré une éternité et la vérité ne sera ultimement connue que plusieurs jours après. Il en fut ainsi également lors de la mort du Generalísimo Franco en 1975. Le petit jeu — il est mort, il ne l’est pas — aura duré quelques semaines. Les médias se foutent un peu de la vérité tant qu’ils ont quelque chose de crunchy à se mettre sous la dent, une nouvelle-choc qui leur permettra de hausser leur lectorat, leurs cotes d’écoute, qu’importe si c’est vrai ou non. Ne vous inquiétez pas, le Délit est un journal intègre (ou du moins essaie de l’être). La différence entre un journal étudiant indépendant et une journal «corporatif» est que, dans le cas du journal étudiant, la recherche du scoop verra sa motivation dans la gloire et non l’argent. Autant dire qu’aucune publication n’est à l’abri du problème. Mais, au juste, qu’en est-il de la situation des médias? Samedi soir, 18h. Je zappe à la recherche du poste télévisé qui me donnera les «meil-
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rédactrice en chef Valérie Vézina chef de pupitre-nouvelles Philippe G. Lopez chef de pupitre-culture Flora Lê rédacteur-reporteur Eleonore Fournier coordonnateur de la mise en page David Drouin-Lê coordonnateur de la photographie Éric Demers coordonnateur de la correction Julien Vinot chef illustratrice Jany Lemaire collaboration Alexandre de Lorimier Jasmine Bégin Marchand Laurence Bich-Carrière Félix Meunier Ynès Wu Franco Fiori Jean-Loup Lansac Alexandre Vincent Marie-Noëlle Bélanger-Lévesque Philippe Mannasseh David Pufahl Pascal Sheftesty Borhane Blili-Hamelin Olivia Lazard Marie-Madelaine Rancé Agnès Beaudry Alexia Germain François beaudry Vo Nghi Nguyen webmestre Bruno Angeles
leures» nouvelles. Selon le goût, la photographie, mon degré d’écoute (et d’intelligence: avouez que parfois les analyses à Radio-Canada vous donnent la nausée), tout cela influencera ma décision finale. Peu à peu, je me mets à douter des sources du lecteur de nouvelles, du journaliste au micro, précisément ceux-là que je cite dans mes travaux d’école. Bref, sur quoi se baser? Les mots ont un grand pouvoir. Celui de persuader, de détruire parfois. Celui d’embellir, de construire. Bref, les médias ont ce grand pouvoir de jouer avec les mots. De nous faire croire que tout va pour le mieux, de nous faire peur. Mais pour séparer le blanc du noir, le vrai du faux, le superflu de l’essentiel,
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Arafat tire sa révérence
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il faut s’ouvrir, critiquer, penser. On peut tout faire avec les mots, tout comme les médias (y compris le journal que vous tenez entre vos mains). Et nous, simples lecteurs, pouvons bâtir notre propre opinion. Non, il ne s’agit pas d’un autre exposé sur les médias qui transmettent propagande, ignorance et désolation. Je ne suis pas adepte des théories loufoques de complots et de lavage de cerveau. Néanmoins, ce à quoi je veux porter votre attention est la nature humaine et les conséquences qu’elle entraîne lorsqu’elle se retrouve à la tête d’un outil aussi puissant qu’une vaste machine médiatique. x
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Un déserteur se confesse
Spectacle humoristique
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Bruits du noir
Peine d’amour? Votre belle/beau vous tourne le dos? Au Délit, on vous aime. Réunion local B-24 du Shatner, 16h30.
couverture Éric Demers gérance Pierre Bouillon publicité Boris Shedov photocomposition et publicité Nathalie Fortune le McGill Daily Daniel Cohen
Conseil d’administration de la Société de Publication du Daily: Marie-Eve Clavet, Emily Kingsland, Eugene Nicolov, Jeff Carolin, Jean-Olivier Dalphond, John Jeffrey Wachsmuth, Daniel Cohen, Valérie Vézina, Joshua Ginsberg L’usage du masculin dans les pages du Délit français vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Le Délit français est publié par la Société de publications du Daily. Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et illustrations dont les droits avaient été auparavant réservés, incluant les articles de la CUP). Les opinions exprimées dans ces pages ne reflètent pas nécessairement celles de l’Université McGill. L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal. Imprimé par Imprimerie Quebecor, St-Jean-sur-Richelieu, Québec. Le Délit est membre fondateur de la Canadian University Press (CUP) et de la Presse universitaire indépendante du Québec (PUIQ). Imprimé sur du papier recyclé. ISSN 1192-4608
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04 Le Délit x 16 novembre 2004 nouvellescampus
Le coopératisme, pourquoi pas!
Premier extrait d’une série d’articles sur le coopératisme à McGill. François Beaudry
C
eux d’entre nous qui ont déjà étudié dans une institution francophone au Québec ont de fortes chances d’associer livres d’école et coopératisme. En effet, le réseau Coopsco chapeaute des coopératives dans un bon nombre de cégeps du Québec et dans des facultés et écoles de toutes les universités francophones. Cependant, à McGill, ce mode de gestion n’existe pas. Je serais bien attristé d’être le premier à vous apprendre, à quelques semaines des examens, que c’est au Bookstore que l’on achète nos recueils de textes et livres de référence. Cette librairie, après quelques passages subtils aux mains de Chapters et de Barnes and
Noble, est revenue l’an dernier sous le contrôle de l’Université, dont les exigences n’avaient pas été remplies par ses partenaires. Comment se fait-il que les deux universités québécoises anglophones échappent au système coopératif, pourtant fort bien adapté au commerce très contraignant des livres d’école? Nul ne saurait nier que la présence d’une demande inélastique, comme celle des livres d’université, toujours liée au nombre d’étudiants inscrits, constitue l’une des conditions permettant normalement à de petites coopératives de faculté de croître. De plus, la possibilité d’entrer dans un marché où la compétition est inex-
istante (du moins, en ce qui a trait aux recueils de textes) et où la vente de livres usagés a un caractère fortement coopératif devrait contribuer à la prédominance d’un mode de gestion coopératif. Sans vouloir citer un homme politique quelconque, force est de constater que toutes les conditions gagnantes sont réunies, mais que la très diversifiée population mcgilloise ne considère toujours pas ce schisme du Bookstore. Il y a environ deux mois, un étudiant s’exprimait à travers le Daily, quasi-quotidien majoritaire, au sujet des lignes d’attente monstrueuses, auxquelles chaque membre de la communauté de McGill a dû se
soumettre plusieurs fois cette session, et se plaignait de l’absence de système d’achat en ligne. Il ne s’agit là que de l’une des causes des doléances étudiantes au sujet de la librairie. Du point de vue de certains, attendre peut toujours passer, mais attendre en sachant ce qu’ils devront payer devient plus douloureux. Pendant que ceux-ci descendent dans la rue pour dénoncer les coupures de notre gouvernement dans l’éducation, ils continuent à se rendre mécaniquement à la librairie pour acheter leurs livres à des prix exorbitants, croyant qu’ils n’ont aucun choix. Selon Statistique Canada, les dépenses médianes des universitaires
québécois en livres et en matériel d’école s’élèvent à 1 200 $ par année. Pourquoi donc n’y a-t-il pas de débat public au sein de notre université? Son administration seraitelle défavorable à l’établissement d’une coop? Ou serait-ce donc que les coûts des livres sont déjà optimaux? Enfin, peut-être manque-til tout simplement de dynamisme dans notre communauté étudiante, trop occupée à blâmer les dirigeants politiques pour les coûts en hausse des études alors qu’elle pourrait agir pour les diminuer. À moins que ce ne soit qu’une autre question culturelle? x
nouvellescontroverse
La réélection de George Bush Jr Cette semaine: Félix Meunier et Philippe G. Lopez s’affrontent dans le ring. Il est à noter que les positions exprimées ne sont pas nécessairement partagées par leur auteur.
Chaque semaine, le Délit choisit un sujet controversé. Au hasard sont tirés le nom des journalistes devant défendre respectivement le pour et le contre.
POUR
L
e 2 novembre dernier, le président en poste, George W. Bush, a triomphé en remportant une élection serrée. Après quelques heures de suspens, John Kerry aura finalement concédé l’Ohio: il avait bien compris que ce n’était pas lui qu’on voulait au pouvoir. Durant le premier mandat de W. Bush, nous avons pu assister à une vague de propagande gauchiste qui, fort heureusement, n’aura pas touché outre mesure les États-Unis. Les Américains ne sont pas idiots: ils ne se sont pas laissé berner par les mensonges de Michael Moore, par le charabia incompréhensible de Noam Chomsky ou par les beaux discours des NationsUnies. Mais il faut comprendre que si 47 p. cent des Américains ont voté pour John Kerry, ce n’est pas à l’administration Bush de corriger le tir mais bien le contraire. Ce n’est pas aux gagnants de s’adapter aux perdants. S’il n’y a pas eu d’attentats terroristes depuis 2001, c’est grâce aux efforts chevronnés du président. Cette guerre hautement morale, qu’il a entreprise contre les forces du Mal, a eu des effets considérables sur le bien-être et la sécurité de tous, y compris nous, les Canadiens. Il n’y a aucun doute que la chute des Talibans et de Saddam Hussein est étroitement reliée à la mort de Yasser Arafat, terroriste agréé. George W. Bush a su, par ses politiques moralistes, concentrer la volonté de Dieu afin qu’elle agisse contre le Mal. Si Fidel Castro s’est fracturé le bras suite à un discours, il y a deux semaines, c’est encore une fois la preuve que les Républicains ont pu attirer les grâces de notre Créateur dans le combat du Bien contre le Mal. John Kerry nous a démontré que les belles manières, le beau parler ainsi que les expressions compliquées telles que «déficit budgétaire», «récession économique» ou «victimes civiles» ne veulent rien dire. Ce que l’Amérique mérite, c’est un dirigeant. Au grand dam des pissous, des terroristes et des communistes, l’Amérique triomphera, dites merci à Dieu et à George W. Bush. x
J
CONTRE
e n’ai pas de problème avec le fait que les gens décident de voter pour Bush. Vous décidez qu’il est celui qui représente vos intérêts le mieux. Vous décidez qu’il est le meilleur pour défendre les États-Unis contre le terrorisme, qui n’a fait pratiquement aucune victime en sol américain depuis 2001, et contre les méchants Européens, de la vieille Europe, fervents adeptes de ce détestable multilatéralisme. Vous décidez qu’il est le meilleur pour réduire vos impôts.Vous décidez qu’il est le meilleur pour créer des emplois dans votre région industrielle qui a outsourcé des milliers d’emplois depuis quatre ans. Le problème, c’est qu’il y en a eu 68 p. cent qui ont voté pour Bush en raison de ses «valeurs morales». Je voudrais bien en voir quelques-uns au Canada qui ont décidé de voter pour Jean Chrétien en raison de ses «valeurs morales». Je sombre probablement dans une vague utopie, mais est-ce vraiment normal de voter pour un chef d’état pour ses valeurs morales ? On choisit sa religion, son prêcheur, sa secte pour des valeurs morales, mais je vois mal comment on peut ajouter un homme d’état à cette liste. Des Américains récemment rencontrés dans un train quelque part dans les très plates prairies saskachewanaises disaient que le problème au Canada est que nous sommes trop «séculiers». Eh ben! Devrais-je trouver normal que les preachers de ces grand-messes du dimanche affirment dans leur sermon qu’ils n’ont «jamais senti Dieu aussi proche de la Maison-Blanche»? Des États ont choisi de volontairement brouiller les cartes en faisant voter leurs électeurs pour la présidence en même temps que sur des résolutions concernant le mariage gai. Le mandat d’un président ne consiste pas uniquement à décider et à définir ce qu’est le mariage. Bush a un programme, qu’on l’examine! Et que l’on fasse son choix rationnel par la suite! Le choix de la présidence américaine n’est pas de choisir celui qui a les meilleures valeurs, mais celui qui est le meilleur homme d’état, celui qui ne fera pas rougir de honte les Washington, Jefferson, Lincoln, Roosevelt et Kennedy. x
16 novembre 2004 x Le Délit
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nouvellesinternational
Réenterrera-t-on Arafat?
Paris, Le Caire, Ramallah: c’est l’itinéraire que suivra la dépouille du chef de l’OLP, Yasser Arafat. Laurence Bich-Carrière
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Jean-Loup Lansac
Boucler son budget N
ous connaissons tous l’importance d’avoir un budget équilibré. Les natifs de la Balance, ces privilégiés, le savent davantage encore. Pour nous en convaincre, pensons seulement à Margaret Thatcher, cette éternelle obsédée des finances publiques non déficitaires. Eh bien, sachez que la Garce de fer, tout comme l’auteur de ces lignes, est née un 13 octobre. C’est dire si on en sait long, tous les deux, sur le sujet. Cela dit, il ne suffit pas de ficeler son budget: il faut aussi savoir s’y prendre convenablement. On se souvient tous de ce ministre des finances qui s’était attiré la risée de tout un peuple en essayant de joindre les deux bouts à l’aide de vulgaire velcro. Le pauvre, il ne savait pas faire ses boucles, à son âge! Je ne sais pas pour vous, mais moi, trente ans plus tard, j’en ris encore. Qu’on se le dise, apprendre à boucler, c’est rentable. D’ailleurs, ne préfère-t-on pas le conte «Boucle d’or et les trois ours» à ses succédanés «Fermeture-éclair de cuivre et les trois canards» ou encore «Bouton de pacotille et les trois loutres»? Bien sûr que si. Vous aurez compris la morale de l’histoire: boucler son budget, c’est payant. Ça vaut son pesant d’or, tiens. Or, peut-on faire mieux qu’une boucle, dans le domaine des comptes publics? Non, non et re-non, que je vous dis. La chose a déjà été tentée, c’est inutile. Aussi charmante puisse-t-elle paraître, l’idée de triple «lutz» piquer son budget ou de le double «axeliser» est vaine. On a beau rivaliser de cabrioles pour épater la galerie, rien n’y fera. Ces bonnes gens de Standard and Poors et de Moodys vous donneront sans doute un A, mais à quoi bon, quand on sait que la firme biélorusse vous remettra un F en prétextant s’être trompée de carton. C’est cruel, mais c’est comme ça. Une fois que nous avons assimilé
toute l’utilité de la boucle, examinons un peu la procédure à privilégier pour la nouer sans heurts. Pour les finances publiques, l’exercice s’apparente beaucoup à une opération médicale: on voudra sabrer nettement, sèchement et froidement plutôt que de courir le risque de provoquer des hémorragies en y allant avec des demimesures. Il s’agira donc de réduire les frais sans causer trop de mécontentement. Ainsi, si l’on pousse un peu l’analogie, il serait néfaste d’ouvrir le ventre du patient et de le laisser «sanguignoler» comme ça, tout penaud. On optera plutôt pour l’amputation d’un membre négligeable: c’est plus hygiénique. Couper 103 millions en prêts et bourses, par exemple, c’est comme couper le petit doigt à un bambin. Personne ne se soucie jamais vraiment des lamentations d’un gosse, puisqu’il passe le plus clair de son temps à geindre, de toutes manières. Idem pour les incessantes jérémiades des étudiants. D’ailleurs, quatre ans plus tard, alors que la plaie sera scellée, le petit aura déjà tout oublié et il aimera à nouveau le bon docteur, comme au premier jour. Qu’importe s’il n’a plus que quatre doigts. Les Américains, eux, n’en ont qu’un, levé bien haut à la face du monde et ce n’est pas eux qui vont se plaindre. Là où il faut vraiment se méfier, par contre, c’est lorsqu’un ministre parle d’assainir les finances publiques. Parce que, si elles ne sont pas saines, les finances, c’est que quelqu’un est allé les salir avec ses gros doigts pleins de gras qui tachent. Qui pourrait bien faire une telle chose? Je ne sais pas, mais notons au passage que Jean Charest possède une somptueuse résidence à Westmount. Si ce n’est pas ça, être gras dur, je ne sais pas ce que c’est. Maintenant, vous tirerez les conclusions que vous voulez, ce ne sera pas moi qui aurai pointé du doigt le premier. x
9 octobre: Yasser Arafat était transporté d’urgence à l’hôpital militaire français Percy de Clamart: leucémie? septicémie? infection virale? Son épouse refusait de répondre aux questions des médias, qu’elles portent sur la maladie du raïs, sa fortune, estimée à cinq milliards de dollars, la controverse entourant son prix Nobel de 1994, ou le lieu de son inhumation. Ce dernier débat a été jugé prématuré et irrévérencieux par certains. Pourtant, quatorze jours de réflexion sur cette épineuse question n’ont peut-être pas été superflus: Arafat est mort dans la nuit du 11 novembre et bien des problèmes jusque-là strictement hypothétiques se sont concrétisés. Résultat: c’est au Caire qu’auront lieu les funérailles. Certes, l’initiateur du Fatah y est vraisemblablement né en 1929 et y a fait ses études, mais la raison est d’abord logistique: la plupart des dirigeants arabes qui seront présents n’ont pas droit de séjour dans les territoires palestiniens ou en Israël. Les funérailles au Caire, certes, mais non l’inhumation. Car Arafat aurait dit à ses proches vouloir être enterré sur l’esplanade des Mosquées, ce qu’Israël a refusé catégoriquement. «Jérusalem est une ville où sont enterrés les rois des Juifs et non les terroristes arabes et les meurtriers de masse» déclarait Yosef Lapid, le ministre israélien de la Justice. Plus pragmatique, Danny Rubinstein, du journal israélien Haaretz, expliquait: «Israël ne les laissera pas enterrer Arafat autour de Jérusalem car cela pourrait être interprété comme une reconnaissance de la part d’Israël des droits politiques [des Palestiniens] sur Jérusalem». L’État hébreu excluait également Abou Dis, colline en territoire palestinien en périphérie de Jérusalem avec vue sur l’Esplanade et la Cisjordanie: pas de sym-
bole de la Palestine dans ou près de la ville sainte, entièrement annexée par l’État hébreu lors de la Guerre des Six-Jours. Une telle attitude embarrassait l’Égypte: accepter que l’inhumation ait lieu au Caire, c’était accepter la position d’Israël. C’est pourquoi Hosni Moubarak proposait le «cimetière des martyrs» dans la bande de Gaza. À cette suggestion, un proche d’Ariel Sharon s’est exclamé: «[Qu’ils] enterrent leur symbole à Gaza, de toute façon, nous nous en allons», référence faite au plan de retrait unilatéral de la bande de Gaza adopté par Israël, il y a peu. La ligue arabe, quant à elle, écartait Khan Younès, où se trouve le tombeau familial du clan Arafat: sa famille est avant tout sa cause (et les dimensions modestes du caveau n’avaient pas nécessairement de quoi plaire à la grandiloquence posthume que certains hiérarques de l’OLP voulaient conférer au raïs). Finalement, c’est dans son quartier général de Ramallah, où il était confiné depuis décembre 2001, qu’a été enterré Yasser Arafat. L’enterrement, prévu pour vendredi, a été devancé, car «la densité et l’émotion de la foule ont obligé l’inhumation au sortir de l’hélicoptère qui le transportait» explique Nabil Chaas, ministre palestinien des affaires étrangères, et peut-être aspirant à la succession d’Arafat. C’est donc à Ramallah qu’iront se recueillir les fidèles d’Arafat. Enfin, jusqu’à nouvel ordre, car, comme l’espérait Chaas: «La communauté internationale n’a pas reconnu l’annexion totale [de Jérusalem] par Israël en 1967: nous comptons sur elle pour que le raïs puisse y être réenterré». «Nouvelle page», le plan de pacification civile en cas de deuil palestinien serat-il mis à mal par un ultime pied de nez de la sorte? x
06 Le Délit x 16 novembre 2004 nouvellesuniversitaires
Concordia fait volte-face
L’Université pourrait accueillir l’ex-Premier ministre israélien Ehud Barak, une fois les conditions de sécurité améliorées. Alexandre de Lorimier
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u début du mois de novembre, l’Université Concordia a confirmé avoir étudié la possibilité d’une visite de l’ancien Premier ministre israélien Ehud Barak, sous réserve de l’amélioration des conditions de sécurité sur le campus. Concordia affirme qu’elle devrait recevoir M. Barak d’ici la fin de l’année universitaire courante. «Nous examinons actuellement nos salles, d’un point de vue sécuritaire, dans lesquelles il serait possible de faire des travaux afin de pouvoir y tenir d’importantes activités avec le niveau de sécurité, de dignité et de respect qu’exige la venue d’un personnage de la scène internationale» mentionne un communiqué de presse sur le site Internet de l’Université. Quelques sources évoquent la salle Oscar Peterson du campus Loyola, dans l’ouest de l’île de Montréal, cependant cette information n’a pas été confirmée. La demande de visite de l’exPremier ministre avait été formulée à la fin de l’été par le groupe étudiant Hillel. L’Université Concordia avait refusé la requête pour des raisons de sécurité, mais avait proposé de cocommanditer l’événement ailleurs à Montréal, proposition que Hillel a déclinée. Le groupe étudiant avait
L’ancien Premier ministre israélien en action.
accusé l’Université d’abdiquer ses responsabilités et de restreindre la liberté d’expression. Quelque deux cents personnes s’étaient réunies sur le campus central afin de manifester leur dissentiment. Le représentant auprès des médias francophones de Hillel n’était pas disponible pour commenter la nouvelle. Pour sa part, le président de l’Université Concordia, Frederick H. Lowy, a publié une déclaration dans plusieurs quotidiens nationaux, tant francophones qu’anglophones. «L’Université Concordia doit pouvoir recevoir qui que ce soit, et ce incluant des personnalités de haut niveau qui pourraient être controversées, car elles ne représentent qu’un seul côté d’un conflit international acrimonieux» affirme-t-il dans son article. «Malheureusement, [la plupart des amphithéâtres], incluant ceux de Concordia, n’ont pas été construits avec d’importantes mesures de sécurité en tête, simplement parce que cela n’était pas nécessaire. Les universités s’ajustent à de nouvelles réalités et acceptent des niveaux de sécurité auparavant impensables au Canada» souligne M. Lowy. De son côté, l’association juive B’nai Brith affirme avoir déposé,
le 5 novembre dernier, une plainte auprès de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec. «Nous tentons cette action aujourd’hui, car nous sommes concernés par l’ambiance d’intimidation et d’hostilité qui prévaut toujours à Concordia» a déclaré Frank Dimant, le vice-président directeur de B’nai Brith. «La volonté de l’Université de réinviter Ehud Barak à Concordia dans un lieu non spécifié n’est pas, selon nous, une réponse satisfaisante à nos inquiétudes» a ajouté le conseiller juridique senior de l’association, David Matas. L’association n’a pas fourni d’exemples sur cette ambiance qualifiée d’«antisioniste» et leur décision ne semble être basée que sur le refus de l’Université d’accueillir l’ancien Premier ministre israélien. Le site Internet de la Commission ne mentionne aucunement cette plainte. Le Congrès juif canadien, lui, considère que B’nai Brith va trop loin. Dans un article de la Gazette, le président de la section québécoise du Congrès, Jeff Boro, qualifie la plainte de «très destructive». «Ils ne parlent pas au nom de la communauté juive, mais seulement de leurs membres» a-t-il conclu. x
Falun Dafa: culte du mal? Vo Nghi Nguyen, chroniqueur en exil
L
e Falun Dafa est certainement l’un des mouvements les plus influents: partout à travers le monde, des pratiquants (ou employés peut-être) distribuent des pamphlets promotionnels. Pour attirer l’attention, facteur choc oblige, ces pamphlets dénoncent les droits de l’homme en Chine avec photos sanglantes et morbides. Qu’est-ce qui se cache derrière cette organisation pour que le gouvernement chinois la bannisse à coup d’exécutions et d’emprisonnements massifs? Aux États-Unis, les réseaux d’information ne manquent jamais l’occasion de diaboliser la Chine en soulignant les violations des droits de l’homme. Le Falun Dafa a certainement profité de cette situation en ayant une image beaucoup plus positive dans le monde occidental. Lorsque l’on parle du Falun Dafa aux nouvelles, on note les tortures, les exécutions, mais rarement son côté plus sinistre et obscur. Bien que les
méthodes employées par le gouvernement chinois pour éliminer le mouvement sont condamnables, le Falun Dafa de son côté est loin d’être la simple méditation pacifique qu’elle prétend être. Le Falun Dafa a été fondé par un personnage digne de Raël qui vit maintenant en exil aux ÉtatsUnis, Li Hongzhi. Dans le Falun Gong, la Bible du Falun Dafa, il prétend que les extra-terrestres sont partout sur la planète, prêts à nous envahir, que les pratiquants du Falun Dafa peuvent arrêter les véhicules se dirigeant tout droit vers eux... Bref, des choses plutôt ahurissantes. Ah oui, j’oubliais, le Maître peut aussi voler. Apparemment, la traduction du document en anglais omet ces détails. D’un autre côté, le gouvernement chinois a lancé une campagne contre ce qu’elle appelle le culte du mal. Sur les pages officielles du gouvernement, on trouve des «témoignages» d’anciens membres qui ont tenté de s’immoler. Le
gouvernement accuse le mouvement d’avoir causé la mort de plus de 1 400 personnes, le Falun Dafa invitant ses membres à ne pas se procurer des soins de santé. Bien évidemment, le mouvement réfute ces allégations. Où se situe la vérité? Probablement entre les deux. Bien que le Falun Dafa ne sollicite pas l’argent de ses membres, elle demeure néanmoins une organisation puissante. Inévitablement, ce pouvoir aux mains d’un seul mouvement était devenu une menace politique pour le gouvernement chinois. Le Tai-Chi, d’un autre côté, est encore largement pratiqué en Chine et, étant dépourvu d’organisation centrale, ne présente aucune menace pour le gouvernement. Même le Dalai Lama, défenseur de la cause tibétaine, n’a pas le luxe de promouvoir sa cause à une aussi grande échelle dans les quartiers chinois à travers le monde. x
16 novembre 2004 x Le Délit
nouvellescontroverse
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Les réfugiés politiques américains refusés par le gouvernement du Canada Brandon Hughey, originaire du Texas, a fui son pays pour ne pas aller en Irak; beaucoup commencent à faire comme lui.
Eleonore Fournier
«
Ce que Bush appelle dommage collatéral, le reste du monde l’appelle crime contre l’humanité». C’est ainsi que Brandon Hughey, un déserteur de l’armée américaine âgé de dix-neuf ans, justifie sa décision de quitter les États-Unis pour se réfugier au Canada. Depuis le mois d’avril dernier, six ex-soldats ont demandé asile au gouvernement canadien, et plusieurs autres sont cachés ici, selon la Campagne d’appui aux objecteurs de conscience. Le 11 novembre, Hughey s’est adressé à une salle remplie à McGill, dans le cadre d’une conférence organisée par les membres de cette campagne. Aussi, étaient présents Michel Chossudovsky, de l’Université d’Ottawa, et Kirwyn Cox, déserteur de la guerre du Vietnam réfugié au Canada depuis 1964. D’après la Commission d’immigration et du statut de réfugié du Canada, trois audiences ont déjà étés prévues pour accorder le statut de réfugié aux Américains. Jeremy Hinzman paraîtra devant la Commission le 6 décembre, et David Sanders le 28 janvier. L’audience de Hughey, qui était prévue pour le 19 novembre, a été repoussée. Leur avocat sera Jeffrey House, avocat criminel de Toronto. House a lui-même quitté les États-Unis en janvier 1970 pour éviter la conscription. «J’ai de la sympathie pour l’idée que les gens ne devraient pas participer à une guerre douteuse comme celle-ci». Le 28 juin 2002, le gouvernement canadien a passé la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés qui stipule que le Canada «offre le refuge à ceux qui en ont besoin». D’après House, «à moins que le gouvernement change cette loi, il devra accepter tous les réfugiés politiques». Entre 1965 et 1973, plus de 50 000 déserteurs et leurs familles sont venus demander asile au Canada. En 1969, Pierre Trudeau a déclaré: «Ceux qui prennent consciemment la décision de ne pas participer à la guerre… ont ma complète sympathie, et en effet notre approche politique a été de leur donner accès au Canada. Le Canada devrait être un asile contre le militarisme». Aujourd’hui, la position de Paul Martin est différente. Le gouvernement interviendra devant la Commission durant les audiences, demandant la déportation des Américains. «Nous pensons qu’ils sont inquiets à propos de la réaction
des États-Unis» soutient Michelle Robidoux, de la Campagne d’appui aux objecteurs de conscience à Toronto. De plus, en décembre 2002, le Canada a signé l’Accord binational sur la planification militaire avec les États-Unis. Cet accord permet à l’armée américaine de demander la coopération canadienne en cas de menace à la sécurité du continent Nord-Américain. D’après Michel Chossudovsky, à cause de cet accord, «le Canada fait partie des États-Unis d’un point de vue militaire et stratégique». Donc, le gouvernement ne pourrait pas prendre des décisions allant contre les intérêts militaires américains. House, par contre, estime que là n’est pas la question, ajoutant: «Non, ça n’a rien à voir». Que ce soit à cause de cela ou d’autre chose, le Parti libéral ne veut pas risquer de refroidir ses relations avec les États-Unis, et c’est pour cela qu’il refuse pour l’instant de soutenir les
refugiés. La campagne de soutien est appuyée en outre par Jack Layton, président du Nouveau Parti Démocratique, qui a promis d’adresser la question à la Chambre des Communes. Jamie Heath, directeur des communications du NPD, déclare: «Nous les soutenons, oui, absolument. Nous n’avons pas d’influence directe, mais nous avons parlé pour les personnes qui ont quitté l’armée américaine». Brandon Hughey, s’il est déporté aux États-Unis, sera jugé et puni en tant que traître. Selon la loi américaine, cette punition est la peine de mort, mais elle n’a pas été appliquée depuis une cinquantaine d’années. Hughes a quitté son pays quand il a su qu’il devrait aller en Irak, pour participer à une guerre qu’il juge «illégale» et «immorale». En effet, les actions du gouvernement américain en Irak violent les Conventions de Genève, signées par
les États-Unis en 1949. Ceci risque de continuer, car Alberto Gonzales, le nouveau ministre de la justice de George Bush, a déclaré que ces conventions étaient «étranges». À l’intérieur du pays, une autre organisation d’ex-soldats milite contre la guerre, Iraq Veterans Against the War. Ce groupe organise des manifestations et essaie d’éduquer les citoyens américains quant au non-sens de la guerre menée par leur gouvernement. Pourtant, d’après Hughey, beaucoup n’appuient pas les vétérans, et certains reçoivent même des menaces de mort. «Les Américains soutiennent leurs troupes – je pense que c’est le cas tant qu’ils ferment leur gueule!» Même sans le soutien populaire, certains vétérans et déserteurs de l’armée continuent toujours à penser que c’est leur devoir de résister à des ordres immoraux. Les prochaines audiences se-
ront très importantes pour le Canada, car elles créeront un précédent pour toutes les prochaines demandes d’asile de la part des déserteurs américains. Si la Commission de l’immigration et du statut de réfugié estime que tout demandeur devrait être immédiatement accepté, beaucoup plus d’Américains traverseront la frontière. Selon Kirwyn Cox, dans les quatres prochaines années, des déserteurs viendront certainement s’établir au Canada, que se soit légal ou non. Il ajoute que la guerre en Irak n’a pas été conforme à la Charte des Nations-Unies ni à la Charte de Nuremberg, toutes deux ratifiées par le gouvernement américain. Comme tous ceux qui soutiennent les déserteurs, il estime que c’est assez pour que les soldats refusent de combattre. Hughey est d’accord: «Je suis puni car je suis les lois internationales, mais c’est ma responsabilité de le faire». x
08 Le Délit x 16 novembre 2004 nouvellesinternational
Quinze ans après: l’Allemagne divisée par un mur invisible La réunification de l’Allemagne est loin d’être achevée. Jasmine Bégin Marchand
L
e 9 novembre 1989, l’Allemagne a connu la chute du mur qui la divisait, mettant fin au régime du parti unique communiste. Quinze ans après, l’Allemagne semble toujours divisée par des facteurs qui dépassent largement 160 kilomètres de pierres alignées. Les différences de niveau de vie sont immenses, même aujourd’hui, explique Dietlind Stolle, professeur à McGill. Journaliste ayant vécu en Allemagne de l’Est durant la période communiste, le professeur de sciences politiques souligne que le niveau de vie était nettement plus bas qu’il ne l’est aujourd’hui mais peu de gens était sans emploi. Aujourd’hui, on rejoint les extrêmes: il y a de plus en plus de sans-abris, le taux de chômage augmente. Un récent sondage démontrait que 17,5 p. cent des Allemands de l’Est sont sans emplois, comparativement à 8,5 p. cent à l’Ouest. Par ailleurs, la montée fulgurante de la consommation durant les années suivant la chute du mur s’est effondrée aussi vite. Si tous semblaient enthousiastes à la chute du mur de Berlin, cette euphorie s’est rapidement estompée: le problème est que, après avoir eu tant en si peu de temps, il est difficile de soutenir ce rythme
économique effréné. Les habitants de l’ex-Allemagne de l’Ouest aussi ont fait face à une certaine désillusion lorsqu’ils ont dû supporter la facture salée de la reconstruction de l’Allemagne de l’Est, payée en «impôt de solidarité». Cette taxe consistait en 7,5 p. cent du montant de l’impôt sur le revenu. Résultat: depuis quinze ans, 1 250 milliards d’euros ont été injectés en Allemagne de l’Est. Cependant, le gouffre économique persiste. Cette aide financière, destinée à encourager les Allemands de l’Ouest à bâtir des entreprises dans la partie est du pays, ne se rendait toutefois pas toujours aux travailleurs. En effet, certaines des entreprises fermaient leurs portes peu après leur inauguration, les Allemands de l’Ouest étant déroutés face à la mentalité de l’Est et ayant été découragés par la tâche difficile de redonner sa force à l’économie de l’Allemagne de l’Est. Peu d’Allemands de l’Est ont bénéficié de cette aide financière, ayant beaucoup de difficultés à démarrer une entreprise par euxmêmes. C’est donc en majorité aux habitants de l’Ouest, qui ont pris la relève, que ces subventions sont finalement revenues. Selon le professeur Stolle, outre les motifs économiques, la division
15 ans après, les vestiges du mur à Berlin.
de l’Allemagne est également explicable par des motifs personnels. Il y a quinze ans maintenant, lorsque le marché capitaliste de l’Allemagne de l’Ouest a envahi l’ex-RDA, il a, par la même occasion, supprimé son agriculture. Par conséquent, les
Quelques gardes s’offrent une jasette peu avant la chute du mur
habitants de l’est du pays ont dû abandonner plusieurs de leurs habitudes, celles-ci n’étant plus rentables dans le nouveau contexte capitaliste. Ceci laissa une certaine amertume, comme si l’unification n’avait pas été mutuelle; on avait l’impression que l’Ouest avait simplement étendu son territoire à l’Est tandis que l’Est avait été contraint de tout abandonner. Ces inégalités flagrantes ainsi que l’absence de reconnaissance des compétences des Allemands de l’Est empêchèrent donc l’unification totale. L’effet de l’unification est aussi psychologique: dans l’ex-RDA, explique le professeur Stolle, les gens s’identifiaient à leur travail. Aujourd’hui, à mesure que le taux de chômage augmente, de plus en plus d’individus ont l’impression de perdre leur identité. Ce qu’il aurait fallu, c’est un échange mutuel d’enseignants dans les écoles et les universités: qu’il y ait des professeurs de l’Est qui viennent enseigner à l’Ouest et vice-versa afin qu’il y ait une meilleure complicité des deux côtés. Les Allemands de l’Est ne sont pas les seuls incompris dans ce problème: du point de vue des Allemands de l’Ouest, ceux-là mêmes qui ont payé de leurs poches la reconstruction de leur homologue oriental, on perçoit évidemment
de la frustration. Les villes reconstruites en Allemagne de l’Est sont nettement plus belles que celles de l’Ouest, mais les habitants de l’Est continuent de réclamer plus, tout en se plaignant à propos du haut taux de chômage. Seulement, l’Allemagne de l’Ouest aussi a des problèmes de chômage. Aujourd’hui, face aux nombreux problèmes entre les deux côtés du pays, les opinions se font entendre de plus en plus fort. Un récent sondage démontrait que 21 p. cent des Allemands étaient favorables à une reconstruction du Mur (12 p. cent à l’Est, 24 p. cent à l’Ouest). De plus, en Allemagne de l’Est, le parti néo-communiste PDS atteint des scores records. Mais bien sûr, tout n’est pas aussi sombre qu’il n’y parait: les Allemands de l’Est ont réussi à obtenir leur liberté tant souhaitée. Cependant, la majorité des Allemands de l’Est soutient que, malgré tout, l’économie ainsi que le niveau de vie sont nettement plus élevés depuis la chute du mur. Enfin, le gouvernement présent s’apprête à lancer une nouvelle réforme sociale qui, bien que laissant le parti social-démocrate divisé, donne un espoir réel aux Allemands. Reste à savoir si ces réformes pourront affecter un peuple toujours influencé par près de quarante ans de communisme. x
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Histoires de s’enivrer
Saviez-vous que le terme cocktail est formé de cock (coq) et de tail (queue), qui a d’abord désigné un cheval auquel on a coupé un muscle de la queue de façon à ce qu’elle se redresse comme celle d’un coq? Comme cette opération n’était jamais pratiquée sur des chevaux de pure race, le mot en est venu à désigner un cheval de course bâtard puis, par analogie, un homme de noblesse incertaine. L’idée de batârdise a donné celle de «mélange» et le sens de «boisson alcoolisée composée de substances différentes» apparait aux États-Unis dès 1806. Par extension, «cocktail» désigne diverses mixtures (au propre et au figuré) et s’emploie aussi pour une «réunion où l’on boit», sens typiquement français pour cocktailPhotos: Ynès Wu party.
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Illusion d’optique
Une pièce qui en cache une deuxième, des comédiens chanteurs et gymnastes. Tout ça sur une seule et même scène. De quoi vous faire ouvrir les yeux bien grands et faire vibrer vos cordes vocales.
A
lors que la scène se découvre à l’aide d’une seule ampoule positionnée au centre, c’est un ballet de comédiens qui s’amorce sous nos yeux intrigués. Une mélodie de boîte à musique résonne dans nos oreilles, éveillant nos sens et notre intérêt. Au milieu, un homme, sur une plate-forme rotative, c’est le metteur en scène, c’est le génie. Il veut réformer le théâtre italien, créer la vraie comédie… C’est ainsi que se mêlent deux des plus grandes pièces du célèbre dramaturge Goldoni: Les Deux Jumeaux vénitiens et Le Théâtre comique. Le spectateur assiste ici à la répétition des Jumeaux vénitiens sous le regard inquiet du metteur en scène qui ne sait où donner de la tête. Son souhait d’une dramaturgie nouvelle se confronte aux humeurs excédantes des acteurs, aux traditions ancrées bien trop profondément dans les mœurs de l’époque. Tout est fait pour rire? Non, ce serait trop facile, le rire grotesque n’a pas de valeur. Du coup, Goldoni nous tisse des histoires d’intrigues, de drames romantiques et de comédies. Des jumeaux qui ne se sont pas vus depuis des années se retrouvent dans la même ville sans même le savoir pour deux affaires différentes. Mais ces affaires se retrouvent entremêlées et tout devient chaotique sans que personne ne comprenne le pourquoi du comment. À remarquer la prestation du comédien jouant les deux jumeaux vénitiens, passant d’un antipode caractériel à un autre sans une
fausse note. Mais je ne veux pas faire de jaloux, tous les comédiens étaient vraiment excellents. Leur façon d’allier danse, combat et chant à leur comédie tombait étonnamment bien dans le ton de la pièce. Des duels divers et variés s’enchaînent sur scène, entre combats de gangs de rue, d’épée, de danse alliant hip hop et gymnastique. Les traits d’humour se suivent, faisant des satires de la mode d’aujourd’hui, de certaines méga productions, des OGM. Le metteur en scène Jean-Guy Legault veut ici faire revivre une comédie qui fut moult fois explorée depuis sa création et épuisée. En tout cas, c’est ce que l’on croyait. Rien ne cesse de nous surprendre sous sa direction et c’est agréable de constater que les réelles créations artistiques existent encore malgré le foisonnement d’œuvres toutes plus farfelues les unes que les autres. Legault sait ce que le spectateur attend quand il va voir une comedia dell’arte, c’est bien pour cela qu’il ne cesse de nous prendre à contre courant. Le plus surprenant dans tout ça, c’est cette troublante impression d’assister à une pièce jouée au XVIIIe siècle. Le jeu des acteurs était vif sans tomber dans l’exagération. C’est toujours difficile d’interpréter une pièce classique en raison du changement d’époque. Il faut réussir à cibler des personnages dont les manières peuvent parfois nous sembler grotesques, alors qu’au temps où la pièce fut écrite, elles étaient naturelles. Mais il
Robert Etcheverry
Olivia Lazard
Daniel Paquette repense la comedia dell’arte dans Les Jumeaux vénitiens.
semble que la troupe de Jean-Guy Legault ait trouvé le dosage parfait pour donner du relief à un texte visité depuis déjà deux siècles sans vergogne. Comment? Je pense pouvoir dire que leur secret, c’est bien le plaisir de jouer. Bien sûr, tous ces comédiens sont professionnels, mais ce sont avant tout des amateurs de théâtre, ce n’est pas pour rien qu’ils sont sur scène. Ils ont réussi à faire ce que tout acteur
devrait pouvoir faire. Vivre leur passion et la transmettre aux spectateurs. À ne pas manquer. x Les Jumeaux vénitiens est présenté jusqu’au 30 novembre au théâtre Denise-Pelletier, situé au 4353, rue Sainte-Catherine Est. Réservation et information: (514) 253-8974. www.denise-pelletier.qc.ca
culturethéâtre
L’Éveil du Printemps dans une serre bourgeoise. Braver l’éveil de l’hiver montréalais pour découvrir celui du printemps de Wedekind? Telle est la question… Marie-Madeleine Rancé
Luc Lavergne 2004
B
ien que le titre de la pièce puisse vous paraître provocant, vu ce qui nous attend à Montréal, je pourrais vous encourager à aller au théâtre Denise-Pelletier pour voir l’adaptation du texte de Wedekind par Daniel Paquette. Ce serait avant tout pour que vous ayez l’occasion de découvrir la pièce, un texte magnifique dont la poésie révoltée et la fulgurante mécanique ne cessent jamais d’étonner le spectateur contemporain. Ce drame, datant de 1890, trouble comme au premier jour. Éveil de la vie, éveil du printemps. Franz Wedekind explore dans cette pièce troublante l’insoutenable rudesse, tournant à la cruauté, de la naïveté de l’enfance. Cette innocence opprimée dans un monde bourgeois foisonnant de tabous et de non-dits. Melchior, Wendla, Ilse, Moritz, Hans…, des camarades d’école, curieux et passionnés se confrontent au monde «bien-pensant» des adultes. L’éveil furieux des sens de l’adolescence, les peurs et les menaces de l’entourage peuvent conduire à la mort… Ce drame
L’éveil des sens de l’adolescence trouble les personnages de L’Éveil du printemps.
évoque les troubles profonds d’une jeunesse, aux prises à la rigidité de l’éducation, au refoulement et à la répression de la sexualité. Coincés entre l’enfance et l’adolescence, ils aspirent à la connaissance de la vie dans une société pudibonde où la morale agit comme un outil de répression, où l’éducation sexuelle se réduit à un vol de cigognes. La pièce se veut à la fois grave et drôle,
innocente et perverse. C’est pourquoi personne ne peut y demeurer insensible. Ici, il n’y a pas d’intrigue qui appellerait à une quelconque fin ou à la résolution d’un drame: L’Éveil du printemps est un questionnement perpétuel. La pièce navigue dans les méandres de ces êtres à mi-chemin entre Type et Personnage. La dernière scène n’apporte pas de
réponse, elle laisse seulement entrevoir le chemin du possible. Daniel Paquette, qui signe l’adaptation et la mise en scène, a mis l’accent sur une lecture politique de cette pièce. Est-ce à cause du thème de l’oppression et de l’hypocrisie qu’il a choisi de mettre cette histoire sous l’auspice de Hitler? Un portait géant de ce dernier pend ostensiblement au rideau pendant que ces tragédies individuelles se déroulent. Idée troublante. Avec force rigueur et souci du détail, il a respecté son intention originale de traiter du nazisme au quotidien, mais cette lecture a plutôt tendance à alourdir la pièce, déjà si dense. La mise en musique, suivant l’orchestration subtile prévue par Wedekind pour son propre drame, prolonge la mise en abyme du texte et confronte le spectateur à cette fiction ambiguë. Souvent en porteà-faux avec ce qui est présenté, la légèreté d’une suite de Chopin accompagnant un viol, la musique souligne tous les moments clés de l’œuvre et montre que cette pièce se veut une expérience vécue. Elle gagne donc tout à être vue et non
lue…Alors faut-il que vous courriez la voir? Oui, mais… Si le texte et les idées de mise en scène regorgent de potentiel, le jeu des acteurs, à quelques exceptions remarquables près, bloque plus souvent l’accès à cette réflexion qu’il ne l’initie. Jouer des enfants n’est pas chose aisée, et les comédiens peinent à rester campés dans la fragilité, les faiblesses et les forces, cette naïveté qui n’en est plus une, des personnages. Non point que tout est noir, mais la continuité de la pièce souffre de saccades, tenant aussi d’une mise en scène, qui pour tous ces mérites, n’arrive souvent pas à exploiter jusqu’au bout le texte. Un travail louable mais dont les rouages et l’huile restaient trop visibles, et à cause de cela je restais devant la porte ouverte sans réussir à la franchir. x L’Éveil du printemps est présenté jusqu’au 24 novembre au théâtre Denise-Pelletier situé au 4353, rue Sainte-Catherine Est. Réservation et information: (514) 253-8974. www. denise-pelletier.qc.ca
16 novembre 2004 x Le Délit
culturerétrospective
Thérapie par le rire
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Faites échec au stress de fin de session avec un peu d’humour, et prenez une bouffée de rire au spectacle de Max Leblanc et Billy Tellier ce mercredi 17 novembre au campus Macdonald. Flora Lê
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ême si on aime tant l’école, tant nos études, il arrive que la pression soutenue depuis bientôt trois mois commence à nous faire perdre le sourire. Les tensions ont assailli notre dos, notre tête est en état de siège et nos nuits gardent l’œil bien ouvert. C’est dans ces moments que l’on oublie pourtant ce qui nous serait le plus bénéfique, un peu de détente, et un franc éclat de rire qui suffit à faire battre en retraite le stress et ses légions. Marjolaine Jetté a bien pensé à vous quand elle a décidé d’organiser sur le campus Macdonald de McGill un spectacle d’humour. L’idée lui a été inspirée d’un spectacle semblable organisé à l’ITHQ (Institut d’hôtellerie du Québec) l’année dernière: c’était un événement nouveau, original et divertissant, en plus d’être tellement approprié. Il fallait doter notre université d’un spectacle du genre, et c’est pourquoi Marjolaine Jetté s’est lancée dans l’organisation d’un tel événement. La course aux subventions et aux agents d’artiste n’a pas freiné son ardeur, et c’est tout chaud qu’elle vous sert ce spectacle de deux nouveaux talents de la tournée Juste pour rire 2004. Ce spectacle en sera un inédit, puisque les deux humoristes s’engagent dans un duo créé pour l’événement. Max Leblanc est l’un de ceux qui a l’humour dans le sang. Il a déjà foulé les scènes du Festival Juste pour rire chez nous, du Grand rire Bleue à Québec, du Fou rire Bleue à Sherbrooke, et du Festi-rire à Hull. À la radio comme à la télévision et dans la vie comme sur les
planches, Max Leblanc est plus fou que nature, et promet de nous étonner encore dans ce spectacle duo. Billy Tellier est diplômé de l’École nationale de l’humour, et n’a pas chômé depuis. Il s’est fait remarquer pour la Tournée sans retenue, et foule les grandes scènes du Québec en même temps qu’il monte un spectacle fait sur mesure pour les jeunes des écoles secondaires. Son charisme exceptionnel et son sens du punch ont fait son succès et sa renommée, qui le portera bientôt sur les scènes de notre cousine France. Les deux humoristes seront donc réunis sur scène pour votre plus grand bonheur et votre plus grand soulagement. Profitez-en pour prendre un verre, et relaxer dans la noirceur de l’audience. Quelques blagues suffiront à vous faire oublier votre agenda survolté et votre emploi du temps irréaliste. Quelques minutes de paix. Parce que le rire a ce petit quelque chose d’apaisant qui nous fait voir la vie avec des lunettes roses. Après tout, vous le méritez bien. x Le spectacle aura lieu à la salle Ceilidh du pavillon Centennial Center, sur le campus Macdonal (Sainte-Anne de Bellevue) ce mercredi 17 novembre à 20h30. Un service de navette qui effectue la liaison entre les deux campus est disponible à 17h50. Les billets sont au coût de 8 $ en pré-vente, 10 $ à la porte le soir même. Pour les étudiants de l’extérieur, il est possible de réserver des billets par courriel pour se les procurer à 8 $ à la porte. Réservation et information: marjodjy@hotmail.com Max Leblanc
Billy Tellier
culturebrève
culturebrève
Trente pièces en une heure Bande de résistance
Too Much Light Makes the Baby Go Blind: du théâtre sans forme, sans ordre, sans lois.
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près son premier succès, The Proof, le théâtre TNC dirige ses projecteurs sur Too Much Light Makes the Baby Go Blind. De Chicago, écrit par les Neo-Futurists, cette pièce pousse à l’extrême la révolution anti-classique: on a dit un temps, un lieu, une action? Eh bien, nous détruisons le temps, faisons fi du lieu et vous offrons trente actions: le XVIIe siècle abattu en une heure, cela par seulement onze jeunes acteurs et deux metteurs en scène débutants, voilà de quoi faire honte à la révolution. Voici le concept: la pièce commence dès l’arrivée des spectateurs. Ceux-ci reçoivent le menu. À la carte: trente
pièces pour combler votre faim. Seul besoin: passer une heure au théâtre. Silence dans la salle? Non, pas ce soir, vous n’avez pas reçu une liste pour rien, allez-y, entre chaque pièce criez, choisissez ce que vous avez envie de bouffer. C’est au public de diriger les acteurs, vous ne payez pas pour rien tout de même. Mais, vous dites, j’ai déboursé pour voir une pièce, non trente sketchs! Justement, c’est le bonus, la vente, trente pour le prix d’un, jusqu’au 27 novembre. Le fondateur des Neo-Futurists nous explique: «On peut, en effet, écrire une pièce de deux minutes aussi profonde, possédant autant d’humour et de poignant qu’une autre de
cinq actes, vingt personnages, quinze tableaux et d’une durée de deux heures et dix minutes». Voilà l’idée en coulisse de Too Much Light. L’équipe de jeunes metteurs en scène et comédiens s’assure de vous faire plaisir avec son surplus d’inattendu. Les metteurs en scène, Kate Walsh et Danny Coleman du collège Dawson, réussissent avec leurs comédiens, la plupart étudiants à McGill, à maîtriser le non planifié.x Too Much Light jouera du 17 au 20 novembre, puis du 24 au 27, à 20h au théâtre TNC (Morrice Hall, 3485 rue McTavish). Les billets sont en vente à 6 $ pour les étudiants. Pour les réservations: 399-6600 ou tnc_theatre@hotmail.com.
Soirée cinéma anti-impérialisme: Globalisation, militarisation, capitalisme, oppression. La présentation aura lieu ce soir, le 16 novembre,
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’organisation Block the Empire propose une soirée cinéma, ce soir mardi à 19h sur le campus. Dans le cadre de cette levée de fond, quatre films au sujet d’efforts de résistance provenant de partout dans le monde serrons présentés: Leaded/Unleaded: The State Unleashed Le 27 mai 2004, une grève générale d’une journée a été déclenchée à Beyrouth au Liban par la Confédération générale du travail en réponse aux prix grimpants et au manque de services sociaux. Dans le cartier de Hay el Seloum, une manifestation organisée par des conducteurs de taxis et de mini van a débuté à cinq heure du matin. Comme les manifestants se dirigeaient vers le centre de l’action, l’armée libanaise a fait feu sur la foule. Ce film est une collection d’images et d’entrevues illustrant non seulement cet événement historique, mais aussi l’esprit de résistance libanais con-
tre la violence de l’état dirigé vers la dissidence politique. Hunters and Bombers Dans les terres du Labrador, les camps innus s’opposent au survol de leur territoire par les avions supersoniques de l’OTAN. Les avions volant à de basses altitudes bouleversent la faune ainsi que la vie de la communauté. Ce film décrit la vie des Innus et leur volonté à tout donner afin de retrouver leurs droits. UAIL Go Back Ce film se porte à l’écoute d’une communauté indienne s’opposant au projet de développement d’une mine d’aluminium de la compagnie ALCAN. Ayant vu les conséquences d’un projet semblable au U.A.I.L dans une communauté avoisinante, les citoyens refusent de croire aux prétendus avantages que le gouvernement associe à l’instauration du projet. Jusqu’à présent, le projet n’a apporté que de la violence et exposé
la communauté à la brutalité de la globalisation, entraînant la mort de trois activistes locaux. About Baghdad En juillet 2003, Sinan Antoon, exilé iraquien, écrivain et poète, est retourné à Bagdad afin de témoigner de ce qu’était devenu son pays natal à la suite de longues années de dictature, de guerre et, maintenant, d’occupation militaire. Ce film est un recueil des sentiments de la population envers leur vie et envers la situation ambiguë divisant américains et irakiens. Contenant des témoignages des plus divers, allant de celui d’un vieux citoyen, à celui d’un communiste, à celui d’un soldat américain, About Baghdad tente de capter, par le multiculturalisme, la souffrance des Irakiens face à leur déshumanisation prolongée. x La présentation aura lieu ce soir, le 16 novembre, au Leacock 26. Les films seront présentés en anglais. Un don de 5$ est suggéré.
12 Le Délit x 16 novembre 2004 cultureartsvisuels
Prenez 30 minutes… ou pLUX La galerie [sas] présente ses coups de cœur du concours Lux 2004 jusqu’au samedi 23 novembre: petits bijoux photographiques à découvrir. Marie-Noëlle Bélanger-Lévesque
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ien que j’adore la photographie, rarement ai-je pris le temps de visiter une galerie qui en expose. C’est que je n’avais jamais entendu parler d’une telle chose (vous pardonnerez ici mon ignorance rurale…), Montréal étant ce qu’elle est, rien ne manque à la ville… Tout d’abord, il y a le concours. Le concours Lux, dont la septième édition a eu lieu au mois d’octobre dernier, est le seul concours récompensant les meilleurs photographes au Québec. On y retrouve une excellente participation: mille six cents photos et illustrations soumises par près de trois cents professionnels et étudiants. C’est qu’il est maintenant une référence auprès des professionnels des communications. En plus d’apporter aux photographes et illustrateurs professionnels une occasion de rencontrer leurs clients et leurs fournisseurs et d’échanger avec eux, le concours Lux contribue largement à diffuser la créativité et le dynamisme de ces professionnels. En visitant le site d’Infopresse, avec qui la galerie s’est associée pour étendre la visibilité du concours, vous pouvez admirer les œuvres finalistes et gagnantes des éditions précédentes. Ensuite, il y a la galerie. L’équipe de [sas] a sélectionné, auprès des finalistes et des gagnants de l’édition 2004 du concours Lux, vingt photographes dont la démarche s’est illustrée dans les arts visuels. Comme me l’explique Frédéric Loury à la galerie, on y est allé avec les coups de cœur et, comme tout fonctionne souvent pour le mieux, les photographes ont accepté de participer. Ce qui donne une exposition où le fil conducteur est dicté par le cœur. On visite donc plusieurs thèmes dont le suicide, la beauté, le combat contre le SIDA, une approche aux émotions, etc. L’objectif général de la galerie est de rendre la photographie accessible au public et de stimuler le marché de la photographie sur l’échelle nationale, car cette forme d’art a toujours été plus difficile à vendre. On veut débarrasser la photographie de l’étiquette d’art mineur et faire briller sa noblesse. Fidèle à son objectif, l’entrée de la galerie est libre, mais, si vous le désirez, vous
cultureévénement
Livre livre lire lire lire Le salon du livre de Montréal vous invite pour la vingt-septième fois. Agnès Beaudry
J
e trépigne en lisant le communiqué de presse qu’on m’a passé afin que je vous annonce la grande nouvelle. Peut-être est-ce justement parce que c’est moi qui vous écris les critiques littéraires, donc parce que je suis déjà biaisée, corrompue, vendue que l’idée me semble si belle, si grande (faisons-en une nation, je vois déjà l’empereur et imagine la police secrète!) Mais quoi? Mais quoi? C’est la vingtseptième édition du salon du livre de Montréal approchant à grands pas qui me fait frémir comme cela: le plus grand festival littéraire en Amérique du Nord, 120 000 visiteurs, des auteurs et encore des auteurs (enfin, des visages sur ces noms anonymes) et cinq jours entiers pour flâner parmi ces tables remplies de papier! Je note quelques événements qui vous attireront immanquablement dans le piège envoûtant du sorcier Papyrus: Numéro 1: Vous souvenez-vous de Martine? Eh bien, elle est au rendezvous, un stand entier dédié à sa mémoire, elle qui nous a si innocemment éduqué. Numéro 2 Pour ceux un peu plus séri-
La galerie [sas] expose les finalistes du concours de photographie Lux, sélectionnées parmi près de 1600 épreuves.
pouvez faire l’acquisition de l’un de ses bijoux, dont le prix varie entre environ 500 et 2 500 $... Ne soyons donc pas avares: Noël arrive bientôt… Sans blague, le détour est gratuit et thérapeutique pour l’esprit. Même mon fils de vingt mois a apprécié la galerie, sa préférence allant cependant pour la fenêtre où la vue du quatrième étage nous permet un autre regard sur SainteCatherine... Quant à moi, j’aurais bien aimé être capable de me permettre la folie de partir avec l’une des œuvres. Seul bémol: j’aurais aimé en voir plus! À cinq minutes de l’université, faites donc un petit détour en-
tre deux cours ou entre l’écriture de deux textes. Une occasion de se rappeler qu’il y a plus que l’université dans ce monde! x La galerie [sas] est ouverte du lundi au samedi de 12h à 17h et exposera ses coups de cœur du concours Lux jusqu’au 23 novembre. Elle est située au 372, Sainte-Catherine ouest #416 (métro Place-des-Arts, en face des studios de Musique Plus). Entrée libre. Pour une description détaillée du concours (et images des éditions précédentes), visitez le www.infopresse. com/prixlux Pour toutes informations sur l’exposition, contactez le (514) 878-3409 ou info@galeriesas.com
eux, Amnistie internationale aura sa table où, bien sûr, l’on honorera les victimes des injustices politiques. Numéro 3 Puisque l’on doit toujours vendre un produit, même les salons de livres, je mentionne le Carrefour SAQ. Je n’en dis pas plus. Numéro n Huit cents stands! J’imagine déjà celui dédié aux bandes dessinées, et aux classiques, aux folios Gallimard, aux beaux gros livres qu’on regarde mais qu’on n’achète pas… Ah la la, c’est la folie complète là-bas! Alors je vous donne rendezvous à la Place Bonaventure (métro Bonaventure), du 18 au 22 novembre, pour une petite somme de 3 $ sur présentation de votre passeport de plastique McGill. Si vous ne me croyez pas, si vous êtes l’un de ces éternels sceptiques et que vous pensez que ceci n’est qu’une grande farce à la Molière, allez voir leur site Internet, www.salondulivredemontreal.com et vous verrez. Mais, qui sait? Peut-être n’est-ce là qu’un autre de mes nombreux tours de passe-passe… x
16 novembre 2004 x Le Délit
culturethéâtre
Nos années 40 remixées
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Vingt artistes posent un regard inédit sur l’influence qu’a exercée la propagande sur le façonnement de l’identité nationale canadienne… depuis que Hitler a fait des siennes!
E
n plus de marquer l’Histoire par la Seconde Guerre mondiale, plus près de chez nous, 1939 donna le coup d’envoi à un organisme qui depuis n’a cessé de nous instruire avec ses productions audiovisuelles, et j’ai nommé l’Office national du film du Canada (ONF). «Exprimer le Canada aux Canadiens» est toujours et encore le respectable credo de l’Office, quoique, pour la période disons brûlante de la Guerre, son mandat ait gagné quelques pouces d’implication. On misait alors sur la propagande pour lutter contre le nazisme. Des œuvres produites à cette intention découla ainsi le projet [–40]: réaliser une séquence visuelle ou sonore de quatre à six minutes à partir d’un documentaire-source provenant de la collection des années 40 de l’ONF. L’unique règle? Veuillez laisser intactes les images du film choisi ou de votre bande audio. Parce qu’une fois ceci compris, c’est libre cours à l’imagination! Déconstruction, reconstruction et fragmentation, on coupe par-ci, on ajoute par-là, un peu de poudre de perlimpinpin et le tour est joué. On
Projet [–40] se popose de remixer des œuvres de propagande des années 40.
se retrouve ainsi rapidement devant un remix numérique qui fait la lumière sur la perspective personnelle que propose chacun des artistes sur le débat sociopolitique des identités, à la fois unissant et divergeant le passé du présent. Ces créations originales nous incitent donc à examiner le passé du Canada sous un angle plus lucide, particulièrement si nous pensons à l’effort collectif fourni durant la Deuxième Guerre mondiale et à la reconstruction qui a suivi, bref la mobilisation du peuple canadien selon la cadence des Alliés. En guise d’avant-goût, le film Children from Overseas proposait aux mères Anglaises d’envoyer leurs enfants au Canada, où bien sûr ils reposeraient en sécurité, à l’abri des bombes et de la violence. Ce film fut remodelé grâce à une toute nouvelle trame sonore quasi-satanique qui mettait cette fois-ci l’emphase sur l’improbable expérience de petits Anglais arrivant dans un pays inconnu en temps de guerre. Maintenant, qui sont ces vingt artisans audacieux? Tout d’abord, six artistes canadiens établis dans le milieu des médias numériques furent
invités avec succès à collaborer au projet. Les quatorze derniers sont ressortis gagnants d’une sélection nationale lancée à l’automne 2003. Le jury était d’ailleurs composé des représentants des trois organismes coproducteurs du projet [–40], soit terminus1525, C0C0S0L1DC1T1 et bien sûr l’ONF. Parmi les heureux élus se trouvent entre autres Knifehandchop, Secret Mommy, Meek et Deadbeat du côté audio, alors que nous pourrons observer les œuvres vidéo de Nadia Duguay, Creatix et Cinétik, pour ne nommer que ceux-ci. Cette collection rassemblant les dix créations audio et les dix créations vidéo remixées sera accompagnée d’une brochure de vingtquatre pages portant sur les artistes et leurs projets. La sortie est prévue pour novembre 2004, et la collection sera distribuée sur les marchés national et international. Comme l’a si bien dit L. P. Hartley, dans son roman Go-Betweens, «Le passé est un pays étranger: là-bas, ils font les choses différemment». À nous de vérifier maintenant. x
culturecinéma
Suspense revisité Enduring Love reprend des thèmes connus du film à suspense d’une manière rafraîchissante. David Pufahl
D
epuis quelques années, on voit des films venant d’Angleterre connaître un franc succès en Amérique. On n’a qu’à penser à Four Weddings and a Funeral, The Full Monty et Bridget Jones’s Diary. Ces films reprennent des histoires qui ont déjà été exploitées, mais grâce à une manière différente de les raconter, le résultat s’avère original. Le dernier exemple de cette tendance est Enduring Love, le dernier film de Roger Michell, le réalisateur de Notting Hill et Changing Lanes. Lors d’un pique-nique en pleine campagne, Joe (Daniel Craig) et sa compagne Claire (Samantha Morton) voient une montgolfière s’écraser sous leurs yeux. Joe et quelques autres personnes passant par là tentent de secourir les occupants, mais un coup de vent fait gagner de l’altitude à la montgolfière, entraînant un des secouristes dans la mort. Joe se remet très difficilement de cet événement tragique, car étant un professeur d’université prônant la raison et la logique, il se demande s’il n’aurait
pas pu faire plus lors du sauvetage. De plus, pendant ce temps, il se fait constamment harceler par l’un des autres sauveteurs improvisés nommé Jed (Rhys Ifans) qui apparaît désespéré lui aussi, mais pas pour les mêmes raisons. En effet, Jed est inexplicablement devenu amoureux de Joe et se convainc que l’accident était un signe afin qu’ils se rencontrent. Une des particularités de ce film est que le personnage principal n’est pas un héros parfait. Après l’accident, son état commence à inquiéter ses amis. Quand Joe se rend compte de l’amour que lui voue Jed, cela ne fait que le troubler davantage. Bien qu’il soit évident que Jed soit un désaxé, Joe n’est pas totalement sain d’esprit non plus. Cela se sent aussi dans sa relation avec Claire qui se désagrège lentement à cause de tous ces événements. Dans d’autres films du même genre, le personnage agressé est la perfection incarnée et nous avons de la misère à y croire. La plupart des films à suspense qui sortent de la machine
Jed (Rhys Ifans) est un homme pas comme les autres dans Enduring Love.
hollywoodienne se contentent de reprendre les mêmes formules qui ont fonctionné pendant si longtemps et de ne prendre aucun risque. Ce film, par ses personnages et ses événements insolites, prend le risque d’être original et réussit haut la main. D’ailleurs, la mise en scène de Roger Michell reflète cette
originalité. Plusieurs scènes ont été filmées à la première personne, de manière nerveuse afin de nous faire mieux comprendre l’état d’esprit du personnage. Aussi, il choisit de n’utiliser aucune musique lors de la scène de l’accident. Rares sont les réalisateurs qui prennent ce genre de risque dans leurs films.
Pour que ce genre de film soit un succès, il est nécessaire que le comédien interprétant le suiveur (communément appelé stalker) soit crédible. Heureusement, Rhys Ifans fait très bien son travail. Il a l’air malsain et pathétique à la fois. Daniel Craig, quant à lui, m’a impressionné avec son interprétation en équilibre entre la normalité et la folie. Ils sont tellement bons que Samantha Morton, en restant normale, devient ordinaire en comparaison. C’est dommage car elle est capable de jouer toutes sortes de rôles. Parmi tous les films qu’a fait Michell avant celui-ci, je n’ai vu que Notting Hill, une comédie sentimentale à l’eau de rose. Ce film était très amusant, mais je croyais que son réalisateur ne serait pas capable de faire autre chose sans qu’on s’y réfère. D’ailleurs, je me souviens très bien de Spike, le colocataire improbable de Hugh Grant, interprété par Rhys Ifans. Heureusement, je me suis trompé sur toute la ligne. Ifans est excellent et Michell nous fait oublier Notting Hill. x
Yanick Macdonald
Alexia Germain
14 Le Délit x 16 novembre 2004 culturemusique
Bruits du noir
L’événement Bruits du noir, une production du Studio 303, en est cette année à sa 14e édition. Dans le but de vous donner un avant-goût de l’événement, Le Délit a rencontré Paul Caskey, directeur artistique du Studio 303. Borhane Blili Hamelin
L
a boue L’occidental moyen se noie dans une boue d’images. Nous voyons vite et bien: si vite que nous arrivons à connaître l’image d’un objet avant de connaître l’objet, et si bien que nous en absorbons aussitôt la teneur pour passer au suivant. Cette démarche peut nous sembler naïve, il n’en demeure pas moins qu’elle fait de la vue la reine despote de nos cinq sens. Le plus ironique dans toute l’histoire, c’est que la vue finit même, dans un élan de surconsommation, à triompher sur elle-même: nous devenons ainsi avides de toujours plus d’images, mais aveugles à toutes ces images. Résultat: une léthargie sensorielle généralisée que nous ne cessons d’alimenter. L’occidental moyen se noie dans une boue d’images. La brèche Pour renverser une dictature, il faut soit l’anéantir, soit la mettre sur la glace. La première solution s’écarte d’elle-même: nous anéantir la vue serait non seulement douloureux, ce serait aussi se refuser un atout malgré tout précieux. Qu’en
est-il de la deuxième? Ne pourrions-nous pas mettre notre propre film sur pause, le temps d’en apprécier quelques instants? Bruits du noir se prête au jeu, s’approprie le défit. L’arme du crime est pure: la richesse et la vivacité des univers sonores. Le crime est juste et bon: se forger, le temps d’une soirée, une niche qui servira de brèche dans la boue quotidienne. Sans les yeux Pour les huit artistes, une seule directive: exploiter le plein potentiel sonore d’un espace sans images. Ainsi, il leur faudra donner vie à des mondes en mouvement et tenter d’y transporter (voire d’y transposer) l’auditoire. Pour la soixantaine d’auditeurs, une seule directive: être là, tenter de se fondre avec le moment, jouer avec l’osmose si étrangère à notre quotidien. Sans les yeux, les artistes devront exploiter les sens, les faire voler et basculer – il s’agit bien de «musique», mais il leur est permis d’utiliser des stimuli autres que sonores. Sans les yeux, le public devra retrouver l’usage de ses sens – étrange propriété, mais la privation d’images n’exclut pas la
culturemusique
Bruit du noir, sans les yeux.
possibilité d’en imaginer, reforgeant donc aussi notre lien avec la vue. Petit Larousse: Musique: Art de combiner les sons. Son: Sensation auditive engendrée par une onde acoustique. Art: Création d’objets ou de mises en scène spécifiques destinés à produire chez l’homme un état de sensibilité et d’éveil plus ou moins
liés au plaisir esthétique. Étrange, je ne vois nulle part de signe quant à la teneur des sons… Paul Caskey, en coordonnant l’événement, était soucieux de ne pas restreindre la palette de sons dont useront les artistes à ce que certains appellent «la musique». (Dans ce contexte, je définirais «musique» comme l’ensemble de sons et de combinaisons de sons que permet un système musical –
peu importe lequel. Le résultat étant qu’une bonne part de la teneur de cette «musique» est connue de tous ceux qui sont plus ou moins familiers avec ce système.) Selon cette formulation de ce qu’est la musique, l’événement Bruits du noir ne se qualifie pas: tous les sons y sont permis, sans exception ni discrimination. Pour l’occasion seront réunis environ huit artistes, en autant de performances, qui sont pour la plupart de «backgrounds» différents: artistes multidisciplinaires, «simples (?) musiciens», danseurs (sans les yeux) et autres. L’art audio est le jeu d’un artiste dans «l’univers des sons possibles». Le Petit Larousse semble définir la musique de cette façon. «Musique» ou «art audio», Bruits du noir se présente comme huit bonnes raisons de renouer avec le cours des choses. x L’événement Bruits du noir sera présenté au Studio 303 les vendredi 19 novembre et samedi 20 novembre à 20h30. Pour plus d’information, consultez le site www.studio303.net Le Studio 303 est situé au 372, rue Sainte-Catherine Ouest, bureau 305, (514) 393-3771.
Ça bouge à Montréal!
Petit compte-rendu de la scène musicale locale, un automne chaud! Alexandre Vincent ulturellement, l’automne ressemble plus à un printemps. La rentrée culturelle est très chargée cette année. Festivals, lancements de disques, spectacles concept ou bénéfices. En musique, à peine halloween finie, que les disques de Noël sont déjà sur les tablettes. En cette mi-novembre, je vous offre un petit fourre-tout qui englobe mes dernières activités. J’ai vu plusieurs concerts dernièrement au Centre Bell. Dans la majorité des concerts, les billets des sections 300 n’étaient pas ouverts. Ce qui parfois nous rendait à l’évidence que certains gros noms ne font plus courir les foules comme autrefois. Par contre, il faut prendre en considération que nous avons le plus gros aréna de la ligue (21 273 sièges assis). Tout d’abord, Green Day est venu brasser l’amphithéâtre avec un spectacle très efficace. Les pièces s’enchaînaient bien. Les introductions étaient dévastatrices. Succès après succès, Billy Joe (chanteur, guitariste) avait une aisance sur scène hallucinante. Il faisait ce qu’il voulait avec la foule. Il était impressionnant de voir le nombre de jeunes en bas de dix-huit ans connaître les pièces du premier album. Il y a des grands frères et des grandes sœurs qui font leur boulot. Ensuite,Van Halen est venu faire son tour. Les quelques sept mille fans ont bien répondu à l’appel, mais nous sommes loin de leurs heures de gloire. Deux jours plus tard, c’est Jethro Tull qui s’offrait
C
un théâtre du Centre Bell. Un peu plus gros que le Saint-Denis, ils ont tout d’abord fait une première partie acoustique (oui, oui! Au Centre de vous savez quoi?), pour ensuite en faire une suivante plus rock. Le lendemain, c’était au tour de R. E. M. de jouer dans l’aréna des Canadiens. Eux qui, autrefois, jouaient à guichet fermé, ont dû se contenter d’un troisième étage fermé. Je n’irais pas jusqu’à dire que les assistances sont faibles, mais elles ne sont plus ce qu’elles étaient. Il est flagrant de voir que les têtes d’affiches ont changé. Par contre, c’est toujours le Centre Bell qui détient le record de vente de billets dans sa catégorie. Locale Du côté de la scène locale, il y a plusieurs bons groupes qui ont sorti de nouveaux petits. Maintenant que Le Nombre a tiré sur la plogue pendant un bout, il y a Les Breastfeeders qui ont lancé leur nouvel album. Vulgar Deli persiste et signe avec un nouvel album. Je vous reviendrai avec plus de détails dans le prochain numéro. Locale vers New York Un dernier mot pour dire chapeau à Gregory Charles pour son succès à New York. Il le mérite. Son spectacle est hallucinant! C’est festif, original, touchant, impressionnant et surtout sans prétention. x
Green Day nous a donné une prestation remarquable.
16 novembre 2004 x Le Délit
Mono Walking cloud and deep red sky (Human Highway Records) J’étais assise au milieu d’une foule (certaines musiques demandent qu’on ne fasse qu’écouter) et je sentais les sons vibrer dans mes muscles, dans ma tête, dans toutes les couches de mon être. Mon amie me disait «I don’t know if I want to have sex right now or if I want to die». Et on se remettait à écouter. C’était à La Sala Rosa, il y a un mois. J’avais déjà trop dépensé, il me restait 4 $ et le CD en coûtait 14. Une seule copie restant. On l’a achetée à trois, peu importe si elle ne se divise pas. Donc, apportons quelques précisions. On était allé là-bas sous la rumeur que le guitariste de Godspeed devait jouer. Je pensais écouter l’empereur noir alors qu’au fond c’était un groupe japonais, Mono, qui jouait. J’avoue qu’ils ne sont pas uniques, fortement influencés: on dirait un mélange de Sigur Ròs et du premier. Ils devront encore élargir leur registre, trouver d’autres notes, s’ajouter des chapitres, mais je ne fais que la critique pour m’en débarrasser, pour pouvoir les louer, car quel groupe ne s’inspire pas, quel groupe ne prend pas de premier pas? Le leur est grand, m’emporte: voyage psychophysique, j’en tremble et je guette les rubriques pour la prochaine fois, où je pourrai m’asseoir à même le plancher dans une salle bondée (sûrement pour le prochain groupe comme ça nous est arrivé) et laisser la musique couler dans mes veines. Seulement quelques groupes me transportent dans cette zone entre ciel et terre, cette sorte de nuage électromagnétique, phosphorescent qui divise ma réalité et mon rêve, la vraisemblance et son contraire: il y a eu Radiohead, Sigur Ròs, Godspeed, et en tout petit pour leur donner une chance, pour ne pas les comparer aux grands quand ils ne sont encore qu’enfants, j’ajoute leur nom. Agnès Beaudry
Bédé
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Phoenix Alphabetical (Source/Astralwerks) Pour être admise sur les ondes radiophoniques commerciales, une chanson doit être en mesure de capter l’attention de l’auditeur dès les premières secondes de son introduction. Ce phénomène culturel important, basé sur l’impatience générale de l’auditeur typique, est efficacement décrit par l’expression anglaise s’y rattachant: hook. Le hook peut donc se présenter sous différentes formes tant au niveau de la musique (simple phrase mélodique ou rythmique, etc.) que du texte. Alphabetical, le dernier album du groupe français anglophone Phoenix est bourré de ces brefs segments musicaux qui restent inlassablement accrochés à l’oreille. Mélangeant des éléments de disco des années 70, de hip-hop et de R&B, Phoenix partage évidemment certaines similitudes avec ses contemporains Air et Daft Punk. Les arrangements musicaux détaillés où se côtoient gentiment sonorités électroniques et acoustiques sont techniquement impeccables mais homogénéisent l’album de façon à le rendre un peu trop uniforme. Cependant, ce petit défaut n’enlève absolument rien au fait que figurent sur Alphabetical de réels bijoux de la musique pop actuelle. Avec ses guitares acoustiques rythmées et la voix coulante de Thomas Mars, «Everything is Everything», premier single d’Alphabetical dont la merveilleuse vidéo est réalisée par Roman Coppola (frère de Sofia), représente l’un des meilleurs moments de l’album. Similairement, «Run Run Run» et «Anybody» font ressortir le potentiel énorme de ce jeune groupe qui prouve que la musique pop peut encore être vibrante et intéressante. Pascal Sheftesty