ledelit_20041130

Page 1

Volume 94, numĂŠro 11

Le mardi 30 novembre 2004

www.delitfrancais.com

Demi-jaune depuis 1977.


02 Le Délit x 30 novembre 2004 nouvellesinternational

Le sida: toujours une pandémie Un rapport récent d’ONUSida fait part des craintes de l’organisation concernant la progression de l’épidémie, notamment chez les femmes, en Afrique et en Asie. Alexandre de Lorimier

V

oici maintenant un quart de siècle que nous entendons parler du sida. Acronyme de Syndrome d’immunodéficience acquise, le sida est causé par le virus de l’immunodéficience humaine ou VIH. Le VIH cible des cellules spécifiques de notre système immunitaire, ce qui empêche notre corps de répondre à une infection subséquente par une bactérie, un virus ou un parasite. C’est des suites de cette infection subséquente que la plupart des sidéens en phase terminale meurent. Ceci dit, l’évolution récente des modes de traitement, et notamment la trithérapie, permet aux patients séropositifs de freiner la progression de la maladie. L’infection au VIH peut rester silencieuse pendant très longtemps, ce qui oblige la distinction entre l’infection au VIH proprement dite, appelée primoinfection, et l’apparition des symptômes du sida. Le 1er décembre de chaque année depuis dix-sept ans, on célèbre la Journée mondiale du sida. Cette année, la campagne médiatique entourant l’événement est axée sur la situation des femmes et des jeunes filles face à l’épidémie. Partout dans le monde, des gens vont se réunir pour montrer leur empathie envers les victimes du plus grand fléau de la fin du XXe siècle et du début du XXIe. Beaucoup vont aussi essayer de faire entendre leur voix auprès des grandes entreprises pharmaceutiques et des gouvernements afin d’assurer à tous les séropositifs à travers le monde l’accès facile à la trithérapie.

Questions? Commentaires? Menaces de mort? Aveux? Besoin de drogues? Amoureux? Désespéré? Boucher un trou? Une seule adresse: redaction@delitfrancais.com

Le programme des Nations Unies sur le VIH/sida (ONUSida) a publié, quelques jours avant la Journée mondiale, un rapport sur l’état de la pandémie. Le document confirme que l’Afrique subsaharienne reste la région du monde la plus touchée par le sida: 25,4 millions de personnes sont séropositives au VIH, ce qui représente 64,5 p. cent des personnes infectées dans le monde. «La prévalence du VIH chez les adultes est restée à peu près stable ces dernières années, mais cette stabilisation ne signifie pas nécessairement que l’épidémie ralentit», explique ONUSida. Les experts concluent qu’il «faudra mettre au point des stratégies adaptées aux conditions locales en matière de prévention et de traitement (…)». Les épidémiologistes mettent aussi en garde contre la progression rapide de la maladie chez les femmes. «Les femmes et les jeunes filles représentent près de 57 p. cent

des adultes vivant avec le VIH en Afrique subsaharienne», affirmentils. Les femmes sont biologiquement plus vulnérables face au virus, car la transmission homme-femme est deux fois plus probable que la transmission femme-homme. De plus, elles sont souvent forcées d’avoir des relations sexuelles par la violence ou pour des raisons économiques. Le rapport donne une grande part à la situation en Asie, et notamment en Chine et en Inde, deux pays qui comptent 2,35 milliards d’habitants. En Chine, «la propagation du VIH est pour une grande part due à l’injection de drogues et au commerce du sexe», affirme ONUSida. La transmission du virus d’utilisateurs de drogues injectables à leurs partenaires sexuels demeure un mode très présent en Chine. Dans les cercles du commerce du sexe, l’utilisation du préservatif n’est toujours pas sys-

tématique. Le sida reste tabou en Chine et les experts d’ONUSida recommandent au gouvernement de Pékin d’agir «rapidement et résolument». D’après une étude réalisée en 2003, deux Chinois sur cinq ne connaissaient pas de mode de prévention de l’infection au VIH. De plus, rares sont les études sur les populations homosexuelles chinoises. L’organisme onusien ne peut donc pas faire de projection sur le facteur que sont ces populations sur l’évolution de l’épidémie. Un million de personnes sont infectées par le VIH en Chine. Un événement récent montre le conservatisme du gouvernement chinois face à la prophylaxie contre le VIH. D’après la BBC, une campagne de distribution de condoms dans deux universités de Pékin aurait été arrêtée par les autorités des universités. Un officiel a été cité di-

sant que l’emphase devait être placée pour conseiller les étudiants et non promouvoir les relations sexuelles prémaritales. Le rapport d’ONUSida contient également un court paragraphe sur la situation au Canada. Les experts mentionnent une augmentation des infections dues à des rapports hétérosexuels non protégés et signalent que les populations autochtones courent deux fois plus de risques de contracter le VIH. Les estimations les plus récentes, datant de fin 2002, comptent environ 56 000 séropositifs au pays. Pour obtenir le rapport complet, visitez le www.unaids.org. Plusieurs associations mcgilloises organisent des activités demain, le 1er décembre, pour la Journée mondiale du sida. Pour plus d’informations, pointez votre fureteur sur le www.treatthepeople.com. x


30 novembre 2004 x Le Délit

éditorial

Le Délit

Collectivité d’achats

Le journal francophone de l’université McGill

Comment chaque geste peut devenir grand.

3480, McTavish, bur. B-24 Montréal (Québec) H3A 1X9

Valérie Vézina

L

a journée sans achats, ça vous dit quelque chose? Le 27 novembre dernier, se tenait cette fameuse journée. Rien acheter toute une journée, estce vraiment possible? Vous me direz que le concept de cette journée est dépassé, qu’il ne sert à rien. Certes. Il fut un temps où je me disais la même chose. «À quoi bon ne rien acheter? Mon geste va-t-il changer quelque chose?» J’ai douté, longtemps, vraiment. Un geste aussi anodin que de boycotter Nike, Gap et cie. ou encore de ne rien acheter lors de la journée sans achats me semblait inutile. Je me disais que de croire que cela changerait les choses était utopique. Pourquoi le faisais-je alors? C’est en tentant de répondre à cette question que j’ai enfin compris le sens de mes actions. Additionner. En première année, on y arrive. Additionner. Mon geste avec ton geste avec son geste… vous voyez sûrement où je veux en venir. L’action individuelle devient collective. Il faut au-delà du geste quotidien voir plus grand que soi. Laissezmoi vous donner un exemple pour mieux vous convaincre. Nike. Tout le monde est au courant des pratiques de la compagnie, du travail fait par les enfants, du salaire minable récolté par les employés. Et puis, il y a eu l’action. Un qui découvre ces pratiques, qui les dévoile au grand jour. Un autre qui commence à boycotter, qui achète une paire d’espadrilles d’une autre marque, puis un autre qui manifeste. Si les pratiques de Nike ont changé (bien qu’elles ne soient pas parfaites), c’est que l’action combinée de l’un et de l’autre a forcé la compagnie à changer. Vous me direz qu’il ne faut pas tout de suite crier victoire, car c’est plus la baisse des ventes, la notion de profit, la pensée mercantile qui a fait réagir la compagnie. Et c’est là leur plus grande «kryptonite», la force et la faiblesse tout à la fois des multinationales. Et il faut l’utiliser. En touchant là où ça fait mal, l’argent, on peut faire bouger les choses. Et ne rien acheter qui soit produit par Nike et à plus grande échelle, ne rien acheter lors de la journée sans achats, forcera les propriétaires de ces géants

7

03

Rédaction: (514) 398-6784 Publicité: (514) 398-6790 Télécopieur: (514) 398-8318

rédactrice en chef Valérie Vézina chef de pupitre-nouvelles Philippe G. Lopez chef de pupitre-culture Flora Lê rédacteur-reporteur Eleonore Fournier coordonnateur de la mise en page David Drouin-Lê coordonnateur de la photographie Éric Demers coordonnateur de la correction Julien Vinot chef illustratrice Jany Lemaire collaboration Alexandre de Lorimier Jasmine Bégin Marchand Laurence Bich-Carrière Félix Meunier Marc-André Séguin Clint Taschereault Jean-Loup Lansac Alexandre Vincent Marie-Noëlle Bélanger-Lévesque David Pufahl Agnès Beaudry Alexia Germain Pascal Sheftesty Émilie Beauchamp Vo Nghi Nguyen webmestre Bruno Angeles couverture Éric Demers

commerciaux à changer leurs politiques. Difficile de croire que ce principe si facilement prouvable chez Nike existe à grande échelle et que la journée sans achats a vraiment un effet sur la consommation. Certains vont ne rien acheter en cette journée, mais acheter le double le lendemain. D’autres s’en foutent complètement. Mais si ça vous touche, ne serait-ce qu’un peu, sachez que votre geste, aussi anodin soit-il, pourra peutêtre changer le monde. Alors, cessez de vous dire que votre geste n’a aucun sens. Il en a, pris dans un plus grand

8-9

ensemble. Voyez au-delà de l’action-réaction immédiate, de votre petite contribution et du changement direct que votre action peut avoir, mais admirez plutôt l’effet de groupe, la collectivité, l’ensemble. Agir, oui, certes ça se fait souvent d’abord seul, mais les résultats mis ensemble peuvent être magnifiques et les effets peuvent apporter des changements. Le meilleur des mondes, le monde utopique qui vit au fond de nous peut exister. Il suffit d’y mettre du sien et du collectif… x

13

15

gérance Pierre Bouillon publicité Boris Shedov photocomposition et publicité Nathalie Fortune le McGill Daily Daniel Cohen

Conseil d’administration de la Société de Publication du Daily: Marie-Eve Clavet, Emily Kingsland, Eugene Nicolov, Jeff Carolin, Jean-Olivier Dalphond, John Jeffrey Wachsmuth, Daniel Cohen, Valérie Vézina, Joshua Ginsberg L’usage du masculin dans les pages du Délit français vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.

Musique et tech- Enquête au new Forum interna- Chronique resto nologie rez tional de l’affiche

Le putsch contre la rédactrice en chef arrive à grands pas! Élections de l’équipe rédactionnelle du Délit mardi à 16h au local B-24 du Shatner. Afin de voter, vous devez avoir contribué au moins trois fois au Délit.

Le Délit français est publié par la Société de publications du Daily. Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et illustrations dont les droits avaient été auparavant réservés, incluant les articles de la CUP). Les opinions exprimées dans ces pages ne reflètent pas nécessairement celles de l’Université McGill. L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal. Imprimé par Imprimerie Quebecor, St-Jean-sur-Richelieu, Québec. Le Délit est membre fondateur de la Canadian University Press (CUP) et de la Presse universitaire indépendante du Québec (PUIQ). Imprimé sur du papier recyclé. ISSN 1192-4608

Faites-nous part de vos commentaires

redaction@delitfrancais.com Visitez notre site web

www.delitfrancais.com


04

Le Délit x 30 novembre 2004

nouvellescontroverse

L’entartage Cette semaine: David Drouin-Lê et Philippe G. Lopez s’affrontent dans le ring. Il est à noter que les positions exprimées ne sont pas nécessairement partagées par leur auteur.

Chaque semaine, le Délit choisit un sujet controversé. Au hasard sont tirés le nom des journalistes devant défendre respectivement le pour et le contre.

POUR

N

ous vivons dans une société prétendument démocratique, remplie d’utopie naïve quant aux bons mérites d’un système ingrat. Lorsqu’un scrutin sous-entend quatre ans de silence, peut-on vraiment vanter les mérites de notre «démocratie»? Nous devons donc commencer en admettant que notre voix n’a aucun impact sur le gouvernement du pays. Afin de contrer ce problème de légitimité, il est de notre devoir de recourir à la violence. Bien sûr, certaines voix s’opposeront à l’action armée, sous prétexte que nous vivons dans une société évoluée, civilisée et courtoise. Le compromis se situerait donc dans la violence pacifique. L’entartage incarne l’action brutale sans conséquences notables sur l’intégrité physique de l’entarté. La tarte est donc une arme diplomatique, humiliante et non blessante. Elle est abordable, facile à se procurer, donc non discriminatoire envers les plus pauvres d’entre nous. Mais avant tout, l’entarteur fait connaître sa cause. Chaque entartage sera doublé d’une couverture médiatique importante, contribuant efficacement à passer le message de l’entarteur. Tous les grands entartages de ce monde ont contribué à rendre une cause populaire. Qui ne se souvient du célèbre entartage de Bill Gates, qui avait lancé un mouvement notable de mobilisation contre le géant Microsoft? Plus récemment, l’entartage de Pierre-Karl Péladeau, de visite à l’UQAM, aura eu le mérite de nous informer des dangers imminents du mélange entre la concentration de la presse et le sensationnalisme crasse. Dans une société plus restreinte et douteusement démocratique, la tarte joue son rôle. À McGill, il aura fallu une tarte au visage de Daniel Friedlaender afin de sensibiliser la population estudiantine à l’escroquerie des frais étudiants. Activistes de tous les pays, unissez-vous! La tarte est l’arme politique du futur, sans contredit. x

N

CONTRE

ous vivons dans un état de droit, c’est-à-dire dans un pays où l’ordre et la sécurité règnent afin d’éviter le chaos et l’anarchie que connaissent d’autres régions du monde déchirées par les guerres civiles, la famine et les maladies vénériennes. Pour maintenir cet ordre et cette sécurité qui nous permettent de faire rouler l’économie et de consommer une multitude de produits utiles et agréables, il est impératif de ne pas contrevenir aux lois de l’État. Dans cette optique, il est aberrant de supporter d’une quelconque manière l’entartage. En effet, l’entartage ne représente rien de moins qu’un crime au sens du Code criminel canadien. Pour être rigoureusement exact, en déposant même le plus gracieusement du monde une pâtisserie sur le visage d’une personnalité aussi méprisée que Stéphane Dion, vous êtes passible de «voies de faits». En plus d’une forte amende, la peine maximale encourue pour une telle infraction est de cinq ans de détention dans une prison. L’entartage est donc un crime grave entraînant un casier judiciaire qui vous suivra pour le reste de votre vie et jettera sur votre être ignoble l’opprobre de vos pairs. Au-delà des sanctions légitimes que notre système judiciaire inflige pour le bien commun, il faut s’interroger sur les conséquences dévastatrices de l’entartage sur nos institutions. En examinant la liste des innocentes victimes de criminels sans foi ni loi, nous ne constatons qu’il n’y figure que des personnalités intègres et respectées de notre société comme l’honnête homme d’affaires Pierre Karl Péladeau, notre Premier ministre légitimement élu Jean Charest et plus près de nous au SSMU, le vice-président Daniel Friedlaender qui a courageusement défendu une éventuelle hausse des frais de scolarité. S’en prendre à des symboles de nos institutions économiques et politiques, c’est s’en prendre à notre état de droit et à nos valeurs de respect pour l’ordre et la sécurité. Donc, c’est mal. x

Pour un commentaire impertinent : redaction@delitfrancais.com


30 novembre 2004 x Le Délit

05

nouvellesentrevue

Rencontre avec Jacques Parizeau Marc-André Séguin

Marc-André Séguin

L

e Parti québécois (PQ) est déconnecté de sa base et de la population et doit se renouveler s’il veut réaliser la souveraineté du Québec, selon l’ancien Premier ministre du Québec et ancien chef du parti Jacques Parizeau. Lors d’une récente entrevue exclusive avec Le Délit, M. Parizeau soutient que les instances officielles du PQ sont en rupture avec leur base et avec la population: «Le discours officiel du parti, la présentation que le Parti québécois fait de lui-même et de ses idées, le langage tenu à la fois par la direction, les comités, les organismes centraux […], c’est comme si on avait débranché un fil électrique». M. Parizeau s’est abstenu de tout commentaire concernant une course à la chefferie larvée au PQ. Ce qui le préoccupe davantage est plutôt le débat concernant les moyens à prendre pour accéder à la souveraineté. Faisant contraste avec l’approche étapiste de la direction actuelle du parti, M. Parizeau se range plutôt aux côtés du directeur de L’Action nationale, M. Robert Laplante. Ce dernier propose que le PQ se fasse élire avec le mandat de préparer l’accession du Québec à la souveraineté et de tenir un référendum sur la constitution d’un Québec indépendant. Il propose ensuite des gestes concrets et la tenue de débats à l’Assemblée nationale pour préparer le Québec à la souveraineté, notamment la création d’une citoyenneté québécoise et la définition d’une constitution. Ces gestes concrets clarifieraient les implications d’un Québec souverain: «Quand on arrivera au référendum, tout le monde saura à quoi s’en tenir, ils auront tous les textes devant eux. Les débats auront eu lieu». Enfin, une fois la constitution d’un Québec souverain adoptée lors d’un référendum, le Québec se proclamerait indépendant.Toutefois, selon les réactions à l’intérieur du parti, l’adoption de ce programme au PQ fait face à plusieurs obstacles, notamment la réticence de la direction actuelle à s’engager à réaliser la souveraineté lors du prochain mandat. La question de l’échéancier à fixer pour un prochain référendum est l’élément le moins intéressant dans le débat actuel, selon M. Parizeau. Ce débat consiste à choisir entre la formule du référendum le plus vite possible et celle du référendum pendant la première moitié du mandat. M. Parizeau affirme que ce débat revient pourtant à dire la même chose et qu’il frôle le ridicule: «S’il n’y avait pas des méfiances, des querelles, des intrigues à

«Quand on arrivera au référendum, tout le monde saura à quoi s’en tenir.» travers tout ça [au Parti québécois], ce serait ridicule». Mondialisation et souveraineté Il évoque la mondialisation à titre d’exemple de débats à entrevoir au PQ. Ce thème, pourtant accrocheur chez les jeunes au cégep et à l’université, est sous-abordé dans le discours officiel du Parti québécois. Alors que certains commentent que la mondialisation rendrait caduc un plan pour la souveraineté du Québec, M. Parizeau affirme plutôt qu’elle rend le projet de souveraineté encore plus pertinent. Il critique le manque d’intérêt au PQ de promouvoir la souveraineté à travers les débats sur la mondialisation: «Il est temps que le PQ comprenne que la mondialisation n’est pas un obstacle à la souveraineté, [mais plutôt] qu’elle la rend encore plus nécessaire et urgente. Parce que tant qu’on n’aura pas un Québec capable d’agir par lui-même sur le plan international, il faudra se fier à Ottawa, et Ottawa

a beaucoup d’intérêts très différents à protéger». Les instances officielles du PQ devraient ainsi adapter leurs raisons de faire la souveraineté aux attentes et préoccupations actuelles de la population québécoise. M. Parizeau déplore d’ailleurs que le discours sur la mondialisation soit pratiquement inconnu au Québec. Il évoque la création, à reculons, lorsque le PQ était au pouvoir, d’un Observatoire de la mondialisation mis sur pied pour en analyser les effets à travers le monde. Il avait été proposé à l’époque par la ministre des Relations internationales Louise Beaudoin. Cependant, cet Observatoire de la mondialisation a été l’un des premiers projets à être supprimés par les Libéraux et ce «dans l’indifférence la plus totale» des médias. Pourtant, ajoute-t-il, cet Observatoire constituait les «yeux et les oreilles» du Québec dans le monde sur les effets de la mondialisation. Maintenant qu’il n’est plus, il est d’autant plus difficile pour les Québécois de s’informer sur ce

qui se déroule autour des tables de négociations. La question des biens culturels est citée en exemple. Il s’agit, selon M. Parizeau, d’une juridiction que seul un État souverain est en mesure de protéger et défendre à l’intérieur d’un traité à l’extérieur des règles du commerce imposées par l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Si jamais on en venait à décider que les biens culturels tombaient sous la juridiction de l’OMC, tous les régimes de protection et de promotion de cultures locales, notamment ceux du Québec, seraient menacés. «Tout le mois d’octobre a été passé à l’UNESCO à discuter si les règlements de l’OMC auraient préséance sur ceux de l’UNESCO ou pas ou l’inverse. Nous sommes en novembre, je ne sais pas ce qui est arrivé à ces négociations, je ne connais personne autour de moi qui est capable de me renseigner. L’Observatoire de la mondialisation a été aboli». Le danger, selon M. Parizeau, est que si les biens culturels entrent sous la juridiction de l’OMC,

l’éducation, la santé et l’eau pourraient subir le même sort sans que le Québec puisse se défendre en tant que nation souveraine aux tables de négociations. «Il va falloir qu’au Québec on commence à parler de cela», conclut-il. L’avenir Selon M. Parizeau, la souveraineté du Québec est plus importante que jamais. C’est pour cela que le Parti québécois est maintenant à la croisée des chemins et doit rapidement résoudre ses problèmes internes. Il explique que malgré tous les débats, les querelles et les ruptures qui subsistent actuellement au PQ, il y a une échéance qu’il faudra respecter pour y mettre un terme. «Il est important que tous aient conscience que l’échéance pour se brancher, c’est juin 2005, au congrès du parti. Jusque-là, toutes les discussions peuvent faire rage. C’est d’ailleurs très bien. Mais en juin 2005, il faudra que le congrès tranche», dit-il. x


06

Le Délit x 30 novembre 2004

nouvellesinternational

Shérif Lupe: coup de coeur de Dallas Où l’on malmène l’archétype du shérif au beau pays du Far West. Laurence Bich-Carrière

T

Félix Meunier

C

ertaines méchantes langues diront que la définition du terme «étudiant» contient le terme «paresse». Justement, sont-elles vraiment méchantes ces langues ou simplement… appropriées ? Pourtant, en apparence, nous sommes tous unis dans nos discours officiels pour prendre nos responsabilités et accomplir nos devoirs «professionnels» de façon intègre et juste. Ceci dit, je ne suis que trop surpris (déçu?) du manque d’intérêt de mes collègues étudiants sur la question. Les rapports de laboratoires des années précédentes circulent librement.Les examens des années passées sont particulièrement utiles lorsqu’arrive la session d’examens. Des devoirs s’échangent allègrement. Il n’est plus nécessaire de comprendre la matière pour avancer: il suffit de choisir la voie facile. Par ailleurs, des conversations à bâtons rompus avec différents enseignants de génie m’ont porté à réfléchir sur cette problématique. En fait, beaucoup trop d’entre eux sont conscientisés à cette pandémie rampante. Sous le couvert de l’anonymat, ils révèlent ce manque d’efforts qui nous caractérise à présent. J’ai malheureusement l’impression que les proportions du problème ont en effet dépassé le stade d’importance des sujets discutés par les vieux de la vieille de la Ligue du Four à Bois. Ils dénoncent, dans la normalité du poste de professeur, le copiage, la facilité. Sommes-nous à blâmer? Probablement. Au-delà du sempiternel débat sur Turnitin. com, travaillons-nous vraiment autant que nos prédécesseurs? Examinons cela de plus près. D’un côté, l’un de ces vénérables profs mentionne que son cours est identique depuis une quinzaine d’années; un cours de mathématiques fondamentales, qui, c’est vrai, n’ont guère changé en quinze ans. Le niveau est demeuré identique, mais le professeur s’est vu forcé de réduire le contenu de son cours tout en observant une proportion inquiétante d’échecs. Le problème ne se situe pas au niveau de la motivation du prof, ni de l’adaptabilité de la matière au contexte actuel, les mathématiques fondamentales étaient aussi fondamentales, il y a quinze ans. Il faut se

rendre à l’évidence que le problème est au niveau de la charge de travail de l’étudiant. Par ailleurs, un cours de génie mécanique a récemment substitué une politique close books à une open books. Jusqu’à présent, rien de particulier. Les raisons qui justifient ce changement sont cependant troublantes: - Fausse impression de sécurité, les étudiants pensent pouvoir s’en sortir en ne sachant rien. Le travail d’étude est alors atrophié. - Recours systématique aux vieux examens.Une question ressemble vaguement à celle de l’hiver 1992, si on a prévu des photocopies de vieux solutionnaires, on s’en sortira bien sans vraiment comprendre ce qui se passe. L’avantage des examens open books est de nous mettre dans une situation réelle et de savoir où et comment trouver la solution. Le but, n’en déplaise à certains profs, n’est pas de régurgiter sur papier un paragraphe obscur du chapitre non couvert du manuel utilisé. La résistance feint de s’organiser. Un Blueprint sur les principes éthiques académiques est publié au verso des feuillets d’examens (il y a toujours beaucoup de temps donné pendant un examen pour permettre de lire attentivement ces directives, franchement) de la Faculté de Génie. Une politique d’intégrité universitaire est publiée sur un site Web obscur. Des professeurs demandent à présent de soumettre les travaux de session à un site Web qui en vérifie le contenu original. Fausse route. Probablement que la coercition est la dernière et seule option viable mais… At-on vraiment besoin des examens dans leur format actuel? L’examen écrit teste-il vraiment nos connaissances? L’université n’est-elle pas un lieu de savoir où apprendre est sa raison d’être? L’université n’est-elle pas plus qu’un bout de papier qui arrive après quatre ans? Utopie. Comment peut-on demander au professionnel responsabilité et intégrité lorsque son séjour académique à l’université ne l’aura même ni conscientisé ni encouragé à ces aspects ? x

rouvez l’intrus: un Texan sympathisant du KKK, un pasteur descendant des colons du Mayflower, un wasp pro-NRA homophobe et une démocrate hispanique et lesbienne. L’intrus, c’est le pasteur parce qu’aucun ministre du culte n’a jamais accédé à la fonction de shérif de Dallas, Texas. Car l’élection de LupeValdez, cinquante-sept ans, vient de permettre à une femme, hispanique, démocrate et lesbienne de surcroît d’accéder à ce prestigieux poste: «une élection et quatre stéréotypes abattus d’un coup et par 51 p. cent des voix», clamait d’ailleurs le Dallas Herald Tribune du 3 novembre 2004. Agente senior au département de sécurité nationale, gardienne de prison, capitaine dans les forces de réserve de l’armée américaine, investigatrice pour le gouvernement fédéral, détentrice d’une maîtrise en criminologie et d’un baccalauréat en administration d’affaires, Lupe Valdez a estimé que sa fiche de service serait le meilleur de ses arguments dans la course à la candidature. «Moi, j’ai joué cartes sur table, c’est mon expérience au service de la Loi et de l’État, ma compétence comme fonctionnaire qui m’a servi, pas trente ans de copinage [référence faite aux allégations de corruption portées contre Danny Chandler, son rival et Jim Bowles, l’ex-shérif de Dallas depuis trente ans]. Je veux que l’on puisse dire «officier élu» et «honnêteté» ou «confiance» du même souffle». Il semblerait que le message soit passé puisque les élections l’ont couronnée shérif. Dans son discours de victoire, elle remerciait ainsi son comté: «Voilà qui révèle Dallas: on regarde mes qualifications et mon potentiel. Qu’est-ce que le mot «femme» a à voir avec ce poste? Que signifie «hispanique»?» Qu’est-ce que lesbienne?,auriez-vous pu

ajouter, Mme Valdez. Car si le vote hispanoaméricain (et démocrate) grandissant a été un facteur déterminant dans cette campagne (la première femme juge de comté est également de milieu latino), l’appui apporté à Valdez par le Gay and Lesbian Victory Fund n’est pas à négliger non plus. «C’est toujours agréable d’avoir des fonds supplémentaires, mais Lupe sait faire la différence entre son travail et elle», expliquait la porte-parole démocrate de Dallas en réponse aux accusations portées contre elle par Danny Chandler, au cours d’un débat à l’hôtel de ville: «Vous utiliseriez votre poste comme une plate-forme pour l’avancement du mariage entre conjoints de même sexe! C’est de la propagande inadmissible!» Valdez avait elle-même fait savoir par voix de communiqué que son appartenance à la Metropolitan Community Church du Grand-Dallas (qui attire les homosexuels parce qu’elle accepte de célébrer pour eux un mariage religieux) montrait simplement que, comme son église, «Dallas est un comté international, avec des gens de tous les groupes ethniques, des riches et des pauvres, des homos et des hétérosexuels et c’est cela que je veux représenter». Être élu, c’est bien, mais il reste 90 milliards de dollars de budget à gérer, vingtsept prisons de comté surpeuplées. Suffitil de devenir l’une de ces quatre «Ruling Chicks» du magazine Time de la semaine du 23 novembre pour être un bon shérif? Sans doute pas, et Valdez le conçoit très bien: «Ce soir, je fête, déclarait-elle après qu’on lui ait concédé la victoire, mais j’ai du pain sur la planche. C’est sûr que je vais déranger, mais ce sera pour le mieux». On verra, Mme Valdez, on verra, doit murmurer Danny Chandler qui a annoncé penser déjà aux prochaines élections. x

Le shérif Lupe, souriante suite à sa victoire.


30 novembre 2004 x Le Délit

nouvellestechnologie

07

Cet orchestre qui n’en est pas un... Discussions sur le mariage entre musique et technologie. Jasmine Bégin Marchand a technologie musicale est partout. Dans les annonces télévisées, dans les films, dans les jeux vidéo, à la télévision. Pratiquement chaque fois que vous entendez un orchestre à la télévision, cet orchestre n’existe pas.Vous imaginez-vous aller à un concert et que sur la scène ne se trouve qu’un ordinateur qui projette sa musique devant vous? Dans une rencontre avec Sean Ferguson, professeur de composition digitale à l’Université McGill, la technologie a reçu un nouveau visage. Car si pour plusieurs, la technologie reste un mystère, ce n’est pourtant qu’en sachant la reconnaître que nous pouvons l’apprécier. La technologie musicale se montre donc sous son vrai jour et elle est à couper le souffle. Commençons par le commencement. Qu’est-ce que la technologie musicale? En fait, elle est composée de trois sous-catégories: l’enregistrement de son, soit la transmission et l’emmagasinage de contenu musical, la composition digitale, qui s’applique à la création de contenu musical afin d’utiliser la nouvelle technologie, et enfin, la technologie musicale qui consiste en la création et l’innovation de nouvelles technologies musicales. Avec ces trois catégories, on assiste à un mélange entre la science et la musique, entre la recherche et la création. Si on entend peu parler de la technologie musicale, c’est qu’elle est plutôt récente: on parle ici d’une dizaine d’années. Preuves à l’appui; à McGill, on compte seulement entre un et cinq membres du personnel dans cette faculté. Cependant, le domaine de la composition digitale, elle, a beaucoup plus d’années derrière elle; précédemment nommée «electronic music studio», elle est présente dans nos vies depuis environ quarante ans. C’est lorsqu’il voulut intégrer des technologies complexes, telles les psycho-accoustiques que M. Ferguson a été attiré par ce côté encore peu connu de la musique. Comme le dit l’adage, la nécessité est la mère des inventions. Aujourd’hui, en tant que professeur, en plus de ce dont il aurait normalement besoin pour composer, il doit être au courrant de tous les «bidules» sur le marché afin de pouvoir répondre au besoin potentiel de ses élèves.

L

À l’Université McGill, le professeur Ferguson enseigne différentes approches à l’utilisation de la nouvelle technologie dans le domaine de la création musicale. Il se compte très chanceux car McGill est l’une des seules universités en Amérique du Nord à combiner la recherche de nouvelles technologies avec d’extraordinaires interprètes. Cela permet de concentrer les efforts sur l’interaction avec ces derniers, et de donner un point de vue artistique à la recherche. De plus, les séminaires conjoints entre les interprètes et les différentes branches de la technologie musicale sont quelque chose d’unique au monde: on assiste à la création d’instruments. Combinant l’expertise des chercheurs, des interprètes et des compositeurs, l’équipe semble complète. «Ceci est très inhabituel. Le musicien n’a plus à prétendre qu’il est un scientifique, ni le chercheur qu’il est un musicien. Les interprètes jouent de l’instrument et le compositeur compose». Il se crée

une relation d’interdépendance où chacun a besoin de l’autre. Dans son enseignement, le professeur Ferguson adopte une approche d’intégration. Il compare sa vision de la technologie musicale avec les différents types de science fiction: d’un côté se trouvent ceux qui rejettent tous les éléments du passé, où tout doit être réinventé, de l’autre, celui auquel M. Ferguson s’identifie, ceux qui intègrent la technologie à des éléments déjà existants. Ainsi, les nouvelles technologies et les anciennes cohabitent. Aujourd’hui, les ordinateurs assistent les compositeurs. Ces derniers les utilisent dans le procédé de composition par exemple, pour créer le rythme, la mélodie, les harmonies. Ceci permet de créer beaucoup plus vite. «Aujourd’hui, on assiste à un changement majeur dans la composition de musique: l’ordinateur peut tout remplacer. On n’a plus besoin de dizaines d’interfaces».

Bien sûr, pour toute chose, il y a des oppositions. Quelles sontelles concernant les nouvelles technologies musicales? La première est que si la technologie est quelque chose d’inhumain, comment la musique peut-elle l’être? Ce à quoi M. Ferguson répond que plusieurs instruments ont vu le jour lors de la révolution technologique. Le saxophone, par exemple, doit être créé en usine afin que toutes les clés soient exactement de la même grosseur et qu’ils produisent le même son. Préfabriqué et Art ont rarement été nommés couple de l’année. Pourtant, qui donc irait dire que le saxophone n’est pas un instrument humain? La deuxième attitude qui suscite la désapprobation du professeur de composition est celle qu’il qualifie de trop enthousiaste face à la technologie. Celle-ci consiste en la croyance naïve que la technologie est le seul futur. Ceci mène les gens à croire que l’on n’a plus besoin de talent

Peut-on parler de désenchantement? La musique numérique est maintenant monnaie-courante.

musical pour faire de la musique. Résultat? De la mauvaise musique. Quant au programme offert à Mcgill, il est très actif: tous les étudiants en composition doivent prendre un cours de composition à partir de technologie musicale. Ceux-ci, comme une grande partie des cours en musique, sont des cours où il y a un seul élève pour le professeur. On compte trente et un élèves en composition, et environ vingt-deux élèves prennent des cours en composition musicale, sans pour autant être dans le programme. x Allez vous aussi contempler l’étendue de la technologie reliée à la musique: quelques sites sont recommandés: www. music.mcgill.ca, le site web officiel du programme de composition digitale de McGill, et www.vsl.co.at/english/pages/demos/start.htm, où vous pourrez retrouver des orchestres virtuels, entièrement créés par ordinateur.


08

Le Délit x 30 novembre 2004

30 novembre 2004 x Le Délit

09

nouvellesscandale

New Residence Hall: une illusion de sécurité La résidence la plus sécurisée de McGill est ouverte aux vols et au vandalisme. Eleonore Fournier Enquête réalisée avec la collaboration d’Andrew Bauer Le Délit a voulu évaluer le niveau de sécurité au New Rez. Par conséquent, il a décidé d’entrer et d’essayer de se faire virer. Résultat: zéro. On peut faire se que l’on veut sans attirer l’attention des gardes de sécurité. Un voleur peut aussi entrer par l’une des portes de secours, aidé par un complice. La Mission: se faire virer du New Rez. Le premier obstacle: les gardes à l’entrée

L

a New Residence Hall est la résidence la plus sécurisée à McGill. Six cent dix-sept étudiants y vivent, majoritairement des Américains et des Ontariens en première année. Il y a en permanence deux gardes de sécurité à la porte le jour et quatre la nuit. L’immeuble est situé au 3625, avenue du Parc, dans l’ancien hôtel Renaissance-Montréal que McGill a racheté. Les étudiants paient entre 9 276,72 $ et 10 144,72 $ pour vivre là de la fin août à la fin avril. Le hall d’entrée est très impressionnant, avec son piano à queue, ses divans et ses tapis; il s’agit bel et bien d’une résidence de luxe. D’après un garde de sécurité, dont le nom ne sera pas divulgué, aucune autre résidence n’a autant de caméras ni de personnel. Pour rentrer, le visiteur doit être inscrit par un des résidents et laisse sa carte d’identité à l’entrée pour la récupérer seulement à la sortie. La sécurité est donc au courant de

chaque entrée et sortie dans l’immeuble, et si quelque chose tourne mal, c’est normalement le résident qui a fait rentrer les visiteurs qui est responsable. Pourtant, malgré toutes ces précautions, le mois dernier, quatre ordinateurs portables ont été volés à l’intérieur de la résidence. Le voleur, qui a dû être aidé par l’un des résidents, a été filmé par les caméras de sécurité, mais il n’a pas été identifié. Comment a-t-il donc pu rentrer? À des fins d’enquête, le Délit est entré au New Rez sans grande difficulté. Nous avons d’abord attendu à la porte d’entrée et demandé à chaque personne de nous faire passer en leur disant que nous écrivions un article sur la sécurité. Plusieurs ont refusé, leurs réponses variant entre: «Je ne pense pas que c’est une bonne idée», «Mon meilleur ami travaille au Daily, mais j’ai déjà eu des problèmes avec la sécurité» ou «Je suis pressé». Finalement, un Améri-

Le malfrat tente d’attirer l’attention des gardes...

cain de la Caroline du Nord a accepté de nous inscrire. Ses raisons? «Cela semblait être une cause raisonnable, et vous avez l’air de journalistes». Nous lui avons demandé pourquoi les autres étudiants n’avaient pas voulu nous faire rentrer. «On nous a fait part par email que des mauvaises choses sont arrivées, probablement de ne pas faire rentrer des étrangers, mais je ne l’ai pas vraiment lu». Une fois entrés, nous avons eu accès à toutes les pièces sans restrictions; malgré les caméras, personne n’était au courant de nos allées et venues. Pourtant, le budget de sécurité à McGill est passé de 2,5 millions l’année dernière à 2,6 millions cette année. On vient juste d’installer des nouvelles caméras au New Rez, qui ne servent pas à prévenir les crimes mais plutôt à identifier les coupables une fois le fait accompli. Toutes les caméras du campus de McGill

L’intrus, un peu comme le chien, fait sa marque en toute impunité.

sont reliées au Centre de contrôle, où une personne est sur place en permanence. Si une alarme sonne lors de l’ouverture d’une porte de secours, par exemple, le responsable du Centre de contrôle regardera la caméra reliée à la porte et enverra une patrouille d’intervention, selon le besoin. Pourtant, s’il n’y a pas d’alarme, personne ne fera d’observation directement des caméras. Donc, une fois qu’une personne a passé le contrôle à la porte, elle peut agir en toute impunité, car il y a peu de chances que l’unique personne au Centre de contrôle puisse les voir parmi les centaines de caméras qu’elle gère. «Une fois, raconte un garde, j’ai vu quelqu’un voler une bicyclette, mais je ne pouvais rien faire parce que je ne pouvais pas quitter mon poste». Il ajoute que les gardes doivent souvent intervenir quand les résidents eux-mêmes cassent tout. Récemment, quelqu’un a jeté son matelas

par la fenêtre, et maintenant elles ne peuvent que s’ouvrir de vingt centimètres. Un résident ajoute: «J’ai vu des gens pratiquement tous nus dans le couloir!» Dans ces cas-là, les gardes de sécurité se voient obligés d’intervenir avec délicatesse. Billie Moss, en U1 Arts, vivait au New Rez l’année dernière. «Il se passait plein de choses, on donnait des coups de pieds dans les murs, il y avait des poubelles partout, du vandalisme. Quand les gens sont saouls, des choses bizarres arrivent». Dans la plupart des résidences universitaires, quand quelque chose est endommagé, tous les résidents de l’étage doivent se partager les frais de réparation. Pourtant, ce n’est pas le cas au New Rez. «Ils nous disaient qu’il n’y a pas de règles, juste du respect», dit Billie. «Les gens s’en foutaient, ils avaient tellement d’argent et ils faisaient ce qu’ils voulaient; il n’y avait pas de répercussions. Ils nous ont dit

Le scélérat tente ici de voler un Renoir, mais malheureusement, celui-ci est vissé au mur.

que peut-être que [le vandalisme, les vols] n’étaient pas causés par nous, que c’étaient des gens venus de l’extérieur, et qu’il fallait faire attention de ne pas faire rentrer n’importe qui, mais personne n’écoutait». Louise Savard, la gérante des services de sécurité de McGill, nous parle avec optimisme. «L’année dernière, on a eu des problèmes au New Rez Hall, alors on a augmenté la sécurité. Les choses se sont améliorées». Selon elle, le New Rez est très sécurisé parce que l’édifice a été racheté récemment et pendant la rénovation, McGill en a profité pour faire installer un système plus développé. Il y a maintenant des cartes de contrôle d’accès, qui permettent aux résidents d’entrer sans devoir signer leur nom à la porte. «Les gens sont satisfaits, on n’a pas entendu de commentaires négatifs», ajoute-t-elle. Malgré tout cela, comme nous l’avons démontré, c’est très facile pour des

Les règles à suivre: une fois l’entrée passée, la voie est libre.

gens de l’extérieur d’entrer dans la résidence, de tout casser, de voler et de repartir. Les élèves sont riches et il reste bien évidemment quelques ordinateurs à voler. De plus, la majorité des étudiants ne facilitent pas le travail des services de sécurité, au contraire, ils ont coûté, d’après un garde de sécurité, 500 000 $ de dommages à l’université l’année dernière. En augmentant le nombre de caméras de sécurité, l’université n’a pas responsabilisé les étudiants, qui sont malgré tout les principaux garants de l’ordre dans leur résidence. Les crimes ne diminueront que s’ils se sentent impliqués. Jusqu’alors, les autres étudiants continueront à débourser de leurs poches afin de couvrir les frais de dédommagement. Est-ce le meilleur moyen pour McGill de dépenser notre argent? x

Le bandit pénètre profondément une chambre sans la moindre contrainte.

L’intrus investigue ensuite le contenu du frigo de la salle de séjour des étudiants.


10

Le Délit x 30 novembre 2004

Qui est Chinois? Vo Nghi Nguyen, chroniqueur en exil

L

’autre jour, dans ma chambre, je faisais un mini exposé sur l’avenir de la Chine à mon compagnon de chambre, Joe, et à un autre étudiant de mon dortoir. Lorsque j’ai mentionné la célèbre formule: «Un pays, deux systèmes», ils ont éclaté de rire. Mais vraiment, c’était la blague du siècle pour ces deux Hong Kongais. Ma conclusion: ils n’en ont vraiment rien à foutre de Beijing. D’un autre côté, il y a mon ami John. Vous comprendrez que les Chinois ont rarement des noms anglais à la naissance: ils se les donnent. Une fille que j’ai rencontrée s’appelle Cash, oui, comme le fric. Le nom Angel semble aussi très populaire. Bref, à Tianjin, Joe m’a confié qu’il a pleuré lorsqu’en 1997, Hong Kong est revenu aux mains des autorités chinoises. Il a aussi mentionné qu’il attend avec impatience ce moment pour Taiwan. Il détient même la carte de membre du Parti communiste! Patriotique et fier d’être Chinois. Au-delà de tout le charabia sur la modernisation de la Chine, des Jeux olympiques, de la crise environnementale imminente, on oublie souvent le Chinois, l’«Average Joe». Enfin, qui est-il? Taiwanais, Pékinois, Shanghaiens, Singapouriens, ABCs (American Born Chinese)? Après avoir passé plus de trente-deux semaines à voyager et à

étudier en Asie, j’en suis venu à une conclusion tragique: toutes les villes se ressemblent. Un McDo trône à chaque coin de rue, il y a même un Starbucks à l’intérieur de la Cité impériale à Beijing. En passant, ne criez pas au meurtre si quelqu’un vous pousse et vous dépasse en file dans un fast-food sans aucun scrupule: c’est en fait monnaie courante là-bas. Cependant, la chose la plus remarquable en Asie a été de rencontrer une incroyable variété de Chinois qui sont tantôt incroyablement généreux, et de temps à autre... de véritables couillons. Évidemment, le niveau d’anglais n’est pas très élevé. La barrière linguistique n’est pas aussi haute qu’on pourrait le croire: pour preuve, le langage corporel, ça marche toujours. En effet, les Chinois n’ont pas vraiment besoin d’apprendre l’anglais vu que la majorité ne côtoie que rarement des étrangers. L’apprentissage de la langue anglaise est un luxe pour les plus fortunés, cependant, la majorité des étudiants universitaires ont une maîtrise relative de la langue. Malheur à vous si vous prenez un taxi en Chine: impossible de vous faire comprendre en anglais, et certains chauffeurs ont la fâcheuse habitude d’insister pour vous emmener dans des bordels en soirée... Le métro, par contre, est assez efficace. Quant à Hong Kong, après un

peu plus d’un siècle de colonisation, on ne constate aucun problème de communication en général, surtout avec les jeunes. Cependant, il est toujours possible pour les habitants de survivre sans parler un seul mot d’anglais. D’ailleurs, beaucoup d’expatriés ne parlent pas un mot de cantonnais non plus. Soit dit en passant, si vous pensez que le mandarin est une des langues les

plus difficiles à apprendre, oubliez tout de suite le cantonnais, qui, après quatre mois à Hong Kong, demeure toujours pour moi une grande énigme. Si vous êtes caucasiens et que vous faites l’effort de parler la langue locale, les gens apprécieront grandement l’effort. De mon côté, j’ai l’avantage de ressembler à un Chinois. À Tianjin, les gens étaient assez compréhensifs quand je leur mentionnais (en mandarin, bien entendu) que je suis Canadien. À Hong Kong,une toute autre histoire: les gens sont incroyablement rudes. Ils s’attendent à ce que je parle la langue et ne la parlant pas (leur mandarin est incompréhensible, je leur précise), ils m’envoient promener. Les citoyens de Hong Kong sont plongés dans un état d’insociabilité marquante, ce qui est dû à cette crise d’identité régnant au sein de la population. Ils sont dans ce qu’Abbar Ackbas, professeur à l’Université de Hong Kong, appelle un «espace de disparition». Les Hong Kongais perçoivent Hong Kong comme un espace de transit. Qui sont-ils? Anglais, Chinois ou autre? Souvent, il n’est pas surprenant de trouver dans une même famille plusieurs passeports différents: canadiens, australiens, britanniques... Dans le cadre d’un projet, je me suis promené dans un centre

commercial et j’ai posé une question concernant la mode à Hong Kong: «Y a-t-il un style hong kongais?». Les seules réponses que j’ai eues consistaient en des éclats de rire. Pourtant, il est faux de penser que l’ex-colonie n’a aucune culture. Une scène culturelle est bourgeonnante. Néanmoins, le manque d’estime pour Hong Kong de la part des locaux est frappant surtout lorsqu’on les compare aux Chinois continentaux, aux Taiwainais et aux Singapouriens. Cependant, j’ai pu apercevoir une lueur d’espoir lorsque le gouvernement, poussé par Beijing, a tenté de passer l’Article 23 (similaire au Patriot Act américain), 300 000 personnes, en grande majorité des jeunes, ont pris les rues de la ville. L’article a été mis de côté. La plupart des Montréalais d’origine Chinoise sont soit Taiwanais, soit Hong Kongais. Très rares sont ceux qui viennent de la Chine continentale. La Chine et sa diaspora ont une identité aussi vaste et illimitée que sa population. 1,3 milliard de Chinois sont sur le point de s’ouvrir sur le monde. Ouvrez vos yeux, préparez vos valises et découvrez du pays. Si vous voulez un conseil, soyez aussi opportunistes que moi et enrôlez-vous dans le cours de mandarin «First Level Chinese». x


30 novembre 2004 x Le Délit

Jean-Loup Lansac

À tout bas!

L

e parlement canadien a récemment voté une loi visant l’interdiction de facto des acides gras trans artificiels. Joli projet. Depuis une semaine, donc, le pays entier est entré en guerre – avec, admettonsle, presque deux ans de retard sur les ÉtatsUnis. Mais l’ennemi canadien, à la différence de celui du Yankee, ne porte pas la barbe, ne lit pas le Coran, ne cache pas même d’armes de destruction massive dans son bungalow de Laval-el-Saddam. Rien de tout ça. C’est un petit dodu qui écoute de la musique trans.

culturerevue

On n’a plus les guerres qu’on avait. Cibler les gros, d’abord, c’est trop facile. N’importe quel tireur d’élite vous le dira: il n’y a pas suffisamment de défi. Le sujet déborde du viseur de tout partout et il se meut trop lentement pour que son exécution soit seulement amusante. Je vous l’avoue tout de go, j’ai la nostalgie des vraies bonnes guerres, de celles qui faisaient crac boum hue. Combattre le gras, c’est une chose. Combattre pour vrai, c’en est une autre, pour laquelle un sérieux plan d’attaque s’impose.

Voici donc, en cinq points, ma proposition de déclaration de guerre à tous les trans. Primo, abolissons l’ennui. Tout le monde sait combien le trajet entre Québec et Montréal peut être abrutissant lorsqu’il emprunte l’autoroute transcanadienne. Imaginez l’incommensurable lassitude qui s’abat sur vous lors d’un périple sur cette même route, entre Winnipeg et Calgary. «C’est assez», comme le disent si bien les conservateurs canadiens lorsqu’ils sont en campagne électorale. Bien sûr, l’on parle de la route nationale la plus longue au monde. Et alors? En France, la semaine dernière, on a détruit beaucoup plus de patrimoine en renommant la Nationale 7, «voie départementale 7». Chez nous, l’annihilation de la transcanadienne causerait bien moins d’émoi. Jamais Trenet, ou même Stereo Total, n’ont chanté de chansons en son honneur. Foutons-y la hache, au plus vite. Secundo, parlant de chanson, sauvons les meubles: abolissons Trans d’Amour. L’implacable logique eût voulu qu’elle saborde sa carrière d’elle-même. Les lois du négoce en ont décidé autrement. Pourtant, lorsque l’on s’attarde un peu sur les paroles de la rouquine de Mont-Rolland, on décèle des similitudes troublantes avec celles de l’infâme groupe Soupir de Normand Brathwaite. Vous êtes dubitatifs? La preuve en chanson: «Animal / Tes yeux de métal / Un tatou de feu sur ma peau sauvage» VS «C’est une alarme, c’est un signal / Je verse des larmes de métal». Or, qui pourrait mieux verser des larmes de métal qu’un animal muni d’une paire d’yeux en métal? Troublant, n’est-ce pas? Mais ce qu’il y a de plus aberrant, dans tout ça, c’est

11

que personne, parmi la colonie – que disje, la horde – de journalistes artistiques que compte le Québec, n’a osé tracer ce parallèle pourtant si évident. Pas étonnant, alors, que Trans d’Amour ait pu poursuivre sa carrière, protégée par la complaisance crasse de tous ces scribouillards peu consciencieux. Comme le disait l’agent de joueurs Gilles Lupien au sujet de la drogue dans le hockey mineur: «Il faut que ça cesse!» Et puis, pendant qu’on y est, sacrifions aussi Trans Gall sur l’autel du bon goût. Qui sera nostalgique de «Sacré Charlemagne»? Tercio, pour le salut de notre culture, brûlons les bobines du dernier film de Jean Beaudin, le sirupeux Nouvelle-Trans. On pourra conserver Noémie Godin-Vigneau, à tout hasard. Pour le reste, faisons comme les héros de Ray Bradbury et passons ce navet à 451 degrés Fahrenheit. Laissons mijoter. Quarto, une fois nos terres débarrassées de la route transcanadienne, libérons le reste de nos boulevards de la Trans Am. Officiellement mis à mort en 1999, ce modèle continue pourtant de pétarader son mépris de l’esthétisme à travers le pays. À ce sujet, Jules Renard avait jadis tenu ces beaux propos: «Trop vite, l’auto. Tant de jolis paysages où l’on ne s’arrête pas! On laisse des regrets partout». Quinto, finissons-en avec cette folie des transgenres. Parce que des urinoirs dont il faut soulever le couvercle avant l’utilisation, c’est tout simplement ridicule. On ne le dira jamais assez. Aux armes, citoyens! Et passez d’agréables vacances de Noël. x

Provocante, tu fais exprès…

Vingt ans d’engagement, ça se fête! La revue esse arts + opinions nous offre Du commentaire social, le second numéro de leur trilogie anniversaire. Alexia Germain

V

ous savez, même les textes les plus raffinés parfois n’arrivent qu’à la cheville de la gamme d’émotions que sait si bien nous livrer le visuel. Photos, collages et peintures peuvent bien faire rougir Hesse et Sartre, il y a de la compétition dans l’air! Et finalement, au risque de sonner un peu mémère, avouons-le: une image vaut souvent mille mots. À cette intention particulière, esse arts + opinions a cédé la parole aux artistes en troquant l’habituelle théorie littéraire au profit d’une édition entièrement figurée. Joli cadeau d’anniversaire, n’est-ce pas? Le numéro 52 est donc tissé à l’image de l’implication culturelle et sociale de la revue qui, toujours fidèle au poste, ne manquera pas de sensibiliser ses lecteurs à des causes engagées telles que la citoyenneté, le statut social, l’état du monde.

L’ouvrage rassemble ainsi les œuvres d’exactement trente-neuf artistes qui ont reçu à bras ouverts l’inspirante carte blanche de la création. Parmi eux se trouvent des artisans de la relève, quelques établis, et même certains directement sortis de l’équipe d’esse, notamment la directrice en chef Madame Sylvette Babin. Quoique cette distribution soit majoritairement québécoise, elle est parsemée ici et là d’autres artistes canadiens et étrangers. Mais rassurez-vous, ils ont l’essentiel en commun: un profond désir de soulever un commentaire social par une œuvre visuelle. Les images proposées par les artistes sont bien sûr teintées de leur personnalité mais se diversifient également par l’emploi de différents médias visuels. Qu’il y ait des écritures ou pas, de la couleur ou non, que ce soit réaliste ou purement

inventé, la seule limite, si limite il y a, est celle de leur imagination. Et pourquoi pas de la vôtre! Car en nous conférant une page totalisant la surface de deux feuilles mobiles sur laquelle ne s’illustre que l’image exclusivement escortée de son titre, les artistes nous transmettent la version analytique de leur carte blanche. En effet, il y a et matière à analyse et matière à discussion. Puis ces fameuses images, croyez-moi, valent certainement l’achat. Frappantes, authentiques, osées et imprimées sur du solide papier de qualité, on serait dangereusement tenté d’en faire un collage sur notre propre mur de chambre! Décidément, cette revue fait exprès pour s’émoustiller, se déhancher et se tortiller devant nos beaux yeux. Oui, elle fait vraiment exprès pour qu’on se questionne intelligemment sur cette société qui est

la nôtre. Et franchement, c’est plutôt efficace! Bien que l’approche visuelle de cette édition soit l’exception à la règle de la présentation traditionnelle d’esse arts + opinions, sachez que les autres numéros promettent tout autant. Prise de conscience, engagement, audace, art et société sont et resteront les mots d’ordre de la revue qui cherche à sensibiliser artistiquement un public réceptif et ouvert à tout. Bref, un excellent investissement pour votre conscience et bien sûr, pour vos deux chers yeux. x esse arts + opinions est disponible au coût de 8,50 $ l’exemplaire. D’avantageux abonnements sont également disponibles, incluant des rabais étudiants. Pour plus d’information, consultez le www.esse.ca x Le quatuor québécois Les Fermières obsédées nous invite à nous pencher sur l’aliénation collective par le biais de l’œuvre Les Olympiennes


12 Le Délit x 30 novembre 2004 culturethéâtre

Une tempête de bonnes raisons de se déplacer

Le théâtre Leonor and Alvin Segal présente jusqu’au 6 décembre l’une des dernières œuvres du plus grand dramaturge anglais. Clint Taschereault

L

’entrée en scène des acteurs plonge l’audience dans une tempête commandée par Prospero, ancien duc de Milan, qui entend se venger de ses ennemis qui l’ont déposé, la cour napolitaine. Naufragés sur l’île où il a été exilé, Prospero sépare les traîtres les uns des autres, de façon à assouvir ses plans machiavéliques. S’adonnant de plus en plus à l’étude de l’occulte et de l’alchimie, le prestidigitateur avait été destitué de son trône par son frère, lequel avait joui du support du gouvernement napolitain. Abandonné en pleine mer avec sa fille (Miranda), le duc légitime est parvenu sur une île grâce aux bons conseils de son fidèle Gonzalo. Arrivé sur l’île, il y découvre un esprit (Ariel) pourchassé par des sorciers (Sycorax et Caliban) qu’il asservit, pour ensuite réclamer la contribution d’Ariel à sa cause. Tour à tour, il contraint le jeune prince (Ferdinand, l’héritier de la couronne napolitaine) à des travaux manuels pour l’éloigner de sa fille (tous deux sont pris d’un coup de foudre), endort le roi (Alonso) et son plus proche conseiller (Gonzalo) pour inciter leurs deux soldats (Sebastian et Antonio) à la révolte et laisse un sorcier s’allier avec le fou du roi et le cuisinier contre lui-même, pour la possession de l’île. Au moment critique, Ariel réveille le roi de Naples, pendant que Prospero accorde la main de sa fille à Ferdinand dont il s’est

assuré de la sincérité. Prospero réunit ensuite toutes ses victimes pour révéler son identité et les confronter à leurs méfaits communs. Libérés de l’enchantement de Prospero, ils se couvrent de honte et reconnaissent l’ancien duc. Un matelot surgit sur la scène et annonce la réparation du bateau et les naufragés repartent pour la péninsule italienne. Malgré une histoire dont le contexte ne s’applique que très difficilement à un auditoire moderne, la production de Shakespeare profite d’une mise en scène superbe assurée par Madd Harold. La richesse pyrotechnique du Saidye Bronfman et les effets visuels sont sciemment utilisés et les danses entrecoupent une chorégraphie rapide et diversifiée. Les transitions scéniques sont aussi géniales que le texte et appuient parfaitement la symbolique générale tout en permettant à l’action de permuter en toute fluidité. De la même façon, des jeux d’ombres impressionnants (particulièrement lors des ébats amoureux entre Ferdinand et Miranda) permettent à l’histoire de s’enchevêtrer en toute douceur et aux phénomènes paranormaux de demeurer crédibles. Si cette production dont le succès est assuré par une distribution comprenant l’illustre Douglas Campbell, un fleuron du théâtre anglophone, les autres protago-

nistes méritent tout autant qu’on ne tarisse pas d’éloge à leur endroit. Plus particulièrement, Gareth Armstrong, dont la voix grave et profonde transperce la foule et la performance clownesque d’Andrew Shaver retiennent l’attention. Heureusement, l’unanimité du talent de la distribution garde ces trois carriéristes notoires de porter ombrage à leurs acolytes. Pour un McGillois, le jeu adéquat de Yann Bernaquez, un étudiant du département d’English Literature, est à souligner, malgré la marginalité de son rôle dans la pièce. Savante orchestration scénique, doublée d’un jeu parfait, The Tempest de Shakespeare offre une opportunité unique de s’initier au théâtre classique anglophone. Pour les néophytes peu familiers avec la langue la plus usuelle au pays, se prémunir du texte de la pièce serait idoine, puisque les nuances verbales et métaphoriques de l’époque sont parfois difficiles à saisir dans la langue vernaculaire. x The Tempest est présenté jusqu’au 6 décembre au Leonor and Alvin Segal Theatre du Centre Saidye Bronfman, 5170, chemin de la Côte Ste-Catherine, (514) 739-2301. Pour plus d’information, www.saidyebronfman.org

Shakespeare crée de toutes pièces un monde fabuleux, où l’amour croise la conspiration politique, la magie et l’humour.

cultureévénement

Une semaine de théâtre

Le CEAD présente la 19e semaine de dramaturgie où se fera la promotion des œuvres de québécois et franco-canadiens. Agnès Beaudry

L

e Centre des auteurs dramatiques (CEAD) inaugure ce mardi sa 19e semaine de dramaturgie. Celle-ci aura lieu du 30 novembre au 4 décembre de cette année. C’est le théâtre La Licorne à Montréal qui sera son hôte. La semaine sera composée de lectures publiques à un coût de cinq dollars, de causeries gratuites et d’ateliers de développement dramatique auxquels le public pourra assister. Les projecteurs s’arrêteront sur dix nouveaux textes en lecture publique et trois sujets sont désignés pour les sessions de causerie: la place de l’auteur dramatique chevronné dans notre théâtre,

l’émotion au théâtre jeune public et le phénomène des acteurs qui écrivent. Fondé en 1965, le CEAD a comme but le soutien, la promotion et la diffusion de la dramaturgie francophone, tant québécoise que franco-canadienne. Comptant plus de deux cent trente membres, tous auteurs, ceux-ci peuvent à travers la CEAD approfondir leur métier. Le centre leur offre des ressources diverses allant d’ateliers de travail et de critique constructive à la chance de collaborer directement avec des metteurs en scène et des comédiens. De plus, le CEAD est une ressource d’information importante tant pour

les metteurs en scène que pour les journalistes étrangers puisqu’il possède un registre d’environ deux mille titres accessibles via Internet. Le CEAD propose aussi de nombreux textes de ses membres à des professionnels d’ici et de partout dans le monde. De plus, le CEAD profite chaque année de la semaine de la dramaturgie afin de remettre la Prime à la création du Fonds Gratien Gélinas à un auteur. Ce prix consiste en une bourse de quinze mille dollars remise à la compagnie théâtrale qui montera la pièce en question. Il est accompagné de la bourse Louise LaHaye de huit mille

dollars remise au lauréat. Cette année, le récipiendaire de la Prime à la création est Pascal Lafond pour sa pièce Le Doux Parfum du vide. C’est justement la lecture de ce texte qui inaugurera la semaine, le 30 novembre à La Licorne. D’autres noms importants pour cette semaine: Royds FuentesImbert, Marilyn Perrault, Samuel Cloutier, Suzie Bastien, Marc-Antoine Cyr, François Godin, Pascal Chevarie et Julie Vincent. Chacun de leurs textes sera présenté en première lecture publique au cours de la semaine. Chaque lecture sera suivie d’une discussion. De plus, mercredi, jeudi et vendredi,

Fabien Cloutier présentera des ateliers publics à 10 h dans la salle de répétition de La Licorne. L’entrée est libre pour ces ateliers. En plus de promouvoir le théâtre francophone et de lui permettre de fleurir, cette semaine est une chance unique pour les auteurs et le public d’entrer en dialogue. x Pour plus d’information et pour l’horaire de la semaine, consultez le site du CEAD au www.cead.qc.ca ou appelez le (514) 288-3384. Les lectures publiques sont à 5 $ ou à 20 $ pour cinq. Le théâtre de la Licorne se trouve au 4559, rue Papineau, au coin de Mont-Royal.


30 novembre 2004 x Le Délit

cultureartsvisuels

Affichez-vous!

13

Les Bains Mathieu de Montréal nous offrent le premier Forum International de l’Affiche, une expo surprenante, mais peu annoncée, comprenant les deux cent cinquante meilleures œuvres de la Biennale de l’Affiche du Mexique depuis 1990, concours d’intérêt international qui rassemble chaque année les grands noms de la production publicitaire d’affiches. Émilie Beauchamp

V

ous connaissez la Biennale de l’Affiche du Mexique? Vous savez, ce grand concours qui englobe des producteurs d’affiches de toutes les régions du monde sur tous les sujets inimaginables… Pas très surprenant que vous ne connaissiez pas, car Les Bains Mathieu de Montréal nous l’offrent pour la première fois, en une expo des quelque deux cent cinquante meilleures affiches du festival mexicain depuis le début de la dernière décennie. Le Forum International de l’Affiche (ou FIA), car l’événement fut nommé ainsi, naquit d’une collaboration entre le Publicité Club de Montréal et la célèbre biennale d’Amérique centrale, qui nous promettent «un événement haut en couleurs et… en émotions!» Couleurs, il y en eut certes pour ma part, car plusieurs affiches sont de vraies œuvres d’art et l’envie de rapporter l’une de ces merveilles pour décorer le salon terne de mon appart m’a indubitablement traversé l’esprit. Mais mes émotions étaient malheureusement assombries par un éclairage inadapté aux angles de

la pièce et particulièrement sombre, ce qui m’empêchait évidemment de voir plusieurs détails et écritures et qui m’aurait permis, entre autre, de comprendre ce que les affiches affichaient réellement. Doublé du fait que certaines affiches se trouvaient à plus de quatre pieds de ma tête et que la musique d’ambiance anéantissait justement tout ce qui aurait pu créer une atmosphère, je dois avouer que je suis sortie un peu déçue de cette première. Mais aussi serez-vous plus chanceux que moi et tomberez-vous sur l’une des soirées où l’on attend quelque deux cent cinquante professionnels du milieu et où deux conférenciers de notoriété internationale (de nom inconnu pour l’instant) présenteront leur approche artistique et l’évolution de l’affiche dans leur pays. Ce qui promet beaucoup évidemment, mais malheureusement aucune date spécifique n’est donnée… Néanmoins, les Bains Mathieu de Montréal sont un espace surprenant et inusité et auraient pu parfaitement accommoder l’exposition si ce n’avait été la disposition totalement non réfléchie des œuvres et

cultureartsvisuels

Israël/Palestine, de l’Israélien Yossi Lemel (2002)

l’éclairage plutôt nul. Malgré tout, et je dois le répéter, les affiches sont véritablement des merveilles. Chapeau aux organisateurs du FIA pour avoir rassemblé pour la première fois au Canada autant d’affiches internationales récipiendaires des prix renommés de la biennale mexicaine et venant des meilleurs créateurs de plus de cinquante pays. Tous les thèmes de l’actualité sont représentés: préservation de la faune et de la flore, terrorisme, anti-guerre, conflits mondiaux, promo pour la paix, exploitation des enfants, consommation et publicité de pièces connues, tout y passe et est rassemblé en catégories (non distinctes mal-

Des Russes Alexander et Seltana Faldin, Tabagisme (1999).

heureusement). Des œuvres de graphisme prodigieuses qui nous font découvrir le milieu de l’affiche et tout le pouvoir qu’un bout de toile peut avoir. La plupart sont percutantes de vérité, d’autres sont plus subtiles, alors que plusieurs sont dramatiques quoique l’on peut trouver de l’humour dans certaines. Bref, il est frustrant de voir une mauvaise organisation ruiner en quelque sorte le grand potentiel de cette exposition. Avec plus de publicité et plus d’éclairage, le tout aurait été un succès, car il en faut peu pour illuminer ces pièces par elles-mêmes illuminantes, tout comme il a été facile de ne pas les

mettre à leur avantage en ce qui concerne mon expérience. Mais si vous ne vous laissez pas démonter par ma froideur face à l’organisation de l’exposition, tentez votre chance pour admirer des affiches qui sont bien plus que de malheureux posters et qui frappent juste sur les sujets percutants de l’actualité. x Le Forum International de l’Affiche est présenté jusqu’au 2 décembre aux Bains Mathieu de Montréal, 2915, rue Ontario Est. Pour plus d’information, tapez le www.pcm.qc.ca ou essayez le (514) 523-3265.

Sans dessus-dessous

Le Musée McCord présente l’exposition Tours de table, qui se penche volontiers pour voir ce qui se passe sous la nappe… Flora Lê

D

e tous temps, la table a servi de rassemblement lors des repas. Couverts, objets décoratifs, bonnes manières, convives, gestes de service, plats et boissons sont les éléments qui donnent vie à cette table mais surtout lui donnent son ancrage social. C’est qu’il ne s’agit pas uniquement de manger autour de cette table: elle devient successivement le lieu d’éducation parentale, le lieu des tête-à-tête intimes, ou encore celui des négociations d’affaire féroces, ou lieu non plus de détente, mais de travail pour le serveur. C’est autant de mondes différents que l’exposition McCord désire faire découvrir avec Tours de table. Une première partie de l’exposition s’intéresse bel et bien à ce qui a, au travers des siècles, constitué les couverts. Et si manger nous paraît indissociable du fait d’être attablé, ce ne fut pas toujours le cas. C’est au Moyen Âge que l’on a pensé pour la première fois à faire une sorte de table à l’aide de planches posées sur un tréteau afin de disposer le repas devant soi. C’est en souvenir de cette première invention que nous conservons les expressions «mettre la table» ou encore «dresser la table». On y apprend ensuite que le fait d’échapper du sel sur la nappe portait malheur alors que ce condiment ne se retrouvait, au XVIIe siècle, que sur la table des mieux nantis. De même la carafe pour les liquides n’est pas une invention française: elle a été empruntée à la culture arabe. Et d’ailleurs boire pendant ou après le repas était régulé par des conventions culturelles: selon le pays, les habitudes changeaient beaucoup. Parmi les pièces majeures présentées, mentionnons un service de vaisselle en porcelaine à motif Latona (1955) à feuilles d’or 22 carats ayant appartenu à Maurice Duplessis, et un service de six couverts en porcelaine fine peinte à la main, offert par le président américain Hayes à Sir Adolphe Chapleau, lieutenant-gouverneur du Québec (1880). À ces pièces de collections exceptionnelles s’ajoutent d’autres services de vaisselle,

Découvrez les dessous de la table à l’exposition Tours de table au Musée McCord.

des coutelleries, des services à thé, des verres, des vases, des chandeliers, un coupe-œuf (Tiffany, 1897), des nappes, des serviettes… Un jeu interactif vous propose d’identifier des objets de table inusités. Les quelques allusions à l’étiquette nous paraissent le plus souvent amusantes aujourd’hui. Saviez-vous que si vous recevez à votre table, vous devez éviter les nombres impairs de convives? Il faut alors respecter l’alternance homme-femme autour de la table, séparer tous les couples, sauf ceux mariés depuis moins d’un an. La serviette se place sur l’assiette le soir,

mais sur la fourchette au déjeuner, et l’assiette devrait se trouver à un ou deux centimètres du bord de la table. Évidemment, tous les plats doivent être servis à gauche, mais les boissons par la droite. Et bien sûr, on ne commence à manger que lorsque la maîtresse de maison a fait tel. Et si on vous a apporté des chocolats comme présent? Il faut les offrir avec le café, qui n’est pas servi à la table, mais bien au salon. D’ailleurs, il serait interdit d’apporter un cadeau lors de la première invitation, mais obligatoire pour les célibataires. Et pour les fumeurs? La convention dit que l’on ne fume qu’au service des fromages… Et Mme la Baronne de Rothschild nous raconte que Nicole Halphand, ambassadrice de France à Washington, lui a appris qu’au premier plat, on converse avec son voisin de droite, au second plat avec son voisin de gauche et au dessert, on bavarde avec qui l’on veut. Mais sous le couvert de conventions et de rituels, de manières contraignantes et de politesse feinte, se dissimule un univers de passions, d’émotions et de sensations. Car si la table s’est tellement vue contrôler et codifier, c’est qu’un risque courait sous la nappe… Par quatre installations audio-visuelles, on découvre ce qui se cache véritablement sous la table, ce qui se trame là où les regards indiscrets ne sont pas admis. On y découvre, en acquiesçant de la tête, la confrontation des passions et l’exercice d’un certain pouvoir, qui étonne et ne surprend pas tout à la fois. Alors refont surface les enjeux de ce moment de rassemblement et de partage, qui vous fera repenser votre prochain souper en amoureux… x Tours de table est présenté au Musée McCord d’histoire canadienne, 690, rue Sherbrooke Est, (514) 398-7100. Fermé les lundis. Entrée au coût de 5,50 $ pour les étudiants. Pour plus d’information, naviguez sur www.mccord-museum.qc.ca.


14 Le Délit x 30 novembre 2004 culturespectacle

Un mauvais show, ça fait parfois du bien. Badly Drawn Boy a tout raté pendant son spectacle, le 24 novembre dernier. Eleonore Fournier

M

ercredi soir, au Club Soda, j’ai vu le pire show de ma vie: Badly Drawn Boy. Pathétique dès le début, le chanteur, Damon Gough s’est progressivement saoulé la gueule pour rater ses meilleurs singles, en titubant. L’avant-dernier disque du groupe avait été original, agréable à écouter et avec des morceaux créatifs et engageants. Malheureusement, l’audience a appris que ce n’était pas le cas pour sa nouvelle création: One plus one is one. Des paroles telles que «one plus one is one, together/ one plus one is one, forever» nous ont laissés sans réaction, si on ne compte pas les fous rires causés par le rot du chanteur dans le micro. Pendant le premier set du

show, le chanteur nous a gracié d’un monologue sur Bruce Springsteen, incompréhensible et beaucoup trop long (j’ai eu le temps d’aller aux toilettes et d’acheter de la bière avant qu’il n’en vienne au bout). Un peu plus tard, il a recommencé avec un discours sur les poissons rouges, mais des regards noirs de la part de ses musiciens l’ont fait taire. Pourtant, le chanteur a une très belle voix, et joue plutôt bien du piano électrique et de la guitare. De plus, les musiciens qui l’ont accompagné étaient excellents: un violoniste et un violoncelliste de formation classique, un bassiste, un batteur et un flûtiste. Il y avait aussi un mec qui jouait de temps en temps du piano, mais qui était surtout là pour

faire rire la salle avec son gros ventre et sa chemise fluo. Ça a quand même marché quelques fois. «Vous êtes le meilleur public que nous avons eu depuis le début de la tournée», nous a dit Damon. J’ai été vraiment triste pour lui, car la salle s’est vidée de la moitié avant la fin du spectacle. C’est vrai que deux heures, c’était long. Par contre, ce serait faux de dire que tout le monde s’est endormi pendant le show. Une demi-douzaine de filles de dix-sept ans et un gars trop saoul ont formé un fan club assez dynamique, ce que le chanteur a bien apprécié, surtout quand il a essayé à plusieurs reprises de se pencher pour embrasser les filles. Il a eu bien du mal à se relever après…

Je peux quand même lui donner cela, il y avait quelque chose d’attachant dans sa façon de jouer avec le micro. Il avait l’air tellement triste et perdu que j’éprouvais de la pitié, et je voulais tant qu’il réussisse finalement à nous jouer une belle chanson. Je pense que ça devait avoir quelque chose à voir avec son accent anglais. Enfin, il était quand même bon si on compare Badly Drawn Boy au groupe d’ouverture, qui lui était pire que pathétique. Je ne me souviens plus du nom du groupe, mais ça ne vaut pas la peine d’en parler. C’était un duo de Manchester qui imitait sans grand succès Oasis et Radiohead, le genre de gars que l’on imagine tous seuls chez eux en train de jouer de la

guitare en pleurant et en se demandant où sont passés leurs amis. Le pire dans cette histoire, c’est que je me suis vraiment amusée pendant le spectacle; en fait, j’ai rarement tant ri. Un fou rire hystérique m’a secouée pendant tout l’acte d’ouverture, et après avoir reçu plusieurs regards énervés, j’ai réussi à me calmer un peu quand Badly Drawn Boy est entré sur scène. Pourtant, dès que le chanteur a commencé à se griser, mon rire a repris de plus belle, et je dois dire que ça a fait du bien. Finalement, je peux le dire: merci, Badly Drawn Boy. x

culturemusique

Loco Locass: Contrôle d’identité

Après avoir secoué le paysage musical québécois avec leur premier album Manifestif, Loco Locass revient à la charge avec un deuxième album, Amour Oral. Un album qui dépasse toutes attentes. Alexandre Vincent

«

Loco Locass réitère, au nom d’la nation, son intention de garder une attention constante sur les tensions». Je ne pouvais mieux résumer ce qu’est le nouvel album de Loco Locass, Amour Oral. Les cibles sont encore une fois multiples; la politique d’ici et d’ailleurs («W Roi», «Libérez-nous des libéraux») notre vision du peuple américain («Antiaméricanisme primaire»), le vide qui nous aspire («Spleen et Montréal») et notre cannabis québécois («Bonzaïon»).

dans sa fibre, n’ait jamais fait d’un point de vue artistique de chanson sur l’indépendance. Il y a sûrement des gens qui ne croient pas à l’indépendance du Québec dans son public, mais qui se laisseraient convaincre si c’était Éric Lapointe qui leur expliquait». Et il faut dire que la diffusion est un facteur qui a beaucoup changé depuis quelques années. Aujourd’hui, plus que jamais, l’information (ou une chanson) voyage en temps réel. C’est pourquoi les gars de Loco Locass apportent une attention particulière à la tribune. Eux, qui depuis deux ans, côtoient de plus en plus d’artistes établis, trouvent dommage que ces artistes ne prennent pas position sur

l’échiquier social. «Quand tu es un artiste, dit Biz, tu as une tribune et je trouve bien plus pertinent que tu l’utilises pour défendre des convictions personnelles». Est-ce que les gars exigent de tous les artistes souverainistes de monter aux barricades demain matin? Non. «L’engagement social, rétorque Biz, ce n’est pas juste au niveau de la souveraineté. C’est à propos de plein d’affaires. Présentement, les artistes utilisent leur tribune, leur notoriété pour vendre des chars et des laveuses. Moi, je trouve ça pathétique». Eux-mêmes ont été approchés par Bell et Vidéotron entre autres, soit pour supporter leurs produits ou utiliser leurs chansons dans des publicités.

L’engagement toujours au cœur du propos Eux qui ont fait les manchettes grâce à leur chanson «Libérez-nous des libéraux», ils sont encore éblouis du phénomène. «C’est quand même extraordinaire, nous dit Biz, que les gens puissent lever le poing et scander «Libérez-nous des libéraux!» Y’a aucun pays au monde qui offre cette possibilité. Il y avait même l’appui des médias à grand tirage. C’est extraordinaire, dans le sens de pas ordinaire». Il est vrai qu’il est totalement paradoxal qu’on leur trouve comme défaut de prendre position quand globalement, on se reproche de ne pas prendre position dans une société de consensus. «D’un point de vue mercantile, ajoute Biz, je peux comprendre qu’il y a des artistes qui ne prennent pas position, par contre je m’explique mal qu’un gars comme Éric Lapointe, qui a été un mili- Loco Locass sera en spectacle le 2 décembre prochain dans le tant du PQ, qui est souverainiste cadre de l’état d’urgence ATSA.

«Quand nous sommes porte-parole des Francouvertes, c’est de la pub. Parce que c’est un produit auquel on croit. Si on nous demandait de faire de la pub pour Budweiser, je dirais non. Mais de me faire commanditer mon spectacle par Boréal, de montrer l’étiquette et de dire au monde qu’on boit québécois, ça ne me dérange pas». La langue est une musique Il n’y a pas juste l’engagement qui caractérise Loco Locass. Leur façon de jouer avec la langue, de la manier, d’en faire leur principale arme de combat, est souvent à des lustres de ce que plusieurs artistes offrent présentement dans la bouche du public québécois. Oui, le flo est dense, le refrain n’est pas répété soixante-quatre fois et il y a beaucoup de paroles. Alors sortez le livret et lisez! Nous le faisions quand c’était un groupe punk qui beuglait des revendications sommaires. Pourquoi ne le ferions-nous plus maintenant? Allez-y, faites le maintenant. Biz, Batlam et Chaafik sont nés ici, vivent ici et parlent des réalités d’ici. C’est un autre aspect que j’adore chez eux. Ils s’adressent à un public d’ici. Même si les sujets sont parfois plus intellectuels, ils s’adressent tout de même à l’ado: «Quand je vois les stats, j’constate Qu’on est Québec et mat On joue pour le pat En traînant de la patte

Tu me trouves acide, le kid? J’essaie juste d’être lucide Parce que spermicide ou suicide Dans les deux cas, pour nous, c’est l’autogénocide Fa’que décide ou décède Chaque pouce d’identité que tu cèdes Nous mène humiliés, poings et pieds liés À la fatale fat assimilation» Je suis convaincu que si elle bénéficiait d’une plus grande diffusion, notre jeunesse écouterait plus de musique d’ici. Eux aussi, ils en sont convaincus. Selon eux, la plus grande qualité des Québécois, c’est leur côté pacifiste. «Tenace, mais pacifiste. Je trouve ça fascinant, affirme Chaafik, que dans une période aussi longue de lutte pour l’indépendance, le peuple québécois considère que la paix est plus importante que la politique». Du côté des défauts, Biz vise la mollesse, l’ambivalence du peuple québécois, tandis que Chaafik, lui, s’en prend au manque de fierté. «On ne s’aime pas assez. Aussitôt que quelqu’un nous taxe d’un certain défaut, nous l’acceptons. On pense qu’on est né pour un petit pain, quand dans le fond, l’avenir nous appartient». x Loco Locass sera en spectacle au Square Berri dans le cadre de l’état d’urgence ATSA, le 2 décembre prochain. C’est à surveiller. Pour en savoir plus, www.locolocass.net


30 novembre 2004 x Le Délit

critiquecinéma

Manque de sommeil

15

Un insomniaque maigre comme un clou tient la vedette de The Machinist. David Pufahl

L

a transformation physique d’acteurs dans le but d’un rôle en particulier devient de plus en plus populaire. On pense à Renée Zellweger pour son personnage de Bridget Jones et aussi à Charlize Theron pour Monster. Dans The Machinist, Christian Bale aurait perdu environ soixante livres (vingt-sept kilos) pour son rôle! D’ailleurs, le scénariste, lors de l’écriture de l’histoire, croyait que des effets spéciaux informatiques ou des costumes serviraient à nous montrer la maigreur hors du commun du personnage. C’était sans compter sur la volonté de Christian Bale et le résultat n’en est que plus saisissant. Trevor Reznik (Bale) est un homme taciturne et solitaire qui travaille comme machiniste dans une usine. Il n’a pas dormi depuis environ un an. Comme seule compagnie, il se paie les services d’une prostituée nommée Stevie (Jennifer Jason Leigh) et se rend au restaurant d’un aéroport pour discuter avec Marie (Aitana Sánchez-Gijón), une serveuse qui travaille là-bas. Mais

par une journée en apparence ordinaire, une distraction lui fait provoquer un accident à l’usine qui fera perdre un bras à l’un de ses collègues. Suite à cet événement, son comportement devient erratique et irréfléchi. Il en vient à croire qu’on désire sa mort et cherche à en confronter les complices. Étant donné qu’aucun financement d’une compagnie de production américaine n’a été possible, à cause du sujet trop délicat, ce film a été financé et filmé en Espagne. Mis à part quelques acteurs et actrices espagnols, dont le personnage de la serveuse, on ne remarque pas vraiment la différence. La langue parlée est l’anglais et les décors extérieurs font penser à n’importe quelle ville américaine. La direction photo, par contre, est loin d’être typique. Des teintes de couleurs sombres donnent au film une atmosphère très glauque. L’appartement miteux du protagoniste collabore aussi à cette atmosphère. En effet, il est à l’image du héros: pratiquement vide. La plus grande force du film est sans contredit son scénario.

L’intrigue est contée entièrement du point de vue du héros, qu’on pourrait qualifier en fait d’antihéros. En effet, il ne fait pas grand-chose de bienveillant autour de lui. Malgré cela, le scénario et la mise en scène font en sorte qu’on s’identifie à lui et qu’on s’y attache. On veut comprendre ce qui lui arrive en même temps que lui. Quand on finit par connaître la cause de son insomnie, on se sent illuminé comme devrait l’être le protagoniste. Après un rôle mémorable, il y a quelques années dans American Psycho, Christian Bale est de retour avec une interprétation qui dépend plus de son apparence physique que de son jeu d’acteur. Sérieusement, il n’a plus que la peau sur les os. Il agit comme un insomniaque maigre comme un clou devrait agir. Je suis convaincu que le régime par lequel il a dû passer pour ce rôle a contribué à son interprétation. Il a certainement dû souffrir pour en arriver là, et cette souffrance est transmise à l’écran. Aitana SánchezGijón, quant à elle, livre une performance attachante et les autres

Trevor (Christian Bale) croit qu’on veut sa mort dans The Machinist.

acteurs s’acquittent honorablement de leurs tâches respectives. The Machinist va sûrement passer à l’histoire comme étant la transformation physique la plus drastique jamais vue au cinéma. D’un autre côté, si le film ne tenait pas la route, cette transformation n’en aurait pas valu la peine. Cela aurait pu ressembler à Monster, un

drame qui traite son sujet comme le ferait un vulgaire téléfilm et qui est sauvé par l’interprétation magnifique de Charlize Theron. Heureusement, le résultat final de The Machinist est très satisfaisant. On est rongé par le suspense du début à la fin, l’atmosphère conférée au film nous trouble et l’interprétation est remarquable. x

critiquerestos

Ah! Bien boire et bien manger! Payez-vous une belle petite soirée pour relaxer vos nerfs tendus par la fin de session en débutant avec une bière à la brasserie artisanale Dieu du ciel! suivi d’un excellent poulet au restaurant portugais Chez Jano. Marie-Noëlle Bélanger-Lévesque

B

on! Après deux semaines d’enfer à écrire des essais, je me suis trouvée une soirée de libre et une gardienne: enfin je sortais! Je voulais essayer cette brasserie qui mérite les éloges de tous les sites Internet dédiés aux buveurs de bière: Dieu du Ciel! qui brasse des bières d’excellente qualité depuis son ouverture en 1998. Bien que la musique n’y soit pas géniale, l’ambiance pub, sombre et enfumée, m’a agréablement surprise. À mon arrivée, la quantité de bière en bouteille offerte m’a un peu déconcertée, ne sachant pas trop par où commencer. Mais j’ai vite aperçu le tableau noir annonçant le menu des bières en fût et une serveuse est venue me conseiller selon mes goûts. C’est cela qui est génial chez Dieu du ciel!: il y a une telle diversité qu’il est impossible de ne pas trouver ce que l’on cherche. D’un autre côté, il se peut, tout simplement, que vous n’aimiez pas la bière devant vous, comme mon copain avec cette bière au poivre nommée La route aux épices. Connaisseurs de bière artisanale ou pas, tous en ont pour leur argent surtout avant 19 h

où la pinte (20 oz) est offerte à 4 $. La bouffe, composée de n’importe quoi de simple et de bon avec de la bière, est aussi très bien: mon copain et moi avons dégusté une assiette de cinq fromages québécois à deux, mais nous avons décidé de souper ailleurs. À dix minutes à pied de là se trouve un resto de grillades portugaises où je voulais retourner: Chez Jano. La marche aurait été agréable si ce n’avait été la pluie torrentielle! Arrivés trempés, après avoir entraperçu le chef dans la vitrine extérieure, nous sommes vite entrés. Même pour un mercredi, la salle était bondée (une réservation est toujours une bonne idée Chez Jano), mais en deux minutes, on nous avait assigné une table, et déjà la senteur des grillades sur la braise et l’atmosphère chaleureuse nous avaient réchauffés. Un serveur, toujours très courtois et souriant, nous apporte le menu. Bien que tout à la carte, les poissons, les fruits de mer, la caille ou autres viandes, ait l’air délicieux, je savais ce que je voulais: le réputé poulet mariné et cuit sur la braise, servi avec de délicieuses

frites et une sauce piquante à appliquer avec parcimonie. C’est LE plat à essayer d’autant plus qu’il est abordable (8 $), tout comme le sont tous les plats entre 10 et 15 $. Pour ceux qui doivent surveiller leur budget ou leur ligne (car tout est gras, je l’avoue), on peut aussi partager une assiette à deux pour 1,50 $. Mais il faut, dans tous les cas, goûter à ces grillades. Vous méritez tous une telle soirée, que ce soit pour célébrer la fin de session ou le temps des fêtes qui approche. Alors gâtez-vous! x La brasserie Dieu du ciel! est ouverte de 15 h à 3 h tous les jours, au 29, Laurier Ouest, au coin de SaintLaurent (métro Laurier).Visitez son site Internet au www.dieuduciel.com pour consulter son menu et tout plein d’information sur la bière. Le restaurant Chez Jano est ouvert tous les jours entre 16 h et minuit. Il est situé au 3883, rue Saint-Laurent, près de Saint-Cuthbert (métro Sherbrooke). Pour toute information ou réservation (je vous le suggère), téléphonez au (514) 849-0646.

Enfin une vraie bonne bière chez Dieu du Ciel!


16 Le Délit x 30 novembre 2004 bédé

Savath & Savalas Le projet de Mañana collaboration entre (Warp Records) Eva Puyuelo Muns et Scott Herren (alias Prefuse 73), Savath & Savalas, vient de lancer la suite de son magnifique premier disque Apropa’t (2004). L’album, simplement intitulé Mañana, poursuit dans la même lignée que son prédécesseur et présente donc huit pièces de musique électronique inspirées du folklore brésilien. Effectivement, Scott Herren avoue que la musique de Savath & Savalas est grandement influencée par le Tropicalia, important mouvement musical brésilien de la fin des années 60 dont certains des principaux acteurs sont Lô Borges et Milton Nascimento. Comme la majorité des parutions de Scott Herren, Mañana débute avec une courte pièce instrumentale destinée à plonger l’auditeur dans l’atmosphère appropriée en introduisant les caractéristiques stylistiques principales de l’album. «Interludio Inconcreto» réalise donc son intention en incluant une instrumentation variée, la douce voix d’Eva Puyuelo Muns, les manipulations sonores de Scott Herren ainsi qu’un air mélancolique prédominant. Le disque enchaîne avec «Sota L’Aigüa», une chanson typique de Savath & Savalas dans laquelle les envolées rythmiques rappellent Prefuse 73 et Tortoise. Mañana conclut avec le point culminant de l’ensemble de l’œuvre de Savath & Savalas, la stupéfiante «Equipatge De Flors Seques». En effet, la beauté et la tristesse de cette pièce ainsi que l’étonnant mélange sonore représente une symbiose musicale absorbante et prenante entre la richesse de la musique brésilienne et les possibilités de la musique électronique actuelle. x Pascal Sheftesty


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.