Le seul journal francophone de l’université McGill.
Volume 94, numéro 13
Le mardi18 janvier 2005
www.delitfrancais.com
Le syndrome de la page brune, depuis 1977.
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Le Délit x 18 janvier 2005
L’AÉUM
sous observation Jean-Philippe Dallaire
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uelques mois après la démission à la présidence, le président par intérim de l’AÉUM, Andrew Bryan, se dit satisfait du bilan de l’organisation. Selon M. Bryan, les membres du comité exécutif ont su mener la transition vers une équipe réduite de façon efficace, bien qu’il affirme avoir lui-même dû assumer des tâches plus lourdes que ce qui avait été initialement prévu. En entrevue de début de session au Délit, M. Bryan a discuté des nombreux dossiers sur lesquels il avait dû se pencher au cours de la dernière session, ainsi que ceux qui lui semblaient prioritaires pour l’hiver. Parmi ceux-ci, Andrew Bryan semblait grandement satisfait des avancées dans le dossier des cafétérias au cours du dernier semestre. En effet, suite aux pressions des
Entretien avec Andrew Bryan
Le vice-président par intérim de l’AÉUM trace un bilan positif de la session d’automne. étudiants et des professeurs au Sénat de l’Université, l’instance mettra sur pied un comité responsable de l’ensemble des services auxiliaires (librairie, stationnements, cafétéria, etc.). Bien que ce comité n’ait pas de pouvoir décisionnel, il devrait permettre à l’ensemble de la communauté universitaire de s’exprimer sur des questions qui relevaient jusqu’à maintenant essentiellement de la prérogative de la direction de l’Université. Celleci considèrerait en effet que ces services sont des entreprises séparées de ses structures habituelles de gouvernance. Ce nouveau comité devrait donc ajouter un forum de consultation parallèle au processus Dinning at McGill, par lequel la communauté universitaire est présentement consultée sur l’avenir des concessions alimentaires sur le
campus. Le président par intérim a aussi indiqué que certains dossiers amorcés à l’automne suivaient toujours leur cours. Il en est ainsi par exemple de son projet de discuter avec l’Université de la possibilité d’intégrer les étudiants aux comités de permanence des professeurs. Selon M. Bryan, une telle présence permettrait aux responsables de l’octroi des permanences la possibilité d’obtenir plus de données sur un des critères de sélection, soit la qualité de l’enseignement. M. Bryan a aussi pour projet de travailler à l’uniformisation des pratiques de conseil pédagogique
des différents départements. En effet, il désire voir ceux-ci confier ces tâches à des personnes s’y consacrant à temps plein, comme cela se fait présentement dans certains départements. Il déplore que ces fonctions soient parfois assumées par des professeurs, alors que ceuxci n’ont pas nécessairement tout le temps nécessaire à y consacrer. Selon lui, l’Université serait ouverte à sa suggestion, bien que la question de son financement puisse poser problème. Un autre dossier en cours est celui de la distribution des fonds aux bibliothèques. M. Bryan participe actuellement au
processus décisionnel devant mener à la distribution des fonds perçus à cet effet auprès des étudiants, et souhaite connaître leur opinion sur les améliorations à apporter aux services donnés par les différentes bibliothèques. Il invite ceux-ci à lui transmettre leurs suggestions par courriel. Enfin, le vice-président par intérim a indiqué que deux dossiers devraient selon lui se conclure d’ici la fin de l’année: celui de la lettre d’entente entre l’AÉUM et l’Université ainsi que celui de la politique sur l’équité. x
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18 janvier 2005 x Le Délit
éditorial
Drames humains ou naturels
Le Délit Le journal francophone de l’université McGill 3480, McTavish, bur. B-24 Montréal (Québec) H3A 1X9
Valérie Vézina
Rédaction: (514) 398-6784 Publicité: (514) 398-6790 Télécopieur: (514) 398-8318
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ause-café. Petit moment de bonheur alors qu’on était dans le rush à mon travail. J’étais assise à siroter mon café, la grande fenêtre de la salle d’employés m’invitant à jeter un coup d’œil à l’extérieur pour me plonger au cœur du VieuxMontréal. Mais mon regard furtif tomba sur un exemplaire du Voir de la semaine qui traînait sur une table. Quinze minutes à passer seule, aussi bien les passer à feuilleter ce journal. Le Voir, je le lis, mais que pour la section Nouvelles/Société. Pas que la culture ne m’intéresse pas; loin de là, j’ai mon abonnement au théâtre et j’adore expérimenter des nouveaux trucs. Certains seront d’accord avec moi, Richard Martineau, avec «Ondes de Choc», a souvent le don de dire les choses… qui choquent, mais tellement vraies en même temps. Son sujet de la semaine, vous le connaissez déjà trop bien: les tsunamis. Martineau aborde le sujet en soulevant cette cruelle question: à savoir pourquoi la société, pourquoi vous, pourquoi moi, on donne sans hésiter aux victimes du tsunami, mais non pas aux victimes du SIDA en Afrique, etc. Et c’est là que Martineau déclare que la différence est dans ce que les gens «voient». On voit les images du tsunami: la souffrance est directe, sans équivoque. Dans le cas du SIDA, l’effet est beaucoup moins direct et trop éloigné. Il en va de même pour les victimes d’incendie, en comparaison avec les femmes battues. Et Martineau continue ainsi… encore et encore. Ça m’a fait réfléchir. Beaucoup. La lecture de cette chronique a dégagé en moi deux impressions. La première: il a tellement raison. Enfin, je ne veux en rien dénigrer l’effet tragique des tsunamis, pas plus que je veux rabaisser votre geste. Votre poignée de monnaie donnée à Oxfam ou autres sera certes fort utile. Mais, déjà, avant même de lire Martineau, j’avais cette frustration enfouie en moi; celle que tout cela était fort injuste pour tous les autres «drames» du monde. Dieu merci à Martineau qui a réussi à divulguer très exactement ce que je ressentais. Deuxième impression face à la chronique: c’est tellement injuste. En fait, même le mot «injuste» n’est pas assez fort pour décrire mon sentiment. J’avais vraiment l’impression par les exemples qu’il donnait
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Jack et le français
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rédactrice en chef Valérie Vézina chef de pupitre-nouvelles Philippe G. Lopez chef de pupitre-culture Flora Lê rédacteur-reporteur Eleonore Fournier coordonnateur de la mise en page David Drouin-Lê coordonnateur de la photographie Éric Demers coordonnateur de la correction Julien Vinot chef illustratrice Jany Lemaire collaboration Alexandre de Lorimier Laurence Bich-Carrière Jean-Philippe Dallaire Félix Meunier David Pufahl Agnès Beaudry Borhane Blili-Hamelin Alexandre Vincent Marie-Noëlle Bélanger-Lévesque Léa Guez Ynès Wu Philippe Mannasseh Jean-Loup Lansac Jasmine Bégin Marchand
que celui qui est confortablement assis dans son sofa préfère le «spectaculaire» au réel, comme si les catastrophes quotidiennes n’existaient pas, comme si l’enfant atteint du SIDA, la femme battue étaient relégués en arrière-plan, comme si tout le monde se foutait d’eux. Et c’est un peu ça après tout: la douce indifférence ou plutôt ignorance. Et c’est là que le blâme est difficile à donner à quelqu’un en particulier. Oui, j’en veux à tous ceux qui donnent sans compter pour le tsunami, mais qui «oublient» que des milliers de gens meurent de faim, de soif chaque jour. Oui, j’en veux à ceux qui ferment les yeux sur les problèmes de leurs voisins dont les cris ne les dérangent même plus. J’en veux aussi à nous, les médias, pour avoir couvert les tsunamis et toutes ces histoires de familles en vacances là-bas, etc., nous qui faisons rarement de reportages sur les effets catastrophiques du
SIDA (mis à part pour nous mettre à jour dans les statistiques. Mais, on ne le dira jamais assez: une image vaut mille mots. Or comment toucher le commun des mortels assis devant son petit écran avec des chiffres?). Il faut qu’on m’explique. Ça me dépasse. Entre deux drames, choisira-t-on toujours le plus spectaculaire? Tout de même, le drame des tsunamis a su révéler (peut-être?) une chose: que l’homme ne peut dominer la nature.Vous me direz qu’on le savait déjà, mais bon, j’essaie de voir du positif en toute chose! Sérieusement, il est vrai que les catastrophes naturelles aussi impressionnantes et destructrices soient-elles n’en demeurent pas moins un bon moyen pour se rendre compte que la Nature existe et que l’on ne peut pas la contrôler. La Nature est grande et l’homme, aussi humain soit-il, quand la Nature gronde, demeure encore un grand mystère… x
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Le retour du Chat Prodigieuse
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Les fiançailles d’un toutou
Les réunions du Délit ont maintenant lieu le lundi. Passez au local B-24 du Shatner, et ce dès 16h.
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gérance Pierre Bouillon publicité Boris Shedov photocomposition et publicité Nathalie Fortune Conseil d’administration de la Société de Publication du Daily: Emily Kingsland, Eugene Nicolov, John Jeffrey Wachsmuth, Daniel Cohen, Valérie Vézina, Joshua Ginsberg
L’usage du masculin dans les pages du Délit français vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Le Délit français est publié par la Société de publications du Daily. Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et illustrations dont les droits avaient été auparavant réservés, incluant les articles de la CUP). Les opinions exprimées dans ces pages ne reflètent pas nécessairement celles de l’Université McGill. L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal. Imprimé par Imprimerie Quebecor, St-Jean-sur-Richelieu, Québec. Le Délit est membre fondateur de la Canadian University Press (CUP) et de la Presse universitaire indépendante du Québec (PUIQ). Imprimé sur du papier recyclé. ISSN 1192-4608
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04 Le Délit x 18 janvier 2005 nouvellesinterational
Rétrospective (tardive) de 2004 Résumé des grands événements de l’année en toute humilité. Jasmine Bégin Marcharnd
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t voilà! Il est revenu, le temps de l’année où on se serre tous la main, satisfaits, en se disant: Ouf, une autre de passée! Afin de garder espoir pour l’année à venir, on a tendance à ne pas regarder en arrière, à ignorer ce qui s’est passé. Mais qu’à cela ne tienne. Il faut se rappeler, ne seraitce que pour mieux comprendre ce qui nous a marqués. Commençons par un sujet qui ne nous a pas épargnés cette année, soit l’environnement. Étant donné le réchauffement de la planète se faisant de plus en plus alarmant en 2004, les experts prévoyaient une année chargée en phénomènes météorologiques. Comme de fait, le 26 août, un violent ouragan frappe les Bahamas et les États-Unis avec des vents pouvant aller jusqu’à 233 Km/h. Les états du Sud ont souffert trois fois plutôt qu’une: Frances fût précédée de Charley, et suivie d’Ivan. Quelques semaines plus tard, les 17 et 18 septembre, c’est le tour d’Haïti, sur qui déferle une tempête tropicale déversant de lourdes pluies qui causèrent d’importantes inondations, suivies de centaines de morts. Les pays du monde se serrent les coudes afin d’apporter un peu d’aide à ce pays dévasté. Enfin le 26 décembre, un gigantesque tsunami se déverse au large de l’île de Sumatra, en
Indonésie. Ce tsunami, précédé d’un tremblement de terre de force 9 sur l’échelle de Richter, a fait à ce jour plus de cent mille morts en Indonésie, et au total plus de cent cinquante mille morts. Sur le plan international maintenant, quelques grands événements ont su nous garder en haleine, les yeux braqués sur notre écran de télévision. Le 27 avril, la terre entière retient son souffle et avec raison: en Chine, on compte un nombre de cas probables de SRAS. Attention à tous ceux voyageant entre Toronto et Vancouver. La Chine est en pénurie de petits masques blancs ou bleus. Tout le monde craint que le SRAS devienne une épidémie dévastatrice. Mais cette crise est contrôlée, et Toronto, afin de redorer sa réputation, invite de multiples artistes à participer à un méga concert. Le mardi 11 mai est présentée la décapitation de Nick Berg sur les chaînes de télévision américaines. Ceci n’est que le début des histoires d’horreur en Irak. Les commandos continuent à menacer des individus, demandant aux pays de retirer leurs troupes d’Irak en échange de la vie de l’otage. Peu ont été sauvés. Le 3 septembre, le monde connaît un autre jour sombre: à Beslan, en Ossétie du Nord, des
rebelles Tchétchènes prennent une école primaire en otage. On compte trois cents morts et sept cents blessés. En Ukraine, un pas de plus est fait vers la démocratie. Suite à des élections le 21 novembre déclarées frauduleuses, le candidat de l’opposition Victor Iouchtchenko conteste les résultats et demande à recommencer le processus sous une stricte observation. Le 26 décembre, date de la deuxième élection, Iouchtchenko obtient la majorité contre son rival Victor Ianoukovitch. Plus près de chez nous,est lancée
la campagne électorale américaine et tous écoutent anxieusement les bulletins de nouvelles: il semblerait que tous les habitants de tous les pays aient leur mot à dire. Mais les Américains ne sont pas le reste du monde et malgré les nombreux reproches que l’on a fait à Bush et le documentaire de Michael Moore, le 2 novembre, les Américains votent Bush. Peu après, le 11 novembre, Yasser Arafat, le chef de l’Autorité palestinienne meurt dans un hôpital d’une banlieue parisienne. On s’attend à des changements dans le conflit israélo-palestinien.
Et enfin, sur le plan national, on compte un bon nombre d’événements qui ont fait les manchettes, à commencer par le bruyant scandale des commandites. C’est le 10 février que la vérificatrice générale Sheila Fraser a annoncé au public ses conclusions sur le programme des commandites. Plusieurs chefs de compagnies ont dû verser une lourde amende, mais même à ce jour, personne n’est tenu pour responsable. Mystère. Ce scandale a fait des vagues énormes qui ont assombri la campagne électorale nationale. Jusqu’au 28 juin, le Parti libéral a dû rendre des comptes, faire face au candidat conservateur Stephen Harper et essayer de tempérer les interventions fougueuses de Gilles Duceppe. Le résultat fut un gouvernement minoritaire, le premier depuis 1979. Enfin, suite à la fusion de plusieurs villes du Québec, certaines villes ne veulent pas faire partie de l’équipe. C’est donc le 20 juin que se tient un référendum afin d’amorcer la défusion. Ceci étant fait, la grande ville de Montréal, ainsi que plusieurs autres, furent amputées. Voilà qui résume, brièvement et partiellement, l’année 2004. Et en passant, Bonne Année! x
nouvellesconférence
Et si les os parlaient
Kathy Reichs: de l’anthropologue à la romancière… Valérie Vézina Kathy Reichs. Ça vous dit peut-être quelque chose? Non, vous ne vous trompez pas. Dans la gamme des romans policiers, les «polars» de l’heure, la best-seller ces temps-ci n’est nulle autre que cette anthropologue de renom. Les fans de cette romancière s’étaient levés tôt dimanche pour assister à une conférence donnée par leur auteure préférée. C’est donc dans la grande salle du Imax au cœur du Vieux-Port que Kathleen J. Reichs, mieux connue sous le simple nom de Kathy Reichs, est sorti de l’ombre. Je dois vous l’avouer, je n’ai lu aucun roman de Mme Reichs. Aucun, nada, niet. En achetant mon billet pour assister à cette conférence, c’est l’anthropologue judiciaire que j’allais voir. Et quel métier fascinant que ce dernier. Humblement, Kathy Reichs a livré les grandes lignes de son travail. Laquelle profession n’est pas donnée à tout le monde. D’abord, il faut savoir que ce métier s’intéresse particulièrement aux os. Un anthropologue judiciaire a trois grandes tâches. La première est la récupération des os. Cela peut avoir lieu
par hasard, par exemple, si lors d’une balade en forêt vous tombez sur des ossements, une équipe se déplacera pour les récupérer, laquelle aura en son sein des anthropologues judiciaires. Parfois, il faut aller chercher les os dans les tombes. La deuxième tâche consiste à l’identification. Il est primordial de savoir s’il s’agit bel et bien d’ossements humains. Ensuite, on s’enquiert à déterminer depuis quand la personne est morte, quel était son profil biologique, etc. Enfin, la troisième tâche consiste à l’analyse du traumatisme, à savoir ce qui a causé la mort de la personne. Macabre, le métier l’est certes, et Kathy Reichs l’admet. Elle en parle toutefois avec tant de passion que j’ai quasi-eu envie de me recycler dans cette branche. Une fois les grandes lignes de son boulot dévoilées, Kathy Reichs, l’écrivaine s’est confiée. Passant en revue chacun de ses romans, elle dit vouloir faire découvrir aux lecteurs un aspect nouveau et différent de l’anthropologie judiciaire dans chacun d’eux, soit par une nouvelle sorte d’analyse des os, de reconstruc-
tion de scènes de crime, de nouveaux lieux, etc. Elle soutient que les idées lui proviennent de son métier, des expériences qu’elle a vécues. Toutefois, par souci d’éthique, elle change le nom des personnages, les détails, les lieux; ce qui en fait des romans de fiction basés sur le réel. Et quand on lui demande si un jour elle va manquer d’idées pour ses romans, elle répond qu’elle a des boîtes de «cas» chez elle et qu’elle ne risque pas de manquer d’imagination de sitôt. Bref, une rencontre enrichissante, qui remet le cœur à la bonne place (certaines photos qu’elle montrait avaient de quoi vous mettre à l’envers) et qui nous permet de découvrir l’humaine derrière la grande anthropologue et écrivaine… x Pour en savoir plus sur Kathy Reichs, l’anthropologie judiciaire ou par simple curiosité, consultez le www.kathyrechs.com. Kathy Reichs vous salue.
18 janvier 2005 x Le Délit
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nouvellesfédéral
Pourquoi Jack Layton parle-t-il le français comme une vache espagnole? Et le calendrier trilingue anglais-grec-mandarin qu’il vient d’offrir à ses électeurs passe assez mal auprès de ses 8 p. cent de partisans québécois. Laurence bich Carrière
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Jean-Loup Lansac
Maigrir L es fêtes, c’est bien connu, ça fait grossir. Prenez les Américains, tiens. Ils s’apprêtent à fêter cette année leur 209e anniversaire et, comble de hasard, le poids moyen, en date du 4 juillet prochain, sera également de 209 livres. De telles coïncidences, on n’avait pas vu ça depuis l’alignement des pyramides incas avec les points cardinaux.Vous vous souvenez, le truc des coins du machin qui pointent le nord, le sud, l’est comme l’ouest? Bon, voilà, vous voyez l’image, quoi! Les paresseux pourront arrêter de suite, parce que l’image vaut mille mots alors que cet article n’en contient, au mieux, que neuf cents.Alors, pour en revenir à nos moutons, les fêtes de la Noël viennent de se terminer et, un peu à l’image d’un Inca, vous êtes aujourd’hui un tantinet trop obèse, admettons-le. Ça restera entre vous et moi, vous pouvez cesser de rentrer le ventre de la sorte, ça ne fait pas sérieux. À la lutte comme à la pêche, comme à la diète aussi d’ailleurs, ce ne sont pas les prises qui comptent le plus. C’est plutôt ce qu’on en fera après. Le coup de la corde à linge, en soi, n’a rien de si spectaculaire. Nos bonnes grand-mères en savaient probablement plus sur le sujet que tous les The Rock et Hulk Hogan de ce monde. Idem pour les gros poissons. Pas que nos grands-mères en savaient toutes très long sur les brochets, non. Des fois, on dirait que vous faites exprès pour tout comprendre de travers. Mais vraiment, à quoi bon pêcher un gros poisson si c’est pour le laminer par la suite? Les hommes d’affaires, de nos jours, ont bien compris et assimilé cette leçon: on n’empaille pas un gros poisson lorsqu’on a eu la chance d’en attraper un. On le plume. Parfaitement, oui. Bon, alors, pour le poids, c’est pareil. Blanc bonnet et bonnet blanc, comme on dit dans la marine. Ou dans la cuisine d’un grand restaurant, par exemple. L’endroit importe peu, pour tout vous dire. Prendre du poids, on peut le faire de bien des façons, mais on s’en fout un peu, honnêtement. Alors on parlera plutôt de le perdre. Ça, au moins, c’est amusant. D’abord, il y a l’exercice. Je dis d’abord,
parce que c’est la première chose à laquelle on pense tous, que de se bouger le gras, une fois qu’on l’a découvert. En aparté, après, je pourrai vous confesser que je commence un peu toujours un paragraphe comme ça, en disant d’abord au beau milieu d’une chronique. Juste pour vous faire croire qu’on touchera enfin un peu au sujet principal, même si à chaque fois vous vous faites duper comme des papooses. C’est le métier, ça. Pas les papooses. Les papooses, ce sont les bébés des Indiens. Ceux qui ont des plumes et des franges, pas ceux qui vendent des samosas. Vous aurez appris ça, déjà. C’est toujours ça de gagné. Mais, trêve d’apartés: l’exercice. Bon, aussi bien le dire tout de suite, vous n’en ferez pas. À tout coup, c’est le genre de truc que vous vous êtes dit au nouvel an pour vous donner bonne conscience, mais qui au fond ne leurrait pas même votre subconscient. Comme quand vous vous promettez de passer plus de temps devant vos livres d’école que devant Ramdam. Ou alors comme le fédéralisme asymétrique: personne n’y croit, mais vaut mieux vivre le rêve, ça nous évite de faire face aux vrais problèmes. En l’occurrence, l’adon est joli, car le problème en est un de taille. Alors pourquoi tergiverser sur les meilleures façons de perdre des kilos sur une bicyclette stationnaire si l’on sait tous que vous êtes trop lâches pour affronter le froid qui vous sépare de votre gym favori? Et puis il y a tout l’attirail des procédés médicaux. Liposuccions à gogo, segmentations de l’estomac, pilules et quoi encore. Mais pour en savoir plus là-dessus, il y a Découverte à la télé. Vous écouterez ça pour moi en courant sur un tapis roulant si l’instruction vous branche. Ici, c’est la société des loisirs qui gagne. Ha! Alors,il vous reste quoi comme solution? Faire semblant de rien. Prétendre que ce sont les autres qui sont anorexiques et que les modèles d’Hollywood sont des supports de l’industrie des régimes. Mangez, encore et encore, n’y pensez plus. Maintenant. After all, it’s the american way of life, ain’t it? x
u’est-ce qui est à gauche, possède une moustache un peu ringarde, que peu de politiciens post-Village People oseraient porter, ainsi qu’un éternel sourire – éternel n’étant pas un vain mot comme l’a démontré JeanRené Dufort à Infoman en remportant un concours de je te tiens par la barbichette en une douzaine de secondes? C’est ce bon vieux Jack Layton, cette bête de party, qui aime sa complice Olivia Chow – et dans toutes les positions, pardon, dans tous les sens du terme – qui se dit plutôt favorable à l’échange de fichiers musicaux sur Internet et qui n’a jamais «exhalé» la marijuana qu’il admet avoir consommée. Cette dernière proposition remonte à son apparition à l’émission Tout le monde en parle. «Ce bon Jack» cherchait manifestement le mot «inhalé», lorsqu’on lui a suggéré l’antonyme, qu’il a ingénument repris pour la suite de son propos… Cette histoire-là est rigolote, mais je devine des stratèges politiques qui ont dû manger leur cravate devant le débat des chefs en français alors que Jack disait vouloir «élargir la porte aux conflits d’intérêts». Les deux anecdotes traduisent surtout la triste réalité de la piètre qualité du français de celui qui, depuis le 25 janvier 2003, est chef du Nouveau parti démocratique et, depuis le 28 juin, député de TorontoDarforth à la Chambre des communes. C’est d’ailleurs de par les électeurs de sa circonscription qu’il est revenu dans les manchettes, lui qui s’était tenu plutôt calme depuis quelques temps. En effet, on a appris que Layton avait fait imprimer et distribuer aux électeurs de sa circonscription des calendriers en anglais, en grec et en mandarin. En anglais, en grec et en mandarin, vous avez bien lu. Pas en
français. «C’est une question d’offre et de demande. Même si Jack est le chef d’un parti pancanadien, c’est également le député de sa circonscription et les trois langues les plus parlées sont celles-là», expliquait son porte-parole avant de s’enfarger dans une explication sur un Canada bilingue dans les rêves et une réalité sociolinguistique toute autre. Pourtant, estiment les analystes, c’est vraiment ce qui peut faire la différence au Québec: «Pour un chef de parti qui se veut aussi multiethnique que le NPD, pour quelqu’un qui se targue d’être né au Québec [NdlA: à sa décharge, il a grandi à Hudson et a étudié en science politique à McGill avant que Le Délit ne soit créé et la loi 101 passée; par contre, son grand-père, Gilbert Layton était un ministre du cabinet de Maurice Duplessis], ne pas comprendre suffisamment l’une des deux langues officielles, c’est un peu faible…», expliquait Chantal Hébert, chroniqueuse politique au Toronto Star lors d’une émission d’Indicatif présent. Plus véhéments, les commentaires sur les forums de George W. Net (affilié au Bloc québécois) et de Loco Locass (le groupe de rap francophile qui nous a donné, notamment, Libérez-nous des libéraux): «Pourquoi Layton, qui est né à Montréal, parle moins bien français que Harper, criss?!?», «Sa pub est traduite comme les Sentinelles de l’air, c’est méprisant», «Son français doit s’être perdu quelque part dans les rues de Toronto...» Pourtant, il fait des efforts pour se faire aimer au Québec, y venant notamment plus souvent pendant la seule dernière campagne électorale que son prédécesseur, Alexa McDonough, pendant toute sa carrière.
On ne peut que constater le talent inné et naturel de Jack en français.
06 Le Délit x 18 janvier 2005 nouvellesinternational
Un nouveau président pour les Palestiniens Louangée comme le premier scrutin démocratique par une nation arabe, l’élection de Mahmoud Abbas n’est pourtant pas exempte d’irrégularités. Alexandre de Lorimier
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uelques mois ont passé depuis le décès de Yasser Arafat dans un hôpital militaire français et voilà que les Palestiniens se rendent aux urnes pour élire un successeur. La mort du président de l’Autorité palestinienne a laissé un grand vide non seulement dans le cœur des Palestiniens et de ceux qui luttent pour leur cause mais aussi dans un monde politique que l’on avait oublié. Arafat incarnait le pouvoir suprême, une figure de patriarche pour une nation sans territoire et en guerre depuis maintenant plus d’un demi-siècle. Cependant, seulement trois mois ont suffi pour que l’opinion publique internationale tourne la page. Le 9 janvier dernier, les Palestiniens ont élu un nouveau président de l’Autorité palestinienne. Le vainqueur de cette élection, Mahmoud Abbas, est considéré comme un modéré. Candidat officiellement désigné par le Fatah, Abbas a été Premier ministre dès mai 2003. Le poste a été créé par Yasser Arafat, sous la pression d’Israël et des ÉtatsUnis, afin de séparer les pouvoirs de l’exécutif palestinien et d’ouvrir un nouveau canal de négociation. Semant des doutes sur la stabilité et la crédibilité du nouveau poste, Abbas a rendu sa démission quelques mois plus tard suite à un désaccord avec le Président Arafat concernant le contrôle des forces de sécurité palestiniennes. En deuxième place se trouve le docteur Moustafa Barghouti — à ne pas confondre avec Marwan Barghouti, l’ancien chef du Fatah à Gaza, emprisonné en Israël depuis 2002 et qui s’était présenté à l’élection pour
Abbas en bonne compagnie lorsqu’il était Premier ministre.
éventuellement retirer sa candidature. Le Dr Barghouti était un candidat indépendant et proche de l’intellectuel Edward Saïd décédé en septembre 2003. Il a fondé un organisme de soins de santé à la fin des années 70 et milite pour la réforme démocratique du gouvernement palestinien. De nombreux analystes considèrent que le mouvement du Dr Barghouti pourrait prendre de l’ampleur et devenir une force politique importante à l’avenir. Alors que nombreux sont ceux qui saluent la bonne exécution de cette élection, d’autres considèrent que le processus démocratique n’a
Le Chat des regrets Félix Meunier
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éjà le temps de faire des choix pour l’année prochaine qui approche… Le job de nos rêves existe-t-il? Peut-on se permettre financièrement de prendre une année sabbatique pour voyager?
Vaut-il plutôt se diriger vers un diplôme de cycle supérieur? Si oui, dans quelle discipline? On se spécialise? Ou on favorise une approche plus généraliste? Je me demande si ces choix ne sont pas simplement dictés
pas été respecté. De nombreux observateurs mentionnent l’ingérence israélienne dans les déplacements des électeurs palestiniens, notamment autour des postes de contrôle routiers. «La fin de l’occupation est la première priorité, et cette priorité ne sera pas résolue par les élections palestiniennes», affirme Solidarité pour les Droits Humains Palestiniens (SPHR). L’association considère que l’autorité du nouveau Président est futile, tant et aussi longtemps qu’Israël maintient son occupation militaire. De nombreuses irrégularités ont également été signalées pendant la campagne
par une histoire de regrets. Dans quelques années, vais-je avoir des regrets car j’aurais pu faire plus de ma vie? Des regrets de ne pas avoir abordé la fille de mes rêves en raison d’une ridicule et sombre timidité? Des regrets de pouvoir potentiellement être plus heureux? Des regrets de ne pas avoir contribué à l’avancement de la société autant qu’il était possible? Des regrets d’avoir entrepris trop d’activités futiles ou oisives? Mon temps est-il utilisé efficacement et de façon appropriée? La nouvelle tendance en Chine est de se faire débrider les yeux apparemment. Il n’y a aucun problème avec cette chirurgie. Cependant, combien de médecins sont «gaspillés» en train de faire des recherches sur ces opérations esthétiques inutiles alors que tant reste à faire ailleurs? Combien y a-t-il de jouets ou d’objets commercialisables de plus en plus futiles, de moins en moins utiles malgré des étiquettes «New and Improved». Ou encore, qui n’est pas traumatisé par la visite de n’importe quel musée de guerre? Des arbalètes de toutes formes. Des canons de toutes dimensions. Des fusils pour
électorale. Le Dr Barghouti a déclaré que les autorités israéliennes lui avaient barré l’accès à plusieurs villages palestiniens, empêchant ainsi le bon déroulement de sa campagne auprès des électeurs. De leur côté, plusieurs officiels de la commission électorale ont démissionné en bloc le jour même de la cérémonie d’inauguration du nouveau Président. Selon Reuters, ils ont déclaré que des militants du camp Abbas les avaient intimidés et les avaient forcés à garder certains bureaux de vote ouverts après la fin officielle du scrutin. La tâche à venir pour le nouveau Président palestinien ne sera pas de tout repos. Le Président Abbas doit non seulement négocier avec le gouvernement Sharon mais aussi maîtriser les milices telles que le Hamas ou le Jihad islamique. Il doit également montrer aux électeurs palestiniens espérant une accalmie qu’ils ont fait le bon choix et qu’ils n’auront pas à regretter le règne de Yasser Arafat. La fragilité des relations entre le nouveau Président et le gouvernement Sharon s’est déjà fait sentir suite à une attaque sur un poste frontalier israélien jeudi dernier. Le gouvernement israélien a, par la suite, annulé la première rencontre entre le Président Abbas et le Premier ministre Sharon. L’attaque a été revendiquée par les Brigades des Martyrs d’Al-Aqsa, un mouvement proche du Fatah, portant un coup dur à l’autorité du Président Abbas. x
le moins créatifs. L’ingéniosité humaine impressionne. Pourtant, ce génie humain peut servir à tant de trucs et pas nécessairement à l’effort de se tapocher violemment l’un sur l’autre. Où serions-nous si nous avions pu (su?) canaliser ce génie vers le développement d’une civilisation? Avons-nous mis en place nos priorités correctement et de façon appropriée? Plusieurs amis travaillent déjà dans l’industrie. Ils sont brillants, talentueux et souvent ambitieux. Ils sont pourtant confinés dans un secteur, une compagnie, une division, un produit, une chaîne de montage qui n’utilise qu’une infime partie de leurs connaissances, énergie, créativité, talents et capacités. La plupart accepte cette situation sans trop rechigner. Pourtant, n’a-t-on pas l’obligation morale chacun de notre côté de faire notre bout de chemin et de nous battre pour utiliser et développer nos capacités à leur niveau optimum? Ceci implique bien sûr des efforts importants, l’abandon de la facilité et un certain refus de la résignation. Pourtant, j’y crois. Le tout est évidemment
subjectif. Certains trouveront les actions d’un vendeur de voiture ou d’un télémarketeur futiles. Pour d’autres, cela leur conviendra. En autant qu’on a la certitude qu’on utilise son plein potentiel via sa vie professionnelle ou non. Bref, j’ai l’impression que nous avons l’obligation morale de prendre note de ces considérations quand vient le temps de décider de «ce que nous convient le mieux» dixit le philosophe Fernando Savater. Certains diront que c’est une évidence. J’ai pourtant l’impression que bien peu font ce travail d’introspection, ma foi, plutôt exigeant. Il faut pouvoir intégrer nos intérêts, aptitudes, talents pour produire un savant mélange qui, si j’ose dire, saura apporter le plus de «bien» à la société collectivement. Utopiste? Bof!, je suis trop jeune pour être réaliste mais assez vieux pour être conscient. L’important est de se retrouver dans cinquante ans et de pouvoir se dire en tout franchise devant le miroir: «J’ai réussi ma vie, j’ai fait le plus que je pouvais, et je n’ai aucun regret». x
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nouvellescampus
La guerre des clans Tout sur nos concurrents anglophones The Tribune et The McGill Daily... Eleonore Fournier
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n 1981, le McGill Daily/Délit s’est séparé de l’AÉUM pour devenir indépendant. L’AÉUM perdait sa publication officielle. Se rendant compte qu’il fallait trouver un moyen de communiquer avec les étudiants, l’AÉUM a commencé à faire paraître un pamphlet d’informations. Ce pamphlet est devenu un journal important sur le campus de McGill, le Tribune, qui a couramment une distribution de 11 000 copies. Aujourd’hui sur le campus, il y a trois journaux officiels: le Tribune, le McGill Daily et son journal-frère, votre Délit. The McGill Daily et Le Délit appartiennent à la Société de Publications du Daily (SPD), une organisation indépendante qui reçoit d’importantes subventions des étudiants de McGill, soit 5 $ par semestre. Les revenus annuels de la SPD sont de 375 000 $ par an ; 210 000 $ viennent des frais étudiants et 165 000 $ sont des revenus publicitaires. Nos journaux ont donc pas mal d’argent pour les frais de fonctionnement ainsi que pour les salaires des employés et des éditeurs. Comparons cela au budget annuel du Tribune, qui est, d’après Mark Sward, vice-président des communications et des événements de l’AÉUM, de 116 000 $. Le montant financé par l’AÉUM au Tribune est de 15 000 $; le reste est obtenu à travers les publicités. Pourtant,
d’après Katherine Fugler, rédactrice-gérante du Tribune, le montant n’est réellement que de 125 $ par an. Quoi qu’il en soit, la SPD est actuellement plus dépendante des subventions universitaires que ne l’est le Tribune. Considérant le peu d’argent que reçoit le Tribune de l’AÉUM chaque année, posons-nous la question suivante: quel est le lien entre l’AÉUM et le Tribune? En premier lieu, en plus de la subvention directe donnée au journal chaque année, l’AÉUM n’impose pas de frais au Tribune pour l’usage d’un local à l’intérieur de l’immeuble Shatner. C’est une économie énorme; la SPD paye 1 725 $ par mois. En échange, l’AÉUM n’attend pas grand-chose du Tribune. D’après Mark Sward: «Le Tribune est effectivement indépendant en ce qui concerne le contenu éditorial. Durant les quatre années que j’ai été ici, l’AÉUM n’a jamais dit quoi faire au Tribune et il n’y a aucune règle quant au contenu du journal». De plus, le conseil de l’AÉUM choisit le rédacteur en chef du Tribune. Néanmoins, quand on demande quels sont les avantages pour l’AÉUM de subventionner le Tribune, Sward répond: «C’est une bonne question, ça fait un bout de temps qu’on n’a pas examiné la situation». Pourtant, il y a certainement des avantages pour l’AÉUM à ne
courrierdeslecteurs
The Tribune livre la curiosité.
pas être affilié à la SPD. Le loyer payé par la SPD est une innovation récente, instaurée il y a quelques années par Guy Brisebois, ex-gérant de l’AÉUM. Avant cela, la SPD payait 1 $ par an à l’AÉUM à titre symbolique. La SPD est présentement en train de négocier avec l’AÉUM pour diminuer les frais à partir du
31 mai 2005. Cependant, la marge de manœuvre de la SPD est étroite, étant donné que ses caisses sont bien plus remplies que celles de l’AÉUM. Enfin, puisque le Tribune est passé d’être un pamphlet de l’AÉUM à être un journal au contenu autonome, on peut se de-
mander s’il choisira d’être complètement indépendant. Interrogée à ce sujet, Katherine Fugler déclare que le journal n’est pas prêt à faire les démarches nécessaires. «Nous ne voulons pas sauter à travers des cerceaux». x
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Le Délit x 18 janvier 2005
Chris Driscoll n’est plus Le batteur du groupe Mobile Preid est décédé dimanche dernier dans un accident de ski. Alexandre Vincent
É
tudiant à l’Université McGill en batterie, Chris Driscoll, 21 ans, est décédé le 9 janvier dernier dans un accident de ski au mont Jay Peak. Instructeur et skieur expérimenté, Chris est entré en collision avec un arbre. Malgré le port de son casque, le choc aurait été fatal et son cou n’a tout simplement pas résisté au choc. C’est au North Country Hospital que son décès fut confirmé. Les causes de la collision restent toujours inconnues. Chris était originaire de l’Île-du-Prince-Édouard. C’est d’ailleurs dans ce coin de pays que les obsèques eurent lieu cette fin de
semaine. L’état de choc était palpable dans toute la faculté de musique au lendemain de la nouvelle. Plusieurs amis et collègues ont entrepris des démarches pour que tous puissent lui rendre hommage. Des cours furent annulés tout au long de la semaine. Une dizaine d’étudiants sont partis mardi matin dans un autobus pour l’occasion. D’autres ont quitté plus tard dans la semaine par leur propre moyen. Chris Driscoll était reconnu pour être un batteur versatile. Jouant dans la formation Mobile Preid, Chris était un musicien déterminé qui aimait être en
concert. Combien de fois, nous, musiciens de la faculté, avons-nous vu les affiches de Mobile Preid? Des centaines! Chaque semaine un nouveau concert nous était offert avec des artistes invités différents. La plupart du temps, c’étaient d’autres étudiants de la faculté. Ce n’était pas rare de le voir aborder les gens dans les corridors à qui il proposait son concert. «Hé ça va? Moi c’est Chris et je joue ce soir avec Mobile Preid. Vous avez peut-être vu nos affiches? Passe si tu veux, ça va être bon!» Simplement deux choses: de la sincérité et le désir de ne pas jouer juste pour les murs d’un local
de pratique. Le groupe Mobile Preid fut considéré comme l’une des cinq formations les plus prometteuses à travers le monde par l’Association Internationale des Éducateurs de Jazz, en 2004. La candidature de la formation avait été retenue pour représenter l’Université McGill, une première pour une formation canadienne. Dans le quatuor, on retrouve le saxophoniste ténor Jon Lindhorst, le bassiste Pat Reid, ainsi que le guitariste Jim Blad. «Chris était un musicien très talentueux avec un avenir musical très prometteur. Il jouait avec une
maturité surprenante. Lorsque nous jouions, il jouait avec nous. Jamais pour impressionner la galerie. C’était un musicien avec une communication hors pairs. Comme personne, il était énergique et super positif. Il laissait tout le côté compétitif que le monde de la musique apporte parfois. Vraiment, il va nous manquer», affirme tout bas son collègue et surtout meilleur ami Pat Reid. Un dernier hommage lui sera rendu le vendredi 21 janvier, à 15 heures, à la salle Pollack de la faculté de musique de l’Université McGill, 555 Sherbrooke est. x
culturespectacle
Contact dance, musique et lumières Compte-rendu d’une performance improvisée multidisciplinaire au Studio 303, le 9 janvier dernier. Borhane Blili Hamelin Purgatoire Les arts de la scène sont des arts de la performance.Vingtième siècle oblige, il nous est maintenant possible de fixer ces performances sur des supports, audios et vidéos. On peut ainsi retravailler chaque segment de ces performances jusqu’au degré de perfection et de laque désiré. Ces supports sont la porte d’entrée des arts de la performance dans le monde de l’aseptisé. Ils sont le seuil à franchir pour ne pas avoir à faire face trop directement à notre insécurité. Cependant, certains organismes radicaux ne sont pas constitués pour se marier à ce moule: ils ont cherché et trouvé un traitement. Ainsi, les arts de la scène frappent un delta. À gauche, la stabilité des performances «cryogénisées», millimétrées et certifiées. Au centre, la tradition, à cheval sur l’insécurité des performances scéniques préparées et anticipées. À droite, un étrange produit volatile et insatiable, une mutation du risque qui passe de sous-produit gênant à idole consacrée: l’art de l’improvisation. De toutes les approches à l’improvisation, la plus risquée est sans contredit celle qui se pratique sans filet, sans structure préalable. C’est ce que certains appellent l’improvisation libre et c’est ce dont j’ai à vous parler. Huile sur toile La plupart des images peuvent être divisées de la sorte: en silhouettes et textures. Les silhouettes sont un peu l’âme de l’image, tandis que les textures en sont le corps. Il en va de même pour la performance, sauf que dans ce cas l’image évolue et se dévoile dans le temps. Je parlerai donc de la performance de silhouette dans le temps et hors temps. La silhouette dans le temps pour une pièce d’improvisation libre est sa structure finie. Elle éclôt au fur et à mesure que la pièce se crée. C’est la trame,
Peter Bingham, Marc Boivin et Andrew de L. Harwood
l’âme de l’improvisation: c’est l’histoire qui s’invente au fur et à mesure qu’elle est racontée. La silhouette hors temps d’une improvisation libre pourrait se résumer aux artistes y participant et au type d’interaction convenu. Les artistes, par la discipline qu’ils pratiquent et leur style ou approche de cette discipline, déterminent le ton que prendra la performance, autant au point de vu textural que pour sa trame et l’histoire qui sera racontée. Le type d’interaction convenu dicte le rôle qu’assumeront les artistes durant la performance. Soit certains des artistes agiront comme pôle directeur principal de la performance, soit aucune hiérarchie n’est convenue. Enfin, la texture est composée des différents éléments développés durant la performance. Sons, mots, couleurs, mouvements, imprévus, rires et pleurs… 9 janvier, 16 heures La silhouette Trois danseurs, deux musiciens et un éclairagiste. Six joueurs. Les danseurs sont
Peter Bingham, Marc Boivin et Andrew de L. Harwood, trois maîtres de la «contact dance», style de danse inspiré d’une série de performances improvisées de Steve Paxton en 1972. Ils sont clairement le pôle de la performance. Pour les accompagner en musique, Martin Thétreault et Diane Labrosse, deux sommités de l’improvisation libre québécoise, et aux éclairages, Yan Lee Chan. Textures Martin Thétreault et Diane Labrosse ont tapissé l’espace sonore d’un mariage de couleurs facilité par leurs nombreuses collaborations lors des dix dernières années. Yan Lee Chan peignait en lumières différents lieux et berceaux. Bingham, Boivin et Harwood laissaient leurs corps évoluer dans cet univers un peu à la façon d’un organisme commun, comme soudés à travers leur art. Les peintres nous ont donné les paysages, les musiciens les «soundscapes» (paysages sonores). Les trois danseurs, en une série d’instants détachés, nous ont donné des
«bodyscapes»: des paysages de corps. Mais encore Les pièces du jeu étaient toutes présentes pour une excellente performance. Comme je l’ai laissé entendre plus haut, les danseurs avaient pour rôle de donner sa direction à la performance. Cela agissait d’une part comme une contrainte sur les trois autres artistes en les forçant à «suivre» les danseurs. D’autre part, les danseurs ne se sont pas montrés, ce jour-là, à la hauteur de cette tâche. Les trente-cinq premières minutes étaient plutôt cohérentes, mais cette cohérence s’est vue disloquée et redisloquée durant la seconde moitié de l’improvisation. Conséquence, je n’ai pas senti de trame, pas perçu d’histoire: il s’agissait de scènes décousues et à la dérive les unes par rapport aux autres, en quête d’identité commune. C’est là sans doute le prix à payer en improvisation: le risque peut parfois prendre le dessus. N’empêche, ce n’est qu’un jeu, et il est beau. x
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culturethéâtre
Théâtre, flamenco, chant, musique: un tout. Venez vous détendre dans l’atmosphère festive de La Savetière prodigieuse, pièce de théâtre populaire présentée au Théâtre du Nouveau Monde.
Marie-Noëlle Bélanger-Lévesque
culturethéâtre
reconnaître son mari déguisé? Bravo à Martine Beaulne pour la mise en scène et le travail d’adaptation qui a su transmettre la complexité de Lorca! Applaudissements aussi pour la radieuse interprétation de Nathalie
Mallette dans le rôle-titre, dont le personnage au caractère déterminé et à la voix délicieuse nous fait vraiment sourire, et à Jacques Godin qui lui donne la réplique dans le rôle tordant du vieux mari qui regrette sa solitude.
Yves Renaud
J
e préfère habituellement les spectacles plus poignants, ceux qui m’empêchent de dormir, me forçant à réfléchir, mais je dois avouer que mon esprit fut bien heureux de se relaxer ce samedilà au Théâtre du Nouveau Monde (TNM). Ce n’est pas que La Savetière prodigieuse soit ennuyante (loin de là), mais bien parce que cette pièce de répertoire se veut toute simple dans sa grande beauté. Le poète, musicien, chanteur, et dessinateur espagnol Federico García Lorca (1898-1936) disparut trop rapidement pendant la guerre civile pour révéler l’étendue de son talent. Sa pièce La Savetière prodigieuse décrit la vie d’une jeune femme souffrant d’être mal-aimée par son mari trop vieux à qui elle fait la vie dure. Elle devra cependant, lorsqu’il la quittera, apprendre à repousser les prétendants et ne pas entendre les moqueries des voisines, car celle qui n’aspire qu’à la liberté, s’ennuie pourtant de son mari. Saura-t-elle
Puisant aux farces de Cervantès et à la commedia dell’arte, Lorca crée un théâtre populaire festif et enlevé.
J’ai adoré les costumes (les robes de flamenco à faire rêver n’importe qui), la danse, mais surtout les marionnettes qui, par on ne sait quelle magie, vivent sous nos yeux et nous font regretter de ne pas avoir la chance d’en voir plus souvent. Bien que la salle soit bien configurée (on voit très bien du balcon), sa grandeur la rend malheureusement quelque peu impersonnelle, mais c’est peut-être une conséquence nécessaire lorsque l’on accueille huit cent quarantecinq spectateurs. Il est aussi possible que ce ne soit que moi, qui préfère l’atmosphère intimiste des petites salles! Je n’ai qu’un petit reproche à faire au TNM: bien qu’on y présente toujours du théâtre de grande qualité, tous n’ont pas le porte-monnaie pour se le permettre. Quelqu’un a dû avoir la même opinion que moi, car on offre maintenant un spécial pour les amants du théâtre de 25 ans et moins, lorsque l’on réserve plusieurs spectacles: un premier
spectacle à 35 $, le deuxième à 25$ le troisième à 20 $, le quatrième à 15 $, et les autres à 10 $. Sans dire que j’ai adoré, je dois admettre que je me suis bien amusée. Marionnettes, danse, chants: un mélange qui plaira à tout jeune cœur. À suggérer aussi aux parents à l’extérieur de Montréal puisque la troupe partira en tournée un peu partout au Québec en mars. Dans tous les cas, réservez tôt, car les billets partent très vite! x La Savetière prodigieuse est présenté jusqu’au 5 février au Théâtre du Nouveau Monde, 84, rue Sainte-Catherine Ouest (métro Saint-Laurent). Les billets ne sont pas très accessibles (le balcon est offert à environ 45 $ le siège) mais pour tout renseignement à propos du spécial pour les 25 ans et moins, et pour réservations, appelez le (514) 866-8668 ou visitez le www.tnm.qc.ca
Un vacarme
L’Espace Go présente une pièce de l’auteur britannique plus que dérangeant Howard Baker: une pseudo-relecture de Hamlet. Shakespeare doit se retourner dans sa tombe.
B
ien sûr que j’aime l’originalité. Comme tout le monde je veux être surprise, émue, transportée, libérée. Et si j’ai le théâtre comme objet de prédilection pour m’obliger le plus souvent possible à réfléchir et à réviser mes idées, c’est parce qu’il est chez nous très explicite, très loquace, et particulièrement intelligent. Il parle le plus souvent avec sagesse ou avec une douce inquiétude; il est parfois cynique mais jamais complètement pessimiste. Je l’aime parce qu’il a du sens, des questions, du contenu, des idées. Alors il peut bien être expérimental, excentrique ou improvisé ce théâtre, peu m’en faut pour que je me réjouisse, si ce n’est une réflexion. Mais si ce théâtre croit que beaucoup de bruit et quelques tape-à-l’œil suffisent pour satisfaire un public, il fait erreur. C’est malheureusement l’écueil que n’a pu éviter Gertrude [le cri], pièce que ses concepteurs ont voulu faire éclater, mais dont il ne nous reste que le désordre des débris. Tragique et tragédie La pièce se veut une sorte de
réécriture d’Hamlet, mais n’en conserve pour ainsi dire que le nom des personnages. C’est de sa mère, Gertrude, dont il s’agit, femme dans la quarantaine à la sexualité débridée et dotée d’une passion dévorante pour son amant Claudius. Mais surtout, il s’agit d’un cri, celui de Gertrude et de l’orgasme féminin, que tous les personnages chercheront à capter. Et voilà, c’est tout. Cette pièce a volontairement été conçue par Baker dans le souci de ne rien vouloir «dire», car pour le dramaturge, le théâtre pèche par «sa prétention à dire la vérité, ce que précisément il ne fait pas». Bien paradoxal est cet écrivain qui ne prétend à aucune grande vérité, mais qui édicte en valeur suprême le tragique de l’existence, et plus particulièrement ici le tragique de la féminité. Il n’y a pas de vérité à découvrir, certes, mais il n’y a pas non plus de réflexion offerte, ce qui fait de la pièce de Baker un fourre-tout de cris et d’absurde qui ne semble pas même le fruit d’un souci d’unité. Le ton est pathétique, percé d’humour «punché» hors du propos principal. Comme si l’auteur n’avait su don-
ner de véritable contenu à sa pièce, il y a annexé un peu de comique qui ne nous laisse que l’impression que rien n’y est cohérent. Je continue? Ce sentiment de vide est amplifié par une mise en scène époustouflante, des jeux de lumières, des costumes style Christian Dior des années 1950, une musique loufoque et une nudité exhibée. Comme s’il avait fallu combler le manque, boucher les trous, arrondir les coins en en mettant plein les yeux, mais rien pour les oreilles. Il ne vous reste bientôt plus que le sentiment de quelque chose de superficiel, d’inerte, d’hypnotique. Et parlons-en de cette nudité. Exhibée comme jamais peut-être on ne l’a fait au théâtre. Elle n’est pas sensuelle comme dans un portrait de Gauguin ou érotique par sa beauté. Elle est servile, pratique, faisant de la femme un objet, mais plutôt un handicap, qui ne fait que témoigner de la faiblesse de la femme vis-à-vis de ses désirs. J’aurais aimé être éblouie par cette pièce au potentiel révolutionnaire. J’aurais tant voulu être transportée par son sujet tabou: la femme sexuée. Mais cette pièce a beaucoup
Robert Etcheverry
Flora Lê
La comédienne Anne-Marie Cadieux incarne le personnage principale dans Gertrude [le cri].
de prétention et peu de sincérité. Le choix de réécrire le chef d’œuvre de Shakespeare en dit beaucoup sur la vanité de son auteur. Cette pièce me fait étrangement penser à un tabloïd ou à un film d’Hollywood: beaucoup de sensation et peu de contenu. x
Gertrude [le cri] est à l’affiche de l’Espace Go jusqu’au 12 février, 4890, boulevard Saint-Laurent (angle Saint-Joseph). Le spectacle s’adresse à un public de 16 ans et plus. Le coût des billets est de 20 $ pour les étudiants, 28 $ régulier. Pour la billetterie: (514) 845-4890; pour plus d’information, www.espacego.com
10 Le Délit x 18 janvier 2005 culturecinéma
L’homme aux multiples visages
Le dernier Almodóvar est un excitant mélange de film noir américain et de drame de moeurs européen. David Pufahl
P
armi les réalisateurs européens les plus connus du moment, Pedro Almodóvar est probablement le plus coloré. La teinte kitsch qu’il a donné à ses premiers films (Talons aiguilles, Femmes au bord de la crise de nerfs) et la grande humanité de ses derniers (Tout sur ma mère, Parle avec elle) le prouvent amplement. Son dernier cru, appelé La Mauvaise Éducation, est un heureux mélange de ces deux éléments. Je vais maintenant tenter de donner uniquement le point de départ de ce récit, car en révéler trop serait vous le gâcher. Enrique Goded (Fele Martínez) est un réalisateur de films bien en vue qui est en panne d’inspiration. Il reçoit la visite inopinée d’Ignacio (Gael García Bernal, Amours chiennes, Carnets de voyage), un ancien camarade de classe à l’école religieuse. Depuis, il est devenu un acteur connu sous le nom d’Angel. Il lui donne un roman en partie inspiré de leurs expériences à l’école où il a été abusé sexuellement par un prêtre amoureux de lui. Par la suite, le roman se dirige vers une confrontation fictive entre le prêtre et Zahara, la sœur d’Ignacio (aussi
jouée par Bernal), quelque quinze ans plus tard. Enrique veut en faire son prochain film, mais hésite à donner le rôle de Zahara à Angel, car il n’est pas certain de bien reconnaître son ancien ami… La prémisse a des apparences compliquées, mais durant la projection, on comprend tout immédiatement. La structure narrative est très solide et se promène de réalité en réalité sans que cela semble être forcé. En fait, je crois que si on avait utilisé l’ordre chronologique des événements, l’aspect dramatique du film aurait été complètement gâché. D’ailleurs, pour nous aider à bien visualiser les différentes réalités du film, les images venant du roman ont été réduites à l’aide de bandes noires à gauche et à droite. Le kitsch injecté dans le film devient évident quand on voit le personnage de Zahara, une danseuse travestie. Elle se met dans des situations amusantes qui seraient traitées sur un tout autre ton dans un contexte normal. C’est tentant de vous donner des exemples, mais tout ce que vous avez à savoir, c’est que cela vaut la peine d’être vu. À quelques autres occasions, l’intrigue
tourne au film noir américain. La musique qui accompagne ces séquences m’a rappelé celle de Bernard Herrmann, le compositeur attitré d’Alfred Hitchcock. C’était sans doute le meilleur moyen qu’Almodóvar ait trouvé pour nous faire sentir dans un film noir. Cela semble un mélange dangereux, mais le tout est étrangement cohérent. Le scénario de La Mauvaise Éducation a été écrit sur une période de dix ans avant d’être produit. La principale raison de ce long processus est qu’Almodóvar voulait se supprimer de son histoire. En effet, il s’est fait éduqué par des prêtres étant plus jeune et voulait raconter son histoire, mais ce sur un ton qui soit moins personnel. Il a affirmé n’avoir jamais été abusé sexuellement par les prêtres, mais que certains de ses camarades l’ont été. À cause de la quantité de visages qu’il doit porter, Gael García Fele Martínez et Gael García Bernal se partagent la vedette Bernal donne une performance du dernier film d’Almódovar. éblouissante. On en vient à La pédophilie, lorsque traitée chose à l’imagination. Je peux vous confondre tous les personnages qu’il assurer qu’Almodóvar a réussi à incarne, y compris la travestie. Fele de la mauvaise manière, peut évoquer discrètement ce thème en Martínez réussit à surpasser Bernal paraître de très mauvais goût au nous divertissant en même temps, à quelques occasions dans certaines cinéma. Après tout, des images trop explicites ne laissent pas grand- un exploit en soi. x scènes, ce qui n’est pas peu dire.
culturecinéma
Recherche fiancé disparu à la guerre Dans Un long dimanche de fiançailles Audrey Tautou enquête sur le sort de son amoureux disparu en 1917. Léa Guez
S
elon l’expression avec des «si» on mettrait Paris en bouteille, c’est avec ces «si» que Mathilde garde espoir que son fiancé, disparu en 1917 au front, est toujours vivant. Le jeune Manech avait été condamné à mort pour automutilation par la cour martiale et fut alors jeté dans le no man’s land entre les deux premières lignes de front ennemies. Un long dimanche de fiançailles est l’adaptation par Jean-Pierre Jeunet d’un roman et met en scène la dorénavant célèbre Audrey Tautou, héroïne de son dernier film, Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain. À coup de flash back et de narrations des différents personnages, le film nous fait voyager entre la douce Bretagne, le Paris d’après guerre et l’enfer des tranchés des lignes de combat pour découvrir la vérité sur le sort du jeune amoureux. Amour et guerre Sans tomber dans le drame romantique passionnel où les sentiments auraient pu être surexploités, Jeunet nous fait ici le portrait d’une simple et naïve romance. Pas de crises de larmes ni de regards désespérés de mélodrame mais à la place la détermination d’un petit bout de femme qui ne renonce jamais, même devant les évidences les plus certaines, et qui nous fait même parfois rire. Si cet amour plus fort que la raison reste la trame du film, Jeunet veut aussi nous rappeler l’injustice d’une guerre inhumaine. Quand les soldats parve-
naient à survivre à cette boucherie sans merci, ils mouraient le plus souvent de froid, de faim ou de peur dans des tranchées qui menaçaient de s’effondrer à chaque tir d’obus. Les scènes d’automutilation ou de vaines tentatives de percées ne peuvent que soulever le cœur. Les manipulations des généraux et autres gradés rappellent l’impuissance et la rage des combattants considérés comme de vulgaires pions. Autour de ces deux grands thèmes, l’Amour et la Guerre, l’intrigue avance sous forme d’enquête au cours de laquelle les spectateurs suivent les avancées de Mathilde dans sa recherche de la Vérité. Amélie Poulain bis? Un long dimanche de fiançailles semble utiliser divers ingrédients de la formule magique du Fabuleux destin d’Amélie Poulain pour peut-être tenter de capturer ce touchant enchantement qui avait ravi à l’époque les spectateurs. En effet, le casting reprend quelques figures-clés d’Amélie. Audrey Tautou, pareille à elle-même, est toujours aussi juste dans son rôle d’ingénue amoureuse déterminée à suivre ses pressentiments. Le grincheux du bar-tabac joue l’oncle sympathique de Mathilde. On croisera aussi l’épicier dans le rôle d’un curé. De plus, Jeunet choisit de donner de nouveau des caractères naïf et bon enfant aux personnages. L’utilisation d’un narrateur revient aussi. Sur un plan ciné-
Audrey Tautou est peut-être trop fidèle à elle -même dans son dernier film.
matographique et artistique, on retrouve ces mêmes couleurs contrastées, parfois chaudes pour la Bretagne, parfois froides pour le front, et qui rendent les images si belles et parfois un peu surréalistes. Mais surtout, le thème du film reste similaire au précédent: celui de la poursuite de son amour. Cet ensemble d’éléments crée une poésie certaine et pourrait faire penser à un conte en images.
Un long dimanche de fiançailles transpose donc en quelque sorte Amélie en 1919. Cependant, si la formule Amélie a permis de considérer ce film comme réussi, elle n’a néanmoins pas apporté la magie nécessaire pour reproduire le succès du film précédent. Une sorte de barrière nous empêche de totalement nous plonger dans le film. L’enquête est parfois confuse, nous donnant du mal à suivre le raisonnement de l’héroïne. Plutôt que d’être d’actifs spectateurs réfléchissant en même temps que Mathilde, on contemple sans toujours comprendre. Et puis cette naïveté poussée à l’extrême, couplée à la violence crue de la revanche d’une autre amoureuse, Tina, jouée par Marion Cotillard (héroïne des films Taxi), reste étrange. Enfin, ce surréalisme créé par les images et une histoire un peu farfelue semblent mettre une distance entre le public et le film. On a du mal à s’attacher aux personnages que l’on connaît finalement peu. Mais c’est peut-être tant mieux…. Un bon film serait-il nécessairement pathétique et devrait-il chercher à nous faire verser une larme à chaque image? Ce film a le mérite d’avoir évité d’être déprimant, banal ou niais. La qualité artistique et les réussites du directeur photo Bruno Delbannel sont à admirer. Un long dimanche de fiançailles est un film à voir, sans trop en attendre non plus. x
18 janvier 2005 x Le Délit
cultureretrospective
L’histoire d’un échec
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La Cinémathèque québécoise présente une rétrospective de l’œuvre du cinéaste américain John Houston, dont plusieurs œuvres ont été puisées dans des archives européennes. Flora Lê a Cinémathèque québécoise s’attaque une fois de plus à l’un des grands noms du cinéma en présentant l’œuvre du cinéaste américain John Houston. La quarantaine de films que l’homme nous a donnés se laissent difficilement confiner à une épithète ou à une catégorie: il a touché à tous les genres, du western à la comédie musicale, du film noir au documentaire. Déjà trois de ses œuvres ont été célébrées par l’Académie du cinéma américain, et nombre d’entre elles prennent avec l’âge un peu de maturité qui ne nous fait que mieux les apprécier. Il semble que l’inspiration prolifique de Houston ait puisé beaucoup dans la littérature: la filmographie de l’homme a toujours privilégié l’adaptation de romans. Et malgré la complexité de mettre fidèlement à l’écran la richesse d’une œuvre littéraire, Houston a fait de ses films des chef-d’œuvres. Il a donc repris à son compte notamment les écrits de Traven (Le Trésor de la Sierra Madre), Maxwell Anderson (Key Largo), Herman Melville (Moby Dick), Romain Gary (Les Racines du ciel), Tennessee Williams (La Nuit de l’iguane),
L
Carson McCullers (Reflets dans un œil d’or), Leonard Gardner (Fat City), Rudyard Kipling (L’Homme qui voulût être roi), Flannery O’Connor (Wise Blood), Malcom Lowry (Audessous du volcan). Son dernier film sera dédié à l’écrivain James Joyce, duquel il extrait l’histoire de The Dead, celle de deux vieilles femmes dublinoises qui accueillent des parents pour partager un repas aux rites immuables. Mais si d’autres réalisateurs ont autant consacré leur œuvre à l’adaptation, aucun n’en a conservé une unité comme Houston. Comme habité par une vision, une appréhension singulière du monde, il se fascine pour une terrible facette de l’homme, l’insuccès de l’aventure humaine. Avait-il lu Sartre, qui dit que «l’histoire d’une vie est l’histoire d’un échec»? C’est du moins cette particularité de l’existence qu’il a tenté de saisir, d’en fixer la fugacité, pour en permettre une sorte d’exploration, une expectoration. C’est ce qui nous reste du Faucon maltais, où on cherche un faucon d’or et où on ne trouve qu’une statuette sans valeur. Dans Gens de Dublin, il s’agit de l’échec de n’avoir jamais connu l’amour et d’attendre
sans lui la mort. Il en explorera les différents genres, celui des gangsters dans Key Largo, celui du sport dans Fat City, du religieux dans La Nuit de l’iguane, du politique dans Les Insurgés… On pourrait croire que Houston est un fervent pessimiste ou est atteint d’une fascination terrible, mais ses raisons sont tout autre. Il s’affaire plutôt à critiquer le culte des intérêts personnels et la course affolée dans lesquels certains se lancent pour assouvir leurs désirs. Car réussir, ou parvenir, ce n’est pas toujours une véritable réussite. Sa lentille se tournera plus tardivement vers un nouvel objet de fascination, le moment de Houston se passionne pour les échecs, ceux qui sont le fruit de l’avidité humaine, comme le raconte Key Largo. vérité. Moment tragique, terrible ou merveilleux, il est toujours le chambre de sa femme après avoir Les détails des films programmés lieu de l’aveu, de la découverte, de cru qu’il irait dans la sienne. sont disponibles dans La Revue de la l’émotion. C’est un instant aussi John Houston se démarque Cinémathèque (no 80) et sur le site éphémère que percutant, et qui donc autant par la finesse et la www.cinematheque.qc.ca. On peut sait se fixer dans la mémoire, se qualité de ses images que dans le s’informer sur la programmation en démarquer dans toute une vie. C’est traitement des sujets qui lui valent les composant le (514) 842-9768. Le notamment le cas dans Reflets dans un surnoms «d’humaniste de l’échec» prix d’entrée est de 6 $ par séance. œil d’or, où l’apparition d’un soldat et de «moraliste du quotidien». La Cinémathèque est située au 335, galopant nu sur un cheval amène le Mais certainement Houston est un boulevard De Maisonneuve Est (métro major Penderton (Brando) à réaliser fin observateur qui, de sa sensibilité Berri-UQAM). Ciné-carte: 10 la violence de son homosexualité singulière et inquiète, fait du cinéma séances 40 $. Informez-vous, quelques refoulée. Cette agressivité culminera parfois cynique, mais toujours vrai. projections sont gratuites. dans l’assassinat de ce jeune soldat x qu’il trouvera, une nuit, dans la
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Immigrants: les nomades modernes «…une situation qui semble ne jamais vouloir se résoudre» - Heeseung Ko Ynès Wu
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uand le centre culturel MAI (Montréal, Arts Interculturels) annonça qu’il allait accueillir Heeseung Ko pour son installation intitulée Moving sur l’expérience du déménagement, j’étais plus que ravie. Le déménagement, c’est ce que j’ai connu toute ma vie. Je me suis dit que finalement il allait y avoir une histoire sur «nous», les nomades modernes, ces individus qui parcourent le monde entier sans trouver un endroit appelé chez soi. Enfin, on aura une représentation artistique de ce que c’est que de mettre tout dans une valise, de laisser tomber tant d’objets qui nous ont appartenu et de s’envoler vers quelque part d’inconnu. J’étais excitée comme tout sur l’idée de me faufiler dans l’esprit d’une artiste et de voir sa perception de ce que c’est que de bourrer tous les souvenirs dans la mémoire, sachant que comme une bougie, tout peut basculer dans l’oubli en un seul instant. Moving de Heeseung Ko Au Canada, on retrouve des microcosmes du monde où des milliers de chemins différents de mon adolescence, passées parmi des amis entrent en collision, et pour Heeseung: qui venaient de l’Iran à la Thaïlande, du Sri «Montréal est un amalgame de personnes, Lanka à Londres, de la Serbie à l’Argentine, de cultures, de religions et de philosophies ont créées tellement d’expériences inouïes. différentes qui ne se fondent pas en un C’est à travers beaucoup de conversations seul courant». Ce qu’elle résume dans cette souvent très animées, et lors de rencontres phrase-ci, je le ressens énormément et me fait souvent clandestines, que je me suis rendue évoquer tant de souvenirs! Des soirées entières compte que malgré toutes nos différences,
une des raisons pour laquelle il y a un lien si profond entre nous, c’est en grande partie le sentiment partagé et la compréhension innée des déplacements que nous avons vécu. C’est aussi pourquoi ce sujet me tient à cœur et touche une partie essentielle de mon existence. L’installation de Heeseung Ko, artiste et commissaire indépendante, cherche à définir «la connexion, le point de contact entre les cultures» et «la complexité de la relation à l’espace et la nécessité de se resituer continuellement». L’artiste veut montrer ce qu’il y a au-delà du simple déplacement physique, à travers des vidéos d’art, des autoreprésentations, des entrevues d’artistes et des récits partagés sur l’expérience de déménager. Heeseung Ko tente également de souligner l’importance symbolique des objets lors de chaque déplacement; elle écrit: «Chaque objet qu’on possède a une histoire unique parce que l’histoire de votre vie est unique au monde». J’admets que j’ai trouvé ses idées très intéressantes, cependant je n’étais certainement pas très impressionnée par son installation. Par exemple, l’une de ses œuvres qui comprend deux valises posées devant un mur blanc sur lequel elle a tracé son ombre faisait beaucoup trop cliché. De plus, on pouvait à peine entendre la bande sonore de
certaines vidéos à cause de l’emplacement des œuvres. Je n’ai pas trouvé non plus qu’il y ait une fluidité dans sa représentation artistique. Ceci aurait sans doute été causé par le fait frustrant et décevant que chaque œuvre ne semblait pas pouvoir évoquer plus qu’un simple «bof, mignon…». Bref, c’est vraiment dommage, lorsque l’idée et l’intention de l’artiste sont bien articulées sur papier, mais maladroitement présentées dans son travail. J’avoue néanmoins que je suis allée voir Moving avec trop d’interrogations en tête, voulant probablement trouver des réponses à des questions auxquelles des réponses ne s’appliquent pas. À vrai dire, en sortant, j’étais non seulement déçue mais même un peu fâchée. Cependant, après avoir digéré ce que j’ai vu pendant une journée et deux nuits, je commence à comprendre que ma réaction négative était surtout due à ce que je n’ai pas réussi à trouver ce que je cherchais. En réalité, je comprends maintenant que, malgré tout, Heeseung Ko est aussi une nomade cherchant à partager son histoire et à présenter ses propres interrogations sur une situation qui refuse d’avoir des solutions… x Moving sera présenté jusqu’au 12 février, du mardi au samedi de 12h à 18h au centre culturel MAI, 3680, rue Jeanne-Mance. Entrée gratuite.
18 janvier 2005 x Le Délit
U2 How to Dismantle an Atomic Bomb (AZ/Universal)
Dès les premières secondes de «Vertigo», on sent que U2 n’a perdu ni l’énergie ni la sensibilité qui les rendent si mythiques. Même si la chanson est loin d’être à la hauteur de leurs plus grands tubes, elle introduit bien cet album varié, éclatant et émouvant. On a droit à un éventail de sujets et d’émotions passant aisément de la paix à la religion, de la mort à l’amour… Ils réaffirment bien leur statut de géants du rock et on sent, à travers des chansons comme «All Because Of You», qu’ils sont bien à l’aise et n’ont plus rien à prouver. «Sometimes You Can’t Make It On Your Own», chanson sur le deuil, est facilement la plus touchante de l’album: amère certes, mais il s’en dégage une émotion bouleversante. Quand il y lance «You’re the reason I sing… You’re the reason why I have the operas in me», on sent bien que Bono n’a pas perdu sa verve et on ne peut s’empêcher de frémir. Ma favorite sur l’album, «Original Of The Species», est une saisissante ballade sur une nouvelle genèse humaine. Une harmonie entre les instruments, rythmes et paroles la rendent absolument délectable. Un pur plaisir à écouter! La fin de «Miracle Drug», une autre réussite de l’album, est un autre des grands moments du disque. Il faut dire que l’album est moins agité que ses prédécesseurs mais cela n’est en rien un reproche. Le seul regret est qu’il n’apporte rien de très nouveau mais améliore la formule établie sur l’album précédent (en laissant passer quelques faux-pas). Ce disque se place certainement au top de leur répertoire, aux côtés de Boy, auquel il ressemble par sa sensibilité. Une autre grande réussite pour U2. x Philippe Manasseh
bédé
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Exposé scientifique sur l’existence ontologique d’une conscience artistique émanant du design latéral de quatre disques compacts tirés au sort.
Cette semaine, la nécessaire équipe rédactionelle de votre pertinent hebdomadaire vous présente en exclusivité mondiale les résultats d’une étude scientifique approfondie. Sans considérer l’échantillon dans son état primitif, il est pertinent de dénoter trois écoles de pensée distinctes. Le design sobre, bicolore de l’album de Projet Orange témoigne d’un prétentieux souci d’authenticité. Un jeu de caractères conservateur, le noir, le blanc. Certains critiques oeuvrant dans le milieu de la pochette se montrent sceptiques face à une utilisation aussi banale de tons. Or, le grand schisme de 2001 a fortement miné le processus créatif de certains infographes de disques compacts, forçant le métier à réadopter quelques pratiques datant du Moyen-Âge. Dans la foulée du post-colonialisme, on a dénoté la chute de grands think tanks norvégiens. Le style électro-pop a fait de graves dommages sur la côte de Tanzanie; de Dakar à Bombay, des têtes aux cheveux hérissés se balancent au son d’un funk mélancolique. Quelques individus aux intentions malsaines pourraient blâmer le crescendo néophyte sur les accords à quatre sons, mais ce sont tous des cons. x David Nguyen-Tranchemontagne