Le seul journal francophone de l’université McGill
Volume 94, numéro 15
Le mardi 1er février 2005
www.delitfrancais.com
On a déjà été plus drôles, en 1977.
Questions? Commentaires? Menaces de mort? Une seule adresse: redaction@delitfrancais.com
1er février 2005 x Le Délit
éditorial La semaine dernière avait lieu à Edmonton la 68e rencontre annuelle de la Canadian University Press (CUP). Et en tant que seul journal francophone présent, le Délit n’a pu que constater l’efficacité et l’unité d’une organisation presque exclusivement anglophone. Petit coup d’œil sur l’évolution et l’état de la presse universitaire au Québec.
Le journalisme étudiant au Québec.
Le Délit Le journal francophone de l’université McGill 3480, McTavish, bur. B-24 Montréal (Québec) H3A 1X9 Rédaction: (514) 398-6784 Publicité: (514) 398-6790 Télécopieur: (514) 398-8318
Autoportrait... autocritique
rédactrice en chef Valérie Vézina
Tristan Péloquin Quartier Libre (16 janvier 2002)
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n 1942, un regroupement d’étudiants de collèges classiques, sous l’œil attentif des pères enseignants, crée la corporation des Escholiers griffonneurs. Quelques têtes fortes exigent certains droits par le biais de leur petit journal étudiant. «Ça a commencé très simplement: nous revendiquions de meilleurs repas à la cafétéria ou la permission d’organiser des danses mixtes. D’autres, plus courageux, contestaient l’autorité des ecclésiastiques», explique Pierre Vennat, journaliste à La Presse depuis mai 1959. Il a débuté sa carrière au journal du Collège Mont-St-Louis au début des années 1950. En arrivant à l’université, Pierre Vennat et ses collègues découvrent la liberté. Dès lors, les journaux universitaires lancent l’idée de créer des associations étudiantes dans les collèges. Les petites luttes deviennent de grands combats. «Les étudiants se servaient de la plume pour faire bouger les choses», ajoute Pierre Vennat. Ils sont anti-duplessistes, luttent pour la déconfessionnalisation des écoles et pour l’éducation gratuite. «Nous voulions changer le monde». C’est l’époque où être un universitaire équivaut à vouloir crier ses idées au Québec entier. En 1959, Maurice Duplessis s’éteint et avec lui prend fin la Grande noirceur. Les Escholiers griffonneurs expulsent définitivement le clergé de leurs publications et créent la Presse étudiante nationale (PEN). La PEN pousse à la création de l’Union générale des étudiants québécois (UGEQ) en 1964, dirigée par un certain Bernard Landry. Ses membres sont à gauche, ils ont des idées fortes et surtout, ils veulent qu’elles soient reconnues. Les journalistes étudiants ne se contentent pas de relater les activités des mouvements sociaux: ils les provoquent de toutes pièces. En 1975, la situation inverse se produit. L’Association nationale des étudiants du Québec (ANEQ) naît des cendres encore chaudes de l’UGEQ et redonne vie à la PEN, largement associée aux idées du Parti communiste canadien (marxiste-léniniste) qui la chapeaute. Systématiquement, la PEN
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chef de pupitre-nouvelles Philippe G. Lopez chef de pupitre-culture Flora Lê rédacteur-reporteur Eleonore Fournier coordonnateur de la mise en page David Drouin-Lê coordonnateur de la photographie Éric Demers coordonnateur de la correction Julien Vinot chef illustratrice Jany Lemaire
s’attaque à l’establishment. Au début des années 1980, la presse étudiante (devenue PEQ) se dote d’une politique officielle d’information «qui encourageait les publications à protéger et à défendre les intérêts des étudiants, mais aussi à dénoncer les rapports de force entre les classes sociales, souligne Jean Sébastien, spécialiste de l’histoire des médias étudiants. L’opinion des étudiants s’exprime depuis dans le choix des sujets plutôt que dans les commentaires écrits». Exit les éditoriaux virulents et les prises de position officielle. Le journalisme étudiant se veut maintenant neutre dans ses propos, à l’image de la presse professionnelle. En cherchant à copier les gros joueurs, la presse étudiante en oublie peu à peu l’idéologie derrière sa politique d’information. Elle cherche toujours à défendre les intérêts étudiants et à dénoncer les inégalités, mais les idées manquent. Les journalistes étudiants ont peur de se fermer des portes auprès de la presse professionnelle. Pour Jean-Marc Fontan, directeur de l’étude Regards croisés sur la presse alternative au Québec, les journaux universitaires «sont semblables à ce que sont devenues nos
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Irak: après 50 Euthanasie ans des élections à la une!
universités: des lieux d’incubation, de contacts et de positionnement. Les étudiants sont plus carriéristes qu’avant». Voilà où en est la presse étudiante après un demi-siècle d’existence. «La combativité y perd, le professionnalisme y gagne. On ne peut pas tout avoir...», remarque Pierre Vennat. L’an dernier, les plus grandes publications étudiantes (en termes de tirage) créent la Presse universitaire indépendante du Québec (PUIQ). À l’occasion du Sommet des Amériques, elle publie un numéro spécial commun. Depuis, la PUIQ se cherche. Une politique d’information commune est-elle à envisager? Le statut de ce regroupement reste encore à définir, tout comme sa place au sein de la presse alternative. Si la presse étudiante a gagné en qualité, elle a sans doute perdu beaucoup de son mordant. Pourtant, les journaux universitaires, bénéficiant aujourd’hui de moyens non négligeables, ont plus que jamais un rôle à jouer dans les changements de société. Professionnalisme et combativité, et si on pouvait tout avoir… x
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Festival Voix d’Amérique
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Main Design 04
Peine d’amour? Votre belle/beau vous tourne le dos? Au Délit, on vous aime. Réunion local B-24 du Shatner, 16h30.
collaboration Alexandre de Lorimier Jasmine Bégin Marchand Laurence Bich-Carrière Félix Meunier Marika Tremblay Franco Fiori Léa Guez Émilie Beauchamp Dominique Henri Alexandre Vincent Marie-Noëlle Bélanger-Lévesque David Pufahl Pascal Sheftesty Tracy Robin Borhane Blili-Hamelin Agnès Beaudry webmestre Bruno Angeles couverture Éric Demers Alexandre de Lorimier gérance Pierre Bouillon publicité Boris Shedov photocomposition et publicité Nathalie Fortune le McGill Daily Daniel Cohen
Conseil d’administration de la Société de Publication du Daily: Emily Kingsland, Eugene Nicolov, Rachel Marcuse, Bram Sugarman, Alexandre de Lorimier, John Jeffrey Wachsmuth, Daniel Cohen, Valérie Vézina, Joshua Ginsberg
L’usage du masculin dans les pages du Délit français vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Le Délit est publié par la Société de publications du Daily. Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et illustrations dont les droits avaient été auparavant réservés, incluant les articles de la CUP). Les opinions exprimées dans ces pages ne reflètent pas nécessairement celles de l’Université McGill. L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal. Imprimé par Imprimerie Quebecor, St-Jean-sur-Richelieu, Québec. Le Délit est membre fondateur de la Canadian University Press (CUP) et de la Presse universitaire indépendante du Québec (PUIQ). Imprimé sur du papier recyclé. ISSN 1192-4608
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Vers un monde meilleur…
«Bâtir l’avenir maintenant!»: un concours pour créer le monde de demain. Valérie Vézina
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omment bâtir un monde plus juste, plus équitable? RadioCanada International (RCI) et Développement International Desjardins (DID) ont joint leurs efforts pour offrir l’opportunité aux jeunes de 18-30 ans de s’exprimer sur le sujet. Le concours consiste à écrire un texte d’un maximum de 500 mots, soit en anglais, français ou espagnol et de répondre à la question précédente.Il est également possible de produire une illustration répondant à la même question. On connaît tous la chaîne de Radio-Canada, mais sa branche internationale est parfois peu
connue. Pourtant, la chaîne diffuse à travers le monde sur ondes courtes ou sur le web en neuf langues différentes, soit le français, l’anglais, l’espagnol, l’arabe, le portugais, le russe, l’ukrainien, le cantonais et le mandarin. Selon Mme William StHilaire, de RCI, le but des émissions est «de rejoindre les Canadiens à l’extérieur, mais aussi les étrangers et leur parler du Canada». Le bras international de Radio-Canada est souvent vu comme une source fiable et plus nuancée que la BBC ou CNN. «Lors de conflits, comme la guerre du Golfe par exemple, on a une grande clientèle qui se tourne sur nos ondes pour savoir
ce qui se passe chez eux», précise Mme. St-Hilaire De plus, leur site internet (www.RCInet.ca) contient une impressionnante banque de données avec 20 000 liens vers 200 pays; un outil de recherche extra pour les travaux universitaires. RCI s’est associé à DID afin de créer le concours «Bâtir l’avenir maintenant!» Leur but, loin d’être modeste, est de donner la parole aux dirigeants de demain en leur demandant comment bâtir un monde plus équitable. Par là, ils tentent, avec crédibilité, de rejoindre les dirigeants actuels, de faire changer les choses. Le tout s’inscrit alors que s’entamait
dimanche dernier la semaine du développement international. C’est également l’année internationale du microcrédit. DID est d’ailleurs très actif en ce domaine. Le microcrédit consiste à financer des petits projets pour des petites entreprises dans les communautés de pays en développement. DID débourse des milliers de dollars à de petites entreprises, porteuses de projets, afin qu’elles aient des fonds et qu’elles puissent maintenir leurs projets. Et leur implication est mondiale: Afrique, Amérique Latine, Asie. Voilà plus de 35 ans que DID finance des projets qui ont permis
à des communautés de se tenir, de vivre, de bâtir. L’union fait la force n’est donc pas un slogan dépassé. DID et RCI s’unissent dans un concours qui permettra aux gagnants de vivre un stage de sensibilisation au développement international. Alors, si vous voulez faire bouger les choses, si vous croyez en l’avenir, faites entendre votre voix. Vous pouvez participer au concours «Bâtir l’avenir maintenant!» jusqu’au 25 mars. Pour ce faire, consultez le www.RCInet.ca. x
nouvellescontroverse
Davos: Chirac propose une taxe internationale Cette semaine: Marika Tremblay et David Drouin-Lê s’affrontent dans le ring. Il est à noter que les positions exprimées ne sont pas nécessairement partagées par leur auteur.
Chaque semaine, le Délit choisit un sujet controversé. Au hasard sont tirés le nom des journalistes devant défendre respectivement le pour et le contre.
POUR
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n scande dans les rues que le monstre global se joue des frontières, ayant les mains libres pour faire profiter sa panse gourmande. Subtil, cet inconnu rondouillard flirterait quotidiennement avec nous, citoyens du monde. La seule façon de le saisir, lors de nos lessives hebdomadaires, serait de lire le surréaliste «Made in China» sur nos étiquettes. L’idée d’une taxe internationale n’est pas récente. Son but: discipliner et profiter de cet ogre global en le transformant en un Robin des bois post-moderne. Plusieurs ont effectivement démontré qu’il serait possible d’amasser, en taxant légèrement les 1,8 trillions de dollars de spéculations monétaires quotidiennes, entre 100 et 300 milliards par année. D’autres ont parlé de taxation internationale individuelle pour apaiser les inégalités économiques ou de système de gouvernance global. Suffit de dire que, si bien gérées, ces ressources pourraient faire une différence significative. Les académiciens qui proposent de telles initiatives devant leurs gentils étudiants en développement international soufflent un vent d’idéalisme dans l’aridité néo-libérale. Or, lorsque Chirac le fait devant les dirigeants du monde à Davos, l’impact diffère. L’allusion à une taxe sur les tarifs aériens n’est bien sûr qu’un petit pas. Elle laisse, par contre, entrevoir l’éclosion d’un système de répartition des ressources concret. Une réinsertion nationale dans l’économie mondiale est aussi souhaitable pour contrer la grande volatilité des marchés financiers. L’initiative française révèle cependant un paradoxe intéressant. D’une part, les gouvernements nationaux feignent de donner l’argent nécessaire en matière d’aide internationale. D’autre part, ces derniers voient l’altruisme et l’humanisme comme motifs pour intervenir dans une économie dont ils perdent les rênes… Peu importe: il est permis de croire qu’ici, les moyens justifient la fin.x
A
CONTRE
fin de se convaincre du mal fondé d’une politique, il n’y a rien de mieux que d’utiliser l’argument adhominem. Ainsi voilà qu’un des plus prolifiques escrocs de la planète cherche à se bâtir du capital politique sur le dos des pauvres du tiers-monde. Jacques Chirac propose actuellement une taxe internationale pour combattre la pauvreté. Pourtant ce président dirige un parti de droite. Comment se fait-il qu’un politicien prônant le non-interventionnisme économique puisse en arriver là? Une tactique vieille comme le monde consiste à instrumentaliser la politique extérieure afin de faire sombrer dans l’oubli les problèmes internes. Par les temps qui courent, Chirac en éprouve certains quelque peu gênant. À moins qu’il ne se représente à la présidentielle de 2007 pour un troisième mandat, Chirac risque bien de se retrouver lui aussi en prison en raison d’un scandale à retardement remontant au temps où il était maire de Paris. Ce scandale impliquant de larges détournements de fonds publics n’a pas encore atteint le président puisque celui-ci jouit d’une immunité présidentielle empêchant les tribunaux de se pencher sur son cas. Le problème en l’espèce est que Chirac est en train de se faire tasser dans son propre parti, l’UMP, par le jeune et populaire Nicolas Sarkozy qui a bien l’intention de bloquer sa candidature en 2007. D’ailleurs Sarkozy n’arrête pas de miner l’autorité du président en le contredisant sans cesse sur la place publique française. En terminant, voyons brièvement ce que Chirac a accompli en France en termes de lutte contre la pauvreté. En 2003, son gouvernement a décidé par le biais d’une mesure courageuse d’éradiquer la pauvreté, au sens physique du terme. Une loi a donc été adoptée et porte sur la «mendicité agressive». Cette loi permet donc d’abaisser le taux de SDF en permettant aux braves gendarmes de foutre en taule la plèbe indésirable, lui fournissant un logement luxueux entre quatre murs et en retirant ces pauvres des statistiques. Chirac et la pauvreté internationale, une osmose qui ne tient donc pas de la diversion! x
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nouvellesinternational
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Les premières élections en Irak depuis cinquante ans
Ren Brynen discute du controversé processus de démocratisation en Irak. Jasmine Bégin Marchand
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l semblerait que les événements de cette fin de semaine mériteront au président américain certaines félicitations. George W. Bush, quelques années plus tôt, avait fait de la guerre en Irak son chemin de croix; il allait sauver les Irakiens et apporter au pays opprimé la démocratie. Beaucoup avaient froncé le sourcil à cette annonce: après les armes de destruction massive qui ne furent jamais trouvées, nombreux sont ceux qui étaient sceptiques face à la volonté et surtout aux intentons du président Bush en ce qui avait trait à la démocratisation de l’Irak. Mais ceux-ci devront reconnaître les faits: les premières élections en Irak ont eu lieu ce dimanche 30 janvier 2005, et toute la communauté internationale clame déjà le succès de l’événement. Seulement, pouvons-nous parler de démocratie à ce jour? Selon Rex Brynen, professeur de science politique à Mcgill, ce n’est pas encore le cas, mais ce le sera peut-être éventuellement. Dû à des questions de sécurité, peutêtre que le taux de participation des élections ne sera pas très élevé. Mais il semble évident que l’Irak ne peut pas se démocratiser s’il n’a pas de premières élections: c’est une étape cruciale. Depuis la chute de Saddam Hussein, en avril 2003, c’était Iyad Allaoui, un Irakien soutenu par le gouvernement américain et la CIA qui agissait en tant que chef du gouvernement intérimaire. Il avait été désigné par le conseil de gouvernement provisoire et l’autorité de la coalition d’occupation; le transfert des pouvoirs se fit au début du mois de juin 2004. Ce gouvernement suscitait bien sûr le mécontentement de la population qui ne croyait plus en un gouvernement autonome et qui percevait leur nouveau chef d’état comme une marionnette au service des Américains. Malgré le fait que la liste Alliance unifiée irakienne, qui représente la majorité chiite de la population, ait de grande chance de remporter cette élection, Brynen affirme que le nouveau gouvernement ralliera les Irakiens, en offrant le sentiment que le gouvernement est vraiment le leur. Évidemment, plusieurs seront mécontents des résultats des élections et clameront qu’elles ont
été truquées mais aujourd’hui, tous s’accordent à dire qu’elles ont été tenues dans les règles de l’art et qu’on n’aurait probablement pas pu espérer mieux. Quelques jours avant les élections, plusieurs menaces furent proférées de la part de groupes extrémistes: certains groupes sunnites incitaient la population à boycotter les élections, certains bureaux de suffrage fermaient, et le groupe Al-Qaeda et le chef de la faction irakienne Abou Moussab Al Zarqaoui, après avoir déclaré la guerre aux élections, laissaient planer le spectre de possibles attentats sur la population. Or, le lendemain des élections, les gouvernements de plusieurs pays ont reconnu les élections irakiennes comme un franc succès: on atteint près de 60 p. cent de participation, un résultat plutôt surprenant étant donné que le taux de participation à l’extérieur du pays était particulièrement faible.Le professeur Rex Brynen explique ces résultats par trois facteurs. Premièrement, une majorité d’Irakiens à l’extérieur du pays sont Sunnites et ceux-ci ont été appelés à boycotter les élections. De plus, ces élections hors pays ont été organisées à la dernière minute, les membres de l’organisation en
charge étant toujours sceptiques. Finalement, notons qu’il est très compliqué de voter à l’étranger: « Quelqu’un vivant à Vancouver devrait prendre l’avion jusqu’à Calgary, ensuite revenir, etc. » Pour ce qui est des menaces proférées par plusieurs groupes extrémistes, malgré un attentat qui causa la mort de trente-six personnes, tout s’est mieux passé que ce à quoi l’on s’attendait question sécurité. À présent, quels seront les défis que le nouveau gouvernement devra relever? Selon le professeur Brynen, «le plus important sera d’écrire la constitution; probablement que celle-ci comprendra un droit de veto pour les Kurdes et les Sunnites. Il faudra ensuite faire approuver cette constitution, régler les problèmes liés aux insurgés irakiens, et assurer les services de base».
Pouvons-nous nous attendre à un gouvernement religieux? Rex Brynen est confiant que ce ne sera pas le cas: les chiites irakiens ne sont pas homogènes et il était clair de la part des groupes chiites que s’ils accédaient au pouvoir, ce ne serait pas pour y instaurer un gouvernement religieux. Et est-ce que les mécontents iraient jusqu’à déclencher un coup d’état ou une guerre civile? Encore une fois, le professeur Brynen n’y croit pas. Les sunnites ne forment que 20 p. cent de la population et tous ne supportent pas la cause fondamentaliste. De plus, même s’ils le faisaient, ils ne sont pas assez armés, ni assez nombreux pour provoquer un événement majeur tel qu’un coup d’état ou une guerre civile. Cependant, on peut s’attendre à ce que la violence continue.
Quelques dates importantes sur le dossier des élections irakiennes: 15 août: l’assemblée doit avoir terminé d’écrire une esquisse de la constitution – une extension de six mois peut être accordée avec la permission de la majorité. 15 octobre: les Irakiens votent la constitution: si elle est rejetée, l’Assemblée nationale sera dissoute et le 15 décembre se tiendront des élections afin d’élire une nouvelle Assemblée nationale. Si la constitution est acceptée, le 15 décembre se tiendront des élections afin d’élire un nouveau gouvernement. x
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nouvellesdivers
Qui est Floyd «Red Crow» Westerman? Au royaume de la pub, les vieux Indiens sont-ils rois? Laurence Bich-Carrière
Le Chat…. Et la vérité Félix Meunier
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e lisais un livre fantastique intitulé The Conscience of a Liberal du sénateur démocrate américain Paul Wellstone. Wellstone était réputé pour être le membre le plus à gauche du Sénat américain. Il a en fait été qualifié d’«embarrasingly liberal» pendant toute une campagne. Mais qui était ce drôle de bonhomme, anciennement prof de science po, qui a défendu les droits des travailleurs, des malades et des enfants tout au long de sa carrière? À bord d’un bus rabougri vert datant d’une autre ère, il faisait campagne au Minnesota sous le thème du «Vote in what you believe in». Noble, mais slogan vide? En fait, ses votes au Sénat prouvent que justement il tenait son bout. Il défendait ses projets sociaux avec hargne. Il contestait le mode de financement électoral américain qui favorise une minorité de riches. Les gens ne croyaient pas nécessairement à ses idées, mais à sa droiture politique inattaquable. De nos jours, il ne faut qu’être déçu du mode de «damage control» adopté par les sociétés et les individus. Un journaliste qui se pointe est pour plusieurs systématiquement une mauvaise nouvelle. Le journaliste ne fait que «brasser de la merde». Non, il fait ressortir une situation qui pour plusieurs est inadéquate. Sachez défendre votre position, en espérant qu’elle soit juste, et il ne devrait pas y avoir de problèmes. N’hésitez pas à vous exprimer de peur de brusquer les gens. Soyez honnêtes. Soyez francs. Des sénateurs affirmaient qu’ils soutenaient les efforts de Wellstone mais n’osaient embarquer car cela pourrait les embarrasser lors de la prochaine campagne. Inacceptable. Voter contre sa conscience est un acte qui doit en gêner plus d’un. Pourtant, la peur d’une défaite là-bas et l’intimidation de la ligne de parti ici les incitent à choisir la voie de la facilité, celle de ne pas se donner la peine de défendre ses idées. C’est en effet facile de tout critiquer, mais les médias ne sont pas blancs comme
neige dans ce dossier. Le courriériste parlementaire va chercher une histoire chez un député qui montre la dissension dans le parti en question. Pourtant, je suis bien content qu’il y ait dissension et donc débat sur un sujet donné. En fait, plutôt que de gratifier et louanger ceux qui s’expriment, on les isole en les traitant de moutons noirs (indomptables). On dénonce la langue de bois du politicien tout en le rabrouant aussitôt qu’il a une position autre que l’officielle. Cela développe évidemment le cynisme décapant de la population. Il s’agit pourtant d’un choix dichotomique: on choisit la clarté mais l’uniformisation d’une ligne de parti ou la richesse mais l’anarchisme des députés qui défendent leurs convictions. On ne peut avoir les deux. Il semble qu’on ait fait le choix de favoriser la première option. Fine. On ne peut demander la seconde en même temps. De mon côté, je ne fais que demander un glissement de la première option vers la deuxième. Maintenant, qu’est-il arrivé lorsque le mandat de Wellstone arrivait à échéance? Les républicains, qui estimaient déjà s’être fait voler la première fois, ont mis toute la gomme en attaquant Wellstone de toute part. Ils pouvaient évidemment utiliser les votes où Wellstone avait fait cavalier seul sur des amendements réduisant le budget militaire ou en proposant l’instauration de coûteux programmes sociaux. Ou encore celui-ci: «To express the sense of the Senate regarding continuing medicaid coverage for individuals who lose eligibility for welfare benefits because of more earnings or hours of employment». Pourtant, en 1996, Wellstone était réélu facilement. Ce qui est admirable chez cet homme, ce sont non pas ses positions de gauche, ma foi plutôt courageuses, mais son acharnement à se tenir droit et à se battre pour ses idées. Paul Wellstone, sa femme et sa fille sont morts pendant la campagne électorale de 2002 à la suite d’un accident d’avion. x
Après une retraite bien méritée, Floyd Westerman se livre à diverses activités de promotion. Ici, il vante les mérites du berger-allemand comme chien de garde.
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ui est Floyd «Red Crow» Westerman? Arrêtez-vous un instant et posez la question à vos proches. «Dékéssé?» risque probablement d’être la réponse la plus commune. Pourtant, c’est tout un acteur, ce Red Crow: en plus de compter de nombreuses participations à des émissions aussi cotées que Dharma & Greg, The X-Files, Northern Exposure, Hardball, L.A. Law, MacGyver et même Baywatch Nights, il a souvent joué «l’Indien de service» du récent Hidalgo à Grey Owl, en passant par The Doors et surtout, Danses avec les loups (1990). Et, pour les plus nostalgiques, il a même fait la voix de plusieurs personnages dans la télésérie Captain Planet and the Planeteers (1990). Vous ne le replacez pas? Un site allemand qui lui est consacré nous assure que pour préserver son anonymat il fait souvent des réservations au restaurant sous le nom de Pop Wharton, même s’il cède parfois à ses fans en *délire* et interprète ses grands succès comme Custer Died for Your Sins et The Land is Your Mother. Toujours pas? Alors, écoutez la télévision avec attention ce soir. N’importe quel poste: Radio-Canada, CBC, TVA, au choix. Et puis, restez devant l’écran à la pause publicitaire. Ne ronchonnez pas devant le manque d’imagination des concepteurs de pubs d’automobiles et d’annonces de bière, attendez. Ça ne devrait pas être bien long: inévitablement vous aurez droit au vieil indien incompréhensible avec ses zoiseaux qui gazouillent comme on vous recommande d’utiliser, pour vos douleurs arthritiques, «l’analgésique à bille de LaKOTA». Ce vénérable sachem, c’est Floyd «Red Crow» Westerman, né en 1935 dans la réserve sioux dakota de Sisseton-Wahpeton. «Ah! je le savais!», vous exclamerez-vous. C’est bien
normal: on doit bien voir la publicité huit fois en deux heures. Ouais, vous commencez pas à trouver que ça fait beaucoup? En plus, elle est abominable, cette annonce! Comment une entreprise peut-elle se permettre – financièrement parlant, pour le bon goût et même le goût tout court, c’est une autre paire de manches – de faire passer quatre fois pendant les émissions les plus écoutées des pubs qui semblent avoir été réalisées pour le cours d’économie de 5e secondaire (d’ailleurs, il a suffit d’un blue screen à Infoman pour permettre à Jean-Michel Anctil d’en faire un pastiche sur l’air d’Awa-wa-wa-bi-ka-na)? Justement. Trente secondes de pub à Tout le monde en parle se vendent au-delà de 20 000 $. Produite pour une bouchée de bain, l’esthétique douteuse de l’annonce et sa surexposition en font un sujet de conversation. «Parlez-en en bien, parlezen en mal, l’important, c’est que tout le monde en parle»: quoi de mieux alors que l’endoctrinement par la répétition? C’est de la mercatique vile et simple beaucoup plus qu’une réelle ladrerie. D’ailleurs, la pub du fitness club de Club piscine fonctionne sur le même principe. Comprendre: on a optimisé le temps d’antenne pour un petit lavage de cerveau qui permettra d’accrocher un maximum de poissons. LaKOTA est le meilleur vendeur de sa catégorie dans toutes les provinces canadiennes (que ceux qui ne craignent pas les boîtes aux lettres infestées remplissent le minuscule sondage «bilingue» qui donne droit à un échantillon gratuit au www.lakotaherbs. com/html/surveyfrench.html). Et dire que la cause que défend Red Crow est celle de l’héritage indien et la promotion du culte des ancêtres… x
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nouvellescontroverse
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Le suicide médiatisé de Marcel Tremblay suscite des remous dans la presse Le suicide non-assisté est décriminalisé au Canada; l’euthanasie et le suicide assisté ne le sont pas. Quels devraient être les droits des Canadiens?
Eleonore Fournier
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endredi soir, Marcel Tremblay a annoncé son suicide à la presse. Il souffrait depuis 1998 d’une fibrose pulmonaire qui le faisait énormément souffrir et avait décidé que la vie ne valait plus la peine d’être vécue. Après s’être adressé à une cinquantaine de convives lors d’un dîner à Ottawa, il est rentré chez lui avec sa femme et ses enfants et s’est donné la mort lui-même, sans l’aide de ceux qui l’entouraient. Depuis 1973, le suicide non-assisté a été décriminalisé. Néanmoins, l’euthanasie ne l’est pas. Lors de ses adieux, Tremblay a déploré le fait que d’autres, plus malades que lui, ne pourraient pas demander l’aide de leurs proches pour mourir. Ceux dont la vie est encore plus difficile n’ont donc aucun recours au soulagement, même s’ils le demandent euxmêmes. De plus, les malades dans un état végétatif, pour lesquels on a plus aucun espoir, devraient légalement être maintenus en vie jusqu’à ce qu’ils meurent par eux -mêmes. La question du «débranchage» a été soulevée dernièrement en Floride, quand Terri Schiavo, dans le coma depuis 1990, a été débranchée par son mari en octobre 2003. Six jours plus tard, elle a été rebranchée, à la suite d’une «loi Terri» votée dans l’urgence par le parlement de la Floride. En octobre 2004, la Cour Suprême de la Floride a déclaré cette loi anticonstitutionnelle. Jeb Bush, gouverneur de l’état, a donc fait appel à la Cour Suprême des ÉtatsUnis qui a refusé d’examiner le cas le 24 janvier dernier. En raison de la réaction de la Cour Suprême, il n’y a donc pas de position officielle aux États-Unis sur l’euthanasie. Le 27 janvier, le Pape JeanPaul II, lors d’une réception pour l’ambassadeur des Pays-Bas, a réitéré son désaccord avec l’euthanasie. Gravement atteint de la maladie de Parkinson, le Pape, à 84 ans, a déclaré que le commandement «Tu ne tueras point» devrait toujours être respecté. D’après l’Église catholique, le suicide, qu’il soit assisté ou non, est toujours déplorable. En s’adressant à l’ambassadeur, le Pape avait choisi son public avec soin; la Hollande est le premier pays à avoir légalisé l’euthanasie pour des malades adultes en phase terminale. Le docteur Margaret Somerville, directrice du Centre de McGill de Médecine, d’Éthique et
de Droit est auteur de Death Talk: The Case against Eutanasia and Physician-assisted Suicide. D’après elle, le Code criminel du Canada ne devrait pas être modifié pour décriminaliser le suicide assisté: «La raison pour laquelle le suicide a été décriminalisé est que d’essayer de commettre un crime est égal à commettre un crime, donc ceux qui avaient besoin d’aide devenaient des criminels en faisant une tentative de suicide et ne demandaient pas de l’aide avant ou après la tentative. La raison pour laquelle le suicide a été décriminalisé est pour sauver des vies, non pour permettre aux gens de se suicider». Pourtant, le NPD a déclaré envisager de proposer un nouveau
projet de loi sur le suicide assisté. C’est donc possible que cela devienne une réalité pour les Canadiens. Marcel Tremblay, en publicisant son suicide, a voulu impliquer les médias, pour s’assurer que le débat continuerait après sa mort. La présence des journalistes près de chez lui lors de sa mort soulève une question importante; pourquoi a-til vraiment voulu mourir entouré ainsi? Selon le docteur Somerville, il a voulu «promouvoir la cause du droit de mourir, sentir qu’il laissait un legs par son acte, savoir que d’autres étaient conscients de sa mort pour ne pas mourir seul, donner du sens à sa mort, avoir du courage, peut-être se mettre dans une situation où il n’y avait aucune
issue de secours…» La famille de M. Tremblay a complètement approuvé sa décision. Peut-être pensait-elle comme lui que, malade et âgé de 78 ans, il avait assez vécu? Généralement, pourtant, les Montréalais semblent être assez favorables face au suicide assisté et à l’euthanasie. Interviewée au hasard dans la rue, Sarah Buissières, étudiante du secondaire de quatorze ans, pense que «oui, le suicide assisté devrait être légal, s’ils ont vraiment une maladie et ça gâche leur vie, oui, c’est eux qui savent». D’autres abondent dans le même sens. Le docteur Somerville déclare: «Mon impression est que la vaste majorité des personnes dans les médias sont pour la légalisation de
l’euthanasie…» Comme M. Tremblay l’avait espéré, les médias joueront un rôle important quant à la légalisation concernant le suicide assisté et l’euthanasie. La population canadienne aussi, car le débat prendra sans doute place au parlement d’ici peu. La question est donc imminente; pour certaines personnes, c’est une question de vie ou de mort. Étant donné la médiatisation du suicide de M. Tremblay, d’autres qui veulent aussi la mort mais qui ne peuvent se la donner sans aide feront aussi appel à des changements. Beaucoup se demanderont sans doute combien de responsabilité ont les Canadiens pour leur propre vie. x
08 Le Délit x 1er février 2005 nouvelleslocales
Tractations pour de nouveaux hôpitaux Alors qu’à Québec le Premier ministre se tourne les pouces et crée commission après commission, le système de santé provincial ne voit aucune amélioration à l’horizon. Alexandre de Lorimier
Où est-ce qu’on va le mettre? Pour ce qui est du CHUM, les choix sont maintenant quasi innombrables. L’hôpital Saint-Luc, le 6000 Saint-Denis ou encore la gare de triage d’Outremont: de nouvelles possibilités voient le jour chaque semaine. L’option Saint-Luc (que l’on appelle aussi le 1000 Saint-Denis pour encore plus de clarté) prévoit la rénovation de l’édifice existant et l’ajout de plusieurs ailes. Elle est favorisée par le président du Conseil d’administration du CHUM, Patrick Molinari, et par la commission Mulroney-Johnson. De son côté, bien que le panneau du ministère y déclare toujours «Un Grand hôpital pour le Québec sera construit ici», la viabilité du 6000 Saint-Denis dans le quartier Rosemont semble compromise à jamais. La commission a vite renoncé au projet prétextant des coûts exorbitants, notamment pour la décontamination des sols. Enfin, la gare de triage d’Outremont est préférée par un certain groupe de gestionnaires et par le lobby de Power Corporation. Cependant, cette dernière option ne plaît pas à tout le monde. Les problèmes reliés à ce site sont similaires et parfois même plus imposants que ceux du 6000 Saint-Denis. Par exemple, de grands travaux d’infrastructure
Effort de dernière minute Dans une édition récente du Devoir, le Dr Jacques Genest fut le premier à (re)mettre en avant le site de l’Hôtel-Dieu. Il considère que la concentration des centres de soins et de recherche y est déjà assez grande pour y entrevoir les balbutiements d’un grand centre de santé. Son projet suggère de construire une extension de l’Hôtel-Dieu le long de l’avenue du Parc, sur les espaces verts entre l’avenue des Pins et la rue Duluth. «Ce site agrandi donnerait un espace disponible équivalent à celui du site de la cour Outremont et permettrait d’y réaliser le projet rêvé du recteur de l’Université de Montréal, et ce, au centre-ville, sur un terrain non contaminé et sans ligne de chemin de fer», écrit-il. De plus, la réfection prévue de l’échangeur du Parc – des Pins augmenterait la superficie du terrain disponible et l’accessibilité au nouvel hôpital.
Alexandre de Lorimier
seraient nécessaires afin de permettre aux Montréalais un accès facile et efficace au nouvel hôpital. De plus, le site de la gare de triage d’Outremont est situé dans un quartier majoritairement anglophone et, sans vouloir raviver le feu des passions linguistiques de la métropole, le choix d’un tel site serait en conflit avec la vocation francophone de la plus grande université du Québec. Le choix de Saint-Luc a ses avantages. Le CHUM resterait au centre-ville, là où la population en a le plus besoin, et où toutes les infrastructures existent déjà. De plus, le site est parfaitement intégré au réseau de transports en commun. La présence d’un grand hôpital de qualité au centre-ville est d’autant plus importante que le Royal-Vic fermera ses portes avec l’ouverture du nouveau CUSM. Cette fermeture entraîne une perte de service dans un secteur très densément peuplé, perte qui doit être comblée par un autre établissement.
Les partisans d’un CHUM au centre-ville ont proposé le site de l’Hôtel-Dieu.
Ce n’est pas la première fois qu’un groupe de citoyens propose le site de l’Hôtel-Dieu. Prétextant des problèmes d’infrastructure et d’accessibilité, le ministre Couillard a toutefois balayé cette option du revers de la main alors que, d’après un sondage Léger Marketing – Le Journal de Montréal, 27 p. cent d’un échantillon de 500 Montréalais soutiennent le projet. C’est le site de SaintLuc qui obtient la majorité, avec 31 p. cent des répondants. De son côté, la gare de triage d’Outremont recueille seulement 18 p. cent
des appuis. Le gouvernement attend le rapport des experts Armand Couture et Guy SaintPierre, qui devrait être déposé demain. Cette énième étude tranchera entre le site de Saint-Luc et la cour de triage d’Outremont. Le ministre a également refusé d’avoir des consultations publiques sur le sujet, invoquant celles organisées par la Ville de Montréal, mais qui n’auront lieu qu’une fois la décision du Conseil prise. x
Alexandre de Lorimier
V
oilà dix ans que les médias et nos technocrates préférés parlent de construire (ou de rénover) un nouvel hôpital pour le Centre Hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM). L’année 2005 à peine entamée, la situation ne pourrait être plus embourbée. Quel site choisir? À quel lobby faire plaisir? Comment faire croire aux citoyens que vous pensez à eux, alors qu’en fait vous ne pensez qu’à vos amis de l’industrie? Tant de questions auxquelles Jean Charest et Philippe Couillard, son ministre de la Santé et des Services sociaux, tentent de répondre. Mais voilà que pendant ce temps, les patients souffrent du manque de matériel, de ressources, de machines, d’infirmières, de médecins… et la liste pourrait être encore bien longue. Les installations hospitalières du CHUM sont vieilles et coûtent des millions à rapiécer chaque année. C’est un peu comme les nids de poules de l’asphalte montréalais. On met des patchs sans jamais vraiment régler le problème: les fondations des rues qui ne résistent plus aux caprices de nos hivers. Bref, l’Hôtel-Dieu, l’hôpital Notre-Dame et le Saint-Luc ont tous besoin d’une bonne cure de jouvence, et pourtant toute l’attention est portée sur la construction d’un deuxième mégahôpital dans la métropole. Parlant de mégahôpital, de son côté, la construction du nouveau Centre Universitaire de Santé McGill (CUSM) dans la cour Glen va bon train. Le projet prévoit la création de 500 lits dans l’ancienne cour de triage et la relocalisation de plusieurs services. Si tout va bien, le nouveau CUSM sera complété dès 2010. D’ici là, l’hôpital Royal-Victoria fermera ses portes, tandis que l’Hôpital Général de Montréal servira de base arrière au complexe du campus Glen.
L’Hôtel-Dieu, au coin de St-Urbain et de l’Avenue des Pins. En arrière plan, le Royal-Victoria qui fermera en 2010.
1er février 2005 x Le Délit
cultureopéra
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Un peu d’humour si ça vous chante Brad Pitre
Le mariage d’amants qui ont trouvé leur voix.
C
du spectateur. Réalisés par le San Diego Opera Scenic Studio, ceuxci remplissent le fond comique de la pièce en exagérant les stéréotypes au-delà de la limite du possible, ce qui n’en altère aucunement la qualité esthétique. Le jeu trop gros, trop joué de l’opéra s’adapte parfaitement à la bouffonnerie du genre pendant que la mise en scène rapide vient couronner le spectacle.
L’Opéra de Montréal brille une fois de plus avec Don Pascale, une production solide et originale.
culturedanse
Yves Renaud
’est dans un décor transposé au Far West que la toujours populaire œuvre de Donizetti a lieu à l’Opéra de Montréal. L’œuvre originalement produite au Théâtre Italien de Paris en 1843 est ici déménagée dans un décor probablement méconnu de l’auteur. Les décors toujours sophistiqués de l’Opéra de Montréal attirent immédiatement la curiosité
Don Pasquale (héros un peu vilain) se présente comme un riche vieillard (évidemment avare) qui s’interpose dans le mariage de son neveu (Ernesto) et unique héritier. Ne prêchant pas par l’exemple, le vecchio aux jours comptés aspire lui-même à la postérité par le biais d’une alliance avec une jeune femme. Un faux complice, le docteur Malatesta, lui propose sa sœur. Mais le «soudoyeur» a un autre projet en tête. Manipulant l’intrigue, il fait passer l’amante d’Ernesto (Norina) pour sa sœur et l’union est rapidement scellée devant un prétendu notaire. Norina, Sofrina pour les non-intimes tels que Don Pasquale, change radicalement de comportement au point de faire regretter au vieux manipulateur manipulé sa manigance. Voulant rompre son alliance, il appelle Malatesta à l’aide. Ceux-ci conviennent d’espionner sa supposée femme, qui rejoint son bien-aimé Ernesto. Le jeune s’élance dans une sérénade qui attendrit Don Pasquale tout en lui permettant de découvrir la ruse. Soulagé d’apprendre que son
mariage n’a jamais été officiel et de ne plus avoir à subir l’hystérie de sa nouvelle femme, Don Pasquale s’émeut devant le témoignage d’amour et accepte de bénir l’union des amoureux. Les quiproquos et caricatures légèrement faciles, ou plutôt surannés du bouffe demandent une légère coopération du public, mais celle-ci se fait sans effort pour quiconque désire passer une belle soirée. Le malheur typique de ce genre de comédie tient davantage de la difficulté de l’auteur à soutenir une tension musicale assez longue et soutenue pour rivaliser avec le genre seria. Qu’à cela ne tienne, la grandeur de la composition lui vaut incontestablement des comparaisons élogieuses avec le Barbier de Séville de Rossini. Assurée par l’émérite JeanMarie Zeitouni, la direction de l’Orchestre Symphonique de Montréal prend habilement corps avec l’évolution de la pièce. De la forme plutôt narrative de l’histoire au premier acte, les instrumentistes remplissent graduellement l’amphithéâtre à mesure que la
partition de Donizetti permet de meilleurs emportés lyriques. L’année 2004 est particulièrement bonne pour l’Opéra de Montréal, lequel brille encore une fois par une distribution parfaitement orchestrée. De sa voix de ténor, Shawn Mathey (Ernesto) se marie parfaitement avec la voix de la soprano Nathalie Paulin, pendant que le contrepoids exercé par Kevin Glavin (basse) qui domine l’assemblée de sa voix grave et profonde se prête agréablement au jeu du récit et appuie le récit de l’histoire. Une production solide, une mise en scène ludique, une orchestration enflammée par les réactions de la foule et des décors divertissants font de cette pièce une réalisation originale et dont l’intérêt est transporté grâce à la vitesse de l’exécution. x Don Pasquale joue les 3, 5 et 9 février à la salle Wilfred-Pelletier de la Place des Arts, 260, boul. Maisonneuve Ouest. Pour réservations:(514) 985-2225. Pour plus d’information: www. operademontreal.qc.ca
Quelle danse! Quelle société?
La danse qui questionne: Danse-Cité présente Social Studies/Sciences sociales du 2 au 5 février à l’Agora de la danse. Marie-Noëlle Bélanger-Lévesque
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e la danse contemporaine sur une musique contemporaine: plutôt déroutant comme spectacle. Le concept est pourtant bien simple: créer une synergie en réunissant trois danseurs de Vancouver et quatre chorégraphes québécois. L’idée de Social Studies/Sciences sociales vint ainsi au fondateur et directeur de la compagnie DanseCité, Daniel Soulières, après sa découverte de la danseuse Ziyian Kwan en 2001. Il veut alors permettre un pont est-ouest, Vancouver-Montréal. Le spectacle poursuit bien, c’est le moins qu’on puisse dire, l’objectif de Danse-Cité d’encourager la créativité artistique: les chorégraphes et danseurs en débordent. Du concept initial émerge trois solos, présentés en première partie, et un trio après l’entracte. On débute par la chorégraphie créée par Dominique Porte pour Susan Elliott que l’on pourrait interpréter comme une quête d’identité, une vulnérabilité parallèle à une détermination. Seule sur scène, Elliott se bat, se donne. John Ottomann suit avec une chorégraphie de Paul-André Fortier où les mouvements sont
saccadés, arrêtés dans leur élan. On dirait de l’anti-danse, comme quelqu’un qui essaie de danser à l’envers pour nous faire réfléchir: on cherche le sens, on cherche. Mon solo favori est celui de Ziyian Kwan où le chorégraphe David Presseault la transforme en un être semi-automatisé, semi-animal qui exprime la complexité de la vie. Quasiment nue sur la scène, elle nous fait redécouvrir la valeur et la beauté de ces choses que l’on fait automatiquement: marcher, respirer, parler. J’ai définitivement préféré la deuxième partie avec le trio du chorégraphe Benoît Lachambre, probablement parce que j’aime observer la relation entre les trois danseurs et avoir plusieurs éléments à observer. Un beau contact est aussi établi avec l’auditoire en fin du spectacle. Les quatre performances ont eu le même effet sur moi: le questionnement. Qu’est-ce que la danse, ses limites? Quelle relation entre leur performance et le titre Social Studies/Sciences sociales? Y at-il un message et, si oui, quel estil? Peu de réponses, mais plusieurs bonnes questions. Dans la recherche d’identité qui semble être présente
dans tout le spectacle, la nudité des deux femmes lors de leur solo nous oblige à nous questionner encore plus franchement sur notre vulnérabilité humaine. Ce n’est pas que ça choque, mais encore, on se questionne: pourquoi? Je ne conseille pas à ceux qui n’ont jamais vu de danse contemporaine. J’y ai amené, sans trop connaître le contenu du spectacle, mon jeune frère de douze ans pour l’initier à la danse… Je crois l’avoir assez traumatisé pour qu’il ne se laisse plus amener à n’importe quel spectacle à l’avenir! Pour ceux qui s’y connaissent ou qui aiment les nouvelles expériences, je conseille d’y aller en groupe: c’est toujours plaisant de pouvoir discuter et comparer les impressions de chacun. Jetez-y un coup d’œil avant qu’ils ne partent pour le Vancouver International Dance Festival du 24 au 26 mars. x Danse-Cité présente Social Studies/ Sciences sociales du 2 au 5 février à 20h, à l’Agora de la danse, au 840 rue Cherrier (métro Sherbrooke). Les billets sont au prix de18 $ pour les étudiants (25 $ régulier), mais avec le forfait de l’Agora de la danse ou la
Ziyian Kwan interprète un solo bouleversant du chorégraphe David Pressault qui exprime la vie automatisée.
carte de membre «Les Astucieux» de Danse-Cité vous pouvez facilement avoir des billets pour 13 ou 15 $. Pour plus de renseignements sur le forfait et la carte, visitez le www.danse-
cite.org et le www.agoradanse.com. Pour réservations, contactez le réseau Admission ou téléphonez au (514) 525-1500.
10 Le Délit x 1er février 2005 essaiphoto
Par une froide journée de décembre
Avec quelques minutes de jour avant le coucher du soleil, deux prétendants photographes se réfugient dans les catacombes commerciales de Montréal... Photos: Sammuel Gaudreau-Lalande Philippe G. Lopez
1er février 2005 x Le Délit
cultureopinion
La Soirée des masques
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À l’image de son trophée, la Soirée des masques a ouvert grand la bouche pour crier de joie et de détresse. Flora Lê
C
’est un moment d’émotion et de dévotion que la Soirée des Masques nous a offert dimanche passé. Ce furent quelques heures de célébration bien méritée et de plaisirs évidents pour ces créateurs et ces comédiens pour qui le moment était enfin venu de se récompenser, et de faire le bilan, plus que positif. Je salue avec le plus grand respect et la plus grande admiration ces artisans de la culture qui font preuve d’un courage sans bornes à réaliser leurs rêves. Je lève mon chapeau à ces artistes qui ont pour la plupart consacré leur vie et leur carrière à un monde aussi féerique que précaire, et aussi exigent que méconnu. Le théâtre québécois se surpasse et dépasse nos frontières grâce à ces individus qui croient en leur art qu’ils font, avant tout, pour
nous. La soirée aura été une occasion en or de rendre hommage au théâtre Quat’sous qui fête ses cinquante ans, et le passage retentissant d’une multitude de grands comédiens qui nous ont fait rêvés et pleurés. Les confidences intimes de ceux qui y ont vu leurs heures de gloire, qui y ont fait leurs armes, de ceux qui y sont entrés les mains vides et sortis pleins d’espoir, ces souvenirs avaient de quoi toucher quiconque a connu la fébrilité des coulisses. C’est là qu’ils nous ont amenés, en répétition, parmi eux, dans leurs souvenirs et leur enthousiasme des belles productions. La soirée a été brillamment orchestrée par Claude Poissant et son équipe toute fraîche formée des comédiens David Savard, Éveline Gélinas, Benoît McGinnis et Pascale
Montreuil. Une animation, il faut le souligner, juste, minutieuse, jamais forcée et toujours de bon goût. Ils ont su faire cette soirée à l’image de ceux qu’ils couronnaient, grandiose et pourtant d’une simplicité désarmante. Et l’émotion de la célébration est parvenue à son paroxysme avec l’arrivée inopinée des Loco Locass, chanteurs invités, qui ont enchaîné sur une introduction d’airs folkloriques leur «Libérez-nous des libéraux» avec l’énergie et la conviction qu’on leur connaît. Les trois hommes n’avaient pas chanté deux mesures que la salle entière s’extasiait. Les cris qui fusaient de partout traduisaient l’approbation que tous avaient pour ces jeunes, qui ont su dire sans vergogne ce que tous pensaient tout bas. À ce moment, la langue soutenue et celle
de la rue disaient la même chose. C’était divin. Les quelques heures de la Soirée des Masques sont thérapeutiques pour qui croit encore au rêve, au pouvoir de l’art, et à l’évolution de notre société. Parce que le théâtre se veut plus qu’un terrain de jeu ou une éprouvette d’expérimentation: c’est un lieu positif parce que créateur, sans cesse à se questionner, à se perfectionner, à se renouveler. Voit-on autant d’efforts et de foi ailleurs que dans les arts? Voiton un tel désir d’évolution et de perfectionnement aussi convaincu que dans les arts? Pour ceux qui ont connu le travail que demande la création d’un spectacle, vous savez qu’aucun objectif mercantile ou intérêt égoïste ne survit à une telle aventure. Il faut avoir la foi, c’est tout.
culturethéâtre
culturebrève
Une utopie mal communiquée
Philosophes et guerriers ne semblent pas faire bon ménage. Léa Guez et adaptatrice Christina Iovita a plusieurs prix de théâtre à son palmarès. Peut-être ai-je manqué la métaphore, clé de la pièce, qui en changerait toute la perspective. Mais celui qui m’accompagnait ne semble pas non plus avoir décodé de sens cachés. Il y a bien, ici et là, quelques concepts intéressants, tels que la justice, le courage des gouverneurs, les besoins des citoyens ou encore des questions sur la nature de l’ennemi. Cependant, ils se perdent dans un dialogue et un jeu de répliques moyens. Les personnages, s’attardant longuement sur chaque idée ou blague, rendent les discours trop lourds.
Un défi manqué… Certes, les masques de la commedia dell’arte, les bâtons et les culbutes sont là. On a aussi repéré des extraits de textes de Platon sur la Cité de citoyens, au début et à la fin de la pièce. Mais on a pourtant bien du mal à relier les deux. On nous annonce des discours profonds sur la guerre et la démocratie, mais on assiste plutôt à des récits peu glorieux et à des lamentations presque clichées d’un soldat de retour de bataille. Ruzante pense retrouver sa femme mais celle-ci, plus attirée par l’argent, s’est entichée d’un homme plus vieux mais aussi beaucoup plus riche. Une intrigue bien peu originale et qui, par un manque de rebondissement, n’évolue absolument pas! On est loin d’une bonne commedia dell’arte… Cette pièce essaie de relever un défi intéressant, celui d’être à la fois légère et profonde, moralisante et divertissante. Malheureusement, l’exécution mérite d’être revue et ne vaut pas les critiques sociales de Molière. Et pourtant la metteur en scène
Des personnages et des questions sauvent la pièce Bon, pour éviter de paraître comme une critique implacable, je ferai quelques remarques positives: on a eu droit à des acteurs au jeu satisfaisant, spécialement leur gestuelle, à une voix superbe de la seule fille de la troupe, à une mise en scène dynamique, de beaux costumes et un concept de scène intéressant. En effet, il n’y a pas de scène mais des gradins entourant le parterre de jeu, rendant le tout plus intime. Non, je ne vous recommande pas d’acheter des tickets, mais je ne regrette pas pour autant d’avoir vu cette pièce. Au moins j’ai entendu quelques phrases de Platon et sourit à plusieurs reprises. Et puis, elle m’a aussi tout de même amenée à me poser quelques questions, même si ce n’est pas sur le thème espéré. Quel est le rôle du théâtre, un divertissement ou un media pour l’expression? Les deux sûrement, mais ces pseudos intellectuels sont-il obligés de faire passer leur message dans des pièces obscures où il est si difficile de s’accrocher? Va-t-on au théâtre pour se
distraire ou essayer vainement de trouver des symboles à chaque parole ou action? La semaine dernière déjà, le Délit publiait quelques articles sur le théâtre, entre autre le développement du théâtre populaire. Ceci est donc une modeste contribution au débat. Amateurs de théâtre, je vous laisse méditer. x La Parlerie des mercenaires ou philosophes et guerriers est présenté jusqu’au 12 février à la salle Fred-Barry du théâtre Denise Pelletier, 4353, rue Sainte-Catherine Est. Pour réservation: (514) 253-8974. Pour plus d’information: www.denise-pelletier.qc.ca
Dominique Darceuil
L
a troupe dénommée Théâtre de l’utopie joue à la salle Fred-Barry du théâtre Denise Pelletier une pièce au titre un peu tordu: La Parlerie de mercenaires ou philosophes et guerriers. Je serai brève pour décrire cette pièce à l’image de son titre. Son genre ainsi que son histoire sont difficilement définissables. En lisant le résumé de la pièce, on nous la présente comme une commedia dell’arte au contenu philosophique. La description du dossier de presse nous martèle de concepts et de profondes réflexions mais c’est une pièce totalement différente qu’on découvre une fois assis dans la salle.
Merci à ces hommes et ces femmes qui croient encore que nous en valons la peine, malgré les gradins vides devant lesquels ils doivent souvent se produire. Merci à eux, qui continuent de se battre pour avoir de l’argent, qui demandent une fois de plus des subventions, et qui cognent à d’autres portes pour se faire entendre. Merci à ces hommes et ces femmes qui sont les porteurs de rêves de notre société, et d’une réflexion toujours en mouvement, en évolution. Ils sont notre conscience, celle des autres, de la misère humaine, de la souffrance et du bonheur. Ils sont parvenus à saisir ce qui fait de la vie la vie. Que la fête continue! Vive le théâtre! x
La Parlerie des mercenaires parvient mal à concilier un discours philosophique et une comédie légère.
5à7 choses à dire…
L
e lundi 7 février prochain, le Théâtre d’Aujourd’hui lance 5 à 7 choses à dire, le premier d’une série d’événements ponctuels, qui seront présentés les lundis dans le hall du théâtre en parallèle de la programmation régulière. 5 à 7 choses à dire se veut le reflet du théâtre qui se fait aujourd’hui en ouvrant une fenêtre sur les nombreux portraits de la dramaturgie québécoise et les différentes propositions d’auteurs. Conférences, lectures de textes inédits ou ébauches de travail, l’événement se veut propice à l’échange. Le coup d’envoi sera donc donné le lundi 7 février à compter de 17h par Point de fuite, une jeune compagnie dirigée par l’auteur Guillaume Girard. Au programme, une courte scène, une lecture, une projection vidéo et un monologue. La scène et la lecture seront présentées par les comédiens Élise Désilet, Alexandre Leroux, Marie-Laurence Moreau, Gilles Poulin-Denis, Philippe Racine et Guillaume Girard alors que le monologue sera lu par la directrice artistique du Théâtre d’Aujourd’hui, Marie-Thérèse Fortin. x L’entrée est libre mais le hall du Théâtre étant petit et les places limitées, il serait sage de réserver. On peut le faire à la billetterie du Théâtre, au (514) 282-3900.
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culturespectacle
Des païens acad’juns
Vendredi et samedi soir, le bar O Patro Vys a accueilli le quintette acadien, Les Païens, pour le lancement officiel de leur nouveau disque, Sphère: épiphonde II. Agnès Beaudry
O
Patro Vys, petit bar de la rue MontRoyal s’est rempli ce vendredi d’une population assez unique. Membres d’une minorité parmi la minorité francocanadienne, le quintette acadien formé de Marc Arsenault, Jean Surette, Denis Surette, Sébastien Michaud et Frédérick Hétu qui va de par le monde sous le nom Les Païens a attiré la petite communauté acadienne de la ville de Montréal pour un spectacle sans pareil. Originaire de Moncton au NouveauBrunswick, le groupe, en collaboration avec Zone francophone Montréal (ZOF), procédait au lancement officiel de leur dernier disque, troisième du nom, Sphère: épiphonde II. N’étant pas le premier de leur concert auquel j’ai assisté, je m’attendais d’avance à être satisfaite, mais voilà qu’encore une fois je fus surprise car chacune de leur représentation me semble monter d’un cran unisson et originalité. Débutant en 1994 avec leur premier enregistrement, J’ai dit bon, le groupe a lancé son premier disque en 1999, EP Phonde. Depuis, leur succès et, surtout, leur talent grandissent à vue d’œil. L’an passé, ils ont été reçus à Paris avec enthousiasme. Du style «jam band», Les Païens combine sur scène les instruments habituels avec la trompette, le clavier, les tam-tams et… voyant chaque fois une nouvelle apparition, je ne tenterai pas la liste exhaustive. Ne pouvant trouver un genre musical sous l’aile duquel s’abriter, ils se décrivent comme groupe
Les Païens, à écouter religieusement.
jazz, funk, dub surf, qui mieux vaut! Grand amateur de l’improvisation à laquelle ils réservent toujours une loge d’honneur, celleci ne retire aucun ordre à leur production: l’on ne se sent jamais perdu dans un flot de notes incontrôlées, au contraire, le groupe se tient serré et nous improvise ce qu’on aurait juré planifié. Son clair, harmonie et rythme, tous se combinent et surprennent immanquablement. Cherchant à prendre le pouls de la foule afin de m’assurer de ne pas vous tromper par ma subjectivité et mon appréciation biaisée, puisque déjà acquise, je me suis adressée à un compatriote spectateur,
un acadien percussionniste de jazz à McGill, qui se remémorant l’événement m’a déclaré: «J’ai presque pris en feu». Hmmm… quelle réflexion profonde! Je ne pense pas les avoir vus sans invités sur scène. L’été passé, entre autre, lors du 15 août des Fous à Moncton, concert en l’honneur de la fête nationale acadienne, Jean Leloup est remonté sur scène pour participer au pot-pourri qui est la signature païenne. Vendredi, ils ont accueilli André Bourgeois, un ancien étudiant en musique de McGill de la formation du nom Azuris Aurum, sur le saxophone ténor, ainsi qu’un étudiant en
harmonica jazz sous le nom (d’artiste?) Levy. (Est-ce une fausse impression ou les «jazz kids» de McGill semblent participer étrangement à cette exposition?…) Les Païens se voient actifs sur la scène acadienne. Toujours présents aux festivals du pays, gagnant le prix Éloize 1999 dans la catégorie Artiste de l’année en musique, ils ont aussi produit un CD nommé Kacho Komplo, basé sur le documentaire acadien de Paul Bossé, figurant l’actrice et chanteuse MarieJo Thériault, produit en 2003 par l’ONF (film que je recommande à tout intéressé de la scène culturelle acadienne). Enfin,je termine en citant David Lonergan de L’Acadie Nouvelle qui les décrivait dans le numéro du 1er février 2002: «[Les Païens] ont créé au fil des ans un son qui s’inscrit dans ce large mouvement qui va du rock satirique à la Frank Zappa aux envolées lyriques de Jimmy Hendrix en passant par des références à la musique traditionnelle et un hommage aux Ventures, le groupe instrumental des années 1960. Le tout pimenté d’un sens de l’humour qui ne s’appuie pas sur des textes mais sur leurs instruments». Groupe ébahissant à mon avis, (bien que, monctonienne, j’aie un parti pris), Les Païens sont un incontournable pour tout amateur de musique du genre, ne pouvant être nommé, décrit. x Pour plus d’information sur le groupe, visitez le site www.paiens.com.
culturemusique
Faites attention à ce que vous dîtes! Vos petites discussions peuvent avoir plus de répercussions que vous croyez. Alexandre Vincent
C
herchant à montrer l’impact de nos petites décisions quand vient le temps de dépenser du côté culturel, le principe du bouche-à-oreille est un phénomène qui est souvent négligé par le commun des mortels, mais qui se trouve primordial dans l’esprit des grands manitous du milieu artistique. En faisant une comparaison entre le bouche-à-oreille d’une géante américaine (lire internationale) Norah Jones, et un géant québécois, Les Cowboys Fringants, vous verrez que ce petit geste quotidien est loin d’être banal. Norah Jones fut, dans les deux dernières années, une des grandes révélations de l’industrie de la musique. À son premier album, elle fut la nouvelle chanteuse charismatique. Dégageant une image timide et réservée, elle cadre très bien avec la musique qu’elle fait; un heureux mélange de jazz ballade. Sans être péjoratif, parce que le produit est de qualité, elle a ravi une masse habituée à consommer de la musique «grande échelle». Laissez-moi vous expliquer le boucheà-oreille qui s’est effectué dans son cas. Bien
qu’elle soit signée sur une étiquette majeure, Blue Note, la stratégie commerciale de la compagnie fut très différente. Mettons au départ un budget fictif d’un million de dollars. Au lieu de nous bombarder de publicités achetées dans les grands magasins ou sur les panneaux, en fait, la publicité normale que nous subissons chaque jour (comme les Rolling Stones, avons-nous besoin de les voir en décrépitude sur des affiches géantes?!), ils ont opté pour une stratégie différente. Ils ont envoyé des espions dans des petits cafés, qui, se faisant passer pour des clients ordinaires, vantaient les mérites de la chanteuse. Un disque est laissé aux employés du café en toute bonne foi, et voilà! La publicité est faite. Le bouche-à-oreille s’est ensuite fait et en l’espace de quelques mois, elle est devenue la nouvelle coqueluche mondiale. Bien que Norah Jones ne veuille pas commenter la façon de faire de sa compagnie, qu’elle soit d’accord ou non avec ce système, on s’en fout. Si le produit n’avait pas été de qualité, elle n’aurait jamais fait carrière. Oui, elle fait dans le créneau Adult Comtemporary
Hits radio (titre donné au créneau Cité Rock «matante»), mais elle fait ce qu’elle a à faire, soit un produit de qualité. Malheureusement, elle nous est arrivée avec un deuxième premier disque. Un disque semblable au premier et qui manquait nettement de relief. Du côté québécois Chez nous, le parcours des Cowboys Fringants est évidemment bien différent. Je ne répéterai pas ici le parcours phénoménal de ce groupe. Comme on le sait, le groupe ne se serait jamais rendu là où ils sont sans leurs fans. Par contre, ils ont su bien se servir de cette masse pour contrer l’industrie. Leur public cible, les jeunes de 15 à 24 ans, est celui qui navigue le plus sur le Web. Entre la sortie de Motel Capri et de Break Syndical, en l’espace de quelques mois, le site des Cowboys Fringants fut visité quotidiennement par des centaines d’amateurs. C’est énorme! Chaque jour, une manne de gens se donne la peine de faire ce petit geste en apparence anodin, mais qui prend toute son importance si on sait bien s’en servir.
Sur la majorité des sites de groupes québécois, nous retrouvons un lien qui invite les visiteurs à inonder les différents médias pour faire des demandes spéciales (6 à 6 Ckoi, Musique Plus, etc.) D’où l’importance de ces visites quotidiennes. Il est impossible de percer les barrières du cirque radiophonique si la machine de relations publiques n’est pas bien huilée (voir graissée). Ne rêvez pas en couleur, Ckoi et Énergie (CKMF) n’auraient jamais fait passer sur leurs ondes les Cowboys Fringants si ce n’avait été des pressions du public. Ce qu’il y a de plus frustrant, c’est que ce sont eux qui se targuent de les avoir découverts en premier. La suite, nous la connaissons. Les Cowboys Fringants ne flottent pas sur la vague de ce succès, mais l’allume en continuant d’offrir de la qualité, soit le très bon dernier disque La Grand Messe. Que le bouche-à-oreille soit sincère ou organisé, il a un impact, alors n’ayez pas peur de dire ce que vous aimez, peu importe la source. x
1er février 2005 x Le Délit
culturefestival
Bûcher dans la langue de bois
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Durant huit jours, en plein cœur de février, plus de 110 artistes – poètes, écrivains, chanteurs, conteurs, performeurs, rappeurs – accompagnés de musiciens improvisateurs, propulseront sur scène leurs textes, dans la tradition des cabarets de spoken word. Dominique Henri
L
e 26 janvier dernier, à 13 heures tapantes, le soleil était haut et la neige croquante lorsqu’une horde de journalistes s’est réunie au restaurant de la Sala Rossa. Assis sur leurs chaises, stylos à l’affût et micros branchés en attendant que l’information déboule, les cueilleurs d’information de cette ville ont eu droit au pain et à la planche en prime, lorsque l’artiste D. Kimm a dévoilé la programmation du 4e Festival Voix d’Amériques (FVA), qui se déroulera du vendredi 11 au vendredi 18 février. En imaginant les effluves des plats au menu, croyez-en mon palais, l’eau vous monte aux oreilles…
Une pincée d’histoire Lieu d’expérimentation effervescent et engagé, le FVA est un événement bilingue consacré au spoken word. L’expression spoken word vient des États-Unis, inspirée des traditions jazz, soul et blues, et surtout de la Beat Generation. Cette discipline aux contours troubles englobe notamment la poésie, le conte, le texte performé et la poésie rap et dub. L’une des caractéristiques fondamentales du FVA est de présenter des artistes qui interprètent leurs propres textes. Un festival tout en couleurs, en rythmes, et qui assume une large part de risque et d’improvisation, voilà ce que nous promet D. Kimm, artiste multidisciplinaire
culturefeuilleton Tracy Robin « Haaaaaa... - Père, père, non... - Maître Léon... - Quelle horreur! Le maître estenceleur tombe du haut de l’échelle. Tomber d’une telle hauteur! Il est mort, c’est certain. L’échelle était appuyée à l’échafaudage qui mène jusqu’à la voûte. - Père, père... - Maître Léon... » Encore plus horrible est le silence qui suit le son mat du corps qui s’écrase sur la dalle de pierre. « Sainte Mère de Dieu, sauvez mon père », dit Jacob, le fils de maître Léon, maître estenceleur, en se précipitant auprès du corps inerte. Il a dix-sept ans et le cœur sensible, le grand Jacob. Peu importe que les ouvriers du chantier le voient pleurer. C’est son père qui gît là, pâle, mort sûrement, la jambe tout de travers, toute déboîtée. « Maître Léon, maître Léon, Sainte Marie de Dieu. » Que deviendront les ouvriers qui travaillent sous les ordres du Maître? Le chantier allait si bien. Il ne restait que trois jours d’ouvrage à peine avant de pouvoir dire que tout était terminé. L’abbé Visconsin n’acceptera jamais que l’inauguration de sa nouvelle église soit retardée. Ses invitations sont déjà
D. Kimm, artiste multidisciplinaire et directrice artistique du festival, a annoncé mercredi dernier la programmation du festival Voix d’Amérique.
et directrice artistique du festival: «Ce qu’on appelle le spoken word est difficile à définir. C’est justement pour cela que cette discipline m’intéresse et que je m’y sens à l’aise. Parce qu’elle est pleine de surprises, anarchique, impure; parce qu’elle est faite de flou, d’imperfection, de fragilité et qu’elle commande la sincérité et une complicité entre le public et les performeurs». Liste des ingrédients Tous les soirs du festival, des spectacles
francophones, anglophones et bilingues seront présentés à la Sala Rossa sous forme de cabarets éclectiques où des funambules des mots occuperont l’avant-scène avec la complicité de musiciens improvisateurs. Parmi ces spectacles, soulignons le premier round de Combat contre la langue de bois, animé par le grand manitou de Macadam Tribus, Jacques Bertrand. Lors de cet événement, le langage clair et direct sera de mise, puisque deux musiciens auront le mandat de mettre à mort les discours trop longs des performeurs
qui auront six minutes pour clamer ce qu’ils ont sur le cœur. Lors de ses «5 à 7» à la Casa del Popolo, le FVA offrira une agora à des voix engagées pour favoriser un feu roulant d’échanges sur les enjeux de la discipline du spoken word: une table ronde réunissant des auteurs francophones et d’origine latino-américaine du Québec, un spectacle-conférence avec Pol Pelletier, une rencontre avec le PEN CLUB faisant état de la situation des écrivains persécutés en Amérique latine, etc. Une nouveauté cette année: le Salon de la marginalité accueillera des nouveaux éditeurs, des jeunes revues et des maisons de productions indépendantes, histoire de nous permettre de découvrir ce que fait la relève. Quant aux sept Cabarets Shift de nuit, ils réuniront chaque soir à la Casa del Popolo un house band formé de musiciens improvisateurs qui accompagneront poètes et chanteurs invités… et, dès 23h30, le micro sera offert au public! Que se défroissent les textes qui dorment dans le panthéon de vos tiroirs! x Le 4e Festival Voix d’Amérique aura lieu du 11 au 18 février prochain. En visitant le site www.fva.ca, vous aurez accès à la programmation complète et bilingue du festival.
L’Estenceleur
sur toutes les routes de France et il serait humilié de bénir une église dont la voûte n’a pas toutes ses étoiles. Il nous congédiera tous, et sans nous payer en plus. Mais, miraculeusement, Ozias Léon, maître estenceleur vient d’ouvrir les yeux et grimace de douleur. « Maître Léon, vous êtes vivant! - Ah!... ma jambe, ma jambe. - Père, père, vous êtes vivant, Sainte Marie de Dieu soyez louée. Vous avez la jambe cassée c’est vrai, mais au moins vous êtes vivant. Ah quel bonheur! - Maître second, je cours avertir les abbés de ce qui vient d’arriver. - Attends ouvrier, attends. Au contraire, il ne faut surtout pas que les abbés apprennent l’accident. Vous imaginez la scène que ferait l’abbé Visconsin s’il apprenait que l’inauguration de sa nouvelle église est retardée, ou s’il devait inaugurer une église dont il manque la moitié des étoiles à la voûte? Il deviendrait fou de rage et c’est nous qui mangerions les coups. La nouvelle se répandrait plus vite qu’un coup de vent et nous perdrions toutes les affaires qui nous attendent après celle-ci. Ah! Il se ferait un plaisir de nous ruiner. Croyez-moi. - Ah!... ma jambe. - Que faut-il faire, maître second?
- Ce qu’il faut faire? Soigner maître Léon puis cacher l’accident, continuer les travaux et remettre l’église toute neuve, terminée, pour dimanche, jour du Seigneur, tel que prévu.» Un murmure de découragement et d’incrédulité s’élève de la douzaine d’ouvriers assemblés autour de maître Léon qui gémit sans arrêt, étendu à l’endroit même de sa chute. « Comment y arriver? C’est impossible! » Terminer de peindre la voûte de l’église sans maître Léon? Il n’y a que lui qui connaisse les secrets pour peindre les étoiles sur la voûte des églises. Il a appris son métier de maître Beauregard, lui-même pupille du grand Giotto. Il fut compagnon pendant quinze ans avant de devenir maître estenceleur, il y a de nombreuses années de cela. Et ses mérites personnels sont reconnus depuis longtemps. Ce n’est pas la première fois que l’abbé Visconsin fait appel à maître Léon. Il lui avait déjà confié la rénovation du réfectoire, l’agrandissement de la salle de lecture et la décoration de la petite chapelle. Mais la nouvelle église qu’ils devaient terminer dans trois jours est une bien grosse affaire. Assez grosse
en tout cas pour assurer l’avenir de tous ces hommes et de leur famille ou causer leur perte. « Ah!... ma jambe. - Comment s’y prendre, maître second? - J’aurai besoin de l’aide de tous, de toi surtout Jacob, et de l’aide de Dieu. Mes amis, transportons maître Léon dans la sacristie. Les abbés ne doivent pas se présenter dans l’église; il faut en permanence qu’il y ait quelqu’un à la porte pour empêcher quiconque de franchir le seuil. Racontez n’importe quoi pour éviter qu’ils entrent. Que ça porte malheur d’entrer dans une église qui n’est pas encore bénie ou que la couleur ne séchera pas s’il y a trop de monde qui circule autour. N’importe quoi, pourvu qu’ils n’entrent pas. S’ils veulent parler à maître Léon, dites qu’il est trop occupé à terminer la voûte et qu’il y travaillera sans relâche, jour et nuit. - Gabriel, va voir si la Marie revient avec l’eau et le pain qu’elle est allée chercher pour notre collation. Dislui d’aller chercher aussi des herbes pour apaiser la douleur, du vin pour engourdir le malade et qu’elle aille quérir la guérisseuse, mais préviensla surtout que tout doit paraître naturel. Il ne faut pas que les abbés s’aperçoivent de quoi que ce soit.
- Quant à nous, chers ouvriers, nous ferons comme si de rien n’était et nous continuerons notre travail jusqu’au bout en essayant d’avoir le cœur à l’ouvrage. Si maître Léon hurle trop fort lorsque la guérisseuse lui replacera la jambe, il faudra cogner plus fort avec les marteaux et chanter plus fort vos chansons de métier afin de couvrir sa voix. Nous le garderons dans l’église et le soignerons ici. Avoir la fièvre dans son lit ou l’avoir dans la sacristie, maître Léon n’y verra pas de différence. En plus de nous apporter à boire et à manger comme elle le fait toujours, la Marie s’occupera de lui, jour et nuit. - Paul, tu gardes la porte principale. Thomas, tu surveilles la porte latérale. Et toi, Marc, c’est à la porte arrière que tu monteras la garde. Jean, Luc et le grand Jacob, transportez maître Léon. Les autres, remettezvous au travail. - Ah!... ma jambe. - Courage, maître Léon, je continue de m’occuper du chantier et de vous seconder en tout. Mais pour l’instant je dois prendre des décisions pour conserver votre réputation, assurer l’avenir de tous et, avec l’aide du ciel, terminer l’église. Courage. » x À suivre…
14 Le Délit x 1er février 2005 culturecinéma
Ma vie, ma vie Jonathan Caouette nous présente sa vie sous la forme de Tarnation.
David Pufahl
I
l est parfois incroyable de constater ce que certains réalisateurs débrouillards peuvent faire avec un tout petit budget. La comédie Clerks par exemple a été produite à partir de la marge de crédit de Kevin Smith, et l’ingénieur Shane Carruth a laissé tomber son emploi pour créer Primer, un film de science-fiction saisissant. Leurs budgets respectifs ont été de vingt-sept mille et sept mille dollars américains. La dernière petite production en lice est Tarnation, un film d’essai de Jonathan Caouette qui a coûté deux cent dix-huit dollars et a été monté à l’aide du logiciel iMovie fourni gratuitement avec les ordinateurs iMac. Il s’agit de l’histoire de sa vie et, en même temps, d’une lettre d’amour à sa mère schizophrène. La mère de Jonathan, Renée Leblanc, fut un mannequin dès son tout jeune âge. Un mystérieux accident la laisse paralysée pendant six mois et ses parents se font conseiller de la traiter en lui donnant des électrochocs. Par la suite, elle ne
sera plus jamais la même. Elle a mis au monde Jonathan et l’a élevé seule. Malheureusement, ses problèmes psychologiques lui ont rendu la tâche difficile. Très tôt, Jonathan a dû aller en adoption où il a été gravement maltraité. Il a atterri ensuite chez ses grands-parents pendant que sa mère séjournait dans un hôpital psychiatrique. Il développera des troubles de la personnalité tout comme sa mère. Afin de filmer son histoire, Jonathan a vraiment utilisé tout ce qui lui est tombé sous la main. Il s’est servi de films Super-8, de photos, de chansons, d’intertitres, de messages de répondeur et de beaucoup d’autres choses dans le but de nous introduire dans son existence. Cette profusion de détails m’a fait sentir comme si j’écoutais de la télé-réalité. D’ailleurs, le cadrage de l’image projetée était celui d’un écran de télévision. Étant donné les multiples sources, c’est tout à fait compréhensible. Les moments les plus troublants et aussi les plus fascinants sont les
prestations de Jonathan directement à la caméra à des âges divers. En effet, dès l’âge de onze ans, il se filmait afin de pouvoir s’extérioriser plus facilement. Les rôles qu’il joue et les insanités qu’il prononce m’ont grandement bouleversé. On parle d’un enfant de onze ans! Si on examine ses prestations d’un point de vue psychologique, cela peut devenir très instructif. D’une perspective plus humaine, par contre, j’ai ressenti beaucoup de pitié pour lui. Jonathan voue un amour sans bornes à sa mère et le démontre clairement par son film. Il tente de Renée et Jonathan heureux pour un petit moment. la comprendre et de la soigner du mieux qu’il peut. Malheureusement, que depuis le début de ma critique, Le mot «tarnation» veut dire on se rend compte qu’elle est j’appelle le réalisateur par son damnation et je trouve que ce irrécupérable. Elle doit prendre du prénom. Ce n’est pas un hasard. Le titre va très bien au film. Est-ce lithium chaque jour pour conserver traitement du sujet par Jonathan que Jonathan sera condamné à un semblant de santé mentale. m’a forcé à l’évoquer de manière devenir comme sa mère? Son film On est en droit de se demander si familière. De fil en aiguille durant la lui a probablement servi de bouée Jonathan va devenir comme elle en projection, je me suis senti comme de sauvetage. Heureusement pour vieillissant. Pour l’instant, Jonathan si je le connaissais bien. S’il a voulu nous, la fascination évoquée par va assez bien et espère qu’il ne m’impliquer émotionnellement et son œuvre justifie grandement sa sombrera pas comme sa mère. intellectuellement en agissant ainsi, projection publique. x Vous avez sans doute remarqué il a réussi.
culturerétrospective
Message suédois Les 3, 4, 5 et 6 février, la Cinémathèque québécoise rend hommage au cinéaste-culte suédois Roy Andersson. Flora Lê
L
es inconditionnels de Roy Andersson se verront ravis de pouvoir revisiter l’œuvre courte mais dense de ce cinéaste suédois. On lui doit notamment trois longsmétrages séparés par des années de silence, et surtout un immense travail dans les films publicitaires, ce qui lui a d’ailleurs permis de financer son premier long-métrage Une histoire d’amour suédoise en 1969. Ce fonctionnement ne le quittera plus: la publicité sera pour le cinéaste le moyen de financer ses films et d’acquérir ainsi davantage d’indépendance. Il réalise quelque quinze ans après son premier long-métrage Quelque chose est arrivé en 1975, puis tout récemment Chanson du deuxième étage en 2000, récompensé du Prix du public à Cannes. Si quinze ans lui ont fallu pour donner naissance à son dernier long-métrage, c’est qu’Andersson se voyait très insatisfait du système de production qui existe. Il fonde donc sa propre compagnie, il crée le Studio 24, une société de production basée dans un immense immeuble de cinq étages à Stockholm, où il a installé ses plateaux de tournage, ses salles de montage, ses bureaux et même ses appartements. Ce laboratoire lui permet alors de réaliser ses films en toute liberté, lui donnant ainsi une position unique dans l’univers cinématographique.
Et il faut savoir qu’il a beaucoup plus de temps que la moyenne pour réaliser ses films. Il est de la trempe des perfectionnistes: «Je veux faire des choses exactes qui restent très proches de la réalité. Je suis toujours en quête de simplicité et de précision. Cette recherche est passionnante parce qu’elle permet d’atteindre une profondeur. En revanche, si vous n’êtes pas précis lorsque vous faites un film, le résultat ne vaut pas grand-chose. Et c’est très difficile de l’être!» Cette précision, il l’acquiert au prix de la patience: il mettra quatre ans pour réaliser Chanson du deuxième étage, dont certaines scènes, tournées au tout début, ont dû être reprises car elles n’apparaissaient plus suffisantes pour le réalisateur, et ce même si les décors avaient été détruits! Et son originalité va jusqu’à choisir des acteurs pour ses films qui ne sont pas professionnels mais des gens rencontrés dans la rue, dans les magasins ou parmi les connaissances du réalisateur. Roy Andersson est reconnu pour ses décors irréalistes aux limites de l’angoissant, pour ses personnages secondaires décrits comme des figures d’enfer; mais les effets visuels du réalisateur ne se raccrochent jamais au réalisme, et ses films risquent de passer inaperçus. C’est le cas de Gilliap, terrible échec, qui le décidera à mettre toutes ses énergies sur la publicité. Il devient très vite
Quelque chose est arrivé est l’un des longs métrages de Roy Andersson qui sera présenté à la cinémathèque dans le cadre de sa rétrospective.
le réalisateur de pubs télé les plus prisées au monde. Il y développe un style très personnel: des plans larges au grand angle qui mettent en scène, en une seule prise et de manière burlesque, les archétypes de notre société. Ces films lui valent les plus hautes récompenses, notamment huit Lions d’or aux festivals de la publicité à Cannes. x
Les détails des films présentés sont disponibles dans La Revue de la Cinémathèque no 80, sur le site de la Cinémathèque www. cinématheque.qc.ca, ou en composant le (514) 842-9768. Le prix d’entrée est de 6 $ par séance. La Cinémathèque est située au 335, boulevard de Maisonneuve Est (métro Berri-UQAM).
1er février 2005 x Le Délit
cultureartsvisuels
Design-moi Montréal
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Le Centre du design de l’UQAM est plutôt bien achalandé sans que peu ne sache pourquoi a priori… Mais quoi!? Vous ne le saviez pas?? C’est l’expo Main Design 04 qui revient en sa ville natale se faire zieuter pour une dernière fois!!! Émilie Beauchamp
À
vrai dire, il n’est pas très surprenant que vous n’ayez pas entendu parler de cette exposition présentée à l’UQAM jusqu’au 13 février, malgré tous les lauriers qu’elle a reçus internationalement. Notamment, nos cousins de l’autre côté de l’océan lui ont lancé des roses pendant près de trois mois que ce soit dans les festivals de Paris, de Lille ou de Saint-Étienne et l’ont gratifié de moult prix. Peut-être est-ce parce que nos chers presque voisins raffolent de notre métropole et aiment à la redécouvrir, ce qui est justement le but de l’expo Main Design 04. Fixée sur le design montréalais, elle nous fait littéralement redécouvrir Montréal, même en tant que Montréalais d’origine!
En fait, la présentation nous projette une image de Montréal renaissant dans le monde du design, ou plutôt un amalgame d’images, une superposition, un kaléidoscope de définitions, de visions et de passions. Vous y verrez un Montréal en pleine effervescence artistique, en pleine croissance urbaine et qui s’affirme de plus en plus en tant que capitale culturelle du Canada. En effet, Main Design 04 nous propose un Montréal qui se réinvente constamment dans le milieu artistique du design de toute sorte. L’exposition nous propose six cubiculaires représentant chacun l’une des facettes du design montréalais, soit celui du design graphique, de la mode, des métiers d’art, d’expositions graphiques, de
cultureartsvisuels
Soleil sur Montréal Le festival Vues d’Afrique amorce ses festivités avec le lancement de Rallye-Expos, une série de seize expositions partout dans la ville jusqu’au mois de juin. Flora Lê
L
e premier anniversaire de la galerie Mosaïkart sur Saint-Laurent, et en plein mois de l’Histoire des Noirs, Vues d’Afrique a décidé de lancer son RallyeExpos pour la saison 2005. Le 28 janvier dernier s’est donc fait en grandes pompes le vernissage des œuvres de Gérald Grant de Trinidad et Bianca Joubert du Québec. Cela fait déjà plusieurs années que Vues d’Afrique encourage les Montréalais à parcourir la ville à travers des lieux insolites ou des quartiers que l’on a oubliés en empruntant le chemin de Rallye-Expos, renouvelé chaque année et qui met pleins feux sur le talent d’artistes d’ici, d’origine créole ou africaine. Ces deux artistes de cultures différentes se rencontrent dans cette exposition dans un étrange mouvement contraire, la première tournée vers l’extérieur, l’autre vers l’intérieur. Joubert puise dans
Gérald Grant expose dans le cadre de Rallye-Expos.
l’univers du voyage, des diversités culturelles et des rites ancestraux pour fixer sur la toile son expérience de cette réalité étrangère. Pour Grant, la peinture est une sorte d’introspection, un art à travers lequel il répond à ses besoins de communication et de compréhension de son existence. Mais ne vous méprenez pas. C’est une ambiance de fête qui règne dans la galerie dont les couleurs de jaune et d’orangé dominent et vous réchaufferont en un pas de deux. Trouvez-y refuge dans le froid de notre hiver, et laissez-vous charmer par cette célébration de la couleur! Parce qu’il y a autre chose que le blanc… Munissez-vous donc de votre passeport pour ce voyage dans les pays du soleil. À chaque étape du rallye, faites estampiller votre passeport, et lorsque vous aurez parcouru douze étapes, vous aurez droit à une paire de billet pour les prochaines Journées du cinéma africain et créole du 14 au 24 avril prochain. Et il y a plus. Vous pouvez participer au tirage du Grand prix Rallye-Expos: un voyage pour deux dans un pays de l’Afrique de l’Est de votre choix! Alors dès le 1er février: à vos marques… Prêts? Partez! Rappelons enfin que Vues d’Afrique est un organisme actif auprès des communautés culturelles de Montréal depuis plus de vingt ans, et organise année après année des activités pour le grand public afin de contribuer à faire connaître la culture africaine et créole. Vues d’Afrique développe de plus des partenariats entre le Canada et les pays du Sud, notamment dans le domaine de l’industrie culturelle. x Rallye-Expos 2005 présentera seize expositions du 1er février au 30 juin. Jusqu’au 13 février, voyez Entre terres et cieux de Gérald Grant et Bianca Joubert à la galerie Mosaïkart au 4897, rue Saint-Laurent, (514) 849-3399. Pour plus d’information, et pour l’horaire et l’adresse des expositions subséquentes, (514) 284-3322 ou consultez le www.vuesdafrique.com
design intérieur et du graphique d’objets et industriel. Pour chaque sujet, des topos faits sous forme de courts métrages nous décrivent les tendances, les artistes du moment et un Montréal changeant sous le feu des nouvelles idées et des nouvelles modes. Pour encadrer ces topos, des projections faites sur les murs nous donnent comme arrière-scène le boulevard Saint-Laurent, la Main de Montréal, là où se divisent les secteurs anglophones et francophones de Montréal; la rue «0», là où tout commence. Les cafés trendy, les boutiques de mode et restaurants huppés s’y côtoient et s’arrachent la clientèle bien en vue de Montréal. Mais surtout, tous ces commerces s’affichent. Et de nos jours, ils s’affichent de plus en plus originalement, partant des tendances, créant des styles et des formes qui inspirent le monde de plus en plus. Malgré le fait qu’il n’y ait que six cubiculaires et que les topos soient habituellement plutôt longs (mettez de dix à vingt minutes pour chaque topo, pour avoir une idée de ce qu’ils recèlent ou pour voir le court-métrage au complet), l’expo en vaut bien le détour. Si vous avez deux petites heures à consacrer à votre enrichissement culturel sur Montréal et que vous désirez
découvrir des artistes proéminents du milieu, ceci est le lieu parfait pour satisfaire vos attentes. Mais, si vous n’avez qu’un petit trou entre deux cours, vous risquez de ne pas apprécier cette présentation à sa juste valeur, soit de ne pas en ressortir avec le sentiment que Montréal est une ville en pleine renaissance et un leader artistique, bien que dans notre vie de tous les jours les mêmes affiches refassent surface. Notez aussi que l’exposition aurait pu créer plus d’interaction avec le public, car elle nous laisse agir en tant que passif observateur et que, bien qu’elle capte l’attention, elle ne nous attire pas indéniablement en son thème avant la fin de notre visite. De tous points de vue, Main Design 04 est une exposition réussie, mais pas parfaite. Seulement, je vous la conseille quand même, car elle nous offre, lorsque nous y allons attentivement, un enrichissement et un sentiment de fierté et d’appartenance à ce Montréal que nous revoyons sous des angles déjà vus mais jamais vraiment découverts ni compris. À voir. x Main Design 04 est présenté jusqu’au 13 février au Centre du design de l’UQAM, 1440, rue Sanguinet (métro Berri-UQAM). L’exposition est ouverte du mercredi au dimanche, de 12h à 18h. L’entrée est libre. Pour
Découvrez à Main Design 04 des oeuvres de designers de chez nous. Voici le Fauteuil Gérard d’Étienne Hotte créé en 2001.
culturebrève
Détournement de fonds Le Festival du Jamais Lu organise une soirée bénéfice le 3 février au profit des auteurs de la relève dramatique.
L
e Festival du Jamais Lu a été fondé, il y a quatre ans. L’intérêt du public et des artistes pour ce jeune événement n’évacue pas la précarité financière qui règne dans le milieu artistique et qui plane sur lui. Pour que la relève en dramaturgie soit entendue demain, nous vous enjoignons à soutenir le Festival du Jamais Lu. Festoyez avec eux le jeudi 3 février, au Lion d’Or, lors de leur soirée bénéfice annuelle. Impro politique et musique au rendez-vous! Le Festival du Jamais Lu propose aux auteurs de théâtre de la relève une tribune pour la lecture de textes inédits. C’est un événement rassembleur qui se veut à la hauteur du dynamisme et du caractère éclectique de la dramaturgie contemporaine. La prochaine édition se tiendra du 14 au 23 avril, au O Patro Vys. Afin d’amasser les fonds nécessaires à la poursuite de leurs activités, ils feront
appel à la corruption: le moyen de financement par excellence, brillamment élaboré par les politiciens de ce monde! Ainsi, le public pourra influencer l’issue d’un match d’improvisation via des cartons d’intervention ou en achetant le vote des juges. Comme en démocratie, le peuple n’aura son mot à dire que s’il paye! Vous retrouverez Alexandrine Agostini dans le rôle de la vérificatrice générale, JeanFrançois Nadeau, chef du parti de droite, et Sébastien Rajotte, chef du parti de gauche. C’est un match d’impro qui promet! x La soirée bénéfice du Festival du Jamais Lu aura lieu le 3 février prochain au Lion d’Or, 1676, rue Ontario Est. Les billets sont au coût de 10 $ en pré-vente et de 15 $ à la porte. Pour pour plus d’information: www. festivaldujamaislu.com
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Le Délit x 1er février 2005
A
ppel aux lecteurs! Vous pouvez empêcher la sortie de disques aussi horribles que celui d’Anne’s Bank. Ce CD est comme un train prétentieux qui a déraillé - complètement hors contrôle et sans aucun goût. Né d’une ville avec une culture si mature et variée, ce groupe montréalais déçoit. Mais devrait-on vraiment être surpris? Le groupe a été après tout sponsorisé par l’organisation des Jeunes Volontaires, une branche du Parti québécois. Le Délit propose à tous les lecteurs d’écrire à leur député pour qu’il leur explique comment l’argent de nos taxes peut être utilisé à des fins aussi médiocres. Vous devez vous demander pourquoi votre Délit vous demanderait de sécher les cours afin d’écrire au gouvernement. Nous soutenons qu’au lieu de passer le cours à essayer de trouver des allusions sexuelles dans le discours du professeur, vous pouvez héroïquement faire du monde un endroit meilleur.Voici pourquoi: Premièrement, Anne’s Bank n’a ni rythme ni style. Ils ont piqué des mélodies de groupes de hard-rock des années 90 et les ont découpées et remélangées. Le génial Jonathan Provonost, auteur des paroles, utilise une recette «Explosive» (c’est le titre de l’une de ses chansons). Pour faire comme lui, commencez avec une chanson de Rush, ajoutez trois mesures de Pantera, essayez de chanter comme Jean Leloup mais avec la voix d’Éric Lapointe (aïe!), et terminez avec du simili-Radiohead raté. Finalement, choisissez un titre rebelle style Sex/Hate Emo! Eh oui, voilà ce qui a permis à Provonost d’écrire l’inspirée Life. C’est d’une poésie un peu trop subtile. Ensuite, comme vous l’avez sans doute deviné, ce groupe n’a aucune originalité; c’est du remâché. Ce ne serait pas si mal s’ils ne changeaient pas de style au moins trois fois dans la même chanson… ça donne la nausée. Finalement, le batteur, Vincent Gagné Lacombe, est excellent. Oui, nous l’admettons, et nous nous attristons pour lui. C’est vraiment dur d’écouter ce talent gâché, espérons qu’il aille se faire connaître ailleurs! Vous êtes sûrement en train de vous dire: «Oh non! Quelle horreur!» Mais ne paniquez pas; vous n’entendrez jamais ces miaulements dans votre bar préféré, et vous ne devriez jamais souffrir comme nous avons dû souffrir pour vous écrire cette revue. Anne’s Bank est mort, le groupe s’étant dissout en 2004, avec dix ans au bas des chartes de Montréal. Ne courez pas acheter le CD. Voici votre mission: écrivez à votre député pour vous assurer que ceci ne se reproduise pas dans le futur. Faites le pour vos enfants. Faites le pour un monde meilleur. x Anne’s Bank Sex/Hate Emo
Andrew Bauer et Eleonore Fournier
T
hunder, Lightning, Strike, le premier album de The Go! Team est une réelle bombe sonore. Effectivement, la densité énergétique de cet album, qui ne dépasse pas 35 minutes en durée, écrase tout ce que l’on peut s’imaginer d’un jeune groupe de Brighton. L’abondance d’idées musicales innovatrices est incroyable et confère à la musique de The Go! Team une unicité particulière. Le mélange de styles musicaux allant du post-punk de Sonic Youth au hip-hop de Run-DMC en passant par New Order et Phil Spector marque l’originalité excessive du groupe. Dans le contexte musical contemporain, The Go! Team pourrait être comparé à The Avalanches, RJD2 ou Madlib. En effet, ils partagent tous une affinité pour l’utilisation musicale d’échantillons sonores aux origines obscures. Cependant, The Go! Team se distingue du fait que leur musique n’est pas entièrement générée par des moyens électroniques et que chacun des six membres du groupe joue d’un instrument de musique ou chante. C’est justement cette différence qui rend leur musique humaine et vivante. Ce qui frappe l’auditeur à la première écoute de Thunder, Lightning, Strike, c’est la qualité sonore que l’on qualifierait objectivement de médiocre: on dirait que l’album a été enregistré sur une vieille cassette audio dans le sous-sol (salle de pratique) du groupe. Cependant, il n’y a rien de plus approprié à leur musique que ce manque de «perfection» sonore typique de l’ère pré-iPod. Notre Joueur MP3 se transforme soudainement en un vieux walkman que l’on pensait désuet. x The Go! Team Thunder, Lightning, Strike (Memphis Industries)
Pascal Sheftesty