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Le seul journal francophone de l’université McGill.

Volume 94, numéro 17

Le mardi 15 février 2005

www.delitfrancais.com

Valérie parle au téléphone depuis 1977.


02 Le Délit x 15 février 2005 cultureenbref

Courte nuit L

a nuit du 26 février, le court-métrage sort des sentiers battus alors que Silence, on court! déploie sa longue nuit du court dans sept villes: Montréal, Sherbrooke, Trois-Rivières, Saguenay, RouynNoranda, Moncton et Edmundston, permettant à un nombre record de cinéphiles noctambules de vibrer, une nuit entière, à l’énergie du court-métrage. À Montréal enfin, l’événement constitue toujours l’un des volets

de la populaire nuit blanche à Montréal de Montréal en lumière. Que ce soit au cinéma ONF ou à L’Impérial, les fous de cinéma auront l’embarras du choix entre les super héros de fantasia, les trouvailles de Prends ça court, quelques savoureuses histoires belges et même un avant-goût de la soirée des Oscars. Sortez vos pyjamas, mettez vos nœuds papillon, les Oscars débarquent à Montréal. Au total, la programmation montréalaise comprend une

douzaine de programmes étalés sur une douzaine d’heures. Les sept villes partenaires de La longue nuit du court auront en commun un programme de courts-métrages original, curieux, bizarre, étrange, signé Silence, on court! Préparez-vous à y voir du paranormal, de l’insolite et de l’inattendu avec, notamment, un déroutant baladeur, une surprenante machine à écrire, des campeurs nouveau genre, un concert surréaliste, un cravatier fleuri, des zombies mélomanes et un homme subitement pixellisé. Attention, la nuit, tous les courts sont permis… À Montréal, le public pourra se procurer des billets pour toutes les séances montréalaises de La longue nuit du court (3 $ la séance) à la billetterie du cinéma ONF (1564, rue Saint-Denis) à compter du 29 janvier. x Trouvez tous les détails sur la programmation de chacune des villes au www.silenceoncourt.tv.

Agitation «Le mouvement et l’identité font le geste. Mais plus encore, le geste est origine». Zab Maboungou.

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ab Maboungou présentera au MAI sa nouvelle création Lwáza, une chorégraphie pour trois danseurs et deux musiciens, qui explore la distance et la proximité dans le mouvement et les conversations des corps, le tout allié à l’espace physique et rythmique. En réponse au solo Nsamu («sujet de débat»), Lwáza («bavardages») fait état d’une agitation scénique où les personnalités déconstruisent le discours à tout instant. Pourtant, le langage, la parole et le vouloirdire demeurent essentiels à cette exploration chorégraphique. Caractéristique des œuvres de cette chorégraphe montréalaise, la musique des rythmes, ici fébrile et percutante, est au cœur du processus. La composition musicale originale de Lwáza, typique des créations de Maboungou, n’est ni un rythme d’accompagnement, ni un rythme d’ambiance, mais crée plutôt une scénographie rythmique où le rythme définit et articule l’espace. Chorégraphe, écrivaine, professeure (art et philosophie) et

fondatrice de la Compagnie Danse Nyata Nyata, Zab Maboungou présente ses œuvres depuis plus de vingt ans au Québec, au Canada et dans le monde. Voué à la danse contemporaine, le travail de Maboungou, solidement inspiré par les rythmes des traditions musicales africaines, approfondit les dimensions de la contemporanéité en danse. Dans ses «poétiques» (c’est ainsi qu’elle désigne ses chorégraphies), le mouvement et la gestuelle enracinés dans le temps interpellent des espaces codifiés de l’intime et de l’universel. Frédérique Doyon, de la Presse, dit de Zab Maboungou et de sa danse qu’elles «fabriquent du temps comme une araignée tisse sa toile». x Lwáza est présenté du 17 au 26 février, dans le cadre du Mois de l’histoire des Noirs, au MAI (Montréal, arts interculturels), 3680, rue Jeanne-Mance. Les billets varient de 7 à 20 $. Billetterie: (514) 9823386. Pour plus d’information: www. m-a-i.qc.ca.

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15 février 2005 x Le Délit

éditorial

Forum Social Mondial: allons-nous repousser le débat encore longtemps? Philippe Crête

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n dit souvent que la gauche est divisée et que ce manque de cohésion l’empêche de représenter une alternative valable au modèle économique néo-libéral. Ainsi, la gauche ne manque pas d’idées, mais n’arrive souvent pas à s’entendre sur celles qui sont prioritaires, et encore moins sur la façon de les mettre en œuvre. Si, au Québec, plusieurs partis de gauche ont récemment décidé qu’il valait mieux unir leurs forces pour espérer atteindre des objectifs communs, on ne peut pas en dire autant des organisateurs et participants du dernier Forum Social Mondial de Porto Alegre. Il faut dire que la tâche est colossale. Entre 100 000 et 150 000 activistes, scientifiques, délégués d’organisations internationales et d’ONGs se sont réunis à Porto Alegre avec l’objectif de développer les bases de fondations sociales, économiques, politiques et environnementales mondiales plus justes que celles proposées par les ténors néo-libéraux qui se réunissaient au même moment à Davos. Ceci étant dit, les critiques se sont accumulées lors du dernier Forum Social Mondial, le cinquième à avoir lieu, et qui vient de se terminer. En effet, de plus en plus de participants commencent à se questionner à savoir si le forum ne devrait pas se donner les moyens nécessaires lui permettant d’atteindre les objectifs qu’il se fixe. Déjà durant le dernier Forum Social Mondial, plusieurs voix s’étaient élevées contre le manque de cohésion, mais aussi et surtout, contre le manque de visibilité de l’exercice qui, selon eux, découlaient en grande partie du fait que le forum ne s’était toujours pas doté d’une plate-forme politique. Pourtant, cette année encore, les organisateurs de l’événement ont rejeté l’idée que le forum devait se politiser, évoquant la possibilité que cela mène à l’exclusion des participants plus radicaux, ceux qui prônent qu’il vaut mieux développer un système parallèle au système actuel plutôt que d’essayer de réformer ce dernier par l´interne. C’est pour les mêmes raisons que les organisateurs ont aussi rejeté l’idée lancée par le président brésilien Lula d’organiser une rencontre entre une délégation du forum social mondial et une délégation du forum économique de Davos. Ainsi, le mot d’ordre est le suivant: pas de

prise de position politique, pas de déclaration commune. Mieux vaut respecter la diversité d’opinion des participants, et surtout, mieux vaut ne pas entrer dans la game du système actuel. Et cette logique devait être poussée jusqu’à l’absurde, les organisateurs refusant, par exemple, de présenter une position commune contre l´occupation en Irak ou encore pour l’abolition de la dette des pays en voie de développement! Or, s’il est un consensus qui est en train de se former parmi la gauche, c’est bien qu’il est très difficile, voire parfois impossible, de travailler à une révolution sociale en coupant tous les ponts avec les représentants politiques et économiques actuels. Même des figures emblématiques des plus radicales comme le sub-commandante Marcos du Chiapas l’ont compris! Ainsi, les actions patientes mais soutenues d’une organisation telle Amnistie Internationale, qui n’a jamais répugné à entretenir des contacts avec la classe politique, auront somme toute eu beaucoup plus d’influence que les actions de groupes qui n’auront jamais accepté de se mouiller dans le système. Le pire de toute cette histoire reste cependant le manque flagrant de consultation entre les organisateurs et les participants du forum. Pendant l’événement, aucune consultation n’offrait la possibilité de même débattre de l’opportunité de développer une plate-forme politique découlant de principes discutés durant le forum. Et cela, malgré le fait que les organisateurs étaient bien au fait de l’ampleur du débat qui ronge l’intérieur même du forum. C’est de cette même façon que la décision de ne pas permettre une rencontre entre une délégation de Davos et une autre de Forum Social Mondial s’est prise, sans débat ni consultation. Où étaient donc ces principes démocratiques si fièrement défendus pendant tout le forum? Ce refus de considérer les moyens de mettre en œuvre les principes défendus par les participants représente donc une occasion manquée. Bien sûr, le forum est une initiative brillante et surtout nécessaire. Ses premières éditions ont d’ailleurs été cruciales pour le développement d’une conscience sociale mondiale, jusque-là déficitaire, et ont permis à plusieurs groupes sociaux du monde entier d’unir leurs efforts dans leurs luttes sociales respectives.

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J’ai la piqûre à Vancouver

Le Délit Le journal francophone de l’université McGill 3480, McTavish, bur. B-24 Montréal (Québec) H3A 1X9 Rédaction: (514) 398-6784 Publicité: (514) 398-6790 Télécopieur: (514) 398-8318

rédactrice en chef Valérie Vézina chef de pupitre-nouvelles Philippe G. Lopez chef de pupitre-culture Flora Lê rédacteur-reporteur Eleonore Fournier coordonnateur de la mise en page David Drouin-Lê coordonnateur de la photographie Éric Demers coordonnateur de la correction Julien Vinot chef illustratrice Jany Lemaire

Ce succès démontre ainsi le pouvoir incroyable de l’événement, et donc le potentiel qu’on en tirerait si les participants s’entendaient à prendre des positions communes et à lancer des actions concertées. C’est pour cette raison qu’un débat interne entre les participants et organisateurs devient nécessaire. Car pendant que la plus grande conjonction internationale de mouvements sociaux, activistes, et de scientifiques ayant vu le jour jusqu’à maintenant n’arrive pas à décider si le forum doit prendre position sur l’échiquier politique mondial, les représentants de Davos, eux, se sont entendus depuis longtemps, et les résolutions qu’ils continuent d’adopter vont bon train. Philippe Crête est un étudiant à la maîtrise en sciences environnementales à l’Université McGill. Membre du Smithsonian Tropical Research Institute et membre associé du Centre de Recherche en Développement International de McGill, il a participé au Forum Social Mondial 2005.

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À poil!

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Montréal brille

collaboration Alexandre de Lorimier Marika Tremblay Laurence Bich-Carrière Philippe Crête Félix Meunier Émilie Beauchamp Marie-Noëlle Bélanger-Lévesque David Pufahl Nicholas Bellerose Jean-François Sauvé Sébastien Lavoie Tracy Robin Olivia Lazard Agnès Beaudry webmestre Bruno Angeles couverture Éric Demers Philippe G. Lopez gérance Pierre Bouillon publicité Boris Shedov photocomposition et publicité Nathalie Fortune le McGill Daily Daniel Cohen

Conseil d’administration de la Société de Publication du Daily: Emily Kingsland, Eugene Nicolov, Alexandre de Lorimier, Rachel Marcuse, Bram Sugarman John Jeffrey Wachsmuth, Daniel Cohen, Valérie Vézina, Joshua Ginsberg L’usage du masculin dans les pages du Délit français vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.

Walk like an Egyptian

Le journalisme vous intéresse? Passez au local B-24 du Shatner, le lundi à partir de 15h00. Critiques de théâtre, textes d’opinion, mouchoirs souillés, on accepte tout!

Le Délit français est publié par la Société de publications du Daily. Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et illustrations dont les droits avaient été auparavant réservés, incluant les articles de la CUP). Les opinions exprimées dans ces pages ne reflètent pas nécessairement celles de l’Université McGill. L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal. Imprimé par Imprimerie Quebecor, St-Jean-sur-Richelieu, Québec. Le Délit est membre fondateur de la Canadian University Press (CUP) et de la Presse universitaire indépendante du Québec (PUIQ). Imprimé sur du papier recyclé. ISSN 1192-4608

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04 Le Délit x 15 février 2005 nouvellesnationales

NAOMI séduira-t-elle les toxicos?

Un programme légal de distribution d’héroïne à des fins de recherche sur la dépendance débute cette semaine dans la métropole britano-colombienne. Alexandre de Lorimier

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a toxicomanie est un grave problème de société, tous s’entendent là-dessus. Et pourtant, les gouvernements peinent à trouver des solutions pour aider les gens qui vivent tous les jours sous l’oppression de ces substances mal connues du commun des mortels. Car on ne parle pas ici de consommation de drogues dites douces comme le cannabis mais bien d’héroïne, un opiacé de la famille de la morphine, un puissant narcotique analgésique. Le North American Opiate Medication Initiative (NAOMI) est une nouvelle étude canadienne sur les effets de la dépendance chez les toxicomanes à long terme et sur les méthodes de traitement. Après un long processus d’homologation par Santé Canada, le premier centre NAOMI a été ouvert la semaine dernière à Vancouver. Le traitement de la dépendance aux opiacés le plus souvent utilisé et le mieux accepté dans le milieu médical est la thérapie d’entretien à la méthadone (TEM). La méthadone est également un opiacé mais ses effets sur le corps humain sont réduits relativement à l’héroïne et durent plus longtemps avec de plus petites doses. Ceci permet d’opérer une baisse échelonnée de la consommation et un sevrage au bout de quelques mois, voire quelques années. Cependant, bien que la TEM soit la méthode la plus

encourageante pour un grand nombre de toxicomanes, elle ne convient pas à tous. Une cure à la méthadone prévoit la réinsertion de l’ex-héroïnomane dans la société dès que la situation est sous contrôle. Cette réinsertion n’est pas possible pour certains, qui ont des liens très forts avec les milieux de la drogue ou qui ne parviennent pas à suivre le protocole strict d’un tel traitement d’entretien. «Il n’y a pas de recette miracle», confie une intervenante à Cactus, un organisme montréalais d’aide aux toxicomanes. «Les deux cents maisons de thérapie au Québec ne fonctionnent pas toutes de la même façon. Les toxicomanes ont des antécédents différents et il faut aussi prendre en compte les spécificités biologiques de chacun», ajoute-telle. À Vancouver, les coordinateurs de NAOMI prévoient distribuer de l’héroïne de qualité pharmaceutique à 88 toxicomanes volontaires et de la méthadone à 70 autres. Ces participants sont des utilisateurs chroniques d’héroïne qui ont déjà tenté, sans succès, des cures de désintoxication et qui ont une volonté forte d’abandonner leur dépendance. Bien que le projet NAOMI prévoit de s’exporter à Montréal au printemps, notre contact n’a pas été en mesure de confirmer que Cactus avait été contacté pour assurer un soutien logistique.

L’utilisation illégale d’opiacés touche entre 60 000 et 90 000 personnes au Canada, dont environ 5 000 à Montréal. Les risques encourus par un toxicomane pour sa santé sont très nombreux et comprennent notamment la surdose et une infection éventuelle aux virus de l’immunodéficience

Félix Meunier

Les femmes et les sciences

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’homme s’appelle Lawrence Summers. Il est le président de la prestigieuse Université Harvard au Massachussets. C’est un homme qui de toute évidence doit être incroyablement brillant pour s’être rendu là où il est. Il y a quelques semaines, lors d’une conférence académique, Summers dissertait sur la situation des femmes en sciences. Rappelons que, l’an passé, l’Université Harvard n’a promu que 4 femmes à titre de professeurs

agrégés (sur 32). M. Summers disserte donc et se demande pourquoi les femmes ne représentent qu’une faible proportion des professeurs en science. Celles-ci n’auraient en fait pas une innate ability en mathématiques et sciences. Oups. Tollé. Évidemment, cette déclaration renforce le doute qu’ont certains au sujet des capacités réelles des femmes à un niveau d’études scientifiques élevé puisqu’elles auraient sans nul doute bénéficié de passedroit en cours de route.

humaine (VIH-SIDA) ou de l’hépatite. Le partage d’aiguilles par des toxicomanes est en voie de devenir la cause principale d’infection au VIH. La dépendance aux opiacés provoque un repli sur soi-même qui entraîne une perte d’interaction sociale à long terme, sans oublier

Pourtant, pendant que les femmes composent environ 50 p. cent des bacheliers en mathématiques et chimie, elles ne représentent que 10 p. cent des professeurs. De plus, la proportion de Ph.D féminins est beaucoup plus élevée que la proportion de professeures. Mais où sont-elles passées? La situation est-elle mieux à McGill? J’y suis entré et j’avais des cours dans ces monstres d’auditorium que sont McConnell 204 et 304. En attendant le début des lectures, le «gang» de mâles étudiants d’ingénierie remarque que la gent féminine s’est donné rendez-vous dans le cours qui s’achève. Ils ont tous hâte de voir quelle est cette classe de 2e année… pour découvrir que le cours en question était Évolution des Caraïbes et de l’Amérique latine aux XVIIIe et XIXe siècles. Ces cuistres d’étudiants en arts nous avaient volé notre classe et nous avaient donné de faux espoirs. D’autant plus, il a fallu se rendre à l’année 2002 pour voir une première professeure au département de génie mécanique. Summers croit-il encore à ce cloisonnement où les femmes sont bien en arts et éducation alors que les hommes se satisfont des sciences et génie? Certaines universités se bombent le torse en claironnant le nombre fabuleux de bachelières B.Sc. Mouais, mais

des conséquences financières graves. Un héroïnomane peut également risquer sa vie en participant à des activités criminelles afin d’obtenir sa dose quotidienne. D’après une enquête pancanadienne, les coûts sociétaux reliés à la toxicomanie sont de 45 000 dollars par personne par année. x

est-ce de la triche si on n’accorde pas un B.A. mais un B.Sc. en communications et relations publiques? Voilà un bon moyen d’avoir plus de femmes avec un B.Sc. Ou encore, cette autre université qui offre un cours d’ingénierie de l’apprentissage. Si le contenu n’est pas nécessairement scientifique, il en a au moins l’apparence. Je me souviens encore de ce prof qui s’était esclaffé lorsqu’un étudiant lui avait demandé si l’ingénierie financière était vraiment de l’ingénierie. Imaginez l’ingénierie de l’apprentissage. Néanmoins, tout n’est pas perdu. Malgré le pourcentage ridicule de femmes en ingénierie, remarquons leur émancipation remarquable. Le meilleur étudiant de ma classe était en fait une étudiante. Mon meilleur TA était en fait une TA. Le premier président de classe, c’était en fait une présidente. Et l’asso étudiante EUS est complètement dominée par des femmes cette année. Summers a raison de s’inquiéter du faible nombre de femmes en sciences. Mais qu’il ne s’inquiète pas de leur QI ou de leur performance. Il devrait plutôt se questionner sur ce que font tous ces hommes qui vivotent pendant leur bac alors que les femmes sont incroyablement motivées et s’y investissent corps et âme. x


15 février 2005 x Le Délit

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nouvellesnues

Mark Roberts: avoir le nu-vite Quelques mots sur ces individus, grands philantropes, dévouant leurs corps dénudés à la sciences du divertissement...

Laurence Bich-Carrière

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u’est-ce qu’un nu-vite (ou une nue-vite car, ma foi, bonnes femmes, cette nouvelle tendance n’est pas la chasse gardée du sexe fort)? Puisque le mot n’est pas encore dans le dictionnaire, permettez une définition: le nu-vite (streaker) est un individu – malheureusement rarement choyé par un physique d’adonis – qui se dénude pour traverser à la course un endroit public fréquenté, généralement un terrain sportif et souvent à la suite d’un pari perdu. Ceci dit, certains le font pour des motifs d’une indéniable noblesse, comme cet étudiant de Yale qui avait décidé de traverser le campus en tenue d’Adam pour protester contre le numéro Woman of the Ivy League 1995 de Playboy dont le casting avait lieu cette journée-là. N’empêche que le vieux Hugh Hefner a de l’humour: les photos de l’hurluberlu ont fait partie intégrante du numéro… En Angleterre et au Pays de Galles, le phénomène est devenu tellement commun que certaines tables de soccer miniatures comportent dorénavant un minuscule nu-vite et deux non moins minuscules agents de paix. Mais au-delà de ces sinistres appropriations commerciales du phénomène, il existe un champion, la crème de la crème du nu-vite, le dieu des streakers, le docteur ès attentats à la pudeur par excellence: Mark Roberts. Mark Roberts, c’est 300 nus-vites, de Wimbledon au Grand National, d’un bulletin de météo en direct au concours gallois de Miss Univers; Mark Roberts, c’est celui qui a fait la une des journaux sportifs après avoir sévi au 18e trou du British Open en traversant le terrain avec, peint sur le dos, le mot «19th hole» assorti d’une flèche vers le bas. C’est encore celui qui a bondi hors de la foule lors de la finale de la Ligue des champions, jetant à bas son vêtement de velcro cousu pour l’occasion, celui qui s’est emparé du ballon et a compté un but devant un gardien trop hébété pour essayer de

l’arrêter (ce qui a d’ailleurs inspiré une pub de Nike et une autre de Reebok). Et Mark Roberts, c’est encore le type qui a dérangé le Superbowl de 2004 (avec le sein de Janet Jackson) en traversant le terrain avec goldenpalace.com sur le dos (il s’agit d’un casino en ligne, bien connu pour être le sponsor officieux de plusieurs nu-vites, comme le Montréalais Ron Benshimon qui avait interrompu une compétition de plongeon aux Jeux olympiques en faisait un belly flat en tutu bleu dans la piscine, et, puisqu’il faut bien vivre, goldenpalace.com sur le dos). La publicité de ce dernier streak, Roberts, né à Liverpool, qui a 40 ans, pas d’emploi et trois enfants, l’explique comme suit: «Le nu-vite est mon emploi non rémunéré à plein temps, et ça coûte cher: amendes, billets, transport. Les employeurs ne sont pas très réceptifs: pendant ma demi-heure de pause, je vais faire un nu-vite au match, je suis arrêté, relâché et même si je reviens en vingt-cinq minutes, on me saque parce qu’on m’a vu à la télé! [NdlA: !] Mais je suis connu au point où les policiers me demandent mon autographe avant de me menotter… Le Superbowl, c’était mon rêve et je n’aurais pas pu le réaliser sans la pub». Tout a commencé en 1993 après une promesse d’ivrogne dans un bar de Hong-Kong: une nue-vite dodue avait interrompu le match et Roberts a dit que n’importe qui pouvait streaker. «Mes copains m’ont pris au mot. Et depuis, je ne peux plus m’en passer. Au début, j’étais un peu embarrassé de montrer ma «mccroquette», mais depuis, c’est comme prendre un bain». Étrangement, ce n’est que sa 196e excursion, une participation licencieuse au 400 mètres-haies aux jeux du Commonwealth, qui lui a valu d’être traîné en justice en cour pour common nuisance. Depuis, il semble cependant avoir acquis une étrange célébrité législative. En effet, à la suite des plaintes répétées formulées par les clubs sportifs, le

Parlement anglais a pris les grands moyens: avant chaque match de soccer à l’étranger d’un club anglais, il doit remettre son passeport aux autorités locales et, à l’heure du match, se présenter au poste de police. Tout ça pour s’assurer qu’il se trouve vêtu en Angleterre… Au commun des mortels qui n’est pas l’objet d’une attention si soutenue des faiseurs de loi, il lance ce message d’espoir (c’est lui qui le qualifie ainsi, et non pas les milliers de chastes téléspectateurs aux oreilles rouges vierges effarouchées): «Nous avons tous le pouvoir d’être nu et la volonté de nous libérer: streak, Winbledon et le tennis n’auront jamais eu autant de succès. streak, streak, hourrah!» x

Répression policière dans les années 70; les nu-vites font leur apparition.


06 Le Délit x 15 février 2005 nouvelleslocales

nouvellesopinion

Concocter une crise pour se faire entendre Les participants de la conférence et table ronde «Un Québec en santé», mercredi passé, interpellent le gouvernement Charest afin qu’il investisse davantage dans la prévention de la maladie. Marika Tremblay

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à la dérive». «Le gouvernement planifie d’accroître les dépenses dans les soins de santé [et] coupe dans les autres dépenses comme l’éducation». Or, la pauvreté, l’éducation et la maladie sont hautement corrélées. Ce dernier propose donc d’évincer ce cercle vicieux en adoptant une approche préventive, davantage holistique. Le débat lancé par la doctoresse Jody Heymann, professeure de santé publique à l’Université Harvard, prit ensuite le haut du pavé. La table ronde porta principalement sur la réorientation des politiques publiques visant seulement les traitements vers des politiques publiques donnant la priorité à la prévention. Le docteur Alain Poirier, directeur national de la santé publique et sous-ministre adjoint au ministère de la santé et des services sociaux de Québec, souligna l’importance de faire front commun avec tous les ministères afin de lutter contre la maladie. Tout en brandissant un rapport traitant de la santé communautaire qu’il soumettra sous peu, ce dernier se disait heureux que «la prévention s’inscrive de plus en plus sur l’agenda public».

C’est pour cette raison, d’ailleurs, qu’il avait espéré la venue de Charest à la conférence. Le docteur Gagnon appela aussi la communauté médicale à créer une «crise préventive de santé». C’est la seule façon d’inscrire, selon lui, la prévention dans l’agenda des politiciens et de les pousser à la prise de décision. La professeure Laurette Dubé, de la Faculté de gestion de l’Université McGill, réitéra l’appel du sous-ministre adjoint en rappelant que c’est «l’épidémie de prévention», créée il y a quelques années, qui alarma la population au taux d’obésité croissant. Ce n’est, selon ces conférenciers, qu’en créant une crise de la sorte que la problématique put recevoir une certaine couverture médiatique et, ainsi, s’inscrire dans l’agenda politique. Ils proposent donc un lobby indirect pour éveiller l’opinion publique. Ainsi, la conférence, hétéroclite, se voulait le début d’une réflexion sociale cherchant des solutions originales pour un système de santé essoufflé. Triste alors que le Premier ministre n’ait pu se libérer pour entendre quelques-unes d’entre elles… x

Marika Tremblay

u-delà du cri d’alarme dénonçant l’état de la santé au Québec, ce sera l’absence de Jean Charest qui aura été remarquée à la table ronde organisée par la Faculté de médecine de l’Université McGill. Intitulé «Un Québec en bonne santé: formation et action», l’événement avait pour but de générer une réflexion sur les meilleurs moyens à adopter afin d’améliorer le système de santé québécois. Sous les bons hospices des policiers de la ville de Montréal, les distingués nœuds papillons et imperméables beiges de la communauté médicale s’entassaient auprès des revendicateurs estudiantins et des quelques journalistes venus pour accueillir le Premier ministre. La discussion a été inaugurée par M. André Chagnon, fondateur et président de la plus importante organisation caritative au Canada. Mécène et chef de fil en matière de collaboration entre le secteur public et privé, il a fait de l’amélioration de la santé des québécois son credo. Ainsi, malgré les investissements publics croissants, il croit que «notre système de soin de santé vogue

On est heureux que «la prévention s’inscrive de plus en plus sur l’agenda public.»

Rappelezmoi... pourquoi militonsnous, encore? Marika Tremblay

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on sourcil me trahit souvent. Lorsque je m’étonne, il se courbe. Lorsque je me fâche, il se pointe. Or, lorsque j’ai lu la publicité associant Charest, Desmarais Jr. et Chagnon, il se prit de convulsion. Je l’accorde: la rencontre entre ces individus, pour discuter de la santé, semblait incongrue. Or, qu’on associe André Chagnon, père de Vidéotron et créateur d’une des fondations caritatives les plus admirables au Canada, avec le Premier ministre Charest, avec tous les torts qu’on lui attribue, relève: a) D’un manque de discernement. Ainsi, émettre cette publicité sans avoir eu la curiosité de s’informer du pedigree de Chagnon est d’une grande paresse intellectuelle. Ce raccourci relève aussi d’un manque de professionnalisme gênant. Ou serait-ce que les sites web qui lui sont associés sont écrits en français? Autre raison d’être intellectuellement paresseux, évidemment… b) D’un militantisme aveugle. Inscrire le nom de Chagnon en pleine connaissance de cause serait équivalent à condamner le «privé» ou le «gouvernement» (ou la «globalisation», tant qu’à faire) sans vraiment avoir eu la présence d’esprit de nuancer son discours. Il faudrait alors croire qu’il y a certains champs lexicaux qui sont in et accrocheurs quand on proteste. c) a) et b) Cette petite montée de lait aurait pu être maîtrisée en son sein. Elle n’aurait pas ainsi eu le plaisir de submerger les pages de ce journal… Cependant, plusieurs des revendicateurs ont quitté la conférence, mercredi, après avoir constaté que Jean Charest n’allait pas faire l’honneur de sa présence. Ainsi, par manque d’intérêt, ils n’ont finalement ni connu, ni écouté les discours, hautement inspirants, de Chagnon et Poirier. Car rappelons-nous que Poirier a aussi un impressionnant curriculum vitae en matière d’activisme communautaire et de leadership dans la recherche de voies alternatives afin d’améliorer la santé au Québec et au Canada. Et que les critiques qu’ils ont portées envers certaines politiques publiques étaient des plus à propos. Pas étonnant alors que ces militants fassent des erreurs aussi aberrantes sur leurs publicités… L’étiquette «revendicateur» ne donne pas la vérité absolue et transcendante. Alors, militez pour la cause estudiantine - que je crois tout à fait légitime, d’ailleurs - tout en préservant une certaine modestie, en ayant la décence de respecter et d’écouter ceux qui ont choisi d’autres avenues pour tenter de changer les choses, de façon positive et constructive. x


15 février 2005 x Le Délit

nouvelleslocales

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Un chez-nous en dehors de chez nous

Deux explorateurs endurcis reviennent de leur gueule de bois pour raconter leurs péripéties dans les bars de Montréal. Eleonore Fournier & Andrew Bauer

Whisky Café: 5800 Saint-Laurent (Quartier du Mile End) «Ce qui se passe au Whisky Café reste au Whisky Café» Juste en dessous du viaduc de Rosemont, à côté des immeubles abandonnés et dans la pénombre d’un coin de la rue Saint-Laurent se cache un petit bijou où des hommes riches et mariés peuvent rencontrer leurs jeunes amantes. «La politique de la maison, c’est que ce qui se passe au Whisky Café reste au Whisky Café», dit Chantale Ménard, une serveuse enthousiaste. Il y a deux grandes pièces, une où l’on peut s’asseoir et savourer un des nombreux choix de la liste des alcools, et l’autre où, enfoncés dans des sièges en cuir, on fume des cigares de tous les genres. Dans une atmosphère art déco, on peut boire du porto, du whisky, du champagne et des vins à 600 $ la bouteille. Il y a quand même des options moins classe pour ceux qui ont la bourse plus serrée. Ménard est assez fière de son bar. «Ça fait 15 ans que c’est ouvert ici alors c’est rendu une institution à Montréal, l’institution bien sûr des scotchs, parce que nous avons une des plus grandes variétés, si je ne m’abuse la plus grande variété de scotchs à Montréal. Les vendredi et les samedi sont assez animés… Alors vous pouvez faire qu’est ce que vous voulez car on est toujours discret». À une table, Myriam Prestige et Yusef Herou savourent un cognac et un porto, respectivement. Yusef, un habitué, aime amener de nouvelles conquêtes ici, car il a l’impression de se retrouver chez lui, à Marseilles. «C’est de la classe! C’est un bar complet; on peut être non-fumeur, comme on peut être fumeur, comme on peut être pire que fumeur!» Verres Stérilisés: 800, Rachel Est (Quartier du Plateau) «C’est une des dernières grandes tavernes de Montréal» Comme l’indique son nom, ce bar stérilise ses verres; pas besoin de craindre les microbes du voisin! Pourtant, si de l’exterieur, la pancarte semble un peu suspecte, l’intérieur révèle une taverne chaleureuse remplie d’artistes vétus de noir qui savourent une bière en parlant du sens de la vie. Sur le mur pendent d’anciennes photos de boxers, des portraits de Mozart et d’autres compositeurs, et, le bijou du bar, une grande photo d’Émile

Nelligan. On n’y vient pas que pour boire, la machine de baby-foot semble avoir bien du succès ainsi que la table de billard et la télé qui couvre les parties de hockey. Autour d’une table, quelques artistes savourent leurs quilles. Gerth Knadsen, un photographe, fait l’éloge de son bar préféré: «C’est une des dernières grandes tavernes de Montréal. Il y a ici des hommes forts et des poètes… et ils stérilizent leurs verres». Ses amis, deux musiciens et une designer approuvent: « Regardez sur les murs, nous avons Emile Nelligan ici, un des grands poètes». Au bar, un ébéniste et un technicien en télécommunications en sont à leur énième bière: «On est des habitués ici, ça fait quelques années qu’on vient ici, le service est bon, la bière est bonne». L’Utopik (Ludik): 552 SainteCatherine (Quartier Latin) «Tantôt j’ai sorti un gars parce que les gens de Sherbrooke n’avaient pas de vocabulaire» En face du métro Berri, entre une boulangerie et un magasin de journaux, il y a une petite porte qui indique, en lettres de travers: L’Utopik. En l’ouvrant, on a l’impression d’entrer dans un appartement où

l’on fait toujours la fête. Orné de plantes, de divans, d’étagères de livres et de lampes brisées (comme chez nous), on s’y perd facilement dans sa boisson. Nommé auparavant Café Ludik, le bar a recemment changé d’administration, et s’est agrandi pour s’annexer à une auberge de jeunesse et des appartements étudiants. Il y a souvent des shows ici, et samedi soir, c’était du jazz manouche. Un des musiciens, Michel Trottier, profite de la fin de la soirée pour décompresser. «Je suis un musicien et je joue ici habituellement. (En désignant ses amis): on est tous des musiciens, mais moi je joue ici - eux ils jouent pas ici». Il est peutêtre trop tard pour avoir des commentaires objectifs sur le bar: «J’viens ici parce que…. Éphemère aux Pommes….» La serveuse, pourtant, est bien reveillée. Myriam Caron Belzile a commencé à fréquenter l’endroit quand il s’appelait encore le Café Ludik: «J’adore ça, moi je travaille ici pas tant que ça pour l’argent, mais parce que j’aime ça être ici, alors, autant être payée!» Apparement, beaucoup de discussions intenses se déroulent ici, et cela finit parfois mal. «Des fois, ça devient un peu rock n’roll. Tantôt j’ai sorti un gars parce que les gens de Sherbrooke n’avaient pas de vocabulaire. C’est

juste parce qu’il était saoul, pis il s’énervait et il s’obstinait, pis ça va faire avec les gens qui s’obstinent!» Bar Stainless : 7467 Saint-Hubert (Quartier Rosemont) «Le monde s’mettent debout sur le bar pis y dansent tout nu!» Un vrai bar de quartier, Bar Stainless n’a ni classe ni personnalité. Si l’ambiance est faible, par contre, la musique, elle, est très forte; le rock québécois hardcore bloque toute possibilité de penser. Cela n’empêche tout de même pas les clients de faire la débauche. «Le vendredi-samedi t’as du karaoké», explique le technicien d’éclairage Pat St-Denis. «L’été, c’est le fun parce que les portes de garage sont ouvertes». Notre ami Pat est le client typique du bar Stainless. Les pieds sur le bar, il porte sa veste de cuir et ses tatouages avec orgueil, et encourage la serveuse stressée qui est à son premier jour de travail. C’est clair qu’il se sent chez lui dans son bar favori. «Bonne gang de gens pis c’est l’party tout le temps. Ça arrive souvent que le monde est pacté, s’mettent debout sur le bar pis y dansent tout nu là, pas si pire!» x

Eleonore Fournier

L

es bars définissent notre vie. Nous les fréquentons parfois pour nous amuser avec la bande, parfois pour oublier nos problèmes, parfois pour en créer de nouveaux. Mais pour la plupart d’entre nous, un bon bar nous donne le sentiment d’être chez nous. Pour les amateurs d’alcool et d’ambiance, nous vous présentons quatre bars de quartier à Montréal, qui sont le chez-nous de leurs habitués.

«Le monde s’mettent debout sur le bar pis y dansent tout nu!»


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15 février 2005 x Le Délit

nouvellesaventures

Urban Exploring Dans une usine près de chez vous. Texte et photos: Philippe G. Lopez

A

u fil des années et des fluctuations économiques, toute grande ville accumule un amalgame d’usines abandonnées, d’immeubles délabrés et de constructions désuètes. Dans plusieurs cas, la transformation ou la rénovation de tels édifices représente une solution peu rentable pour le propriétaire, qu’il s’agisse d’entrepreneurs ou de la municipalité. Conséquemment, la bâtisse est laissée à l’abandon, en attendant l’éventuelle démolition ou le rachat par un investisseur téméraire. Montréal a son lot d’édifices abandonnés. À l’est de la ville, le quartier Hochelaga-Maisonneuve constitue l’un des quartiers les plus désolés de la métropole. Ancienne banlieue industrielle, un exode massif de la population a suivi les nombreuses fermetures d’usines durant les années 1960. Au sud-ouest, les abords du canal Lachine représentaient jadis l’un des secteurs les plus prospères du Canada; aujourd’hui, le canal offre un paysage déprimant où s’élèvent d’immenses usines complètement vides. Spéléologues urbains Ce qui a fait le malheur des uns aura fait le bonheur des autres. Les squatteurs, les sans-abris et les vandales ont su profiter à leur manière des structures abandonnées qui s’offraient à eux. Récemment, avec la montée rapide de l’Internet, un phénomène jusqu’alors marginal a pris de l’ampleur: l’urban exploring. L’«exploration urbaine», c’est l’art de s’exiler dans sa propre ville, de s’infiltrer là où on ne devrait pas se trouver. Les adeptes, ou urban explorers,sont des gens comme vous et moi, s’intéressant particulièrement à l’urbanisme, l’histoire, l’architecture ou la photographie. Intrépides, ils admettent volontiers leur dépendance à l’adrénaline. Certains préfèreront les tunnels et les sous-terrains, d’autres affectionnent plutôt les lieux lugubres, tels les hôpitaux psychiatriques abandonnés ou les bases militaires désertées. Chaque continent ayant ses particularités et ses lieux à explorer, l’Amérique du Nord offre aux curieux un vaste amalgame d’usines et de raffineries en ruine. L’accessibilité de l’Internet a permis aux urban explorers de se retrouver entre eux et conséquemment, le phénomène s’est répandu. À Montréal seulement, on recense une importante communauté d’explorateurs qui

publient ici et là photos et carnets de route, répertoriant plus d’une centaine d’édifices abandonnés sur l’île seulement. Les règles d’or Certains pointeront du doigt le grossier euphémisme que représente le terme «exploration urbaine», car jusqu’à un certain point, la pratique sous-entend l’intrusion illégale sur une propriété privée. Pourtant, les urban explorers ont un code de conduite bien à eux. Premièrement: on ne laisse pas de trace. Pas de graffitis, de déchets ou tout ce qui pourrait laisser croire aux propriétaires des lieux qu’il y a eu intrusion. Car l’explorateur urbain est solidaire; il fera tout en son possible pour faciliter les visites des explorateurs qui suivront. L’infiltration est un art. Briser une fenêtre ou un cadenas pour rentrer dans un édifice est un acte de vandalisme. Et ça entraîne souvent l’accroissement des mesures de sécurité d’une bâtisse, rendant problématique encore une fois l’accès aux futurs explorateurs. Il est primordial de ne jamais divulguer l’emplacement précis d’un lieu. Les vandales ou les scavengers (personnes qui se spécialisent dans la revente de métaux et d’autres matériaux de valeur se trouvant sur des lieux abandonnés) sont des espèces courantes: ainsi, les adeptes de l’exploration urbaine ne risquent pas de voir un endroit se détériorer après que son emplacement ait été publié. Finalement, l’urban explorer ne rapporte rien chez lui. Il arrive que certains d’entre eux tombent sur des armes, de la drogue ou des objets volés (télévisions, vélos et même des voitures), et encore une fois, vaut mieux ne rien toucher. La préservation est une précaution dont chaque explorateur est responsable. Les guides Sur Internet, la communauté d’explorateurs urbains demeure anonyme. Sans surprise, la menace des représailles légales plane toujours un peu. Ce sera par un contact indirect, un coup de chance, que je suis rentré en contact avec Samuel, un urban explorer depuis plus de quatre ans. Le futur étudiant en urbanisme a commencé à explorer seul, un peu par curiosité. Aujourd’hui, il représente un membre actif de la communauté d’explorateurs montréalais, visitant en moyenne un ou deux édifices par semaine. Le rendez-vous est fixé, mais il me prévient: «Si t’écris un

article, évite de mettre des noms de lieux». Avec d’autres habitués, il a accepté que je les suive lors de leur visite nocturne à l’un de leurs bâtiments préférés à Montréal. Samuel m’explique alors qu’il y aura également deux personnes de Toronto qui vont nous joindre; faisant également partie de la communauté d’internautes, ils ont profité de leur passage à Montréal pour visiter à leur façon. La visite «C’est une place facile, assez bien pour les débutants», m’avait confié Samuel. Entassés dans une bagnole, on est au total une demidouzaine à s’aventurer cette soiréelà. Rob, le gars de Toronto, me demande si je fais ça souvent. «Non, en fait, j’vais perdre ma virginité en matière d’exploration urbaine», je lui réponds. «Pas trop anxieux, j’espère?» Une fois à l’intérieur, mes sens s’éveillent. On s’étonne d’abord du froid. Les murs transpirent une odeur lourde, les sons résonnent au loin, la clarté est diffuse et verdâtre. À la queue leu leu, je suis les habitués, balayant les murs de ma lampe de poche. On me raconte l’histoire de la bâtisse,de sa fermeture, de ce qu’on y faisait. Mes guides sont décidément bien documentés et aucune pièce de machinerie ne leur est étrangère. Comme un con, je pousse des «Ahh» et des «Ohh» à chaque tournant, j’installe mon trépied et je prends des photos. Le reste du groupe étant moins intéressé à mon type de tourisme, je dois courir pour les rattraper à plusieurs occasions. Le jeu durera plus d’une heure. Je me souviens d’avoir été frappé par la propreté des lieux. Au milieu d’une salle, un baril métallique fait office de poubelle, où je retrouve déchets et bouteilles vides. Chaque visiteur prend soin de la place, et ça se voit. L’endroit est un monstrueux labyrinthe, où le vent souffle d’une manière épouvantable à certains endroits. Des pigeons s’y cachent pour mourir: à certains endroits, le plancher est souillé par les plumes sales. Les dangers Réunis dans une petite pièce éclairée et munie d’une chaufferette, les jeunes aventuriers s’échangent des histoires. Je leur demande s’ils se sont déjà fait prendre à explorer des lieux abandonnés. Tous répondent par l’affirmative. Rob, le torontois, connaissait des gens qui, pendant une visite des tunnels du métro

de Toronto, se sont fait prendre et coller une amende de plusieurs milliers de dollars. Ils ont fait quoi, après? «Ils se sont cotisés, l’ont payée et le lendemain, ils exploraient à nouveau». En général, les intrus vont se faire coller un simple avertissement, mais le jeu consiste à éviter ce genre de rencontres fortuites. «T’as vraiment la frousse quand t’entends des bruits de pas ou quand tu vois une lumière qui s’approche», dira l’un d’eux. Une autre question me tracasse : je demande à Samuel comment on arrive à déterminer si une bâtisse est dangereuse à visiter. «Généralement, les édifices en trop mauvais état sont rapidement détruites. Sinon, faut se fier à notre bon sens: tu regardes l’extérieur et tu essaies d’estimer si l’immeuble est dans un état correct». Je lui demande s’il lui est déjà arrivé de rebrousser chemin devant un édifice qui semblait trop dangereux. Avec un sourire au coin, il m’avoue que non. En face de moi,Vala m’explique comment elle s’est cassé le coude dernièrement, ayant chuté d’une douzaine de pieds de haut. Pourtant, ça ne l’empêchera pas de grimper les échelles rouillées avec une plus grande agilité que moi, qui me heurte religieusement la tête à chaque pas. L’amiante cause aussi un problème. L’isolant nocif étant présent dans la plupart des buildings construits avant 1980, on va éviter de marcher directement dessus. Il est prouvé qu’une exposition régulière à l’amiante entraîne considérablement les risques de développer le cancer du poumon. Épilogue J’ai décidé de sortir quelques instants de la petite pièce maintenant réchauffée à une température tolérable afin de prendre librement quelques photos supplémentaires. En l’espace d’un moment, tout a changé; quand on est seul, le lieu prend une signification toute différente. Le sous-sol est inondé par une fuite d’eau où s’est formée une patinoire verdâtre. Le corridor est peuplé de stalactites de glace. L’oreille tendue, j’entends des sons au loin qui étaient jusqu’alors masqués par les conversations. J’écarte mon trépied, et pendant que j’expose la pellicule, je compte les secondes dans ma tête. L’endroit est définitivement digne d’un film d’horreur. Prestement, je remballe mes trucs et je reprends le chemin de la civilisation. x

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Libérons Roadsworth!

Si vous êtes de ceux qui arpentent la ville de Montréal à pied, vous avez certainement déjà croisé l’une de ses œuvres. Peut-être vous ont-elles accroché l’œil et interrogé l’esprit: mais qui peut bien faire de telles peintures dans les rues? Roadsworth a une réputation internationale bien établie comme l’un des plus grands «stencil artists», et certainement le plus audacieux que Montréal ait connu. Mais son périple urbain s’est vu interrompu lorsqu’il a été arrêté par la police de Montréal. Il fait aujourd’hui face à 85 chefs d’accusation, notamment à celui de vandalisme. Les accusations sont-elles un peu sévères pour un artiste dont le seul crime aura été de se servir des rues de la ville comme de toile de création, et la seule préméditation celle de donner du style à la ville? Sans déformer la signalisation routière, les interventions de Roadsworth font surtout sourire et offrent une certaine poésie urbaine. La revue Urbania défend l’artiste et fait circuler une pétition pour le faire libérer. Ajoutez votre signature au www.urbania.ca.

Texte: Flora Lê Photos: © Urbania/Dominique Goyette


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culturefestival

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Festival Montréal en Lumières Montréal l’Illuminée Émilie Beauchamp

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u 17 au 26 février, Montréal revêt ses beaux habits une fois de plus et se transforme en scène de lumière avec la Fête de la Lumière pour nous faire oublier la froidure hivernale et pour nous faire découvrir la citadelle sous une nouvelle lampe! Bien que moins connu que ses confrères estivaux, le festival Montréal en Lumière n’en est pas moins renversant! Que ditesvous d’une glissade en pleine rue Sainte-Catherine, de multiples kiosques de tire sur neige, d’un barbecue géant ou encore de feux d’artifice sur la Place des Arts? Comme d’habitude, l’animation de rue est chose certaine, mais plus encore les différents éclairages

qui illuminent le site créent une atmosphère féerique, chaleureuse et fantastique. Les activités proposées se comptent à la dizaine, la majorité étant gratuites, et s’étendent d’exposition de photographie à danse contemporaine. Ne manquez pas le spectacle de blues Chigaco style avec Lil’ed and the Blues Imperial avec Pat the White (recommandation personnelle pour ce dernier) qui nous offrent un show gratuit le samedi 19 février. Plusieurs activités sont offertes chaque jour, telles que la Sphère Loto-Québec, qui projette ses rayons à plus de 360 degrés et qui, au pied de l’esplanade, accueille DJs et VJs dès 21h chaque soir. Aussi, un spectacle de pyrotechnie urbaine est

présenté tous les jours à 19h. Bref, c’est la fête sur la Place des Arts dès que le soleil se couche et cela permet aux artistes de nous faire profiter de la magie des lumières du festival. Pour les frileux, vous pouvez vous installer dans la boule HydroQuébec qui, avec sa structure métallique, émet de chauds rayons infrarouges, ou encore vous pouvez aller prendre une pause et aller vous faire griller une guimauve sur l’un des feux grégeois du site. En famille, entre amis ou même seul, la Fête de la Lumière Hydro-Québec promet d’épater petits et grands cet hiver. x La Fête de la Lumière Hydro-Québec aura lieu du 17 au 26 février.

La Glissade Le Lait, sur la rue Sainte-Catherine, est un succès auprès des petits et des grands !

Les insomniaques s’amusent Émilie Beauchamp

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Nuit Blanche est certainement l’événement le plus couru du Festival Montréal en Lumières. Vibrez au son des DJs jusqu’au petit matin à l’esplanade de la Place des Arts.

our les festifs qui sont épris de sensations fortes et de nouveautés, la Nuit Blanche, organisée pour la clôture du festival Montréal en Lumières, est l’occasion parfaite de côtoyer les oiseaux de nuit les plus branchés et éclatés de la métropole. Car le festival récidive cette année pour les noctambules en quête de fêtes sensass, une Nuit Blanche encore inoubliable. Pour ceux qui ne connaissent pas le concept, il s’agit de découvrir Montréal la

nuit. Une petite visite au Musée des BeauxArts, au Planétarium ou à l’une des maintes expositions éparpillées dans la métropole nous est offerte de nuit. Une liste de bars ne fermant qu’aux petites heures du matin s’ajoute aux activités offertes qui, encore une fois, sont pour la plupart gratuites. Autre merveille de l’organisation: les circuits d’autobus de Montréal sont ouverts pour permettre à ceux qui ne visiteront pas Morphée ce soir-là de sauter de

sites en sites pour tirer le maximum du grand Montréal mi-endormi. En fait, le grand clou de la soirée n’est autre que le méga-party ayant lieu à l’esplanade de la Place des Arts et qui regroupe des centaines de gens qui viennent danser la nuit au son des DJs invités et à la clarté des systèmes pyrotechniques et de l’éclairage de fine pointe offert par Hydro-Québec. Et attention, cet hiver, ce sera chaud, car le thème de clôture n’est autre que la fiesta brésilienne! Or donc, pour ceux

qui désirent découvrir Montréal sous une tout autre facette et qui espèrent voir la lumière au bout du tunnel de cet hiver long et morne, ceci est la soirée idéale pour vous éclater de façon inoubliable. Alors bonne nuit… blanche! x Nuit Blanche aura lieu sur l’esplanade de la Place des Arts le 26 février. Le spectacle pyrotechnique et la cérémonie de clôture auront lieu à 19h30. Musique et DJs à partir de 21h, pour toute la nuit.

Clic, il fait clair: Vive la lumière! Marie-Noëlle Bélanger-Lévesque

J

e ne sais pas si vous aimez autant manger et boire que moi, mais si oui, sachez que la catégorie Plaisirs SAQ a été pensée pour nous. La SAQ (qui est revenue à temps de la grève!) présente 32 chefs, viticulteurs et conférenciers et 244 activités dans 44 bonnes Tables où l’Italie du Nord est en vedette cette année. Tout n’est pas accessible à notre budget étudiant (certains repas approchent les 200 $) mais, bien sûr, ils ont pensé à nous, avec, entre autres, la Semaine des Saveurs du lundi 21 au vendredi 25, où 50 activités culinaires gratuites nous sont proposées: ateliers, dégustations et démonstrations. Vraiment, il y en a trop pour pouvoir tout décrire, mais on a pensé à tout.

Les Arts de la scène La dernière catégorie, les Arts La financière Sun Life, est, elle aussi, un heureux mélange de plaisirs. Musiciens, chanteurs, danseurs, affichistes… De JeanPierre Ferland au chanteur –M-, en passant par un orchestre baroque et l’OSM qui nous présente Nelligan: quelle diversité! Moi, je sais déjà que je ne manquerai pas Danses circassiennes à l’Agora de la danse du 16 au 26 février. Le mélange proposé entre danse et arts du cirque a tout simplement piqué ma curiosité: on promet aussi chanson, théâtre et cinéma dans le spectacle! D’après moi, c’est à ne pas manquer et je vous reviendrai avec mes commentaires après la semaine de relâche.

Je n’accepte aucune excuse pour ne pas aller faire un tour à au moins une activité: ni le manque de temps (vous avez toute la semaine de relâche), ni le manque d’énergie (vous avez 9 jours pour recharger vos batteries), ni le manque d’argent (certaines activités sont gratuites), ni le déplacement (c’est à côté de l’université, et le transport est parfois gratuit), ni le manque d’intérêt (il y en a pour tous les goûts). Profitez-en donc pour apprécier l’hiver! x Pour plus d’information ou pour la liste des activités: www. montrealenlumière.ca

L’Italie du Nord est en vedette dans le volet Plaisirs SAQ du festival. Chefs, viticulteurs italiens et des conférenciers titilleront nos papilles gustatives.


12 Le Délit x 15 février 2005 culturemagazine

Made in Montréal

Urbania nous revient cette saison avec un exercice de style. En effet, leur nouveau numéro analyse LE style sous toutes ses coutures et, de fils en aiguilles, en vient à nous peindre le style de Montréal. Émilie Beauchamp

A

vez-vous du style? Quel est votre style? D’où vient le style? Qu’est-ce que le style? Encore une fois, Urbania pose les vraies questions de l’heure.Tel un Guy Mongrain de l’actualité montréalaise version paperback, Urbania nous soumet encore une fois à une introspection culturelle immanquable, cette fois s’attaquant au style. Oubliez ce que vous connaissez des revues stylisées et fashion… Urbania n’explore pas ces thématiques de manière traditionnelle, dictant ce qui serait in et out pour la prochaine saison (notez tout de même que les Hugz sont définitivement out, pour cause de surpopulation sur le campus de McGill). Urbania se penche sur le canevas des styles de Montréal et scanne les types, les genres, les mouvements qui habitent Montréal et la hantent. On se demande, par exemple, si une personne mal habillée peut avoir du style. Si payer 295 $ pour une paire de jeans fait de vous une personne plus cool et mieux dans sa peau. En tant que soi, cela ne veut pas dire grand chose. Mais dans son sens profond, le style nous révèle l’essence sociale de Montréal et nous en apprend beaucoup sur ses habitants. Comment fait-on une analyse de style? Eh bien! C’est en pensant tout simplement aux grandes figures de style de Montréal, telles que Carlito Dalceggio, artiste peintre

de renommée maintenant mondiale, ou bien Azamit, mannequin et styliste, tout comme Alvaro, coiffeur de vedettes légendaires, ou encore Philippe Dubuc, sans commentaire. Mais plus encore, les reporters d’Urbania décident de disséquer ce phénomène social qu’est la recherche d’un look. Ce qui signifie aussi questionner un chirurgien esthétique, sous le bistouri duquel les courageux fortunés s’allongent pour enfin avoir une silhouette et un style artificiellement et socialement appréciés. Mais ce n’est pas tout! Les gens de ce peu connu mais extrêmement intéressant magazine sont même prêts aux métamorphoses pour satisfaire leur public et leurs cogitations. Notamment, une blonde naturelle s’imposant la perruque brune pour une journée pour savoir si, vraiment, les blondes ont plus de fun. À travers leurs démêlés avec le style, Urbania nous offre non seulement des articles intéressants et hors du commun, mais aussi prête-t-il ses pages à quelques auteurs, qui, pour quelques lignes ou plus, nous présentent leur vision du style sous forme d’essais et de nouvelles. Viennent compléter cette fresque quelques vox pops, galeries de photos et une bande dessinée. Seule déception,et ma foi plutôt profonde: leur site web. Moi qui avais si chaudement

recommandé d’aller surfer sur les magnifiques sites des numéros précédents, lors de la sortie d’Urbania l’automne passé, j’ai été désolée de constater à quel point l’équipe n’avait pas porté autant d’attention à cette section interactive du magazine lors de la sortie de ce numéroci… En effet, là où il y avait précédemment gadgets électroniques et anecdotes saugrenues, complémentant superbement le magazine de chair et de papier, ne se trouvent que quelques références sur les lieux de distribution et sur les commandites. Comme quoi les coupures budgétaires peuvent réellement faire mal… Néanmoins, je vous suggère quand même une incursion à travers les sites des précédents numéros: des heures et des heures de plaisir web, même pour les peu internautes comme moi. En gros, Urbania utilise tous les mediums possibles pour se créer un média complet sur le volet du style à Montréal. Conclusion: nul style ne peut être acheté. Le style se crée avec l’authenticité. En fait, lorsque l’on est bien dans sa peau et que l’on dégage la confiance en soi, on peut avoir le style que l’on veut. Et Montréal regorge de gens très styles, bien que la plupart l’ignorent. x Pour plus d’information et pour les sites web: www. urbania.ca.

Urbania vous concocte ce mois-ci un numéro sur le style, une introspection culturelle des plus révélatrices.

culturebrève

Oongit

Le Studio 303 présente, le 19 février prochain, le vernissage-danse des chorégraphes Ilona Dougherty, Thea Patterson, Myriam Tremblay et Ismael Mouaraki.

O

ongit, gagnante du prix de danse Studio 303, lors du Festival Fringe 2004, se demande comment une étrangère peut être affectée par le fait de vivre dans une petite communauté autochtone et à la fois comment cette communauté peut être affectée par les étrangers qui y pénètrent et ceux qui l’entourent. Cette pièce se questionne donc sur les contradictions entre le milieu urbain et rural, l’isolation et la communauté, le «moderne» et le traditionnel. Oongit est à la fois une aventure personnelle et politique explorant la situation d’urgence que vivent les Gwitchin du nord du Yukon et de l’Alaska alors que les réalités économiques et environnementales les forcent à changer leurs modes de vie traditionnels. C’est par la gestuelle ainsi que par l’interaction de l’une des interprètes avec des bois de caribou que la pièce trouve des moments de calme au milieu d’un désir éperdu à la fois de conformité et de rébellion. Ilona Dougherty est une chorégraphe et activiste passant la moitié de son temps à Whitehorse et l’autre moitié à Montréal.

Lorsqu’elle ne dévoue pas son temps à ses chorégraphies, elle travaille en tant que directrice nationale du projet L’Apathie est Ennuyante qui vise à utiliser l’art, les médias et la technologie afin de révolutionner la démocratie (www.apathyisboring. com). Voyez aussi A collection of letters; with warmest regards de Thea Patterson, un duo inspiré par la correspondance, la distance et l’amitié. Les Parois du regard de Myriam Tremblay est un solo qui explore une danse d’états, une danse où le corps cherche l’espace qui le forme et le modifie. Enfin, Loops d’Ismaël Mouaraki est le fruit d’un projet de plusieurs mois qui s’est construit dans le métro de Montréal, dont l’univers non conventionnel nous procure un face à face avec le quotidien et la réalité de la nature humaine dans tous ses aspects. x Le vernissage-danse sera présenté le samedi 19 février à 20h30 au Studio 303, situé au 372 Sainte-Catherine Ouest. Pour réservations: (514) 3933771. Pour plus d’information: www. studio303.ca.


15 février 2005 x Le Délit

culturethéâtre

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La faim des ours polaires

Le Théâtre Les Deux Mondes présente 2191 nuits à la Cinquième Salle de la Place des Arts jusqu’au 19 février. Dominique Henri

À

quoi ressemblera la mort du dernier ours polaire? Combien de jours occupera-t-elle la première page des journaux? Se produira-t-elle sur la banquise ou aura-t-elle lieu dans la triste cage d’un zoo, transformée, pour l’occasion, en mouroir de luxe où défileront flashs et curieux? Érigerons-nous seulement un monument de glace à la gloire posthume de l’Ours disparu? Le blanc géant polaire entrera-t-il en martyr héroïque dans les légendes que nous raconterons à nos enfants pour les faire dormir? Troublante, douce et haute en métaphores nordiques que cette rêverie scientifico-poétique à laquelle convie le spectacle 2191 nuits. Dans un conte multimédiatique pour adultes, la compagnie de théâtre Les Deux Mondes propose une méditation théâtrale dénuée de moralisme sur des enjeux d’une troublante actualité: la mort annoncée des

culturefeuilleton Tracy Robin {...}

À

la fin de cette première journée,Jacob comprit pour la première fois de sa vie la grande fatigue que pouvait ressentir son père le long de ses deux bras; celui qui tient le pochoir et l’autre qui, du tampon et du pinceau, applique les jaunes, les blancs et les ors. Il comprit la raideur dans le cou, la tête constamment tournée vers le ciel. Lassitude dans les jambes aussi, à demeurer debout de trop longues heures. Le corps entier ressentait une grande fatigue. Maître second, d’en bas, vit Jacob se masser la nuque. Exactement comme maître Léon le faisait. Même geste de père à fils. Il fut rassuré par ce petit détail anodin. Jacob ressemblait à son père. Il travaillerait aussi bien que lui et l’église de l’abbé Visconsin serait prête pour l’inauguration de dimanche. Oh! Les abbés furent bien contrariés de se voir interdire l’accès à la nouvelle église à quelques jours de la grande fête. Mais ils respectèrent quand même ce qu’ils croyaient être le souhait d’Ozias Léon, maître estenceleur. *** « Marie, ma belle Marie, je n’ai plus le loisir de te tenir la main ni de te parler d’amour. Depuis l’accident de mon père, c’est au haut de

étoiles, des ours polaires, des hommes et des banquises. En mots, en images et en musique, la pièce plonge dans les profondeurs abyssales d’un drame: «L’heureuse destinée d’un jeune couple et de leur enfant de six ans vole en éclats lorsque l’avion qui les transporte s’écrase dans les glaces incertaines du Grand Nord. Le père, un éminent scientifique, est le seul survivant de cette tragédie. Au sortir d’un coma de 2191 jours, il comprend le prix qu’on lui a fait payer pour le garder vivant dans un monde où les espèces vont en se raréfiant. La réussite de l’acharnement thérapeutique lui redonnera-t-elle les raisons de vivre que lui a fait perdre la disparition de sa femme et de son fils?» Voilà un synopsis plein de promesses, mais dont la matérialisation laissera sur sa faim l’amateur de mots et d’émotions armé des meilleures intentions. Réputée pour l’usage qu’elle

fait des nouvelles technologies mises au service du théâtre, la compagnie Les Deux Mondes offre certes une œuvre où les trouvailles sonores et visuelles sont nombreuses. Les inflexions gutturales des chants inuits sont envoûtantes, les sons cristallins des nuits polaires sinistrement séduisants. Toutefois, les jeux de miroirs déformants, les projections d’images d’étoiles sur drap clair et les trucages de toutes sortes finissent par étourdir et obscurcissent le sens de mots porteurs d’une poésie qui n’en demandait pas tant. À force d’enrubannage scénographique, le magnifique texte de Philippe Ducros fait penser à un triste ours en cage. Ainsi, dans un dédale d’informations, les perles narratives du dramaturge perdent leur éclat. En voici une, que j’ai glanée pour vous dans la nuit endeuillée du spectacle : «Même les cellules se divisent en deux pour ne pas être seules. […] Le corps humain est composé de 70 p. cent d’eau, le reste de souvenirs».

Quant au jeu des trois interprètes, il s’effaçait derrière de petits micros et sa sobriété laissait parfois de glace, bien que l’idéal d’un amour absolu incarné par le couple formé d’Isabelle Lamontagne et de Martin Rouleau soit parfois touchant au point de faire trembler de doute les plus cyniques. 2191 nuits: un spectacle, donc, indéniablement «beau», qui vous convie à une méditation sur le thème des «grands espaces infinis», mais sans le silence effrayant qui, selon le mot de Pascal, doit forcément venir avec. x 2191 nuits sera présenté les 16, 17, 18 et 19 février à la Cinquième Salle de la Place des Arts, 175, rue SainteCatherine Ouest (métro Place-desArts). Les billets sont au coût de 24 $ pour les étudiants, 28 $ au prix régulier. Pour réservation: (514) 8422112 ou sur le réseau Admission. Pour plus d’information, www.pda.qc.ca.

«Le corps humain est composé de 70 p. cent d’eau, le reste de souvenirs.» Philippe Ducros

L’Estenceleur l’échafaudage que se passent mes journées. Et même que je dois remonter tout de suite, je ne suis descendu que pour broyer des couleurs. - Je sais, Jacob, et je ne suis pas peu fière de toi. Te voilà maître estenceleur bien avant l’âge requis. Nul ne peut dire si c’est toi ou ton père qui a fait cette petite étoile blanche, l’autre à côté, la jaune ou celle-là plus loin, la dorée. Elles sont toutes d’égale beauté, comme si la même main les avait faites. - Marie, laisse-moi te dire un secret. Demain, il y aura sur la voûte de cette église une étoile qui ne sera qu’à toi. Elle sera plus belle que les autres et bien différente parce que je la peindrai en bleu, de la couleur de tes yeux. Dans le scintillement de la voûte, elle sera discrète et passera inaperçue. Mais toi Marie, tu sauras où regarder et cette petite étoile bleue sera ton laissez-passer au ciel pour que toutes tes prières soient exaucées et que tes rêves se réalisent. - Risques-tu un châtiment à prendre ainsi la liberté de tracer pour moi une étoile bleue? - N’aie crainte, ma belle Marie, le seul châtiment que j’aurai me sera infligé sous peu si je ne remonte pas tout de suite au haut de l’échelle. Adieu. - Adieu, Jacob ». ***

Le dimanche de l’inauguration de la nouvelle église de l’abbé Visconsin fut une journée bénie: il faisait un temps splendide, l’église fut reconnue comme la plus belle de France et tous les honneurs revinrent à l’abbé Visconsin qui en sortit fort aise. Cependant, on se désola sincèrement de l’accident survenu à Ozias Léon, maître estenceleur. Imaginez: à la toute fin de son travail, en regardant l’ensemble de son œuvre, maître Léon avait eu l’imprudence de trop s’approcher du bord, et le malheureux était tombé des échafaudages. Heureusement que le travail était achevé! Mais le maître estenceleur s’en remettrait et, d’ici quelque temps, il pourrait honorer toutes les affaires pour lesquelles on voulait retenir ses bons services. Maître second avait fait promettre à ses ouvriers de garder le secret sur les véritables circonstances de l’accident. Il prenait sur lui l’entière responsabilité de mentir à l’abbé Visconsin. D’ailleurs celui-ci, tout occupé à recevoir ses nombreux invités, ne s’aperçut de rien. Ce fut une inauguration parfaitement réussie et l’abbé Visconsin, en célébrant la toute première messe dans son église toute neuve, connut une grande heure de gloire qui le rendit encore plus fier et orgueilleux.

*** Jean, tout excité, rentre en courant dans l’atelier du maître estenceleur et lui crie la nouvelle. « Jacob, Jacob, l’abbé Visconsin veut te parler! - L’abbé Visconsin! Que se passe-til et que veut-il? - Je n’en sais rien, Jacob, mais tu connais l’abbé. Il faut lui obéir en tout et comme il a toujours sa voix de tonnerre, impossible de savoir si c’est une bonne nouvelle dont il s’agit, ou d’une catastrophe. - Mais enfin, Jean, l’abbé Visconsin n’a jamais prêté attention à moi! Tu le sais, toi, qu’il ne s’adressait qu’à mon père et qu’au maître second. Nous sommes trop peu importants pour lui et il fallait s’écarter de son chemin, sinon il nous aurait marché dessus. Et tu dis qu’il veut me voir? - Et plutôt tout de suite que plus tard! - Mais enfin, que peut-il me vouloir? Je ne peux qu’imaginer le pire. Il aura appris, c’est certain, que c’est moi qui ai pris la place du maître estenceleur pour terminer la voûte. Quel sera le châtiment, Jean? Allons chez Marie, elle nous conduira chez son oncle qui demeure dans la forêt et je m’y cacherai. - Jacob, allons donc, tu penses bien que s’il avait voulu t’arrêter il aurait fait venir la garde et n’aurait pas pris le risque que tu puisses lui

échapper! - Alors, c’est qu’il aura remarqué l’étoile bleue que j’ai mise à la voûte parmi les autres. Une étoile bleue, une seule, toute petite, du même bleu que celui des yeux de Marie. J’ai voulu lui faire présent d’une étoile, juste pour elle, pour ses prières et pour ses rêves. J’étais certain que ce serait un secret entre elle et moi, que personne ne le remarquerait. Ah! S’il n’était pas prêtre, je dirais que l’abbé Visconsin est un vrai diable, de percer aussi facilement les mystères des autres. - Allons Jacob, personne n’a remarqué l’étoile bleue, pas même le maître second qui t’aurait sûrement réprimandé s’il l’avait su. D’ailleurs, c’est une chose amusante et il n’y a pas de quoi arrêter un homme! Allons Jacob, prends ton courage à deux mains, mets sur tes épaules ton plus beau manteau et rends-toi tout de suite auprès de lui. Sinon, c’est sur moi qu’il jettera son impatience. Et je ne connais point d’oncle dans la forêt pour aller m’y cacher. - J’y vais, Jean, j’y vais. Prometsmoi cependant que si je tarde trop à revenir, tu préviendras mon père et Marie que c’est l’abbé Visconsin qui en est responsable. -Va, Jacob, va et marche la tête haute, il n’y avait que toi pour achever si bien l’œuvre de ton père ». x À suivre...


14 Le Délit x 15 février 2005 cultureartsvisuels

Là où dort le soleil

Jusqu’au 22 mai, le Musée des Beaux-Arts de Montréal présente l’exposition Égypte éternelle: chefs-d’œuvre de l’art ancien du British Museum. Dominique Henri

D

culturecinéma

découvrir le secret des hiéroglyphes. Et que dire de l’omniprésence de la perruque dans l’art égyptien? Doit-on y déceler les traces des premiers balbutiements d’une pratique qui atteint sa perfection formelle au cours des années 80 avec l’invention du fer à gaufrer?

Musée des Beaux-Arts

ans l’Égypte ancienne, la croyance voulait que l’esprit puisse accéder à la vie éternelle dans un monde inférieur traversé par le soleil pendant la nuit – un royaume idyllique réunissant des caractéristiques de la vie sur terre et peuplé de dieux vénérés par le défunt de son vivant. La prochaine fois que vous verrez planer sur Montréal un nuage de smog en février, dites-vous que l’humanité a probablement attisé l’ire des égyptiens immortels en évacuant de la terre d’Égypte des trésors censés accompagner les âmes des défunts au cours de leur ultime voyage… Jusqu’au mois de mai, surveillez les phénomènes étranges: une page du Livre des morts et le masque funéraire de Satdjéhouty sont en ville! Présentée au Musée des Beaux-Arts, l’exposition Égypte éternelle offre aux yeux curieux quelque cent cinquante objets qui couvrent toute l’histoire pharaonique, du tout début de la Ie dynastie, vers 3 100 av. J.C., jusqu’à l’occupation romaine du IVe siècle de notre ère. Cette présentation chronologique met en lumière l’évolution de l’art égyptien sur plus de trois millénaires. Dans chacune des pièces offrant des artefacts soigneusement mis en scène et provenant exclusivement de la collection d’antiquités égyptiennes du British Museum, le visiteur pourra découvrir les innovations de l’art égyptien, à travers ses époques, ses styles, ses formes et ses genres. Parmi les faits saillants de ce parcours,

Shabti, statuette d’Amôsis, vous salue.

soulignons la présence d’appuis-tête en bois sur lesquels vous pourrez découvrir les traces de rêves millénaires ainsi que d’une authentique reproduction de la pierre de Rosette, cet ancêtre des logiciels de traduction modernes qui permit à l’égyptologue Jean-François Champollion de

Des cailloux à histoire Remonter dans l’histoire des artefacts présentés sous des cloches de verre qui s’apparentent étrangement aux vitrines des boutiques huppées jonchant la rue Sherbrooke revient à partir en chasse sur les traces d’un animal appelé Colonialius. En effet, l’exposition Égypte éternelle, gracieusement présentée par l’étatsunienne fédération American Express, nous vient directement de Londres, cette capitale conquérante. Dès 1801, après la capitulation de l’armée napoléonienne devant les Britanniques en Égypte, les antiquités égyptiennes ont pris une place importante des expositions du British Museum qui a alors bénéficié de la confiscation de plusieurs pièces grand format – dont la célèbre pierre de Rosette. Au cours des XIXe et XXe siècles, l’intérêt du public et des experts pour les vieilleries égyptiennes a décuplé au fur et à mesure des nouveaux dons et achats et des périlleuses expéditions archéologiques. De nos jours, le département des antiquités égyptiennes du British Museum abrite plus de 100 000 objets et constitue la plus riche

collection du genre en dehors du Caire. Comme quoi à force de traquer, parmi les pyramides de verre du centre-ville, un digne représentant du Colonialius, on finit de nos jours par tomber sur son petit-fils: le Néocolonialius. À quand, donc, une exposition londonienne exhibant nos ceintures fléchées, nos chapelets en perles d’eau douce et nos fers à gaufrer? La civilisation américanoquébécoise est elle aussi riche d’un passé digne d’être mis en vitrine! Pour conclure cette brève leçon d’histoire et afin que votre immersion culturelle en Égypte antique soit des plus holistiques, je vous suggère de compléter l’exposition du MBA par une courte escapade gratuite au musée Redpath, situé sur le campus à quelques pas à peine du tonitruant Arts Building. L’institution abrite une authentique momie de chat! Chose que, même avec un audio-guide à cinq dollars, vous ne pourrez apercevoir au Musée des Belles Affaires. x Égypte éternelle est présenté jusqu’au 22 mai au Musée des Beaux-Arts de Montréal, au pavillon Jean-Noël Desmarais, 1380, rue Sherbrooke Ouest. L’entrée est de 7,50 $ pour les étudiants, 15 $ tarif régulier. Fermé les lundis. Pour plus d’information, www.mba.qc.ca. Le musée Redpath est situé au 859, rue Sherbrooke Ouest. L’entrée est gratuite. Le musée est fermé le dimanche. Pour plus d’information: www.mcgill.ca/redpath.

Percutant

Clint Eastwood nous frappe de plein fouet avec Million Dollar Baby. David Pufahl

I

l y a à peine trois mois, on donnait la plupart des Oscars à The Aviator parce qu’il n’y avait aucun compétiteur sérieux contre lui. Mais maintenant, les choses ont changé. Après nous avoir impressionné il y a un an avec Mystic River, Clint Eastwood double la mise avec Million Dollar Baby, une histoire percutante qui, une fois qu’elle nous prend aux tripes, refuse de lâcher prise. Frankie Dunn (Eastwood) est un entraîneur de boxe aguerri et macho. Il gère un gymnase avec son vieil ami Scrap (Morgan Freeman), un ancien boxeur devenu borgne. Tout-à-coup, Maggie Fitzgerald (Hilary Swank), une serveuse vivant dans la «dèche», apparaît dans le gymnase et demande à Dunn de devenir son entraîneur. Il refuse, jugeant qu’elle est trop vieille, mais surtout parce que c’est une fille. Elle persiste à s’entraîner à son gymnase en permanence. Finalement, Dunn abdique, mais il ne l’entraînera que selon ses conditions. Elle lui obéit et deviendra une excellente boxeuse. Mais un événement tragique viendra tout changer pour les trois personnages… La plus grande qualité de ce film est que les personnages sont très bien développés. Beaucoup d’informations sur leur passé sont données tout au long de l’histoire. Par exem-

ple, Dunn va à l’église presque tous les jours depuis vingt ans et on apprend aussi comment Scrap a perdu son œil. De prime abord, ces informations peuvent sembler inutiles et superflues, mais au fur et à mesure que le récit progresse, elles deviennent pertinentes. Il suffit d’être patient pour voir ses efforts récompensés. Le rythme est lent, mais il est impossible d’imaginer ce film autrement. Quand n’importe quel sport est illustré dans un film, il est très important que les aspects techniques du film rendent le tout cohérent. Cela a déjà été prouvé, de façon négative, dans Any Given Sunday, où les scènes de football se sont avérées confuses. Heureusement, les effets sonores utilisés et l’excellent montage permettent à Million Dollar Baby de bien montrer la brutalité et la rage impliquées dans ce sport. La musique de ce film, composée par Eastwood lui-même, vient ponctuer de façon appropriée les moments dramatiques du récit. Par contre, certaines mélodies me faisaient remémorer la musique de Mystic River, aussi composée par lui. Je crois qu’il aurait intérêt à se renouveler avant que sa musique ne devienne toujours la même chose. Dans ce genre d’histoire, le jeu des acteurs est primordial pour le succès du film.

Étonnamment, Eastwood est à la hauteur de la tâche. Auparavant, j’ai toujours trouvé son jeu monocorde et trop appuyé. Dans ce film, il est authentiquement émouvant et permet, en tant que réalisateur, de faire s’épanouir les autres acteurs. Morgan Freeman, en plus d’interpréter son ami de manière exemplaire, est le narrateur de cette histoire et en profite pour nous bercer de sa voix de stentor comme il l’avait fait dans The Shawshank Redemption. Hilary Swank, quant à elle, joue son rôle de boxeuse meurtrie par la vie d’une très belle façon. Pour vraiment avoir l’air d’une boxeuse, elle a pris environ dix livres de muscles et cela contribue au réalisme de son interprétation. Une comparaison est maintenant de mise entre mes deux dernières critiques: la présente critique et celle de The Aviator. Les deux films se valent pour différentes raisons, mais j’avoue avoir un penchant pour The Aviator à cause de sa manière spectaculaire de nous captiver. Million Dollar Baby est percutant, mais il faut être patient pour bien l’absorber. Lequel gagnera l’Oscar du meilleur film? C’est ce que nous saurons le 27 février prochain. Le 29, je livrerai mes commentaires sur la cérémonie et ses multiples surprises. x

Maggie (Hilary Swank) veut devenir la meilleure boxeuse qui soit.


15 février 2005 x Le Délit

culturemusique

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Le vidéo-clip au Québec

Dure réalité dénoncée par les Productions 72 Films. Nicholas Bellerose

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oilà maintenant plus de 20 ans qu’est apparu le vidéo-clip à la télévision québécoise. Évidemment, le contenu, sa forme et sa qualité ont grandement changé. Pour mieux comprendre les enjeux du milieu, Le Délit a rencontré Stéphane Perreault, le producteur, fondateur et associé des Productions 72 Films. Avec plus de 44 vidéo-clips à leur actif depuis 2000, cela en fait une des plus grandes boîtes dans le domaine au Québec. Premièrement, il est important de comprendre que la situation a beaucoup changé au Québec. «L’impact est beaucoup moindre qu’il y a 10 ans, car les gens ont maintenant beaucoup plus de choix avec l’avènement de la télé à la carte». Auparavant, Musique Plus était partout, c’était nouveau et les consommateurs de musique enregistraient même leurs clips préférés. Certes, il y a eu une évolution,

mais une tendance s’est aussi concrétisée. Chaque artiste ayant ou voulant gagner une certaine popularité a presque l’obligation de tourner un vidéo-clip. C’est devenu l’incontournable de l’image, passer à la radio ne suffit plus. Ainsi, au fil des années, ce nouveau phénomène a entraîné une hausse des coûts de production et la compétition est devenue très féroce. Un cercle vicieux pour notre marché local. Une maison de production comme 72 Films fait concurrence aux joueurs internationaux américains, canadiens et européens. M. Perreault explique clairement combien la situation est disproportionnée: «Aux États-Unis,

un artiste populaire comme 50 Cents dépense 1 million de dollars pour son clip et un petit budget équivaut à 50 000 dollars». En comparaison, au Québec, il en coûte environ cinq mille dollars pour tourner un clip à petit budget. Quant aux artistes de renom, ils peuvent espérer recevoir une production d’au plus 50 000 dollars. On comprend facilement que les artistes du Québec doivent faire preuve de beaucoup d’initiative, note M. Perreault. «On doit choisir les formats de film (super 16, 35 mm), les équipes de tournage et les moyens pour recevoir les fonds nécessaires à un projet de qualité. Au niveau technique, il est préférable

de tourner en 35 mm pour obtenir une meilleure résolution d’image. Par contre, les frais s’élèvent de 5 000 à 15 000 dollars». Certes, il existe des programmes de subvention avec la SODEC, Fond Radio Star, VidéoFact ou MaxFact. Cependant, cela ne supporte qu’une partie de la facture totale d’une production compétitive. L’argent manquant viendra principalement d’une maison de disque reconnue. Encore là, une diffusion sur les ondes d’une chaîne musicale est loin d’être assurée. En effet, il ne faut pas oublier que les artistes québécois doivent se tailler une place dans une rotation régulière d’environ 10 nouveaux clips par semaine. Il est d’autant plus ardu de se démarquer face à des figures comme Britney Spears ou Puff Daddy. Donc, étant conscient du problème, les Productions 72 Films tentent de remédier à la situation. Ayant établi des bureaux à Montréal

depuis l’été 2004, ils ont instauré la formule blitz. On essaie ainsi de tourner plusieurs clips dans un laps de temps rapproché pour réduire les coûts de production et augmenter la qualité du produit. Ainsi, les artistes indépendants n’ayant pas accès aux subventions peuvent espérer se faire découvrir. C’est exactement ce qui s’est produit avec des groupes tels que Les Respectables et Martin Deschamps. Finalement, avec ses quatre réalisateurs Maxime et Simon Perrier, Marc Thibault ainsi que Jeff Denis, 72 Films essaie de faire une différence. Restant accessibles, près des artistes et misant moins sur le glamour, ils soufflent un nouveau vent de créativité dans le milieu du vidéo-clip. M. Perreault conclut avec raison: «Nous devrions laisser beaucoup plus de place aux artistes du Québec et du Canada sur les chaînes musicales». Effectivement, nous découvririons tellement de nouveaux talents! x

culturecompterendu

Un amour d’improvisation Fermez les yeux. Enfin, pas tout de suite, attendez le point final. Il faut d’abord que je vous installe l’image qui va pendre dans votre tête. Olivia Lazard

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es musiciens? Certes, mais avant tout un groupe d’ami. Un concert? Bien sûr, mais je dirai plutôt que c’était un cadeau… Samedi soir, à l’occasion de la fête tant attendue ou tant redoutée de la Saint-Valentin, la salle O Patro Vys a accueilli un groupe dont le projet, ce soir-là, était de mettre l’amour en musique. Jusque-là, rien d’épatant, vous me direz. À ceci près que les musiciens en question n’avaient aucun morceau préparé. Le moindre rythme et la moindre mélodie étaient improvisés. Chaque musique relevait du défi pour les neuf musiciens présents sur scène. Dans ce genre d’exercice, l’écoute de tous est indispensable, chacun fait ce qu’il veut mais il doit être en accord avec ses acolytes. C’est peut-être de cette façon qu’ils ne se lasseront jamais de jouer leur musique car il n’y a jamais une note placée au même endroit. Peutêtre même y a-t-il ici un message sur l’amour qui devrait être un renouveau à chaque matin que l’on se lève? … Imaginez-vous une petite

salle intime. Des banquettes le long des murs, des tables hautes avec pour centre une lanterne à lumière tamisée. En attendant que le spectacle commence, un DJ vous passe nombre de musiques avec pour thème incontournable en cette période, l’amour… La salle commence à se remplir doucement, tout le monde est détendu, personne n’est pressé. Ambiance à tête reposée… Ce n’était pas le cas pour moi, j’étais de mauvaise humeur, mon date m’avait lâché une heure avant que le concert ne commence. La musique me donnait mal à la tête et les musiciens tardaient à se montrer. Pour noyer ma lourde peine de cœur, je me suis trouvée comme amies deux vodkas-canneberge qui ont eu vite fait de me réconforter. Mais malgré mon envie lamentable de retrouver expressément mon lit, ma conscience professionnelle a voulu que je reste, seule, dans un endroit où les couples pullulaient…Autant pour moi, la surprise n’en fut que plus jolie. Lorsque enfin les artistes se sont décidés à prendre leur place, une mélodie langoureuse a pris la

place du chaos des voix entremêlées et a imposé le silence… «I need you so much closer…» Cette simple phrase a tenu facilement trois minutes de chanson. La voix chaude et fragile d’Elizabeth Powell s’accordait parfaitement avec celle du pianiste chanteur, Patrick Watson, formant ainsi une symbiose digne de porter le nom d’amants. Ces voix possédaient ce quelque chose de cassé, de volatile qui donne à une chanson toute sa profondeur. Il était évident que pour eux, rien d’autre n’existait que ce moment-là. Mais nous étions là et nous ne nous lassions pas d’assister à une telle beauté. Une fois la chanson finie et un tonnerre d’applaudissements, il était hors de question de s’arrêter là. Les deux batteurs ont peut-être laissé passer deux secondes avant de relancer la prochaine mesure d’impro. Rapide, emportée, énergique. Rien à voir avec le premier morceau mais tout aussi bouillonnant. Les sons ont été empruntés au jazz, au rock, au reggae, à la musique latine. Rien à dire, un spectacle foisonnant de sentiments et d’émotions. Entre les duels de

batterie, les solos de trompette et de saxo, les coups de poings sur le synthétiseur, tout le monde y a trouvé son plaisir et l’ambiance se prêtait particulièrement à la naissance de nouvelles romances. Vous êtes déjà partis? Moi aussi. Point final. x

LABprojects de Moondata Productions organise mensuellement des soirées d’improvisation au Patro Vys, 356 Mont-Royal Est. Pour plus d’information, www. moondataproductions.com.

Une soirée d’improvisation musicale enlevante.


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Le Délit x 15 février 2005

Arvo Part violoncellistes à la 3e plage de ce CD. Sur Tabula Rasa cette dernière, l’ensemble des violoncellistes se démarque en créant une atmosphère plus (Naxos) bouleversante émotionnellement que sa première version où le duo (piano et violon) nous amène dans un territoire plus calme et vaporeux, mais tout en gardant l’intensité requise pour rendre justice à l’œuvre. La deuxième pièce est un panégyrique en l’honneur du défunt compositeur anglais Benjamin Britten. La musique sur cette piste h! La musique classique est chargée d’un ton solennel et majestueux. contemporaine. Il est généralement Tabula Rasa conclut l’album, et cette version convenu que les compositeurs nous provient d’un enregistrement live classiques nés au XXe siècle nous offrent de 1977, avec Alfred Schnittke au piano, des œuvres souvent complexes et abstraites, accompagné de l’Orchestre de Chambre distantes de la majorité des auditeurs. Mais, Lithuanien. il est toujours possible de dénicher un joyau En somme, la simplicité mystique de dans cet océan de musique classique. Ce qui l’univers sonore d’Arvo Pärt suggère une est pour le moins très intéressant dans ce illumination spirituelle qui saura plaire autant cas-ci, c’est que le compositeur est toujours pour une écoute approfondie et réflective que vivant et actif à la composition. pour accompagner une agréable discussion Arvo Pärt nous présente ses créations entre Frères. personnelles, en débutant avec «Fratres», (de Notez le fait que la liturgie religieuse la liturgie religieuse latine signifiant Frères) est Patriarcale, le mot «Frères» sous-entend interprété par Keith Jarrett au piano et Gidon aussi le «mot Sœurs» car Fratres équivaut Kremer au violon. Jarrett, reconnu pour à la fraternité humaine. Des étudiants du ses œuvres plutôt jazzées, nous démontre département de musique de McGill nous la maîtrise de son éducation classique dans offriront ces œuvres lors d’un concert qui sera cette pièce. D’ailleurs, «Fratres» est repris par présenté le 30 avril prochain à la Cathédrale l’Orchestre Philharmonique de Berlin, par 12 Christ Church (1444, rue Union) à 20h. x

A

Sébastien Lavoie

The Mint Chicks Octagon, Octagon, Octagon (Flying Nun Records)

L

a Nouvelle-Zélande est habituellement reconnue pour ses moutons et ses grands volcans, et non pour sa musique. De ce même pays viennent les Mint Chicks, qui nous offrent leur EP Octagon, Octagon, Octagon. De facture post-punk, ce minialbum est une véritable éruption de rythmes déconstruits et de guitares dissonantes. Dès le départ, Post No Bills nous entraîne dans une musique qui surprend avec ses harmonies vocales et son refrain accrocheur. Par la suite, les pièces se font plus difficiles à suivre, mais ce n’est qu’au fil des écoutes que cette galette de six titres se révèle et s’apprécie. Les changements de tempo fréquents des pièces telles que Fat Gut Strut et la chansontitre me font penser à North of America, alors que les moments plus accrocheurs peuvent

rappeler Sebadoh ou At The Drive-In. Ces changements brusques de rythme peuvent devenir agaçants parfois, mais comme il s’agit d’un premier album, on peut comprendre que le groupe essaie de se démarquer des nombreux autres groupes, jurant par la simplicité, et qui pullulent dans les bacs des disquaires. Les influences punk restent les plus perceptibles, mais il s’agit d’un mélange de genres des plus hétérogènes et déstabilisants. Bref, il s’agit d’un excellent premier album pour le quatuor, une belle surprise qui n’est disponible toutefois qu’en importation. Cela risque de changer bientôt, le groupe ayant fait la première partie des White Stripes, lors de leur tournée australienne, et se produira en terre nord-américaine au mois de mars. Octagon, Octagon, Octagon date déjà de plus d’un an, et le groupe lancera par ailleurs F**k the Golden Youth, son nouvel album au début d’avril, en Océanie. À surveiller! x Pour plus d’information, visitez le site internet du groupe: www.themintchicks.com.

Jean-François Sauvé


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