Le seul journal francophone de l’université McGill.
Volume 94, numéro 20
Le mardi 15 mars 2005
www.delitfrancais.com
Boulettes dans le frigo depuis 1977.
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Le Délit x 15 mars 2005 Quoi? Une seule adresse: redaction@delitfrancais.com
Avis à tous La session tire à sa fin et l’équipe de rédaction du Délit change et n’attend que vous pour la remplacer. Tous les postes sont ouverts. Pour être éligible, vous devez avoir contribué au moins trois fois au Délit dans le dernier semestre. Si c’est le cas, soumettez votre candidature en déposant votre nom dans l’enveloppe du poste de votre choix accrochée à l’extérieur du local (Shatner B-24). Votre candidature doit être contre-signée par deux collaborateurs. C’est l’opportunité de votre vie!
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Les élections auront lieu le lundi 5 avril à 18h au local du journal.
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Verra-t-on régner l’unilinguisme et l’incompétence à l’AÉUM?
Le journal francophone de l’université McGill 3480, McTavish, bur. B-24 Montréal (Québec) H3A 1X9 Rédaction: (514) 398-6784 Publicité: (514) 398-6790 Télécopieur: (514) 398-8318
ELEONORE FOURNIER
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es élections de l’administration de l’AÉUM ne seront pas trop serrées cette année car il n’y a pas énormément de choix. Bien que 20 p. cent de la population de McGill soit francophone, peu de candidats parlent français ou semblent préoccupés par la participation des francophones. De Ochodo «ask me later» à Pavan «can you ask me again in English?», nos questions sont restées sans réponse. Peut-être savent-ils, comme Conter, que la maîtrise du français n’est pas nécessaire à la représentation du corps étudiant. Néanmoins, certains candidats ont pris en considération les demandes des francophones, et je vous demande de voter pour eux cette semaine. Leon Mwotia, candidat pour VP clubs et services, est parfaitement bilingue, en plus d’être très compétent. Président de l’Association des étudiants noirs et très impliqué dans la vie politique de McGill, il semble préoccupé et consciencieux. Le McGill Daily a endossé pour ce poste Josh Pavan sur une base largement idéologique, cet albertain qui n’a aucune connaissance du français. Mis à part la langue, Mwotia est beaucoup plus dynamique et engagé que Pavan, et malgré sa participation au sein de NDP McGill, ce dernier ne donne pas l’impression d’avoir un aussi gros bagage d’expérience que son rival. La VP communication et événements sera, on l’espère, Roz Freeman. Très convaincante, elle sait organiser une bonne fête, selon ses dires, et on la croit. Entre Eric van Eyken et Trevor Hanna pour le poste de
rédactrice en chef Valérie Vézina chef de pupitre-nouvelles Philippe G. Lopez chef de pupitre-culture Flora Lê rédacteur-reporteur Eleonore Fournier coordonnateur de la mise en page David Drouin-Lê coordonnateur de la photographie Éric Demers coordonnateur de la correction Julien Vinot chef illustratrice Jany Lemaire
VP opérations, je suis indécise. Ils ont tous les deux la même plate-forme, mais van Eyken a deux ans de plus d’expérience que Hanna. Le désir de Hanna de poser des panneaux solaires sur Shatner est inquiétant, vu le budget de l’AÉUM, et le fait qu’il veuille éliminer le seul bar étudiant de McGill, Gert’s, semble tout à fait radical. Van Eyken, quant à lui, est peut-être plus compétent, mais aura du mal à se faire prendre au sérieux au sein de l’administration. De plus, aucun des deux n’est vraiment bilingue. Venons en à la présidence.
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Notre grève à Paris
Le Délit
éditorial
On vous encourage fortement à invalider votre bulletin de vote. Conter et Karzca sont tous les deux des incompétents, point final. Conter s’imagine participer à un concours de popularité, et Karzca divague complètement. On a assisté à une magnifique mascarade, une véritable parodie de débat. Ils font preuve d’un total manque de respect, tant vis-à-vis de l’administration de McGill que des étudiants, car ils n’ont jamais étés impliqués avant, et voient dans leur poste une bonne note dans leur curriculum vitae. Il faut protester et ne pas se laisser prendre pour des
imbéciles, car avec l’un ou l’autre comme président, l’AÉUM sera délégitimée. Il est largement préférable que le VP affaires universitaires par acclamation, Max Reed, occupe le poste de président, comme l’a fait cette année Andrew Bryan. Si nous voulons être gouvernés par des étudiants bilingues et compétents, il faut voter, car la participation de la communauté francophone l’année prochaine dépend de cela. Cette semaine, refusons de rester dans le noir. x
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Bienvenue en Grigolandia
Cuba
La semaine contre le racisme
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Le Délit sortira un grandiose numéro spécial pour sa dernière édition du 5 avril, alors envoyez-nous vos trésors journalistiques cachés dès maintenant à articlesnouvelles@delitfrancais.com ou articlescuture@delitfrancais.com
collaboration Laurence Bich-Carrière Joël Thibert Félix Meunier Marika tremblay Émilie Beauchamp Agnès Beaudry David Pufahl Arnaud Decroix Sébastien Lavoie Franco Fiori Clémence Repoux Léa Guez Jean-François Sauvé Tracy Robin Dominique Henri Alexandre Vincent Alexandre de Lorimier Pierre-Luc Déziel Marie-Ève Maheu webmestre Bruno Angeles couverture Éric Demers gérance Pierre Bouillon publicité Boris Shedov photocomposition et publicité Nathalie Fortune le McGill Daily Daniel Cohen
Conseil d’administration de la Société de Publication du Daily: Emily Kingsland, Eugene Nicolov, Alexandre de Lorimier, Rachel Marcuse, Bram Sugarman John Jeffrey Wachsmuth, Daniel Cohen,Valérie Vézina, Joshua Ginsberg L’usage du masculin dans les pages du Délit français vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Le Délit français est publié par la Société de publications du Daily. Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et illustrations dont les droits avaient été auparavant réservés, incluant les articles de la CUP). Les opinions exprimées dans ces pages ne reflètent pas nécessairement celles de l’Université McGill. L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal. Imprimé par Imprimerie Quebecor, St-Jean-surRichelieu, Québec. Le Délit est membre fondateur de la Canadian University Press (CUP) et de la Presse universitaire indépendante du Québec (PUIQ). Imprimé sur du papier recyclé. ISSN 1192-4608
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Solidarité outre-mer
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À l’étranger comme à la maison, le mouvement étudiant prend de l’ampleur. PIERRE-LUC DÉZIEL, COLLABORATEUR EN EXIL
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es politiques publiques concernant l’éducation doivent être menées avec minutie, précision et attention, et ce contrairement à ce que l’on peut actuellement observer au Québec. En effet, le système d’éducation québécois semble dépourvu de toute organisation et de toute cohérence. On peut mentionner, entre autres, la réforme douteuse des CEGEPs, le débat au sujet des collèges privés et on peut même remonter jusqu’à la controverse des garderies à cinq dollars. Un autre important développement à ce sujet est sans aucun doute le récent projet de réforme du programme de prêts et bourses par le gouvernement Charest, programme qui permet une démocratisation de l’accès à une éducation supérieure, mais aussi une ouverture du Québec sur le monde.On remarque que les jeunes Québécois et Québécoises qui étudient à Paris jettent un regard critique et bien différent sur ce qui se déroule au Québec, résultant de l’éloignement et du détachement physique que ceux-ci vivent par rapport à leur province. Pour cette raison, la mobilisation étudiante ainsi que les mouvements de grèves étudiantes au Québec provoquent pour plusieurs d’importants questionnements, mais aussi une certaine prise de conscience. En effet, suite à la potentielle suppression d’un programme sans
lequel beaucoup d’étudiants ne pourraient saisir l’opportunité de faire un échange scolaire, il s’opère un certain retour sur les bienfaits qu’apporte le fait d’étudier à l’extérieur du Québec. L’échange étudiant permet à l’individu ainsi privé de repères de s’émanciper socialement, d’une part, et, d’autre part, de lui-même agir sur la société qui l’accueille. En ce sens, l’individu s’imbibe de la culture de l’autre, mais il fait également connaître la sienne tout en promouvant la culture québécoise. C’est un contact qui produit donc des effets réciproques. Ensuite, si l’on considère qu’il y a une diaspora québécoise étudiante d’environ 700 étudiants en France, nous pouvons raisonnablement conclure que cette méthode de diffusion de la culture québécoise possède un poids qui ne peut être négligé. Les étudiants québécois, en s’opposant à ce projet de réforme, défendent donc les intérêts particuliers des étudiants mais aussi, d’une façon indirecte, ceux du Québec en général. À Paris, certains étudiants québécois, en voyant l’agitation qui semble régner au Québec par les journaux, se demandent, incertains, s’ils ne sont pas en train de manquer le «mai 68» québécois. Les deux grèves étudiantes, même si elles présentent des différences majeures, tendent à inciter le Québécois qui
les observe avec un œil extérieur et concerné à faire la facile, idéale et flatteuse comparaison. Bien que conscients des conjonctures économiques auxquelles fait face le gouvernement du Québec, plusieurs étudiants ne semblent pas comprendre comment il peut même être envisagé de transformer le système de prêts et bourses. Cette incompréhension ne s’applique pas seulement dans une perspective d’échange scolaire, mais englobe aussi le concept de l’éducation comme bien public. Comment, en effet, peut-on réduire l’accès à une éducation supérieure pour les étudiants en les forçant à s’endetter, et ce, afin de faire face à des problèmes économiques? Nous devons considérer l’éducation comme l’une des principales richesses collectives, un bien qui appartient à chacun, et s’assurer qu’elle soit bénéficiaire d’un investissement adéquat. En somme, les projets de réformes du programme de prêts et bourses qui se dessinent au Québec représentent un débat qui concerne la société québécoise dans son ensemble car ils portent un coup à la démocratisation du savoir, un bien collectif. À Paris, une forte solidarité étudiante s’est développée face à cette importante menace, et ce bien que l’éloignement géographique mène à une frustrante impuissance matérielle. x
Grâce aux PPP, l’air sera bientôt privatisé, exit donc le bien commun.
Décevante soirée de débat
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On a constaté un manque cruel de substance dans le discours des candidats. ELEONORE FOURNIER
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es débats des candidats pour l’administration de l’AÉUM n’ont pas été impressionnants. Après quatre heures de réunion avec peu de débat, les candidats à la présidence ont clôt la soirée en annonçant tous les deux qu’ils avaient besoin de faire pipi. Kristof Karzca et Adam Conter sont nos deux candidats à la présidence. Karzca, bien qu’il parle français couramment, n’était pas au courant de la traduction française des initiales SSMU (AÉUM). Il a annoncé son grand projet, qui est d’engager des étudiants en médecine en plus des médecins certifiés à la clinique médicale de McGill. À propos du problème de la salle de prière pour les étudiants musulmans, il a déclaré être prêt à monter les frais étudiants de cinq dollars par semestre pour payer pour une salle hors-campus. Pour ce qui est de «revitaliser l’administration de McGill», il n’a présenté aucun plan concret; il ne savait d’ailleurs pas le nom d’un seul membre de l’AÉUM, de l’administration de McGill ou d’un dean de la faculté.
Conter, quant à lui, ne parle pas français. Il promet néanmoins que le site Internet de l’AÉUM sera bilingue l’année prochaine. Son projet personnel serait l’instauration d’un espace multiculturel sur le campus. Bien qu’il n’ait pas d’expérience de gouvernement étudiant, il a fait partie d’équipes de sports et déclare: «J’ai incorporé le mieux que j’ai pu l’expérience étudiante». Il ne planifie pas de revitaliser l’administration de McGill, mais voudrait faire de Gert’s «un espace plus confortable». Le vice-président aux affaires universitaires, par acclamation, sera Max Reed. Il s’est montré compétent et impliqué. Il voudrait se concentrer sur les cafétérias, l’anti-discrimination, le harcèlement et l’accessibilité à l’information sur les cours et les professeurs sur Internet. Encore par acclamation, le vice-président à la communauté et au gouvernement sera Aaron Donny-Clark. Ne parlant pas français, il a reçu énormément de questions sur les manifestations étudiantes et a conclu que bien
qu’il n’avait rien contre la violence étudiante, il ne ferait pas interférer ses croyances politiques avec le désir des étudiants. Roz Freeman et Peter Ochodo ont débattu sur la position de VP communications et événements. Freeman, déjà VP intérieur de l’AUS, a déjà organisé plusieurs événements à McGill et semble savoir de quoi elle parle. Pour ce qui est du bas taux de participation des francophones aux fêtes de McGill, elle a répondu (en français): «Je ne comprends pas pourquoi ils ne participent pas…. Je vais parler avec [les étudiants francophones]». Ochodo, malgré ses slogans: « I’ve got the tool; I’ve got the mind », n’a qu’une préoccupation: faire en sorte que tous les McGillois puissent le rejoindre avec des SMS. Et pourtant, il ne semble pas s’intéresser à la question française. «Je vais vous en parler plus tard», a-t-il lancé. Les deux candidats pour le poste de VP opérations, Eric van Eyken et Trevor C. Hanna, ont déclaré avoir exactement les mêmes plates-formes, avec une exception:
la survie de Gert’s. Van Eyken a avoué être un peu trop porté sur la boisson et voudrait «donner à Gert’s une dernière chance». Selon lui, son rôle sera de «ramasser plus d’argent pour que nous n’ayons pas à payer de frais étudiants». Même s’il a moins d’expérience que van Eyken à McGill, Hanna a fait partie des gouvernements étudiants «depuis le secondaire 1» et voudrait se débarrasser de Gert’s, qui a perdu 50 000 $ l’année dernière. Il a demandé à van Eyken de lui laisser le poste: «Pourquoi ne continues-tu pas ta vie?» «Parce que ceci est ma vie», lui a répondu van Eyken. Le dernier poste à occuper sera celui du VP des clubs et des services. Les candidats sont Rich Stern, Josh Pavan et Leon Mwotia. Mwotia, président de BSA, a beaucoup d’idées et semble motivé par un réel désir de changer les choses. Pavan, qui a cité Madonna, est aussi très impliqué à McGill, bien qu’il ne parle pas français. Stern, qui n’a pas participé à McGill parce qu’il avait deux boulots, a déclaré: «Ce sera comme un break de la vie». x
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Une assemblée générale: ENFIN!
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À demain l’action! VALÉRIE VÉZINA
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’est demain midi que se tiendra une assemblée générale sur le débat des programmes de prêts et bourses et de la décision du gouvernement Charest de couper 103 millions de dollars dans ce programme. L’assemblée générale qui se tiendra au Shatner Ballroom portera en fait sur les mesures que devrait entreprendre l’AÉUM dans le débat. Plusieurs options sont donc possibles: manifestations, grèves, etc. Ainsi, demain, les étudiants de premier cycle auront à choisir ce qu’ils veulent faire. Dans le cas échéant où l’action entreprise serait par exemple la grève, un vote de grève devra
avoir lieu par la suite. Afin que les décisions prises à l’assemblée fassent office, il faut un minimum de 200 étudiants de premier cycle présents lors de l’assemblée et pas plus de 50 p. cent provenant de la même faculté. Il s’avère donc impossible à quiconque de voter par anticipation. De plus, votre carte étudiante vous sera demandée pour fin de vérification et pour avoir droit de vote. Cette assemblée aura lieu au même moment où, à travers la province, une manifestation générale se tiendra.L’Association des étudiants des cycles supérieurs de McGill
tiendra à ce moment une grève de 24 heures, de même que l’Université Concordia. Et ce, sans compter les grèves qu’entretiennent les Cégeps et universités du Québec de durée variée. Depuis des semaines déjà, des manifestations ont lieu un peu partout. Les étudiants font la grève pour contester la décision du gouvernement de contracter 103 millions de dollars de bourses en prêts. Trop souvent vus comme le centre de l’élitisme anglo-saxon, les étudiants mcgillois sauront-ils prouver à leurs compères québécois que ce sujet aussi les affecte. Étonnamment, le campus MacDonald a voté contre la tenue
La monarchie au Canada
d’une grève de 24 heures. Pourtant, la moitié des étudiants de ce campus de l’Ouest de l’île, campus qui compte environ un millier d’étudiants, est francophone. Se pourraitil donc que les étudiants francophones de McGill ne veulent pas s’impliquer dans le débat? Alors, peu importe votre position dans le débat, si vous voulez faire entendre votre voix, présentez-vous demain midi à l’assemblée générale. x
nouvellescontroverse Cette Cettesemaine: semaine:Félix Félix Meunier DrouinMeunieretetDavid Philippe G. Lê s’affrontent dansdans Lopez s’affrontent lelering. ring.IlIlest estàànoter noter que les positions que les positions exprimées expriméesne nesont sont pas pasnécessairement nécessairement partagées partagéespar parleur leur auteur. auteur.
Chaque semaine, le Délit choisit un sujet controversé. Au hasard sont tirés le nom des journa- listes devant défendre respectivement le pour et le contre.
POUR
«
Chaque pays est différent et nous avons grandi dans un pays où la famille royale fait partie de notre héritage». Cette phrase évocatrice ne provient pas de la bouche d’un membre de la Ligue monarchiste du Canada, mais bien du grand Wayne Gretzky. Le célèbre joueur de hockey soulève un fait inéluctable de notre histoire collective, c’est-à-dire le caractère intrinsèque de la monarchie britannique dans l’identité canadienne. Notre pays ne serait jamais ce qu’il est aujourd’hui sans la présence des souverains britanniques. En effet, la distinction fondamentale en Amérique du Nord entre le Canada et les États-Unis se situe au niveau du régime politique. Les États-Unis constituent une république et le Canada une monarchie parlementaire. Avec le système de santé, uniquement la présence de la monarchie nous distingue de nos voisins du Sud. Sur le plan culturel et linguistique, toute personne saine d’esprit s’entend pour dire que nous sommes pareils. La présence du français au Québec ne représente qu’une distinction régionale temporaire et bientôt reléguée au folklore, contrairement à la flamboyante monarchie britannique qui a su et saura toujours traverser les siècles. Il faut ajouter que dans la regrettable hypothèse de la disparition du pouvoir impérial britannique, le Canada n’aurait d’autre choix que de passer à un régime présidentiel comme le connaissent la France et les États-Unis. Or qu’en est-il dans un tel type de système? Contrairement au système actuel où Sa Majesté la Reine incarne l’État canadien de façon non-partisanne au-dessus du Premier ministre et du gouvernement, dans un système républicain, les rôles du chef d’état et du chef du gouvernement sont combinés. Et cela, pour le plus grand mal d’une nation. Les procédures de destitution de Nixon et de Clinton en sont une illustration frappante. L’élection d’un président canadien ne ferait que créer un autre politicien et forcerait l’organisation d’une autre fastidieuse élection. Bref, dans l’intérêt public et par souci d’unité nationale, longue vie à la Reine! x
«
CONTRE
À la Reine continueront d’être et sont par la présente attribués le gouvernement et le pouvoir exécutifs du Canada» «Il sera loisible à la Reine, si Sa Majesté le juge à propos d’autoriser le gouverneur-général à…» «À la Reine […] est par la présente attribué le commandement en chef des milices de terre et de mer…» «Jusqu’à ce qu’il plaise à la Reine d’en ordonner autrement, Ottawa sera le siège du gouvernement du Canada». Est-ce suffisant ? Aussi incongru que cela puisse paraître, les citations ci-dessus ont toujours cours. Elles sont tirées de la loi constitutionnelle de 1867. À cette époque, nul n’ignore les liens filiaux existant entre le RoyaumeUni de Grande-Bretagne et d’Irlande et son noble dominion du Canada. Pourtant, avec nos yeux contemporains, nous ne pouvons que nous esclaffer devant les pouvoirs apparents de la monarchie britannique. Celle-ci conserve des pouvoirs immenses qui pourtant, et fort heureusement pour nous, ne sont pas utilisés. Ceux-ci seraient en fait jugés inacceptables par une forte proportion de Québécois si seulement nous en connaissions l’existence. Il s’agit en fait d’une symbolique tout à fait dépassée. Une nation en ébullition, s’affranchissant de la mère-patrie et quittant le nid familial se doit de couper le cordon. Déjà, le système de mesure impérial perd du terrain. Il ne restera bientôt que quelques illustres personnages retranchés dans quelques bâtiments qui seraient sans aucun doute bien mieux utilisés comme musées. Il va de soi que ces personnages sont d’hors et déjà mondialement plus reconnus pour leurs frasques que leurs actions politiques signifiantes. La fin de la monarchie britannique représenterait donc un élan formidable et favoriserait ainsi l’émancipation de plusieurs pays du Commonwealth. Nous apprécions toute l’assistance que le Royaume-Uni nous a fournie depuis 1867. Néanmoins, nous sommes assez grands maintenant, nous n’en sommes plus aux couches et laissez-nous voler de nos propres ailes. Rendez-nous service, et rendez-vous service. x
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La guerre de la drogue
nouvellesinternational
JOËL THIBERT
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l n’y a rien de plus insultant, me racontait un ami colombien, que d’entendre un président ou un secrétaire d’état américain discourir sur le trafic de la drogue comme s’il s’agissait d’une problématique de pays sous-développé propre à l’Amérique du Sud. La vérité, bien entendu, est tout autre: ce qui fait pousser et bouger la cocaïne et l’héroïne dans ce monde, ce ne sont pas les petits producteurs ni les grands cartels. C’est le trou sans fond de la gringolandia. Selon Germán Castro Caycedo, un journaliste colombien expert en la matière, la fameuse war on drugs des Reagan, Bush et Clinton n’est qu’une mascarade. Ils n’ont tout simplement ni les ressources ni l’intention de mettre un terme au trafic de la coke. La guerre à la drogue, explique-t-il, est en fait une industrie générant des milliards de dollars «propres» de revenu chaque année. Et c’est sans compter les emplois dans le secteur judiciaire, dans les prisons et dans l’industrie agrochimique. Mais l’argent «propre» que le trafic génère n’est en rien comparable à l’argent «sale» provenant de la vente illégale de la drogue dans les grandes cités états-uniennes. Voici donc, en quelques chiffres, l’analyse qu’en fait le journaliste Germán Castro Caycedo dans le roman journalistique Candelaria: selon Milton Friedman, l’illustre économiste néo-libéral, chaque fois qu’on shoote un million de dollars dans les veines de l’économie gringo, on crée 50 emplois. Les experts estiment que la seule vente de la drogue aux États-Unis génère 15 milliards de dollars. La moitié de cette «richesse» provient de la vente de la coke. Ce qui veut dire que la vente de drogue
procure à l’économie états-unienne 25 millions d’emplois de toutes sortes, et que la cocaïne, à elle seule, en procure environ 12 millions et demi. 12 millions et demi d’emplois, c’est environ 15 p. cent de la main d’œuvre américaine. Si le gouvernement américain le voulait bien, il pourrait décider d’acheter les deux mille tonnes de coke qui sont produites en Amérique du Sud pour environ deux milliards de dollars (ce qui représente moins de 2 p. cent du budget de la division américaine de la justice) et c’en serait fini de la coke. Cependant, 12 millions et demi d’emplois disparaîtraient du même coup. Mais ce n’est pas tout. Il y aurait aux ÉtatsUnis environ un million et demi de détenus, dont 70 p. cent qui sont en prison pour trafic de drogue. La moitié d’entre eux, soit environ 500 000 détenus, a été condamnée pour trafic de coke ou de crack. Ce qui signifie que la population carcérale diminuerait drastiquement si le trafic de la coke cessait, et donc l’appareil judiciaire américain aussi. Il faudrait donc mettre à la porte des centaines de milliers de juges, d’avocats, de policiers, de gardiens de prison, de psychiatres et d’autres employés de l’industrie carcérale. Il faudrait aussi dire adieu à 500 000 détenus qui produisent presque gratuitement – en travail forcé – une quantité absurde de «biens militaires» de tout acabit pendant leur séjour en prison. Et il ne faudrait surtout pas oublier le lobby agrochimique, qui fournit les pesticides servant à la fumigation des plantations de coca – qui bien entendu se déplacent ailleurs une fois détruites.
Tout ça pour dire que le diable dans cette histoire, ce n’est ni la Colombie, ni le Pérou, ni le Vénézuela, ni le Brasil, ni même le Mexique qui laisse entrer et sortir toutes sortes de drogues. La vérité, c’est que ce sont les gringos qui consomment et qui font 96 p. cent des profits du trafic. Et l’ironie, c’est que le gouvernement américain a le culot d’accuser les cartels colombiens de corrompre
Nashi: «nous» la jeunesse russe
la jeunesse américaine. Ce qui est certain, c’est que la guerre «contre la drogue» ne se gagnera pas en Colombie ni ailleurs en Amérique du Sud. Ici, la guerre est déjà gagnée, et c’est la drogue, le vice des gringos, qui l’a emporté. La véritable guerre, c’est en gringolandia qu’il faut la faire. x
nouvellesinternational
Le Kremlin appuie la création d’un nouveau ralliement jeunesse, le groupe Nashi: la question se pose sur les intentions motivant cette initiative. AGNÈS BEAUDRY
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n ce premier mars, l’association jeunesse russe, Idushiye Vmeste ou «Marchons ensemble», a annoncé la création d’un nouveau projet, le groupe Nashi. Le groupe a déjà reçu l’approbation et le support du Kremlin. M. Yakemenko, le leader d’Idushiye Vmeste (qui sera aussi celui du nouveau groupe) a déclaré que le but de ce projet était de «mettre fin à l’union unilatérale des oligarchies, antisémites, nazis et libéraux». Pourtant, plusieurs pensent que l’intention derrière la création du groupe Nashi est de remplacer Idushiye Vmeste par une organisation plus militante qui servirait à réprimer l’opposition naissante en Russie. Avec les révoltes des retraités
en janvier et la révolution orange en Ukraine, le gouvernement Poutine se sentirait menacé. Deux tranches de la population semblent vouloir s’opposer au régime: la vieillesse et la jeunesse. La première en veut au régime de ne pas pourvoir aux déficits causés par la perte des privilèges sociaux, tels le transport gratuit et les rentes assurées, accordés aux plus de cinquantecinq ans, que la chute du régime communiste a causée. En janvier, les rues de Russie se sont couvertes de protestataires, signe d’une perte du support de la strate plus vieille de la population que s’était assuré Poutine en appelant la chute du régime communiste «la mort infortunée de l’URSS». D’un autre côté, la jeunesse
russe semble rejoindre la tendance internationale anti-autoritaire. De plus en plus, elle se débarrasse de sa vénération vis-à-vis de l’autorité qui jadis la gardait sous contrôle. Avec la naissance d’un contre-mouvement au groupe «Marchons ensemble» nommé «Marchons sans Poutine» et avec la proximité du groupe PORA en Ukraine, groupe retentissant, s’opposant aux injustices des élections et du régime ukrainien, le gouvernement russe voit l’urgence de retrouver une certaine influence. La jeunesse peut jouer un rôle important dans l’instabilité d’un régime, comme force du présent mais aussi comme pilier de sa stabilité future. Vu la dislocation territoriale et idéologique que subit la Russie, le souci de raviver un
respect de l’autorité, un sentiment de nationalisme et de patriotisme, semble primordial à la cohésion russe.Le groupe Nashi serait,à l’instar de la jeunesse communiste d’antan, une méthode pour rassembler la jeunesse sous le drapeau national. SelonValentin J. Boss, professeur du département d’histoire à McGill, l’apparition d’un tel groupe doit immanquablement avoir «une résonance inquiétante» pour nos idéaux libéraux. Le nom Nashi, mot russe pour «notre» ou «nous», semble être historiquement menaçant. Il renvoie directement à la mentalité soviétique de bipolarité entre le «nous» de l’URSS et le «eux» du reste du monde, en particulier l’Ouest capitaliste. Les événements du 28 février n’aident
pas à dissiper ces inquiétudes: M. Yashin, un journaliste ayant plus d’une fois exprimé des réticences contre le régime, s’est fait expulser violemment d’une assemblée considérée comme la conférence d’inauguration du groupe Nashi. «Nos doutes se font confirmer que le groupe Nashi servira à masquer des brigades qui utiliseront la violence contre les organisations démocratiques», écrira-t-il par la suite. Néanmoins, selon Valentin J. Boss, le groupe Nashi est encore trop jeune pour que l’on puisse tirer des conclusions significatives, autres que le souci qu’a Poutine de regagner le support de sa population. x
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Grève étudiante: nonobstant la fin, le moyen est absurde
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evant l’actuelle tendance chez les étudiants du Québec, je me dois d’écrire un argument contre le présent mouvement de grève. Cela sera évidemment pertinent pour les étudiants québécois de McGill qui pourraient être tentés de rejoindre ce mouvement. McGill n’est pas en grève, hourrah! Et je pèse mes mots. La raison pour laquelle McGill n’est pas en grève et la raison pour laquelle d’autres universités le sont n’ont pas une importance cruciale dans cet article. Nonobstant la fin, la grève étudiante est un moyen absurde.
Pourquoi? Car les étudiants, par leur travail, n’offrent principalement un service qu’à eux-mêmes. S’investir dans une session par le travail scolaire et par le versement de frais de scolarité n’a comme fruit que la réussite scolaire de l’étudiant. Certains diront qu’à long terme les étudiants offrent un service à la société, mais honnêtement, qui sont les principales victimes? Qui est directement touché? Moyen de pression: grève étudiante. Comparons-la à d’autres grèves. Lorsqu’une employée salariée décide de faire une grève, cela peut
avoir un impact, car l’employeur qui la paie ne reçoit plus le produit pour lequel il paie l’employée; cela peut faire mal à cet employeur. Portons maintenant le concept de grève au milieu étudiant. L’étudiante en grève est en quelque sorte une employée qui continue à fournir (spécialement en frais de scolarité) un effort, mais qui décide de boycotter son salaire, c’està-dire son opportunité à réussir scolairement. En d’autres mots, je suis un employé, et comme moyen de pression je vais continuer à travailler mais je vais boycotter ma paye. Absurde non? Pourtant
courrierdeslecteurs
cela est bien similaire à la présente situation. Des gens ont suggéré l’idée de ne pas verser de frais de scolarité en début de session, car le mouvement actuel découle d’événements qui ont eu lieu avant le versement de ces frais. Pourtant, les frais ont été payés, et il y a donc eu un consentement. Je paie mes frais, je commence ma session, je m’investis dans mes cours… il s’agit bien d’un consentement, non? Maintenant, il faudrait briser cette entente, nous rendant les principales victimes de cette manœuvre… Pour terminer, d’autres moyens
Arme de destruction massive... à retardement
existent et doivent être utilisés. Ce n’est pas parce qu’on est affecté au point A qu’il faut contester au point A (surtout si c’est pour nous nuire). On peut très bien contester ces mesures gouvernementales sans compromettre notre présent investissement intellectuel. L’étude du monde est notre arme contre le désordre de ce monde. Non à la grève! - Laurence Allaire Jean
nouvellesinternational
La semaine canadienne de sensibilisation contre les mines, organisée annuellement depuis la signature de la Convention d’Ottawa, se déroulait du 28 février au 5 mars. Qu’en est-il, 6 ans après la ratification du traité sur les mines antipersonnelles? Julie Boutet et Gabrielle White, deux jeunes ambassadrices pour Actions-mines Canada, font le bilan. MARIKA TREMBLAY
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lus de 152 pays ont ratifié la Convention d’Ottawa depuis 1999. En faisant de la sorte, ces états s’engagent à arrêter la production, le transfert et l’emploi de mines antipersonnelles. Ils doivent aussi détruire leurs stocks de mines dans un délai de quatre ans après la signature du traité, déminer les terrains contaminés, venir en aide aux victimes des mines, entreprendre des campagnes d’information afin d’atténuer les risques et coopérer afin d’assurer le respect de la Convention. Pour Julie Boutet, les statistiques résument bien le chemin parcouru au cours des 6 dernières années. Ainsi, plus de 62 millions de mines antipersonnelles ont été détruites. Plus de 1 100 km des terres affectées ont été déminées. 36 des 50 pays qui fabriquaient les mines, dont les États-Unis, ont totalement arrêté la production. Une personne toutes les 30 minutes est meurtrie par les mines aujourd’hui, alors qu’en 1996, on estimait cet intervalle à 22 minutes. Les conséquences humaines désastreuses qu’engendrent l’explosion des mines antipersonnelles avaient poussé plusieurs têtes d’affiche de la société civile (Croix-Rouge, Médecins Sans frontières, etc.) à faire des pressions politiques sur le gouvernement canadien. Fabriquées pour blesser l’adversaire, ces armes frappent au hasard durant une période d’environ 10 ans. D’ailleurs, on estime qu’elles ont blessé entre 300 000 et 400 000 personnes depuis 1970. Le déminage constitue aussi une étape nécessaire à la reconstruction d’un pays après une guerre. Effectivement, comment penser recommencer à cultiver les champs si ces derniers sont truffés de mines? Cette semaine de sensibilisation a donc été organisée en l’honneur de ce front civil
qui avait insufflé la volonté à Lloyd Axworthy, ministre des Affaires étrangères à l’époque, d’aller de l’avant avec ce projet. Autre signe positif: cet événement a été fêté, cette année, par un bon nombre d’individus provenant des pays touchés par les mines. Gabrielle White, qui revient de Russie, se dit d’ailleurs enchantée d’avoir pu travailler avec des jeunes Russes, Ukrainiens et Tchétchènes à la même table. Les sceptiques, confondus? Ces statistiques, bien que de bon augure, dévoilent aussi les embûches qu’il reste à surmonter. Ainsi, outre plusieurs pays du Moyen-Orient et de l’Asie, trois grands joueurs n’ont toujours pas ratifié le traité: la Chine, la Russie et les États-Unis. L’Inde et le Pakistan produisent toujours ces armes. Le déminage est aussi dangereux, laborieux et très coûteux. Et ce, malgré le fait que, selon Mme White, «comme dans tous les projets de développement international, les fonds sont malheureusement insuffisants…» Plusieurs groupes non-étatiques, notamment en Bolivie, en Colombie, au Sri Lanka, en Inde ou en Angola, font toujours utilisation des mines. Les guerres récentes ont souvent été le théâtre de contestations dirigées envers l’État. Donc, dans un contexte où les combattants sont «indépendants», on ne peut s’étonner qu’un traité international ait peu de portée… La facilité à acquérir l’arme la rend aussi attrayante: elle coûte entre 3 et 33 dollars à fabriquer. Gabrielle White attaque cette critique en affirmant que c’est par l’entremise de normes qu’on peut faire des changements: «Utiliser une mine antipersonnelle est maintenant tabou. Si certains gouvernements
ou individus les utilisent encore, il est difficile de le savoir. Ils ne s’en vantent pas». Selon les deux interlocutrices, le traité d’Ottawa aurait collaboré à disséminer l’information au public et exercerait une pression morale constante sur les utilisateurs de mines antipersonnelles - qu’ils soient issus du gouvernement ou non. Mme White suggère, par ailleurs, des campagnes de sensibilisation encore plus agressives afin de mettre l’emphase sur les conséquences humaines de ces armes. Julie Boutet poursuit le plaidoyer en maintenant qu’aucune convention n’est allée aussi loin que celle d’Ottawa: «Au contraire des autres textes de loi internationale humanitaire, ce traité contient des obligations positives. Ce n’est pas qu’une seule description de droits, comme la Charte de l’enfance, où l’on émet des énoncés du type: l’enfant a droit de
jouer et d’apprendre... Ici, en signant, un état s’engage à prendre des actions concrètes.Tous les signataires doivent, par exemple, aider les pays affectés par les mines». Un signe que le droit international humanitaire prend une nouvelle direction? Quoiqu’il en soit, ces progrès sont encourageants. x Actions mines Canada est une coalition de 40 organismes non-gouvernementaux luttant dans différents domaines contre l’utilisation des mines antipersonnelles. En collaboration avec le gouvernement canadien et la Croix-Rouge internationale, elle est co-récipiendaire du prix Nobel de la paix en 1997. Pour plus d’informations: http://www. minesactioncanada.com/home/index.cfm?lang=f
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Pourquoi les clubs de danseuses nues deviennent-ils des bordels?
nouvelleslocal
Un reportage exclusif sur les conditions de travail des bars de danseuses nues à Montréal. ELEONORE FOURNIER & ANDREW BAUER AVEC LA COLLABORATION DE PHILIPPE G. LOPEZ
Qui d’autre que P. G. L..H.
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epuis 1999, les danseuses nues doivent se prostituer pour maintenir leur niveau de vie. Alors qu’avant les filles pouvaient gagner de 400 à 500 $ par soirée en dansant autour des tables, maintenant que les danses contacts sont légales, les danseuses perdent des clients au profit de celles qui sont prêtes à leur «donner la lune». En basse saison, elles peuvent récolter environ 100 $ par jour mais en été, surtout lors des festivals montréalais, elles peuvent espérer jusqu’à 300 $ pour une soirée d’environ 7 heures de boulot. Valentina, une blonde teinte en mini shorts blancs, déteste ces nouveaux clubs, «les clubs à gaffes» comme elle les appelle, où l’on peut avoir des pipes pour moins de 50 $. Pourquoi est-ce qu’un homme lui payerait 40 $ pour quatre danses contacts quand il peut avoir plus dans le club voisin pour le même prix? «Ça a commencé quand ils ont légalisé les danses à dix. On dansait aux tables, on se faisait pas toucher, on se faisait pas abuser», avoue-t-elle. Aujourd’hui, le fait que les danses sont privées augmente la possibilité de prostitution dans les bars de danseuses. Les danseuses dans les clubs réputés sont des travailleuses autonomes: en effet, elles ne gagnent rien pour monter sur scène à moins que les clients leur jettent de l’argent. La paie, quant à elle, est seulement de dix à quinze dollars par danse contact. D’ailleurs, certaines d’entre elles doivent débourser de l’argent au bar pour avoir le droit d’y danser. Valentina est frustrée parce qu’elle gagne moins qu’avant. Elle blâme ces clubs avariés pour avoir volé ses clients. Néanmoins, elle pense que son travail n’est pas toujours sexuel. «Nous autres, on est comme des psychologues dans le fond. Il y a beaucoup de gars qui rentrent ici pis là ils vont te conter leurs problèmes. Pis mois j’y donne des conseils». La barmaid, Marie-France, n’est pas d’accord. Elle travaille dans le milieu depuis longtemps et sait comment gagner le plus d’argent possible. «On sait manipuler les hommes comme on veut. On sait leurs fantasmes les plus reculés, fait qu’on les utilise à notre guise». Ex strip-teaseuse, elle a changé de métier il y a un an parce qu’elle ne gagnait plus assez d’argent. Évidemment, les gérants ne choisissent pas les filles pour leur qualité d’écoute ou pour leur talent de manipulatrices. «Malheureusement, dit Jeff, les
Petit avertissement affiché dans un isoloir à l’endroit des clients.
femmes sont un produit et c’est ça qu’on vend. Je ne peux pas avoir que des blondes. Ça me prend une carte de goûts». Yvon Paquette, gérant d’un bar de danseuses réputé du centre-ville, ajoute: «Des fois, il y a trop de filles de couleur, alors on va balancer ça. Les clients ont des requêtes au point de vue de la couleur des cheveux, la couleur de la peau, etc.» Depuis la décision de la Cour suprême du Canada en 1999 de rendre les danses contacts légales tant qu’il n’y a pas de fellation, masturbation ou pénétration, beaucoup de bars ont ouvert leurs arrières salles aux clients. Il est maintenant plus difficile de contrôler si les filles portent des culottes ou touchent leurs clients lors des séances privées, car les
clubs n’ont pas tous des caméras de surveillance. Les clubs qui ne sont pas intéressés à offrir des services de prostitution sont généralement des «boîtes à touristes» ou ont des bonnes relations avec la police. Pourtant, les clients n’ont pas tendance à savoir différencier les clubs normaux de ceux où ils peuvent faire ce qu’ils veulent avec les filles. «Il y a des gens qui viennent ici et qui s’imaginent qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent avec les filles, dit Paquette. Il y a de la demande en général pour la prostitution qui est très forte». La clientèle pour les prostituées et les danseuses est donc similaire. Par contre, leurs raisons, selon les filles, seraient différentes.
«C’est pas de la satisfaction ici, c’est de l’érotisme», déclare MarieFrance, ajoutant que l’on ne peut pas combler ses besoins sexuels en allant chaque semaine aux clubs de danseuses. «[Les gars] ne sont pas plus cochons mais moins chanceux que les autres qui ont pas besoin d’y aller». Valentina se sent plus optimiste à propos des objectifs des hommes. «Ils viennent ici pour leurs fantasmes; si leur femme n’est pas sexy. C’est pas parce qu’ils sont pervers et qu’il faut qu’ils voient des femmes toutes nues. C’est juste pour le plaisir. C’est pas des hommes qui vont aller tricher leurs femmes». Elle admet cependant que certains clients veulent coucher avec elle. «C’est l’offre, la demande, le produit», avoue Jeff. «Si la fille vient
ici et elle pèse 300 livres, tu peux pas la prendre. Mais en général, on peut vendre à peu près n’importe qui». L’expression sur les visages des clients appuie l’avis de Jeff. L’air vague, ils apprécient les seins de la danseuse, en imaginant qu’elle leur procurerait plus de plaisir dans la salle privée. Sont-ils simplement en train de rêver, de parler avec elle ou cherchent-ils une expérience plus charnelle? La danseuse a l’air plus concentrée que sexy, elle se plie en deux autour de la barre en comptant le rythme et sans doute l’argent jeté sur la scène. Évidemment, elle espère obtenir quelques danses contacts ce soir car, comme tout le monde, elle doit payer ses factures. x
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Combien coûte un Cuba libre?
cultureinternational
L’ombre sous le soleil... DOMINIQUE HENRI
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uba. Quatre heures de vol. Une trentaine de degrés de plus au thermomètre. Lieu d’exil touristique par excellence pour ceux qui demandent une trêve à l’hiver. Or, derrière les dunes infinies, le soleil et la mer promise se cachent d’autres images. Moins colorées, plus silencieuses, plus oppressantes. Des images que ne présentent pas les brochures glacées à l’usage des voyageurs à la petite semaine. Demandez à la femme de chambre, au plieur de serviettes, aux danseurs à paillettes qui œuvrent au bonheur des vacanciers combien coûte journellement un Cuba libre, combien de leurs idées demeurent emprisonnées parce qu’elles riment dangereusement avec le mot «liberté». Certains changeront gentiment de sujet. D’autres encore pointeront discrètement du doigt la caméra qui les observe, cachée derrière le bougainvillier, et vous inviteront à vous taire, arborant le plus radieux des sourires. Quant à G…, qui vend paisiblement ses toiles à l’ombre d’un porche à l’espagnole, il se contentera d’abord de vous regarder avec des points de suspension dans les yeux. Puis, lorsque son superviseur à l’œil tranchant comme le marteau du juge sera parti dîner, il sortira de sous sa table un cylindre de papier dans lequel se trouvent méticuleusement enroulées ses œuvres en noir et blanc, symboliques et subversives.
En février dernier, la main castriste a resserré sa poigne. Le nouveau ministre du Tourisme de Cuba, Manuel Marrero, a donné une directive interdisant aux employés des complexes hôteliers d’accepter les pourboires. Plus de cadeaux pour Pedro. Plus de dollars sous le plumard. Plus de souliers pour le jardinier. Les travailleurs des citadelles touristiques perçoivent des salaires mensuels de l’ordre de 12 à 15 dollars US. La plupart accumulent plusieurs fois cette somme en pourboires tous les mois, ce qui fait d’eux, sur l’île, des employés privilégiés. Si la directive de Marrero était réellement appliquée, elle se traduirait en un véritable cataclysme financier pour des dizaines de milliers de travailleurs. Or, pendant que la loi se durcit au palais du grand Fidel, tout va pour le mieux dans le monde des vacanciers. Pour ma part, je travaille mon bronzage en étudiante exemplaire. Quant au gros monsieur de la chaise de plastique d’à-côté, il en est à lécher son quinzième cornet de crème glacée de la matinée. Pas de bière avant midi. C’est sa femme qui l’a dit. Et tandis que les habitants du village voisin manquent d’eau et que les camions-citernes affluent vers les sept piscines en cascades de notre paradis, les serveuses se cachent sous le comptoir du bar pour boire des jus d’ananas à la volée entre deux
Paradis ou Autoportrait de Will Be, une œuvre de G… Chut! Il ne faut pas montrer l’intégralité de cette image représentant un homme traînant sur son dos en coquille d’escargot le poids de l’histoire! Sinon la barbe de Fidel pourrait se mettre à pousser de rage et à envahir l’atelier de l’artiste, tel un figuier étrangleur…
La douzième Atlantide
quarts de travail. L’une d’elle, Nadia, a la poitrine anormalement gonflée aujourd’hui. C’est que la mode est au double soutien-gorge par ici. Nadia en a reçu un en cadeau d’une cliente, orné de dentelles françaises. Elle ne veut pas qu’on lui confisque lorsqu’elle passera par l’inspection avant de monter dans l’autobus qui la reconduira sagement chez elle alors… Et les œuvres secrètes de G…, me demanderez-vous? Eh bien! l’une d’elle représente un homme nu, pensif, assis sur un livre épais: le livre de l’histoire. Du livre sort la pince d’un scorpion, le scorpion du pouvoir, et lui enserre le pied. Des allumettes poussent le long de la colonne vertébrale de l’homme. Certaines sont éteintes. D’autres brûlent encore. Lorsque G… m’a montré cette gravure, je lui ai demandé s’il présentait des notes explicatives à côté de ses œuvres lorsqu’il montait ses expositions à La Havane. Bête question! Et G… de me répondre avec philosophie: «Sous ce régime, il est des mots qui ne peuvent être dits qu’avec des images». Si, depuis la révolution castriste, les Cuba libres – ou rhum and Coke – coulent à flots derrière les bars des clubs vacances, force est de constater que le prix à payer pour y goûter n’est plus le même pour tout le monde. x
nouvellesinsolite
Où grâce à Robert Sarmast, Platon et Edgar Cayce ne sont peut-être plus des illuminés. LAURENCE BICH-CARRIÈRE
L
’Atlantide fascine. Si certains y projettent une folie des grandeurs – à preuve ces sites Internet qui «s’adressent à tous ceux et celles qui, comme moi, possèdent des pouvoirs psi [et] sont convaincus au plus profond de leur être de l’existence de l’Atlantide et d’y avoir vécu, lors d’une ou plusieurs de leurs incarnations» –, d’autres sont persuadés que la Science leur permettra de la révéler à la face du monde. Parmi ceux-là (les scientifiques, pas les gourous illuminés persuadés d’avoir été Cléopâtre), Robert Sarmast, «architecte de formation mais archéologue de passion». Certains le comparent à Howard Carter, l’égyptologue qui a découvert le tombeau de Toutankhamon, mais il préfère le rapprochement avec Heinrich Schliemann, celui qui a «retrouvé» la mythique cité de Troie, enfouie sous les ruines de douze villes. Sarmast n’a qu’un rêve: prouver que
l’Atlantide de Platon est un essai historique et non une allégorie et que la civilisation atlante a été engloutie par le déluge causé par le déséquilibre de l’axe de la Terre – dont on retrouve la légende dans à peu près toutes les cultures. Et il pourrait y être parvenu après plus de dix ans de recherche approfondie en «atlantologie». En 2000, il avait réussi à se greffer aux géophysiciens et aux océanographes de la National Oceanic and Atmospheric Administration pour explorer et numériser le bassin méditerranéen occidental. Sur la carte tridimensionnelle produite – elle fait 2 500 pages –, une série de bosses entre l’île de Chypre et la Syrie attire son attention. Ses collègues pensent que c’est un volcan, mais il est persuadé que c’est l’Atlantide. Grâce au soutien financier de diverses compagnies de forage pétrolier, il continue son exploration:
chaque analyse minérale et topographique semble corresponde à ce que narrait Platon – à travers les dialogues de Timaeus et Critias: le type de sol semble propice aux cultures décrites, les dimensions entre les bosses semblent coïncider au mètre près. Il n’en faut pas plus pour qu’il publie Discovery Of Atlantis: The Startling case for the Island of Cyprus (qui servira évidemment à financer ses prochaines expéditions). Oh! bien sûr, l’Atlantide a été trouvée quinze et vingt fois (un peu comme Elvis, d’ailleurs): aux Açores où des motifs de lave, de corail et de roc rappelaient étrangement les descriptions de Platon, dans le triangle des Bermudes grâce à une pyramide immergée, à Nazca (où l’aventurier argentin d’origine hongroise, Joan Moricz, assurait avoir découvert, en 1970, un réseau de galeries à 200 mètres sous terre, reliant l’Équateur au
Pérou), en Égypte, à Yonaguna au Japon et même à Bimini au large de la Floride. JulesVernes la découvrait avec le capitaine Nemo dans Vingt mille lieux sous les mers, elle a inspiré Francis Bacon et Pierre Benoît ainsi qu’Edgar Cayce, voyant extralucide des années folles qui considérait que la lecture des textes antiques était une hérésie et qui pourtant décrivait «une mystérieuse cité d’avant» dans les termes de Platon. Et, bien sûr, Robert Sarmast. Et après l’Atlantide, où ira-t-il, cet Indiana Jones des temps modernes? Trouverat-il «définitivement» le yeti, la merveilleuse cité d’Ys, le Graal, faisant ainsi taire à jamais les jaloux qui osent le traiter de fumiste? Tout reste à voir. Une nouvelle expédition vers l’Atlantide cypriote est prévue pour la fin avril. x
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Le Délit x 15 mars 2005
Du baroque à l’ère post-moderne
cultureopéra
Les airs de Händel nous transportent dans un monde impérial aux prises avec les intrigues de la cour.
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ette nouvelle production de l’Opéra de Montréal constitue un divertissement dont Händel ne se saurait probablement pas crû capable. Légèrement périmé, le style baroque offre difficilement au public contemporain l’attrait lyrique pour lequel l’opéra tire ses lettres de noblesses. Pourtant, l’équipe de direction (chapeautée par Bernard Labadie) fait fi des incompatibilités entre cette époque et la nôtre et donne une tonalité étonnement contemporaine au chef d’œuvre de Händel. Entre le paroxysme de l’Opéra bouffe et des envolées dignes du seria, la production mise sur une théâtralité diversifiée afin de palier aux répétitions et aux mesures orchestrales de Händel. Agrippine apprend la mort de l’empereur Claude et prend immédiatement les mesures idoines à la nomination de son fils Néron. Utilisant ses charmes pour soudoyer ses soupirants (Pallas et Narcisse), elle entreprend le couronnement de son fils par une allocution publique. Mais, le serviteur de l’empereur prévient la cérémonie en proclamant que Claude a été sauvé par Othon. Pour le remercier, il aurait même légué son trône à son bienfaiteur. C’est sur cet imbroglio que la trame se bâtit. Agrippine poursuit dans ses intrigues en rendant Claude jaloux d’Othon (qui est en fait amoureux de Poppée) et lui
fait promettre de le déshériter, pendant que Néron tombe également sous le charme de Poppée. Le conflit se résout de façon à contenter tous les protagonistes dans une issue comique et légère: Agrippine est excusée, Othon retrouve sa bien-aimée et renonce de bon gré à son trône et Néron s’enthousiasme davantage à son couronnement qu’à la perte de Poppée. La performance artistique est irréprochable, spécialement dans le répertoire alto et soprano. Les cantatrices remplissent la scène par leur jeu et l’auditoire par leur voix. La mise en scène audacieuse de Jacques Leblanc leur offre une possibilité unique de mêler le théâtre au chant et elles répondent parfaitement aux exigences inhérentes au métier d’acteur. Les contraintes imposées par le model de l’opéra, à savoir une gestuelle exacerbée, s’agencent entièrement avec le comique, parfois burlesque de la pièce. Par contre, la surabondance de changements entre le «sérieux» et le «comique» donne parfois l’impression d’un genre qui se cherche – entre la volonté de séduire un public plus jeune et celui de plaire aux puristes. Poppée est parfois présentée en femme de tête, puis en espèce de parvenue fanatique du bronzage, ce qui laisse douter de la direction que la production veut prendre. À en juger par la réaction de la foule, c’est certes l’aspect plus
Yves Renaud
MIROSLAV CRÉPEAU
L’Opéra de Montréal présente les airs de Händel dans Agrippina.
moderne de la pièce qui a conquis l’audience. Les applaudissements répétés et les éclats de rire ont été particulièrement nourris durant les moments comiques. La maîtrise artistique du chef d’orchestre s’est particulièrement fait ostensible lorsque des applaudissements inopportuns (avant la fin d’un mouvement ou au moment d’en initier un nouveau)
La quête de l’Autre
venaient compliquer le déroulement de l’événement. Le chef a réussi à diriger son groupe de musiciens à la perfection, leur donnant un signal précis et en accord avec le goût du public. Dans cette symphonie théâtrale, le chef s’est particulièrement affirmé au deuxième acte. L’entrain qu’il déploie dans cette portion dramatique aux tonalités graves et puissantes transcende la salle au moment où Daniel Taylor (Othon) effectue sa complainte. Globalement, la performance de la distribution masculine, qui n’est pas à l’honneur dans Agrippina, est légèrement plus faible que celle des femmes, mais ne souffre aucunement d’un statut de faire-valoir. Malheureusement, la pluralité des changements de décor prive la production des décors habituellement grandioses de l’opéra. Les transitions scéniques s’opèrent aisément grâce à la mobilité du décor et une savante mise en scène, mais l’arrière-goût demeure. Mis à part cette limitation imposée par la pièce, le décor est efficace, spécialement dans les perspectives et la beauté des statues. Une adaptation absurde, voire surréaliste, qui donne parfois l’impression que l’Opéra tergiverse entre l’adoption d’un style plus accessible et sa forme traditionnelle. Agrippina démontre l’audace d’un art qui se veut intemporel. x
culturethéâtre
Tête première est une invitation à plonger dans un univers surréaliste. ARNAUD DECROIX
Yanick Macdonald
L
e théâtre de La Licorne propose, jusqu’au 9 avril prochain, la pièce Tête première du dramaturge irlandais Mark O’Rowe, né en 1970. La traduction d’Olivier Choinière, qui de son propre aveu a été conduit à «réinventer la langue», est particulièrement intéressante. En effet, il présente la pièce dans une langue vivante, incarnée, directe et incisive. Le vocabulaire employé repose sur un certain nombre de mots typiquement québécois, appuyés par un phrasé rapide. Il faut aussi reconnaître que le texte est servi par trois actrices pleines de souffle, qui se succèdent sur la scène au fil de trois monologues au rythme soutenu. Ainsi, Kathleen Fortin (dans le rôle d’Olive Day) donne un tonus certain à son personnage. Les paroles truculentes de Tête première coulent de ses lèvres comme autant de parfums enivrants. Et nous voilà transportés dans un univers loufoque et trouble. Les femmes paraissent avoir pris le pouvoir sur
Kathleen Fortin interprète l’une des trois femmes que Mark O’Rowe met en scène dans Tête première.
les hommes, comparables à des jouets entre leurs pattes félines. Le ton, souvent cru, utilisé pour décrire les relations affectives entre les deux sexes, paraît si naturel aux actrices que tout malaise s’évapore progressivement. Il suffit de se laisser guider par ces étranges guides.
Sandrine Bisson (qui interprète Tilly McQuarrie) et Dominique Quesnel (dans le rôle d’Alison Ellis) jouent également de leur charme pour évoquer l’atmosphère de ce monde où les chiens ont trois yeux et les hommes-objets font l’objet d’une certaine attention.
L’heure du féminisme «nouvelle vague» paraît avoir sonné dans la droite ligne des récents Monologues du vagin. Désormais, des femmes, pleines d’une assurance retrouvée, n’hésitent plus à exprimer leurs désirs, rêves et hésitations avec un langage offensif, qui décrit le visage mouvant de rapports humains éternels et toujours renouvelés. Sans doute conviendrait-il de profiter du moment pour aller jeter aussi un coup d’œil au nouveau film de François Ozon (5X2). Le thème de la rencontre, décliné en cinq volets rétrospectifs, complète alors cette réflexion sur les places respectives de l’homme et de la femme, pris dans les tourbillons d’une évolution sociale qui n’est pas prête de s’arrêter. Avec Tête première, la compagnie théâtrale La Manufacture, créée en 1975, nous offre donc une pièce enjouée, servie par la belle mise en scène de Maxime Denommée. À cet égard, il faut souligner que celui-ci signe ici son premier travail de metteur en scène, après
avoir interprété de nombreux rôles dans des pièces présentées par La Manufacture. Il a notamment joué, au printemps 2002, dans Howie le Rookie, première interprétation à Montréal et en français d’une œuvre de Mark O’Rowe. Cette initiative du théâtre de La Manufacture avait alors permis de faire découvrir cet auteur irlandais dans une pièce attachante, sur le thème de la fraternité et de l’amitié. En 2003, ce rôle de Rookie Lee avait ainsi valu à Maxime Denommée le Masque de la meilleure interprétation masculine. Par conséquent, l’univers fascinant de Mark O’Rowe nous est proposé par une équipe, qui connaît parfaitement ses textes, qui l’apprécie et qui se fait fort de nous communiquer cette passion. x La pièce Tête première se joue jusqu’au 9 avril au théâtre de La Licorne, 4559, rue Papineau (coin Mont-Royal). Pour réservation: (514) 523-2246. Pour plus d’information: www.theatrelalicorne.com.
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Danse ta vie
culturethéâtre
Présentée samedi dernier au Théâtre Outremont, la comédie musicale De Julia à Émile, 1949 est une pièce éclatante et vivante, montée par la reconnue troupe Montréal Danse. ÉMILIE BEAUCHAMP
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ne femme. Un café. Des brides de vie et de nostalgie. Une comédienne. Sept danseurs. Avec leurs corps et leurs expressions, on découvre peu à peu des tranches de la vie de cette inconnue, certaines gaies, d’autres moins. Par les yeux de cette femme, l’on expérimente des sentiments enfouis et maintenant retrouvés, qu’ils soient en réponse à la perte d’un être cher, d’une fête d’anniversaire ou encore d’un moment en famille. En fait, l’on revit les moments intenses et passionnés qu’une femme aime à se récréer lorsqu’elle est seule devant une tasse de café fumant. Le tout mis en scène par la chorégraphe Estelle Clareton et dansé par la troupe Montréal Danse, qui ne compte plus ses mérites. Non seulement l’interaction de l’humour, de la danse et de la poésie de l’œuvre apporte une nouvelle dimension au théâtre traditionnel, mais aussi la performance et la présence sur scène des artistes sont en elles-mêmes spectaculaires. Des images simples mais émouvantes, témoins des refoulements que l’inconscient n’oublie pas et que les corps des danseurs nous restituent peu à peu à travers des scènes. La merveille de cette pièce est en fait que la comédienne principale peut être jouée par une actrice différente à chaque représentation, le rôle ne demandant que quelques
La reconnue troupe Montréal Danse a repris récemment la comédie musicale De Julia à Émile, 1949.
heures de pratique et d’intégration à la troupe. Ainsi, la pièce peut se métamorphoser et s’adapter aux
différentes communautés dans lesquelles elle est jouée. Bien que ne représentant pas une lourde
charge de leçon, l’interprétation de l’unique comédienne requiert néanmoins une forte présence sur scène ainsi qu’une complicité avec les danseurs, qui pratiquent une forme d’expression si différente, mais non moins compatible, qu’est celle d’acter. Cette fois-ci interprétée par Hélène Loiselle (la petite souris verte), le résultat n’en est pas moins que remarquable. Il faut dire que Montréal Danse n’en est pas à sa première représentation de De Julia à Émile, 1949. L’œuvre en tant que telle est bien connue du milieu de la danse et fut dansée à maintes reprises par la troupe. Désormais célèbre, Montréal Danse performe depuis 1986 avec des chorégraphes reconnus nationalement et internationalement. Faisant de la danse contemporaine son créneau, les quartiers de la compagnie se sont depuis longtemps transformés en vrai laboratoire expérimental, incubateur des nouvelles tendances de la danse. Montréal Danse a reçu maints hommages concernant les pièces risquées et avant-gardistes qu’elle présente et a maintenant la réputation d’un groupe recherchant constamment les différentes techniques, textures et structures pouvant refléter les émotions et les situations complexes de la vie moderne. Développant sur le thème du jamais vu, la troupe fait la promotion de spectacles en des
Carmina Burana: gigantesque
lieux inusités, ayant déjà performé à la Bourse de Montréal, sur des passerelles de centres commerciaux, dans plusieurs bars et dans un centre d’archéologie. En réalité, Montréal Danse se rend accessible à toutes sortes de public en permettant aux particuliers de les embaucher n’importe où, et presque n’importe quand. Les danseurs professionnels offrent aussi des ateliers privés et de groupe, enseignant leur vision de la danse contemporaine et du spectacle. Malheureusement pour nous, Montréal Danse part en tournée européenne dès avril, mais reste libre pour des projets personnels. Avis aux intéressés d’ateliers ou de promotions particulières, veuillez réserver d’avance! À notre grand bonheur, la compagnie rejoindra les planches de Montréal à partir du 15 septembre, pour nous présenter une autre création de la chorégraphe Estelle Clareton. Dans tous les cas, surveillez de près l’évolution de cette compagnie de danse, car elle promet de s’illustrer de plus en plus sur les planches internationales et bien sûr locales. x Pour plus d’information sur la compagnie de danse Montréal Danse ou sur son interprétation de De Julia à Émile, 1949, visitez le www. montrealdanse.com
culturespectacle
C’est mercredi dernier que débarquait à Montréal le spectacle Carmina Burana. ALEXANDRE VINCENT
C
’est avec beaucoup de déploiement que le spectacle Carmina Burana débarquait au centre Bell mercredi dernier. Le mot «spectacle» est très bien justifié dans ce contexte. On nous avait avertis: ce n’était pas conçu pour un sous-sol d’église. Je côtoie régulièrement ces deux univers, la musique classique et le spectacle d’aréna. Voir ces deux univers ensemble était pour moi une rencontre attendue. Avant de sombrer dans l’univers de Carl Orff, une première partie de Verdi était présentée. Au programme, nous retrouvions ses extraits les plus connus. L’intensité était au rendez-vous. Pour ceux qui ne connaissent absolument rien à la musique classique, Verdi composa plusieurs opéras; ses airs sont parmi
les plus connus de tout le répertoire musical, musique pop incluse. Donc, pour revenir à l’opéra, l’ouverture est une partie importante de la pièce. Elle résume toute l’intensité que contient l’œuvre. De là, toute la beauté et la subtilité que peut dégager une simple ouverture. Pour revenir au concert, Verdi fut donc un très bon choix. Exécuté avec beaucoup de finesse, le chef Walter Haupt s’en donnait à cœur joie et ce n’était pas parce qu’ils jouaient dans un aréna qu’ils allaient faire les coins ronds. Chaque thème, chaque phrase était bien déposée, pour ensuite s’envoler dans ce caractère italien que nous connaissons tous. Bref, ce fut réussi et bien apprécié. Flamboyant et étonnant Après avoir applaudi le retour
de l’orchestre, du chef et l’arrivée des solistes, le centre Bell fut plongé dans le noir. Une longue procession aux flambeaux servit de mise en scène pour le retour du chœur sur scène. La structure du centre, qui faisait au moins une quarantaine de pieds, s’ouvrit. Le départ était donné. O Fortuna. Ont alors défilé devant nous plusieurs personnages: fous du roi, paysans, d’autres sur des échasses, un peu diaboliques. Tous étaient vêtus de somptueux costumes (il y en avait près de 300!). Ajoutez à cela feux d’artifices, éclairages à la Pink Floyd, structures d’animaux grandeur nature, c’était très impressionnant. Ce n’était pas le côté spectaculaire qui me rendait nerveux, mais plutôt la qualité de la
sonorisation. Lorsqu’il est possible de perdre la basse dans un spectacle des Red Hot Chili Peppers, on peut facilement oublier les solos de hautbois. Mais ici, pas du tout. Plus de peur que de mal. La sonorisation fut très surprenante et l’orchestre put briller du talent que nous lui connaissons (l’orchestre métropolitain et le chœur du même orchestre assuraient la musique). Par contre, même une excellente sono n’a pu aider les solistes qui ont fait leur travail sans éclat. Seule la soprano tira son épingle du jeu dans le merveilleux Stetit peulla. Il est impossible pour moi de vous dire si ce déploiement suivait l’intégrité de l’opéra. Impossible puisque Carmina Burana n’est pas un opéra. Ce sont plutôt des chants
profanes inspirés de chants du XIIIe siècle, des cantates scéniques. Elles ont quelques fois un lien entre elles, mais pour la plupart, outre la beauté, le lien entre elles ne relève pas de la scénographie. Ce n’était pas désagréable du tout de voir tout ce cirque autour de l’œuvre de Carl Orff. Si pour certains, ce cirque était vulgaire et inapproprié pour l’œuvre, je n’ai, pour ma part, jamais eu ce sentiment. Monter un spectacle de cette envergure ne contrevient pas, pour ma part, à l’essence de la musique classique. Ajouter du feu et des éclairages, c’est normal. Mais ajouter de la condescendance et du mauvais goût comme le font nombre de starlettes du classique «commercial», ça c’est plus inquiétant. x
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Le Délit x 15 mars 2005
Qu’est-ce qu’elle a ma gueule?
cultureengagé
La Semaine d’action contre le racisme ( SARC) se propose d’y répondre… LÉA GUEZ
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ette semaine, ma mission est de vous présenter la 5e édition de la SARC qui aura lieu du 17 au 24 mars au Québec. Dans le cadre de la journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale, cette initiative cherche à sensibiliser l’opinion sur la xénophobie, l’islamophobie, l’antisémitisme ou, plus généralement, sur le thème des boucs émissaires raciaux. Le racisme est encore présent… La délicate question du racisme est plus que jamais d’actualité. Les conflits au Moyen-Orient, les actes terroristes, les discours engagés de certains politiciens classant systématiquement des peuples du côté du Mal ou du Bien sont des événements qui pourraient amener à de dangereuses dérives s’ils sont mal interprétés. Mais le racisme est aussi un sujet bien local, qui touche directement le Québec et son melting pot ethnique construit au fil des immigrations. Tolérance et acceptation doivent être entretenus pour réussir l’intégration des différentes communautés et conserver ainsi l’équilibre social essentiel au développement de notre province. Sous le signe de
la diversité, la SARC mène un combat contre ces risques à travers une variété de médias. Des activités en tout genre Afin de toucher toute sorte de public, des manifestations de tous types sont présentées. Pour y voir plus clair dans cette mobilisation, la SARC a classé les activités en trois thèmes: art, débat et éducation.Voici un petit aperçu de cette semaine à Montréal. Côté art, l’exposition de caricature Le raciste, c’est l’autre au Marché Bonsecours relève le défi d’aborder un problème sérieux avec humour. Le 20 mars, les humoristes Boucar Diouf, Mohsen et Erika Leclerc-Marceau opteront aussi pour le rire pour se mobiliser contre le racisme. Pour ce qui est de la création musicale, deux concerts seront donnés. Le 13 mars, Romani dorm, sur la route des tziganes promet de vous faire chavirer avec l’intensité d’une musique rythmée qui raconte l’histoire d’un peuple trop souvent malmené. Le 17 mars, Solidarythmé contre le racisme rassemblera des artistes de différents horizons. Le Spectrum s’animera avec les poésies et chansons troubadours de la Rue Ketabou, des chansons et percussions du groupe Dobacaracol
et les numéros de cirque du Collectif Carmagnoles. La SARC a aussi choisi le cinéma comme moyen d’expression et de sensibilisation. L’Esquive de Kechiche sera projeté le 19 mars à la Cinémathèque québécoise. Le thème central de ce gagnant de plusieurs Césars en 2005 porte bien sur les minorités culturelles. Pour les plus intellos, des débats et rencontres avec des écrivains, journalistes et délégations internationales de jeunes permettront de réfléchir par exemple au rôle de la littérature dans le combat contre le racisme et l’antisémitisme ou encore à la question du profil racial. Enfin, la SARC tente aussi son éducation des plus jeunes, interpellés ici par le sport. Un tournoi de soccer qui promet d’être haut en couleur aura lieu le 19 mars. Bref, de la forme au contenu, en passant par les prix, tout semble avoir été mis en œuvre pour toucher un vaste public. On espère que ce dernier sera réceptif mais surtout que ce genre d’événement aura des retombées concrètes. Une semaine risque d’être trop courte pour convaincre les plus obtus. Heureusement, Montréal reste encore, je pense, un modèle dans
L’histoire d’un bain...
Cette année, la Semaine d’action contre le racisme s’attaque au thème des boucs émissaires raciaux.
l’acceptation et la valorisation des différences ethniques… x
Pour en savoir plus sur les dates, prix et lieux des activités, consultez le www. inforacisme.com.
cultureexpérience
TRACY ROBIN
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haque semaine nous allons au bain public. Quel bonheur! Après la découverte et toutes les surprises de la première fois, c’est le simple plaisir de se rafraîchir, de se laver en profondeur et de se détendre. Laissez-moi vous raconter. Le bain public est situé dans le sous-sol d’un édifice de plusieurs étages. À la porte du bain public, les hommes et les femmes se séparent, se donnant rendez-vous dans une heure. C’est là que nous payons. Que nous restions une ou plusieurs heures, c’est le même prix. Sitôt entrées, nous sommes accueillies par une préposée qui nous remet une serviette de grandeur moyenne et un petit contenant de plastique dans lequel nous mettons notre bouteille de shampoing, le savon et le gant de crin que nous avons apportés avec nous. Cette première pièce est occupée par plusieurs rangées de petits casiers dans lesquels nous déposons nos vêtements. Tous nos vêtements. Tout le monde est nu dans le bain public. La clé qui barre le casier sera enroulée autour de notre cheville
par une corde élastique. Puis nous entrons dans la salle d’eau. C’est vaste, propre et il règne une atmosphère de calme, de détente et de recueillement. Oui, je dis recueillement. Les femmes font leur toilette consciencieusement, avec grand soin. Chacune est bien à son affaire et ne s’occupe pas des autres. Chacune a enfin le loisir de prendre soin d’elle-même, dans sa vie bien occupée. Puisque nous sommes toutes nues, nulle ne sait si l’autre est riche ou pauvre, mère, célibataire, veuve, nous sommes toutes égales, toutes pareilles, chacune avec nos beautés. Personne ne se dévisage ou s’examine, même si je suis étrangère. Chacune s’assoie sur la serviette sur le petit banc de plastique devant un miroir et une douche individuelle. Elles se frottent avec le gant de crin du bout des orteils jusqu’au haut de la tête. Aucune partie du corps n’est laissée pour compte. Elles se font un shampoing, se moussent le corps au savon, reviennent avec le gant de crin encore une fois partout sur le corps, rincent et recommencent à se frotter, à se savonner et à se
laver les cheveux. Sans se lasser. Consciencieusement, comme si elles avaient de la crasse qui ne partait pas. Les grands-mères, les mères, les femmes, les jeunes femmes, les jeunes filles, les petites filles. Toutes font les mêmes gestes. Puis, au milieu de cette grande pièce d’eau se trouvent trois bains tourbillons circulaires dans lesquels une vingtaine de personnes peut prendre place. Le premier est d’eau tiède. Le second est d’eau chaude et le troisième est d’eau bouillante. Je n’ai pas pu me tremper dans le troisième, il était beaucoup trop chaud. Un quatrième bassin, beaucoup plus grand et rectangulaire prend tout un côté de la pièce. On peut y faire des longueurs, et l’eau est très froide. Quel bonheur de passer d’un bassin à l’autre, de l’eau froide à l’eau tiède, de l’eau tiède à l’eau chaude, du chaud au tiède, de revenir au chaud et de finir dans le froid! Des chocs thermiques. Redécouvrir les sensations sur la peau: frissonner sous la morsure du chaud et se détendre au contact de l’eau froide. Mais il reste une autre
partie de la pièce d’eau à explorer: les bains saunas. Les cabines ne sont pas très grandes, à peine peuventelles accueillir cinq ou six femmes à la fois. Quatre possibilités s’offrent à nous. Le premier bain sauna est fait de bambou; plancher, mur, plafond sont faits de bambous. Le second est de pierre. Le troisième est de morceaux de jade de toutes teintes de vert et le dernier aussi de bambou mais avec un bac de gros sel de mer que l’on prend à pleines poignées pour s’en masser le corps. Nous pouvons nous asseoir ou nous coucher sur des bancs ou directement sur le plancher. Certaines cabines ont des petits cubes de bois qui nous servent d’appuis-tête. La température varie beaucoup d’une cabine à l’autre. La plus chaude était celle de pierre. Je devais mettre une serviette sur le banc pour pouvoir m’y asseoir sans risquer de me brûler les fesses. Celle de bambou était la plus confortable, je risquais à tout moment de m’y endormir. Le bain sauna de sel me plaisait beaucoup justement à
cause du gros sel que l’on prenait et avec lequel on se décapait le corps, encore une fois. Juste en sortant des bains saunas, il y avait cinq gros jets d’eau qui tombaient sans interruption. Il y avait un gros jet d’eau plutôt froid que nous faisions couler sur notre colonne vertébrale, tout le long du dos, sur chacune des vertèbres, bien distinctement, à partir du haut du cou jusqu’au bas des reins. Et on reprenait l’alternance avec les bains tourbillons: chaud, tiède, froid, pierre, jade, bambou, gros sel, jet d’eau, chaud, pierre, tiède, jade, bambou, froid... Et lorsqu’il fallait partir, nous revenions aux casiers et sans nous être essuyées, nous remettions nos vêtements. C’est ce qui nous était recommandé: de laisser sécher notre corps à l’air libre. Pouvez-vous imaginer dans quel état nous sommes en sortant des bains publics? Propres, immaculées, sans taches, nettoyées en profondeur et détendues. Un véritable bonheur coréen, une qualité de vivre. x
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Ah! Comme la slush a slushé!
culturefestival
La Quinzaine de la poésie envahit la ville jusqu’au 24 mars. JEAN-FRANÇOIS SAUVÉ
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ien que Dame Nature soubresaute et qu’il semble précoce de croire que le printemps arrive, la quinzaine de la poésie de Montréal, elle, a pris son envol le 6 mars et se terminera le 24. Tout cela s’articule autour du 21 mars, soit l’arrivée du printemps, mais également la journée internationale de la poésie. Comme pour les années précédentes, cette Quinzaine se veut éclectique, visant à sortir la poésie de son moule habituel pour l’intégrer à d’autres médiums. Au programme donc, musique, spectacles et expositions, ainsi que de multiples rencontres et tables rondes avec les écrivains d’aujourd’hui. Le groupe Loco Locass, ardent défenseur de notre langue et ayant lancé Amour Oral en 2004, est le porte-parole de cet événement qui se veut rassembleur de la poésie et du peuple. D’ailleurs, en marge de cette Quinzaine, vous êtes invités à participer au Concours de poésie électronique, en allant sur le site du journal Voir au www.voir.ca/poesie. Les activités se déroulent dans les maisons de la culture de chaque arrondissement de la ville et les laissez-passer sont gratuits. L’occasion est belle pour se ressourcer dans cet univers de mots, souvent bien moins élitiste et distant que l’on pense. Ce lundi 21 mars, un débat intitulé «La poésie: pourquoi, pour qui?» sera présenté à la Maison des Écrivains justement pour comprendre et orienter la
poésie d’aujourd’hui dans notre société. Les artistes qui se produiront ne sont pas tous considérés comme des «poètes», même s’ils jonglent avec les mots et les sons tout aussi habilement. Parmi ces artistes, notons l’excellent Jérôme Minière, qui ira faire un tour chez Herri Kopter le 24 mars, au Cégep Maisonneuve. La même soirée, à la Maison de la Culture Ahuntsic, Plywood ¾ et leurs instruments inusités viendront faire vibrer le Nord de l’île. Stanley Péan, quant à lui, propose La Plage des songes, un spectacle tablant sur les relations humaines sur fond de société, où le rêve et la réalité s’entremêlent en un tout, le samedi 19 mars. Ce spectacle est également présenté dans le cadre de la Semaine contre le racisme, et il sera présenté pour la première fois en français, après sa présentation au Mexique en 2003. Et à tout seigneur tout honneur, l’œuvre torturée d’Émile Nelligan sera récitée par nul autre qu’Albert Millaire, accompagné au violon par Anne Robert, le 17 mars à la Chapelle du Bon-Pasteur (100, rue Sherbrooke Est). Côté rencontres, Clémence Desrochers sera dans l’Ouest, à la Maison de la Culture de Dollard-Des-Ormeaux, ce mercredi. Impossible de prédire l’issue de ce rendezvous avec cette humoriste, peintre, poète et comédienne. Le dimanche 20 mars appartient à Michel Garneau, et commence à
Les Loco Locass sont invités à la Quizaine de la poésie.
11h à Pointe-aux-Trembles avec un brunch poétique intitulé «Petite anthologie de la poésie québécoise». De quoi rafraîchir la mémoire pour ceux dont les cours de français au Cégep sont loin derrière. Il sera ensuite à la Galerie Clair-Obscur, rue Beaubien, à 17h, pour livrer un récital d’œuvres choisies de Leonard Cohen, qu’il a traduites à la demande de l’artiste. Encore une fois, cet événement est entièrement gratuit – une belle façon
Burlesque à l’honneur
de rencontrer ceux qui gardent notre langue vivante dans la société québécoise d’aujourd’hui. x La liste complète des activités est disponible sur le site de la ville de Montréal, et les dépliants se trouvent également un peu partout dans la ville. Pour assister à une activité, contactez l’une des maisons de la culture pour obtenir un laissezpasser.
culturespectacle
L’Association Queer McGill a présenté le Burlesque Show mercredi passé. CLÉMENCE REPOUX
L
’Association Queer McGill est un service offert par la SSMU aux élèves de McGill. C’est une association qui cherche à encourager la visibilité sur le campus pour les homosexuels, lesbiennes, bisexuels, transsexuels… Elle s’occupe de différents programmes, entre autres le programme Allies, qui organise des ateliers de sensibilisation dans les lycées de Montréal, ainsi que la Queerline, qui est une ligne téléphonique de nuit qui propose aide et support. Queer McGill organise aussi divers événements ponctuels au cours de l’année, comme entre autres la Pride Week qui s’est déroulée la semaine dernière. Mercredi passé a eu lieu le Burlesque Show, qui était un spectacle caritatif donc les profits étaient reversés à l’association Projet 10, un «organisme qui vient en aide et qui apporte du soutien aux jeunes gais, aux jeunes lesbiennes, aux jeunes bisexuel(le)s et aux jeunes qui se posent des questions sur leur orientation sexuelle». Le spectacle faisait l’apologie du burlesque sous toutes ses formes.
L’association est parvenue à réunir de nombreux professionnels, notamment Sacha Von Bon Bon, artiste burlesque tout droit venue de Toronto, qui écrit une colonne sur la sexualité dans le Montreal Mirror et qui a fait un sketch très remarqué. D’autres groupes d’artistes professionnels étaient aussi présents: Blue Light Burlesque, les Dead Doll Dancers, et les Oops Johnny. À la fin de la soirée, le groupe électro punk montréalais Lesbians on Ecstasy (nominé pour un Montreal Music Award) a fait une performance remarquable. D’autres événements ont eu lieu au cours de la semaine. Jeudi, par exemple, Kate Bornstein, l’auteur de My Gender Workbook, a donné une conférence sous forme de monologues provocants afin de partager son expérience de transsexuel. Elle qui aujourd’hui ne se sent ni homme ni femme questionne l’idée de la catégorisation masculine-féminine. Enfin, samedi soir a eu lieu le traditionnel Homo Hop, qui a réuni près de 400 personnes et qui est parvenu à transformer une fois
de plus la salle de bal du pavillon Shatner en une discothèque en folie! Pour ceux qui ont manqué cette occasion, sachez que Queer McGill
organise deux soirées Homo Hop par an. x Pour plus d’information, visitez le site
de Projet 10: www.p10.qc.ca ou celui de Queer Mcgill: www.queermcgill.ca Pour la Queer Line: (514) 398 2106.
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Deux artistes: microcosme de la fable d’une nation
culturecinéma
C’est à travers le regard de deux artistes moscovites que le documentaire L’Arbre aux branches coupées de Pascale Ferland propose d’aborder la Russie, son art et la souffrance de son peuple dont on a volé les espoirs. AGNÈS BEAUDRY
I
l y a des livres, des films ou des chansons qui évoquent mille images chez le spectateur et lui révèlent des vérités simples qu’il avait encore une fois oubliées. La production de Qui vivra verra films, L’Arbre aux branches coupées, documentaire de Pascale Ferland, est l’un de ces spécimens. Ce long-métrage, racontant l’histoire de deux artistes moscovites ayant vécu la majorité de leur vie sous le régime soviétique, est né de l’interrogation que se posait Ferland au sujet de l’art brut en Russie. Ce dernier prenant racine au cœur même du peuple lui semblait être une illustration parfaite de l’idéologie socialiste, et la question de son devenir au sein de l’empire déchu l’a poussé à faire enquête. Non point une étude sur l’art, par contre, L’Arbre aux branches coupées est devenu «un regard sur les individus eux-mêmes», nous dit l’auteur. Alexeï Ivanovitch Kantsurov et Alexeï Yakovlevitch Sizov ont chacun servi dans l’armée pour ensuite être démobilisés et, le premier, logé dans une petite chambre qu’il n’a pas quittée depuis 36 ans, le second, ayant été assigné à
la tâche de garde forestier. Sizov a espéré toute sa vie que le régime lui fasse justice et le remercie de ses efforts, minime récompense que de lui donner ce qu’on lui avait promis, un logement qui lui appartiendrait et où il pourrait terminer sa vie. Par peur de la misère qui, comme la peste, court dans les rues de Moscou, de peur de se retrouver sans abris, il attend toujours, bien que cette attente ne soit plus nourrie par l’espoir, mais plutôt par son contraire. Pour s’occuper et pour manger, il peint. C’est ce qu’il dit avoir toujours voulu et aimer faire et, maintenant, la seule chose qu’il ait encore la force de faire. C’est un témoignage touchant que celui de ce vieil homme qui, dans sa lucidité déclinante, réussit à garder l’essentiel de la réalité en tête. C’est davantage émouvant d’entendre de quelqu’un qui en a fait l’expérience par son existence ce que tous savent trop bien: que le bonheur, ce sont les beaux souvenirs que l’on garde du passé et des gens que l’on a aimés. Kantsurov ne raconte pas la même histoire que Sizov bien que leur témoignage, dans leur forme, soient semblables.
L’Arbre aux branches coupées raconte l’histoire d’artistes vétérants de l’armée soviétique.
C’est leur mode d’esprit qui les différencie. Le premier a vite laissé les événements le guider, tandis qu’Alexeï Ivanovitch n’a jamais tué le contestataire et le révolté qui l’a habité durant sa jeunesse. Il peint la réalité parce que, d’après lui, elle sait parler. Voyant la misère juxtaposée aux ressources et à la grandeur qu’il sait que la Russie possède, sinon de façon actuelle, en puissance, il tente de dénoncer cette antithèse et espère un jour voir la contradiction s’effacer. Il s’est fait jadis expulser de l’armée pour en avoir trop dénoncé, et continue de même malgré sa
conscience que ses actions et ses espoirs sont souvent illusoires. Il confronte donc le spectateur nordaméricain qui, repu, n’hésite pas à abandonner et, par paresse, à cesser de rêver. Peut-être est-ce l’histoire russe qui évoque le romantisme, peutêtre est-ce l’optique qu’a prise Ferland pour nous présenter l’une des réalités moscovites, ou peutêtre est-ce, ironiquement, le format documentaire qui, en certifiant que rien est fiction, en augmente la profondeur et permet une plus grande identification entre sujets et
L’histoire de la fin
spectateurs? Peu en importe la cause, je suis sortie du cinéma envahie d’un calme nostalgique et l’esprit plein de réflexions éparses, mais précises, de celles qui ne s’imposent pas mais qui ne font que flotter autour du «moi», le prévenant de sombrer dans le confort ignorant qui conduit chaque jour nos actions. Ni de l’histoire ni de la politique, à peine de la philosophie ou une réflexion artistique, L’Arbre aux branches coupées, c’est la petite feuille morte que l’on a trouvée à ses pieds et qui témoigne que jadis, au-dessus de notre tête, il y avait un univers composé de toutes les teintes de vert et que l’erreur a été de penser que le ciel qui se cachait derrière avait quelque chose de plus grandiose à nous révéler… Petit microcosme de la fable d’une nation qui, aujourd’hui, crie la faim et la déception. x L’Arbre aux branches coupées sera présenté jusqu’au 16 mars 2005 à 17h45 et 21h25, au Cinéma Parallèle (ExCentris), 3635, boulevard StLaurent (coin Sherbrooke). Pour la billetterie: (514) 847-2206. Pour plus d’information: www.ex-centris.com.
culturecinéma
La Chute raconte les derniers jours du régime nazi. DAVID PUFAHL
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ertains événements historiques ne devraient jamais être vus avec trop de recul. La deuxième guerre mondiale et l’extermination de six millions de juifs par le régime nazi en sont de bons exemples. On se rappellera la flagrante erreur de jugement du prince Harry qui s’est déguisé en nazi lors d’une fête, il n’y a pas si longtemps. Heureusement,
les films traitant de l’Holocauste ou de la guerre elle-même pullulent. Le dernier de ces films est La Chute, un drame historique traitant des derniers jours d’Adolf Hitler avant son suicide. Il s’agit du premier film allemand parlant ouvertement du sujet et il est réalisé par Oliver Hirschbiegel, le créateur de L’Expérience. Vers la fin du mois d’avril 1945,
Bruno Ganz joue le rôle de sa vie dans La Chute.
Adolf Hitler (Bruno Ganz) se réfugie dans son bunker à Berlin et donne des ordres afin de repousser l’armée russe qui se retrouve en territoire allemand et qui bombarde la ville. Avec lui se trouvent ses plus proches conseillers, dont Joseph Goebbels (Ulrich Matthes), accompagné de sa femme et de ses six enfants. Il y a aussi sa secrétaire personnelle,Traudl Junge (Alexandra Maria Lara), et sa fiancée Eva Braun (Juliane Köhler). Hitler croit mordicus qu’il peut renverser la vapeur contre les Russes, mais ses conseillers ne font que constater l’évidence: ils sont perdus. Leurs réactions sont multiples: plusieurs se suicident, dont Hitler, d’autres veulent sauver leur peau au plus vite. Lors de sa sortie en Europe, ce film a soulevé beaucoup de controverse. On accuse ce film d’humaniser Hitler et d’en dresser un portrait flatteur. Personnellement, je ne suis pas d’accord avec cela. On voit Hitler comme on se l’imagine: un homme impitoyable qui devient ou qui est devenu cinglé. Il est vrai
qu’il est difficile pour n’importe qui de séparer le mythe de l’homme. Il représente des choses tellement ignobles qu’on ne veut pas croire qu’il peut être humain. Le principal but de ce film, en fait, est de nous montrer les réactions des Nazis face à la déchéance de leur chef. Tels des membres d’une secte suivant leur gourou, ils réagissent de manière extrême. Plusieurs tombent dans une phase de dénégation comme Eva Braun, qui tient à faire la fête à la surface même pendant que Berlin se fait bombarder. D’autres refusent tout simplement de vivre dans un monde où le nazisme ne régnerait plus en maître. Ils se suicident et emportent leurs bien-aimés avec eux. Enfin, il y en a certains qui sortent de leur hypnose proverbiale et qui veulent s’en sortir. Cette tentative de montrer les Nazis comme des personnes de toutes sortes est assez noble. Un des derniers films sur l’Holocauste, The Pianist, avait fait la même chose, en nous montrant un portrait plus
nuancé d’un officier nazi. D’ailleurs, l’acteur qui jouait cet officier qui a sauvé Szpilman, Thomas Kretschmann, a un petit rôle dans La Chute. Lui et les autres acteurs sont excellents, Bruno Ganz en particulier. Il incarne un Hitler plus vrai que nature. Le seul problème avec sa performance, c’est qu’il risque d’être reconnu uniquement à cause de celle-ci à l’avenir. Il s’agit d’un acteur allemand qui a fait beaucoup de films dans son pays natal, mais j’ai bien peur que d’un point de vue international, on ne le reconnaisse que pour son interprétation d’Hitler. En terminant, je dois mentionner quelque chose de capital: allez voir ce film en version originale sous-titrée. Il y a quelque chose de particulier dans la langue allemande qui se perd automatiquement lors d’un doublage. Je pense cela pour tous les films en langue étrangère, mais celui-ci a de si bons acteurs que ce serait un gaspillage de voir ce film doublé. x
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Hommage à Peter Schamoni
culturefestival
Le Festival des films sur l’art présentera le film Max Ernst – My Vagabond Life, My Disquiet. SÉBASTIEN LAVOIE
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e film, qui remporta les honneurs de la meilleure biographie lorsqu’il fut en compétition lors de la dixième édition du FIFA, est présenté cette année pour rendre hommage au travail de maître que Peter Schamoni a accompli au cours de sa vie en tant que documentariste, et aussi parce qu’il est membre du jury pour cette année 2005. Ainsi, le Festival insistera sur plusieurs de ses œuvres qui se distinguent dans le domaine des films sur l’art. Peter Schamoni est à la fois réalisateur, producteur et diffuseur. En plus de porter tous ces chapeaux, il réussit avec brio à manier l’art du montage et du collage. Mélomane averti, il sait comme nul autre sonder les profondeurs du psychisme des artistes, dont il restitue toute la force au cinéma. Schamoni sait communiquer habilement son amour pour l’art, et ses films rencontrent et touchent un vaste public. Son portrait du peintre, sculpteur et dessinateur Max Ernst est fait avec tellement de soin que l’amour transcende l’écran. Schamoni fut très soucieux des détails présentés dans le documentaire, car non seulement il vouait une passion pour les créations de cet artiste, mais il était aussi un ami personnel de Max Ernst. Celui-ci fut une figure majeure dans l’art du XXe siècle. Ainsi ce film évoque-t-il
Le Festival des films sur l’art présente le portrait de Max Ernst.
l’artiste et l’homme dans les lieux où les gens et les paysages ont influencé son art. Le film retrace la carrière de l’artiste, depuis l’époque du mouvement Dada à Cologne, les années passées à Paris au cœur du surréalisme, sa retraite provençale, son départ pour New York, sa vie en Amérique, en particulier dans le désert de l’Arizona et son expérience avec les Indiens Hopis, jusqu’à son retour en Europe. Le XXe siècle fut une période révolutionnaire pour
sensiblement tous les arts. Dans son travail créatif et artistique, Ernst étudia, décomposa et ultimement réinventa son art. Pour soutenir les images du documentaire, Schamoni a judicieusement choisi de les accompagner de la musique d’Igor Stravinsky, qui lui aussi transforma grandement les méthodes de création de sa discipline. Cette biographie intimiste s’inspire de deux sources principales: les mémoires de Dorothea Tanning, qui fut la femme de Max Ernst, et le recueil de souvenirs qu’a publié son fils Jimmy Ernst. Les extraits des inestimables archives personnelles du cinéaste font revivre Ernst qui raconte d’une manière simple et poétique les différentes étapes de son œuvre visionnaire, et fait revivre les aléas d’une existence vagabonde. Par conséquent, ce film fut conçu pour rendre un hommage posthume à Max Ernst (1891-1976) afin de célébrer le centième anniversaire de sa naissance. Décidément, le choix de cette minirétrospective des travaux de Peter Schamoni est vraiment pertinent car ses œuvres représentent exactement ce en quoi un film sur l’art doit consister. D’ailleurs, tout cinéaste en herbe devrait porter attention aux standards de qualité qu’a établi maître Schamoni.
Devenir cinéaste au Québec
Malheureusement, pour ces futurs réalisateurs qui étudient les bases de cet art, le prix pour assister à une séance s’élève à 8,50 $, ce qui peut être coûteux pour certains. Mais le fait que le festival regorge de créations judicieuses (comme dans le cas de Schamoni) et que plusieurs films en valent le détour, cela rend la participation au FIFA onéreuse. Pourquoi ne pas instaurer un tarif spécial pour les étudiants: une carte qui donnerait accès aux très nombreuses projections? Les étudiants en art (futurs réalisateurs, musiciens, écrivains, etc..) constituent un secteur particulier de spectateurs que le FIFA devrait privilégier. En conclusion, le choix pour les étudiants d’assister au festival s’avère un investissement pour le futur de la société en général. Le pont que leur tendrait le FIFA résultera en des bénéfices mutuels. L’art et l’entraide ont des vertus similaires: ils sont intemporels et permettent de rendre ce monde agréable à vivre. x Max Ernst – My Vagabond Life, My Disquiet sera présenté le 17 mars à 21h30 au Goethe Institut, 418, rue Sherbrooke Ouest, précédé par le court métrage intitulé Insomnia - Dorothea Tanning. Pour plus d’information: www.artfifa. com.
culturecinéma
Les enjeux et l’importance du documentaire – aperçu d’une jeune réalisatrice. NICHOLAS BELLEROSE
A
nnie St-Pierre a les yeux brillants et remplis de passion lorsqu’on lui parle de cinéma. Quand on entre dans le sujet du documentaire, on ressent en plus une fébrilité, une grande détermination et une intégrité attachante. Il faut dire que ses débuts de réalisatrice et scénariste pour son premier projet Jean-Pierre Ronfard: Sujet Expérimental, sorti en 2003, inspire confiance. Encore étudiante en cinéma à l’UQÀM, elle dressa le portrait d’un des hommes de théâtre les plus marquants de sa génération. Après sa sortie, son film a pris l’affiche aux Rendezvous du Cinéma Québécois, aux Rencontres Internationales du Documentaire de Montréal et à l’Ex-Centris. Arrivée à ce résultat par ses propres efforts, elle nous éclaire sur le milieu actuel. «Au Québec, nous sommes de plus en plus fiers de notre cinéma, on a une culture cinématographique propre et le marché réussi à ne pas se laisser totalement envahir par le cinéma américain, contrairement au reste du Canada.» Aujourd’hui, on reconnaît cette culture par des fiction comme Les Invasions Barbares ou La Grande Séduction. Cependant, le cinéma québécois s’est fait reconnaître en premier lieu par ses documentaires. Émettant ce constat, elle souligne aussi combien il faut du vécu pour se lancer dans
les œuvres de fiction. Plusieurs réalisateurs ont d’ailleurs commencé avec la forme documentaire, citons au passage Denys Arcand et Pierre Falardeau. Cette forme de cinéma semble une vraie source de vie et d’inspiration pour tout jeune voulant apprendre. Un professeur tel Jean-Pierre Masse de l’UQÀM amène ses étudiants à développer un regard anthropologique, créatif et de réflexion au cinéma. Annie St-Pierre nous fait réaliser combien il est essentiel «d’aller chercher ce qu’il y a de vrai, d’aller vers des personnages réels pour apprendre sur son monde et avoir quelque chose à livrer dans ses films». C’est d’ailleurs en allant vers les gens de l’Île-aux-Coudres qu’un de nos plus grands documentaristes, Pierre Perreault, réalisa Pour la suite du monde. Avec ce projet, il remporta une première palme pour le Québec lors du Festival des Films de Cannes en 1963. Donc, se suffisant à luimême, le documentaire demeure une grande école pour plusieurs cinéastes. D’ailleurs, on le préfèrera souvent à la pub pour se faire la main même avec les restrictions de budget. En fait, avec l’arrivée du numérique, sans cachet d’acteurs à remplir et souvent praticable en équipe technique réduite, le documentaire s’avère une forme de création abordable.
La cinéaste Annie St-Pierre dresse, dans ses documentaires, des portraits d’hommes qui ont marqué sa génération.
Cependant, la démocratisation de ce moyen d’expression a aussi amené une difficulté de reconnaissance pour la relève. Il y a beaucoup de talent, mais peu vont recevoir de l’aide financière pour exploiter leurs projets. Par exemple, cette année, Téléfilm Canada a reçu deux fois plus demandes de subvention. La compétition est devenue féroce. Certes, il existe d’autres organismes comme la SODEC ou le Conseil des Arts et Lettres du Canada, mais «un cinéaste ne faisant pas partie d’une maison de production se confronte à de grandes difficultés de reconnaissances de son travail et à une montagne de préparation pour préparer les dossiers exigés en vue d’obtenir des fonds publics» nous confie Annie St-Pierre. «La production est un
domaine complexe et il est difficile pour un scénariste et/ou réalisateur de porter tous les chapeaux.» Par ce fait même, elle questionne aussi les montants d’argent accordés aux supers productions. Les projets chapeautés par les grandes boîtes de production ont-ils vraiment besoin d’aide financière? Ainsi, un nouveau venu voulant faire sa place doit s’intégrer dans le milieu. Mlle St-Pierre nous dit «qu’il faut s’impliquer, diversifier ses approches et s’intéresser à tous les rouages du milieu au départ, afin de mieux les comprendre, les maîtriser… pour finalement pouvoir s’en libérer.» C’est d’ailleurs en s’occupant des relations de presse pour les Productions Virage qu’elle s’intégra un peu plus dans le milieu. La présidente, Monique Simard
ayant remarquée son talent, lui a proposée de la supporter comme réalisatrice de documentaire. Elle travaille maintenant sur un nouveau projet au sein de cette boîte de production étant reconnue dans le documentaire engagé. Finalement, on s’aperçoit combien il est difficile de créer des films au Québec. Une cinéaste telle Annie St-Pierre nous transmet ce désir de rester intègre et libre face à la création malgré les difficultés rencontrées. Elle nous fait aussi voir l’importance du documentaire dans l’évolution des cinéastes, mais particulièrement sur l’ensemble du cinéma québécois. Nos artistes du septième art requièrent beaucoup de détermination, de patience et temps pour écrire leurs scénarios. Dans ce marché actuel, ils dépendent des programmes gouvernementaux pour survivre. La raison de chercher et d’encourager une relève authentique plutôt que d’investir dans des produits culturels formatés est simple: «le cinéma et le documentaire trouve son sens en portant un regard critique, un regard engagé d’auteur; il devient alors à la fois mémoire et la conscience sociale…» mentionne avec justesse Mlle St-Pierre. Cet idéalisme est sûrement partagé par plusieurs autres cinéastes et il apparaît primordial de faire entendre ces nouveaux talents à travers leurs pellicules. x
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Le Délit x 15 mars 2005
Bird Thongchai Rub Kaek (GMM Grammy)
B
ird Thongchai sévit sur la scène musicale thaïlandaise depuis vingt ans déjà, avec une pop très léchée, sucrée et ô combien populaire dans ce pays. Je me suis procuré ce disque lors d’un voyage l’an dernier, après avoir entendu «Fan Ja» et «Ma Tummai» jouer partout, comme si le pays entier vibrait au son de cet artiste, qui est également acteur. Côté musical, Rub Kaek est de la pop on ne peut plus typique, où les rythmes dansants avec synthétiseurs alternent avec des balades sirupeuses (telles «Roo mai» et «Tong tod dao»). Mais, comme pour Elvis Crespo par exemple, c’est le côté absolument «quétaine» qui fait la force de l’album; de plus les paroles en thaïlandais ponctuées
d’insertions anglaises – un «love you» ici, un «clap your hands» par-là – rendent la chose plus supportable. Il y a aussi ces cris d’éléphant ponctuant «Fan Ja» (qui se traduit plus ou moins par «Hé chérie!») et autres sonorités de clavier bizarroïdes (telles dans l’époustouflant pseudo-reggae «Ten rum tun krua») qui donnent un cachet unique à ce disque fort agréable, si pris avec modération. Bref, il s’agit plutôt d’un souvenir de voyage que d’un album qui s’écoute régulièrement, bien qu’il fasse très bien l’affaire pour mettre de l’ambiance dans un party. Et quiconque partant en voyage en Thaïlande doit impérativement se procurer cet album. De plus, les CDs thaïlandais ne sont que légèrement plus chers que ces CDs occidentaux copiés que l’on vend dans les rues de Bangkok et de Chiang Mai; raison de plus pour se permettre de découvrir l’œuvre de Bird Thongchai McIntyre et de dérider ses proches au retour. x JEAN-FRANÇOIS SAUVÉ