Le seul journal francophone de l’Université McGill.
Volume 95, numéro 10
Le mardi 22 novembre 2005
www.delitfrancais.com
En manque de batterie depuis 1977.
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xLe Délit • 22 novembre 2005
nouvellesfestival
Le documentaire critique: outil essentiel d’information La huitième édition des Rencontres internationales du documentaire à Montréal prend fin après dix jours de programmation à saveur politique. MARC-ANDRÉ SÉGUIN
C
’est dimanche dernier que s’est terminée la huitième édition des Rencontres internationales du documentaire à Montréal, un festival du documentaire où le public était invité à se questionner sur les progrès de la démocratie dans le monde. «En ces temps tourmentés où toute notre vigilance est sollicitée, nous vous proposons une sélection de films et de regards en provenance d’une trentaine de pays. Pour cette 8e édition, nous avons voulu constater l’état de la démocratie dans le monde, avec ses avancées mais aussi ses reculs», annonçait-on dans le mot de bienvenue du festival. C’est donc une orientation toute politique que les organisateurs ont voulu donner cette année à l’événement, où cent douze films engagés ont été présentés dans diverses salles à Montréal. Parmi les œuvres à l’affiche, des longs
et courts métrages de provenances diverses et traitant de thématiques liées à plusieurs régions du monde se sont succédés. Quelques documentaires se dégageaient de la programmation de façon particulièrement frappante. Notons Liberia: An Uncivil War, documentaire-choc dressant un portrait de la guerre civile au Liberia. Deux réalisateurs, avec des équipes distinctes, y suivaient de près les forces opposées dans leur confrontation finale pour le contrôle du pays. À cela s’ajoute North Korea, A Day in the Life, portrait sans narration du quotidien d’une famille nord-coréenne et des effets de la propagande à laquelle elle est exposée. D’autres documentaires, tels que Mohawk Girls et Autochtones: entre tradition et modernité, sont venus soulever des questions liées à des problématiques plus près du Québec.
À travers ces films, les Rencontres internationales du documentaire ont cherché à alimenter le débat sur plusieurs des questions soulevées par leurs représentations en organisant des séances de discussion après certains visionnements, notamment avec les réalisateurs des films. Avant tout, l’organisation du festival les Rencontres internationales du documentaire dit venir combler un manque d’analyse en profondeur des événements de l’actualité, considéré comme la lacune principale de l’ère de l’information continue. Le président du festival et cinéaste Philippe Baylaucq écrivait d’ailleurs: «Poussés dans l’arène, les faiseurs de nouvelles livrent leur propos en direct, les enjeux de questions importantes sont résumés à outrance, la complexité du monde escamotée au profit de perspectives
réductrices. Certes, ce débat en public peut constituer un bon spectacle, mais de toute cette mouvance visuelle, de tout ce bavardage démocratique, que reste-t-il de substantiel?» Selon lui, l’importance du documentaire prend donc sa place dans les questionnements plus poussés que ses auteurs amènent, et il appartiendra ensuite au public de les lier aux informations brutes livrées chaque minute. «La démarche du cinéaste se mesure sur toute une vie, la portée d’un documentaire sur des années de travail. Comment faire pour arrimer le monde des manchettes instantanées à la longue maturation que demande chaque documentaire d’auteur?». Mêlant l’expression artistique à la formation citoyenne, l’événement aura pris fin avec un bilan qui reste toujours à être évalué. x
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Les marchands du temple de l’éducation
éditorial
Le seul journal francophone de l’Université McGill
Résumons la politique de McGill à l’égard de ses bienfaiteurs: donnant-donnant. LAURENCE BICH-CARRIÈRE ET DAVID DROUIN-LÊ
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Quand les profs trichent
Volume 95 Numéro 10
rédaction 3480 rue McTavish, bureau B•24 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : (514) 398-6784 Télécopieur: (514) 398-8318 redaction@delitfrancais.com
tonnant, non, pour une autre de ces universités qui passe son temps à se plaindre de n’avoir pas assez d’argent de recevoir en même temps des dizaines de millions en dons privés? Comment laisser sa marque Il y a quatre façons pour les commanditaires d’aider à apporter de l’eau au moulin des finances d’une université: ils peuvent sponsoriser un pavillon, une faculté, une salle de cours ou une chaire de recherche. McGill semble avoir compris comment maximiser les dons. En échange d’une injection de 22 millions, l’Université flatte l’ego de Marcel Desautels en incluant son nom dans celui de la faculté de gestion. Pourtant, l’édifice de l’école garde le nom de Bronfman, qui en a financé les poutres et les solives. Belle façon d’essayer d’avoir le beurre et l’argent du beurre. Les nouvelles installations de l’École de musique, récemment rebaptisée École de musique Schulich en l’honneur du gentil magot d’un philanthrope mélomane, attendent d’ailleurs toujours un mécène digne de ce nom ou plutôt un portefeuille dignement garni. En France et en Allemagne, où l’État assume tous les frais associés aux infrastructures, universitaires la pratique est toujours inconnue, ce qui n’est pas le cas dans les établissements du Canada anglais et des États-Unis. En ce qui concerne les universités francophones du Québec, l’Université de Montréal n’accepte de tels dons que depuis quelques années. De plus, si l’UQÀM et l’Université Sherbrooke refusent toujours catégoriquement ce genre de financement pour leurs installations, il leur est devenu impossible de résister à la pression des compagnies à l’égard des chaires, surtout en sciences. On y trouve ainsi des chaires Merck Frosst, Hydro-Québec et LotoQuébec. Une chaire de recherche LotoQuébec, pour quoi exactement? En tirage de boules? En psychologie? En suicide? Quant aux salles de cours, le phénomène paraît pour l’instant limité aux HEC qui se sont lancés à fond la caisse dans le corporatisme publicitaire avec des salles Price Waterhouse Coopers, Banque nationale ou Téléglobe et
xLe Délit bureau publicitaire 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone: (514) 398-6790 Télécopieur: (514) 398-8318 daily@ssmu.mcgill.ca rédacteur en chef david.drouinle@delitfrancais.com David Drouin-Lê chefs de pupitre-nouvelles nouvelles@delitfrancais.com Laurence Bich-Carrière Jean-Philippe Dallaire chef de pupitre-culture artsculture@delitfrancais.com Agnès Beaudry rédacteur-reporter Marc-André Séguin coordonnateur de la production production@delitfrancais.com Alexandre de Lorimier coordonnateurs de la photographie Les frères Lumière coordonnateur de la correction Pierre-Olivier Brodeur
un «Salon L’Oréal». Mentionnons au passage qu’il est évident que les beuveries dans le sous-sol de la faculté de génie de McGill sont moins glamour que les 5@7 dans le très chic et très clinquant «Salon L’Oréal». La politique de McGill est claire: pour avoir un pavillon à son nom, il faut figurer sur la liste des donateurs (dans la section platine s’il vous plaît) ou être décédé. Et on préfèrera toujours les noms d’individus à ceux des compagnies qu’ils ont crées. Existet-il vraiment une différence entre le pavillon J.-A. Bombardier et le pavillon Bombardiertout-court? À quand la faculté de médecine Ronald-McDonald dans l’édifice PhilipMorris? Oh, attendez, c’est presque déjà une réalité avec le pavillon de génie MacDonald, du nom du fondateur de la compagnie JTIMacDonald qui manufacture les délicieuses et si peu nocives cigarettes Export A... Branding à rabais Nous pouvons également nous poser des questions sur l’ampleur des montants
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Les erlenmeyers Dessins de la collection à McGill
qu’amène véritablement ce branding tous azimuts. Les grandes universités américaines refusent de nommer un pavillon en l’honneur de son commanditaire à moins que celuici n’assure la totalité des frais. Qu’en estil au Québec? Eh bien, il semblerait que le «bienfaiteur» le plus souvent appelé à délier les cordons de sa bourse soit encore ce bon vieux gouvernement. Ainsi, le merveilleux nouveau pavillon écolo de l’École polytechnique inauguré cet automne en grande pompe porte le nom de son commanditaire privé, Pierre Lassonde. Il est vrai que ce dernier a fait une généreuse contribution de 8 millions de dollars. Or, le pavillon a coûté au total la modique somme de 104,9 millions de dollars. Polytechnique a elle-même déboursé 22 millions et Québec, 73 millions. Ce cas ne fait aucunement figure d’exception. Au total, les investissements gouvernementaux en la matière totalisent 434 millions de dollars depuis l’an 2000. À quand un pavillon au nom des contribuables? x
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Aux portes du paradis
La dernière réunion des collaborateurs pour cet automne aura lieu aujourd’hui dès 16h au Shatner B•24.
chef illustrateur Pierre Mégarbane collaboration Lucille Hagège, Karin Lang, Flora Lê, Sophie Lestage, Mathieu Ménard, Maysa Pharès, David Pufahl, Mado Rancé, Anaïs Suchail, Samuel St-Pierre Thériault couverture Éric Demers
publicité et direction générale Boris Shedov gérance Pierre Bouillon photocomposition Nathalie Fortune the mcgill daily coordinating@mcgilldaily.com Joshua Ginsberg conseil d’administration de la société de publication du daily (SPD) Julia Barnes, David Drouin-Lê, Joshua Ginsberg, Rebecca Haber, Mimi Luse, Rachel Marcuse, Joël Thibert, Jeffrey Wachsmuth
L’usage du masculin dans les pages du Délit français vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Le Délit est publié la plupart des mardis par la Société de publication du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et illustrations dont les droits avaient été auparavant réservés, incluant les articles de la CUP). Les opinions exprimées dans ces pages ne reflètent pas nécessairement celles de l’Université McGill. L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal. Imprimé par Imprimerie Quebecor, St-Jean-sur-Richelieu, Québec. Le Délit est membre fondateur de la Canadian University Press (CUP) et de la Presse universitaire indépendante du Québec (PUIQ). Imprimé sur du papier recyclé. ISSN 1192-4608
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Insolites à gogo!
Sans commentaire
Soft porn à domicile
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LAURENCE BICH-CARRIÈRE
on, bon, la musique de Noël est commencée. Et avec elle la vente de caisses d’oranges (combien avez-vous pas trimé dans votre jeunesse pour essayer de fourguer ces satanés caisses d’oranges!), de sapins de Noël scouts (mon sapin artificiel perd ses aiguilles comme un vrai, alors…) et de calendriers de pompiers pour l’année à venir. Et dans «calendriers de pompiers», j’inclus tous ces calendriers où les membres d’un groupe plus favorisés par la nature donné se laissent photographier dans le plus simple appareil: pompiers certes, mais également joueurs et joueuses de curling, de rugby, d’aviron, survivantes du cancer du sein ou militants anti-fourrure. On n’avait pas vu un tel engouement pour le concept depuis Kim Campbell. D’ailleurs, devant l’ampleur du phénomène, l’Association naturiste anglaise s’est officiellement plainte, affirmant haut et fort qu’il s’agissait d’une «dépréciation de la nudité». Passons. Je tiens d’abord à porter à votre attention l’ampleur, ô combien sousestimée, des dilemmes moraux qui peuvent surgir de ces calendriers: est-il pis pour une chumette de voir son beau acheter dans le métro le calendrier des cheerleaders des Alouettes ou de le trouver épinglé au mur lors de son prochain passage dans son appartement? Quelle taille doit avoir son sourire béatement mâle lorsqu’on lui rend sa monnaie pour qu’elle ait le droit de lui asséner une claque dans le dos (histoire de lui prouver qu’elle sait aussi les mener)? Autre situation: avec le même regard pathétique qu’un livreur de pizza attendant son pourboire, une jeune joueuse de water-polo vous demande d’encourager son sport en échange de quoi, elle vous fournira de quoi satisfaire vos besoins de nu artistique pour un an (croitelle!). Comme réagir? Serez-vous un tartuffe à la John Ashcroft dont on se rappellera qu’il avait voilé le sein d’une statue pseudo-grecque de Thémis (remarquez, ce n’est pas tous les jours que les politiciens américains remettent Molière au goût du jour: «cachez ce sein que je ne saurais voir»)? Ou choisirez-vous de vous rincer l’œil sous le couvert de la bonne cause? Concluons simplement que l’achat relève sans doute d’un intérêt très bienveillant mais qu’on ne saurait dire entièrement philanthropique. Ce n’est pas une question de ce qu’on voit vraiment, puisque c’est somme toute assez peu –à moins que vous ne suiviez un quinquagénaire bedonnant qui rougit encore comme le petit Spirou d’acheter ses revues osées (les caissières du Multimag que je fréquente semblent d’ailleurs se faire un malin plaisir de mettre lesdites revues du côté extérieur du sac en plastique transparent de ces acheteurs bredouillants qui tentent de noyer la faiblesse de leur chair dans un ou deux Foreign Affairs, quelques Economist et un Paris-Match pour la mesure et la belle-mère). Ce n’est même pas l’idée que l’on puisse suggérer, c’est dans l’effeuillage des sept voiles que transparaît la colère de Salomé et si au lieu de chanter un «dos parfait comme le désert» Richard Desjardins avait parlé d’une «poitrine parfaite comme un chameau», il se serait certainement fait taper sur les doigts. Non, c’est le nombre. C’est la voie facile. Il n’y a presque plus de transgression. C’est trop! C’est partout! C’est comme Google. Le tapage qu’on fait autour de ces calendriers où les exhibitionnistes font plaisir aux voyeurs tronque la délicatesse qu’on devrait y distiller, dont on voudrait les revêtir –puisque c’est bien le seul vêtement dans cette histoire. Or, l’absence de délicatesse en ces matières constitue la première partie de la définition d’obscénité. J’en ai contre le tout-offert banal et la complaisance libidineuse. Ce n’est pas Gloria Leonard, qui disait que la différence entre la pornographie et l’érotisme, c’était une question de lumière, qui viendra me contredire. Au mieux, nous jouerons les dieux en déclin, qui ont oublié depuis longtemps comment tendre leurs arcs pour partir à la chasse: décadents, certes, mais repus.
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L’amour rend aveugle. Louis Kelsey, bonne dans un hôtel de Melbourne, poursuit son employeur pour n’avoir pas empêché un joueur de soccer uruguayen en léger état d’ébriété de l’embrasser alors qu’il venait de gagner un match important pour la coupe du monde. Jusque-là, ça va à peu près. Mais l’histoire se complique quand on apprend que Kelsey, qui a 58 ans, prétend qu’elle en a souffert un stress tel qu’elle est devenue aveugle. Pis encore, bien que le docteur de la défense se soit allègrement moqué du «baiser le plus puissant de l’histoire», l’hôtel s’est dit prêt à négocier une entente hors cour. (UExpress/The Sydney Herald Sun) Le facteur ne répond plus Postes Canada vient de congédier un facteur qui avait accumulé près de cinq cents sacs de lettres représentant un total de plus de 75 000 missives, colis et envois, à son domicile montréalais et à son chalet. Certains résidents du quartier ParcExtension se plaignaient de ne pas recevoir tout le courrier qui leur était destiné, y compris des factures importantes et des offres d’emploi. Si l’on ignore toujours ce qui a poussé le postier à faire de la «rétention postale», l’histoire ne s’arrête pas là! En effet, un autre facteur a été mis à la porte: au courant du vice de son collègue, ce deuxième facteur, paresseux, lui refilait des lettres pour qu’il aille «les distribuer à sa place», tout en sachant qu’il les garderait pour lui. (The Gazette/LCN) Danger à l’Oratoire Toutes les avanies se seront abattues sur le Congrès pro-vie 2005 qui devait se tenir à Montréal et auquel participait Stockwell Day, l’ancien chef de l’Alliance canadienne. D’abord, un groupe prochoix a tout fait pour –c’était même le slogan de leur campagne– faire avorter le Congrès. Un grand rassemblement a d’ailleurs eu lieu devant l’oratoire Saint-Joseph où aurait dû se dérouler le Congrès. Or, la direction de l’Oratoire a invoqué «des raisons de sécurité» pour refuser d’accueillir les congressistes, qui se sont vus contraints de se relocaliser dans le sous-sol d’une église de Cartierville. (CP/ Le Délit). Le carnaval des animaux: Rome! Après avoir obligé les propriétaires de chien à promener leur toutou régulièrement, la ville de Rome vient d’interdire les bocaux à poissons rouges, qui rendraient les poissons aveugles. Avec une loi très dure pour les personnes reconnues coupables d’avoir abandonnés leurs animaux de compagnie (on parle de prison), l’Italie –et surtout la ville éternelle– se veut le chef de file des mouvements contre la cruauté animale. «Le degré de civilisation d’une ville peut aussi se mesurer à la façon dont ses habitants traitent leurs animaux», a déclaré Monica Cirinna, l’élue municipale derrière le décret «poisson rouge». (Reuters/Il Messaggero)
nouvellesinsolite
En trois vitesses En hausse
André Boisclair. C’est ça qui est ça, tout simplement. Le candidat de 39 ans a été en avance pendant toute la course à la chefferie du Parti québécois et il l’a remportée. Même si le vote a été entaché de quelques irrégularités révélées par Jean-René Dufort qui, pour les fins de son émission Infoman a réussi à faire voter un chihuaha et une plante verte, André Boisclair a obtenu 54% du vote, contre 31% pour sa plus proche rivale, Pauline Marois (LaPresse/Radio-Canada)
Au neutre Le nucléaire iranien. Le parlement iranien a accepté aujourd’hui un projet de loi qui viserait à empêcher les inspecteurs de l’Agence de l’énergie atomique de se rendre sur les sites nucléaires du pays. Et dire que l’inspection, déjà reportée plusieurs fois, était prévue pour jeudi... (NYTimes)
En baisse Ariel Sharon. Le premier ministre israélien a annoncé lundi qu’il quittait le Likoud, principale formation politique de droite du pays. Il semblerait que le retrait du Parti travailliste de la coalition gouvernementale n’est pas étranger à cette décision. Son départ s’accompagnera sans doute d’une dissolution de la Knesseth, le parlement israélien, et, donc, d’élections anticipées à la fin de l’hiver. (Radio-Canada/ Bloomberg)
La citation de la semaine
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ous savez, si je suis le président des États-Unis, je me rends au Union Square, et du haut de mon podium présidentiel, je vous dis: “Écoutez, citoyens de San Franciso, vous voulez prohiber le recrutement militaire, allez-y, mais je ne vous donnerai pas une autre cenne d’argent fédéral.Vous voulez constituer votre propre pays, allez-y. Et si Al-Qaïda y vient et vous fait sauter, nous ne ferons rien. Nous leur dirons: l’Amérique vous est hors d’atteinte, sauf San Francisco.Vous voulez faire sauter la Tour Coit, allez-y!”» Bill O’Reilley aurait-il sauté les plombs? Car c’est bien lui qui s’est exprimé en ces termes lors de son émission The Radio Factor with Bill O’Reilly du 12 novembre dernier, diffusée sur les ondes de Fox News. Ces brillantes attaques semblent avoir été suscitées par la possibilité que la ville de San Francisco interdise les recruteurs militaires dans son périmètre. (PH/MediaMatters).
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22 millions, ça change pas le monde, sauf que…
nouvellescampus
Calendrier
La Faculté de gestion reçoit 22 millions et un nouveau nom. ANAÏS SUCHAIL e 17 novembre dernier, la Fondation de gestion de crédit canadienne (FGCC) a donné 22 millions à la Faculté de gestion de McGill. Désormais, cette dernière se nommera la Faculté de gestion Desautels de McGill, en l’honneur de Marcel Desautels, président et chef de la direction de la FGCC qui a approuvé le plus grand don jamais fait à une école de commerce dans l’histoire canadienne. L’argent devrait servir à perfectionner l’enseignement et assurer que la Faculté ait les ressources nécessaires pour rester dans la tête du classement des institutions mondiales. Avec une telle somme, la Faculté de gestion Desautels croit pouvoir attirer des professeurs de renom et des élèves doués, tout en améliorant ses programmes d’enseignement et de recherche. Ainsi, le décanat a prévu de créer
L
plusieurs postes, trois chaires sur le leadership en affaires, six bourses annuelles pour la recherche, un programme d’échange et recherche, un symposium annuel sur la gestion intégrative, des bourses d’études, un service amélioré aux étudiants et de rénover une partie du bâtiment Bronfman. Selon McGill, ce don arrive à un moment critique pour la Faculté de gestion et annonce un futur radieux. Originaire de Winnipeg, le docteur Desautels a étudié en droit à l’Université du Manitoba avant d’ouvrir son cabinet d’avocats. Il travaille ensuite pour la compagnie d’assurances Great-West et le Conseil du trésor du Canada. En 1971, il prend la tête du plus grand bureau de crédit commercial et de rétablissement de dette, la Creditel of Canada. Il la vend à Equifax en 1996, l’argent lui permet de fonder la FGCC et
de se consacrer à ses projets philanthropiques et au développement de l’éducation canadienne. Depuis 1996, la fondation a donné vingt et un millions à l’Université de Toronto, un million au Collège universitaire de Saint-Boniface et cinq millions à l’Université du Manitoba. En 2002, la fondation avait déjà donné un million pour le choix de Marcel Desautels comme responsable du département de la gestion de santé. Le don de vingt-deux millions se traduit aujourd’hui par un nouveau nom pour l’école de commerce de Mcgill qui prend le nom de Faculté de gestion Desautels. Un nouveau logo a été créé. Cela rappelle que la bibliothèque de sciences et de génie Schulich avait été nommée après le don d’un million de Seymour Schulich. x
Les biographies scandaleuses
Le Réseau des franco organisera sa Francofête en janvier. Un mois complet rempli d’activités pour les francophones de toutes les cultures, qui coïncidera le mois des services de l’AÉUM. Quatre semaines thématiques sont au programme (dont une pour la France, le Québec et l’Afrique), qui devraient se conclure par un immense vin et fromage. Si vous êtes intéressés à prendre part à l’organisation de l’événement ou que vous êtes simplement curieux, présentez-vous au Club’s Lounge (4e étage du Shatner), le mercredi 23 novembre à 16h30.
nouvellescontroverse
Chaque semaine, Le Délit choisit un sujet controversé. Les journalistes devant défendre respectivement le pour et le contre sont tirés aux hasard.
Cette Cettesemaine: semaine:Pierre-Olivier Félix Brodeur MeunieretetMarc-André Philippe G. Séguin Lopez s’affrontent s’affrontent dans dans lelering. ring.IlIlest estàànoter noter que queles lespositions positions exprimées expriméesnenesont sont pas nécessairement pas nécessairement partagées partagéespar parleur leur auteur. auteur.
POUR
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es biographies scandaleuses sont des œuvres littéraires qu’il ne faut pas perdre! Qui n’a pas déjà, à l’instar de nos matantes favorites étalées sur leurs chaises longues à lire pour une troisième fois les nouveaux potins d’un 7 Jours en ruminant les derniers on-dit des escapades amoureuses de Brad Pitt, feuilleté une biographie non flatteuse qui nous fait rire par sa manière de dire les vraies choses, sans qu’elles aient été préalablement enrobées de sucre, de sorte à mieux flatter l’ego de leurs sujets? Il est important de connaître les vraies vérités des personnes sur lesquelles on lit. Nous avons tous en nous ce côté pervers davantage intéressé par les fornications et injures des gens que par leurs «accomplissements». Les biographies scandaleuses sont les revues à potins des intellos. Il est important de les préserver si on ne veut pas que ces derniers commencent réellement à tout prendre au sérieux! Parfois, il s’avère nécessaire de lire sur les folies et bavures des autres, ne serait-ce que pour se consoler de la platitude de notre vie courante. Je veux bien croire que nos intellos ont des nouvelles à analyser, ont des politiciens à tanner le monde de voir, des bretelles à se péter devant leur ô combien grande magnificence de travailleurs névrosés… Mais Dieu que ça manque de piquant! Rien de plus beau que les histoires de politiciens disant tout haut ce que je disais déjà tout haut! Rien de plus captivant qu’une dénudation totale et explicite sur la scène publique des maux d’une personne que je ne connais pas! La beauté de la chose, c’est qu’en refermant le bouquin, je pourrai dire «au moins, c’est pas moi»… x
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CONTRE
a valse a commencé avec l’histoire de la fille de Dave Hilton, s’est poursuivie avec l’analphabétisme de Jacques Demers et nous avons droit aujourd’hui à l’histoire pédophile de Nathalie Simard. Mais quand estce que ça va arrêter ? Non seulement la simple existence de ces livre constitue-t-elle une insulte à la littérature et une dangereuse dérive du domaine littéraire (à preuve, ces propos entendus à TQS: «De nombreux auteurs seront présents au Salon du livre, dont Nathalie Simard»), mais en plus ils contribuent à renforcer le voyeurisme et l’idolâtrie dans notre société. Nous voulons tout savoir de ces drames de stars: où s’est-elle fait toucher? Quand? Combien de fois? Et en plus nous avons droit à une ridicule séance de lavage de linge sale en public, René répondant à sa sœur, celle-ci convoquant les médias pour rétorquer. On me dira que ces livres mettent en lumière de graves problèmes sociaux, qu’ils sensibilisent les gens. Foutaises et hypocrisie! Les gens ne sont pas intéressés par les problèmes, mais bien par ceux qui les vivent. L’analphabétisme n’est intéressant que lorsqu’il est vécu par une personnalité connue et la pédophilie, bien qu’elle ait toujours fait les gorges chaudes de la presse sensationnaliste, prend toute son importance si elle est commise par une star, sur une star. Car à ce moment-là elle réveille la nature perverse du public qui salive et se réjouit de la misère de l’élite culturelle, poussant des gloussements de plaisir à l’idée d’une petite chanteuse violée dans son petit village enchanté. Arrêtons donc de nous intéresser à ces grotesques perversions du littéraire! Sans cela, notre société ne sera bientôt plus qu’un grotesque défilé d’histoires qui feront paraître le «Cinéma faits vécus TQS» comme de la haute voltige intellectuelle. x
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xLe Délit • 22 novembre 2005
courrierdeslecteurs
Cette fois-çi, c’est vrai: une pluie de courrier! Bonjour, Tout d’abord félicitations pour le journal, je l’ai lu aujourd’hui pour la première fois (oui c’est une honte en quelque sorte) et, bien que n’étant pas vraiment au fait de la politique québécoise, je prends du plaisir à lire votre ton délicieusement subversif, voir sarcastique par moment. Un simple apport d’information concernant l’article «Gare au plagiat!», en page 9 (la semaine dernière), mettant en lumière les problèmes surgissant des divergences culturelles et de la conception de la tricherie que peuvent avoir certains étudiants étrangers. Votre journaliste écrit: «Toutefois, l’Université ne donne toujours pas ce livre aux étudiants internationaux en échange à McGill». Il serait plus correct de dire «ne donne pas toujours». Étant moi-même en échange depuis la Suisse (ce qui expliquera peut-être mes premières remarques), j’ai reçu mon exemplaire de Doing Honest Work in College au moment de mon immatriculation à McGill. À ma connaissance, les seuls étudiants en échange qui ne l’aient pas reçu sont ceux qui bénéficient en raison de leur pays d’origine d’un accord les exemptant de l’assurance-maladie obligatoire. Évidemment, le lien peut sembler étrange, il l’est cependant bien moins quand on sait que le livre en question a été distribué dans un «Welcome Pack» du service aux étudiants étrangers... lors de l’inscription à l’assurance-maladie. Voilà pour cet éclairage qui bien que d’un intérêt assez limité m’aura en tout cas servi de prétexte pour vous complimenter. Meilleures salutations et bonne continuation, Philippe Suter
La seule affaire que j’ai pas trop comprise c’est la chronique Mohammed Délit de la semaine dernière [pour ou contre des élections le 26 décembre]. Ce n’est pas Jack Layton qui devrait savoir comment faire le party, c’est Duceppe qui est un Québécois! Sauf s’il a passé trop de temps à Ottawa, il devrait savoir comment faire le party, non? Et puis ça ne parlait pas assez de liberté et de démocratie votre affaire. Mais sinon vous êtes cool donc keep up the good work!! Super Space Samurai P.-S.: Je suis trop gêné pour mettre mon vrai nom, alors mettez «doux baboux». Bonjour Super Space Samurai, Comme tu l’auras constaté, nous ne t’avons pas appelé «doux baboux» comme tu en avais fait la demande dans ton post-scriptum et avons préféré ton nom d’utilisateur hotmail. Nous le trouvions presque aussi drôle et ce n’est que juste vengeance: après tout, tous ces accents qui avaient été omis dans ton courriel nous avons dû, dans notre grande magnanimité et pour ne pas que tu aies trop l’air d’un lanner, les ajouter. Malgré tout, ce courriel est très gentil et fort apprécié. Plus sérieusement, la capsule Mohammed Délit se veut un exercice de style: il s’agit, en 275 mots de faire valoir un ou deux arguments. Nous aurions encore pu parler de séparation de l’Église et de l’État, de la joie incommensurable des concepteurs d’affiches électorales à l’idée d’élections à cette date ou de la terreur que pourrait inspirer à certains un jingle politique de Noël. Ce ne sont pas les idées qui manquent et nous t’encourageons, comme tous nos lecteurs, à y participer et, même, à nous suggérer des sujets! Bien à toi, La Rédaction
Cher Philippe,
*** Nous aussi, nous adorons les prétextes. Surtout quand ce sont des prétextes à compliment. Et que dire si en plus ces prétextes sont informatifs. Alors on ne te tapera pas sur les doigts d’avoir découvert Le Délit si tard seulement (à condition bien sûr que tu demeures un lecteur fidèle). Les précisions que tu as savamment apportées nous ont poussé à une profonde réflexion éditoriale. Nous avons pris les sanctions nécessaires vis-à-vis du journaliste fautif concerné afin que ce dernier ne puisse plus sévir de la sorte dans nos pages. Eh oui, en plus d’être drôles, nous sommes un peu sado au Délit.
Chère Flora, C’est avec grand plaisir que j’ai lu votre chronique de cette semaine. J’attends avec grande impatience la suite! Étant moi-même un amateur de vins, ayant un peu roulé ma bosse dans les cours, les salons et les dégustations, mais jamais dans la restauration, je suis ravi par votre initiative. En attendant de vous lire... Vincent Messier-Lemoyne
La Rédaction. *** Bonjour Délit, J’ai plein de choses à vous dire mais je ne sais pas par où commencer... D’abord, c’est rendu que j’attends le mardi même si j’ai des cours poches!! J’aime beaucoup la plupart de vos journalistes: Pokoïk, Pufahl, St-Pierre-Thériault, Suchail, Lavallée, Pharès. Aussi les boîtes grises de Dallaire, Brodeur et de Bich-Carrière sont toujours très amusantes: je pense que je [la] préfère, elle (échevelée, c’est ça le mot?), mais il [Dallaire] fait des analyses politiques légères et c’est un sujet que je connais pas bien alors je m’informe J . [Aussi], j’aime le monde qui bitche [comme Brodeur] même si je comprend pas toujours K. C’est drôle.
Cher Vincent, Merci d’avoir pris le temps de me faire part de vos impressions. C’est si agréable de savoir qu’on est lu! J’espère parvenir à soulever le voile de mystère sur le monde du vin pour votre plus grand bénéfice. J’attends avec impatience davantage de questions et commentaires de tous nos lecteurs. Vos demandes particulières sont les bienvenues. Flora Lê Il ne reste qu’un numéro avant la fin du semestre. Profitez-en pour nous envoyer vos commentaires et vos coups de gueule entre deux séances d’étude à la bibliothèque. Limitez votre prose (ou vos vers) à 300 mots et ajoutez votre année et programme en cours. L’adresse pour nous rejoindre, comme toujours: redaction@delitfrancais.com.
Les élections du Délit arrivent à grands pas. Tous ceux qui ont participé trois fois cette session peuvent voter. Pour vous présenter, déposez votre nom dans une des enveloppes prévues à cet effet à la porte de notre bureau. Votre candidature doit être contresignée par deux membres actuels du Conseil de rédaction.
Le vote aura lieu le lundi 28 novembre à 19h au Shatner B•24.
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xLe Délit • 22 novembre 2005
De la démocratie et des médias D
ans un article extrêmement instructif de l’annuaire du Québec 2004, M. Henry Milner, professeur en sciences politiques de l’Université Laval, expose l’importance des compétences civiques des citoyens d’un État pour sa santé démocratique. Il soutient entre autres que les compétences civiques se mesurent par des facteurs tels que le taux d’alphabétisation, les habitudes de lecture des quotidiens d’information et les connaissances politiques des citoyens d’une communauté ou d’un pays. Il semble que les compétences civiques des Québécois, sondées à travers le prisme de plusieurs de ces indicateurs, soient particulièrement médiocres en comparaison de celles des citoyens d’autres pays développés. M. Milner pose aussi le grave constat d’une détérioration de la participation des citoyens québécois aux dernières élections générales provinciales et fédérales. L’expression à des niveaux anémiques du suffrage des jeunes de la tranche d’âge des 18-24 ans (25%) confirme que la démocratie prend une tangente dangereuse. Lorsque le citoyen cesse de s’intéresser aux affaires publiques et à la politique, l’État s’affaiblit au profit des autres pouvoirs de la société. Reste qu’il ne faut pas simplement voter pour voter, mais voter en connaissance de cause. Nous voudrions discuter ici d’une menace à la santé démocratique du Québec, soit la détérioration de la qualité de l’information transmise par les grands médias, en prenant l’exemple particulier de la couverture qui a été faite de la course à la chefferie du Parti québécois. Pour nous, elle agit comme un révélateur du contexte actuel. La couverture de la course à la direction du PQ Nous pensons que les candidats dits marginaux ne l’ont été que dans la mesure où on les a marginalisés. Le mantra «Trop de candidats se présentent à la chefferie» aura tôt fait de justifier aux yeux des chroniqueurs et interviewers la sélection des candidats auxquels une tribune allait être offerte, à l’exception des efforts louables du quotidien Le Devoir et de la radio de Radio-Canada. Certains médias ont fait leurs choux gras de sondages prétextant prendre le pouls des intentions pour chacun des candidats alors que l’échantillon
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sondé n’était pas composé uniquement de membres du PQ. Cette méthodologie inappropriée n’a pourtant pas empêché les médias de préparer des articles ou reportages s’y référant, laissant glisser la couverture de la campagne vers un concours de popularité plutôt que d’offrir aux citoyens le reflet des idées évoquées lors de chaque débat. Ainsi, aux dépens des propositions novatrices des candidats catalogués perdants, on a préféré rendre compte à la population de la prise de bec Legendre-Boisclair sur le thème des porcheries lors du débat portant sur le développement durable. Est-ce que le spectacle et le besoin de vendre des espaces publicitaires valent tant qu’on doive négliger la transmission des informations aux citoyens? Le soir du débat sur le développement durable à Montréal, les projets les plus emballants et originaux ne sont pas venus des candidats principaux. Malheureusement, bien peu de gens le sauront. La démocratie n’est pas médiagénique La course à la chefferie a été comparée à un party raté. On épilogue avant la fin sur les problèmes d’image de telle candidature ou de telle autre. Avec le prétendu faux diplôme, les insinuations péripatéticiennes et les accusations de consommation de drogue et de conduite en état d’ébriété, on pourrait se croire dans un épisode de Virginie ou devant un dossier choc du défunt AllôPolice. Pourtant, ces thèmes sont ceux qui ont fait la manchette dans tous nos médias «sérieux». Le plus extraordinaire, c’est qu’il se trouve certains commentateurs politiques pour se plaindre que cette course n’a été qu’un concours de popularité. Il est assez ironique de constater que nos faiseurs d’images se plaignent du monstre qu’ils ont créé. La démocratie est complexe: il y a diversité des points de vue et le monde dans lequel nous vivons n’est ni tout noir, ni tout blanc. Nous constatons de plus en plus le poids que la médiatisation extrême de notre société fait peser sur nos délibérations démocratiques et la façon de faire la politique. Les attachés de presse et les experts en communication, sous la poussée de cette tendance, ont reformaté la politique comme une immense entreprise de relations publiques. Le monde n’est pas une marchandise, la démocratie non plus.
Les raisons Au Québec comme ailleurs, la plupart des médias sont entre les mains d’intérêts privés, souvent même de multinationales, qui dépendent pour la plupart très largement de leurs revenus publicitaires. Le «marché de l’information», car c’est bien de cela dont il s’agit, est dans une situation de quasi-monopole. Nos institutions publiques sont inefficaces à contrebalancer la tendance de l’information-spectacle et du divertissement. La télévision de Radio-Canada s’y complaît voluptueusement alors que Télé-Québec n’a pas de mission d’information, maintenue qu’elle est dans son statut de télévision éducative par le CRTC. Les alternatives D’abord, nous croyons qu’il faut subventionner la création de médias indépendants, en particulier des journaux régionaux, en plus d’amener un soutien à ceux déjà existant. S’il est impossible d’exiger plus d’informations et moins d’opinions de la part de nos médias,
cette mesure offrirait au moins la possibilité de multiplier les points de vue. Nous croyons aussi que TéléQuébec devrait se voir doter d’une salle des nouvelles et de missions d’information et d’éducation, tout en maintenant jalousement son indépendance face aux annonceurs privés ou à la propagande gouvernementale. La mission d’information de Télé-Québec devrait être encadrée par des lignes directrices afin d’en assurer la qualité. Des mesures équivalentes pourraient être appliquées aux chaînes privées par l’instauration d’un organisme de surveillance indépendant qui veillerait à la qualité journalistique et à l’impartialité de l’information. Nous sommes conscients que plusieurs de ces mesures sont difficilement applicables dans le contexte actuel à moins de s’entendre avec le gouvernement fédéral qui a présentement juridiction en ces domaines. À plus long terme, notre État devrait valoriser l’amélioration des compétences civiques de façon à intégrer toutes les classes sociales
de notre société aux délibérations démocratiques. La Suède est un des pays développés qui a fait le plus d’efforts afin d’améliorer les compétences civiques de ses citoyens des classes populaires. Il y est arrivé par l’instauration d’une formation en compétences civiques obligatoire au secondaire et par la mise en place d’un journal national d’informations qui leur est destiné en particulier. Nous sommes convaincus que le progrès des compétences civiques passe par une amélioration de la qualité de l’information transmise aux citoyens et représente une façon de rendre notre peuple véritablement libre de ses choix démocratiques. x Martin Primeau (martin. primeau@mail.mcgill.ca), étudiant au doctorat en biologie cellulaire à l’Université McGill & François-Xavier Campbell-Valois (fx.campbell.valois@umontreal. ca), étudiant au doctorat en biochimie à l’Université de Montréal
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Des frais de scolarité, des noms des pavillons et de la sécession du Québec Entrevue avec Heather Munroe-Blum
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«Tant que je serai principale de cette université, aucune faculté, aucun édifice, aucun programme de majeure ne recevra le nom d’une compagnie.»
The Tribune: Ne croyez-vous pas qu’il y aurait un malaise avec le fait d’être une institution complètement anglophone dans un pays francophone? HMB: Mon sentiment est que, malgré la position défendue par André Boisclar, le Québec est dans un nouveau modus operandi, que les jeunes Québécois, qu’ils soient francophones, anglophones ou allophones, ont un désir profond de voir le Québec réussir. Lorsque je parle avec les Québécois, que ce soit au Saguenay ou ici, aux jeunes en particulier, je crois qu’il y a une conscience croissante que les valeurs sociales que nous partageons tous, par exemple, l’équité et la justice sociale, dépendent d’une population très bien éduquée, dépendent d’une communauté vibrante, partenaire de ses voisins, et que les universités jouent un rôle central dans tout ça. C’est une perspective, c’est essentiellement ce que les gens du Québec veulent. C’est un fait: 50% de nos étudiants viennent du Québec, il y a une population francophone très importante à McGill et il y a un fort sentiment de fierté envers le Québec à McGill. L’autre perspective, c’est que nous sommes plongés dans cet environnement depuis plus de trente ans, que nous avons tenu le fort malgré les changements de gouvernement. Nos succès sont fondés sur l’insistance que nous mettons sur la qualité et notre habileté à attirer des revenus d’autres sources que du gouvernement provincial. En même temps, il est très important pour nous, dans le contexte québécois, de faire connaître les bénéfices apportés par McGill et notre dévouement à notre mission de service public.
Droits de scolarité des étudiants étrangers: l’AÉUM pourrait se saisir du dossier L’Université indique ne pas faire l’objet de poursuites et être en discussion avec Québec sur la question.
TEXTES ET PHOTOS — JEAN-PHILIPPE DALLAIRE a principale de McGill, Mme Heather MunroeBlum, recevait le 21 novembre des représentants des trois journaux étudiants du campus en entrevue. À la suite de l’annulation de la rencontre prévue avec la communauté universitaire le mercredi précédent, la principale désirait donner une occasion aux médias étudiants de lui poser leurs questions. Le Délit était de la partie et vous présente quelques extraits tirés de cette entrevue de près de quarante-cinq minutes. The Tribune: La semaine dernière, André Boisclair a été élu à la tête du Parti québécois. Il a indiqué son désir d’ignorer la Loi sur la clarté référendaire. Si le Québec mettait en branle le processus d’accession à la souveraineté et, éventuellement, se séparait du Canada, quel serait le plan d’action de McGill? Heather Munroe-Blum (HMB): Notre mission resterait la même, soit de viser la qualité dans l’enseignement et la recherche et de faire tout en notre pouvoir afin de générer les revenus dont nous avons besoin afin de remplir pleinement cette mission.
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The McGill Daily: À propos du dégel des droits de scolarité, vous avez fait valoir que le système actuel constituait une subvention déguisée aux riches par les pauvres. Une façon de contourner cet argument, c’est de dire que le système d’imposition québécois est progressif. Que pensez-vous de cet argument? Pourquoi croyez-vous que les frais de scolarité devraient être augmentés? HMB: Premièrement, il est important de mentionner qu’en tant qu’université, nous sommes ridiculement sous-financés. Si ce n’était pas le cas, je ne parlerais pas de droits de scolarité. Deuxièmement, je ne suis pas pour la déréglementation; je suis pour la reréglementation. Ainsi, je ne ferais pas comme la Colombie-Britannique, qui a permis aux universités de faire ce qu’elles voulaient avec les frais de scolarité. Si un étudiant vient à McGill, il devrait savoir que les frais qui lui seront imposés ne devraient pas augmenter de plus de 3 ou 5% par année, selon la décision prise par le Conseil d’administration. Mais je tiens à dire que je ne crois pas à une politique des droits de scolarité. Je crois plutôt à une politique combinée pour l’aide financière et les droits de scolarité. Au Québec, il n’y a pas suffisamment d’aide financière pour les étudiants qui n’ont pas les moyens d’aller à l’université. Ironiquement, le Québec a les droits de scolarité les moins élevés au pays, mais il a un taux de participation aux études universitaires inférieur à la moyenne. Les droits de scolarité ne représentent qu’environ 10% du coût de la vie pour un étudiant québécois. Même s’il n’y avait pas de frais de scolarité, il serait encore difficile d’aller à l’université pour un étudiant qui ne peut pas payer son loyer, sa nourriture et ses autres dépenses. Ma proposition en est une qui a fonctionné ailleurs: il s’agit de redéfinir la réglementation des droits de scolarité et de voir quel pourcentage maximal d’augmentation annuelle serait raisonnable, que ce soit 3 ou 5%. La décision devrait être prise par le Conseil d’administration de l’Université et être présentée à la communauté. Aussi, pour chaque nouveau dollar de frais de scolarité, trente cents devraient être alloués à l’aide financière aux étudiants. Je propose donc un système intégré. Actuellement, il n’y a pas assez d’argent pour l’aide financière. À mon avis, si on pouvait augmenter les revenus par le biais des frais de scolarité et d’autres mécanismes, nous pourrions faire une promesse qu’aucune université n’est en mesure de tenir aujourd’hui, soit d’affirmer que toute personne qui est suffisamment qualifiée pour être admise à l’université devrait pouvoir y aller, sans égard à ses ressources financières. C’est mon objectif en tant que principale. Nous allons atteindre cet objectif en faisant appel de façon accrue au gouvernement et aux donateurs privés, mais aussi en révisant la réglementation des droits de scolarité. Le Délit: Si je comprends bien votre proposition, vous suggérez que chaque université soit libre de fixer ellemême le montant des droits de scolarité perçus auprès de chaque étudiant? HMB: Chaque université, avec l’accord de son conseil d’administration. Parce que je pense que ce n’est pas possible par exemple pour quelques universités du système UQ (Université du Québec) de subir la reréglementation. Mais, il y en d’autres, du même système, pour lesquelles c’est possible. Je pense qu’il vaut mieux que le tout découle d’un accord entre l’administration de l’université, le conseil d’administration et les membres de cette université. Je pense que si c’est possible pour nous de faire ce que je veux faire, il y aura quelques principes. Premièrement, il faudra que le gouvernement du Québec réinvestisse lui aussi, même si nous obtenons de l’argent d’autres sources. C’est très important dans un système public que le gouvernement continue avec un
investissement adéquat, c’est la seule façon d’améliorer la qualité. Celle-ci est présentement menacée. Il faut aussi que le gouvernement dise: chaque université a le choix de hausser les frais de 0 à 3% par année, mais il doit y avoir un engagement de réinvestir dans l’aide aux étudiants. En Ontario, on remarque que le groupe qui en subit les conséquences les plus importantes à la suite de la hausse des droits de scolarité est celui des familles de classe moyenne avec plus d’un enfant d’âge adulte. C’est pourquoi je crois qu’il faut mettre une partie des revenus provenant des hausses de frais de côté pour l’aide financière. Dans les endroits où il y a eu une déréglementation, on n’a pas tenu compte des familles de la classe moyenne, mais il faut le faire. The Tribune: Il semble que l’Université ait beaucoup de succès dans ses démarches pour attirer des dons privés. Cependant, où tracera-t-on la ligne quant à ce qui a trait au nom des facultés? Il y a déjà l’École de musique Schulich et la Faculté de gestion Desautels, à quand la Faculté des arts Bell Canada? HMB: J’ai indiqué au conseil d’administration qu’il devait y avoir des lignes directrices strictes dans la détermination des noms. Tant que je serai principale de cette université, aucune faculté, aucun édifice, aucun programme de majeure ne recevra le nom d’une compagnie. Il doit s’agir du nom d’un individu. Les personnes en question devront être respectées et intègres. De plus, il ne doit pas y avoir de restriction sur la liberté académique et les donateurs n’ont pas de pouvoir sur le fonctionnement des facultés, des programmes et des édifices en question. Présentement, il n’y a pas de discussion en vue de nommer d’autres éléments de l’Université. Mais, il est certain qu’il doit s’agir du plus grand don jamais donné pour une faculté ou un programme semblable au Canada. C’est un critère de base. Le Délit: Envisagez-vous que votre proposition de nouvelle réglementation pour les frais de scolarité s’applique également aux étudiants canadiens horsQuébec et aux étudiants internationaux? HMB: Cela dépend des programmes.Dans les programmes où les étudiants québécois peuvent habituellement s’attendre à obtenir un bon salaire à leur sortie des études, il est possible d’envisager que les étudiants internationaux voient leurs frais augmenter plus rapidement. Cependant, il y a certains programmes, moins lucratifs, où il serait un peu fou de vouloir demander aux étudiants étrangers de payer plus, par exemple en enseignement, en infirmerie ou en travail social. Dans ces domaines, nous donnons de bons outils à des étudiants étrangers, ce qui fait partie de notre mission de service public. x
«C’est un fait : 50% de nos étudiants viennent du Québec, il y a une population francophone très importante à McGill et il y a un fort sentiment de fierté envers le Québec à McGill.»
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es révélations publiées la semaine dernière dans Le Délit sur les recours juridiques potentiels des étudiants étrangers n’ont pas eu pour seul effet de faire disparaître comme des petits pains chauds les copies de l’hebdomadaire des présentoirs. En effet, alors que l’Université affirme ne pas encore faire l’objet de poursuites et être en discussion avec Québec, l’AÉUM critique l’approche de McGill dans le dossier et indique explorer les avenues juridiques qui s’offrent à elle.
Aucune poursuite intentée jusqu’à maintenant Jennifer Robinson, vice-principale aux communications de l’Université, reconnaît que l’avis juridique obtenu par Le Délit provient d’un «avocat réputé». Interrogée sur la possibilité que de telles poursuites se matérialisent, Mme Robinson indique ne pas vouloir «spéculer sur ce que des individus veulent faire». Les sommes en jeu représenteraient toutefois environ trois millions de dollars par année. De ce montant, 700 000$ sont annuellement remis sous forme de bourses à des étudiants étrangers dans le besoin. Selon Mme Robinson, le dossier des étudiants étrangers ne doit pas être isolé du problème plus global du financement des universités: «Nous sommes en discussion avec le gouvernement sur cette question, mais aussi sur d’autres questions qui touchent le financement des universités. Il y a des discussions qui touchent plusieurs points». Celles-ci porteraient de façon générale sur les frais de scolarité des étudiants. La vice-principale aux communications remet notamment en question certains résultats produits par la politique actuelle de tarifs différentiels et les critères utilisés par le gouvernement. «Par exemple, les étudiants francophones de l’Ontario paient plus cher que ceux de la France [pour étudier à McGill].» L’AÉUM envisage d’agir Du côté de l’AÉUM, le viceprésident à la Communauté et aux Affaires gouvernementales, Aaron Donny-Clark, indique que l’Association envisage de se saisir du dossier: «S’il est vrai qu’il existe un recours, c’est bien sûr très intéressant. Et je crois que l’AÉUM serait intéressée à examiner de près cette approche juridique, pour analyser la situation ainsi que les options possibles.» Lui-même étudiant étranger, M. Donny-Clark indique que l’AÉUM compte agir par étapes: «Nous avons plusieurs ressources à notre portée. Nous allons commencer par contacter le ministère [de l’Éducation] et leur demander les documents dans lesquels
Faut-il craindre une spécificité québécoise? La province s’avère un forum particulièrement favorable à la procédure de recours collectif
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ans sa dernière édition, Le Délit révélait l’existence possible d’un recours pour certains étudiants étrangers lésés par la perception de droits de scolarité au-delà du plafond gouvernemental. À la suite de ces révélations, McGill doit-elle craindre de faire l’objet d’un recours collectif, une procédure utilisée de plus en plus fréquemment devant les tribunaux québécois? Afin de permettre à ses lecteurs de se faire leur propre opinion sur la question et sur le phénomène, Le Délit a interviewé le professeur Frédéric Bachand, spécialiste de la procédure civile et professeur adjoint à la Faculté de droit de l’Université McGill. Il est à noter qu’il n’a pas été demandé au professeur Bachand de donner son avis sur la situation particulière des étudiants étrangers à McGill ou les chances de réussite d’un éventuel recours de leur part, mais simplement d’exposer la place du recours collectif au Québec.
Le combat des étudiants étrangers contre l’Université: David contre Goliath.
tout ceci est écrit. Sur réception de ces documents, nous mènerons une enquête. Nous commencerons par parler à l’administration et par voir leur réponse.» McGill juge avoir raison Selon Mme Robinson, la position de l’Université «est très claire [sur la question des frais différentiels]. Ça coûte plus cher de recruter des étudiants étrangers que de recruter des étudiants d’ici.» Or, les règles de financement mises en place par Québec prévoient que les sommes supplémentaires perçues par les universités québécoises auprès des étudiants étrangers doivent être redistribuées à l’ensemble du réseau. «Il y a des frais rattachés à l’intégration de ces étudiants, et la formule de financement ne tient pas ça en compte.» L’approche de l’Université critiquée Le vice-président à la Communauté et aux Affaires gouvernementales de l’AÉUM reconnaît le problème de financement auquel McGill fait face: «C’est très clair que le véritable problème est le sous-financement général [des universités. La mesure mise en place par McGill] est seulement un des multiples moyens employés pour contourner le règlement sur les frais de scolarité». Il indique cependant que «nos institutions ne devraient pas avoir le droit d’aller chercher de l’argent partout où ils peuvent en trouver. […] Nous devrions avoir une loi sur le financement des universités. […] Il faut que ce soit une loi, il faut que
ce soit clair pour éviter qu’il y ait des questions». M. Donny-Clark critique l’approche de McGill dans ce dossier: «La réplique de McGill […] est généralement: «Nous valons cet argent. Nous, à McGill, sentons que nous avons le droit de charger cet argent, parce que nous le méritons. Nous sommes meilleurs que ces autres écoles. Nous valons plus, alors les étudiants devraient payer plus». Il n’y a aucun sentiment de culpabilité. Pour eux, la raison pour charger plus cher en frais de scolarité est bien simple: McGill vaut plus cher.» Or, selon lui, «si ça coûte plus cher pour avoir des étudiants internationaux, McGill devrait aller en demander au gouvernement provincial» au lieu de percevoir des frais plus élevés que le plafond fixé par Québec. Il voit dans l’approche adoptée par McGill dans le dossier des frais des étudiants internationaux une «orientation très dangereuse»: «Si McGill peut charger aux étudiants étrangers davantage que dans les autres universités, pourquoi ne pourrait-elle pas charger davantage aux étudiants québécois et canadiens que dans les autres universités?» En visant les étudiants étrangers, McGill s’attaque selon lui au «groupe le plus faible et le moins organisé de la population étudiante». Or, la solution au sous-financement des universités se trouverait plutôt à Ottawa: «Nous devrions faire équipe et en faire [le financement des universités] notre cause commune à Ottawa». x J.P.D. Avec la collaboration de Marc-André Séguin
Un moyen d’unir ses forces en justice Selon le professeur Bachand, «l’idée à la base du recours collectif, c’est qu’on autorise une personne à agir en justice, mais pour le bénéfice d’un groupe de personnes qui est la plupart du temps relativement large et relativement diffus.» Le jugement ou l’entente hors cour qui intervient à la fin de la procédure va alors «bénéficier à l’ensemble des membres du groupe.» Ainsi, les personnes représentées «peuvent voir leurs intérêts être défendus en justice sans que ça ne leur coûte un sou et n’aient à faire elles-mêmes des efforts et à participer à la procédure.» Une tendance favorable dans le droit québécois Depuis quelques années, les tribunaux québécois sont de plus favorables aux recours collectifs. D’abord, ils donnent plus facilement aux demandeurs l’autorisation d’en intenter. Ainsi, «dans des cas d’incertitude ou de zones grises [dans l’application des règles d’autorisation], plus souvent qu’autrement […], celui qui cherche à déclencher un recours collectif aura gain de cause.» Mais ce n’est pas tout. En effet, il est de moins en moins possible pour le défendeur, souvent «une grosse compagnie ou une entité de l’État qui a beaucoup de ressources», de faire traîner les choses en engageant le débat sur des questions complexes dès l’étape de l’autorisation. «Sur le plan tactique et stratégique, [c’était auparavant un moyen utilisé] pour mettre de la pression sur le représentant.» Cependant, le professeur Bachand prévient qu’«il faut toujours bien distinguer les questions de fond des questions de procédure. Être favorable aux recours collectifs, ça ne veut pas nécessairement dire être favorable aux prétentions et aux réclamations qui sont formulées par les gens qui enclenchent des recours collectifs.» C’est que, même si la cour autorise le déclenchement d’un recours, il reste aux demandeurs à l’emporter sur le fond. C’est alors que certaines caractéristiques d’un recours collectif particulier peuvent poser problème. Par exemple, pour ce qui est de la présence d’étrangers dans le groupe de demandeurs, le professeur Bachand indique que «c’est plus dans la gestion du recours, une fois qu’il a été autorisé, que ça va soulever une certaine difficulté». Aussi, bien qu’il n’y ait pas d’obstacle général au déclenchement d’un recours collectif contre un gouvernement ou une université, il pourrait exister des limitations «de nature substantielle». Toujours selon le professeur Bachand, «la question [est alors plus] de savoir: estce qu’il y a un recours?», plutôt que s’il peut être intenté par le biais d’une procédure collective. x J.P.D.
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Le plagiat, vu autrement
nouvellescampus
Les étudiants qui accusent leurs professeurs de plagiat doivent s’armer de patience, estime le Service de représentation des étudiants de McGill MARC-ANDRÉ SÉGUIN étudiants qui viennent nous voir avec des accusations de plagiat alors qu’ils ne savaient même pas qu’ils en faisaient, tandis qu’il y a des professeurs qui partent en Autriche ou au Japon pour présenter des idées de leurs étudiants. […] Pourquoi est-ce que eux, ils auraient moins de pression, moins de règles ? Ils ont un code de déontologie beaucoup plus souple [que celui des] étudiants». Selon John Ramsay, directeur du Service, il y a toutefois plusieurs raisons qui peuvent expliquer le phénomène en question. «La politique interne [de l’Université] rend la chose plus difficile pour nous lorsque vient le temps de [demander des mesures disciplinaires contr] un professeur pour ça. Mais il faut aussi croire que quand les professeurs font ça, ce n’est pas toujours par malice et parfois ça peut seulement être une erreur». Il ajoute aussi qu’il est possible que la différence de standard en fait de mesures disciplinaires soit imputable au fait que la réputation d’un professeur reconnu coupable de plagiat risque de «souffrir bien plus que celle d’un étudiant». Le principal problème, selon les deux conseillers, se situe au niveau des délais. Alors qu’un étudiant accusé de plagiat verra son dossier traité à l’intérieur des deux semaines suivant la plainte, un étudiant qui dépose un grief à l’encontre d’un professeur devra attendre plusieurs mois. «C’est vraiment rare que ça prenne moins que six mois», affirme Ramsay. Cependant, certains cas sont dans des situations encore plus critiques: «on a des cas où ça fait trois ans depuis l’infraction et l’étudiant n’a toujours pas eu la chance d’obtenir son recours en justice». John Ramsay critique d’ailleurs la lenteur des procédures, dont, selon lui, l’Université est la principale responsable. «C’est très lent comme procédure. Il y a beaucoup de coordination, mais il y a aussi beaucoup de délais causés soit par les étudiants ou plus souvent par les membres de l’administration, qui semblent donner plus d’importance aux formalités académiques comme la convocation qu’aux droits des étudiants ».
Éric Demers
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e plagiat semble chose commune sur les campus universitaires, comme en témoigne un récent reportage du Délit. Il existe cependant dans les universités une autre forme de plagiat –moins connue– et McGill n’y fait pas exception. Il s’agit du plagiat que certains professeurs des universités exercent sur leurs propres étudiants, en s’appropriant des éléments de leurs thèses. Or, si un étudiant mcgillois victime de cette pratique souhaite porter plainte contre un professeur, il risque d’attendre longtemps avant de voir son dossier aboutir à une décision de la part de l’Université. En effet, le traitement que l’administration réserve aux cas de plagiat commis par les étudiants n’est pas le même que celui auquel les professeurs ont droit. C’est ce qu’affirment les conseillers étudiants John Ramsay et Philippe Alma, du Service de représentation des étudiants. Ces derniers affirment de plus que bien que ces cas soient moins nombreux que les cas de plagiat chez les étudiants, il y en a assez pour qu’on s’y attarde. «[On n’en voit] pas souvent. Mais c’est sûr que ce ne sont pas des cas isolés. L’an passé, il y a eu au moins un cas où un professeur a présenté les recherches [d’un étudiant] à un colloque en Europe comme étant les siennes». La procédure à suivre lorsqu’un étudiant se croit victime de plagiat de la part d’un professeur est pourtant simple. «Dans ces cas, il y a une procédure de grief des étudiants, où ils peuvent soumettre à un comité du Sénat, qui décidera sur une balance des probabilités si le prof a violé leurs droits académiques». Les deux conseillers ajoutent que les professeurs ne sont pas tenus au même code de discipline que les étudiants, ce qu’ils qualifient d’ailleurs de «regrettable». Philippe Alma, conseiller senior au Service de représentation, croit que le système actuel fait en sorte que les étudiants n’entrent pas dans un rapport d’égal à égal dans le traitement de leurs plaintes. «[Les étudiants] ne sont pas égaux. C’est aussi simple que ça. Il y a des
John Ramsay, directeur du Service de représentation juridique pour les étudiants montre fièrement la carte d’affaire de l’organisme.
Les conséquences de ce genre de plagiat peuvent être importants chez les étudiants, et la lenteur des procédures pourrait causer des dommages aux victimes qui n’ont toujours pas comparu devant le comité. «Les étudiants souvent ne seront plus des étudiants [lorsqu’ils se feront entendre]. Des étudiants qui veulent aller aux études supérieures [seront affectés, notamment parce qu’ils n’auront] pas eu la chance de
réparer ce qui leur a été fait, soit sur leur relevé de notes, ou bien avec une lettre». Selon Philippe Alma,la situation est inacceptable. «Ils prennent deux semaines pour régler une histoire académique, quand l’étudiant est accusé de quelque chose. Mais si l’étudiant accuse, ça prend plusieurs mois. C’est bizarre, ce n’est pas logique». Patricia Wood, assistante au
secrétaire-général, dont le bureau coordonne ces procédures, a décliné une entrevue au Délit, précisant que le secrétaire-général ne parle pas aux médias. À l’heure de mettre sous presse, Le Délit n’avait toujours pas réussi à rejoindre la moindre personne qui aurait été en mesure d’émettre un commentaire. On ne rapporte toujours aucune plainte en la matière cette année. x
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McGill à l’avant-garde du savoir médical
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Le Salon de la recherche médicale expose les meilleurs résultats de McGill. MAYSA PHARÈS
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a recherche à McGill est, à n’en pas douter, placée sous le signe de l’excellence. L’institution ne s’est d’ailleurs pas privée pour dévoiler ses résultats les plus prometteurs lors du Salon de la recherche médicale qui se tenait le 17 novembre dernier au Faculty Club. Les exposants présentaient des travaux dans des domaines de recherche aussi variés que la maladie d’Alzheimer, le cancer, l’obésité, et la maladie de Parkinson. Étaient aussi présents les Instituts de recherche et de santé du Canada (IRSC), qui fournissent un soutien financier aux chercheurs à McGill et contribuent, plus largement, au «maillage des universités, des industries et du gouvernement» afin de favoriser l’environnement de la recherche dans le pays.
Guérir l’Alzheimer et le Parkinson? Parmi les recherches fructueuses dont se félicite McGill figurent les travaux de Judes Poirier, directeur du centre d’études sur le vieillissement du Centre de recherche de l’hôpital Douglas, affilié à McGill. Ses études visent à identifier les molécules permettant de bloquer la progression de la maladie d’Alzheimer, qui touche aujourd’hui 300 000 Canadiens, et se fondent particulièrement sur le lien découvert entre le cholestérol et la maladie. «Nous avons démontré que la molécule qui transporte le cholestérol vers le cerveau ne fonctionnait pas correctement chez certains patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Or, lorsque nous augmentons l’activité de cette molécule, nous sommes en mesure de ralentir la progression de la maladie». L’élaboration d’un traitement est aussi l’objectif premier de la recherche sur la maladie de Parkinson, laquelle affecte 100 000 Canadiens. Le traitement existant à l’heure actuelle perd son efficacité à long terme. Le but de la recherche est donc de parvenir à mettre au point un traitement durable. Dans cette optique, les travaux du Dr Edward Fon, de l’Institut et hôpital neurologiques de Montréal de l’Université McGill, sont axés sur la recherche moléculaire afin de comprendre les causes de la maladie. Cancer, obésité et diabète: un dénominateur commun C’est le hasard qui a conduit le professeur Michel Tremblay, directeur du Centre de recherches sur le cancer de McGill, à la découverte, en 1999, des effets d’une certaine enzyme (la PTP-1B) sur le diabète et l’obésité. La suppression de cette enzyme chez les souris les protège de ces deux maladies. Par conséquent, un traitement du
diabète de type II et de l’obésité est envisageable. Mais la PTP-1B semble aussi jouer un rôle dans le cancer. Les résultats récents du professeur Tremblay dans ce domaine permettent d’avancer que certaines formes de cancer (celui du sein et de l’ovaire, par exemple) peuvent être traitées en supprimant la production de cette enzyme dans les cellules. Les recherches actuelles s’attachent notamment à définir le rôle de l’enzyme dans l’apparition des tumeurs. Combattre les maladies chroniques: l’approche comportementale La recherche de la professeure Laurette Dubé dans le domaine des maladies chroniques (comme le cancer et les affections cardiovasculaires) s’inscrit dans un effort initié par l’OMS pour la prévention et le traitement de ces maladies. Le défi est de taille car, selon Laurette Dubé, «les changements de comportement nécessaires pour prévenir ou traiter le maladies chroniques font partie du tissu de la vie quotidienne des gens». Il est donc insuffisant de se limiter à une approche logique, purement rationnelle. Laurette Dubé et ses équipes accordent donc une importance majeure aux «sensations, émotions,
[au] plaisir et autres affects positifs et négatifs qui déterminent les décisions et comportements de tous les jours». Cette approche s’est avérée concluante puisque les travaux de la professeure et de ses équipes montrent que le comportement est une variable importante dans la prévention et le traitement des maladies chroniques. Des «mentors» contre l’obésité infantile L’obésité fait l’objet d’un intérêt grandissant, comme en témoigne aussi le programme Mentors en Mouvement, élaboré par Grands Frères Grandes Sœurs du grand Montréal en partenariat avec le Centre universitaire de santé de l’Université et McGill. Le programme vise à évaluer les effets du mentorat sur l’obésité chez l’enfant et l’adolescent. Il est divisé en deux volets, soient le volet mentors en mouvement à l’hôpital et le volet mentors en mouvement à l’école. La relation personnalisée entre l’enfant et son mentor doit aider l’enfant à modifier son mode de vie afin, notamment, qu’il augmente son activité physique. Mais il s’agit aussi de faciliter sa démarche psychologique, sociale et émotionnelle. x Le programme recherche actuellement des bénévoles.Téléphonez au (514) 842-9715 ou visitez le www.gfgsmtl.qc.ca.
Photo de la semaine
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ette chose hideuse qui servira de mascotte aux équipes sportives de McGill se cherche un nom depuis près d’un mois. Nous suggérons «Phénix de la colère sportive» ou «Personnification de la peur de la grippe aviaire», mais vous pouvez envoyer vos trouvailles directement à Bradley Thomas (bradley. thomas@mcgill.ca) du Bureau étudiant pour les relations avec les anciens.
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La face cachée des artistes
cultureartsvisuels
Avec l’exposition Dessins de la collection, le Musée d’art contemporain permet de découvrir les grands d’ici et d’ailleurs dans un médium qu’on ne leur connaît pas toujours: le papier.
A
de côté en continuant l’exploration. En mettant l’accent sur le dessin, l’exposition permet de découvrir de nombreux artistes sous un autre jour. Le peintre canado-italien Guido Molinari, plus connu pour ses toiles de bandes verticales colorées bien sérieuses, se révèle en dessin très vibrant et expressif. Riopelle, sans son empâtement géométrique à la peinture à l’huile ou ses pochoirs à l’aérosol, oppose la rigueur de la ligne à la fluidité de l’encre. Le sculpteur Ossip Zadkine fait une brève apparition avec un dessin à l’allure cubiste. Cette bifurcation en papier permet d’affirmer la polyvalence des artistes, souvent oubliée dans la nature sélective des expositions. Une bonne gamme de sujets est abordée: si Alechinsky démontre la fluidité du liquide par d’immenses volutes et par des gestes expressionnistes, Barry Le Va superpose les dessins architecturaux et une exécution technique énergique en un univers intrigant. La figuration vivante, les collages, l’architecture et l’abstraction pure se côtoient et s’équilibrent les uns par rapport aux
autres. Pour conclure cette description (et la fin de l’exposition, puisque les oeuvres sont situées au fond de la dernière salle), la contribution de Sylvia Safdie sera le coup de coeur de nombreux visiteurs. Aussi connue pour ses installations, dont Earth (un rassemblement d’échantillons de terre d’un peu partout sur la planète), Safdie reprend la terre et la combine à l’huile de lin pour dessiner. Jouant avec la transparence du papier pour cacher et révéler tour à tour une figuration allongée (qui ferait honneur à Giacometti) et une écriture nerveuse, l’artiste laisse pleine place à son médium en laissant l’huile couler sur le support. En bref, voici une exposition propre à découvrir et redécouvrir des artistes d’ici et d’ailleurs à condition de bien vouloir l’apprivoiser! x Dessins de la collection est à l’affiche jusqu’au 8 janvier au Musée d’art contemporain de Montréal (185 rue SainteCatherine O). Pour plus d’information: www.macm.org.
Se regarder en regardant les autres
gracieuseté de la Collection du Musée d’art contemporain de Montréal
MATHIEU MÉNARD u premier coup d’œil, le titre de l’exposition pourrait en rebuter plus d’un: qui dit dessin dit souvent gribouillis académiques de graphite sur un papier blanc. Toutefois, les médiums sont beaucoup plus variés (gouache, encre, acrylique, aquarelle) et le seul trait d’union s’avère être le support: le papier. D’ailleurs, le papier lui-même varie beaucoup, autant dans son grain que dans son matériau: nombreuses sont les œuvres qui prennent avantage de la transparence pour y aller de superpositions. La distribution des artistes s’avère assez variée: on y distingue plusieurs figures du Refus Global (Borduas, Riopelle, Barbeau et autres) et même d’avant (Ozias Leduc, John Lyman), ainsi que plusieurs artistes contemporains d’un peu partout dans la province. Dans une optique internationale, les contributions proviennent autant de la Belgique (Pierre Alechinsky) que des États-Unis (Barry Le Va). Si de prime abord l’exposition semble reprendre la thématique de Place à la magie (exposée dans la partie adjacente du musée), cette impression est vite mise
Vautour no 94 de Rober Racine illustre bien l’effet brut que donne le papier à la collection.
cultureartsvisuels
La galerie articule nous présente deux artistes canadiens explorant le thème de l’immersion. SAMUEL ST-PIERRE THÉRIAULT gracieuseté de la galerie articule
A
près avoir exposé l’artiste canadienne de renommée internationale Carolee Schneemann le mois dernier, la galerie articule nous présente maintenant deux artistes canadiens qui explorent à leur tour le thème de l’immersion. Carolee Schneemann s’est créée une réputation pendant les années soixante en produisant certaines des premières œuvres féministes. Utilisant des images parfois très graphiques, elle aborde entre autres le tabou du corps féminin érotique. La galerie expose présentement une série de films créés par l’artiste. Ces œuvres sont présentées comme point de départ pour l’interprétation des projets de Demian Petryshyn et de Luis Jacob. Luis Jacob est un écrivain et artiste de Toronto. Il nous présente dans le cadre de cette exposition une série de photos tirées d’une multitude de sources qui sont rassemblées ensemble pour créer une vie de la naissance à la mort. Il expose également trois dessins faits
L’exposition de Demian Petryshyn illustre l’état d’hébètement dans lequel nous plongent les jeux vidéo.
à la plume. Ceux-ci nous montrent des jeunes, hommes et femmes, qui prennent le métro. Il y a aussi une grande photo divisée en deux moitiés: l’une nous montre des gens dans le métro, l’autre des enfants qui jouent dans la rue. Sur cette affiche on retrouve l’inscription Open Your Mouth and Your Mind Will Follow. Le tout est basé sur le désir de créer des structures sociales alternatives ainsi que de mettre en œuvre une pratique artistique qui comprend l’art, l’activisme et la pédagogie. L’œuvre est accompagnée d’un atelier où les participants pourront apprendre à faire du pain. Cet atelier aura lieu le samedi 10 décembre et les places sont limitées. Ceux et celles qui veulent participer doivent contacter la galerie. L’exposition se termine le 11 décembre à 3h. Elle se terminera avec une présentation et une discussion en compagnie de l’artiste. Demian Petryshyn est un artiste de la région de London en Ontario. Il enseigne présentement l’art visuel à l’Université Western
Ontario. L’œuvre qu’il expose est composée de trois télévisions et d’un sofa. Dans les télévisions nous pouvons apercevoir l’artiste à droite et son frère à gauche qui jouent à des jeux vidéo pour de longues périodes de temps (de dix à vingt heures). Dans la télévision du milieu nous apercevons le jeu auquel ils jouent. Le sofa est en fait celui de leurs parents, le même qui se trouve dans les télévisions. La scène n’est pas très excitante, mais elle peut faire prendre conscience de l’état dans lequel nous nous plongeons en jouant à des jeux vidéo ou encore en écoutant la télévision. Le tout doit démontrer l’immersion totale dans laquelle se retrouve les joueurs. L’artiste suppose l’obsession et la pauvreté émotionnelle. Il questionne l’influence de ces mondes virtuels sur nos corps et nos esprits. L’immersion dans le jeu favorise-t-elle l’évasion et le comportement passif? C’est par cette dernière question que les deux artistes se rejoignent. L’immersion totale
de l’individu dans la société peut souvent nous aveugler. Les vraies connotations de nos actions sont ainsi perdues dans le train de la vie de tous les jours. L’artiste en prenant un recul sur le monde nous permet d’observer nos propres actions. C’est en créant ce questionnement politique, intellectuel et méditatif que l’artiste trouve sa place dans la société. Une démocratie se doit de toujours être en débat, de ne jamais accepter le statut quo. Dans ce contexte, l’exposition présentée à la galerie articule nous permet de questionner nos actions. Tandis que Carolee Schnemann questionnait le rôle de la sexualité et de la femme dans les années soixante, Demian Petryshyn et Luis Jacob posent un regard critique sur les jeux vidéo et nos manières de penser. x Les œuvres de Demian Petryshyn et de Luis Jacob seront exposées jusqu’au 11 décembre à la galerie articule (4001 rue Berri). Pour plus d’information: (514) 842-9686 ou www.articule.org.
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xLe Délit • 22 novembre 2005
Clairvoyance demandée
culturecinéma
Aux portes du paradis nous met au défi de connaître les intentions de deux martyrs palestiniens.
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ce sont des terroristes. Par la suite, le film nous met au défi de rester avec eux et de deviner ce qui se passe dans leurs têtes. C’est plus difficile qu’on pourrait se l’imaginer. Le réalisateur, un palestinien nommé Hany Abu-Assad, et les acteurs ne nous laissent pas beaucoup d’indices qui pourraient nous aider à nous faire une opinion objective sur eux. Alors, nous devons y mettre du nôtre pour que le film fonctionne. Croyez-moi, cela en vaut la peine. Bien que la plupart du film prenne le point de vue des deux martyrs, le réalisateur a tenu à équilibrer les choses pour ne pas faire une apologie du terrorisme. Ainsi, plusieurs scènes impliquent une jeune femme (Lubna Azabal) qui s’amourache de Saïd et qui est contre le terrorisme pour une simple question de bon sens. Elle incarne la voix de la raison dans ce film. Encore un peu et on oubliait que ces terroristes sont de toute évidence cinglés. Si elle n’était pas là, on aurait pu subir un lavage de cerveau intégral. Cela prouve la nécessité du personnage. Les acteurs réussissent à perpétuer le ton que le réalisateur voulait instaurer, c’est-à-dire un ton énigmatique. Leurs visages peuvent prendre mille significations différentes selon l’œil du spectateur. Cela veut dire que si le spectateur est un tant soit peu pessimiste, l’interprétation des acteurs va lui faire croire
gracieuseté du Cinéma du Parc
DAVID PUFAHL e conflit israélo-palestinien a fait les choux gras des journaux et des bulletins de nouvelles depuis bien des années. D’un autre côté, peu de films mettant ce conflit en avant-plan ont été créés. Le film de fiction Aux portes du paradis, une co-production de l’Allemagne, de la France, des Pays-Bas et d’Israël, m’a permis de comprendre un peu mieux les enjeux de cette guerre et de me mettre dans la peau de terroristes, ne serait-ce que pour 90 minutes. Les terroristes en question s’appellent Saïd (Kais Nashef) et Khaled (Ali Suliman). Ils travaillent dans un garage à Naplouse, en Cisjordanie. À première vue, on leur donnerait le bon Dieu sans confession. Ils ont l’air insouciant, paresseux et heureux de vivre. Un jour, on vient leur dire qu’ils ont été choisis pour un attentat-suicide à Tel-Aviv, en Israël. On pose des bombes sur eux, on les habille en noir et on les conduit jusqu’à la frontière. Maintenant, ils paraissent sûrs d’eux-mêmes et déterminés à accomplir leur mission. Malheureusement pour eux, ils se font repérer et se séparent. Khaled va rejoindre ses supérieurs et Saïd revient à Naplouse et se promène dans la ville avec des explosifs sur lui. Le but d’Aux portes du paradis est de nous mettre dans la peau des personnages principaux sans nous dire tout de suite que
Les hommes en noir sont prêts à casser la baraque.
qu’ils sont à deux pouces de faire sauter la bombe et de tuer beaucoup de gens. Si on est optimiste, on va croire qu’ils vont changer d’idée. C’est rare qu’on voie des personnages ou des scénarios qui sont si ouverts à être interprétés de toutes sortes de façons. Je crois que cette ambiguïté va provoquer beaucoup d’opinions opposées chez les critiques. Je ne serais jamais capable de donner ma vie pour une cause que je considérerais importante. Je crois que je suis trop attaché à la
Quand l’amour frappe
vie pour faire quelque chose comme ça. Malgré cela, ce film m’a porté à réfléchir. Il m’a aidé à pouvoir comprendre un peu mieux ces personnes radicales, sans nécessairement susciter mon approbation. Il m’a mieux renseigné sur le conflit israélo-palestinien qu’un simple bulletin de nouvelles. En fin de compte, le film est malléable à nos désirs, alors si vous avez la ferme intention d’en faire un bon film, ce sera chose faite. x
culturethéâtre
Le Théâtre TNC nous présente sa deuxième production de la saison: Fool for Love, un classique de Sam Shepard. SOPHIE LESTAGE gracieuseté du Théâtre TNC
Q
uand l’amour devient violent, voire brutal, on blâme la passion. S’il est déchirant, on condamne la raison. En effet, on pourrait croire que notre perpétuelle recherche de sens nous éloigne de l’amour, tout comme notre besoin de raison nous empêche de nous y abandonner. Pourtant, nous fuyons également les relations tièdes, comme si seul le sang avait une saveur. Sang qui unit ici Eddy et May, personnages principaux de cette pièce remarquable.Après un long moment d’absence, Eddy, intelligemment joué par Tim Diamond, revient voir celle qu’il aime, May, interprétée par l’éblouissante Alexandra Vincent. Cette dernière refuse de voir son ancien amoureux, prétextant qu’elle n’a plus de sentiment pour lui et qu’elle a refait sa vie. Or, la vérité est toute autre. Si Eddy et May ne peuvent vivre l’un avec l’autre, il n’en demeure pas moins qu’ils ne peuvent plus vivre l’un sans l’autre. Tel deux aimants. Deux amants. Le sang qui les unit transforme leur amour en malheur et les rend incapables de
L’histoire d’un amour interdit, déchirant, se voulant pourtant aveugle...
s’identifier en dehors de ce qui les relient et les séparent. Quinze ans que ça dure. Qu’ils se promettent d’être là l’un pour l’autre, de s’aimer et… de se faire souffrir. Quinze ans de pure torture mentale! Quand le présent s’accorde à l’imparfait, il n’y a plus rien à dire. À ajouter. L’amour
subsiste, mais à quel prix? Des fois, on espère davantage de la vie qu’une place libre dans un autobus bondé. On attend patiemment le feu d’artifices, mais rien ne retentit. Comme si le ciel et ses nombreux nuages masquaient tout ce qu’il y a à voir, tout ce qui, habituellement,
aurait fait notre bonheur. Seulement, ici, le bonheur est impossible. Dans la pièce Fool for Love, les portes s’ouvrent, se referment mais, surtout, elles claquent. C’est que l’incommunicabilité existant entre Eddy et May, pris au piège par un amour interdit, s’y reflète. De sorte qu’une porte s’ouvre sur le passé, se ferme sur l’avenir et ce, pour se refermer définitivement. Ils sont si près et si loin à la fois, incapables de se dire les vraies choses, parce qu’ils sont conscients qu’une fois ces choses dites, ils ne pourront plus retourner en arrière. Ils préfèrent de loin vivre comme avant, comme si rien n’était survenu, c’est-à-dire à l’époque où s’aimer n’était pas péché, qu’ils ignoraient quel lien les unissait et que seul l’amour triomphait. Malgré plusieurs problèmes techniques puisque, budget oblige, on utilise les moyens du bord (j’étais rendue à appréhender un suicide au couteau à beurre) et un vieil homme (Mackenzie Tan) qui n’a pas réussi à compenser pour le casting qu’il n’a pas, Fool for Love demeure une pièce qui témoigne d’un mal terrible,
soit celui d’aimer. Aussi présentet-elle des personnages traqués dans leur propre carcasse de chair, qui hurlent leur détresse. En effet, ce texte dramatique prend racine à même notre chair, nous mord la peau, laissant des marques telles de petites déchirures, puisque chaque réplique nous marque le cœur de vives coupures poignantes. Dans cette pièce de théâtre, on presse et tord la chair afin d’en extraire l’essence humaine, on éveille des sentiments troubles, faisant ainsi naître une violence et des pulsions dévastatrices, qui ne peuvent que susciter bien des bouleversements sur les spectateurs ébahis mais conquis. Sam Shepard a réussi, en dédramatisant toutes les notions de transgression, à nous faire découvrir la vie, l’amour, et une douleur intense qui est bien pire que la mort: la souffrance humaine. x Fool for Love est présentée jusqu’au 27 novembre au Morrice Hall (3485 rue McTavish). Pour réservations et pour plus d’information: (514) 3986600 et www.tnctheatre.com.
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La triste chanson de nos contes d’enfance
culturelivre
La Petite Fille aux allumettes : conte, jolie petite histoire, mythe à saveur de réalité...
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L’aventure du vin FLORA LÊ
L
’une des premières choses qu’il est primordial de comprendre concernant le vin, c’est son rapport avec la géographie. C’est ce que nous allons tenter d’explorer ici. En gros, le vin se définit par deux composantes: la vigne et la vinification. La première est le fruit de la nature, la seconde, du génie humain. La vigne se définit elle-même par plusieurs facteurs, comme le sol où elle pousse, le climat, l’ensoleillement, l’irrigation, etc. C’est la même chose pour la vinification, elle se définit par un ensemble de décisions concernant l’élaboration du vin, comme la durée de fermentation, la maturation en fûts de chêne, l’assemblage des cépages, le temps d’embouteillage avant la mise en marché, etc. Vous voyez facilement comment dans une seule bouteille de vin miroitent des dizaines de facteurs qui donnent au vin sa complexité et son unicité. Parce qu’il n’y en a pas deux pareils. Le climat Vous savez certainement déjà qu’il y a des vins du Chili, de l’Espagne, de l’Italie et de tout un paquet de régions en France, sans peut-être en comprendre les enjeux. Mais le vin, plus que n’importe quel produit d’importation, prend toute l’essence de son caractère dans la terre qui l’a vu naître, dans le terroir d’où il est issu. Comme chaque pays a son climat, qu’il y fait plus humide
des badauds empressés de remplir leurs cabas de mets et de présents pour célébrer dignement. Si empressés que nul ne voit ce petit tas vivant sur le trottoir, qui tend désespérément de dérisoires paquets d’allumettes. Il fait froid, le pas presse pour rentrer dans nos atmosphères calfeutrées, on ne voit ou ne veut plus voir ceux qui y restent. La petite fille ne peut pas non plus rentrer dans son taudis, car elle n’a rien vendu. Elle décide donc de craquer ses allumettes pour se garder au chaud et s’offrir un peu de bonheur dans cette nuit froide. Bonheur précaire et éphémère de la flamme d’une allumette, qui l’accompagne dans un sommeil où il ne fera plus jamais froid. Magie ou délire, qu’importe, chaque allumette craquée apporte un souhait exaucé. La voilà entourée pour quelques instants de gâteaux, cadeaux et valses, mais pour son dernier souhait, loin de là, elle choisit de s’en aller, priant sa grand-mère décédée de venir la chercher. Le lendemain matin, les passants trouvèrent dans l’encoignure le corps de la petite. Ses joues étaient rouges, elle semblait sourire: elle était morte de froid, pendant la nuit qui avait apporté à tant d’autres des joies et des plaisirs. Elle tenait dans sa petite main, toute raidie, les restes brûlés d’un paquet d’allumettes. «Quelle sottise!» dit un sans-cœur. «Comment a-t-elle pu croire
que cela la réchaufferait?» D’autres versèrent des larmes sur l’enfant, trop tard. Mais, nous dit la morale, la voilà désormais dans l’ «immensité» d’un grand chant de liberté avec sa grand-mère tant aimée. Un texte qui pourrait donc être parfois triste, voire cruel, mais qui résonne dans nos réalités. Car Les Contes Enchantés s’intéresse à l’essence d’un conte de fées traditionnel, en soulignent les valeurs éducatives de ce conte, la beauté de l’histoire, catharsis de sentiment que l’on ne sait pas encore exprimer. Par ailleurs, ce conte musical manie avec subtilité belles phrases, rythme et instruments, et module l’histoire dans des chants captivants. Le thème central du conte est approfondi par des chansons d’une grande richesse sémantique et d’une musicalité étoffée, alors que la théâtralité du style nous transporte dans un monde où l’imagination prend toute sa place. Pour vous? Pourquoi pas, juste pour la beauté du carnet, qui accompagne le texte de magnifiques illustrations toutes en nuances, ou idée cadeau pour ce Noël qui approche, pour votre famille, ou une petite fille sans allumette. x La Petite Fille aux allumettes, livre-disque de la collection Les Contes Enchantés est en vente chez Archambault.
Martin Poitras
MADO RANCÉ u’est ce qu’un conte? Malgré sa «fictivité avouée», le conte s’inscrit dans une communauté: il est marqué par les valeurs et les codes qui la caractérisent, jouant une certaine fonction initiatique. Donc, un conte, est-ce fait pour faire réfléchir, ou façon Dysney, pour perpétuer des mythes désuets aux princesses édulcorées et aux princes dont la raison d’être est de charmer? Est-ce une invitation à rêver, ou une morale prédigérée, incitant à acheter les produits dérivés, robe de fée en pur acrylique et rose bonbon acidulé? Les contes d’Andersen ne suivent pas la même musique. Ces contes, dont certains, tel La Petite Sirène, ont déjà été dénaturés à coup d’eau de rose par la machine Dysney, ne vendent pas du rêve mais le créent. Alors qu’actuellement on célèbre un peu partout dans le monde le 200e anniversaire de la naissance d’Andersen, Les Contes Enchantés revisite une oeuvreclé du célèbre conteur : La Petite Fille aux allumettes. L’auteure-compositrice Isabelle Morasse et le comédien-chanteur Robert Marien ont initié ce projet de conte musical, aujourd’hui devenu le premier livre-disque d’une série de huit. La Petite Fille aux allumettes raconte la triste histoire d’une fillette laissée à ellemême la nuit de Noël, noyée dans la valse
Les Contes Enchantés, entreprise d’Abitibi, publie le premier d’une collection de huit livre-disque.
La topographie du vin ou plus sec, et qu’il pleut souvent ou qu’il fait toujours soleil, la vigne, qu’elle pousse en Allemagne ou au Chili, ne bénéficie pas du même environnement. Les raisins sont nécessairement affectés par ce climat, les faisant plus ou moins sucrés, plus ou moins acides, plus ou moins foncés, etc. On pourrait conclure grossièrement que l’on obtient des vins rouges plus légers et des blancs plus acides au Nord, et des vins plus concentrés, plus foncés et plus forts en alcool à mesure que l’on descend vers le Sud. Les vins blancs seront très pâles, parfois même verdâtre au Nord, dorée ou jaune paille plus au Sud. La même chose se produit pour les rouges: rouge-orangé dans les régions plus froides, violacé ou poupre foncé dans les régions chaudes. Le sol Additionnons au climat le type de sol, qui est partout différent, et qui donne à la vigne un petit quelque chose. Si vous vouliez cultiver la vigne, vous lui donneriez peut-être une belle terre arable dans laquelle elle pourra vautrer ses racines. Eh bien, vous constateriez bien vite votre erreur puisque la vigne qui pousse dans un sol très prospère produit beaucoup de raisins mais de piètre qualité, gorgés d’eau et sans parfum, qui vous donneraient un vin médiocre. Ainsi, comme le veut la tradition européenne, une vigne doit «souffrir» pour enfanter des raisins capables de faire de bons vins. Il faudra donc lui donner un sol peu fertile, de calcaire,
d’argile ou de craie, mais tout de même bien drainé. Ce principe est poussé à l’extrême dans la région de Châteauneuf-du-Pape, qui nous fournit de grands vins, où le sol, si l’on peut encore l’appeler ainsi, n’est qu’une étendue de pierres. Les régions Voilà beaucoup de détails pour tenter de vous montrer comment chaque vignoble tient en partie sa spécificité de sa localisation géographique, lui donnant un climat et un sol particulier. C’est particulièrement vrai dans l’Ancien Monde (ce que l’on appelle l’Ancien Monde est la France, l’Italie, l’Espagne, le Portugal et l’Allemagne) et surtout en France, où toute l’organisation du monde vinicole se fait strictement en fonction du terroir. Ainsi dans ces pays, au seul nom d’un village ou d’une région, vous devriez être en mesure d’évaluer le caractère d’un vin. Mais si un Montepulciano, un Pomerol ou un Rioja ne vous disent rien, ce n’est qu’une question de temps, puisque les terroirs sont très nombreux, impossibles à systématiser et difficiles à retenir. Au grand malheur du néophyte, il faut apprendre à les connaître un par un, mais vous verrez, ça viendra. Il est seulement important pour l’instant de comprendre que la vigne donne des résultats complètement différents selon l’endroit où elle pousse. Par exemple, le pinot noir de Bourgogne sera très différent d’un pinot noir du nord de la Californie, même s’il s’agit exactement de la même sorte de
raisin. Il arrive aussi que certaines régions n’accueillent qu’une seule et unique sorte de cépage, comme dans le Chablis où l’on ne fait que du chardonnay, ou dans le Beaujolais qui ne fait que du gamay. Et inversement, certaines variétés de raisins ne dépassent pas leurs frontières nationales, quand on pense aux dizaines de cépages locaux portugais ou au zinfandel californien que l’on ne retrouve nulle part ailleurs dans le monde. La vigne est bien capricieuse, je vous l’accorde, mais c’est ce qui la rend si intéressante, toujours surprenante, et si imprévisible. De tous ces détails, un seul est important. C’est de comprendre que le vin trouve une grande partie de son caractère dans sa situation géographique. Si vous comprenez cela, vous savez déjà beaucoup de choses. Il ne suffira ensuite que de vous familiariser avec les différents terroirs et leurs cépages respectifs, et vous vous trouverez très bien outillés pour affronter un mur de bouteilles à la SAQ ou la carte des vins des restaurants. Pour ce qui est des cépages, on s’en reparle la semaine prochaine. Le cépage est le mot pour dire «la sorte de raisin». Comme les pommes qui peuvent être rouges ou vertes, McIntosh, Lobo ou délicieuse, les raisins sont produits dans des dizaines de variétés pour donner autant de résultats différents...
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La semaine prochaine: le cépage dans tous ses états. Questions et commentaires? flora.le@mail. mcgill.ca
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xLe Délit • 22 novembre 2005 Ariane Moffat Le Cœur dans la tête (Audiogram)
Steve Amirault Breath (Effendi Records)
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our les amateurs de jazz, Steve Amirault, pianiste canadien de renommée internationale, vient de sortir son nouvel album, Breath. Influencé pendant les années 60 et 70 par la musique populaire et le jazz, il a su prendre une réelle expérience d’artiste en participant à de nombreuses sessions d’improvisations dont celles du FIJM en collaboration avec les grands noms du jazz. Ses nouvelles compositions rythmeront parfaitement vos soirées et seront sans aucun doute largement appréciées par ceux qui aiment le mélange intéressant entre le piano, la contrebasse (Jim Vivian) et la batterie (Greg Ritchie). C’est
particulièrement cette dernière qui se démarque par de nombreux solos originaux et dynamiques. C’est ainsi qu’au travers d’une harmonie originale, le nouveau disque de Steve Amirault se démarque des précédents. Chacun des musiciens s’approprie son propre espace, tout en respectant celui des autres. La créativité s’exprime dans l’interaction entre les musiciens et leur public. Comme l’indique l’artiste dans une entrevue pour Hour (le 10 novembre), sa musique est pour lui basée sur la mélodie interne. L’aspect non traditionnel des structures n’empêche pas de faire de chaque création une «chanson» unique. En live, un réel échange physique se déroule sous les yeux du public. Les musiciens cultivent en effet un jeu de regards qui vient soutenir la musique. Cela crée une ambiance tout à fait particulière réellement ressentie par la salle entière. L’originalité de Breath est finalement de réussir à partager ce sentiment d’intimité au travers du seul disque. KARIN LANG
Cultiver la misère
Les rêveries du lecteur solitaire PIERRE-OLIVIER BRODEUR ’aime les grèves, les manifestations et les lignes de piquetage, ces hauts lieux du «chiâlage» populaire. Je n’allais donc pas manquer d’aller jeter un coup d’oeil chez Renaud-Bray pendant cette première fin de semaine de grève. Devant la succursale Côtedes-Neiges, une dizaine d’employés mécontents tournaient en rond en gueulant leurs slogans et en redirigeant aimablement les clients potentiels vers la librairie Olivieri, située juste en face. La cause de leur mécontentement se trouve dans le mépris avec lequel la partie patronale les traite. Eux qui possèdent un mandat de grève générale illimitée (voté à 94 p. cent!) depuis octobre ne se contiennent plus. Et pour cause: la direction a répondu à leurs demandes salariales (en gros une augmentation des échelles salariales de 2,50$ sur quatre ans ainsi qu’une progression de cinquante sous par année au lieu des vingt actuels) en leur proposant un gel des salaires, ce qui a entraîné leur sortie de cette fin de semaine. Cette dernière était d’ailleurs jumelée à une manifestation devant le Salon du livre, laquelle aurait rassemblé plus de 150 personnes. La colère était visible chez ces employés souspayés. «C’est révoltant!», me lance l’un d’eux avant de poursuivre. «On est des diplômés universitaires, des personnes-ressources, des spécialistes et on se fait traiter comme de vulgaires commis!» Un autre
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gréviste m’assure que si la situation ne se règle pas bientôt, ils déclencheront de nouveau une grève pendant la période des fêtes, «là où ils font 40 p. cent de leur chiffre d’affaires». Technique SAQ, donc, mais qui sera certainement beaucoup plus efficace appliquée à un commerce qui ne détient pas le monopole. C’est sur l’heureuse vision de succursales vides que j’ai quitté la ligne de piquetage, un sourire aux lèvres, à la bouche un slogan: «Renaud-Bray cultive la misère!» *** Malgré le doux plaisir que me procure un conflit de travail dans un commerce que j’abhorre, je ne peux m’empêcher d’être inquiet. Ce conflit me semble en effet très symptomatique d’un phénomène qui n’a rien pour réjouir les étudiants en lettres: la «déprofessionnalisation» de la formation littéraire. Il s’agit ici de bien plus que de la simple perte de prestige de la littérature (l’âge d’or des politiciens cultivés, comme l’étaient Mitterand et Bouchard, est depuis longtemps révolu), c’est à un dénigrement de l’éducation spécialisée en lettres que nous assistons ici. Non seulement la connaissance du domaine littéraire n’est en rien valorisée (comme le démontre d’ailleurs le conflit chez Renaud-Bray, où des gens possédant de solides formations universitaires sont traités comme des emballeurs d’épicerie), mais en plus la connaissance de la langue qu’acquièrent les étudiants en littérature n’est plus reconnue. Dorénavant, pour tout ce qui a trait à la rédaction ou à la correction, on cherche des diplômés en communication. Quelqu’un peut-il m’expliquer en quoi les théories de McLuhan sur le médium et le message garantissent à l’étudiant une connaissance adéquate de la langue française? Quel est le lien entre dresser un organigramme des communications dans une entreprise et rédiger un article? Il semble que, de la même manière que la littérature est de plus en plus reléguée par les médias en périphérie du monde vécu, la formation littéraire n’est plus perçue que comme l’art de pelleter des nuages. Et de placer des livres sur des présentoirs…
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st arrivé récemment sur les rayons de votre disquaire préféré, ou de façon plus ou moins légale sur votre lecteur MP3, le nouvel album d’Ariane Moffat. Après le succès monstre d’Aquanaute paru en 2002 qui s’est rendu jusqu’au Japon avant d’être récemment lancé en France, l’auteur-compositeur-interprète a récidivé avec brio avec Le Cœur dans la tête. Avec les 100 000 exemplaires de son premier album, c’est dire qu’elle a fait un certain bout de chemin depuis la finale de Cégep en Spectacles en 1996… Enregistré à Paris et à Montréal et Sutton, Le Cœur dans la tête est un album passablement éclectique qui mélange sans complexe plusieurs genres musicaux. La pièce titre du disque est résolument rock, ce qui n’est pas étonnant étant donné la collaboration du rockeur français M. Le
contraste est d’autant plus marqué avec la chanson «Imparfait». Elle fait ici un clin d’œil à son ancien patron et mentor, Daniel Bélanger, en la réinterprétant de manière dépouillée avec un accompagnement de piano seulement. «Imparfait» est d’ailleurs la seule pièce de l’album à n’être pas de son cru. Un petit remerciement à Daniel Bélanger avec qui elle s’est fait connaître en l’accompagnant lors de sa tournée Rêver mieux. Mlle Moffat rend aussi hommage à Robert Charlebois dans la composition «Montréal», aux accents reggae. Une pièce, «Terminus», est électronique et «Will You Follow Me», pop. Hautement hétérogène au niveau des arrangements musicaux, l’album est toutefois homogène dans ses paroles. Ce qui transcende les différentes pièces, c’est le caractère hautement personnel, voire même intime du propos. Le Cœur dans la tête est bel et bien une œuvre musicale d’excellente qualité qui charme à sa première écoute. À ne pas confondre donc avec les innombrables «produits musicaux» préformatés inondant les grandes surfaces de ce monde. DAVID DROUIN-LÊ
Calendrier SEMAINE DU 22 AU 28 NOVEMBRE Cinéma No Man’s Land, film yougoslave – McGill East European and Russian Film/ Documentary Series – mardi 22 novembre – 18h – Pavillon des Arts, salle 265 – (514)398-6843 ou (514)398-6120 Pour la suite du monde (M. Brault, M. Carrière et P. Perrault, 1963) – présenté par le Student Cinema Network – mardi 22 novembre – 19h30 – Pavillon des études culturelles (3457 Peel) – www.ssmu.ca/scn Revues étudiantes Steps – magazine littéraire – recherche textes pour leur 3e numéro – thème: la confession – stepsmagazine@gmail.com Canvas – revue d’Histoire de l’art de McGill – recherche revues d’expositions, critiques d’art, essais personnels ou photos, dessins, peintures, etc. – date de tombée le 31 janvier – ahsajournal@gmail.com Hotel – revue de critique – recherche lecteurs et éditeurs pour collaborer au 5e numéro – réunion le jeudi 22 novembre – 17h30 – Pavillon des Arts, salle 305 – hotel@mail. mcgill.ca Lectures publiques «Shells of the Redpath Museum: Treasures and mysteries» – Dr Anthony Ricciardi (curateur du musée) – commanditée par le Redpath Museum Student Club – jeudi 4 novembre – 16h – Musée
Redpath, auditorium – (514)3984086 ext. 4094 «The art of slavery: How masters and serfs created culture in Imperial Russia» – Richard Stites (Université Georgetown) – présentée par le Département d’études russes et slaves – 18h – Pavillon Leacock, salle 232 – (514)398-3639 Musique The Showcase – présenté par MPAN (Musicians’ and Performing Artists’ Network) – douze artistes, ambiance décontractée, gâteaux, croustilles et bière – vendredi 18 novembre – 18h30 – Shatner Ballroom – 4$ – www.ssmu.mcgill. ca/mpan McGill Jazz Orchestra III – chef d’orchestre Christine Jensen – mardi 22 novembre – 20h – Pavillon de Musique Strathcona, salle Polack – 5$ – (514)398-4547 McGill Noon-Hour Organ Recital Series – John Grew (orgue) – Montreal Bach Festival 2005 – œuvres de Böhm, de Grigny et J.-S. Bach. – vendredi 24 novembre – 12h15 – Salle Redpath – entrée gratuite – (514)398-5145 McGill Baroque Orchestra and Concert Choir – répétition publique – directeur Frieder Bernius – œuvres de J.-S. Bach – Montréal Bach Festival 2005 – salle Redpath – entrée libre – (514)398-4547 ou (514)295-9752
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xLe Délit • 22 novembre 2005