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Éditorial
xle délit | 7 février 2006 www.delitfrancais.com
La mondialisation des susceptibilités Lorsque douze dessins embrasent la planète et que la liberté d’expression est menacée par «certaines» susceptibilités. David Drouin-Lê Le Délit
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Ça commence au Danemark Au mois de septembre, un quotidien danois publie douze caricatures du prophète de l’Islam. Celles-ci passent relativement inaperçues en dehors du pays jusqu’au moment de leur reproduction dans un magazine norvégien à la mi-janvier. Des protestations d’élèvent par la suite de la part de musulmans à travers le monde, accusant les deux médias de blasphème à l’endroit de ce symbole sacré qu’est le Prophète. Plusieurs gouvernements de pays musulmans exigent même des États danois et norvégiens qu’ils réprimandent les médias fautifs pour leurs actes «blasphématoires». Les deux pays scandinaves refusent au nom du principe de la liberté de presse. S’ensuit alors un mouvement de protestation hors du commun dans les pays musulmans. Manifestations à répétition contre les pays scandinaves accusés, drapeaux brûlés, boycott de leurs produits. Parallèlement, en soutien à leurs collègues scandinaves, d’autres journaux européens ont renforcé le courroux de certains
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Intolérance et itinéraire
LE SEUL JOURNAL FRANCOPHONE DE L’UNIVERSITÉ MCGILL RÉDACTION 3480 rue McTavish, bureau B•24 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 (514) 398-6784 Télécopieur : +1 (514) 398-8318 redaction@delitfrancais.com
international
a mondialisation est plus souvent qu’autrement associée à un phénomène économique transnational qui a pour conséquence de réduire la souveraineté des États au profit des entreprises. Avec l’affaire des caricatures du prophète Mahomet, nous pouvons observer comment des actions internes peuvent se transposer à l’étranger avant d’engendrer des conséquences internes. Il ne s’agit pas ici d’un complot de la CIA, mais bien de comment la liberté de presse est affectée par l’absurde mondialisation de la diffamation et son corollaire qu’est la mondialisation des susceptibilités.
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En réaction à la polémique entourant la publication des caricatures de Mahomet, Le Délit espère créer un nouveau scandale en publiant une caricature de schtroumpf s’injectant de l’héroïne pure (c’est pour ça qu’il est difforme). Les parents choqués pourront envoyer leurs plaintes à la rédaction à l’adresse habituelle. musulmans en décidant à leur tour de publier les caricatures. Les manifestations de colère s’accentuent au Proche-Orient. Les missions diplomatiques des pays concernés sont incendiées et leurs ressortissants menacés de mort. À un niveau moindre, puisque pacifiques, les manifestations s’étendent à l’Europe. Montréal n’est pas en reste puisqu’un imam local, Said Jaziri, a annoncé au Devoir, dans son édition du 4 février, une manifestation le 11 février «pour dénoncer cette insulte». La liberté d’expression en état de siège Réagissant à cette fraîche controverse internationale, le département d’État américain a blâmé les médias européens concernés en disant que la liberté d’expression devait être balisée en certaines circonstances. Vous me direz que ce n’est pas surprenant d’entendre cela de la bouche d’un gouvernement qui exige la même chose de ses propres médias lorsque «la sécurité nationale est menacée». Ce qui est encore plus aberrant est la réaction de son allié indéfectible, la Grande-Bretagne, qui a félicité ses médias nationaux pour ne pas avoir imité leurs homologues continentaux en refusant de publier les désormais célèbres caricatures. Autocensure, P.Q. Au Québec, les caricatures n’ont pas encore été reproduites. Plusieurs
éditorialistes et chroniqueurs adoptent dans cette affaire une position toute utilitariste en affirmant qu’il serait non avenu de les reproduire ici puisque rien de bénéfique n’en résulterait. «Ça jetterait de l’huile sur le feu», «Tout le monde en a entendu parler», «Ça a déjà causé assez de merde», etc. Notons ce paradoxe: les médias de masse font quotidiennement état de la controverse sans oser exposer au public l’objet qui en est au cœur même. On invoque principalement le désir, à ce stade-ci, de ne pas heurter davantage certaines sensibilités. Et quoi encore? Pourquoi une telle pudeur journalistique lorsqu’il est évident qu’il est dans l’intérêt public de les reproduire, ne serait-ce que pour laisser le droit au public québécois de juger par lui-même? Il n’y a qu’un terme pour décrire l’attitude des médias de masse québécois: l’autocensure. Les journaux n’ont pas pour mission de louanger et de respecter les tabous de tous et chacun. Même s’il y a récupération politique, ce n’est pas le problème de la presse qui aura joué son rôle en soulevant un débat public. Le droit à l’erreur et les abus pouvant malheureusement en résulter sont intrinsèques à la liberté d’expression, qui ne saurait exister sans eux. Les tribunaux existent pour baliser la liberté d’expression. Celle-ci ne doit pas être assujettie à la crainte d’attiser les susceptibilités de certains à l’échelle nationale ou internationale. x
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Québec solide: de la dynamite?
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N’ajustez pas vos appareils!
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Un promeneur particulier
Vous vous ennuyez? Notre réunion de collaborateurs a lieu le mardi dès 16h30 au local B•24 du Shatner.
Rédacteur en chef david.drouinle@delitfrancais.com David Drouin-Lê Chefs de pupitre–nouvelles nouvelles@delitfrancais.com Laurence Bich-Carrière Jean-Philippe Dallaire Chef de pupitre–arts&culture artsculture@delitfrancais.com Agnès Beaudry Rédacteurs-reporters Maysa Pharès Marc-André Séguin Coordonateur de la production production@delitfrancais.com Alexandre de Lorimier Coordonateurs de la photographie Mathieu Ménard Coordonateur de la correction Pierre-Olivier Brodeur Chef-illustrateur Pierre Mégarbane Collaboration Adrien Beauduin, Émilie Beauchamp, Christopher Campbell-Duruflé, Lucille Hagège, Karin Lang, Flora Lê, Sophie Lestage, Laurence Martin, David Pufahl, Samuel Saint-Pierre Thériault, Giacomo Zucchi Couverture Mathieu Ménard BUREAU PUBLICITAIRE 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 (514) 398-6790 Télécopieur : +1 (514) 398-8318 daily@ssmu.mcgill.ca Publicité et direction générale Boris Shedov Gérance Pierre Bouillon Photocomposition Nathalie Fortune The McGill Daily • www.mcgilldaily.com coordinating@mcgilldaily.com Joshua Ginsberg Conseil d’administration de la Société de publication du Daily (SPD) David Drouin-Lê, Joshua Ginsberg, Rebecca Haber, Rishi Hargovan, Mimi Luse, Rachel Marcuse, Joël Thibert, Jefferey Wachsmuth L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société de publication du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). Les opinions exprimées dans ces pages ne reflètent pas nécessairement celles de l’Université McGill. L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal. Le Délit est membre fondateur de la Canadian University Press (CUP), du Carrefour international de la presse universitaire francophone (CIPUF) et de la Presse universitaire indépendante du Québec (PUIQ). Imprimé sur du papier recyclé par Imprimeries Quebecor, Saint-Jean-sur-leRichelieu (Québec).
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délit | 7 février 2006 04 xle www.delitfrancais.com
bons baisers de mcgill
Controverses Il était une fois une petite insolite
Qui a peur des danoises?
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ui a dit que les peuples scandinaves étaient plutôt pacifiques? At-on oublié que les ancêtres des Suédois, Norvégiens, Finlandais et autres Danois mettaient il y a de cela quelques siècles l’Europe à feu et à sang? Des générations plus tard, le sang viking à l’origine de pillages et de massacres referait-t-il surface? Plusieurs conviendront qu’il y a quelque chose d’assez surprenant dans le fait de parcourir les nouvelles et d’y constater que des foules en transe brûlent et piétinent le drapeau… danois, et non américain, britannique ou français. Le tout, pour une histoire de caricatures, pour la plupart assez drôles en fait. Le Danemark n’est pas vraiment reconnu comme un pays aux fortes tendances impérialistes. À Copenhague, les gens se promènent à vélo et sont plutôt écolos. Comme la plupart de ses comparses de Scandinavie, le pays distribue annuellement des centaines de millions d’euros en aide internationale. Avec une population d’environ 3,4 millions d’individus, il compte deux fois moins d’habitants que le Québec. Le pays est démocratique et la liberté d’expression y est très forte. Toute cette ouverture cacherait-elle une certaine intolérance? Il peut être difficile de tracer la ligne entre ce qui est acceptable d’exprimer, et ce qui l’est moins. En permettant à douze caricaturistes d’illustrer le prophète Mahomet, un journal danois a visiblement donné à quelques-uns d’entre eux une occasion d’exprimer une opinion sur l’islam ou certains de ses supporteurs qui ne s’accorde pas au ton politiquement correct propre à notre époque. Il est raisonnable de penser que de voir un prophète coiffé d’un turban explosif froisse quelques individus au sentiment religieux bien développé. Pourtant, il semble tout au moins raisonnable de penser que la réaction des foules (et des groupes qui les animent?) est peut-être excessive. Aucune information n’a filtré à l’effet qu’Israël aurait pour projet de vouer une haine profonde au Danemark parce que le pays pousse son désir de protéger la liberté d’expression jusqu’à tolérer l’existence d’une station de radio ouvertement nazie… Aussi, si certains caricaturistes ont pu pousser l’audace un peu loin, on se demande en quoi l’ensemble des Danois devrait être vilipendé et voir ses ambassades de par le monde musulman risquer d’être incendiées. Surtout, il faut se demander s’il n’y a pas des fronts sur lesquels une société libre et démocratique ne peut pas se permettre de reculer. La liberté d’expression doit être un de ceux-ci. Elle est essentielle afin de permettre aux débats publics d’avoir lieu de la façon la plus respectueuse possible des libertés de chacun. Elle doit être la plus large possible et ne peut être limitée de façon trop importante. Il est étrange de voir certains régimes qui tolèrent mal l’activisme permettre à des foules hargneuses de défiler dans les rues afin d’exprimer leur désaccord lorsqu’il est question d’adresser des reproches à l’étranger. Rien de tel lorsqu’il est temps de critiquer les autorités… Tout ça nous démontre bien les dangers de ne laisser qu’une seule opinion, dominante, s’exprimer. Il faut permettre à tous de faire valoir leurs positions, et à ceux qui les écoutent de décider pour eux-mêmes de ce qu’il faut retenir… Peut-être ces caricatures ont-elles insulté certains musulmans. Pourtant, une des valeurs fondamentales de plusieurs sociétés occidentales est la liberté d’expression, comme le respect de l’image du Prophète est une valeur importante dans plusieurs pays de religion musulmane. Peu importe la mésentente sur l’endroit où tracer la ligne lorsque ces valeurs entrent en conflit, rien ne justifie d’incendier des édifices et de causer la mort d’innocents. Ou, pour l’Irak, de boycotter les produits danois et de refuser l’aide humanitaire en provenance de ce pays. C’est qu’une question demeure: qui a vraiment peur du Danemark? Pas moi. Qu’elles soient aux fraises, au citron, aux bleuets ou aux framboises, j’aime les danoises et continuerai d’en manger. Avec du crémage. x Jean-Philippe Dallaire
Conducteur de droit divin. Dieu pourrait perdre le droit de se trouver derrière le volant d’une voiture. En effet, l’Américain Paul Sewell, 40 ans, se voit menacé de la révocation de son permis de conduire faute de produire des documents justifiant son identité. Le lien? Depuis plusieurs années, l’homme signe tous ses papiers officiels sous le nom de «God», ce qui ne lui avait causé aucun problème jusqu’à maintenant. Chasseur de prime, Sewell tient l’idée de ses collègues de travail, qui lui ont fait remarquer que chacune de ses proies lui disait «Oh, God!» avant d’être capturée... (CNEWS/ AP) Opération: Ninjas. Imaginez-vous en charge de l’organisation d’un prestigieux rallye de voitures antiques devant se dérouler au milieu des somptueux paysages de Nouvelle-Zélande. Quel serait votre plus grave problème? Apparemment, il s’agirait de la présence des perroquets, attirés par les objets brillants, qui risqueraient d’endommager les automobiles. Qu’à cela ne tienne, il existe une solution évidente: avoir recours aux quarante membres d’un club de karaté. À l’aide de leurs techniques spéciales, ceux-ci saurontils vraiment effrayer des perroquets que les législations environnementales les empêchent de toucher? «Je crois que les perroquets voleront autour et riront», indique plutôt le garde-chasse Ray Bellringer. Selon lui, un pistolet à eau serait beaucoup plus efficace... (CNEWS/AP) Toilettes portatives. Plusieurs travailleurs chinois laissent leur famille à la campagne pour aller tenter leur chance à la ville. Une fois arrivé le Nouvel An, ils désirent cependant y retourner afin de fêter le tout en famille. Les infrastructures déficientes du pays forcent cependant tous ces voyageurs à s’entasser dans des trains bondés, occupant ainsi les filets à bagages, l’espace entre les voitures et... les toilettes. Comment donc se soulager lorsque les trajets durent souvent plus de vingt-quatre heures? Avec une couche! Fiction ou réalité? Dans le Sud du pays, les ventes de couches pour adulte ont bel et bien augmenté de 50% avec la nouvelle année... (Courrier international/China Daily) Comme si de rien n’était. Les travaux allaient bon train près de la ville allemande de Weimar, où on procédait récemment au démontage de quelque cinq kilomètres de rails sur une voie ferrée désaffectée. Tout allait bien jusqu’à ce que le maire de la ville, suspicieux, s’enquière auprès de la compagnie de chemin de fer allemande Deutsche Bahn de la régularité du démantèlement. Selon la compagnie, l’opération n’avait rien de prévu et serait plutôt le fait de voleurs de rails. Un forfait qui pourrait tout de même rapporter, au prix de la ferraille, une somme d’environ 200 000 euros... (Reuters/Yahoo! France)
En trois vitesses En hausse Le pouvoir fulgurant d’Internet On le savait, les cycles de vie sur Internet ne sont pas ceux des autres médias. L’affaire des caricatures de Mahomet qui secoue le Danemark, l’Europe et le Moyen-Orient en est un bon (quoique malheureux) exemple. En septembre, des caricatures du Prophète étaient publiées dans le journal danois et ce n’est que ces jours-ci qu’ils embrasent les populations musulmanes (qui s’interdisent les représentations du Prophète), qui se mettent à piétiner le drapeau danois, à assaillir les ambassades européennes dans la bande de Gaza et à protester contre les journaux européens qui les ont reproduites en signe de solidarité pour la liberté de presse. (AFP/SRC)
Au neutre Vincent Lacroix L’ex-PDG de Norbourg qui a ruiné plusieurs investisseurs du Québec cherche à avoir accès à certains de ses avoirs ainsi qu’à obtenir le dégel de ses comptes en banque afin de payer ses frais d’avocats. Sa demande initiale s’élevait à un million de dollars, mais a été ramenée à 300 000$. On lui a quand même refusé. Non, mais. (SRC)
En baisse La Société des alcools du Québec Les retombées de la grève à peine effacées de la mémoire collective,voici que la Société des alcools du Québec se retrouve au cœur de la tourmente avec cette histoire de pressions faites à ses fournisseurs pour qu’ils augmentent leurs prix. Résultats: après quelques semaines de déni, deux viceprésidents sont mis à la porte. Mais l’histoire n’est pas finie car Mériaux, dont le président a dit en ondes «qu’il lui avait menti à deux reprises», vient de le mettre en demeure. À suivre, peutêtre dans une spirale vers le bas. (SRC/LaPresse)
La citation de la semaine
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ous sommes une coalition dont la direction est formée de cinq membres, moitié hommes, moitié femmes.»
Amir Khadir, porte-parole masculin de Québec solidaire, le parti de gauche formé cette fin de semaine par l’union d’Option citoyenne et de l’Union des forces progressistes, en entrevue au bulletin de nouvelles de 18h de samedi à propos de la possibilité d’un comité de direction collégiale. Quelqu’un peut nous expliquer comment on peut faire deux moitiés égales avec cinq personnes? (SRC)
Controverses
Revue de la presse étudiante
Comme à chaque deux semaines, Le Délit vous propose sa revue de la presse universitaire du Québec. Montréal Campus, UQÀM, édition du 25 janvier 2006. Gabriel Béland couvre les récents développements du monde des associations
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xle délit | 7 février 2006 www.delitfrancais.com
étudiantes au Québec et de leur lutte pour l’accessibilité de l’édu cation. «La FAÉCUM doublée sur la gauche» nous apprend que cinq associations étudiantes se sont désaffiliées de la fédération étudiante principale de l’Université de Montréal pour former un regroupement qu’ils jugent «plus progressiste» et «moins bureaucratique», la CALESH (coalition des étudiants de lettres et de sciences humaines). «La manière dont la grève [de l’an dernier] a été réglée a été la goutte qui a fait déborder le vase», explique Marc-André Faucher, partisan de la CALESH. La FAÉCUM avait été aux côtés de la FEUQ dans les négociations avec le ministre de l’éducation, une position critiquée par des regroupements plus radicaux comme l’ASSÉ. Impact Campus, Université Laval, édition du 31 janvier 2006. «Le Québec n’est pas le plateau MontRoyal». C’est ainsi que Charles-Émile L’Italien Marcotte intitule son article, en
citant Marie-France Bazzo au lendemain des élections fédérales. Il y expose la rivalité qui oppose les gens de la métropole aux gens de la capitale nationale. Cet article explore la frustration que peut ressentir le reste du Québec à propos de ce qui est appelé «la «montréalisation» du Québec.» Devant, par exemple, les réseaux de médias de masse qui véhiculent avec un certain snobisme information et culture faites sur mesure pour Montréal. La percée des conservateurs à Québec signifie-t-elle que le Bloc québécois, malgré l’icône que représente Québec dans le projet national, s’est mis au parfum des insulaires? La Rotonde, Université d’Ottawa, édition du 6 février 2006 À peine sortis des élections fédérales, les étudiants de l’Université d’Ottawa sont plongés dans des élections scolaires et c’est l’alcool qui semble au cœur de leurs préoccupations, nous rapporte Étienne Brown. Du côté des deux candidats à la
vice-présidence aux affaires sociales, on croit que «[l]’alcool n’a pas sa place dans tous les événements organisés par la Fédération étudiante de l’Université d’Ottawa» (FÉUO). Autre sujet de controverse, le nouveau bar étudiant. Aux affaires sociales, on croit qu’il pourra offrir une tribune aux clubs culturels: «Le bar permettra à la FÉUO d’inviter plusieurs groupes de musique et donc d’organiser plus de concerts», affirme l’un des candidats, propos sensiblement repris par l’autre. Le sujet est beaucoup moins rose pour les candidats aux affaires étudiantes. Ainsi, entre les questions habituelles sur le bilinguisme, l’élu aura à faire face à la colère de certains étudiants insatisfaits de ce que le nouveau bar jouxte... le Centre d’entraide! Cela dit, les candidats semblent tous avoir proposé de changer l’emplacement du centre. x
Compilé par Christopher Campbell-Duruflé et Laurence Bich-Carrière
D C Aimez-vous les cinq à sept?
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uoi de mieux, un jeudi soir, après les cours ou le bureau, de se détendre entre collègues autour d’une (de quelques) bière(s) ou cocktail(s) et de nourriture? Sûrement pas rentrer à la maison pour faire des lectures, regarder la télé ou passer la vadrouille dans la salle de bain… Les cinq à sept sont des événements sociaux d’une importance capitale. Ils permettent à des gens qui entretiennent des relations essentiellement académiques ou professionnelles de se réunir dans un contexte plus décontracté afin de faire plus ample connaissance. En offrant une bonne occasion aux plus délurés de commettre des excès, ils mettent en place un climat de franche camaraderie et permettent à tous d’avoir quelques histoires drôles à se raconter lors de la dernière journée de la semaine. Enfin, il ne faudrait surtout pas sous-estimer leur rôle d’alternative efficace aux nombreux sites et réseaux de rencontres… L’amélioration des relations interpersonnelles ne constitue cependant pas le seul avantage de ces événements. En effet, dans un contexte étudiant, les cinq à sept sont aussi de bonnes occasions de jouer aux pique-assiettes. Que la soirée soit organisée par un organisme étudiant, une association médicale quelconque ou alors une firme en quête de recrues bien fraîches, vous pouvez être bien certains que l’alcool coulera à flots et que la pizza, les fromages ou les bouchées seront présents en quantités beaucoup trop importantes pour le nombre d’invités. Le tout, bien souvent, tout à fait gratuitement ou à prix modique. Qui s’en plaint, lorsque l’épicerie n’a de toute façon pas été faite depuis des jours? x
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acile d’aimer les cinq à sept. Facile aussi d’aimer les sardanapaliennes agapes, les babyloniennes boustifailles, les orgies comme seuls les plus décadents des Romains savaient en faire. Et le principe de modération, alors? Et la beauté de l’ascèse? Et les joies du jansénisme? Oh bien sûr, l’époque ne s’y prête guère. Les chevaliers à la triste figure sont morts depuis longtemps. Aujourd’hui, on aime se défoncer, jouer dangereux, parce qu’après tout, on ne vit qu’une fois. D’abord, cela n’est pas prouvé et ma voisine m’assure avec une voix sépulcrale qui me dispose tout à fait à la croire, qu’elle est la troisième réincarnation de Cléopâtre (Cléopâtre IV, pas la Cléopâtre de Marc-Antoine qui est devenue trop commune), mais l’existence de la réincarnation change-t-elle quoi que ce soit au fait qu’il soit important de donner dans la juste mesure? Un corps sain dans un esprit sain: état, s’il en est un, d’équilibre et de raison. On est loin de la débauche à laquelle incitent les cinq à sept et leurs organisateurs un peu pervers qui n’attendent qu’une demoiselle pompette à serrer dans les corridors ou un jeune premier bien «gorlot» qu’on pourra mortifier en lui rappelant à demi-mot certaines scènes à l’abat-jour compromettant. Dans les cinq à sept «professionnels», des étudiants paumés et désintéressés s’empiffrent sans retenue sur le bras des bureaux d’ingénieurs, d’avocats ou de comptables assez naïfs pour croire qu’on se souviendra d’eux après la brosse du lendemain. Et ce n’est guère différent pour les petits cocktails sociaux aux nourritures aussi indigestes que les causes qui sentent le remplissage de CV à plein nez. Forçons-nous à boire du vin en boîte et de la bière tiède jusqu’à plus soif, regarder les miettes de bouchées conçues pour un repas assis tomber dans un corsage et n’oublions surtout pas de réseauter hypocritement avec des gens dont on n’a jamais vraiment perçu le nom tant la musique était forte et qui, de toutes façons, ne nous intéressent pas. x
Chaque semaine, Le Délit choisit un sujet controversé. Les journalistes devant défendre respectivement le pour et le contre sont tirés aux hasard. Cette semaine, Laurence Bich-Carrière et Jean-Philippe Dallaire s’affrontent dans le ring. Il est à noter que les positions exprimées ne sont pas nécessairement partagées par leur auteur.
Nouvelles
xle délit | 7 février 2006 www.delitfrancais.com
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La justice est-elle aveugle? Itinérance: quand les lois traduisent l’incapacité d’une société à s’accepter elle-même. local Christopher Campbell-Duruflé Le Délit
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vez-vous déjà gêné la circulation sur la voie publique, en y flânant ou en y déposant un sac? Traité avec l’occupant d’un véhicule à partir de la chaussée? Traversé un chemin public à un autre endroit qu’une intersection? Utilisé le mobilier urbain à une autre fin que celle à laquelle il est destiné? Marché dans un parc après 23h? Probablement. Mais, il est aussi fort probable que cela ne vous ait pas valu un constat d’infraction ou une amende de 120$. Le décalage de la judiciarisation Chercheuse au Centre international de criminologie comparée de l’Université de Montréal, la docteure Céline Bellot est l’auteure d’une étude intitulée La judiciarisation des populations itinérantes à Montréal (1994-2004) où elle dresse le premier portrait des 22 685 constats d’infraction remis sur dix ans à 4036 jeunes et adultes de la rue. Sa conclusion: la réglementation qui assure l’ordre et la paix sur la voie publique a été utilisée quatre fois plus à l’égard des personnes itinérantes en 2004 qu’en 1994. La question qu’elle pose: le système judiciaire aide-t-il ces personnes? C’est dans cette veine que le Forum sur la judiciarisation des personnes itinérantes réunissait le 3 février dernier intervenants
de rue, chercheurs et juristes. Tous étaient unanimes à constater l’absurdité de la judiciarisation de ces personnes déjà en difficulté. Pour Pierre Gaudreau, coordonnateur du Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM), résidents, commerçants et usagers du centre-ville contribuent à l’utilisation répressive et discriminatoire de la loi par les forces de l’ordre. «La gentrification du centre-ville [et son discours du «pas dans ma cour» font] pression auprès des élus municipaux chaque fois que les policiers se montrent plus tolérants.» Égaux devant la loi? Une fois le premier constat d’infraction émis et délivré en vertu des règlements municipaux, de ceux de la STM, du Code de la sécurité routière ou du Code criminel, la machine se met en route et les ennuis commencent. La docteur Bellot souligne que l’amende initiale de 120$ en moyenne triple habituellement pour atteindre 371$, rien qu’en frais de procédure. Il suffit d’une entorse ou d’une récidive pour que les choses empirent. L’amende gonfle alors «pour atteindre des sommes surréalistes lorsqu’on n’a rien dans les poches». C’est à ce moment qu’il devient important de connaître ses droits, souligne Bernard St-Jacques, responsable de l’Opération droits devant. Cette initiative du RAPSIM œuvre à l’information juridique des intervenants et des personnes itinérantes et à la sensibilisation de la population. M. StJacques souligne cependant que ce n’est pas
chose facile que de convaincre un itinérant d’aller à la Cour municipale lorsqu’il a le sentiment d’être victime d’une contravention arbitraire et discriminatoire. Pour certains avocats, comme Me Noël Saint-Pierre, si l’application instrumentale des règlements est discriminatoire, elle pourrait être contestée en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés. Selon Me Dominique Larochelle, de l’aide juridique de Montréal, la profession juridique a elle aussi une responsabilité de prévenir un «emballement du système».
Regarder différemment Les sommes exigées aux gens de la rue par la société se chiffrent souvent en milliers de dollars. Leur paiement s’effectue parfois par des travaux communautaire, souvent au prix de 25$ par jour de prison. D’après France Labelle, du Refuge des jeunes de Montréal, «la judiciarisation des populations itinérantes est symptomatique du regard que porte notre société sur elle-même. Tant qu’elle distinguera citoyen et itinérant, qu’elle dépossèdera les individus marginalisés de leur identité, elle sera incapable de les aider réellement.» x
La colombe de saint Jean Vanier Le fondateur de L’Arche vient parler de paix, de sécurité, d’entraide et d’altruisme. local Giacomo Zucchi Le Délit
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ean Vanier est revenu dans son pays natal mercredi dernier pour discuter de la paix dans le monde. Ou plus exactement, il a posé la question suivante devant un auditorium plein à la salle de concerts Oscar-Peterson de l’Université Concordia: «Que sommes-nous prêts à perdre pour promouvoir la paix?». D’après lui, notre société est malmenée par une culture individualiste.
Qui est Jean Vanier? Né en 1928, Jean Vanier est le fils de Georges Vanier qui fut Gouverneur général du Canada de 1959 à 1967. Après des études à Paris, il a enseigné la philosophie pendant plusieurs années à l’Université de Toronto. Durant les années 60, alors qu’il était installé en France, il a pris conscience des souffrances que plusieurs personnes handicapées subissaient dans leurs institutions et décidé de poser un geste concret: il invita deux hommes à quitter leurs établissements respectifs pour venir vivre dans une vraie maison. C’est le début du mouvement de «L’Arche», qui prendra une ampleur inespérée grâce au soutien de plusieurs personnes qui se consacrent à vivre avec des individus intellectuellement et physiquement handicapés. Les murs du silence Homme sensible et impliqué, Jean Vanier était particulièrement bien placé pour entretenir son auditoire des relations et des sentiments humains. Pour lui, notre société
a érigé des murs. Certains sont physiques, comme celui qui divise la Palestine et Israël, d’autres sont invisibles et divisent riches et pauvres, forts et faibles. Mais Jean Vanier va encore plus loin: «nous avons érigé des murs autour de notre cœur parce que nous avons peur et nous voulons la sécurité […]. Nous sommes prêts à guérir les malades, et cela est très bien. Mais sommes-nous prêts à les accompagner? Moi je crois que chacun a quelque chose à donner au monde.» Il a invité les membres du public à ouvrir leur cœur et à reconnaître les plus faibles, les plus pauvres, les rejetés et à réfléchir à l’estime portée pour chaque individu malgré leurs limites et défauts. Un auditoire touché et actif La foule était disparate, composée à la fois de jeunes, de gens âgés et aussi de plusieurs individus handicapés. Après l’intervention de Jean Vanier, quatre professeurs ont ajouté un point de vue académique sur ce qui avait été dit. La période de questions a surtout été une façon d’aborder celui que plusieurs
considèrent comme un saint. Ainsi, les intervenants n’hésitaient pas à poser des questions personnelles. Une jeune femme a expliqué travailler pour aider des personnes âgées et des enfants avec des handicaps physiques, mais qu’elle souriait à peine aux sans-abri qu’elle pouvait croiser. Ce à quoi Jean Vanier a répondu, simplement: «Si j’étais un sans-abri et que vous me souriiez, ça serait super.» Selon lui, faire tomber les barrières qui nous séparent ne demande pas de faire des exploits, mais simplement de changer le regard qu’on a sur autrui. C’est le premier pas: «aimer, c’est libérer l’autre du contrôle que la peur a sur lui.» Une dernière question se présente à lui: «Comment voulez-vous qu’on se rappelle de vous après votre mort?» Jean Vanier fait une pause et réfléchit. Et puis, il répond avec sa remarquable simplicité: «Je n’en sais rien. Mais je demanderais à Dieu de me pardonner pour ce que je n’ai pas fait.» x
délit | 7 février 2006 08 xle www.delitfrancais.com
xle délit | 7 février 2006 www.delitfrancais.com
L’avenir du Québec Quel Québec pour les leaders de demain?
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amedi 4 février, le Colloque 2006 de Force jeunesse, organisé en association avec le Regroupement des jeunes gens d’affaires du Québec, faisait salle comble dans l’enceinte de HEC Montréal. Un programme ambitieux devait, la journée durant, porter conférenciers et participants à s’interroger sur les défis à relever pour la jeunesse québécoise. C’était l’occasion d’évaluer le chemin parcouru au Québec ces dernières décennies, d’analyser la situation actuelle et d’en déduire «les enjeux d’aujourd’hui pour les leaders de demain». Pour François Tremblay, président de Force jeunesse, le colloque devait favoriser les échanges et le «réseautage» entre les participants. C’est pourquoi la journée s’articulait autour d’une série de conférences ponctuée d’ateliers en comités restreints. Se succédèrent au micro Claude Béland, ex-président du Mouvement Desjardins, André Pratte, éditorialiste en chef de La Presse, et Bernard Landry, expremier ministre du Québec. Jean Charest, premier ministre actuel de la province, vint clore la série des intervenants. Dans les ateliers, universitaires, syndicalistes et représentants d’organismes régionaux
animaient les réflexions sur l’évolution du monde du travail et l’état des finances publiques. Bilan du chemin parcouru Les conférenciers et panélistes ont fait part d’un optimisme mitigé à l’égard de l’avenir de la province. Cela dit, Bernard Landry estime que le chemin parcouru ces dernières années démontre qu’il est possible de «partir d’une situation difficile pour en faire une situation brillante». M. Landry a évoqué l’état «médiocre» de l’économie québécoise des années soixante, dans une société marquée par une «démocratie à l’avenant et le favoritisme», ainsi qu’un niveau d’éducation parmi les plus bas des pays occidentaux. Témoignant des progrès accomplis, M. Landry a souligné que le pouvoir d’achat du Québec est aujourd’hui égal, voire supérieur à celui de l’Ontario. Le Québec se range par ailleurs au 10e rang mondial en termes de PIB par habitant. M. Landry explique ces changements en invoquant le dynamisme dont a su faire preuve le Québec, notamment en investissant 2,3 p. cent de son PIB annuel dans la recherche et le développement, quand le Canada n’en
Le Colloque Force jeunesse 2006 invite les jeunes à penser leur rôle dans le Québec.
investit que 1,8 p. cent. Les défis à venir Si le bilan est positif, il reste cependant que le Québec fait face à des défis de taille. Pour Jean Charest, il est nécessaire d’«adapter notre société à un nouveau contexte », celui d’une concurrence internationale rendue plus rude par l’émergence de nouvelles économies. Le défi économique se double d’un constat démographique: l’évolution de la population québécoise sera un obstacle au positionnement de la région sur la scène mondiale, face à des géants démographiques comme l’Inde. De plus, M. Charest a insisté sur la trop grande dépendance commerciale du Québec par rapport aux États-Unis. Dans le domaine des finances publiques, ont été abordées les questions du déséquilibre fiscal, de l’investissement dans le réseau de santé, dans la recherche et l’éducation. Pour Jean Charest, il faut allier la performance économique au financement à long terme des programmes sociaux. Faut-il un «modèle» régional, ou la souveraineté nationale? Certains, comme M. Béland, voient la solution dans la «recréation d’une
vision commune du modèle québécois». Constatant qu’au fil des ans la cohésion sociale qui caractérisait la société québécoise s’est estompée, il note que «l’on en est venu à penser que le modèle québécois était le bonheur individuel, alors que c’était [autrefois] le bonheur collectif». Une société solidaire est, pour M. Béland, le prérequis fondamental de la prospérité. C’est pourquoi le défi majeur sera d’agir pour le rééquilibrage des forces politiques, financières et civiles. Un autre aspect de la solution québécoise se trouve dans le développement de la région et son positionnement à l’échelle nationale et mondiale. Le projet ACCORD du ministère du Développement économique tend à accomplir cet objectif en construisant un pôle régional productif et compétitif, fondé sur le maillage d’industries performantes et des relations interrégionales fortes. Pour d’autres, comme Bernard Landry, «la souveraineté est au centre des solutions» et pour que le Québec dispose de tous ses moyens, il faut qu’il ait un État souverain. x
Des personnalités publiques de tous les milieux se réunissent pour exposer leur vision du Québec et les enjeux du futur. Un reportage de Maysa Pharès.
Le 51e État américain La dérive néolibérale de l’État québécois.
S
i le Québec devient les États-Unis grâce à Charest et compagnie, moi je pars à Katmandou enseigner le zen». C’est en ces termes qu’Omar Aktouf, professeur de gestion à HEC Montréal, évoque son inquiétude de voir le Québec se calquer sur le modèle américain. «Je ne veux pas vivre dans un Québec qui deviendra le cinquante et unième État américain», ajoute M. Aktouf. Il refuse de voir le pays qu’il insiste avoir «choisi» parce qu’il offrait à ses citoyens des services et une assistance publics de qualité, dériver vers une politique qu’il qualifie de néo-libérale. Au nombre des questions qui sont venues jeter de l’ombre sur le tableau
du Québec à ce colloque, l’état des finances publiques tenait le haut du pavé. Dès l’ouverture de la conférence, Claude Béland, ancien président du Mouvement Desjardins, faisait le récit de «l’effritement du modèle québécois» de solidarité qui s’était forgé durant les années soixante et la Révolution tranquille. Ce modèle qui, selon M. Béland, permit au Québec d’«aborder la modernité», était fondé sur un État plus fort et plus entrepreneur, en concertation avec la société civile. Parmi les progrès de l’époque, il note la syndicalisation, l’éducation et la santé pour tous, ainsi que le développement des PME et des entreprises d’État. Profit à outrance et État mafieux La «vague mondialisatrice» a été désignée par M. Béland comme cause principale de l’abandon des valeurs de la social-démocratie pour un «néolibéralisme exacerbé». Ce libéralisme se manifeste dans la «crise de l’État», que M. Aktouf définit comme «la crise de la complicité traditionnelle entre le pouvoir de l’argent et le pouvoir du
gouvernement». À l’origine de cette crise, la mondialisation implique une course effrénée vers le profit et mène par conséquent vers la surexploitation des ressources et la diminution de la part des plus pauvres. Pour M. Aktouf, la question néo-libérale se résume donc à trouver le moyen de «maintenir ou augmenter la richesse des plus riches quand le gâteau baisse». Question qui trouve sa solution dans l’empiètement sur la part des «autres» que sont les jeunes, les malades, les immigrants, le tiers-monde. L’évasion fiscale, évaluée à huit milliards de dollars au Québec, a été dénoncée par M. Aktouf qui a reproché au gouvernement d’être «le comité de gestion de la classe dominante» et de ne faire «qu’organiser un espace national pour que les faiseurs d’argent fassent plus d’argent». M. Aktouf préconise de s’inspirer des États scandinaves, qui imposent une obligation de réinvestissement sur les profits des entreprises. Cela empêcherait que ces profits ne passent dans les dépenses fastueuses des chefs d’entreprises,
avec la complicité de l’État et des conseils d’administration. Sans cela, la gouvernance de l’État s’apparente à «du banditisme, de la collusion mafieuse». La dette publique est-elle un mythe? Si M. Charest s’est inquiété de la dette, qui représente 44 p. cent du PIB du Québec (le double de la moyenne canadienne), pour M. Aktouf, «la dette est un mythe colossal». S’interrogeant sur l’utilité des 11 milliards d’augmentation de la dette depuis 1990, dont il s’étonne de ne pas voir ou ils sont passés, M. Aktouf a avancé qu’il n’y avait guère d’urgence à la payer. Rappelant que la dette du Québec se situe en deçà de la moyenne des pays de l’OCDE, il estime qu’elle n’est en réalité qu’un argument de l’État pour justifier l’absence de budget pour les services publics, et par conséquent de «faire rentrer le privé partout». La solution de la dette se trouverait, selon lui, en grande partie dans la répression de l’évasion fiscale. x
La question de la population Les changements démographiques menacent la productivité et la prospérité.
L
Jean Charest, premier ministre du Québec
Bernard Landry écoute sagement un autre paneliste.
Maysa Pharès
Maysa Pharès
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e Colloque aura mis en lumière l’importance qu’auront les mutations de la population sur les défis du Québec de demain. En effet, la province affiche un déclin démographique qui nécessitera des mesures importantes, pour peu qu’on en prenne conscience à temps. Car selon André Pratte, éditorialiste à La Presse, «les gens ne saisissent pas l’urgence de la question». Rappelant que la croissance démographique est un facteur déterminant de la croissance économique, M. Pratte adhère à la vision selon laquelle la province devrait faire face à une diminution de sa force de travail à partir de 2011. Invoquant la croissance démographique qui s’opère sur le reste du continent, M. Pratte avance que le Québec aura, en 2050, une population de 7,8 millions de personnes
dans «une mer» de 1,2 milliards d’anglophones et hispanophones, dotés d’une économie extrêmement dynamique. Seule solution: la créativité. Rejoignant cette perspective, Bernard Landry fait lui aussi appel à l’inventivité. Le Québec continuera à recourir à l’immigration. Toutefois, chaque individu devra travailler plus longtemps. Les jeunes d’aujourd’hui auront-ils une retraite? Les changements démographiques joueront un rôle considérable sur le système des retraites. Selon Sylvana Pozzebon, professeure à HEC Montréal, notre retraite sera inévitablement plus tardive. En effet, le prolongement de l’espérance de vie et la meilleure santé des aînés feront que l’âge «normal»
de départ à la retraite sera plus élevé. Par ailleurs, les changements fréquents de carrière et la tendance au travail «interrompu, précaire, atypique», s’accorderont pour forger une retraite plus progressive. La retraite sera aussi marquée par une plus grande insécurité, à mesure que le risque financier sera déplacé vers l’individu. Deux scénarios se profilent. D’une part, les individus en bonne santé auront l’option de travailler autant qu’ils le souhaitent. Les intervenants s’accordent d’ailleurs pour dire que les entreprises seront plus disposées à embaucher et garder les employés plus âgés qu’ils ne le sont aujourd’hui. D’autre part, il se peut que l’insécurité oblige certains à travailler «…jusqu’à l’épuisement», plaisante (à peine) Mme Pozzebon. Le défi sera donc d’inciter les jeunes à épargner le plus tôt possible. À l’échelle sociale, le défi sera de maintenir la viabilité du système public de retraites. x
délit | 7 février 2006 10 xle www.delitfrancais.com
Nouvelles
Union de la gauche québécoise
Au terme d’un congrès plein de promesses, l’Union des forces progressistes et Option citoyenne fusionnent pour créer Québec solidaire. national Adrien Beauduin Le Délit
C
’est la fin de semaine dernière que se déroulait à l’Université de Montréal le Congrès de fondation du parti politique né de la fusion d’Option citoyenne (OC) et de l’Union des forces progressistes (UFP). Neuf cent quatre-vingt-dix membres et quatre-vingt-trois observateurs se sont rassemblés afin d’adopter une déclaration de principes et des statuts, d’élire un Comité de coordination national, de choisir un nom et un logo pour le nouveau parti et de participer à des ateliers thématiques. Pour une gauche unie C’est un nouveau parti de gauche qui naissait après des décennies de désunion, de chicanes, de déceptions et de défaites.
L’heure était plutôt à l’espoir lors de ce congrès, et l’enthousiasme était palpable. Il faut dire que l’insatisfaction née des politiques du gouvernement Charest, les récentes luttes sociales (étudiantes, syndicales, citoyennes et internationales) et un positionnement du Parti québécois que certains jugent trop à droite en ont persuadé plus d’un du besoin d’un parti uni qui soit clairement de gauche. «[Un nouveau parti] pour offrir une alternative progressiste aux partis existants. Une alternative large, rassembleuse, enracinée dans toutes les régions», peut-on lire dans la déclaration. Si ce nouveau parti veut «une alternative permettant de bâtir un monde à la mesure de [ses] rêves», il se défend d’être utopiste en promettant «des propositions concrètes, réalistes et, au besoin, chiffrées.» On perçoit l’envie de se détacher de la caricature de la «gauche pelleteuse de nuages». Le congrès commençait vendredi soir par les discours des principaux artisans.
VENEZ À NOTRE RÉUNION, OU NOUS BRÛLERONS VOTRE AMBASSADE. SOYEZ PRÉVENUS.
Mardi. 16h30. Shatner B•24.
Amir Khadir, porte-parole national de l’UFP et Françoise David, porte-parole d’OC ont donné le ton sous les applaudissements ininterrompus du parterre. Bien du chemin a été parcouru, depuis la fondation de l’UFP en 2002 et la naissance d’OC en 2004 jusqu’à la décision prise par les deux partis de fusionner, il y a un an et demi. Ce nouveau parti se proclamait d’emblée écologiste, de gauche, démocrate, féministe, altermondialiste, pacifiste, pour la pluralité et souverainiste. Tout un programme! Les «solidaires» entrent en scène Le samedi après-midi, après les discussions en petits groupes sur les statuts (règles de fonctionnement du parti) du matin, les membres ont voté sur la déclaration de principes. Celle-ci a été adoptée à l’unanimité. La question du nom du nouveau parti a été expédiée tout aussi simplement et, des quatre propositions, c’est «Québec solidaire» qui a été adopté à une écrasante majorité, provoquant le délire de la foule festive. Le choix du logo s’est avéré plus difficile. Après de nombreuses protestations, la décision a été repoussée à plus tard, la foule jugeant les logos proposés horribles. L’adoption des statuts a elle aussi été
laborieuse et a traîné en longueur à la suite de nombreux commentaires, amendements et dissidences. Ce n’est que dimanche après-midi que les statuts ont tous été adoptés, après les ateliers thématiques du matin et l’élection des seize membres du Comité de coordination national. Les résultats de l’élection ont suivi, portant à la tête de Québec solidaire neuf femmes et sept hommes, ovationnés par les mille congressistes. Le congrès s’est terminé là-dessus. Chacun est ensuite retourné dans sa région afin de se préparer à la bataille des prochaines élections. Curiosité médiatique Tout au long de ce congrès, la présence médiatique a été très importante. Ce fait a réjoui certains congressistes, qui trouvent «que les médias boudent trop souvent ce genre d’alternatives». Au point de presse, Amir Khadir a soutenu que la présence de ces média confirmait la sortie de la marginalité pour la gauche. Selon Bertrand Sheppert, de l’équipe des relations de presse, interrogé par Le Délit, «la plus grande réussite fut d’avoir réussi à amener un discours nouveau à tous les médias, que ce soit TVA, TQS et RadioCanada ou bien Global et CTV.» x
Arts&Culture
L’histoire de la télé, en image et en son
xle délit | 7 février 2006 www.delitfrancais.com
Grand hommage à une grande dame Catherine la Grande: Un art pour l’Empire est une magnifique exposition présentée au Musée des Beaux-Arts de Montréal. arts visuels CATHERINE LA GRANDE: UN ART POUR L’EMPIRE Musée des Beaux-Arts de Montréal, 1379 rue Sherbrooke Est Jusqu’au 7 mai Laurence Martin Le Délit
S Plus de 35 téléviseurs provenant de la collection de Moses Znaimer à la Cinémathèque. Samuel St-Pierre Thériault
La cinémathèque présente N’ajustez pas votre appareil, exposition sur l’histoire de la télévision. arts visuels N’AJUSTEZ PAS VOTRE APPAREIL Cinémathèque québécoise, 355 boul. Maisonneuve Est
Samuel St-Pierre Thériault Le Délit
L
a Cinémathèque québécoise présente, depuis le 11 janvier, N’ajustez pas votre appareil, une collection qui porte son regard sur l’histoire de la télévision. L’exposition a été mise sur pied à la suite d’un don de 94 téléviseurs qui faisaient partie de la collection personnelle du magnat de la télévision canadienne, Moses Znaimer. L’exposition permet aux visiteurs de traverser soixante ans d’histoire et de poser leurs yeux sur plus de 35 télévisions, plusieurs d’entre elles étant des modèles très rares. Mr. Znaimer est le fondateur de MuchMusic, Musiqueplus et de Bravo!. Il collectionne les télévisions depuis les années 70. «Nous avions organisé une exposition appelée Devant le petit écran en 1998, comme celle-ci s’est très bien déroulée, Mr. Znaimer nous a proposé de mettre cette exposition permanente sur pied», me dit le conservateur de la collection, Mr. Dominique Dugas. Cette nouvelle exposition sera en montre pour au moins trois ans. «Le téléviseur a eu plusieurs fonctions à travers les années. Au début, les télévisions devaient ressembler aux meubles qui peuplaient les salons, il fallait pouvoir cacher les écrans. Petit à petit, la télévision
comme meuble a perdu son importance et l’écran a gagné en valeur. Ceci s’est produit surtout pendant les années 70 quand Sony a introduit les tubes à images Trinitron.» Il est aussi intéressant de constater que le téléviseur électronique que nous connaissons a eu un prédécesseur dans la télévision mécanique. «En 1931 il y avait vingt appareils de télévisions mécaniques au Canada. C’était très laborieux d’avoir une télévision dans ce temps-là. Il fallait la monter soi-même et seulement les gens qui avaient des esprits d’inventeurs, par exemple ceux qui s’intéressaient aux télégraphes ou bien à la radio à ondes courtes pouvaient avoir une télévision.» En 1939, la télévision électronique que nous connaissons est lancée à la World Fair de New York. RCA, qui en était le fabriquant, lance du même coup la chaîne NBC. Cependant, ce n’est qu’à la suite de la Deuxième guerre mondiale que la télévision prend vraiment son envol. Au Canada, même si plusieurs milliers de personnes ont déjà des téléviseurs qui reçoivent les émissions américaines, l’on doit attendre jusqu’en 1952 pour voir l’arrivée du premier poste de télévision canadien, RadioCanada. N’ajustez pas votre appareil est une exposition courte et plaisante qui permet au public de mieux découvrir l’histoire du téléviseur. «Les gens savent que les frères Lumières ont inventés le cinéma, mais personne ne connait l’histoire de la télévision. C’est le but de cette exposition, d’éduquer la population au sujet de cet objet qui a grandement marqué notre époque» me dit Dominique Dugas. x
oyons honnêtes. Qui peut se vanter de bien connaître Catherine II de Russie? Peu de gens sûrement. Voilà une bonne raison d’aller consacrer, entre deux cours, une petite heure à celle qui fut impératrice de Russie de 1762 à 1796. Pour les autres, pourquoi ne pas seulement en profiter, en se déplaçant à seulement quelques coins de rue de McGill, pour redécouvrir ce personnage mythique? La grandeur. Telle est la première impression que l’on ressent lorsqu’on franchit les premières marches de l’exposition. C’est que, tout de suite, nos yeux se retrouvent éblouis par le très imposant carrosse de couronnement de la famille Romanov. Prêté seulement à deux reprises par le Musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg, voilà une occasion unique d’admirer le véhicule de luxe dans lequel l’impératrice défila lors de son sacre en 1762. Catherine de Russie voulait ainsi impressionner, asseoir son pouvoir. Grandement influencée par la philosophie des Lumières, elle avait l’ambition de devenir une souveraine
éclairée, continuatrice des réformes d’un de ses prédécesseurs, l’Empereur Pierre-leGrand. Malheureusement, elle ne fit pas les changements qu’on aurait espérés, en restant très attachée à la noblesse et à l’aristocratie et en ne changeant rien à la structure sociale fondée sur le servage. Mais l’exposition du Musée des BeauxArts ne se concentre pas sur sa carrière politique, mais plutôt sur son goût pour l’art. On y découvre, parmi les salles, une Mécène éclairée, Une protectrice des arts et des manufactures qui ne rêvait que d’offrir un visage artistique à la Russie. Sont ainsi présentées les œuvres de peintres et de sculpteurs qu’elle commanda dont celles de Jean-Baptiste Siméon Chardin, Antoine Hudon, Claude Lorrain, les très intéressants dessins d’architecture de Charles de Wailly et Charles-Louis Clérisseau qui servirent notamment à la création de bâtiments prestigieux pour les arts et les sciences, de magnifiques meubles, des robes, des bijoux, des tabatières, des tapisseries, des services de porcelaine… Il n’y a pas à redire: Catherine II donna véritablement un art à l’Empire. Le musée réussit très habilement à transmettre une impression de grandeur, de splendeur et de magnificence à l’image de Catherine. Le tout y est d’ailleurs très bien présenté. Le seul bémol de l’exposition réside sans doute dans le manque d’information au niveau plus personnel. En effet, si la magnificence est très accentuée, il n’en est pas de même de la femme simple qu’était Catherine II en privé. L’écrivain russe Soumarokov disait d’ailleurs de l’impératrice: «Catherine avait deux visages. […] En public, elle était Louis XIV, en privé le Marc-Aurèle sans prétention». On aurait sans doute voulu profiter de l’occasion pour découvrir davantage la femme dans l’ombre. Un rendez-vous à ne pas manquer pour admirer la grandeur de l’impératrice Catherine II, cette exposition se termine naturellement dans la Boutique du musée, pour s’extasier devant le beau catalogue à 60$. Étudiants, s’abstenir. x
Une Nature morte aux attributs des arts de Jean-Siméon Chardin à Montréal. gracieuseté Musée de l’Ermitage
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délit | 7 février 2006 12 xle www.delitfrancais.com
Arts&Culture
Je te trahis, tu me trahis, nous nous trahissons... Le Théâtre TNC ouvre sa saison hivernale avec Betrayal, pièce contemporaine d’Harold Pinter mise en scène par Will MacGregor. théâtre BETRAYAL Théâtre TNC, 3485 rue McTavish Du 8 au 11 février Émilie Beauchamp Le Délit
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ne pièce humble et simple. Deux chaises avec accoudoirs, un petit bar en chêne massif, et deux vieux amis qui parlent de femmes. D’une femme. La femme de l’un et de l’autre, pour l’un épouse et pour l’autre maîtresse. Deux meilleurs amis, au point de partager la même femme? Non, peutêtre pas tant que cela… Dans Betrayal, on nous présente un joyeux triangle amoureux, dans lequel Emma, éprise de Jerry mais mariée à Robert, se perd dans ses amours d’avant et d’aujourd’hui. L’histoire est bien. Réellement bien. Divertissante, avec un peu de mystère, mais pas trop, des scènes pertinentes, pas trop de fla-flas… Une bonne fin, un peu de punch, (mais pas trop encore). Une pièce balancée, quoi. Trois acteurs principaux qui sont bons, des jeux professionnels et bien réglés, sans faute. Mais quelque chose qui manque. Un petit quelque chose qui fait toute la différence entre bon et wow, entre bon et génial, entre bon et marquant. Ce petit quelque chose, c’est la passion. Un petit grain de folie qui s’insère entre les lignes, un brin de spontanéité. Ne vous méprenez pas, j’ai beaucoup aimé la pièce et n’ai probablement rien à critiquer. Mais Betrayal ressemble davantage à une gentille promenade dans un parc de quartier, comme on le fait souvent, qu’à une randonnée sur une île grecque au bord de la mer. Malgré tout, un plus à noter est la complicité entre les trois personnages principaux, soit Katherine Folk-Sullivan en Emma, Lindsay Waterman en Jerry et Mackenzie Tan en Robert. En effet, miss Folk-Sullivan et monsieur Waterman n’en sont pas à leur première pièce ensemble. Ayant joué tous deux dans Roméo et Juliette (vous pouvez imaginer qui est qui) et aussi dans Twelfth Night, on remarque leur aisance et leur habitude des planches. Ceci surtout chez la comédienne, chez qui l’on peut voir beaucoup de potentiel, plus de spontanéité et surtout un visage sur lequel se lisent les émotions avec beaucoup de vérité. Car la représentation était bien un défi à relever pour les comédiens. D’ailleurs, pour bien paraphraser le metteur en scène Will MacGregor, cette pièce est «ponctuée de vides, de mots inutiles et de phrases subtiles», où l’important du
message est communiqué par le langage du corps, par la toux d’Emma, par les mains tremblantes de Jerry, par le regard défiant de Robert. Le scénario décrit bien la vie des personnages, ce qu’ils sont maintenant et ce qu’ils étaient avant, mais pour vraiment comprendre le centre de l’intrigue, le développement des relations et le but de la pièce, il faut lire entre les lignes et être attentif aux signes des comédiens. Signes bien rendus, comme je l’ai mentionné auparavant, par leur jeu réussi. Mais reste que la pièce elle-même est si subtile, telle que préparée par Harold Pinter, que la passion qui entredéchire les couples ne se répercute que subtilement aussi. En bref, Betrayal est une bonne pièce à aller voir pour remarquer le talent de jeunes comédiens prometteurs, mais si vous désirez rebondissements et coups de théâtre, vous trouverez plutôt intrigues calmes Robert et Jerry partagent tout, même la femme… et austères. x gracieuseté Théâtre TNC
Sophocle ressuscité Three Antigones, présentée au Players’ Theatre de McGill: une image animée et brillante de l’évolution d’une histoire à travers la plume de trois auteurs. théâtre TRAGIC PROTEST: THREE ANTIGONES Players’ Theatre, 3480 McTavish Du 9 au 12 février Émilie Beauchamp Le Délit
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ébut et fin sont magistraux, autant que chaque scène présentée. Tragic Protest: Three Antigones est une réussite, une petite perle d’adaptation théâtrale et un vrai plaisir à voir défiler sous ses yeux. Magnifique, autant dans le jeu des comédiens principaux que dans la superposition calculée de trois pièces identiques et totalement différentes à la fois. La directrice, Alysse Rich, nous assure de la création originale de la pièce et présente pour nous les scènes clés de l’histoire d’Antigone en ses trois versions connues. Pour vous mettre dans le bain, je vous explique. Dans la première Antigone, Sophocle nous raconte le malheur d’Antigone, fille du
maintenant défunt roi de Thèbes la brillante. Sous le joug de son oncle Créon, elle voit ses frères s’entretuer, l’un recevant ensuite de somptueuses funérailles de héros, alors que le deuxième, s’étant opposé au règne du premier, se voit traité en traître et son corps laissé à se décomposer, seul avec les chiens et les charognards. Antigone se rebelle contre cet irrespect devant les lois des dieux de l’Olympe et décide, contre le décret royal, d’aller enterrer son cher frère, jugeant les lois divines supérieures aux lois des simples mortels. Quoi que ceci (la hiérarchie des lois) soit l’un des thèmes majeurs de la pièce, Antigone parle aussi de la relation entre l’homme et la femme, entre les femmes et l’État et de la destinée des hommes sur terre. Thèmes aussi relevés dans les deux adaptations contemporaines d’Antigone, l’une du français Jean Anouihl, l’autre de Bertolt Brecht. Celle d’Anouihl, présentée en pleine occupation allemande à Paris en 1944, contient plusieurs sous-entendus sur la guerre et sur la rébellion contre le régime autoritaire de l’Allemagne en France. Malgré tout, certaines des scènes les plus dynamiques ont été omises, pour simple cause que le soir de première comptait en majorité les plus hauts gradés de l’armée allemande. Comment Anouihl a-t-il fait son compte? C’est en présentant Antigone comme une folle hystérique qui gémit sur l’inhumanité des règnes dictateurs et Créon en homme d’état qui se doit de garder son pays entier, justifiant les mesures autoritaires, que la pièce fut acceptée pour de nombreux mois durant la Deuxième guerre mondiale. Quant à Brecth, auteur suisse en pays
neutre, il fait une attaque véhémente de la tyrannie des pays de l’Axe durant la Deuxième guerre mondiale. Il dépeint un Créon manipulateur qui a envoyé les frères d’Antigone s’entretuer et l’auteur se sert de la pièce pour illustrer ses principes économiques sur le début de la guerre. Superposées, les trois versions de ce conflit social classique prennent une dimension inespérée et nous font voir tous les aspects et interprétations possibles des thèmes originaux de Sophocle. Antigone est jouée merveilleusement par Jessica B. Hill, une comédienne qui n’en est qu’à sa première année à McGill, mais déjà à sa deuxième présentation au Players’ Theatre, donc attendez-vous à la revoir souvent! Les trois Créon, qui se rallient pour le rôle du vilain et de la chorale (Oliver Koomsatira joue Sophocle, Shreyans Shah joue Anouihl et Zak Rose, Brecht), sont remarquables aussi en leurs différentes mais impressionnantes interprétations. Notons aussi le reste de l’équipe, composée de Phil Chen en Hémon, fils de Créon, et Alexandra Vincent, en Ismène, sœur d’Antigone. Tragic Protest: Three Antigones est une idée originale et géniale, à refaire et à apprécier pour la masse de talent œuvrant sur scène et en arrière-scène ensemble, mais aussi pour revivre et comprendre avec une nouvelle profondeur l’histoire d’une jeune fille défiant l’autorité pour respecter ses valeurs personnelles. x Pour réservations ou pour plus d’information: (514) 398-6813.
Arts&Culture
xle délit | 7 février 2006 www.delitfrancais.com
Fatale Bhopal
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L’Espace Libre présente Bhopal, récit d’une catastrophe oubliée, un «devoir de mémoire» prenant. théâtre BHOPAL Espace Libre, 1945 rue Fullum Jusqu’au 18 février Sophie Lestage Le Délit
L
e dramaturge Rahul Varma a pris plus de quinze ans à écrire sa pièce de théâtre Bhopal, récit d’une catastrophe oubliée. Toutefois, depuis sa création, cette pièce a été présentée un peu partout. Jouée en version originale, c’est-à-dire en anglais, à Montréal en 2001 et à Toronto en 2003, en hindi à Bhopal de 2002 à 2004, puis en français dans la vieille capitale en 2005, Bhopal a toujours connu un franc succès. C’est qu’ici et ailleurs, ce drame horrible en a secoué plus d’un. Vraiment? Bhopal est pourtant synonyme de tragédie. L’usine de cette petite ville de l’Inde, l’Union Carbide India Limited, filiale de la multinationale américaine Union Carbide, produisait deux pesticides composés d’isocyanate de méthyle or, ce produit étant hautement toxique lorsqu’il se transforme en gaz. Ainsi, lorsque dans la nuit du 2 au 3 décembre 1984
un réservoir explosa, un nuage des plus toxiques s’échappa de l’usine. Les conséquences furent désastreuses: les gaz attaquèrent les yeux des citoyens, puis pénétrèrent leurs poumons, provoquant de graves problèmes respiratoires, menant bien souvent à la mort. La catastrophe causa plusieurs milliers de morts, davantage de blessés et maints handicapés, dont certains n’étaient alors que des fœtus. C’est pourquoi, Zarina, le premier bébé à naître après les évènements, devint le tremplin dramatique de cette pièce émouvante. Née pour mieux mourir, elle ne vivra que dix-huit jours. En allant bien au-delà des archétypes persistants sur l’Inde, on ressent véritablement dans Bhopal l’influence de cette culture étrangère, inspirée de croyances et de rites. À travers un mélange de voix, d’accents et de cultures, se cache une volonté évidente de conscientiser le spectateur. Cependant, la pièce souffre de quelques maladresses, car au-delà de la complexité du drame et des perceptions divergentes existant face à un tel événement, la pièce ne suggère que poliment notre conscientisation. Varma évite le ton moralisateur, d’obliger les
gens à se souvenir, de prêcher une révolution. Or, malgré tout, on finit par vivre Bhopal. La subir et souffrir. L’irréprochable mise en scène de Philippe Soldevila passe du chant à la danse en moins de deux. Les déplacements sont constants et, souvent, dignes de rituels. Malheureusement, en raison de sa grande nervosité, Pierre Gauvreau (Anderson) a réduit la portée de la
trame narrative lors de sa lecture des données factuelles reliées à la catastrophe. L’aplomb qu’il a su démontrer par la suite m’a fait regretter qu’on l’ait fait parler en premier. Richard Lemire (Devraj) semblait quant à lui peu sûr de l’accent à adopter, hésitant entre un anglais fluide, un français international et un douteux mélange des deux. Par contre, j’ai été éblouie par l’admirable Marie-
France Tanguay (Sonya) dans le rôle d’un médecin humanitaire, ainsi que par la poétique et fragile Aparna Sindhoor. Bhopal doit d’ailleurs son atmosphère à cette danseuse et chanteuse à voix d’ange ainsi qu’aux deux musiciens présents sur scène. Tout est mis en œuvre pour nous faire revivre le fameux mois de décembre 1984 et, franchement, c’est réussi. Bouleversant. x
l’aventure du vin
Sur les côtes de la rive droite
D
epuis près de trois semaines, nous avons tenté d’apprivoiser la géographie de Bordeaux. Comme nous l’avons vu, la Gironde, et son affluent la Dordogne, divisent la région bordelaise en deux grandes régions, la rive gauche, et la rive droite, auxquelles correspondent deux zones de production de vin. Sur la rive gauche, vous aurez retenu qu’elle se divise entre le Médoc et les Graves, le premier avec ses grands crus, le second avec son sauternes. Partout en Bordeaux, on retrouve l’assemblage cabernet sauvignon-merlotcabernet franc, tel que prescrit par la législation.
Sur la rive gauche, on met plus de cabernet sauvignon, alors que sur la rive droite –et c’est là que réside la différence majeure entre les deux régions– c’est le merlot qui est roi. Pourquoi cette différence? Est-ce une querelle de campagne, ou encore le désir de rendre plus confus l’amateur de vin? Rien de tout cela. C’est que les deux rives se distinguent par la nature de leur sol: sur la rive gauche les vignerons doivent travailler avec des sols de gravier, alors que la rive droite est faite d’argile. Le cabernet sauvignon adore vautrer ses racines dans les petits cailloux, et c’est ce qui le fait champion du Médoc et des Graves. L’argile, c’est plutôt le truc du merlot, qui se surpasse dans les prestigieuses régions de Pomerol et Saint-Émilion. Si la rive gauche a la réputation de donner des vins un peu austères avec son cabernet tannique, et des vins qui requièrent des dizaines d’années pour atteindre la maturité, la rive droite réjouit plus facilement le consommateur. Le merlot est moins farouche, et on parvient à le domestiquer généralement en cinq à huit ans. Le merlot Un mot sur le merlot. Ceux qui ont vu l’excellent film Sideways se souviendront de cette scène hilarante où Miles, écrivain en dépression mais surtout grand œnologue, hurle à son compère son refus catégorique de boire du merlot : «If anyone orders Merlot, I’m leaving.
I am not drinking any fucking Merlot». Oh! On avait dit tout haut ce que plusieurs pensent tout bas… Pour les néophytes, cette scène devait être incompréhensible, puisqu’il s’agit là d’une incursion dans l’intimité du monde du vin. C’est en fait une allusion à la mauvaise réputation que s’est faite ce cépage, due notamment au fait que les États-Unis se soient mis massivement à sa production de ce cépage, mais en version piquette. Il s’est rapidement popularisé, mais on l’a aussi vite stigmatisé comme un vin de tous les jours, facile à boire, sans corps ni complexité, comme du jus de raisin qui se boit du bout des lèvres. Et comme tout dans la vie, ce qui est «facile» ne s’attire pas beaucoup de respect… C’est de là que viendrait l’infériorité de ce cépage, que beaucoup d’amateurs ne lui pardonnent pas. C’est très macho, je vous le concède. Néanmoins, il est à noter que tous, et même les détracteurs du merlot les plus inconditionnels comme Miles, s’accordent pour dire que lorsqu’il est bien fait, le merlot peut donner des résultats épatants. D’ailleurs, l’acquisition la plus précieuse de Miles n’était-elle pas un Château Cheval Blanc 1961? Pomerol et Saint-Émilion Mais revenons à nos moutons. C’est dans ces deux régions de la rive droite que l’on retrouve les meilleurs vins de merlot au monde. Pensons au château Pétrus qui vient de Pomerol
et le premier grand cru classé château Cheval Blanc de Saint-Émilion, dont la réputation n’est plus à faire. En général, ces régions vont offrir des vins plus souples et moins tanniques que dans le reste de Bordeaux, et avec un fruit rouge plus présent. Le merlot est un cépage plus sucré que le cabernet, ce qui aura pour effet, après la fermentation, de donner plus d’alcool. Les vins de merlot titrent généralement 12,5 à 13 p. cent d’alcool, il ne faut donc pas se laisser prendre par la relative légèreté du vin. La peau du raisin étant plus mince, on obtient des vins avec des tannins plus ronds et une texture plus soyeuse. Tout cela pour dire que ce sont des vins qui glissent dans la bouche et qui éclatent de fruit. Si vous ouvrez n’importe quelle bouteille de merlot, mettez-vous d’abord le nez dedans. Ne le goûtez pas tout de suite, mais laissez-vous séduire d’abord pas ses arômes. Le merlot a pour caractéristique les arômes suivants: cassis, mûre, petits fruits rouges comme la framboise, la fraise et la cerise, les épices et, parfois, le cuir, la vanille et la menthe. Allez-y, fermez vos yeux et sentez. Vous serez surpris de ce qu’on peut y trouver. La semaine prochaine : la Bourgogne. x
Flora Lê Questions et commentaires? flora.le@mail. mcgill.ca
délit | 7 février 2006 14 xle www.delitfrancais.com
Arts&Culture
Un monument politique Michel Bouquet impressionne dans Le Promeneur du champ de Mars où il incarne le président Mitterand. cinéma David Pufahl Le Délit
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Mitterand (Michel Bouquet) discute avec Antoine (Jalil Lespert). gracieuseté Christal Films
a politique est un sujet qui a été la source d’inspiration de bien des cinéastes, autant des documentaristes que des créateurs d’œuvres de fiction. Il y a quelques années, le premier ministre sortant, Bernard Landry, s’était pris au jeu de Jean-Claude Labrecque qui l’avait filmé pour son documentaire À hauteur d’homme. Cette fois-ci, quelques années après sa mort, le président français François Mitterand est dans la ligne de mire de Robert Guédiguian, un réalisateur marseillais, dans le cadre du film Le Promeneur du champ de Mars. Pour ce faire, il s’inspire des mémoires de Mitterand, écrits par Georges-Marc Benamou qui a
aussi co-écrit le scénario. Le président Mitterand (Michel Bouquet) tire vers la fin de son deuxième mandat de sept ans et aussi vers la fin de sa vie, causée par un cancer de la prostate. Il choisit un journaliste nommé Antoine Moreau (Jalil Lespert) afin d’écrire ses mémoires. Antoine s’immisce donc dans l’entourage immédiat du président, prêt à tout noter et enregistrer. Il voit en lui un homme très lucide, mais physiquement fragile. Il cherche à offrir un bilan complet de son travail et en vient à enquêter sur des rumeurs voulant qu’il ait été de mèche avec le régime de Vichy qui a collaboré avec l’Allemagne nazie pendant la Deuxième guerre mondiale. Mitterand est dépeint comme un homme politique avec ses qualités et ses défauts qui veut laisser ses actions parler d’elles-
mêmes. Il ne veut pas revenir sur ces rumeurs et laisse planer le doute sur son passé. Il ne ressent pas le besoin de se justifier làdessus, de peur d’être jugé, quoi qu’il fasse. Dans le passé, plusieurs personnalités politiques ont été condamnées de cette façon dont Robert McNamara, secrétaire de la défense des États-Unis pendant la guerre du Viêt-Nam, tel que raconté dans The Fog of War, un autre film politique récent. Malgré ces doutes, le portrait de Mitterand paraît complet et les spectateurs y trouveront leur compte. Le personnage d’Antoine représente de toute évidence le spectateur qui veut en savoir plus sur l’homme mythique qu’est Mitterand. Il est dommage qu’Antoine ne soit pas très charismatique. Le scénario lui donne une autre intrigue plus personnelle (une copine qui le quitte alors qu’elle est enceinte), mais elle n’a aucun intérêt. Le personnage aurait dû être plus anonyme et si on avait enlevé ces scènes superflues, cela aurait réduit la durée du film qui, à 117 minutes, est un peu trop long. Au moins, les dialogues entre le journaliste et Mitterand sont vraiment bien écrits. Étant donné l’origine du film, ils doivent être très près de la réalité. Aussitôt sorti de la salle, on a envie de citer ces dialogues. Il faut dire que la performance de Michel Bouquet y est pour quelque chose. Il incarne ce monument politique avec prestance et sérieux. Lespert fait ce qu’il peut avec son personnage, mais il ne laisse pas bonne impression. Les autres acteurs et actrices du film deviennent pratiquement invisibles à côté d’eux. Quelquefois, il est consternant de constater comment certains films réussissent à nous éblouir sur un ou deux points sans que le reste n’arrive à nous toucher. Le Promeneur du champ de Mars est le film de Michel Bouquet et de rien d’autre. La réalisation de Guédiguian est sans éclat, Lespert est un faire-valoir sans saveur et le long scénario s’éparpille sans raison valable. Si vous aimez les excellents acteurs et les bons dialogues, allez voir Michel Bouquet et ignorez le reste. Si vous n’êtes pas capable de l’ignorer, vous serez déçu. x
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Arts&Culture
xle délit | 7 février 2006 www.delitfrancais.com
Toute l’humanité de la «chasse» La Saison des amours: la chasse, mais pas n’importe laquelle. cinéma Karin Lang Le Délit
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ue se passe-t-il dans la tête d’un chasseur au moment de l’ouverture de la saison de la chasse? Il est difficile de s’imaginer quel enthousiasme, quel soulagement ces chasseurs ressentent lorsque ce moment arrive enfin. Traquer, c’est le premier aspect de la chasse: les longs moments d’attente, les silences, les regards, les mouvements, les espérances et parfois les déceptions. Jean Francois Caissy, dans son premier long métrage La Saison des amours, retranscrit toutes ces émotions, mais pas comme chacun pourrait le croire. L’observation de la bête a bien lieu, mais pas de n’importe quelle bête. Si la chasse à l’orignal est le prétexte à ce documentaire, la bête dont il est question est bien plus l’homme et la femme, ou plutôt les hommes et les femmes qui, chaque année, se retrouvent pour ce moment unique.
Le réalisateur, avec toute la délicatesse et la discrétion nécessaires, parvient à nous faire partager une vraie passion. En capturant tout simplement les moments de bonheur du couple, la vie dans la nature, les conversations spontanées, les rires et regards de ses personnages, il nous apprend à les apprécier tout au long du film. À travers une caméra furtive, un microcosme de la vie prend forme: comment vivre l’isolement, la séparation, les retrouvailles? Toutes ces questions sont centrales à ce documentaire lent et paisible. Que ce soit devant un feu de camp, dans une caravane ou au moment des préparatifs, l’émotion et la tendresse se fondent entièrement dans les images et les silences. Ce film n’est assurément pas un film d’action. Il est au contraire empreint d’une sérénité extraordinaire. Il ne faut donc pas s’attendre à des images chocs, ou à une activité particulière. Il faut tout simplement se laisser transporter par le temps qui passe, l’hiver qui s’installe, les longues journées et nuits des forêts du Québec. Les origines du réalisateur semblent importantes à mettre en lumière pour comprendre son envie de montrer le Québec sous cette forme si authentique. Originaire du village de St-Omer, c’est au Cégep de Matane que Jean-François Caissy termine ses études. C’est donc entouré de nature, de
calendrier culturel
Du 7 au 13 février
Cinéma • Sex and Luca – Julio Medem (Espagne) – Mardi 7 février – 19h30 – Pavillon des Études culturelles (3475 Peel) – 2$ – scn@ssmu.mcgill.ca • Le Frosh – documentaire par Dannie Lin et Jeremy Morris – Jeudi 9 février – 20h – Bar Gert’s – dan. lin@mail.mcgill.ca Comédie • Steven Crowder – Spectacle d’humour – Vendredi 10 février – 21h – Bar Gert’s – 7$ Critique • Scrivener Creative Review – Magazine littéraire édité par des étudiants de Mcgill – Recherche de critiques de livres pour leur prochain numéro – Envoyer à scrivenerreview@gmail.com avant le 17 février Lectures publiques • «Aisha’s Pillow: Religious Art and its Perception in Islamic Thought
and Society» – Dr. Jamal Elias (Amherst Collège) – Présentée par l’Institut d’études islamiques – Mercredi 8 février – 15h30 – Morrice Hall, salle 23 – home.mcgill.ca/islamicstudies • «The Pros and Cons of Commissions of Inquiry» – Juge John Gomery – Présentée par le McGill Institute for the Study of Canada (MISC) – Mercredi 8 février – 16h30 – Faculty Club (3450 McTavish) – www. misc-iecm.mcgill.ca • «The Discovery of Antibiotics: It All Began with a Wounded Frog» – Michael Zasloff (Georgetown University) – Suivie d’une réception – Dans le cadre de la série The Cutting Edge - Lectures in Science – Jeudi 9 février – 18h – Auditorium du Musée Redpath – (514)398-4086 poste 3188 • Conférence par Pierre Beaudoin, président de Bombardier – Dans le cadre de la CEO Speakers Series – Présentée par la Faculté de gestion – Vendredi 10 février – 12h à 13h – Pavillon Bronfman, salle 151 – (514) 398-4138 Musique • «Les Idées heureuses: splendeur de la fugue» – Vision de l’art de la Fugue de J. S. Bach – Dirigé par Natalie Michaud avec Franz Joseph (flûte), Geneviève Soly (orgue et clavecin) et Luc Beauséjour (clavecin) – Vendredi 10 fevrier – 20h – Redpath Hall
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La chasse au Québec: la saison des amours de plus d’une façon. gracieuseté Vidéographe Distribution
forêts, d’accents chantants qu’il a passé une large partie de sa vie. Regarder La Saison des amours, c’est «tomber en amour» comme le dit si bien l’expression québécoise, avec les gens simples et leur passion. C’est retomber en amour avec le Québec, sa gentillesse et son accueil si chaleureux. Le québécois que
l’on entend est si charmeur que l’on oublie presque le reste de l’histoire. Ce documentaire est ainsi une magnifique retranscription d’une passion et une véritable preuve d’amour pour une région et son peuple: le Québec. x
les rêveries du lecteur solitaire
J’ignore, donc je suis
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vec les débuts du courant humaniste, au XVIe siècle, le savoir est devenu une valeur prédominante dans la société occidentale. Un homme en vue, qu’il fût architecte, homme d’état ou de lettres, devait posséder un minimum de culture littéraire, historique et philosophique. L’honnête homme du XVIe siècle, puis le philosophe du XVIIIe et l’écrivain politique du XIXe ont tous su incarner cet idéal en prônant un modèle humain basé sur l’ouverture à tout type de connaissance. Mais depuis le début du XXe siècle, une baisse de l’importance du savoir dans la société s’est fait sentir, phénomène si bien dépeint par Proust dans le portrait de l’aristocratie décadente de la France du début du siècle qu’il nous offre dans la Recherche. Depuis, l’ignorance s’est vue érigée en réelle vertu. Ma première rencontre avec l’éloge de l’ignorance remonte à ma lecture de 1984, chef-d’œuvre de George Orwell: «l’ignorance, c’est la force.» Proposition surprenante, mais qui s’explique par le but de l’œuvre, qui était de dépeindre une société complètement assujettie au contrôle d’un régime communiste totalitaire. Ainsi, ce slogan est avant tout une critique d’un modèle politique. Mais il présuppose par le fait même que la stabilité d’un État est tributaire de l’ignorance de la population, puisqu’une population instruite recherche le changement et le contrôle de ses institutions politiques. Le savoir du citoyen est donc nuisible au bon fonctionnement de la cité. Il peut également, selon Plume Latraverse, être nuisible au bien-être de l’homme lui-même.
«L’ignorance, c’est le bonheur» avance-t-il dans une de ses chansons. Bonheur par défaut («ce qu’on ne sait pas ne fait pas mal»), mais qui est également le reflet d’une idéologie plus large, ce courant du mouvement hippie tout entier voué à la recherche du plaisir, sexuel ou psychique, au détriment de toute autre considération. Derrière le carpe diem, «saisir le jour», se cache un sous-entendu. Il s’agit de saisir le jour malgré tout, en ignorant délibérément ce qu’on sait, ce qui retient, souvent à raison, de déployer un enthousiasme aveugle. En remontant un peu plus loin, on trouve chez H.P. Lovecraft le même constat, mais plus sombre: «Les sciences […] ne nous ont pas fait trop de mal jusqu’à présent; mais un jour viendra où la synthèse de ces connaissances dissociées nous ouvrira des perspectives terrifiantes sur la réalité et la place effroyable que nous y occupons: alors cette révélation nous rendra fous, à moins que nous ne fuyons cette clarté funeste pour nous réfugier dans la paix et la sécurité d’un nouvel âge des ténèbres.» Vous excuserez la longueur de cette citation, tirée du magnifique Appel de Cthulhu, mais elle est si riche que je n’ai pu me résoudre à la couper. Lovecraft met le doigt sur l’ «ennemi»: la science. Car les sciences tendent toutes à nous démontrer de façon de plus en plus claire que nous ne sommes finalement que des tas d’atomes, qu’il n’y a ni Dieu, ni paradis. Or pouvons-nous accepter une pareille condition? La pérennité des religions, généralement obscurantistes, semble nous indiquer que non. Car comment peut-on interpréter la résurgence des théories créationnistes, comme celle du dessein intelligent, si ce n’est que par un refus, une incapacité, à accepter que la vie est, tout comme nous, un bête accident statistique, que, comme le dit Lovecraft, «nous n’avons pas été destinés à de longs voyages»? x
Pierre-Olivier Brodeur
délit | 7 février 2006 16 xle www.delitfrancais.com
Arts&Culture
critique de bédé JEAN-CLAUDE FLOC’H • FRANÇOIS RIVIÈRE Olivia Sturgess (1914-2004)
Ê
tes-vous de ceux qui auraient été attirés par une biographie illustrée? Si oui, peut-être votre regard aurait-il été attiré par Olivia Sturgess (1914-2004). Vous feuilletez les soixantedouze pages. Et alors vous êtes horrifiés: comment vous, qui vous êtes nourris d’Agatha Christie, de Ruth Rendell et des grandes dames du crime n’avezvous jamais pu entendre parler de policiers psychologiques? Où sont L’Ombre d’une femme et Portraits in smoke dans les rayons de votre bibliothèque? Que n’avez-vous jamais entendu parler du scandale de Sisters in Death, vu le film Woman in Black avec Dirk Bogarde et Joan Collins? Simplement parce que, même si elle évolue dans l’univers de Noël Coward, d’André Malraux, de Charlotte Rampling, même si Graham Greene (que vous adulez également) aurait dit d’elle qu’elle «nourri[ssai]t [s]es cauchemars avec un immense talent», Olivia Sturgess n’existe pas. Non plus que son grand complice, Francis Albany. Ou plus exactement, ils n’existent pas en dehors de l’univers de Floc’h-Rivière (Blitz, Le Dossier Harding,
À la recherche de sir Malcolm). Le concept surprend. Cette vraie biographie bédé-vidéo, finement ciselée, d’une femme fictive, offre des clins d’oeil à l’époque autant qu’aux œuvres des auteurs. Les étudiants en lettres pourraient dire que les auteurs «osent l’expérience intertextuelle par la mise en abyme postmoderne». Mais que l’on ne s’attende pas à des poursuites en hélicoptère à travers un cercle de feu. Ici, les personnages seront fixes et l’action réduite à sa plus simple expression (des explications, de rares dialogues, peu de mouvement). Et le style épuré et un peu drab de Floc’h, qui n’a pas vraiment changé depuis les années 80, s’y accorde très bien. Nous sommes dans l’espace clos de la bédé policière académique à saveur de God Save Our Gracious Queen. La ligne est ferme et claire, à la Hergé, à la Jacobs, le trait un peu plus gras peut-être et les couleurs, moins gaies, car dès qu’on quitte les greens de golf pour entrer dans les demeures victoriennes, l’ambiance devient un rien plus froide, plus glauque, propice à la strychnine dans le four o’clock tea, sous le portrait d’un lord décoré. Goodness gracious! (Dargaud)
Laurence Bich-Carrière
Vous rêvez de discuter longuement (et en profondeur) des dictateurs maléfiques de Tintin? Venez nous rejoindre, on a presque fini. xLe Délit