Semaine d’action contre le racisme Un dossier culturel, pages 16 à 19
Aussi à l’intérieur: Élections à l’AÉUM & La principale en entrevue
délit | 14 mars 2006 02 xle www.delitfrancais.com
Nouvelles
Aliments d’ici Anne-Laure Morin Le Délit
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’est dans l’ambiance décontractée de l’Utopik, aux parfums de thé biologique et de jus de fruit pressé maison que s’est tenue jeudi dernier la conférence Aliment d’ici: Pour manger local, sain et abordable. Réalisé par Michael Drophy en collaboration avec Marie-Andrée Beaulieu et Oscar Chica, le projet Aliments d’ici a pour objectif d’identifier les aliments qui peuvent être cultivés selon les saisons, les diverses méthodes d’agriculture ainsi que
Comment manger local? Comment manger local? Voilà une des questions qui ont été abordées en profondeur durant la conférence. Michael Drophy a ouvert cette discussion en faisant une récapitulation des activités qui ont marqué la première année du projet. Elles comprenaient des ateliers de fabrication de pain et de conserves, des séjours à la campagne pour récolter soi-même fruits et légumes dans des fermes québécoises et l’achat collectif de denrées produites localement. Une quinzaine de participants en a fait l’expérience; certains d’entre eux l’ont commentée et expliqué les avantages et désavantages de ce mode de vie.
Généralement, ils critiquaient la lenteur du processus, mais admettaient être satisfaits de la fraîcheur et qualité des aliments, sans compter le sentiment d’accomplissement après une rude journée de travail! Drophy a ensuite invité les spectateurs à partager leurs idées et leurs expériences en tant que consommateurs. Plusieurs questions et arguments ont été soulevés. Par exemple: comment conjuguer le fait que certains aliments dits exotiques, comme le beurre de cacahuètes et les bananes, ne peuvent pas être trouvés au Québec, avec le fait qu’ils soient pourtant bien ancrés dans nos habitudes culinaires nord-américaines? Voilà des exemples de défis que doivent surmonter les consommateurs qui veulent se nourrir exclusivement d’aliments locaux. Il n’est pas évident pour eux de sacrifier ces denrées auxquelles ils ont été habitués toute leur vie et de s’adapter aux fruits et légumes en fonction du rythme des saisons.
Un livre vous l’explique Cette rencontre a aussi été l’occasion de lancer le recueil d’Aliments d’ici, compilé par Drophy et ses collaborateurs. On y retrouve des recettes faciles pour cuisiner avec des ingrédients cultivés au Québec, des trucs pour conserver les aliments, les adresses de quelques restaurants à Montréal qui servent exclusivement des aliments locaux biologiques ainsi qu’un répertoire de denrées importées et de produits québécois par lesquels il est possible de les remplacer. Pour Aliments d’ici, ce recueil signifie une visibilité accrue et l’espoir que d’autres Québécois se joignent à ses activités d’autocueillette ou à ses commandes de produits locaux biologiques en groupe. x Intéressés par les commandes biologiques ou le recueil? Contactez Michael Drophy à l’adresse suivante: mikebro@cooptel.qc.ca .
Même à la verticale, le CAHIER CRÉATION a besoin de vos œuvres d’arts. Suivez le doigt E creation@delitfrancais.com
local
les techniques pour conserver soi-même ces produits alimentaires. Ils espèrent ainsi sensibiliser les Québécois à l’importance de l’origine des produits achetés en épicerie et leur faire apprécier ce que le Québec a à offrir.
Appel aux collaborations!
Manger sainement et vivre au rythme des saisons.
Éditorial
xle délit | 4 mars 2006 www.delitfrancais.com
Votez Fujitsu
LE SEUL JOURNAL FRANCOPHONE DE L’UNIVERSITÉ MCGILL RÉDACTION 3480 rue McTavish, bureau B•24 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 (514) 398-6784 Télécopieur : +1 (514) 398-8318 redaction@delitfrancais.com
Élections de l’AÉUM: la Rédaction feint que le sujet lui tient à cœur et vous propose comment penser. campus Laurence Bich-Carrière & David Drouin-Lê Le Délit
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usqu’au 15 mars, référendums et élections sont à l’ordre du jour à l’AÉUM. Aperçu imparfait et un peu acerbe d’une campagne ennuyeuse, mais encore là, ne le sont-elles pas toutes par essence? Les AG servent-elles à quelque chose? Exercice démocratique et carré rouge au coeur, vous avez fait l’interminable file pour l’AG de grève l’an dernier. Probablement pour des queues de cerise, d’ailleurs. Raison de plus pour accueillir à bras ouverts l’idée d’une assemblée générale semestrielle, l’une des propositions référendaires en jeu. Face à une administration réputée pour son arrogance, il s’agit indéniablement d’un grand bond vers l’avant, qui permettrait indubitablement une plus grande implication en général des étudiants au sein des instances décisionnelles de l’AÉUM. Les détracteurs de la proposition, dont le candidat à la présidence Leon Mwotia, soutiennent que des étudiants gueulards et subversifs pourraient «prendre en otage» le reste de la population étudiante en liant l’AÉUM à coups de cartons de vote. Cet argumentaire nous semble faible lorsque l’on sait qu’un des articles de l’amendement proposé impose comme condition sine qua none d’une AG ordinaire un quorum de cent étudiants (le nombre est porté à 500 pour les assemblées extraordinaires) provenant d’au moins quatre facultés, dont 50 p. cent au maximum provenant de la même faculté. En plus, c’est le seul amendement qui n’augmentera pas vos frais de scolarité. CKUT sera-t-elle kaput? En cherchant à mieux s’implanter dans la communauté montréalaise, CKUT s’est ramifiée au point que certains trouvent que la participation étudiante y manque. Ce n’est
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On décrit Mwotia comme un «panda», Donny-Clark comme un «ours». Dans cette belle ménagerie, il ne manque presque qu’un gorille... pas tout à fait exact: si les émissions sur les affaires du campus ne sont pas monnaie courante, il n’en demeure pas moins que les étudiants y tiennent une occasion en or de se faire au métier. Et c’est primordial. Le média est alternatif, il offre une voix différente et nous en avons marre des radios commerciales qui jouent toujours les mêmes rengaines aseptisées de p’tites jeunesses de vingt-cinq ans qui chantent pour des matantes. Il nous semble donc essentiel de voter «oui» à la question de CKUT. Humble suggestion cependant, tentez de resserrer le réseau, comme CISM (la radio de l’UdeM) afin d’offrir un contenu plus accessible. Du côté des candidats électoraux. À votre avis, le premier geste des candidats aux divers postes de l’AÉUM serat-il de renflouer les caisses du Gert’s, de briser un engagement électoral ou changer la photo de l’équipe sur le site Web? Autres questions pressantes: à quand une librairie universitaire moins chère? pourquoi la bouffe du Shatner est-elle si médiocre? l’AÉUM doit-elle être vue comme un syndicat ou un gouvernement? Boréale ou Molson? préférez-vous parler du dégel du printemps ou de celui des frais de scolarité? Deux candidats se sont démarqués par leurs réponses ô combien politiques: Gill Prendergast, briguant les communications, qui s’est contenté, pour échapper à certaines questions, de réponses creuses sur la «tradition socialiste du Québec» (cela dit, nous vous suggérons de voter blanc car son
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adversaire a fait une consternante déclaration à l’effet qu’elle était prête à censurer certains courriels listserv à connotation politique). L’autre c’est Leon Mwotia, aspirantprésident: vidéo promotionnelle, humilité de bon ton («les étudiants sont mes patrons»), et réputation assez généralisée de commencer plus qu’il n’est capable d’en finir. Qui trop embrasse, mal étreint… À la tête de l’AÉUM, Donny-Clark semble le mieux placé, étant évidemment entendu que nous ne pouvons qu’être sympathiques à la cause de celui que son adversaire décrit comme un «communiste». Que nos objectifs collègues du Trib –qui, pour la première fois, ont endossé des candidats juste à temps pour préférer Mwotia à Donny-Clark qui, hasard, avait déposé une motion de censure contre eux après la parution d’articles décriés par plusieurs par leur sexisme patent– nous le pardonnent. Ce ne sont là que des observations en vrac. Nous n’avons pas fait grand-cas du manifestement très inapte Jason Savedorff (qui fait campagne sous le nom peu inspirant de «J-Swing»), nous ne pouvons que suggérer à David Sumstrum et à Max Silverman de prendre des cours de français, langue qui ne se résume pas à baragouiner une commande de poutine dans une Belle Province à la sortie des bars. De toutes façons, peut-être que ceux qui ne votent que pour l’alléchante perspective de remporter un ordinateur portable Fujitsu préféreront-ils se fier aux bouilles des candidats... x
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Rédacteur en chef david.drouinle@delitfrancais.com David Drouin-Lê Chefs de pupitre–nouvelles nouvelles@delitfrancais.com Laurence Bich-Carrière Jean-Philippe Dallaire Chef de pupitre–arts&culture artsculture@delitfrancais.com Agnès Beaudry Rédacteurs-reporters Maysa Pharès Marc-André Séguin Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com Alexandre de Lorimier Coordonnateur de la photographie Mathieu Ménard Coordonnateur de la correction Pierre-Olivier Brodeur Chef-illustrateur Pierre Mégarbane Collaboration François Beaudry, Christopher Campbell-Duruflé, Arnaud Decroix, Lucille Hagège, Karin Lang, Hugo Lavallée, Flora Lê, Anne-Laure Morin, Clémence Repoux, Samuel St-PierreThériault Couverture Mathieu Ménard BUREAU PUBLICITAIRE 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 (514) 398-6790 Télécopieur : +1 (514) 398-8318 daily@ssmu.mcgill.ca Publicité et direction générale Boris Shedov Gérance Pierre Bouillon Photocomposition Nathalie Fortune The McGill Daily • www.mcgilldaily.com coordinating@mcgilldaily.com Joshua Ginsberg Conseil d’administration de la Société de publication du Daily (SPD) David Drouin-Lê, Joshua Ginsberg, Rebecca Haber, Rishi Hargovan, Mimi Luse, Rachel Marcuse, Joël Thibert, Jefferey Wachsmuth
18 L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.
La rectrice en direct: Les condamnations Munroe-Blum parle injustifiées
Un minotaure à la FIFA
La jeunesse sur scène, contre le racisme
Il n’est pas trop tard pour vous joindre à nous. Venez à notre réunion mardi 16h30 au local B•24 du Shatner.
Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société de publication du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). Les opinions exprimées dans ces pages ne reflètent pas nécessairement celles de l’Université McGill. L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal. Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimerie Quebecor, Saint-Jean-sur-le-Richelieu (Québec). Le Délit est membre fondateur de la Canadian University Press (CUP), du Carrefour international de la presse universitaire francophone (CIPUF) et de la Presse universitaire indépendante du Québec (PUIQ).
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délit | 14 mars 2006 04 xle www.delitfrancais.com
Quinze kilos d’insolites fraîches Sauver les apparences
Psychose aviaire
Les Anglais sont des gens qui portent une attention toute particulière à leur hygiène corporelle. Surtout, apparemment, lorsqu’ils ont une vie sexuelle active. En effet, ils dépensent des fortunes en dentifrices, shampoings, crèmes contre les hémorroïdes, lotions contre les poux ou tests de grossesse, simplement pour masquer leur embarras lorsqu’il s’agit d’acheter des condoms en pharmacie. Du coup, cet excès de pudeur coûte en moyenne 2,60 livres aux hommes et 5 livres aux femmes, pour des retombées annuelles totales d’environ 46 millions de livres pour les pharmaciens. Comme quoi la gêne est rentable.(Courrier international/The Guardian)
La civilisation est en danger, et les autorités anglaises n’ont pas tardé à réagir. L’épizootie de grippe aviaire fait craindre le pire aux gardiens de la Tour de Londres, qui ont ainsi bouclé les fameux corbeaux de l’édifice pour les protéger de la terrible maladie. Le motif? La légende veut que la forteresse et le royaume britannique s’écroulent si jamais les volatiles venaient à mourir. La panique frappe aussi du côté belge, où les autorités s’inquiètent de la récente propension des propriétaires d’oiseaux de relâcher ceux-ci dans la nature, par crainte d’être eux-mêmes atteints du virus. Les responsables constatent en effet que les chances de survie des volatiles sont très minces, et que les quelques survivants ne font que bouleverser l’équilibre faunique. Un risque bien inutile, lorsqu’on sait que la maladie n’a pas encore atteint la Belgique. (Daily Telegraph/La Libre Belgique)
Paiement en nature. Peu importe ce qu’en pensait mercredi soir dernier Réjean Tremblay à l’émission 110%, les Canadiens ont peut-être fait une bonne affaire en obtenant Aebischer en échange de José Théodore. Ailleurs sur cette merveilleuse planète, la contrepartie pour un joueur aux piètres performances est en effet parfois beaucoup moins intéressante. Le joueur de soccer roumain Marius Cioara a en effet été vendu au club de quatrième division de Regal Horia pour... 15 kilos de viande! Si l’histoire ne dit pas qui s’est fait griller des hamburgers avec ce pactole, on sait du moins qu’une fois mis au fait de l’échange, Cioara a rapidement filé en douce en Espagne, où il entend prendre une retraite méritée. (Ziua/Courrier international)
Bons baisers de McGill Jean-Philippe Dallaire
DANS UNE LETTRE OUVERTE ADRESSÉE à la Rédaction et reproduite en page 06, un lecteur met en question l’approche adoptée par Le Délit dans la rédaction d’un article publié le 7 mars 2006 et portant sur la visite du cardinal Ouellet à McGill. Selon le lecteur, «l’objectivité –et cet article en est l’exemple frappant– n’est pas la garantie d’un journalisme éthique: celui-ci doit également faire preuve de neutralité». Cette lettre soulève plusieurs des questions qui animent le travail et la réflexion de quiconque pratique ou s’intéresse au journalisme. Elle offre une occasion appréciée de partager avec les lecteurs du Délit les principes qui éclairent les décisions d’un membre de l’équipe éditoriale lorsqu’il doit décider de ce que vous trouverez en ces pages. À quel point le journaliste doit-il rapporter les propos qui lui sont confiés? A-t-il un devoir de s’informer et d’informer sur les fondements de ces propos ainsi que sur les raisons pour lesquelles ils sont tenus? Des concepts comme l’objectivité et la neutralité informent les réponses apportées à ces questions, mais ne sauraient en eux-mêmes être les seuls guides du contenu d’un article et
Nouvelle catégorie de miracle? Sept mille personnes disent avoir été guéries à Lourdes, mais l’Église n’en a reconnu que soixantesix. Pourquoi? Parce que pour être l’objet d’un miracle, il faut qu’un médecin atteste que votre état est «incurable». Ce qui arrive de moins en moins, déplore l’évêque de Tarbes et Lourdes qui a, en conséquence, entrepris des démarches pour que le Vatican reconnaisse une nouvelle catégorie de miracles, les «guérisons authentiques», afin que «ceux qui guérissent puissent partager leur expérience physique et spirituelle». (Reuters/National Post)
Controverses En trois Il l’a dit! vitesses «J’ai l’impression que ce sont de bonnes personnes mais ils font partie de l’hégémonie qui opprime les gorilles.»
-Gorilla Q. Everyman Voilà ce que pense l’étudiant qui a voulu briguer la présidence de l’AÉUM déguisé en gorille, et disqualifié pour n’avoir pas recueilli le nombre de signatures d’appui requises, de ceux qui auraient pu être ses adversaires, Aaron Donny-Clark et Leon Mwotia. (McGill Daily)
Le mythe objectif de la façon dont celui-ci est présenté. Au début de sa lettre, le lecteur cite un passage du Code de déontologie de la Fédération professionnelle de journalisme du Québec: «les journalistes doivent situer dans leur contexte les faits et opinions dont ils font état de manière à ce qu’ils soient compréhensibles, sans en exagérer ou en diminuer la portée». Cette phrase exprime le principe qui guide la Rédaction du Délit. Avec déférence pour l’opinion contraire, je ne crois cependant pas qu’il faille la confondre avec une obligation de stricte neutralité ou d’objectivité. Notre publication ne devrait-elle se contenter que de rapporter intégralement les propos d’autres individus? Dans le choix même des sujets couverts et des propos rapportés, il est difficile de faire preuve de neutralité ou d’objectivité, si de tels concepts existent vraiment. C’est qu’une même réalité peut être décrite de plusieurs façons. Par exemple, si un parti politique obtient depuis quelques semaines les mêmes intentions de vote dans le cadre de sondages successifs, deux interprétations sont possibles. La première est que les appuis au parti se maintiennent. La seconde est que les appuis au parti plafonnent. L’une de ces deux affirmations est plus favorable audit parti que l’autre. Doit-on pour autant s’abstenir de suggérer au lecteur toute explication de la réalité observée? Même si le journaliste consulte plusieurs experts sur la question, peut-on réellement être objectif dans la présentation de leurs opinions?
Le Délit tente le plus possible d’offrir plusieurs perspectives sur les problématiques couvertes par ses journalistes et encourage une telle attitude chez ceux-ci. Ceci n’est cependant pas toujours possible. Dans le cas précis qui préoccupe M. St-Aubin, il est vrai qu’il aurait été intéressant et possible d’obtenir le point de vue d’intervenants extérieurs. Ceci dit, ce n’est pas l’approche qui a été privilégiée par le journaliste. Je suis cependant heureux que M. St-Aubin ait lui-même pris l’initiative de faire cette contribution appréciée au journal. Dans ce cas particulier, il est apparu aux membres de l’équipe éditoriale que l’article couvrait un événement d’envergure, dont il était, de ce fait, important de traiter dans le Délit et qu’il n’y avait pas de manque à l’éthique. En effet, les faits et opinions dont il était question ont été mis en contexte. Le journaliste a rapporté les propos tenus lors d’une conférence de presse donnée à McGill en mentionnant leurs auteurs, et le lecteur le sait. Il peut se faire une opinion sur la question et même la partager avec d’autres lecteurs du Délit. S’il avait été question d’un débat entre opposants et supporters du pape et que seuls les propos de ces derniers avaient été rapportés, la critique du lecteur aurait été pleinement fondée. La perspective de cet article était cependant tout à fait différente. Il s’agissait ici de couvrir une conférence, ce dont le journaliste s’est, selon moi, acquitté en respect des devoirs éthiques.
En hausse LE CIRQUE DU SOLEIL Eh qu’il y a des moves bons pour l’image. Parce que après le refus du Cirque du soleil de participer au très controversé projet de casino à Pointe-Saint-Charles, Loto-Québec a purement et simplement abandonné le projet. (La Presse/PC)
Au neutre SLOBOVAN MILOSEVIC Il est mort dans sa cellule, alors que son procès battait toujours son plein. Zagreb et Sarajevo se disent frustrées. «Aucune trace de violence, probablement une mort naturelle», a dit le coroner. Probablement? C’est quand même pas Carla del Ponte qui est allée l’étrangler à mains nues! (Reuters/LCI)
En baisse
LE DEVOIR «Fais ce que dois» constitue la sévère devise du seul quotidien indépendant de la province qui a décidé dans son édition du 11 mars de s’inspirer d’une brillante idée du Journal de Montréal. En effet, il y a deux ans, le Journal avait décidé de peinturer un Blanc en Noir afin de pouvoir observer objectivement le regard de la société blanche sur cette minorité visible. Cette fois-ci Le Devoir a fait porter le voile islamique à une de ses journalistes «de souche». Dans les deux cas, avait-on vraiment besoin de ça pour savoir que la discrimination existe encore au Québec? (Le Délit)
LE DÉLIT RENOUVELLE SON ÉQUIPE. Présentez-vous dès maintenant pour les postes suivants: Rédacteur en chef Chef de pupitre−nouvelles Chef de pupitre−culture Rédacteur-reporter Coordonnateur de la production Coordonnateur artistique Coordonnateur de la correction
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délit | 14 mars 2006 06 xle www.delitfrancais.com
Controverses
Le courrier du lecteur en furie... «BENOIT XVI S’EST DÉJÀ MONTRÉ positif et enthousiasmé, on a de bonnes raisons de croire qu’il fera un bon pape.» C’est en ces termes que votre collaborateur Giacomo Zucchi conclut un article publié en page 10 du Délit du 7 mars 2006, relatant le passage à McGill du cardinal Marc Ouellet et du journaliste John Allen. Une telle conclusion à un article ne peut que laisser le lecteur perplexe. Car enfin, a-t-on oublié que la déontologie journalistique la plus élémentaire suppose, selon le code déontologique de la FPJQ, que «les journalistes doivent situer dans leur contexte les faits et opinions dont ils font état de manière à ce qu’ils soient compréhensibles, sans en exagérer ou en diminuer la portée»? Or, me semble-t-il, les déclarations du pape Benoît XVI et celles du cardinal Ouellet –qui constituent le contexte en question–
méritent, par leur nature, que l’on s’y attarde un instant. Parce que, justement, la question n’est pas de savoir si, selon le cardinal Ouellet, le pape sera bon ou pas, mais bien de voir le message derrière ces témoignages prétendument objectifs. Qui est Marc Ouellet? Le cardinal en question a été consulteur de la Congrégation pour la doctrine de la Foi en 2001. Qu’estce que cette congrégation? Elle est, selon le site Internet du Vatican, la digne descendante de la «Sacrée Congrégation de l’Inquisition romaine et universelle», cette même Inquisition dont le bilan meurtrier n’a plus à être rappelé –consultez à ce sujet même le dossier que le Vatican a publié en 2004– et veille à promouvoir et à protéger la doctrine et les moeurs conformes à la foi dans tout le monde catholique. Son préfet, à
l’époque où le cardinal Ouellet y était consulteur, était… Joseph Ratzinger! Faut-il s’étonner de voir Marc Ouellet encenser son ancien supérieur? Les opinions du cardinal Ouellet sont d’ailleurs contestées par ses ouailles mêmes. Le 25 février 2005, le quotidien Le Devoir publiait une lettre de catholiques québécois qui accusent le prélat de vouloir réduire l’Église à un vulgaire «lobby de droite». Les positions de Marc Ouellet sur le mariage et l’homosexualité, qui s’accordent en tous points avec celles du Vatican et qui, selon les signataires, seraient le reflet des «positions les plus réactionnaires et les plus conservatrices de notre société», ont notamment fait couler beaucoup d’encre durant les débats entourant l’adoption de la loi sur les mariages entre conjoints de même sexe. […] Les oreilles de christ et son éminence Or, le journaliste du Délit n’a rien de moins qu’escamoté ce débat, en présentant le cardinal Ouellet sous son meilleur jour: «Si le cardinal est déjà connu pour ses travaux au Vatican, il est aussi connu pour son amour profond pour la culture québécoise.» Un peu de tarte au sucre, avec vos oreilles de christ, votre éminence? Non seulement cette présentation est-elle biaisée et complaisante, mais elle prépare le terrain à une salve de compliments
qui seront dirigés, cette fois, vers Benoît XVI. C’est que les deux conférenciers ne tarissent pas d’éloges envers le nouveau pape: «Benoit XVI a un don exceptionnel pour communiquer», il «fascine», il est plein «d’humour», il «valorise la collégialité», il est un «pape de la modernité» et il «atteint le cœur des gens». On chercherait en vain au sein de cet article une nuance à ce portrait hagiographique du pape. Pire, le journaliste explique que Benoît XVI n’avait généré que «des attentes et aussi des préjugés»: ainsi, selon lui, la seule opposition possible à Ratzinger ne relèverait que d’un préjugé? Il ajoute que les premières actions du pape ont déçu les «catholiques dits conservateurs», puisque Ratzinger «n’était pas là pour imposer ses idéologies mais pour pointer le doigt vers le Christ». Donc, ce pape qui parle de l’homosexualité
comme d’un «désordre objectif» ne serait pas conservateur? […] Évidemment, le journaliste du Délit a pris soin de citer ses sources et ainsi de se prémunir contre les attaques à son objectivité. Mais l’objectivité –et cet article en est l’exemple frappant– n’est pas la garantie d’un journalisme éthique: celui-ci doit également faire preuve de neutralité. Or, non seulement le journaliste n’a-t-il pas complété son travail en évitant de questionner ses sources au sujet d’un débat qui pourtant fait actuellement rage, mais il dresse un portrait embelli et incomplet de son sujet, prenant ainsi –et qui sait, peut-être involontairement– parti dans ce débat. Une erreur regrettable, et qu’on espère regrettée. -Thomas St-Aubin Voir, sur ce dossier, la chronique en page 5.
Revue de la presse étudiante à chaque deux éditions, Le Délit vous propose un aperçu de la presse universitaire francophone, compilé avec joie par Christopher Campbell-Duruflé 4,9 demandés] n’ait pas fixé dans son allocution de clôture un montant à demander pour les transferts [fédéraux].» Les foules amassées étaient unanimes: «Les représentants des collèges et universités, des corps étudiants, des syndicats et des entreprises […] se sont clairement prononcés en faveur d’un paiement de transfert fédéral supplémentaire de 4,9 milliards de dollars pour le financement de l’éducation postsecondaire».
La Rotonde, Université d’Ottawa, éd. du 6 mars. «Une «mobilisation historique», mais quels seront les résultats?» titrait Philippe Marchand dans son article couvrant le Sommet sur l’éducation postsecondaire et la formation professionnelle, tenu le 24 février dernier à Ottawa. Pour Gilles Patry, recteur de l’Université d’Ottawa, «Le but du sommet était d’abord d’amener le gouvernement fédéral à augmenter les paiements de transfert […] bien identifiés pour aller vers l’éducation postsecondaire». Les associations étudiantes québécoises et canadiennes étaient présentes au rendez-vous. François Vincent, président de la FEUQ, déplorait quant à lui le fait que «le premier ministre Charest [dont l’objectif de réinvestissement dans l’éducation demeure à 2,2 milliards et non les
Montréal Campus, UQÀM, éd. du 8 mars. Marie-Luce Pelletier Legros rapportait une rencontre novatrice dans son article «Communauté gaie et forces policières». Pendant quatre heures, des groupes de policiers ont assisté à divers ateliers de sensibilisation sur l’homosexualité: démystification des pratiques sexuelles, de la violence conjugale, de la sortie du placard... «Une infraction reste une infraction, mais maintenant nous avons une meilleure compréhension de leur situation», souligne l’agent aux communications de la SPVQ, Sylvain Boisvert, après le grand succès de l’atelier proposé par la Coalition gaie et lesbienne du Québec. «Les victimes de ce genre de crime [le gay bashing] hésiteraient souvent à porter plainte. Il faut les soutenir et les encourager à dénoncer» affirmet-il. Pour lui, ceci passe d’abord par comprendre la différence. x
Nouvelles
xle délit | 14 mars 2006 www.delitfrancais.com
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Un sous-financement chronique? Martelant les problèmes de sous-financement et de manque de participation, la principale Heather Munroe-Blum a rencontré la presse étudiante en cette fin de session.
campus
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our la seconde fois cette année, la principale Heather Munroe-Blum a rencontré les représentants de la presse étudiante mcgilloise. Voici quelques extraits de l’entrevue. The McGill Daily Vous proposez l’annulation des frais de scolarité pour les étudiants de second et troisième cycle. Comment justifierez-vous une telle mesure compte tenu du manque de financement de l’Université? Heather Munroe-Blum Nous pouvons justifier la mesure, mais en ce moment nous n’en avons pas les moyens. C’est un fait que le système québécois manque de financement par rapport aux autres provinces canadiennes et à nos pairs nord-américains. Parmi toutes les méthodes de financement, à part les fonds de recherche, nous obtenons bien moins que les établissements en dehors du Québec. Concernant la recherche, qui est essentielle pour attirer les meilleurs professeurs, les deux niveaux de gouvernement ne paient pas le coût total de nos opérations. Nous nous retrouvons donc toujours dans une situation où il faut trouver l’argent nécessaire pour la recherche ce qui nous oblige à faire des coupures au niveau de la qualité de l’enseignement de premier et de deuxième cycle. Le manque de financement touche tous les secteurs, mais ceux qui en souffrent le plus restent les étudiants des cycles supérieurs. De plus, tous les étudiants de premier cycle devraient pouvoir venir à McGill indépendamment de leurs capacités financières, mais cela reste irréalisable en ce moment. […] Notre stratégie est de travailler avec le gouvernement fédéral pour aider les étudiants des cycles supérieurs. […] The McGill Daily Afin d’améliorer l’offre aux étudiants des cycles supérieurs, vous augmenteriez les frais de scolarité du premier cycle? HMB Pas nécessairement. Les valeurs sociales du Québec ont permis à la province de créer un système accessible à tous, ce qui était une très bonne idée. Nous partageons ces valeurs fondamentales. J’ai moi-même pu compléter mes études grâce à ce système. Le problème reste que si vous avez peu de moyens, vous aurez toujours besoin d’aide financière même si les frais de scolarité sont bas. On ne peut pas à la fois offrir de l’aide financière aux étudiants qui en ont besoin et avoir une offre éducative diversifiée et de haute qualité, tout en gardant de bas frais de scolarité. […] Le gouvernement du Québec paie plus par étudiant que tous les autres, et pourtant nous sommes toujours sous-financés. Il nous faut un modèle qui nous permette d’offrir une aide financière adéquate à tous les étudiants qui en auraient besoin et que ceux qui le peuvent paient une partie équitable des frais qui leur sont dus.
Josh Chapman/The McGill Daily
Le Délit Récemment, vous avez rencontré le chef du Parti québécois, André
Boisclair. Avez-vous discuté du financement de l’éducation post-secondaire? HMB Oui. M. Boisclair comprend que nous sommes sous-financés. […] Il a notamment proposé l’annulation complète des frais de scolarité, idée face à laquelle j’ai émis des réserves, notamment quant à la façon dont elle serait financée. Je pense qu’il est dans un mode d’exploration ouvert. Le Délit Est-ce que vous avez mentionné la possibilité d’une augmentation des frais de scolarité? HMB Oui. Je pense qu’il étudie des options où les frais de scolarité et l’aide financière seraient intégrés dans le mode de financement. Il s’est intéressé aux réalités de la participation des étudiants québécois au financement. The Tribune D’après vous, le corps étudiant accepterait-il une augmentation des frais de scolarité? HMB Je pense que les groupes étudiants reconnaissent que nous sommes sous-financés. Nous faisons pression avec ces groupes pour augmenter le financement gouvernemental. Quand j’étais étudiante,
«Je suis fière que nous ayons un journal étudiant francophone.»
je militais contre l’augmentation des frais et je comprends qu’aucun groupe étudiant ne sera favorable à la dérégulation. Les gouvernements doivent faire leur part et ensuite nous étudierons la possibilité d’augmenter les frais de scolarité. Je pense que les étudiants devraient comprendre les enjeux auxquels nous faisons face. The McGill Daily Est-ce que vous pensez que le transfert fédéral de 4,9 milliards $ sera suffisant pour améliorer la situation financière post-secondaire? HMB Le gouvernement du Québec doit aussi faire sa part. Nous dépendons beaucoup des bourses fédérales pour la recherche. De plus, nous pensons que le gouvernement fédéral pourrait ajouter des fonds au transfert. C’est un enjeu pour lequel l’administration et les groupes étudiants sont complètement d’accord. Le transfert est nécessaire. The McGill Daily Est-ce que vous faites pression sur le gouvernement fédéral? HMB Oui, j’étais au sommet sur l’éducation à Ottawa il y a deux semaines. C’était un événement historique pour l’éducation post-secondaire au pays. La majorité des investissements se sont concentrés dans le système de santé, mais le réseau post-secondaire a aussi besoin de fonds. Le Délit À ce sujet, quel a été l’accueil du nouveau gouvernement conservateur et notamment du premier ministre Harper?
HMB Une majorité de premiers ministres provinciaux se sont réunis et ont discuté de ce sujet. Le premier ministre fédéral a également rencontré tous ses interlocuteurs provinciaux. C’est la première fois qu’un chef de gouvernement fédéral étudie la question de l’éducation postsecondaire si tôt dans son mandat. Malheureusement, l’absence des ministres était décevante. Le manque de couverture médiatique était aussi un problème. Ils avaient pourtant la chance de jouer un rôle fondamental. Un des objectifs de l’administration est de garder le sujet de l’éducation postsecondaire dans l’arène de l’opinion publique. Les journalistes ne parlent pas de l’enjeu qu’est avoir une population éduquée. Les étudiants doivent faire entendre leur voix également. The McGill Daily Un groupe d’étudiants musulmans a déposé une plainte concernant leur espace de prière. Quelle est la position de l’Université concernant cet enjeux? HMB Rien n’a changé de notre côté. Nous avons de grandes limites physiques. Aucun groupe religieux n’a d’espace désigné à McGill. Les étudiants peuvent utiliser des salles vacantes pour faire leur prière, mais notre mission reste académique. Nous pensons qu’un donateur pourrait investir dans un espace de prière à proximité du campus. L’Université agit selon la loi et selon notre mission première. Nous nous attendons à ce que les étudiants musulmans trouvent leur propre espace de prière en dehors du campus. Le Délit Après trois années au poste de principale, quels ont été les progrès quant à l’usage du français à l’Université? HMB Nous restons un établissement anglophone, mais j’espère que l’Université est un environnement bilingue intéressant. Il faut que nous tirions les avantages de notre situation à Montréal et au Québec. Le corps enseignant et l’administration travaillent de plus en plus dans les deux langues. À mon arrivée, j’étais étonnée que les invitations et les communiqués de presse n’étaient qu’en anglais. Aujourd’hui, toutes les dépêches de l’administration sont bilingues. Nous avons aussi augmenté notre présence dans les médias francophones notamment à l’aide de publicités. Évidemment, une bonne partie de la couverture réservée à McGill dans les journaux francophones concerne le bizutage et les fêtes plutôt arrosées des étudiants en gestion. Mais en général, le nombre d’articles concernant McGill a augmenté. Je suis fière que nous ayons un journal étudiant francophone. […] Nombreux sont ceux qui arrivent à McGill avec une connaissance du français et nous ne voulons pas qu’elle disparaisse. Nous sommes dans la bonne direction. J’ai fait un voyage au Saguenay et j’étais bien surprise du nombre d’anciens étudiants qui sont venus me rencontrer. - Propos recueuillis par Alexandre de Lorimier
délit | 14 mars 2006 08 xle www.delitfrancais.com
Nouvelles
McGill et le Québec, hier et aujourd’hui
McGill est-elle inévitablement vouée à devenir une institution francophone ? campus Hugo Lavallée Le Délit
À
en croire les publicités diffusées par le Service des affaires universitaires, on devait s’attendre à une discussion relevée sur l’impact qu’a eu l’Université McGill sur le développement du Québec depuis sa fondation en 1821 et vice-versa. «Au-delà de sa renommée mondiale, l’Université McGill a joué un rôle significatif comme institution publique québécoise sur les plans social, politique et culturel», claironnait orgueilleusement l’annonce diffusée. Après les vingt-cinq minutes de retard de l’avocat Julius Grey, l’assistance aura finalement eu droit à la narration un peu décousue de quelques épisodes de l’histoire de l’institution, trois ou quatre anecdotes à saveur architecturale ainsi qu’une série de chiffres sur le nombre de cadres supérieurs de l’Université parlant français.
Bourses profondes Des trois panélistes invités, Stanley B. Frost, bien connu pour ses travaux de recherche sur l’histoire de l’Université, aura sans doute été le plus intéressant. Pince-sansrire, véritable archétype du vieil historien un peu pompeux, l’ancien professeur a raconté que le fondateur de l’Université, le marchand James McGill, appartenait à cette «race d’Écossais» qui croyait fermement que les habitants d’une ville avaient un devoir de loyauté et de générosité envers elle. Les premiers dirigeants de l’Université misèrent d’ailleurs sur les bons sentiments des riches marchands anglais pour maintenir l’Université à flot tout au cours du XIXe siècle, et ils récompensèrent les plus généreux d’entre eux en les nommant au conseil d’administration de l’établissement ce qui, à l’époque, était considéré comme le symbole ultime de l’accomplissement professionnel. La contribution des hommes d’affaires
1970
1999
2006
Membres du conseil d’administration
0
41,6
13,3
Principale et vice-principaux
0
50
50
Doyens
0
8,3
8,3
3,4
42,8
23,8
(p. cent)
Cadres supérieurs
Proportion de francophones parmi les hauts dirigeants de l’Université Direction des relations interinstitutionnelles
Des fois, ce n’est pas seulement dans l’auditoire que certains manquent d’attention. Mathieu Ménard
(«parce qu’il ne s’agissait que d’hommes à l’époque», a assuré M. Frost) a d’ailleurs été essentielle à la survie de l’Université durant la crise économique de 1929. À l’époque, explique l’historien, le chancelier profitait des rencontres du conseil d’administration pour énumérer les besoins de l’Université et lire à haute voix la liste des contributions qui étaient attendues de chacun des membres du conseil pour les combler. La direction en vint toutefois un jour à comprendre qu’il lui fallait trouver de nouvelles sources de financement. Au cours des années 1940, le principal et vicechancelier Frank Cyril James convainquit le gouvernement fédéral d’accorder une subvention à l’Université. Aussitôt, l’Université de Montréal écrivit au premier ministre du Québec, Maurice Duplessis, pour se plaindre de l’invasion des champs de compétence provinciale par le gouvernement fédéral. Le chef du gouvernement québécois obligea alors l’Université McGill à rembourser à Ottawa l’argent que cette dernière lui avait versé et promit d’instituer lui-même un système public de financement des universités. Il exigea ensuite des transferts plus généreux d’Ottawa pour régler un certain… déséquilibre fiscal, a raconté avec humour M. Frost. Reste que, pendant plus d’un siècle, McGill aura été gérée par des marchands attirés par le prestige de la fonction. Considérations contemporaines De l’intervention de Rod MacLeod, également historien, on retiendra surtout que le pavillon des Arts, construit de 1839 à 1843, servit un temps de résidence pour les professeurs qui étaient jadis apparemment trop peu payés pour s’offrir un logement. Ces derniers élevaient d’ailleurs des vaches tout juste derrière l’édifice pour arrondir leurs fins de mois. «Ça en dit long sur leur
place [dans la société d’alors]», a indiqué M. MacLeod. Est ensuite venu le tour de Ginette Lamontagne, directrice des relations interinstitutionnelles, avec qui la discussion a pris un tour résolument plus contemporain. Chiffres à l’appui, Mme Lamontagne a expliqué que l’administration de l’Université avait pris le virage du bilinguisme depuis les années 1970 afin d’affirmer sa place comme institution québécoise et de permettre à ses membres d’interagir avec l’ensemble de la société québécoise. Aujourd’hui, selon les données recueillies par la Direction des relations interinstitutionnelles, 41,6 p. cent des doyens et 60 p. cent des membres du conseil d’administration sont bilingues, a-telle souligné. Le nombre de francophones occupant des postes-clés au sein de l’administration a également substantiellement augmenté au cours des dernières années. En 1970, aucun membre du conseil d’administration de l’Université n’était francophone, alors que ces derniers comptent aujourd’hui pour 13,3 p. cent des effectifs, a indiqué Mme Lamontagne. La situation semble toutefois plus convaincante du côté de la principale et des vice-principaux, où la moitié des postes sont aujourd’hui comblés par des francophones, alors que ceux-ci étaient totalement absents en 1970. Au dire de Mme Lamontagne, le défi est maintenant de s’assurer que les nouveaux professeurs (et particulièrement ceux qui viennent de l’extérieur) soient encouragés et aidés à apprendre le français une fois installés dans leurs nouvelles fonctions. «Nous sommes à la croisée des chemins», a-t-elle indiqué, soulignant que l’Université embauche en ce moment près d’une centaine de nouveaux professeurs par année.
McGill, université francophone? Si les francophones sont aujourd’hui mieux représentés au sein des structures décisionnelles de l’Université qu’ils l’étaient en 1970, la place que devrait occuper le français au sein de l’institution en général demeure quelque peu embrouillée. En réponse à une question portant sur la possibilité maintenant offerte aux étudiants de rédiger leurs travaux en français, l’exchancelière de l’Université (appelée à modérer la discussion pour l’occasion), Gretta Chambers, a dit y voir surtout une façon d’accommoder les élèves francophones le temps qu’ils s’habituent à écrire en anglais, et non pas, comme on aurait pu s’y attendre, une façon originale de reconnaître explicitement la nature francophone du Québec et de faire coexister deux langues et deux cultures. Questionnée à savoir si l’Université était vouée à devenir, un jour ou l’autre, une université francophone, Mme Lamontagne s’est empressé de dire qu’il y avait déjà «suffisamment d’universités francophones» au Québec. Julius Grey, ancien professeur de la faculté de Droit et jadis président de l’AÉUM, invité à commenter la discussion, a pour sa part souligné que «l’anglais est pour tous les Québécois» et, qu’à ce titre, «McGill appartient véritablement au Québec». Soulignant l’avantage que constitue pour McGill le fait d’être une institution de la minorité anglophone (non pas à cause des droits qu’elle peut revendiquer à ce titre en vertu de la Charte des droits et libertés, mais bien à cause du fait qu’elle puisse se réclamer simultanément des cultures minoritaire et majoritaire), Me Grey a insisté sur la capacité qu’avait démontré l’Université à s’adapter au cours des années. «McGill ne doit plus être préoccupée par des questions identitaires, mais bien par l’excellence», a conclu le célèbre avocat. x
Nouvelles
xle délit | 14 mars 2006 www.delitfrancais.com
Un innocent derrière les barreaux L’organisme Innocence McGill tient sa première conférence sur les condamnations injustifiées. campus François Beaudry Le Délit
C
’est devant un auditoire de plus de cent personnes qu’a eu lieu, le mercredi 8 mars dernier, la première conférence annuelle d’Innocence McGill. «Vaincre les condamnations injustifiées»: le titre correspond parfaitement à la mission que s’est fixée cet organisme composé d’étudiants en droit déterminés à faire libérer les victimes d’erreurs judiciaires. Plus que d’ examiner les dossiers de personnes qui soutiennent avoir été condamnées à tort, la vingtaine d’étudiants impliqués croit qu’il est nécessaire d’éveiller l’opinion publique à la triste réalité des erreurs judiciaires.
La conférence s’est ouverte sur quelques brèves paroles du professeur Patrick Healy, criminaliste de renom qui enseigne à McGill et agit à titre de conseiller pour le groupe étudiant. Son allocution s’est terminée sur une question troublante, reprise comme un leitmotiv tout au long de cette conférence: «Comment se fait-il que des personnes de bonne foi puissent trouver coupable audelà de tout doute raisonnable une personne qui n’a jamais commis le crime pour lequel elle est condamnée?» Stephen Bindman, conseiller spécial en matière d’erreurs judiciaires pour Justice Canada, a par la suite présenté et expliqué les conclusions d’un rapport sur les causes des erreurs judiciaires. Selon lui, débusquer les erreurs judiciaires n’est pas contraire à l’intérêt de l’État, mais contribue plutôt à l’intégrité du système de justice. Des failles, il en voit plusieurs: les opinions préconçues, les témoins oculaires vagues, les dénonciateurs sous garde, l’utilisation inadéquate de la preuve scientifique ou les fausses confessions. Il offre à titre d’exemple le cas de Simon
Marshall, un handicapé intellectuel condamné pour cinq agressions sexuelles qu’il n’a pas commises mais dont l’état mental l’a poussé à admettre qu’il en était l’auteur. Maître Bernard Grenier, anciennement juge de la chambre criminelle de la Cour du Québec –il a confié au public qu’il ne «pouvait qu’espérer» ne pas avoir condamné un innocent–, a partagé son expérience à titre de conseiller spécial du ministre de la Justice du Canada en matière de condamnations injustifiées. Selon lui, le système judiciaire canadien en matière de droit criminel est juste, mais il fait des erreurs. Il convient donc, sans imposer de bouleversement radical à ce système, «de rappeler à tous ses acteurs que l’erreur n’est pas impossible». La conférence s’est terminée par un témoignage émouvant de Michel Dumont, un père de famille condamné injustement il y a dix ans pour une agression sexuelle qu’il n’a pas commise. Les plus lyriques pourront parler du «récit de l’incompréhension kafkaïenne de l’innocent brusquement englouti dans le système de
Il était une fois dans Le Délit...
justice». Les autres associeront désormais une figure à l’expression «condamnation injustifiée». Plongé dans un cauchemar judiciaire par une identification erronée par la victime, qui a par la suite corrigé son erreur, et par des erreurs dans le travail des enquêteurs, Dumont se bat encore pour obtenir une compensation pour les années passées en prison, où il a subi les divers sévices réservés aux personnes identifiées comme ayant commis des crimes de nature sexuelle, sans avoir accès à la libération conditionnelle. Le jour même de la conférence,
Le mardi 16 novembre 1993
09
Dumont offrait des entrevues à toutes les grandes chaînes de télévision, devant la faculté de Droit, pour répondre au refus du ministère de la Justice du Québec de l’indemniser pour les trentequatre mois passés en prison sans cause. Selon les organisateurs, le succès de la conférence et le nouvel intérêt de l’opinion publique pour les erreurs judiciaires ne peuvent qu’encourager les membres d’Innocence McGill à continuer à s’investir dans la révision de cas potentiels d’erreurs judiciaires. x
délit | 14 mars 2006 10 xle www.delitfrancais.com
E D S N O I T ÉLEC CIATION O S S A L’ E T N A I D U ÉT
xle délit | 14 mars 2006 www.delitfrancais.com
Mays a prése Pharès nt enjeu e les x scruti du n.
Élections: les plateformes diffèrent-elles vraiment? Des candidats également qualifiés.
L ce a l p e n u l i t n o s o Les Franc ? s l e i t n e d i s é r p s dans les projet M tournent us faisons à l’AÉU no e qu ts en em évén s choses pour de la bière et de beaucoup autour nos activités et faut diversifier anglophones. Il oir arranger taires pour pouv en m m co s de er sollicit fossé culturel serait donc un Ce . n» tio ua sit la i écarterait les et «francos» qu entre «anglos» cGill. francophones à M and nombre k, le fait qu’un gr -C Pour Donny lar ontréal compte vient de l’île de M de francophones t, mais il s’agit e d’investissemen dans ce manqu ique, sociale et lit «la culture po e qu ce de ut surto ent de la culture oses relèvent vraim la ch s e une ce m m es co ut to i, ceux qu , ce n’est pas tant ombreux sont iants anglo». Pour Leon Mwotia e la ud qu ét t s fai de le e au Rése politique qu re ltu cu t présidente du en de ill rv n cG se tio M ob ques Blake, hones à Elysia étudiants francop s ne étrangers, r de al pa é t, tré rit on on ajo M et m de s environs ts qui viennent les vient de Montréal et de se s. e pu qu m s ca que «les étudian pu du m ca rs deho s autant sur le e conséquent, déjà une vie en r s’impliquent pa une grande parti tte population su nt ce ue er tit tir at ns d’ co i i lu -c ur s po «le te ra se e, ofi fi ell pr dé n autres». Ceux en lo Le Se sse et té francophone. qu’elle s’y investi de la communau M n’atteignent le campus pour ÉU l’A de n tio ica voies de commun mobiliser, par pleinement. par l’argent. s et on ne peut les , cela passera tia wo is M s fra s ec de Av lle pas ces personne me ce les francophone s questions com prêt à favoriser ns re s, da cla en st dé oy c’e m se exemple pour de t, de Il ta us nner pl réponse à ce cons et financièrement: «Il faut leur do ents de scolarité». En n Donny-Clark ro pour les événem Aa nt e ce qu p. t an 15 sit ou hé nt ur ce ais le p. po nç 5 er fra tir er nn es un ajout s’inv i subventio rment vouloir . Il compte auss s s» ne ne er ho ho lu sa op op nc nc de Leon Mwotia affi fra fra ier s bl la vie étudiante de ophone. Sans ou l’amélioration de commissaire franc ec la naissance av e né an tte ce sur le campus. ement qu’il le travail accompli ts français et plan de développ auté des étudian un m re m su tia as Co Mentionnant le k la lar de -C s Francos, Mwo sur pied, Donny r le dynamisme du Réseau de gi ci, «a sd’ i lle lu ce compte mettre e ur m po m ns qui, co aux enjeux sera iants affirme que les organisatio ivent ud ét do , s qu’un des princip ne de ho n op tio nc ica unauté fra grande impl McGill». représentent la comm pour une plus pour faire vie étudiante à la rgent nécessaire l’a ns M da s ÉU t ne l’A fau de dé ir t vo en francopho ce m re ire cla implication fait des entendre leur voix. x Selon lui, cette que «la moitié t fai le r pa ue et cela s’expliq
et Comment Mwotia ptent m o c rk la -C y n n o D promouvoir le fait mpus. a c le r u s is a ç n a fr
N
a campagne électorale, dont le dénouement dotera les étudiants de premier cycle d’une relève de l’équipe exécutive de l’AÉUM, bat son plein. Or, si les candidats affichent des plateformes fournies, les priorités se ressemblent souvent. Il est ainsi probable que le vote sera une question non pas tant de projets que de personnalité. Selon Patrick Scace, président de l’Association des étudiants en Arts (AUS), les candidats sont les plus qualifiés qu’il ait jamais vu. En effet, tous ont participé à la vie politique mcgilloise par le passé. Les deux aspirants à la présidence, Leon Mwotia et Aaron Donny-Clark, font partie de l’équipe actuelle de l’AÉUM, où ils ont respectivement occupé les postes de vice-présidents aux Clubs et Services et aux Affaires externes. Les autres candidats ont tous eu une position de représentant ou de porte-parole pour un groupe étudiant au sein de l’université. Les raisons pour lesquelles certaines associations soutiennent les candidatures de certains relèvent, semble-t-il, d’une question de connaissance. Elysia Blake, présidente du Réseau des étudiants étrangers (MISN), note que «[l]e MISN soutient officiellement la candidature de Leon Mwotia» avec qui il a travaillé pendant l’année comme VP Clubs et Services. Selon elle, «Aaron Donny-Clark est une personne un peu obscure. Avec Leon, on est sûr que les choses se font». Pour Scace, par exemple, le soutien de l’AUS à Gill Pendergast, postulante pour le siège de VP Communication et Événements, s’explique par le fait qu’elle a fait ses preuves au sein même de l’AUS. Les associations sont donc portées à endosser les candidatures de ceux qu’ils ont directement vus à l’oeuvre. Scace affirme que les deux postulants présidents «sont également talentueux et qualifiés, mais ils feront les choses très différemment».
McGill à l’externe Les candidats s’accordent généralement sur la nécessité de geler les frais de scolarités. Au nombre des priorités externes, la question de la FEUQ leur est également chère et suscite un consensus. En effet, si la perspective d’un référendum de désafilliation se profile, il est admis, tant par Donny-Clark que par Mwotia, que la séparation ne devrait être qu’un dernier recours. Fort d’une année au service de la défense des intérêts mcgillois auprès du gouvernement et de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ), DonnyClark déclare: «c’est une de mes priorités de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour améliorer nos relations avec la FEUQ. Si je suis dans le comité du non, je veux avoir fait tout mon possible pour éviter cela». Il est probable que, sur le modèle de la CADEUL
(Université Laval), désaffiliée à l’automne dernier, McGill claque la porte de la FEUQ. Donny-Clark doute toutefois que cela soit bénéfique au positionnement de McGill à l’échelle provinciale et fédérale. Il est selon lui «important d’avoir une FEUQ efficace pour ses étudiants». Ces mots viennent cependant de celui qui, en tant que VP externe, a boycotté le dernier congrès de la FEUQ, une action jugée par certains, dont son adversaire Mwotia et son successeur à l’externe (élu par acclamation) Max Silverman, comme une manière trop «drastique» de gérer les différends. Envisageant le pire des cas, celui où le «non» l’emporterait, Donny-Clark convient que l’AÉUM sera dans une position difficile, notant que désormais, «les étudiants de la CADEUL sont sans représentation nationale ni provinciale». Mais si Donny-Clark semble ne pas tout à fait exclure que l’on puisse agir sans la FEUQ, Mwotia soutient que «la FEUQ est efficace » et que « nous bénéficions de son pouvoir de lobbying». Il ajoute qu’il ne « voudrai[t] pas essayer de faire pression seul, car McGill seule n’a pas le même pouvoir que la FEUQ». Mwotia, comme Max Silverman, n’envisage pas que l’AÉUM devienne membre d’une autre fédération étudiante (comme la Fédération étudiante canadienne) parce qu’aucune n’a la même portée ni le même poids démographique.
Démocratie et fluidité administrative à l’interne En tant que président d’une association facultaire, Patrick Scace voudrait que la priorité de la prochaine équipe exécutive soit la mise en place d’un conseil des présidents. Cette instance rassemblerait les présidents des associations de facultés et départements, afin de favoriser le partage d’informations et la délibération à l’échelon départemental de l’université. Il s’avère que la formation de ce conseil est sans doute le plus important des projets de Leon Mwotia, alors qu’il n’est qu’en dernière position sur la «liste» de Donny-Clark. Mwotia revendique habilement d’être «comme les étudiants» et affirme que «les autres sont des étudiants-politiciens». Or, il reproche à ces «autres» de ne pas être à l’écoute des étudiants et de prendre des décisions arbitraires. Mwotia considère que la différence entre lui et ces «autres» est d’être à l’écoute. Du côté des services, Elysia Blake considère que la priorité doit être mise au niveau de la bureaucratie et des frais de réservation des salles du Shatner (elle note que l’on doit payer ne serait-ce que pour occuper une table, ce qu’elle juge aberrant). Les deux candidates aux Affaires universitaires, Malek Yalaoui et Finn Upham, ont toutes deux mis ces questions au sommet de leurs plateformes, même si Upham compte mettre un maximum d’énergie dans la conception d’un guide de la bureaucratie mcgilloise afin de faciliter les rapports des étudiants avec l’administration. x
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délit | 7 mars 2006 12 xle www.delitfrancais.com
L’art au pluriel La vingt-quatrième édition du Festival international du film sur l’art: animation, architecture, littérature et autres médiums se déploient sur le grand écran. festival Mathieu Ménard Le Délit
L
e FIFA s’approche tranquillement du quart de siècle, avec une ambitieuse programmation comprenant 280 productions en provenance de vingt-sept pays. Dans l’ensemble, il y a un certain souci de demeurer dans l’actualité; la parution de ces films s’étend généralement de 2002 à 2005. Les représentations à la Cinémathèque québécoise font exception à la règle, plongeant dans plusieurs décennies d’archives pour repêcher à nouveau documentaires et biographies disparus dans les limbes. En tout, huit lieux de représentation, chacun se consacrant à sa spécialité: Centre canadien d’architecture, Musée des beaux-arts, Office national du film, Cinquième salle de la Place des Arts, etc. Le festival suit davantage la formule du documentaire que celle de l’art vidéo. Peintres, écrivains, cinéastes et autres excentriques se partagent les biographies. Par ailleurs, certains événements-clefs de l’histoire de l’art (la protection du patrimoine artistique durant la Seconde guerre mondiale, par exemple) prennent l’allure de mystérieuses enquêtes. En ouverture: minotaure et architecture mythique Un rapide coup d’œil aux affiches et
autres matériels promotionnels confirme le statut de Minotauromaquia – Pablo dans le labyrinthe comme porte-drapeau de la vingt-quatrième édition du festival. Après Wallace & Gromit aux Oscars, l’animation par modelages articulés continue à charmer le public. Minotauromaquia, de Juan Pablo Etcheverry, raconte Picasso explorant un labyrinthe hébergeant des répliques vivantes de ses œuvres, mais aussi un féroce minotaure, élément récurrent du langage visuel du peintre. Visuellement imaginatif et saisissant, ce court métrage est un bon choix pour éveiller la curiosité du public. Le deuxième film d’ouverture du festival est Sketches of Frank Gehry, un documentaire réalisé par Sydney Pollack. Gehry, un architecte incontournable du vingtième siècle, est notamment connu pour le musée Guggenheim à Bilbao, en Espagne, un édifice qui se déploie tel une fleur, paraissant défier les lois de la physique. Pollack, ami intime de l’architecte, a suivi ce dernier durant quatre ans pour construire ce portrait. De La La La Human Steps à Don Quichotte Le Festival international du film sur l’art est aussi l’occasion de célébrer les anniversaires des autres monuments artistiques d’ici et d’ailleurs. Deux organismes soufflent leurs vingt-cinq bougies: la maison de production torontoise Rhombus Media, et la compagnie de danse La La La Human Steps. Rhombus, spécialisée dans la production de films à saveur musicale (y compris Le Violon rouge), est à l’honneur avec une douzaine de productions. La plus récente, Mozart à la folie, fut accomplie dans le contexte du 250e anniversaire du compositeur. Pour La La La Human Steps, le festival accueillera le fondateur et directeur artistique Édouard Lock, qui présentera et commentera le métrage Amelia ainsi que des extraits vidéo intégrés à d’autres spectacles. Le cinquantième anniversaire de la revue Vie des Arts est souligné avec des films
Richard Meier brouille les frontières intérieur-extérieures en laissant passer la lumière. gracieuseté FIFA
Arts&Culture
Minotauromaquia, ou Picasso en plasticine. gracieuseté FIFA
consacrés à différents artistes québécois (Jean-Paul Riopelle, Alfred Pellan) et canadiens (Emily Carr). Don Quichotte, avec quatre siècles de succès, est célébré par The Way of the Nobleman (une exploration de la Mancha et de ses habitants) et par Cervantès et la légende de Don Quichotte, un dialogue avec différents auteurs. Dialogues et découvertes Pour les plus enthousiastes, les organisateurs ont concocté une dizaine d’événements spéciaux, où les projections vidéo sont accompagnées d’un dialogue impliquant un animateur et quelques invités. Par exemple, l’hommage à Cervantès sera accompagné d’une discussion entre professeurs de littérature et de théâtre, y compris David Boruchoff de l’Université McGill. En plus des hommages mentionnés ci-haut, des soirées seront consacrées à des sujets aussi variés que l’art vidéographique, la musique baroque française et l’interaction entre le cinéma d’animation et le haïku. Il n’en demeure pas moins que l’intérêt premier du FIFA est de découvrir de nouveaux artistes. Avec Nicolas de Staël: la fureur de peindre, le public a l’occasion de découvrir l’un des peintres abstraits les plus importants du vingtième siècle. Bien qu’il ait exposé aux côtés de Wassily Kandinsky, de Staël profite d’un rayonnement moins important. Les entrevues, qui opposent l’entourage du peintre à ses toiles, donnent une bonne impression des dimensions colossales de ses œuvres. Non seulement le festival laisse la place à des peintres peu connus, mais les courants populaires deviennent marginaux. Par exemple, l’impressionnisme, grand favori du public, n’est que modestement présenté au festival. Renoir(s), en suivant les fils de l’eau, est en fait un dialogue entre le peintre PierreAuguste et son fils cinéaste Jean. Le résultat est plus ou moins passionnant, s’attardant respectivement sur les portraits mièvres et le «cinéma de papa», avec une pointe de chauvinisme. Toutefois, cette présentation vaut le détour pour le documentaire Le Cinéma passe à table. L’influence de la gastronomie sur le septième art est explorée via différentes voies: pour solidifier la psychologie des personnages, comme ensemble de normes
sociales, ou même en tant que «tremplin érotique». On passe de la France à l’Italie (avec une ode à l’indestructible amitié entre l’Italien et son spaghetti) sans oublier la Corée (le protagoniste de Old Boy dévorant un poulpe vivant) ou les dégustations libidineuses de Tom Jones. Les chaos du documentaire Étant donné l’immense variété de sujets et de films, chaque projection devient une surprise. Un documentaire consacré à l’art est une victoire sur la bureaucratie et un sublime jeu d’équilibre avec un budget limité. La Maison de verre présente un triomphe de la modernité en architecture, avec ses armoires bioniques et son éclairage cinématographique. Le film subit néanmoins un montage et une narration rigides. La biographie suivant La Maison de verre, intitulée Magician of Light – Richard Meier, architect coupe le souffle avec des plans cinématographiques superbes où l’architecture géométrique se déploie majestueusement. Simultanément, la trame sonore subit une crise d’identité: guitare électrique criarde, ou orchestre mélodramatique? Nicolas de Staël: la fureur de peindre souffre d’un narrateur médiocre, où l’artiste crève-la-faim paraît avoir décroché un contrat pour une émission enfantine. Mieux vaut entrer dans la salle avec un optimiste prudent et un appétit pour l’humour accidentel. Et maintenant? Le FIFA amorce sa deuxième semaine et les opportunités ne manquent pas de découvrir l’art d’ici et d’ailleurs. Un bref coup d’œil à l’horaire révèle plusieurs artistes québécois, Minotauromaquia et son triomphe de la plasticine, des compagnies de danse, quelques écrivains (Orwell, Cervantès) et même un bédéiste (Franquin, de Gaston Lagaffe). Un favori du public, Bacon’s Arena (sur un peintre énergique passionné autant par les sujets humains que les morceaux de viande), bénéficie d’une supplémentaire pour répondre à la demande. Bon cinéma! x Le FIFA se poursuit jusqu’au 19 mars. Pour consulter l’horaire et acheter des billets: www. artfifa.com. Remerciements à A. Laurin pour sa science infuse de l’art.
Arts&Culture
Un opéra antique mais actuel L’Opéra de Montréal présente pour la première fois La Clémence de Titus de Mozart, une production du Santa Fe Opera. opéra LA CLÉMENCE DE TITUS
Salle Wilfried Pelletier, 175 rue Ste-Catherine Ouest Jusqu’au 23 mars Clémence Repoux Le Délit
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e dernier opera seria écrit par Mozart nous est présenté cette année dans le cadre du 250e anniversaire de sa naissance. Le ténor américain Anthony Dean Griffey qui devait tenir le rôle a dû l’abandonner à cause d’une maladie grave, cédant sa place à Frédéric Antoun, le ténor qui interprétait récemment le rôle du Roi Ouf dans L’Étoile. Il partage la scène avec deux sopranos: Emma Bell dans le rôle de Vitellia et Hèlène Guilmette dans celui de Servilia, deux mezzo-sopranos, interprétant des rôles travestis: Monica Groop qui incarne Sextus, et Julie Boulianne dans le rôle d’Annius. Enfin, le baryton Joshua Hopkins incarne Publius, le capitaine de la garde prétorienne. C’est Bernard Labadie qui dirige les Violons du Roy et le Choeur de l’Opéra de Montréal, et Chas RaderShieber qui signe la mise en scène. Dans la tradition de l’opera seria, caractéristiques du dix-huitième siècle en Europe (en particulier en Italie), La Clémence de Titus se base sur un sujet de l’Antiquité. La trame se déroule à Rome en 80 après Jésus-Christ. L’empereur Titus vient de se séparer de Bérénice, la princesse étrangère. Il décide d’épouser Servilia, la soeur de Sextus, qui est un de ses amis. Or Vitellia, qui est la fille de l’empereur Vitellius, se prétend l’héritière légitime du trône et ne supporte pas l’affront de ne
pas avoir été envisagée comme épouse de l’empereur. Elle manipule l’amour aveugle de Sextus et le force à la venger en organisant un complot contre Titus. Cependant, Titus voit sa demande rejetée par Servilia qui lui montre la grandeur de son amour pour Annius. Touché par la beauté de cet amour, Titus bénit leur union, et décide finalement d’épouser Vitellia. Mais il est trop tard, le complot est en marche, déjà le Capitole brûle. Le complot est déjoué, Sextus est arrêté, mais par amour il refuse de dénoncer Vitellia. Elle finit par s’accuser elle-même. Et comme l’annonce le titre de l’opéra, Titus les gracie, espérant par sa clémence s’attirer enfin la fidélité de ses amis. Cet opéra est plus intéressant du point de vue psychologique que de celui de l’action. Il explore toute une variété de sentiments: la jalousie, l’envie, l’amour, la passion... Mais surtout, il fait l’éloge de la grandeur d’âme de l’empereur Titus, qui, trahi par ses amis, poussé par le Sénat et par le peuple à ordonner leur exécution, au dernier moment et contre toute logique, choisit la clémence et le pardon. Il est important de souligner ici le contexte: Mozart écrit cet opéra pour le couronnement de l’empereur Léopold II à Prague en 1791 et participe à ce grand évènement fastueux destiné à convaincre le reste du monde de la puissance impériale autrichienne. Oublié pendant près d’un siècle, La Clémence de Titus revient à la mode au début du dix-neuvième siècle. Cet opéra, bien que répondant aux règles rigoureuses de création de l’opera seria, fait partie des dernières oeuvres de Mozart, et tout comme Cosi fan tutte et La Flûte enchantée, montre son influence francmaçonnique, à travers les thèmes du dépassement des passions, et de l’humanité des personnages. Enfin, l’opéra de Montréal cherche à se rapprocher du jeune public, il collabore ainsi avec la Société des Arts Technologiques (SAT) pour réaliser les Technopéras, réunissant des jeunes artistes lyriques et des jeunes créateurs du numérique. La SAT présente The Turn of the Screw de Benjamin Britten le jeudi 16 mars et Aida de Giuseppe Verdi le jeudi 4 mai. x Pour plus d’information: www.operademontreal.com.
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L’aventure du vin Flora Lê
La Bourgogne: l’autre grande région française NOUS VOILÀ DE RETOUR AUX grandes régions de France. La Bourgogne partage avec Bordeaux l’honneur d’être l’une des plus grandes productrices de vin de France, mais c’est bien là leur seule ressemblance. Les deux régions sont très différentes, mais s’arrachent les titres des meilleurs vins de France. Le climat et le terroir Comparée au Bordelais, la région de la Bourgogne, de Chablis à Lyon, paraît toute petite. Les bons bourgognes sont donc une denrée rare que les connaisseurs s’approprient jalousement. Le sol bourguignon possède une histoire géologique particulière, qui fait que sa nature varie d’une colline à l’autre, et même entre le milieu et le bas de la côte. Vous pouvez trouver deux vins clairement différents issus de vignobles séparés par un chemin de deux mètres! On comprend aisément que la notion de terroir prend une importance capitale en Bourgogne. Le terroir bourguignon est particulièrement bien adapté aux deux cépages principaux employés dans la région: le chardonnay dans le blanc, le pinot noir dans le rouge. Et c’est d’autant plus vrai pour le pinot noir, puisque nulle part ailleurs au monde on est parvenu à mieux exprimer les qualités de ce cépage difficile et pointilleux. Le morcellement des vignobles Contrairement à ceux du Bordelais, les grands vignobles bourguignons sont divisés en de petites parcelles exploitées par une multitude de producteurs. La cause en revient en partie à la révolution de 1789. Avant cela, la majorité des vignobles appartenaient au clergé et à l’aristocratie (Bordeaux, à la même époque, appartenait aux Anglais et n’a pas souffert d’un tel morcellement). Le Code Napoléon, qui édictait que toutes les terres devaient être distribuées de manière égale, a accentué le morcellement des vignobles familiaux. Voilà pourquoi aujourd’hui la Bourgogne est composée d’une mosaïque de petits vignobles. Par exemple, le très réputé domaine Clos Vougeot compte quatre-vingt deux propriétaires pour seulement cinquante hectares! Pour mieux représenter la petite taille des vignobles, les «châteaux» de Bordeaux laissent leur place aux «domaines», et les différents terroirs portent le nom de «climats». La structure des appellations contrôlées La structure des appellations contrôlées des vins de Bourgogne accorde donc une importance primordiale à la notion de terroir. Comme à Bordeaux, on a déterminé que certains vignobles sont meilleurs que d’autres, ce qui a permis de faire un classement qui met au premier rang les «grands crus», puis les «premiers crus». Mais en Bourgogne, ce classement relève d’une terrible complexité technique. En gros, vous pouvez simplement retenir que plus le vin est prestigieux, plus l’appellation représente un petit territoire. Le goût des grands bourgognes Les bourgognes rouges, faits de pinot noir, sont moins foncés et moins tanniques que les bordeaux. L’arôme caractéristique des bourgognes est celui des petits fruits rouges auquel s’ajoute des arômes de terre humide, de champignon, de cuir et de café. Les bourgognes blancs, notamment les prestigieux chablis, offrent une palette alléchante: beurre, caramel, noisette, un peu de miel et quelques fleurs, tout cela dans une bonne acidité. Les blancs comme les rouges gagnent à vieillir, offrant, avec le temps, une plus grande complexité encore. Réservez-leur une dizaine d’années pour les boire à leur meilleur. La semaine prochaine: la vallée du Rhône.
Frédéric Antoun joue le rôle de Titus dans la dernière production de l’Opéra de Montréal. Yves Renaud
Questions et commentaires? flora.le@mail.mcgill.ca
délit | 14 mars 2006 14 xle www.delitfrancais.com
Arts&Culture
Le château est-il imprenable? Cette œuvre de Kafka nous plonge dans une certaine perplexité. théâtre LE CHÂTEAU Théâtre Prospéro, 1371 rue Ontario Est Jusqu’au 25 mars Arnaud Decroix Le Délit
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n co-diffusion avec Le Groupe de la Veillée, le Théâtre de Fortune présente au Prospéro Le Château, dernier roman de Franz Kafka, demeuré inachevé quelques années avant la mort de l’auteur en 1924. Ce récit retrace l’arrivée d’un homme dans une ville où il est perçu comme un étranger et où il a du mal à se faire accepter tant par les autorités que par la population locale. L’identité de cet homme, qui se prétend arpenteur-géomètre, se réduit à une lettre, K., et porte à une réflexion sur la société. Dans cet univers insolite, le pouvoir est détenu par un mystérieux comte qui vit
L’équipe du Château fait un travail exceptionnel, le défi étant de rendre cohérent l’absurde. Paul Lavoie
retiré dans un château et que personne ne semble avoir jamais vu. Les instructions de ce dernier sont relayées par un certain Klamm, dont l’autorité est tournée en ridicule. La mise en scène de Jean-Marie Papapietro, qui rappelle celle de Ce fou de Platonov de Tchekov, présentée également au Prospéro lors de la dernière saison, est résolument contemporaine. Dès l’entrée des spectateurs dans la salle, ces derniers sont attendus par les acteurs, déjà présents sur scène et en pleine discussion.
Progressivement, alors que l’éclairage de la salle s’assombrit, le monde des artistes s’éclaire. La pénétration dans l’univers kafkaïen se fait donc sans rupture. Mais si le moment d’ouverture n’est pas tangible, le fil conducteur ne l’est malheureusement guère plus. En effet, fidèle à sa réputation, l’œuvre de cet auteur tchèque de langue allemande est complexe. Claude David, dans la préface aux œuvres complètes publiées dans La Pléiade avertit: «Les mondes fabuleux que suscite
la rêverie de Kafka ne sont pas dessinés à la ressemblance du nôtre». Ainsi, c’est un environnement guidé davantage par l’absurde plutôt que par une recherche de sens qui prend corps sous nos yeux. Cette tentative originale a influencé Albert Camus, qui publie en 1943 un texte sur l’espoir et l’absurde dans l’œuvre de Franz Kafka tandis que l’existentialisme de Jean-Paul Sartre a également été très fortement influencé par l’entreprise de l’auteur praguois. Le jeu des dix acteurs, sans être laborieux, pâtit inévitablement de ce manque volontaire de cohérence. Toutefois, François Trudel, dans le rôle du personnage principal, reste parfaitement crédible. Mais, en définitive, la difficulté ne consiste-t-elle pas à porter à la scène un roman inachevé, publié en 1926 par le légataire universel de Kafka contre les volontés de ce dernier, et qui a pour thème central l’indicible? L’auteur lui-même, dans son journal, n’a-t-il pas écrit: «Je tente toujours de communiquer quelque chose qui n’est pas communicable, et d’expliquer quelque chose qui n’est pas explicable»? On comprend donc aisément la difficulté qui s’impose face à toute tentative de transposition de cette œuvre essentiellement philosophique. x Pour plus d’information: (514) 526-6582.
Du grand Shakespeare! L’Histoire lamentable de Titus est une belle réussite. théâtre L’HISTOIRE LAMENTABLE DE TITUS Théâtre du Nouveau Monde, 84 rue SainteCatherine Ouest Jusqu’au 25 mars Arnaud Decroix Le Délit
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a compagnie Omnibus a l’audace de présenter L’Histoire lamentable de Titus (ou Titus Andronicus) dans son intégralité et le pari est largement gagné. Pourtant, il a dû falloir un certain courage pour se risquer à monter une telle pièce dont la durée totale avoisine les trois heures et demie. Les cinq actes de la pièce, entrecoupés de courtes pauses, conviviales et surprenantes, ainsi que d’un entracte, parviennent largement à maintenir le spectateur en éveil du début à la fin de la représentation. Plusieurs facteurs concourent à ce remarquable succès. Créée pour la première fois en 1594, cette pièce présente une grande actualité puisqu’elle décrit un cycle de violence inextricable entre Titus, général imaginaire de la Rome impériale, et la perfide reine Tamora. Cette oeuvre invite à une belle réflexion sur l’attrait de la violence et la nature humaine ainsi que sur les limites
entre barbarie et civilisation, la première faisant souvent irruption au sein même de la seconde. Si elle se rattache au genre des tragédies et que les influences de Sénèque et d’Ovide sont clairement perceptibles, cette œuvre de jeunesse a pourtant été délaissée pendant longtemps. L’adaptation de cette pièce pluri-séculaire par Peter Brook en 1955 a enfin permis de susciter un certain intérêt autour de cette création du grand dramaturge britannique. L’environnement scénique est particulièrement soigné. Les costumes et accessoires, par Jaber Lutfi et François Barbeau, participent grandement à cet enchantement. Outre les mille trouvailles ingénieuses, il convient de souligner que le vêtement de l’empereur Saturninus est constitué de ravissantes cravates entremêlées tandis que la reine Tamora bénéficie de somptueux apparats. La disposition scénique est également particulièrement soignée. À cet égard, le travail de Charlotte Rouleau, qui a notamment travaillé pour les décors du film Idole instantanée, est digne d’éloges. La musique d’Éric Forget, qui assure la trame sonore du spectacle est tonitruante. Pourtant, ces mélopées sur fond technohouse s’intègrent parfaitement à l’ensemble et constituent une heureuse surprise. La présence efficace des douze acteurs concourt également à cette impression de doux ravissement. Il suffit de mentionner la prestation magistrale de Sophie Faucher. Celle que l’on connaît bien à travers son personnage de Pernicia, dans la télé-série enfantine Tohu-Bohu, ou de la délicieuse Christal dans Le Cœur a ses raisons, est loin d’être une débutante. Elle a déjà joué dans
La performance des comédiens contribut au succès de la dernière production d’Omnibus. Mathieu Rivard
plus d’une trentaine de pièces et notamment dans Le Roi Lear, présentée au TNM en 1992. Dans cette nouvelle pièce de Shakespeare, elle maîtrise son rôle avec une perfection exemplaire. Elle y retrouve Denis Mercier, qui était également son partenaire dans Le Roi Lear et qui interprète ici le général romain Titus Andronicus. La grande expérience tant théâtrale que télévisée de cet acteur fait également de ce dernier une «valeur sûre». Le charismatique et polyvalent Philippe Ducros incarne l’un des quatre fils de Titus tandis que la talentueuse Emma Haché, qui a récemment obtenu plusieurs
prix pour son texte L’Intimité, interprète Lavinia, la fille unique de Titus. L’éclectique Isabelle Pastena fait également partie de la distribution, où elle ne joue pas moins de huit personnages. Cette touche-à-tout a récemment tourné dans La Neuvaine de Bernard Hémond et est membre du groupe musical Troïka. Il est donc évident que le professionnalisme de tous ces excellents acteurs contribue grandement à la totale réussite de la représentation, mise en scène par Jean Asselin, co-fondateur et directeur artistique de la compagnie Omnibus. x
Arts&Culture
Loin d’être une «soirée parisienne» Après sept ans d’absence, Louise Attaque ne déçoit pas son public montrélais. musique David Drouin-Lê Le Délit
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e retour sur scène du quatuor français Louise Attaque sur les planches du Centre Bell n’augurait rien de bon en raison du caractère peu chaleureux de l’endroit. Par ailleurs, à l’entrée du défunt temple Molson, les nombreux scalpers présents affichaient leur nervosité, eux qui à quelques minutes du début du concert avaient encore en main une grande quantité de billets invendus. Mais rien n’en a été. Au terme de la première partie, les 5 500 places de l’aréna dans sa configuration «théâtre» étaient presque toutes remplies. Il ne restait plus à Louise Attaque qu’à faire mentir la réputation du Centre Bell, mission doublement ardue sachant que le groupe avait à faire à une foule des plus sobres, le prix du verre de houblon atteignant la somme ridicule de 8,50$. Après sept ans d’absence de Montréal, le groupe a ironiquement lancé le bal avec «Est-ce que tu m’aimes encore?», tiré de leur plus récent album, À plus tard crocodile. La première moitié du concert a d’ailleurs été agrémentée d’une bonne partie de ces chansons, vraisemblablement méconnues de la plupart des spectateurs. La salle est demeurée ainsi assez calme jusqu’au moment où le violoniste Arnaud Samuel a mis au défi la foule de s’activer sur les airs de leur prochaine chanson, «Savoir», grand succès de leur premier album éponyme. Piqué dans son orgueil, dès
les premiers accords, le parterre s’est enflammé et les quelques milliers de spectateurs assis dans les gradins se sont levés d’un bond. Le rythme était imposé pour cette seconde moitié de spectacle nettement plus entraînante où les classiques du quatuor repris avec des arrangements plus rock se sont enchaînés, dont «Les Nuits parisiennes», «La Brune» et «Léa» pour n’en nommer que quelques-uns. Deux généreux rappels ont conclu le spectacle qui a été marqué à un certain moment par un phénomène nouveau dans le monde musical, résultat combiné des campagnes antitabac et des progrès technologiques. En effet, la population fume de moins en moins et détient un nombre de plus en plus important de téléphones cellulaires. L’illustration de ce changement de mentalité s’est transposée dans l’enceinte du Centre Bell lors du rappel. Une poignée de spectateursfumeurs ont allumé leur briquet lors d’une ballade, suivie spontanément de centaines de non-fumeurs ne voulant pas être en reste qui ont déplié leur téléphone portable, créant un effet visuel assez stupéfiant. En terminant, quelques mots sur la première partie honnête assumée par le trio français Deportivo. Profitant de l’accueil chaleureux de la foule québécoise, celui-ci tranchant avec la célèbre indifférence quasi-généralisée du public français lors des premières parties, l’irrévérencieux chanteur Jérome Coudane a saisi l’occasion pour narguer la foule à quelques reprises notamment avec cette réplique: «Deux pièce encore et on se tire pour laisser la place à Michel Sardou»… x
Louise Attaque a enflammé le Centre Bell. DR
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kulturkalender
calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculcompilé avec amour turel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calenpar Lucille Hagège drierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calenle pavillon des Études culturelles (3475 rue Peel) Théâtre drierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculA Lie of the Mind de Sam Shepard sera par le Club de cinéma de McGill. L’entrée est de turel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calenprésentée calendrierculturel par le département d’Anglais,calendrierculturel du 28 2$. Pour plus d’information: www.ssmu.mcgill. drierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel mars au 1er avril, à 20h, au Moyse Hall. calendrierculturel Les ca/scn. calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calenbillets sont à 5$ pour les calendrierculturel étudiants. drierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculMusique turel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calenRevues littéraires drierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculL’orchestre d’opéra baroque de McGill turel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calenprésentera le La revue Hotel recherche des éditeurs Radamisto de Handel, dirigé drierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturelavec calendrierculfrancophones.calendrierculturel Veuillez contacter hotel@mail. par Hank Knox en collaboration l’école turel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calenmcgill.ca calendrierculturel si vous êtes calendrierculturel intéressés. Pour plus Schulich de Musique. Le concert calendrierculturel aura lieu les drierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculd’information:calendrierculturel www.arts.mcgill.ca/programs/ 15, 16 etcalendrierculturel 17 mars à 19h30 à la salle Pollack du turel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calenpavillon de musique Strathcona. L’entrée est à english/hotel. drierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculLe journal de l’Association des étudiants 10$ pour les étudiants.calendrierculturel Pour plus d’information: turel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrier(514) 398-5145. en anthropologie des calendrierculturel soumissions calendrierculturel culturel calendrierculturelrecherche calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel d’un maximum de dix calendrierculturel pages pour sacalendrierculturel revue calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculannuelle. La date calendrierculturel de tombée est calendrierculturel le 14 mars. Ellecalendrierculturel Conférence publique turel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel recherche aussi des éditeurs. Veuillez envoyer calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel vos soumissions et vos applications à catriona. Myra Marx Ferree de l’Université de calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel Wisconsin calendrierculturel présentera calendrierculturel Transnational calendrierfeminist robertson@mail.mcgill.ca. culturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calenidentities on the web, en collaboration avec le drierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculdépartement de sociologie. La conférence aura Cinéma turel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierlieu le jeudi 16calendrierculturel mars à 16h au calendrierculturel pavillon Bronfman culturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel Nosferatu The Vampire, un film de calendrierculturel Werner danscalendrierculturel la salle 376. Pour plus d’information: (514) calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculHerzog, sera présenté aujourd’hui à 19h30 danscalendrierculturel 398-3911, poste 3. turel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calen-
Les rêveries du lecteur solitaire Pierre-Olivier Brodeur
«Malaise contemporain» LE MONDE DES LETTRES AUJOURD’HUI est marqué par l’absence de canons littéraires. Bien sûr, certaines œuvres, appelées «classiques», sont considérées comme des chefs-d’œuvre en leur genre, sont étudiées et admirées, mais ne constituent pas pour autant des modèles; ce sont plutôt des vestiges. Ainsi, il ne viendrait à l’idée de personne de tenter d’écrire comme Chrétien de Troyes, Balzac ou, plus près de nous, Michel Tremblay; cela a déjà été fait. Sans exemple, sans modèle, l’écrivain contemporain a le champ libre et carte blanche. Tant mieux pour lui. Car si l’écrivain se trouve libéré de normes qui entravaient jadis son écriture, le critique se trouve un peu perdu dans un pays sans carte ni repère. Il ne peut même plus juger de l’efficacité et de la maîtrise des procédés stylistiques chez l’auteur puisque même l’absence de toute forme de littérarité peut être interprétée comme une poétique de l’abnégation. Il doit donc avoir recours à sa subjectivité la plus assumée pour juger une œuvre, s’il ne veut simplement se limiter à en rendre compte. C’est le problème que j’ai rencontré à la lecture du roman Les Trois modes de conservation des viandes de Maxime-Olivier Moutier, que j’ai lu dernièrement avec la ferme intention de l’utiliser comme matériel pour ma chronique, histoire de donner un petit répit à mes lecteurs, et à Agnès, la désormais célèbre chef de pupitre culture. S’affichant comme un roman, ce livre ne possède en fait aucune trame narrative à proprement parler, ce n’est pas un récit mais plutôt une suite de chapitres entremêlant souvenirs de jeunesse, scènes de la vie quotidienne, réflexions sur la paternité,
le travail, les mobylettes et, incontournable, le sexe. Le style est simple, sans pour autant être dénué, le trait le plus marquant étant l’usage (trop) fréquent de la deuxième personne du pluriel. Exemple pris au hasard: «Votre mère n’a décidemment pas l’intention de se laisser freiner par la friction.» C’est cette personne qui caractérise les souvenirs de jeunesse, sans trop qu’on comprenne sa pertinence d’ailleurs: ils sont trop précis pour que le lecteur cultive le moindre doute quant à la nature de ce «vous», trop intimes pour effectuer une quelconque distanciation entre eux et le narrateur. On sent quelque fois de petites pointes d’humour ironique, fortement enracinées dans le contexte québécois: «Il est vrai que je suis dans la fonction publique. Il n’est plus possible pour qui que ce soit de me congédier. Pour se débarrasser de moi, il faut me tuer.» L’hypothétique est également un mode de critique que Moutier utilise fréquemment, notamment dans une longue tirade contre les pères irresponsables: «Je pourrais partir et ne pas donner de nouvelles, puis revenir de temps en temps […] rappeler à tout un chacun que c’est moi le père de ces enfants abandonnés et pour la vie desquels je n’ai jamais rien fait; jamais levé la moindre pelletée de terre, jamais préparé le moindre repas chaud.» La démarche de Moutier, comme le précise la quatrième de couverture, vise l’ «étude du malaise contemporain». Le malaise, il a su le susciter chez moi. Je ne suis toujours pas capable d’affirmer avec certitude s’il réussit à exprimer toute la jolie simplicité de la vie quotidienne, ou s’il est simple, tout court. Une chose est sûre, ça se lit bien…
délit | 14 mars 2006 16 xle www.delitfrancais.com
D
Conversations sur le
RACISME
epuis le mois de mars 2000, prend place à Montréal et à Québec une semaine unique en son genre, la Semaine d’action contre le racisme (SACR). Par le biais de ses trois thématiques centrales, le débat, l’art et l’éducation, la SACR se donne comme mandat d’éveiller, tant chez l’individu qu’au sein des communautés locales et internationales, la conscience de la responsabilité de chacun dans la question du racisme. Suivant les modèles des zones libres d’arme
nucléaire et des zones sans fumeur, la SACR nous lance un nouveau défi pour son édition 2006: la création de zones libres de racisme, dénotées ZLR. Cette année, la SACR inaugure sa portée internationale avec la participation de Bruxelles et de Genève, qui en même temps, sous la même affiche, et ayant le même slogan en bouche, adresseront la problématique du racisme, ajoutant actions aux paroles du 21 mars, Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale.
Alix Laurent Il y a dix-sept ans, Alix Laurent fonde Images Interculturelles, alors une revue bilingue multiethnique et francophone. Depuis 1992, Images à pris la forme d’un organisme à but non lucratif qui vise à lutter contre toute forme d’intolérance en promouvant l’éducation, les sciences, la culture et la communication. Alix Laurent est aujourd’hui directeur d’Images Interculturelles, avec la collaboration de laquelle il a fondé et maintenant coordonne la SACR.
Le Délit Comment la Semaine a-t-elle commencé? Alix Laurent La Semaine a commencé par une volonté de quelques organisations qui se sont mises ensemble, prioritairement l’Office franco-québecois pour la jeunesse (OFQJ) et Images Interculturelles. Ce que j’avais conçu au départ c’était une conférence sur le racisme, pour faire un bilan à la veille de l’an 2000. C’était aussi pour commémorer la conférence mondiale sur le racisme qui allait avoir lieu à Johannesburg en septembre 2000. L’OFQJ préparait une activité jeunesse autour du 21 mars donc nous avons mis les deux activités ensemble. Puis, on s’est dit, pourquoi ne pas rajouter du cinéma, pourquoi ne pas rajouter un peu de musique et d’autres activités plus ludiques? On s’est rendu compte que le tout donnait beaucoup d’activités, alors on s’est dit: pourquoi pas une semaine? C’est ainsi qu’est née la SACR. C’est maintenant la septième édition et, à notre grande surprise, il y a vraiment besoin de parler de racisme […]. [Le racisme] c’est un mot qui a une forte connotation émotive et les gens on peur d’en parler. Ce qu’on veut, c’est amener [le sujet] sur la place publique et, comme tout autre problème de société, d’en parler ouvertement. LD Vos slogans sont provocateurs, par exemple, «Du racisme chez nous? Voyons donc!», ou encore «Qu’estce qu’elle a ma gueule?», accompagnant la photo d’un enfant asiatique. Ils lancent tous un défi. Quel rôle pensez-vous que le défi peut avoir dans la question du racisme? AL Dans le passé, il y a eu des campagnes contre le racisme où l’on disait au gens: «Ne soyez pas racistes», «Mettons fin au racisme». Plusieurs de ces campagnes, à l’époque, étaient de très bonnes campagnes et faisaient très bien leur travail. Quand on a débuté, on s’est dit, il faudrait peut-être changer le langage pour aller chercher la personne individuellement. Donc la première campagne [a eu comme slogan]: «J’suis pas raciste, c’est juste que… ». Ça, ç’avait vraiment tiqué les gens. Certains réagissent positivement, d’autres réagissent négativement, mais ils réagissent. Il y une dame qui a
appelée l’an passé et a dit: «Je trouve cela affreux». Mais elle a appelé! Ce que nous voulons c’est provoquer, mais avec un petit peu d’humour. Cette année, les zones libres de racisme, il faut aller sur la lune pour les trouver, alors que nous savons très bien qu’il y a des institutions, des organisations, qui tendent à le devenir. LD Pensez-vous qu’il soit possible d’avoir une zone ou une communauté complètement dépourvue de racisme? AL Je pense que oui, qu’il peut y avoir des communautés et des espaces libres de racisme. C’est là qu’est la grande différence entre [une zone libre de] racisme, où racisme peut mener à la violence et à des sentiments très profonds de rejet, et un espace où il y a des gens ignorants de la différence, où les gens ont peur de l’autre. […] La peur nous habite tous, mais quand on apprend […] à découvrir c’est quoi cette différence qui nous fait peur, les préjugés tombent, les a priori que l’on a disparaissent. Je pense que l’on peut arriver à ces espaces, où les gens peuvent vivre sans racisme. LD Donc on peut poser la question: comment bâtir une ZLR? Comment les communautés internationales peuvent-elles accomplir cette tâche? AL L’UNESCO a lancé il y a deux ans [décembre 2004] la Coalition internationale des villes contre le racisme. Au Canada, il y a eu la Coalition canadienne des villes contre le racisme. Ils ont établi des critères pour que les villes puissent faire partie de cette coalition. Nous nous sommes un peu inspirés de ces coalitions. Nous allons demander à des jeunes, autour d’une activité qui s’appelle le Rendez-vous des jeunes, de déterminer des critères pour qu’une ville devienne une zone libre de racisme. Et, une fois par année, il sortirons un palmarès des villes qui tendent à devenir des zones libres de racisme. Des zones libres de racisme, ça commence dans la tête. L’effort doit se faire individuellement. Donc cela veut dire qu’il faut lire, qu’il faut vouloir connaître les autres, qu’il faut avoir un intérêt pour… l’humain. Le point central c’est la personne. Comment moi, Alix
Laurent, je peux me débarrasser de ces barrières, de ces préjugés, de ces doutes que j’ai. C’est normal d’avoir des doutes, mais nous pouvons travailler sur les doutes. Tout se passe au niveau personnel. […] Il faut vraiment faire de l’éducation. LD Pourquoi utiliser l’art comme médium? AL On s’est vite rendu compte qu’un outil extraordinaire pour faire passer les idées, pour mieux faire saisir une problématique, c’est l’art. Que ce soit la littérature – j’aime bien donner comme exemple Émile Zola avec l’affaire Dreyfus et J’accuse – [ou] le cinéma – La Liste de Schindler, par exemple, a servi à ouvrir les yeux – [et aussi] au niveau de la musique. En fait, ce n’est pas l’art en soi […]. C’est comment cet art peut être utilisé. […] L’art, c’est un outil puissant pour changer les mentalités. Pas nécessairement les comportements, mais pour sensibiliser. Malheureusement l’art n’est pas accessible à tout le monde. LD La SACR est établie à Montréal et à Québec. Comment pensez-vous élargir vos horizons vers le reste du Canada? AL Nous avons eu des organismes qui sont venus de l’étranger voir ce que nous faisions et qui se sont dits: pourquoi pas chez nous? Genève et Bruxelles ont décidé d’implanter le même modèle. Aussi, il y a trois ans, nous avions lancé l’idée que, dans chaque ville canadienne il y aurait, en même temps, cette semaine. Mais c’est un travail qui peut prendre un certain temps, car il faut convaincre non seulement les autorités locales, mais les organismes locaux. Il faut trouver les gens, arriver avec le modèle et dire: voici ce que l’on fait au Québec, et voici ce que vous pourriez faire chez vous. […] Mais ça prend des équipes locales, il faut qu’il y ait un intérêt. Nous pensons faire la même campagne partout au Canada autour de la même campagne d’affichage, qui permettrait aux organismes locaux de construire des activités autour d’une même semaine. - propos recueuillis par Agnès Beaudry
Le Délit Le SACR, ce n’est pas la première fois que vous y participez, c’est quoi pour vous ce projet? Comment avez-vous été abordé? Pourquoi vous y êtes-vous lancé? Jimmy Beaulieu Parce que m’on m’a invité! Au départ, il y a [souvent] beaucoup de réticence par rapport à une participation à quelque chose comme ça, une bonne cause. On a toujours peur que ça soit inutile: les racistes n’iront pas voir nos livres ou nos expos. Alors on se demande: est-ce que ça sert à quelque chose? À ça on répond, ben oui, ça sert à quelque chose. La plupart des actions politiques ont le même problème. Il faut se lever et dire ce qu’on pense. (...) Quand on voit aux nouvelles, dans l’actualité, ce qui se passe, tout ce qui est lié au racisme ou les problèmes de ce genre-là, on se dit que les portes ne sont pas tout à fait ouvertes. Il faut utiliser les moyens de communications et dire les choses. Parce qu’elles sont évidentes, peut-être faut-il les redire. LD Vous êtes désillusionné ou c’est pour l’importance symbolique du geste? JB […] Le fait que plusieurs gestes soient posés à travers plusieurs médiums [vaut presque comme] beaucoup de gestes [parce que] ce sont différentes manières de dire les choses, différentes manières d’être. Si on fait quelque chose pour la différence et contre la peur des autres, on peut le décliner [dans] plusieurs langages et plusieurs formes, c’est cohérent avec le projet de [la SACR]. Poètes, écrivains, gens de théâtre, je trouve que pour des causes comme ça, c’est cohérent [d’être ensemble], c’est toujours avantageux d’être sur plusieurs fronts. […] Évidemment tu ne peux pas faire le tour de la question en une page. Ce qui est bien, c’est que chacun a […] observé sa facette [du racisme] et que le tout est cohérent et a une force incontestable. Pour un tel sujet, il ne faut pas qu’une seule personne parle. [Quant à la bédé, elle n’est p]as plus spécifiquement pertinente [que les] autres. C’est une autre manière de communiquer, qui est efficace pour ce sujetlà. Surtout en noir et blanc, ça exprime bien ça… C’est un langage universel, la séquence, l’ambiance, ça peut être compris par tout le monde sur la planète. C’est plus propice pour traverser les frontières. Ça voyage très bien. C’est facile d’apprendre une langue par la bédé. LD À ce sujet, vous avez remarqué que le programme classe la bédé sous «exposition» plutôt que sous «littérature». Qu’en pensezvous? JB [L’aspect exposition], c’est l’impact immédiat. C’est sûr qu’on est happé quand on regarde les planches [et ça, c’est] le fait que ce soit en arts visuels plutôt qu’en littérature. Il y aura toujours des lacunes: quand on fait des demandes de subventions, il n’y a pas de catégorie «bande dessinée», il faut toujours lacunairement marquer d’un côté ou de l’autre de la barrière, ça m’énerve! Si on le présente comme du visuel, on est happé par l’image et on se met à lire, mais c’est un discours qui est plus multiple qu’une image seule: on peut aller dans le temps, dans la séquence, dans l’ambiance. Oui, l’image est ce qu’il y a de plus accrocheur, mais on peut les amener [ces images] vers quelque chose de plus littéraire. Pour moi, la bande dessinée c’est d’abord de l’écriture. LD On sent une certaine irritation chez vous, par rapport au fait qu’on puisse ne pas considérer la bande dessinée comme un art à part entière.
JB Oui! Surtout avec les caricatures, c’est agaçant. Ce que je fais moi, c’est très caricatural, [mais ce n’est pas de la caricature]. Avec le problème des caricatures de Mahomet, il y a eu une espèce de confusion qui m’énerve. Ça aussi, c’est un débat sur le racisme. La caricature, beaucoup de dessinateurs en font pour gagner leur vie, [et la bédé], c’est une forme d’art spécifique qui mérite plus de place qu’elle n’en a actuellement. […] LD À votre avis, est-ce que des expositions comme celles de la SACR peuvent devenir des tremplins, pour des idées, pour des jeunes auteurs? JB Je ne sais pas à quel point ça peut devenir un tremplin. C’est un tremplin dans la seule mesure où ce livre ne se rendrait pas seulement dans les milieux où ils se rendaient autrement, par exemple, les bibliothèques scolaires. Je ne considère pas que c’est une grosse chance. C’est sûr que plus le travail circule, mieux c’est, mais [à part peut-être] le bénéfice marginal de faire profiter à de jeunes auteurs la présence d’auteurs un peu plus suivis… LD Est-ce que ça peut aider pour l’aspect international que la SACR ait lieu simultanément à Genève, à Bruxelles, à Montréal, à Québec? JB Avec Internet [et] la globalisation (même si le mot est peut-être tabou ces tempsci) on peut publier de partout en Europe, dans le monde à deux ou trois mille copies. [Pour l’exposition] Images interculturelles a fait des invitations et, par [pur] hasard, il y avait beaucoup d’Européens que je connaissais, [alors] moi aussi j’ai lancé des invitations. […]La bédé d’auteur est en train de devenir une voix où il y des individus mais pas d’école précise. […]Beaucoup de bédé-reportage, de bédé altermondialiste. Et le racisme est un de ses sujets. C’est d’actualité. […] [À] Angoulême [le grand festival de la bande dessinée], où je vais à chaque année, je rencontre des Italiens, des Finlandais, qui font la même chose que nous. Le même genre de bédé, le même genre de public, de préoccupations. LD Derniers commentaires pour la route, un message que vous voudriez faire passer en ce qui concerne la bédé, ou l’expo? JB Ceux qui ignorent ce qui se passe en bédé en ce moment, tant pis, ils ne savent pas ce qu’ils manquent. Sérieusement, c’est probablement le médium le plus en santé: le cinéma est un peu moribond parce qu’il s’est enlisé [dans les compris], la littérature, ben, ça reste de la littérature, les arts visuels s’adressent de moins à moins à des êtres humains. Et je crois que la bédé a une place très privilégiée à la croisée de tous ces arts-là: [elle] a une parenté avec le théâtre, le cinéma, la peinture, la littérature, ça offre quelque chose de très libre et il faut que les gens en profitent. […] S’il y a une belle curiosité, il y aura plus d’initiatives comme l’exposition et les gens vont voir que ça brasse en titi, spécifiquement au Québec, c’est la plus belle période! On n’a jamais eu autant de bons livres sur le marché, ni d’auteurs qui s’exportent bien ou qui travaillent ici. En tout cas, une bonne période et les gens ont tout intérêt à découvrir ce qui se passe. Le lancement de Terriens, un recueil de planches tirées de l’exposition aura lieu le 22 mars à la librairie Olivieri, à 18h. - propos recueuillis par Laurence BichCarrière
xle délit | 14 mars 2006 www.delitfrancais.com
Jimmy Beaulieu Jimmy Beaulieu est né à l’Île d’Orléans en 1974 mais c’est désormais Montréal qui l’inspire. Plusieurs fois mis en lice pour le prix Bédélys Québec, il a remporté le prix Bédéis Causa de l’espoir québécois en 2005 pour Le Moral des troupes. Chef de la collection «Mécanique générale» aux Éditions des 400 coups, il est également responsable de l’exposition BD contre le racisme.
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délit | 14 mars 2006 18 xle www.delitfrancais.com
No more raisins, no more almonds Les jeunes: encore aujourd’hui, ils sont au centre de la Semaine, entre autres dans la pièce No more raisins, no more almonds: les chants d’enfants du ghetto, mise en scène par la directrice artistique du Théâtre Leanor et Alvin Segal, Bryna Wasserman. Le Délit a rencontré quatre de ses jeunes acteurs: Nitai Ben-Shach, Paige Blumer, Andrew Brownstein et Annalie Shahin.
Clémence Repoux Le Délit
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es jeunes, qui ont entre quinze et seize ans, sont très sympathiques. Ils ont la tête sur les épaules, beaucoup de choses à dire, de la passion et du talent. Tous les élèves de leur classe de dixième année à l’école secondaire Bialik ont eu la possibilité de participer à la création de ce spectacle, et la plupart ont relevé le défi, composant ainsi une équipe d’une quarantaine d’entre eux (deux troupes d’une vingtaine d’acteurs, qui se relaient pendant les deux jours de représentation). Cette pièce, qui a déjà été présentée plusieurs fois à Montréal et à Québec depuis 2003, a été écrite par Batia Bettman, une éducatrice juive qui a survécu à l’holocauste. Elle raconte la vie d’enfants et d’adolescents dans les ghettos de la Deuxième guerre mondiale. La pièce est aussi basée sur un certain nombre de chansons en yiddish (avec des surtitres en français et en anglais). Les quatre jeunes gens m’ont donc raconté ce que cette pièce signifie pour eux. Ils m’ont m’expliqué qu’ils étaient très fiers et se sentaient privilégiés de participer à ce travail de mémoire, cet hommage à leur culture, à leur passé. En effet, si certains d’entre eux sont des petits-enfants de survivants de l’holocauste, tous se sentent personnellement concernés par le génocide. Ce qui est important pour eux, c’est le travail de mémoire, l’importance de pouvoir toucher et informer un public non-juif. En effet, leurs personnages sont basés sur des personnes réelles, des enfants et des adolescents dont la plupart ont péri dans le génocide, et dont la mémoire est préservée grâce à des chansons en yiddish écrites dans les ghettos. Ils parlent avec émotion de leurs personnages, ces jeunes orphelins qui doivent dissimuler leur identité pour survivre. Certains sont tellement désespérés qu’ils considèrent qu’ils n’ont rien à perdre. D’autres se rattachent à l’optimisme, et essaient de se convaincre que ça ne peut pas
être pire. Ils m’expliquent que les enfants chantaient dans le ghetto parce que le chant les aidait à conserver leur humanité. Pour ces jeunes, le plus important, c’est de répandre leur message; ils craignent que les jeunes de leur âge qui ne font pas partie de la communauté juive ne soient pas suffisamment au courant de ce qui s’est passé. Ils pensent que c’est important de donner vie à l’abstraction insurmontable des nombres –comment commencer à se représenter le nombre de six millions de personnes exterminées? «Six fois Montréal», remarque l‘un deux– et des manuels scolaires. D’un côté, ils incarnent des jeunes de leur âge, il y a deux générations, mais qui appartiennent à la même culture, à cette tradition qui fait partie d’eux-mêmes. Le public est composé de jeunes comme eux, qui vivent dans la même ville qu’eux, qui ont le même âge et font les mêmes études. Ils m’ont aussi avoué avoir vraiment hâte de participer à la séance de questions qui doit suivre la présentation du spectacle. Ils m’ont dit se sentir privilégiés de pouvoir partager leur expérience, leur connaissance de leur culture, en particulier avec les jeunes qui n’en font pas partie. Pour conclure, je leur ai demandé ce qu’ils pensaient du thème de la SACR de cette année, des ZLR. Ils m’ont répondu qu’ils pensent que c’est possible, et que c’est effectivement dans les villes qu’il faut commencer, parce que c’est là qu’il y a le plus de mélange de gens d’origines et cultures différentes, Montréal étant un parfait exemple. On est tellement nombreux à avoir grandi dans ce type d’environnement, entouré par des gens venus des quatre coins du monde, on est donc plus tolérants et on répond à cet idéal d’éradication du racisme et de l’intolérance. D’après eux, si on le veut tous, c’est possible. No more raisins, no more almonds est présentée les 22 et 23 mars au théâtre Saidye Bronfman. Réservations: (514) 739-7944.
Carminda Mac Laurin Carminda Mac Laurin complète une maîtrise en éthnomusicographie à l’Université de Montréal. Depuis deux ans, elle est organisatrice d’événements pendant la Semaine d’action contre le racisme. Cette année, elle a mis sur pied le spectacle Solidarythmé qui se déroulera le vendredi 17 mars au Club Soda ainsi qu’au Medley.
Le Délit Comment décririezvous l’événement de cette année, Solidarythmé? Carminda Mac Laurin On veut que ça soit plus que de la musique, un événement pluridisciplinaire, un peu comme un mini festival. Au Club Soda on devrait avoir de la projection vidéo, au Medley on va avoir de la peinture en direct, du cirque dans les deux salles, donc ça risque d’être intéressant. C’est un événement de sept heures qui regroupe des groupes d’un peu partout. Les grands noms au Medley sont Alpha Blondie de la Côte D’Ivoire et Groundation de la Californie tandis qu’au Club Soda se sont plutôt des groupes francophones. LD D’après vous, y a-t-il beaucoup de racisme à Montréal? CML Je sais qu’il est très facile de voir les communautés ethniques à Montréal, on peut voir où elles habitent. S’il y a de la délinquance, on peut voir où ça se trouve. C’est clair que ça crée des préjugés. C’est clair qu’il y a des politiques, mais […] la couleur de la peau ou de quoi on a l’air va influencer les stations de travail ou d’embauche ou simplement les relations interpersonnelles. À Montréal, c’est quand même assez ouvert, mais en même temps, on oublie qu’il peut y avoir des formes d’intolérance. LD Pourriez-vous me donner des exemples? CML Des jugements que
nous pouvons porter tout bêtes. Par exemple: il y a un groupe de Noirs qui entre dans le métro et qui parle fort. C’est clair que les gens vont se retourner, plein de gens vont faire des faces et à la limite changer de siège. Tu vois, c’est une forme d’intolérance dans le jugement que l’on porte. […]Il y a aussi une autre forme d’intolérance de laquelle on ne parle pas du tout. Il y a une intolérance envers les anglophones. Le Québec se veut un endroit ouvert à toutes les cultures, mais il y a beaucoup de discrimination. Envers les Américains aussi, c’est de l’intolérance claire et nette. LD Pensez-vous que la musique peut amenez la tolérance? CML Non. Dit comme ça, non. Mais, c’est certain qu’à travers la musique on peut faire passer un message. […] Mais ce n’est pas dire que les gens qui vont aller voir le spectacle, vont avoir un flash, comme ça, et ni que, parce que je vois Alpha Blondie, que je suis plus tolérante, comme ça! Mais, si on écoute un certain type de musique qui passe un message de tolérance, c’est certain qu’on peut faire passer un message. Le coût est de 25$ au Club Soda et de 45$ au Medley, les gens qui achètent leur billet pour le Medley auront aussi accès au Club Soda. - propos recueuillis par Samuel St-Pierre Thériault
xle délit | 14 mars 2006 www.delitfrancais.com
Jacques Côté Jacques Côté, auteur québécois et enseignant en littérature au cégep de Sainte-Foy, en est à sa deuxième participation à la SACR. L’an dernier, il participait à l’ouvrage collectif Boucs émissaires (Les 400 coups, 2005) paru dans le cadre de la SACR, en y publiant une nouvelle, Le Noir des glaces, dénonçant le racisme dont les Amérindiens sont encore victimes. Cette année, il participe au spectacle Rhizome/Polars contre le racisme, mis sur pied par les Productions Rhizome, dans le cadre duquel sera présentée sa nouvelle sous forme de fiction radiophonique.
Pierre-Olivier Brodeur Le Délit
J
acques Côté ne s’est pas fait prié pour s’engager dans cette cause: «Les organisateurs [de la SACR] m’ont contacté pour participer à un projet sous le thème du racisme, c’est un sujet qui m’intéresse beaucoup.» L’auteur de Québec parle de «racisme en sourdine […]. Il y a beaucoup moins de minorités culturelles [à Québec qu’à Montréal], mais depuis le début des années 80 il y a beaucoup de Vietnamiens, puis d’exYougoslaves qui sont venus s’installer dans la région. […] Il y a de l’ignorance, ce qui est une certaine forme de racisme.» Jacques Côté se défend bien de dire que les habitants de Québec sont plus racistes que d’autres. «Mais il y a des racistes notoires, comme André Arthur et Jeff Fillion. André Arthur a fait des déclarations contre toutes les minorités. Ça relève du monde de l’absurde, que 20 000 personnes aient voté pour ça. » « La radio peut être un élément néfaste de propagande» dit-il en rappelant les exhortations radiophoniques du Troisième Reich et du génocide rwandais. Jacques Côté se dit tout de même content de la forme que prendra son texte. «[La fiction radiophonique est] une forme de contre-propagande, le texte devient un texte engagé. Mais ça n’a pas le même impact qu’André Arthur ou Jeff Fillion, qui s’adressent à 100 000 ou 200 000
personnes.» Pour Jacques Côté, le dialogue est la clef de la solution au problème du racisme, et la littérature a un rôle à jouer dans ce combat. «La littérature participe à faire des liens entre les communautés», entre autres entre francophones et anglophones. «Même si je suis souverainiste, je crois que le dialogue avec les anglophones est important. [Ils] appartiennent à la société québécoise. Le dialogue n’est pas facile, j’en conviens, mais pouvoir rejoindre de jeunes anglophones par la littérature, c’est fantastique», continue-t-il en faisant référence à une rencontre qu’il a eue avec des étudiants anglophones à Montréal. Le Noir des glaces touche à une autre facette, moins connue, du racisme, la discrimination dont souffrent les Amérindiens. «C’est une communauté qui vit dans la pauvreté la plus absolue. On les maintient dans une sorte d’apartheid, on les force à vivre dans des réserves [pour bénéficier de leur statut spécial]. C’est aberrant! Les autochtones sont un peuple fondateur, il ne faut pas l’oublier.» Et de conclure: «[Le Noir de glaces raconte] la relation entre deux individus qui se rencontrent. Le rapprochement passe nécessairement par le dialogue, et l’amitié.» Rhizome/Polars contre le racisme sera présenté gratuitement le 19 mars à 20h00 au hall de la Maison de la culture Frontenac, 2550, rue Ontario Est,(514) 872-7882.
Au-delà du racisme La première édition du Festival des droits de la personne, un festival qui s’ancre parfaitement dans la SACR. Karin Lang Le Délit
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près les succès de la SACR, le désir de dépasser la question du racisme dans son sens littéral s’est fait ressentir. C’est ainsi que le Festival de films sur les droits de la personne est né. Des films du monde entier seront présentés du vendredi 24 au dimanche 28 mars au Cinéma Beaubien, dans le cadre de la SACR. Fondateur du Centre international de documentation haïtienne et caraïbienne en 1983, ainsi qu’auteur du Pouvoir noir en Haïti et membre du Conseil des Arts de Montréal pendant huit ans, Frantz Voltaire s’est lancé comme directeur général de la première édition du Festival de films sur les droits de la personne de Montréal (FFDPM). C’est autant grâce à son expérience qu’avec le travail d’une équipe dévouée et entreprenante que ce projet a été rendu possible. En effet, un groupe dynamique et passionné s’est donné la mission de rassembler toutes sortes de films, reportages, documentaires et fictions pour apporter une nouvelle dimension à cette semaine de prise de conscience. Plus de deux cents vidéos de tous genres, de langues et pays étrangers leur sont parvenus: quarante-six furent
choisis, basés sur leur pertinence, leur message et leur originalité. Alix Laurent, cofondateur et organisateur de la SACR, a expliqué au Délit comment le tout s’est produit: «Ce que nous avons décidé de faire, c’est de créer un genre de festival et, étant donné qu’il n’y a pas beaucoup de films traitant du racisme, nous avons décidé de toucher à toutes les thématiques des droits de la personne […] le droit des femmes, le droit des enfants, le droit des homosexuels. Cela, toujours sous le couvert des droits de la personne et dans le cadre de la SACR.» Il justifie le tout comme suit: «Nous trouvons tout à fait logique de présenter la chose ainsi, parce que dans tous les cas, la manifestation est toujours la même […]: la discrimination. On discrimine les femmes, les homosexuels, on les exclut. Les minorités sont exclues de la sphère publique. C’est toujours le même résultat, donc nous nous sommes dit, pourquoi ne pas présenter [un festival] sur les droits des personnes exclues.» Le festival tourne avant tout autour d’un constat fondamental: les villes d’aujourd’hui sont les lieux de confrontations, mais aussi de conciliations et de prises d’initiatives. L’objectif est ainsi de mettre un public québécois, certes peut-être plus préservé selon certains critères, devant des scènes insolites, perturbantes, bouleversantes parfois, pour éveiller sa conscience, sa tolérance et son désir d’agir. L’équipe du festival a pour cela prévu le coup. Pour presque chaque séance, le metteur en scène ou une association concernée seront présents pour donner le contexte adéquat au public, et surtout pour participer aux débats qui suivront chaque projection. Il s’agit donc de rendre le cinéma aussi actif que possible et de réellement investir les citoyens dans des questions cruciales de la vie de tous les jours que ce soit ici au Canada comme au Sri Lanka, au Liban ou au Ghana. L’appel à la mémoire est
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Frantz Voltaire, coordonnateur du FFDPM. également une des composantes principales du festival. Un metteur en scène a par exemple cherché à recréer l’horreur des homosexuels envoyés dans les camps de concentration. L’histoire ne devrait pas s’oublier, c’est pourquoi le festival cherche à contribuer à sa façon à ces hommages faits au passé. Le festival sera divisé en plusieurs thématiques proposant ainsi des films autour de sujets tels que la prostitution, les droits de la femme, l’immigration, l’exclusion et même l’environnement. En somme, c’est tout le cinéma engagé qui est à l’honneur. Pour finir, un comité de sélection composé de professionnels se réunira pour déterminer parmi les neufs films en compétition un grand prix du FFDPM et un prix du public. Il peut également être noté que ce festival présente une première mondiale, deux premières canadiennes et dix premières nord-américaines. x
délit | 14 mars 2006 20 xle www.delitfrancais.com
Arts&Culture
critiques de bédé GAZZOTTI • VEHLMANN «Seuls» La Disparition
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omme le titre pouvait le laisser présumer, le scénario de Vehlmann est bâti autour d’une disparition, celle de tous les habitants de Fortierville. Tous? Non, car cinq enfants, Leïla la bricoleuse, Camille l’appliquée, Yvan le rigolo, le petit Terry et l’orphelin Dodji au passé trouble, auront été épargnés et devront se débrouiller dans cette ville trop grande pour eux. Le trait rond de Gazzotti qui rendait Soda si sympathique malgré tout semble soudain avoir été pressenti pour ces frimousses désorientées. Malgré les couleurs parfois un peu trop lisses du studio Cerise et quelques faciès un peu flous ou tordus dans les coins et les plans larges, on sent une application dans le travail du dessinateur, surtout dans les détails de certaines scènes, et dans le choix d’angles très variés. Côté scénario, entendons-nous, c’est un album de présentation: huit pages de préface pour nous montrer la ville et chacun des cinq protagonistes, la «page de garde» (oui, c’est une disposition qui peut surprendre)
et les quatre-huit pages traditionnelles pour le récit. Et encore, ce récit tient plutôt de la longue introduction, histoire de camper les personnages et leurs peurs, et de tenir le lecteur en haleine. Car somme toute, on en apprend assez peu: prometteur mais léger. Difficile aussi de savoir à quel public s’adresse la série. Si l’on raye d’emblée l’idée d’un public adolescent que l’histoire de cinq enfants de cinq à douze ans n’intéresse probablement pas plus que les jérémiades de leur propre fratrie, on trouvera néanmoins le scénario un peu trop hard pour des enfants (le tigre au museau couvert de sang, les accès de violence de Dodji, dix ans, qui fracasse le pare-brise d’une voiture à coup de marteau) et un peu lacunaire pour les adultes. On peut présumer que la série s’amorce sur un rythme jeunesse mais qu’elle prendra sous peu un tour plus sombre. Du potentiel, donc, car les éléments sont en place (et, après tout, le duo avait déjà produit l’intéressant Des lendemains sans nuage), mais rien de décisif tant que l’intrigue n’explose pas. Le lecteur ne peut qu’attendre… (Dupuis)
Laurence Bich-Carrière
FLOCH • FLOC’H «Le Camion des yeux» N’Gaoundéré
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’est d’abord le dessin qui attire l’attention. Original, il n’y a pas à dire. Différent, très certainement. Inhabituel et accidenté? Sans conteste. Des traits angulaires qui conviendraient presque à des croquis de design d’intérieur, des couleurs un peu rétro qui ne vont pas jusqu’aux lignes de contour, un grain un peu rébarbatif, des plis et des ombres brossés du côté du crayon (un p’tit effet crayon de cire, presque), comme un enfant qui essayerait d’être cubiste et de s’appliquer dans le respect des codes traditionnels pour simplifier l’expression des visages. Conclusion de l’examen: le dessin est laid. Mais j’ai persévéré, parce que le titre était intrigant. «Le Camion des yeux», qu’est-ce que ça peut bien être? Quelqu’un qui vous tape dans l’œil et qui provoque le même choc qu’un tamponnage à l’heure de pointe? Peut-être un peu. Mais c’est aussi simplement ce qui est écrit sur la valise de Mathilde lorsqu’elle arrive à l’aéroport de N’Gaoundéré, dans le Nord-Cameroun. Pourquoi le Cameroun? Sans doute parce
que c’est une araignée, qu’ils avaient décidé de dire camerounaise, qui leur avait donné un prétexte pour leur premier baiser. D’ailleurs, Clément, son amoureux parisien transi ne tardera pas à la rejoindre à la mission où elle a voulu se réfugier. Ceuxlà, leur histoire est claire. Mais qui est ce M. Amiel, borgne et amer, instituteur mais surtout spiritiste, que tous traitent de «guiteul goteul» (ce qui intrigue fortement Mathilde, d’autant plus qu’on lui dit de ne pas s’en mêler)? Les auteurs nous offrent des fils de haine et d’amours déçues, de ressentiment, humain et postcolonial, de sensibilité tendre et ennuyeuse et de politique (nous sommes vers 1965 et ça bouge dans la République centrafricaine voisine): on pressent que l’araignée camerounaise va tisser sa toile. Et qu’elle happera peut-être les amoureux, infortunés dans leurs amours mais aveugles de ce qui les entoure. Scénario complexe, poussé, embrouillant, où le lecteur se perd. C’est vrai que c’est le tome un. Intriguant, un peu. Mais personne ne mourra d’attendre le tome deux. (BFB Éditions)
L.B.-C.