délit | 28 mars 2006 02 xle www.delitfrancais.com
Nouvelles
Savez-vous planter du pot… Marc Emery, le «prince du pot», vient donner une conférence à McGill. campus Louis St-Aimé Le Délit
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nvité par NPD-McGill, Marc Emery, renommé vendeur de graines et activiste pro-cannabis vancouvérois surnommé «Prince of Pot», est venu à McGill jeudi dernier dans le cadre d’une tournée universitaire pancanadienne ironiquement baptisée «Farewell Tour» (tournée d’adieu). Fort malheureusement pour lui, ce qualificatif pourrait bien s’avérer exact puisqu’il fait l’objet d’une demande d’extradition vers les ÉtatsUnis, dont la justice lui reproche l’expédition de quelques centaines de milliers de graines de cannabis sur une carrière longue de presque une décennie.
Tolérance canadienne, irritation américaine En 1994, Emery abandonne sa librairie à London, en Ontario, pour devenir activiste pro-pot à temps plein. Il déménage à Vancouver et y ouvre le magasin Hemp BC. À l’époque, toute littérature faisant la promotion du cannabis était complètement illégale. Après quatre ans d’opération et maintes interventions policières, Hemp BC ferme boutique. Emery se met alors à vendre des graines de cannabis par la poste, un service populaire et lucratif qui lui permet
de verser des millions de dollars à différents organismes prônant la légalisation de la marijuana. Visiblement irrité par le laxisme de la justice canadienne qui tolérait depuis tant d’années la vente de ces fameuses semences, la DEA états-unien émet l’été dernier un mandat d’arrestation contre Emery qu’il qualifie comme le «plus important narcotrafiquant au Canada». Le prince du pot est arrêté à Halifax le 25 juillet 2005 par des agents de la police locale et de la GRC.
Un geste d’intimidation S’adressant à la centaine de spectateurs présents dans l’auditorium Leacock jeudi dernier, Emery lança à la blague: «Si je suis le pire dealer de drogue au pays, alors nous avons de la chance d’habiter dans un pays aussi cool que le Canada!» Il reproche aux autorités canadiennes de s’être soumises à la demande états-unienne après avoir toléré les opérations de son entreprise pendant des années. Rappelons que M. Emery ne fait l’objet d’aucune accusation au Canada. Il a qualifié son arrestation de geste purement politique visant à limiter la portée du mouvement pro-légalisation au Canada. «C’est par l’intimidation et la répression que le gouvernement cherche à imposer la conformité, sans laquelle il ne pourrait exercer son pouvoir», fulmine-t-il. «Depuis le rapport de la Commission LeDay qui concluait en 1987 en faveur de la décriminalisation, 100 000 personnes ont été arrêtées au Canada pour des affaires de cannabis.»
La rédemption par le pot Tout au long de son discours, M. Emery a louangé les bienfaits culturels et créatifs du cannabis, en comparaison aux ravages causés par l’alcoolisme et le tabagisme. «Les seuls torts que le cannabis puisse causer à ses amateurs, à cause de la culture de répression qui existe, sont l’arrestation et l’emprisonnement.» Reste à voir comment s’en sortira M. Emery, lui qui pourrait écoper de la peine de mort aux États-Unis sous le Drug Kingpin Act. Pour l’instant, il se voit comme un phare. «Je n’ai pas peur de l’emprisonnement. Je vois mon arrestation comme une bénédiction ayant stimulé le mouvement global pour la paix cannabisienne, [...] [dont] j’ai maintenant la chance d’être le fier porte-parole». x Pour une chronologie complète des événements, visitez le www.cannabisculture.com/articles/4588.html.
Éditorial
xle délit | 28 mars 2006 www.delitfrancais.com
Sexe, poker, violence, gun, cash et religion
LE SEUL JOURNAL FRANCOPHONE DE L’UNIVERSITÉ MCGILL RÉDACTION 3480 rue McTavish, bureau B•24 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 (514) 398-6784 Télécopieur : +1 (514) 398-8318 redaction@delitfrancais.com
Controverses et faits divers: beaucoup d’action cette semaine à McGill. campus Laurence Bich-Carrière, Jean-Philippe Dallaire & David Drouin-Lê Le Délit
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on, bon, on croyait qu’il ne se passerait rien puisque la moitié de cette université qui n’est pas en lendemain de veille est en pré-préparation d’examen. Et voilà que soudainement tout déboule, trop vite pour y aller en profondeur. Contentonsnous simplement de vous offrir un aperçu, nous indignant ici, nous félicitant là. Salie ou blanchie, la réputation du Shatner? Même s’il a été (sur)nommé en l’honneur de celui qui incarnait le justicier de la galaxie dans Star Trek, l’édifice Shatner était devenu depuis quelque temps le haut lieu du crime sur ce campus. Plusieurs ordinateurs et effets personnels de valeur des locataires étudiants avaient en effet été dérobés. Bonne nouvelle: le réseau criminel à l’origine de ces forfaits a été démantelé. Quatre individus ont en effet été pris, dont un la main dans le sac après une «poursuite endiablée», dixit Léon Mwotia. Deux des quatre présumés criminels, appréhendés entre la mi-janvier et le début mars, étaient des étudiants de McGill. Depuis, la fréquence des vols a grandement diminué selon Wallace Sealy, chef de la sécurité de l’édifice. Celui-ci croit néanmoins que le groupe pourrait compter d’autres membres. Si vous en faites partie, veuillez vous livrer immédiatement. Pour l’AÉUM, ces arrestations découlent directement des mesures de sécurité accrues dont le Daily avait fait les frais plus tôt cette session. Il était grand temps que la répression fasse son effet… Parlant de vol, le Gert’s a été victime d’un cambriolage. Deux individus, armés d’un pistolet à électrochocs, ont emporté
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les 1400$ que le tournoi de poker étudiant avait mis dans la caisse. On nage en pleine science-fiction: un taser-gun et de l’argent au Gert’s! Mieux encore, le chef de la sécurité, ce même Sealy, qui est également gérant du Gert’s, se trouvait sur les lieux et a cru à une blague jusqu’à ce que les larrons s’enfuient à la course. Un numéro de plaque d’immatriculation a été relevé, mais pour le constable Julien Prudhomme de la police de Montréal, il s’agit d’une inside job. Cette hypothèse nous semble crédible, dans la mesure où il est clair que si le crime n’avait pas été prémédité, il n’y aurait pas eu plus de 40$ à subtiliser. Le Tribune bientôt évincé? Toujours dans le sous-sol du Shatner, le Sexual Assault Center (SACOMSS) a encore une fois fait l’objet d’une éviction. C’est la cinquième fois en six ans que l’organisme, qui ne demande qu’une chaise, un pupitre et deux lignes téléphoniques, sera contraint de se relocaliser. Le premier juin, l’Université fermera le «bureau de nuit» de l’organisme, qui a offert un abri à 138 victimes de violence, soit près de soixante p. cent des interventions du SACOMSS. Rappelons que, toujours sous le couvert du manque d’espace, l’Université avait déjà fermé le bureau de jour, «sauvé» in extremis par l’AÉUM. Faisons un peu de démagogie: le Tribune a un local, pourquoi pas le SACOMSS?
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Cela dit, en matière de locaux, l’Université devra peut-être bientôt mettre un peu d’eau dans son vin en ce qui concerne l’espace de prière réclamé à cor et à cri par l’Association des étudiants musulmans. La Commission des droits de la personne du Québec a en effet jugé que l’École de technologie supérieure, dans une affaire très semblable, devait permettre de «prier, sur une base régulière, dans des conditions qui respectent leur droit à la sauvegarde de leur dignité». Le Délit publication de l’année Parlant de victoire morale, il y a justement la nôtre. En effet, fort d’un mémoire de sept pages sur combien il était aussi merveilleux que son lectorat, votre journal favori a impressionné le comité d’attribution des prix de l’AÉUM, qui lui a décerné le prix de la meilleure publication de l’année et lui a remis une statuette (laide), qui, parce qu’il y est écrit «Le Delit»-pas-d’accent, a été affublée d’une jupette hawaïenne. La soirée ressemblait à une journée en garderie pour rejetons à problèmes, particulièrement lors de l’interprétation crève-tympans de «My Heart Will Go On» par l’exécutif de l’AÉUM. Presque aussi indigeste que les neuf coquilles dans le menu français, dont le sublime «Bonne appetit»… On apprécie (?) quand même l’effort. x
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Rédacteur en chef david.drouinle@delitfrancais.com David Drouin-Lê Chefs de pupitre–nouvelles nouvelles@delitfrancais.com Laurence Bich-Carrière Jean-Philippe Dallaire Chef de pupitre–arts&culture artsculture@delitfrancais.com Agnès Beaudry Rédacteurs-reporters Maysa Pharès Marc-André Séguin Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com Alexandre de Lorimier Coordonnateur de la photographie Mathieu Ménard Coordonnateur de la correction Pierre-Olivier Brodeur Chef-illustrateur Pierre Mégarbane Collaboration Laurence Allaire Jean, Benoît Auclair, Émilie Beauchamp, Adrien Beauduin, Christopher Campbell-Duruflé, Jacques Cormier, Lucille Hagège, Flora Lê, Laurence Martin, Christine Ledoux, David Pufahl, Louis St-Aimé Couverture Mathieu Ménard BUREAU PUBLICITAIRE 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 (514) 398-6790 Télécopieur : +1 (514) 398-8318 daily@ssmu.mcgill.ca Publicité et direction générale Boris Shedov Gérance Pierre Bouillon Photocomposition Nathalie Fortune The McGill Daily • www.mcgilldaily.com coordinating@mcgilldaily.com Joshua Ginsberg Conseil d’administration de la Société de publication du Daily (SPD) David Drouin-Lê, Joshua Ginsberg, Rebecca Haber, Rishi Hargovan, Mimi Luse, Rachel Marcuse, Joël Thibert, Jefferey Wachsmuth
15 L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.
La violence dans les Politique étrangère transports en commun canadienne
Passer la nuit avec Kant et Nietzsche
La quarantième de Mozart
Il vous reste une dernière chance de participer au Délit. Rendez-vous, cet après-midi 16h30, au Shatner B•24.
Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société de publication du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). Les opinions exprimées dans ces pages ne reflètent pas nécessairement celles de l’Université McGill. L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal. Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimerie Quebecor, Saint-Jean-sur-le-Richelieu (Québec). Le Délit est membre fondateur de la Canadian University Press (CUP), du Carrefour international de la presse universitaire francophone (CIPUF) et de la Presse universitaire indépendante du Québec (PUIQ).
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délit | 28 mars 2006 04 xle www.delitfrancais.com
Ils sont tombés sur la tête! Cocorico? Chaque langue a sa propre façon de mettre en mots les cris animaux. Malgré toutes ces variations, il arrive cependant parfois que l’animal ne se conforme pas à ce qu’on attend de lui. C’est ce qui est arrivé au coq qu’Ibraghim Ismatoullaev s’apprêtait à sacrifier pour se faire une bonne soupe. Au lieu de lancer son cri traditionnel, le volatile se serait plutôt écrié «Allah, Allah!», ce qui a évidemment surpris son propriétaire. Musulman non pratiquant, le Kirghize de la ville d’Och a tout de même refusé de vendre le coq, malgré le prix élevé qu’on lui offrait (500$, soit vingt fois le salaire moyen local). Vous pouvez écouter le cri au http://news.ferghana.ru/archive/petux.mp3. (Courrier International/Fergana.ru)
Comme dans les vues. Depuis dix mois, il méditait au pied d’un arbre sans boire ni manger. Des millions de dévots étaient venus assister au phénomène et remettre de généreuses offrandes aux responsables du site. Le 19 janvier dernier, il avait pris feu spontanément, les vêtements qu’il portait depuis neuf mois étant réduits en cendres. Son corps n’avait quant à lui gardé aucune trace de cette autocombustion. Le 11 mars dernier, l’adolescent s’est cependant sauvé au grand dam de ses fidèles dans la jungle à trois kilomètres de son arbre, promettant de revenir dans six ans. Un film? Non, puisqu’on
Bons baisers de McGill Jean-Philippe Dallaire ON L’OUBLIE PARFOIS lorsque nos propres fonctions ont pour ultime frontière la ville de Toronto, et bien souvent l’île de Montréal ou le campus de McGill: le métier de journalisme comporte un haut degré de risque. Certains jeunes poussent cependant plus loin l’expérience du journalisme étudiant ou indépendant pour se plonger en plein cœur de l’action à l’étranger, comme l’a fait notre rédacteur-reporter MarcAndré Séguin en janvier dernier en se rendant au Venezuela. C’est également le cas du jeune Frédérick Lavoie, vingt-deux ans, qui s’est lancé fin février dans un périple de sept semaines à la découverte de l’Ukraine et de la Biélorussie pour Le Quotidien du Saguenay-Lac St-Jean, après avoir passé un an à étudier le russe à Moscou. Ancien étudiant en communications de l’Université Laval, le journaliste aurait été attiré à Minsk, capitale de la Biélorussie, par la perspective d’une révolution à l’occasion d’élections présidentielles dont la légitimité a été remise en question par la plupart des démocraties occidentales. Comme quoi le malheur n’arrive pas simplement qu’aux autres, Lavoie a vu sa mission s’interrompre en pleine place d’Octobre, à Minsk, dans la nuit du 23 au 24 mars derniers. Mis aux arrêts par la police biélorusse alors qu’elle procédait à l’arrestation
parle de Ram Bomjan, le Népalais considéré par ses fidèles comme la réincarnation de Bouddha. (Courrier International/BBC)
Le bon mot. «Incompétent». C’est du moins la réponse qu’une majorité d’Américain a donnée à la question «donnez un mot pour décrire votre président George W. Bush». Suivaient «bon» et une autre épithète peu reluisante, «idiot». Et dire qu’à la même date l’an dernier, la réponse la plus fréquente était «honnête». Quelqu’un a dit «chute de popularité»? (Time/PH)
Drôle de discipline. Que faites-vous lorsque plus de la moitié de vos effectifs militaires font la grève pour protester contre les règlements disciplinaires trop stricts (alors qu’ils s’étaient engagés dans l’armée avec comme seule expérience leurs années de maquis indépendantiste)? Vous renvoyez tous ces soldats insubordonnés, pardi! C’est du moins la position qu’a adoptée le commandant Taur Matan Ruak, de l’armée du Timor oriental, qui a signé les papiers faisant des 593 soldats en grève depuis le 8 février de simples civil au 1er mai. Le président du pays, Xanana Gusmao, n’a pas encore entériné la décision, mais rien ne semble faire croire qu’il la refuse. (ABC/FARK.ru)
Controverses La citation En trois vitesses de la semaine «Merci, je serai bref puisque je n’ai pas le choix. Est-ce que quelqu’un pourrait m’indiquer où sont les toilettes?»
- David Drouin-Lê Entièreté du discours d’acceptation de notre brillant rédac’-chef, du prix de l’AÉUM pour la meilleure publication de l’année (au risque de nous répéter). Les dix personnes qui parlaient français dans la salle auraient ri et le président Aaron Donny-Clark aurait, après délai, indiqué l’emplacement de l’endroit convoité. Halle Berry n’a qu’à bien se tenir. (Le Délit)
Journalisme à haut risque massive de centaines de manifestants contre les résultats électoraux, Lavoie se voit condamner à passer une quinzaine de jours dans la prison Akrestsina. C’est par un court message texte envoyé à son frère depuis son téléphone portable que sa famille, ainsi que les autorités canadiennes, ont pu être mises au fait des déboires du jeune homme. Une représentante du consulat britannique en Biélorussie, agissant pour le compte du gouvernement canadien dans l’ancienne république soviétique, a depuis réussi à rencontrer le jeune homme et à lui amener un peu de nourriture, ce que ses geôliers lui refusaient. Quant à sa famille, très inquiète, elle est en contact permanent avec le ministère canadien des Affaires étrangères ainsi que le député de Jonquière et ministre fédéral Jean-Pierre Blackburn. La situation de Frédérick Lavoie fait penser à d’autres, où des Canadiens se sont eux-mêmes mis en position précaire à l’étranger. On peut penser au jeune homme qui s’est aventuré seul en montagne au Pérou l’an dernier, ou encore aux deux travailleurs humanitaires canadiens récemment libérés en Irak après plus d’une centaine de jours de captivité. Elle est cependant différente en ce qu’elle implique une action directe des forces de l’ordre du pays étranger à l’endroit d’un citoyen canadien. Au Pérou comme en Irak, les autorités locales pouvaient plus facilement accepter une aide canadienne afin de résoudre le problème. En Biélorussie comme dans le cas de l’affaire Zahra Kazemi
en Iran, l’atmosphère des relations entre le gouvernement canadien et son homologue étranger est plus conflictuelle puisqu’il est question des agissements des forces de l’ordre. Jusqu’à quel point est-il légitime de contester les gestes d’un gouvernement étranger? Lavoie s’est rendu en Biélorussie en sachant qu’il était risqué de ne pas obtenir l’accréditation journalistique demandée par les autorités. On peut cependant se demander s’il lui aurait été possible d’offrir une bonne couverture de ces événements sans passer outre ces autorisations. Si certains pourraient être tentés de critiquer Lavoie pour s’être lui-même placé en position dangereuse, il ne faut pas oublier que la présence de journalistes étrangers est bien souvent la seule façon de savoir ce qu’il se passe véritablement sur le terrain. Le gouvernement canadien est probablement bien avisé de critiquer les violations de la liberté de presse en Biélorussie, qui prend notamment la forme d’une sentence d’emprisonnement pour Lavoie. Il ne s’agit pas ici d’imposer des valeurs occidentales à un autre pays ni de porter assistance à un jeune «inconscient». Il s’agit plutôt de protéger la liberté de couvrir un événement et d’en parler, une liberté universelle. Chers lecteurs, c’était ma dernière chronique pour Le Délit. J’ai eu beaucoup de plaisir à écrire pour vous cette année et j’espère que vous en aurez eu tout autant à me lire.
En hausse LE DÉLIT Oui, oui, votre journal favori a remporté le prestigieux prix de la meilleure publication de l’année lors de la soirée de remise des prix de l’AÉUM, devant les publications STEPS et Stationary. Notre bien-aimé rédacteur en chef s’est vu remettre une magnifique statuette des mains de Max Silvermann, qui la lui a présentée en anglais. (Le Délit)
Au neutre PROJET DE CONDOS AU MONT ORFORD Ira de l’avant, ira pas? Difficile de savoir. Le maire d’Orford demande de l’aide d’Ottawa, le courrier des lecteurs dit que des quatre montagnes de la région, c’est la plus laide. Les environnementalistes préparent leurs pancartes. Et Jean Charest ricane. (LaPresse/ SRC)
En baisse TORONTO Non seulement les Maple Leafs, la «glorieuse» équipe de hockey de la métropole canadienne, se sont-ils faits planter par le Canadien 5-1 et 6-2 en fin de semaine, mais en plus, le Princess of Whales Theater sera bientôt plein de jeunes boutonneux en mal de fantastique. En effet, c’est sur cette scène que se produiront les chanteurs de la comédiemusicale The Lord of the Rings. Critique divisée, public tiède, ça commence à sentir la sauce étirée. Le grand-oeuvre de Tolkien est passé de livre à film, à jeu vidéo, à musical: à quand une version karaoké? (FT/Le Délit)
Courrier: comment Le Délit Il était une fois insulte ses lecteurs...
Controverses
xle délit | 28 mars 2006 www.delitfrancais.com
dans Le Délit... Le mardi 16 octobre 1979
Réalitée Frankofone a McGille Je suis une étudiante francophone qui a été grandement surprise, pour ne pas dire insultée, par la piètre qualité du français contenu dans un document officiel de demande de remboursement. Plus de 45 erreures de toutes sortes ont été décelées sur la seule et unique page du dit document. Pathétique... Jetez-y un coup d’oeil en vous rendant au: http://www.mcgill.ca/files/conted-students/ Refund_Request.pdf − Amélie Marcoux [Voici quelques extraits fournis par Le Délit dudit formulaire] «Si le remboursement viens d’un bourse d’etudes, indiqué le nom du bourse» «Je suis consceint quo le versement de ce remboursement pout titre retardé si des frais de scolarité, des frais de residence, des amendes de bibliothéque, des prêts étudiants ou toute somme due soit a I’université McGill soir a ]’Institution Royale pour I’avancement des sciences sont en souffrance et ce, en dépit de toute difficulté financier du debiteur, conformement a la Loi sur la faiflité.» Nous sommes d’accord avec toi Amélie, ça fait un peu pitié (à ce sujet, si tu veux dire que ça «fait dur», le bon mot est «pitoyable» et pas le calque de l’anglais «pathétique», mot qui signifie plutôt «tragique» et «émouvant» en français). Mais nous devons aussi souligner l’ironie de ton courriel, qui comporte au moins deux fautes d’orthographe... Que l’ami-lecteur qui les trouve se présente au poste de correcteur! − La Rédaction
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Encore du SuperSpace!
yoyoyo delit in da house!!!!!! aille, j’etais full content que vous fesiez de moi votre mascotte (jvous avais pas ecrit passke gt malade ms mes amis mont dit que jetait sur la covert mais la sa va mieux) faque je vous excuse davoir fait semblant que javais ecri un message la semaine passee mais refaisez plus sa!! a moins que vous ayiez une bonne raison...pis faut signer ‘doux babou’ c ce que je suis pour vous!!! aussi le reportage sur lalcool etait cute... full humour les photos.....vos croniques aussi sont ben bonne genre tuer des phoques c malade! fuck les phoques!!! pis fuck la feuq aussi!! jvous lis pis g limpression davoir une asso pis ka fait de koi pis ki se passe de koi sur le campus!...celle sur le vin est trop teknik pr moi... sa doit pogner ak les chimiste lol LOL le delit c de la qualité A!!! − doux babou forever Euh, là, «doux babou» (ou Super Space Samuraï comme te connaissent mieux nos lecteurs), il faut t’admettre que, même après consultation, la Rédaction est un peu perplexe. Interrogative et embarrassée, d’abord, à l’effet que l’on puisse faire (que dis-je «commettre») autant de fautes en si peu de lignes. C’est presque aussi catastrophique, quoique dans un tout autre registre, que le formulaire d’Amélie Marcoux. Ensuite, on se demande tout simplement de quoi tu parles, cher SSS, dans la mesure où nous n’avons PAS publié de faux courrier du lecteur signé de ton charmant pseudonyme. Ni la semaine dernière, ni celle d’avant. Nous sommes heureux que tu nous dises aller mieux après ta maladie, mais peut-être as-tu encore quelques hallucinations? Mais bon, puisque nous sommes «de la qualité A»... − La Rédaction
Revue de la presse étudiante
Impact Campus, Université Laval, éd. du 22 mars «Parrainage aux apparences douteuses», rapportent Louis-Charles Guillemette et Christiane Vadnais. Un étudiant de la faculté de Pharmacie, excédé par les pratiques de «parrainage» de sa faculté qui permet aux étudiants de se passer résumés de cours et questions d’examens d’année en année, dénonce sous le couvert de l’anonymat.
Sa lettre somme la doyenne de la faculté et l’Ordre des pharmaciens du Québec d’intervenir et pointe du doigt l’Association des étudiants de pharmacie. «Je ne peux concevoir qu’une grande majorité d’étudiants finissants de Laval puissent «être compétents» avec les pratiques outrancières de plagiat qu’ils utilisent durant leurs études […]» affirme l’étudiant. En réponse, la doyenne affirme ne pas prendre ces accusations très aux sérieux, confiante que le changement annuel des questions et l’examen final récapitulatif assurent la qualité de la formation des étudiants. Le climat frénétique de préparation dénoncé ici se maintiendra donc jusqu’à la prochaine fois… Quartier Libre, Université de Montréal, éd. du 22 mars «Changer les règles», de Julie Delporte, rapporte le succès de la Diva Cup auprès
à chaque deux éditions, Le Délit vous propose un aperçu de la presse universitaire québécoise, compilée avec soin par Christopher Campbell-Duruflé des étudiantes de l’Université de Montréal. «La coupe menstruelle –en silicone médicale, une matière hypoallergène– est une solution alternative aux tampons». Écologique, plus sécuritaire et moins chère, l’adaptation en vaut peut-être bien la peine. Le comité UniVertCité a lancé le produit sur le campus l’an dernier. «Le tampon absorbe le sang, mais aussi toute la muqueuse. Il peut créer des sécheresses vaginales. Sans parler de toutes les traces de dioxines présentes dans le papier […]», explique une utilisatrice, faisant référence aux risques de «syndrome de choc toxique» (STC) lié à l’utilisation du tampon. Peu connue encore du milieu médical, la coupe menstruelle est sécuritaire si utilisée hygiéniquement. Il ne reste plus qu’à s’habituer… Montréal Campus, UQÀM, éd. du 22 mars Dans «Bibliothèque de l’UQÀM»,
Catherine Perreault-Lessard souligne le manque criant de financement de ce service, nettement en dessous de la moyenne des autres bibliothèques universitaires de Montréal. «Selon un rapport de la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec, en 20032004, l’UQÀM a dépensé 3 500 000$ en ressources documentaires, soit quatre fois moins que l’Université McGill et trois fois moins que l’Université de Montréal.» En 2003 par exemple, l’UQÀM investissait 143$ par étudiant pour ses bibliothèques, comparativement à 605$ pour l’Université McGill. L’écart est également significatif pour le nombre d’étudiants par bibliothécaire (606 à l’UQÀM, 371 à McGill). Les bibliothèques doivent donc être une priorité pour l’université francophone du centreville, qui ne bénéficie malheureusement pas d’autant de ressources que son aînée de 1821.
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Comme à chaque année, Le Délit doit trouver du sang neuf pour peupler son bureau souterrain. Présentez-vous dès maintenant pour les postes suivants: Rédacteur en chef Chef de pupitre−nouvelles Chef de pupitre−culture Rédacteur-reporter Coordonnateur de la production Coordonnateur artistique Coordonnateur de la correction Vous devez être membre de la Société de publication du Daily et avoir participé au moins trois fois au journal au cours du semestre courant pour être éligible. Consultez les descriptions de tâches et les modalités complètes du vote sur www.delitfrancais.com.
Déposez votre candidature, contre-signée par deux membres de la rédaction, dans une des enveloppes prévues à cet effet à la porte du Délit, Shatner B•24. LE VOTE AURA LIEU LE MARDI 28 MARS À 18H DANS CE LOCAL. TOUS LES MEMBRES DE LA RÉDACTION Y SONT CONVIÉS.
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Nouvelles
xle délit | 28 mars 2006 www.delitfrancais.com
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D’Hollywood à la réalité Les dessous des sciences judiciaires.
campus Christine Ledoux Le Délit
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epuis quelques années, les séries de fiction explorant le monde des sciences judiciaires se font de plus en plus nombreuses sur nos écrans et leur popularité est indéniable. Grâce à ces séries télévisées, plusieurs se sont découvert un intérêt pour ce monde. On peut cependant se demander si ces séries sont réellement représentatives du travail d’expert légiste. Mardi dernier, des experts du domaine médico-légal se sont réunis à McGill pour faire la lumière sur les coulisses du milieu et discuter de leur implication dans diverses enquêtes criminelles. Le Dr Robert Dorion, qui travaille au laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale à Montréal, se spécialise dans l’identification des victimes par la dentition. Son travail l’emmène à identifier des corps gravement
brûlés en état de décomposition avancée. Pour ce faire, il utilise un logiciel qui lui permet de dresser un profil de la victime incluant des détails tels que son âge, sa race, son pays d’origine, son sexe et même, dans certains cas, ses habitudes de vie et sa profession. Ce genre de technique peut être particulièrement utile afin d’identifier de très vieux ossements ou ceux de victimes d’importantes
catastrophes naturelles. En dressant un profil des disparus et en les comparant avec le profil des ossements retrouvés, il est en effet possible d’établir l’identité des victimes. Sa consoeur la Dr Anny Sauvageau travaille quant à elle en tant que pathologiste médicolégale. Cette spécialité implique la pratique d’autopsies dans les dossiers où la mort semble suspecte et la
détermination de l’heure et des causes du décès. Interrogée sur le réalisme des séries américaines, elle affirme qu’elles sont bel et bien basées sur des faits réels. Elles ont cependant en général une forte tendance à exagérer les faits de façon à rendre le tout plus sensationnel. Elle constate aussi que ce genre d’émission est souvent centré sur les actions de quelques personnages principaux,
ce qui nous laisse croire que le héros peut résoudre une enquête presque à lui seul, alors que dans la réalité, des dizaines de personnes sont souvent appelées a coopérer de façon à résoudre un cas. Il existe aussi plusieurs autres différences notoires entre la réalité et le monde dépeint par Hollywood. Il semblerait en effet qu’il n’y ait aucune comparaison possible entre les laboratoires spacieux et à la fine pointe de la technologie utilisés dans les séries et les laboratoires utilisés dans la réalité. Cependant, la plus grande différence entre la fiction et la réalité demeure sans contredit le temps nécessaire à la résolution d’un dossier. Par exemple, alors que dans les séries télévisées il est possible d’obtenir les résultats d’un test d’ADN en moins d’une heure, la réalité est tout autre. La complétion de tels tests requiert souvent plusieurs jours, voire quelques semaines. Tout cela tend a démontrer que même si c’est grâce aux séries télévisées telles CSI ou Bones que le monde des sciences judiciaires a été ouvert au public et fascine de plus en plus de gens, il est important de garder en tête qu’il y a beaucoup plus au travail d’expert légiste que ce que l’ont voit à la télévision. x
Petites scènes de violence urbaine D’après la STM, les chauffeurs d’autobus seraient plus que jamais victimes de violence. local Laurence Bich-Carrière Le Délit
L
’heure est incertaine et votre esprit un peu embrumé. Soudainement, l’autobus de nuit qui vous ramène chez vous s’arrête, les lumières s’éteignent et le chauffeur déclare: «Moi, j’repars pas tant que les p’tits comiques qui fument du pot sont pas descendus». Après un silence, on entend une tentative de protestation dans l’odeur qui persiste: «mais m’sieur, comment on va rentrer?». Le chauffeur demeure inflexible. Les fumeurs finissent par descendre, non sans avoir abreuvé le conducteur d’un flot d’injures que Le Délit se permet de ne pas reproduire. Le chauffeur pousse un soupir résigné –ce n’est manifestement pas la première fois qu’il a maille à partir avec eux– et reprend son trajet.
Le cri d’alarme de la STM Mais toutes les histoires ne se finissent pas aussi bien, s’il faut en croire le Syndicat
des chauffeurs et opérateurs de métro de la Société de transport de Montréal (STM), qui, lundi dernier, émettait un communiqué demandant à ce que l’on trouve le plus rapidement possible des façons d’améliorer la sécurité des chauffeurs. Le communiqué suivait l’attaque d’une conductrice à Lasalle, poignardée par un homme qui voulait lui voler ses papiers d’identité. C’est cent cinquante attaques, tant physiques que verbales, qui ont été rapportées l’an dernier par les chauffeurs, explique Claude Benoît, porte-parole du syndicat. «[C]onduire un autobus public est un métier à risque. Tout doit être mis en oeuvre pour assurer la sécurité des chauffeurs», ajoute-til en demandant l’installation de cabines de protection dans les autobus, comme c’est le cas à Milan par exemple, et l’instauration de peines plus sévères contre les agresseurs. Des coups ou des injures? Des scènes de violence, plusieurs usagers des transports en commun en ont à raconter. Ainsi, Alice, trente-quatre ans, se remémore celle d’un homme qui a fracassé la porte d’un autobus avec ses poings parce que le chauffeur, qui n’était plus à l’arrêt mais à un feu rouge, avait refusé qu’il monte à bord. «Moi, j’comprends pas ça, c’est juste un autobus de manqué. C’est sûr que c’est frustrant […], mais ça arrive généralement à l’heure de pointe ces scènes-là, je sais pas, [les gens] doivent être plus impatients,
Dramatisation: un usager anonyme de la STM s’en donne à cœur joie contre un abribus. Mathieu Ménard
[pourtant], il va y avoir un autre bus dans cinq minutes, calmez-vous!». Ce sont ces scènes de violence-là qui semblent marquer le plus les usagers, mais pour M. Simard, chauffeur, la violence verbale est beaucoup plus lassante et insidieuse: «se faire insulter à longueur de journée par des p’tits bums qui ne veulent pas payer leur 1,50$, ce n’est pas drôle non plus». Ce qui rejoint plutôt l’opinion de «Joe Cool» (un pseudonyme), rencontré à Villa Maria. «Je n’ai jamais vu de gros acte de violence, sure y’a des gens qui disent «ta yeule» aux chauffeurs, c’est pas nice». Il ajoute cependant que «les chauffeurs aussi
sont bêtes des fois [et] ils ne se gênent pas toujours pour engueuler les [déficients mentaux] qui se pendent après les barres, ça non plus c’est pas chill». Les opinions demeurent partagées sur l’ampleur à donner au phénomène, mais de l’avis général, la violence contre les conducteurs est plus présente qu’auparavant et les solutions se font attendre. «La STM manque d’argent, c’est sûr, mais pour donner un service adéquat, il faut mettre les ressources. Elle manque aussi de personnel et on n’engagera personne avec des conditions de travail difficiles et dangereuses», conclut M. Simard. x
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Déménager: le péril d’un été Un dossier de Maysa Pharès
Une initiative montréalaise pour le logement abordable et durable
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é en 2002 de l’initiative d’une poignée d’étudiants mcgillois, le Montreal Urban Community Sustainment (MUCS) offre une contribution innovatrice au mouvement de promotion des logements abordables. Le projet de MUCS, qui compte à ce jour environ deux cents sympathisants, cherche à joindre le respect de l’environnement aux besoins d’une communauté à revenus limités. MUCS espère que son projet de développement communautaire dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce sera réalisé d’ici trois ans. Kim Tamer, en charge du plan d’affaires de MUCS, définit le projet en ces termes: «nous voulons bâtir une communauté d’environ deux cents personnes, avec pour but d’intégrer le développement durable dans leur mode de vie. Il s’agit de prendre le concept du développement durable et d’y appliquer les découvertes de MUCS». Ces découvertes sont le fruit d’une série de consultations et de travaux d’équipe rassemblant professeurs et étudiants de toutes spécialités, ainsi que d’acteurs communautaires, dans des ateliers où ils explorent les façons «d’intégrer les principes d’abordabilité et des alternatives de modes de vie». À McGill, dans le cadre de leurs cours, certains professeurs et élèves s’engagent également à travailler sur des projets reliés à MUCS. Soucieux de joindre les réflexions académiques à une expérience plus proche du terrain, MUCS fonde son action sur la collecte de données quantitatives et qualitatives destinées à cerner les caractéristiques et les besoins de la communauté de NDG, où MUCS souhaite s’établir. «Un laboratoire vivant», selon les termes de Tamer, a été mis en place il y a trois ans sous le nom de la «Coop’ sur Généreux». Créée dans le cadre de MUCS, afin de mettre en pratique les principes de l’organisation en matière de logement coopératif, la coop accueille quinze résidents (majoritairement étudiants) expérimentant la vie en commun en payant un loyer modique. La Coop’ sur Généreux, souligne Tamer, se distingue des autres coopératives d’habitations de Montréal en ce qu’«elle a été pensée sur des principes environnementaux, dans le but de réduire notre empreinte écologique». Vivre dans cette coop «implique un engagement collectif de dix heures par semaine, dans des réunions de résidents, dans les tâches ménagères et les responsabilités. C’est un investissement très intense parce que physiquement les gens n’ont pas vraiment beaucoup d’intimité», note Tamer. Concrètement, insérer les valeurs du développement durable dans sa vie quotidienne signifie «adopter un style de vie sain, ce qui peut vouloir dire cuisiner de façon bonne pour notre santé et pour l’environnement». Il s’agira donc pour la future communauté de MUCS de modeler les matériaux d’habitation, la consommation et l’ensemble de son mode de vie vers le respect de l’environnement. Tamer affirme que le projet de MUCS s’insère dans le mouvement de développement de logements abordables. Or, si la dimension écologique pourrait paraître superflue face aux besoins des ménages démunis, Tamer justifie le pan écologique du projet de MUCS en soutenant qu’«il est nécessaire de rendre le développement durable abordable, de rendre la vie écologique accessible à tous, parce qu’on ne peut plus continuer à vivre comme nous le faisons actuellement». x
La crise du logement n’est pas finie
A
u début des années 2000, la crise du logement faisait rage, nourrissant les inquiétudes des ménages locataires et suscitant la mobilisation des organismes voués à la promotion du droit au logement. La pénurie de logements vacants touchait toutes les couches de la population, des plus démunies aux plus aisées. En effet, toutes les catégories d’habitations faisaient défaut, coûteuses ou moins coûteuses, quel que soit le quartier. Conséquence de cette pénurie, le coût du logement a dramatiquement augmenté. Aujourd’hui, bien qu’elle se soit calmée, la crise persiste et se concentre principalement sur les ménages à faibles revenus, pour qui trouver un logement abordable demeure un défi. Si le taux d’inoccupation a augmenté, il reste désespérément bas pour les logements abordables (à moins de 500 dollars par mois). Selon François Saillant, coordonnateur du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), «La crise du logement s’est transformée». Reconnaissant que le taux d’inoccupation est certes plus élevé aujourd’hui qu’il y a quatre ans, que les pancartes «À louer» refont leur apparition au Québec, et que les condominiums fleurissent un peu partout, M. Saillant déplore que les logements abordables continuent à faire défaut. La crise touche donc les ménages dont le budget ne permet pas d’accéder à un logement au-delà de 500 à 700 dollars. «Pour une famille qui cherche un appartement de trois chambres et plus, et qui ne peut pas payer plus de 500 dollars par mois, il n’y a pas un seul logement vacant», explique M. Saillant. Les chiffres du recensement 2001, sur lesquels se fonde le FRAPRU, indiquent que
les ménages locataires au Québec sont plus de la moitié à dépenser plus de trente p. cent de leur salaire en loyer. Les ménages gagnant moins de 10 000 $ sont 81,5 p. cent à consacrer plus de 50 p. cent de leur revenu au loyer. Les ménages gagnant entre 15 000 $ et 20 000 $ sont seulement à 43,9 p. cent dans cette situation; 71,3 p. cent des ménages à faibles revenus consacrent plus de 60 p. cent de leur budget au loyer, et 53,8 p. cent d’entre eux doivent y consacrer jusqu’à 80 p. cent. Une part aussi importante d’un budget concentrée sur un loyer implique que d’autres besoins fondamentaux en pâtissent, comme la nourriture ou l’habillement. Ces chiffres de 2001 sont inacceptables pour M. Saillant et le FRAPRU, qui martèlent la nécessité de «faire en sorte qu’un maximum de logements échappent à la logique du profit» et ce, en faisant pression sur le gouvernement pour qu’il finance plus de logements publics. «Certaines personnes, affirme Saillant, ne sont tout simplement pas rentables, mais elles ont droit au logement». Or, il s’avère qu’un vide juridique entoure la question du logement, étant donné que la Charte des droits ne compte pas le droit au logement au nombre des droits fondamentaux. M. Saillant souligne cependant que cela n’aurait pas un impact majeur, le logement étant un droit socio-économique, ce qui lui confère de fait un poids moindre que les droits politiques. Pour l’instant, la Charte ne peut être invoquée que pour les cas de discrimination dans l’obtention d’un logement. Or, Saillant insiste qu’il n’y a pas que la discrimination qui entrave le droit au logement. Notant que les aides allouées par le gouvernement n’ont qu’une utilité temporaire et limitée, le FRAPRU compte parmi les solutions envisagées la construction d’un grand chantier de logement social. Car force est de constater que le gouvernement n’a plus investi dans les habitations à loyer modique (HLM) depuis 1994. Les HLM ne sont pas les seules options envisagées par le FRAPRU, qui compte promouvoir la mise en place de coopératives d’habitations et de logements gérés par des organismes sans but lucratif. x
Les étudiants sont-ils bien logés?
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n 1978, l’Association nationale des étudiants du Québec abordait la situation du logement dans un dossier intitulé Le Québec étudiant, notant que la communauté étudiante, connaissant mal ses droits, se faisait exploiter par les propriétaires. Presque trente ans plus tard, les étudiants demeurent une catégorie particulièrement vulnérable de la population. En effet, François Saillant, coordonnateur du FRAPRU, note que les étudiants sont eux aussi victimes de la crise du logement qui touche les personnes à faible revenu. Il explique que les facteurs de la pauvreté et de la discrimination jouent particulièrement dans leur recherche de logement. Les étudiants dont le budget repose sur des bourses ou qui dépendent de parents peu aisés sont dans une situation précaire qui pousse certains propriétaires à exiger d’eux un endosseur avant de signer un bail. Or, les parents eux-mêmes ne disposent parfois pas d’assez de fonds pour jouer ce rôle de garant pour leur enfant. C’est alors que trouver un appartement peut devenir un vrai calvaire. M. Saillant note que c’est une des raisons pour lesquelles les étudiants choisissent souvent de coopter pour se loger. Ils font alors face à une autre réalité: les colocations nécessitent des logements de taille importante, généralement des 5 ½ au minimum. Or, M. Saillant affirme qu’il manque d’appartements de cette taille à bas loyers. De plus, dans certains quartiers particulièrement prisés, la rareté de ces appartements atteint un niveau tel que les prix grimpent au-delà du seuil raisonnable. La course au logement des Mcgillois C’est le cas du «ghetto» et, à cet égard, la situation des mcgillois est particulièrement difficile, d’autant plus
qu’ils sont nombreux à venir de l’étranger ou de l’extérieur de la province. Ils sont par conséquent mal rodés aux subtilités de la recherche d’appartement à Montréal, et connaissent mal leurs droits. La majorité d’entre eux désirant s’établir dans le périmètre du campus, le ghetto devient le terrain d’une lutte farouche pour les appartements. Dans cette course au logement, certains étudiants sont prêts à se soumettre à certaines pratiques illégales afin de s’assurer un lieu de résidence. Selon Pamela Chiniah, du Service des logements et résidences de l’Université, environ soixante p. cent de la communauté de McGill désire habiter le ghetto. Cela concerne principalement les étudiants de première année, lesquels, note-t-elle, «veulent deux choses: emménager avec leurs amis et être proches de McGill». Pour satisfaire ces critères, Mme Chiniah note que ces étudiants sont forcés de jouer le jeu de certains propriétaires, notamment en payant les fameux «finder’s fees». Cette pratique sévit dans un périmètre que Chiniah situe entre Stanley et Saint-Laurent, là où la demande est la plus forte et où les appartements vacants sont particulièrement rares. «La semaine dernière, on demandait 12 000 dollars de finder’s fees pour un 10 ½ sur Stanley!» s’étonne Chiniah, soulignant l‘ampleur du phénomène. Si ces pratiques illégales permettent aux propriétaires de tirer profit de l’immense communauté étudiante de Montréal, elles sont aussi pour eux un moyen de se protéger. Mme Chiniah admet recevoir des plaintes occasionnelles venant de propriétaires déplorant le manque d’hygiène de leurs locataires, ou le fait qu’ils quittent l’appartement au milieu d’un bail. Dans ces situations, les propriétaires ne trouvent pas de meilleure solution que d’assurer leur sécurité, en demandant par exemple
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plus d’un mois de loyer en dépôt (ce qui est illégal au Québec). La tendance à ce type de pratique va cependant en diminuant, car si le ghetto et le Plateau sont les régions les plus prisées par les étudiants de McGill, Mme Chiniah note qu’ils sont de plus en plus nombreux à s’éloigner vers le Mile-End, Verdun, Rosemont ou Saint-Henri. Elle explique que l’investissement récent du gouvernement du côté du canal Lachine a offert aux étudiants un parc de logements à meilleur marché, assez proche du campus. C’est généralement en deuxième ou troisième année que les étudiants décident de s’éloigner, au moment où ils connaissent mieux la ville et où le trajet quotidien leur importe moins. Les risques La plupart des problèmes surgissent du fait que «certains étudiants ne savent pas ce qu’ils cherchent et évaluent mal leur budget», note Mme Chiniah. Les risques encourus par les étudiants lors de la signature d’un bail sont nombreux. Mme Chiniah conseille de faire attention au budget que l’on s’est fixé. «Si le chauffage et l’électricité ne sont pas compris dans le loyer, il faut absolument appeler la compagnie et demander le montant exact pour l’appartement en question». De plus, nombreux sont ceux qui veulent s’installer à plusieurs. Or, les logements à plusieurs chambres sont difficiles à trouver. Il n’est pas rare de voir des étudiants qui souhaitent vivre à dix dans un même appartement. Dans la difficulté, «les étudiants se font avoir» affirme-telle, évoquant une annonce pour un 8 ½ non chauffé à 3000 dollars par mois. D’autre part, beaucoup d’étudiants s’adressent au Service des logements et résidences pour dire qu’ils ont signé un bail avec quelqu’un avec qui ils ne peuvent plus s’entendre. Selon Mme Chiniah, la plupart des étudiants cherche des appartements de quatre ou cinq chambres et ils ne pensent pas au niveau de propreté, au règlement des factures, aux visites, au volume de la musique, en bref, aux aspects pratiques de la vie quotidienne qui deviennent sources de conflit avec le temps. x
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Nouvelles
Ottawa et le monde Bernard Wood explique l’approche du Canada face aux pays étrangers. international Laurence Allaire Jean Le Délit
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i on en croit le spécialiste Bernard Woord, l’arrivée d’un nouveau gouvernement à Ottawa n’aura pas d’impact réel sur la politique du pays envers l’étranger. De passage à McGill la semaine dernière pour s’adresser à un groupe d’étudiants, l’homme s’est dit encouragé par l’approche non partisane des politiciens lorsque vient le temps d’appuyer les ambitions canadiennes à l’extérieur des frontières. Bernard Wood est l’un des spécialistes les plus respectés du Canada en matière d’affaires internationales et de développement économique. Fondateur de l’Institut Nord-Sud, ex-directeur de la coopération à l’OCDÉ, il préside aujourd’hui un groupe de consultants pour la firme parisienne Développement international et Stratégies. Le Canada, un chef de file en assistance au Tiers-monde Selon cet ancien conseiller sous plusieurs gouvernements, c’est en matière de développement équitable et durable dans des pays défavorisés que le Canada pourrait et devrait devenir le numéro un mondial. Faisant un parallèle avec les Jeux olympiques, Bernard Wood a expliqué à son auditoire que le Canada devrait chercher à obtenir l’or dans au moins une des «disciplines» des relations internationales, soit l’aide internationale. Le nouveau gouvernement serait conscient de l’importance d’éviter une «cheap policy» en terme de coopération et d’implication internationales, d’autant plus que la coopération internationale jouit d’un appui considérable de la part de la population. «Nos meilleurs amis, qu’on le veuille ou non» Au sujet des États-Unis, M. Wood a repris une citation d’un politicien albertain: ceux-ci sont «nos meilleurs amis, qu’on le veuille ou non». Il évoquait ainsi l’une des réalités les plus importantes en termes de relations internationales, soit le poids énorme des intérêts économiques, militaires et culturels étasuniens. Selon M. Wood, le Canada devrait prendre une route différente pour rejoindre une même destination: l’ordre mondial. Pour le Canada, la situation internationale exige une politique indépendante et réellement basée sur
les intérêts nationaux. Afin d’exposer sa vision de l’opinion mondiale face aux États-Unis, Bernard Wood a partagé avec l’auditoire une anecdote vécue en Iran au cours des dernières années. Un ayatollah, conseiller du président iranien, lui a expliqué de façon gentille, mais ferme, que ce qui causait la guerre et l’insécurité mondiale était le «Grand Satan», soit les États-Unis. Pour le conférencier, le monde a une opinion semblable à celle de l’ayatollah, ce que le Canada ne peut ignorer. Monsieur Wood indique cependant que l’importance de ces «meilleurs amis» doit être admise parce que les intérêts des deux pays coïncident à long terme. Les principales divergences proviennent surtout de la politique à court terme. Participation mondiale: l’Afghanistan Selon M. Wood, le bon fonctionnement de la planète demande que chaque nation mette l’épaule à la roue. Le terrorisme et l’insécurité provenant d’États «ratés» qui ne pourraient pas contrôler la présence d’activités contre l’Occident sont des menaces bien évidentes à ce fonctionnement. L’Afghanistan est, selon M. Wood, un de ces États proches de l’anarchie, ce qui demande que l’OTAN réagisse sur une base collective. Pour le conférencier, le Canada doit se doter non pas d’une puissance militaire démesurée, mais bien d’une approche de première classe appropriée aux besoins nationaux. Cette approche pourrait également inclure un réseau d’information analogue à la CIA américaine, ce qui fait actuellement défaut. Les ressources linguistiques et culturelles du pays sont pourtant suffisantes pour récolter une bonne quantité d’informations cruciales à la prise de décisions d’un pays aussi impliqué internationalement. Le Québec Malgré tous les parallèles qu’il est possible de tracer entre les politiques étrangères de l’ancien et du nouveau gouvernement, l’arrivée des conservateurs aura cependant au moins une conséquence. M. Wood a en effet confié au Délit que «la lutte symbolique sur la représentation étrangère est presque terminée» entre le Canada et le Québec. Selon lui, la représentation du Québec à l’UNESCO deviendra sous peu réalité, alors que seules «quelques étapes de formalités» demeurent comme obstacles. x
Pour Bernard Wood, malgré un nouveau gouvernement, les priorités internationales sont les mêmes. Laurence Allaire Jean
Le procès Milosevic Comment le procès de l’exprésident serbe a donné un coup de pouce au droit pénal international. international Adrien Beauduin Le Délit
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ans le cadre de la semaine du droit international, la Société de droit international de McGill avait invité Payam Akhavan à donner son opinion sur le futur du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) à la suite du décès de Slobodan Milosevic. Ce détenteur d’un doctorat de la prestigieuse école de Droit de Harvard était bien placé pour en parler, puisqu’il a occupé le poste de conseiller juridique auprès du bureau du procureur du TPIY de 1994 à 2000. Il a aussi par la suite été conseiller spécial auprès de l’ONU pour les questions de droit pénal international. Impunité et inhumanité Monsieur Akhavan a commencé sa conférence en insistant d’abord et avant tout sur la difficulté de parler de crimes contre l’humanité en utilisant «ce jargon légal qui banalise l’horreur des faits». Il a insisté sur l’existence d’une terrible réalité humaine derrière un long et minutieux procès. On reconnaissait d’emblée celui qui se disait aussi «idéaliste» et «activiste». Le conférencier a récapitulé en premier lieu l’histoire de la justice pénale internationale depuis le tribunal de Nuremberg. Il a parlé de cette «culture de l’impunité» qui a prévalu pendant la Guerre froide, alors que tout était permis à certaines puissances afin d’étendre leur influence. «Les Khmers rouges en fu-
rent le parfait exemple, dit-il, tantôt condamnés puis supportés par l’Ouest.» La poudrière des Balkans Alors que le monde a cru que paix et démocratie marqueraient la suite de l’humanité, d’horribles conflits interethniques ont éclaté dans les Balkans, provoqués selon M. Akhavan par des «pyromanes» comme Milosevic. Il a récapitulé les événements et a parlé du support européen accordé à Milosevic. Ce n’est qu’en 1993 qu’un tribunal fut mis sur pied, et il n’y avait même pas de procureur! Cela n’était qu’une farce symbolique afin de mettre de la pression sur les belligérants. L’échec d’une telle méthode fut révélé quand le monde découvrit l’horreur du massacre de Srebrenica, en 1995. Alors déjà présent au TPIY, le conférencier a confié s’être senti «comme s[il] étai[t] au procès de Nuremberg alors que Hitler était encore au pouvoir». En effet, les criminels yougoslaves étaient au pouvoir, inatteignables. Il était alors impensable de pouvoir un jour juger Milosevic. Monsieur Akhavan est revenu par la suite sur l’intervention de l’OTAN, sur les arrestations de nombreux criminels et finalement sur la chute de Milosevic et sa livraison au TPIY. Le futur du droit pénal international? Pour M. Akhavan, l’arrestation et la poursuite de Milosevic marquent un point tournant pour le droit international. Les chefs d’État ne sont désormais plus intouchables, ce qui met fin à cette culture de l’impunité décriée par les internationalistes. Pour lui, sans le TPIY, il n’y aurait pas eu de procès au Rwanda, contre Pinochet, au Sierra Leone, etc. «La mise en accusation d’un chef d’État est symboliquement très importante», explique-t-il. Finalement, le conférencier ne s’est pas vraiment penché sur le futur du TPIY, sinon pour insister sur le fait que Milosevic ne personnifiait pas le procès, qu’il n’était pas le seul responsable et que Nuremberg s’était bien fait sans Hitler. x
Arts&Culture
xle délit | 28 mars 2006 www.delitfrancais.com
Ludiques platitudes Parfois, l’histoire se manifeste bien au-delà des manuels scolaires. La division des livres rares de l’Université McGill exhibe des caricatures consacrées à la gourmandise et à la gloire d’un célèbre empereur français. arts visuels LA MODERNITÉ ET SES PLATITUDES Hall de la bibliothèque McLennan Jusqu’au 31 mai
Mathieu Ménard Le Délit
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lus Napoléon Bonaparte devenait menaçant, plus il devenait petit. On apprend cette amusante contradiction en passant à l’entrée de la bibliothèque McLennan, où se trouve actuellement une petite exposition. Consacrée à l’évolution de la caricature en Europe entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle, elle attire l’attention avec son titre cabotin: La Modernité et ses platitudes. Cette exposition, présentée depuis le premier mars, est une collaboration entre le département d’Histoire de l’art de l’Université de Montréal et la division des livres rares de l’Université McGill. Conséquemment, la majorité des textes explicatifs s’adresse à un public francophile. Bien que Napoléon occupe une place importante dans les pièces présentées, la perspective adoptée est strictement anglaise: ce sont les illustrations du caricaturiste James Gillray et de ses comparses qui sont à l’ordre du jour. Bien que certaines caricatures soient plus que bicentenaires, elles n’ont rien à envier à celles que l’on trouve dans les quotidiens d’aujourd’hui. Les personnages prennent vie grâce à une ligne expressive, grouillante
et fluide. Sur certaines impressions, un usage de la couleur simplement exquis ajoute au charme. Par ailleurs, certaines illustrations plus élaborées (dont un pastiche du sacre de Napoléon) déploient habilement des effets de lumière. Dans un même ordre d’idées, les caricatures conservent leur côté amusant malgré le sujet historique. D’une illustration à une autre, l’humour zigzague entre le contexte et le geste. Un improbable repas entre l’empereur français et le pouvoir britannique montre ces derniers dégustant un globe terrestre en plum-pudding. Des colonisateurs français se font dévorer par des crocodiles lors d’une expédition en Égypte. Napoléon, pour avoir la grâce d’une statue grecque, se déhanche énergiquement, une moue indescriptible au visage. L’exposition fait remarquer le statut de la caricature comme art mineur, mais depuis cette pratique a acquis ses lettres de noblesse et intégré le monde de la peinture. Il suffit de penser aux personnages grotesques de Manuel Ocampo, un incontournable de l’art contemporain. Chez nos voisins du sud, une galerie new-yorkaise présentait en 2004 une peinture de Chris Savido, Bush Monkeys, où le visage du président américain était constitué de singes nageant dans un marais. En raison de menaces d’actions judiciaires, l’exposition fut prestement censurée. Comme quoi peu importe l’époque, la caricature traduit habilement la pression politique, mais risque toujours de subir la pression du pouvoir. x
Un titre cabotin pour une exposition sympathique. Mathieu Ménard
Un plum-pudding terrestre pour le pouvoir européen.
Napoléon en contrapposto; un déhanchement impossible pour apprendre la grâce.
Mathieu Ménard
Mathieu Ménard
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délit | 28 mars 2006 12 xle www.delitfrancais.com
Arts&Culture
Nuit de la philosophie, une introduction
Cette fin de semaine s’est déroulée la deuxième édition de La Nuit de la philosophie à l’UQÀM.
institutionnel à laquelle elle est trop souvent liée que la Nuit veut promouvoir la philosophie «dans toutes ses dimensions». La première question qui s’est posée aux visiteurs, c’est le choix étourdissant de décider à quelles activités assister, chose peu évidente lorsqu’il peut y en avoir plus de quinze en même temps.
événement
Philosophie et logique J’ai assisté à quelques conférences, dont une sur la philosophie et la logique de I. Deschamps, S. Robert, D. Roussin et J.P. Villaggi, où l’exercice consistait à démontrer aux non-initiés comment, de un, l’implantation d’une logique du droit pourrait à la fois dénoncer les contradictions de notre système juridique et contraindre les avocats à la non-rhétorique, de deux, d’appliquerune nouvelle logique quantique (ce qui fut fait assez paurement). Dans les deux cas, le but était de démontrer comment la logique formelle, logique modale dans le premier cas et logique quantique dans le second (une sorte de logique bivalente, en d’autres mots, dans laquelle le principe de A ou non-A pour une proposition quelconque ne tient pas), peut, sans rien y ajouter, clarifier le contenu d’un système pour que le langage cesse de devenir barrière à son développement ou un moyen de contourner ses contraintes pour des fins quelconques.
Jacques Cormier et Agnès Beaudry Le Délit
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’est à deux pas de la station de métro Berri-UQÀM que s’est déroulée la seconde et annuelle Nuit de la philosophie, un événement offrant gratuitement au public plus d’une centaine d’activités touchant à cette discipline. Dès dix heures samedi matin, on a pu assister à une panoplie d’activités se déroulant à l’Université du Québec à Montréal qui se sont poursuivies jusqu’au lendemain. Après le succès de l’année dernière, les organisateurs de la Nuit ont répété l’expérience, toujours dans le but de rassembler la communauté philosophique québécoise et de permettre à un public qui ne s’y connaît peut-être pas autant d’apprendre ce qu’est la philosophie. Se voulant une sorte d’agora moderne, c’est en démocratisant la philo, et en la séparant du milieu
Neurobiologie et philosophie Deux présentations réussies tenant à démontrer aux philosophes l’utilité d’une connaissance de la machine de l’esprit, le cerveau, intitulées «De quelques concepts neurologiques utiles pour les philosophes» de B. Dubuc et «Le Problème de la catégorisation et les théories de l’esprit» de Robert Proulx, doyen de la faculté des Sciences humaines de l’UQÀM, réussirent à se glisser dans l’horaire de la Nuit. Le premier, un simple exposé de vulgarisation scientifique, qui pourtant a semblé en surprendre plusieurs, a survolé la topologie du cerveau avec un tantinet d’humour. Le tout se résume à ceci : avant de faire de la philosophie de l’esprit, de théoriser sur la catégorisation ou peu importe, le philosophe devrait jeter un coup d’oeil à la massive publication dans le domaine des sciences cognitives, qui l’a dépassé depuis au moins vingt-cinq ans, sans que les philosophes s’en rendent compte. L’exposé de Proulx, quant à lui, était justement une approche scientifique au problème classique de la catégorisation, (le problème qui adresse le mystère de la capacité humaine à créer des catégories au-delà du particulier). Le laboratoire de Proulx a développé un modèle de réseaux de neurones qui simule avec grande plausibilité le développement d’une catégorie (image que l’on se fait d’un objet, qui nous permet de
classifier ceux-ci), le tout prenant plusieurs spectateurs au dépourvu, spectateurs habitués à la rhétorique philosophique classique en philosophie de l’esprit. Mais l’extase était unanime lorsque Proulx, offrant une solution au problème de surdéveloppement de l’image que crée la machine, a annoncé qu’il suffisait de la faire dormir, celle-ci se mettant à rêver aux lettres qu’elle avait catégorisées. En plus de l’académique? Délégations des universités locales en compétition dans une sorte de génie en herbe philosophique, exposition de dessins et mots croisés philosophiques qui excédaient de loin mes modestes compétences en matière croisée. Après la foule d’activités, ce fut à sept heures dimanche matin qu’une adaptation théâtrale du Banquet de Platon vint clore l’affaire. Vêtu de toges et de sandales, un petit groupe de comédiens représenta ce dialogue socratique devant un public intime de courageux ayant résisté au sommeil, auquel se joignait un petit nombre de gens bien reposés qui venaient d’arriver. Réunis avec tous ces gens au tour du déjeuner qu’on nous a servi, j’ai compris que la philosophie n’était pas seulement le nébuleux exercice académique dont je me réclame, mais un outil puissant à la porté de tout le monde et qu’elle doit être partagée, encouragée, discutée et célébrée. Ces actions, la Nuit de la philosophie les incarne parfaitement, et c’est pour cela qu’elle réussit si bien. x
Toute la nuit à penser Survol de la deuxième édition de la nuit de la philosophie. événement Benoît Auclair Le Délit
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a nuit de la philosophie à l’UQÀM a eu lieu cette fin de semaine. Au programme: 90 conférenciers et 375 heures d’ateliers sur vingt-quatre heures. Autant de raisons de ne pas manquer la prochaine édition. Les Simpsons Cet atelier est sans doute celui qui a soulevé le plus d’étonnement quant à son contenu et a conséquemment fait salle comble. Très populaire, l’émission promettait d’amuser et de faire réfléchir ses auditeurs sur un sujet banal; elle a rempli ses promesses. M. Kennedy, étudiant au doctorat en philosophie, inspiré du recueil d’essais The Simpsons and Philosophy, a caractérisé les personnages et les thèmes abordés dans l’émission suivant diverses conceptions philosophiques: Marge incarne «l’éthique aristotélicienne, l’équilibre entre spécificité de caractère et raison pratique», certains épisodes reproduisent les mythes platoniciens, comme Ned et la dévotion aveugle, et Springfield, un lieu où
la politique est corrompue et la religion fait partie intégrante de la vie des gens. Christopher, étudiant libre à l’UQÀM, a particulièrement apprécié «le clin d’œil fait entre les conceptions philosophiques à travers le temps appliquées à des personnages que l’on croit vides de sens.» Liberté informatique, anticapitalisme et cinéma Mais ce n’étaient pas les seuls ateliers. Selon ses goûts, le badaud pouvait aller voir une conférence sur les logiciels libres comme Linux, décrits comme «nouvelles formes de création». Pour M. Blum, ces logiciels sont «gratuits, distribuables à travers la communauté, même au niveau de l’encodage, c’est-à-dire modifiables et améliorables par les individus». Dans une veine semblable, M. Petit et son «Pourquoi suis-je anti-capitaliste?» a exposé «l’irrationalité et l’anti-humanisme d’un système voué à l’accumulation d’argent sous toutes conditions», ses failles et les alternatives telles que «l’économie participative». Frédéric Legris, étudiant à la maîtrise en philosophie en stage au cégep de St-Jérôme, était fier de présenter la création de trois de ses étudiants qui ont relevé le défi de faire de la caverne de Platon un court métrage version moderne. «Trippant!», commentent les trois étudiants en technique de multimédia.
Toute la nuit, les conférences philosophiques se sont succèdées à l’UQAM. gracieusté Nuit de la philosophie
Aux petites heures du matin: pataphysique et musique C’est vers deux heures du matin que les survivants se sont faits servir ce qu’un auditeur a appelé «un vrai délice de l’absurde»: la pataphysique. Science fondée par Alfred Jarry au début du XXe siècle, elle se veut un contrepoids au «sérieux» des courants positivistes et naturalistes alors en vogue et s’inscrit dans la veine du symbolisme – bien que l’œuvre soit totalement unique en son genre, insiste le conférencier M. Ouimet, étudiant à la maîtrise en histoire. «Alfred Jarry, un homme bien au courant des découvertes de son époque, s’est approprié une panoplie de termes scientifiques en les modifiant et les adaptant à sa théorie de la «gidouille»», raconte-t-il aux participants fatigués et rieurs.
«Jarry est l’exemple type de l’art pour l’art, son œuvre ayant été posthume car trop déconnectée de sa société, il l’a poursuivie tout de même et a vécu dans la misère.» Encore plus tard, M. Hébert, accompagné du groupe de hip-hop de MontréalNord La Meute, a situé cette culture comme la suite logique de la théorie de la postmodernité de David Harvey. C’est vers quatre heures du matin que s’est amorcé un spectacle style jazz, selon l’extrait auquel Le Délit aura assisté, de Masse Poésie et invités. Le concert s’est poursuivi jusqu’au matin, alors que ceux qui avaient relevé le défi en entier pouvaient prendre part à un Banquet de Platon, mis en scène autour d’un déjeuner convivial. x
Arts&Culture
L’infini dans les yeux… Avoir l’infini dans les yeux, rêver sa vie à travers des billes de verre… Voilà ce que les personnages du roman Les Châteaux de la colère tentent d’accomplir. Entrevue avec une directrice artistique qui voit aussi loin qu’à l’infini. théâtre LES CHÂTEAUX DE LA COLÈRE Salle Fred-Barry, 4353 Sainte-Catherine Est Du 4 au 22 avril Émilie Beauchamp Le Délit
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ès le début, ça surprend. Du Baricco au théâtre, soit, avec sa pièce Noveccento: pianiste. Mais adapter un roman tel que Les Châteaux de la colère… eh bien ça promet. Les Châteaux de la colère est peuplé de personnages irréels et un peu fous, avec des projets aussi extravagants que celui de construire un train qui ne va qu’en ligne droite, ou encore de construire un immeuble seulement de verre. Chacun tente de trouver prospérité ou sinon, un peu de sérénité seulement, et tous regardent au loin avec l’infini dans les yeux. Particulier en son genre, Baricco utilise un style littéraire très musical et rythmé qui, a priori, semble plutôt difficile à adapter sur scène. Geneviève L. Blais, directrice artistique de la compagnie de théâtre À corps perdus commente ce choix audacieux: «C’est tout d’abord pour le thème, pour l’espoir que donne ce roman. C’est un éloge à la beauté de la vie mais aussi à sa fragilité, avec toujours le même but de ne pas se limiter à ce que l’on voit et d’aller toujours plus loin
à la recherche de nouvelles choses.» Ce n’est pas tout, car il faut reconnaître que l’inusité du style de Baricco et le genre expérimental de la troupe d’À corps perdus se ressemblent et se complètent plutôt bien. Tout d’abord, l’on se doit d’expliquer un peu cette compagnie originale et singulière: «Nous avons pour mission primordiale de toucher et de conscientiser le public sur l’art du théâtre, non seulement de divertir l’auditoire.» Ce que Mme Blais veut dire, c’est que la troupe À corps perdus tente de rejoindre le public et de leur apprendre à communiquer à travers le théâtre. Comment font-ils? «À travers l’utilisation de plusieurs médiums, comme le chant, la danse. C’est aussi en utilisant des évocations simples dans nos pièces pour ne pas imposer d’image aux spectateurs, pour que chacun puisse bâtir une image intérieure de ce qu’il voit et puisse participer à sa façon dans l’imaginaire de la présentation.» En effet, nous pourrons apprécier le talent musical des huit comédiens qui peupleront l’adaptation du roman sur scène, une équipe plutôt large pour ce qui sera la troisième présentation de la troupe mais qui illustre à merveille la diversité et la complexité de l’œuvre. La mission de la compagnie À corps perdu ne s’arrête pas qu’à la présentation de morceaux théâtraux. Il y a aussi les ateliers. En effet, l’objectif d’établir un contact avec le public a mené la troupe à offrir des ateliers disponibles pour groupes scolaires du secondaire ou du cégep. Que fait-on à ses séances? «On apprend beaucoup à se servir du travail corporel et non seulement de paroles pour transmettre ses messages et s’exprimer. Aussi, on travaille souvent en lieu non traditionnel, pour tenter de faire surgir le théâtre là ou l’on ne le voit pas habituellement.» C’est avec l’idée de transmettre sa merveilleuse passion pour le théâtre, la danse et le chant que Geneviève L. Blais a décidé de former la compagnie de théâtre À corps perdu. Avec la collaboration de Nadine Desrochers, Fruzina Lanyi et Romain Fabre, elle signe aujourd’hui la mise en scène de cette histoire incroyable qui nous fait croire aux rêves les plus fous. x Pour plus d’information: www.acorpsperdus.com ou (514) 253-8974.
Geneviève L. Blais: fondatrice d’À corps perdu qui présentera Les Châteaux de la colère prochainement. Éric Olivier Lacroix
xle délit | 28 mars 2006 www.delitfrancais.com
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L’aventure du vin Flora Lê
Les paradis des vins blancs: la vallée de la Loire
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e beau temps revenu, vous vous surprendrez peut-être à vouloir boire plus souvent du vin blanc que du rouge. En effet, le vin blanc visite moins souvent nos tables, et pourtant, on se prive ainsi de mariages alléchants avec les mets estivaux. Pour les assiettes de fromages, les grillades de fruits de mer et les poissons blancs, les pâtes à la crème, et même le porc en sauce légère et le poulet en escalope, le vin blanc devrait plus souvent accompagner nos soupers. Nous avons déjà parlé des chablis de Bourgogne, de quelques blancs de Bordeaux, des champagnes, mais sans véritablement s’attarder sur ces vins. Voici une région française où le vin blanc est roi, et que vous gagnerez à découvrir. Note sur les vins de chardonnay Depuis les magnifiques chablis de Bordeaux, tout le monde vinicole s’est mis à produire des vins de chardonnay qui imitent leur style. C’est actuellement le cépage le plus en vogue, que l’on retrouve dans presque toutes les régions viticoles du monde, de la Californie à la Nouvelle-Zélande, en passant par l’Italie, le Chili, le Canada et l’Afrique du Sud, etc. Il plaît aux viticulteurs parce que, vigoureux, robuste et productif, il se cultive facilement; il plaît aux viniculteurs parce que, très souple, il est presque impossible d’en tirer un mauvais vin, en plus de donner des résultats surprenants dans les climats plus chauds (en Australie et en Californie notamment). Enfin, il fait la joie des consommateurs parce qu’on peut le boire jeune, il est plein, souple, fruité; il n’est jamais acide ni anguleux. Plaisant et jamais abrupt, c’est le vin qui ne vous fera pas de mauvaises surprises et qui se marie le plus facilement avec les mets d’été. La Vallée de la Loire Mais justement. Peut-être êtes-vous lassés des vins de chardonnay, qui pullulent sur les tablettes et qui se déclinent sur une même note. Alors jetez-vous sur les vins blancs de la Loire, qui sont tellement différents d’une région à l’autre. Deux cépages lui donnent son visage : le sauvignon blanc et le chenin blanc. C’est en Vouvray, dans la région de Touraine, que les vins de chenin blanc sont dignes d’intérêts: ils sont de trois styles, sec, moelleux ou effervescent. Les moelleux, comme le veut la tradition dans la Loire, ne sont produits que dans les bonnes années. Le Vouvray est tantôt sec et léger, ou puissant et corsé, et tantôt moelleux et parfumé, voire liquoreux quand la pourriture noble s’en mêle. Le sauvignon blanc produit des vins pour notre époque : blancs, secs, nerveux, désaltérants, aisément reconnaissables et prêts à boire en un clin d’œil. Mais ce cépage n’a pas prouvé qu’il soit capable d’engendrer seul des vins pouvant vieillir, ce qui ne le classe pas au palmarès des grands vins. Le sauvignon blanc est donc très acide, avec une structure de légère à moyenne. C’est au centre de la vallée de la Loire que vous trouverez les meilleurs vins de sauvignon blanc, dont les deux grandes vedettes sont le Sancerre et le Pouilly-Fumé. Le sauvignon blanc permet d’y produire des vins blancs secs très vivaces offrant des arômes d’épices et d’herbes. Il accompagnera à merveille tous vos plats assaisonnés d’herbes (basilic, aneth) ou de légumes verts (épinards, asperges, rapinis). Le Sancerre quant à lui est plus léger, plus sec et le plus nerveux. Le Pouilly-Fumé est légèrement plus épais et moins épicé que le Sancerre, et peut délivrer des arômes surprenants de pierre à fusil et de minéraux. Réservez-le pour les mets très simples, loin des sauces cocktail et du beurre à l’ail, comme les fruits de mer frais bouillis ou grillés. Humm… Vivement le printemps! La semaine prochaine : l’Alsace, à la frontière de la France. Questions et commentaires? flora.le@mail.mcgill.ca
délit | 28 mars 2006 14 xle www.delitfrancais.com
Arts&Culture
Allons tous à Jérusalem La Petite Jérusalem offre plusieurs regards sur la religion et l’amour. cinéma David Pufahl Le Délit
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fin de justifier leur existence, beaucoup de gens se tournent vers la religion. Certains y trouvent un équilibre dans leur vie et d’autres s’y investissent tellement que le reste n’est plus important pour eux. Il faut aussi éviter de tomber du côté opposé du spectre et d’ignorer consciemment ce qu’elle a à nous offrir. Ce dilemme est le thème principal du film français La Petite Jérusalem, écrit et réalisé par Karin Albou. Bien que le scénario s’éparpille par moments, son propos est exprimé avec une belle sensibilité avec l’aide des acteurs qui y plongent tête première. Le titre du film fait référence à un quartier juif orthodoxe situé à Sarcelles, une ville en banlieue de Paris. Là-bas, deux sœurs font face à différentes épreuves et en ressortiront épanouies. Laura (Fanny Valette), une étudiante en philosophie âgée de dix-huit ans, se met à rejeter les traditions de sa religion et en vient même à adopter une marche quotidienne comme le faisait Kant. Elle rencontre Djamel (Hedi Tillette de Clermont-Tonnerre), un musulman qui lui fera découvrir les joies et les peines associées à l’amour. De son côté, Mathilde (Elsa Zylberstein) est une épouse dévouée qui est trop pieuse au goût de Laura. Quand Mathilde découvrira que son mari (Bruno Todeschini) la trompe, cela l’amènera à reconsidérer la manière dont elle mène sa vie. La réalisation de Karin Albou n’apporte rien d’exceptionnel. Il ne s’agit pas d’un exercice de style flamboyant destiné à nous éblouir. Heureusement, le pro-
pos du film ne nécessite pas ce genre de moyens. En fait, on est soulagé que la réalisatrice ait opté pour une mise en scène économique. De cette façon, le spectateur peut se concentrer sur l’histoire, qui mérite d’être présentée en avant-plan. Bien que les deux intrigues parlent principalement d’amour et de religion, d’autres sujets sont invoqués dans le scénario. Par exemple, le phénomène de l’immigration y prend une petite place. Étant donné que la plupart des habitants de ce quartier viennent originellement d’Afrique, on ne pouvait éviter ce sujet. Heureusement, il est traité avec sobriété et sérieux, sans qu’il occupe toute la place. Le scénario voulait parler de religion et d’amour et bien qu’il parle aussi d’autres choses, il est évident qu’il s’agit de ses premières préoccupations. Ainsi, il ne faut pas trop lire entre les lignes de l’intrigue. Dans un film de ce genre, les acteurs sont très importants. Ils doivent passer à travers toute une gamme d’émotions tout en restant crédibles. La vedette de l’intrigue principale, Fanny Valette, nous fait vivre toutes ses émotions avec elle, malgré son jeune âge. En effet, elle a pratiquement le même âge que son personnage. D’ailleurs, elle a été nominée dans la catégorie du meilleur espoir féminin à la dernière cérémonie des Césars et elle l’a bien mérité. Il faudra la surveiller dans les années à venir. D’un autre côté, Elsa Zylberstein a aussi son mot à dire. Elle joue son personnage d’épouse pieuse avec tellement de facilité qu’on croirait qu’elle est toujours comme cela. Vu que je ne l’ai jamais vue ailleurs, je suis prêt à faire cette supposition. Si ce film a réussi à prouver une chose, c’est que la religion peut prendre une place importante dans notre vie, sans qu’elle ait à nous étouffer. On n’a qu’à regarder Laura pour comprendre que la religion peut n’être qu’une suite de points de repères dans nos vies. Laura abandonne ses points de repère venant du judaïsme pour se réfugier dans ceux de la philosophie. Cette leçon et la belle performance des actrices nous incitent à admirer ce premier essai de Karin Albou. x
Laura (Fanny Valette) nous fait vivre toutes ses émotions. gracieuseté Pyramide Films
L’enfer est-il encore présent? Le dernier film de Danis Tanovic se révèle un bon drame psychologique. cinéma Laurence Martin Le Délit
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L’Enfer: la performance magnifique de trois grandes actrices. vignettes gracieuseté cinebel.be
éprimé? S’abstenir. Le dernier film du réalisateur d’origine bosniaque Danis Tanovic, L’Enfer, ne vous remontra certainement pas le moral. Inspiré de la trilogie Paradis, Enfer, Purgatoire de Krzysztof Kieslowski et Krzysztof Piesiewicz, ce drame psychologique propose une réflexion intéressante sur l’enfer incurable qui peut envoûter des gens. En 1980, à Paris, un homme est libéré de prison. Lorsque sa femme refuse de le laisser entrer chez lui, une violente dispute éclate, laissant celle-ci handicapée à vie. Les trois enfants, Sophie, Céline et Anne, assistent à la scène pétrifiés. Vingt-cinq ans plus tard, chacune d’entre elles vit de son côté. Sophie, mariée et mère de deux enfants, se
rend compte que son mari la trompe. Anne se retrouve au cœur d’une relation passionnelle avec son professeur de la Sorbonne, déjà marié. Céline, célibataire, est la seule qui rend régulièrement visite à sa mère. Un jour, un jeune homme, Sébastien, fait une révélation choc à Céline sur son enfance qui va permettre aux trois sœurs de se rapprocher à nouveau. L’Enfer débute lentement, peut-être un peu trop même. Le réalisateur met peu à peu ses personnages en place, mais avec un certain manque de rythme. On aurait dit qu’il voulait trop prendre son temps. Résultat: le spectateur, pendant les premières trente minutes, se demande ce qu’il fait dans cette salle de cinéma. Et puis, on embarque, inconsciemment peut-être, dans l’enfer de tous ces gens. L’interprétation remarquable des actrices y est sans doute pour quelque chose. Emmanuelle Béart (Sophie) insère dans son jeu une touche de folie bien à elle, pour montrer le désarroi de la femme trompée par son mari. Marie Gillain (Anne) est quant à elle fabuleuse dans le rôle de l’étudiante follement éprise de son professeur à la Sorbonne. Lorsque celui-ci avoue qu’il ne veut plus la voir, elle réussit fort bien à exprimer
tout le désespoir et l’obsession d’une femme qui serait prête à n’importe quoi pour être aimée en retour. Karin Viard (Céline) est pour sa part très sincère en adulte réservée et torturée. Carole Bouquet est enfin très crédible dans le rôle d’une mère complètement achevée et vieillie – les cheveux gris font leur effet, il va s’en dire! – par son passé. La force du film est d’ailleurs justement de faire ressentir au spectateur l’enfer que ces femmes vivent et traînent depuis leur enfance. De par le magnifique jeu des actrices, le choix très approprié de la musique et la belle réalisation, on sent très rapidement tout le poids qui pèse sur elles. Danis Tanovic nous montre extraordinairement, en ce sens, à quel point un évènement traumatisant de l’enfance peut perturber des femmes qui se retrouvent sans repères. Cela se ressent d’ailleurs dans leurs relations avec les hommes. Là est d’ailleurs tout l’art du film. Montrer comment l’enfer reste au fond de soi, tous les jours, sans que l’on ne soit capable de s’en débarrasser. Un film à voir. Non par un vendredi soir après une journée d’examens, mais plutôt pour admirer les performances de trois grandes actrices qui expriment très bien à l’écran l’enfer qu’elles vivent. x
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xle délit | 28 mars 2006 www.delitfrancais.com
Triplet pour un deux cent cinquantième Trois œuvres de Mozart au programme de l’OSM. musique Jean-Philippe Dallaire Le Délit
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ozart était au programme de l’Orchestre symphonique de Montréal les 21 et 22 mars derniers dans le cadre des festivités entourant le 250e anniversaire de sa mort. Le chef d’orchestre Hartmut Haenchen a offert une performance correcte, mais sans éclat. Rien à voir avec le pianiste Benedetto Lupo, qui a quant à lui franchement gagné la faveur du public. La 34e symphonie Originaire de Dresde, en Allemagne, Hartmut Haenchen a été le chef principal de l’Orchestre philharmonique des Pays-Bas de sa naissance, en 1986, à 2002. Il a également été directeur musical de l’Opéra néerlandais d’Amsterdam de 1986 à 1999. Sous sa direction, les deux institutions jouissaient d’une renommée enviable. Spécialiste de la musique de la période classique, l’homme de soixante-trois ans était appelé à remplacer Frans Brüggen pour diriger les symphonies numéros 34 et 40 de Mozart. Cependant, ni son expérience, ni sa haute stature n’ont pu aider le chef d’orchestre à offrir une performance intéressante. L’interprétation de la symphonie numéro 34 laissait franchement à désirer, de nombreux passages se révélant plutôt sans intérêt et endormants. La fluidité de l’ensemble était constamment brisée par des ralentissements ou accélérations, ce qui en supprimait tout caractère enlevant. Le 18e concerto pour piano et orchestre Vint heureusement le pianiste ita-
Benedetto Lupo sauve la soirée. gracieuseté Orchestre symphonique de Montréal
lien Benedetto Lupo. Gagnant d’une médaille de bronze à la Compétition internationale de piano Van Cliburn en 1989 et du prix Terence Judd International en 1992, Lupo effectue plusieurs représentations par année en Amérique du Nord, en Amérique du Sud et en Europe. À sa troisième collaboration avec l’OSM, l’homme a été chaudement applaudi par le public pour son interprétation du concerto pour piano et orchestre numéro 18, revenant sur scène à trois reprises. Les cadences en solo ont permis au pianiste de démontrer ses capacités et au public de se rasseoir droit sur ses chaises. La quarantième symphonie Cette performance aura probablement convaincu certains spectateurs de rester après l’entracte afin de donner une nouvelle chance à Haenchen pour la 40e symphonie. Si cette deuxième partie s’est avérée beaucoup plus agréable à l’oreille que la première, le chef d’orchestre semblait tout aussi heureux d’avoir devant lui des partitions auxquelles il sentait constamment le besoin de se référer. Malgré quelques erreurs et baisses de tension plutôt agaçantes, l’ensemble était tout de même beaucoup plus grandiose. De loin la symphonie la plus jouée de Mozart, la 40e a été composée à l’été 1788. Ponctuée de passages sombres, elle développe à la fois la spiritualité, le tragique et l’angoisse. La finale, reprenant avec plus d’ardeur les arpèges du premier mouvement, révèle toute la fureur d’une composition pourtant assimilée il y a un siècle à une œuvre au charme galant. Une colère qui, paradoxalement, n’habitera pas le spectateur à la fin de cette seconde partie, heureux qu’il est de ne pas s’être trompé et d’être resté. x
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Une sériecalendrierculturel d’événementscalendrierculturel en français intiturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calentulée «Attendre n’est pas un jeu d’enfant: Les ca/architecture/lectures. drierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculPierre Jumeau, uncalendrierculturel acteur important de obstacles à lacalendrierculturel réunification calendrierculturel familiale» propose turel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calenl’histoire des médias canadiens, parlera des plusieurs calendrierculturel présentations, performances tables drierculturel calendriercultureletcalendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculd’informationscalendrierculturel liées au thème de la réunificathèmes qui tournent autour de la politique de turel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calention familiale le mardi 4 avril de 17h30 à 19h30 diffusion et de communication du Canada. drierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculL’événement, présenté par la Beaverbrook Chair à l’Atrium et àcalendrierculturel la Chambre 101 du McGill New turel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calenChancellor Day Hall (3644 rue Peel). 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Pour plus d’information: (514)calendrier398culturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calentement decalendrierculturel Langue et Littérature française et le 6060.calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel drierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculMcGill Institute for the Study of Canada. 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L’entrée est graintitulée «Architecture Landscape» dans le par lacalendrierculturel drierculturel calendrierculturel as calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendriercultuite. Pour plus d’information: (514) 457-7795. cadre de sa Winter Lectures Series. Cette conféturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrierculturel calendrier-
kulturkalender
Les rêveries du lecteur solitaire Pierre-Olivier Brodeur «CE LIVRE RACONTE l’histoire de…» Voilà une des formules les plus banales pour commenter un livre, et une des plus inutiles. Les histoires se suivent et se ressemblent et ce qui compte vraiment dans un œuvre narrative (que ce soit un livre, une pièce de théâtre ou un film), c’est la manière dont on raconte. Si au cinéma cela se traduit par l’agencement des scènes et de la trame sonore, par les plans cinématographiques et le jeu des acteurs, en littérature cela passe par la voix narrative. La voix qui est la signature d’un auteur, sa manière à lui de s’exprimer, de construire ses phrases et son univers, cet indéfinissable qui le distingue de tous les autres, qui nous permet à la lecture d’un paragraphe de reconnaître son créateur, singulier dans la multitude. Elle choque, comme celle désespérée et violente d’Hubert Aquin, ou berce, comme celle de Jacques Brault. Ou, de plus en plus souvent, elle disparaît, comme celle de la littérature québécoise. Car pour aller chercher le plus vaste public possible, cette dernière s’homogénéise et s’aplanit, fait taire sa voix. Dans ce monde qui a peur de brusquer, j’ai trouvé une voix qui hurle sans crainte, qui frappe, comme flex-o-flex, «là où ça fait mal». Ça va aller (Éditions Leméac, 2002), signé Catherine Mavrikakis, est un baume sur le cœur de tous les amoureux de la littérature. Parmi les viandes réfrigérées, les putains de folles, les dimanches sur le bord d’une piscine (Gil Courtemanche, ce n’était pas mauvais, simplement sans aucun intérêt littéraire; le film sera meilleur) et les arrière-goûts de bonheur (n’en déplaise aux
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chroniqueurs du Voir et aux «consommateurs de culture» auxquels ils s’adressent), voilà un roman qui réconcilie avec la littérature québécoise. Le ton de Mavrikakis choque, c’est un cri de rage contre les auteurs médiocres et populaires du Québec, contre ce Québec même: «On ne peut qu’haïr le Québec, le détester pour sa petitesse, ses ratages, sa morosité, sa frilosité face à tout engagement, sa lâcheté, ses Robert Laflamme [archétype de l’écrivain populaire et populiste]…» Évidemment, ce genre de jugements, qui foisonnent dans Ça va aller, n’est pas à prendre au premier niveau. C’est une claque à la figure d’un peuple qui se complaît dans des non-échecs. La plus grande réussite du peuple québécois: ne pas avoir été assimilé. Catherine Mavrikakis revendique dans ce roman le droit de crier, d’avoir une voix propre et sauvage, mais également le droit à la culture. Les références intertextuelles pullulent (ce qui n’est guère surprenant de la part d’un professeur universitaire), mais sont constructives. On y sent une conscience aigue des enjeux poétiques et formels du roman, un besoin de se positionner dans le champ littéraire. Cette conscience trouve des échos dans la matière même du roman, dans l’importance accordée à l’écriture et à la réflexion sur la fiction, sans pour autant tomber dans le cliché du «livre sur un gars qui écrit un livre». De toutes façons, Proust l’a déjà fait bien avant qu’on ait l’idée de donner un Goncourt pour ça. Malheureusement, ce livre restera sans doute cantonné a jamais dans les petits succès de librairie, victime de sa force et de son intelligence dans un monde où simplicité et facilité sont devenus synonymes de qualité. Faites entendre votre voix dans le Cahier Création! Date de tombée: 31 mars à creation@delitfrancais. com.
délit | 28 mars 2006 16 xle www.delitfrancais.com
Arts&Culture
nous sommes les ac/dc du cd/bd prise 2 PIERRE LAPOINTE La Forêt des mal-aimés
L
e nouvel album de Pierre Lapointe, dont la sortie était très attendue après le succès de son premier album (90 000 exemplaires vendus), est disponible depuis le 21 mars. Dès sa sortie, la critique est unanimement dithyrambique, et pour cause. La Forêt des mal-aimés est un album tout à fait réussi. Pierre Lapointe innove musicalement en nous offrant des rythmes pops joués par un riche ensemble musical (guitares, basses, piano, clavecin, violoncelle, violons, contrebasse, synthétiseurs,batterie, clarinette,etc.). Guitares et violons se marient et confèrent une profondeur nouvelle à cet artiste. Ils assurent également l’homogénéité de l’univers sonore de La Forêt des malaimés, album néanmoins éclectique par les sentiments sur lesquels il joue. Alors que «Deux par deux rassemblés», la deuxième chanson, est très dynamique avec ses rythmes d’inspiration disco (qui se retrouvent d’ailleurs plus loin sur l’album dans «Qu’en est-il de la chance?»), «Le
Lion imberbe» est beaucoup plus calme et poignante. La chanson titre «La Forêt des mal-aimés» allie ces deux courants de l’album, dynamisme et lyrisme, tout comme «Nous n’irons pas», dont le minimalisme instrumental surprend dans ce riche univers musical. Les deux pièces strictement instrumentale, «25-1-14-14» et «25-1-14-14.16», mettent en relief les talents de compositeur de Pierre Lapointe. Il nous offre également des paroles poétiques, remplies d’images frappantes: «Je suis le lion imberbe / La biche empoisonnée, […] / Dans un nuage de pleurs / De vagues ambiguïtés / Pour boire, vite venez / À ma source gardée» («Le Lion imberbe»). Plusieurs critiques ont déjà déclaré que cet album deviendra vite un classique de la chanson québécoise. Je n’irais pas aussi loin qu’eux, mais une chose est certaine: cet album magnifique montre l’évolution d’un artiste encore jeune qui, sans renier son style, a su le pousser plus loin et l’approfondir de façon très intéressante. (Audiogramme)
Pierre-Olivier Brodeur
DE CONINCK & BORECKI • CULLIFORD & PARTHOENS Histoire de schtoumpfs de Peyo «Salade de schtroumpfs»
L
a télévision a beau me presser d’acheter le «fascicule numéro un de Je collectionne les schtroumpfs pour 2,95$ seulement», Nickelodeon et Paramount ont beau avoir prévu marquer le cinquantenaire des lutins bleus avec un dessin animé grand budget, il n’y a encore rien comme les vrais schtroumpfs, ceux qui ont deux dimensions sur quarantehuit pages couleurs. C’est non sans un certain plaisir que l’on se replonge dans la lecture de l’univers créé par Peyo, qui, certes, est mort en 1992, mais dont le studio a repris la série et bien malin qui pourra faire la différence dans le dessin. Côté scénario, on se retrouve dans les «schtroumpferies à message». Soulignant certaines dérives journalistiques et le problème du jeu pathologique, le studio Peyo avait tenté de s’inscrire dans la lignée des Schtroumpf vert et vert schtroumpf (clivage linguistique et problème communautaire belge), Cosmoschtroumpf (course à l’espace) et autres Schtroumpf financier (qui avait fait le bonheur de ceux qui voient dans le village du
Grand schtroumpf, ce vieux sage au bonnet rouge, une utopie communiste). Le ton est toujours bon enfant et si l’étincelle originale a parfois manqué, le résultat du vingt-quatrième tome demeure plus qu’acceptable. Dans Salade de schtroumpfs, croyant augmenter la taille des légumes qu’il servira, le schtroumpf-cuisinier n’hésite pas à forcer la dose de l’engrais que lui a donné le Grand schtroumpf. Or voilà que les villageois se transforment en légumes (le comble quand on habite dans un champignon!), non sans une pointe d’humour d’ailleurs (il faut voir le schtroumpf à lunettes transformé en petit pois). Si l’on s’en prend d’abord à certains excès de l’industrie agroalimentaire, aux superengrais, aux OGM, aux pesticides («Si c’était dangereux, tu crois vraiment [qu’on] t’aurait donné ces produits?»), d’autres travers bien humains sont soulignés: peur de la contagion et de la différence («était-ce vraiment nécessaire de les enfermer?»/«c’est pour notre protection à tous») sont également au programme dans cette schtroumpfante parabole. Comme quoi être un lutin bleu n’empêche pas de critiquer la vie moderne… (Dupuis).
Laurence Bich-Carrière