Portraits africains pages centrales
Portraits de cinéastes québécois au FNC pages 12-13
La Nuit des sans-abri page 5
Le seul journal francophone de l’Université McGill • Le mardi 21 octobre 2008 — Volume 98 Numéro 6 • Tout le monde le voit venir depuis 1977.
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NOMINATIONS Élections McGIll accepte présentement vos nominations pour les positions suivantes au conseil du FYCC (First Year Committee of Council) :
C’est la semaine du journalisme dès le 10 novembre prochain! Restez aux aguets, on vous prépare plein d’activités...
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Les nominations débuteront le mardi 28 octobre à 9h. Vos suggestions doivent être soumises au plus tard le lundi 10 novembre à 16h. Shatner, salle 405 Téléphone: (514) 398-6474 contact@electionsmcgill.ca
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COMITÉ CONSULTATIF POUR LA SÉLECTION D’UN PROTECTEUR DES STUDENTS Un comité consultatif a été constitué pour la sélection d’un protecteur des étudiants. Ce comité se compose des représentants suivants : Représentants du Sénat :
Représentants du Conseil des Gouverneurs :
Professeur Ian Butler Professeur Jane Everett
Mme Roshi Chadha Mme Sally McDougall
Représentants des étudiants : Andrea Long (AÉÉDTC) Nadya Wilkinson (AÉUM)
Président : Professeur Anthony C. Masi (vice-principal exécutif) Secrétaire : Mme Johanne Pelletier (secrétaire-générale)
L’Université McGill sollicite des candidatures au poste de protecteur des étudiants pour un mandat débutant le 1er janvier 2009. Le protecteur des étudiants a pour principales responsabilités de fournir des services de médiation indépendants, impartiaux et confidentiels de nature à permettre aux étudiants d’obtenir une résolution juste et équitable de tout différend en rapport avec l’Université, dès lors que les moyens administratifs non accusatoires normaux ne sont pas adaptés aux circonstances ou se sont révélés inefficaces. Les candidats doivent faire partie du corps enseignant de l’Université McGill, occuper un poste menant à la permanence, être respectés des étudiants et des autres membres de la communauté de McGill, connaître l’Université, ainsi que ses politiques et procédures. Les candidats doivent de préférence pouvoir s’exprimer aussi bien en anglais qu’en français. Le poste de protecteur des étudiants est un poste à temps partiel assorti d’un mandat de cinq ans non renouvelable, auquel l’Université met à disposition un bureau et un service de secrétariat. Les mises en candidatures ou candidatures seront prises en compte au fur et à mesure de leur réception, jusqu’à ce que le poste soit pourvu. Elles peuvent être adressées par courrier à Mme Johanne Pelletier, secrétaire-générale, Secrétariat de l’Université, Pavillon James de l’administration, 845, rue Sherbrooke Ouest, bureau 313, H3A 2T5 ou par courrier électronique à johanne.pelletier@mcgill.ca. Ces communications sont naturellement strictement confidentielles.
Éditorial
xle délit | 21 octobre 2008 www.delitfrancais.com
Volume 98 Numéro 6
Le grand air de Québec international Maysa Pharès Le Délit La fin de semaine dernière, la ville de Québec accueillait le douzième Sommet de la Francophonie, l’année de l’anniversaire de ses 400 ans. Derrière les propos autocongratulatoires et suaves des premiers ministres et de l’organisateur à la conférence de clôture se dessinait une sacrée dose de frustrations. Du côté des médias d’abord, le chroniqueur Gaby Nasr, du quotidien libanais L’Orient-Le Jour, d’ordinaire mor-
dant, a décrit l’ambiance du sommet sous le titre «Québec entre francophonie et paranoïa sécuritaire» et décrivant les journalistes «reclus comme des pestiférés dans le centre de presse». Voilà de quoi atténuer la peine du Délit après s’être vu refuser le plaisir d’une accréditation de presse. Une raison obscure a en effet voulu que le seul journal d’expression française d’une institution comme McGill n’ait pas passé le filtre de la sélection. Il ne s’en plaindra pas, mais on ne cachera pas que cela nous laisse perplexe.
Nous aurons donc suivi à distance la paranoïa d’un sommet qui, sous ses grands airs, a semble-t-il délaissé sa mission culturelle. Les doutes sur la pertinence de la francophonie ont persisté à travers la presse internationale francophone. Si certains ont vu en ce rassemblement un facteur de promotion de la diversité culturelle et du plurilinguisme, d’autres en sont revenus déçus. «La crise [financière] a éclipsé le Sommet», déplore le Courrier international dans un survol de la presse africaine. Le quotidien burkinabé Sidwaya s’insurge de ce que «le désir québécois d’une réflexion sur le renouveau de la langue française n’a pas été satisfait.» «Sommet de la Francophonie: et le
français dans tout ça ?», demande Ingrid Bazinet de l’AFP. Quant au Devoir, il reproche à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) de laisser la langue française au dernier rang de ses priorités. Cité par l’AFP, l’expert Dominique Wolton a affirmé que l’OIF doit se centrer sur «ce qu’elle sait faire: défendre le français». La francophonie aurait-elle oublié sa mission de défense de la langue française, ou prend-elle une envergure nouvelle à l’échelle internationale? Enfin, la question de la promotion négligée de la langue fran-
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Le seul journal francophone de l’Université McGill
çaise a trouvé un écho peu brillant dans la révélation faite par TVA que les participants étaient accueillis par des officiers ne parlant que l’anglais. À cette nouvelle, l’organisme Impératif français, qui se bat pour promouvoir la langue française et la culture d’expression française, a été jusqu’à déposer une plainte contre la Gendarmerie royale pour avoir délégué des agents unilingues à l’événement. Son président, Jean-Paul Perreault, semble pourtant être parmi les commentateurs les moins cyniques, et nous dit être «réconforté de voir cinquante pays et treize pays observateurs discuter», ajoutant que «c’est une bonne nouvelle pour la promotion de
la diversité culturelle.» Loin d’être obsolète, la francophonie est pour M. Perreault «un modèle culturel intéressant pour résister à l’américanisation et à l’anglicisation.» Quant aux autres sujets qui auraient ou pas éclipsé le discours sur la langue française, cela ne semble pas l’affecter plus que cela. En somme, il n’a pas tort. Que la déclaration de Québec soit un «fourre-tout» ou pas, que l’OIF se donne des grands airs ou pas, c’est sans doute là que se trouve l’absence de pertinence. x
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rédaction 3480 rue McTavish, bureau B•24 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6784 Télécopieur : +1 514 398-8318 Rédactrice en chef rec@delitfrancais.com Maysa Pharès Nouvelles nouvelles@delitfrancais.com Chef de section [Poste vacant] Secrétaire de rédaction Bruno-Olivier Bureau Arts&culture artsculture@delitfrancais.com Chef de section Véronique Samson Secrétaire de rédaction Catherine Côté-Ostiguy Société societe@delitfrancais.com [Poste vacant] Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com Louis Melançon Coordonnateur visuel visuel@delitfrancais.com Vincent Bezault Coordonnatrice de la correction correction@delitfrancais.com Laurence Côté-Fournier Collaboration Rosalie Bélanger-Rioux, Suzie Bouchard, Vanaka Chhem-Kieth, Elena Choquette, Julie Côté, Jimmy Lu, Mathieu Ménard, Philip O’Shaughnessy, Joe Penney, Mathieu Rouy, Julie Roy-Audet, Mai-Anh Tran-Ho. Couverture Joe Penney bureau publicitaire 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6790 Télécopieur : +1 514 398-8318 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Gérance Pierre Bouillon Photocomposition Geneviève Robert The McGill Daily • www.mcgilldaily.com coordinating@mcgilldaily.com Jennifer Markowitz Conseil d’administration de la Société des publications du Daily (SPD) Angel Chen, Jennifer Markowitz, Lawrence Monoson, Drew Nelles [chair@ dailypublications.org], Maysa Pharès, Perrin Valli, Eric van Eyken.
L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.
La Nuit des sans-abri Avortement
Yves Thériault
Sagan
JOURNALISTES, PHOTOGRAPHES, ILLUSTRATEURS, MISE-EN-PAGISTES COLLABOREZ AU DÉLIT! www.delitfrancais.com REC@DELITFRANCAIS.COM redaction@delitfrancais.
Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). Les opinions exprimées dans ces pages ne reflètent pas nécessairement celles de l’Université McGill. L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal. Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec). Le Délit est membre fondateur de la Canadian University Press (CUP) et du Carrefour international de la presse universitaire francophone (CIPUF).
délit | 21 octobre 2008 04 xle www.delitfrancais.com
Controverses
Insolences Un père poursuit son fils en justice pour oisiveté Un jeune homme de vingt ans a été condamné à trente coups de canne et à six mois de prison par une cour islamique du nord du Nigéria. Le père a affirmé au juge que son fils refusait d’écouter ses parents et qu’il ne prenait part à aucune activité productive, comme aller à l’école. En fait, il ne commettait que des actes répréhensibles, faisant partie d’un gang criminel. Le père a terminé son plaidoyer en suppliant d’envoyer son fils en prison afin que lui puisse retrouver sa liberté et que sa famille ne soit plus sous le joug de la honte. Reconnu coupable d’avoir désobéi à ses parents, le jeune homme a subi les trente coups de canne sur place, et a commencé à purger sa peine de six mois en prison. Reuters
John McCain aurait demandé une contribution financière aux Russes Une lettre de quatre pages contenant les positions politiques du candidat ainsi qu’une requête pour une contribution monétaire a été reçue, et rejetée, par le chef de la mission russe de l’ONU. Répondant aux questions concernant cette lettre signée par McCain, un porte-parole de la campagne aurait affirmé ne pas avoir connaissance d’une telle
Délit de faciès Vincent Bezault
lettre, suggérant aussi que la lettre avait potentiellement été envoyée là par erreur. De son côté, la mission russe a déclaré qu’aucun organe officiel de la Russie ne soutenait financièrement des activités politiques en pays étranger. Cyberpresse
Un nouvel aéroport au Kenya pour Obama Plusieurs parlementaires kenyans demandent que l’aéroport de la ville de Kisumu, dans l’ouest du pays, soit agrandi afin d’être capable d’accueillir l’avion présidentiel américain Air Force One. Convaincus que Barack Obama sera élu le 4 novembre prochain, les représentants s’attendent à ce que le nouveau élu souhaite visiter la terre natale de son père, où sa grand-mère demeure toujours. Obama est célébré comme un héros dans cette municipalité, où il n’est allé que trois fois. Des travaux d’agrandissement avaient déjà été mis sur pied, mais accusant un retard, la date de finition a été fixée à l’an 2010. BBC News
Citation de En trois la semaine vitesses «Le MoyenOrient est un endroit différent, et meilleur.» - Condoleezza Rice, secrétaire d’État américain
Lors d’une entrevue à la BBC en arabe durant laquelle on lui demandait d’analyser l’impact qu’auraient les huit ans de l’administration Bush sur le monde, la secrétaire d’État a répondu qu’elle était particulièrement fière de la situation dans laquelle se trouvaient les territoires palestiniens.
De la pizza gratuite? Où ça?
en hausse Les marchés financiers La majorité des indices boursiers nord-américains ont fermé à la hausse ce lundi, à la suite de signes indiquant qu’un nouveau plan de sauvetage pourrait être adopté par le Congrès américain. Le chef de la Réserve fédérale américaine a suggéré que le gouvernement investisse davantage dans l’économie, afin de la stimuler. Le prochain plan devrait contenir des mesures facilitant l’accès au crédit pour les consommateurs et les entreprises, a-t-il précisé. BBC News
au neutre L’effort de guerre en Afghanistan Un militaire haut gradé de l’OTAN a affirmé que les efforts des puissances occidentales en Afghanistan n’étaient pas au point. Soutenant qu’il semblait y avoir un manque de volonté politique, le général américain John Craddock a mentionné que le combat ne pourrait pas se solder uniquement par l’emploi de moyens militaires. Davantage devrait être fait du côté politique afin que la société civile se reconstruise. BBC News
en baisse La campagne McCain
Un sondage Gallup publié ce lundi affirme que l’écart entre McCain et Obama s’intensifie. Mettant de l’avant des chiffres donnant une avance de 11 p. cent au candidat démocrate, soit de 52 p. cent à 41 p. cent, ce sondage s’ajoute à une série d’autres données recueillies donnant une confortable avance au sénateur de l’Illinois. BBC News et Gallup
Nouvelles
xle délit | 21 octobre 2008 www.delitfrancais.com
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Une dix-neuvième nuit dans la rue La Nuit des sans-abri a eu lieu partout au Québec vendredi dernier. national Philip O’Shaughnessy Le Délit
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ette fin de semaine se tenait la dix-neuvième Nuit des sans-abri. Cette soirée festive incluant artistes et mets chauds revient à chaque année en octobre. À travers le Québec, différentes organisations utilisent cette soirée pour faire tomber les préjugés. Plusieurs orateurs se sont rassemblés pour expliquer la réalité des sans-abri et parler en leur nom. L’itinérance chez les femmes, chez les jeunes et chez les autochtones suscite différents défis. Pourtant, tous se rejoignent autour des solutions qu’ils entrevoient pour mettre fin à cette situation. Ainsi, un
des orateurs de la soirée a lancé: «Nous ne sommes pas juste des problèmes, mais des êtres humains», attirant ainsi l’attention sur le fait que le problème ne vient pas des itinérants mêmes. Les organisateurs, eux, voient des causes bien différentes à l’itinérance. Ils ne perçoivent pas la présence de l’itinérance comme le problème en tant que tel, mais blâment plutôt le niveau de protection sociale qu’offrent nos sociétés. Leur discours ne met pas le problème uniquement entre les mains des sans-abris, mais parle plutôt de situation précaire et de conditions aggravantes. Il parle de ces périodes difficiles de la vie, lorsque quelqu’un se retrouve devant un échec, un moment trouble. Être dans une condition précaire, avoir un réseau social faible et, donc, un soutien absent empirent l’impact de ces coups durs. Alors, ce qui ne serait autrement qu’une mauvaise passe devient un cauchemar, réduisant à néant tout ce qui avait été bâti. Ce discours explique que l’itinérance n’est pas un choix, mais bien une conséquence. Rencontré sur les lieux de l’événement, Stéphane, trente
Échangisme montréalais Vanaka Chhem-Kieth Alors que nous sommes posés dans un snack-bar coincé au coin des rues Mont-Royal et Saint-Denis, la jolie serveuse nous amène un «hambour-r-r-ger avec fr-r-r-ites» et une «poutine itââlienne». La rayonnante blonde roule ses «r» de façon magnifique, un peu comme un moteur de Ferrari au feu « r-r-rouge », histoire de nous rappeler que chez ses parents, la «Poutine moscovite» est reine. Je présente donc le sujet à Anders le Danois, entre deux bouchées de «fritesmayo». Il a posé ses valises il y a deux mois et j’ai cru comprendre au fil d’une conversation ou deux que sa «montréalisation» se déroulait de bien belle façon. Je le lance ainsi au défi de m’expliquer les cinq raisons pour lesquelles il oserait délaisser les blondes au visage rond de Copenhague pour le sourire des Montréalaises – que vous avez, soit-dit en passant, fort joli, mesdemoiselles. C’est avant tout l’atmosphère créative. Copenhague étant une vibrante métropole du design et de l’art en tout genre, Anders ne pouvait évidemment pas rester insensible aux généreux attributs artistiques de notre Ville-Marie. Parachuté au milieu de tant d’excès de «musique, de théâtre, de films et de festivals», Anders ne tient plus en place. «Il se passe tellement de choses. J’ai mis du temps pour découvrir comment accéder à toute cette culture, avant de découvrir qu’apprendre le français était un outil formidable. Je lis maintenant les journaux et les
ans, permet de mettre un visage sur l’itinérance, concept trop vaste pour qu’on se sente vraiment interpellé individuellement. Voyageant à gauche et à droite depuis maintenant seize ans, Stéphane confie que l’itinérance n’était pas son but en quittant sa Gaspésie natale. Il cherchait plutôt à s’émanciper en quittant une famille de quinze enfants, parmi lesquels il était le plus jeune. «Je ne suis jamais arrivé à la bonne place», dit-il en parlant de la destination de ce voyage entamé il y a un moment déjà. Le Gaspésien d’origine explique qu’il travaille douze heures par jour en imprimerie, tout en devant dormir à l’extérieur. «Je reste dans le métro jusqu’à une heure du matin, jusqu’à ce que les gardes me [mettent] dehors». Pour pouvoir finir sa nuit, Stéphane s’installe près de l’hôpital, où les gardes de sécurité sont plus respectueux, dit-il. Au micro, les messages se succèdent. Ils portent tous sur les solutions à l’itinérance. Logements sociaux, appartements supervisés, encadrement, hausse des salaires, indexation
Un itinérant dans les rues de Toronto. David Lipnowski / PUC (Graphismes)
de l’aide sociale, baisse du coût de la vie, entreprises d’insertion et mesures d’employabilité sont au nombre des demandes. Un système de santé de qualité, incluant à la fois santé physique et mentale et l’élimination des listes d’attente, est également
cité comme l’un des éléments réformateurs. En entendant de pareils propos, on ne peut que voir la corrélation entre pauvreté, précarité et itinérance.x
Poutine montréalaise publicités, visite les bars et les cafés qui me mènent d’un endroit à l’autre.» Deuxième raison: L’ouverture made in Montréal. «J’adore l’ouverture des Montréalais. » Ahh, un grand classique, me suis-je dit, ravi. «Tout le monde te met à l’aise. Ma “coloc”, par exemple, a des amis de partout. Elle est super extravertie, t’invite à droite et à gauche.» J’effleure ma tempe du bout de mon index d’un mouvement approbateur. Oui, sans fausse modestie aucune, c’est vrai que nous sommes un peu comme ça. «Et à McGill, c’est pareil. Tout le monde est super accueillant. Tu es du Danemark, oh, really?» Rien à voir avec ces hommes du nord qu’Anders me décrit comme introvertis et obsédés par leur vie privée. Un bien triste quotidien, ma foi… En troisième point, Anders évoque les espaces publics. Dans les premiers jours suivant son arrivée, mon sujet déliite de la semaine a été fasciné par la quantité de parcs et d’espaces verts, tous accessibles gratuitement. «J’ai traversé la ville à vélo, me suis couché dans un parc et me suis alors vraiment senti à la maison et en sécurité.» Avis aux rêveurs! Côté architecture, Anders affectionne visiter New York le temps de trois blocs et passer en Europe deux rues plus loin. Anders loooves la formule «un appartementescalier-double-porches». Anders aime la «grandeur» à petite échelle de Montréal, à l’opposé d’un New York parfois trop enva-
hissant. Et Vanaka adore les touristes qui adorent Montréal. Le bilinguisme est son dernier coup de cœur. Dans son appartement du quartier Saint-Henri, il apprécie également parler le bilingual avec ses «colocs» québécois et français. Il n’avait jamais vécu près d’une ville bilingue et se régale désormais de pouvoir vivre cette véritable culture du «What’s up? Moi, c’est Anders!» Anders aimerait bien maintenant prolonger ses études à Montréal. Seule ombre au tableau: «L’hiver! Vivre dans la ville souterraine me fait un peu peur…» Personnellement, les premiers flocons me donnent encore des sueurs froides. Pourtant, je fête mes quinze ans à Montréal ce mois-ci…
Le Délit a envie de vous.
délit | 21 octobre 2008 06 xle www.delitfrancais.com
Nouvelles
Le droit à l’avortement plus menacé que jamais Jeudi dernier avait lieu une séance d’information et de discussion sur la question de l’avortement au Canada, une initiative du Réseau en études féministes de l’UQÀM. local Suzie Bouchard Le Délit
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ne vingtaine de personnes étaient présentes pour écouter Johanne de Passillé, agente d’information et de communication du Centre de santé des femmes (CSFM) et Marie-Ève Quirion, agente de mobilisation de la Fédération québécoise pour le planning des naissances. Dans un premier temps, Johanne de Passillé a présenté le CSFM, un organisme communautaire féministe œuvrant dans le domaine de la santé gynécologique depuis 1975. Le CSFM, en collaboration avec des professionnels de la santé, offre un soutien médical gratuit aux femmes, et, entre autres services, des activités éducatives et préventives et la mise à disposition de documents de recherche et de vulgarisation.
La déculpabilisation sociale des femmes qui optent pour l’avortement est au cœur de la mission du centre. Madame de Passillé a dénoncé la grande responsabilité qu’on attribue aux femmes par rapport à la dénatalité au pays, de même que les tabous liés à la contraception qui demeure, selon elle, trop souvent l’affaire de la femme seulement. Mme de Passillé juge que l’importance du soulagement apporté par l’avortement est négligé dans le débat social et éclipsé par les messages négatifs véhiculés. «La décision de se faire avorter est tout aussi responsable que la décision de mener une grossesse à terme» a-t-elle affirmé, ajoutant qu’il est grand temps de dédramatiser l’avortement. Mme de Passillé a insisté sur l’importance de la gratuité du service offert. L’acquisition de cette gratuité au Québec a été faite durant les années quatre-vingts, grâce à un recours collectif contre le gouver-
Chronique écolo Rosalie Bélanger-Rioux Nous arrivons à ce moment de l’année où il fait très froid dans votre appartement. Vous portez des chandails épais et des gros bas de laine au lieu de faire fonctionner le chauffage, vous frissonnez beaucoup plus en sortant de la douche, des courants d’air froid proviennent de vos portes et fenêtres... et la facture d’électricité augmente, à moins que le mode de versements égaux d’Hydro-Québec ne vous empêche de constater cela. Que faire? Je pourrais vous communiquer une liste interminable de conseils. Cependant, je suis moi-même étudiante et je connais donc l’état de procrastination dans lequel je tombe parfois lorsque je me vois forcée d’apporter un changement à mes habitudes. Je me considère pourtant plutôt environnementaliste, alors je ne peux m’attendre à ce que mes lecteurs soient plus responsables que moi dans ce domaine! C’est pourquoi je tiens à vous faire part d’un service offert par l’organisme Option consommateur, financé par l’Agence gouvernementale québécoise de l’efficacité énergétique. Le concept est d’une simplicité désarmante: vous appelez au 514-5987288 afin de prendre rendez-vous, et une équipe fait le déplacement jusque chez vous pour faire les modifications nécessaires à votre logement! Ce programme gratuit s’appelle Éconologis et s’adresse aux ménages à
nement du Québec, recours à la suite duquel les tribunaux avaient reconnu l’avortement comme l’un des services essentiels couverts par l’assurance-maladie. Marie-Ève Quirion a ensuite pris la parole pour aborder la dimension politique de la question, évoquant la mobilisation récente qu’a suscitée le projet de loi C-484. Déposé par un député conservateur, le projet menaçait indirectement le droit à l’avortement et était parvenu à faire de l’avortement un enjeu électoral. Cela est signe, pour Madame Quirion, qu’il ne faut pas sousestimer le poids d’une mobilisation efficace. Soulignant que le projet de loi C-484 ne constitue pas le premier projet de loi attaquant indirectement le droit à
l’avortement, elle a cité l’exemple du projet de loi C-537, déposé quelques années plus tôt, dont l’objectif visait à donner le droit aux professionnels de la santé de ne pas pratiquer des interventions contraires à leurs croyances morales et cherchait à criminaliser toute institution médicale qui tenterait de les y obliger. Bien que la plupart de ces projets de lois n’aboutissent guère, ils sont, selon Madame Quirion, plus fréquents que l’on ne croirait. Interrogée sur l’absence de législation explicite autorisant l’avortement dans les lois canadiennes, elle a expliqué que les féministes préfèrent la décriminalisation à la législation. Une législation positive
risquerait en effet d’imposer des cadres fixes à la pratique. L’arrêt Morgentaler de 1988, qui a décriminalisé l’avortement, a toujours fait jurisprudence suffisante. Bien que Mme Quirion ait précisé que l’avortement va audelà de la partisannerie et qu’il existe des députés anti-choix dans tous les partis, elle a fait sentir, au lendemain des élections, que le présent contexte politique présente une menace sérieuse au droit à l’avortement dans notre pays. Étant pris pour acquis par le grand public, mais étant toujours au cœur des débats législatifs, le droit à l’avortement serait même plus menacé que jamais.x
Le froid arrive… faible revenu. C’est pourquoi vous devrez fournir une preuve de revenu, par exemple un avis de cotisation pour les impôts. Afin d’être éligible, vous devez payer votre propre facture d’électricité et en montrer une copie aux conseillers qui viendront chez vous, ce qui les aidera à mieux comprendre votre consommation d’électricité. Résultat final: pour un coup de téléphone et un petit coup d’œil dans vos paperasses d’impôt, plusieurs changements seront apportés. Si cela est nécessaire, fenêtres et portes seront calfeutrées par un gentil technicien, pendant qu’une conseillère vous donnera des conseils personnalisés. Ils vous offriront gratuitement un thermomètre numérique ainsi que des ampoules fluorocompactes. Ce rendez-vous dure entre une heure et une heure et demie selon l’état de votre logement. Une chose est sûre, les conseillers qui vous rendront visite connaissent leur travail et seront très heureux de répondre à vos questions. Voici donc possiblement un des meilleurs exemples de ce que deviennent nos impôts. Oui oui, le gouvernement québécois a parfois de bonnes initiatives vertes! Évidemment, tout cela sera vain si vous ne faites pas certains efforts minimaux. Par exemple, maintenir la température à 20 ou 21 degrés Celsius dans votre logement le jour et la baisser à 18 ou 19 degrés la nuit. Vous pouvez également
Faitesvous plaisir! faire fonctionner la chaufferette de votre salle de bain plutôt que de prendre une douche très chaude pendant vingt minutes. Mais je vous fais confiance: la protection de l’environnement et le confort en hiver relèvent du gros bon sens. En parlant de gros bon sens, la prochaine chronique portera sur les initiatives environnementales du gouvernement fédéral. Pour plus de détails, visitez le www.optionconsommateurs.org/conseillers/efficacite_energetique/programme_econologis.html.
Le Délit cherche des journalistes, avec ou sans expérience, pour partir à l’aventure.
Nouvelles
xle délit | 21 octobre 2008 www.delitfrancais.com
Dans mes petits souliers Mathieu Ménard Même s’il habite dans un petit village au fin fond de nulle part, Kenta a voyagé aux États-Unis plusieurs fois. Au fil des années, il a assemblé une panoplie de contacts et de correspondances qui facilitent ses séjours et qui discutent volontiers des aléas de la politique américaine. Au moment où je rédige cette chronique, au lendemain du dernier débat des chefs, Kenta s’interroge probablement sur l’issue de la course électorale. Il se demande si la nomination d’Obama pourrait changer le tissu social. L’intérêt de Kenta pour les répercussions sociales de la politique internationale s’avère purement frivole. En fait, il travaille comme gérant de poulaillers. La gestion de six fermes ne lui laisse guère de temps libre, sauf peut-être pour assister occasionnellement à des courses de chevaux. Le soir, on peut le trouver dans un des pubs du coin, sirotant bière après bière jusqu’à ce qu’il cesse d’être cohérent. Kenta a une famille nombreuse: cinq enfants. Le fils aîné est atteint d’un grave handicap physique. Ne pouvant être autonome, il demeure donc au foyer familial, où il a besoin d’une assistance constante. De surcroît, le plus jeune de ses fils est handicapé mentalement. Ici, sauf dans les cas les plus sérieux, une politique d’inclusion est maintenue
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Le rire nerveux dans le milieu de l’éducation. Par exemple, il y a dans le coin une école primaire où un enfant autiste passe plus de temps à se battre avec la professeur attitrée ou avec ses voisins qu’à apprendre. Enfin, tout cela pour dire que le fils cadet fréquente une institution particulière et effectue des besognes simples. La benjamine, selon ce que j’ai pu comprendre, est retournée dans le nid familial pour cause de dépression nerveuse. Sans trop de surprise, la femme de Kenta trouve la situation plutôt difficile. Sans doute n’apprécie-t-elle guère que son mari retarde son retour au foyer pour conclure ses journées par l’absorption de houblon. Quant au benjamin, il habite dans une municipalité un peu distante où il fait carrière en tant que salaryman. Finalement, la fille aînée étudie l’esthétique à Tokyo. Elle ne rentre pas au bercail très souvent. Il y a quelques semaines, Kenta me racontait qu’une des amies de sa fille avait déjà dit à celle-ci, sans fioritures: «Tes parents ont vraiment échoué leur planification familiale.» Ouch. Comment suis-je supposé répondre à une telle confidence? Je n’ai pas encore trouvé de mot pour peindre la surprise, l’horreur et le rire nerveux. Malgré tout, Kenta trouve le temps de courailler les jupons. Les mœurs sont
Le Délit vous aime!
vraisemblablement différentes. J’ai déjà entendu quelqu’un dire: «Je suis célibataire, parce que j’habite loin de ma femme pour le travail.» Dans ce même esprit, Kenta est toujours à la recherche d’une «copine», même si ses avances sont souvent repoussées. Au terme de cette description, pouvezvous deviner son parcours étudiant? Il y a bien longtemps, il a amorcé un baccalauréat en littérature à Kyoto. Il a abandonné en cours de route, mais en a quand même conservé un penchant pour l’érudition, comme l’illustre son intérêt pour la politique étrangère. Il a simplement décidé que décortiquer la prose, ce n’était pas son truc. Il avait juste envie de lire Peanuts.
Venez lui rendre visite les lundis au B-24 du Shatner.
Lutte contre la pauvreté: la banalité du mal La Journée internationale pour l’élimination de la misère rend hommage à ceux qui se battent contre la misère. international Vincent Bezault Le Délit
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e vendredi 17 octobre avait lieu la Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté, sur fond de crise financière internationale et d’extrême inflation touchant les denrées alimentaires. La veille, l’organisation humanitaire britannique Oxfam a remis à l’Organisation des Nations Unies (ONU) un rapport sur la situation alimentaire mondiale: 967 millions de personnes souffrent actuellement de malnutrition, soit 119 millions de plus que l’année précédente. La principale cause de cette augmentation serait la hausse spectaculaire des prix, selon cette étude. Celle-ci cite l’exemple du Cambodge et des Philippines, où le prix du riz et de la farine a doublé en un an. Cette journée de sensibilisation résulte de l’initiative du père Joseph Wresinski, fonda-
teur du mouvement ATD-Quart Monde. Il avait organisé la première Journée mondiale du refus de la misère en 1987 à Paris, avec pour mot d’ordre: «Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l’homme sont violés.» En 1992, l’Organisation des Nations Unies a reconnu le 17 octobre comme Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté. Depuis, des centaines de manifestations ont lieu tous les ans, sur tous les continents. C’est la seule journée officielle de l’ONU issue de l’initiative d’une petite ONG. À Montréal, une marche aux flambeaux silencieuse a réuni quelques centaines de personnes dans les rues de Villeray. L’idée des organisateurs était de «crier en silence» leur refus de la misère au Québec, comme dans le reste du monde. Ils affirment ne pas vouloir provoquer la pitié mais rendre hommage à ceux qui doivent faire face à la misère et réclamer des actions des pouvoirs publics. Ils ont déploré que
Marche pour mettre fin à la pauvreté dans Villeray. Vincent Bezault
ce sujet ait été absent des principaux débats de la campagne des élections fédérales. En effet, la pauvreté n’est pas un phénomène négligeable au Canada. Selon Statistique Canada, plus d’un tiers des personnes seules de moins de soixante-cinq ans touchent un faible revenu. En France, le président Nicolas Sarkozy a affirmé à l’occasion de cette journée qu’il avait l’intention d’inclure
les années de bénévolat dans les cotisations pour la retraite, afin d’encourager les citoyens à s’impliquer dans ces associations. «Je veux que notre société récompense ceux qui se dévouent pour les autres et sanctionnent ceux qui empoisonnent la vie des autres», a-t-il affirmé. Les États membres des Nations Unies ont convenu, il y a cinq ans, de réduire de moitié le nombre de personnes qui vivent
dans des conditions de pauvreté extrême et ce, d’ici 2015. Les Agences de coopération volontaire canadiennes se félicitent que notre pays soit l’un des rares donateurs. Cependant, elles soulignent que l’objectif du Canada est de consacrer 0,7 p. cent de son PIB à l’aide internationale, alors que moins de la moitié de cette somme est effectivement versée.x
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Portraits d’Agnibilékrou, Côte d’Ivoire par Joe Penney
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Arts&Culture
Arts visuels et attitude Le Musée d’art contemporain de Montréal accueille l’exposition Sympathy for the Devil: Art et rock’n’roll depuis 1967, et en sera d’ailleurs le seul point de chute dans l’est de l’Amérique du Nord. arts visuels Mathieu Rouy Le Délit
À
peine le visiteur est-il entré, que Dee Dee Ramone lui adresse un regard midésabusé, mi-rêveur au milieu d’une série de portraits. L’image, tout autant que la musique, fait partie de l’essence du rock. Une image à laquelle plus d’une génération a voulu s’identifier, une image qui a évolué entre autres à travers les artistes qui l’ont maintenue en vie. D’où l’intérêt d’une telle exposition. Mais l’enthousiasme laisse place à une certaine mélancolie, alors que l’on circule d’une œuvre à l’autre. Il y a quelque chose de froid dans cette démonstration, quelque chose de posthume. Le rock est-il mort? Symbolisant la rébellion, celle
pour un courant de libres pensée et expression, le rock’n’roll a dès ses débuts été perçu comme la musique du diable pour certains, tout en constituant une véritable religion pour d’autres. Mais plus que cela, il a été l’inspiration de plusieurs artistes, se posant même parfois à l’origine de véritables mouvements artistiques. C’est le thème de l’exposition Sympathy for the Devil: Art et rock’n’roll depuis 1967, présentée au Musée d’art contemporain jusqu’au 11 janvier 2009. Organisée à l’origine par le Museum of Contemporary Art de Chicago, l’exposition, qui tire son titre de la chanson du même nom des Rolling Stones, porte sur la relation entre les arts plastiques et la musique rock au cours des quarante dernières années. Comment ce mouvement tout d’abord musical a-t-il influencé l’art, ou quelle
Bowie revu et corrigé. C. Marclay. Avec l’aimable permission de l’artiste et de la Paula Cooper Gallery, New York
influence l’art a-t-il eu sur le rock? Voilà deux façons tout aussi valables d’aborder le sujet, selon les organisateurs. Plus de cent œuvres se succèdent à travers six salles. Portraits, sculptures et matériel audio-visuel artistiquement rangés, font revivre – ou vivre pour la première fois – les divers époques et habits qu’ont revêtus le rock et ses fidèles. Six salles et six thèmes, qui correspondent aux scènes musicales de New York, du Royaume-Uni, de l’Europe, de la côte ouest et du Midwest américains et du reste du monde. Le point de départ de cette manifestation est Andy Warhol, dont l’œuvre fait d’ailleurs l’objet d’une autre exposition présentée au Musée des beauxarts de Montréal en
ce moment. Le studio de Warhol était réputé être un important centre de la scène culturelle underground newyorkaise à la fin des années soixante. Il était donc au centre même de la plaque tournante de l’art et de la musique rock de l’époque. Dans l’ensemble, l’exposition regroupe certes une collection d’œuvres intéressante, mais porte inéluctablement à réfléchir sur leur pertinence. Si elles témoignent toutes d’un phénomène majeur dont l’impact social a été sans précédent, en faisant naître une véritable culture populaire, le talent de certains rockeurs pour les arts visuels est pour le moins douteux. Quelques perles reflétant une vision du monde en rupture avec les normes établies se glissent tout de même dans cette sélection. Cette manifestation, considérée comme la première consacrée exclusivement à l’exploration du rock en dehors du monde musical, vaut le détour. x
Sympathy for the Devil Où: Musée d’art contemporain 185, rue Sainte-Catherine Ouest. Quand: jusqu’au 11 janvier Combien: 4$ (étudiant)
Ballet, cupidité et multimédia La Dame de pique, une oeuvre innovatrice qui ne cesse d’émouvoir, s’arrête à Montréal le temps de quelques représentations. théâtre Julie Roy-Audet Le Délit
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usqu’au 1 er novembre, et pour quelques soirs seulement, les Grands Ballets Canadiens se produisent au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts. Ils présentent La Dame de pique, un ballet tiré du roman d’Alexandre Pouchkine, lequel fut d’abord transposé à l’opéra par Tchaïkovski. Kim Brandstup le transforme aujourd’hui en un ballet sur pointes où se dansent avec grâce la sensualité, la joie, la cupidité, la mort, la frustration et l’amour. La musique de Gabriel Thibaudeau, composée à partir de l’opéra de Tchaïkovski et interprétée par des musiciens dirigés par Allan Lewis, accompagne les danseurs. La première scène s’ouvre sur un officier, seul, visiblement tiraillé par deux émotions contradictoires. Les lecteurs de Pouchkine sauront que ce personnage est Hermann, jeune homme partagé entre répulsion et
fascination pour le jeu. Le décor change très rapidement, bien qu’avec une douceur et une subtilité impressionnantes. La scène fait place à des militaires qui jouent une partie de cartes, accompagnés de femmes séduisantes et vêtues de rouge. Hermann cède à la tentation du jeu, cette euphorie malsaine. Une vieille comtesse apparaît alors, majestueuse dans sa robe aux reflets chatoyants. Tous se taisent et l’observent, subjugués, car la comtesse a la réputation de détenir un secret lui permettant de gagner au jeu. Attisé par la cupidité, Hermann cherche à s’approcher de la comtesse, séduisant Lisa, sa dame de compagnie. On assiste à la passion de ces deux personnages en croyant à l’amour naïf et pur de Lisa pour Hermann. S’en suit un magnifique chassé-croisé d’intrigues, qui s’achève dans la tragédie pour un Hermann désespéré, après avoir tout perdu. Les chorégraphies sont empreintes d’une douceur et d’une grâce émouvantes. Chaque mouvement est exécuté avec une incroyable dextérité par les
vingt-huit danseurs des Grands Ballets Canadiens. Les duos sont impressionnants; la chimie est parfaite entre les danseurs. Les portées, les sauts, les pointes font preuve d’un niveau technique remarquable et montrent que Kim Brandstup a su créer une chorégraphie qui permet de valoriser la virtuosité des danseurs. La trame narrative du spectacle est aisément compréhensible et l’aspect moderne qui y est apporté est très intéressant. La réalité et le rêve, le présent et les souvenirs réussissent à s’entremêler sans confusion, sans brusquer le spectateur. Les tableaux glissent, se fondent les uns dans les autres. Les décors sont réalisés à l’aide du multimédia, et l’utilisation qui en est faite est non seulement très appropriée mais, de surcroît, ajoute un aspect plus réel et plus intemporel à ce drame datant de 1833. Chaque élément de La Dame de pique témoigne d’une grâce, d’une émotion quasi palpable, d’une délicatesse et d’une beauté qui réussissent à exprimer les profondeurs de l’âme humaine. Un ballet qui saura charmer les amateurs comme les néophytes. x
Le ballet de La Dame de pique s’installe à Montréal. Jimmy Lu
La Dame de pique Où: Théâtre Maisonneuve 175, rue Sainte-Catherine Ouest Quand: les 16, 17, 18, 23, 25, 30 et 31 octobre et le 1er novembre Combien: de 17,72$ à 85,05$
Arts&Culture
Un pari qui fait florès
Exposition de marque à la Grande Bibliothèque. littérature Éléna Choquette Le Délit
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ibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), qui avait lancé l’an dernier la série «Hommage à nos poètes», expose cette fois les œuvres d’Yves Thériault, homme orchestre de la littérature québécoise de son époque. En effet, la salle d’exposition principale de la Grande Bibliothèque et l’Espace Jeunes font place, jusqu’au 18 janvier 2009, à l’exposition Yves Thériault : Le pari de l’écriture. C’est un clin d’œil au grand auteur alors que l’on souligne cette année le vingt-cinquième anniversaire de son décès et le cinquantième de la parution de son livre le plus lu, Agaguk.
Un auteur prolifique Parmi les gros titres du quotidien La Presse, on trouvait, en 1961, un article intitulé : «Thériault : un écrivain qui écrit». On y mettait notamment l’accent sur le caractère rarissime d’un écrivain aussi prolifique dans le milieu littéraire québécois. Certains lui auraient même reproché la chose, l’accusant de produire de nombreux romans de
piètre valeur. Ce que l’article voulait montrer, pourtant, c’est que Thériault avait la plume agile et dynamique. Ce sont des milliers et des milliers de pages qu’il aurait, en somme, noircies. Il aurait, entre autres réalisations, participé à étoffer de manière considérable la littérature jeunesse québécoise, adapté des pièces pour les industries radiophonique et télévisuelle, entretenu un courrier du cœur, signé des romans d’envergure et réalisé plusieurs courts métrages. Il aurait probablement été difficile de prédire une carrière aussi riche à un homme qui n’avait que peu de scolarité. En effet, Thériault n’avait pas complété sa neuvième année, ni suivi le cours classique, qui, à l’époque, «attribuait officiellement aux auteurs la légitimité d’écrire», a indiqué lors d’une entrevue Renald Bérubé, commissaire de l’exposition Yves Thériault : le pari de l’écriture et directeur du catalogue éponyme. Un pari audacieux C’est à l’âge de dix-sept ans que l’auteur fait le pari de n’assurer ses revenus qu’avec les mots. C’était d’autant plus ambitieux que, jusqu’alors, le Québec n’avait abrité personne qui vive exclusivement de
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sa plume. Effectivement, ce sont les grands auteurs britanniques, français et américains qui détenaient l’exclusivité de la scène littéraire de l’époque. Pari oblige, il a beaucoup écrit et, souvent, à une très grande vitesse. Thériault est d’ailleurs rapidement devenu l’écrivain le plus lu, étudié, traduit et prolifique du Québec. «L’œuvre de Thériault en est une grande, dont on n’a pas encore fait le tour», souligne monsieur Bérubé. Il est d’ailleurs facile de s’éprendre de la beauté sauvage qui émane de ses romans. L’homme et ses livres ont su charmer. Et l’exposition de la BAnQ en fait foi.
Une exposition magistrale Vous trouverez de quoi vous égayer à l’Espace Jeunes, quoique vous n’en constituiez pas le public cible. On pourrait d’ailleurs vous surprendre à sourire discrètement à la lecture des extraits de la littérature jeunesse de Thériault, extraits habilement peints sur les murs. Peut-être aimerez-vous aussi vous livrer aux activités ludiques proposées par la Grande Bibliothèque, conçues dans le but de familiariser le public avec les nombreux héros, parfois italiens et souvent yougoslaves, des récits du romancier. Le niveau M de l’établissement s’avère particulièrement intéressant et est l’hôte de l’exposition principale. À défaut d’y trouver l’écrivain en chair et en os, vous le lirez au
Yves Thériault s’ouvre à nous à la Grande Bibliothèque. Antoine Desilets
fil de ses correspondances et apprendrez à le connaître à travers les yeux des journalistes de l’époque. Ajoutez quelques minutes à votre visite, et vous pourrez entendre plusieurs entrevues radiophoniques. Allouez encore quelques instants supplémentaires, et vous le verrez s’animer sur l’écran de télévision ou pourrez participer à l’enregistrement d’un témoignage collectif unique. La visite en aura ultimement valu le détour.
Rendez-vous, donc, à la Grande Bibliothèque pour y voir le parcours d’un homme qui a su relever l’imposant défi qu’il s’était lancé. Il y a fort à parier que vous vous y plairez.x Yves Thériault: le pari de l’écriture Où: Grande Bibliothèque 450, boul. de Maisonneuve Est Quand: jusqu’au 18 janvier Visite-conférence le 19 novembre à 19h Combien: entrée libre
Oedipe décomplexé La relève s’empare du Théâtre Prospero pour habiller de neuf un mythe ancien. théâtre Laurence Côté-Fournier Le Délit
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reud n’est pas le seul à avoir fait du pauvre Œdipe le représentant des forces obscures qui oeuvrent au cœur de l’homme. La source inépuisable que sont les mythes grecs sert de trame narrative à la pièce Eddy F. de pute, écrite par le dramaturge français Jérôme Roubart. Créée à Montréal par une troupe de jeunes comédiens fraîchement sortis des écoles de théâtre, Créations UNthéâtre, l’œuvre offre une lecture déconstruite et disjonctée des tragédies grecques, aspergeant Œdipe et ses copains d’une bonne dose de trash. L’histoire est d’abord et avant tout centrée sur une quête, celle d’Eddy, qui cherche à dissiper les mensonges de son passé. Eddy vit avec son père et sa sœur dans une maison à la campagne. Sa mère serait morte lors d’un incendie accidentel. Diverses rumeurs, qui font de son père un meurtrier et de sa
mère une putain, viennent toutefois semer le doute dans l’esprit du jeune homme, qui décide finalement de fuir vers la ville. Là, en rôdant dans les quartiers chauds, Eddy rencontre une vieille prostituée qui lui offre nuit après nuit son corps sans rien exiger en retour. Pendant ce temps, le père et la sœur d’Eddy se sont lancés à la recherche du disparu. Une cascade d’événements rapprochera finalement ces protagonistes de leur destin, éminemment tragique comme il se doit. Six comédiens, trois hommes et trois femmes, échangent tour à tour leurs personnages, sans jamais en privilégier un en particulier. Seuls de légers changements de costumes, de l’ajout d’un chapeau pour évoquer un vieillard à celui d’un collier massif pour représenter un maquereau, indiquent au spectateur le personnage représenté par le comédien. Ces changements incessants d’interprètes pour incarner un même rôle peuvent certes contribuer à exprimer une des idées fondamentales de la pièce, soit qu’en chacun se retrouvent les mêmes archétypes humains qu’avaient décrits les Grecs. Néanmoins, ce choix de mise en scène embrouille considérablement une histoire déjà passablement difficile à comprendre. S’il est normal qu’une pièce s’inspirant des archétypes grecs reprenne des person-
nages aux traits de caractère très définis, il reste que l’œuvre ne trouve pas grand chose de neuf à faire avec eux, sinon tenter de les rendre un peu plus subversif à l’aide d’une injection massive de sexe et de violence. Les archétypes se dégradent finalement en stéréotypes. Le discours de la pièce se résume pour l’essentiel à une vision noire du monde, dans laquelle toutes les femmes sont des putes et tous les hommes des clients. Les quelques portes qui laissent envisager un approfondissement des thèmes sont rapidement fermées. La mise en scène de Fabien Fauteux et la scénographie de Geneviève Boivin privilégient toutes les deux les transformations constantes. Le décor, fait de simples panneaux, est constamment remanié par les comédiens pour représenter une maison, un abribus, ou encore un cimetière. Tout est toujours en mouvement, d’autant plus que les comédiens, en plus de devoir transporter les panneaux d’un bout de la scène à l’autre, doivent aussi se vêtir et se dévêtir à la vitesse de l’éclair pour jouer à temps le bon personnage. Malgré les complications qu’apporte ce processus, quelques moments d’une intensité dramatique particulièrement forte parviennent à émerger grâce à lui. Eddy F. de pute donne au sortir de la salle l’impression d’une oeuvre encore ina-
Deux acteurs face aux forces obscures du cœur de l’homme. Jean-Sébastien Dénommée
chevée, riche de bien des potentialités mais incapable de tirer le meilleur parti des multiples idées de ses créateurs. x
Eddy F. de pute Où: Théâtre Prospero 1371, rue Ontario Est Quand: jusqu’au 1er novembre Combien: 20$ (étudiant)
délit | 21 octobre 2008 12 lewww.delitfrancais.com
Portrait en quatre temps du cinéma d’ici Dans le cadre du Festival du nouveau cinéma, qui s’est terminé dimanche dernier, Véronique Samson et Mai Anh Tran-Ho sont parties à la rencontre de quelques cinéastes canadiens qui y présentaient un film.
gracieuseté du FNC
À l’aube de la survie
Le Jour avant le lendemain, une fable réaliste dressant le portrait de la communauté inuite vers 1840. Gagnant du prix du meilleur premier film canadien au Festival international du film de Toronto, Le Jour avant le lendemain de Marie-Hélène Cousineau, réalisé avec la collaboration de Susan Avingaq et de Madeline Ivalu, raconte la lutte pour survivre d’une grand-mère et de son petit-fils. Ce film est le premier long métrage de Arnait Video Productions qui, depuis 1991, donne voix aux histoires des femmes inuites. Au printemps, deux tribus inuites isolées montent un camp ensemble. Bien que coure la rumeur qu’il existerait des Blancs, cette communauté étrangère demeure inconnue, et même «incroyable». Pour les membres des deux tribus, l’été est une heureuse période. Les aînés racontent des histoires, la chasse est fructueuse, les humeurs sont frivoles et joyeuses, mais Ningiuq, une femme âgée, a l’esprit
troublé. Son inquiétude fait apparaître la fragilité du monde qui l’entoure. Une tension incompréhensible surgit et se développe. La tribu décide de faire sécher des provisions pour l’hiver sur une île éloignée. Ningiuq, son petitfils Maniq, ainsi que sa vieille amie Kuutuguk se chargent de la tâche. Sur cette autre île, Kuutuguk expire son dernier souffle. Ningiuq et Maniq s’appliquent à leur labeur jusqu’aux premiers froids de l’automne. Lorsque personne ne vient les chercher, ils décident alors de retourner au camp principal pour y retrouver tous leurs proches morts, entourés d’objets provenant des étrangers blancs. Retournés sur leur île, seuls, Ningiuq et son petit-fils luttent pour leur survie et pour garder ce qui leur reste d’espoir, cette flamme alimentée par la graisse qu’éteint Ningiuq chaque soir avec lenteur et minutie.
Le Jour avant le lendemain a toute l’esthétique et le réalisme d’un documentaire, mais les destins à l’écran ressemblent à des fables. Les histoires que raconte Ningiuq à Maniq pour combler le silence que provoquent le désespoir et leur isolement donnent une dimension symbolique au film. Ces histoires et ces chants sont autant d’instants d’évasion temporelle et spirituelle. Comme ils se transmettent de génération en génération, ils forment la mémoire et construisent alors les communautés. La lutte de Ningiuq se poursuit jusqu’à sa fin, alors qu’elle chante une dernière fois pour son petit-fils qui s’endort. Lorsque la caméra s’attarde sur son visage, une impression d’authenticité touchante est transmise. Le Jour avant le lendemain est inspiré du roman For morgendagen du danois Jørn Riel. Le
titre renvoie à l’idée de l’aube, à ce moment avant le début, à la lutte pour la dignité. Une dignité qui ne renvoie pas qu’à l’extinction de la communauté inuite, mais à toutes les cultures fortes. Une dignité qui se situe dans cette force de vouloir se souvenir et de continuer, et qui se retrouve bien dans le «Je me souviens» du Québec. Le Jour avant le lendemain délaisse les instants de retour en arrière que fait Ningiuq dans le roman pour se concentrer sur le présent. Un présent fabuleusement touchant qui rappelle, comme dit la chanson-thème du film, que «nous sommes chair, esprit, sang, visage... et volonté». L’important, ce sont les histoires dont on se souvient et que l’on raconte. Le jour avant le lendemain est un film à voir et à raconter absolument.x
gracieuseté CVI films
À L’Ouest de Pluton, en plein dans le mille
Nouveau film-culte sur l’adolescence, À l’Ouest de Pluton fait graviter dans son orbite la réalité de plusieurs jeunes de la banlieue. Il y a deux ans, Pluton a perdu son statut de planète. C’était pendant le tournage d’À l’Ouest de Pluton, premier long métrage des coréalisateurs Henry Bernadet et Myriam Verrault. Le film suit pendant vingt-quatre heures l’existence d’un petit groupe d’adolescents de la banlieue de Québec, au sein duquel chacun tente de se trouver une place parmi les autres. Un peu comme Pluton parmi les planètes, non? «Tout d’un coup, le casse-tête est devenu cohérent et ça a pris sens», a expliqué Myriam Verrault lors de sa rencontre avec le Délit au restaurant Glamour de la rue Saint-Laurent. Henry Bernadet, à ses côtés, ajoute : «On a eu une cassette de la NASA. Ils nous ont envoyé une heure d’[images montrant] la confection de la sonde.» C’est précisément ce que les réalisateurs se sont donné comme mandat: plonger avec le plus de réalisme possible dans le monde des adolescents et sonder le quo-
tidien de cette période trouble et absurde, comme des astronautes partis à la découverte d’un autre monde. Dans ce chassé-croisé, on rencontre de vrais jeunes, âgés entre quinze et seize ans, en quête à a fois d’une identité qui leur est propre et de l’approbation dans le regard des autres. Ayant eux-mêmes grandi dans la banlieue de Québec, Henry Bernadet et Myriam Verrault ont décidé de tourner leur long métrage à Loretteville, banlieue on ne peut plus ordinaire. C’est aussi dans l’école secondaire du coin qu’ils ont organisé une série d’auditions et recruté les principaux protagonistes d’À l’Ouest de Pluton. Ils ont ainsi voulu éviter le piège des vieux acteurs jouant les jeunes qui ratent complètement la cible. «C’est nos souvenirs et notre vision de cinéastes qui s’équilibrent avec leur expérience, explique Myriam Verrault. On a fait des ateliers d’improvisation avec les
acteurs, où on essayait de voir les thèmes qu’on pouvait mettre dans le film, leurs réalités et leurs façons de voir le monde. On a bâti les personnages autour de leur personnalité; certains comédiens ont un personnage très proche d’eux.» Les réalisateurs, impressionnés par la spontanéité du jeu des adolescents, ont tenté de les intégrer le plus possible dans le processus de création et de les laisser improviser dans le canevas général qu’ils avaient prévu. Ils en ont tiré un film très proche du documentaire, mais qui dispose de la liberté de la fiction. Bernadet et Verrault y font le portrait de la banlieue, de ses rues étroites, montrent son aréna et sa cantine, où les destins des adolescents entrent en collision. C’est un long métrage d’une grande beauté, durant lequel les expériences anodines de l’adolescence acquièrent une incroyable capacité de bouleverser. Jérôme veut dé-
voiler son premier amour, la fête organisée par Émilie dérape, Kim vit sa première relation pas tout à fait comme elle l’attendait, Nicolas et Steve essaient de trouver un nom à leur groupe de musique Et Pierre-Olivier apprend que sa planète préférée, Pluton, n’est plus qu’un numéro. Leurs petites fins du monde deviennent celles du spectateur, grâce à des acteurs amateurs qui réussissent une performance pleine d’authenticité. Bernadet et Verrault ont imprégné leur film d’une grande légèreté, avec plusieurs séquences poétiques et contemplatives. On peut trouver, dans ce côté parfois sombre de l’adolescence, des airs de Gus van Sant. Interrogés sur leurs influences cinématographiques, les réalisateurs répondent qu’ils ont tenté de «donner une couleur très locale, très «Québec» à un film sur les adolescents comme on en voit à l’international. On n’en voit pas beaucoup ici, et c’est
pour ça qu’on voyait de l’originalité là-dedans.» On le remarque avant tout dans les expressions imaginatives des jeunes acteurs, qui restent longtemps collées sur la langue. L’humour n’est pas délaissé dans ce film qui s’ouvre sur de courts exposés en classe, où l’on est confronté au fait que les adolescents ont effectivement quelque chose à communiquer sur eux-mêmes. Seul film québécois a avoir été choisi pour la sélection officielle du Festival du nouveau cinéma cette année, À l’Ouest de Pluton n’est pas l’œuvre de rejects nés pour le rester. Avec leur film qui sort en salle dès le 24 octobre, on n’a pas fini d’entendre parler de ces deux réalisateurs bourrés de talent et de la maison qu’ils ont fondée, Vostok Films. «On peut enfin tourner la page sur notre adolescence», conclut Myriam Verrault en riant.x
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gracieuseté Cinéma Nouveau
Le Montréal de Michael Mackenzie: entre intimité et immensité
Adam’s Wall mêle de façon candide l’intrigue amoureuse de Roméo et Juliette avec les conflits israélo-palestiniens. Le film débute sur un événement tragique introduit par un commentaire d’Adam relatant sa vie jusqu’à cette date. Ses parents sont morts, et il a vécu dès lors chez son grand-père, un rabbin. Adam est Juif et a deux secrets: une librairie et sa clarinette. Alors qu’il devait se présenter à une audition à l’université, il se laisse entraîner dans une manifestation pro-palestinienne où il rencontre Yasmine, une jeune Libanaise étudiant en littérature. Yasmine, qui veut traduire les textes soufistes, vit avec son père, propriétaire d’une galerie d’art. Adam et elle s’amourachent l’un de l’autre, mais l’avenir du couple est d’emblée impensable. Le regard des autres et certains événements hors de leur contrôle
rendent difficile une évolution paisible de leur intimité. L’exposition d’un buste nu en métal dans la vitrine de la galerie provoque une tension entre le rabbin et le père de Yasmine. Yasmine n’accepte pas que son père ait une nouvelle femme. Le grand-père d’Adam l’incite à délaisser la clarinette pour se lancer dans des études de droit. Puis, lorsque Beyrouth se fait bombarder, la mère de Yasmine demeure introuvable. Bref, les cailloux ne manquent pas sur leur chemin commun, mais Adam et Yasmine gardent le sourire. Michael Mackenzie a révélé au Délit qu’il rêvait depuis longtemps de faire un film dans lequel Montréal ne perdrait plus ses attraits, ne passerait plus pour n’im-
porte quelle autre ville. Un film dans lequel Montréal serait «un personnage». Mackenzie désirait aussi parler de ces tensions sousjacentes qui, tout à coup, peuvent exploser entre deux amis ou, et c’est le cas pour Adam’s Wall, entre deux communautés. Son dernier film répond donc à ces deux attentes. L’architecture et la géographie de la Ville de Montréal s’impliquent dans l’intrigue et dans la symbolique du film. Au début du long métrage, une neige poudreuse tombe du toit des immeubles montréalais, le vent souffle entre les branches des arbres du Mont-Royal. Les ruelles connues du Mile-End servent par ailleurs de catalyseur dans une seconde
rencontre entre Adam et Yasmine. Les balcons qui saillent des murs jusqu’aux trottoirs rappellent ce chevauchement des espaces privé et public, un thème important du film. Le fleuve Saint-Laurent et ses plaques de glace en hiver, image chère au réalisateur, sont le cadre d’un moment d’intimité et de tendresse pour le couple. Ce qui est beau dans Adam’s Wall, c’est justement cette simplicité qui s’empare du film. Il n’y a pas d’optimisme naïf, rien n’est vraiment réglé, mais les choses tournent pour le mieux. Il y a aussi de l’humour, pas de comique «tarte à la crème» ou de phrases faciles, mais un humour d’une vraisemblance touchante qui s’installe entre les deux principaux ac-
teurs, Jesse Aaron Dwyre et Flavia Bechara. Ceci se transmet par de petits gestes, un souci du détail, et quelques scènes rappellant même une esthétique théâtrale. Adam’s Wall, par son titre, renvoie à plusieurs emblèmes connus du monde moderne tels le mur de Berlin ou le Kotel, mieux connu sous le nom de Mur occidental à Jérusalem. Mais le mur d’Adam, c’est ce mur détruit sur le MontRoyal, où il a caché une valise remplie de disques vinyles que possédaient ses parents. Le mur d’Adam est un lieu de solitude, d’évasion, de réconfort, un nid duquel il doit s’envoler pour découvrir l’extérieur. Adam’s Wall, un film attendrissant et honnête qui rend hommage à Montréal.x
gracieuseté d’Ixion Communications
Entre histoire et littérature, il y a Fernande Bouvier
Un dernier film d’Olivier Asselin, Un Capitalisme sentimental, traite de l’économie sur un ton tout à fait satyrique qui surprend et séduit. Un Capitalisme sentimental parle de politique tout en divertissant. Nageant dans un espace abstrait au milieu d’objets communs, Fernande Bouvier s’introduit comme «une femme sans qualités et sans argent». Puis, elle présente la suite du film comme l’autobiographie de son apprentissage, qui rappelle celui de Frédéric Moreau dans L’Éducation sentimentale de Flaubert. Fernande se mélangera à deux cercles, d’un côté la bohème artistique et, de l’autre, ceux qui détiennent les rênes de l’économie. Évoluant dans un Paris archaïque, assoiffée d’amour et de beauté, elle rencontre Max Bauer, un artiste sans œuvre. Pendant la nuit du 31 décembre 1928, les deux milieux se mélangent. Les relations s’entremêlent et chaque personnage apparaît comme un matériau dans une immense chaîne de production. L’année 1929 débute comme un désenchantement. Fernande s’éveille
à l’amour libertin que lui porte Max, à sa pauvreté, et au monde soumis aux lois de l’offre et de la demande. Lorsqu’elle quitte Max pour se retrouver dans un bordel, elle devient la cible d’un pari: trois hommes d’affaire se proposent de faire de Fernande une marque de commerce. Son nom apparaît sur les panneaux de la bourse à New York et sa valeur marchande explose. À son apogée, Fernande décide de tout arrêter: elle entame une grève d’immobilité. Tout finit pendant le krach boursier de 1929, et Fernande disparaît, moins candide. Malgré un maigre financement, Olivier Asselin a su faire des miracles avec ce film plein de poésie. Le long métrage n’est pas une critique moraliste du capitalisme, mais bien un conte philosophique. Le réalisateur a confirmé au Délit que, lors de l’écriture du scénario avec Lucille Fluet, l’humour était un élément clé gardé en tête. Et ce n’était
pas en vain puisque Un Capitalisme sentimental, comme chez Molière, châtie bien les mœurs par le rire. Mais le film n’est pas que dérision. Le sujet est tout de même horrible: penser qu’il soit possible de mettre une valeur monétaire sur une personne! Le réalisateur explique que l’inspiration était d’abord autobiographique. Asselin et Fluet désiraient mettre à l’écran leur rapport au cinéma, cette volonté de faire un cinéma différent, d’avant-garde, tout en n’oubliant pas la culture populaire. Et ceci se perçoit bien dans les nombreux clins d’œil à la littérature et à la culture, notamment par la métamorphose du célèbre urinoir de Duchamp en objet commercial. Un Capitalisme sentimental est un film complexe, car il s’inspire de différentes esthétiques. Il y a des instances d’opérette, de comédie musicale, un peu de vaudeville, et un expressionnisme proche d’Eisens-
tein, mais avec plus de chaleur. Aux merveilleuses images à l’écran s’harmonise le charme du texte. Des répliques ingénieuses qui renvoient à des expressions populaires devenues désuètes, des chansons captivantes. Bien sûr, il ne faut pas oublier la distribution, qui inclut plusieurs grands noms dont Lucille Fluet, Alex Bisping, Paul Ahmarani et Sylvie Moreau. Un Capitalisme sentimental est un amalgame proche du génie. Difficile de mettre le doigt sur ce qui, exactement, explique la réussite de ce film, mais c’est là que réside sa puissance. La beauté d’Un Capitalisme sentimental est son pouvoir d’émouvoir. Max Bauer l’a dit: «Je ne comprends rien, mais je ressens tout.» À voir absolument. (Sortie en salle dès le vendredi 31 octobre.) x
délit | 21 octobre 2008 14 xle www.delitfrancais.com
Arts&Culture
Retour féroce
Le très peu politically correct Jamil nous prouve qu’il a ce qu’il faut pour durer avec son troisième album. musique Catherine Côté Ostiguy Le Délit
L
e Petit Medley a vibré au son de la voix gravissimo de Jamil, le 7 octobre dernier, à l’occasion du lancement de son plus récent album. Le chansonnier a d’ailleurs trouvé à son dernier rejeton un nom qui promet: Je dure ... très, très dur... Le ton est donné, et les fans les plus fidèles sont assurés de retrouver, dans ce troisième opus, l’énergumène qu’ils adorent. Jamil est depuis longtemps mêlé à la scène musicale en tant que producteur et agent d’artistes. Ce n’est toutefois qu’en 2004 qu’il a fait le saut de l’autre côté des coulisses avec son premier album Pitié pour les femmes! Pour la critique, il demeure cependant un agent qui se paie un «trip d’artiste». Il récidive donc, un an plus tard, avec Pitié pour les bums!,
afin de prouver à ceux qui ne le prenaient pas au sérieux qu’ils avaient tort... Si, depuis, quelques sceptiques continuaient de douter de l’avenir de Jamil Azzaoui dans le monde de la musique, ils ne pourront que s’en mordre les doigts. Car il s’installe, et il est là pour durer. Dès les premiers moments de l’album, en effet, pas de doute possible. Jamil n’a rien perdu de son mordant. Comme dans ses albums précédents, il traite avant tout des relations amoureuses, un thème mille fois ressassé qu’il aborde comme personne d’autre n’ose le faire. C’est cru, ça choque et on aime ça! La première chanson de ce troisième album, «Poubelles», est un hommage discret mais magnifique au regretté chanteur des Colocs, André Fortin. Jamil y reprend le décor de la célèbre «Belzébuth» (Dehors novembre, 1998), mais vu à travers les yeux de Colonel, qui occupait un rôle secondaire dans le texte de Fortin.
Le grand retour de Jamil, qui n’a rien perdu de son mordant. Martine Doucet
La pièce se termine sur ces mots: «Allez viens Dédé, je vais tout te montrer. Tu vois le monde, il a pas changé.» On n’aurait pu imaginer une meilleure manière de lever son chapeau à l’une des grandes figures de la musique québécoise. Suivent une série de titres où l’on retrouve, piste après piste, le Jamil qui nous a tant manqué depuis Pitié pour les bums!, qui
date de 2005. C’est après avoir tenté sa chance en France l’an dernier qu’il nous revient enfin, avec un album tout à fait à son image. Toujours très drôle, marqué d’une belle variété, son écoute est loin d’être ennuyeuse. Festif et un peu grivois, le chansonnier nous accroche entre autres grâce à des compositions comme «Les pendules à l’heure», «Mammaire» et la très «jamiles-
que» «Chuis beau», dans laquelle il fait son propre éloge sur un air blues. Il ne manque pas non plus de teinter son album de saveurs marocaines, fidèle à ses origines, avec l’excellente «Daing daing». L’album n’est pas parfait –bien peu le sont–, mais Jamil reste Jamil et c’est sur scène que l’artiste et le personnage prennent vie. Par contre, un Jamil Azzaoui plus grand que nature ne pourra y monter pendant un moment. Hospitalisé depuis la semaine dernière pour un caillot au cerveau, il a été forcé d’annuler ses spectacles des 13 et 14 novembre prochains, qui devaient avoir lieu à l’Olympia. On lui souhaite de se remettre bien vite, parce que rien ne vaut un Jamil live, en train de faire ses folies sur scène. Il entonnait l’autre soir au Petit Medley: «J’suis mon idole!» Et bien, Jamil, tu es la mienne aussi. Reviens-nous vite, et plus explosif que jamais! x
Pour plus d’information et pour les dates des spectacles à venir, consultez le www.jamilxxx.com
Un scandale que pour elle-même Sagan raconte, avec plus ou moins de véracité, la vie mouvementée de l’écrivaine française Françoise Sagan, décédée en 2004. musique Julie Côté Le Délit
L
e film de Diane Kurys nous fait découvrir l’histoire de cette auteure qui, au moment de la publication de son premier roman Bonjour Tristesse, obtient à la fois succès et richesse, mais trop rapidement. Dotée d’un tempérament compulsif, Sagan utilise tout cet argent pour mener un train de vie effréné, s’acheter une maison de campagne en Normandie et des voitures de luxe. Lorsqu’un grave accident de voiture passe près de lui arracher la vie, Sagan développe une dépendance aux médicaments qui ne la quittera jamais. Elle se marie à deux reprises; deux mariages qui se soldent par des divorces mais qui lui laissent un fils avec lequel elle entretient une relation conflictuelle. Après son deuxième divorce, elle fait la rencontre de la styliste Peggy Roche, dont elle partage la vie jusqu’à la mort de cette dernière. À la fois amies, complices et amantes, les deux femmes vivent en cumulant les excès d’alcool et de drogue, consumant leur vie sans jamais ralentir. La mort de Peggy marque la fin des belles années
de Françoise Sagan. Ses penchants pour l’alcool, la cocaïne et le jeu la mènent au bord du gouffre jusqu’à sa mort, où elle est dépossédée de sa demeure et de ses droits d’auteur. Bien que l’histoire de Françoise Sagan possède tous les éléments d’un drame, le film de Kurys traite de la vie de l’écrivaine avec une pointe d’humour, notamment en ce qui a trait à sa dépendance à la cocaïne. Le film s’inspire de la vie de Sagan, mais il n’a pas la prétention de la décrire avec exactitude. Il est agréable de voir un film qui, malgré un grand potentiel dramatique, évite de tomber dans le piège du drame criard et larmoyant. Sagan nous laisse sur l’impression d’en savoir plus sur l’auteure et nous donne envie de replonger dans son univers. L’excellente distribution du film nous y transporte, et le spectateur ne demande qu’à se laisser emporter. L’actrice principale, Sylvie Testud, donne une interprétation attachante et émouvante de l’écrivaine qui, malgré ses faiblesses, fascine et attendrit du début à la fin. Elle parvient sans difficulté à nous plonger dans l’univers de l’écrivaine, de ses expressions propres à son humour cynique. Sylvie Testud se transforme littéralement en Françoise Sagan. Les personnages secondaires ne sont pas en reste, car les
Découvrez une écrivaine et les chemins tortueux de son existence avec Sagan. Gracieuseté de Équinoxe Films
acolytes de l’auteure sont tout aussi bien campés. La seule faiblesse réside sans doute dans le personnage d’Astrid qui, interprété par Arielle Dombasle, est insupportable et peu crédible. Que ce soit pour mieux connaître Françoise Sagan, ou encore pour s’offrir un bon divertissement, Sagan est un film qui plaît et qui permet de découvrir la philosophie particulière d’une femme unique. Le film prend fin sur une épigraphe composée par Françoise Sagan ellemême qui, tout comme son histoire, lais-
se perplexe et songeur: «Sa disparition, après une vie et une œuvre également agréables et bâclées, ne fut un scandale que pour elle-même». x
Sagan Où: Cinéplex Odéon Quartier Latin 350, rue Emery Quand: à partir du 17 octobre Combien: 10,50$
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xle délit | 21 octobre 2008 www.delitfrancais.com
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Brèves culturelles: Quelque chose, quelque part
compilé dans le bunker par Catherine Côté-Ostiguy et Véronique Samson
CINÉMA
DANSE
MUSIQUE
De la mode au marché
De la danse à Schulich
De la musique à la galerie
Du 13 au 17 octobre dernier, le Marché Bonsecours, dans le VieuxMontréal, accueillait la quinzième Semaine de la mode de Montréal. Elle a réuni sur les podiums une vingtaine de créateurs d’ici, dont plusieurs talentueux nouveaux venus. Travis Taddeo, entre autres, s’est frayé un chemin du milieu hipster aux défilés. Les procédés éthiques et écologiques en textile ont aussi trouvé leur place cette année, avec la présentation de la ligne Sans Soucie, de Vancouver. Pour ceux qui n’auraient pas eu leur dose, la grande Braderie de mode québécoise se tiendra du 23 au 26 octobre. Des échantillons et des surplus d’inventaires de plus de cinquante griffes québécoises seront écoulés, à des prix qui font plaisir à notre porte-feuille.
Le pavillon de musique de l’Université McGill accueillera cette semaine Duo pour un violoncelle et un danseur, un spectacle-rencontre élaboré par l’Agora de la danse et le Centre de recherche interdisciplinaire en musique et en médias. Pour quatre soirs, vous pourrez donc admirer, sur le campus même, les mouvements du danseur Elijah Brown, chorégraphié par Isabelle Van Grimde. Le tout sera supporté par les mélodies de la violoncelliste Chloé Dominguez, dans une «véritable chorégraphie du son dans l’espace, où le geste manipule la musique, la transforme, et ce, en temps réel» (Agora de la danse). Après chaque représentation, l’équipe de Duo pour un violoncelle et un danseur rencontrera le public afin d’expliquer les dessous de leur démarche artistique.
Joseph Arthur est en ville! À la suite de la parution de son dernier album, Temporary People, il s’arrêtera à la Galerie Pangée, dans le Vieux-Port, pour faire la promotion de sa musique comme de ses oeuvres visuelles, qui y sont exposées. Paraît-il que, dans les pauses de l’enregistrement de ses albums, Joseph Arthur crayonne. Il a même ouvert sa propre galerie d’art à Brooklyn, le Museum of Modern Arthur, qui lui a servi de studio pour Temporary People. L’artiste aura une soirée bien remplie le 21 octobre. Il se produira en spectacle au magasin Apple après s’être présenté à la Galerie Pangée pour le vernissage de son Joseph Arthur Art Exhibition. On y découvrira des oeuvres colorées, teintées de naïveté et d’un certain onirisme, qui ne sont pas sans rappeler sa musique.
Du 23 au 26 octobre, au Marché Bonsecours dans le Vieux-Port.
Du 21 au 24 octobre, à la salle multimédia de l’école de musique Schulich.
Découvertes musicales Louis Melançon Après une longue réflexion, j’en suis arrivé à la conclusion suivante: si la musique classique nous touche tant, c’est parce que c’est le type de musique qui respecte le mieux certaines règles bien précises de la psyché humaine. C’est la musique qui vient le mieux titiller nos sens, celle qui séduit le mieux nos pulsions intérieures, notre inconscient. Ces règles vous apparaîtront d’abord toutes simples, voire naïves, mais ne soyez pas incrédules, sceptiques lecteurs, et laissez-moi étayer mon propos. La structure d’une œuvre classique se limite à trois étapes successives qui, je l’admets, semblent sortir tout droit d’un cours de français de l’école primaire: introduction, climax, conclusion. Certes, la formule n’a rien de nouveau dans le domaine littéraire, mais elle devient particulièrement intéressante lorsqu’appliquée au plaisir sous toutes ses formes, et surtout en musique. Commençons par vous exposer cette théorie par un exemple que vous connaissez bien: la musique populaire. Avec sa structure «refrain, couplet, refrain», elle parvient à nous divertir pendant quelques temps, mais on finit généralement par s’en lasser. Il y a bien entendu des classiques incontournables et intemporels; ce cas particulier mérite une attention particulière. Prenons «Stairway to Heaven», classique parmi les classiques: la structure «introduction, climax et conclu-
À la Galerie Pangée, du 23 octobre au 16 novembre. Vernissage en présence de l’artiste le 21 octobre, à 19h.
Tension et dénouement sion» ne s’applique-t-elle pas à merveille? Le fantastique solo de guitare, créant une tension formidable, ne se termine-t-il pas de façon jouissive? Si cette tension et ce dénouement ne se trouvent pas dans la musique en tant que telle, ils se trouvent dans les paroles de la chanson. Tentez d’appliquer cette idée à vos chansons préférées; vous verrez bien qu’elle s’applique à tous coups. Quelle est l’origine de cette structure presque magique qui nous rejoint immanquablement? Les plus perspicaces d’entre vous, pardonnez-moi l’expression, m’auront vu venir: il s’agit du plaisir le plus primaire, celui de la chair bien sûr. La musique, c’est comme le sexe; l’idée n’est pas aussi ridicule qu’elle n’en a l’air, et en tant que musicien elle a révolutionné ma façon de voir la musique. Prenons d’abord la première partie de toute pièce qui se respecte: l’introduction. Ceux qui croient pouvoir se passer de toute forme de préliminaires –n’avons pas tous déjà commis cette erreur, messieurs?– sont rapidement (et douloureusement) rappelés à la réalité. Ensuite, en changeant de rythme, de position, on crée progressivement une tension qui mène au «climax». «Mais le sexe, me direz-vous, se termine avec le climax. Il n’y a plus rien par la suite». À cela je répondrai: «Ah oui ? Je vous mets au défi, messieurs, de quitter la pièce juste après ce climax sans recevoir une gifle!» Je vous invite à garder ce parallèle en tête la prochaine fois que
Le Délit vous propose
vous irez entendre une symphonie de Mahler ou encore un opéra de Wagner. Inspirez-vous de cette belle musique, et devenez à la fois meilleurs musiciens et meilleurs amants. Bach, considéré comme le plus grand compositeur de tous les temps, n’a-t-il pas eu vingt enfants? Cela dit, soyez prudents; quelques coureurs de jupon comme Schubert ne sont pas des exemples à suivre. Souhaitez-vous vraiment mourir de la syphilis ?
Sympathy Devil
for
the
Au Musée d’art contemporain (cf. page 10)
Yves Thériault: le pari de l’écriture À la Grande Bibliothèque (cf. page 11)
Le cinéma québécois en quatre films
Dans plusieurs salles (cf. pages 12-13)
délit | 21 octobre 2008 16 xle www.delitfrancais.com
Arts&Culture
Fanny Britt sort de l’ombre Véronique Samson a rencontré Fanny Britt, dramaturge et traductrice de la pièce Après la fin, présentée au Théâtre de La Licorne jusqu’au 22 novembre. Pleins feux sur celle qui reste, habituellement, derrière le rideau. théâtre
L
e Délit (LD): La pièce qui vous a fait connaître du grand public, Couche avec moi (c’est l’hiver), a été perçue comme la critique d’une certaine génération. Vous inspirez-vous des gens autour de vous? Fanny Britt (FB): Je dirais que le malaise, l’angoisse, le désarroi, sont inspirés de gens autour de moi, pour ne pas dire de moi. Je m’inspire beaucoup des affaires qui m’inquiètent, c’est làdessus que je travaille. Parce qu’il y a beaucoup de choses qui m’inquiètent. LD: Certains critiques ont vu dans la pièce un regard intransigeant sur la société. Ce n’était pas l’objectif? FB: Je suis toujours mal à l’aise avec ça parce que, quand j’écris, je pars toujours de quelque chose de bien personnel. Je ne sais pas si je parle d’une époque, d’une génération. J’essaie de toucher à quelque chose de vrai et, si je suis chanceuse, je ne suis pas la seule à me sentir ainsi et j’arrive à capturer un peu l’esprit de l’instant. Je pense que si j’avais l’intention de faire une critique je me «pèterais la gueule», parce que je sortirais de ce qui est pour moi le fond, les racines. LD: Qu’est-ce qui vous touche assez pour devenir le sujet de votre écriture? FB: Je pense que c’est tout ce qui nous fragilise. Les zones ambigües des êtres humains, la contradiction entre ce qu’ils pensent qu’ils devraient être et ce qu’ils sont vraiment. Entre les ambitions que notre société ou nos parents ont pour nous et nos pulsions, qui ne sont pas toujours propres, belles. C’est d’ailleurs ce que j’aime le plus traduire dans des pièces, et c’est un thème d’Après la fin. LD: Pourriez-vous donner un aperçu de la pièce? FB: C’est une pièce sur les relations de pouvoir, sur le désir de s’élever et sur l’illusion qu’on a d’un monde meilleur, de conditions d’existence meilleures. Ça me touche beaucoup parce que ça rejoint mon obsession sur ce qu’on nous sert comme modèles, et qui créent un tel désespoir chez
les gens. Pour moi, le sentiment d’être inadéquat est à l’origine des conflits entre les gens. C’est l’histoire de deux collègues de travail. Un des deux aspire à faire partie des cool, et se retrouve seul avec la plus cool. Après un accident nucléaire, ils sont en huis clos dans un abri. Ils régressent à un stade d’enfant, de bête même; on va très loin pour la survie. Et le sens de cette survie dépasse celui physique, littéral, de l’abri nucléaire. LD: On parle de l’auteur de cette pièce, Dennis Kelly, comme de quelqu’un qui veut aussi parler de relations humaines qui se désagrègent, comme dans sa pièce Débris. Est-ce que vous vous êtes retrouvée dans cette écriture? FB: J’ai vraiment accroché sur son texte. Je l’ai même rencontré, parce que je l’ai traduit dans le cadre d’une résidence de traduction et qu’on l’a fait venir pendant dix jours à l’hiver dernier. C’était extraordinaire. C’était la première fois que je traduisais un texte avec son auteur à côté de moi. Ça ne m’a pas mis plus de pression. Tout au contraire, on est allés plus loin encore dans la pièce. LD: N’y a-t-il pas quelque chose de très matériel dans la traduction, qui a fait que Dennis Kelly a pu vous aider même sans parler français? FB: Tout à fait. Dans l’écriture de Dennis, il y a beaucoup d’hésitations, de retours en arrière, de personnages qui parlent en même temps, qui s’obstinent. C’est un duo, un duel même, entre deux personnes prises ensemble dans un abri. Dans cette confrontation, il y a beaucoup d’aller-retour. Quand j’écris mes pièces, je travaille beaucoup avec les phrases; c’est une façon de mettre en lumière ce qu’on ressent. Je suis un peu obsédée par la façon dont les gens parlent, et je pense que cela préoccupe Dennis aussi. Je me suis arrangée pour que son texte reste très vif, ce qui est difficile en français, où tout est plus long. LD: Comment avez-vous commencé à traduire? Est-ce que c’était avant d’écrire? FB: J’ai commencé en écrivant, quand j’étais à l’École nationale de théâtre en écriture. J’ai demandé un cours de traduction. J’ai toujours été anglophile. Même à
l’école primaire, j’aimais les poètes anglais. J’avais une attirance pour la littérature anglaise. Ce qui fait que j’ai toujours été attentive à la langue. J’ai seulement commencé à l’École, quand on m’a demandé de faire la traduction d’une pièce de Berkoff, qui s’appelle Kvetch. En sortant de l’École, j’ai traduit La reine de beauté de Leenane pour le Théâtre de la Manufacture. Là, je suis rendue à treize ou quatorze traductions professionnelles. J’en ai surtout fait beaucoup dans les dernières années. Ce n’est pas du tout une sous-catégorie de mon travail; j’appelle souvent ça mon «cardio» mental, mon exercice. Tu rentres vraiment dans la tête d’un auteur. En même temps, c’est une forme de repos parce que tu n’as pas besoin de trouver des personnages: ils sont déjà là, ils existent, et tu n’as qu’à leur trouver des mots. Faire parler, c’est la partie que je préfère, comme quand j’écris. LD: Est-ce que traduction et écriture vont main dans la main pour vous? Est-ce que ça vous aide à aller plus loin dans vos idées? FB: Ça me donne l’impression de devenir meilleure. Quand je traduis des pièces, ce sont souvent des pièces que je trouve meilleures que les miennes. C’est comme si j’avais nagé avec eux pendant un bout. J’ai l’impression de recevoir leur secret, leur façon d’aborder l’écriture. En même temps, ça peut être paralysant: plus tu travailles sur de bons textes, plus tu te demandes: «À quoi ça sert?» Quand je traduis, j’ai toujours l’impression de servir à quelque chose. Quand j’écris, j’en suis moins certaine. LD: Après la fin semble être une pièce qui s’inscrit dans la même lignée que celles que vous avez écrites auparavant. Comment vous l’êtes-vous appropriée? FB: C’est une pièce qui nous rejoint énormément dans ce que l’on est. Je la trouve très québécoise, aussi. C’est quelque chose que j’ai ressenti très souvent avec les pièces britanniques et irlandaises: il y a vraiment une parenté avec le Québec, une sorte de désespoir caché, de pauvreté de langage, d’hésitation. Beaucoup d’autodérision et d’autodépréciation aussi. Ce sont des choses que l’on retrouve dans la psyché québécoise. LD: Est-ce difficile de laisser la pièce entre les mains du metteur en scène une fois que vous l’avez traduite et que vous avez imaginé son univers? FB: Parfois, c’est facile. Ça se fait naturellement. D’autres fois, moins: on se sent proche de la pièce, comme Après la fin! Dans
Fanny Britt se révèle. Rolline Laporte
ce cas-ci, j’ai une confiance absolue en Maxime (Denommée, le metteur en scène), Maxim et Sophie (Gaudette et Cadieux, les acteurs). Ce sont des acteurs qui ont de l’instinct. On a fait une lecture l’année passée et c’était déjà formidable. Mais avec cette pièce-là, je me sens maternelle. Dennis et moi sommes vraiment devenus amis autour de la traduction. Je me sens un peu protectrice. Quand on est auteur, les gens s’attendent plus à ce qu’on dise notre opinion. Quand on traduit, ils s’approprient la pièce plus facilement. LD: À quoi peut-on s’attendre avec Hôtel Pacifique, votre prochaine création? FB : C’est la réécriture d’une pièce que j’avais commencée quand j’étais à l’École nationale de théâtre. Je me suis toujours dit que j’aimerais retourner à son écriture. J’avais beaucoup aimé la retravailler, surtout sur la précision. Au contraire de Couche avec moi, où c’est plein de monologues, ça déborde, c’est frénétique, dans cette pièce, c’est plutôt comme un robinet mal fermé. Et c’est l’accumulation des gouttes qui fait que ça devient chaotique. C’est un tout autre rythme, inspiré de la littérature anglo-saxonne aussi, où il y a souvent quelque chose qui se brode lentement et se débrode. C’est très intime. Ce sont
trois couples dans trois chambres d’un même hôtel, sur le même étage, durant la même soirée. Ce sont des moments de leur vie, une vie qui s’effrite. Ça touche à ce qui m’a intéressée avant : la désintégration des relations, notre rapport au désir. Je laisse beaucoup de liberté à Geoffrey Gaquère, le metteur en scène qui a travaillé sur Couche avec moi, pour les petits détails, les gestes, et même des scènes muettes. LD: Avez-vous trouvé dans le théâtre, plus que dans les autres formes d’écriture, une manière d’exprimer ce qui est important pour vous? FB: Oui. J’ai un faible pour les dialogues: j’aime en écrire, en écouter. J’aime les rapports des gens à travers la parole, les éclats de lumière dans ce qu’ils disent. Ce que j’aime aussi dans le théâtre, c’est qu’on ne travaille jamais seul. C’est un art d’équipe et, avec des pièces comme Après la fin, ça donne beaucoup à vivre.x
Après la fin Où: Théâtre La Licorne 4559, av. Papineau Quand: jusqu’au 22 novembre Combien: 17$ (étudiant)