le délit
Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill.
OÙ EST LE FRANCO? La solution en pages 8 & 9
Éducation: c’est chaud, les frais > 3-4
Réfugiés tamouls: en prison ou à l’eau > 6 Entrevue avec Marie-Thérèse Fortin > 10 Retour sur le Festival des Films du Monde > 12-13
Le mardi 7 septembre 2010 - Volume 100 Numéro 1, le seul journal francophone de l’Université McGill.
Les francos font les frais depuis 1977.
Pour placer une annonce : courriel : ads@dailypublications.org • téléphone : (514) 398-6790 • fax : (514) 398-8318 en personne : 3480 rue McTavish, Suite B-26, Montréal QC H3A 1X9
Les frais : Étudiants et employés de McGill : 6,70 $ / jour; 6,20 $ / jour pour 3 jours et plus. Grand public : 8,10 $ / jour; 6,95 $ / jour pour 3 jours et plus. Minimum 40,50 $ / 5 annonces.
Logement 日本人留学生のルームメイトを探してい ます。物静か、 きれい好きなカナディアン 2人が3人目のシェアメイトを探してい ます。 アパートはお洒落なプラトー地区 のローリエ駅(メトロオレンジライン)か ら1分で便利。私たちは日本語を2年勉 強していて、 日本語での会話を練習した いと思っています。英語・フランス語のバ イリンガルなので語学勉強のお手伝い をします。 3人で楽しく語学交換をしな がら生活しませんか。 お部屋は10月1日 から入居可能。家賃は$495/月 (暖房・ 電気・インターネット・電話代込み)詳細 はご連絡ください。
kodamastore@gmail.com
ANNONCEZ DANS LE DÉLIT!
ads@dailypublications.org • 514-398-6790 Visitez-nous en ligne :
www.delitfrancais.com Nouveaux tarifs publicitaires :
mcgilldaily.com/publicite
Offres d’emploi ÉCOLE DES MAÎTRES Cours de service au bar et de service aux tables. Rabais étudiant, service de référence à l’emploi. 514-849-2828 www.EcoleDesMaitres.com (inscription en ligne possible)
Cours CANADA COLLEGE
www.collegecanada.com Tous les cours de langues : 7.00$/heure Certification TESOL reconnue par TESL Canada. Préparation pour TOEFL iBT, GMAT, MCAT, TEFaQ, TEF. Visas étudiants, renouvellement de visas. (514) 868-0869 1118 rue Sainte-Catherine Ouest, #404, Montréal, QC
Votre talent ne demande qu’à s’épanouir? Illustrateurs, photographes, dessinateurs,
Exprimez tout votre potentiel dans Le Délit! photo: Ernst Vikne
2
Écrivez à visuel@delitfrancais.com xle délit · le mardi 7 septembre 2010 · delitfrancais.com
Nouvelles nouvelles@delitfrancais.com
DOSSIER: Frais de scolarité
Adam minter
Facture majorée La communauté étudiante réagit à l’incertitude.
Le financement des programmes universitaires occupe bien des esprits. Certains étudiants et leurs associations se montrent réticents face aux clauses du budget Bachand, qui vise l’équilibre budgétaire et compte ainsi sur la contribution des étudiants pour défrayer les coûts de leur éducation. Si les droits de scolarité sont majorés de 50$ par semestre depuis l’automne 2007, rien n’est encore joué pour l’automne 2012. «Pour le bien commun des Québécois», dans les mots du ministre des Finances, le budget 201011 prévoit une rencontre des partenaires de l’éducation pour «déterminer les modalités de cette hausse» qui prendra effet en 2012.
Le ministère et sa nouvelle ministre
D
ans la foulée du remaniement ministériel, la barde du ministère de l’Éducation est passée de Michelle Courchesne à l’ex-ministre de l’Environnement Line Beauchamp. Si les dossiers litigieux propres au ministère de l’Éducation demeurent, les solutions envisagées diffèrent. En effet, à la suite du témoignage rendu par le recteur de l’Université Laval, Denis Brière, le MELS propose d’analyser une autre proposition que la hausse des frais. «C’est un premier pas vers une discussion constructive», a déclaré M. Bureau-Blouin, président de la Fédération étudiante collégial du Québec, la FECQ. La vice-présidente affaires externes renchérit en notant qu’avant l’intervention du recteur de l’Université Laval, la rencontre pour les partenaires de l’éducation existait pour déterminer les paramètres de la hausse des frais. «En réaction à l’intervention de M. Brière, pourtant, la ministre Beauchamp laissait comprendre que la rencontre servirait à trouver la meilleure solution au sous-financement des universités qui peut être autre que celle d’augmenter les droits des étudiants. C’est complètement différent.» Le Secrétaire général de la Table de Concertation étudiante du Québec (TaCEQ), Alexandre Verreault-Julien n’est pas aussi enthousiaste; «pour l’éducation post-secondaire, Mme Beauchamp détient le fardeau de la preuve» de son ouverture à de nouvelles solutions au sous-financement du réseau d’éducation post-secondaire. x
«
En réaction à l’intervention de M. Brière, pourtant, la ministre Beauchamp laissait comprendre que la rencontre servirait à trouver la meilleure solution au sous-financement des universités qui peut être autre que celle d’augmenter les droits de scolarité. C’est complètement différent.»
Myriam Zaidi, Alexandre Verreault-Julien et Joël Pedneault en entrevue avec Le Délit. Emma Ailinn Hautecoeur / Le Délit
L’idée que l’AUEM résiste
S
e déroule présentement la Commission parlementaire de la culture et de l’éducation ayant pour but d’entendre les dirigeants des établissements universitaires, qui reçoivent tous des milliards en subventions gouvernementales chaque année. Quoique l’université McGill ne passera en audience que le 7 septembre prochain, la v-p. affaires externes ne doute pas des propos que tiendra la principale, Heather Monroe-Blum. «La principale veut une révolution totale du Québec, elle aimerait que les frais de scolarité des Québécois rattrape la moyenne canadienne.» Selon la vice-présidente, la principale utilise les mêmes arguments qui justifiaient la hausse des frais pour le programme de maîtrise en administration des affaires pour recommander des hausses pour tous les étudiants, dans tous les programmes. «C’est très inquiétant, et choquant aussi», ajoute-t-elle. Elle explique qu’il est difficile pour les citoyens de la province et héritiers des valeurs de la Révolution tranquille d’entendre que la hausse des frais «sauvera la population québécoise». Elle ajoute avec un sourire que «les lucides sont de retour, et que l’Université McGill en a une à sa tête». x
xle délit · le mardi 7 septembre 2010 · delitfrancais.com
Éléna Choquette Le Délit
C
ette année, différentes fédérations étudiantes feront de la lutte contre la hausse des frais de scolarité leur cheval de bataille. D’ailleurs, à la fin de l’année dernière, les étudiants du premier cycle ont voté en faveur d’une motion mandatant les exécutifs de la fédération pour qu’ils «se batt[ent] pour une éducation libre, de bonne qualité, et accessible; à travers la mobilisation des étudiants de McGill (...) pour appliquer une pression sur le gouvernement afin que celui-ci réduise et élimine éventuellement les frais de scolarité (...)» À la dernière Assemblée générale de l’AÉUM, la population étudiante s’était également exprimée contre toutes les augmentations futures des frais afférents exigés d’eux.
La Table de concertation C’est notamment à travers son implication au sein de la Table de Concertation étudiante du Québec (TaCEQ), dont elle est membre depuis 2009, que l’AÉUM compte remplir son mandat. Au nom de l’AÉUM et des autres associations étudiantes membres de la Table, soit les étudiants de premier cycle de l’Université Laval et celle de Sherbrooke, la TaCEQ prépare une réponse à l’intention du gouvernement de hausser les droits des étudiants universitaires.
«
La FEUQ était détachée de ses membres.»
Myriam Zaidi, vice-présidente affaires externes de l’AÉUM, explique que les membres de la TaCEQ travaillent ensemble parce que «les
étudiants des trois universités se ressemblent; ils ne sont pas forcément très militants, mais tout de même très préoccupés par la hausse des droits de scolarité. Aussi, nous étions tous désenchantés par la FEUQ dont nous étions membres.» Selon elle, la «FEUQ était détachée de ses membres, corporatiste dans le sens négatif du terme». Par opposition, la TaCEQ fonctionnerait de manière décentralisée et consensuelle. La TaCEQ, malgré sa date de création récente, jouit d’une reconnaissance de la part des autres associations étudiantes et des autres partenaires de l’éducation. «La TaCEQ est maintenant membre de la Table des Partenaires Universitaires, ce qui est très significatif en mon sens», note le vice secrétaire-général et ex-représentant de la Faculté des arts, Joël Pedneault. x
Nouvelles
3
Une question d’accessibilité
Adam minter
DOSSIER: Frais de scolarité Déficit budgétaire: McGill rate sa cible
Philippe Teisceira-Lessard
C
inq ans après avoir fait de l’année 2011 la date prévue pour que McGill atteigne l’équilibre budgétaire, le Bureau des gouverneurs de l’université a officiellement baissé les bras le 26 mai dernier en adoptant, pour l’institution, un nouveau budget... déficitaire. La faute à la crise économique selon la principale Heather Munroe-Blum, qui a indiqué que sans «la hausse prévue des revenus, pour chacune de ces années, le respect de notre engagement [...] est progressivement devenu de plus en plus difficile». Pour solutionner le problème récurrent, le budget établit donc comme stratégie de faire pression afin d’obtenir l’autorisation d’«augmenter les frais de scolarité pour s’approcher de ceux des autres institutions canadiennes». Mais nul besoin de le faire pour certains programmes, puisque du même coup, la première dirigeante de l’université explique vouloir se «conformer au régime réglementaire en vigueur, excepté pour nos programmes déréglementés et autofinancés». L’administration veut aussi accroître le recrutement d’étudiants au premier cycle et aux cycles supérieurs. x
D’autres solutions
D
evant la Commission parlementaire sur l’éducation et la culture, le recteur de l’université Laval a présenté, au nom des associations étudiantes de premier et de deuxième cycle, une nouvelle proposition pour pallier au sous-financement du système universitaire. Puisque «une hausse des frais de scolarité pourrait avoir une incidence sur l’accessibilité aux études, [...] une hausse des frais de scolarité n’est conséquemment pas la solution au sous-financement des universités», a déclaré M. Brière. Par ailleurs, les étudiants suggèrent la mise en place d’une mesure engageant les entreprises à investir un certain pourcentage de leur masse salariale dans le réseau universitaire québécois. Selon la déclaration de l’association étudiante, les «entreprises québécoises sont les premières à bénéficier d’une main-d’œuvre hautement qualifiée qui stimule l’innovation et le développement de l’économie du savoir sur laquelle repose notre avenir». Selon eux, puisque le financement des universités devrait être partagé par tous les acteurs qui bénéficient de la formation qu’elles offrent et des recherches qui y sont réalisées, les entreprises devraient conséquemment défrayer leur juste part pour le bon fonctionnement du réseau universitaire. Quoique le président de la FECQ conçoive que cette idée ait un certain poids, il considère qu’une telle taxe est régressive. «Notre Fédération prône plutôt l’arrimage de l’impôt sur les bénéfices des entreprises, ou le retour de la taxe sur le capital au niveau de 2007», explique le président. x
4 Nouvelles
FACTEUR NON NÉGLIGEABLE
L
a hausse des frais de scolarité concerne plusieurs acteurs du milieu de l’éducation en raison de son impact possible sur l’accessibilité aux programmes d’études postsecondaires. Cependant, dans le cas du programme de maîtrise en administration des affaires, l’impact est difficile à mesurer
puisque la décision est toute récente. Pour nous éclairer sur les effets potentiels d’une hausse des frais de scolarité Rachel Gotthilf, employée en tant que chercheuse par l’AÉUM pour l’été, s’est notamment penchée sur le cas de la Faculté de droit de l’Université de Toronto, qui a récemment pris la décision d’augmenter la facture des étudiants de 2000$ chaque année jusqu’à ce qu’elle atteigne les 22 000. Aujourd’hui, les étudiants en droit payent plus de 23 000$ pour étudier au sein de l’Université. Officiellement, expliquet-elle, le doyen de la Faculté voulait augmenter les droits de scolarité pour mieux payer les professeurs, et ainsi remédier à leur émigration vers les écoles de droit américaines. On cherchait aussi à diminuer le ratio étudiants/professeurs. «Que l’on ait amélioré la qualité du programme ou non, c’est difficile à dire. Mais si c’était vraiment le cas, on pourrait toujours se demander si ça vaut la perte des étudiants qui ne peuvent s’offrir cette éducation onéreuse.» En réaction aux appréhensions des administrateurs de l’Université de Toronto, le vice-principal aurait réalisé une étude sur l’accessibilité de son programme d’étude. Publié en 2003 et présenté devant le Conseil
de gouvernance de l’université, le rapport concluait que l’augmentation des droits de scolarité ne représentait pas un obstacle à l’inscription des moins bien nantis en raison de l’aide financière accordée aux catégories socio-économiques inférieures. «Néanmoins, on peut critiquer la sélection de l’échantillon choisit pour cette étude: si tu ne rends compte dans un rapport que de ceux qui ont été admis dans le programme en question, tu omets tous ceux qui n’ont pas pris la peine de se porter candidat de peur de ne pas recevoir suffisamment d’aide financière,» estime Rachel Gotthilf. La chercheuse pense en conséquence que ce genre d’étude est biaisé. En somme, il est difficile de tirer des conclusions claires et définitives. Pour elle, plusieurs facteurs entrent en jeu, notamment la mentalité des décideurs et des étudiants. Selon elle, il est devenu normal, voire nécessaire pour les administrateurs, que les étudiants s’endettent pour se retrouver sur les bancs d’école. «Or, ceci peut également avoir pour conséquence un nombre accru d’heure travaillées horscampus pour payer le coût de l’éducation. Toujours selon elle, trop travailler à l’extérieur du campus peut compromettre la qualité de l’expérience étudiante.» x
xle délit · le mardi 7 septembre 2010 · delitfrancais.com
MONDE
Les unes de la canicule
Bilan de l’actualité internationale qui fait raisonner les dossiers ouverts à Ottawa.
Geneviève Lavoie Mathieu Le Délit
AMÉRIQUES
L
’incendie suivi de l’explosion de la plateforme de forage DeepWater Horizon, propriété de la compagnie British Petroleum, s’est transformé le 20 avril dernier en une hémorragie pétrolière incontrôlable dans les eaux de l’Atlantique. La plus grande marée noire de l’histoire américaine a gardé le monde entier en haleine jusqu’au milieu du mois d’août, alors que les litres de brut déversés s’accumulaient et que l’espoir de voir la fuite colmatée s’amincissait. Les dommages économiques et environnementaux sont importants pour la zone côtière américaine, surtout au niveau du delta du Mississippi.
CANADA
Kevin Paul Jones
L
e 1er mai dernier, selon Le Devoir, une coalition de compagnies pétrolières (dont fait partie British Petroleum) ayant pour projet de forer dans la mer de Beaufort et au nord de Terre-Neuve, engageait des démarches afin que les exigences en matière de sécurité canadiennes soient allégées. Projets de lois controversés, puissants lobbys, enjeux environnementaux litigieux, un cocktail explosif? La situation est tout aussi problématique du côté de l’exploration des gaz de schiste au Québec: alors que Talisman Energie a déjà cinq puits d’exploration dans la région de Lotbinière, le gouvernement du Québec a, quant à lui, décidé de faire appel au BAPE (Bureau d’audiences publiques pour l’environnement) pour initier des audiences publiques sur l’exploitation du gaz de schiste sur le territoire Québécois. À suivre…
AFRIQUE
MOYEN-ORIENT
Samantha West
M
i-juillet, une fuite de plus de 90 000 fichiers importants concernant l’occupation en Afghanistan,retrouvés sur Wikileaks, dresse un portrait peu flatteur de l’occupation américaine en sol afghan. Parmi les informations trouvées, on note des centaines de cas de civils tuées n’ayant jamais été reportées, en plus de révéler les efforts secrets qui visent à éliminer les forces talibanes et les dirigeants d’Al-Qaida. Alors qu’elle décide de retirer les troupes d’Irak, l’administration Obama enverra en Afghanistan 30 000 soldats de plus d’ici peu.
Graham Holliday
L
’ONU a déclaré que les violences qui ont fait rage en République Démocratique du Congo (RDC) entre 1996 et 1998,constituent un génocide, 2e accusation de la sorte pour le gouvernement du Rwanda de l’époque. Rappelons que les armées contrôlées par les Tutsi ont chassé les réfugiés Hutu vers la fin des années 1990. Puis les soldats de l’armée de la résistance du Seigneur poussés hors de l’Uganda auraient lancés une série de raids mortels. En réaction à ce rapport, les autorités rwandaise ont pour leur part menacé de retirer les 3550 soldats de la paix qui travaillent en collaboration avec les forces de l’ONU au Soudan.
Alain Bachellier
EUROPE
E
n France, la décision du président Nicolas Sarkozy d’expulser des Roms à la suite du renforcement de la politique sécuritaire suscite bien des débats. Les Roms (les Gens du voyage, les gitans ou les tziganes) sont des individus sans papier qui fuient la misère de leur pays d’origine, souvent la Roumanie et la Hongrie, et ont établit leurs abris de fortune dans la périphérie des villes françaises et européennes dans l’espoir de vivre dans de meilleures conditions.
CANADA
A
Spreng Ben
L
CHINE
’économie chinoise est en montée fulgurante. Ce n’est pas nouveau mais puisque qu’elle détrône dorénavant le Japon en lui dérobant la premier rang des puissances économiques mondiales, le New York Times en voit la preuve que la Chine pourrait surpasser les États Unis d’ici 2030. La taille de l’économie chinoise est d’ailleurs difficile à circonscrire étant donné l’importante partie de son économie basée sur le troc. Autre facteur complexifiant, la Chine souffre de sa surpopulation et du manque de ressources, ce qui s’accompagne d’inégalités marquées surtout entre la ville et la campagne.
xle délit · le mardi 7 septembre 2010 · delitfrancais.com
u Canada, le cas d’Abdelrazik, évoque ironiquement la situation opposée. Ce canadien,qui fut emprisonné pendant six ans au Soudan pour accusation de terrorisme, a finalement obtenu la semaine dernière l’autorisation de poursuivre le gouvernement canadien sur la question du devoir d’une nation envers ses ressortissants. À surveiller...
CANADA
A
lors que l’économie de la Chine culmine, celle du Canada prend lentement de l’assurance, avec un faible taux de croissance, à peu plus élevé que celui des ÉtatsUnis. Par contre, l’économie du Québec est, quant à elle, repartie de plus belle avec la récupération de tous les emplois perdus durant la récession et par la création de nouveaux emplois; le taux de chômage est un des plus bas au Canada à 7,9% selon le ministère des Finances du Québec. Notez les statistiques...
Nouvelles
5
MONDE
CHRONIQUE
L’exploitation de la peur des boat people
Alerte climat Bulle climatique
Andreea Iliescu
La déclaration du ministre fédéral de la sécurité publique, Vic Toews, a classé la question des réfugiés tamouls dans le dossier de sécurité nationale. Deux femmes tamoules commentent.
Rassemblement devant les bureaux de l’immigration au Complexe Guy-Favreau Ramani Balendra
Emma Ailinn Hautecœur Le Délit
D
epuis deux semaines, presque 500 étrangers ou noncitoyens canadiens sont détenus dans des prisons canadiennes en attente que leur identité soit vérifiée par les autorités nationales. La semaine dernière, QPIRG (Quebec Public Interest Research Group), un collectif militant entre McGill et Concordia, ainsi que plusieurs autres organismes comme No One Is Illegal et le People’s Commission Network organisaient une manifestation visant à «les laisser rester». La détention des femmes, dont deux sont enceintes, et des enfants est controversée; mais de façon générale beaucoup de canadiens soutiennent la décision du gouvernement et l’enquête entamée par la GRC. Juste avant l’arrivée du MV Sun Sea à la base navale d’Esquimalt en Colombie Britannique, Vic Toews a fait une déclaration qui suggère que l’enjeu s’étend au delà des normes internationales sur les demandeurs d’asiles et des lois canadiennes sur l’immigration. Comme les ressources naturelles en Arctique, le Canada fait de l’immigration une problématique stratégique qui a pris sa place dans le dossier de sécurité nationale. L’animation médiatique et citoyenne autour de cette question est un phénomène post-11 septembre, comme le souligne Swati Parashar, professeur à l’Université de Limerick en Irlande et auteure de l’article «The Boatophobia debate: deshumanizing asylum seekers and refugees». Selon elle, à l’ère de la lutte anti-terroriste, «la sécurité nationale est devenue une excuse pour ne plus tenir compte des droits humains et pour passer au peigne fin la vie privée des gens». De plus, la référence du ministre de la sécurité publique au groupe terroriste des tigres
6 Nouvelles
tamouls (LTTE) et au trafic humain «montre une grave incompréhension du conflit au Sri Lanka» et «découle de la propagande du gouvernement à Colombo qui cible directement les tamouls en les associant aux tigres». Pour elle, «la position du gouvernement sri lankais favorise le resserrement des politiques canadiennes d’immigration». Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés recommande qu’«avec l’amélioration de la situation depuis la fin du conflit au Sri Lanka en mai 2009, les demandes d’asile de ce pays [soient] considérées sur une base individuelle». Pourtant, le Conseil Canadien pour les réfugiés a reconnu dans une déclaration datant du 17 août 2010, que «si la situation au Sri Lanka s’est améliorée en terme de sécurité depuis la fin du conflit armé, d’importantes violations des droits humains persistent néanmoins». En raison de son adhésion à la Convention internationale relative au statut des réfugiés, le Canada se doit de reconnaître le statut de réfu-
gié à toute personne «qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays». Ramani Balendra, du Centre communautaire des femmes Sud-Asiatiques à Montréal, note que «dans le cas échéant où le gouvernement reconnaît le statut de réfugiés, il ne peut permettre leur détention prolongée. Il existe des moyens de contrôler ces gens le temps que leurs papiers soient en règle», tout comme il existe une procédure légale prévue pour l’identification des individus qui ont commis de graves violations des droits humains ou qui représentent un risque pour la sécurité du Canada. Madame Balendra déplore notamment le caractère racial du débat, qu’elle croit «amplifié par les médias», et tout comme les organismes ayant endossé l’événement du 26 août dernier, demande «la cessation de tous commentaires raciaux de la part des membres du gouvernement, ainsi que le respect des lois et normes internationales sur le statut et le traitement des réfugiés». Quelque soit l’issue de ce débat, la position prise et les événements mêmes soulignent la pertinence des répercutions de «l’exploitation de la peur» sur les politiques d’immigrations à travers le monde. La critique ne se porte pas seulement sur le gouvernement canadien. Elle cible également «les analystes sud-asiatiques qui sont eux aussi motivés par des sentiments raciaux anti-tamouls», comme le souligne le professeur, ainsi que la montée de ces sentiments dans l’esprit des citoyens. x Acceptez-vous de vivre dans l’ère de la «sécurité»? Vos commentaires sur delitfrancais.com.
Fred Burrill, membre du QPIRG, demande la libération immédiate des tamouls. Ramani Balendra
À moins d’avoir passé votre été dans une cave ou sur une île déserte sans connexion à Internet, vous avez sûrement eu droit à des nouvelles sensationnelles sur les événements climatiques extrêmes, mais je vais en remettre une couche juste au cas où… Si les inondations au Pakistan ont attiré l’attention de la ¬communauté internationale récemment et ont plus de chance d’être fraîches dans vos mémoires, je me dois de mentionner également les pluies torrentielles en Europe centrale, notamment en Pologne et en République Tchèque qui vont introduire, sûrement sous peu, selon les météorologues, le terme «mousson» dans le vocabulaire climatique du Vieux Continent. La Russie, un pays nordique, a connu, quant à elle, ses plus hautes températures depuis que cellesci sont comptabilisées. Au menu: des feux dévastant des hectares de forêts, des hectares de blé et faisant en sorte que Moscou se confonde à Pékin sur les images brouillées par la fumée qui ont fait la Une des journaux internationaux. Conséquences? A part l’air irrespirable et les végétaux brûlés qui ne capteront plus de CO2, une piètre récolte de blé équivaut à un pain plus cher. À suivre… dans notre propre assiette, vu l’importance de la Russie sur ce marché. Bien que pour la Russie c’eusse été un événement ponctuel qui doit encore être évalué par les experts, on se rappellera les incendies du printemps 2009 en Australie, qui coïncidaient avec une hausse de près d’un degré Celsius depuis 1950 pour le continent. Les changements climatiques y seraient-ils pour quelque chose? En tout cas, ces événements auront permis à plusieurs chercheurs de redorer leur blason après le scandale du Climategate qui avait traîné dans la boue leur réputation et celle du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), suite au dévoilement de courriels remettant en doute la tendance de températures en hausse. Les climatologues restent cependant évasifs, qualifiant d’incertaine la relation entre l’Homme et les changements climatiques, rappelant que le climat est en constante évolution depuis la nuit des temps. Pour Steven Guilbeault, co-fondateur d’Équiterre, le défi est clair: «la lutte musclée, urgente contre les changements climatiques est une question de survie». Avec le bilan de ces catastrophes on aurait tendance à le croire. Les changements climatiques ne connaissent désormais pas de frontières, un peu comme le nuage de Tchernobyl qui a osé passer en territoire français, il y a plus de vingt ans. En effet, si je me rappelle bien, Montréal aussi a connu une semaine de canicule et de smog cet été. Que peut-on faire? Au moins, être conscient. Etre conscient du fait que tout ce que nous consommons, que ce soit une voiture ou le dernier gadget électronique, exige des dépenses de matières premières et d’énergie. Il faut reconnaître que les émissions de gaz à effet de serre provenant des transports et de l’industrie, loin d’être abstraites et difficiles à tracer, nous appartiennent à nous, les consommateurs, de par nos habitudes. Toute adaptation aux changements climatiques implique un changement de vision dans ce que nous avons besoin. Pas facile à conscientiser, hein? x
xle délit · le mardi 7 septembre 2010 · delitfrancais.com
Éditorial
Volume 100 Numéro 8
rec@delitfrancais.com
le délit
Le seul journal francophone de l’Université McGill
Frontenac contre Goliath
Mai Anh Tran-Ho Le Délit
V
ous êtes-vous amusés cette fin de semaine d’Halloween? De mon côté, après une courte soirée costumée sous le thème des clowns où le scotch a remplacé les bons vieux jujubes récoltés chez les voisins, et deux heures perdues à m’offusquer devant les dialogues insipides de Iron Man 2, l’apogée de ma fin de semaine a été de m’asseoir avec la toute nouvelle édition gratuite de Rue Frontenac. Jeudi dernier, les employés en lockout du Journal de Montréal ont donc lancé cette première publication papier, un poing de plus dans cette lutte qui dure maintenant depuis plus de vingt mois. La grande compagnie Quebecor, qui publie le «plus grand quotidien francophone en Amérique du Nord», avait décidé qu’il n’avait pas besoin d’autant de journalistes ou de photographes pour publier le Journal de Montréal. La plume de ces locked-out n’est pas restée longtemps au chômage: ils créèrent rapidement le site Internet ruefrontenac. com. Comme l’a écrit Michel David du Devoir dans un commentaire en réponse à un lecteur: «il est désolant de voir [qu’on veut nous] faire croire qu’on peut faire un “grand journal” avec les maigres effectifs que Quebecor voudrait maintenir. S’il faut absolument comparer avec la restauration, même un McDo a besoin d’un minimum de personnel pour fonctionner» (20 octobre 2010).
Cependant, ne nous martèle-t-on pas sans cesse que le journal papier est voué à sa perte, que l’avenir est dans le 2.0? Pourquoi Rue Frontenac a-t-il décidé de faire ce pas que certains pourraient dire contre le sens de la marche? JeanPhilippe Décarie, ancien rédacteur en chef du Journal de Montréal et rédacteur à Rue Frontenac, nous rappelle que les employés en lock-out sont des «gens issus du papier», que cet univers solide a été «leur quotidien pendant quinze, vingt, trente ans». C’était donc un «retour aux sources». Monsieur Décarie explique que les responsables leur reprochaient leur «peu de flexibilité à aller vers le mode numérique», mais ce qui rebutait ces rédacteurs, c’était surtout de voir leurs textes «intégrés à Canoë, dans un tout commercial». Une simple visite sur ruefrontenac.com démontre bien que le web et le multimédia ne sont pas un réel obstacle à ces lockedout. Enfin, Jean-Philippe Décarie précise que la version papier était aussi, bien sûr, un moyen de rentabiliser l’opération de Rue Frontenac. Les publicités web, c’est bien, mais ça ne nourrit pas toute une «salle d’une quarantaine de rédacteurs». Avec son tirage à 75 000 exemplaires, Rue Frontenac fait maintenant partie des plus importants concurrents du Journal de Montréal. Quebecor, qui aurait «épargné 50 M$ en suspendant la rémunération de ses 253 employés durant deux ans, [et qui aurait réalisé] au bout du compte un profit net de 30 M$», n’a qu’à bien se tenir.
En trois vitesses en hausse
au neutre
David contre Goliath, la lutte n’est pas terminée. Et heureusement. Lorsqu’un conglomérat médiatique tel que Quebecor décide qu’une information de «qualité» du «plus grand quotidien francophone» nécessite moins de mains que le 24 heures, que «les étudiants bon marché», ce bétail «plus docile et plus malléable», comme le dit Monsieur Décarie sans aucun cynisme, le journalisme est en voie d’extinction. Heureusement, il existe encore des médias indépendants qui jugent nécessaire de marcher caillou dans le soulier et de refuser d’être des pantins. Vous pouvez trouver des exemplaires de Rue Frontenac à ces différents points proches du campus: - Basha, coin Université et Sherbrooke, - le dépanneur sur Milton entre Aylmer et Lorne, - le Presse Café au coin de Milton et du Parc, - le supermarché Metro sur avenue du Parc. *** Ne manquez pas les nombreuses activités organisées pour vous dans le cadre de la Semaine du journalisme étudiant. Notamment la table ronde « Percer dans le journalisme 2.0 » avec Florent Daudens, Gabrielle Duchaine, Anne-Marie Lecomte, Tristan Péloquin et Jozef Siroka. La programmation complète en page 10.
en baisse
Une bougie de plus pour l’Assurance Maladie
Au neutre... encore au neutre
Dernier Sondage en baisse POUR LES DÉMOCRATES
Cette semaine, la société de l’assurance maladie du Québec fête son anniversaire ajoutant une quarantième bougie sur son gateau sans sucre. Cette fête lancera aussi un chantier de réflexion sur l’avenir de l’assurance maladie au Québec. La CSQ, la FSQCSQ et la F4S-CSQ (les principaux syndicats de santé) feront connaître leurs propositions pour améliorer l’accès aux services de santé. La plupart des solutions qui sont envisagées par les centrales syndicales touchent la prévention, les services de première ligne, les services de diagnostic et les services de chirurgie.
L’Action démocratique du Québec (ADQ) tiendra son IXème congrès les 13 et 14 novembre à Granby. Durant ces deux jours, les quelques militants adéquistes disucteront de questions liées à l’éthique, et à la gouvernance. Lors de ce congrès, les militants tenteront de renouveler l’exécutif du parti après un départ important; les postes à pourvoir sont celui de président, de quatre vice-présidents et un vice-président jeune; presque l’entièreté… Ainsi, l’ADQ essaiera d’avancer, mais la pente à remonter est très haute pour retrouver le niveau d’il y a trois ans… déjà.
Les élections américaines auront lieu dans quelques heures; le compte à rebours est déjà lancé. Un sondage américain paru dans de grands quotidiens confirmait que l’opposition républicaine devrait, si la tendance se maintient dans les sondages, gagner la majorité à la Chambre des Représentants et pourrait s’emparer du Sénat dont seulement 37 des 100 sièges sont en jeu cette année. Ce renversement de situation pourrait compliquer la tâche du Président Obama dans l’avancement de ses réformes.
xle délit · le mardi 2 novembre 2010 · delitfrancais.com
rédaction 3480 rue McTavish, bureau B•24 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6784 Télécopieur : +1 514 398-8318 Rédactrice en chef rec@delitfrancais.com Mai Anh Tran-Ho Nouvelles nouvelles@delitfrancais.com Chef de section Emma Ailinn Hautecœur Secrétaire de rédaction Francis Laperrière-Racine Arts & Culture artsculture@delitfrancais.com Chef de section Émilie Bombardier Secrétaire de rédaction Annick Lavogiez Société societe@delitfrancais.com Anabel Cossette Civitella Xavier Plamondon Coordonnatrice de la production production@delitfrancais.com Mai Anh Tran-Ho Coordonnatrice visuel visuel@delitfrancais.com Élizabeth-Ann Michel-Boulanger Coordonnateurs de la correction correction@delitfrancais.com Anselme Le Texier Anthony Lecossois Coordonnateur Web web@delitfrancais.com Hoang-Son Tran Collaboration Sabrina Ait Akil, Alexandre Breton, Martine Chapuis, Catherine Côté-Ostiguy, Rosalie Dion-Picard, Humera Jabir, Francis Lehoux, Anouk Manassen, Marion Provencher- Langlois, Yéraldyn Rousseau, Jean-François Trudelle Couverture Jimmy Lu bureau publicitaire 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6790 Télécopieur : +1 514 398-8318 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Comptabilité Pierre Bouillon Photocomposition Mathieu Ménard et Geneviève Robert The McGill Daily • www.mcgilldaily.com coordinating@mcgilldaily.com Emilio Comay del Junco Conseil d’administration de la Société des publications du Daily (SPD) Emilio Comay del Junco, Humera Jabir, Whitney Malett, Sana Saeed, Mai Anh Tran-Ho, Will Vanderbilt, Aaron Vansintjan, Sami Yasin
L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.
Les opinions exprimées dans ces pages ne reflètent pas nécessairement celles de l’Université McGill.
Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal.Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec). Le Délit est membre fondateur de la Canadian University Press (CUP) et du Carrefour international de la presse universitaire francophone (CIPUF).
Éditorial
7
Société societe@delitfrancais.com
Trouvez le franco
Une investigation anthropologique sur le f Une université d’expression anglaise dans une province francophone, le français en minorité invisible dans une faune anglophone et Le Délit, un journal pour renouveler le débat linguistique qui perdure. Anabel Cossette Civitella Xavier Plamondon Le Délit
et
Tout a commencé avec les Anglais
P
our plusieurs, l’Université McGill représente le bastion de la culture anglo-saxonne dans la province de Québec. Mais est-ce toujours le cas aujourd’hui? Le professeur Peter F. McNally, ayant effectué maintes recherches sur l’histoire de l’institution anglophone, s’est penché sur la question. «La Charte Royale proclamée par le Roi George IV en 1821 a établi l’Université McGill en lui conférant un caractère officiellement anglican et anglo-saxon. Cependant, une autre Charte Royale, cette fois-ci notifiée par la Reine Victoria en 1852, a annulé tout lien entre le college et la religion anglicane. Ceci n’a toutefois pas signifié qu’un McGill laïque délaisserait son héritage anglophone!» Il est étonnant de constater que cette Charte de 1852 a par ailleurs officialisé le statut universitaire de l’Université Laval. Mais le professeur McNally ne se laisse pas impressionné par cette dichotomie temporelle. «Ce ne sont que des actes gouvernementaux. Je crois dans les actes des hommes. Le fait que l’Université Laval ait été reconnue près de trente ans après McGill ne devrait pas nous faire oublier que James McGill a lui-même travaillé très fort pour former un établissement d’éducation supérieure à Montréal.» La présence de la langue de Molière se fait sentir entre les murs de McGill depuis bien plus longtemps que l’on croit. «Par exemple, Sir Wilfrid Laurier a été diplômé de son école de droit en 1864!», précise McNally. Le professeur s’insurge lorsque des mauvaises langues affirment que l’université représente un établissement élitiste anglophone. «D’une part, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, l’éducation supérieure n’était valorisée que par docteurs et avocats. Cela a pris beaucoup de temps à l’élite bourgeoise et commerçante, francophone et anglophone, pour qu’ils apprécient les bénéfices apportés par l’éducation. Par exemple, en 1861-1862, il y avait aussi peu que 1 083 étudiants universitaires au Canada! Ce n’était guère mieux en 1901-1902: il y en avait que 6 500. D’autre part, il est faux d’affirmer que l’Université a bloqué des francophones à fréquenter son établissement. Il n’y a jamais eu de règles structurelles pour poursuivre de tels actes discriminatoires.» Ainsi, la présence de francophones a été continuelle, mais elle a pris un nouveau sens dans les années 1960. Dans la volée de la Révolution tranquille, les nouveaux diplômés du récent système des cégeps s’inquiétaient du manque d’espace leur étant réservé dans les universités francophones. «Cette situation, mêlée à des débats constitutionnels et linguistiques, au nationalisme et au séparatisme québécois, à la fondation du Parti Québécois, à des groupes terroristes comme le FLQ et à la dominance des
8
xle délit · le mardi 7 septembre 2010 · delitfrancais.com
anglophones dans le monde des affaires, a nécessairement abouti au mouvement McGill Français. Alors que plusieurs prêchaient la conversion de McGill en établissement francophone, d’autres désiraient sa destruction pure et simple.» Mais pendant que les manifestations étudiantes prenaient d’assaut les abords du campus, une prise de conscience a eu lieu au sein de l’établissement. En 1968, un premier comité sur les traductions et les problèmes reliés à l’usage des langues est créé et en vient à la conclusion que McGill «devrait demeurer une université anglophone, mais avec une présence francophone forte et fleurissante au milieu des étudiants et du personnel ainsi qu’avec une place pour le français dans ses cours et dans la vie sur le campus.» Un deuxième colloque aura lieu en 1969 quant à l’utilisation du français à McGill. Ce dernier désire rendre l’environnement plus confortable pour les Canadiens français fréquentant l’université, entre autres en recommandant que le personnel et les gestionnaires soient bilingues, que les relations publiques soient conduites dans les deux langues, que les élèves puissent soumettre leurs travaux dans la langue de leur choix et que des cours de français soient disponibles pour professeurs et étudiants. Que ces recommandations aient été respectées et appliquées demeure discutable. Il est cependant indéniable que ces discussions ont eu un impact considérable sur le sort des francophones de McGill.
«
McGill devrait demeurer une université anglophone, mais avec une présence francophone forte et fleurissante au milieu des étudiants et du personnel ainsi qu’avec une place pour le français dans ses cours et dans la vie sur le campus.» -Un rapport d’un comité McGillois en 1968 Le professeur McNally doute tout de même des conclusions des deux comités. «La majorité des étudiants francophones soumettent quand même leurs travaux en anglais. C’est parce que ceux-ci viennent à McGill en faisant le choix conscient de fréquenter une institution anglophone et de vivre une expérience anglophone.»
Une minorité bien effacée
Pourquoi les francophones hésitent-ils tant à côtoyer l’Université McGill? D’abord, l’élément le plus frappant est certainement la langue, car ne pas avoir une maîtrise excellente de l’anglais peut s’avérer une barrière intimidante. D’un autre côté, fréquenter une institution anglophone pour un québécois «pure laine» demeure un choix controversé: ne s’agit-il pas là d’une véritable trahison identitaire? Tout de même, l’université est aujourd’hui favorable à l’accueil d’étudiants francophones et la proportion de ceux-ci est passée de 4,8% en 1965-1966 à 17,8% en 2007-2008 (avec un sommet de 23,5% en 1985-1986). Alors pourquoi le français se tient-il caché même s’il est statistiquement présent? Ainsi, il semble que les francophones québécois soient en minorité à McGill. Et, demandez à n’importe quel nouvel arrivant étranger, il n’aura pas rencontré beaucoup de ce qui pourrait s’appeler ironiquement la minorité silencieuse. Par exemple, Halina Labikova, une slovaque fraîchement débarquée à Montréal, s’étonnait de ne pas avoir rencontré un seul Québécois francophone après une journée complète à Discover McGill. Les apparences peuvent laisser croire que les francophones vivent leurs années à McGill de la même manière que les anglophones. Mais vu leur statut minoritaire, voire invisible, peut-être n’est-ce pas le cas. Ainsi, William Burton, un américain francophile étudiant à McGill, voit les francophones comme une communauté à part dans l’université. Pour cause, les francophones qui viennent à McGill sans être parfaitement bilingues veulent soit améliorer leur anglais et/ou s’immerger dans une nouvelle culture. «En fréquentant McGill, les québécois francophones y voient plus d’opportunités académiques que sociales, interprète William, se faire des amis leur importe moins que l’excellence de leurs notes puisqu’ils possèdent déjà un réseau social hors campus.» De son côté, Julia, une montréalaise dont la première langue est l’anglais et nouvelle étudiante à McGill, voit le français qu’elle parlera sur le campus comme une excellente occasion de pratiquer la langue de Molière: «C’est un plus, une richesse que de parler une deuxième langue…et j’espère avoir l’occasion de le pratiquer même si je ne crois pas que le français ait vraiment sa place sur le campus.»
À la recherche de l’identité perdue
McGill fait-il perdre leur identité aux locuteurs du français? Boby Chu, ancien étudiant à la maîtrise en génie mécanique à McGill et anglophone au français impeccable, ne voit rien de dramatique au fait que les francophones se fondent dans la masse du campus. En fait, il trouve cela plutôt rassurant pour l’avenir du français: «Il y a deux voies de pensée. La première, on a peur de perdre notre identité lorsqu’elle n’est pas si forte, la deuxième, on en est fier et on n’a pas besoin de la montrer, car
ophone à McGill
fait français à l’intérieur des Roddick Gates. de sortir des coins de Montréal strictement anglophones comme le West Island ou Westmount. Les francophones n’ont pas à se sentir menacés, puisque le français demeure majoritaire à peu près partout!» Il trouve d’ailleurs complètement insensé que certaines personnes puissent faire toute leur vie à Montréal sans parler un mot de français. De surcroît, si les francophones ne veulent pas nécessairement s’afficher, c’est peut-être uniquement par politesse. Justine est née dans les deux langues et a fait ses années de cégep en anglais. Choisir McGill s’expliquait uniquement par la réputation d’excellence de l’université. «Pour moi, français ou anglais, c’est égal! En parlant anglais avec tout le monde, on évite ainsi l’exclusion de ceux qui ne parlent pas français.» Pourtant, dans une province dont la langue officielle est le français, ne serait-ce pas plutôt aux anglophones d’apprendre le français afin de s’inclure? En fait, une telle chose serait possible dans la mesure où des cours de français seraient imposés aux nouveaux mcgillois. «Et pourquoi pas des cours d’histoire du Québec, propose Vicki Maheux, étudiante en éducation à l’Université de Montréal. Quel étranger connaît vraiment les enjeux politiques entourant la question linguistique du Québec? » Les francophones se sentiraient d’autant plus respectés si l’université embrassait leur cause et incitait les étrangers à découvrir leur culture.
«
Il y a deux voies de pensée. La première, on a peur de perdre notre identité lorsqu’elle n’est pas si forte, la deuxième, on en est fier et on n’a pas besoin de la montrer, car elle est solide.»
Jimmy Lu / Le Délit elle est solide.» Ainsi, les francophones seraient en minorité invisible à McGill parce qu’ils n’auraient pas peur de perdre leur particularité contrairement aux communautés allophones qui s’affichent clairement dans l’espoir de conserver un peu de leur bagage culturel.
Boby est un enfant de la loi 101 et ne peut que remercier son application. C’est grâce à l’institution de cette loi en 1977 qu’il a dû, comme plusieurs autres enfants issus de l’immigration, fréquenter l’école française. «Pour moi, le français est la clé de la communication afin
Au contraire, souvent, les étrangers vivent leurs années à McGill sans même se douter de ce à quoi ressemble la culture et les traditions québécoises. Quant au français, ils peuvent très bien se débrouiller sans… Samuel est venu des Etats-Unis pour étudier à McGill dans l’espoir de découvrir la culture québécoise et canadienne. Après son baccalauréat, il déplore toutefois qu’à McGill il n’a que très peu eu l’impression d’être au Québec, à l’opposé de l’Université de Montréal où il a pu goûter aux saveurs locales. Après toutes ces tergiversations, une question surgit finalement: Le français est-il politique à McGill? «Pour moi, parler français à Montréal, dans les rues ou les cafés, c’est politique puisque je crois aux enjeux des langues minoritaires», commente William Burton, américain étudiant la traduction. De son côté, Peter McNally, après toutes ces années passées sur le terrain, en est venu à la conclusion que «les francophones apprécient la rhétorique politique davantage que leurs compères anglophones». Comme quoi, fréquenter McGill n’est peut-être pas un choix politique, mais simplement une occasion de plus de débattre la question linguistique, sujet de prédilection des québécois francophones. x Et vous, que pensez-vous du fait francophone à McGill? Écrivez-nous à societe@delitfrancais.com ou commentez sur notre site Internet!
Société
9
Arts&Culture artsculture@delitfrancais.com
ENTREVUE
La confiance en l’inédit Le Délit s’est entretenu avec Marie-Thérèse Fortin, codirectrice générale et directrice artistique du Théâtre d’Aujourd’hui, afin de découvrir ce que nous réserve une institution vouée à la diffusion de la création québécoise. Émilie Bombardier Le Délit
L
a nouveauté est une habitude au Théâtre d’Aujourd’hui. Alors que peu s’aventurent à diffuser le théâtre régional, l’institution intègre à sa programmation trois œuvres québécoises inédites dès sa première saison en 1969. Voilà les débuts d’un engagement qui perdure et teinte plus que jamais le choix des pièces proposées par le théâtre campé depuis vingt ans sur la rue Saint-Denis. Succédant notamment à Jean-Claude Germain, Robert Lalonde et René Richard Cyr, Marie-Thérèse Fortin y fait son entrée en 2005 en tant que directrice artistique. Cinq ans plus tard, alors que l’institution entreprend d’importantes rénovations avant d’entamer sa 41e saison, Le Délit s’est entretenu avec celle que l’on connaît également comme comédienne et metteure en scène afin de découvrir ce qui attend ce lieu de diffusion; devenu incontournable. Impossible d’ignorer le succès monstre qu’a remporté Les Belles-sœurs «musicales», énième mise en scène de l’œuvre de Tremblay qui était présentée au Théâtre d’Aujourd’hui la saison dernière. Bien que la reprise d’une pièce de répertoire ne soit pas au menu cette année, Marie-Thérèse Fortin ne ferme pas la porte à d’autres entreprises du genre. «Si cela impose sa pertinence, pourquoi pas? Si l’on ressort une pièce du passé, il faut voir ce qu’elle nous dit aujourd’hui. La question de la pertinence est toujours d’actualité. Il est intéressant de faire revivre des œuvres qui ont marqué ou de présenter une pièce qui n’a pas été appréciée à sa juste valeur [la première fois qu’elle a été produite.]» Que nous réserve donc cette saison écourtée que propose le Théâtre? D’abord Tom à la ferme, une nouveauté signée Michel Marc Bouchard, auteur des Muses Orphelines, mais aussi l’énigmatique [. .] de Wajdi Mouawad, une pièce qui prendra forme au fil des échanges entre le dramaturge et ses comédiens, et dont MarieThérèse Fortin ne peut nous révéler que peu de choses: «Je connais les prémices de l’écriture de Wajdi. Je sais quels sont les thèmes qui le hantent, mais je n’oserais pas trop m’avancer. Toutes ses pièces ont été écrites [selon ce processus]. Ciels et Littoral, par exemple. Il retrouve ici des acteurs avec qui il a beaucoup travaillé et qui en ont l’habitude.» Si cette confiance qu’elle investit dans le travail des artisans de la prochaine saison ne fait aucun doute, les coups de cœur de la directrice artistique sont également la matière première de la programmation du Théâtre d’Aujourd’hui. Les pièces présentées dans la salle principale comme celles de la salle Jean-
10 Arts & Culture
Claude-Germain, dédiée à la diffusion des œuvres de la relève, devront toutes frapper par leur texte et par leur résonance avec la réalité québécoise. «Il faut que la pièce recèle un élément de nouveauté, un propos par rapport à l’actualité, un écho avec la société québécoise», affirme Marie-Thérèse Fortin. C’est notamment le cas pour Toxique de Greg MacArthur, un jeune dramaturge canadien-anglais qui sera la tête d’affiche de la prochaine saison aux côtés de Michel-Marc Bouchard et de Wajdi Mouawad: «Greg MacArthur est le deuxième auteur anglophone à être produit au Théâtre d’Aujourd’hui. J’ai demandé à lire ses pièces et j’ai été frappée par la force du texte de Toxique. Il y a une effervescence au sein des dramaturges anglophones mais leur présence est moins affirmée.» La production de Greg MacArthur sera également l’occasion pour le comédien Goeffrey Gaquère, qui avait présenté Enquête sur le pire il y a quelques mois à la salle Jean-ClaudeGermain, de faire son entrée dans la salle principale. Une «explosion horizontale» Dans une entrevue accordée au Devoir en mars 2009, Marie-Thérèse Fortin évoquait une explosion horizontale de la production théâtrale au Québec, constatant la «démultiplication» de l’offre à l’heure où les ressources accordées aux artistes sont bien limitées. Force est de constater que le temps n’a pas arrangé les choses. «J’espère que cela va s’améliorer. Il faut se poser des questions quant au développement de la pratique. Les demandes [de subventions] au CALQ [Conseil des arts et des lettres du Québec] doublent, mais l’argent ne double pas», explique-t-elle, souhaitant que le milieu théâtral puisse réellement donner aux artisans du théâtre les moyens de leurs ambitions. Le Théâtre d’Aujourd’hui contribue quant à lui chaque année au développement de trois jeunes compagnies qu’il accueille en résidence, celles-ci assurant la production des pièces présentées à la salle Jean-Claude-Germain, espace qui servait également jusqu’à tout dernièrement de salle de répétition. Marie-Thérèse Fortin affirme que les rénovations en cours au Théâtre d’Aujourd’hui, qui comprennent la construction d’un véritable espace de répétition, permettront d’augmenter le nombre de productions présentées par ces compagnies. Si l’on en croit le souci marqué de la directrice artistique pour la promotion de la relève, les rencontres du public avec l’inédit risquent donc de se multiplier, et ce malgré l’impasse dans laquelle se trouve le milieu théâtral. Le Théâtre d’Aujourd’hui demeure, en ce sens, fidèle à ses traditions. x
Marie-Thérèse Fortin assure la direction artistique du Théâtre d’Aujourd’hui depuis 2005. Isabelle Clément
La nouvelle saison du Théâtre d’Aujourd’hui Cette année, à cause des rénovations en cours, le Théâtre d’Aujourd’hui propose une saison écourtée. Celle-ci débutera exceptionnellement en décembre prochain. Dans la salle principale, découvrez Éclats et autres libertés, une mise en scène de Benoît Vermeulen; Tom à la ferme, de Michel Marc Bouchard; Toxique, de Greg MacArthur; et [. .], de Mouajdi Mouawad. Dans la salle Jean-Claude-Germain: Glouglou, de Louis-Dominique Lavigne; En attendant Gaudreault / Ta Yueule Kathleen, de Sébastien David; Soupers, de Simon Boudreault; De l’impossible retour de Léontine en brassière, de Benoît Paiement; Villes mortes, de Sarah Berthiaume; et La Genèse de la rage, de Sébastien Dodge. Pour plus d’informations: www.theatredaujourdhui.qc.ca.
xle délit · le mardi 7 septembre 2010 · delitfrancais.com
THÉÂTRE
Le Grand Cahier ou le théâtre de l’insensibilité Catherine Vidal adapte et met en scène le premier récit de l’histoire des populaires jumeaux d’Agota Kristof. Habib Hassoun Le Délit
L
e théâtre du Quat’sous présente depuis quelques jours Le Grand Cahier, une adaptation du premier livre de la célèbre trilogie d’Agota Kristof d’abord publié en 1986. Produite par le groupe Bec-de-Lièvre et présentée l’année dernière dans la petite salle du Prospero, la pièce frappe par sa mise en scène ingénieuse. L’histoire: deux jeunes frères, des jumeaux, sont laissés aux soins de leur grand-mère qui habite la campagne. La Grand Ville, d’où vient leur mère, est devenue inhabitable et dangereuse. Maltraités, abandonnés, abusés par différents personnages sur les plans physique, moral et psychologique, les deux enfants développent une éducation qui leur est propre afin de survivre à la cruauté d’un univers en guerre. Un grand cahier devient le lieu de narration de leurs aventures, un lieu où toute subjectivité est interdite et où seule l’absence de sensibilité narrative (voire de sensiblerie) fait état de contrainte. La pièce est présentée sous forme de plusieurs tableaux rappelant la séparation en chapitres du texte original. Les différentes sections, commençant par exemple par «Arrivée chez grand-mère», sont nar-
Les deux acteurs qui se partagent la scène dans Le Grand Cahier. Sylvain Légaré
rées par les deux jumeaux, parfois jouées, mimées, chorégraphiées. Olivier Morin et Renaud LacelleBourdon sont seuls sur scène; ils se métamorphosent souvent pour incarner les différents personnages; ils emploient aussi un petit bâton rouge, un symbole de première
importance, pour en illustrer d’autres. D’ailleurs, la force de la suggestion atteint ici son apogée; chaque détail visuel est étudié et mesuré et s’oppose souvent aux éléments sonores. Catherine Vidal use de génie en ce qui concerne la scénographie. Elle fait des em-
prunts au théâtre de l’absurde à la Jarry (les pouvoirs de l’objet), au théâtre mimétique, et quelques rapprochements, surtout dans le contenu, au théâtre de la cruauté. La scène devient à travers les yeux de Vidal la plate-forme d’un théâtre mécanique où tout se crée et se transforme: la scène est elle-même l’anti-scène où tout se joue et se déjoue dans un dépouillement formel remarquable. L’univers créé par Vidal est truffé d’antithèses fortes: la sensibilité et la froideur; le réalisme cru et l’onirisme ambiant; l’imaginaire de l’enfance et la lassitude de l’âge adulte; la tendresse et la violence. L’opposition principale, présente pendant toute l’heure et demie que dure la pièce, est la violence «verbale» faite au spectateur qui se conjugue avec le désir d’attirer sa pitié. En fait, cette caractéristique est fondamentale dans le texte de Kristof, son entreprise littéraire étant de décrire la réalité cruelle de la manière la plus sèche possible. À la sortie de la salle, le spectateur n’est pas contaminé par la froideur des jumeaux qui portent sur le monde un regard marqué par l’insensibilité. Il en sort plutôt en rébellion face à la cruauté et à la bêtise humaine, essoufflé par un spectacle total et marqué par un imaginaire tourmenté. x
THÉÂTRE
Une bonne «louchée» de lucidité La comédie grinçante et relevée de Simon Boudreault est de retour à l’Espace Libre. Émilie Bombardier Le Délit
O
n ne pourrait trouver meilleur titre à l’œuvre décapante de Simon Boudreault, de retour à l’Espace Libre quelques mois après sa programmation initiale. L’aliment pauvre, lourd et gras auquel elle emprunte son nom rappelle l’atmosphère dans laquelle s’enlisent les quatre employées de cafétéria qui campent la pièce, condamnées elles-mêmes à le servir tous les jours à des «flos» ingrats. Au-delà des sacres et des grossièretés qui habitent le texte, Sauce Brune est une fable sur l’isolement et l’incommunicabilité qui fait rire autant qu’elle fait réfléchir. Chaque jour de la semaine, après avoir présenté son menu peu ragoûtant, Armande (Johanne Fontaine), la «chef cook», retrouve ses trois employées, Cindy (Marie-Eve Pelletier), Sarah (Anne Paquet) et Martine (Catherine Ruel) dans les cuisines glauques d’une école secondaire. En coupant des blocs de glaise qui représentent les aliments sans couleur, sans odeur et sans forme quotidiennement apprêtés, les quatre femmes plaisantent, commentent les derniers épisodes de leurs émissions préférées et pestent contre la direction et le comité des parents, qui souhai-
tent deux souhaitant que la cafétéria serve des menus plus équilibrés. Le ton est, dans ce premier segment, léger et on ne peut plus comique. Mais, au-delà des premières scènes, les quatre femmes révèlent chacune à leur tour ce qui les tourmente et ce qu’elles craignent d’avouer à leurs collègues. Armande redoute de perdre ce cher emploi qui lui permet d’échapper à l’ennui et à l’oisiveté du chômage. Sarah, sachant qu’elle ne pourra s’extirper de sa routine et de son isolement, use de sarcasme et de cruauté. Martine, une femme battue aussi frêle que timide, sent bien que l’on ne cessera jamais de la plaindre, et la pulpeuse Cindy, qui se fait complice de toutes, se convainc que ses charmes lui obtiendront un avenir plus prometteur. Ponctuées de sacres et entrecoupées de farces, leurs confessions, portées par des comédiennes chevronnées, donnent à la pièce toute sa complexité et à la sauce un caractère très relevé. Étirer la sauce Les sacres, dont l’utilisation est absolument excessive, confèrent eux aussi une teneur très intéressante à Sauce brune. Tout échange plus ou moins complexe entre les quatre femmes est impossible, chacune se buttant aux limites de son vocabulaire,
xle délit · le mardi 7 septembre 2010 · delitfrancais.com
Johanne Fontaine incarne Armande dans Sauce brune. Marie-Claude Hamel
ponctué des ostie, criss et câliss de convenance. Cindy, tentant de raconter une aventure amoureuse qui s’est entièrement déroulée en silence, aura tout le mal du monde à se faire comprendre: «Des fois, estie, on s’parle, criss, on esaye, câliss, que ça soye tsé viarge, clair, pis, sacrament, on y arrive pas câliss. Pis là viarge, sans rien s’dire » L’incommunicabilité et la rareté des apartés ou des monologues donnent toutefois
l’impression que l’on étire la sauce, que la richesse du texte de Boudreault se perd dans de trop nombreuses farces, et on en vient à oublier la véritable nature des personnages. On espère toutefois que la rentrée culturelle sera à l’image de cette comédie grinçante et ô combien lucide de la compagnie Simoniaques Théâtre qui, malgré quelques longueurs, est tout de même une œuvre hautement intéressante. x
Arts & Culture
11
CINÉMA
Sur les écrans du FFM
Gracieuseté du Festival des Films du Monde
La femme derrière l’épouse Le documentaire Señora de était présenté dans le cadre du 34e Festival des films du Monde. Le Délit a recontré sa productrice Carmen Rabade pour en apprendre d’avantage sur un long métrage qui met en lumière les destinées tourmentés d’un groupe de femmes espagnoles. Sabrina Ait Akil Le Délit
D
ans le documentaire poignant Señora de («femme de»), la réalisatrice Patricia Ferreira, professeure à la très réputée ECAM (Escuela de Cinematografía y del Audiovisual de la Comunidad de Madrid) et réalisatrice de nombreux films qui se sont entre autres retrouvés dans les sélections officielles du Festival du film de Berlin et du Festival de Mar del Plata, nous présente des femmes aux destins similaires. Déchirées entre leur lourd passé et l’avenir qu’elles confrontent au jour le jour, ces Espagnoles issues du système totalitaire franquiste se sont livrées à la madrilène qui est aussi la scénariste. Tout y passe: mariage, éducation, religion, sexualité, révolte, politique et soif de liberté. Ferreira commence fort en présentant Maria Garcia, une femme considérée comme pécheresse pour avoir commis le crime d’être tombée enceinte hors mariage. Garcia dénonce les sévices que lui ont autrefois fait subir les religieuses responsables d’une maison de redressement pour femmes aux mœurs légères. Grâce à l’ingéniosité des plans et à l’intégration du paysage de la région de la Galice, le spectateur ressent l’urgence
12 Arts & Culture
de s’exprimer des onze femmes interrogées sur leur enfance et leurs aspirations fougueuses de jadis. La caméra le guide à travers un périple où la mer sur fond de ciel gris rappelle la mélancolie de ces femmes, ou encore le plonge subitement au cœur d’un village bordé par une forêt glauque évoquant le désespoir. A priori, la lourdeur du sujet crée un malaise. Mais, petit à petit, on s’attache aux différentes protagonistes en écoutant attentivement ce qu’elles ont à raconter pour ensuite prendre conscience de leurs regrets. Le regard que l’on pose sur ces femmes se transforme peu à peu, et la gêne d’abord ressentie par rapport aux tabous exposés se métamorphose en pitié. Finalement c’est le sentiment de fierté qui l’emporte puisqu’à travers leurs histoires, ces femmes prouvent que malgré les aléas de l’existence, elles ont trouvé le moyen de soigner les blessures profondes causées par un système politico-religieux misogyne. Ce qui est d’autant plus intéressant, c’est le rôle joué par plusieurs femmes dans l’abrutissement de leur propre sexe. Effectivement, certaines femmes influentes, pour la plupart des universitaires, ont été les ambassadrices d’un système prônant le statut de ménagère que devaient remplir les Espagnoles de bonne famille. Ce paradoxe, exposé dans le documentai-
re, accentue l’aspect tragique de l’histoire de ces femmes qui semblent avoir été trahies par les leurs. Puisque madame Patricia Ferreira n’a pas pu se déplacer jusqu’à Montréal dans le cadre du Festival des Films du Monde, c’est avec la productrice du documentaire, madame Carmen Rábade que Le Délit s’est entretenu. L’entrevue s’est avérée très enrichissante: Carmen Rábade nous a accueillis dans une ambiance bon enfant tout en rendant hommage au côté solennel du documentaire. Elle explique que ce long métrage était un moyen de rendre justice à toute une génération de femmes, des femmes désormais âgées et qui marchent vers la fin de leur vie. Lorsque l’on interroge Rábade sur l’omniprésence du paysage brumeux galicien dans le film, elle confirme, tout sourire, que l’intégration de l’environnement et de l’espace était nécessaire, comme si la terre était un personnage à part entière. Profitant de la générosité de la productrice, une question s’est imposée: dans quel contexte a été tourné ce documentaire considérant le côté intimiste du sujet? Carmen a expliqué que l’ambiance générale durant le tournage était plutôt bonne, mais qu’il fallait approcher ces femmes ainsi que leur famille avec douceur pour pouvoir espérer recevoir leurs
confidences. C’était donc un travail de proximité et de confiance. L’étape suivante a été de savoir comment ces femmes ont pu être isolées à l’époque du franquisme. Carmen Rábade explique qu’elles ont dû renoncer à leurs rêves et même à leur nom de jeune fille pour plaire à leur mari ainsi qu’à la société. Elles sont ainsi devenues de simples «femmes de». Pour la productrice, le franquisme a su dénicher la solution clé pour contrôler l’ensemble de la population espagnole en freinant toute action féminine. La glorification des traditions machistes était un moyen pour les détenteurs du pouvoir de travestir la réalité et d’interdire toute forme de rébellion. Ils étaient d’avis qu’il fallait tenir les femmes à carreau pour permettre l’établissement d’une discipline nationale. Selon la même logique, chacun devait remplir ses fonctions: l’homme devait diriger et la femme devait suivre pour qu’un certain «équilibre» soit respecté. C’était la base même de ce système totalitariste. Le documentaire de Patricia Ferreira met donc en lumière l’obscurantisme franquiste et son impact sur la vie de plusieurs femmes. C’est avec humilité et pudeur qu’il rend hommage à ces femmes qui ont partagé avec courage leurs secrets les plus intimes et leurs ambitions d’autrefois. x
xle délit · le mardi 7 septembre 2010 · delitfrancais.com
Le fantasme rock de la rentrée
Marc-André Grondin et Arthur Dupont sont les protagonistes de Bus Palladium, le premier film de Christopher Thompson. Annick Lavogiez Le Délit
B
us Palladium s’ouvre sur le personnage de Lucas. Il revient à Paris après un stage dans un cabinet d’architecture londonien et retrouve ses amis pour se consacrer avec eux à leur groupe de rock, dont il est l’un des guitaristes. Les membres de LUST ont une passion pour le rock et rêvent de gloire. De répétition en répétition, les musiciens connaissent le succès: des concerts, une maquette, un single, un contrat et une tournée s’enchaînent rapidement. Mais si la musique les unit, l’arrivée de Laura (Elisa Sednaoui) va semer la zizanie dans la bande, particulièrement entre Lucas et Manu, qui se connaissent depuis l’enfance. Alors que la jeune fille les séduit, les deux amis s’éloignent progressivement. Quand Laura les quitte, Lucas décide de prendre ses distances avec le groupe et d’accomplir sa propre destinée. Si Bus Palladium traite de l’adolescence et du rapport à la musique de manière assez traditionnelle, sa recette n’en est pas moins touchante. Utilisant la boîte mythique des années 1970-80 comme lieu de refuge des protagonistes, Christopher Thompson explore avec efficacité et justesse la dynamique de groupe des jeunes musiciens tout en introduisant des passages plus intimes, notamment lorsqu’il aborde les relations amicales et amoureuses. Ainsi, le réalisateur s’attarde particulièrement sur les caractères de Manu et Lucas, personnages complémentaires mais en constante opposition, et montre comment la musique les rapproche indéniablement. On connaissait le talent de scénariste de Christopher Thompson, qui avait travaillé sur Les Yeux de sa mère, Le Code a changé, Fauteuils d’orchestre et Décalage horaire. Par ses dialogues et ses clins d’œil
Gracieuseté de Remstar
à diverses icônes du rock, Bus Palladium s’inscrit dans la lignée du travail de ce cinéaste pour le moins talentueux. Si le scénario contient certains clichés, considérés par Christopher Thompson comme des «passages obligés du fantasme rock», qui atténuent quelque peu l’originalité du récit, la qualité artistique du film reste évidente. Les concerts, la séquence dans le studio d’enregistrement, la rencontre des groupies et le road trip sont autant de
scènes où se mélangent avec justesse humour et émotion. Par ailleurs, l’utilisation de la caméra à l’épaule à divers moments clés permet une variété de points de vue qui enrichit considérablement cette histoire quelque peu classique. En effet, le gérant du groupe se veut la «mémoire» de LUST et filme leur quotidien, donnant au récit des allures de documentaire amateur pour le moins touchant. En outre, la per-
formance des comédiens est à saluer: ils incarnent avec finesse la période difficile de l’adolescence où le rêve côtoie la réalité et où chacun cherche à comprendre et assumer ses aspirations avec plus ou moins de facilité et d’assurance. x Bus Palladium est à l’affiche au cinéma depuis le 3 septembre.
Le Festival se poursuit...
Le Délit vous propose de découvrir trois films du FFM qui prendront bientôt l’affiche au cinéma. Avoir 32 ans
La princesse de Montpensier
Route 132
En 1992, l’Office national du film présentait la série télévisée Avoir 16 ans. En rencontrant 5 jeunes de la Jamaïque, du Brésil, de la Thaïlande, du Niger et de l’Inde, les réalisateurs Robbie Hart et Luc Côté offraient une incursion dans le quotidien de leurs personnages tout en sondant leurs rêves et leurs aspirations. Comment imaginaient-ils leur vie 16 ans plus tard, à 32 ans? Voilà l’ultime question qui était notamment posée à un jeune moine bouddhiste, à un joueur de foot prometteur et à une adolescente qui avait donné naissance à un fils quelque mois plus tôt. Que sont-ils tous devenus à cet âge où rêve et réalité devraient se confondre? En juxtaposant les scènes présentées en 1992 à celles tournées en 2008, le documentaire Avoir 32 ans, qui prendra l’affiche au Cinéma ONF dès le 8 septembre, nous promet une réponse simple et percutante. (EB)x
Le film d’époque de Bertrand Tavernier s’inspire d’une nouvelle de Mme de Lafayette, l’auteure de La Princesse de Clèves. Campée en 1562 au temps des guerres de religion et du règne de Charles IX, l’œuvre qui assurait la clôture du 34e FFM raconte l’amour impossible entre le Duc de Guise (Gaspard Ulliel) et Marie de Mézières (Mélanie Thierry), contrainte à épouser le Prince de Montpensier (Grégoire Leprince-Ringuet). Le drame historique est un des nombreux genres de prédilections du cinéaste français à qui l’on doit notamment La Vie et rien d’autre et Que la fête commence... Après avoir reçu un accueil plutôt froid en terre natale lors de la dernière édition du Festival de Cannes (Libération a après tout intitulé sa critique «La faillite Lafayette»), La Princesse de Montpensier se retrouvera sur les écrans québécois au début de l’années prochaine. (EB)x
Le film d’ouverture du Festival des Films du Monde, Route 132 prendra l’affiche le 8 octobre prochain au Québec. Cette réalisation de Louis Bélanger, qui en signe également le scénario avec l’acteur et dramaturge Alexis Martin, fait le récit des péripéties de Gilles (François Papineau) et Bob (Alexis Martin). Ces deux amis, escrocs désargentés, prennent la route le long de la rive sud du Saint-Laurent, fuyant Montréal pour retrouver une région pleine de souvenirs. Route 132 et Tromper le silence de Julie Hivon étaient d’ailleurs les seuls longs métrages québécois de la programmation de 2010. Louis Bélanger, qui signe ici son cinquième long métrage n’en est pas à sa première collaboration au Festival. Quatre ans après la programmation de Post mortem en compétition officielle, le cinéaste avait inauguré la 27e édition du FFM avec son populaire Gaz bar blues. (MP)x
Gracieuseté de l’ONF
xle délit · le mardi 7 septembre 2010 · delitfrancais.com
Gracieuseté de Studiocanal
Gracieuseté de Alliance Vivafilms
Arts & Culture
13
CHRONIQUE
Le parti du dépaysement Rêveries familières
Véronique Samson
L’idée n’est pas nouvelle : tout grand romancier crée un monde qui lui est propre. Une sorte de refuge du réel, un espace libre pour l’imaginaire, une « seconde patrie habitable », pour emprunter les mots du romancier Julien Gracq. Afin d’esquiver encore quelque peu la dure réalité de la rentrée, je vous propose de vous arrêter, le temps d’une chronique, dans ce monde en marge du monde qu’est le roman. Nous y escortent cette semaine Dominique Fortier et sa dernière œuvre, Les Larmes de saint Laurent, parue cet été aux éditions Alto. Celle qui a signé Du bon usage des étoiles, sur la fatale expédition nordique de John Franklin en 1845, prend encore une fois ici le parti romanesque du dépaysement. Et ce dépaysement n’est pas à prendre dans son sens métaphorique. Les Larmes de saint Laurent s’ouvre au beau milieu des confettis lancés sur la ville martiniquaise de Saint-Pierre
14 Arts & Culture
durant le Mardi gras. Nous y rencontrons Baptiste Cyparis, qui se retrouvera, quelques jours plus tard, seul survivant de l’éruption de la montagne Pelée du 8 mai 1902. Le sympathique personnage nous trimballe ensuite au fil de ses aventures à bord des roulottes du cirque Barnum & Bailey. Nous n’en sommes là qu’à la première des trois histoires qui composent le roman. À l’image des héros de la seconde histoire, le mathématicien anglais Edward Love et sa femme musicienne, qui se rendent aux ruines de Pompéi au début du siècle pour y coller leur oreille au sol, Dominique Fortier apparaît avec ce nouveau roman toute tendue vers le monde, à l’écoute du «bruit en dessous de la terre». C’est ce même «chant secret» des choses qui réunira deux inconnus dans la troisième histoire, des décennies plus tard, entre stèles et arbres, sur les flancs du mont Royal. En prenant au pied de la lettre l’exigence de dépaysement de Gracq et en faisant voyager son écriture dans de lointaines contrées, autant géographiques que temporelles, Dominique Fortier révèle un imaginaire singulier, surprenant même, qui ne peut que détonner dans la production littéraire contemporaine aux tendances parfois nombrilistes. Les Larmes de saint Laurent, comme Du bon usage des étoiles avant lui, arrive sur les rayons comme une véritable bouffée d’air frais entre les autofictions et autres littératures de témoignage.
À l’ombre de la montagne Pelée, du Vésuve et du mont Royal (qui, notons-le, n’a jamais été un volcan), entre la terre et le feu, il semble que les ondes qui traversent et secouent l’existence des personnages des Larmes de saint Laurent soient toujours les mêmes, qu’elles s’emploient à faire frémir les feuilles au-dessus de Montréal ou à provoquer l’écroulement de Saint-Pierre. C’est cette idée lumineuse qui nous mène d’une histoire à l’autre et assure l’harmonie au sein d’un ensemble narratif disparate –harmonie également soutenue, il faut le souligner, par une écriture d’une beauté sobre et classique, se permettant quelques éclats lyriques, sans jamais perdre la justesse du ton. Les Larmes du saint Laurent se lit comme une tentative digne d’Edward Love, qui cherche à élucider «le véritable, le seul enjeu: inventer des formules qui sauraient rendre compte, d’une manière ou d’une autre, de ce que c’était que d’être vivant sur cette planète.» Et n’est-ce pas là ce que c’est que d’écrire un roman: «inventer des formules» pour tenter d’y contenir le monde? Prendre le détour de l’ailleurs, de la fiction, pour mieux révéler notre présent dans sa totalité? En cherchant la cohésion interne du monde, Dominique Fortier a su trouver celle qui fait un grand roman, où, comme le formule Gracq, «rien ne reste en marge –la juxtaposition n’a de place nulle part, la connexion s’installe partout». Trois lieux, trois époques, et un seul monde romanesque. x
Gracieuseté des éditions Alto
xle délit · le mardi 7 septembre 2010 · delitfrancais.com
L’ÉDITO CULTUREL
Joshua Barnett
Chante-la ta chanson Catherine Côté-Ostiguy Le Délit
I
ls ont été nombreux à la célébrer, notre chère langue française! Il y a eu Miron et ses copains de la Révolution tranquille, qui l’ont fait avec beaucoup de ferveur parce que portés par un indomptable instinct de survie linguistique, et puis il y a eu Serge Fiori, Claude Léveillé, Jean-Pierre Ferland et les autres, chacun à leur manière. La langue était au cœur de leur art. Mieux: leur art, c’était la langue. Les choses ne sont-elles plus les mêmes? À en croire certains –Mme Dominique Goulet du Festival d’été de Québec, pour ne pas la nommer–, les temps changent et il faut s’y faire. La plupart d’entre vous sont probablement déjà familiers avec les propos pour le moins dérangeants tenus par l’organisatrice du FEQ: la chanson d’expression française aurait «peu d’avenir» dans une industrie dominée par l’anglais, a-t-elle confié en juillet dernier au quotidien Le Devoir. On aurait pu penser que ce constat encouragerait la dame à prendre des mesures pour la promotion de sa langue. Que nenni! «If you can’t beat them, join them!», qu’elle s’est dit. Allons donc, Mme Goulet! Vous voulez qu’on vous aide à examiner la situation de plus près?
C’est vrai, beaucoup d’artistes choisissent de chanter en anglais. Et nous n’avons rien contre les artistes anglophones, au contraire. Il y en a de très bons. Mais dire des choses pareilles, c’est un peu comme trahir la musique d’ici, comme parler dans son dos. C’est comme rire d’elle devant tout le monde dans la cour d’école sous prétexte qu’elle est moins populaire que les autres enfants; ça ne se fait pas. Et lorsqu’on est un acteur important de la scène culturelle du Québec, lorsqu’on a pour mandat de veiller à sa promotion et à son épanouissement, on a certaines responsabilités. Parmi celles-ci, celle de ne pas considérer la défrancisation comme un état de fait qui échappe à tout contrôle. Celle, aussi, de prendre les moyens –puisque les moyens, on les a!– pour que la chanson française occupe la place qui lui revient dans notre paysage culturel. Cela dit, nous avons de la chance, car la scène montréalaise et québécoise regorge d’artistes qui ont à cœur de participer au foisonnement et à l’effervescence de la culture d’ici, que ce soit dans l’une ou l’autre des deux langues officielles. Ceuxlà, ils nous sauvent des autres qui, comme Dominique Goulet, s’évertuent à faire croire à nos artistes qu’ils sont nés pour un
petit pain. Car c’est trop souvent le cas –et depuis longtemps–, et cela touche à tous les aspects de la culture au Québec, tant en littérature qu’en musique ou en cinéma. Et pourtant. Pourtant, la production culturelle au Québec gagne chaque année en importance. Pourtant, nos artistes s’illustrent de plus en plus à l’étranger. Karkwa, Malajube et Pierre Lapointe, par exemple, vont souvent faire leur tour de l’autre côté de l’Atlantique et ils sont parvenus à s’y constituer un public fidèle. Et puis il y a le nouvel enfant chéri du cinéma québécois, un certain Xavier Dolan, qui collectionne les prix internationaux comme d’autres collectionnent les timbres. Mais on a si longtemps rabâché à nos artistes qu’ils demeureraient à jamais confinés à l’intérieur des limites d’un «petit marché» qu’on ne peut plus s’étonner, à présent, qu’ils fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour se sortir de cet étau. Certains le font en cherchant par tous les moyens à repousser les limites qu’on leur a imposées. D’autres tournent le dos à leur langue, y voyant un obstacle qu’il les empêchera d’avancer. Si on continue à les encourager en ce sens, pourquoi diable feraient-ils autrement? x
BRÈVE CULTURELLE
Denis Côté et Podz au FNC L’automne arrive à grands pas, et avec lui la 34e édition du Festival du nouveau cinéma. Cet événement, dont la réputation n’est plus à faire, explore année après année les limites de l’art cinématographique avec une programmation toujours plus diversifiée. Dans un communiqué que faisait récemment paraître la direction du Festival, on annonçait les films choisis pour l’ouverture et la clôture de la prochaine édition. Pour l’ouverture, le réalisateur québécois Podz présentera 10 1/2, son deuxième film. Le cinéaste, à qui l’ont doit entre autres la série télévisée Minuit, le soir et le tout récent long métrage Les Sept jours du
talion, reste encore une fois fidèle à Claude Legault, qui tiendra encore une fois la vedette dans ce projet. 10 1/2 explore l’univers difficile des travailleurs sociaux et propose un regard sur une enfance violente et tourmentée. Le Festival se terminera sur Curling de Denis Côté, avec Emmanuel Bilodeau comme tête d’affiche. Le film a déjà été acclamé par le public du Festival de Locarno, mais sera présenté pour la première fois au public québécois lors du FNC. On attend impatiemment de connaître le reste de la programmation du Festival qui se tiendra du 13 au 24 octobre prochain. x
COUP DE CŒUR
Simoniaque Amélie Lemieux Le Délit
E
lles s’appellent Erika Forster, Annie Hart et Heather D’Angelo. Elles font fureur en ce moment en Amérique du Nord et au nord de l’Europe. Elles sont Au revoir Simone. Alors, à quoi ça ressemble, ce trio tout droit sorti de Brooklyn? Pour en avoir une idée, il faut mettre une tasse de Feist, ajouter l’équivalent de deux cuillères à thé de The xx, pimenter avec une poignée de vieux Metric (2003) et compléter avec une pincée de Florence and the Machine. Bien mélanger. À consommer en tout temps, mais surtout le soir, après le souper, en prenant le thé. La recette promet de délicieux résultats. Le look des trois filles fait très 1969 et on sent nettement l’influence de France Gall et de Sylvie Vatran dans leur style vestimentaire (si vous ne savez pas qui sont ces deux piliers des années 1960, faites une recherche dans Google Images, ça vaut le coup). Quoi qu’il en soit, la recette
marche et la touche plutôt hipster leur va à ravir. Une panoplie de post-ados qui ne s’habillent que chez American Apparel, portent si fièrement le toupet à la Xavier Dolan, sont abonnés à Nylon et nient évidemment leur appartenance au mouvement hipster raffole de Au Revoir Simone. Enfin, on ne s’attardera pas à la qualité de l’auditoire, mais plutôt à celle du groupe. Leur plus récent album, Still Night, Still Light, paru en 2009, rappelle les mélodies de Belle and Sebastian et les claviers électroniques de Electrelane. Du bonbon pour les tympans. Ceci dit, il faudra vous armer de courage pour mettre la main sur un exemplaire, compte tenu du fait que les grandes surfaces n’offrent que peu de musique indie. Vous pouvez toujours compter sur iTunes pour un album digital, qui devrait coûter tout au plus une dizaine de dollars. Pour le même prix, si j’ai à choisir entre prendre le métro trois fois cette semaine ou écouter Au Revoir Simone en marchant vers le 688 rue Sherbrooke, je vous laisse le soin de deviner ce que je ferai. La STM pourra bien attendre à cet hiver! x
BRÈVE CULTURELLE
Un cinquième roman pour Michel Vézina Michel Vézina, le directeur de la maison d’édition Coup de Tête, bien connue pour sa programmation qui se veut choquante, lançait le 24 août dernier son cinquième roman Zone 5, qui fera partie intégrante de ce que l’on a baptisé la série Élise. L’éditeur du dernier roman de Nelly Arcan, fort sollicité par les médias lors de la disparition de
l’écrivaine, avait initié la série trois ans plutôt en signant Élise, roman construit autour du personnage du même nom. Les aventures de l’héroïne se sont ensuite poursuivies sous la plume de Laurent Chabin avec Luna Park et de Benoît Bouthillette qui signait La phalange des avalanches en 2009. Avec cette nouvelle parution, l’auteur nous promet une incur-
xle délit · le mardi 7 septembre 2010 · delitfrancais.com
sion dans le quotidien de trois pirates modernes qui opposent une féroce résistance à l’état ultra conservateur qu’est le Québec de 2030. La suite à leurs aventures ne saurait se faire attendre trop longtemps: le prochain épisode de la série Élise, écrit par Laurent Chabin, est à paraître en octobre prochain. x
Laissez-vous charmer par Au revoir Simone. Joshua Barnett
Arts & Culture
15
LE DÉLIT AIME...
La Blogothèque
Catherine Côté-Ostiguy Le Délit
C
par Martine Chapuis
La bd de la semaine
’est un blogue, c’est français, et c’est l’une des meilleures adresses du web! Le mandat de la Blogothèque est simple: promouvoir et diffuser de la musique tout en offrant un média original et de qualité. Ce que nous préférons de la Blogothèque? Définitivement ses «concerts à emporter», de
16 Arts & Culture
véritables petits bijoux pour les yeux et les oreilles. Ces vidéos de quelques minutes nous invitent dans l’univers d’un artiste ou d’un groupe, et ce de manière absolument unique. Les performances ont presque toujours lieu dans des endroits inusités ou au charme tout particulier et le résultat est épatant. Les images sont magnifiques, le choix des performeurs est toujours juste et la beauté et l’émotion
sont à chaque fois au rendezvous. Pourquoi en parler ici? Eh bien parce que plusieurs artistes québécois ou canadiens sont passés devant la caméra des «concerts à emporter». En effet, il semble que l’équipe de la Blogothèque affectionne tout particulièrement certains de nos talents montréalais. C’est ainsi que Karkwa a enregistré quelques chansons dans un sentier de la campagne fran-
çaise, que Malajube a entonné son «Montréal -40°C» dans les rues de la capitale, que Patrick Watson a fait entendre sa voix d’ange dans le métro parisien et que Arcade Fire nous a offert «Neon Bible» en direct de la cabine d’un ascenseur. La Blogothèque, c’est aussi Sufjans Stevens, The Shins et Plants and Animals. C’est Bloc Party, Wilco et Bon Iver. Mais c’est également et surtout une foule
d’artistes et de groupes méconnus du grand public et une fabuleuse manière de faire de belles découvertes. Car en même temps que l’on découvre une nouvelle voix, un nouveau son, on est amené à se délecter d’images pour le moins magnifiques, captées par une équipe qui, décidément, a su créer un espace de diffusion hors du commun. x Allez-y : www.blogotheque.net
Vous voulez écrire dans les pages culturelles du Délit?
articlesculture@ delitfrancais.com
xle délit · le mardi 7 septembre 2010 · delitfrancais.com