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Les robots opèrent > 3 Le génocide canadien > 4 La solitude insolite de James Thierrée > 9 Great Directors: les rudiments du métier > 13
Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill.
Tant que l’eau coulera Une enquête qui remonte à la source des effets néfastes du projet hydro-électrique la Romaine.
Pages 6&7
Le mardi 26 octobre 2010 - Volume 100 Numéro 7, le seul journal francophone de l’Université McGill.
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CAMPUS
Loi 115: Le mécontentement tonne La loi 115 a été adoptée en baîllon à l’Assemblée nationale et en manifestation devant les bureaux du Premier ministre à Montréal. Francis L. Racine Le Délit
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undi 18 octobre, le marathon parlementaire a commencé par l’évacuation de la section sur les écoles passerelles (touchant directement la loi 104) du projet de loi 103 par la présentation de la loi faisant suite au jugement de la Cour Suprême, communément connu sous le nom de projet de loi 115. La période des questions fut aussi des plus hostiles et des plus partisanes. Ainsi, le premier ministre a demandé au président de l’Assemblée nationale de convoquer les députés une journée à l’avance de leurs vacances automnales pour terminer et finalement adopter le projet de loi 115 par bâillon. Il faut savoir que l’utilisation du bâillon est aussi légitime que l’utilisation de la technique du filibuster par les oppositions de toutes époques confondues. De cette manière, le gouvernement du Québec a voulu précipiter l’adoption de la loi 115 à cause de l’arrivée de la date limite fixée par le Cour Suprême à la suspension de la loi 104. Le débat à l’Assemblée fut des plus houleux tant il a duré, presque la nuit entière, que dans les différents médias. De plus, les diffé-
rents organismes qui avaient déposé des mémoires défavorables à la loi 103 furent présents sur la rue McGill College pour manifester leur désaprobation à l’égard du gouvernement.
Ils étaient environ mille cinq cents en tout et pour tout devant les bureaux de Jean Charest pour manifester leur mécontentement contre les décisions du gouvernement, contre la loi 103 et sur-
Julien Poulain : «Le Québec en français, les universités en français!» Mathieu Breton
tout contre le faire fi du gouvernement à l’égard de la population et de ses revendications pour protéger la langue française. Parmi les groupes présents, on pouvait trouver les différentes centrales syndicales du Québec comme la FAE (Fédération autonome des enseignants), la CSQ (Centrale des syndicats du Québec), le Parti communiste du Québec, le RRQ (Réseau de résistances des Québécois) et Québec Solidaire notamment. Toutes ces organisations se sont rassemblées sur le petit tronçon de la rue McGill College entre Sherbrooke et Président Kennedy pour un spectacle contre la loi 103. Parmi les personnes rencontrées par Le Délit, notamment Françoise David, porte-parole de Québec Solidaire. Celle-ci a confié que «s’il y avait des élections aujourd’hui le PQ rentrerait majoritaire» et qu’elle était un peu perdue dans les différentes lois 101, 103, 104 et 115. Force est de constater que la langue française est un enjeu qui touche tous les Québécois, mais ceux qui étaient présents à la manifestation étaient pour la très grande majorité d’origine caucasienne, démontrant que l’enjeu du français fait déchirer la chemise des souverainistes purs et durs et surtout de souche. x
CAMPUS
Mc Sleepy et Da Vinci à la rescousse Deux robots sont utilisés en tandem pour opérer un patient au CUSM. Alexandre Breton Le Délit
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a robotique changera-t-elle l’avenir de la chirurgie? Le 18 octobre dernier, des spécialistes du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) ont annoncé le succès de la première chirurgie robotisée en anesthésie générale, lors d’une ablation de la prostate à l’Hôpital Général de Montréal. Il s’agit d’un travail partagé entre le robot McSleepy, un système d’anesthésie automatisé, et DaVinci, un robot chirurgical possédant quatre bras télécommandés. Si l’utilisation de ces machines ne date pas d’hier «McSleepy est utilisé depuis 2008 et DaVinci depuis cet été», c’est leur utilisation simultanée lors d’une opération entièrement robotisée qui constitue une première mondiale. Assiste-t-on à l’inauguration de robotsmédecins capables de nous opérer sans la moindre intervention humaine? À vrai dire, on est assez loin du compte. Michel Rochon, journaliste de Radio-Canada note que les deux robots «nécessitent malgré tout la présence d’une douzaine de personnes». Par ailleurs, DaVinci doit être opéré à distance par un chirurgien expérimenté. «Les robots ne remplaceront pas les méde-
cins», précise de Dr Thomas Hemmerling, anesthésiste au CUSM ayant participé à l’opération, mais leur présence semble de plus en plus indispensable. Quel intérêt y a-t-il à utiliser ces inventions honéreuses? «Ceci devrait conduire à la pratique d’une chirurgie plus rapide, plus sûre et plus précise pour nos patients», déclare le Dr Armen Aprikian, chirurgien en chef au département d’urologie au CUSM. Il explique que «le robot DaVinci nous permet d’opérer d’un poste de travail tout en maneuvrant délicatement des instruments chirurgicaux manuellement avec une précision qu’un humain seul ne pourrait reproduire». «[McSleepy] nous permet d’administrer une anesthésie d’une plus grande précision [...] avec la même qualité de soin à chaque utilisation», ajoute le Dr Hemmerling. «Normalement, les effets secondaires comme l’impuissance ou l’incontinence devraient être plus bas [avec l’utilisation de ces robots]», mentionne le Dr Aprikian, sur les risques associés à une prostatectomie. Cette nouvelle a donné lieu à des réactions partagées. «C’est un parfait exemple de la façon dont l’homme peut prendre avantage positivement de la technologie. Je suis fière de voir que, en plus, l’opération a eu lieu dans notre pays», déclare une internau-
xle délit · le mardi 26 octobre 2010 · delitfrancais.com
te sur le site de Radio-Canada. À l’opposé, certains s’inquiètent des coûts élevés de ces équipements. «Encore un exemple parfait du décalage monstrueux entre les avancées technologiques/scientifiques et l’accès catastrophique aux soins dans la province. Maintenant on sait où va l’argent dont bé-
néficiera une infime minorité de la population», s’insurge un autre commentateur. Les spécialistes du CUSM analysent les résultats de cette opération et prévoient d’étendre l’utilisation de ces robots à une plus grande population et à différents types de chirurgie. x
Dr TM Hemmerling et robotsw en opération, ne pas déranger. Gracieuseté du CUSM
Nouvelles
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POLITIQUE FÉDÉRALE
Un génocide au Canada Entrevue avec Kevin Annett sur la problématique actuelle des femmes et des peuples autochtones Humera Jabir Le Délit
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evin Annett, activiste basé à Vancouver, a travaillé pendant plus de dix ans à sensibiliser les Canadiens à la situation des pensionnats autochtones et à leurs répercussions sur cette population. Ancien animateur de l’émission de radio Hidden from History (diffusée sur le poste de Vancouver Coop Radio jusqu’en août dernier), mettant en lumière différents passages méconnus de l’histoire des autochtones, Annett se penche notamment sur «le génocide des peuples autochtones au Canada». Le 9 août 2010, Annett avait invité à son émission des personnes témoignant d’une présumée implication de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) dans le dossier du trafic et de la mort de femmes autochtones originaires de la Colombie-Britannique. Au même moment, un rapport interne de la police de Vancouver était publié, révélant que certains fonctionnaires n’auraient pas agi assez rapidement pour empêcher le meurtre en série de vingt femmes commis par Robert Pickton, un fermier de Port Coquitlam, en février 2002. Ces meurtres démontrent la grande vulnérabilité des femmes autochtones et un problème en ce qui concerne leur protection et leur sécurité. Environ 500 femmes autochtones ont disparu, pour la plupart dans les provinces de l’Ouest. Le Délit (LD): Pour quelles raisons avez-vous été congédié par la station Coop Radio le 9 août dernier? Kevin Annett (KA): J’ai animé l’émission Hidden for History pendant plus de neuf ans. Dans les derniers mois, je me suis principalement intéressé à la question des meurtres en série de Pickton. On a travaillé avec des groupes de femmes de l’Est de Vancouver, et plusieurs de nos témoins ont associé l’implication de deux policiers de la GRC avec la réalisation de films «Snuff» où des femmes autochtones sont violées, tuées, et vendues sur le marché noir. On m’a congédié et banni dix minutes après l’émission, m’informant qu’un incident était survenu le 20 juillet. Je n’ai jamais pu voir l’enregistrement vidéo de cet incident; je n’ai toujours pas vu la preuve qu’on a retenue contre moi. On a également banni tous les animateurs qui ont contesté mon congédiement, et averti l’administrateur de la station et chacun des programmeurs de ne jamais m’inviter aux émissions. LD: Pour quelles raisons croyezvous avoir été banni de la station de radio? KA: Selon moi, il faut chercher du côté du gouvernement fédéral, d’où le financement de la station et l’émission des licences proviennent. LD: Diriez-vous que votre congédiement est un exemple de censure? KA: Il s’agit définitivement de censure. C’est une illustration de la campagne qui est menée depuis plusieurs années qui a pour objectif de discréditer ceux qui essayent de
montrer que ces meurtres se perpétuent. Même la couverture médiatique alternative est contrôlée par le gouvernement, en raison du financement octroyé par celui-ci. Je crois ainsi que les stations de radio devraient bénéficier d’un financement indépendant. On doit absolument militer pour la liberté d’expression vis-à-vis de ces abus. LD: Pourquoi croyez-vous qu’il est important de nommer des crimi-
nels présumés? KA: L’absence de nom reconnaît l’existence d’un méfait, mais pas d’une personne responsable qui doit être jugée devant les tribunaux. Jusqu’à maintenant, les Canadiens ont gardé une distance par rapport à la problématique concernant le traitement des femmes autochtones, évitant ainsi tout l’horreur perpétué par les pensionnats autochtones. Jusqu’à maintenant, on y a compté qua-
Kevin Annett Flickr: Jay Black
rante-trois crimes. On commence à voir le bout de l’iceberg, mais il en reste beaucoup sous l’eau. LD: Pourquoi utilisez-vous le mot «génocide» pour décrire le traitement des peuples autochtones dans ces pensionnats? KA: La convention des Nations Unies, votée en 1948, défini comme génocide toute tentative de destruction d’un groupe, en partie ou en totalité. Tout ce qui s’est produit dans les pensionnats autochtones le témoignent: déportements d’enfants causant leur mort, la mise en place de programme de stérilisation pour empêcher la procréation, des agressions entraînant des blessures menaçant la vie à long terme. Il est donc légitime de qualifier cette situation de «génocide». LD: Vous planifiez la tenue d’un Tribunal international des crimes d’État et de l’Église en avril qui vise notamment à inculper le Pape et la Reine pour leur participation dans ce génocide autochtone. Qu’espérezvous accomplir? KA: On veut porter ce cas devant la Cour internationale de Justice qui considère l’intégralité de l’histoire canadienne et américaine, car d’autres tribunaux ont refusé de faire face à ce problème. On a notamment envoyé des assignations à comparaître au Pape, à six cardinaux et à la Reine. Ils doivent faire face à la justice pour des actions passées, et les abus qui sont encore perpétués, tel que l’abus des enfants qui prévaut dans l’Église catholique. Les effets des crimes récents des dix dernières années sont toujours ressentis. De plus, le Pape a récemment envoyé des lettres ordonnant le camouflage des abus sur les enfants. On veut porter ces gestes devant le tribunal en tant que crimes contre l’humanité. Le 29 septembre dernier, le président de la Commission sur le témoignage et la réconciliation, Murray Sinclair, a affirmé devant le Sénat que plusieurs milliers d’enfants sont morts dans les pensionnats autochtones, et que certains de leurs parents ignorent toujours où ils sont enterrés. Maintenant que le gouvernement a admis ces décès, il reste à savoir si le gouvernement va admettre l’appellation de génocide. LD: Le gouvernement canadien a-t-il répondu à vos allégations? KA: Pendant plusieurs années, le gouvernement les a ignorées. Lorsqu’ils ont dû s’y pencher, ils les ont complètement reniées. Notre premier tribunal a été tenu en 1998, toutes les preuves ont été montrées au grand jour, mais le gouvernement n’a pas fléchi. Lorsque l’on a sorti le film Unrepentant [impénitent] en 2006, un député s’est levé et a demandé où était l’enfant disparu. La Commission sur le témoignage et la réconciliation a choisi de travailler sur la question de l’héritage de ces pensionnats. Tout ceci démontre le pouvoir des preuves et l’importance de faire pression pour faire connaître cette cause. x Propos traduits par Humera Jabir et Éléna Choquette.
L’AG en exclusif web: www.delitfrancais.com 4 Nouvelles
xle délit · le mardi 26 octobre 2010 · delitfrancais.com
CAMPUS
CAF: de retour! C
’est avec des idées plein la tête et des projets plein les bras que la Commission des affaires francophones (CAF) a repris du service depuis quelques semaines. Soutenue par une équipe du tonnerre, la CAF vous promet une année des plus engageantes, sous le signe du bilinguisme. Du 24 janvier au 3 février, oubliez le cinéma, le resto, le musée: la CAF a prévu le coup. Pour satisfaire vos besoins culturels, politiques et même alimentaires, la Francofête 2011 est la seule option. En effet, cette année encore, la CAF vous prépare deux
semaines d’événements festifs et instructifs à saveur francophone. Pensez, par exemple, à notre table ronde au sujet de la langue française dans le monde des arts, notre traditionnel vin et fromage, nos panels sur les politiques linguistiques organisés en partenariat avec l’Association des étudiants en science politique, ou encore notre très populaire cabane à sucre mobile. Bref, avec des collaborations sans cesse croissantes à travers les différentes facultés et un nombre toujours plus grand d’événements, la Francofête est plus que jamais un rendez-vous à ne pas manquer!
Dans un avenir plus proche, ouvrez l’œil pour le retour tant attendu du comptoir de queues de castor qui, comptez sur nous, roulera sur le campus au moment où vous en aurez le plus besoin… D’ici là, n’hésitez pas à nous faire part de vos questions et commentaires à caf@ssmu.mcgill.ca. Pour plus d’informations sur la CAF, nous vous invitons à consulter notre page Facebook ou notre site internet: ssmu.ca/ caf. x
CHRONIQUE
La pas si sainte Sainte Trinité: réduire, réutiliser, recycler Bulle climatique
Andreea Iliescu
Éléna Choquette et Sarah Marsolais-Ricard, commissaires francophones pour l’AÉUM
CHRONIQUE
Bilinguisme et intelligence Le Cabot bilingue
Maya Riebel
PARMI LES DÉFENSEURS du bilinguisme, car il n’y a pas de droit au bilinguisme, il y a ceux qui revendiquent les vertus intellectuelles de connaître deux langues comme une intelligence supérieure. Examinons cette affirmation quelque peu généralisée. Aujourd’hui, je me penche sur une chronique d’un certain Bernard Desgagné, sur le blog vigile.net. Puisque la dernière fois, je donnais la parole aux anglos, cette fois-ci c’est au tour des nationalistes. Écrit en 2008, le sujet reste d’actualité. Le post s’intitule: «Les fausses vertus du bilinguisme». De nombreux linguistes ,tels que Pierre Calvé (expert en linguistique et ex-doyen de la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa), défendent les études scientifiques étalées de-
puis une trentaine d’années, qui auraient «bel et bien démontré les bénéfices intellectuels (souplesse cognitive, créativité, etc.), sociaux et affectifs (moins d’ethnocentrisme et de xénophobie, etc.)» du bilinguisme (Le Devoir, 8 mars 2008). «Attention», dit Desgagné, car il faut prendre en compte l’échantillon étudié, qui est dans ce cas-ci les enfants issus des programmes d’immersion française du Canada anglais. Il fait une première remarque quant à «savoir si le bilinguisme a un effet favorable sur le développement intellectuel, social et affectif, ce sont les personnes bilingues et les personnes unilingues qu’il faut comparer, et non les élèves soumis à divers régimes pédagogiques». De plus, il rappelle que les programmes d’immersion tendent
xle délit · le mardi 26 octobre 2010 · delitfrancais.com
à exclure les élèves plus faibles, et qu’il s’opère donc au départ une sorte de sélection naturelle. Ce sont aussi le plus souvent des élèves plus favorisés sur le plan socio-économique. On comprend alors que l’échantillon est peu représentatif d’un phénomène bilingue plus général. Il est normal que des élèves naturellement plus doués et favorisés socio-économiquement réussissent mieux académiquement, et cela qu’ils soient bilingues ou non. Voilà nos recherches scientifiques bien démystifiées. D’ailleurs, si être bilingue signifie être plus intelligent, alors celui qui ne connaît qu’une langue le serait moins? Notre bon sens nous répond que non. De la même manière, cette logique nous ferait dire que perdre une seconde langue apprise reviendrait à effectuer une régression mentale et affective. C’est évidemment faux. La logique quantitative de l’intelligence est à éviter. La bilingue en moi se récrie: bien sûr qu’il y a des bénéfices d’ordre cognitifs! En fait, cela est moins facile à prouver qu’il n’y parait. Je peux néanmoins me pencher sur ma vie personnelle, qui cumule voyages et langues diverses, afin d’affirmer que même si l’avantage cognitif reste discutable, il peut y avoir des avantages d’ordre «social et affectif», comme une plus grande ouverture d’esprit. N’oublions pas non plus la théorie anthropologique selon laquelle la langue utilisée par un individu structurerait sa perception du monde. En tant que bilingues, nous aurions donc plusieurs perceptions à notre disposition, desquelles pourraient découler un esprit critique bien entraîné. x Exercez votre bilinguisme et votre intelligence en commentant les articles sur www.delitfrancais.com.
CELA FAIT DÉJÀ QUELQUES
semaines qu’une université québécoise a interdit la vente de bouteilles d’eau jetables sur son campus, une première pour la Belle Province. Comme vous l’avez sûrement remarqué, il ne s’agit pas de McGill «so much for our leadership!» mais de la moins connue Université Bishop à Lennoxville. Une belle initiative devançant la Semaine québécoise de réduction des déchets qui a pris fin dimanche dernier. La semaine québécoise de réduction des déchets fêtait ses dix ans cette année. Il s’agit d’une initiative menée par Action RE-buts, en collaboration avec (entre autres) RECYC-QUÉBEC, visant à exposer le défi que représente la gestion des matières résiduelles et à susciter l’engagement citoyen pour une société plus propre. Les ordures deviennent souvent invisibles dès que les bacs sont mis dehors ou dès que les sacs sont jetés dans une chute à déchets, mais leur cycle ne s’arrête pas là. À Montréal, elles sont, pour la plupart, acheminées vers des lieux d’enfouissement où elles se décomposent tout en émettant le redoutable gaz méthane, un important contributeur au réchauffement climatique: vingt-cinq fois plus actif que le dioxyde de carbone. La gestion des déchets a un impact sur les changements climatiques. Les biens qui s’offrent à nous émettent des gaz à effet de serre depuis l’extraction des matières premières utilisées pour leur fabrication jusqu’à leur élimination, en passant par le transport, un gros lot. Il est donc essentiel
de comprendre le cycle de vie d’un produit avant de se jeter dessus si notre but est de choisir un objet de qualité qui finalement se retrouvera dans les dépotoirs. Selon Statistiques Canada, les Canadiens produisent en moyenne près 800 kg de déchets par année! Cela fait un peu plus de 2 kg de déchets par jour et par canadien dont les trois quarts sont enfouis ou incinérés! À Montréal, selon RECYC-QUÉBEC, les citoyens génèrent 500 kg de déchets par année dont plus de 300 kg enfouis. Dans notre métropole, la collecte des déchets putrescibles, qui représentent la moitié des déchets non récupérés, reste problématique. Un problème qui devrait être réglé d’ici 2014 selon le plan de développement durable rendu public par la Ville il y a deux semaines. Pourtant, le taux de récupération des matières recyclables peine à atteindre l’objectif de 60 pour cent qui avait été établi pour 2009 malgré tous les efforts de sensibilisation. C’est pour pallier à ces retards que la Ville de Montréal propose son guide Consommer autrement téléchargeable sur Internet et disponible dans les bibliothèques et les Éco-quartiers. Ce guide propose des adresses et des astuces simples pour donner une seconde vie aux objets non désirés. Dans la même veine, les Pages Jaunes offrent des informations et des ressources dans sous sa section «Guideéco», situé au début des annuaires. Alors si vous ne l’avez pas encore mis aux ordures, pardon, au recyclage, faites le plein d’idées et convertissez-vous à ces pratiques vertes! x
EXCLU WEB: Rally Mobilization McGill www.delitfrancais.com Nouvelles
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Société societe@delitfrancais.com
Des reflets noirs dans l’or bleu de la Belle Province? La construction du complexe sur la Romaine provoque des remous dans la conscience québécoise. Anabel Cossette Civitella Le Délit
A
u
moment
où
Hydro-Québec s’apprête
à
har-
nacher la rivière Romaine de
quatre
barrages,
de
nombreuses voix s’élèvent pour souligner les pour et les contre de ce qui est communément appelé la fierté nationale québécoise: l’hydroélectricité.
Polluants nationaux: incognito
La rivière Romaine avant d’être harnachée: un el dorado du passé Crédit photo: Andrew McMartin, 2007
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xle délit · le mardi 26 octobre 2010 · delitfrancais.com
«En ce moment, les gaz à effet de serre générés par les barrages hydroélectriques ne sont pas comptabilisés dans les inventaires nationaux. Après quinze ans de recherche dans le domaine, on commence à se faire une idée sur la question et à cerner le problème. Au point où on en est, cet oubli est un problème politique», martèle Éric Duchemin, professeur associé à l’Institut des sciences de l’environnement de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM) et chercheur pour le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC). M. Duchemin milite pour que les terres inondées soient prises en compte dans le compte national des émissions de dioxyde de carbone (CO2). Le problème est principalement politique, car les questions environnementales relèvent du gou-
vernement provincial, mais les inventaires d’émissions de gaz à effet de serre sont pris en charge par le gouvernement fédéral. «On est capable de faire l’évaluation nette des émissions dans l’atmosphère, mais c’est Environnement Canada qui devrait s’en occuper. Pour l’instant, toute la recherche qui est faite au sujet des impacts environnementaux de l’hydroélectricité est financée par Hydro-Québec, ce qui est, à mon sens, un problème majeur», ajoute M. Duchemin. C’est dans les années 1990 que des chercheurs, parmi lesquels Éric Duchemin, ont commencé à questionner la part de responsabilité des barrages: «Au début, on pensait que toutes les émissions de gaz carboniques provenaient du sol sous-marin». Selon les premiers calculs scientifiques, la quantité de carbone à la surface de l’eau devait nécessairement être proportionnelle à la décomposition de la matière enfouie dans le sol inondé. Cette source de CO2 semblait seule et unique jusqu’à ce que l’équipe d’Éric Duchemin s’arme de palmes et de bonbonnes d’oxygène pour aller explorer La Grande 2, un réservoir vieux de 17 ans. Non seulement les forêts englouties plusieurs années auparavant tenaient encore debout, mais les fruits étaient toujours
Quant à l’étude des impacts sur l’environnement publié par Hydro-Québec pour le projet sur la Romaine, seules les émissions enregistrées à la surface de l’eau sont comptabilisées, avec une marge d’erreur qu’il ne faut pas négliger. Le professeur Duchemin ajoute que «les données ne sont pas très transparentes, car on ne sait pas d’où elles proviennent et sous quels facteurs elles ont été analysées. Durant quelle saison l’analyse a-t-elle été effectuée? Quel type de moyenne a été utilisé? Tous ces facteurs entrainent une forte variabilité qui n’est pas soulevée par Hydro-Québec.»
Environnementalistes: des remous de tous côtés Le groupe Alliance Romaine, organisme à but non lucratif, s’oppose activement à la construction des quatre barrages sur la rivière Romaine. Une pétition a été envoyée au gouvernement Charest, une expédition sur la Romaine et une rencontre avec les communautés touchées par les barrages ont été organisées. «Au Québec, on aime dire que l’hydro-électricité est une énergie
des est enrichie par les eaux douces de la rivière Romaine et Saint-Jean. La construction de barrages tout au long de la Romaine changera le débit de la rivière, perturbant l’équilibre actuel. «L’augmentation de la salinité de l’eau dans le golfe ne sera plus la même si le débit d’eau douce se transforme. Beaucoup d’espèces, dont le phyto plancton, ne pourront plus pousser dans ce nouvel environnement», explique la co-fondatrice d’Alliance Romaine. En fait, les espèces qui ne sauront pas s’adapter mourront. Pour l’instant, les phytoplanctons les plus résistants se sont révélés toxiques pour le reste de la chaîne alimentaire. Ainsi, par son étude, Fran Bristow tente de prouver que l’hydroélectricité n’est pas une énergie aussi propre et écologique qu’elle n’y paraît. Marie-Ève Lemieux, environne mentaliste employée d’Hydro-Québec et étudiante en maîtrise à l’Université McGill, voit le problème d’un autre œil: «En tant que société, on n’a pas fait le choix de réduire notre consommation à la source. Avec la demande actuelle, l’hydroélectricité reste ce qu’il y a de plus propre.» Chez HydroQuébec, l’évolution de la conscience environnementale s’est concrétisée de manière notable dans le cadre de son plan straté-
contacté Hydro-Québec dans le but d’obtenir des photos du futur complexe de la Romaine, Le Délit s’est vu refuser ce droit: «Je ne sais pas ce qui se trouve dans votre article, je ne peux donc pas vous permettre d’utiliser nos photos. D’ailleurs, selon la nature de vos arguments, je peux contreargumenter. L’impact des gaz à effet de serre a été revu à la baisse dernièrement et, au sujet de la biodiversité, toutes les étu-
«
Toutes les études d’impact qu’a fait Hydro-Québec montre qu’il n’y a jamais une seule espèce qui a disparue.» des d’impact d’Hydro-Québec montrent qu’aucune espèce n’a jamais disparue», affirme Marie-Élaine Deveault, chef des relations publiques pour la société d’État. Cependant, Fran Bristow s’inquiète des impacts à grande échelle: «Ce qui me surprend le plus depuis que je me penche sur les impacts de l’hydroélectricité, c’est la taille des problèmes qu’elle génère. Les effets cumulatifs sont énormes si l’on considère que tout ce qui coule vers le fleuve se dirige vers l’océan. Si nos barrages sont capables de changer des écosystèmes aussi
Le documentaire Chercher le courant nous entraîne sur les flots de la Romaine Crédit photo: Andrew McMartin 2007
accrochés aux arbres. L’émission de CO2 était réelle, mais peu avait été décomposé. Le sol n’était donc pas la seule source.
«
Pour l’instant, toute la recherche qui est faite au sujet des impacts environnementaux de l’hydroélectricité est financé par Hydro-Québec.»
À force d’hypothèses, ils ont découvert que le CO2 provient toujours de deux sources: le sol et la colonne d’eau elle-même. Le seul hic, c’est qu’il est encore impossible de les départir dans le temps. «Nous savons que le dioxyde de carbone provient du sol pour une certaine période, mais après, c’est le mystère. Si ça ne provenait que des milieux ennoyés, ça ne serait pas compliqué.» En effet, les émissions calculées à la surface de l’eau peuvent provenir à la fois de la matière présente lors de l’inondation, dont les arbres. Toutefois, une chose est sûre: «Les réservoirs dégradent plus de matière, donc produisent plus de CO2 et de méthane (CH4) que les lacs naturels. Il ne reste qu’à quantifier la différence.» M. Duchemin juge essentiel que les gaz à effet de serre produits par l’hydroélectricité soient intégrés à l’inventaire national, d’autant plus que celui-ci ne tient pas compte des gaz émis durant le déboisement et la construction des routes.
propre, que l’eau est une ressource renouvelable. On oublie que ce n’est pas seulement l’eau qui est affectée, mais les rivières et la biodiversité. On oublie que les rivières, elles, ne se renouvellent pas, qu’elles sont en quantité limitée sur le territoire du Québec», commente une activiste. Fran Bristow, co-fondatrice d’Alliance Romaine, n’est pas seulement une écologiste endurcie; également étudiante en maîtrise en sciences de l’environnement à l’UQÀM, elle travaille sur les impacts environnementaux de la construction du barrage sur la Romaine. Elle s’est lancée le défi de démontrer que les espèces à la base de la chaîne alimentaire marine, les phytoplanctons en l’occurrence, sont influencées par les changements physiques (le débit) et chimiques (la salinité) des rivières ponctuées de barrages. Sous la codirection de Marc Lucotte, professeur au Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère et membre de l’Institut des sciences de l’environnement de l’UQÀM, l’équipe de chercheurs se penche précisément sur le développement du complexe sur la Romaine. Naturellement, le courant du Labra dor rencontre le fleuve Saint-Laurent à la hauteur du détroit de Jacques-Cartier. La rencontre des deux eaux crée un brassage continuel des sédiments sous-marins, ce qui favorise la diversité des espèces présentes dans cette partie du golfe du SaintLaurent. De surcroît, la rencontre des flui-
gique 2000-2004. Trois conditions devant être réunies en vue de la réalisation de ses projets sont réaffirmées: la rentabilité, l’acceptabilité face au développement durable et la tolérance des communautés locales. À l’échelle de la compagnie, mais aussi sur le chantier, les efforts d’amélioration sont notables. «Si ce n’est pas tous les travailleurs qui prennent la peine d’écouter les conseils des spécialistes en environnement, ce qui est certain, c’est que les mentalités ont changé», se réjouit Madame Lemieux. Tout de même, le sujet reste chaud. Après avoir
grands que ceux de l’océan, alors tout le monde sera affecté.» Enfin, sachant qu’il n’existe pas d’énergie réellement propre, comment le Québec devrait-il gérer sa crise de conscience hydroélectrique? Des émissions de gaz à effet de serre au bouleversement écologique des écosystèmes, où nous entraînera cette volonté de toujours consommer plus d’électricité? Propre, pas propre, les dés sont-ils réellement jetés quant à ce qui a trait au complexe hydroélectrique La Romaine? Seul l’avenir nous le dira. x
Vague citoyenne Les fervents amoureux de la rivière n’ont pas dit leur dernier mot. Le documentaire Chercher le courant, réalisé par Alexis de Gheldere, observe l’écosystème de la rivière Romaine et la manière de produire de l’énergie au Québec. Réalisé à l’été 2008, le long-métrage nous entraîne sur les flots de la rivière qui bientôt ne sera plus. Par cette aventure tumultueuse, les trois membres de l’équipe de Chercher le courant désirent conscientiser et frapper l’imaginaire québécois. D’après Roy Dupuis, président de la fondation Rivières, l’aventure «n’est pas un combat, mais une démarche pour changer l’opinion des gens». L’objectif du documentaire n’est pas d’arrêter les travaux déjà en cours, mais vise davantage à sensibiliser les citoyens et à les inciter à prendre part au processus décisionnel. Présenté en avant-première à l’École d’été de l’Institut du Nouveau Monde cet été, la première officielle du documentaire aura lieu aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal qui se tiendront du 10 au 21 novembre 2010. Liens utiles: http://www.hydroquebec.com/romaine/projet/animationRomaine/index.html http://www.chercherlecourant.org/
Société
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Éditorial Super-héros 2.0
Volume 100 Numéro 7
le délit
rec@delitfrancais.com
Mai Anh Tran-Ho Le Délit
C
ette fin de semaine, Le Délit a retrouvé les journaux étudiants Le Collectif (Université de Sherbrooke) et Impact Campus (Université Laval) à Québec dans le cadre de la première conférence régionale uniquement en français organisée par la Presse universitaire francophone en partenariat avec l’Association de la presse francophone (APF) et l’Association des médias écrits communautaires du Québec (AMECQ). Le web et le papier: une symbiose risquée? La rencontre a soulevé quelques questions pertinentes quant au virage 2.0. François Demers, professeur en communication à l’Université Laval, établit deux grands défis —technique et en rapport au financement— relatifs à l’entrée sur Internet. Martin Bougie, directeur général de l’Association des radiodiffuseurs communautaires du Québec, affirme que le plus grand défi se situe davantage sur le plan «humain». Il ne faut pas craindre le web, mais voir comment celui-ci peut venir compléter la version papier. La mission 2.0 est, selon lui, de garder la spécificité du média en question en s’accaparant les nouveaux outils. Les acteurs dans le domaine des médias sont maintenant des «producteurs de contenu» avec différentes plateformes (site Internet, Facebook, Twitter, etc.) à leur disposition. Enfin, il ajoute qu’il n’est qu’une question de temps pour que le monde de la radio change aussi, qu’Internet/
wifi pénètre les autos. Il faut travailler sur sa spécificité, développer et consolider son public, être à son écoute. Claude Plante, journaliste à La Tribune sur cyberpresse.ca, explique la restructure nécessaire lorsqu’un prend le virage web. Par exemple, pour leur site, les manchettes doivent changer au moins à chaque heure, car le lecteur d’aujourd’hui est à la recherche des dernières nouvelles. De plus, son temps est compté et les textes moins longs (et les nouvelles locales) sont plus gagnants sur la toile, dit-il. Il faut également bien se servir des nouveaux outils, la vidéo par exemple, pour attirer le lecteur. En somme, le web ne fait plus peur —si ce n’est que parce qu’il semble être une autre langue. «Ça fait dix ans qu’on me dit que le web va tuer le journal», lance M. Plante, «mais on est encore là.» L’ère 2.0 ne marque certes pas la fin du hard-copy des actualités, mais transforme bien notre relation dans ce soft(-copy) world. Le risque semble surtout se trouver dans la perte d’une voix citoyenne. Dans cette mer de blogues, un seul commentaire semble se perdre alors que les nouvelles changent sans cesse avec ces marées de dernière minute. Comment peut-on alors construire le débat public? Devient-il sujet aux administrateurs des sites Internet? Qu’advient-il de la bonne vieille lettre ouverte envoyée au journal? Où est sa place sur cette toile cybernétique? S’armer de mots Dans le dernier épisode de la télésérie américaine Smallville, ces mots d’Oliver Queen (Justin Hartley), un milliardaire devenu héros national par ses aptitudes phé-
En trois vitesses en hausse
au neutre
Le seul journal francophone de l’Université McGill
noménales à l’arc et ses beaux yeux bruns, ont fait écho dans mon esprit: «In this world of armchair bloggers who created a generation of critics instead of leaders, I’m actually doing something right here, right now». Je ne vous dit pas d’aller enfiler vos collants et de mettre vos masques et de vous transformer en super-héros, mais prenez possession de vos nouvelles armes. Martin Bougie l’a bien souligné: le pouvoir a changé de mains. L’auditeur, le lecteur n’est plus un personnage passif, il a droit et peut participer et interagir beaucoup plus maintenant. Appropriez-vous les sites d’actualité, revendiquez vos intérêts et faites savoir ce dont vous vous parler et entendre parler. Par exemple, trois articles à l’intérieur de ce numéro illustrent l’importance des mots et du dire: une entrevue avec Kevin Annett qui dévoile le génocide des autochtones au Canada (p. 4), un retour sur le documentaire Vous n’aimez pas la vérité expose la vie d’un prisonnier de Guantánamo (p. 12) et l’article en pages centrales plonge dans le dossier sur le barrage de la Romaine. Les mots peuvent n’être que des mots lorsqu’on les laisse flotter dans les airs, mais ils peuvent laisser une trace noire sur blanc et résonneront s’ils sont assez forts. x Si tout ce qui à trait au journalisme vous titille, régalez-vous de la série de conférences, de tables rondes et d’ateliers que nous avons organisée dans le cadre de la Semaine du journalisme étudiant, pour répondre à toutes vos questions (programme provisoire au dos du journal). Jetez un coup d’œil aux dernières nouvelles pour cet événement sur delitfrancais.com.
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en baisse
bureau publicitaire 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6790 Télécopieur : +1 514 398-8318 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Gérance Pierre Bouillon Photocomposition Mathieu Ménard et Geneviève Robert The McGill Daily • www.mcgilldaily.com coordinating@mcgilldaily.com Emilio Comay del Junco Conseil d’administration de la Société des publications du Daily (SPD) Emilio Comay del Junco, Humera Jabir, Whitney Malett, Sana Saeed, Mai Anh Tran-Ho, Will Vanderbilt, Aaron Vansintjan, Sami Yasin
CONSIDÉRATIONS ENVIRONNEMENTALES AU PCC
BANQUE DU CANADA
LES FRANÇAIS AUX MANIFESTATIONS
Le ministre de l’environnement au fédéral, Jim Prentice, a rendu public, le 25 octobre dernier, un document de consultation dans lequel sont présentés les éléments proposés pour le futur règlement qui visera à réduire les émissions de gaz à effet de serre provenant des nouveaux véhicules lourds. Cette nouvelle vient contribuer à hausser les considérations environnementales au Parti conservateur du Canada, qui fait peau neuve après deux années passées à ne pas débourser un sou pour la lutte contre les émissions de gaz.
Le gouverneur de la Banque du Canada a annoncé que cette dernière allait garder son taux directeur au même niveau soit 1%. Ce maintien semble envoyer un message direct aux investisseurs au Canada et aux différents gouvernements signifiant que la reprise est fragile et que les consommateurs doivent continuer à consommer pour que la reprise soit plus forte et qu’elle se transforme en croissance soutenue comme avant la crise de 2008.
La semaine dernière, le Sénat français a adopté la loi modifiant l’âge de départ à la retraite qui passera de 60 à 62 ans. Cette adoption au Sénat sera suivie par une nouvelle adoption par l’Assemblée Nationale. Cette valse de votes sera finalement suivie par la sanction présidentielle. Ce projet de loi sur la réforme des retraites a su mobiliser plusieurs acteurs syndicaux et professionnels dans l’ensemble de la France pour contester cette réforme.
8 Éditorial
rédaction 3480 rue McTavish, bureau B•24 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6784 Télécopieur : +1 514 398-8318 Rédactrices en chef rec@delitfrancais.com Mai Anh Tran-Ho Nouvelles nouvelles@delitfrancais.com Chef de section Emma Ailinn Hautecœur Secrétaire de rédaction Francis L. Racine Arts&culture artsculture@delitfrancais.com Chef de section Émilie Bombardier Secrétaire de rédaction Annick Lavogiez Société societe@delitfrancais.com Anabel Cossette-Civitella Xavier Plamondon Coordonnatrice de la production production@delitfrancais.com Mai Anh Tran-Ho Coordonnateur visuel visuel@delitfrancais.com Élizabeth-Ann Michel-Boulanger Coordonnateurs de la correction correction@delitfrancais.com Anselme Le Texier Anthony Lecossois Coordonnateur Web web@delitfrancais.com Philippe Teisceira-Lessard Collaboration Émilie Blanchard, Alexandre Breton, Martine Chapuis, Commissaires aux affaires francophones, Andreea Ilisecu, Humera Jabir, Annie Li, Véronique Martel, Hannah Palmer, Marion Provencher Langlois, Catherine Renaud, Maya Riebel, Véronique Samson, Jade Weymuller Couverture Andrew McMartin (2007)
L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.
Les opinions exprimées dans ces pages ne reflètent pas nécessairement celles de l’Université McGill. Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal.Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec). Le Délit est membre fondateur de la Canadian University Press (CUP) et du Carrefour international de la presse universitaire francophone (CIPUF).
xle délit · le mardi 26 octobre 2010 · delitfrancais.com
Arts&Culture artsculture@delitfrancais.com
CIRQUE
À la recherche de Raoul Autour du thème de l’isolement, l’artiste multidisciplinaire français James Thierrée nous convie dans son univers empreint de magie et de mystère. Annie Li Le Délit
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ui d’autre que Raoul dans un doux délire pour converser sans mots avec un vieux gramophone, se verser du thé dans un verre sans fin et avoir des criquets de compagnie qui lui offrent une berceuse pour l’endormir? L’acteur, acrobate, mime et danseur James Thierrée a conçu un spectacle dans la lignée des imaginaires poétiques de Daniele Finzi Pasca, Nathalie Claude et Robert Lepage. Cet homme-orchestre, à la tête de la Compagnie du Hanneton, présente un amalgame convaincant d’arts de la scène centré autour du personnage solitaire de Raoul. Les échos des publics et critiques européens unanimement conquis nous l’avaient annoncé l’an dernier comme étant un spectacle à ne pas manquer. La scène offre tout d’abord au regard du
public de grands voiles blancs défraîchis, rapiécés et suspendus à la va-vite. Rapidement, ils se déploient pour faire toute la place à Raoul et sa cabane chancelante. Les éléments qu’on y retrouve, tels qu’un rideau de velours rouge, un tonneau-coffre aux trésors et un fauteuil baroque élimé, confèrent à l’ensembre un charme suranné. C’est dans ce décor que le spectateur, au gré des scènes, tente d’appréhender l’insaisissable Raoul. Pourquoi se barricade-t-il? Qui donc est son ennemi? Sa réclusion est-elle volontaire ou forcée? Les origines de la situation sont intentionnellement tenues secrètes. Le personnage, par ses mimiques, manèges et moues burlesques, oscille entre sensibilité raffinée et pulsions primitives. C’est un grognon qui se complaît dans sa propre solitude. C’est un insouciant qui a des manies de vieux garçon. Il est le captif de son propre émerveillement, à la fois marionnette et marionnettiste. Peu
à peu, les forces de la maison-palissade qui l’abrite, avec laquelle il entretient une relation symbiotique, le quittent. Le monde extravagant mais candide de Raoul va-t-il complètement s’écrouler? Des animaux surréalistes et étranges (un ptérosaure métallique, une crevette-luciole ou encore une élégante méduse) essaieront en vain d’apprivoiser l’indomptable et farouche humain. Visiteurs porteurs d’une grâce magnifique, ils marquent longtemps l’esprit du public. Les éclairages oniriques, dans des tons orangés et bleus, les jeux d’ombre et de lumière, ainsi que la musique, évoquant parfois l’ambiance des films de Wong Kar-Wai, teintent la pièce d’une nostalgie intemporelle. L’utilisation désuète de techniques artisanales de scénographie, comme les sacs de sable et les poulies, à l’opposé des hautes technologies couramment utilisées dans le monde du spectacle, contribuent à cet enchantement.
Richard Haughton
Par ses multiples talents, James Thierrée épate et surprend, l’éblouissement ne faisant jamais relâche. Sa performance physique est solide du début à la fin. Raoul est un gentil fou qui, ne sachant plus quoi faire de lui-même, tente de se libérer de sa propre personne. À lui de voir s’il préfère rester dans son cocon, aller jusqu’au bout de son introspection ou au contraire, détruire le confort de ses illusions et s’envoler vers d’autres horizons. La beauté du monde ne devrait-elle pas être partagée à plusieurs? C’est à un véritable conte de fées pour les grands un James Thiérrée vous convoque. x Raoul Où: TOHU 2345 Jarry Est Quand: Jusqu’au 30 octobre Combien: à partir de 38,25$
THÉÂTRE
Trois fois, tu travailleras Graines de soleil (France), Éclats de Lune (Maroc) et Les Vivaces (Québec) se réunissent au Prospero pour donner vie à Profils atypiques.
Christian Mayaud
Marion Provencher Langlois Le Délit
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rois compagnies, trois continents, trois auteurs, un thème: le rapport de l’homme au travail. Ainsi s’est amorcée l’écriture d’une pièce que l’on peut qualifier de poétique et engagée. Les trois auteurs, Koffi Kwahulé (Côte d’Ivoire), Louis-Dominique Lavigne (Québec) et Nadège Prugnard (France), éraflent tout sur leur passage: apathie, marginalisation, abus, mécanisation de l’être et déshumanisation. L’idée d’une pièce sur le travail dans la vie humaine a d’abord fait son chemin dans l’esprit du metteur en scène français et marocain Khalid Tamer. Le chorégraphe de formation définit chaque personnage dans son rapport avec l’espace et mise sur le jeu
physique des comédiens pour mettre en image des textes profondément poétiques. Les cinq comédiens, aux origines tout aussi diversifiées, se partagent la tâche de mettre en lumière l’importance du travail dans une vie. Le triangle Europe/Afrique/Amérique prouve que si les histoires changent, d’une nation à l’autre, d’un sexe à l’autre, le rapport au travail est sensiblement le même. Ostracisme, violence psychologique, physique et sexuelle s’installent insidieusement pour donner à Profils atypiques un ton dérisoire et subtil. La pièce allie slam, chanson, texte et jeu physique pour dresser un portrait désenchanté de l’humanité face au travail. Grâce au décor épuré et à l’éclairage bien exploité, Khalid Tamer a su laisser toute la place aux corps et au texte pour servir le propos de la pièce.
xle délit · le mardi 26 octobre 2010 · delitfrancais.com
Les difficultés rencontrées dans la recherche du travail sont présentées d’un point de vue personnel et structurel. Comportements destructeurs, marginaux, sous-estimés ou encore licenciement, racisme et harcèlement s’exposent comme autant de critiques des valeurs et des normes des employeurs dans le monde moderne. «Ma douleur est une pute qui s’appelle société», dira Angélique Boulay dans une tirade. La société se rend coupable de ne pas pouvoir fournir à ceux qu’elle exploite les outils de leur rédemption. Qu’ils soient exclus, sacrifiés à l’ouvrage ou exploités, les personnages continuent à se définir en termes d’employés. Ils sont CV et certificats. Ils sont la somme de leur travail. Dans la petite salle intimiste du théâtre Prospero, les créateurs tirent profit de la proximité des spectateurs. Par contre,
là où le texte pourrait exploiter les drames humains, Profils atypiques efface les histoires personnelles pour donner plus de place encore à la poésie. La condition de la femme au travail est plus qu’amplement exploitée. Celle de l’immigrant, un peu plus clichée, exprime trop rapidement une réalité partagée dans plusieurs pays de l’Occident. Les textes peuvent sembler lourds à première vue, même pénibles, mais au bout du compte, les personnages, le décor et le texte s’organisent pour offrir une belle production. x Profils atypiques Où: Théâtre Prospero 1371 Ontario Est Quand: Jusqu’au 30 octobre Combien: 20$ (les moins de 30 ans)
Arts & Culture
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CINÉMA
Allen et les amours illusoires Dans You Will Meet a Tall Dark Stranger, l’humour grinçant de Woody Allen s’attaque à nos conceptions trompeuses de l’amour. Annick Lavogiez Le Délit
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ifférents personnages qui tentent de prendre en main leur frustration amoureuse dans un imbroglio de disputes, de séductions et de chimères: aucun doute, c’est de Woody Allen dont il s’agit. You Will Meet a Tall Dark Stranger transporte le spectateur dans les beaux quartiers londoniens pour y suivre les déceptions amoureuses de plusieurs couples en quête de bonheur. Alfie (Anthony Hopkins) quitte Helena (Gemma Jones) pour retrouver sa jeunesse perdue et finit par se marier à Charmaine (Lucy Punch), une call-girl de plusieurs décennies sa cadette. Désespérée, Helena se réfugie chez Cristal (Pauline Collins), une diseuse de bonne aventure qui lui fait perdre toute rationalité. Sally (Naomi Watts), leur fille, tombe sous le charme de son patron (Antonio Banderas) alors qu’elle est mariée à Roy (Josh Brolin). Le patron, lui, entretient une relation extraconjugale avec une jeune artiste que Sally lui a présentée. Roy, écrivain plus ou moins couronné de succès, passe ses journées à espionner sa mystérieuse voisine, Dia (Freida Pinto), sur le point de se marier. Détours, tromperies et ratages amoureux sont fidèlement au programme dans ce film di-
vertissant qui est dans la veine habituelle de l’humour cinglant et bienveillant du réalisateur new-yorkais. Généreux, You Will Meet a Tall Dark Stranger présente des personnages moins clichés qu’il n’y paraît, décrits avec indulgence par un humour clément. Charmaine, certes une racoleuse dépensière et infidèle, n’est pourtant pas sans cœur et sans scrupules. Alfie est attendrissant dans sa quête d’une jeunesse inatteignable et la compréhension finale de son probable échec. Roy, lui, est touchant de sincérité et d’ironie lorsque, installé chez Dia, c’est Sally qu’il observe se dénuder dans son ancienne chambre à coucher. Tous sont à la recherche de l’Amour et d’une vie parfaite, mais aucun n’est à l’abri des désillusions inhérentes à cette quête. L’erreur se loge peut-être justement dans ce manque de distance vis-à-vis de leurs propres rêves et ce besoin essentiel et insatiable d’un bonheur que certains perçoivent comme irréel. Le personnage de Roy est ironiquement significatif à cet égard, lorsqu’il se rend compte qu’il est davantage intrigué par le mystère de la femme nue de l’autre côté de la rue qu’amoureux de la femme en elle-même. Quelque soit la fenêtre d’où il regarde le monde, celui-ci lui semblera toujours plus attrayant que
Gracieuseté de Métropole Films
le sien. Ainsi, touché par l’ironie de la vie et ses concours de circonstances plus ou moins malencontreux, chaque personnage fait face à un destin qu’il est bien difficile de contrôler et se heurte inévitablement aux autres.
Fidèle à lui-même dans ses thématiques et sa réalisation, Woody Allen offre une fin ouverte. L’œuvre s’en trouve ainsi sublimée: l’important n’est pas de savoir comment les personnages feront face à leurs prochai-
nes déceptions, mais plutôt de les voir prendre conscience que personne n’a de contrôle sur sa destinée et qu’il vaut décidément mieux en rire qu’en pleurer. x En salle dès le 29 octobre.
CHRONIQUE
Chronique d’une postmoderne indigne Rêveries familières
Véronique Samson
L’autre jour, j’ai esSAYÉ de résumer le dernier livre de Vincent Tholomé, La Pologne & autres récits de l’Est, paru ce moisci au Quartanier. Voici ce que ça a donné: Un certain vincent tholomé (à ne pas confondre avec l’auteur, qui lui a droit à des majuscules) se rend tous les matins à une cafétéria de namurland et entretient les filles des facéties de «dieu la pologne». Dieu la pologne qui
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trompe son ennui en essayant d’exister dans l’esprit du pauvre tholomé, s’infiltrant jusque dans sa braguette et sous la plante de son pied. Le «diable de l’enfer» s’en mêle à son tour, et une guerre cosmique éclate bientôt derrière le divan du salon et sa presque épouse nathalie. En pleine épidémie de grippe aviaire, le jeune coq révolutionnaire sergueï ivanovitch tente quant à lui d’inciter son poulailler à la révolte. Les hôpitaux concoctent des plans de sauvetage plutôt douteux, les gens se passent leur chat dans la gorge et leur bouchon d’ouate dans l’oreille, et l’ensemble du poulailler finit par prendre la fuite vers la campagne. Pendant ce temps, un couple moscovite aimant manger chinois roule dans sa voiture à toute allure, jusqu’à se perdre dans le paysage blanc sibérien, où l’on retrouve notre bande de poulets organisée pour la survie au grand froid… «tandis que le reste de l’humanité retourne à l’état sauvage.» La morale de cette histoire? Résumer les quatre-vingt-seize
pages de La Pologne & autres récits de l’Est est un exercice périlleux. Certes, en tant qu’admiratrice de vieilles choses littéraires, jeune postmoderne indigne de son époque, j’étais peut-être mal équipée pour affronter mon premier Tholomé. Tout au long de ma lecture, la main au front, les sourcils froncés, j’ai bien naïvement guetté à l’horizon une intrigue linéaire et des personnages typés qui allaient me poser un gros lapin. J’ai refermé La Pologne & autres récits de l’Est comme on referme une parenthèse. Parenthèse déboussolante, parfois éblouissante, où l’on perd facilement le Nord, et où nos repères cardinaux de lecteurs ne valent plus grand-chose. L’ensemble se lit comme une sorte d’expérience de laboratoire, où tout est hypothétique, tout existe sous forme de potentialité, en autant que l’on se prête au jeu. «Alors il y a ce type. vincent tholomé. Qui ça? vincent tholomé. […] Mais tu peux l’appeler autrement si tu veux», nous lance-t-on dès l’ouverture. À
l’image de «dieu la pologne», les personnages et leurs aventures surgissent de manière arbitraire, comme par génération spontanée dans l’imagination de l’auteur, pour presque aussitôt y revenir et disparaître: «Vous connaissez la pologne? La pologne existe. Enfin. Tant que quelqu’un y pense. […] Je dis la pologne. Je pourrais dire dieu. Dieu la pologne n’existe que s’il vient dans l’esprit de quelqu’un.» Le résultat est une œuvre ludique, parfois très comique, parfois plutôt objet de curiosité. Découpé en plusieurs courtes parties, le récit oscille entre le ton de la BD, la parodie de reportage journalistique, le récit apocalyptique et le style roman policier, à la limite du paranoïaque. On croirait assister à un court-circuit dans le cerveau de tholomé, ruminant ces obsédantes fabulations qui l’accompagnent au quotidien. On pourrait dire que ce bouillonnement absurde de pensées que nous livre tholomé
devient une fin en soi dans La Pologne: ici, nulle impression d’arrière-pensée ou de sens caché à découvrir. Le monde autour est plat (mais pas «plate» du tout), comme un décor de carton-pâte construit par le personnage à même sa tête. Il s’agit tout simplement pour nous, lecteurs, de faire l’expérience du livre comme tholomé fait l’expérience du monde, de ses sursauts et hoquets incongrus, rendus directement par son verbe si particulier: tronçonné, éclaté en petits fragments, de moins en moins lisible. Et, je vous l’assure, on s’y soumet avec allégresse. Eh oui, même moi. Le lancement de La Pologne & autres récits de l’Est, ainsi que de trois autres livres de la collection OVNI (Turpitude – le grand complot de la collectivité de Fabien Loszach, Les Occidentales de Maggie Roussel et une réédition de Matamore n° 29 d’Alain Farah) aura lieu le 28 octobre prochain, à partir de 17h30, à la librairie Le Port de Tête. x
xle délit · le mardi 26 octobre 2010 · delitfrancais.com
ARTS VISUELS
Une saison toute canadienne au Musée d’art contemporain Natural Refuge de Brendan Fernandes (2004) Gracieuseté du Musée d’art contemporain de Montréal
Cet automne, le MAC se pare de ses plus beaux attraits en présentant les finalistes et demi-finalistes du prix artistique Sobey 2010 Véronique Martel Le Délit
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obey’s remet, chaque année depuis 2002, un prestigieux prix de 50 000$ à un artiste canadien de moins de quarante ans. Ainsi, si le nom «Sobey’s», chaîne d’épiceries canadienne, n’est pas très connu au Québec. Il n’en reste pas moins qu’il contribue de manière essentielle au paysage artistique canadien et québécois. Cette année, un élément unit toutes les œuvres du Sobey’s: l’humour. En effet, chaque artiste en explore les différentes facettes, que ce soit l’ironie, le sarcasme, la satire ou la parodie. Karen Tam, Brendan Fernandes
et Brendan Lee Satish Tang utilisent le stéréotype afin de révéler des préjugé. Tam propose deux installations s’intéressant aux clichés associés à la communauté chinoise. Quatre salles sont aménagées avec des éléments qui sont, pour un Occidental, typiquement asiatiques. L’ironie prend place lorsque le visiteur, heureux de ces chambres sécurisantes et familières qui correspondent à l’idée qu’il se fait d’une maison chinoise, se rend compte que tous les objets qui les meublent proviennent d’Ikea, du Dollarama, du quartier chinois ou qu’ils ont été confectionnés par des amis de l’artiste!
Satish Tang réserve un traitement similaire à l’observateur. La série de vases Manga Ormolu (2008-2010) utilise les techniques ancestrales chinoises et françaises de la porcelaine pour les allier à des formes et couleurs rappelant l’univers des mangas japonais, déconstruisant de ce fait le mythe de l’Asie engluée dans la tradition. L’installation de Fernandes confronte quant à elle le visiteur à ses propres préjugés sur l’art africain. L’artiste canadien d’origine kényane expose lions, gazelles et hautes herbes de la brousse. Le visiteur, convaincu qu’il se trouve en face d’un décor typiquement africain, se laisse ainsi tromper
par l’artiste qui lui présente en fait des animaux propres aux forêts de feuillis nord-américaines: sous les masques des gazelles se trouvent en effet des cerfs bien de chez nous. Bien que les œuvres de Grandmaison, de BGL, d’Adad Hannah, de Daniel Barrow, de Patrick Bernatchez et d’Emily Vey Duke + Cooper Battersby ne sont pas aussi explicitement comiques, elles ne sont pas dépourvues de traits humoristiques pour autant. Elles sollicitent également les visiteurs. L’installation de Barrow intrigue ainsi le visiteur qui ne sait s’il est en contrôle de la situation ou s’il en est victime. Dans House on Fire (2010) et Learning to Breath
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Underwater (2010), l’observateur est invité à déplacer plusieurs acétates et diapositives. Malgré la musique enjouée entendue dans la salle, le spectateur constate –plus ou moins rapidement– qu’il participe à un acte bien criminel: le viol du personnage féminin de House on Fire. Désopilantes et interactives, les œuvres du MAC questionnent donc avec succès notre relation aux objets et à l’Autre. x Prix artistique Sobey 2010 Où: Musée d’art contemporain 185 Sainte-Catherine Ouest Quand: jusqu’au 4 janvier Combien: 6$ (étudiant)
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Arts & Culture
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CINÉMA
L’enfance mal aimée
Dans 10 ½, l’univers des centres jeunesse est exploré à travers le regard d’un enfant et de son éducateur.
Gracieuseté d’Alliance Films
Annick Lavogiez Le Délit
«Ç
a m’intéressait d’explorer la dévotion de ces gens qui choisissent des causes que l’on dit perdues mais qui peuvent ne pas l’être», explique Claude Legault, qui prend la peau de l’éducateur, dans une entrevue accordée à La Presse. 10 ½ est le portrait de Tommy (Robert Naylor), un enfant balloté entre différents services sociaux qui le jugent irrécupérable. Au centre jeunesse «Le Tremplin», il rencontre Gilles. L’éducateur, dont la patience est souvent mise à mal par Tommy, surmonte petit à petit ses provocations et tente de lui donner une nouvelle chance.
Tommy ne communique que par le biais de la violence, faute d’avoir appris autre chose. Il sacre sans relâche, se moque de ses camarades et insulte les éducateurs. En désaccord avec les règles qui régissent le centre, il entre régulièrement dans des crises d’une brutalité extrême, pendant lesquelles il se débat comme un forcené face aux agents de sécurité. Personne ne semble pouvoir apaiser la colère qui l’anime. Et lorsque la pédopsychiatre refuse de lui prescrire des médicaments, les éducateurs sont découragés, prêts à l’abandonner à un service psychiatrique. Pourtant, à force de détermination et de patience, Gilles finit par comprendre l’histoire de Tommy, éduqué par une
mère malade et un père dépassé et absent. S’instaure alors entre l’éducateur et l’enfant une relation qui évolue de l’incompréhension à l’acceptation, voire peut-être, à une affection discrète. La force de 10 ½ est le sobre traitement des thèmes abordés. L’absence de musique permet au réalisateur de ne pas tomber dans le mélodrame pathétique et renforce le réalisme du récit. Nul besoin d’une série de violons larmoyants pour toucher le spectateur. Les hurlements de Tommy, enfermé dans sa chambre à frapper contre les murs, et les regards de Gilles, entre inquiétude et découragement, suffisent à bouleverser le public. Il
n’est pas non plus question de juger le comportement de l’enfant, les réactions des éducateurs ou encore l’abandon désespéré des parents. L’approche du film est directe et le message est clair: le système des centres jeunesse est semé de failles qu’il ne s’agit pas de dénoncer mais de reconnaître et de comprendre. Et c’est justement cette sobriété dans la réalisation qui permet au spectateur d’être indigné et troublé sans avoir le sentiment de s’être fait manipulé par des images culpabilisatrices à l’excès. Les comédiens contribuent à cette sobriété puisque leur personnage n’est ni magnifié, ni excusé. Ils sont terriblement humains. La retenue de Claude
Legault, vieilli pour le rôle, permet à Robert Naylor de faire exploser toute sa colère avec une force troublante de sincérité. Le jeune acteur de 14 ans à peine, qui accumule les pubs et les doublages depuis l’âge de 8 ans, démontre un talent surprenant dans un rôle physique où beaucoup d’autres auraient pu échouer. Podz confie en entrevue avec La Presse: «Je ne connaissais pas les centres jeunesse, mais je voulais explorer ce monde-là, pour l’humanité de la chose». Une véritable réussite. x Présenté au Festival du Nouveau Cinéma, 10 ½ sera distribué dans les grandes salles dès le 29 octobre.
CINÉMA
Dans les coulisses de Guantánamo
Le troublant documentaire Vous n’aimez pas la vérité ne laisse personne indifférent face à la vie d’Omar Khadr, emprisonné à Guantánamo Emilie Blanchard Le Délit
C
onfus, incapable de comprendre parfaitement ce qu’il regarde, le public se retrouve sans mots lorsqu’il assiste à la descente aux enfers d’Omar Khadr. Réalisé par Luc Côté et Patricio Henríquez, le documentaire porte sur l’interrogatoire d’Omar Khadr par le Service canadien de renseignements de sécurité (SCRS) à la prison de Guantánamo, entre le 13 et 16 février 2003. Né dans la région de Toronto, Khadr est accusé d’avoir tué un soldat américain en Afghanistan en juillet 2002. Emprisonné à Guantánamo depuis le mois d’octobre de la même année, il reçoit la visite d’agents du SCRS en février 2003, alors qu’il était âgé de 16 ans. Au lieu de le soutenir, ces derniers l’interrogent pour rapporter des informations aux États-Unis et confirmer les accusations portées contre lui. En 2008, dans l’affaire «Canada (Justice) c. Khadr», la Cour suprême du Canada a statué que le SCRS avait enfreint l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, puisqu’il avait l’obligation «[d’] observer les principes de jus-
12 Arts & Culture
Gracieuseté des Films du 3 mars
tice fondamentale, et les obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne», dont celui de garder le silence et d’être informé de son droit de pouvoir parler à un avocat. De plus, la Cour a autorisé la divulgation de la bande-vidéo de l’interrogatoire d’une durée de sept heures, filmé par des
caméras de surveillance. C’est cette bande qui est à la base du documentaire qui sera utilisé comme preuve pour la défense de Khadr dans son procès pour crimes de guerre. Le documentaire, qui s’attarde particulièrement à cette violation des droits de Khadr, est divisé en quatre journées. Khadr
est d’abord très enthousiaste et semble plein d’espoir lorsque les agents du SCRS établissent un lien de confiance avec lui. Il leur parle ouvertement de sa famille, de son passé et de son père qui, selon certains, collaborait financièrement à Al-Qaeda. Lors de la deuxième journée, Khadr apprend que les agents
agissent pour leur propre intérêt et insiste pour obtenir leur protection avant de se confier davantage. Effondré devant des agents indifférents qui refusent la protection réclamée, il raconte en détails le traitement horrible qu’il a subit alors qu’il était prisonnier à Bagram, en Afghanistan, avant d’être transféré à Guantánamo. Finalement, pendant la troisième et la quatrième journée, il reprend le contrôle de l’interrogatoire et ne coopère plus. L’intervention de psychiatres, de soldats américains, d’avocats et d’anciens codétenus de Guantánamo et de Bagram renforce la qualité du documentaire. Ceux-ci commentent l’interrogatoire et racontent la vie de Khadr. Conservateur ou libéral, ancien tortionnaire ou prisonnier, tous s’entendent pour dire que Khadr a été soumis à une procédure illégale durant ces quatre jours de février 2003. Vous n’aimez pas la vérité est donc une réussite, car il nous pousse à réfléchir sur le traitement des citoyens canadiens à l’étranger et sur ces droits fondamentaux que certains oublient de faire respecter. x En salle dès le 29 novembre.
xle délit · le mardi 26 octobre 2010 · delitfrancais.com
CINÉMA
De l’autre côté de l’objectif
CHRONIQUE
Les saisons de Catherine Billet incendiaire
Catherine Renaud
Dix réalisateurs confient leurs angoisses et leurs inspirations dans un documentaire fascinant.
David Lynch dans Great Directors Gracieuseté de Anisa Films
Jade Weymuller Le Délit
G
reat Directors d’Angela Ismailos, portrait de dix réalisateurs (Catherine Breillat, Richard Linklater, John Sayles Bernardo Bertolucci, David Lynch, Stephen Frears, Agnès Varda, Ken Loach, Liliana Cavani et Todd Haynes), prend l’affiche cette semaine au Cinéma du Parc. Tous de renommée mondiale, ils partagent une vision similaire de la création artistique: faire prévaloir l’authenticité de leurs œuvres sur une intention purement commerciale du cinéma. Ismailos cherche à comprendre l’origine de l’inspiration artistique et ce qui rend ces réalisateurs, acclamés pour leur provocation et leur personnalité, si singuliers. Alternant ces diverses rencontres, Ismailos adopte un point de vue particulièrement touchant qui souligne les sentiments des cinéastes en relation avec leur succès plutôt que de donner de simples faits biographiques. La réalisatrice du documentaire nous fait ainsi voyager à travers les esprits de ces grandes figures du cinéma. Échecs au box-office, contraintes financières, exigences du public: chacun
explique la complexité de la relation entre le désir d’intégrité artistique et le besoin de correspondre aux attentes du public. La réalisatrice met en évidence, entre autres, l’influence du contexte historique et socio-politique sur leur création, entre censure et source d’inspiration. Catherine Breillat voit en l’obscénité censurée une forme d’esthétisme: «Ce qui est interdit vous laisse interdit». Reconnue mondialement aujourd’hui, Breillat a longtemps été la bad girl du cinéma français. On peut observer le même phénomène avec Le dernier Tango à Paris (1972) de Bertolucci, censuré pendant trois ans, puis acclamé par la presse. Isamailos évoque aussi certains événements politiques et mouvements cinématographiques liés à la carrière des réalisateurs: la rupture thématique et stylistique du cinéma avec Mai 68, la Nouvelle Vague, le néo-réalisme italien, la longue prépondérance des visions masculines au cinéma, l’Allemagne nazie, la classe ouvrière en Grande Bretagne et son influence sur les œuvres de Ken Loach… Bien que certains enjeux socio-politiques soient mis en évidence, le documentaire
xle délit · le mardi 26 octobre 2010 · delitfrancais.com
reste centré davantage sur les motivations créatrices des réalisateurs. Il traite aussi de l’impact des aînés du cinéma, des réalisateurs tels Hitchcock, Fellini, Billy Wilder, Pasolini, Fassbinder, Bergman, parmi tant d’autres, sans qui certains réalisateurs d’aujourd’hui n’auraient pas exercé leur métier. Ismailos forme ainsi un excellent point de rencontre entre les différentes influences cinématographiques des réalisateurs et leur propre créativité. Great Directors est un bel hommage à petit budget au cinéma d’auteur. Authentique, il dévoile à la fois la beauté du métier et les angoisses qu’il suscite. Malgré l’absence de certains cinéastes, qui auraient pu rendre ce documentaire plus complet dans une perspective internationale (l’absence d’Almodovar, par exemple, est étonnante), le projet d’Ismailos est une réussite de par les vérités et l’intégrité qui se dégagent des entrevues. Profondément personnel et concentré sur l’art du cinéma et de ses artistes, tous les spectateurs dont l’âme artistique est fascinée par le processus de création se raviront de ce film. x
Les feuilles sont rouges, jaunes, oranges, le vent est froid, les jours raccourcissent. On a tous le goût de s’envelopper dans nos Snuggies et de manger de la tarte à la citrouille, de boire un bon grog ou de se réchauffer, nus, dans un lit de bronzage. Faisant une bonne Clodine Desrochers de moi-même, je vous présente ma chronique, spécial «lainage et nourriture automnale». Évidemment, j’anticipe déjà la question qui taraude mes lectrices: comment choisir la bonne laine pour le bon tricot? La réponse est simple: à moins que vous n’ayez l’intention de vous tricoter un costume d’Halloween délirant, foutez le camp de ma chronique au plus vite! L’Halloween, c’est la fête qui me motive à passer à travers l’automne. Parce que je peux faire carier mes dents à outrance sans me sentir coupable (et mon dentiste sait de quoi je parle!), parce que je peux me prendre pour mes personnages de fiction préférés en me déguisant, et surtout parce que ma chère télé diffuse des classiques d’horreur à volonté. Habituellement, je ne raffole pas de films d’horreur, mais il y a quelque chose en moi qui fait qu’à l’approche de l’Halloween, j’aime regarder des films glauques et inquiétants. Le méga classique à voir et à revoir est Halloween, réalisé et écrit par John Carpenter en 1978. La veille de l’Halloween, Michael Myers revient dans sa ville natale, quinze ans après avoir tué sa sœur, dans le but de tuer son autre sœur, jouée par Jamie Lee Curtis. Les prises de vue, avec des contreplongées et des jeux de lumière clairobscurs, et la trame sonore du film, composée avec un clavier psychédélique seventies, entretiennent le suspense et l’inquiétude. Moins sanglant, mais décidément plus inquiétant, le drame d’horreur psychologique de Roman Polanski, Rosemary’s Baby
(1968), présente l’histoire d’un jeune couple de new-yorkais qui emménage dans un nouvel appartement spacieux et tente d’avoir un enfant. Rosemary (interprétée de manière très convaincante par Mia Farrow) soupçonne ses vieux voisins de vouloir du mal à l’enfant qu’elle porte et entraîne les spectateurs dans une spirale paranoïaque où imaginaire et réalité fusionnent. Le dernier film que je vous conseille est une comédie musicale parodiant les films de série B. Il s’agit du film culte de 1975, The Rocky Horror Picture Show, réalisé par Jim Sharman et écrit par Richard O’Brien et Sharman. D’étranges choses se produisent au manoir gothique du Dr Frank-N-Furter, qui mène de drôles d’expériences dans sa demeure, simplement vêtu d’une bobette de cuir, de bas résilles et de bottes plateformes. À chaque année à l’occasion de l’Halloween, dans de nombreuses villes américaines et même canadiennes (il y a en fait un bal Rocky Horror à Montréal cette année, du 29 au 31 octobre), des fans finis de ce film culte se réunissent, incarnant leur personnage favori, pour fêter et danser au rythme des chansons du film. Si vous avez déjà vu tous ces films et que vous avez quand même envie de vous éclater le 31 octobre, venez au spectacle des Vaselines à la Sala Rossa. Ce groupe écossais alternatif des années 80 s’est reformé en 2006 et donne des spectacles de temps à autres; si vous êtes fans, c’est une occasion à ne pas manquer. Si vous n’en avez toujours pas assez, que vous voulez sortir vos costumes de deathrockers et vos cottes de maille, vous me joindrez au Salon officiel pour le jour du Sabbat, la soirée du dimanche à thématique métal. Trasher sur du Slayer en s’intoxiquant de fumée artificielle, il n’y a rien de mieux pour clore les festivités du jour des morts.x
Arts & Culture
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L’ÉDITO CULTUREL
Sur quel pied danser? Émilie Bombardier Mai Anh Tran-Ho Le Délit
A
nnée après année, la section Arts & Culture du Délit a consacré le plus grand nombre de ses pages à des événements culturels qui ne figuraient pas dans les manchettes des grands quotidiens. C’est d’ailleurs le propre de plusieurs médias étudiants, qui trouvent leur niche dans la couverture de concerts, d’expositions et de spectacles dignes d’intérêt qui resteraient peut-être dans l’ombre sans leur soutient. Le théâtre et la musique, ainsi que les arts visuels, vous ont peutêtre paru comme des secteurs privilégiés. Et la danse contemporaine, pourtant organe très dynamique de la scène culturelle montréalaise, une grande absente parmi nos pages. Étaitce par désintérêt? Loin de là. La nature hebdomadaire de notre publication ne nous permettait simplement pas d’évoquer ces nombreux spectacles qui ne tiennent l’affiche que pour deux ou trois soirs.
Tout porte à croire que la diffusion plutôt limitée de la danse est attribuable au peu de couverture médiatique qu’elle reçoit; contrairement au théâtre qui parvient, lui, à remplir les salles sans peine et pour une dizaine ou plus de représentations. C’est cette même situation qui peut aussi entretenir la conviction que cette forme d’art est tout particulièrement dédiée aux happy few et aux initiés. Difficile, pour notre part, d’inciter un lecteur à assister à une nouvelle création qui n’est déjà plus présentée depuis quelques jours et qu’on ne pourra qu’hypothétiquement retrouver au Festival TransAmériques. La situation est toutefois amenée à changer depuis le make-over 2.0 style de notre site Internet. Le Délit compte désormais rattraper le temps perdu en publiant dans son cyberespace revampé notamment des critiques de spectacles de danse qui ne pourraient habituellement trouver leur place dans notre publication «solide» (hard-copy, disent souvent les anglos). Nous désirons également couvrir des
œuvres d’intérêt plus limité ou plus spécifique, tel que l’opéra, la danse «at large» (du ballet au hip hop), l’improvisation, les courts métrages, ainsi qu’à des créations in situ ou éphémères. C’est donc avec grand plaisir que nous publierons un contenu «Exclusif Web» qui se fera sans aucun doute de plus en plus abondant et de plus en plus diversifié. Exit nos crises de conscience maintenant que nous savons sur quel pied danser. Cette nouvelle plateforme donne donc au Délit les moyens de ses ambitions. Tout dépendant, bien sûr, de votre précieuse participation et de vos commentaires. Le web nous permettant de répondre à tous vos intérêts, signalez votre existence, likeznous sur notre page Facebook! Nous vous invitons à vous rendre sur delitfrancais.com pour découvrir les critiques des chorégraphies de Cloak de George Stamos et de Tous les noms de Maria Muñoz, les plus récentes créations présentées à l’Agora de la danse, histoire de vous mettre au parfum.x
CINÉMA
Le Stop Motion dans tous ses états La deuxième édition du Festival du Film de stop motion de Montréal investira le Théâtre Alexandre de Sève de l’Université Concordia les 29, 30 et 31 octobre prochain. Au menu, une classe de maître avec le réalisateur et animateur britannique Barry J.C Purves, à qui l’on doit plusieurs films inspirés de l’opéra et du théâtre, des projections de films étudiants, indépendants et professionels, une conférence sur le Stop Motion avec Patrick Boivin, réalisateur de la défunte émission Phylactère Cola diffusée à Télé-Québec. Le Festival a également pour but d’initier les étudiants et les jeunes artistes à ce type de cinéma non-conventionnel. Plusieurs projections suivies
The Twin Girls of Sunset Street de Marc Riba & Anna Solanas Gracieuseté du Festival du Film de Stop Motion de Montréal
d’échanges avec les réalisateur et organisateurs sont donc au programme. Les billets, au coût de 10$, sont déjà en vente sur le
site www.LaVitrine.com. Pour plus d’informations, rendezvous au www.stopmotionmontreal.com. x
MÉDIAS
L’Art : mode d’emploi The Guardian publiait tout récemment un véritable mode d’emploi pour les amateurs d’art sous forme de questions et de réponses. Des interrogations plus pratiques (Combien de temps doit-on observer une toile? À quel point faut-il se fier aux critiques? Quels sont les meilleurs sièges au théâtre?) au plus superficielles ( Que devrais-je porter à l’opéra? Les cafés et restaurants des théâtres et musées servent-ils de la bons plats?), rien ne semble être épargné
14 Arts & Culture
dans ce guide ludique et sans prétention. Parmi les «spécialistes» choisis pour y répondre, l’actrice Charlotte Rampling, le conservateur de la Serpentine Gallery de Londres, Hans Ulrich Obrist, plusieurs critiques d’art, journalistes et quelques artistes. À la brûlante question «Lors d’une exposition, devraisje lire le descriptif d’une oeuvre d’art avant ou après l’avoir regardée?», trois intervenants exposent leurs opinions divergentes. Selon le directeur artistique
de l’Institute of Contemporary Arts, les deux seraient de mise afin de mieux comprendre l’œuvre. Pour le critique Adrian Searle, il suffirait de l’ignorer afin de se faire sa propre idée de ce qu’une pièce exprime. L’artiste Ryan Gander avance quant à lui que l’intérêt d’un descriptif est tout à fait variable. Pour faire de vous de véritables mécènes en devenir, rendez-vous donc sur le site web du quotidien anglais pour consulter son «Insider’s guide to the arts». x
COUP DE CŒUR
Les amours imaginaires
Clara Palardy
Annick Lavogiez Le Délit
L
éger et audacieux, Les Amours imaginaires raconte un duel amoureux à coup de répliques mordantes. Marie (Monia Chokri) et Francis (Xavier Dolan) sont des amis de longue date. Psychorigide, elle est en quête d’amour, d’absolu et de vêtements vintage. Lui est vulnérable et timide. Elle est hétérosexuelle. Il est gay. Ils tombent tous les deux sous le charme de Nicolas (Niels Schneider), un séducteur inconséquent aux belles boucles blondes, une véritable figure d’ange. Cultivé mais superficiel, le jeune homme enferme Marie et Francis dans une bulle sentimentale dont ils ne sortiront pas sans larmes. L’incompréhension et l’amertume laisseront pourtant place à la toute fin du film à l’arrivée d’un nouveau séducteur, incarné par Louis Garrel. L’histoire se répètera-t-elle, alors que les personnages semblent être fascinés davantage par l’amour que par l’être aimé? La grande force des Amours imaginaires, au-delà de ses qualités visuelles et des dialogues, c’est son ancrage dans un contexte montréalais ultra contemporain et pourtant universellement intemporel. Alors que les vêtements rétro des personnages rappellent franchement une certaine mode montréalaise actuelle, leur comportement et leur déception amoureuse les rattachent à d’autres époques et continents. L’histoire est éternelle, mais les témoignages qui entrecoupent le récit l’attachent fortement à notre réalité quotidienne, qu’elle soit québécoise ou non. Entre téléphone portable et Hotmail, les intervenants sont «entièrement 2010. Côté technique, ce sont les couleurs flamboyantes et la sur-utilisation des slowmotions qui permettent à Dolan d’ancrer son histoire dans
ce flou temporel, de dépasser le présent pour toucher à quelque chose d’éternel. Les dialogues à double tranchant confirment cette richesse du film. Parfaitement ciselés, ils mettent en valeur l’humour acide et pince-sans-rire des personnages tout en s’inscrivant dans une réalité à la fois contemporaine et montréalaise: «C’est pas parce que c’est vintage que c’est beau». Ils débordent tout autant de justesse, rappelant les aspirations romantiques de chacun, malgré les jalousies, les disputes et les désaccords. «L’important c’est de se réveiller avec quelqu’un. C’est de dormir en cuillère. C’est ça l’important, la cuillère. C’est de savoir que s’il y a un méchant qui débarque, il y a quelqu’un. C’est une métaphore là, il n’y a jamais de méchant qui débarque mais...» Ainsi, Les Amours imaginaires dégage une sensualité envoûtante liée à ces images colorées et aux nombreux ralentis, tous à l’image des émotions des personnages et des spectateurs. Fabulation visuelle entre différents personnages qui hallucinent l’Amour, le film reste toujours à la surface entre l’être et le paraître, entre l’amour et le fantasme dans une esthétique portée par une excellente bande sonore. La musique, omniprésente, devient en effet presque un personnage et berce les spectateurs dans cet univers qui tend vers l’onirisme à force de couleurs pop et d’amour rêvé. Véritable hymne aux amours impossibles, imaginés et inévitablement déçus, le film de Dolan est porté avec charme et force par des comédiens hors pairs qui font rebondir chaque réplique avec un talent certain. C’est donc avec enchantement qu’on sort de la salle, et avec plaisir qu’on replongera dans Les Amours imaginaires. En DVD dès aujourd’hui.
xle délit · le mardi 26 octobre 2010 · delitfrancais.com
LE DÉLIT AIME...
1film1regard Elizabeth-Ann Boulanger Le Délit
1
Michel-
et 1981), un lien vers le site mère, d’autres liens utiles et une présentation des chroniqueurs. Nous ne doutons pourtant pas que le site deviendra bientôt une référence en matière de critique du cinéma québécois. Laissons le temps aux chroniqueurs de garnir leur banque de données et aux visiteurs d’y laisser leurs commentaires. Pour ce qui est de la qualité des critiques, nous sommes ravis de noter la participation de Michel Coulombe (chroniqueur cinéma à l’émission «Samedi et rien d’autre» diffusée à Radio-Canada), Robert Lévesque (mythique pour ses cri-
tiques dans le quotidien Le Devoir) et Catherine Beauchamp (blogueuse cinéma ayant son propre site www.letapisrosedecatherine.com qui vaut le coup d’œil). On adore l’hétérogénéité du corps journalistique: une adresse, des visions variées. Aussi, le ton des critiques y est sans prétention, une bonne vieille formule: des passionnés au profit des passionnés. Les chroniqueurs discutent avec aisance, simplicité et professionnalisme au milieu de séquences bien choisies du film en question. On discute du film même, mais aussi du contexte de la création, des productions
antérieures du réalisateur et de l’époque du film. Bref, les chroniqueurs nous présentent tous les éléments pour apprécier le film au maximum et faire un tour d’horizon d’une tranche d’histoire. Donc, pour tous ceux pour qui webzine rimait avec qualité médiocre, préparez-vous à changer de refrain. Aucun effort n’est nécessaire pour aimer le site 1film1regard, il se place tout seul dans notre routine web et le temps en fera un incontournable incontesté. Faites comme nous, soyez visionnaires et adoptez-le tout de suite! x
par Martine Chapuis
La bd de la semaine
film1regard est la dernière initiative de cinemaquebecois.tv qui offre des capsules vidéo revisitant les films de notre répertoire. Pour tous les fanatiques de cinéma québécois et pour ceux qui se familiarisent avec ce septième art, si ce site n’est pas encore dans vos favoris, ce n’est qu’une question de temps avant que vous ne l’ajoutiez. Cinemaquebecois.tv, une réalisation de Télé-Québec, ne vous
est peut-être pas inconnu, car il est devenu un site de référence pour revisiter les pièces phares de notre cinéma, les dossiers spéciaux ou pour jeter un coup d’œil au box-office. On l’aime aussi pour les bases solides qu’il nous fournit pour apprendre les rouages cinématographiques (un merci tout spécial au glossaire) et pour tester nos connaissances avec des quiz. Pour le moment, 1film1regard n’est encore qu’au stade élémentaire puisqu’il ne possède que trois critiques (Dédé à travers les brumes, Saint-Martyrs-des-Damnés
Gracieuseté de www.1film1regard.tv
xle délit · le mardi 26 octobre 2010 · delitfrancais.com
Arts & Culture
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Student Journalism Week
er
Du 1 au 5 novembre
La Semaine du journalisme étudiant Il n’y pas de programme de journalisme à McGill. Afin de combler ce manque, la Société des publications du Daily, avec la participation des journaux Le Délit, The McGill Daily, Journalists for Human Rights, Media@McGill et le Service de planification de carrière de McGill, a invité des journalistes, des professeurs et des spécialistes pour que les étudiants puissent tremper le pied dans ce domaine. Cette année, nous avons organisé diverses activités pour marquer cet événement. Visitez le delitfrancais.com pour les dernières nouvelles.
Lundi
Nouveau média (en anglais) 18h-19h. Leacock 219
Lisa Lynch (professeur à l’Université Concordia), Alanah Heffez (spacingmontreal. ca) et Andrew Princz (ontheglobe.com) discutent du changement de structure du journalisme: les reportages multimédia, sites Internet de nouvelles spécialisées, les nouvelles façons de trouver des preuves, seront parmi les sujets abordés.
Mardi Passer les portes closes: l’utilisation de requêtes d’accès à l’information (en anglais) 14:30h-16h. Brown 5001
Un atelier pour apprendre comment préparer et utiliser les requêtes d’accès à l’information pour enquêter sur les abus et les infractions du gouvernement. Une formation pas à pas, détaillant les obstacles et quelques astuces pour les contourner. Venez avec une idée de sujet sur lequel enquêter!
Pénétrer le monde du journalisme (en anglais) 18h-19h. Pavillon Chancellor-Day 100
Comment décrocher un stage? Comment obtenir un job? Un panel d’étudiants de deuxième cycle vous racontent comment ils ont fait. Raji Sohal (CBC radio), Braden Goyette (The Nation magazine), and Drew Nelles ( Associate Editor, Maisonneuve).
Mercredi Médias citoyens: 1ère présentation (bilingue) 18h. Leacock 219
Quels sont les effets des structures émergentes de média corporatifs sur le discours? Y a-t-il un fossé grandissant entre ce que croient les gens, et ce que couvrent les medias? Avec Craig Silverman (PBS Media Shift, OpenFile).
Vendredi Médias citoyens: 2e présentation (bilingue) 18h-19h. Leacock 219
Quels sont les effets des structures émergentes de media corporatifs sur le discours? Y a-t-il un fossé grandissant entre ce que croient les gens, et ce que couvrent les medias? Avec Tim McSorley (The Dominion, Media Cooperative).
Le journalisme au sevice de la justice sociale (en anglais) 19h-20h. Leacock 219
Coorganisé avec des journalistes pour les droits de l’Homme à McGill, ce groupe d’intervenants, parmi lequel Amy Miller, Meg Hewings et Derek MacCuish, discuteront de la justice sociale et du journalisme à la lumière du G20.
Jeudi
Le journalisme radical sur les ondes (en anglais) 14:30h-16h. Brown 5001 Gretchen King (CKUT) discutera de la couverture des informations sur les ondes, des documentaires radio, et de la diffusion terrestre. Un programme nationalement syndiqué géré par L’Association nationale des radios étudiantes et communautaires.
Percer dans le journalisme 2.0 (en français) 18h-19h. Pavillon Chancellor-Day 101 Jozef Ciroka, Tristan Péloquin (cyberpresse.ca) et Anne-Marie Lecomte (RadioCanada) discutent du journalisme à l’ère 2.0 : comment trouver sa place, les outils et la participation croissante du public.
Le design pour les médias papier 18h-19h. Pavillon Chancellor-Day 202 Anna Minzhulina, éditrice design au Maisonneuve magazine et lauréate annuelle pour la seconde place du National Magazine Award pour le meilleur design discute du design et de la créativité.
Presse d’opinion: des difficultés de prendre parti de nos jours (en anglais) 18h-19h. Pavillon Chancellor-Day 102 Marcus Gee, chroniqueur pour Globe and Mail, discute du clivage politique nordaméricain. Les préoccupations des médias pour les dichotomies entre libéraux et conservateurs, ou entre démocrates et républicains signifient que les grandes questions peuvent ne pas être politisées. Gee cherche un juste milieu.
Un stage en style (en anglais) 18h-19h. Pavillon Chancellor-Day 202 Des étudiants de McGill discutent de leur expérience dans le milieu de la mode, du divertissement, et des magazines d’édition: Todd Plummer (Vogue); Katie Amey (Nylon, Seventeen.com); Carolyn Gregoire (Blackbook, Seventeen); et Rachel Benjamin (Glamour).
À vendre: le journalisme culturel sur le marché du contrat (en anglais) 19h-20h. Pavillon Chancellor-Day 202 Des pigistes racontent comment écrire un article pour le marché d’aujourd’hui: Matthew Hays (Montreal Mirror et deux fois nominé pour le National Magazine Award). Patricia Bailey (Playback Magazine); Donna Nebenzahl une journaliste indépendante qui écrit souvent pour The Gazette et pour The Toronto Star.