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le délit

Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill.

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L’Accueil Bonneau: refuge pour démunis depuis 1877

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Parler le McGillois > 3 Dossier Afrique: Soudan et Libéria > 6-7 Entrevue avec Michel Marc Bouchard > 11 Spécial BD > 13 Le mardi 11 janvier 2011 - Volume 100 Numéro 13, le seul journal francophone de l’Université McGill.

Au service de ses étudiants depuis 1977.


Éditorial

Volume 100 Numéro 13

rec@delitfrancais.com

le délit

Le seul journal francophone de l’Université McGill

Se lever du mauvais côté du lit, Partir du bon pied Mai Anh Tran-Ho Le Délit

U

ne nouvelle année et une nouvelle décennie débutent, et je suis toujours aussi insensible. En fait, pas tout à fait insensible, mais un tant soit peu inébranlable face aux tragédies que relaient en boucle et arrosés de la même sauce par la majorité des médias. Morts subites d’oiseaux, de divers animaux marins, de castors, de chauve-souris; six morts, ainsi que la démocrate Gabrielle Giffords blessée dans une fusillade, suivie de toute une réflexion sur la rhétorique politique; premier anniversaire du tremblement de terre à Haïti qui souffre maintenant de l’insuffisance des services humanitaires… Les tragédies sont réelles, les discours sur cellesci, moins. Ce n’est pas que les médias ne semblent s’intéresser qu’au sensationnel –et le concept ne doit pas que se limiter aux 3S: Sport, Sexe et Sang– mais la façon dont les événements sont traités semble traduire une certaine indifférence ou passivité. Un évé-

nement survient, puis il passe rapidement aux archives. Repris plus tard lorsqu’on commémore un anniversaire ou lorsqu’on veut faire un rapprochement avec un autre événement plus récent. Je ne dis pas que toute tragédie devrait marquer les mémoires comme la Shoah ou le génocide rwandais, ou encore qu’il faudrait une fête officielle pour commémorer les morts, mais qu’il faudrait revoir la couverture de ces événements. Si l’on s’inquiète de l’influence de la rhétorique politique, de l’engagement réel des pays du Nord pour lutter contre les changements climatiques ou de la participation humanitaire de différents pays, l’inquiétude était bien présente il y a dix ans. Qu’est-ce qui a changé? Pourquoi n’apprend-on pas des anciennes erreurs, des réflexions faites, des discussions échangées? Il semble qu’au-delà des grands discours, ce qui manque surtout ce sont les petits gestes que tout un chacun peut accomplir chaque jour. Il m’était difficile de commencer le nouveau semestre en ne parlant que des

Le Délit & The McGill Daily sommes Heureux D’accueillir Les dÉlÉGUÉ(E)s de la 73e conférence annuelle de la Presse Universitaire Canadienne! WE Are excited to Welcome delegates from across the country to the 73rd Canadian university press National student journalism conference! cup.ca/collage Follow us @CUPnash

2 Éditorial

bonnes résolutions qu’il faut prendre sans actes concrets. Ainsi, petit pas pour Le Délit: l’ancienne section dénommée «Nouvelles» se fait maintenant connaître sous le nom «Actualités», meilleure traduction de «News». Votre dévoué et seul journal francophone de l’université et toute son équipe éditoriale tient toujours à vous apporter des informations singulières et vous permettre de revisiter vous-même des enjeux actuels. Pour partir du bon pied, la Société des Publications du Daily (SPD), qui fête cette année ses cent ans d’existence et qui publie les journaux étudiants The McGill Daily et Le Délit, vous invite à la Conférence nationale de la Presse universitaire canadienne qui se tiendra du 12 au 16 janvier. Près de 400 journalistes étudiants seront présents pour assister à différentes conférences, tables rondes et ateliers offerts par des médias de masse, des médias locaux ainsi que des médias indépendants. Vous pouvez vous aussi participer à cette rencontre, gratuitement après quelques heures d’aide volontaire. Inscrivezvous rapidement à bit.ly/nashbenevoles. x

rédaction 3480 rue McTavish, bureau B•24 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6784 Télécopieur : +1 514 398-8318 Rédactrice en chef rec@delitfrancais.com Mai Anh Tran-Ho Actualités actualites@delitfrancais.com Chef de section Emma Ailinn Hautecœur Secrétaire de rédaction Francis Laperrière-Racine Arts&culture artsculture@delitfrancais.com Chef de section Émilie Bombardier Secrétaire de rédaction Annick Lavogiez Société societe@delitfrancais.com Anabel Cossette-Civitella Xavier Plamondon Coordonnatrice de la production production@delitfrancais.com Mai Anh Tran-Ho Coordonnateur visuel visuel@delitfrancais.com Raphaël Thézé Coordonnateurs de la correction correction@delitfrancais.com Anselme Le Texier Élise Maciol Infographe infographie@delitfrancais.com Alexandre Breton Coordonnateur Web web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Collaboration Martine Chapuis, Justin Doucet, Gabriel Ellison-Scowcroft, Anthony Lecossois, Christophe Jasmin, Francis Lehoux, Véronique Martel, Catherine Renaud, Laura Andrea Saavedra, Véronique Samson, Victor Tangermann, JeanFrançois Trudelle, Audrey Yank Couverture Victor Tangermann bureau publicitaire 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6790 Télécopieur : +1 514 398-8318 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Gérance Pierre Bouillon Photocomposition Mathieu Ménard et Geneviève Robert The McGill Daily • www.mcgilldaily.com coordinating@mcgilldaily.com Emilio Comay del Junco Conseil d’administration de la Société des publications du Daily (SPD) Emilio Comay del Junco, Humera Jabir, Whitney Malett, Sana Saeed, Mai Anh Tran-Ho, Will Vanderbilt, Aaron Vansintjan, Sami Yasin

L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.

Les opinions exprimées dans ces pages ne reflètent pas nécessairement celles de l’Université McGill.

Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal.Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec). Le Délit est membre fondateur de la Canadian University Press (CUP) et du Carrefour international de la presse universitaire francophone (CIPUF).

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Actualités actualites@delitfrancais.com

CAMPUS

Bilingues à moitié McGill, l’université reconnue internationalement, fait piètre figure quant à ses traductions vers le français. Mai Anh Tran-Ho Le Délit

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orsqu’un des membres de l’équipe éditoriale nous est revenu avec un formulaire qui devait attester de ses études universitaires, nous avons d’abord bien ri. Étudiant étranger, il avait demandé que le formulaire soit traduit pour l’administration française. La feuille, on ne peut pas réellement parler de texte, car si peu est rédigé, était minée de fautes. Puis, en moins d’une semaine, d’autres erreurs de traduction à travers le campus nous ont sauté aux yeux, et la situation est devenue alarmante. Comment l’Université McGill procède-t-elle aux différentes traductions? La réponse n’a pas été facile à trouver. Après plusieurs échanges avec Pascal Zamprelli, responsable des relations avec les médias, qui lui-même ne connaissait pas la réponse, nous avons pu nous entretenir avec les personnes concernées. Différentes personnes, parce que McGill n’a pas de politique ou de procédure unique, et encore moins un bureau central qui se charge des nombreuses traductions vers le français faites sur le campus ou pour l’université. Une seule personne, Karine Majeau, chef au Service de traduction, est responsable de tous les communiqués, rapports et autres publications officielles de l’administration liées aussi au recrutement ou à l’admission. Celle qui travaille depuis six ans pour l’université délègue certaines traductions moins prioritaires à des pigistes lorsqu’elle ne peut tout faire seule. Les activités, les facultés et les départements s’occupent eux-mêmes de leurs documents à traduire. À la bibliothèque McLennan, les traductions vers le français sont plus répandues et de meilleure qualité. Depuis un an, la signalisation est bilingue et toutes les brochures sont traduites au fur et à mesure des mises à jour et des nouvelles impressions. La personne récemment engagée aux communications se débrouille très bien en langue française selon Carole Urbain, directrice adjointe au Service à la clientèle de la bibliothèque de sciences humaines et sociales, de droit et de gestion. La bibliothèque offre également des visites guidées et des cours de forma-

tion en français. Madame Urbain mentionne toutefois que certains étudiants préfèrent le service en anglais, car s’ils sont venus à McGill, c’est surtout pour pratiquer et perfectionner leur anglais. Pour l’ancienne directrice, Janine Schmidt, accroître le bilinguisme dans les services offerts était un objectif important. Nous n’avons pu parler à la directrice actuelle, Colleen Cook, rentrée en fonction la semaine dernière, mais Carole Urbain dit ne pas croire qu’un pas en arrière ne sera fait. Malgré les efforts, celle-ci affirme que «la barrière de la langue» existe toujours dans la communauté universitaire. Toutefois, elle souligne qu’il est satisfaisant et agréable de pouvoir échanger avec d’autres bibliothécaires, chacun ayant sa façon de faire. Comment se fait-il alors que nous ne puissions nous faire servir en français à chaque fois? Lynne Gervais, vice principale adjointe aux ressources humaines, explique que, quant à l’embauche, un degré fonctionnel de bilinguisme est requis que depuis environ dix ans. Les employés embauchés avant cette politique ne sont donc pas tenus d’apprendre le français, sauf dans le cas d’un

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renouvellement de contrat. Elle assure que l’université encourage son personnel à suivre un programme de francisation, mais que celui-ci n’est pas obligatoire. Ceci est navrant à constater quand on pense que certains de ces anciens employés ont un contact fréquent avec les étudiants et le grand public et peuvent même être la meilleure personne ressource –si on maîtrise bien l’anglais. À titre légal, l’Université McGill n’est pas contrainte à certains articles de la loi 101 et que les services offerts ou documents traduits en français sont faits dans «le bon vouloir» de la direction, rappelle la Commission aux affaires francophones (CAF) de l’AÉUM. Ainsi, un budget précis serait alloué à cet aspect; mais de combien est-il? Nous l’ignorons. La CAF, qui défend les droits des étudiants francophones, et qui leur a permis de remettre tous leurs travaux en français (cette politique doit être imprimée par les professeurs sur tous les plans de cours), explique qu’elle encadre et travaille dans l’intérêt des étudiants francophones, mais qu’elle n’a pas nécessairement d’influence sur la politique officielle de l’administration.

L’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM) a une vision singulière sur la question. Le président de l’AÉUM, Zach Newburgh, avait affirmé, dans une entrevue au Délit publiée le 9 mars avant la fin des élections, que «les étudiants francophones [avaient] été négligés et [qu’il] voulait changer cela». Quant aux traductions actuelles, Zach Newburgh commente: «L’administration de McGill devrait être apte à communiquer aussi bien en anglais qu’en français. Il est embarrassant de remarquer que les communications en français sont souvent de qualité médiocre; on devrait en avoir honte et tenter d’améliorer la qualité de notre expression dans les deux langues officielles du Canada.» Pour en revenir à notre premier objet, Janice Johnson, gestionnaire des services et des opérations au Point de service, confirme que les employés sont bilingues, que des traducteurs font partie du personnel et que les formulaires sont traduits manuellement (et non par traducteur automatique tel Google Translate). Une employée du Point de service nous a pourtant affirmé que de tels

services de traduction y étaient inexistants. Il semble alors difficile d’expliquer toutes les erreurs que nous retrouvons dans le formulaire mentionné en début d’article. Si «l’erreur est humaine» comme le dit Madame Johnson, peut-on alors parler de négligence? S’il y avait en effet des traducteurs, et si le formulaire avait été relu, plusieurs –sinon toutes– les erreurs auraient ainsi pu être corrigées. Si certains services et départements font des efforts importants pour offrir aux étudiants francophones des ressources en langue française de qualité, d’autres montrent leur inaptitude ou leur inintérêt en ce qui concerne le bilinguisme à l’Université McGill. Ainsi, à chaque erreur que vous rencontrez sur des documents ou des enseignes, que ce soit dans votre faculté, au Point de service, aux Services de santé, aux bibliothèques, à la librairie ou autres lieux sur le campus, ou encore dans un courriel officiel, nous vous encourageons à le signaler aux personnes concernées. Le bilinguisme, et l’image de marque de notre université, ne pourront qu’en bénéficier. x

Cherchez les vingt-huit erreurs dans ce formulaire. Le corrigé sur www.delitfrancais.com.

Actualités

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CAMPUS

La censure dans la peau Au Collège de Bois-de-Boulogne, des étudiants ont crié à l’atteinte à la liberté d’expression, et ils ont été écoutés... moyennant une certaine somme. Emma Ailinn Hautecoeur Le Délit

Cependant, aucune des ces actions n’avait franchi la limite du légal. Au cours d’une altercation antérieure assez cocasse, l’administration a pu se rendre compte de sa propre illégalité. Le 6 mai 2010, sept étudiants distribuaient des papiers sur le trottoir en bordure de la propriété du collège. L’administration les a pris en photo pour avoir une preuve en main lorsqu’ils appelleraient la police. La police a mentionné que «ce qui était illégal, c’était les photos de l’administration», note Antaki. L’association étudiante de Boisde-Boulogne (AGEBdeB) a enfin pris le taureau par les cornes. Le matin même de la suspension des étudiants, une mise en demeure a été envoyée à l’administration par Maître Julius Grey, un avocat québécois connu pour son zèle pour les causes de liberté individuelle. Cette initiative n’a pas été accueillie sans controverse au sein du corps étudiant. Un «élève outré» a commenté un article sur le sujet, paru dans le Courrier Bordeaux-Cartierville pour souligner qu’il «trouv[ait] dommage que ces personnes passent pour des petits martyrs dont la liberté d’expression a été brimée alors qu’ils ont engagé Julius Grey aux frais

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n novembre, l’affaire avait des airs de Munich, où les étudiants distribuaient des tracts antinazis signés «La rose blanche». Keena Grégoire et Simon Robitaille ont été suspendus le 29 novembre 2010 pour avoir distribué ces pamphlets de sensibilisation au dégel des frais de scolarité. L’argument de l’administration: cette activité pacifique nuirait à l’image du collège. Dans l’imaginaire collectif, et pour une certaine génération, le Collège de Bois-de-Boulogne est réputé pour l’excellence académique et la rigueur de ses élèves, qui lui mérite, comme plusieurs autres institutions, une étiquette plus ou moins conservatrice. C’est pourtant à s’y méprendre, affirme le porte parole de l’association étudiante, Alexandre Antaki: «Dans les cinq, six dernières années, il y a eu beaucoup de débats politiques; et c’est connu dans le milieu étudiant que Bois-de-Boulogne est un cégep très actif en ce moment.» Les deux élèves n’en étaient effectivement pas à leur première distribution de tracts, ni à leur «premier avertissement».

de l’association [étudiante]». Le contentieux vient du fait que les honoraires de Maître Grey ont été alloués du budget Salaires, et demeuraient donc confidentiels selon la charte. Cette pratique n’est toutefois pas sans précédents (bien que ceux-ci soient inconnus des étudiants) insiste Alexandre Antaki. Il rappelle que «l’année passée, une étudiante en infirmerie avait été lésée dans ses droits et avait utilisé tous les recours légaux possibles et imaginables dans le cégep. L’association lui avait alors donné 10 000 dollars pour passer en cour et ça n’avait jamais été approuvé par l’assemblée générale.» La décision de s’en remettre aux recours légaux est de coutume au comité exécutif. Cette fois non plus, il n’y a pas eu de consultation par vote à l’assemblée générale. «On avait une ou deux journées pour décider si on l’engageait comme avocat ou non», ajoute Antaki. L’avocat devait agir rapidement pour le jugement déclaratoire, c’est-à-dire la demande de suspension des suspensions, cette dernière ayant été finalement rejetée, la sentence des deux étudiants s’étant rapidement écoulée. Finalement, avec l’accord de l’avocat, le salaire, s’élevant

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à 2000$ jusqu’à maintenant, a été divulgué. Le cas paraîtra en cour le 17 janvier. Ces déboires sont un exemple de la puissante marée étudiante qui monte et qui risque de multiplier l’objet des articles de journaux. L’Alliance sociale, composée des deux volumineux regroupements nationaux étudiants (FEUQ et FECQ) et de plusieurs syndicats (CSN, FTQ, CSQ et CSD), met du vent dans les voiles à la lutte pour stopper la hausse des frais de scolarité. L’AGEBdeB a elle-même depuis quelques années pris l’habitude de tendre la main pour que plusieurs groupes fassent écho à leurs causes. Lors de deux semaines de solidarité à la Palestine, ils avaient l’appui de Maria Mourani, députée d’Ahuntsic du Bloc Québécois, et du PAJU (Palestiniens et Juifs Unis). Les étudiants de l’association sont passés maîtres dans l’art du chantage médiatique. Pour dissuader l’administration de leur mettre des bâtons dans les roues, «dans les dernières années, c’est arrivé fréquemment qu’[ils] menace[nt] de sortir des communiqués de presse». «Cette année, c’est la première fois qu’on a été obligé de sortir le communiqué, parce que l’administration n’a pas reculé devant ses atteintes à la liberté d’expression.» x

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CAMPUS

Le semestre des 36 heures Joshua Abaki (VP aux Affaires universitaires de l’AÉUM) a engagé la discussion avec l’administration en vue de réduire le nombre de jours travaillés au cours du semestre d’automne.

«N

os étudiants travaillent déjà plus dur que dans les autres universités, il n’est pas nécessaire qu’ils étudient aussi plus longtemps.» Joshua Abaki Le projet initial était de réduire le nombre d’heures de cours. Joshua Abaki estime que «si les professeurs réfléchissaient bien au contenu qu’ils souhaitent transmettre aux étudiants, il serait tout à fait possible de réduire le semestre de trois heures». Le corps professoral appréciera. Il s’agit, en clair, de passer de trente-neuf à trente-six heures

par semestre, soit une semaine de cours en moins. Si les doyens «manquent d’enthousiasme» vis-à-vis de ce projet, c’est notamment parce qu’un certain nombre de facultés (génie, physiothérapie et ergothérapie, etc.) sont certifiées sur la base d’un cahier de charges précis, qui comprend le nombre d’heures de cours. Le VP aux Affaires universitaires explique qu’il serait favorable à ce que certaines facultés aient une «marge de manœuvre» en ce qui concerne les dates des périodes d’examens bien que cela entraîne un certain nombre

de difficultés logistiques, en particulier pour les étudiants inscrits dans plusieurs facultés. Outre le fait qu’ils n’apprécient pas forcément le commentaire de Joshua Abaki sur la façon dont ils choisissent le contenu qu’ils enseignent, les professeurs ne semblent pas opposer de refus de principe à une semaine de vacances supplémentaire. Stephen Saideman, professeur au département de sciences politiques estime, quant à lui, qu’une telle décision «amputerait l’avantage compétitif de McGill». Pour lui, ce serait prendre le risque de perdre des places

aux classements internationaux. Le groupe de travail devra répondre à deux questions: 1- Comment réduire le nombre de jours travaillés? En plus de la réduction du nombre d’heures de cours, les pistes de réflexion incluent un début de session plus précoce, et une réduction de la durée de la période d’examens. Pour ce faire, on envisage d’avoir des examens le soir de 18 à 21h, voire même de 19 à 22h. Pour éviter l’augmentation des conflits, en particulier pour motif religieux, l’option de la tenue d’examens le samedi ou

le dimanche, comme le font Polytechnique ou le HEC, n’a pas été retenue. 2- Comment utiliser ces journées ainsi dégagées? Semaine de relâche à l’automne? Plus de jours de révisions avant les examens? Des vacances d’hiver plus longues? Les étudiants seront amenés à se prononcer sur toutes ces questions par voie de sondage administré par le VP aux Affaires Universitaires de l’AÉUM car s’il semble que l’idée d’une semaine de vacances supplémentaire fasse l’unanimité, les modalités font encore débat. x

ILS ONT OSÉ LE DIRE «Je ne suis pas favorable à l’augmentation des frais de scolarité, mais c’est vrai que si on pouvait les augmenter un peu ça nous aiderait beaucoup.» - Dr Paul Allison, Doyen de la Faculté de médecine dentaire

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Actualités

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POLITIQUE INTERNATIONALE

Réfugiés ivoiriens au Libéria: faim, insécurité et incertitude Les nouveaux arrivants suscitent l’intérêt, et les réfugiés de longue date passent aux oubliettes. Justin Doucet Le Délit

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epuis les élections contestées de novembre dernier, le nombre de réfugiés qui sont passés au Libéria s’élève à 23 000, selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés. La crise de 2002 et le conflit militaire en Côte d’Ivoire ont eux aussi provoqué une vague de déplacements de populations. De nombreux réfugiés sont, à ce jour, isolés à la frontière, au camp Saclepea de l’ONU. Ils ont récemment vu leurs espoirs de retourner dans un pays en paix s’évanouir avec l’annonce des hostilités et de 210 morts depuis début décembre; et la vie n’est guère plus facile dans le camp. Alors que la communauté internationale sonne l’alarme, les conditions de vie des Ivoiriens de l’autre côté de la frontière sont déplorables. Comme le rapportait récemment la presse internationale, la Côte d’Ivoire se voit maintenant réclamée par deux présidents et deux armées. La dispute électorale entre les deux candidats a provoqué le déplacement vers le Libéria de plus de 20 000 Ivoiriens qui fuient l’insécurité et une éventuelle guerre civile. Certains médias évoquent, sans scrupules, l’ombre menaçante du génocide. Jean Miraymond, le porte-parole des réfugiés dans un des secteurs du camp Saclepea, voit sa communauté dans une impasse. Cherchant la protection des Nations Unies, il est arrivé en 2003, alors que la guerre civile au Libéria continuait ses ravages. Selon lui, les Nations Unies et plusieurs ONG ont fui la violence, accroissant la vulnérabilité des réfugiés: «Nos

femmes sont allées cultiver le manioc dans les champs pour qu’on puisse manger, mais certaines se sont fait enlever par les rebelles et des mercenaires Libériens. Les choses ont un peu changé depuis le désarmement du Libéria [par L’ONU], mais l’insécurité est toujours là.» Les disparitions et enlèvements, dans les champs ou dans la forêt à proximité du camp, sont trop fréquents, mais les réfugiés n’ont pas le choix. Ils doivent s’y risquer pour se nourrir, puisque le Programme Alimentaire Mondial a coupé l’aide en nourriture il y a deux ans. Les emplois sont rares au Libéria, et les emplois disponibles aux Ivoiriens d’autant plus. Tant bien que mal, Doumbia

Moussa, cinquante ans, tente de subsister en élevant quelques poules et lapins. Pourtant, lorsqu’il regarde autour de lui, ce porte-parole de la communauté musulmane du camp de Saclepea se compte parmi les chanceux: des enseignants, des chauffeurs, des mécaniciens, des tailleurs, eux, sont réduits au chômage depuis des années. Certaines femmes doivent se prostituer pour gagner leur pain et nourrir leur famille. Moussa est au Libéria depuis 2002 et, selon lui, la situation dans le camp ne fait qu’empirer. «Il n’y a aucune force de sécurité autour du camp, et les mercenaires ivoiriens et libériens font la navette entre ici et la Côte d’Ivoire. L’assistance sanitai-

re, alimentaire et en matière d’éducation est insuffisante. Nous avons peur pour nos enfants.» Moussa et Miraymond souhaitent faire un appel à la communauté internationale. Ils ont été abandonnés à eux mêmes, dans un pays qui n’est pas le leur et ils ne reçoivent ni protection, ni assistance. Les Nations Unies ont déclaré cette semaine qu’ils ouvriraient un nouveau camp à la frontière, pour accueillir les 500 nouveaux réfugiés Ivoiriens qui arrivent à chaque jour. x

Camp de réfugiés au Libéria

Réfugié ivoirien

Justin Doucet

Justin Doucet

CHRONIQUE

Crise climatique ou médiatique Audrey Yank | Bulle climatique

CANCUN EST DÉJÀ PASSÉE AUX archives. Cancun? Oui, cette destination soleil qui a réuni des milliers de délégués du monde entier et où s’est tenu, du 29 novembre au 10 décembre dernier, le 16e sommet des Nations unies sur le climat. La couverture médiatique de Cancun a été plutôt timide. Contraste important avec le cirque médiatique de Copenhague, l’an dernier. La raison en est que très peu de chefs d’États se sont déplacés sous le soleil mexicain. Un article aura davantage l’occasion d’attirer l’attention si Harper

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ou Obama y figurent, symbole typique de notre système médiatique. Les médias possèdent le pouvoir d’informer et d’éduquer la population, ainsi que de générer de nouveaux intérêts, mais qui oserait être le premier à sortir des sentiers battus? Certains diront que le climat n’est pas un sujet digne de faire la une des journaux, peut-être que c’est un sujet passé de mode. Aujourd’hui, c’est le sensationnalisme qui fait fureur. Si on se sert de sang ou de terreur pour en parler, les changements climatiques peuvent pourtant faire l’affaire. On estime à 350 000 le nombre de morts dues aux changements climatiques en 2010. En parle-t-on, de cela? Dans le feu des négociations de Cancun, un haut gestionnaire de Fox News, Bill Sammon, a envoyé un courriel ordonnant aux journalistes du réseau de limiter les affirmations concernant le réchauffement de la planète, à moins de mentionner en même temps que cette théorie était basée sur des données erronées. Ce courriel a même été émis moins de quinze minutes après que la correspondante de Fox, Wendell Goler, a indiqué que l’Organisa-

tion météorologique mondiale annonçait que la décennie 2000-2009 serait la plus chaude jamais enregistrée. La souveraineté même des journalistes est donc à remettre en doute dans ce genre de situation. Derrière cette tyrannie médiatique se cachent peut-être des motifs politiques ou économiques. Cependant, pour bien comprendre le problème, il faudrait plutôt se demander au service de quels intérêts travaillent les médias. La sénatrice Pamela Wallin a publié un article au sujet du Canada, leader mondial dans la lutte contre les changements climatiques, traitant de la menace que représente la réduction des émissions de CO2 pour la prospérité économique canadienne. Soulignons le paradoxe entre les propos de Madame Wallin et la position qu’elle occupe auprès de la compagnie pétrolière Oilsands Quest. Koch, la deuxième plus grande compagnie pétrolière privée de toute l’Amérique, a dépensé près de 63 millions de dollars entre 2005 et 2009, principalement aux États-Unis, pour des campagnes de désinformation sur les changements climatiques. Et l’on se demande pourquoi,

selon un sondage de l’Université Yale, 43% des Américains pensent que la crise climatique pourrait être empêchée en arrêtant de perforer l’atmosphère en lançant des fusées dans l’espace... Doutez-vous encore de l’influence des médias au sein de la population? C’est exactement pour cette raison, pour ce pouvoir que possèdent les médias, que ces derniers sont utilisés à tort et à travers au service de ceux qui recherchent cette représentation auprès de la population. Certains journalistes se déculpabilisent en rejetant la responsabilité sur l’esprit critique du public. Madame Wallin l’a dit elle-même à Cancun: «Il ne faut quand même pas croire tout ce qu’on dit dans les médias…» Suis-je idéaliste, confuse ou inquiète? L’heure est grave si certains journalistes acceptent de plein gré ce rôle de désinformateurs. Je propose un partage plus équilibré des responsabilités afin que les médias se réapproprient leur rôle premier: informer la population et se mettre au service de celle-ci. De cette façon, espérons que la crise médiatique cesse de contribuer à la crise climatique. x

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POLITIQUE INTERNATIONALE

Le 9 janvier 2011: nouveau pays? Après un demi-siècle de guerre civile, le Sud-Soudan doit décider de son sort de manière démocratique via un référendum sur son indépendance. Serons-nous témoins de la naissance d’un nouveau pays? Laura Andrea Saavedra Le Délit

L

e 9 janvier 2011, journée décisive dans l’histoire africaine. L’enjeu: la fin du plus grand pays du continent et la création d’un nouvel État. Comme les Québécois en 1995, les Sud-Soudanais sont convoqués aux urnes cette semaine pour répondre à une question qui peut tout changer. Le taux élevé d’analphabétisme au sein de la population fait en sorte que la question ne peut pas être écrite. Les deux réponses possibles sont donc représentées par des symboles: une poignée de main en signe d’unité nationale signifie «oui», et une main ouverte symbolisant la sécession, «non». Ce désir de séparation est une conséquence directe d’une des plus longues guerres civiles en Afrique. Khalid Mustafa Medani, professeur à McGill et spécialiste de cette région, propose deux raisons qui pourraient être à la base du conflit entre le Nord et le Sud. Premièrement, les citoyens du Sud «n’ont plus confiance en le gouvernement du Nord». Selon lui, «plusieurs promesses du Nord concernant l’augmentation d’autonomie et le partage des ressources naturelles depuis l’indépendance en 1956 ne se sont pas matérialisées». En effet, les Sud-Soudanais ont l’impression «qu’ils ont été les vraies victimes de la terrible guerre, où presque deux millions de personnes –dont une majorité de civils– sont morts dans le Sud». Deuxièmement, il affirme que nombreux sont ceux qui ressentent «une énorme division historique et culturelle entre les musulmans arabes du Nord et les Africains du Sud». Sans oublier les pressions exercées par Khartoum vers

une arabisation et une islamisation de la société sud-soudanaise, majoritairement chrétienne et animiste. La date du référendum a été choisie lors de la signature des accords Naivasha qui mettaient fin à la deuxième guerre civile soudanaise. Cependant, les problèmes liés à l’organisation de cet événement sembleraient indiquer que le référendum du 9 janvier était trop précipité. En effet, selon Medani, «plusieurs individus, dont des gouvernements et des organismes internationaux, pensaient que la date aurait dû être repoussée». Cependant, l’Armée populaire de la libération du Soudan (APLS) et les principaux dirigeants du gouvernement du Sud n’étaient pas prêts à se risquer. Ils avaient peur que la prolongation s’éternise, et que le référendum n’ait jamais lieu. Selon Medani, le Nord n’a aucun intérêt à libérer le Sud, étant donné que la richesse pétrolière du pays –le Soudan est actuellement le troisième plus grand exportateur de pétrole en Afrique– se trouve majoritairement dans le Sud. Plusieurs sondages internationaux semblent indiquer que la victoire du «oui» est inévitable. Toutefois, même si le gouvernement du Nord était «officiellement» obligé d’accorder la séparation, selon Medani, «ils ne vont pas facilement lâcher le pétrole qui se trouve au Sud». En effet, il est très probable que plusieurs problèmes surgissent lors du processus de démarcation de la nouvelle frontière, et que le Nord «ne donne pas au Sud tout le territoire que sa population demande», ce qui sans aucun doute créerait des conflits entre les deux nouveaux pays. Medani établit un parallèle intéressant avec le référendum éthiopien de 1993 qui avait donné naissance à

Bulletin de vote au Sud-Soudan compte tenu du fort taux d’analphabétisation Raphael Thézé

l’Érythrée. Malgré le fait que cet événement se soit déroulé pacifiquement, «ils continuent à avoir d’énormes conflits à cause des frontières». Donc, le cas du Soudan pourrait mener, à long terme, à de gros problèmes, surtout parce que ce pays «est plus grand [que l’Éthiopie], beaucoup plus compliqué, et qu’il y a aussi le problème du pétrole». Selon lui, «pour ceux qui se soucient du bien-être des gens du Sud et qui sont déterminés à résoudre le conflit, ou à éviter une nouvelle guerre, c’est très important de se poser ces questions pour le futur». Les conséquences de cette séparation ne se limiteraient pas à un conflit de

frontières entre les deux nouveaux pays. Le conflit au Darfour se verrait sûrement très affecté par cette rupture. En effet, il est très probable que les discussions de paix entre les rebelles du Darfour et le gouvernement du Nord en sortent handicapées. Medani affirme que «les gens du Darfour ne veulent pas être indépendants, ils veulent plus de concessions politiques et économiques». Par conséquent, la séparation du Sud ne ferait que les inciter à augmenter leurs demandes au gouvernement lors des négociations. D’après lui, «après la séparation du Sud, il sera difficile de trouver une résolution politique pacifique permanente au Darfour». x

nous ne voulons pas nous en détacher. Que faire quand on ne veut pas assumer la responsabilité de nos actions et de nos désirs? On se tourne vers le gouvernement et on demande qu’il le fasse à notre place. C’est exactement ce que fait Daniel Turp. Son manifeste, s’il avait été réellement axé sur la protection du patrimoine religieux, aurait fait la promotion de l’importance d’avoir la foi. Ici, il ne fait que récupérer la lamentation de gauche implorant le gouvernement de tout faire pour l’«intérêt supérieur des Québécois». Deux solutions s’offrent réellement à nous. La première serait d’instaurer un impôt religieux volontaire que les Québécois paieraient en indiquant la religion dont ils sont membres. Ainsi, un Catholique se déclarerait tel et paierait une certaine somme qui irait à sa paroisse. Cet impôt lui donnerait accès aux services religieux tels le baptême, le mariage et les funérailles. S’il ne voulait pas payer, mais qu’il voulait tout de même avoir accès à certains services, il devrait débourser la somme requise par l’église. Agir ainsi permettrait à tous de supporter le patrimoine religieux sans devoir aller à la messe et sans être contraints par le gouvernement de débourser, par le biais des impôts obligatoires, pour des églises qui ne leur importent pas où dont

ils ne veulent pas assumer le fardeau individuellement. Un tel système existe en Suisse. La seconde solution serait que les gens retournent à l’église et vivent leur foi sans avoir à passer par le gouvernement pour collecter la dîme et la redistribuer. Si le patrimoine religieux est si important aux yeux des Québécois, qu’ils le prouvent en allant écouter ce que leur curé a à dire. Sinon, ce désir de préserver le côté agréable de la foi, soit la valeur esthétique des églises, ne tient aucunement compte du but de la construction de telles infrastructures. Elles n’ont pas été construites uniquement pour être belles et pour servir de reposoir à une identité nationale boiteuse. Elles sont là pour célébrer Dieu. Si plus personne ne veut le faire, laissons le marché s’occuper d’elles. Si des entrepreneurs veulent y construire des condos et que des gens veulent y habiter, nous ne pouvons rien y faire. Nous ne pouvons refuser à des personnes le droit de vivre dans certains édifices parce que jadis, ils étaient importants. À tous ceux pour qui le patrimoine religieux est important, quand êtes-vous allés à la messe pour la dernière fois? Si votre réponse est jamais, allez donc y faire un tour et faites votre part. Sinon, taisez-vous à jamais. x

CHRONIQUE

Au nom du Père? Jean-François Trudelle | Attention, chronique de droite

QUEL MEILLEUR MOMENT QUE le retour des vacances de Noël pour vous parler de patrimoine religieux au Québec? Après avoir apprécié les derniers restants de notre héritage chrétien pendant deux semaines, je désire revenir sur un débat qui a eu lieu au courant du mois de juin, entourant la préservation d’églises et d’orgues, par le biais de la nationalisation. Avec l’ex-député péquiste Daniel Turp en tête, quelques dizaines de personnes ont signé une lettre ouverte implorant le gouvernement québécois d’intervenir pour que cesse la vente des églises et des orgues pendant un an. Je dois avouer que c’est un sujet qui me touche. Je suis le

premier à déplorer la dégradation de nos églises et le nombre de Québécois qui manquent de respect envers les traditions religieuses qu’ils ont jadis endossées. Mes doléances s’arrêtent là. Qui suisje pour imposer le dictat de mes valeurs à mon voisin? Absolument personne. C’est ce que Daniel Turp et ceux qui approuvent son initiative ne semblent pas avoir compris. Si les Québécois se sont massivement détournés de la foi catholique, ils doivent aussi en assumer les conséquences. Celles-ci sont nombreuses et elles doivent être acceptées, si les gens ne changent pas librement de comportement. Il faut dire que le manifeste pour la sauvegarde du patrimoine religieux du Québec n’a rien d’étonnant. Un sondage publié le 3 avril 2010 dans La Presse nous apprenait que 61% des gens qui ne vont jamais à l’église au Québec croient malgré tout que Jésus est le fils de Dieu, ce qui est l’une des pierres angulaires du dogme catholique. Autrement dit, pour reprendre les mots de l’analyse du quotidien montréalais, nous sommes les «champions du catholicisme non-pratiquant». Où est le lien avec le manifeste? Je dirais qu’il se trouve dans l’hypocrisie. Il semblerait que nous tenions à notre religion. Malgré la désaffection de masse,

xle délit · le mardi 11 janvier 2011· delitfrancais.com

Actualités

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Société societe@delitfrancais.com

Une crèche ouverte toute l’année

Servant bien davantage que des repas, l’Accueil Bonneau occupe une place importante dans le quotidien des itinérants montréalais.

Une bénévole s’enquiert des besoins d’un bénéficiaire des services alimentaires à l’Accueil Bonnneau Photos: Gabriel Ellison-Snowcroft

Anabel Cossette Civitella et Xavier Plamondon Le Délit

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’Accueil Bonneau existe depuis maintenant 130 ans. En 1877, Joseph Vincent, un riche philanthrope, ainsi que René Rousseau, sulpicien et aumônier de la Société de SaintVincent de Paul, décident de dédier temps et argent aux besoins des sans-abris. Ils s’allient aux Sœurs Grises dans l’espoir de créer un mouvement d’aide qui saura apporter un peu de réconfort aux plus démunis. Avec l’hospice Saint-Charles, ils créent les prémices de ce qui allait devenir l’Accueil Bonneau.

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Malgré la fermeture de l’hospice, Grises, des Sulpiciens et de la Société la Société Saint-Vincent de Paul et les Saint-Vincent de Paul siègent au le conseil Sœurs Grises réussissent à maintenir les d’administration. Instaurée pour fournir repas et vêteservices de repas et de lingerie dans un nouvel emplacement, connu sous le nom ments à «toute personne à risque d’itidu Vestiaire des pauvres, sur la rue de la nérance», l’œuvre de bienfaisance s’est agrandie pour offrir Commune. C’est des services de proen 1909 qu’une Le pire a été lorsque j’ai pris motion humaine épatante figure afin de donner aux prend la relève et conscience que je n’avais plus se charge de l’or- aucune clé dans mes poches. Plus itinérants l’indépendance nécessaire à ganisme jusqu’en rien ne m’appartenait» leur insertion socia1934: Sœur Rosele. De plus, le service de-Lima Bonneau. C’est d’ailleurs en son honneur que le d’intervention psycho-sociale de l’Accueil centre sera rebaptisé en 1971. Encore Bonneau offre un service de gestion budaujourd’hui, des représentants des Sœurs gétaire régulière, une bonne manière de

xle délit · le mardi 11 janvier 2011 · delitfrancais.com

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partir du bon pied pour atteindre une stabilité résidentielle. En tout, 225 personnes profitent de cette aide essentielle. Dans le bâtiment principal, une salle d’attente pour la salle à manger et une salle de jour pour les activités sociales sont mises à disposition de ceux dans le besoin. L’Accueil Bonneau compte aussi 165 chambres pour hommes réparties entre quatre résidences. Aubin Boudreault, directeur de l’Accueil depuis 2009 assure que tout un chacun peut bénéficier des repas. Par contre, les logements et les services d’intervention sont réservés à ceux qui remplissent certains critères –des gens en démarche de réinsertion sociale par exemple.


Les bénévoles, ces piliers de l’organisation Si les professionnels en intervention sociale sont employés de l’Accueil Bonneau, tous ceux aux services alimentaires accomplissent leur tâche d’une façon tout à fait bénévole. De tous âges, de toutes origines, de tous milieux, les volontaires sont précieux, surtout en hiver. «Durant le temps des Fêtes, il y a une nette augmentation de la demande pour le bénévolat. Il y aussi plus de dons. En fait, de la mi-décembre jusqu’à la fin mars, la générosité augmente avec le climat qui ne se fait pas clément», souligne le directeur Aubin Boudreault. «Cela ne nous empêche pas d’avoir de l’achalandage à l’année», explique Normand Wallot, coordonateur aux services alimentaires. «Par exemple, pendant les belles journées d’été, où il est facile pour les itinérants de se déplacer à pied ou à bicyclette, on peut facilement atteindre 700 visiteurs en matinée.» La mobilité facilitée des itinérants dispersés dans la métropole, ajoutée au tourisme d’itinérance, peut prendre l’Accueil Bonneau de court.

tablement qu’une minorité des itinérants qui vivent dans la rue. Il s’agit du noyau dur de la communauté. Ce sont les plus vulnérables et les plus difficiles à approcher». Ainsi, plusieurs peuvent, comme Normand, errer de refuge en refuge, alors que d’autres peuvent squatter des maisons vides ou des entrepôts abandonnés. «J’ai même connu quelqu’un qui vivait dans une vieille voiture stationnée dans un garage. On fait toujours preuve de créativité en temps de besoin». Faune itinérante «Il n’existe pas de compétition entre les différents organismes d’aide aux itinérants», poursuit Monsieur Wallot, «chacun a sa spécialisation». Ainsi, alors que l’Accueil Bonneau se concentre sur la provision de collations et de repas du midi, d’autres organismes peuvent veiller aux repas du soir et à l’accueil de bénéficiaires pour la nuit. Ceci est aussi le cas en ce qui concerne l’âge des personnes en recherche

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C’est une minorité des itinérants qui vivent dans la rue. Ce sont les plus vulnérables et les plus difficiles à approcher.»

Normand Paris, le chef cuisinier, est bien d’accord quant au manque de bénévoles pendant la saison estivale: «Il nous arrive de n’être que deux dans la cuisine à faire à manger pour des centaines de personnes, mais on trouve toujours un moyen de nourrir tout le monde». Toutefois, pendant l’année scolaire, les jeunes bénévoles ne sont pas une denrée rare puisque les écoles secondaires mettent de plus en plus l’accent sur l’initiation au bénévolat en exigeant des étudiants qu’ils remplissent un certain nombre d’heures de travaux communautaires. Aubin Boudreault félicite cette initiative de plus en plus répandue: «Chaque jour, une douzaine d’étudiants viennent travailler pour l’Accueil Bonneau. En plus de leur instiguer une conscience sociale, leurs heures de bénévolat apportent une contribution non négligeable». De plus, ce qu’il y a de particulièrement encourageant, c’est lorsqu’un certain nombre de ces «volontaires obligés» reviennent donner un coup de main.

d’aide. «Ici, à l’Accueil Bonneau, nous recevons surtout des gens entre 30 et 75 ans. Quand nous avons des jeunes entre 18 et 25 ans, nous les référons à d’autres organismes comme le Refuge des Jeunes. Un garçon qui réalise un petit méfait et qui est mis en prison avec des hommes qui ont fait des hold-up va commettre à son tour des hold-up en regagnant sa liberté, c’est pratiquement inévitable. Dans la même logique, on veut seulement que ces jeunes n’apprennent pas les mauvais coups des plus anciens.» Beaucoup de cœur, de volonté et de générosité, voilà ce qui est essentiel pour le bon fonctionnement de l’Accueil, mais ne nous leurrons pas; rien n’est possible sans la participation monétaire des entreprises et des associations, mais surtout grâce au grand public. Collecter de l’argent requiert de la persévérance. D’après Aubin Boudreault «ce qui fonctionne le mieux en ce moment est la campagne de publipostage par laquelle les gens sont sollicités à la maison. Il faut maintenant développer plus du côté des entreprises». Et il y a toujours de la place pour l’innovation: «La fondation qui prendra fonction dans les prochains mois permettra de lever des fonds d’une nouvelle manière», ajoute M. Boudreault. Normand Wallot explique, quant à lui, le succès de l’Accueil Bonneau par sa réputation: «Cela fait 130 ans que nous existons et au cours de ces années on a réussi à gagner la confiance du public grâce à notre bonne gestion.» «L’Accueil Bonneau, c’est une institution montréalaise de 133 ans qui vous appartient», rappelle Aubin Boudreau, le directeur. «C’est le dernier filet de sécurité pour les personnes les plus démunies et c’est, par vos dons généreux, la multiplication des histoires de réussites.» Après un congé des Fêtes bien mérité, célébrons maintenant cette inspirante organisation qui a su changer pour le mieux de nombreuses vies. x

De tous âges, de toutes origines, de tous milieux, les volontaires sont précieux.»

D’hier à aujourd’hui Cela fait une dizaine d’années que Normand Wallot travaille à l’Accueil Bonneau, mais sa vie stable d’aujourd’hui n’a pas toujours été ainsi. Il est lui-même un ancien itinérant. De ce fait, il est en position d’écouter et de comprendre ces gens qui demandent de l’aide. «Devenir itinérant n’arrive pas du jour au lendemain. C’est un processus au cours duquel tu n’arrives pas à gérer l’argent que tu as. Cela peut être dû à plusieurs facteurs, comme les drogues, l’alcool, ou le jeu. On aperçoit d’ailleurs une hausse de problèmes de santé mentale de nos jours.» Normand a vécu sans domicile fixe pendant un an. «Le pire a été lorsque j’ai pris conscience que je n’avais plus aucune clé dans mes poches. Plus rien ne m’appartenait.» Il existe néanmoins un bon esprit de solidarité au sein de la communauté itinérante. «On se met tous au courant des endroits où on peut manger et se loger. Dans mon cas, j’ai toujours réussi à trouver des refuges pour la nuit. Et si on soigne son apparence, on peut passer ses journées dans les centres d’achats en hiver, afin de se garder au chaud.» L’ancien itinérant a donc toujours eu, si l’on peut dire, de la chance dans sa malchance. «Il faut noter que ce n’est véri-

Visitez le site de l’Accueil Bonneau au www.accueilbonneau.com pour savoir comment vous pouvez vous investir comme bénévole.

Société

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CHRONIQUE

Cirrhose des fêtes Christophe Jasmin | Les pieds dans les plats

Quel dur retour de vacances vous devez avoir! La session d’hiver est sans contredit la plus pénible, ne serait-ce qu’à cause de la température qu’il fait à Montréal. En fait, c’est comme si le froid de janvier rendait impossible l’euphorie qui s’empare du campus lors de la rentrée d’automne, alors que les Montréalais vivent leurs derniers jours d’été. Bien sûr, il y a aussi le fait que l’université ne soit pas envahie par une horde de freshmen hyperactifs qui ne demandent qu’à boire de la bière jusqu’à ce qu’ils expulsent leurs tripes par les voies nasales. Toutefois, je pense que cette morosité est aussi due au fait que, pour la grande majorité d’entre nous, les vacances des Fêtes sont tout sauf reposantes.

Prenons, si vous le voulez bien, mon exemple: quatre soupers de Noël en famille, suivis d’un souper d’amis, sans oublier bien sûr un souper supplémentaire avec l’âme sœur. À ce moment-là, la grande quantité de mousseux, de vin rouge, de fromage et de foie gras ingurgitée a déjà atteint des sommets vertigineux, mais ce n’est pas fini. Ensuite, il y a, évidemment, le repas du réveillon, suivi de la traditionnelle débauche dionysiaque de la nuit du 1er janvier, elle aussi arrosée de mousseux de diverses qualités. Le lendemain matin –vers 14h-15h– c’est au tour du brunch, même si on a du mal à croire que nos œufs Bénédictines vont rester en place au fond de notre estomac. Le soir même, c’est revin, re-fromage et re-foie gras avec la famille. Le 2, on ne fait rien et même ça, ça demande encore trop d’effort. Finalement, le 3 on se dit qu’il faudrait quand même profiter de son congé, en allant voir un film, par exemple. Évidemment, qui dit cinéma, dit popcorn! Et là, le lendemain matin, on est censé se pointer sur le campus, repasser devant la bibliothèque dans laquelle on avait presque emménagé deux semaines auparavant, aller à un cours très souvent inutile, et tout ça avec entrain?! Oubliez la hausse des frais de scolarité. Pour le bien de votre corps, la prochaine cause des étu-

diants de McGill doit être le réalignement des dates des vacances sur celles des universités francophones. Sur une plus grande échelle, et aussi bien pour le bonheur de nos papilles gustatives que pour le respect de tout ce que nous mangeons ou buvons pendant les Fêtes, je propose qu’on mette en place de nouvelles règles très claires. Règles qui viseraient à éviter tout excès des bonnes choses durant une trop courte période de temps pendant l’année. L’excès, toutefois, pourrait être permis une journée par type de denrée dans une période donnée. Ainsi, le 24 décembre, ce serait la journée mangeons-dufoie-gras-jusqu’à-ce-qu’un-troisième-foienous-pousse-dans-l’estomac. La pertinence de commencer par cette journée se trouvant justement dans le fait que ce foie éphémère nous permettrait de mieux filtrer les surplus d’alcool ingurgités. Le 25 serait le jour du mangeons-du-fromage-jusqu’à-ce-quenos-poitrines-en-deviennent-des-pis. Et le 31 s’appellerait non plus la Saint-Sylvestre, mais la Saint-j’ai-tellement-bu-de-vineffervescent-que-je-ne-sais-plus-faire-ladifférence-entre-du–Veuve-Clicquot-et-cemousseux-hongrois-à-12-dollars. Maintenir le statu quo en place condamnerait les générations futures à nous imiter: manger et boire de bonnes choses à l’excès, sans plaisir. Pour éviter ceci, il faut donc

appliquer ces nouvelles règles, ou bien déplacer la nouvelle année au 1er juillet. Mais non! C’est vrai, c’est déjà la fête du déménagement… ***************************** Comme preuve que j’ai fait autre chose que manger durant les Fêtes, je partage ici avec vous quelques lignes d’un texte paru le 28 décembre dans le prestigieux quotidien Le Monde, portant sur la place qu’occupe la gastronomie dans l’identité nationale et la société en général. L’auteur traite évidemment du cas de la France, mais le tout pourrait s’appliquer un peu partout en Occident, voire ici, au Québec. Livré aux médias, l’homme gastrofabriqué ne découvre rien, n’a pas droit à la nourriture sacralisée. Sur le petit écran, le défi héroïque de concurrents, consiste, sous l’œil de censeurs, à respecter des codes culinaires. Au risque d’être excommuniés. Passe pour le côté ludique; mais il s’apparente à un dressage, les émissions à un foyer de rééducation. Josée Di Stasio et Ricardo ne seraient ainsi pas sœur ni curé, comme je l’avais dit dans ma dernière chronique, mais plutôt de grands rééducateurs de notre société. À dans deux semaines, depuis Barcelone. D’ici là, bonne rentrée! x

RÉSEAUX SOCIAUX

La drague 2.0 Comment ikiffu.fr pourrait révolutionner la façon de faire la cour de nos cousins français. Raphaël Thézé Le Délit

la culture anglo-saxonne, dans laquelle on observe bien souvent une distance respectueuse avec les inconnus. L’utilisation d’Internet fournit alors un outil fantastique pour créer des liens et amplifier les rapports sociaux. La culture francophone, quant à elle beaucoup plus directe et expressive, a moins recours à ce genre d’outils, car le besoin est moins présent. Les concepteurs de www.ikiffu.fr en sont parfaitement conscients et se disent prêts à prendre le risque de lancer le concept en France. Malgré le lancement officiel du site en pleine période de fêtes, et donc de congés scolaires, le site a reçu près de 5 000 visites au cours de cette période. C’était une décision difficile, selon les dires de Monsieur Sarezinski: «Nous étions confrontés à un dilemme, car attendre signifiait se faire doubler par un autre, bref nous avons pris ce risque… Dans tous les cas, nous préparons pour la semaine prochaine une campagne sur le terrain à l’Université Panthéon Sorbonne. Le pari est de réussir à se faire remarquer à cet endroit pour que la sauce prenne dans les autres universités.» Il reste encore du chemin à faire au jeune site français avant d’atteindre la popularité de son grand frère américain, mais il ne fait aucun doute que les étudiants français vont kiffer. x

«

Séparés par quelques tables, nos regards se sont croisés. J’ai craqué pour ses yeux bleus. C’était hier à la bibliothèque, j’aurai dû lui parler. Si seulement…» Ce genre de pensées récurrentes habitent les étudiants pendant les longues heures de solitude ou d’ennui que constituent les cours et les périodes de révisions. Cette question émotionnelle a trouvé sa réponse il y a quelques mois avec le lancement du site américain www.likealittle. com dans plusieurs universités aux ÉtatsUnis et au Canada, permettant ainsi aux étudiants de flirter grâce à la publication de messages anonymes. Suite à l’explosion de sa popularité, amplifiée par le stress et la procrastination qui caractérisent les semaines d’examens finaux, le site a fait écho jusqu’en Europe. L’idée a séduit le Français Olivier Sarezinski qui, avec une équipe dans la toute récente agence web parisienne Net Exetera, a voulu offrir un service équivalent aux étudiants français. Le concept est simple: un coup de cœur, un message anonyme décrivant l’intéressé(e), le lieu et l’heure de la rencontre; on n’a plus qu’à espérer une réponse. Le message est appelé un kiff, en référence au mot d’argot français voulant dire «apprécier», par déformation de l’arabe kif, au Maghreb, qui signifie plus ou moins «plaisir». Sans chercher à innover complètement, les concepteurs français proposent de légères adaptations, notamment au niveau de l’ergonomie, plus attrayante, et dans une

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Raphaël Thézé

utilisation simplifiée du site. L’ajout majeur, et probablement le plus intéressant pour les étudiants, est la création d’une application mobile qui offrira un accès plus efficace et discret au site en tout temps. Ainsi, après

une mise en place rapide en quelques jours, le site www.ikiffu.fr est né. Ce type de réseau social pour étudiants était quasi inexistant en France. En effet, le réseautage semble plus présent dans

Faites aller votre plume.

societe@delitfrancais.com

xle délit · le mardi 11 janvier 2011 · delitfrancais.com


Arts&Culture Le mensonge en héritage artsculture@delitfrancais.com

THÉÂTRE

Avec sa plus récente pièce, Michel Marc Bouchard revisite ses obsessions: le deuil et l’amour entre hommes. Mai Anh Tran Ho Le Délit

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e Théâtre d’aujourd’hui n’offre peut-être qu’une demi-saison cette année, mais quelle programmation prometteuse! Au menu: une pièce de Greg MacArthur dans une mise en scène de Geoffrey Gaquère, la nouvelle création de Wajdi Mouawad et Tom à la ferme, un texte de Michel Marc Bouchard mis en scène par Claude Poissant. Ce dernier a acquis une solide réputation, autant auprès des professionnels que du public, depuis le spectacle de clôture des Francofolies avec Pierre Lapointe en 2007, le succès de Rouge gueule d’Étienne Lepage, ainsi que The Dragonfly of Chicoutimi de Larry Tremblay, présenté au dernier festival TransAmériques. C’est à partir d’anciens brouillons que Michel Marc Bouchard a écrit cette nouvelle pièce, il y a deux ans, avec un camarade acteur, François Arnaud. «L’écrivain a ses propres obsessions et ses propres nécessités», confesse l’auteur. Les siennes sont «le mensonge, le

rapport à la violence physique, le deuil et l’amour entre les hommes». Tom à la ferme raconte l’histoire de Tom, un jeune homosexuel qui va aux funérailles de son amant, organisées par la famille du défunt. Ce voyage à la campagne s’avére une réelle descente aux enfers: de profonds secrets sont étalés au grand jour lorsque la belle-famille, qui s’attendait à accueillir une veuve, et non un veuf, voit arriver Tom. Le défunt cachait donc son homosexualité, et la faune homophobe au milieu de laquelle il vivait pourchasse Tom sans répit. Avec Tom à la ferme, Michel Marc Bouchard attaque de front la question de l’homosexualité et sa marginalité encore forte. Le dramaturge tient à rappeler que l’homophobie est encore très répandue: «Malgré une conscientisation et l’existence de groupes d’aide tel que Gai Écoute et Émergence, l’homosexualité est encore punie de mort dans plusieurs pays, et marginalisée dans plusieurs régions du Québec, juste à l’extérieur de Montréal.» Le domaine amoureux n’est pas chose facile pour un homosexuel. Les

xle délit · le mardi 11 janvier 2011 · delitfrancais.com

gens ne s’affichent pas, on n’a pas de carte de membre, sauf sur quelques réseaux de rencontre sur le web. Le jeune qui a un béguin pour un athlète de son école va rentrer dans l’équipe, puis se lier d’amitié avec l’être convoité, explique l’auteur. «Les premiers pas d’un jeune gai vers l’objet du désir est une entreprise de travestissement et de faux semblant pour aller vers l’autre.» Cet écho à notre contemporain n’empêche pas Michel Marc Bouchard de nous présenter une pièce à l’allure de fable. Il reprend des archétypes tel le bourreau et le personnage absent. Tom finit par se prendre au jeu, ajoutant des détails sur la femme qu’aurait fréquenté le mort. Ces mensonges forment le dernier fil qui le rattache encore à cet amour perdu, mais qui défigure rapidement la réalité. Le crime –l’amour homosexuel– revient comme dans une tragédie grecque. On apprend à travers les silences et les mensonges que quelque chose de terrible est survenu et pourrait expliquer pourquoi le défunt n’est jamais sorti du placard.

Julie Bouchard

Michel Marc Bouchard se livre à une réflexion sur ce qu’est notre vraie nature et sur notre éducation sentimentale. «Plus on s’interroge sur ce qu’on est, plus ça galvanise les choses, et plus on trouve des repères», constate-t-il. «Le mariage, l’adoption, la vie traditionnelle, ce n’est pas pour moi.» L’auteur a pensé à plusieurs titres pour sa pièce, notamment La Fabrication des

synonymes et La Veuve-garçon, mais c’est finalement Tom à la ferme qui est resté, pour ses accents bucoliques et sa connotation enfantine. «Un titre trompeur comme le reste de la pièce», affirme-t-il. Tom à la ferme est une pièce cathartique qui débute bien l’année et qui sera présentée dès l’ouverture du nouveau Théâtre d’Aujourd’hui, dès le 11 janvier. x

Arts & Culture

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CINÉMA

Pour saluer Jutra Pour placer une annonce : courriel : ads@dailypublications.org • téléphone : (514) 398-6790 • fax : (514) 398-8318 en personne : 3480 rue McTavish, Suite B-26, Montréal QC H3A 1X9

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Cours Graciseuseté de la Cinémathèque Québécoise

Jusqu’au 2 février à la Cinémathèque québécoise, une rétrospective bien ficelée pour redécouvrir l’œuvre du réalisateur du meilleur film de tous les temps... rien de moins. Véronique Samson Le Délit

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uel cinéphile pourrait oublier la remarquable scène de la veille de Noël dans Mon oncle Antoine? Le jeune Benoît et son oncle, emmitouflés dans leurs fourrures, traversent la campagne blanche avec une sinistre cargaison dans leur traîneau: le cadavre d’un adolescent, dont le cercueil finira par choir dans la neige, confrontant Benoît à l’impuissance de son oncle et à la dure réalité de la mort. Vingt-cinq ans après la disparition de Claude Jutra et quarante ans après la sortie du poignant récit d’apprentissage qu’est Mon oncle Antoine, la Cinémathèque québécoise accorde au cinéaste une rétrospective sans précédent. Pendant quelques semaines seulement reviennent sur grand écran les œuvres qui ont fait sa renommée, comme Kamouraska, une adaptation du roman d’Anne Hébert, et bien sûr Mon oncle Antoine, fréquemment cité comme le meilleur film canadien de tous les temps. L’intérêt de la rétrospective réside cependant ailleurs. Nombre d’œuvres méconnues et même inédites figurent à la programmation, dont le tout premier film tourné par Claude Jutra, alors adolescent, Le Dément du lac Jean-Jeunes, et son film le plus marginal et esthétisant, Mouvement perpétuel. La sélection opérée par la Cinémathèque québécoise insiste ainsi sur le caractère neuf et même révolutionnaire de l’œuvre du réalisateur, qui a contribué à l’avènement du cinéma direct au Québec à la fin des années cinquante, après avoir brièvement côtoyé François Truffaut et Jean Rouch. Initié par ceux-ci à un nouveau rapport au

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réel, Claude Jutra fera équipe avec Michel Brault pour la réalisation d’une série de documentaires où les images franches font l’économie de tout commentaire. On pense entre autres à La Lutte, de 1961, ou à Québec-U.S.A. ou l’Invasion pacifique, de 1962; à partir de deux sujets bien différents, soit les populaires combats de lutte au Forum et le débarquement massif d’étudiants américains dans la Vieille capitale, le cinéaste accomplit une pénétrante étude de mœurs et offre un regard oblique, parfois même ironique, sur la réalité de la société québécoise. C’est ce questionnement identitaire, cette tendance à ébranler les institutions et les opinions d’un Québec selon lui trop immobile, qui fait de Claude Jutra un cinéaste toujours actuel et rend le détour par la Cinémathèque québécoise indispensable. Le mouvement qui l’animait se fait plus fortement sentir dans son premier long-métrage, À tout prendre, sorti en 1963, que le programmateur de la rétrospective décrit comme un «acte fondamental de la Révolution tranquille», multipliant les sujets tabous dans une histoire de liaisons amoureuses qui n’est

pas sans rappeler le Jules et Jim de Truffaut. Il est à noter que les prochaines semaines seront aussi consacrées à la «période canadienne» du réalisateur, qui est parti en Ontario réaliser pour la télévision et le cinéma anglophone après avoir essuyé quelques revers dans un Québec où ses films, peut-être arrivés trop tôt, demeuraient souvent incompris. On présente entre autres Dreamspeaker, le 19 janvier, un film portant sur la rencontre d’un enfant farouche et d’un vieil Indien dans la forêt de Vancouver. Afin de terminer rondement ce cycle, la Cinémathèque a invité le 2 février prochain le monteur Werner Nold, qui parlera de son travail sur deux films de Claude Jutra, Rouli-Roulant et Comment savoir. En somme, cette rétrospective est une occasion de découvrir les multiples facettes d’un cinéaste qui a fait bien plus que laisser son nom aux Prix Jutra. x Rétrospective Claude Jutra: 25 ans déjà Où: Cinémathèque Québécoise 335 bd de Maisonneuve Est Quand: Jusqu’au 2 février Combien: 6 $

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Kamouraska de Claude Jutra Gracieuseté de la Cinémathèque Québécoise

Sessions quotidiennes : Semaine du 17 jan. @ 14 h Semaine du 24 jan. @ 11 h

Sessions hebdomadaires : Tous les vendredis de février @ 14 h

Lieu : Carrefour Sherbrooke (Salle de bal) 475 Sherbrooke O. Montréal H3A 2L9

Lieu : R.V.C. (Roscoe Lounge) 3425 rue University Montréal H3A 2A8

Une présentation du service de logement hors campus de l’Université McGill : www.mcgill.ca/offcampus xle délit · le mardi 11 janvier 2011 · delitfrancais.com


LITTÉRATURE

Spécial bande dessinée L’enfance dans une valise

Dans l’excellent premier tome de Vogue la valise, Siris explore avec originalité l’univers des services sociaux qu’il a lui-même connu dans sa jeunesse.

R

écit très personnel puisque en grande partie autobiographique, Vogue la valise met en scène la famille de Renzo Sioris, un alcoolique dont les déboires influencent malheureusement beaucoup la vie de ses proches. Prenant pied dans un univers réel bien que romancé, l’album Vogue la valise explore la déchéance et l’éclatement d’une famille dont les cinq enfants sont confiés aux services sociaux et se retrouvent dans des familles d’accueil parfois peu accueillantes. L’album suit d’abord le personnage de Renzo, son accident de bateau et sa rencontre, dans une usine d’armement en 1940, avec Luce, sa future femme. La vie des jeunes amants est rapidement bouleversée par l’alcoolisme de Renzo qui l’empêche de trouver un travail et de prendre en charge ses enfants, un à un confiés aux services sociaux. L’histoire se clôt sur les errances de foyer en foyer du petit dernier, La Poule. Ce personnage, s’il est le seul à ne pas avoir une apparence humaine, comme l’indique son prénom si particulier, est pourtant profondément humanisé et participe pleinement à la réussite touchante de ce sombre récit.

Gracieuseté des éditions La Pastèque

Loin d’être un récit drôle ou léger, Vogue la valise raconte, dans un humour tendre et corrosif, une histoire dramatique sur fond de critique sociale. Les commentaires de la voix narrative, qui créent une certaine distance avec l’histoire, la pimentent d’humour décalé et permettent au lecteur de compatir avec les personnages, sont toujours justes et réfléchis. Avec ce que l’on pourrait presque considérer comme de la poésie et à travers un regard acide et pertinent, Siris aborde des thèmes durs dans un dessin décalé et richement coloré,

Retour sur 1970

toujours justement lié à la narration. L’équilibre entre l’humour et le propos, dans le dessin comme dans le récit, permet d’ailleurs au bédéiste d’insuffler de la tendresse dans ce récit dramatique qui semble sans espoir. En outre, le découpage de l’album en cases irrégulières et variées permet à l’auteur de surprendre et de charmer son lecteur. Les cases multiformes qui se chevauchent et sa mise en page éclatée enrichissent ainsi considérablement non seulement les planches en elles-mêmes, mais aussi le récit. Il semble même important, en considérant Vogue la valise, de mentionner jusqu’à la beauté de l’objet, ce livre dont la couverture séduit dès le premier contact, les éditeurs de la Pastèque ayant fait de cet album un véritable bijou qu’on prendra plaisir à mettre en valeur dans sa bibliothèque. Vogue la valise est une bande dessinée d’une grande richesse comme on aimerait en lire plus souvent, tant du point de vue du dessin que de l’histoire. Une excellente découverte qui, sans aucun doute, laissera en haleine les lecteurs pour le deuxième tome. x

Sylvain Lemay et André St-Georges explorent les illusions et désillusions d’un groupe d’amis face à leurs idéaux de jeunesse dans Pour en finir avec novembre.

J

ean, Luc, Mathieu et Marc sont quatre amis emballés par les événements d’octobre 1970, des événements tellement marquants qu’indéniablement trop grands pour eux et leur sensibilité à fleur de peau. Poussés par un besoin de s’inscrire dans l’Histoire, ils décident de monter une cellule d’action terroriste, la cellule Montferrand. Alors qu’ils prévoient leur première action, un enlèvement, rien ne se déroule comme prévu et leur acte politique échoue en une erreur meurtrière. Les années passent et les amis se retrouvent à diverses reprises, sans jamais réellement parler de cette mystérieuse nuit de leur jeunesse –ce qui laisse le lecteur sur sa faim pendant un certain temps. Lorsque Jean décède, Mathieu et Luc découvrent qu’il a laissé derrière lui le manuscrit d’un roman levant le voile sur les faits de cette fameuse nuit de novembre. Mathieu veut empêcher la publication de ce récit qui leur serait fatale. L’histoire pourrait s’arrêter là si l’ordinateur de Jean ne disparaissait pas aux mains d’un cambrioleur. Le voleur s’avère en effet être un maître chanteur qui envoie des passages du manuscrit, menaçant ainsi les deux

hommes paniqués. Qui est ce vengeur inconnu et, surtout, que s’estil réellement passé cette nuit-là?

Gracieuseté des éditions Les 400 coups

Il n’est pas question de prétendre que Pour en finir avec Novembre fait preuve d’une grande originalité quant aux fils de l’intrigue ni même dans le traitement de celle-ci. Toutefois, une chronologie décousue permet de donner un certain dynamisme à cette histoire qui aurait pu tomber rapidement dans le banal. Les auteurs ont en effet choisi d’opérer plusieurs allers-retours entre octobre 1970 et novembre 2008 afin d’insister sur l’évolution de chaque personnage.

xle délit · le mardi 11 janvier 2011 · delitfrancais.com

Ils s’attardent particulièrement sur les compromis auxquels chacun fait face, avec l’âge et les responsabilités grandissantes. Le dessin, sobre et élémentaire, parfois à l’extrême, ne sera pas nécessairement l’élément susceptible de vous séduire au premier abord, même si l’on se fait petit à petit à la simplicité du trait d’André St-Georges. Toutefois, cette même sobriété, qui occasionnellement dérange, permet de mettre en valeur les personnages, terriblement humains et réalistes ainsi que le découpage du récit. Ce que l’on aime ainsi sans aucun doute, c’est le choix des auteurs de montrer des personnages emportés par des idéaux qu’une vingtaine d’années suffit à effacer. La remise en question des idéaux politiques ainsi que l’ébauche de réflexion proposée sur le fait que tout acte est, ou n’est pas, un acte politique (écouter les Beatles, boire de la Molson, travailler pour le gouvernement, etc.) rendent cet album pour le moins intéressant. Sans être la bande dessinée de l’année, Pour en finir avec Novembre, publiée aux éditions Les 400 coups, est donc tout de même un bon moment d’évasion. x

Par Annick Lavogiez Le Délit

Voyage au cœur de la marginalité Dans Justine, la bédéiste québécoise Iris invente un univers loufoque et réaliste.

Gracieuseté des éditions La Pastèque

J

ustine, une adolescente sympathique un peu immature, vit à Gatineau en colocation avec Manon, une femme antipathique et tyrannique. Coincée dans un fauteuil roulant, celle-ci cache à Justine un passé quelque peu mystérieux que la jeune héroïne, poussée par une impertinente curiosité, finira par découvrir. L’univers de Justine se cantonne principalement à cette colocation jusqu’au jour où elle obtient un emploi de secrétaire au centre sportif Les Fils du King. Ce lieu qui a tous les attributs d’une secte propose à ses adeptes marginaux et originaux des séances de remise en forme sur des airs d’Elvis. Dans cet étrange endroit, Justine expérimente un monde du travail plutôt particulier. Son patron, Aaron, est en effet un escroc qui n’hésite pas à faire payer à ses clients 500 dollars pour une supposée mèche de cheveux du célèbre chanteur de rock. La jeune fille y rencontre aussi, entre autres gens déboussolés, Guillaume. Ce jeune homme, charmant mais pour le moins perturbé, prend plaisir à se déguiser quotidiennement, de façon irrationnelle mais terriblement touchante. Son passé tourmenté, ponctué notamment par un séjour en hôpital psychiatrique, est évoqué subtilement à travers les yeux d’adolescente inquiète et sentimentale de Justine. Alors qu’il se présente comme un album traditionnel par son découpage en cases régulières et sa trame principale (une histoire d’amour adolescent), Justine surprendra ses lecteurs grâce aux car-

nets de Guillaume et à un épilogue particulièrement savoureux. Les carnets, dessinés par Skin Jensen, retracent, dans un dessin enfantin, une sombre histoire grâce à laquelle on comprend le comportement perturbé et perturbant de Guillaume. L’épilogue propose quant à lui une série de portraits agrémentés d’anecdotes sur l’avenir de Justine et de ses acolytes, sorte de retour teinté d’humour sur chacun des personnages, ce qui renforce avec subtilité leur réalisme. Récit complètement inventé malgré ses airs autobiographiques, Justine fait indéniablement penser, par son atmosphère décalée et son univers trash, aux œuvres de Daniel Clowes (on pensera entre autres à Ghost World), d’ailleurs une des sources d’inspiration de l’auteur. Le mélange entre les dessins et le style narratif, qui sont très simples, l’ambiance et les thèmes (la solitude, la marginalité, etc.), inquiétants et originaux, est subtil et très réussi. C’est d’ailleurs ce décalage entre l’attachant et l’étrange qui donne sa force à l’album et permet au lecteur de passer outre le dessin parfois trop naïf pour se concentrer sur la justesse de ces personnages loufoques évoluant dans l’univers réaliste d’une banlieue dans laquelle on n’est pas vraiment sûr de vouloir habiter. Grâce à sa mise en scène réussie d’une communauté fragile et fragmentée dont les membres ont perdu leurs repères, Justine, édité par La Pastèque, est donc un divertissement qui saura séduire son public. x

Arts & Culture

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CHRONIQUE

Au firmament Francis Lehoux | Coup de plume

Une petite constellation de créateurs et d’interprètes brille dans mon firmament. Au fil des années, des artistes d’exception comme Réjean Ducharme, Wajdi Mouawad, Patrick Watson et quelques autres s’y sont hissés pour une simple et bonne raison: ils ont su proposer de nouvelles visions du monde, le nommer avec sensibilité et justesse, révéler des vérités inédites et offrir un substitut à la transcendance religieuse aujourd’hui disparue. Une nouvelle étoile a récemment fait son apparition dans ma voûte céleste: celle du réalisateur de génie Darren Aronofsky.

Sa dernière œuvre cinématographique, Black Swan (2010), est un suspense psychologique fascinant qui raconte l’expérience initiatique (aussi bien l’ascension que la descente aux Enfers) de Nina Sayers (Natalie Portman), une jeune ballerine de la compagnie du Lincoln Center à New York. La jeune femme, fragile mais ambitieuse, vit avec sa mère (Barbara Hershey), une ancienne danseuse qui cherche à vivre son rêve de ballerine à travers sa fille, qu’elle retient en enfance et surprotège. Nina vit dans une chambre tout de rose décorée, peuplée d’animaux en peluches et de figurines de ballerines, et multiplie depuis longtemps les heures d’entraînement, les rituels et les sacrifices pour réaliser son rêve: incarner le rôle-titre dans Le lac des cygnes de Tchaïkovski. Jour d’audition. Nina, nerveuse mais déterminée, entend bien décrocher le rôle de Odette/ Odile. Toutefois, le chorégraphe (Vincent Cassel), s’il concède que Nina possède la grâce, la pureté et la maîtrise technique pour interpréter le cygne blanc, doute

qu’elle puisse incarner le cygne noir, figure sombre, sensuelle et délurée, avec autant de succès. Toutefois, à force de détermination, elle finit par obtenir le rôle tellement convoité. Commence alors une longue danse qui la mènera pas à pas dans les zones les plus sombres de sa personne. D’emblée, la caméra épouse les mouvements de la danseuse et virevolte autour d’elle comme un véritable partenaire. La réalisation est à la fois fluide et saccadée, rythmée et frénétique, et représente, voire fait ressentir à merveille l’angoisse de la ballerine qui, ayant obtenu le rôle de sa vie, se trouve constamment menacée de le voir confier à sa rivale. Car si Nina fait preuve d’une grâce et d’un contrôle exemplaires, elle apparaît incapable de s’abandonner suffisamment pour entrer dans la peau du cygne noir. Son chorégraphe, imposant et séducteur, tentera de lui faire repousser ses limites. Selon lui, la perfection artistique réside autant dans la maîtrise que dans l’abandon de ses pulsions intimes, entre autres. En proie à une

pression insoutenable, la danseuse tente alors, non pas sans difficulté, d’obéir davantage à ses désirs et à ses instincts; une collègue de la compagnie (Mila Kunis) l’aidera à y parvenir. Peu à peu, l’interprète perd pied et sombre dans un véritable délire cauchemardesque. Les frontières entre rêve et réalité se brouillent et, pour Nina comme pour le spectateur, il devient presque impossible de distinguer les deux mondes. La tension s’accroît, les «hallucinations» se multiplient et le corps de l’interprète commence même à prendre les traits de l’animal qu’elle doit incarner. L’angoisse et l’émerveillement atteignent leur paroxysme à la fin du film, lors de la première représentation du ballet, où Nina, d’abord nerveuse, gagne en assurance dans la seconde partie et se transforme tant artistiquement que physiquement en cygne noir. Ces scènes sont, aux plans de l’interprétation, de la chorégraphie et de la réalisation, un pur ravissement; elles forment l’une des séquences les plus extraordinairement prodigieuses du ciné-

ma contemporain. Même si l’on peut lui reprocher des effets sonores un peu trop appuyés, notamment des bruissements d’ailes utilisés pour ponctuer certains moments, Black Swan s’avère être une œuvre originale, audacieuse et bien menée qui rend compte de la richesse des possibilités de l’art cinématographique et de toute la complexité de l’existence de l’artiste. Au-delà des interprétations sans failles des acteurs et de la performance magistrale de Natalie Portman (qui danse ellemême avec un aplomb étonnant presque toutes les scènes de ballet: elle figure maintenant elle aussi parmi les étoiles de mon firmament!), le film met surtout en lumière mieux que tout autre film les gloires et les écueils que rencontre l’interprète. Pour créer, ressentir et véritablement devenir le personnage qu’elle joue, la danseuse doit repousser ses limites et sonder ses propres ténèbres jusqu’à sacrifier une part d’elle-même dans un processus menant à la quasi perfection, à l’Art. x

LE DÉFI

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L’ÉDITO CULTUREL

CHRONIQUE

Culture rehab Catherine Renaud | Billet incendiaire

Gracieuseté de 20th Century Fox

Black Swan: pour ou contre? Émilie Bombardier Le Délit

B

lack Swan, le nouveau thriller de Darren Aronofsky, mettant en vedette Nathalie Portman, a fait couler beaucoup d’encre depuis sa sortie (même dans nos pages). Plusieurs médias nationaux et étrangers semblent même s’être sentis investis d’un certain devoir, celui d’évaluer le réalisme de l’œuvre, plus particulièrement de la représentation du monde du ballet qu’elle véhicule. Constatant que Robert Gottlieb, le critique de danse du New York Observer a déclaré que le film «renouait avec tous ces clichés qui dépeignent le ballet comme une discipline sadomasochiste», ce fut au tour de la critique du quotidien britannique The Guardian, Judith Mackrell, de s’emparer du même sujet. La journaliste a donc invité cinq grands noms du ballet britannique à une projection de Black Swan afin de recueillir leurs réactions. Tamara Rojo du Royal Ballet déplorait le fait qu’une actrice et non une ballerine eût été choisie pour incarner le personnage principal, Nina, soulignant au passage que Nathalie Portman devait travailler sur son port de bras. Sa collègue Lauren Cuthbertson abondait dans le même sens, ajoutant toutefois qu’il était vrai que l’attitude d’un danseur abordant un nouveau rôle pouvait parfois avoir quelque chose d’obsessif. Les trois autres invités de Mackrell s’accordaient

quant à eux pour dénoncer le fait que le portrait du quotidien d’une ballerine dépeint par Black Swan soit si sombre, si peu nuancé. Rapportant que «certains danseurs de ballet canadiens étaient (eux aussi) mécontents de la représentation de leur discipline dans le thriller psychologique», un article de la Presse canadienne publié sur le site de la CBC reprenait à peu près la même formule. Les danseurs interviewés partageaient d’ailleurs les mêmes impressions que leurs collègues britanniques, se moquant du fait que le réalisateur, à qui l’on doit notamment Requiem for a Dream et The Wrestler, les faisaient en quelque sorte «tous passer pour des fous». Mêmes échos dans les pages du Devoir, qui, tout en soulignant qu’il était normal qu’un film hollywoodien se «déploie dans une logique manichéenne», recueillaient les réactions de danseurs qui se disaient eux aussi déçus. La couverture médiatique de la réaction du milieu de la danse devant Black Swan est sans appel. L’œuvre d’Aronofsky renouerait avec ces clichés dont on cherche à se défaire depuis une vingtaine d’années. Pourtant, la majorité des danseurs interrogés étaient également unanimes en affirmant que leurs jugements ne pouvaient être «objectifs». Ils ne forment pas non plus un échantillon très représentatif du public à qui le film est destiné; cela va de soi. Ainsi, pourquoi les médias font-ils grand cas des réactions des spécialistes et des gens du milieu, alors que le

genre sous lequel le film est classé annonce en lui-même que nous sommes bien loin d’un quelconque souci de réalisme? Black Swan n’a en effet absolument rien d’un documentaire. Il est d’ailleurs bien loin de se présenter ainsi. Si les journalistes et le milieu de la danse souhaitent évaluer le réalisme avec lequel la discipline est représentée, pourquoi ne pas se tourner vers La Danse, de Frédéric Wiseman, un véritable documentaire sur le quotidien des danseurs du ballet de l’Opéra de Paris, présenté sur nos écrans peu de temps avant le thriller psychologique d’Aronofsky? Il est vrai que les représentations véhiculées par le cinéma hollywoodien frappent davantage l’imaginaire, qu’elles soient réalistes ou non. Toutefois, le souci qui ronge manifestement les journalistes traduit une crainte, celle que le public confonde clichés et réalité, et révèle de surcroît qu’ils sous-estiment gravement l’intelligence et le jugement de celui-ci. Un article du quotidien The Independent révélait d’ailleurs que l’omniprésence du ballet à la télévision comme au cinéma, notamment grâce à Black Swan, a provoqué un engouement sans précédent pour les leçons de danse, les représentations de Casse-Noisette et même le style vestimentaire des ballerines. Grands dieux! Serait-ce parce que le public de Black Swan est soudainement envahi d’une fascination malsaine ou d’un goût pour la démence? x

Pour être honnête avec vous, je n’ai pas grand- chose à vous dire cette semaine. Il ne se passe rien de spécial culturellement parlant, du moins dans mon univers. J’ai bien reçu quelques livres et DVDs pour Noël, mais je ne peux pas dire que je les ai vraiment ouverts. Le temps des Fêtes est toujours une période qui m’engourdit, une espèce de triangle des Bermudes dans lequel Le sapin a des boules joue en boucle. Dans cet univers parallèle, on se bourre la face comme on fourre la dinde de farce, on rit, on fait des casse-têtes, on regarde des vidéos de «Christmas Lights Gone Wild» sur Youtube, dans lesquelles les lumières de Noël décorant les maisons de programmeurs informatiques beaucoup trop motivés sont synchronisées au rythme de différentes chansons. On en ressort abrutis, parfois un peu bedonnants, et certainement sans aucune envie de reprendre les cours et de se replonger dans le bain des activités culturelles, car les magnifiques productions de National Lampoon sont aussi puissantes que les drogues dures: plus on en visionne, plus notre cerveau s’acclimate à la niaiserie et en redemande. Ainsi, pour éviter le manque qui suit nécessairement une période d’intense consommation de produits culturels de faible qualité, de même que pour adoucir le rapide et difficile retour à la vie universitaire après seulement deux semaines de répit, je me suis proposé un programme de retour progressif à la culture intelligente. Il serait fou de participer à un marathon

le lendemain d’une méchante brosse. De même, ne nous imposons pas un film indépendant japonais sous-titré après une semaine de «junk TV». Visons plutôt des objectifs réalistes. Je vous propose donc deux bandes dessinées en ligne afin de réhabituer tranquillement votre cerveau à comprendre un humour subtil et recherché. La première bande dessinée s’adresse à mes collègues, mes frères d’armes, mes meilleurs amis, tous ceux qui, comme moi, sont étudiants au cycle supérieur: je vous présente Piled Higher and Deeper: A Grad Student Comic Strip (www.phdcomics.com). Publiée depuis les années 1990 dans le journal étudiant de l’Université Stanford et maintenant diffusée en ligne, cette bande dessinée présente de façon ironique et humoristique la vie d’étudiants au doctorat, procrastinateurs hors pair, ignorés et torturés par leurs directeurs de recherche. Ceux qui, comme moi, ont parfois l’impression que le but des études supérieures est d’extraire de nous tout désir de vivre et de faire de cette activité une carrière retrouveront le sourire en lisant ces planches. Ma deuxième proposition de lecture est Hipster Hitler (hipsterhitler.com), une bande dessinée qui vise à parodier l’ancien leader nazi et le mouvement hipster en fusionnant l’un et l’autre dans un même personnage. Avec des jeux de mots comme «Arcade Fürher», «You Make Me Feel Like Danzig» et «Nuremberg to Williamsburg», Hipster Hitler propose des planches hilarantes qui feront travailler à la fois vos savoirs historiques et anthropologiques (une connaissance du mouvement qui prolifère et s’épanouit dans les quartiers du Mile-End à Montréal et de Williamsburg à Brooklyn est requise). Comme dans toute bonne cure de désintoxication, il y a risque de rechute. J’ai le regret de vous annoncer, chers lecteurs, que j’ai failli à ma tâche : je suis effectivement retombée dans la drogue la plus addictive qui soit: Jersey Shore is back, b*tches. x

Vous désirez participer au journal? redaction@delitfrancais.com

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Arts & Culture

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ARTS VISUELS

Peau, art, hockey et ours Réchauffez-vous à la

Maison de la culture Frontenac qui expose La Peau de l’Ours. Guy L’Heureux Véronique Martel Le Délit

V

La bd de la semaine par Martine Chapuis

16 Arts & Culture

ers 1904, un groupe de collectionneurs décide de rassembler des œuvres d’artistes marginaux et inconnus et de les vendre au bout d’une dizaine d’années. Ainsi, à la fin de la Première Guerre mondiale, la collection La Peau de l’ours réunit des œuvres qui avaient jusque là été rejetées par le milieu artistique. Séduit par l’idée de découvrir le nouveau Matisse, l’ancien sculpteur Robert Poulain convainc les membres de sa ligue de hockey de se joindre à lui dans la collection d’œuvres d’art. L’exposition organisée à la Maison de la culture Frontenac célèbre aujourd’hui les quinze ans d’existence de ce groupe québécois de collectionneurs d’art contemporain. Les œuvres de la collection sont bien trop grandes pour figurer toutes dans les espaces d’exposition de la Maison Frontenac. Robert Poulain a donc choisi les morceaux les plus représentatifs. Le visiteur peut néanmoins feuilleter un cahier de photographies retraçant l’intégralité de la collection. La Peau de l’ours compte une soixantaine de toiles de grands formats. L’ancien sculpteur avoue considérer la peinture comme la forme ultime de l’art. Robert Poulain affirme ne pas voir l’intérêt de collectionner des œuvres de petites tailles et préfère n’acquérir que d’immenses toiles. Contrairement au collectif français du début du XXe siècle, il ne compte pas revendre ses œuvres, ses collègues et lui s’étant trop attachés aux tableaux. Les toiles sont disposées en fonction de leur valeur esthétique. En effet, Robert Poulain mentionne qu’il a disposé, par exemple, Land (2008) de John Ancheta aux côtés de Bruits (1996) de Louise Prescott parce que les lignes et les couleurs de ces deux toiles créaient des rappels et des contrastes intéressants pour l’œil. Outre les toiles de grand format, la collection La Peau de l’ours se différencie d’autres collections privées par sa forte personnalité. Toutes les œuvres de la collection semblent présenter une certaine agressivité. Non pas tant dans leurs propos, mais plutôt dans leur imposante présence, dans le geste vif et sec du peintre et dans l’utilisation de couleurs primaires. Cependant, la taille des œuvres et l’unité de style implicite peuvent créer un certain inconfort chez le visiteur qui n’apprécierait pas les œuvres de très grand format ou l’art contemporain. La collection La Peau de l’ours présente plusieurs exclusivités canadiennes, québécoises et internationales. La collection assemblée par Robert Poulain et ses amis hockeyeurs surprend puisqu’elle propose des œuvres qui s’écartent de la production artistique contemporaine actuellement présentée dans les musées. x

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