le délit delitfrancais.com
Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill.
Bilinguisme lacunaire
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Le mardi 18 janvier 2011 - Volume 100 Numéro 14, le seul journal francophone de l’Université McGill
La porte ouverte depuis 1977
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3480 McTavish (édifice Shatner) Salle B02 mercredi 19 janvier, 17h à 19h gratuit!
Éditorial rec@delitfrancais.com
Volume 100 Numéro 14
le délit
Le seul journal francophone de l’Université McGill rédaction 3480 rue McTavish, bureau B•24 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6784 Télécopieur : +1 514 398-8318 Rédactrice en chef rec@delitfrancais.com Mai Anh Tran-Ho Actualités actualites@delitfrancais.com Chef de section Emma Ailinn Hautecœur Secrétaire de rédaction Francis Laperrière-Racine Arts & Culture artsculture@delitfrancais.com Chef de section Émilie Bombardier Secrétaire de rédaction Annick Lavogiez Société societe@delitfrancais.com Anabel Cossette Civitella Xavier Plamondon Coordonnatrice de la production production@delitfrancais.com Mai Anh Tran-Ho Coordonnateur visuel visuel@delitfrancais.com Raphaël Thézé Infographe infographie@delitfrancais.com Alexandre Breton Coordonnateurs de la correction correction@delitfrancais.com Anselme Le Texier Élise Maciol Coordonnateur Web web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Collaboration Marion Andreoli, Florent Conti, Rosalie Dion-Picard, Justin Doucet, Édith DrouinRousseau, Habib Hassoun, Anthony Lecossois, Luba Markovskaia, Devon Paige Willis, Couverture Victor Tangermann bureau publicitaire 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6790 Télécopieur : +1 514 398-8318 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Gérance Pierre Bouillon Photocomposition Mathieu Ménard et Geneviève Robert The McGill Daily • www.mcgilldaily.com coordinating@mcgilldaily.com Emilio Comay del Junco Conseil d’administration de la Société des publications du Daily (SPD) Emilio Comay del Junco, Humera Jabir, Whitney Malett, Sana Saeed, Mai Anh Tran-Ho, Will Vanderbilt, Aaron Vansintjan, Sami Yasin
L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.
Les opinions exprimées dans ces pages ne reflètent pas nécessairement celles de l’Université McGill.
Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal.Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec). Le Délit est membre fondateur de la Canadian University Press (CUP) et du Carrefour international de la presse universitaire francophone (CIPUF).
Bilinguisme à sens unique Mai Anh Tran-Ho Le Délit
L
e bilinguisme n’est plus qu’une formule de politesse. Voilà la triste révélation que j’ai eue après avoir assisté à NASH 73, la conférence annuelle de la Canadian University Press (CUP). Plusieurs journaux étudiants à travers le Canada se sont donc donné rendez-vous de mercredi à dimanche à Montréal, à l’hôtel Hyatt Regency. Parmi près de quatre-vingtdix journaux, quatorze journaux étudiants francophones font partie de cette association qui se veut coopérative. Seulement sept était présents à la conférence: Le Collectif (Université de Sherbrooke), L’Intérêt (HEC), Polyscope (Polytechnique), Quartier Libre (Université de Montréal), Le Réveil (Collège universitaire de St-Boniface), La Rotonde (Université d’Ottawa) et Le Délit. En 2004, une proposition était passée pour que la CUP soit complètement bilingue d’ici 2014. Depuis, très peu −pour ne pas dire rien− n’a été fait. Ce n’est que depuis septembre que les quelques journaux francophones impliqués ont entamé un dialogue avec la Presse universitaire canadienne (PUC), et cette fin de semaine marquait la première réunion des journaux francophones pour définir la possibilité et les structures d’un avenir avec la PUC. Cette 73e conférence nationale de la CUP, familièrement nommée NASH 73, était bilingue pour la première fois. Enfin… un bilinguisme plutôt déficient, devrais-je dire. Différents détails avaient déjà titillé mon âme francophone (des erreurs d’orthographe, un manque de cartons de vote pour certains journaux francophones lors de la semi-plénière), mais l’incident de vendredi soir était la goutte qui a fait déborder le vase. Des tweets lancés par plusieurs participants pendant la présentation de Josée Boileau dénigraient la rédactrice en chef du quotidien Le Devoir. Un faux compte Twitter a même été créé au nom du Devoir pour alimenter cette présentation aux allures de Lost in Translation. Le Délit, secondé par The McGill Daily, a alors rédigé une proposition présentée à la plénière dimanche pour qu’il soit résolu que le personnel administratif de la CUP cesse de suivre le faux compte Twitter (maintenant effacé), qu’une utilisation respectueuse des médias sociaux soit insérée dans le prochain code de conduite de NASH et avec une attention particulière au #nash74, et que la CUP rédige une lettre d’excuses à Josée Boileau et au Devoir. La première intervention au micro par un rédacteur du journal The Peak de l’Université Simon Fraser a été «It was fun. Calm down.» Un fossé s’était définitivement creusé entre la perception de l’événement et ce qu’on en attendait, et il n’était pas que spatial −les journaux francophones étaient assis d’un côté de la salle et les journaux anglophones, à l’autre extrême. Quelques personnes ont également confirmé qu’elles trouvaient que ces propos étaient irrespectueux et que cela projetait une aura de non professionnalisme et compromettait la réputation de la CUP. La proposition a heureusement été adoptée par un vote de 22 contre 16. Un certain nombre de journaux trouvaient donc tout de même qu’on en faisait trop et que cette résolution (vue comme une tentative de contrôle) d’adopter un certain jugement dans les tweets brimait la liberté d’expression.
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Il était non seulement triste de s’apercevoir que ces futurs journalistes ne voyaient pas ou refusaient de voir la différence entre une critique objective (nul ne leur reprochait de ne pas avoir aimé la présentation donnée par Josée Boileau) et un commentaire dénigrant impertinent, mais également de voir l’arrogance mal dissimulée de certains. Le dialogue de sourds ne s’est pas arrêté là, au début de la discussion sur les frais d’adhésion à la CUP. Il faut expliquer que les journaux francophones ont été invités à se joindre à la CUP sans avoir à payer de frais, bien que considérés comme membres à part entière. Ceci est tout à fait acceptable et logique, puisque les services qu’offrait la CUP (un fil de presse, des ateliers et des conférences) étaient strictement en anglais. Toutefois, les journaux anglophones jugent depuis quelques années que les journaux francophones devraient à présent payer. Il faut rappeler ici qu’avant cet automne, les services n’existaient pas vraiment en français et que bon nombre de journaux ignoraient même l’existence de la CUP/PUC. Il a finalement été décidé en session plénière que les journaux francophones devraient désormais payer un quart des frais d’adhésion (selon leur budget), que ceux-ci seront réévalués chaque année et qu’une conférence nationale bilingue devra être tenue au minimum tous les quatre ans. Ces deux propositions, surtout la dernière, sont aberrantes. Dans un premier temps, parce que la majorité des rédacteurs de journaux étudiants, sinon la totalité, ne gardent pas leur position aussi longtemps, et, de surcroît, parce qu‘un diplôme de premier cycle au Québec dure en moyenne trois ans. Une adhésion à la CUP serait alors plus un apport individuel pour ceux qui participeraient aux conférences qu’un investissement à long terme pour les journaux eux-mêmes. Dans un deuxième temps, la tenue d’une conférence bilingue tous les quatre ans
et d’une conférence régionale francophone chaque année à laquelle ne participeraient que les journaux francophones n’équilibreraient pas les frais que ces derniers devraient payer. Il coûterait bien moins cher à un journal de se retirer de la PUC et de permettre à des rédacteurs d’assister à d’autres activités telles les conférences organisées par la FPJQ (Fédération professionnelle des journalistes du Québec) ou de l’AJIQ (Association des journalistes indépendants du Québec). Avec l’argent économisé, les journaux étudiants francophones pourraient ainsi améliorer leur situation financière précaire, les publicités se faisant de plus en plus rares, inutile de le souligner. Les services judiciaires de fil de presse et de partenariats possibles sont intéressants, mais ne répondent pas aux besoins des journaux francophones. Malgré le succès certain de cette première conférence nationale bilingue (d’excellents conférenciers y ont participé, des interprètes ont été embauchés et des bénévoles ont été mis à profit pour faire de la traduction chuchotée), les nombreuses traductions infidèles −notamment la traduction du titre «Bilingualism Plan» par «La Bilingualisme» alors que le bilinguisme était justement l’un des objectifs de cette conférence− et l’atmosphère générale des cinq journées de NASH73 m’ont déplu. Enfin, la CUP a beau dire vouloir être bilingue, ce désir de bilinguisme s’est avéré être davantage dans un sens que dans l’autre. Les diverses réactions péjoratives, irrespectueuses et arrogantes de la part de certains anglophones, et non reprochées par la direction de la CUP, m’ont découragée et m’apparaissent symptomatiques du fossé qui nous sépare et de l’effort artificiel que font certains pour promouvoir et pratiquer le bilinguisme. À quel prix et jusqu’où dois-je m’avancer sur le pont avant que les anglophones ne me tendent la main? x
Sandy Chase
Éditorial
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Actualités actualites@delitfrancais.com
CAMPUS
Du beurre dans les épinards
McGill va revoir à la hausse la proportion d’étudiants à la maîtrise et au doctorat par rapport au nombre d’étudiants au baccalauréat. Anthony Lecossois Le Délit
L
e plan pluriannuel d’admission de l’université met l’accent sur le recrutement des étudiants post-baccalauréat. Que ce soit dans le cadre de sa stratégie marketing ou de ses décisions d’admission à proprement parler, l’université veut donc attirer des étudiants-chercheurs. Si, au premier abord, on peut s’étonner que Zach Newburgh, président de l’AÉUM, soutienne une initiative qui réduirait la pro-
portion des étudiants qu’il représente au sein de l’université, celui-ci explique que ce sera à leur avantage. En effet, il estime que cette stratégie «permettra d’augmenter le nombre de citations dans les revues académiques et donc le rang de l’université dans les classements internationaux». C’est dans ce même souci de réputation internationale que la principale Heather MunroeBloom expliquait lors du dernier forum de l’université (les fameux Town Halls) en novembre dernier et lors de son rapport annuel au Sénat qu’elle souhaitait augmen-
ter l’effort de recherche de McGill. La proportion d’étudiants à la maîtrise et au doctorat oscille actuellement autour des 20%. Le Délit s’est procuré le Plan de gestion stratégique des recrutements pour la période 2011-2016. Ce document décrit les différentes orientations que l’université va prendre dans les cinq prochaines années pour tout ce qui a trait aux admissions de nouveaux étudiants. Y sont décrites les régions cibles (la Californie ayant une population plus jeune, il est prévu de développer ce “marché”) mais aussi la diversité sociale des étu-
diants que l’université à l’intention d’admettre à ses différents programmes. Si aucun chiffre n’est donné, il y est question d’organiser des visites guidées spécialement dédiées aux étudiants post-bac, de “donner les outils aux enseignants pour qu’ils puissent développer le recrutement lors de leurs déplacements professionnels à l’étranger (conférences, etc.).” On a longtemps accusé l’administration de considérer les étudiants au baccalauréat comme des vaches à lait permettant de
financer les programmes de maîtrise et de doctorat qui rapportent bourses, prix et autres mentions. Quoi qu’il en soit, un étudiant à la maîtrise coûte cher et l’administration ne peut se permettre d’augmenter leur proportion de façon trop importante au risque de ne plus être en mesure de leur fournir des conditions de recherche satisfaisantes. Une réalité dont l’université est bien consciente, en témoigne cette note de bas de page: “La répartition des admissions sera sujette aux considérations d’ordre financier”. x
Venez nous voir les lundis au B-24 de l’édifice Shatner! La porte est toujours ouverte.
4 Actualités
xle délit · le mardi 18 janvier 2011 · delitfrancais.com
BILLET
Crise haitienne. Chercher les causes historiques. Justin Doucet
O
ù en sommes-nous? Disons que les progrès ont été modestes depuis l’année dernière. Les donateurs internationaux ont promis de donner 5,3 milliards de dollars pour venir en aide au Haïtiens, mais jusqu’à présent, seuls 1,2 milliards des fonds leur ont été alloués… Et Médecins Sans Frontières (MSF) déplore un manque d’outils médicaux sur le
traitement diminue progressiveterrain. Le choléra, qui a fait 3 759ment. Bilan: un séisme dévastateur; morts depuis que la maladie a éclaté en octobre, continue à fairedix à onze millions de mètres cudes ravages. La porte-parole debes de décombres à évacuer; quelL’Organisation Mondiale de laques 300 000 morts; une épidéSanté, Fadela Chaib, a affirmé jeudimie de choléra; des organisations dernier que l’épidémie n’avait pashumanitaires concurrentes plutôt encore atteint son point culminant,que coopératives; et finalement, le le taux de mortalité n’ayant toujoursretour d’un dictateur sanguinaire pas baissé. MSF est plus optimiste etexilé depuis vingt-cinq ans, Jean annonce aujourd’hui que le nom-Claude « Baby Doc » Duvalier. Comment Haïti en est-il arribre d’admissions dans les centres de vé à ce point? Est-ce simplement de la malchance? Un bref examen de l’histoire haïtienne s’impose. Au XVIIIe siècle, la Perle des Antilles était un comptoir de sucre et de café extrêmement lucratif pour les colons français. Inspirés par la révolution française de 1789, les esclaves se révoltèrent et déclarèrent leur indépendance en 1804. Les Haïtiens payèrent chèrement leur liberté –150 millions de francs-or, pour
être exact. En 1825, la France exigea une indemnité pour ses pertes économiques (équivalente à 20
«
Le droit international reconnaît le nécessité de prendre en compte la nature du régime qui a contracté les dettes et l’utilisation qui a été faites des fonds versés. Cela implique une responsabilité des créanciers, tels les organismes privés ou les institutions financières internationales» milliards de dollars aujourd’hui). Acculée par quatorze vaisseaux et 500 canons français, forcément, la nouvelle république acquiesça. Cet endettement est un boulet qu’Haïti traîne toujours aujourd’hui. La dette haïtienne fut pleine-
ment acquittée en 1947. Pourtant, l’endettement de la Perle a continué au cours du XIXe siècle. De 1957 à 1986, la famille Duvalier fit régner un régime autoritaire dispendieux qui laissa le pays plus pauvre que jamais. On estime que 45% de la dette actuelle d’Haïti est attribuable à un détournement de fonds de la part des Duvalier. Cet endettement, responsable de l’extrême précarité économique haïtienne, s’élève aujourd’hui à plus d’un milliard de dollars. C’est cet endettement qui a empêché le progrès du pays depuis près de 200 ans. C’est également cette dette qui explique l’ampleur du désastre qui a envahi Haïti il y a un an. Les infrastructures de santé et de transports, qui devraient servir lors d’un désastre naturel, étaient déjà compromises ou désuètes, voire non existantes. Le tremblement de terre et l’épidémie n’ont fait que souligner ce triste constat. x
CHRONIQUE
Gros mois de janvier Francis L.-Racine | Le franc-parleur
La Croix-Rouge Amercian Red Cross/Talia Frenkel (IFRC)
Il y a un an, LE MOIS de janvier avait été monopolisé dans les médias par le séisme en Haïti qui avait rappelé au monde entier la fragilité de ce petit État des Caraïbes, mais aussi de la vie humaine. Cette année ne coupera pas à la tradition. En effet, ce moisci a été assez chargé côté politique. Non pas au Québec, mais bien dans le monde entier avec plusieurs événements importants sur trois continents différents. Le premier affectera sûrement la politique française. Il s’agit de l’élection de la fille de Jean-Marie Le Pen, Marine Le Pen, comme présidente du Front National. Il n’est pas question de pointer du doigt les idéologies du Front National, mais bien de féliciter une femme de conviction de son ascension au sein d’un parti politique sans discrimination positive. xle délit · le mardi 18 janvier 2011
Le deuxième est une grave tragédie qui s’est passée en Arizona où une représentante démocrate a été assassinée par un tireur fou déclenchant une foudre médiatique. En effet, les médias américains se sont acharnés sur la nouvelle elle-même, mais, malheureusement, sur un gros n’importe quoi de l’ancienne gouverneure de l’Alaska, Sarah Palin, qui jugeait utile de démentir tout lien avec cette tragédie. Sérieusement, comme si on avait pensé que les républicains étaient derrière le coup! Un peu de sérieux. Le troisième connaît un dénouement exceptionnel. L’Europe a connu les révolutions des œillets et de velours; nous allons maintenant pouvoir compter la révolution du petit peuple en Tunisie. Loin de moi l’idée de juger de la petitesse du peuple tunisien. Le petit tient au fait que ce sont des gens ordinaires qui ont jugé leur condition insensée et qui se sont révoltés contre la sourde oreille du gouvernement central. Ce faisant, ils ont, grâce au support de l’armée, pu renverser les autorités en place et condamner à l’exil le dictateur en place depuis 23 an Le quatrième est un coup de théâtre. En effet, les efforts de reconstruction en Haïti trainent des pieds, et le second tour des élections présidentielles sont reportées à quelques semaines de la fin du mandat de l’actuel président Préval. Le choc arrive ici. Hier, le monde entier a appris
que l’ancien dictateur d’Haïti, Jean-Claude Duvalier, alias Bébé doc, avait pris un avion de Paris en direction de Port-Au Prince. Mission: venir aider son pays à sortir de l’impasse politique et de l’impasse de la reconstruction. L’accueil est mitigé autant en Haïti que dans la communauté internationale, espérons et croisons les doigts pour que cette arrivée soit fructueuse pour la population et pas pour les coffres privés de l’ancien dictateur. Le mois de janvier n’est pas encore fini qu’il nous réserve encore des surprises: rapport de la commission Bastarache et autres. Ce qu’on ne dit pas avec ce rapport et surtout ce que M. Bellemare ne dit pas, c’est que, s’il n’a pas le droit à une copie, c’est parce qu’il ne portera aucun blâme. C’est un principe fondamental des commissions d’enquêtes. Cette information aurait dû être transmise aux autres médias avant leur folie meurtrière de l’automne… C’était presque aussi suivi par TVA qu’Occupation Double au nouvelles de 18h. Bref, l’année sera remplie de nouvelles croustillantes, mais le moment le plus important de l’année sera le 29 avril prochain. Je vous enverrai un événement Facebook. L’endroit: Westminster Abbey. Je ne vous en dis pas plus, ça sera un mois d’avril chargé, mais contentonsnous de notre gros mois de janvier! Il faut savoir apprécier les bonnes choses dans la vie: la démocratie! x
Actualités
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http://princearthurherald.com
Contre
Restons humbles, restons étudiants Florent Conti
L
e petit monde mcgillois a récemment découvert la modeste entreprise de quelques jeunes étudiants en mal de reconnaissance: le Prince Arthur Herald. N’ayez crainte, il n’y a pas de quoi être impressionné par ce titre, tout imposant et voyant qu’il soit. Tout cela reste confiné sur la toile Internet qui sait si bien créer d’éphémères microphénomènes. Cependant, nous avons tout de même quelques problèmes avec ce projet. Avant tout, il se définit explicitement comme conservateur. Sans vouloir juger nos amis étudiants qui prennent si hâtivement des positions politiques radicales, cette opération semble excessivement exclusive. La marque d’esprit ici aurait été de conserver une ambiguïté idéologique. Apparemment, c’est une idée de génie que la caste de la rue Prince Arthur n’a pas eue. Non, il leur a paru plus intéressant d’exacerber les différences idéologiques qui nous séparent, nous pauvres étudiants. Il leur a paru légitime de se
Pour
déclarer LA source alternative d’information à McGill. Or, qui, d’autant plus des individus au biais évident, peut prétendre à un tel statut? L’énormité s’est poursuivie quand le sous-titre de ce blogue déguisé en journal d’informations est passé d’un modeste «McGill’s premier news source» au plus présomptueux «Canada’s premier news source». Quant au premier article, qui se veut la base éditoriale fixant l’idéologie du groupe, son titre s’est subtilement métamorphosé d’une question modérée –«Why McGill needs the Herald?»– en une affirmation plutôt ambitieuse: «Why Canada needs the Herald». «La grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf», vous connaissez l’histoire… Les ambitions pancanadiennes du site Internet, bien que justifiées, peuvent donc paraître assez présomptueuses. On ne leur souhaite qu’un avenir grandiose, mais tristement, il ne paraît pas si probable que ce blogue obtienne beaucoup de succès (bien que ses instigateurs en soient persuadés). Les petits Prince-Arthuriens ont créé
ce Herald en omettant que Herald signifie «messager» et sous-entend donc une bienveillance de la part de l’auteur vis-à-vis de son lecteur. À défaut de réelles opinions alternatives sur la vie universitaire et sur la vie en général, leurs articles risquent de devenir un amas de prêchi-prêcha, un ramassis de discussions de café. «Un latté, s’il-vous-plaît.» Nous ne pouvons qu’encourager les étudiants à avoir un esprit critique. Néanmoins, la création si spontanée de ce petit cahier de doléances étudiantes ne semble pas être la source d’un réel apport critique et constructif. En effet, nous ne voulons pas d’un nième tas de textes réactionnaires réchauffant de faux débats. Malheureusement, comme pour tous les autres blogues, nous en lirons des micro-polémiques, nous y verrons des tempêtes dans des verres d’eau. Beaucoup d’eau. Beaucoup de verres. Toute cette affaire ne représente qu’une seule et unique chose: l’état de notre société de jeunes universitaires, l’in-
carnation d’une génération qui veut exister trop tôt. Autrefois, les esprits les plus brillants patientaient avant d’avoir la prétention de se démarquer. On devait prouver son excellence et ses capacités d’analyse. Mais l’internet a bouleversé tout cela. Aujourd’hui, nous souhaitons tous être de grands esprits avant de nous en être construit un. Cette impatience se double de la facilité avec laquelle nous pouvons donner notre opinion à tout va. La marque de génie ici aurait été de rester humble, discret, d’éviter une cacophonie inutile. Ainsi serait permise notre véritable évolution intellectuelle, à nous tous, étudiants. Non pas comme ces ambitieux de la rue Prince Arthur, ostentatoires et bruyants, nous devrions garder le silence pour mieux réfléchir et pour grandir intellectuellement. On assume souvent, et avec raison, que le silence est la plus grande des sagesses. Réjean Ducharme disait «Le silence, c’est quand personne n’écoute». J’ajouterai «c’est quand personne ne lit». Laissons le Herald silencieux. x
Laissons la chance au coureur Alexandre Breton
M
cGill est un repaire d’activistes radicaux de gauche contrôlant les journaux et les associations étudiantes, menaçant et terrorisant la communauté conservatrice de l’université. C’est le tableau que brosse «Why Canada Needs The Herald», l’article d’introduction du nouveau journal Prince Arthur Herald. Sérieusement? Je conseillerais amicalement à l’auteur d’aller faire un tour sur le campus de l’UQAM et —s’il n’y succombe pas d’une crise cardiaque— d’être plus parcimonieux avec les hyperboles en en revenant. Il est difficile de trouver plus modéré que McGill. Je passe ensuite à un second article, au sujet d’Israël et de la gauche. Je suis heureux que le sujet soit abordé de front, et j’espère y trouver de bons arguments en faveur d’Israël. Au contraire, Russell SitritLeibovich me réserve un plaidoyer démagogique, intellectuellement malhonnête et franchement indigne d’un journal universitaire. Après deux articles, je suis prêt à jeter l’éponge. Pourtant, par curiosité (morbide?), je parcours quelques autres rubriques. Et voilà que je suis agréablement surpris:
6 Actualités
Le rédacteur en chef, Brendan Steven Gabriel Ellison-Scowcroft
Borja de Arístegui Arroyo y a écrit un article intéressant et nuancé sur les Chrétiens victimes de violence au Moyen-Orient; Jess Weiser y signe un billet sur la tuerie de Tucson pour lequel j’aurais plusieurs objections à formuler, mais qui illustre bien mon malaise quant à la manie des médias de politiser l’acte d’un déséquilibré; Jon McDaniel y a publié un article solide
au sujet du classique de Mark Twain, qui s’est récemment vu charcuté sur l’autel de la rectitude politique. Tout cela pour dire que le Herald a finalement piqué mon intérêt. Un journal conservateur me paraît nécessaire, non pas parce que j’en partage les préceptes, mais précisément parce que je ne les partage pas. La beauté de l’environnement universitai-
re, c’est justement de confronter des idées les unes avec les autres et de remettre en question les partis-pris que l’on traîne avec soi depuis belle lurette. Lire des articles qui confortent sans cesse ses propres opinions —si avisées soient-elles— est intellectuellement abrutissant. Le danger d’un journal explicitement associé à un courant politique, par contre, est de se transformer en un simple véhicule idéologique et partisan. Le piège est de procéder à l’envers; amorcer d’abord une réflexion sur des positions idéologiques figées, puis tenter de les justifier coûte que coûte, quitte à donner dans la démagogie et l’hyperbole. Si le Herald est capable d’éviter ces écueils à l’avenir, s’il est en mesure de proposer des analyses intelligentes et réfléchies, s’il peut s’inspirer de fondements philosophiques solides —et non d’une ligne de parti—, alors je crois qu’il a sa place sur le campus et je serai l’un de ses lecteurs. Cependant, si j’y lis des articles du style «Le mariage, c’est entre un homme et une femme parce que la Bible le dit», «Israël est gentil et les Arabes sont méchants» (ou l’inverse, peu importe) et «Les gauchistes extrémistes envahissent le campus», alors j’irai voir ailleurs. x
xle délit · le mardi 18 janvier 2011 · delitfrancais.com
BILLET
Excellence et accessibilité pour le système d’éducation québécois Le 6 décembre s’est tenue la rencontre des partenaires de l’éducation afin de discuter de financement universitaire. Les recteurs ont applaudi, et les étudiants ont claqué la porte; mais la hausse est-elle un objectif en soi? Comment doit-on s’y prendre pour régler le problème du sous financement chronique du réseau universitaire québécois? Francis L.-Racine
P
remièrement, il s’agit de savoir si la hausse des frais de scolarité est un objectif en soi. La réponse est non. En fait, c’est plutôt un moyen d’atteindre des standards d’excellence des institutions postsecondaires québécoises. À vrai dire, la question à se poser est: Comment conjuguer la «hausse des frais de scolarité» avec le principe d’accessibilité des études postsecondaires pour tous les Québécois? Pour répondre à cette question, regardons les deux acteurs impliqués: l’État et les étudiants. En effet, l’État ne peut se désengager de son rôle dans l’éducation postsecondaire, car l’éducation est un bien public dont la société entière devrait pouvoir bénéficier. Les étudiants sont les premiers bénéficiaires d’un meilleur réseau d’éducation et leur formation est un investissement en capital humain rentable, mais la situation financière des familles québécoises ne doit en aucun cas être un obstacle à la poursuite des études supérieures. À partir de ces prémisses, il faut fixer le pourcentage de contribution, c’est-à-dire le niveau relatif de contribution du gouvernement et des étudiants à un niveau socialement acceptable. Il s’agit de savoir quel pourcentage du coût du service éducationnel doit être financé par l’étudiant
et par l’État. Si une hausse survient dans dix ans, elle doit être absorbée de manière proportionnelle au niveau de contribution fixé par les étudiants et le gouvernement, car l’éducation est une des missions fondamentales du gouvernement dont il ne peut se désengager. Après la fixation du taux socialement acceptable, il faut hausser les frais de scolarité pour atteindre ce pourcentage; et cette hausse doit être envisagée, car il s’agit d’un signal important. Au Canada, la contribution étudiante est en moyenne de 25%, tandis qu’au Québec elle est de 12,7%. Finalement, pour s’assurer du respect du principe d’accessibilité, il faut se doter d’un mode de remboursement proportionnel au revenu (RPR) accessible à tous les étudiants. Il s’agit d’une forme de remboursement des prêts étudiants fondé sur la capacité financière d’une personne à s’acquitter de sa dette d’études. En fait, il permettrait à n’importe quel étudiant de rembourser la différence entre ses frais de scolarité actuels et ceux qui lui seraient facturés après une hausse seulement au moment de son entrée sur le marché du travail. Le système du RPR donne plus de souplesse dans le remboursement de la dette, puisqu’il réduit le risque d’étudier dans un domaine où la rentabilité ou la réussite est incertaine. En somme, le RPR assure une accessibilité
dans l’éventualité d’une hausse des frais de scolarité. Toutefois, il est primordial que tout l’argent supplémentaire versé par les étudiants en frais de scolarité soit exclusivement réinvesti dans l’éducation postsecondaire de manière à avoir un réel impact sur la qualité de la formation offerte. Deuxièmement, le réseau universitaire québécois est affecté par les problèmes liés au manque d’investissement en infrastructures du savoir et par la dégradation de l’environnement universitaire québécois. Ici, l’accent est mis sur le milieu universitaire et sur la participation du secteur privé au financement des universités au Québec. C’est un peu comme pour le séisme en Haïti, pour lequel le gouvernement fédéral avait promis d’égaler les dons faits par le public pour venir en aide aux sinistrés. Ici, le système s’inscrit dans la même logique. Les investissements du secteur privé dans les universités québécoises doivent se faire de façon volontaire et surtout équitablement. Également, le gouvernement devra s’engager à investir dans le réseau postsecondaire un certain pourcentage de chaque dollar reçu en philanthropie par le milieu universitaire. Ce pourcentage gouvernemental des fonds irait dans un fond collectif, dont la somme totale serait redis-
tribuée équitablement à toutes les universités pour financer les investissements en infrastructures. Et pour inciter le secteur privé à investir, un retour en crédits d’impôt serait accordé. L’objectif de cette philanthropie est de financer les infrastructures vétustes des universités. En somme, la vitalité de l’éducation supérieure et la qualité du capital humain québécois doivent se faire autour d’un objectif d’excellence et d’accessibilité au réseau universitaire. C’est pourquoi chacun des acteurs doit y mettre du sien, tant au niveau de l’État par un RPR, qu’aux étudiants par leur engagement financier dans l’investissement de toute une vie, que du milieu universitaire pour utiliser ces nouvelles ressources avec rigueur et discernement, et du privé par des incitatifs permettant le financement des infrastructures, car il bénéficie d’une main-d’œuvre plus qualifiée. Ainsi, la hausse n’est pas un objectif en soi, mais un moyen pour parvenir à l’excellence de notre réseau universitaire, pour attirer les meilleurs professeurs, avoir du matériel à la pointe de la technologie, rehausser la renommée de nos universités, attirer les cerveaux et éviter le départ des meilleurs étudiants. Le tout pour assurer la survie et l’accessibilité du réseau d’éducation publique pour les générations futures. x
Politique internationale
Manifestation à Montréal La communauté tunisienne s’est rassemblée pour appuyer le mouvement révolutionnaire.
Protestations en Tunisie
Des milliers de Montréalais d’origine tunisienne ou tout simplement des militants pour la démcoratie se sont rassemblés lors d’un grande marche de soutien au mouvement de contestations en Tunisie contre le régime dictatorial de Ben Ali. La manifestation s’est tenue au Square Dorchester et s’est dirigée à travers le centre-ville de la métropole. La manifestation de cette fin de semaine dernière s’inscrit avec les autres à travers le monde pour un appui grandissant à cette révolution qualifiée de Révolution de la rue. Espérons que la démocratie s’installe sans heurts.
Mathieu Santerre
Vous voulez la vérité? Enquêtez pour la section Actualités! actualites@delitfrancais.com
xle délit · le mardi 18 janvier 2011 · delitfrancais.com
Actualités
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Société societe@delitfrancais.com
Dans la p des franc Devon Paige-Willis Le Délit
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Raphaël Thézé
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xle délit · le mardi 18 janvier 2011 · delitfrancais.com
’étais un peu en retard pour mon cours du jeudi matin. Sortie la veille pour l’anniversaire d’un ami, je n’aurais pas été capable de me lever si je n’avais pas eu une bonne tasse de café à boire. Je suis donc arrivée à l’université en courant, avec du café dans ma grande tasse Banff Tea Company, à l’heure exacte où le cours commençait. C’est lorsque je me suis assise à côté de mon ami qu’il s’est exclamé: «Je ne comprends pas comment vous, les Québécois, vous faites pour boire autant de café!» Installée à Paris pour la session, je me suis rendue compte dès le début que le déjeuner, le «p’tit déj’», ne se prenait pas en route, en France. Boire un super-extragrand-café-Second-Cup-avec-un-muffin et grignoter des fruits ou une barre granola ne se faisait pas non plus en plein cours. Comme me l’a expliqué Adeline Bibet, Parisienne en échange cette année à McGill: «Le petit déjeuner est pris à la maison, assis, tranquille». De plus, les gens vont dans des cafés vers 16h, jamais seuls. Le seul café où les gens se posent pendant des heures pour travailler, c’est le Starbucks. À Paris, contrairement à Montréal, la faune étudiante ne monopolise pas les Second Cup, les Press Café ou autres Java U. Les étudiants travaillent chez eux et parfois, à la bibliothèque. Par contre, il n’y a pas de bibliothèques ouvertes les dimanches, et elles ferment toutes vers 21h pendant la semaine, à 17h le samedi… ce qui m’a obligée à trouver un autre espace pour étudier. Je me suis retrouvée à plusieurs reprises au MacDo –ouvert jusqu’à minuit tous les jours de la semaine, et où l’on trouve du Wifi et des espressos à deux euros. Trouver une niche où s’installer et étudier est essentiel pour tout étudiant en échange. Lauriane Gabelle, à McGill pour la session tout comme Adeline, explique que la bibliothèque de McGill est super, car «les espaces sont plus grands, et qu’en général, il y a plus de place pour les étudiants, et plus d’ordinateurs que dans la bibliothèque de Sciences Po, à Paris.» Non seulement Adeline et Lauriane aiment bien les bibliothèques de McGill, mais elles aiment aussi la grande variété de cours qu’on y offre et la vie étudiante mcgilloise. Lauriane danse le swing, et Adeline
peau ncophones Une incursion dans la réalité des Français de France et des Québécois francophones sur le campus. en profite pour prendre des cours «pay as you go» au Centre sportif, ainsi qu’un cours de yoga. Bien qu’elles aiment la ville de Montréal, les bibliothèques du campus, la vie étudiante et les cours offerts à McGill, un élément particulièrement important de leur culture leur manque: la nourriture. «Du fromage, du pain et de la charcuterie!» s’exclame Lauriane. Quant à Adeline, elle ajoute que les friandises que l’on grignote entre les repas, comme les gaufres, lui manquent aussi. La nourriture nord-américaine, en plus de ne pas satisfaire complètement leurs attentes, coûte très cher sur le campus. «À l’université, à Paris, un dîner complet, sandwich de la boulangerie, fruit ou yogourt et boisson, se vend pour pas plus de trois euros. De plus, il existe un système de Restos Universitaires, des cafétérias pour les étudiants, où pour 2,85 euros, on a une entrée, un plat principal, du fromage, un fruit, un dessert et une boisson», explique Adeline. «Ce n’est pas très bon, mais c’est équilibré et vraiment pas cher pour les étudiants!», ajoute Lauriane. Cette dernière est aussi surprise qu’il y ait autant de végétariens à Montréal et apprécie l’initiative de l’association Midnight Kitchen, qu’elle fréquente régulièrement. Lors de leur application universitaire, McGill figurait en tête de liste pour les deux étudiantes parisiennes. La renommée de l’université et la perspective de découvrir le Canada ont convaincu Adeline. Lauriane, quant à elle, souhaitait découvrir un pays anglophone: «L’Australie était trop loin, Londres était trop près. Pour la culture et les paysages, j’ai choisi le Canada plutôt que les États-Unis». De plus, McGill l’a attirée par la diversité de ses cours, particulièrement liée à l’environnement et la vie étudiante.
comme les Français; je me sens plus à l’aise ici qu’à Toronto, par exemple» complète Adeline. Percevant une nette différence entre la gente de Toronto et les Montréalais, elles préfèrent Montréal. Par exemple, elles se sont souvent fait aider dans la rue quand elles étaient perdues, chose que font parfois les Parisiens, mais avec moins d’empressement.
McGill: Un autre monde pour les Québécois francophones? Pour approfondir ce regard sur l’expérience des Français de France à McGill, j’ai parlé avec deux Québécois francophones pour voir comment ils se sentaient à McGill, dans un environnement largement anglophone. J’ai parlé avec Louis-Michel Gauthier, U3 en Sciences Politiques et Économie, de Québec, et Éléna Choquette,
leur langue maternelle, etc. sont tous très similaires.»
mière fois à une école très hétérogène» explique Louis-Michel. Issue d’une petite ville, Lac-Mégantic, Éléna a, quant à elle, vécu un choc quand elle est arrivée à Montréal pour étudier. «Il faut dire que je m’attendais à trouver beaucoup d’anglophones, et que la plupart de mes amis et amies étaient francophones. La seule différence significative demeurait la langue d’enseignement». Est-ce qu’ils sont contents d’avoir choisi McGill? Oui, pour de nombreuses raisons. L’université est «gérée par des cen-
la culture et les paysages, j’ai choisi le Canada plutôt que les États-Unis.»
U3 en Sciences Politiques et Philosophie, de Lac-Mégantic. Être Français de France à McGill ne semble pas être un choc culturel trop grand. Qu’en est-il pour les Québécois francophones qui viennent des régions? Pour LouisMichel Gauthier et Éléna Choquette, deux étudiants de troisième année en sciences politiques, c’est la réputation de McGill, l’opportunité de parfaire leur bilinguisme et
où,pour le meilleur ou le pire, le français et l’anglais se disputent la majorité.» le désir de découvrir Montréal qui a guidé leur choix. «Je n’ai pas vraiment eu de choc culturel, mais j’ai connu des tas de gens qui appartenaient à des dizaines de cultures diffé-
mcgilloise, j’imagine que ça s’explique». En fait, presque 50% des étudiants de McGill ne viennent pas du Québec, alors qu’à l’UQAM, le taux des étudiants non-Québécois est de 6%. Ils ont ajouté que les francophones
« Dans ma ville natale, Québec, tout est plus homogène; les gens se ressemblent et leurs valeurs, leurs principes,
«L’Australie était trop loin, Londres était trop près. Pour
«Montréal est une ville véritablement multiculturelle Les Françaises sont globalement très heureuses de leur échange: «Les gens sont super gentils, très accueillants», assure Lauriane. Accueillants, mais pas trop: «Les gens à Montréal ont aussi de la retenue,
rentes. Dans ma ville natale, Québec, tout est plus homogène; les gens se ressemblent, et leurs valeurs, leurs principes, leur langue maternelle, etc. sont tous très similaires. À McGill, les élèves arrivent des quatre coins du monde et j’ai donc fait face pour la pre-
taines d’étudiants motivés à faire bouger les choses», affirme Louis-Michel. Sa seule critique? «Il n’y a pas beaucoup de liberté intellectuelle dans les cours. Pour être plus précis, si un professeur voit la matière d’une certaine façon, il est pratiquement impossible d’argumenter différemment si l’on désire obtenir une bonne note. J’avais connu cette liberté au Cégep et il était dommage de la voir partir par la suite». Éléna, pour sa part, est d’accord pour dire que le choix et la qualité des cours sont très élevés. «J’ai l’impression que j’ai appris à lire efficacement en anglais, ce qui me permettra de lire plus rapidement à la maîtrise (même si j’étudie en français, l’essentiel de la littérature scientifique n’est pas traduite en français)». D’un autre côté, elle déplore «le manque de mobilisation des étudiants mcgillois lorsque vient le temps de défendre leurs intérêts financiers face au gouvernement du Québec. Mais étant donné la démographie de la population étudiante
avaient une tendance à se regrouper, mais que «malgré tout, je connais beaucoup de francophones à McGill dont les amis sont majoritairement anglophones. Et tout dépendant de mes cours et sessions, je crois aussi avoir été avec des anglophones la plupart du temps» nous explique LouisMichel. Éléna confirme que la réalité des francophones est différente: «Par exemple, ils ne vivent pas nécessairement en résidence puisque la ville montréalaise et la location d’appartement dans un milieu francophone leur sont plus familières. Souvent aussi, ils ont des amis à l’extérieur du campus, et restent moins sur le campus après leurs cours». En ce qui concerne le succès académique, Louis-Michel concède que les conférences peuvent être difficiles pour les francophones, surtout en première année. «Ce ne sont pas les autres élèves cependant qui créent cette pression; c’est nous. Nous pensons que les autres élèves vont nous juger mais finalement, ce n’est pas le cas». Du côté implication sur le campus, c’est plutôt difficile, car la plupart des francophones n’ont pas vécu en résidence. «Je remarque une différence marquée entre les francophones qui ont vécu en résidence et les autres», conclut Éléna. Il semble que l’expérience d’un Québécois «chez-soi» à McGill peut être très différente de l’expérience des autres étudiants à McGill, notamment à cause de la langue d’enseignement. Il reste que McGill offre une expérience tout à fait différente pour une variété de gens, que ça soit pour la langue, les repas, les cours ou la vie étudiante. «Montréal est une ville véritablement multiculturelle où, pour le meilleur ou le pire, le français et l’anglais se disputent la majorité», conclue philosophiquement Louis-Michel. x
Société
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CHRONIQUE
Virus et hémoglobine Raphaël Thézé | Étonnante science vivante. En théorie, n’importe quel élément ayant les mêmes propriétés chimiques peut se substituer à un de ceux-ci, seulement cela n’avait encore jamais été observé jusqu’à ce que la géomicrobiologiste Felisa Wolfe-Simon et son équipe le prouvent. Après avoir isolé la bactérie et l’avoir laissée se développer et se multiplier dans un milieu riche en arsenic, mais dépourvu de phosphate, la composition chimique de la bactérie avant et après l’expérience fut comparée par spectrophotométrie de masse. Conclusion? L’arsenic s’était substitué au phosphore. Cette découverte change entièrement l’approche des scientifiques pour la recherche de nouvelles formes de vies extra-terrestres en plus de fournir des réponses potentielles sur l’apparition de la vie sur Terre. Nouvelle forme de vie Le 2 décembre, la NASA a ébranlé la communauté scientifique en annonçant la découverte d’une nouvelle forme de vie. Malheureusement, il ne s’agit pas de quelques E.T. en visite sur notre planète, mais d’une bactérie, la GFAJ-1, vivant en Californie dans les sédiments hypersalins du lac Mono. Ne soyez pas déçus, cette bactérie fait bien plus que survivre dans un milieu extrême, elle a transformé notre perception de la vie sur Terre. En effet, aussi étonnant que cela puisse paraître, elle est capable d’intégrer dans son ADN de l’arsenic, le poison universel à toute forme de vie sur Terre. La vie telle qu’on la trouve partout autour de nous se compose de six éléments majeurs et essentiels: carbone, hydrogène, nitrogène, oxygène, souffre et phosphore. Ces éléments combinés constituent les acides nucléiques, les protéines et les lipides, formants ainsi l’essence de la matière
Thérapie Génique La bêta-thalassémie est la conséquence d’une mutation génétique sur les gènes de codant, les chaînes bêta de l’hémoglobine. C’est aussi l’une des maladies héréditaires les plus répandues dans le monde. L’hémoglobine, chargée du transport du dioxygène dans le sang, devient dysfonctionnelle et le malade souffre, entre autres symptômes, d’anémie. Un homme souffrant de cette maladie a été traité par thérapie génique avec succès, tel qu’annoncé il y a quelques mois dans le journal Nature, grâce à la collaboration de plusieurs équipes de recherches françaises et américaines. La thérapie génique consiste à insérer un gène médicament dans le code génétique du patient par un vecteur viral rendu inoffensif. En 2007, des cellules souches de moelle osseuse avaient été prélevées chez le patient âgé de 18 ans. Le premier défi a été d’isoler un gène fonctionnel de la bêta-globine, un gène par-
Une découverte révolutionnaire Bruce Wetzel et Harry Schaefer
ticulièrement long et difficile à manipuler, puis il a fallu l’insérer dans un vecteur viral capable de s’introduire au bon endroit. Le candidat est un lentivirus dérivé du VIH et modifié pour être accepté dans le génome. Les cellules modifiées furent injectées au patient et, plus de deux ans après, le gène était présent dans plus de 10% des cellules de la moelle épinière, dont 3% impliquées dans la création de globules rouges. Une grande partie du succès du traitement est probablement due à l’insertion dominante
Le phénomène du chiffre 23... Édith Drouin Rousseau Mass Animal Deaths: voilà le nom d’une nouvelle carte publiée tout récemment sur Google. Celle-ci situe précisément tous les endroits sur le globe où on a pu assister à des morts massives d’animaux. Cette carte est visiblement le résultat d’une tendance que je surnomme «le phénomène du chiffre 23». Cette expression provient de l’ouvrage cinématographique du même nom dans lequel le protagoniste principal associe soudainement tout ce qui croise son chemin au chiffre 23. Très loin de vouloir dénigrer cette initiative, bien qu’elle soit un tantinet cocasse, je tenterai plutôt d’expliquer sa raison d’être. Lorsque des oiseaux tombaient par milliers dans le ciel de Beepee, un petit village des États-Unis situé en Arkansas, les médias se sont précipités pour nous communiquer la nouvelle. «Communiquer» puisque les médias n’en ont fait rien de plus. Tous alimentés par la même source, ils ont suivi la danse en offrant tout d’abord une hypothèse complètement ridicule: les feux d’artifices du nouvel an à Beepee auraient causé l’hécatombe. La seule stratégie en mesure de convaincre des milliers de
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personnes de cette hypothèse était que tous les médias la clament en choeur. Cette mascarade prouve que la diversité des sources est primordiale. Ceci, en plus de la vitesse incroyable à laquelle les informations se propagent, démontre que le journalisme d’investigation n’est plus. Comment peut-on se dire journaliste et tenir pour responsables des événements pyrotechniques de la mort de ces milliers d’animaux? La seule réponse plausible est celle-ci: les médias se contentent de répéter! Une investigation plus développée ne s’est faite qu’à la suite du renouvellement du phénomène en question, comme si la mort de milliers doiseaux ne valait pas la peine de se creuser les méninges en premier lieu. En regardant simplement les reportages d’un oeil critique, sans faire de recherches, plusieurs faits sont d’évidentes incohérences. Ainsi, si les feux d’artifices tuaient les oiseaux, nous aurions beaucoup plus de carnages à notre actif! De plus, il faut noter cette fameuse photo d’un homme, digne d’un remake d’E.T, vêtu d’un vêtement de protection blanc et d’un masque à gaz, cueillant des oiseaux morts. Du
véritable sensationnalisme. Trop de précautions pour des oiseaux tués par des feux d’artifices. Faute d’informations, des gens d’un peu partout dans le monde ont décidé de creuser le phénomène, d’où la fameuse carte de Google. Il est plutôt difficile de blâmer ces individus qui soutiennent des thèses comme celles de complots du gouvernement américain, de l’approche de la fin du monde, d’un lien étroit entre toutes les morts massives d’espèce animales à travers le monde. Ces thèses ont, au moins, le mérite d’être plus développées que celles qui sont présentées dans les médias, aussi inusitées puissent-t-elles être. Offrez-nous de l’information juste et réaliste, ou admettez votre ignorance! Je pense que la mort massive d’animaux n’est pas forcément un phénomène anormal. De tels événements ont déjà eu lieu à maintes reprises dans des régions au Nord peu habitées, mais puisque c’est arrivé à Beepee, les médias se sont sentis pressés de trouver des explications. L’hécatombe doit cependant susciter une interrogation sur la viabilité de l’environnement dans lequel les espèces évoluent. x
Parce que ça vous démange d’écrire:
... où comment remédier à une couverture médiatique médiocre.
societe@delitfrancais.com
BILLET
du vecteur pour certainwes cellules dans le gène HMGA2, impliqué dans la régulation de la prolifération des érythroblastes (à l’origine des globules rouges), causant une surexpression du gène et une multiplication accrue des érythroblastes. Si l’insertion est un succès jusqu’à maintenant, les chercheurs craignent malgré tout que celle-ci ne cause une leucémie en cas d’instabilité en raison de l’implication du gène HMGA2 dans plusieurs types de tumeurs cancéreuses. x
xle délit · le mardi 18 janvier 2011 · delitfrancais.com
Arts&Culture artsculture@delitfrancais.com
Philippe Falardeau (droite) et le comédien Fellag sur le plateau de Bashir Lazhar
CINÉMA
Pascal Ratthé
Le miroir ou l’avant-garde? Le Délit a rencontré le scénariste et réalisateur Philippe Falardeau afin de discuter de son prochain film, Bashir Lazhar, et de la représentation de l’Autre dans le cinéma québécois. Émilie Bombardier Le Délit
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ans la foulée de la sortie de sa comédie politique The Trotsky à Los Angeles, le réalisateur Jacob Tierney avait déclenché tout une polémique dont lui-même n’envisageait pas l’étendue. Le cinéma québécois ne s’intéresse pas à l’Autre, qu’il soit immigrant ou anglophone, avait-il déclaré à La Presse. Plusieurs des œuvres financées, diffusées et récompensées seraient d’ailleurs fondées sur une «glorification de la nostalgie», comme en font foi, selon lui, des films tels que C.R.A.Z.Y, Polytechnique et 1981. Il n’en fallait pas plus pour lancer le débat sur plusieurs tribunes. Philippe Falardeau estil l’exception qui confirme la règle? Certainement pas, vous répondra-t-il, mais quelques signes montrent que les choses vont changer peu à peu. «Doit-on obliger les scénaristes à parler des immigrants? Pas du tout. Mais peut-on dire que globalement nous ne nous intéressons pas aux autres? Oui, parce que c’est un fait. Je ne me sentais pas concerné [par les propos de Tierney], mais je fais partie d’une société qui ne s’intéresse pas aux autres. Incendies est un peu l’exception qui confirme la règle. Et si les gens s’approprient ce film et l’aiment, je crois que c’est parce qu’ils sont impressionnés de voir qu’au Québec on peut faire des films qui se passent ailleurs avec un lien au Québec. Il faut être fallacieux par contre pour penser que deux exceptions prouvent le contraire. Je trouve que là-dessus nous sommes en
retard alors qu’un artiste devrait être en avant de son temps.» Diplômé en sciences politique et en relations internationales, c’est par «La course destination-monde», un concours télévisuel diffusé par Radio-Canada, que Philippe Falardeau a fait ses premières armes au cinéma. Vingt films en vingt-six semaines depuis différentes régions du monde: la compétition qu’il a remportée en 1993 lui a appris les rudiments d’un métier qu’il pratique toujours. Après avoir participé à la production de plusieurs documentaires et présenté Pâté chinois, portant sur l’immigration chinoise au Canada, le réalisateur se tourne vers la fiction au début des années 2000, un peu par hasard. avec La moitié gauche du frigo, qui traite, entre autres, du chômage: «J’ai été voir un producteur pour lui proposer un documentaire et il était plus ou moins intéressé. Il m’a demandé si j’avais autre chose. J’ai répondu que je voulais faire un documentaire sur mon coloc, un ingénieur au chômage, mais il s’était trouvé un emploi, donc c’était tombé à l’eau. [Le film est donc devenu] une mise en abyme de ce que j’ai vécu et de mon métier de documentariste. C’est devenu par accident une première fiction, mais je ne suis jamais revenu en arrière par la suite.» Après sont venus Congorama, une quête identitaire qui se déroule entre le Québec et la Belgique et C’est pas moi, je le jure, adaptation du roman éponyme de Bruno Hébert. Bashir Lazhar s’inspire d’une pièce d’Évelyne de la Chenelière racontant la relation d’un enseignant suppléant algérien avec ses élèves,
xle délit · le mardi 18 janvier 2011 · delitfrancais.com
alors que celui-ci vient de débarquer au Québec pour obtenir le statut de réfugié politique et qu’il remplace une institutrice qui s’est suicidée sur les lieux de l’école. Tout en renouant avec l’univers de l’enfance qu’il explore dans C’est pas moi, je le jure, le cinéaste présente son nouveau film comme une fable réaliste sur le deuil: Bashir Lazhar (incarné par le comédien et humoriste Fellag) veut aider ses élèves tout en cherchant lui même à surmonter la perte de sa propre femme. Le monologue, qu’il a vu mis en scène il y a quelques années, correspondait tout a fait à ce que Philippe Falardeau envisageait pour son prochain projet: «Ce qui m’a frappé c’était que la pièce [était fondée] sur un personnage d’immigrant et que ça faisait longtemps que je voulais faire un film autour d’un tel personnage. Toutefois, la situation d’immigrant ou plutôt de réfugié [de Bashir] n’en était pas le sujet principal. C’était en toile de fond et le drame se passait davantage dans ce qu’il vivait avec les enfants. J’aimais cette idée de faire un film avec un immigrant qui ne soit pas un discours sur l’immigration. J’aimais aussi cette idée d’un personnage qui mentait, mais pour une bonne raison, puisque [le protagoniste] va mentir à l’école en disant qu’il a déjà été enseignant, alors que c’était sa femme qui était enseignante. Il ne ment pas pour un gain personnel, il le fait pour sublimer la perte de sa femme, morte en Algérie. C’est la richesse du personnage qui m’intéressait et le fait que c’était un monologue me permettait de construire un
univers à partir de ce que j’imaginais, ce qui me laissait de la liberté.» Le cinéaste rencontrait Evelyne de la Chenelière après avoir terminé différentes versions du scénario. Sans jamais s’immiscer dans l’adaptation de sa pièce, la dramaturge a donné quelques idées au cinéaste et a surtout fait en sorte que le protagoniste soit fidèlement reproduit à l’écran. Un équilibre idéal Sans être contre les œuvres commerciales et les films de genre, Philippe Falardeau réitère que l’état idéal du cinéma québécois correspondrait simplement à l’atteinte d’un certain équilibre: «Il faudrait clairement un meilleur équilibre entre le cinéma de fiction et le documentaire. Le documentaire ayant fondé notre cinématographie au Québec, [...] il faut continuer de s’assurer qu’il y aura une façon de maintenir un équilibre entre le cinéma commercial et le cinéma d’auteur. Pour l’instant, je pense que cet équilibre est assez bien. Malgré la crainte qu’on a de voir le cinéma s’américaniser, il reste que Maxime Giroux, Denis Côté et Bernard Émond continuent de faire leurs films. Je pense qu’il y aura une fusion plus grande entre le cinéma commercial et le cinéma d’auteur. On l’a vu avec C.R.A.Z.Y., qui est indéniablement un film d’auteur et un film commercial accepté en tant que tel. Et ce n’est pas une mauvaise chose si on continue à financer des œuvres plus pointues.» Il en est tout autant, selon lui, de la représentation de l’identité québécoise dans notre
cinéma, où l’œuvre doit se faire autant le miroir d’une société peu intéressée par l’Autre que par l’avant-garde en représentant une diversité qui est à l’image de la réalité d’ici: «Lorsqu’on dort, c’est rare qu’on rêve tout de suite à l’environnement dans lequel on vit. On continue de se voir dans notre ancien environnement. Le jour où chacun de nos rêves intègre notre nouvel environnement, cela veut dire qu’un certain temps est passé. Le cinéma, on peut le voir comme quelque chose d’avantgardiste ou comme un miroir. Avant que le miroir reflète la société, il est évident qu’il y a un décalage. Je pense que nous avons la responsabilité d’être un miroir mais d’être avant-gardiste aussi. Au delà de ça, je crois que nous avons la responsabilité de faire la meilleure œuvre possible, ce qui émane de nous. Ce qui m’intéresse davantage chez un auteur est sa vision du monde. On devrait intégrer plus intelligemment notre patrimoine. J’ai un problème lorsqu’on me dit qu’il faut faire des films sur nous; l’un n’empêche pas l’autre.» Le débat déclenché par Jacob Tierney continuera sans doute à faire écho dans le milieu cinématographique et sur les tribunes. Philippe Falardeau a d’ailleurs été invité par l’Université McGill à venir expliquer sa vision de l’identité québécoise et de sa transposition sur les écrans le 17 mars prochain aux côtés du journaliste Brendan Kelly, dans le cadre des ateliers «Lunch and Learn» présentés par l’Institut d’études canadiennes de McGill. x
Arts & Culture
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ARTS VISUELS
La suffisance de l’être
Et si la société de demain se libérait de l’économie de masse pour revenir au petit format? Raphaël Thézé Le Délit
L
Ariane Thézé, Remake-up 4, 39 x 59 cm, 2008 Gracieuseté d’Ariane Thézé
’exposition Small is Beautiful, présentée à la Galerie [SAS] et née d’un projet conçu il y a deux ans et demi, invitent plusieurs artistes à reconsidérer leur démarche de travail pour rentrer dans le petit format. La logique initiale des artistes est transformée, leur usage des matériaux, leurs techniques ou leur environnement de travail, modifiés. Cela les amène à se recentrer sur une production plus économique et mieux pensée. L’objectif est d’amener le visiteur à remettre la société en question. L’artiste reconsidère son processus de production, et le visiteur, son mode de vie. Tout est mis à petite échelle: il s’agit d’une micro production, adaptée aux besoins de chacun et utilisant des ressources locales. Le message évoque peut-être les contingences d’une société autarcique, mais sa portée économique est grande. Le petit format invite à un travail de précision, où la qualité prime sur la quantité et où la minutie crée une promiscuité avec l’œuvre. Comme le souligne Frédéric Loury, directeur de la galerie, cet esprit à contre-courant des tendances actuelles n’est pas sans rappeler l’exemple de l’Islande qui possède le taux d’œuvres par
habitants le plus élevé au monde. Ce petit pays –sans rentrer dans un protectionnisme mal placé– a su promouvoir sa production artistique et préserver sa culture en favorisant la vente d’art local. Un monde où règne une approche plus réfléchie de la production ouvre forcément des portes et donne envie d’explorer de nouvelles techniques. Un artiste qui a su accéder à de nouvelles dimensions est certainement Serge Marchetta. À l’aide de fils, il construit des formes géométriques, et joue avec les ombres afin de décupler la dimension de l’œuvre. Une vidéo proposée à l’entrée de l’exposition invite le visiteur à écouter les artistes expliquer en quelques phrases ce qu’est le petit format, selon eux. Leurs commentaires illustrent bien la démarche personnelle de chaque artiste, qui évoquent à chaque fois un aspect différent: une économie d’espace, de dépense, de temps ou même un rapprochement par rapport à l’œuvre. Pour reprendre les mots d’Ariane Thézé, «cela devient un petit format à partir du moment où le spectateur doit se rapprocher de l’œuvre et a une place privilégiée, un point de vue unique. On ne peut pas être deux, c’est une question de regard». Cette artiste, qui travaille essentiellement sur l’autoreprésentation du corps et du visage à
l’écran, nous offre une vision aussi alarmante que fascinante de la mutation de l’image corporelle que notre société subit dans sa recherche de perfectionnement esthétique, alors que l’individu oscille entre être humain et mannequin façonné. Dans une même optique de travail de l’image, Fred Laforge explore les corps atypiques: trisomiques, obèses, poilus… les rejetés de la société. Ils sont transformés par l’artiste qui, à travers la pixellisation de l’image, joue sur la mémoire et fait oublier au spectateur les formes du visage, qui s’effacent jusqu’à en devenir abstraites. La galerie [SAS] a su, une fois de plus, se démarquer par la pertinence de son exposition et la qualité des artistes choisis. Elle sera la seule galerie canadienne présente à la foire internationale d’art contemporain PULSE New York 2011, où elle exposera l’artiste multidisciplinaire Catherine Bolduc. Alors que la galerie [SAS] fait rayonner le potentiel des artistes québécois, ceux-ci partagent élégamment avec nous leurs questionnements sur la place que nous occupons dans la société et sur notre rapport à celle-ci. x Small is beautiful 2 Où: Galerie SAS 372, Ste-Catherine O. Quand: jusqu’au 22 janvier Combien: gratuit
CHRONIQUE
Résolution avortée Rosalie Dion-Picard | Tant qu’il y aura des livres...
Cette année, je n’ai
pris aucune résolution. J’ai toujours eu l’impression qu’une résolution de nouvelle année était, par définition, vouée à une mort certaine quelque part en février. Tous les employés de centres sportifs ou de restaurants fast food vous le diront. Voilà pourquoi l’énoncé «en 2011, je veux améliorer ma culture générale» me semble empreint d’une naïveté à la fois touchante et un peu bête. D’autant plus que, comme nous l’avons tous constaté à un
12 Arts & Culture
moment ou à un autre au cours de nos études, plus on en apprend sur une question en particulier, plus on réalise l’étendue de son ignorance. Voilà un paradoxe dans lequel quelques professeurs m’ont sans complexe affirmé nager, ce qui m’a beaucoup rassurée («Ainsi, je ne suis pas seule!» me suis-je écriée, en extase, dans un bureau lambrissé du pavillon des Arts). Raison pour laquelle j’ai été étonnée de surprendre cette conversation entre deux individus ayant étudié au moins autant que moi: «Toi, t’as quand même une bonne culture générale. - Non, je ne crois pas… Je veux dire, il y a beaucoup de choses à connaître, et j’en connais si peu… D’ailleurs c’est quoi, la culture générale?» Question fondamentale s’il en est une. Qu’est-ce que la culture, en général? Tous les arts, toutes les littératures, de toutes les époques –et encore, on ne parle pas de culture scientifique ou historique... Qui, vraiment, peut se vanter d’avoir
une assez bonne base de connaissances sur, en général, toute? S’il est une part de fausse modestie dans ce déni, j’ose affirmer que c’est surtout une question d’exactitude; ayant un minimum de culture, on est vite mis face à l’évidence que, pour avoir un peu de culture sur tout en général, il faudrait avoir plutôt deux vies qu’une. Puis, on arrive au problème de la mesure: comment quantifier la culture? (À part à l’aide d’un test sur Facebook, s’entend.) On savait déjà que «la culture, c’est comme la confiture». C’est aussi un peu comme le sens esthétique: quelqu’un qui dit avoir beaucoup de goût n’en a généralement pas. Tout comme ceux qui prétendent aimer les longues marches en forêt, les couchers de soleil et le cinéma, mais qui confondent réellement fantasmes et passe-temps. Tout ça pour dire que, quand j’entends un commentaire du style de «oui, mais toi, tu as étudié la littérature, tu dois être très cultivée», je m’étouffe un peu avec mon cocktail, ou avec ma salive (à défaut
de). Déjà, je ne connais rien à la littérature caribéenne, nord-africaine ou belge. Et si peu, si peu sur la nôtre. Tout ceci en plus de faire preuve d’une ignorance abyssale en matière de littérature française. Si on parle de littérature anglaise, américaine ou hispanophone, j’ose à peine me permettre, de temps à autre, un petit hochement de tête. En musique, en arts visuels, en théâtre, en danse, de partout, mes connaissances sont d’une importance proportionnelle à la Terre dans l’univers. N’allez pas croire toutefois que c’est parce que j’ai trouvé mon diplôme dans une boîte de céréales. En fait, ce serait plutôt l’inverse: on ne m’a pas permis les généralisations ou les raccourcis, on m’a appris à vérifier mes intuitions avant de les affirmer, on a fait de moi –et de bien d’autres– une lectrice professionnelle. Alors, vraiment, la culture en général, je ne pourrais pas dire que je suis douée. Je ne sais, à toutes fins pratiques, même pas ce que c’est. x
Caligula Cette semaine, la troupe de théâtre les Exclamateurs présentera Caligula en collaboration avec Art Neuf. Il s’agit de la célèbre pièce existentialiste d’Albert Camus mettant en scène l’empereur romain éponyme. Celui-ci est empreint de perversion, de mépris et d’horreur pour les Hommes. Dans sa quête de destruction, entraîné par ses passions, il orchestre sa propre destruction. Est-il simplement insensé ou bien estce un homme comme les autres, déchiré par sa rage? Mise en scène de Pierre-Édouard Chomette. Au centre Calixa-Lavallée (au cœur du parc Lafontaine) du 19 au 22 janvier 2011 à 20h. Pour toute information ou réservation: (514) 776-6456 exclamateurs@gmail.com
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THÉÂTRE
Un polar théâtral al dente
Le théâtre Blanc et le Théâtre l’Escaouette présentent Nature morte dans un fossé, une pièce écrite par un jeune auteur italien prometteur, Fausto Paravidino. Marion Andreoli Le Délit talie. Après une soirée teintée d’alcool et de sexe, Boy (Christian Essiambre) percute un arbre avec sa voiture. Dans un fossé, il fait une drôle de découverte: du sang, un corps nu… une femme sauvagement assassinée! C’est ainsi que débute l’infernale course contre la montre de l’inspecteur Cop –brillamment interprété par Kevin McKoy– qui traque sans relâche le coupable. Seize heures avant la parution du journal du soir se met en place un véritable casse-tête. Tour à tour, les protagonistes témoigneront.
monologues longs et peu aérés. Cela requiert beaucoup de concentration de la part des acteurs qui interviennent vocalement ou physiquement tout au long des monologues. Seul bémol: le débit de paroles des comédiens –tantôt trop rapide, tantôt trop mâché– rend difficiles la compréhension et l’assimilation de certaines informations. La pièce de Fausto Paravidino est présentée dans le programme par le metteur en scène Christian Lapointe comme un «récit de l’immédiat [où] les acteurs ne sont pas à jouer de façon réaliste leurs «personnages». Ils sont en général occupés à faire des actions concrètes qui sont liées à la narration.»
L’immédiat conjugué à tous les temps L’enquête prend vie sous nos yeux. Devant nous, un décor épuré éclairé par des néons, créant une ambiance crue qui prend vie grâce aux différents jeux de lumière et au monologue des protagonistes –le travail de chorale est époustouflant. Les voix tracent différents chemins où s’animent de nombreux personnages à travers les témoignages. Elles convoquent divers espacestemps où se superposent passé, présent et futur. La magie de la reconstitution opère sous nos yeux. Le texte n’a pas dû être facile à se mettre en bouche, à cause des
Nature morte en mouvement Le scénographe Jean Hazel, directeur artistique du Théâtre Blanc, s’est inspiré du titre de la pièce pour construire son univers scénique. Si, de première abord, la nature morte désigne des objets inanimés, il est intéressant de transposer cette définition dans nos sociétés actuelles. Reprenant la conception de Warhol reliant la nature morte à une société de consommation, Jean Hazel pense que la nature morte de notre génération serait celle des quelques minutes de gloire rendues possibles grâce aux réseaux sociaux ou autres interfaces du web, donnant ainsi un assemblage de natures mortes ani-
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mées sur un écran d’ordinateur. Cet assemblage de natures mortes, nous le retrouvons dans la pièce, par le biais d’images projetées sur scène tout au long de la représentation. Pour Jean Hazel, la nature morte contemporaine n’est donc pas statique, contrastant avec une société qui reste prisonnière de ses préjugés et de ses illusions. Une société suspecte À mi-chemin entre polar théâtral et critique, Nature morte dans un fossé propose une réflexion sociale et politique sur notre société. Le dramaturge nous entraîne dans un univers obscur où règnent drogue, prostitution et violence, et où les gens sont avides de pouvoir et d’argent. Cette atmosphère pesante et dérangeante est rendue digeste par l’humour noir et la mise en scène décalée de Christian Lapointe. L’une des question soulevées est particulièrement intéressante: la façon dont on meurt pourraitelle être un choix? Si les victimes connaissaient d’avance leur assassin, leur existence consisterait à courir –bon gré, mal gré– vers ce rendez-vous avec la Faucheuse. On ne peut échapper à la Mort, qu’elle soit provoquée par un autre ou par soi-même: ainsi, Boy se passe la corde au cou, anticipant le dénouement final. Tous les accessoires que nous présentent les protagonistes
Nicolas Frank Vachon
au début de la pièce prennent sens au fur et à mesure de la représentation. La course contre la montre s’achève, après un peu moins de deux heures de spectacle, sur une fin brutale et imprévisible. Nature morte dans un fossé rafraîchit
par son sujet à la fois étonnant et provocateur. x Nature morte dans un fossé Où: Espace Libre 1945 rue Fullum Nicolas Frank Vachon Quand: Jusqu’au 22 janvier Combien: 21,25 $
THÉÂTRE
Le cru au théâtre
Sébastien David offre dans En attendant Gaudreault/Ta yeule Kathleen un texte brut d’ambitions toujours castrées.
Ta yeule Kathleen
En attendant Gaudreault Jérémie Battaglia
Habib Hassoun Le Délit
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résentée pour la première fois dans une version moins développée, En attendant Gaudreault est précédée d’une autre pièce du même dramaturge Sébastien David, Ta yeule Kathleen exposant ainsi le climat et l’époque de la pièce suivante. Elle ne joue pas, pour autant, un rôle secondaire; son discours et son récit sont autonomes. Jouée par Marie-Hélène Gosselin, Ta yeule Kathleen, est le monologue d’une mère monoparentale qui adresse un discours
à son nourrisson de deux mois, Kathleen. Elle confesse la douleur de sa solitude et de son impuissance sur un ton robotique et dans un discours sans ponctuation. Suite à une courte interruption, William (Sébastien David) et Dédé (Frédéric Côté) rejoignent Monique (Marie-Hélène Gosselin) sur scène pour former une triade pas belle dont la complicité dramatique est aussi forte que l’unité des discours. En attendant Gaudreault poursuit la même thématique du malheur individuel. Les trois personnages attendent Gaudreault pour des raisons différentes: Monique est amoureuse de lui, William
xle délit · le mardi 18 janvier 2011 · delitfrancais.com
pour lui acheter de la dope, Dédé pour venger son frère mort d’une surdose. Outre quelques rares scènes d’interaction, la pièce est principalement constituée d’un ensemble de monologues qui s’interpénètrent les uns les autres et qui finissent par créer entre les trois personnages une toile sociologique d’infortunes et de déceptions. Le décor est constitué de trois chaises, métaphore de l’austérité et du désœuvrement, mais aussi de la mobilité sociale et de l’absence d’attachement; de l’errance. Celle-ci n’est d’ailleurs pas uniquement physique: elle est mentale, psychiatrique dirait-on. En
Jérémie Battaglia
effet, les personnages vivent selon un arbitraire quelque peu impulsif exprimé ici par une orgie de mots pas beaux. La forme très rythmée du texte et le ton mécanique qu’emploient les personnages s’en trouvent étonnamment touchants. Essentiellement sans ponctuation, le texte ne tombe pas dans le cliché des discours sur les petits malheurs; sa profondeur est singulière et son émotion, vive. D’ailleurs, cette célébration de phrases effusives forme la matière du texte de la même force que sa manière. L’attente généralisée et inassouvie donne l’unité à l’errance des discours.
Un peu comme Beckett quelques soixante ans plus tôt, Sébastien David offre un texte sur le malheureux ridicule de la condition humaine. Oui, sur ces attentes toujours douloureuses, mais davantage sur un fantasme tant décousu qu’emblématique: le fantasme d’une meilleure vie, possible ou impossible. x En attendant Gaudreault/Ta yeule Kathleen Où: Théâtre d’aujourd’hui 3900 rue Saint Denis Quand: Jusqu’au 29 janvier Combien: 20 $
Arts & Culture
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COUP DE CœUR
The King’s speech Xavier Plamondon Le Délit
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ans le drame historique The King’s Speech, Colin Firth incarne le roi George VI qui doit corriger son bégaiement afin de rassembler l’empire Britannique à l’aube de la Seconde Guerre mondiale. Dès la scène d’ouverture, qui se déroule en 1925 au Wembley Stadium lors de la British Empire Exhibition, le spectateur éprouve de la pitié envers le Duc de York (Colin Firth). Devant une foule immense, le futur roi demeure si-
lencieux, incapable de prononcer un mot. Il souffre d’un handicap depuis l’enfance, et malgré maintes thérapies, maintes cigarettes et maintes billes dans la bouche, le Duc doit composer avec cet obstacle. Pendant ce temps, la Duchesse de York, future Reine Élizabeth (Helena Bonham Carter), poursuit ses recherches afin de trouver un orthophoniste capable d’aider son mari. Suite à des recommandations, elle trouve dans un quartier malfamé de Londres un Australien aux méthodes controversées, l’orthophoniste Lionel Logue (Geoffrey Rush).
Bientôt, une relation bien particulière s’établit entre le futur monarque et Lionel. Incapable de respecter le protocole ou de s’abstenir de poser des questions embarrassantes, l’Australien met à rude épreuve le tempérament bouillant et impatient du Duc. Ainsi, Lionel insiste pour que le Duc l’appelle par son prénom, et au lieu de s’adresser à His Royal Highness, il l’appelle tout simplement Bertie. Peu à peu, grâce à des exercices de chant et des répétitions de juron, George VI parvient à surmonter son handicap en faisant preuve de courage et de détermination. Le jeu de Colin Firth, sacré meilleur acteur lors de la cérémonie des Golden Globes pour son rôle de George VI, est prodigieux. Non seulement l’acteur maîtrise-t-il l’aspect technique et mécanique du bégaiement du monarque, mais il transmet en plus à merveille l’incidence psychologique de ce malaise sur sa
Gracieusité d’Alliance Films
personnalité. Même verdict quant à la performance de Geoffrey Rush, qui incarne avec brio l’Australien au tempérament peu commun. Finalement, même si le rôle d’Helena Bonham Carter est relégué au second plan, il faut tout de même souligner sa performance mémorable et ses commentaires distingués. De surcroît, l’humour anglais, subtil et incisif, aide à rythmer le film, qui autrement aurait pu devenir lourd. La photographie est également remarquable. La caméra rend bien la morosité et le brouillard Londonien, ainsi que la richesse des décors et des costumes. Le spectateur appréciera cette œuvre surtout pour l’excellent amalgame entre histoire et Histoire. D’un côté, on en apprend davantage sur George VI, sur ses relations avec les membres de sa famille et sur son amitié avec cet humble Australien. De l’autre, on comprend mieux les circonstances qui ont porté George
VI au pouvoir, soit l’abdication d’Edward VIII, son frère aîné, ainsi que la crise constitutionnelle qui a entouré l’affaire. On est également témoin de la montée du nazisme en Allemagne et des dynamiques au sein de la politique britannique de l’époque qui ont mené le pays en guerre. Cette dualité disparaît lorsque, à la fin du film, la tension atteint son paroxysme. Le roi doit adresser un discours à la nation, diffusé par la BBC dans tout l’empire. La similarité entre le discours original de George VI et la performance de Colin Firth est frappante. Accompagnée de la 7e symphonie de Beethoven, la prononciation du discours est une scène magistrale. À l’aube de la Deuxième Guerre mondiale, le roi peut enfin faire entendre sa voix afin d’unir la nation. Un épisode passionnant de la monarchie britannique dans ce chef-d’œuvre du septième art. x
L’ÉDITO CULTUREL
Où en est la culture?
Annick Lavogiez Le Délit
L
a compagnie d’analyse Mintel a récemment publié des résultats particulièrement intéressants comparant la fréquentation des théâtres et des pubs en Angleterre pendant la récession économique qui a eu lieu entre 2008 et fin 2010. Les données, présentées par Natalie Woolman dans l’article «Theatres trump restaurants and pubs in recession, says market research», publié dans le journal The Stage, montrent qu’en période de crise, 43% des gens qui vont régulièrement dans des pubs ont tendance à réduire leur présence dans ces lieux, tandis que seulement 21% de l’audience des théâtres changent leurs habitudes culturelles. 5% d’entre eux affirment également envisager d’augmenter leur fréquentation, contre 1% pour les habitués des pubs.
Aspirez à une grande carrière artistique
DEMANDES D’ADMISSION Date limite : 1er MARS 2011
Un réseau de neuf écoles au Québec
14 Arts & Culture
Pas question de sacrifier les plaisirs culturels Les lieux et événements culturels conserveraient donc leur attrait, même en période de crise, à l’inverse des bars, boîtes de nuit, restaurants, etc. Les économies n’auraient pas lieu d’être en milieu culturel. Pourquoi? Le rapport affirme que la raison se situe dans le fait que tant que les industries du cinéma, du théâtre (et pourrait-on ajouter, de la danse et de la littérature?) fourniront de bons «produits» en retour de l’argent investi par leur public, il n’y a aucune raison qu’ils régressent en termes économiques.
De plus, les sorties culturelles telles que le cinéma possèdent un caractère exceptionnel, contrairement, par exemple, aux sorties culinaires qui sont plus fréquentes. Il serait donc plus aisé d’économiser sur les dépenses quotidiennes que sur les petits plaisirs que l’on s’offre uniquement quelques fois par mois. L’indéniable succès des spectacles à grand public The Lion King et Wicked confirme la motivation du public à continuer, quelque soit le contexte économique, à fréquenter salles de spectacles et autres lieux culturels. Quelle réalité pour la culture? Si les résultats de cette étude peuvent surprendre, c’est qu’ils soulèvent un questionnement intéressant et actuel vis-à-vis de cette perte de vitesse du secteur culturel dont une certaine élite aime à se plaindre. C’est, entre autres, dernièrement, au Salon du livre de Montréal que l’on pouvait entendre, dans le coin des «petites» maisons d’éditions (Le Quartanier, L’oie de Cravan, etc.), des éditeurs, des auteurs, des lecteurs et d’autres intellectuels plus ou moins élitistes se morfondre de la baisse d’intérêt du public pour les différents secteurs culturels, et particulièrement, évidemment, pour la littérature. Les gens achètent moins de livres, ne se précipitent plus au cinéma comme avant, les salles de théâtre se vident et les quelques films sur le ballet récemment parus sur nos écrans ne suffisent pas à donner envie au public de remplir
les salles de danse. Difficile de lutter contre ces discours pessimistes généralement ponctués de chiffres de vente désastreux. Mais que penser de ces discours et de ces réactions lorsque l’on peut lire dans The Stage que la culture, au fond, ne se porte pas si mal? Un certain public Il suffit peut-être simplement de s’attarder dans certains lieux montréalais pour comprendre que le rapport Mintel pourrait bien avoir raison du pessimisme de l’élite intellectuelle déçue du Salon du Livre. Les cafés ne regorgent-ils pas toujours de jeunes et moins jeunes étudiants ou autres travailleurs qui parlent culture, discutent de leurs dernières lectures, se conseillent des spectacles «à ne rater sous aucun prétexte» ou encore se mettent en route vers la Cinémathèque Québécoise pour une rétrospective sur Jean Epstein ou Joyce Wieland (en ce moment à l’affiche)? De plus, les journaux étudiants des différentes universités montréalaises ne prouvent-ils pas, eux aussi, quotidiennement, qu’il existe une communauté qui se passionne pour la culture, quelle que soit sa forme, et, oui, quelque soit son prix. Cette communauté, si elle n’est pas grandissante, n’en est pas pour autant à négliger, ou à oublier. Et le rapport de Mintel prouvera à ceux qui ne sont pas convaincus que l’avenir de la culture n’est pas en danger. x
xle délit · le mardi 18 janvier 2011 · delitfrancais.com
CHRONIQUE
Un inventaire de l’étrange Luba Markovskaia
Un cabinet de curiosités était, depuis la Renaissance jusqu’au XIXe siècle, une pièce privée où l’on exposait des collections de raretés et d’objets insolites. Ancêtre du musée, ce lieu se caractérisait par son éclectisme permettant des juxtapositions très surprenantes entre objets hétéroclites. Ces collections étaient pourtant généralement inventoriées, et la lecture d’un catalogue répertoriant les objets dont elles regorgeaient procure aujourd’hui un effet d’énumération étourdissant d’étrangeté. C’est dans cette esthétique d’accumulation que s’inscrit Le cabinet de curiosités, recueil de nouvelles de David Dorais paru en novembre dernier aux éditions L’instant même. L’auteur se complaît dans la succession infinie d’images, de lieux et de personnages plus fantasmagoriques les uns que les autres. Plus qu’un simple inventaire, toutefois, Le cabinet de curiosités offre un véritable parcours dans ce musée de l’insolite, non seulement d’un objet à l’autre, mais aussi entre différents lieux et différentes époques. Les nouvelles de la partie «Première armoire» se déroulent en Europe, au XIXe siècle; celle intitulée «Deuxième armoire» a lieu presque intégralement au Québec, tandis que la «Troisième armoire» renferme des nouvelles futuristes. Ce parcours se caractérise également par une plongée progressive dans le monde onirique, voire cauchemardesque, orchestré par l’auteur, puis en une remontée à la surface, comme un réveil brusque après une nuit de rêves inquiétants. «La gemme noire», première et unique nouvelle de la partie «Dans un coffre», se passe dans un Montréal contemporain. Le personnage, qui narre la nouvelle à la première personne, est professeur de littérature au Cegep –tout comme l’auteur qui s’y présente d’ailleurs avant tout comme un lecteur. Arpentant les librairies à la recherche de lectures inusitées, il contemple sa volumineuse bibliothèque et dit ne pouvoir cesser de lire, ce qui a pour effet d’annoncer d’emblée le recueil d’un lecteur passionné et érudit. Dans cette première nouvelle, le lecteur s’engouffre peu à peu dans la fiction et dans le fantastique: un livre mystérieux
acheté dans une librairie d’occasion du Plateau Mont-Royal nommée Le Port de tête (premier indice de fiction pour les lecteurs montréalais: Le Port de tête n’est pas une librairie d’occasion!), s’empare du texte des livres qui le côtoient dans la bibliothèque du protagoniste. Le caractère fantastique de cette nouvelle rappelle celui des nouvelles d’Edgar Allan Poe: l’esprit du lecteur oscille entre l’impression d’une présence du surnaturel et le doute quant à la lucidité du personnage, ce qui permet de conserver une possibilité de réalisme. Dans les parties suivantes du recueil, cet aspect réaliste disparaît, et le lecteur est plongé sans retour envisageable dans un monde fantastique cruel, d’une beauté morbide et bigarrée. Un motif particulièrement troublant parcourt chacune des nouvelles: le meurtre ou la mutilation récurrente d’un enfant impose une certaine gravité à l’imaginaire délirant du recueil. Le décor de ce monde, ou plutôt de ces mondes, trahit un certain culte pour l’esthétique de l’artifice, typique de la tradition des cabinets de curiosités dont l’une des catégories d’objets se nommait artificialia. On rencontre donc un marchand de marionnettes qui œuvre à la création d’une maquette parfaite de Bruxelles activée par un mécanisme savant, un parc d’attractions où tout –jusqu’au crépuscule perpétuel qui y règne– est le produit d’une invention humaine et, dans un futur dystopique, des corps de femmes en plastique vendus dans les grands magasins, des robots qui remplacent des musiciens de groupes de rock… L’énumération d’éléments hétéroclites devient presque un délire de l’imaginaire dans la description systématique de chacun des manèges du parc d’attractions dans la plus longue nouvelle du recueil. Le narrateur de cette nouvelle, David, s’excuse même auprès de son interlocuteur de s’être emporté dans ces descriptions, comme s’il s’agissait là d’un appel à l’indulgence au lecteur de la part de l’auteur devant cette jouissance de l’accumulation. La dernière nouvelle du volume met en scène David Dorais, «jeune écrivain fort apprécié dans les cercles littéraires». Elle décrit sa fascination pour les cabinets de curiosités, sa recherche acharnée d’un inventaire à la BnF et la genèse du recueil que nous tenons entre les mains. Il s’agit donc d’un retour à l’écriture réaliste dont le style prosaïque et l’humour rappellent le David Dorais de la revue L’Inconvénient. Toutefois, un retour total n’est pas garanti: comme le personnage de la nouvelle «Das Spukhaus» qui ne peut se débarrasser des apparitions du parc d’attractions, on demeure hanté, après avoir refermé le livre, par les spectres issus de l’imaginaire de David Dorais. x
xle délit · le mardi 18 janvier 2011 · delitfrancais.com
Matière grise et pensées libres par Raphaël Thézé
Arts & Culture
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