Le Délit

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le délit le seul journal francophone de l’Université McGill

delitfrancais.com Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

DANS L’OMBRE DE FORT McMURRAY pages centrales

QPIRG: les résultats du opt-out campaign > 4 The Dears: entrevue avec Patrick Krief > 11 Le mardi 1er fevrier 2011 | Volume 100 Numéro 16

Librement élus depuis 1977


Éditorial

Volume 100 Numéro 16

le délit

Le seul journal francophone de l’Université McGill

rec@delitfrancais.com

La démocratie en péril Mai Anh Tran-Ho Le Délit

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lors que le Moyen Orient s’éveille, l’Occident s’assoupit. Alors que plusieurs nations arabes se réunissent pour que leurs cris résonnent assez fort et pour que leur voix soit entendue, la démocratie est en péril à McGill. Il y a deux semaines, Zach Newburgh, président de l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM), présentait une résolution pour la suppression de l’assemblée générale (AG) qu’il juge non démocratique. L’émergence de ce référendum a soulevé l’agitation étudiante; Zach Newburgh soutient lui-même qu’un regain d’intérêt pour une réforme de l'assemblée générale est devenue envisageable. Ceci l’a pressé d’organiser un forum consultatif (Town Hall) et d’apaiser la polémique. Lorsqu’on lui demande si les étudiants ont proposé des changements possibles pour réformer l’AG, le président de l’AÉUM soutient que la plupart des suggestions apportées au forum mercredi dernier ne s’attelaient pas à la plus grande faille de l’AG: sa nature non-démocratique. L’AG brimerait la démocratie, car les étudiants qui s’y présentent et qui votent

les lois ne sont pas un corps élu par l’ensemble des étudiants de l’université. Ceux qui ont cours, qui travaillent ou qui ne se rendent pas sur les lieux avant que la salle soit pleine ne peuvent voter. «Chacun devrait avoir la chance de voter et l’AG l’en empêche» affirme le président. Supprimer l’assemblée générale, ce seul espace de consultation, de débat et de réforme directe (par exemple, l’amendement de propositions) avec la population étudiante, est incohérent avec le discours soutenu par Zach Newburgh. Lors du forum consultatif, malgré ce que peut affirmer le président, plusieurs commentaires font la lumière sur la structure défaillante de l’AG et de l’AÉUM, et proposaient de bonnes solutions. Par exemple, pour contrer le faible taux de participation aux AG, plusieurs étudiants ont évoqué la nécessité de mieux promouvoir l’assemblée. L’AÉUM n’a alloué que 6000$ cette année à l’AG, et déboursé son surplus financier dans des activités telles les trois jours de festival de musique organisé par l’AÉUM qui, bien sûr, contribue à développer une meilleure relation entre les étudiants, mais n’encourage pas directement au débat. Un peu de cet argent pourrait être utilisé, notamment, pour

créer des sessions d’informations ou des publicités plus explicatives sur la structure et le processus des AGs. De nombreux étudiants affirment même être intimidés par ceux qui ne maîtrisent que trop bien le Robert’s Rules of Order (manuel traitant des convenances qui devraient régir toute assemblée ou réunion à vocation délibérative). L’espace limité de la salle de bal du bâtiment Shatner ou de la cafétéria est une excuse facile, lorsque l’AG pourrait être tenue sur d’autres lieux tels l’aréna McConnell ou le complexe sportif Tomlinson ou même hors du campus. Certains ont par ailleurs proposé de garder l’assemblée générale comme espace de débat et de permettre le vote électronique. Ceci serait concevable si des efforts quant à l’instruction à la procédure parlementaire étaient faits et qu’un compte rendu clair de l’AG était accessible. Il est nécessaire que les étudiants s’engagent au sein des politiques de leur Association étudiante. Le conseil de l’AÉUM se tiendra ce jeudi et voteront la vie ou la mort de l’assemblée générale. Il est encore possible de changer les esprits, si cette dernière tribune n’est pas jetée aux oubliettes. x

APPEL DE CANDIDATURES La Société des publications du Daily, éditeur du Délit et du McGill Daily, est à la recherche de candidat(e)s pour combler

un poste étudiant sur son Conseil d’administration. Les candidat(e)s doivent être étudiant(e)s à McGill, inscrit(e)s à la session d’hiver en cours et disponibles pour siéger au Conseil d’administration jusqu’au 30 avril 2011. Les membres du Conseil se réunissent au moins une fois par mois pour discuter de la gestion des journaux et pour prendre des décisions administratives importantes. Les candidat(e)s doivent envoyer leur curriculum vitae ainsi qu’une lettre d’intention d’au plus 500 mots à chair@dailypublications.org, d’ici le10 février prochain. Contactez-nous pour plus d’informations.

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rédaction 3480 rue McTavish, bureau B•24 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone: +1 514 398-6784 Télécopieur: +1 514 398-8318 Rédactrice en chef rec@delitfrancais.com Mai Anh Tran-Ho Actualités actualites@delitfrancais.com Chef de section Emma Ailinn Hautecœur Secrétaire de rédaction Francis Laperrière-Racine Arts&Culture artsculture@delitfrancais.com Chef de section Émilie Bombardier Secrétaire de rédaction Annick Lavogiez Société societe@delitfrancais.com Anabel Cossette Civitella Xavier Plamondon Coordonnatrice de la production production@delitfrancais.com Mai Anh Tran-Ho Coordonnateur visuel visuel@delitfrancais.com Raphaël Thézé Infographie infographie@delitfrancais.com Alexandre Breton Irena Nedeva Coordonnateurs de la correction correction@delitfrancais.com Anselme Le Texier Élise Maciol Coordonnateur Web web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Collaboration Sabrina Ait Akil, Vincent Bezault, Augustin Chabrol, Maxime Côté, Fanny Devaux, Rosalie Dion-Picard, Édith Drouin Rousseau, Owen Egan, Charly Feldman, Dave Huenh, Charles Larose, Antony Lecossois, Francis Lehoux, Annie Li, Valérie Mathis, Hannah Palmer, Victor Tangermann Couverture Anabel Cossette Civitella bureau publicitaire 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6790 Télécopieur : +1 514 398-8318 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Gérance Pierre Bouillon Photocomposition Mathieu Ménard et Geneviève Robert The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Emilio Comay del Junco Conseil d’administration de la Société des publications du Daily (SPD) Emilio Comay del Junco, Humera Jabir, Anthony Lecossois, Whitney Malett, Sana Saeed, Mai Anh Tran-Ho, Aaron Vansintjan, Sami Yasin L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.

Les opinions exprimées dans ces pages ne reflètent pas nécessairement celles de l’Université McGill.

Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal.Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec). Le Délit est membre fondateur de la Canadian University Press (CUP) et du Carrefour international de la presse universitaire francophone (CIPUF).

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CAMPUS

Ce que les étudiants pensent de l’AG Zach Newburgh a permis aux étudiants de s’exprimer sur l’assemblée générale. Augustin Chabrol Le Délit

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ernièrement, une motion a été présentée pour se débarrasser de l’assemblée générale (AG) de l’AÉUM. Cette proposition sera discutée au Conseil Législatif du 3 février 2011. Le principe de l’AG est de fournir aux étudiants un forum ouvert et accessible, où ils peuvent proposer et voter sur des problématiques qui les concernent. Or, ce principe est-il adéquatement traduit par la forme actuelle de l’AG? Cette question était posée aux étudiants lors du forum consultatif (Town Hall Meeting), organisé par Zach Newburgh, président de l’AÉUM, mercredi dernier. Plusieurs aspects de l’AG sont critiqués: le peu de présence aux assemblées précédentes, le niveau de sensibilisation et de motivation des étudiants par rapport aux forums, la nature des débats aux assemblées précédentes, l’opacité du processus législatif, la capacité limitée de la salle. Max Zidel, étudiant du premier cycle en arts, ouvrait la discussion en demandant aux participants d’observer la distinction entre l’aspect discussion civile et l’aspect processus législatif de l’AG. Qu’est qui rend le forum plus attirant? Malgré le consensus général quant à la valeur de l’AG, de nombreux participants ont exprimé leur sentiment de distance et d’inaccessibilité face au processus législatif.

« Je ne me sens pas assez confortable pour écrire des motions. » explique une étudiante de premier cycle, Lily Schwarzbaum. Néanmoins, il existe des participants qui connaissent bien les procédures des AG et le code Morin l’accompagnant. «Trop de personnes qui sont familières avec les règles établies les utilisent pour saboter le processus», expliquait un membre du conseil, Andrew Doyle. Cela met en évidence la question de la fréquentation des AG. Brendan Steven, fondateur du journal Prince Arthur Herald, précise que la présence des groupes d’intérêts aux AG peut réduire la variété des motions soumises. En revanche, Zidel dit que les gens qui s’en soucient sincèrement participent. En faisant référence à la motion qui visait à abolir la vente des bouteilles en plastique, il soutient qu’à l’origine de certaines motions, on retrouve des initiatives sincères. Parmi les propositions les plus attrayantes, la possibilité de transférer tout ces moyens de démocratie directe sur Internet. Pour augmenter l’accessibilité, certains membres présents lors du Town Hall ont proposé, entre autres, le vote libre en ligne, l’obligation de voter strictement en ligne, ou la possibilité de combiner télédiffusion et vote en direct. La connaissance de l’AG et de ses fonctions est quasi-inexistante parmi les nouveaux arrivants à McGill. Adam Finchler,

Tyler Lawson et Max Zidel à l’AG Dave Huenh

étudiant de premier cycle raconte: «Je suis arrivée ici en septembre, alors il y a plein d’activités dont je ne suis pas au courant, mais j’aurais aimé que l’AG soit plus visible pour rendre la participation plus facile.» L’étudiante en échange Thea Gormley explique que, elle non plus, n’était pas au courant de l’AG. Toutefois, les deux étudiants ont indiqué leur intérêt de participer à un tel forum. D’autres étudiants ont des sentiments partagés par rapport à l’AG actuelle. «Selon

mon expérience, l’AG est un processus fastidieux et difficile, mais ça en vaut la peine» explique Danji Buck-Moore, étudiant de premier cycle. En se rappellant de l’assemblée controversée lors de laquelle on a discuté du conflit isralélo-palestinien, Ariel Lefkowitz, étudiant en médecine, racontait que son expérience lui a laissé un goût amer dans la bouche. Après six ans passés à McGill, Lefowitz reconnaît la difficulté d’avoir une discussion honnête dans notre université. x

A VOUS DE DEBATTRE A VOUS DE DECIDER Le 10 février à 18 h Auditorium Adams, Pavillon Frank Dawson

Vous pouvez mettre fin à l’apathie étudiante

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Actualités

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CAMPUS

Bilan de campagne QPIRG: Opt out, le nombre de désengagements en hausse. Anthony Lecossois Le Délit

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endredi dernier s’est achevée la période pendant laquelle les étudiants pouvaient décider d’exercer leur option de retrait vis-à-vis du Groupe de Recherche d’Intérêt Public du Québec (GRIPQ), récupérant ainsi les 3,75$ de leur cotisation semestrielle. Tout au long de la période, les partisans du GRIPQ tentaient de limiter l’impact de la campagne «QPIRG: Opt-out!» menée par les Conservateurs de McGill. Brendan Steven, secrétaire général du groupe Conservateur, se félicite du résultat de cette campagne. «C’est un succès! Encore

plus d’étudiants ont été informés des activités du GRIPQ.» Les membres du GRIPQ dénoncent au contraire une campagne de désinformation. Si le GRIPQ n’a pas encore publié les chiffres précis du nombre de désengagements, il y a peu de doutes sur leur nature. En effet, depuis que l’administration de McGill a décidé unilatéralement de transférer le processus de désengagement (opt-out) sur internet il y a près de quatre ans, les proportions n’ont cessé d’augmenter. Entre les seuls semestres d’automne 2009 et 2010 c’était près de 30% d’étudiants supplémentaires qui décidaient de retirer leur soutien à l’organisation.

Kira Page, membre du Conseil d’administration du GRIPQ déplore que la campagne des Conservateurs soit «entièrement axée sur la possibilité d’économiser 3,75$». «Nous souhaitons que les étudiants prennent leur décision en toute connaissance de cause. Si un étudiant est en désaccord avec ce que nous faisons et qu’il décide d’exercer son option de retrait, cela ne me dérange pas.» Brandon Steven estime pour sa part que les étudiants «ont assez de moyens de s’informer, notamment sur internet, pour pouvoir faire un choix éclairé». Il explique qu’il n’y a aucun débat au sein de son organisation quant à l’opportunité d’inclure de l’in-

formation sur le GRIPQ sur les documents utilisés pendant la campagne. Ce n’est tout simplement «pas nécessaire». Pour Anna Malla, coordonnatrice aux affaires internes du GRIPQ, «cela fait partie de la stratégie des Conservateurs pour faire croire que cette campagne est dépourvue de toute teneur politique, qu’il s’agit simplement d’économiser de l’argent. Or, leur but est clairement partisan.» Elle ajoute que l’hypocrisie des Conservateurs est évidente quand «d’un côté ils disent vouloir aider les étudiants à économiser quelques dollars et de l’autre ils soutiennent l’augmentation des frais de scolarité». «Nous sommes ceux qui nous

battons vraiment pour les étudiants.» L’effet collatéral, et quelque peu inattendu, de cette campagne c’est le fait que presque tous les étudiants qui décident de retirer leur contribution du GRIPQ font de même pour tous les autres services à cotisation optionnelle tels CKUT, Midnight Kitchen, Night Line, Queer McGill ou même le fond de l’AÉUM pour les bibliothèques ou celui pour les bourses de scolarité. Pour répondre à cette «perte de financement généralisé» les services et groupes concernés sont en train de créer un site internet dédié à informer les étudiants des services que leurs cotisations subventionnent. x

Midnight Kitchen en exclusif web www.delitfrancais.com

Colère au Caire, scandale à Montréal Des centaines de manifestants se sont rassemblés devant le consulat égyptien de Montréal pour affirmer leur solidarité avec les émeutiers.

Victor Tangemann | The McGill Daily

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CAMPUS

Le refuge Birks Le Délit explore la fameuse salle de lecture qui attire les masses étudiantes. Fanny Devaux et Charles Larose Le Délit

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anteaux et bottes d’hiver sont laissés dans le vestibule. Un plancher de bois francs soigneusement conservé (des balles de tennis recouvrent les pieds de chaque chaise), de grandes tables en chêne sur lesquelles se dressent des lampes vertes de banquiers… Lorsqu’on entre dans Birks, on pénètre dans un parfait anachronisme. Le bâtiment que l’on connait actuellement sous le nom de Bâtiment William et Henry Birks a été inauguré en 1931 sous le nom de Divinity Hall. Alors, le bâtiment appartenait au Joint Board of Theological Colleges, une organisation qui regroupait quatre collèges religieux. En 1948, l’Université Mcgill et le Joint Board

ont décidé d’établir une faculté d’études religieuses, mais ce n’est qu’un peu plus de vingt ans plus tard que le Divinity Hall changea de nom et fit place aux étudiants de dénominations non chrétiennes. En 1972, le Divinity Hall est remplacé par celui de William et Henry Birks (les bijoutiers) pour rendre hommage aux principaux donateurs de l’université et des collèges. Le bâtiment, de style gothique, a été conçu par l’architecte montréalais diplômé de McGill, Harold Lee Fetherstonhaugh. Du même architecte, vous avez peutêtre admiré les églises St-Andrew et St-Paul sur la rue Sherbrooke. Ce qui marque dans «l’expérience Birks», c’est le silence, un silence parfait. Si l’on n’entend pas de mouche voler, c’est parce que l’endroit est bien trop propre pour en avoir. «Il y a même un pot de bonbons sur le comptoir principal rempli par les soins du

bibliothécaire», s’exclame Lucile Smith, une accro de Birks. La chapelle de Birks, qui peut accueillir environ 175 personnes, abrite mariages, baptêmes et plusieurs cours et autres conférences publiques. Pour s’y marier ou se faire baptiser, il est toutefois nécessaire de faire partie de la communauté de McGill. Six diplômes y sont offerts: un baccalauréat spécialisé en religions du monde, en philosophie et religions occidentales, tout autant qu’un baccalauréat en théologie ou un doctorat en philosophie religieuse. Selon la doyenne de la faculté d’études religieuses, une trentaine d’étudiants ont pour ambition de se faire ordonner. Ellen Keith affirme que ceux-ci s’intègrent bien à la communauté de l’université même si «ils sont sûrement plus attachés à leur faculté que la majorité des étudiants, car ils sont

peu nombreux». Tout le monde qui y étudie se connaît et se salue, ce qui contribue à l’atmosphère chaleureuse. Un sentiment d’appartenance plus difficile à créer dans les autres facultés de McGill. Kenneth Koo, étudiant en première année en la faculté des Arts se rend tous les jours dans la salle de lecture de Birks. Interrogé sur les raisons de ce choix alors que McGill compte treize autres bibliothèques, il déclare «se sentir bien dans celle-ci, qui dégage un sentiment chaleureux». De plus, «le fait que l’on doive enlever ses chaussures crée une sorte de complicité entre les étudiants, on se sent à la maison». Kenneth rajoute que «le silence est de plomb, très bien gardé par le bibliothécaire [Allan Youster, NDLR] qui nous accueille toujours aussi bien». Phene More, un étudiant qui poursuit son baccalauréat en théologie, dit que la faculté entiè-

re possède cette ambiance familiale et chaleureuse, et c’est pour cela qu’il y passe le plus de temps possible. Il renchérit que la salle de lecture est l’endroit idéal pour étudier. Elle B. Aitken, doyenne de la faculté d’études religieuses fut ordonnée pasteure de l’Église anglicane en 1986. Les aptitudes qu’elle a développées grâce à son ordination l’aident dans son travail actuel. «Je suis formée à écouter des questions sur des points de vues religieux très divers. Le fait d’être pasteure est une bonne préparation pour devenir doyenne d’une faculté. Il y a des compétences communes aux deux fonctions telles que promouvoir l’unité de notre groupe.» La bibliothèque et ses friandises vous attendent! x Explorer la bibliothèque Birks en photos sur www.delitfrancais.com

Les étudiants se refugent autour de ces tables pour étudier dans le calme le plus absolu Hannah Palmer

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Actualités

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CAMPUS

Les maladies tropicales au radar Les maladies tropicales sont négligées par les chercheurs. Entrevue avec Timothy Geary.

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veaux composés pouvant potentiellement donner naissance à de nouveaux médicaments contre les infections helminthiques de l’homme.

’Institut de parasitologie de McGill, avec le Dr Timothy Geary à sa tête, a reçu une subvention d’un million de dollars pour lutter contre les maladies tropicales, et principalement contre celles causées par les helminthes, qui affectent plus d’un milliard de personnes dans les régions à faibles ressources.

LD: Pourquoi ce partenariat avec des scientifiques africains? TG: Nos partenaires en Afrique sont nécessaires à la réussite. Sans eux, il n’y aurait pas de projet. Les scientifiques avec lesquels nous travaillons, principalement les Drs. Kelly Chibale, Berhanu Abegaz et Kerstin Marobela, sont des leaders mondiaux dans leur domaine. Nous sommes extrêmement chanceux qu’ils veuillent participer au projet et ils seront mis au premier plan de la recherche.

Le Délit: En quoi consistent vos recherches sur les helminthes? Dr. Timothy Geary: Notre objectif est de découvrir de nouveaux médicaments (antihelminthiques) pour traiter les infections causées par des nématodes parasites. Ce genre d’infections se propage dans le tractus gastro-intestinal ou dans les autres tissus humains et engendre des maladies comme la cécité des rivières (onchocercose) et l’éléphantiasis (filariose lymphatique). Bien que nous possédions déjà certains médicaments très utiles contre ces infections, nous avons besoin de remèdes à long terme afin de mieux faire face à ces maladies issues des pays pauvres. LD: Comment comptezvous utiliser le montant qu’on vous a alloué? TG: L’argent sera en partie utilisé à Montréal, mais l’objectif principal est de procéder à la découverte de médicaments dans les laboratoires de l’Université du Botswana et de l’Université du Cap, en Afrique du Sud. La plus grande somme d’argent sera utilisée pour la formation de personnes compétentes, le transfert d’outils technologiques et le développement de programmes de dépistage en Afrique. LD: Les médicaments commercialisés seront-ils faciles d’accès? TG: La recherche et le développement de médicaments constituent un processus d’une dizaine d’années en général. L’un des avantages de notre projet est que nous allons mettre les résultats des essais directement entre les mains des scientifiques locaux. Nous ferons en sorte que les droits de propriété intellectuelle restent sur place, afin d’appuyer et de soutenir le

Timothy Geary, récipiendaire de la bourse d’un million de dollars. Owen Egan

développement d’une nouvelle entreprise commerciale qui se concentrera sur la recherche et le développement de médicaments. Nous ne voyons aucun problème à ce qu’un bénéfice raisonnable dérive finalement de ce travail, tant que cela reste en Afrique et que ce soit utilisé pour renforcer les capacités scientifiques et technologiques locales. Aucun profit tiré de nos recherches ne nous reviendra. LD: Dans combien de temps pensez-vous voir les fruits de vos recherches? TG: Il s’agit d’un projet à long terme. Pour nous, il s’agira d’abord d’identifier des molécules actives («hits») potentiellement utiles au développement de nouveaux médicaments. Nous essaierons ensuite d’attirer des sources de financement supplémentaires pour soutenir et étendre le projet en Afrique. Enfin,

la réussite sera complète si nous parvenons à identifier, à recruter et à former des scientifiques africains prêts à assumer un rôle de leadership dans le projet. LD: Pourquoi la recherche sur ces maladies tropicales est-elle subitement subventionnée? TG: Les infections par les vers ne sont pas glamour, elles ne causent pas de létalité aiguë et ne sont donc pas sous les «radars d’urgence» des donateurs et des gouvernements. Cependant, nous savons que ces infections contribuent grandement au cycle de la pauvreté. Ils réduisent la fréquentation scolaire et la performance, contribuent à une baisse de productivité et provoquent des pathologies débilitantes. Le monde occidental a pris conscience des conséquences dévastatrices de ces maladies tropicales, y compris de celles

qui, comme les infections aux helminthes, sont appelées «maladies tropicales négligées». LD: Que veut dire «traitement issu de la biodiversité africaine»? TG: La plupart des antibiotiques, des antifongiques et des médicaments anticancéreux proviennent de ce qu’on appelle les produits naturels; ce sont des produits chimiques créés par des microbes ou par des plantes. Cela est également vrai pour de nombreux médicaments antiparasites. Le continent africain possède une flore très riche et est l’hôte d’une énorme faune microbiologique encore inexplorée. En Afrique, un grand nombre de chimistes de talent se concentrent sur la caractérisation des produits chimiques issus des plantes. Notre objectif est d’exploiter ces ressources chimiques pour trouver de nou-

LD: Comment choisissezvous les priorités dans la lutte contre les maladies tropicales négligées? TG: Il y a tant de besoins dans ce domaine qu’il est difficile de choisir. Nous nous sommes concentrés sur les helminthes parce que j’ai travaillé dans ce domaine pendant de nombreuses années dans l’industrie pharmaceutique américaine. Mon groupe du Michigan (The Upjohn Company, qui a été acquis par Pfizer) a inventé une technologie très sophistiquée de recherche de médicaments dans les milieux à faibles ressources. Pfizer nous a généreusement fait don de ce programme technologique, sans exiger de droits à la propriété intellectuelle. Nous avons également la chance de profiter de la coopération de Cadus, Inc. Cela nous permet d’utiliser la technologie que nous avons mise au point, en Afrique. Je tiens également à mentionner le soutien essentiel que les parasitologues du Québec reçoivent du gouvernement provincial; le FQRNT soutient généreusement un réseau de scientifiques d’ici à travers le Centre de recherche sur les interactions hôte-parasite. Ce genre de recherches de base est essentiel pour nous permettre de comprendre comment créer de nouveaux médicaments contre ces agents pathogènes envahissants et pernicieux. x Propos recueillis et traduits par Annie Li.

Pour faire des entrevues avec les grands de ce monde écrire à actualites@delitfrancais.com

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POLITIQUE INTERNATIONALE

Sit-in d’étudiants palestiniens à Londres

Dans la foulée des «Papiers palestiniens» et des manifestations monstres en Tunisie et en Égypte, des jeunes font pression sur l’ambassadeur palestinien pour davantage de démocratie.

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e 27 janvier, une vingtaine de jeunes de la diaspora palestinienne se sont donné rendez-vous dans les bureaux de la Délégation Générale de la Palestine à Londres afin de faire part à l’ambassadeur de quelques unes de leurs demandes. Entrevue avec Merna. Le Délit (LD): Comment votre groupe a-t-il pris la décision de faire un sit-in? Merna Azzeh (MA): Le tout a été organisé plus ou moins [le 26 janvier]; environ douze étudiants sont arrivés dès 13h, mais plusieurs sont venus plus tard dans l’aprèsmidi. Nous provenons tous de différentes universités britanniques (LSE, UCL, SOAS, Oxford, Nottingham), la majorité étant d’origine palestinienne (vivant au Liban, en Jordanie, en Égypte, en Cisjordanie et en Europe). Je ne connaissais que deux personnes avant d’aller au sit-in, mais nous réclamions tous davantage de représentativité et la tenue d’élections directes. LD: Quel a été l’élément déclencheur? Les «Palestine Papers», les troubles sociaux

en Tunisie et en Égypte? MA: C’était un peu des deux, mais nous ne voulions pas faire de liens directs avec ces événements. Nous avons parlé de représentativité avec l’ambassadeur. Peu importe la corruption (car il y en a!), nous lui avons demandé davantage de démocratie. C’était notre appel pour des élections directes au Conseil national palestinien (CNP). Nous étions tout de même réalistes quant à nos demandes et à l’effet du sit-in, mais nous voulions que ce soit un wake-up call à la jeunesse palestinienne. C’était l’appel pour des élections. Nous avons besoin d’un nouveau groupe de représentants au CNP, car le changement ne s’effectue pas assez régulièrement. Certains sont au poste depuis 2006, et le CNP est l’organisation qui donne de l’autorité et des stratégies à l’OLP. LD: Comment le tout s’est déroulé? MA: Qu’on se le tienne pour dit, nous n’avons pas envahi l’ambassade. Nous voulions faire entendre nos voix de la façon la plus civilisée. Quelques

uns étaient assis dans la réception, alors que d’autres étaient dans le bureau vide de l’ambassadeur, mais nous n’allions pas partir avant qu’il ne vienne nous parler. Lorsqu’il est arrivé, nous lui avons partagé nos sentiments, et lui avons pressé d’agir, mais il nous a répondu que tout était hors de son contrôle. Nous avons continué la discussion, et, un peu plus tard, la police est arrivée, lorsque certains médias ont commencé à rapporter les événements. Toutefois, l’ambassadeur a insisté pour que nous restions et a réitéré que nous étions bienvenus dans notre ambassade, mais je demeure sceptique. Nous sommes partis vers 20h. L’ambassadeur était d’accord avec nos demandes et les trouvaient fondées, mais, à la fin de la journée, peut être que ce ne seront que de vains efforts. Nous avons fait ceci pour défendre nos droits de choisir nos représentants et chacun de nous savait que cela était important bien avant les «Papiers palestiniens». Je m’inquiète pour notre futur et pour mon peuple et je crois que c’était un bon début pour notre campagne.

Merna est née à Bethléem, sous l’occupation. Merna Azzeh

LD: Avez-vous fait cela pour la jeunesse ou pour tous les Palestiniens? MA: Pour la jeunesse, car nous sommes le futur de notre pays. Nous revendiquons néanmoins la démocratie pour tous les Palestiniens, incluant ceux de la diaspora afin qu’eux aussi puissent prendre part aux élections. Au bout du compte, nous avons parlé de ce que nous vou-

lions faire ensuite. J’espère que ce sera une étincelle qui aura un impact en Palestine parce qu’en ce moment c’est assez difficile de pouvoir manifester là-bas. Il nous faut d’autres initiatives de ce genre afin de promouvoir nos droits à la démocratie à la représentativité. x

Le Parti Québécois utilise la notion du nous contre le eux pour stigmatiser les anglophones du Québec, à cause de leur origine linguistique. Imposer la loi 101 aux cégeps (éventuellement aux universités) brisera les derniers liens qui existent entre les deux communautés du Québec. De plus, s’engager dans cette direction accentuera l’incompréhension et l’ignorance des réalités anglophone et francophone de part et d’autre. L’ignorance mène à l’intolérance et à des comportements radicaux. Par exemple, en Afrique du Sud durant l’apartheid, les institutions réservées aux blancs, distinctes de celles des autres communautés raciales étaient fondées sur la différence de couleur de peau. Au Curzistan, si l’on naît dans une famille francophone ou allophone, on doit fréquenter toute sa vie des institutions scolaires francophones et n’apprendre qu’une seule langue, de même pour les anglophones. Cette politique de ségrégation linguistique est un frein important au dialogue entre la majorité francophone et la minorité anglophone. Au contraire, faire son éducation primaire et secondaire en français et poursuivre ses études

postsecondaires dans des institutions anglophones n’anglicisent pas la société. Elle permet aux individus empruntant ce parcours éducationnel de former des liens précieux qui, autrement, auraient été difficiles à forger. Chacun est libre et capable d’assumer son destin et son développement dans notre société francophone et non pas dans une dictature linguistique que nous propose le Parti Québécois. Le but de cette chronique n’est pas de remettre en cause la loi 101, mais bien de s’insurger contre la proposition du parti québécois de l’appliquer à des adultes ayant fréquenté l’école francophone pendant au moins onze ans. Ce n’est pas parce que je vais à l’Université McGill que je renie le français! J’écris des examens en français, je travaille dans un journal francophone et je parle encore français! Somme toute, marginaliser un groupe minoritaire et violer ses droits et ses libertés individuelles à la péquiste, comme enjeu électoral, mèneraient à la décadence et à la déchéance du grand peuple que nous sommes. Lévesque et Bourassa doivent s’en retourner dans leur tombe. x

Propos recueillis par Xavier Plamondon.

CHRONIQUE

Bienvenue au Curzistan!

Francis L.-Racine | Le Franc-Parleur

Si les observateurs internationaux se penchaient sur le modèle québécois dirigé par le parti de Pauline Marois, ils s’écrieraient: «Bienvenue au Curzistan!». Ils en seront encore plus étonnés lorsqu’ils analyseront le programme rétrograde qui sera présenté au congrès national en avril prochain. Loin d’être à la veille des élections, le Parti québécois tente déjà de séduire la population en publiant leurs positions qui seront débattues lors de leur prochain congrès. Cette séduction a été entreprise par nul autre que le bourreau des libertés individuelles: Pierre Curzi. Ce dernier a fait une

sortie fracassante pour l’imposition de la loi 101 aux cégeps. Cette proposition, inscrite au programme du congrès, veut interdire aux francophones et allophones la fréquentation de l’un des six cégeps anglophones de la province. On pourrait comprendre cette logique derrière ce radicalisme, sachant que 6% des étudiants francophones graduant des écoles secondaires francophones préfèrent poursuivre leurs études dans des cégeps anglophones. Dans l’esprit de Pierre Curzi, la langue anglaise est telle un mal qui pénètre l’âme des étudiants; elle les corrompt, les déshumanise et les condamne à vivre en anglais pour le reste de leur vie, séquestrés dans le West Island (bande sonore de la scène de la douche dans Psycho). Comme lors des débats de la loi 115, cette nouvelle position radicale du Parti québécois est justifiée par la nécessité de protéger la langue française au Québec. Jusqu’où iront-ils dans leur radicalisme? Iront-ils jusqu’à couper le financement public des institutions primaires, secondaires et postsecondaires anglophones? Certains suggèrent que les Canadiens anglais ont fait la même

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chose lors du Manitoba School Act à la fin du XIXe siècle pour créer une société purement anglophone au Canada. Cependant, le fait français a survécu aux épreuves du temps. Depuis la Révolution tranquille, les Québécois d’origine canadienne française ont pris possession des leviers institutionnels du Québec, par l’État Providence, pour s’affirmer en tant que peuple francophone en Amérique du Nord. Observons deux citations importantes de notre histoire, la première du modéré René Lévesque: «On n’est pas un p’tit peuple, on est quelque chose comme un Grand Peuple», la deuxième de Robert Bourassa: «Le Québec est, aujourd’hui et pour toujours, une société distincte, libre et capable d’assumer son destin et son développement». Ces mots mettent en évidence la grandeur du peuple québécois. Ce qui fait la grandeur d’un peuple ne se mesure pas à son acharnement sur une minorité, mais bien sur l’acceptation des différences. Il lui faut voir au-delà du passé et, par-dessus tout, avancer en acceptant ses choix, en faisant fleurir sa culture et celles des minorités par la sienne.

Actualités

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Société societe@delitfrancais.com

Édith Drouin Rousseau Le Délit

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ort Mac: c’est ainsi que les habitants de Fort McMurray surnomment leur petite communauté du nord de l’Alberta. Contrairement à la pensée populaire, Fort McMurray n’est pas une ville, mais plutôt un hameau rattaché à la municipalité de Wood Buffalo, dont le taux de croissance est le plus rapide au Canada. Comme le hameau est éloigné des grands centres, la prospérité économique de Fort McMurray est entièrement attribuable à sa proximité avec la plus grande réserve de sables bitumineux de la planète. Cette communauté attire d’ailleurs une grande attention médiatique, l’impact environnemental de l’exploitation des sables bitu-

mineux étant régulièrement questionné et étudié. Aux problèmes environnementaux, s’ajoutent les problèmes sociaux des travailleurs du pétrole. Wood Buffalo était originellement un poste de traite. Sa réorientation économique s’est produite en 1964. La Great Canadian Oil Sands (aujourd’hui Suncor Energy) avait alors reçu la permission d’extraire du pétrole des sables bitumineux. À l’époque, la ville comptait à peine 1200

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habitants. Abritant aujourd’hui plus de 64000 personnes (une hausse d’un peu moins de 5300%), il est difficile d’imaginer comment Fort McMurray a pu s’adapter à ce changement aussi rapidement. Dans les années 1990, le royaume du pétrole se fond avec la ville de Wood Buffalo. De plus grand revenus fiscaux sont alors nécessaires pour que la communauté puisse se développer au même rythme que l’industrie. La situation actuelle est néanmoins préoccupante. Un article tiré de The Economist rapporte que Fort McMurray est aux prises avec un grave problème d’infrastructures. La construction d’immeubles dans le centre-ville est désormais impossible, le système d’aqueduc étant déjà surexploité. La seule route reliant cette petite communauté au reste de la province est également dans un piètre état. La seule solution possible à ces problèmes serait l’augmentation des impôts fonciers, à laquelle la population s’oppose fortement: le coût de la vie y est déjà exorbitant. Les habitants de Fort McMurray veulent que les compagnies de pétrole payent la facture. Le gouvernement albertain, quant à lui, laisse Fort McMurray accumuler les dettes. Même avec un déficit nul, la province la plus riche du Canada ne semble pas être redevable à la communauté qui lui vaut sa prospérité économique. Le coût de la vie suscite bien d’autres problèmes. Par exemple, la communauté peine à attirer des professionnels de la santé. Les médecins se plaignent de la trop grande charge de travail, et les infirmières restent une denrée rare. Selon un article publié par la CBC en 2005, il n’y avait seulement que deux médecins et trois psychologues pour soigner les habitants de la région. Les services sociaux et l’éducation subissent le même sort que les services de santé. Qu’ont en commun toutes ces professions? Leur employeur, soit le gouvernement albertain, qui ne peut certainement pas rivaliser avec les salaires offerts par l’industrie pétrolière. Selon un reportage de l’émission Enquête, le seuil de pauvreté de Fort McMurray était établi à 61000 dollars par an en 2006! Rémunérés comme partout ailleurs en province, les enseignants, par exemple, se retrouvent ainsi sous le seuil de pauvreté. Ce qui est encore plus alarmant, c’est que la ville nécessite grandement ces services publics. Plusieurs travailleurs de l’industrie pétrolière développent des problèmes de consommation de drogue. La cocaïne, le crack et les methamphetamines font des ravages. De plus, environ 40% des travailleurs testés lors de dépistages des employeurs s’avèrent être séropositifs, explique Harold Hoffman, spécialiste en médecine du travail à Edmonton. Les sources du problème s o n t indéterminées, mais de

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nombreuses hypothèses sont possibles: des jeunes qui gagnent des salaires exorbitants et les dépensent en drogues, des travailleurs loin de leur femme qui cherchent un moyen de satisfaire leur libido, des quarts de travail exigeants et intensifs qui entrainent la prise de «drogues de travail» ou des relations amoureuses courtes, car difficiles à entretenir.

Tout n’est pas que mirage Malgré tout, Fort McMurray projette une image de vie meilleure. De partout en Alberta, de tout le Canada et même des quatre coins du monde, des travailleurs partent pour Fort McMurray avec l’espoir d’y trouver un travail bien rémunéré. Plusieurs fausses croyances sont cependant véhiculées au sujet de cette industrie pétrolière. Tout d’abord, pour avoir accès aux emplois qui offrent des salaires de rêve (jusqu’à cinquante dollars de l’heure), les compagnies pétrolières exigent une formation et l’obtention d’un certificat appelé «le sceau rouge». Afin d’acquérir cette attestation, un travailleur doit compléter une formation professionnelle, puis un examen spécial. Son diplôme devient alors valide partout au Canada. Au Québec, un soudeur voulant obtenir sa certification ne doit payer que 102 dollars pour passer son examen. Cela permet de conclure que les exigences sont là, mais qu’elles sont aussi raisonnables. Dans ce cas, aller à Fort McMurray est plus que payant.

«Le gouvernement albertain

laisse Fort McMurray accumuler les dettes. Même avec un déficit nul, la province la plus riche du Canada ne semble pas être redevable à la communauté qui lui vaut sa prospérité économique.» Selon un rapport de l’association Construction Labour Relations, un soudeur avec plus de trois ans d’expérience bénéficiera d’un taux horaire d’environ cinquante dollars. Le revers de la médaille apparaît toutefois dans le style de vie. Une journée type commence très tôt le matin et finit seulement en début de soirée. Les jour-

nées de travail s’enchaînent sans arrêt. Une dame interrogée par l’équipe d’Enquête affirmait ainsi avoir travaillé quarante jours de suite. Bien que payante, cette situation peut vite devenir exténuante. Quant aux travailleurs qui n’ont pas les compétences requises, l’aventure albertaine peut être encore plus pénible. Gagner un salaire qui semblerait au-delà de la norme au Québec n’est pas suffisant à Fort McMurray. Les salaires dans le secteur tertiaire sont impressionnants. Les restaurants et magasins affichent même leur taux horaires sur leurs panneaux publicitaires: ils tentent désespérément de trouver des employés. La raison pour laquelle le commun des mortels boude ce type d’emploi se trouve dans le coût des logements. Selon le site web de la ville de Wood Buffalo, un 1½ coûte en moyenne 1500 dollars par mois. Une maison unifamiliale coûte, quant à elle, plus de 700000 dollars par mois. Pour ce qui est de l’option roulotte, le prix des terrains de camping en fait déchanter plusieurs. Toujours selon un reportage d’Enquête, un terrain de camping coûtait à l’époque 950 dollars par mois. Le fait que le loyer d’une maison unifamiliale ait augmenté, en moyenne, de 64000 dollars entre 2009 et 2010 laisse présager que le terrain de camping à 950 dollars de l’époque était une aubaine. Ce qu’on oublie cependant régulièrement, c’est que, pour des Albertains et pour des travailleurs des provinces maritimes, du Québec ou du Labrador, Fort McMurray est un endroit où les chômeurs et les gens sans emploi peuvent facilement trouver du travail et décemment gagner leur vie. C’est le cas pour le jeune Tyler Kahmahkoostayo qui travaille depuis peu dans les cuisines d’un camp de travailleurs. «J’étais sans logement, je n’avais nulle part où aller, j’habitais chez la mère d’un de mes amis. Je n’avais pas de travail et je faisais tout pour en trouver un» raconte-t-il. À défaut de trouver un emploi à Edmonton, Tyler s’est tourné vers Fort McMurray. Les quarts de travail de Tyler sont représentatifs de ceux des travailleurs de la région. «Je travaille


Mirage dans le bitume Un regard sur la communaute derriere l'exploitation des sables bitumineux durant vingt-etun jours sans arrêt et j’ai ensuite sept jours de congé. Je travaille de dix à treize heures par jour», explique-t-il. Il utilise ses jours de congé, comme bien des habitants de la communauté, pour retourner dans sa famille, à Edmonton. Il ne semble pas être préoccupé par les longues heures de travail ininterrompues qui l’attendent. Même sans formation et sans espoir de faire des économies, Tyler gagne raisonnablement sa vie. Son salaire horaire de quatorze dollars prend tout son sens lorsqu’il explique qu’il est nourri et logé par la compagnie pour laquelle il travaille. Arrivé depuis peu, Tyler est optimiste. Il affirme s’être fait une bonne impression de Fort McMurray.

La part des entreprises Les deux plus grands employeurs de la région sont Suncor et Syncrude. Elles sont en grande partie responsables de l’accroissement de la population à Fort

McMurray. De nombreuses personnes accusent les travailleurs de prendre tout ce qu’ils peuvent de la communauté et de partir, sans se sentir redevable de rien. Cependant, qu’en est-il des entreprises? Après tout, ce sont elles qui profitent le plus de cette ruée vers l’or noir. Même le gouvernement albertain affirme qu’elles ont un rôle important à jouer. «Les compagnies sont encouragées à investir dans leur communauté», affirme-t-il. Il explique également de quelle façon la coopération se produit lorsque le problème des infrastructures est soulevé. «Le gouvernement albertain organise régulièrement des rencontres entre l’industrie, les gouvernements municipaux et les groupes de support communautaire lorsque vient le temps d’aborder le développement des infrastructures dans les communautés», explique-t-il. Le souci, dans ce discours, c’est toutefois l’utilisation du terme «encourager». Exploitant un sous-sol qui appartient aux Canadiens, les compagnies ne doivent rien aux citoyens ou encore à la ville responsable de leur richesse. L’investissement dans la communauté est plutôt considéré comme un don. L’onglet menant aux services communautaires des sites web de Suncor et Syncrude témoigne d’ailleurs de cet état d’esprit. Le site web de Suncor est peu éloquent. Les images idylliques y prennent une place démesurée alors que les textes y sont souvent très courts et complètement dépourvus de contenu. Il n’y a pas de chiffres, pas d’actions concrètes expliquées. Lorsqu’il y a un peu plus de détails, on parle surtout des autochtones, de l’éducation et de l’environnement. Bref, des domaines abordés de façon peu significative,

simplement pour faire bonne figure face aux critiques. La compagnie Syncrude, quant à elle, fait meilleure figure, mais sans plus. Elle affirme avoir investi 12,5 millions dans la communauté depuis 2006 et explique également de manière plus précise où l’argent a été investi. Bien que le fait d’investir dans un collège, un institut de technologie et une banque alimentaire ne puisse pas nuire, ces dons visent davantage une visibilité positive qu’une véritable préoccupation pour la population. On n’aborde également jamais la redevance des entreprises vis-à-vis de la ville, de ses habitants et des problèmes qui leur sont propres. Pourquoi investir de l’argent dans un institut de technologie alors qu’une infrastructure aussi essentielle qu’un aqueduc est en train de flancher? Enfin, il faut questionner la façon dont les habitants de Fort McMurray (et plus généralement de l’Alberta) as-

sument leurs responsabilités. Pour résoudre le problème de la ville de Fort McMurray, la communauté devra forcément exiger des comptes de la part des compagnies et du gouvernement albertain. Plus près de nous, au Québec, la compagnie minière Osisko, établie à Malartic, se met à la disposition des citoyens afin de répondre à des questions que ce type de compagnies évite souvent. Pourtant, l’exploitation du sous-sol de Malartic a été très controversée: déplacement d’une partie d’un village, soucis environnementaux, inquiétude par rapport à «l’après» Osisko, et plus encore. Le fait est que, malgré l’opportunité que représentait Osisko pour le village de Malartic, la population a fait comprendre à la compagnie qu’elle avait un devoir envers elle. Pour faire ainsi, la population de Fort McMurray et de l’Alberta devra regarder la situation d’un œil critique et arrêter de se plonger la tête dans le sable… bitumineux.x

Continuez le voyage sur les dunes de sable de l'Athabasca et voyez le temoignage de notre envoyee speciale sur ledelitfrancais.com

Photo: Anabel C.Civitella; Dessin: Raphaël Thézée

Société

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CHRONIQUE

La vie est une chose sérieuse

Raphaël Thézé | Étonnante science

La création, manipulation et cessation de la vie ont depuis toujours soulevé des questions éthiques qui restent encore aujourd’hui sans réponse, puisque la morale elle-même échappe à toute définition objective lorsqu’on la questionne. L’utilisation de cellules souches dans la médecine et la recherche est aujourd’hui synonyme de remède, tout comme de meurtre. Les deux mots se font écho alors qu’un combat a lieu entre ceux qui souhaitent sauver la vie d’individus malades et ceux qui souhaitent préserver la vie d’indi-

vidus qui ne sont pas nés. Il est important de comprendre que ces cellules correspondent à une population unique de cellules primitives ayant la capacité de se multiplier à l’infini et de se différencier vers n’importe quelle lignée cellulaire. Il en existe plusieurs, mais toutes ont en commun cette capacité inouïe de devenir n’importe quel organe, s’intégrer à n’importe quel système du corps pour le régénérer et guérir ce qui n’est plus fonctionnel. Alors que la polémique sur l’utilisation de cellules souches à des fins thérapeutiques fait rage depuis quelques années, la connaissance de l’existence de ces cellules, ainsi que des possibilités qu’elles offrent, n’est pas récente. Les premières preuves de leurs capacités régénératrices remontent aux années soixante lorsque la présence de cellules souches adultes fut détectée dans la moelle osseuse. Quelques années plus tard, elles furent utilisées avec succès lors d’une transplantation pour guérir un cas d’Immunodéficience Sévère. Ce n’est que dans les années quatre-vingt que des scientifiques parvinrent à dériver

des cellules souches embryonnaires à partir d’un fœtus de souris, puis en 1998 à partir d’un fœtus humain. Il n’en fallait pas plus pour lancer le débat. En effet, si les cellules souches de moelle osseuse sont prometteuses, leur prélèvement est compliqué et douloureux: les risques de rejet ou de transmission de maladies sont élevés, car la greffe nécessite une compatibilité parfaite entre le donneur et le receveur. Les cellules embryonnaires n’ont pas ces inconvénients. En plus d’avoir un plus grand potentiel de différentiation, leur capacité de prolifération est accrue. Peut-être même trop, puisqu’il y a toujours un risque de causer un tératome (un type de tumeur). La problématique majeure des cellules embryonnaires, cependant, réside dans leur origine. Elles sont issues de la masse intérieure de l’embryon et leur extraction rend impossible le développement futur de l’embryon. Des opposants à l’utilisation de ces cellules, pour des raisons éthiques, ou encore pour des questions d’ordre religieux, considèrent, pour certains, que ces cellules

possèdent une âme et que la destruction d’un embryon est comparable aux pratiques d’expérimentation nazies. Dans un certain sens, elles sont vivantes, se multiplient et possèdent l’ADN d’un être humain complet. Est-ce assez pour en faire un individu, sujet conscient de sa condition humaine? Il faut savoir que ces embryons sont des «surplus» que l’on trouve dans les cliniques de fertilité. Après qu’une médicamentation a provoqué chez la femme la création d’une douzaine d’ovules matures qui seront tous fertilisés, seulement deux à quatre embryons seront implantés, tandis que les autres sont conservés indéfiniment ou jetés sans jamais avoir la possibilité de développer ne serait-ce que l’esquisse d’un système nerveux. Le débat encore aujourd’hui s’enlise autour d’une synecdoque morale, les uns prenant la cellule pour l’âme et les autres ramenant le corps à une cellule. Heureusement pour la science et la médecine, un espoir existe de concilier les deux parties. Il s’agit des cellules souches du sang de cordon ombilical. En

plus de ne créer aucun scandale moral, l’extraction est simple et ne présente aucun risque pour le nouveau-né. Une trousse de prélèvement qu’une infirmière peut utiliser est fournie par une compagnie offrant de filtrer le sang et d’entreposer les cellules. Tous les êtres humains à la naissance possèdent un cordon ombilical et ont la possibilité d’avoir en réserve des cellules souches pouvant un jour leur sauver la vie. L’immaturité immunitaire permet une compatibilité plus large entre le donneur et le receveur. Ainsi, les parents ne souhaitant pas conserver les cellules peuvent en faire don. Les frais associés peuvent s’élever à plusieurs milliers de dollars, mais amortis sur au moins quinze ans d’entreposage, l’investissement est minime. Après seize ans de recherches et d’utilisation, ces cellules ont permis la guérison de soixante-dix maladies différentes. En définitive, il s’agit d’une option importante à considérer par les parents en vue d’un accouchement en raison de l’incroyable potentiel de ces cellules et de leur incidence sur la médecine. x

Raphaël Thézé | Le Délit

ÉDUCATION

Une nouvelle forme d’éducation sexuelle au Québec Des réformes anticipées entraînent de nouveaux espoirs. Charly Feldman Le Délit

L

es élèves du primaire et du secondaire au Québec auront enfin droit à une éducation sexuelle plus complète. Suite à une pétition de 3197 signataires, formulée par le Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel de l’Estrie, la ministre de l’Éducation, Line Beauchamp, a annoncé en décembre dernier l’introduction d’un programme obligatoire d’éducation sexuelle dans les écoles publiques. Le compte-rendu de la commission parlementaire de la culture et de l’éducation précise que «la formation, qui devra être donnée par des intervenants et des enseignants qualifiés, pourrait s’insérer dans des cours comme sciences et technologie, éthique et culture religieuse ou éducation physique et à la santé».

10 Société

Ce geste est perçu comme un signe positif par les nombreux opposants au programme actuel. Une réforme de l’éducation en vigueur depuis 2001 avait éliminé les cours consacrés à l’éducation sexuelle dans les écoles primaires et secondaires du Québec. Actuellement, les jeunes sont initiés à la sexualité par leurs professeurs de sport, de mathématiques et de physique. Du moins, c’est ce qu’envisageait le gouvernement québécois lorsque le nouveau programme a été mis en place. L’apprentissage de la sexualité dans les milieux scolaires doit en théorie prendre la forme de discussions informelles entre enseignants et élèves, quelle que soit la discipline. Le gouvernement offre des formations pour les enseignants, mais, jusqu’à aujourd’hui, leur participation n’était pas obligatoire. Selon Francine Duquet, professeure de sexologie à l’UQÀM et auteure du guide actuel sur l’éducation sexuelle pour les en-

seignants, l’objectif de la réforme aurait été de promouvoir une approche à la sexualité globale et multidisciplinaire: «On veut que tout le monde puisse intervenir, autant le surveillant que le prof de maths qui entend une blague à caractère sexuel, par exemple». Mais ce système avait provoqué un grand mouvement d’opposition. Parmi d’autres, un collectif de sexologues avait mis en avant les risques d’un programme d’éducation qui suppose que tout enseignant est suffisamment informé et à l’aise avec l’idée d’aborder le sujet de la sexualité avec de jeunes étudiants du secondaire. «Pour donner des cours d’éducation sexuelle, il faut être à l’aise et ça ne s’apprend pas en quelques heures», dit la porte-parole du collectif, Sophie Morin. Des statistiques inquiétantes soulignent aussi le besoin d’une nouvelle réforme. Selon une étude du gouvernement québécois, les

jeunes de quinze à vingt-quatre ans font partie des groupes les plus vulnérables aux ITSS (infections transmises sexuellement et par le sang), représentant une majorité des cas de chlamydiose et d’infection gonococcique, par exemple. Pour Alexandra Blair, étudiante mcgilloise qui travaille à la sensibilisation des jeunes à l’agression sexuelle dans les écoles secondaires, «c’est la prévention qui compte avant tout. Il y a tellement de mythes autour de la sexualité, et on manque de nuances lorsque le sujet est abordé.» Elle ajoute que «trop souvent, la responsabilité revient aux parents, alors que la sexualité est encore un sujet tabou». Un des enjeux de cette nouvelle initiative est le contenu du programme d’éducation sexuelle proposé par la ministre Beauchamp, qui demeure vague. La missive du collectif de sexologues démontre qu’il reste encore beaucoup de tra-

vail à faire. «Nous avons peur que cette réintroduction se fasse seulement sur papier et que la qualité de l’enseignement sexuel continue d’être défaillante, incomplète et dispensée par des acteurs n’étant pas à l’aise pour aborder la sexualité.» Selon Kota Harbron, qui participe à des campagnes de sensibilisation et d’éducation avec des organisations telles que A Deux Mains et SACOMSS, les cours d’éducation sexuelle doivent non seulement êtres réintroduits, mais modernisés de façon à promouvoir une plus grande tolérance vis-à-vis de la sexualité. Dans les écoles secondaires, ces organisations offrent des ateliers sur la sexualité menés par des jeunes, dans l’objectif de promouvoir une approche globale des relations sexuelles, de mettre l’accent sur le consentement et de défaire les nombreux mythes liés à la sexualité. Un modèle qui, selon certains, devrait servir d’exemple au gouvernement. x

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Arts&Culture

MUSIQUE

artsculture@delitfrancais.com

The Dears: le retour de l’apocalypse

Le groupe montréalais chéri The Dears entame la nouvelle année avec la sortie de son cinquième album, Degeneration Street. Entrevue avec le guitariste Patrick Krief. Valérie Mathis Le Délit

L

eurs chansons mélodieuses et dramatiques ont peuplé les premiers iPods des adolescents que nous étions, voilà déjà huit ans, à l’époque de la sortie de l’album No Cities Left (2003).

Les années ont passé, Steve Jobs s’est enrichi et The Dears a fait le tour du monde. Qu’est-ce qui a changé en huit ans? Peut-être simplement une accumulation d’expériences, et les éternelles et tumultueuses vagues d’émotions qui vont et qui viennent, comme celles qui sont représentées sur la

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pochette du très acclamé No Cities Left, un album qui avait happé les mélomanes montréalais et internationaux par ses «emportements sonores apocalyptiques» (selon Eric Parazelli du journal Voir), ses montées d’émotions virulentes et un son orchestral pop inattendu. Après Gang of Losers (2006) et Missiles (2008), voici Degeneration Street: un album que certains pourraient qualifier de point d’apogée de l’œuvre des Dears, à la fois grâce à la maîtrise de leur style suave et dramatique, et aux mélodies rock orchestrales sophistiquées. Quatorze nouvelles chansons qui rappellent le passé et se tournent vers le présent, dans cette fraîcheur de l’inconnu qui angoisse parfois et calme souvent. C’est par une de ces soirées d’hiver frigorifiantes, où chacun semble avoir oublié la désinvolture de l’été, que Le Délit s’est entretenu avec Patrick Krief, guitariste de The Dears depuis 2003. C’est avec un charisme enviable, visiblement indifférent à la température, qu’il a partagé avec nous sa vision de la musique et de la vie. «Je suis compositeur avant tout, déclare Krief. L’important pour moi, c’est d’exprimer ma propre réalité.» La création, assure-t-il, peut pourtant se faire en groupe: «il y a une raison pour laquelle nous jouons ensemble: nous sommes tous sur la même longueur d’ondes.» La musique qui en résulte est le produit d’une même personnalité qui transcende. C’est peut-être même cette personnalité, que Krief qualifie de dramatique, qui l’aurait poussé à réintégrer le groupe après l’avoir quitté en 2007 pour entreprendre une carrière avec Black Diamond Bay. «Quand j’étais en tournée pour promouvoir mon EP Take it or Leave, [Murray Lightburn] et moi étions toujours en contact. Il m’a parlé d’une opportunité de jouer un rôle différent dans le groupe,

et j’ai décidé de revenir.» Résultat: Degeneration Street, composé par les six membres du groupe et que Lightburn, le chanteur principal, qualifiait du «meilleur des Dears» lors d’une entrevue avec La Presse en septembre dernier. Serait-ce cette émotion dramatique, si bien véhiculée par leur musique, qui aurait valu au groupe une renommée internationale? «Aucune idée», affirme franchement Krief. En mai dernier, le groupe s’est rendu à Mexico pour y jouer des chansons de leur nouvel album: «L’accueil a été spectaculaire, pendant quelques instants on s’est sentis comme les Beatles.» Cette capacité d’atteindre un public international, Krief s’en réjouit et y rajoute même ceci: «Partout où on va, c’est la même chose. Il y a les mêmes types de personnalité, ou pour reprendre les paroles d’Iggy Pop: “it’s the same assholes with a different t-shirt”.» Le son de Montréal Montréal, ville natale des Dears, est à l’image de sa scène musicale: un mélange unique de styles, de mentalités, et particulièrement, de goûts. «Je n’arrive toujours pas à attribuer un son à Montréal», s’enthousiasme Krief, conscient de l’avantage d’échapper aux catégorisations. En 2005, lorsqu’ils étaient en tournée au Royaume-Uni, le groupe est tombé avec surprise sur un article intitulé Montreal Music Scene: «On a éclaté de rire. Pour nous, la scène musicale de Montréal est impossible à catégoriser.» C’est peut-être grâce à son influence musicale éclectique que The Dears réussit à surprendre, mais les généralisations demeurent: «Il y a cette grande tendance, au niveau international, à nous associer à Arcade Fire, même si notre musique est très différente.» Y a-t-il un message, finalement, à retenir des Dears? Après s’être familiarisé avec leur style

très inattendu, à la fois dû à des fluctuations au sein du groupe et à des vagues d’émotions grandioses, il est tout naturel de vouloir connaître la réflexion qui se cache derrière l’œuvre. Pour Krief, cependant, les intentions initiales importent peu: «On exprime ce qu’on ressent, mais pas du tout avec la prétention de dicter une manière de vivre. C’est une chose assez ingrate, finalement. Les émotions viennent de nous, et l’interprétation de notre musique revient à chaque individu.» Interrogé sur le succès du groupe, Krief ne sait que dire: «Les émotions qu’on exprime sont vraies. Si elles peuvent atteindre des gens partout dans le monde, tant mieux: on se sent moins seuls.» «Nous ne sommes que des témoins de ce qui se passe», ajoute-t-il. Et rendre compte de ce qui se passe, c’est peut-être ce que The Dears fait de mieux: cacher, derrière ces sonorités dissonantes et ces mots brumeux teintés de mélancolie, des milliers de secrets, de découvertes qui feront de chaque écoute une expérience différente. «Les imbéciles heureux, on les envie tous un peu», dit-il, amusé. Ce n’est évidemment pas le cas des Dears, pour lesquels la profondeur des angoisses et des désespoirs est transcendante dans leur musique et dans leur popularité. Et tout cela, finalement, se fait bien simplement: des instruments, la voix forte et profonde de Murray Lightburn, des musiciens sur la même longueur d’ondes, et des paroles qui permettent à tout un chacun de voyager à sa manière. Le très attendu Degeneration Street –produit par Pheromone Recordings–, dont la sortie est prévue le 15 février prochain, est donc prêt à séduire les publics montréalais et internationaux. Peut-être même que cette année, The Dears voleront la vedette à Arcade Fire? À suivre… x

Graciseuseté de Bonsound

Arts & Culture

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LITTÉRATURE

CHRONIQUE

Succès du Festival d’Angoulême

Dénivellation relative

Retour sur le Festival international de la bande dessinée et ses récompensés.

Francis Lehoux | Coup de plume

9e Art+/ Jorge Alavrez

Annick Lavogiez Le Délit

L

e jury de la 38e édition du Festival international de la bande dessinée, présidé par Baru, récipiendaire du Grand Prix 2010 de la ville d’Angoulême, a remis dimanche ses divers prix, soulignant une fois de plus le travail de bédéistes passionnés et talentueux. Des visiteurs des quatre coins du monde ont visité une dizaine d’expositions et rencontré 1000 auteurs de tous horizons afin de saluer le neuvième Art. Le Grand Prix de la ville d’Angoulême a été octroyé à Art Spiegelman pour l’ensemble de son œuvre, une œuvre marquée par la tragique histoire de la famille du dessinateur, des juifs polonais rescapés des camps. Figure majeure de la bande dessinée mondiale depuis le début des années 1970, Art Spiegelman est connu auprès du grand public pour Maus – A Survivor’s Tale (Maus: un survivant raconte en français), récompensé en 1988 par ce même festival qui lui offre alors le Prix du meilleur album étranger pour le tome 1, puis en 1993 pour le tome 2, Et c’est là que mes ennuis ont commencé. Figure emblématique de la bande dessinée américaine alternative, seul bédéiste récipiendaire du Prix Pullitzer, Art Spiegelman a également collaboré à divers magazines, dont The New Yorker dans les années 1990. Dans la dernière décennie, son œuvre a été marquée par les événements du 11 septembre 2001 (en 2004, il fait paraître In The Shadow of No Towers). Plus récemment, il a publié Be A Nose, une compilation de carnets de croquis. L’autre grand gagnant du festival est Manuele Fior qui a reçu le Fauve d’or, le prix du meilleur album 2011, pour Cinq mille kilomètres par seconde. Cette bande dessinée à l’aquarelle conte l’histoire de Piero et de

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Arts & Culture

Lucia dont l’amour, idéalisé par l’éloignement, est déçu et épuisé petit à petit à cause de moyens de communication toujours plus rapides. On en avait beaucoup parlé, de nombreuses rumeurs circulaient sur les prix qu’il obtiendrait, et finalement, c’est le Fauve d’Angoulême –le Prix Spécial du Jury, parrainé par la Fnac et la SCNF– qu’a raflé Asterios Polyp. Ce roman graphique de David Mazzucchelli retrace le parcours d’un architecte en pleine crise morale et personnelle. Se déroulant en Amérique, ce récit truffé de références esthétiques, historiques et philosophiques, a été encensé par les médias américains qui n’ont pas hésité à voir dans cet album un véritable chef-d’œuvre. Quelques détails sur les différentes récompenses pour les curieux. Le prix du Public, Fauve Fnac SNCF, a été décerné à Julie Maroh pour Le Bleu est une

couleur chaude, tandis que Fabien Nury et Sylvain Vallée ont reçu le Fauve d’Angoulême –Prix de la série, parrainé par la Fnac et la SNCF– grâce à Il était une fois en France tome 4 – Aux armes, citoyens! Le Fauve d’Angoulême –Prix Intergénérations, parrainé par la Fnac et la SNCF– a récompensé le seul manga figurant parmi la liste des cinquante-huit nominés, Pluto de Naoki Urasawa, d’après Osamu Tezuka. Le Fauve d’Angoulême –Prix Regards sur le Monde, parrainé par la Fnac et la SNCF– a été quant à lui décerné à Joe Sacco pour l’album Gaza 1956 – En marge de l’histoire. Le Fauve d’Angoulême – Prix Révélation a été donné à La Parenthèse d’Élodie Durand (Éditions Delcourt) et à Trop n’est pas assez, d’Ulli Lust (Éditions Ça et Là). x Retrouvez le palmarès complet et les détails du festival sur www.bdangouleme.com.

Baru, président du Jury 9e Art +/ Lewis Trondheimw

Contrairement à la majorité, je ne rêve pas de stabilité. Je préfère de loin la dénivellation marquée, la vie en dents de scie. Pourquoi? Parce qu’à mon sens, la déstabilisation de soi (par soi ou par des instances extérieures) assure l’évolution. Ainsi, après avoir fait l’éloge de plusieurs œuvres théâtrales et cinématographiques nobles et raffinées dans mes chroniques antérieures, je ressens maintenant le besoin de me déstabiliser et de critiquer un produit culturel infect, de l’écorcher, de le sacrifier. Pour assurer ce passage de la louange au blâme, je délaisse le chef-d’œuvre et me tourne vers le cinéma de masse, le populaire et le disco; je me tourne vers Funkytown. Vendredi, 14h30. Cinéma du Quartier latin, billetterie. Je suis entouré de personnes âgées. En plus de mon billet, le guichetier glisse sous la vitre protectrice un objet non identifié. «Gracieuseté du distributeur,» dit-il sur un ton presque ironique. Imaginez: un magnifique sac matelassé de couleur argent, à l’effigie du dernier film de Daniel Roby! Merci Remstar pour ce cadeau dont personne ne saura que faire. La séance n’est pas commencée, et je jubile déjà à l’idée d’écrire une critique acerbe et sans pitié. Quinze minutes de publicité et de bandes-annonces plus tard, le maudit film commence. L’«œuvre» bilingue écrite par Steve Gallucio (Mambo Italiano) et réalisée par Daniel Roby (La peau blanche) décrit, dans un mélange d’histoire et de fiction, l’effervescence de la période disco à Montréal, de 1976 à 1980. La séquence d’ouverture, rythmée par le célèbre tube Knock on Wood, s’avère dynamique et entraîne même le plus réfractaire des spectateurs (that’d be me) dans l’univers du showbusiness et des boîtes de nuit de l’époque. (Je desserre un peu les dents, mais attends le cliché et la caricature de pied ferme.) Ces premières scènes accrocheu-

ses présentent les personnages principaux: Bastien Lavallée (Patrick Huard), un animateur populaire et ambitieux vivant à un rythme effréné; Jonathan Aaronson (Paul Doucet), un potineur anglophone flamboyant qui s’impose au sein de la jet set francophone; Mimi (Geneviève Brouillette), une star de la chanson déchue et désargentée; un producteur et agent d’artistes (Raymond Bouchard) sans scrupules; et Tino (Justin Chatwin), un jeune restaurateur et un danseur d’origine italienne qui assume mal son homosexualité. Les destins de ces protagonistes, enchevêtrés avec ceux de plusieurs autres personnages hauts en couleurs (carburant pour la plupart à la gloire, au sexe, à l’argent et à la drogue), forment un récit choral bien ficelé. (Je maugrée; ce n’est pas aussi mauvais que je l’aurais cru.) Les dialogues, en grande partie en anglais, sont plutôt bien tournés et les acteurs (on retiendra la performance de Paul Doucet) offrent des interprétations respectables malgré la superficialité des personnages. Patrick Huard, qui incarne avec aplomb un king du disco en déchéance, parvient même à susciter la sympathie du spectateur (le métier d’acteur lui sied sans doute beaucoup mieux que celui de réalisateur). Dans l’ensemble, Funkytown, qui s’appuie sur les recherches sérieuses du producteur exécutif Simon Trottier, dresse un portrait nuancé et assez crédible des folles années du disco dans la métropole. Le film séduit d’abord (malgré soi!) grâce à une trame sonore accrocheuse (composée de succès incontournables du disco, à la fois irritants et irrésistibles) et à des dialogues relevés. L’œuvre est également digne d’intérêt dans la mesure où elle montre non seulement l’aspect glorieux du mouvement, mais révèle surtout le côté moins reluisant de la boule miroir: décadence, corruption, manipulation, revers de la richesse et de la célébrité. Cependant, le charme opère surtout grâce à l’amplitude du récit, qui gagne en complexité en s’inscrivant dans un contexte plus large, celui des débats linguistiques, du référendum de 1980, de la culture gaie et de l’éclosion du mouvement punk. Dénonçant avec subtilité l’homophobie et le refus d’aller de l’avant, le film propose comme valeurs l’émancipation, le changement et l’évolution. Du coup, je retrouve mes repères et interroge ce qui me laissait amer dans la culture populaire. x

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CINÉMA

La vie ordinaire des gens normaux Au gré des saisons, Mike Leigh philosophe sur la vie dans le drame de mœurs Another Year. Xavier Plamondon Le Délit

D

ans une banlieue de Londres, Tom (Jim Broadbent) et Gerri (Ruth Sheen) mènent une vie paisible et heureuse. Habitué aux remarques comiques sur leurs noms, le couple âgé d’une soixantaine d’années apprécie la vie et ce qu’elle a à offrir. Ils approchent de la fin de leur carrière: Tom est géologue, Gerri est psychologue. Ils passent leurs fins de semaines à s’occuper d’un petit lopin de terre, qu’on voit évoluer au gré des saisons. Ils ont un fils, Joe (Oliver Maltman), un éter-

nel célibataire dans la trentaine. Très occupé, il n’a pas toujours le temps de donner de ses nouvelles à ses parents. Ils ont aussi plusieurs amis, des âmes égarées et écorchées. Il y a Ken (Peter Wight), un bouffon alcoolique et obèse qui a déjà vu plusieurs de ses amis mourir. Il habite dans le Nord de l’Angleterre, et leur rend visite à Londres de temps en temps. Il y a aussi Mary (Lesley Manville), une collègue de travail de Gerri. Divorcée et célibataire, elle est un brin étourdie et naïve, et n’hésite pas à faire des visite impromptues à Tom et Gerri. Le jeu des acteurs est superbe. Ceci est sans

doute le plus grand atout du film de Mike Leigh (Vera Drake, Happy-Go-Lucky). La complicité entre Broadbent et Sheen est étonnante. On sent la stabilité de leur couple et tout l’amour qui s’en dégage. La performance de Lesley Manville est superbe, d’autant plus qu’un tel rôle de névrosée est difficile à maîtriser, car il devient souvent un cliché ridicule. Toutefois, Another Year ne tombe pas dans l’excès. Le spectateur y croit, car ce film est pratiquement une étude anthropologique. L’authenticité des personnages et la précision des dialogues permettent une exploration naturelle de plusieurs thè-

mes: la solitude, l’amitié, le deuil, l’amour, la maladie, la vieillesse. On s’attache facilement aux personnages, et on s’y identifie, dans une certaine mesure. L’histoire est construite en quatre parties: printemps, été, automne, hiver. On est témoins de naissances, de morts, de joies, de peines. Ce sont les saisons qui passent. Et le temps ne passe pas nécessairement rapidement lorsqu’on regarde ce film. Another Year contient en effet plusieurs longueurs qui auraient facilement pu être écourtées. Un autre élément qui pourrait agacer plusieurs téléspectateurs est l’absence de véritable histoire et

d’actions. On est témoin de l’évolution des personnages vis-à-vis plusieurs drames de la vie, certes, mais on doit oublier la formule «situation initiale – élément déclencheur – péripéties – dénouement – situation finale». L’œuvre de Mike Leigh demeure tout de même un film pas dénué de sens, qui dépeint sans fioritures et avec honnêteté le destin de personnages attachants et authentiques. Peut-être pas une œuvre au même titre que les Quatre Saisons de Vivaldi, Another Year demeure un drame de mœurs très britannique. À louer par un après-midi pluvieux, avec une tasse de thé bien chaude. x

Gracieusité de Métropole Films

CHRONIQUE

L’insécurité Rosalie Dion-Picard | Tant qu’il y aura des livres

J’arrive donc au moment fatidique, après des heures vaines –honteusement nombreuses et vides– d’écriture de débuts de chronique. Trop scolaire, trop froid, trop intime, et d’ailleurs de quel droit, quelle autorité ai-je, que

sais-je, que propose-je? Se noue alors dans mon esprit cette conversation entre une irrésolution absurde (et qu’on qualifie souvent d’hi-la-ran-te) et un pragmatisme à peine plus rassurant. –Je n’ai rien à dire. –Évidemment, que tu ne vas rien dire de radicalement nouveau, mais tu sais, «Tout a été dit mais pas par moi», finalement, c’est pas con. –Tout dépend de qui on est… En plus j’ai rien lu, rien vu, rien compris, et c’est de pire en pire. Il y a dix-sept ans que je me pose une seule vraie question, «pourquoi existe-je, moi plutôt que n’importe qui, qui n’est pas né?». Je sais bien que tant qu’à être là faudrait peutêtre essayer quelque chose, tout de même. Pourtant, rien à faire, ça me paralyse. Je n’ai jamais eu même un

x le délit · le mardi 1er février 2011 · delitfrancais.com

vague embryon de réponse à mes questions, et plus le temps passe, plus je suis convaincue qu’il n’y a pas de réponse, ce qui entraîne une terrible crise de légitimité (pour un peu qu’on puisse me considérer détentrice d’un quelconque statut). Les opposants s’entendent au final pour un compromis honorable, variante du classique «si t’es pas jolie, sois polie»: pauvre fille, tu n’as probablement rien d’intelligent à dire, tu peux au moins essayer de divertir. Que diantre! tu ne vas pas non plus envoyer un dessin, hein? D’où la chronique d’humeur. Pas que ce soit plus facile, surtout pas. Seulement, la qualité est un tantinet plus subjective: on peut discuter les arguments et la structure, mais l’essentiel –le ton, l’anecdote est assez personnel pour

qu’on y reconnaisse davantage un auteur qu’un propos. On dira donc plus aisément: «elle, a m’énârve» plutôt que «tout le monde savait déjà que…, pourquoi en parler?». Du moins, tel est mon espoir. Le merveilleux monde de la communication Nous sommes, sachez-le, dans la semaine de la prévention du suicide, et comme souvent, ce genre de thème appelle à la métaphore creuse et aux pires banalités. «Le suicide n’est pas une option», nous apprend le slogan, très mal choisi par l’association québécoise de la prévention du suicide (AQPS) –qui offre des conseils autrement plus avisés sur son site Internet, heureusement. Un peu comme si le mois de l’histoire des Noirs nous disait que dans le fond, le racisme

envers les Noirs n’existe pas: «honni soit qui mal y pense», en somme. C’est vrai que quand on n’a plus d’autre choix que de se tourner vers le suicide, se faire répéter que le seul qu’on peut encore voir n’en est pas un, doit être d’un grand réconfort… J’aurais tendance à croire, comme l’expliquent les textes de l’AQPS, qu’une personne souffrant de détresse psychologique a surtout besoin de savoir qu’elle n’est pas seule. La quantité de choses qui me dépassent, constamment, autant que ce slogan débile, explique probablement cette légère insécurité que je ressens à discuter d’un monde qui ne m’inspire que des froncements de sourcils. Heureusement, il y a encore les livres et ça, les livres, ce n’est pas tout à fait la réalité. x

Arts & Culture

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ARTS VISUELS

Poésie et mascarade

Deux expositions pour explorer L’Art Contemporain à Montréal.

Le moulin à parfum (2010) de Gabor Szilasi Graciseuseté de la Galerie Orange

Raphaël Thézé Le Délit

T

el un livre d’art, l’exposition L’artiste et son poète présente quinze artistes de diverses disciplines (gravure, sculpture, peinture…) dont l’œuvre a été jumelée à un poète de leur choix. C’est une pratique courante en art que d’avoir un artiste et un écrivain qui, dans une création commune, lient un texte à une œuvre d’art plastique. Généralement, le texte offre une certaine profondeur à l’œuvre en proposant une réflexion supplémentaire qui nous mène dans une direction parfois inattendue. Inversement, une œuvre illustrant un texte donne de nouveaux horizons à l’imagination et colore les mots. Cette exposition, malheureusement, est une combinaison de textes et d’œuvres préexistantes qui, malgré leurs qualités respecti-

ves, manquent parfois de cohésion. Ainsi, le spectateur évolue d’un duo à un autre en essayant de se laisser porter par les évocations subtiles, mais il passe hélas plus de temps à essayer de trouver des liens –qui ne sont pas forcément évidents, au premier abord–, jusqu’à en oublier le sens de l’œuvre. L’exposition n’est peut-être pas aussi «fusionnelle» que la galerie le souhaiterait, mais elle reste malgré tout une belle expérience visuelle. La découverte simultanée de plusieurs artistes est toujours intéressante, car elle offre une grande diversité. La galerie Orange nous offre une aventure qui manque peut-être de structure, mais reste une sortie culturelle fructueuse. Parallèlement, la galerie Occurrence propose une nouvelle exposition du photographe JeanJacques Ringuette, dont le vernissage a eu lieu samedi dernier. Sur le thème de la mascarade, l’artiste se

met en scène en tant que personnage de cirque, tantôt clownesque, tantôt macabre. Ici, le personnage traditionnellement drôle et rieur devient un personnage grotesque, illustrant peut-être le ridicule du monde adulte. Par des expressions faciales exagérées, des postures scabreuses –trop, diront certains–, il évoque l’univers des fêtes foraines où règnent les monstres de foires. En effet, dans ses mises en scènes, le photographe devient un être inquiétant ou obscène qui nargue le spectateur. Une deuxième section de l’exposition est composée de clichés d’un être hybride: la tête de l’artiste est posée sur le corps d’un ours en peluche. Oscillant entre une créature malicieuse et innocente, les mises en scènes surchargées évoquent une enfance brisée. C’est le thème récurrent de l’exposition, l’enfance transformée au point d’en devenir grossière.

L’artiste souhaite-t-il entreprendre un périple psychologique dans sa propre enfance et revenir sur des événements troublant qui ont parsemé une quête d’identité? Le caractère statique d’une image photographique ne fait pas ressortir au mieux la dynamique des mises en scène, et finalement, les œuvres les plus marquantes sont les plus simples. Un visage, un drapé, une émotion voilée. C’est cette simplicité qui fait appel à notre for intérieur, et dans laquelle on réussit le mieux à se retrouver et à identifier l’être humain. N’en voulez cependant pas trop à l’artiste; il respecte ici sa thématique de la mascarade, il est donc de mise de déformer et d’amplifier tout ce qui peut être simple. Figures de mascarade ou La vie passionnante de Félicien est une histoire racontée et un conte pour enfant réécrit, mais avant tout, c’est le récit de la rupture d’un mythe symbolique. x

Séances sur la recherche d’un logement à Montréal Les séances couvriront les points suivants : •

Le meilleur moment pour commencer votre recherche

Quand, comment et où commencer votre recherche

Le formulaire d’application et le bail

La loi sur la Régie du logement au Québec

Quoi faire lors d’un con lit avec le propriétaire ou le(s) colocataire(s)

• •

Comment refuser une augmentation abusive de loyer Renouvellement et annulation d’un bail Les séances se dérouleront en anglais

Sessions hebdomadaires Tous les vendredis de février @ 14 h René Donais, Renard (2010) Graciseuseté de la Galerie Orange

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Arts & Culture

Lieu : R.V.C. (Roscoe Lounge) 3425 rue University Montréal H3A 2A8

Une présentation du Service de logement hors campus de l’Université McGill : www.mcgill.ca/offcampus

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THÉÂTRE

Récit biblique dans un stationnement Le Théâtre à corps perdus revisite le récit biblique de Judith et Holopherne. Une mise en scène inouïe pour un jeu forcé. dans Trauma) interprète une Judith trop exaltée. La veuve de Béthalie, accablée par ses sentiments et par le projet qui l’amène au pied du général, rend la montée dramatique pénible. Enfin, la complicité entre les comédiens est factice lorsqu’elle est présente, et la scène d’amour, suivie du meurtre semble alors précipitée et maladroite, en plus de laisser le spectateur indifférent. Cette scène est toutefois présentée de façon sublime

en théâtre d’ombre derrière les rideaux de chambre tirés. Élizabeth Chouvalidzé, dans la peau d’une servante aux multiples facettes –un peu docile, un peu fourbe– sauve un peu la pièce, mais accentue également l’inégalité dans le jeu des comédiens. Les mots, d’une violence gratuite par moments, sont à la mesure d’une mise en scène qui assomme le spectateur. À force de vouloir exposer la complexité

de l’Homme, capable autant de compassion que de cruauté, le squelette de la pièce –prometteur en lui-même– souffre d’une lecture mystique du récit de Judith et Holopherne. x Judith (L’adieu au corps) Où: Stationnement intérieur du marché Jean-Talon Quand: jusqu’au 17 février Combien: 22$

Maxime Côté

L

’Art regorge d’œuvres qui s’inspirent de récits tirés de la Bible, et le livre de Judith en a inspiré plusieurs. Il n’est pas surprenant alors que le Théâtre à corps perdus tienne à présent à revisiter cet épisode légendaire, mais c’est le lieu dans lequel est joué la pièce qui rend le tout particulièrement original. C’est donc dans le second sous-sol du stationnement du marché Jean-Talon que la metteure en scène Geneviève L. Blais a voulu raconter l’histoire de Judith, une belle et jeune veuve qui séduit le général Holopherne et lui tranche la tête pendant son sommeil pour sauver Béthulie de l’invasion assyrienne. L’espace est habilement utilisé. En utilisant la pente qui relie le premier sous-sol au second, la scène se voit ingénieusement approfondie. De petites statuettes occupent cette pente. Holopherne les dispose, comme tant de corps assassinés lors de sa conquête de la Judée, pendant que les spectateurs prennent place. Le sol bétonné est couvert de tapis persans, et la scène est minimalement constituée d’une plate-forme surmontée d’une chaise. Côté cour, un trou sépare l’espace principal du lit où le général sera sauvagement assassiné. Le cadre rectan-

gulaire du trou fait ainsi écho aux différents tableaux illustrant ce récit biblique, surtout à celui du Caravage. L’éclairage est brillamment exploité. De petits projecteurs à peine perceptibles sont disposés à l’avant-scène pour créer un éclairage frontal auquel s’ajoutent quelques lumières accrochées au plafond du stationnement. L’avant-scène s’assombrit par moments pour ne laisser que la pente éclairée d’une lumière fuchsia pour les scènes plus passionnées. La scénographie (Angela Rassenti) et l’éclairage (Stéphanie Raymond) contribuent donc bien à l’exploration de cet effacement des frontières entre le corps et l’esprit, la barbarie et l’héroïsme. C’est malheureusement le jeu des acteurs qui empêche le saut complet dans ce récit poignant. La pièce débute dans le noir avec Holopherne seul à côté de son lit, face à son armure. Il vient de se laver les mains, couvertes de sang. Le tourment du général se fait bien sentir pendant ces courtes minutes; pourtant, PierreAntoine Lasnier perd rapidement le spectateur dont il semble fuir le regard. Il incarne un Holopherne excessivement affligé dont il est difficile de se représenter le pouvoir et les conquêtes passées. Catherine de Léan (qu’on a pu voir dans les émissions Les hauts et les bas de Sophie Paquin et

Graciseuseté de Séville Films

Mai Anh Tran-Ho Le Délit

CINÉMA

Lamentable imposture L’Autre Dumas retrace la quête d’Auguste Maquet, nègre littéraire d’Alexandre Dumas. Sabrina Ait Akil Le Délit

L

’Autre Dumas est l’histoire d’une confrontation entre l’absolutisme et la révolution, l’exubérance et la timidité, mais surtout entre l’audace et la lâcheté. C’est dans l’effervescence de la Révolution de 1848 que Safy Nebbou a choisi de nous présenter l’histoire du nègre littéraire d’Alexandre Dumas (Gérard Depardieu): Auguste Maquet (Benoît Poelvoorde). La réalisation est faite de sorte à révéler au grand jour un urgent secret, celui de l’homme derrière le grand

Dumas. Nebbou oppose les deux personnages dans l’intimité du feu sacré de la création littéraire. Auguste Maquet est un homme nerveux, passif, sans aucune personnalité, l’antithèse même de Dumas pour qui il travaille. Curieusement, Maquet est aussi la muse de Dumas. Maquet se voit déstabilisé lors d’une rencontre fortuite avec Charlotte (Mélanie Thierry), une jeune femme dans la vingtaine qui désire faire sortir son père de prison, un ancien révolutionnaire et ancien camarade républicain d’Alexandre. Elle le prend pour Dumas, lui qui ne trouve pas les mots pour dénoncer

x le délit · le mardi 1er février 2011 · delitfrancais.com

l’imposture. Maquet le mari fidèle succombe à l’émoi provoqué par Charlotte et devient usurpateur. C’est une histoire truffée de cachotteries et de mensonge qui enterrent Maquet et qui révèlent au fil des évènements sa passivité maladive et son manque d’initiative. L’imposture a tout de même rendu hommage à la perfidie d’un homme prêt à tout pour goûter au succès. La réalisation de Safy Nebbou est fondée sur le testament d’Auguste Maquet qui voulait se rendre justice. Le but était de faire la lumière sur l’homme derrière Les Trois Mousquetaires. Nebbou a donc tenté

de transmettre au spectateur une vérité méconnue; mais ce que l’on retient de ce film c’est la faiblesse tant au niveau de l’intrigue que de réalisation. Le rythme est lent et les longueurs fatiguent le spectateur. Certaines scènes peuvent évoquer l’ambiance d’un carnaval ou d’un cabaret, mais l’essence même du scénario, le jeu du mensonge, alourdit le ton du film pour laisser le spectateur bredouille, sans substance cinématographique, tant l’histoire se termine en queue de poisson. La performance crédible de Benoît Poelvoorde doit néan-

moins être soulignée. Il est parvenu à incarner un rôle peu connu et peu attachant avec justesse. Il a aussi su s’effacer devant l’imposant Gérard Depardieu qui, lui aussi, rend justice à la personnalité frivole et sans tabous du grand Dumas. Ce jeu d’acteur a particulièrement servi le film. L’Autre Dumas révèle jusqu’où un homme est prêt à aller pour calmer sa soif de vanité quand il a une légende du monde de la littérature qui lui fait de l’ombre. En somme, ce film lève le voile sur une collaboration hors-normes en laissant le spectateur dans un doute final. x

Arts & Culture

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LE DÉLIT AIME...

L’ONF interactif Émilie Bombardier Le Délit

V

oilà près d’un an que l’ONF s’est engagé dans la voie des projets virtuels interactifs. Après Écologie sonore, un documentaire web sur notre relation au bruit, et Sacrée montagne, qui proposait à l’internaute de flâner sur le Mont Royal, les nouvelles créations se multiplient, abordant une myriade de sujets en alliant ambiances sonores, images et texte. Incursion dans ce nouvel univers qui n’en est qu’à ses débuts, au Canada comme aux États-Unis.

mentaire de Louiselle Noël sur la maladie mentale chez les enfants et adolescents. Bien qu’elles soient intéressantes, aucune des œuvres n’aborde son sujet de manière particulièrement originale, encore moins de façon interactive; la seule action que l’internaute est appelé à poser étant de cliquer sur une flèche au bas de l’écran pour faire défiler une prochaine image. Un essai interactif réunit généralement plusieurs courts métrages abordant le même thème. On peut donc se demander pourquoi rien n’a été fait pour réunir tous ces projets, histoire d’accorder une cohérence et une véritable complexité à l’entreprise. Œuvre de plus grande envergure, Terre de froid semble, elle aussi, incomplète. Ce récit d’une expédition

dans le grand Nord, orchestré par Dianne Whelan et Jeremy Mendes semble interminable et est somme toute peu captivant, conjuguant une narration anecdotique à des photos assez ordinaires, ultime exemple d’un essai qui appuie sa pertinence sur son recours à la technologie. Lavi an pa fini du photographe Benoit Aquin est sans nul doute la plus réussie de toutes ces nouveautés. L’essai confronte deux séries de clichés qui se succèdent, ceux saisis à Port-au-Prince trois jours après le séisme qui a dévasté Haïti et ceux que le photographe a pris trois mois plus tard, montrant que la vie reprend malgré tout son cours. D’une efficace simplicité et d’une beauté triste et enlevante, l’œuvre met à profit son support

virtuel en intégrant quelques brefs vidéos, et un univers sonore qui rend avec justesse l’ambiance d’un paysage vivant mais désolé. Difficile de déterminer l’orientation précise que l’ONF donne à ses projets interactifs. L’offre est à ce point diversifiée, du point de vue de la qualité comme des thèmes, qu’il est difficile de déterminer ce que nous réservent ses futures productions. Espérons néanmoins qu’elles exploiteront mieux l’hybridité que présuppose leur format, et qu’elles intègrerons une fois pour toutes cet aspect proprement interactif qui change la relation de l’œuvre à son public. Que le virage interactif de l’ONF soit à l’image de tout le potentiel de l’ère virtuelle, voilà, du moins, ce que Le Délit «aimerait». x

par Raphaël Thézé

La bd de la semaine

Témoignages «2.0» La maladie mentale, sujet très vaste auquel l’ONF a choisi de se

consacrer, est exploitée par trois œuvres laissant place au témoignage. Dans la cadre de la Semaine nationale de la prévention du suicide, on lançait tout récemment Lettre à Vincent de l’illustrateur Éric Godin et l’artiste Zilon mettent en scène une lettre qu’Éric Godin adresse à son fils, Vincent, qui s’est ôté la vie à l’âge de 16 ans. Percutant, quoique très long, son témoignage est illustré par une série d’esquisses sombres, rendant bien le malheur profond que Godin traduit en mots. En résulte une œuvre aussi simple que troublante. Otage de moi, un essai photo sur la dépression narré par l’une de ses victimes, adopte d’ailleurs la même dynamique, tout comme Ça tournait dans ma tête, présenté comme complément au docu-

www.onf.ca/interactif

16 Arts & Culture

x le délit · le mardi 1er février 2011 · delitfrancais.com


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