Le Délit

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Le mardi 1er mars 2011 | Volume 100 Numéro 19

le délit le seul journal francophone de l’Université McGill Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

Spécial Royauté delitfrancais.com


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Participants recherchés pour étude en psychologie Nous sommes à la recherche de francophones (langue maternelle française), âgés de 18- 25 ans, sans antécédents de troubles neurologiques ou de troubles psychiatriques. Les sujets seront soumis à une série de tests neuropsychologiques. La participation à notre étude nécessite environ 1 heure. En guise de compensation pour votre temps, vous recevrez 15 dollars. Veuillez contacter Alex à alex.macdonald@mail.

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plusieurs postes étudiants sur son Conseil d’administration. Les candidat(e)s doivent être étudiant(e)s à McGill, inscrit(e)s à la prochaine session d’automne et disponibles pour siéger au Conseil d’administration jusqu’au 30 avril 2012. Les membres du Conseil se réunissent au moins une fois par mois pour discuter de la gestion des journaux et pour prendre des décisions administratives importantes. Les candidat(e)s doivent envoyer leur curriculum vitae ainsi qu’une lettre d’intention d’au plus 500 mots à chair@dailypublications.org, au plus tard le mardi 22 mars à 17 h. Contactez-nous pour plus d’informations.

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Élections pour le conseil éditorial 2011-2012 le 16 mars Questions et candidatures: elections@delitfrancais.com


Éditorial

Volume 100 Numéro 19

le délit

Le seul journal francophone de l’Université McGill rédaction 3480 rue McTavish, bureau B•24 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6784 Télécopieur : +1 514 398-8318 Rédactrice en chef rec@delitfrancais.com Mai Anh Tran-Ho Actualités actualites@delitfrancais.com Chef de section Emma Ailinn Hautecœur Secrétaire de rédaction Francis Laperrière-Racine Rédacteur Campus Anthony Lecossois Arts&Culture artsculture@delitfrancais.com Chef de section Émilie Bombardier Secrétaire de rédaction Valérie Mathis Société societe@delitfrancais.com Anabel Cossette Civitella Xavier Plamondon Coordonnatrice de la production production@delitfrancais.com Mai Anh Tran-Ho Coordonnateur visuel visuel@delitfrancais.com Raphaël Thézé Infographie infographie@delitfrancais.com Alexandre Breton Irena Nedeva Coordonnateurs de la correction correction@delitfrancais.com Anselme Le Texier Élise Maciol Coordonnateur Web web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Collaboration

Sabrina Ait Akil, Emilie Blanchard, Raphaël Dallaire Ferland, Marie Fanny Devaux, Catherine Ducharme, Guillaume Dumas, Justin Doucet, Habib Hassoun, Christophe Jasmin, Polina Khomenko, Annick Lavogiez, Luba Markovskaia, Jean-François Trudelle

Couverture Raphaël Thézé bureau publicitaire 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6790 Télécopieur : +1 514 398-8318 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Gérance Pierre Bouillon Photocomposition Mathieu Ménard et Geneviève Robert The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Emilio Comay del Junco

rec@delitfrancais.com

Harper, roi malgré lui Mai Anh Tran-Ho Le Délit

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ertains remettent en question la légitimité de la monarchie au Canada, alors que ceci n’empêche pas Stephen Harper de régner en monarque. Dimanche soir, lors d’une conférence de presse, Stephen Harper a appelé le Colonel Kadhafi à «renoncer sur-le-champ à ses pouvoirs» et à «mettre fin au bain de sang» en Libye. En conformité avec la résolution adoptée samedi par le conseil de sécurité de l’ONU, le gouvernement canadien a décidé d’appliquer un embargo sur la vente ou l’exportation d’armes ou de fournitures d’armes, d’ordonner l’inspection de toute marchandise à destination de la Libye, de geler les avoirs de Kadhafi et de sa famille en plus de les interdire de voyager au Canada. De plus, Ottawa compte aller un peu plus loin en interdisant toute transaction financière avec la Libye et ses institutions bancaires. Les Conservateurs se présentent encore comme les défenseurs de la sécurité publique, après avoir concentré près de 40% de leur agenda législatif et des milliards de dollars sur la législation sur la criminalité. Le gouvernement continue de financer les infrastructures carcérales (le Service correctionel Canada), alors que le Canada fait face au plus grand déficit budgétaire de son histoire, et que d’autres départements voient leur budget coupé ou gelé. Les prisonniers sont peu vus par des professionnels de la santé, bien qu’on estime qu’au moins un quart des nouveaux internés souffrent d’un forme quelconque de maladie mentale. Les prisons sont deve-

nues des oubliettes et ceux qui y souffrent s’y trouvent se feront en effet vite oublier si on en croit le manque d’aide qui leur est accordée. Alors que le gouvernement Harper gonfle les prisons canadiennes, il élimine le registre des armes à feux. La méthode radicale de Harper consiste à préférer l’échafaud plutôt que la résilience. Il pense qu’il faut garder à l’écart les criminels. Le hic c’est que certains d’entre eux ont besoin plus que des barreaux pour se réhabiliter. L’isolation ne fait que ghettoïser nos communautés, alors que cette vision manichéenne ne tient pas compte des circonstances telles la pauvreté, les abus de drogues et la santé mentale. Stephen Harper ne s’en prend pas seulement aux criminels, mais aussi aux artistes. Il y a un mois, les Conservateurs célébraient leur cinquième année au pouvoir. Dans cette période, le gouvernement Harper a démontré un grand irrespect et mépris pour le développement des arts au Canada. En 2007, les Tories avaient augmenté le budget du Conseil des Arts du Canada de trente millions, pour une somme de 183 millions de dollars. Le gouvernement Harper a cependant coupé drastiquement jusqu’à quarante-cinq millions de dollars dans le financement des arts et de la culture, et surtout dans le budget alloué aux voyages et aux expositions hors pays (le programme Promotion des Arts a quant à lui été complètement annulé). L’art canadien se trouve ainsi dans une position précaire. Au temps des rois, on pouvait compter sur les mécènes, de nos jours, l’artiste est plus vulnérable aux lois du marché et à des contraintes politiques, et il a alors besoin du soutien du gouvernement.

Anne Howland, la directrice des communications des Affaires étrangères, avait expliqué que le financement était coupé pour des groupes ou des artistes dits «radicaux» ou «marginaux», car ils ne représenteraient pas bien le Canada à l’international. Les coupures inexpliquées et inattendues du gouvernement Harper ne projettentelles pas, elles-mêmes, cette image de radicalisme? Les Conservateurs ont démontré un profond manque de respect dans leur dialogue avec la communauté artistique, insufflant cent millions de dollars à des événements culturels déjà largement financés par des corporations, comme le Festival international de film de Toronto. De surcroît, le budget a été distribué par lndustrie Canada, plutôt que par le Conseil des Arts du Canada. Au Québec, les quinze millions de coupures ont semé la rogne et donné lieu à plusieurs manifestations à Montréal. Alors que l’influence de la culture américaine se fait grandissante, l’art canadien et de surcroît québécois est en voie d’extinction. Pour rivaliser avec les productions américaines exportées ici, nos œuvres et artistes ont besoin de l’aide du gouvernement, qui malheureusement a fermé ses fenêtres aux cris du peuple. Le Québec et le Canada forment peut-être bien des lieux démocratiques, ceci ne semble pas empêcher Stephen Harper d’agir comme bon lui semble, comme un roi. Alors que tout le monde s’attend à de prochaines élections au mois de mai, et que Stephen Harper se félicite de son bon travail, les décisions prises unilatéralement et sans consultation laissent à désirer. Rappelons-nous que nous vivons dans un pays démocratique, et présentons-nous devant les urnes. x

Conseil d’administration de la Société des publications du Daily (SPD) Tom Acker, Emilio Comay del Junco, Humera Jabir, Anthony Lecossois, Whitney Malett, Dominic Popowich, Sana Saeed, Mai Anh Tran-Ho, Aaron Vansintjan L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.

Les opinions exprimées dans ces pages ne reflètent pas nécessairement celles de l’Université McGill.

Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal.Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec). Le Délit est membre fondateur de la Canadian University Press (CUP) et du Carrefour international de la presse universitaire francophone (CIPUF).

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Spécial Royauté

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DOSSIER

La monarchie, constitutionnellement nôtre Loin d’être anachronique et de souhaiter l’imposition du pouvoir absolu de la Reine d’Angleterre sur le Canada, la Ligue monarchiste du Canada cherche à informer les Canadiens de leur héritage constitutionnel. Xavier Plamondon Le Délit

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our de nombreux Canadiens, la nature du régime politique sous lequel ils vivent importe peu, du moment qu’il est démocratique. Or, nous vivons dans une monarchie constitutionnelle, et trop peu de gens (25% selon un sondage Ipsos Reid réalisé en 2008) savent que le chef de l’État n’est pas le Premier ministre, mais plutôt la reine d’Angleterre, dont le représentant au Canada est le gouverneur général. Confrontée à cette réalité, la Ligue monarchiste du Canada s’est donc donné comme mandat de remédier à la situation en éduquant les Canadiens et les Canadiennes. En prévision de ce numéro spécial Royauté, Le Délit (LD) s’est entretenu par courriel avec le Major Léo J. Regimbal (LJR). Travaillant à temps plein au Quartier général de la Défense nationale à Ottawa, c’est un passionné de la monarchie constitutionnelle, ce qui le mène ainsi à s’impliquer bénévolement depuis une quinzaine d’années au sein de la Ligue Monarchiste du Canada comme représentant médiatique de la filiale d’Ottawa. Le Délit (LD): La Ligue existe depuis 1970. Pourquoi aucune organisation de ce genre n’existait auparavant, et d’où provient ce désir de promouvoir la monarchie au Canada? Léo J. Regimbal (LJR): Il faut préciser que le Canada est une monarchie depuis sa découverte. Notre petit pays fut «découvert» et colonisé suite aux désirs des rois de France et d’Angleterre. Les guerres incessantes entre la France, l’Angleterre et l’Espagne ont vu un va-et-vient de règnes sur le continent américain au cours d’une période

«[Plusieurs évènements des

années soixante et soixantedix] ont mené notre société à manquer de respect envers les institutions établies du Canada, et à remettre en question le rôle d’une monarchie constitutionnelle dans un État moderne.»

s’échelonnant sur plus de deux-cents ans jusqu’à la «conquête» de l’Amérique du Nord par la couronne britannique (qui n’était en fait qu’un accord commercial entre le roi Louis de France qui voulait les richesses perçues de Madagascar et d’autres terres lointaines et le roi

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Spécial Royauté

George d’Angleterre qui voyait le potentiel du continent américain). Depuis ce temps, les Canadiens sont les sujets du Souverain britannique. (Les guillemets sont de l’auteur NDLR.) À la fin des années soixante, le Canada émergeait de la génération fleur bleue du Peace and Love avec tous les bouleversements sociaux et la pensée. C’était les fondements de la pensée indépendantiste soi-disant «politique» avec les René Lévesque et compagnie. C’était la Crise d’Octobre; c’était l’état de choc partout au Canada. Plusieurs événements (la formation du Ralliement indépendantiste national (RIN), les grands remous du Front de libération du Québec, les bombes dans les boîtes aux lettres, et celle qui a fait éclater la tête de

monarchie constitutionnelle. La promotion de la monarchie en-soi est un exercice voué à la futilité, car on embarque plus souvent qu’autrement dans le sensationnalisme médiatique lorsqu’on fait ce genre de promotion. LD: À quel point la monarchie faitelle partie de l’identité canadienne? LJR: La monarchie fait partie intégrante de notre société et de notre identité canadienne. Prenez par exemple les règlements juridiques au Canada. Que ce soit le Common Law canadien ou le Droit Civil québécois, le terme «couronne» apparaît partout. Il en est de même pour les Forces armées du Canada. Le gouvernement canadien contient sa part de termes «royaux»: la chambre des

«Bien des gens se sentent un peu gênés d’affirmer qu’ils sont en faveur de notre monarchie canadienne, car ils sont intimidés par leur entourage, leur famille ou d’autres facteurs..»

la statue de la Reine Victoria à l’Université McGill) ont mené notre société à manquer de respect envers les institutions établies du Canada, et à remettre en question le rôle d’une monarchie constitutionnelle dans un État moderne. Ainsi, John Aimers, un jeune québécois anglophone qui poursuivait des études en science politique et qui travaillait sur la colline parlementaire à Ottawa pendant ses vacances estivales, fut approché entre autres par le lieutenant-colonel Strome Galloway, un proche de John Diefenbaker. La venue de la Ligue monarchique du Canada se faisait donc dans une atmosphère pour le moins cahoteuse et vouée à plusieurs branlebas politiques dans notre pays. De plus, plusieurs leaders canadiens de la fin des années soixante voulaient conserver le système politique stable qu’offrait la monarchie constitutionnelle et certains d’entre eux ont sollicité l’énergie et le savoir-faire d’Aimers et Galloway afin de rendre compréhensible les principes compliqués d’une monarchie constitutionnelle à la population canadienne par le biais d’une organisation qui éduquerait les Canadiens et Canadiennes dans cette matière. Ainsi est née la Ligue monarchique du Canada: le fait de promouvoir la monarchie au Canada vient du fait que notre souverain fait partie intégrante de notre régime constitutionnel. LD: Votre but est-il de promouvoir notre monarchie constitutionnelle ou bien de promouvoir la monarchie ensoi seulement? LJR: Nous voulons promouvoir la

communes où siègent les représentants du peuple contient le siège du Président qui représente la couronne auprès des communes et le Président du Sénat du Canada siège quant à lui devant le trône de Sa Majesté où seul le Souverain ou le gouverneur général peut prendre place. Toutes les provinces du Canada ont un Lieutenant-gouverneur qui représente la couronne. Tous ces individus sont les représentants du Souverain. Les allusions au fait monarchique ne manquent pas. Chaque pièce de monnaie que nous utilisons comporte soit l’effigie de Sa Majesté ou une mention de la Couronne. Les noms de rues font souvent allusion à la royauté. La rue Guy, à Montréal, par exemple, fait référence à Sir Guy Carleton, Lord Dorchester, un des premiers gouverneurs du Canada après la conquête qui a assuré que les CanadiensFrançais puissent conserver leur langue, leurs coutumes et leur religion! La rue Victoria, le Square Phillips, le pont Victoria (dont le nom complet est en fait le Queen Victoria Diamond Jubilee Bridge), le château Ramezay: ce sont tous des noms de souverains ou de la noblesse des régimes français et anglais. LD: Comment la monarchie peutelle être plus populaire au Québec? La langue est-elle le seul obstacle? LJR: Elle serait plus populaire si les chaînes médiatiques et certains aspects du gouvernement et du système d’éducation au Québec prenaient le temps d’expliquer correctement le bien-fondé de la monarchie dans notre quotidien. Si on cessait de avilir la monarchie à cha-

que fois que le Canada choisit une politique impopulaire auprès de l’intelligentsia québécoise, ce serait déjà un pas dans la bonne direction. La monarchie n’est pas là pour nuire au Québec ou le détruire. Au contraire, si ce n’était de notre monarchie constitutionnelle, les protections établies depuis que la couronne française a cédé le territoire canadien à la couronne anglaise suite à la «conquête», le Québec et les québécois d’expression française auraient cessé d’exister en tant que force au Canada en moins de deux ou trois générations, surtout si l’on regarde ce qui est arrivé aux acadiens de Louisiane suite à la cession de la colonie par la France. L’impopularité de la monarchie n’est pas une question de langue, mais bien une de perception. L’obstacle est notre compréhension de la monarchie constitutionnelle canadienne. C’est pourquoi la Ligue monarchique du Canada cherche à éduquer les Canadiens, ce qui comprend évidemment les Québécois, à ce sujet. Lorsqu’on comprend les enjeux, on est en meilleure position pour les expliquer et les apprécier. LD: Quels genres d’activités organisez-vous? LJR: Dans la région d’Ottawa, nous organisons tous les ans une session d’information lors des feux de la Fête de la Reine dans un parc du centre d’Ottawa. Lorsque Sa Majesté ou un membre de la famille royale vient nous rendre visite, nous sommes souvent sur place pour l’accueillir. Notre représentant auprès des médias locaux est en mesure de commenter la visite elle-même et de répondre aux questions des journalistes à propos du bien-fondé de la monarchie constitutionnelle canadienne.

«Le fait de promouvoir la

monarchie au Canada vient du fait que notre souverain fait partie intégrante de notre régime constitutionnel.»

LD: Quel est l’âge moyen de vos membres? La monarchie est-elle plus populaire auprès d’un groupe d’âge particulier? LJR: Lorsque j’ai rejoint les rangs de la Ligue monarchique du Canada, des jeunes comme moi étaient très rares. Depuis ce temps, par contre, j’ai remarqué que la moyenne d’âge de nos membres est passée de la soixantaine à la quarantaine! Je crois que la monarchie est toujours très populaire au Canada et au Québec. Bien des gens se sentent un peu

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Le Canada a indéniablement des origines monarchiques Raphaël Thézé / Le Délit

gênés d’affirmer qu’ils sont en faveur de notre monarchie canadienne, car ils sont intimidés par leur entourage, leur famille ou d’autres facteurs. En jasant avec des Canadiens un peu partout au pays, je m’aperçois que l’âge n’est pas réellement un facteur dans l’appréciation de notre système monarchique. Ceux qui comprennent notre constitution ont généralement tendance à être positifs envers la monarchie et ceux qui n’ont pas pris le temps de s’informer sont indifférents ou silencieux sur la question. Un phénomène qui rapproche la jeu-

nesse canadienne de notre monarchie est la popularité du prince William et de sa fiancée Kate Middleton, dont les parents sont maintenant des résidents de la région montréalaise. Le tout est un événement positif pour le fait monarchique au Canada et aide à faire valoir un futur génial pour ce jeune couple dans notre société. LD: Comment répondez-vous aux critiques qui affirment que la monarchie est anti-démocratique? LJR: Dans le contexte mondial actuel,

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dans lequel on vit des moments à la fois difficiles et inspirants dans plusieurs pays du Moyen-Orient, on voit des régimes dictatoriaux qui tombent enfin aux mains d’un mouvement qui, on l’espère, est une manifestation d’un idéal démocratique qui aurait dû apparaître il y a longtemps. Ceci dit, il faut regarder au-delà de l’immédiat et songer à ce qui pourrait arriver dans ces pays dans les mois et les années à venir. La différence entre ces pays et le Canada, c’est que ces premiers étaient des autocraties, des dictatures. Ici, on prône

le régime du droit commun, des droits et des responsabilités des individus vis-à-vis de notre société, ainsi que de la liberté d’expression fondamentale de l’individu. Nous avons un système démocratique. On peut critiquer notre gouvernement et même notre souverain sans peur de représailles; ce n’est pas le cas dans la majorité des pays du globe. Est-ce que la monarchie est antidémocratique? Je vous affirme sans équivoque que non, elle ne l’est pas, car, au contraire, la monarchie constitutionnelle du Canada protège notre démocratie. x

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HISTOIRE

Oublier de se souvenir Portrait d’une époque empreinte de reconnaissance envers la Couronne britannique. Francis L. Racine Le Délit

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e me souviens que né sous le lys, je crois sous la rose», disait EugèneÉtienne Taché. Les trois premiers mots nous sont familiers, à tel point qu’ils sont même visibles sur les plaques d’immatriculation. Cependant, la population ne se souvient pas de la signification de la devise du Québec. Comme si elle faisait davantage référence à une amnésie historique ou à une ignorance provoquée: je me souviens, oui, mais de quoi? Jacques Rouillard, dans son essai L’énigme de la devise du Québec: à quel souvenir fait-elle référence, décrit de manière juste l’origine et la signification de la devise québécoise. A priori, la devise du Québec provient de l’architecte du Parlement de Québec EugèneÉtienne Taché. Cet homme de la bourgeoisie canadienne-française de la ville de Québec a ajouté cette phrase aux armoiries de la province le 9 février 1883 lors de la signature du contrat de construction du Parlement. Cependant, il n’a laissé aucun indice qui expliquerait le sens de la devise. Trois éléments d’interprétations permettent tou-

tefois de comprendre le sens de celle-ci; ils se trouvent au sein du Parlement de Québec lui-même. Les armoiries du Québec constituent un élément important pour la signification de la devise. En effet, l’écu représente trois fleurs de lis qui symbolisent la Nouvelle-France, un léopard pour la Couronne britannique et un rameau de trois feuilles d’érable pour le Canada. Enchâssant ces armoiries, le Je me souviens rappelle les origines françaises du Québec, les liens maintenus avec la GrandeBretagne et l’appartenance au Canada. La façade du Parlement, quant à elle, rend hommage aux grands personnages du Québec. De plus, compte tenu de son aspect central pour la vie démocratique de la province, l’édifice devient «un monument consacré à l’histoire», soit d’autant plus un véhicule de la «quête identitaire» de la nation, selon Jacques Rouillard. À cela s’ajoutent les statues des gouverneurs anglais «les plus sympathiques à notre nationalité», comme Murray, Dorchester, Prévost, Bagot et Lord Elgin. Fait intéressant, les statues de La Fontaine et de Baldwin furent installées avant celles de Jacques Cartier et de

Samuel de Champlain, car pour la bourgeoisie canadienne-française, l’avènement du gouvernement responsable sous l’entente La Fontaine-Baldwin signifiait «la conquête des libertés démocratiques et elle [assurait] l’avenir du peuple canadien-français, puisque les députés qu’ils [élisaient étaient] garants de la protection des droits des francophones.» Malgré quelques références à la culture française, l’ornementation générale, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur, met davantage en valeur les institutions britanniques. On tenait en haute estime les institutions britanniques, parce qu’elles avaient permis «l’acquisition du système démocratique de gouvernement et une autonomie politique pour le Québec». De plus, lors des célébrations du 300e anniversaire de la fondation de la ville de Québec en 1908, Eugène Étienne Taché était responsable du dessin d’une médaille pour commémorer l’événement. Or, au revers de cette médaille, se trouve l’inscription: «Deux aidant, l’œuvre de Champlain née sous les lis a grandi sous les roses», faisant référence à l’épanouissement des Canadiens-Français sous l’autorité britannique.

Les armoiries donnent une indication sur la signification de la devise Gracieuseté de Wikipedia

La Révolution tranquille a provoqué un brassage mémoriel qui a fait oublier la signification de la devise élaborée par Eugène Étienne Taché. Notre devise reflète les idéaux de la classe politique de son temps. «[L]a mémoire des Québécois d’aujourd’hui représente un passé recomposé par le présent, fait d’oublis et d’une sélection d’événements», comme

le dit si bien Jacques Rouillard. En somme, la devise du Québec fait référence à un héritage triple pour la compréhension duquel le Parlement est la clef. Moi, Je me souviens que la France ait donné le premier des biens, l’existence, mais que c’est à l’Angleterre que nous devons le second, la liberté, disait Sir Wilfred Laurier. x

tions sur l’avenir de son lien à la Couronne anglaise, s’il était possible d’avoir un chef d’État plus neutre que la Reine. Je crois que non. La Reine, ou le gouverneur général, n’ont d’autre choix que de s’en tenir à la Constitution ou aux traditions parlementaires. Leurs décisions seront objectives. Le God Save the Queen, dans son dernier couplet, proclame fièrement: «May she defend our laws». La Reine est l’ultime protectrice de nos libertés. Elle est l’État et les droits qu’il nous garantit. Jamais une tyrannie ne pourra s’établir au sein de nos démocraties tant et aussi longtemps que notre monarque veillera à ce que ceux-là soient respectés. Le monarque peut aussi devenir le symbole de la résistance contre l’hostilité de certaines nations. Les Britanniques auront su serrer les rangs autour de George VI alors qu’ils mettaient tous leurs efforts en commun pour défaire l’Allemagne nazie. Les affiches de propagande britanniques portaient l’effigie de la Couronne ou l’indication God Save the King au cours

des deux guerres mondiales pour rappeler aux Britanniques que la Couronne ne fléchirait pas devant ceux qui voulaient la voir disparaître. Trêve de rationalité. Mon attachement pour la monarchie vient du cœur. J’aime le faste. J’aime le protocole. J’aime la cour. J’aime le symbole que représente la Couronne anglaise. C’est cette couronne qui aura répandu l’État de droit à travers le monde. C’est sur cette couronne que le soleil ne se couchait jamais. Elle est la représentation de la gloire d’un Empire qui aura donné naissance aux États-Unis et à notre pays, le Canada. C’est d’elle que sont nés nos institutions et notre Parlement. De voir nos soldats, en tenue de cérémonie, l’accueillir sur nos terres qui sont aussi les siennes fait toujours vibrer une corde sensible en moi. D’ailleurs, cet accueil est toujours pleinement justifié pour notre Chef d’État qui aime beaucoup le Canada. C’est d’ailleurs pourquoi je chanterai toujours, pour citer notre hymne royal, with heart and voice: God Save the Queen! x

CHRONIQUE

J’aime la Reine

Jean-François Trudelle | Attention, chronique de droite

Ce n’est un secret pour personne; je suis un grand fan de la Reine et de la monarchie britannique. Rien ne me fait plus rager que ces mouvements républicains au sein du Commonwealth. Rien ne me fait plus rager que le Réseau de Résistance du Québécois qui a le culot de venir déranger la visite du Prince Charles à Montréal. Si j’en avais eu le temps, je serais allé chanter Rule, Britannia! au visage des protestataires. Mon affection démesurée pour notre chef d’État en étonne plus d’un. En effet, les Québécois «de souche» de mon âge souhaiteraient plutôt voir disparaître

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cette institution qui a traversé les siècles. Pourtant, c’est précisément pour cette raison que je souhaite le maintien de la monarchie. Elle transcende les âges. Le Royal Standard, le drapeau du monarque, n’est jamais en berne, même si ce dernier décède. Aussi, l’institution permet d’offrir une continuité même lorsque la société change. Elisabeth II règne depuis maintenant cinquanteneuf ans. Elle aura vu son pays se relever de la Seconde Guerre mondiale, connu la Dame de fer, traversé l’épreuve de la mort de Diana, assisté au mouvement du New Labour et aura nommé David Cameron comme premier ministre à la tête de la première coalition depuis le conflit mondial de 1939-1945. Aucun de ces grands moments de l’histoire britannique ne se sera traduit par une grande instabilité à la tête de l’État, mise à part peutêtre la mort de Diana. Faites le fil des événements au cours de la même période aux États-Unis. Pour n’en nommer que quelques-uns, un président a reçu une balle dans la tête, un autre a été contraint de démission-

ner pour des histoires de fraude et d’espionnage et un dernier a failli subir une procédure d’impeachment pour des histoires de couchette. D’ailleurs, un président élu est partisan. Rappelez vous décembre 2008, lorsque nous vivions une crise parlementaire qui a rendu la vie politique canadienne bien plus excitante pour une majorité de la population. Le gouverneur général de l’époque, Michaëlle Jean, fut contrainte à faire un choix. Stephen Harper avait-il le droit de proroger le Parlement pour éviter un vote de confiance qui aurait signifié la chute de son gouvernement? Si le Canada avait été une république, le président aurait dû trancher. Imaginez s’il avait été conservateur et avait donné au Premier ministre ce qu’il désirait. La décision aurait été décriée comme un choix partisan. Imaginez maintenant qu’il eût été libéral et qu’il n’eût pas exaucé le dit souhait. Nous aurions eu droit à la même psychose politique. John Howard, ancien premier ministre australien, demandait, alors que son pays se posait des ques-

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Les défenseurs

Pour le statu quo au Canada Cette institution séculaire forme nos traditions et assure notre distinction. Emma Ailinn Hautecoeur Le Délit

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ls ne souhaitent ni le retour du roi, ni un renforcement des pouvoirs des représentants de la reine au sein de la monarchie constitutionnelle. Comme l’explique Tom Richards, le coordonateur national de la branche jeunesse de la Ligue monarchiste du Canada, «Nous sommes pour la monarchie constitutionnelle, où le monarque est contraint par convention, et où il est une garantie du droit et non un législateur.» La Ligue se bat depuis 1970 pour préserver la monarchie telle que nous la connaissons actuellement au Canada, ainsi que tous ses symboles. Leurs objets de lutte, affichés sur leur site Internet, comptent notamment la

conservation du Dominion Day, l’érection d’une statue équestre de la reine sur la colline parlementaire (ce qui a été fait en 1992), l’obligation pour chaque bureau de Postes Canada de vendre des timbres à l’effigie de la reine, etc. Étienne Boisvert, porte-parole québécois de la Ligue, raconte que presque toutes leurs campagnes ont été couronnées de succès, à l’exception de leur tentative d’empêcher le retrait de la mention royale sur les lettres de créances des consuls. Cependant, «la décision est venue de Buckingham palace même», note Monsieur Boisvert. Leurs figures principales ne semblent pas refléter l’aspect un peu nostalgique de leur quête: le président, Robert Finch, est dans la trentaine, le porte-parole du Québec, dans la ving-

taine, et la Ligue compte depuis quelques décennies une branche «jeunesse». Elle s’affiche aussi comme une source d’identité dans un Canada de plus en plus multiculturel. «Il y a bien sûr des Canadiens de souches, beaucoup d’anglophones, assurément, mais un Français nous a rejoint la semaine dernière et plusieurs nouveaux Canadiens acceptent cette tradition au même titre», précise Monsieur Boisvert. À propos de la présence de francophones au sein de la Ligue, les voix sont unanimes: les Québécois sont sous-représentés. «C’est un de mes projets personnels», assure le porte-parole du Québec, «c’est un domaine qui s’améliore. Il n’y a pas beaucoup de francophones, donc les anglophones n’ont pas eu cette idée avant.» Tom Richards note aussi

une amélioration depuis que le site a été traduit en français, il y a quelques années. La branche jeunesse est active partout au Canada et possède un noyau dans les universités ontariennes comme celles de Toronto, d’Ottawa et de Queens, entre autres. Tom Richards a bien remarqué une certaine résistance de la part de plusieurs étudiants, lors de ses tournées dans les universités pour répandre la parole monarchique. «Très peu de personnes sont informées sur ce que signifie réellement la monarchie au Canada. Beaucoup la confondent avec la monarchie au Royaume-Uni. Certains sont très passionnés de par cette confusion», note Monsieur Richards. Une des principales fonctions de la Ligue est d’informer. Monsieur Boisvert explique que

ce que «la ligue monarchiste vise c’est qu’on parle [de la monarchie]. Éveiller les consciences n’est pas quantifiable». L’aspect local est important, et c’est pour cela qu’on encourage les petites actions, comme poster ses lettres avec des timbres de la reine ou demander à ses députés croyants d’inclure dans leurs prières une prière pour la reine. Bien qu’une certaine vision du Canada monarchiste coïncide avec l’idéologie de notre président actuel, la Ligue se considère comme une organisation strictement apolitique. La Ligue compte dans ses prochaines activités la célébration du mariage du Prince Williams et de Kate Middleton et un accueil chaleureux, contrairement à ce que d’autres leur réservent, lors de leur tournée pancanadienne prévue du 30 juin au 8 juillet. x

LES POURFENDEURS

Le Québec trouble-fête des jeunes mariés

Le futur couple royal visitera plusieurs provinces canadiennes en juin. Quel accueil leur réservera le Québec? Anthony Lecossois Le Délit

S

ymbole de la victoire des Anglais sur les Français, la couronne britannique n’a jamais vraiment occupé une place de choix dans le cœur des Québécois. Déjà en 1964, le Québec s’était levé contre la venue de la Reine Elizabeth qui, fait rarissime, avait prononcé un discours devant l’Assemblée Nationale à Québec. L’émeute est sévèrement réprimée et le matraquage des manifestants par la Police provinciale a donné son nom à l’événement, le samedi de la matraque. En novembre 2009, plusieurs centaines de manifestants avaient perturbé la venue du Prince Charles à Montréal. Encore une fois, l’escouade antiémeute avait

été appelée à intervenir. Quelles sont donc les revendications de ces Québécois qui n’entendent pas la musique royale de cette oreille? Très vocal, le Réseau de Résistance du Québécois (RRQ), groupe souverainiste considéré comme faisant partie de la frange extrême du mouvement, semble mener la fronde. Il compte «aller à la confrontation avec tout ce qui représente l’occupation du Québec». C’est ce qu’explique Patrick Bourgeois, président du RRQ. Pour lui, même si «ça n’est qu’un symbole, ça a de l’importance». «Pour le Réseau de Résistance et les indépendantistes en général, la couronne d’Angleterre rappelle de bien tristes événements. C’est au nom de cette couronne que le Québec a été conquis et soumis

par la force des armes en 1759. C’est au nom de cette même couronne que les Patriotes de 18371838 ont été emprisonnés, déportés et pendus.» Le RRQ va même plus loin et élargit son horizon en reprochant à la monarchie britannique d’avoir «assujetti et exploité» en Afrique et en Asie. Le réseau fait même référence au conflit en Irlande du Nord. «Jamais nos militants n’accepteront qu’une tête royale, foule le sol du Québec en toute impunité.» C’est donc couplé au discours indépendantiste que les arguments antimonarchistes se développent. Pour autant les principaux partis souverainistes ne semblent pas vouloir commenter. Contacté à plusieurs reprises, le Bloc Québécois n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet. Plus

direct, le porte-parole du Parti Québécois expliquait au Délit que son Parti n’est «même pas intéressé à faire évoluer le lien entre le Canada et la couronne britannique. Notre seul objectif, c’est sortir du Canada.» Ouvertement favorable à la monarchie, le parti libéral du Canada est «pour le maintien du système actuel». Si la plupart des partis institutionnels n’appelleront donc pas à manifester en juin lors de la venue du Prince William et de Kate Middleton, le RRQ, avec tout au plus quelques milliers de militants et de sympathisants, a pourtant une force de frappe conséquente. Patrick Bourgeois le rappelle: «Nous avons infligé une humiliation en novembre 2009 lors de la venue du Prince Charles à la caserne du Black Watch à Montréal.

Il a dû passer par l’entrée des poubelles.» Cette année encore, le RRQ a déjà annoncé par voie de communiqué qu’il «réserverait au Prince William le traitement royal qu’il mérite». En somme, ces visites royales sont une affaire rentable pour le RRQ. Patrick Bourgeois se rappelle qu’en 2009 déjà, la presse du monde entier s’était faite l’écho de la mobilisation contre le Prince Charles. «Nous avions reçu de nombreux soutiens, des nouveaux militants et des dons. Grâce à 2009, on sera en mesure d’envoyer des bus en juin.» Cela permet aussi au RRQ d’entrer sur la scène politique fédérale. Le premier ministre du Canada s’assure du bon déroulement des visites royales et il redoute sans doute déjà ce que préparent les militants du RRQ. x

Novembre 2009. Manifestation contre la venue du Prince Charles à la caserne du Black Watch de Montréal. Miranda Whist

x le délit · le mardi 1er mars 2011 · delitfrancais.com

Spécial Royauté

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Spécial Royauté

x le délit · le mardi 1er mars 2011· delitfrancais.com

Jordanie Abdullah II, de la famille des Hachémites, est roi de Jordanie depuis 1999. Il est traditionnellement considéré par les musulmans comme le quarante-troisième descendant du prophète Mahomet. Fan assumé de Star Trek, le roi Abdullah est apparu comme figurant dans la série Star Trek: Voyager en 1996, dans l’épisode «Investigations».

Royaume-Uni La reine Elizabeth II, de la famille Windsor, règne sur le Royaume-Uni depuis 1952, ainsi que sur quinze États indépendants membres du Commonwealth britannique. Lors de sa visite à Québec en 1964, elle a notamment été accueillie par des manifestants antimonarchistes alignés le dos tourné sur le chemin de sa procession.

Qatar Hamad ibn Khalifa Al Thani est l’émir du Qatar depuis 1995. Il est notamment connu pour avoir créé la chaîne d’information continue Al Jazeera, ainsi que pour avoir promis d’offrir un cheval en or au journaliste irakien Muntadhar al Zaidi en 2009, après que ce dernier a lancé ses chaussures au président George W. Bush.

Vatican Comptant 829 habitants sur un territoire d’à peine un demikilomètre carré, la cité du Vatican est le plus petit pays au monde. Reconnu comme un État depuis les accords du Latran en 1929, il accueille le siège de l’Église catholique. Sa monarchie est à la foi absolue et élective; le pape Benoît XVI en est le souverain depuis son élection en 2005. Les publications officielles du Saint-Siège se font encore en latin.

Thaïlande La Thaïlande est une monarchie constitutionnelle représentée par le roi Bhumibol Adulyadej depuis 1946; c’est le plus long règne d’un monarque toujours vivant. Bien que le roi ait aujourd’hui une fonction uniquement symbolique, critiquer ce dernier est une offense criminelle passible de quinze ans de prison. Bhumibol Adulyadej est certainement le plus riche monarque actuel, avec une fortune évaluée à trente milliards de dollars. Le roi thaï est également détenteur d’un brevet protégeant le «super-sandwich», une technique permettant de créer des nuages et de provoquer une pluie artificielle à l’aide d’un engin volant.

Arabie saoudite La création du royaume remonte à 1744, date de l’alliance entre le prince Mohammed ben Saoud et le cheikh Mohammed ibn Abd al-Wahhab. La famille Saoud continue à diriger le pays, alors que les descendants d’alWahhab administrent l’institution religieuse du royaume selon une interprétation fondamentaliste de l’Islam connue sous le nom de wahhabisme. Le roi actuel, Abdallah ben Abdelaziz Al Saoud, a neuf épouses, trente-cinq enfants et une fortune personnelle évaluée à vingt et un milliards de dollars.

Les rois du monde

Textes: Alexandre Breton Illustration: Raphaël Thézé Le Délit

Brunei Ayant accédé au trône en 1967, Hassanal Bolkiah est aujourd’hui le vingt-neuvième sultan de Brunei. En 1997, la famille royale a été la cible d’une poursuite de quatre-vingt-dix millions de dollars, le sultan étant accusé d’avoir utilisé de jeunes mannequins américaines et britanniques comme esclaves sexuelles. Dans un règlement hors cour, l’une des jeunes femmes a reçu une somme de 500 000 livres sterling.

Japon Sur le trône depuis 1989, l’empereur Akihito, de la lignée Yamato, serait le 125e souverain japonais, selon la tradition officielle. Souverain absolu considéré comme un dieu vivant pendant la majeure partie de son histoire, l’empereur est devenu strictement symbolique après la défaite du Japon pendant la Seconde Guerre mondiale et l’occupation américaine. Akihito est passionné d’ichtyologie, à savoir, l’étude des poissons.


Arts&Culture artsculture@delitfrancais.com

THÉÂTRE

Une noce qui tourne au vinaigre Gregory Hlady psychanalyse La Noce de Brecht. Marie Catherine Ducharme Le Délit

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a Noce est une histoire mille fois racontée: un rassemblement de famille, un soir de mariage, qui tourne au vinaigre. Malheureusement, dans la mise en scène de Gregory Hlady, c’est aussi pour le public que les choses se gâtent. Famille et amis sont conviés à célébrer l’heureux événement avec les nouveaux mariés (Stéphanie Cardi et Frédéric Lavallée) lors d’un souper. La noce commence dans l’allégresse: on boit, on mange, on rit. On fait la fête autour d’une grande table ronde, sous les regards bienveillants de la mère (la savoureuse Danielle Ouimet) et du père (l’impassible Denis

Gravereaux). Cependant, les pulsions qui habitent les invités font rapidement surface. Cris, pleurs, élans charnels incestueux, attaques surprises: eros et thanatos mènent une lutte acharnée sur scène, au milieu d’une sorte d’hystérie collective. La comédie fait place à l’absurde. Tous les excès semblent permis. C’est là que se trouve le problème de la pièce. La Noce, œuvre de jeunesse de Brecht, est un texte plutôt mince que Gregory Hlady tente de psychanalyser. Il en déterre le sous-texte pour lui inventer un inconscient. Chaque réplique est donc chargée de sous-entendus, soi-disant là pour mettre à nu les tensions qui hantent les personnages. Le rythme du récit est fragmenté, comme si Hlady avait sou-

Dominique Lafond

mis le texte à des électrochocs dévoilant les névroses des personnages. L’exercice est louable, mais on perd malheureusement vite intérêt pour ce qui se révèle une séance de défoulement sans véritable fil conducteur. Visiblement, le travail du metteur en scène n’arrive pas à faire oublier que le texte manque de tonus. Une belle énergie anime cependant les comédiens qui jouent le jeu de l’exploration des pulsions avec intensité. Leur harmonie est palpable, ce qui sert la dynamique cathartique que le metteur en scène a voulu créer. On remarquera en particulier la performance de Paul Ahmarani, dont le costume militaire fait écho aux dérives qu’a connu l’Europe après la Première Guerre mondiale.

Les comédiens évoluent dans une vaste salle à manger au décor minimal dont les meubles, les chaises et les tables se brisent les uns après les autres. Cela fait écho à l’état vulnérable des personnages, entraînant rapidement la comédie vers un genre plus cruel où tous les coups sont permis. Des projections de poissons nageant dans un aquarium occupent le mur arrière de la scène. Ces poissons, ce sont un peu les personnages, qui, dans un monde sans issue, finiront dévorés par leurs pulsions, au grand soulagement des spectateurs. x La Noce Où: Théâtre Prospero Quand: jusqu’au 19 mars Combien: 20$

COUP DE CŒUR

Le ventre de la musique

Jouer de la viole, c’est étreindre le plus ancien résonateur. Tirer le son d’un grand ventre. Un grand sac de peau devenu caisse de bois.

Habib Hassoun Le Délit

P

ascal Quignard écrit dans La Leçon de musique (1987) à propos de la viole. Or, ses propos dépassent largement, bellement, le seul instrument de la viole; il écrit à propos de ce rapport complexe, profond et amoureux du violiste et de la viole, du musicien et de l’instrument, de l’écouteur et de la musique. La corporalité de l’instrument, devenu ce «grand ventre», ce «grand sac de peau», est antique; déjà Roland sonnait de son cor d’ivoire jusqu’au dernier souffle, par survie, par manque. Cet acte était le dernier pour raviver les troupes, la vie. Et c’est bien dans cette approche de survie que l’ensemble Arion Orchestre Baroque est né, en 1981, sous l’égide de quatre jeunes finissants de l’École de musique de McGill (Claire Guimond, Chantal Rémillard, Betsy MacMillan et Hank Knox). Spécialisé dès ses débuts dans la musique des XVIIe et XVIIIe siècles, dite baroque, Arion est passé de quatre musiciens à une dizaine (le nombre demeure changeant selon les concerts) aujourd’hui, ainsi que vingt-cinq titres en formation de chambre ou d’orchestre.

Pierre Charbonneau

Fort prolifique de sa programmation, donnant environ deux séries de concerts tous les mois, Arion Orchestre Baroque donnera à la salle Redpath de notre université les 11, 12 et 13 mars un concert intitulé Le Sanguin et le Mélancolique, d’après la pièce du même nom de Carl Philipp

xle délit · le mardi 1er mars 2011 · delitfrancais.com

Emanuel Bach, le second des fils du célèbre compositeur. Philippe Gervais, spécialiste de musique baroque, écrit dans sa présentation pour le concert: «Emanuel Bach, dont l’œuvre témoigne souvent d’une sensibilité à fleur de peau, fut un véritable précurseur

du romantisme.» Il poursuit: «Le compositeur s’efforce aussi d’être au goût du jour en publiant des œuvres faciles, dans le style galant.» Ainsi, manipulant tantôt l’invention, tantôt l’imitation, parfois les deux ensemble dans un jeu habile et sérieux de renversement et de continuité, Carl Philipp demeure un homme des Lumières sensible aux changements de son époque. Selon Philippe Gervais, Sanguineus und Melancholicus W.161/1 est «une véritable scène de théâtre où s’affrontent deux tempéraments opposés, le sanguin et le mélancolique». Ce dialogue, qui rappelle le dialogue d’Héraclite et de Démocrite, est courant à l’époque baroque et ouvre le concert. La Symphonie en si bémol majeur W. 182/2, le Concerto pour flûte en sol majeur W. 169 et le Quatuor pour clavecin (ou pianoforte), flûte et alto W.93 constituent la totalité du concert. Carl Philipp écrivait que le «musicien ne saurait émouvoir sans être lui-même ému». Il réside dans cette affirmation le caractère complexe et amoureux de ce qui est essentiel en musique, «cette quête sans terme au fond de soi d’une voix perdue, d’une tonalité perdue, d’une tonique perdue», écrit Pascal Quignard, qui prend germe dans tous les ventres du monde. x

Arts & Culture

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ASSEMBLÉE GÉNÉRALE L’assemblée générale annuelle de la Société des publications du Daily (SPD), éditeur du McGill Daily et du Délit, se tiendra

mardi le 22 mars au Leacock 232 à 18h. Les membres de la SPD sont cordialement invités. La présence des candidats au conseil d’administration est obligatoire. Pour plus d’informations, contactez-nous:

chair@dailypublications.org

Référendum de l’hiver 2011 Période de scrutin : du 4 au 10 mars

Les bureaux de vote : Le 4 mars : McConnell 9 h – 17 h Le 4 mars : Shatner 14 h – 17 h Le 7 mars : Leacock 8 h – 17 h Le 8 mars : Bronfman 9 h – 17 h Le 9 mars : Leacock 8 h – 17 h Le 9 mars : Stewart 8 h –13 h Le 10 mars : Shatner 9 h – 17 h D’autres informations concernant les dates et emplacements des bureaux de vote seront diffusées prochainement par courriel et sur ssmu.mcgill.ca/elections Pour toute question, contactez Élections McGill à elections@ssmu.mcgill.ca


CHRONIQUE | SOCIÉTÉ

L’espoir birman

Christophe Jasmin | Les pieds dans les plats

Mon séjour en Birmanie a mal commencé; très mal. Déjà, dans l’avion qui m’amenait de Bangkok à Rangoon, je commençais à me sentir un peu faible. À mes premiers pas hors de l’avion, j’ai eu l’impression que j’allais m’évanouir. Ma tête était prête à imploser à tout moment. De grosses gouttes de sueur coulaient de mon front, malgré l’air climatisé de l’aéroport. Et un appel assez pressant des toilettes… Bref, comme arrivée dans un pays comme le Myanmar (nom officiel donné au pays par la sympathi-

que junte militaire au pouvoir), il y a mieux. Parce que, voyez-vous, en plus de ne pas être un exemple de démocratie et de liberté, le pays est pauvre, très pauvre. Mon intuition me disait donc que le système de santé n’allait pas être des plus fiables. Un peu à l’image du taxi qui m’amena de l’aéroport à l’auberge: une carrosserie à quatre roues sans air climatisé ni clignotants… J’étais un peu inquiet. Mais bon, après moult visites aux toilettes et un nombre incalculable de Tylenols, je m’en suis sorti. De toute façon, en Asie, tout le monde passe par là tôt ou tard. Le truc embêtant, c’est que sur les douze jours que je m’étais réservé en Birmanie, trois d’entre eux venaient de passer sans que j’aie pu goûter un seul plat birman, mis à part l’indémodable bol de riz blanc, et les pâtisseries locales; j’en ai mangé des rondes, des carrées, des triangulaires, des jaunes, des rouges et des fourrées… Eh ben, elles goûtaient toutes la banane. Le lendemain, à mon arrivée à Bagan, une ville plus au Nord

du pays, j’étais prêt à recommencer à manger comme un être humain normal. J’ai donc pris place dans le premier restaurant venu et commandé le plat qui semblait le plus birman: «Fried mutton balls». «Il n’y en a plus», la serveuse me dit, tout en m’indiquant qu’ils peuvent me faire du «Fried mutton» tout court. De quelle partie du mouton s’agit-il, mademoiselle? Elle n’a pas pu (voulu?) me le dire. Après dix minutes d’attente, la fille revient avec un gros bol de soupe, deux salades, des arachides dans de l’huile avec des épinards, des feuilles de laitue, deux petits plats d’épices et un gros bol de riz. Pas de trace de mon mouton frit. Je me jette sur la soupe, qui est en fait un bouillon accompagné de quelques légumes et de coriandre dont le fond est noir comme de la terre. Très épicé, mais excellent. La serveuse revient avec un dernier plat, qui ressemble à tout sauf à l’idée que je me faisais du mouton frit. Sauf si l’on parle des poils de la bête. Je ne vois toujours pas de quoi d’autre il pouvait s’agir.

«Filandreux» est un euphémisme pour décrire ces galettes aplaties de fils frits de couleur noirâtre. Au moins, les deux salades étaient très bonnes. Faites à partir d’échalotes frites dans de l’huile d’arachide, d’ail, d’oignon, de pâte de poisson, de lime et de poudre de pois chiches et de tomates, ces thote (salade en birman) m’ont permis de faire honneur à mon premier repas au Myanmar. Je sortais quand même du resto en me disant que j’allais trouver le temps long, si tous les plats de viande ressemblaient à ce que je venais d’essayer de manger. Je pouvais toujours me consoler en pensant au prix payé: moins de deux dollars pour le tout. Trois jours plus tard, je partais de Bagan, les papilles toujours insatisfaites, pour aller dans la région du Lac Inle. Le «potager du pays», d’après un guide birman auquel j’avais parlé la veille. J’avais de l’espoir. Et de l’espoir, il m’en a fallu, pour passer au travers des nombreuses heures de routes de montagnes passées dans un minibus, entas-

sé que j’étais entre un touriste chinois et les nombreux Birmans qui s’installaient au milieu de l’allée sur des petits tabourets en plastique. Ainsi, pendant un assez long moment, j’avais mon nouvel ami, Wang, qui dormait confortablement sur mon épaule gauche, et une femme birmane qui allaitait son bébé à ma droite. Ce fut long. Onze heures et 330 kilomètres (sans blague) plus tard, nous étions arrivés aux abords du lac. De là, mes deux compagnons de route et moi avons pris un petit bateau à moteur, direction n’importe quel restaurant sur le lac (les gens vivent littéralement à la surface de l’eau, dans des maisons sur pilotis). Une fois arrivé, je n’ai pas attendu longtemps avant d’avoir devant moi un plat d’anguille fraîchement pêchée, accompagné d’un délicieux curry aux tomates. Et c’est là, à ma première bouchée, alors que le soleil se couchait sur le majestueux lac, que j’ai compris pourquoi, malgré tout, les Birmans arrivent à garder le sourire et l’espoir. x

Envie de rejoindre la cour du Délit?

Offre ta plume à societe@delitfrancais.com

CHRONIQUE | ARTS & CULTURE

Tintin autour du monde

Luba Markovskaia | Réflexions parasites

En ce retour de semaine de lecture, que vous avez sans aucun doute passée à faire une tonne de lectures scolaires, j’interromps le programme habituel de «critique sérieuse de livres sérieux» pour m’aventurer dans le monde de la BD, souvent ignoré du milieu universitaire. Et qui plus est, dans la contrée du «non sérieux» par excellence, la Belgique. Hé oui, je vous propose

cette semaine un spécial Tintin. C’est que le sympathique globe-trotter à houppette a traversé dernièrement de nouvelles frontières, notamment celle de la décence publique. En effet, le blog de la revue d’art Collection affichait récemment une version revue de Tintin au Congo intitulée Tintin au Congo à poil. Tintin y est effectivement en tenue d’Adam, si l’on oublie ses espadrilles. Le dessinateur a créé plusieurs vignettes où l’on voit Tintin évoluer dans toute sa splendeur parmi les autres personnages qui ne semblent s’apercevoir de rien. Ce Tintin naturiste est dessiné avec talent et humour, mais comme on peut se l’imaginer, les images, après avoir fait un tabac sur Internet, ont été retirées du blogue. Il s’agissait presque d’une opération suicide pour le dessinateur, qui risquait certainement un procès, vue la cupidité infâme des héritiers de Hergé. Il existe toutefois de nom-

xle délit · le mardi 1er mars 2011 · delitfrancais.com

breuses copies de ces vignettes sur d’autres sites, si vous êtes curieux de voir ça par vous-mêmes. Ce qui m’a étonnée de ce petit épisode, ce sont les nombreuses réactions d’indignation dans la mer de commentaires qu’ont suscitée ces images. Au milieu des encouragements et des inquiétudes quant à un éventuel procès, on retrouve une grande quantité de remarques tout à fait sérieuses comme «on ne respecte plus rien», «il n’y a plus rien de sacré», «insultant», «obscène», etc. Ces commentaires ne reflètent certainement pas qu’un point de vue isolé. En effet, Tintin reste un symbole apparemment intouchable de la belgitude. Ce qui m’amène à vous parler d’un autre voyage de Tintin, chez les siens, cette fois-ci. À la fin du mois de décembre dernier paraissait Tintin chez les Belges, un album inédit, préfacé par Philippe Geluck (crédibilité instantanée, pour moi en tout

cas). Le superbe petit ouvrage, accompagné d’un commentaire érudit de Tintinologue (oui, oui, le terme existe), est une belle sélection de vignettes de Hergé représentant Tintin en Belgique. En plus d’y recenser de nombreuses allusions à la belgitude de Tintin en voyage à l’étranger, on y apprend nombre d’anecdotes fascinantes, à citer en soirée sur le mode «saviez-vous que» pour épater ses amis (idéal pour le parfait petit littéraire qui souhaite masquer son ignorance de la BD avec un peu d’érudition). Ce livre est également un puits de renseignements sur la Belgique, et sur ses enjeux sociaux et culturels, idéal si vous cherchez à comprendre la «Révolution des frites», mouvement étudiant qui fait rage au moment même où j’écris cette chronique, avec le légendaire «non sérieux» belge. Enfin, comme nombre d’entre vous le savez déjà, l’intrépide reporter se rendra également à

Hollywood, chez l’un de ses plus illustres représentantsdu septième art, Steven Spielberg. Le réalisateur a avoué qu’il ne connaissait rien au personnage de Hergé avant de signer le contrat, tout en précisant qu’il avait depuis lors tout lu et qu’il était emballé par les aventures du personnage. Aucune inquiétude à avoir, donc: l’équipe de tournage a bien fait ses devoirs. L’un des comédiens principaux du film a même fait preuve d’une perspicacité exemplaire quant à la psychologie des personnages, si l’on en juge par les propos rapportés récemment par le magazine Première: «Tintin et le capitaine Haddock sont deux êtres émotionnellement instables, et ils vont l’apprendre l’un de l’autre». On pourra donc s’attendre sans crainte à une bonne dose de psychologisation à l’américaine dans le prochain Blockbuster signé Spielberg. Pour la répartie belge, on repassera. x

Arts & Culture

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« Des lignes de transmission rompues, ça peut vouloir dire des vies en danger. Mon travail consiste à inspecter et à réparer le matériel de communication de mon équipe. Je fais en sorte que tous restent en contact pour que tous restent en sécurité. » Caporal HAEBE BAGUIDY


Gracieuseté de Métropole Films

CINÉMA

Une foi douce amère

Des hommes et des dieux, le dernier film de Xavier Beauvois, fait un portrait juste et émouvant de l’assassinat des moine de Tibhirine. Mai Anh Tran-Ho Le Délit

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n 1996, sept moines trappistes sont enlevés par le GIA (Groupe islamique armé), puis assassinés. Ces moines vivaient à l’abbaye Notre-Dame de l’Atlas perchée dans les montagnes algériennes. Le monastère de Tibhirine servait de refuge spirituel et de dispensaire, où les moines côtoyaient les habitants des villages voisins. Lorsque le pays connaît les violences d’une guerre civile, des travailleurs étrangers sont assassinés; on offre aux frères une protection de l’armée, qui devient aussi violente que les terroristes, protection qu’ils refusent. La menace se fait plus grande et le doute s’installe: doivent-ils partir ou rester? Le martyr est-il leur destin? Le film Des hommes et des dieux dresse un ta-

L

e Délit (LD) s’est entretenu avec Henry Quinson (HQ), conseiller monastique du film Des hommes et des dieux. LD: Comment le projet vous a-t-il été présenté? HQ: C’est d’abord très personnel puisque j’ai connu quatre des sept moines qui ont été assassinés. En août 2007, j’ai commencé à écrire un scénario sur les moines, après avoir écrit et traduit des livres sur eux. Aujourd’hui, c’est le cinéma qui permet de toucher un grand nombre de personnes; en France, on s’interroge beaucoup sur qui a tué les moines, et c’est une histoire qui a sa place parce que c’est une question de justice, mais c’est très désespérant, c’est une histoire de mort. Et pour moi, ce que je voulais mettre en valeur c’est le testament de Christian de Chergé, ce qu’était la vie de ces frères. Je voulais leur redonner parole et pas à leurs meurtriers qui se cachent. Je voulais mettre de la lumière dans cette histoire.

bleau de cet engagement quotidien et de cette foi inattaquable. Xavier Beauvois filme avec simplicité une esthétique presque teintée de froideur documentaire, mais qui ne manque pas d’empathie. La mise en scène sobre expose la vie réglée des moines dans les moindres détails et dans un décor réaliste. Une vie organisée autour de la prière commune à la chapelle, nourrie de psaumes, et des réunions au cours desquelles se prennent, à l’issue d’un tour de parole et d’un vote, les décisions engageant la vie de la communauté, qui témoignent ici de la réduction progressive des antagonismes vers une communion spirituelle, structurent le film. Mais la place est faite, aussi, aux moments partagés avec les villageois (travail de la terre, dispense de soins, fêtes familiales…), dans

le respect de l’islam. L’économie narrative et les plans fixes ainsi que les longs travelings panoramiques rendent justement le silence du recueillement qui règne dans le quotidien des moines. Car enfin, même avec une réplique cynique du chef de police qui reproche à la colonisation française de ne pas accorder à l’Algérie son indépendance, ce qui intéressait le réalisateur, au-delà du politique, c’étaient ces hommes qui avaient fait don de leur chair et de leur sang par leur serment sacré. Il est toujours difficile d’évoquer des événements douloureux, et la fiction permet de mieux aborder –et peut-être de mieux comprendre– la réalité. Malgré sa modeste esthétique, Xavier Beauvois se permet quelques fioritures qui rompent l’unité réaliste de l’histoire, ou bien fait d’autres

références que celles monastiques. Par exemple, dans quelques scènes, un terroriste rappelle le tableau Lamentation sur le Christ mort de Mantegna, ou lorsqu’ils chantent à l’unisson pour couvrir le bruit d’un hélicoptère militaire, ou encore, dans une des dernières séquences, le repas des moines, qui rappelle La Cène de De Vinci, est filmé de façon très lyrique. Xavier Beauvois délaisse les plans d’ensemble pour un plan détaillé du visage de chacun des moines qui acceptent finalement leur mort imminente, au son du Lac des cygnes de Tchaïkovski. Après le refus de frère Christian de mettre frère Luc (Michel Lonsdale, magistral), leur médecin, et des médicaments, à la disposition d’un groupe de terroristes, une nuit de Noël, les moines savent que leur mort est assurée;

seulement ils ne savent pas quand. D’abord plongés dans le chaos par la peur qu’a engendrée chez chacun la perspective de sa propre mort, et qui a fait chanceler la cohésion du groupe, la peur converge vers la fraternité. De nombreuses répliques cristallisent la spiritualité et l’espoir intarissable de ces moines, par exemple, quand il cite saint Paul, «L’amour espère tout, endure tout» ou que Frère Christian répond au désir de fuite d’un de ses compagnons par «les fleurs des champs ne se déplacent pas pour recevoir la lumière du soleil.» Grand Prix du Festival de Cannes 2010, Prix du Jury Œcuménique et Prix de l’Éducation Nationale, Des Hommes et des Dieux rend la vie de ces moines avec justesse et beaucoup de grandeur. x

J’ai un très vieil ami dans une entreprise de production à qui j’avais présenté le projet en 2009 qui ne pensait pas que l’histoire se vendrait. Je me suis dit que mon truc était prétentieux, qu’il fallait que j’oublie ça. Dix jours après, je reçois un courriel d’Étienne Comar qui me propose une histoire sur les moines de Tibhirine avec Xavier Beauvois. Celui-ci me demande peu de temps après d’être conseiller sur le film.

du martyr, alors que le mot ne figurait qu’une seule fois dans le scénario. Pour le décor, en 2006 j’avais pris des photos de Tibhirine dans l’idée de faire un film. Je pouvais organiser certaines scènes (dans la chapelle, notamment) comme je le voulais. Pour les costumes, les coules, ces grands habits blancs, on les a refaites à partir d’un modèle emprunté aux monastères. J’ai emmené l’équipe du tournage dans un monastère à la demande de Xavier Beauvois; je leur ai fait rencontrer des moines, pour voir que ce n’est pas qu’un habit ou des rites, pour comprendre ce qui brûle chez ces gens-là. C’est la recherche avec Dieu, la question de la divinité, de la spiritualité que pour certains d’entre eux était réglée ou pas encore posée.

mais c’est un film, il faut raconter une histoire, avec une esthétique de film. Par exemple la scène de l’hélicoptère; je n’ai jamais vu ça, il n’y a pas d’improvisation, mais l’idée est parlante. Cinématographiquement, ça permet d’exprimer la résistance non-violente. Les références multiples, par exemple à Mantegna, frappent les spectateurs. Quand il soigne un terroriste, il soigne le Christ, et c’est très choquant pour les gens. Dans la règle de saint Benoît, on reçoit les pauvres et les étrangers comme le Christ. Dans ce tableau, fait l’expérience d’une vraie spiritualité, d’une vraie mystique chrétienne. Il soigne un homme, mais à travers lui il adore le Christ; un amour sans limite pour les hommes et pour son prochain.

LD: Avez-vous contribué à l’esthétique du film? HQ: J’ai trouvé que Xavier avait des intuitions géniales. J’ai un peu joué le rôle du Père Fouettard,

LD: Comment définissezvous le titre, Des hommes et des dieux? HQ: C’est Xavier Beauvois qui le voulait. La plupart des gens dans

le film, toutes les familles étaient contre ce titre. Finalement, j’ai proposé en exergue du film, le psaume 81 [«Vous êtes des dieux, des fils du Très-Haut, vous tous! Pourtant, vous mourrez comme des hommes, comme les princes, tous, vous tomberez.»] C’est pour sauver le titre pour le public chrétien, pour qui il n’y a qu’un seul dieu, que nous avons osé ces différentes représentations de Dieu. Les moines sont devenus des dieux par participation, pas par nature, ce qui est conforme à la théologie chrétienne; Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne dieu. C’est un titre assez majestueux pour un film qui s’attaque à la question de l’homme et de la divinité de manière colossale, un titre mystérieux qui ne prétend pas du tout mettre un terme à la question, et qu’on peut le lire de différentes manières; c’est alors un bon titre. x

LD: Est-ce qu’il y avait déjà un scénario? HQ: Oui. Mon rôle était de débusquer tout ce qui n’était pas historique, monastique, qui sonnait faux, quitte à ce qu’ils le gardent par la suite. Par exemple, Xavier Beauvois pensait que les frères pouvaient chanter du Jacques Brel pendant la vaisselle, mais c’est impossible. J’ai proposé de la musique classique à table, ce qui a donné la dernière scène. J’ai aussi suggéré d’inclure une scène sur la question

Propos recueillis par Mai Anh Tran-Ho.

Gracieuseté de Métropole Films

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Arts & Culture

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CINÉMA

Le cinéma de demain récompensé à la Berlinale Annick Lavogiez Le Délit

Le triomphe d’A. Farhadi

L’Histoire au programme

Gracieuseté de la Berlinale - Festival International du Film de Berlin

L’Ours d’or pour le meilleur film a été remis sans grande surprise, mais avec beaucoup de joie, à Nader and Simin, A Separation de Asghar Farhadi. L’équipe a d’ailleurs remporté d’autres prix: l’Ours d’argent pour la meilleure actrice et l’Ours d’argent pour le meilleur acteur ont tous les deux été décernés à l’ensemble des acteurs du film. Leila Hatami, Sarina Farhadi, Peyman Moadi, Sareh Bayat et Shahab Hossein ont donc reçu une récompense qui salue un véritable travail d’équipe. En effet, cette remise des prix à un collectif plutôt qu’à

un(e) meilleur(e) acteur(-trice) permet de repenser, pour une fois, le travail des comédiens non plus comme des talents individuels mais bien comme une collaboration, un soutien entre les acteurs. De plus, ces deux prix permettent de rappeler l’importance de l’étape souvent oubliée qu’est l’audition. C’est donc un véritable triomphe qui attendait Farhadi à Berlin, ce réalisateur talentueux qui pourrait bien devenir un habitué des festivals, après avoir remporté l’Ours d’argent du meilleur réalisateur en 2009 pour A propos d’Elly…x

Le cheval de l’ennui

Gracieuseté de la Berlinale - Festival International du Film de Berlin

Béla Tarr est connu pour sa maîtrise cinématographique et sa technique impeccable. Son film A torinói ló (The Turin Horse), qui met en scène la ritualité jusqu’à l’épuisement, est l’histoire d’un père, Ohlsdorfer (Janos Derzsi), de sa fille (Erika Bok) et de leur cheval, tous les trois isolés dans une plaine où les vents soufflent avec violence. La vie oppressante des personnages, symbolisée par ce vent, est mise en scène dans une réalisation sobre et pour le moins intrigante. Si la lenteur extrême du film et sa répétitivité servent efficacement le propos du réalisateur, il n’en reste pas moins que le film en découragera plus d’un. Adressé à un public très réduit, The Turin Horse a néanmoins reçu le Grand Prix du Jury, sans discours de réception du prix par Béla Tarr. Cette récompense n’est pas très étonnante, au vu de la carrière du réalisateur.

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Arts & Culture

Toutefois, elle pose la question de l’après festival, c’est-à-dire de la réception du film par un public non constitué de journalistes cinéphiles de la première heure. Difficile d’imaginer la distribution qu’obtiendra ce film qui ne prétend pas à un quelconque succès tant son propos, comme sa réalisation le destinent à un public d’intellectuels qui ne font que penser le cinéma, et non le penser et le ressentir comme une source de réflexion et de loisir. The Turin Horse est –tout comme Saranghanda, Saranghaji Anneunda (Come rain, come shine) de Yoon-ki Lee, également présenté en compétition– une œuvre annoncée par le réalisateur comme étant faite pour un certain public et non pour le grand public. Ces deux films, dont l’action, les dialogues, les émotions des personnages et le récit sont minimalistes, laisseront donc perplexes quelques spectateurs. x

Gracieuseté de la Berlinale - Festival International du Film de Berlin

Le prix Alfred Bauer, en mémoire du fondateur du festival pour une œuvre particulièrement novatrice, a été décerné à Andres Veiel pour Wer wenn nicht wir (If Not Us, Who), le récit des premiers mouvements d’extrême gauche dans l’Allemagne des années 1970, mouvements guidés par Gudrun Ensslin et Andreas Baader, qui se sont par la suite radicalisés. L’histoire, qui débute en 1960 avec Bernward Vesper, fils de l’écrivain poète fidèle d’Hitler Will Vesper, s’attarde sur l’histoire d’amour peu conventionnelle et pour le moins tourmentée de ce personnage avec Gudrun Ensslin, future co-fondatrice de la RAF (Fraction armée rouge) avec Andreas Baader. Andres Veiel a choisi de montrer des étudiants qui se rebellent contre l’ordre établi, se révoltant contre toute forme d’establishment, les empêchant de changer une société contre laquelle ces enfants du nazisme ne peuvent que s’élever. Très détaillé, le film ne s’attarde pas sur le terrorisme, les attentats de la «Bande à Baader» des banques et des grands magasins, mais aborde plutôt la mise en place de ces réseaux de résistance, de ces mouvements qui ont donné lieu aux excès de violence tristement connus. Sans jugement, il évoque l’enthousiasme et la passion de ceux qui voulaient faire changer la société allemande de l’après-guerre.

Un film historique que l’on peut rapprocher de Mein bester Feind (Mon meilleur ennemi), film hors compétition de Wolfgang Murnberger, et de V Subbotu (Innocent Saturday) d’Alexander Mindadze, pour leurs explorations de l’Histoire, dans le but de comprendre le passé mais aussi le présent, et peut-être l’avenir. Mein bester Feind, plein d’humour, présente un personnage juif victorieux et héroïque qui, pendant la Seconde Guerre Mondiale, prend l’uniforme SS de son ancien meilleur ami et se fait passer pour lui. V Subbotu retrace, quant à lui, l’histoire d’un ouvrier de la centrale nucléaire Lénine en Ukraine pendant les quelques heures qui ont suivi la catastrophe de Tchernobyl, le plus grave accident nucléaire répertorié de nos jours. Tout comme Wer wenn nicht wir, ces films abordent de manière originale des événements historiques d’une grande importance. Pourtant, au-delà de toute considération artistique, ces films manquent d’une actualité à l’image de Margin Call. On aimerait en effet parfois s’interroger sur le présent à travers l’actualité et non par le biais d’événements que l’on connaît déjà, non seulement par la presse, mais aussi par la littérature, le théâtre, le cinéma, etc. x

Les autres récompensés L’Ours d’argent du meilleur réalisateur a été décerné à Ulrich Kölher pour Schlafkrankheit (Sleeping Sickness), un prix mérité qui, on l’espère, fera paraître ce film sur les écrans du monde entier, et non uniquement en Allemagne. El Primo (The Prize) a, quant à lui, été récompensé par l’Ours d’argent pour une performance artistique exceptionnelle, dans les catégories caméra (Wojciech Staron) et production design (Barbara Enriquez), ex æquo. Joshua Marston et Andamion Murataj n’ont pas été oubliés: The Forgiveness Of Blood a reçu l’Ours d’argent

du meilleur scénario pour un film retraçant l’histoire d’une vendetta en Albanie. Ce film, servi par des comédiens pour la plupart non professionnels, était un véritable plaisir pour les yeux et l’esprit. Une fois de plus, la Berlinale a récompensé des talents prometteurs. Contrairement à la cérémonie des Césars, qui sont le plus souvent décernés à des acteurs et à des réalisateurs confirmés, la Berlinale se veut en effet un festival à la recherche des équipes cinématographiques de demain, ceux dont les plus grands chefs-d’œuvre sont encore certainement à venir. x

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CINÉMA

Iñárritu et le cinéma de la cruauté

Gracieuseté de Maple Pictures

Dans Biutiful, Alexandro Gonzáles Iñárritu réunit d’une main de maître les douleurs du monde. Habib Hassoun Le Délit

S

orti dans les salles de cinéma après sa nomination pour l’Oscar du meilleur acteur pour Javier Bardem et pour le Meilleur film étranger, Biutiful est réalisé par Alejandro González Iñárritu, à qui l’on doit également la célèbre trilogie Amores perros (2000), 21 Grams (2003) et Babel (2006). Biutiful est un drame familial retraçant la destinée impossible de deux jeunes enfants, d’un père cancéreux aux mille occupations et d’une mère prostituée, alcoolique et maniacodépressive, dépouillée d’amour-propre et sans contrôle aucun sur son corps.

Biutiful est aussi un drame politique sur les immigrants, surtout venus de Chine et d’Afrique, sans emploi et tristement dépossédés dans la Barcelone des quartiers pauvres, démantelés. Biutiful est par-dessus tout un drame social, architectural –où la société est vue comme structure physique– dans lequel la tension règne entre le corps policier, les patrons, la classe du commerce illicite et le gouvernement.Toutefois, Biutiful est en contrepoint une plainte déchirante, une tragédie totale et excessive pour la survie humaine. Le film dépasse la critique et repose sur l’idée de l’homme impuissant et écorché, incarné magistralement par Bardem, face à sa mort prochaine,

qu’il tente de repousser jusqu’à son dernier souffle. La circularité du film, la première scène étant aussi la dernière, évoque la mémoire d’une vie antérieure remplie de peines et d’une espérance possible. Parce que de cette noirceur des sentiments et des actes humains naît tout de même une lumière: celle de la force d’une communauté qui se soutient solidement afin d’outrepasser le malheur. Le film d’Iñárritu prend forme dans une déconstruction et une fragmentation qui est à l’image même de ses thèmes; en majeure partie filmé à l’épaule et en lumière naturelle, le film se pare de quelques (rares) scènes surréelles au début et à la fin, scènes qui transfigurent

les douloureuses destinées des personnages. D’ailleurs, la métaphore de la mer traverse et sous-tend le discours cinématographique. C’est bien sûr la mer, ses vagues et son bruit, sa lumière et son mouvement, l’apparence de liberté qu’elle semble offrir; mais c’est aussi la mère et sa voix réconfortante, absente dans les rapports familiaux. Entre la mer et la mère, il y a l’amour, défait et malhabile, mais présent dans le film comme un idéal à atteindre; un peu comme si les trois, conjugués et reliés, pouvaient donner naissance à une multiplicité incommensurable: l’amour maternel, marital, maritime; la mère maritime, amoureuse; la mer amoureuse, maternelle. x

CINÉMA

Un mal à extirper

Gracieuseté du Cinéma du Parc

Avec Canine, le réalisateur Yorgos Lanthimos, lauréat du prix Un certain regard à Cannes en 2010, nous propose un film satirique et violent qui sort des sentiers battus. Sabrina Ait Akil Le Délit

U

n père, une mère, trois enfants mènent une vie paisible dans une banlieue où règne un calme inquiétant. C’est le tableau choisi par le réalisateur grec Yorgos Lanthimos pour nous présenter un film psychédélique qui repousse les limites du cinéma. Avec Canine, Lanthimos propose un film qui met en scène la brutalité d’un homme. L’homme en question est le père d’une famille atypique, qui élève, avec la complicité de sa femme, ses enfants dans un confinement total. En effet, chez eux, la salière se nomme téléphone et les avions dans le ciel sont de simples jouets prêts à tomber

à n’importe quel moment dans le jardin. Ces enfants, qui sont de jeunes adultes, n’ont jamais mis les pieds à l’extérieur de la villa somptueuse dans laquelle ils vivent. Ils ont donc grandi dans un cadre absurde qui a éveillé en eux des pulsions quasi-meurtrières les entraînant dans une farouche compétition dont le but premier est d’avoir le plus de points et donc la satisfaction du père. La seule personne étrangère au clan autorisée à fréquenter la famille est Christina, une jeune femme engagée par le père pour assouvir les besoins sexuels du fils. Cette histoire ressemble étrangement à une mauvaise expérience scientifique. Le scénario expose donc des personnages qui vivent dans une dynamique de huis clos, quand un événement

x le délit · le mardi 1er mars 2011 · delitfrancais.com

bouleverse à jamais cette quiétude. Yorgos Lanthimos ne laisse donc personne indifférent avec son film. Le génie de Canine réside justement dans l’audace expérimentée dans un cadre cinématographique nouveau dans lequel on a la nette impression que les acteurs, qui travaillent plus avec leur corps qu’avec leurs facultés intellectuelles, se laissent guider par leur instinct pour laisser le spectateur dans un vide psychologique. L’univers qui nous est proposé (une immense maison, un magnifique paysage, un soleil omniprésent) tranche avec l’enfermement que subissent les personnages. On peut noter aussi l’importance de la réflexion apportée par cette œuvre sur le concept traditionnel de famille, que Lanthimos défie

directement. On assiste donc à une distorsion de l’unité familiale qui cesse d’exister dans l’organe social traditionnel que nous connaissons. En ce qui concerne la photographie, Lanthimos met l’accent sur les réactions furtives des personnages. La peur est explorée dans les faciès; l’angoisse se lit sur le visage des parents qui ne veulent pas perdre le contrôle dans une maison où les bouleversements poussent à la rébellion. La lumière qui vient de l’extérieur s’oppose à la pesanteur de l’intérieur. Canine n’a pas fini d’être acclamé par la critique internationale et reste un film à surveiller, après sa nomination dans la catégorie du meilleur film étranger aux Oscars. x

Arts & Culture

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ARTS VISUELS

Voyage millénaire dans une Chine pétrifiée

Au Musée des beaux-arts, L’empereur guerrier de Chine et son armée de terre cuite dévoile ses soldats d’argile dans une exposition couvrant plus de mille ans d’histoire chinoise. Raphaël Dallaire Ferland Le Délit

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Quand le Musée devient sépulture Alors qu’ils évoluent à travers les trois salles précédant celles consacrées à l’armée, les visiteurs ne peuvent s’empêcher de jeter un oeil au fond du couloir, car dans la quatrième salle, le premier soldat nous toise, paisible dans son éternelle fixité. Il nous invite à quitter la clarté des premières salles pour s’enfoncer dans la pénombre du mausolée Qin. Lorsqu’on y entre, on doit reconnaître les efforts des coordonateurs de l’exposition. Bien que l’on ait droit qu’à une dizaine de ces grandes statues, les jeux de lumière savent les mettre en valeur. Entourés d’obscurité, les soldats

sont nimbés de faisceaux lumineux. Lorsqu’on progresse vers la huitième salle, on retient notre souffle à la vue d’une ombre de trois mètres, pour enfin découvrir la statuette d’un acrobate de trente centimètres. Des décorations murales telles que le mur criblé de flèches dans la salle de l’arbalétrier achèvent de nous immerger dans une Chine vieille de quelques millénaires. C’est donc sur l’ambiance d’outre-tombe, plus que sur l’immensité de l’armée de terracotta, que mise l’exposition. Ce n’est qu’arrivé dans la tombe de la dynastie Han (datant de 206 à 220 avant J.-C.) que l’on est assailli par une centaine de petits cavaliers. Quant à la section sur l’empereur Qin, il s’agit d’une sélection des éléments importants de son mausolée: un commandant, un soldat et un officier pour l’infanterie, deux chevaux pour la cavalerie, un fonctionnaire pour les affaires d’état, un danseur pour le divertissement de l’empereur et même un cygne venu du jardin d’agrément de la tombe. Bref, un bestiaire de variété qui montre que ce royaume des morts rivalisait de gloire avec celui des vivants. Faute de moyens, l’exposition ne parvient pas à véhiculer l’impression de grandeur de l’armée de l’empereur Qin. Pour compenser, les coordonateurs ont mis le paquet sur une mise en scène bien

Arbalétrier, terre cuite et peinture. Dynastie des Qin (221-206 av. J.-C). Exhumé en 1986, fosse n°2 de l’armée de terre cuite. Lintong, province du Shaanxi. Musée de l’Armée en terre cuite du Premier Empereur. Bureau des reliques culturelles de la province du Shaanxi et Centre de la promotion du parimoine culturel du Shaanxi, République populaire de Chine, 2009.

maîtrisée, ainsi que sur une historiographie concise couvrant plus d’un millénaire d’histoire chinoise. L’exposition rebutera donc les curieux en quête de sensations fortes, mais ravira les sinophiles et les férus d’histoire. x

L’empereur guerrier de Chine et son armée de terre cuite Où: MBAM 1380 Sherbrooke Ouest Quand: jusqu’au 26 juin Combien: 7.50$

par Martine Chapuis

La bd de la semaine

n 1974, des paysans chinois font une découverte inattendue: en creusant un puits, ils découvrent une armée de soldats en terre cuite hauts de plus de deux mètres. Les archéologues retrouvent ainsi la fameuse tombe du premier empereur de Chine, enterré avec 8000 de ses soldats de terracotta. C’est dans ce mausolée de la province de Shaanxi que nous emmène l’exposition L’empereur guerrier de Chine et son armée de terre cuite, présentée au Musée des beaux-arts de Montréal. D’entrée de jeu, des questions s’imposent: qui était cet empereur qui a ordonné la construction d’une tombe rivalisant avec les grandes pyramides d’Égypte? Pourquoi un tel projet? Et surtout, comment disposer cette armée monumentale à l’intérieur d’un musée? Qu’on se le dise: cet empereur n’était pas qu’un simple suzerain parmi d’autres. En 221 avant J.-C., il conquiert les sept Royaumes combattants de Chine et se proclame empereur Qín Shi Huángdì. Pour la première fois, le pays est unifié. S’ensuit un règne sanguinaire marqué par des exécutions sommaires, des réformes radicales et de grands travaux, tels les débuts de la Grande Muraille de Chine qu’on lui attribue. Malgré ces succès, l’empereur

est terrifié: il a peur de la mort. Une fois passé de l’autre côté, il craint d’être laissé seul à la merci de ses ennemis et des esprits malfaisants. C’est pourquoi il force quelques 700 000 ouvriers à construire un royaume entier à l’intérieur de son tombeau. Les travailleurs érigent une butte de 115 mètres de haut et de 56 mètres carrés de superficie, les sculpteurs y introduisent leurs milliers de soldats de terre cuite, et tous y sont enterrés pour l’éternité, les statues aussi bien que les vivants. Fort de son armée éternelle et de ses sujets (qui eux périront de soif), l’empereur peut régner dans l’au-delà.

Arts & Culture

x le délit · le mardi 1er mars 2011 · delitfrancais.com


THÉÂTRE

Madame Louis XIV

Lorraine Pintal donne sa voix à Madame de Maintenon. Mai Anh Tran-Ho Le Délit

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orraine Pintal, directrice générale et artistique du Théâtre du Nouveau Monde (TNM), retourne sur les planches dans la peau de Madame de Maintenon, dans un solo théâtral qu’elle a écrit et mis en scène en 1988. Ce sera donc du 29 mars au 30 avril au Théâtre du Rideau Vert qu’il sera possible de s’entretenir avec cette marquise ayant régné indirectement pendant trente ans sur la France en gagnant le cœur du Roi-Soleil. Née en prison et issue de la petite noblesse, Françoise d’Aubigné grandit dans les couvents de l’époque. Elle épouse le poète Paul Scarron, de vingt-cinq ans son aîné. Sa personnalité la fait briller au sein de la société littéraire et, à travers la fréquentation de divers amis artistes de son mari, elle devient la gouvernante des bâtards du roi Louis XIV. Celuici, lassé de ses amourettes après la mort de Marie-Thérèse d’Autriche, se prend d’affection pour celle qui s’occupe de ses enfants illégitimes avec tant d’amour. Elle acquiert ainsi le titre et le château de Maintenon, et épouse secrètement le roi en 1683. C’est donc à partir d’extraits de biographies, des correspondances de Madame de Maintenon, des écrits de SaintSimon, de Ninon de Lenclos et de la marquise de Sévigné, que Lorraine Pintal raconte ce parcours de vie inspirant. Le Délit (LD): Qu’est-ce qui vous avait motivé, il y a plus de vingt ans, à écrire cette pièce? Lorraine Pintal (LP): Les femmes avaient été silencieuses, l’histoire des hommes avait évacué, muselé leur voix. Mais par sa force de volonté, sa détermination, Madame de Maintenon s’est élevée dans la hiérarchie et est devenue une reine. Je voulais réhabiliter l’histoire par les écrits de cette femme qui était révolutionnaire, construire une histoire féminine. LD: Pourquoi avez-vous choisi la tirade ou le monologue? LP: Je voulais me retrouver seule par rapport à un spectacle et au processus de mise en scène que je connaissais déjà. Être confrontée à la page blanche. Avec une bourse du Conseil des Arts du Canada, j’ai visité les lieux de vie de Madame de Maintenon, j’ai parcouru les archives nationales. Lorsque tu ne suis qu’un personnage, sa motivation, son parcours historique, l’adaptation se construit autour d’une seule ligne pour approfondir le propos. On se met aussi en danger par rapport au public, c’est un état de déséquilibre, de confrontation avec le public. C’est un des défis que je voulais me lancer, cette solitude sur scène.

Gracieuseté du Théâtre du Rideau Vert

LD: Pourquoi reprendre la pièce aujourd’hui; l’avezvous modifiée, et pourquoi au Théâtre du Rideau Vert? LP: La reprise ne m’aurait jamais effleuré l’esprit, j’avais tourné la page et j’étais prête à explorer autre chose, je pensais à Jeanne d’Arc, à la Reine d’Angleterre, Virginia Woolf… C’est Denise Filiatrault qui m’a lancé l’idée de reprendre la production telle quelle, il y a environ un an. La scène du TNM est trop grande pour un solo, au Théâtre du Rideau Vert, c’est plus intime.

certains monologues. C’est une esthétique très classique pour le costume, le maquillage, la perruque. J’ai évolué avec le personnage, je l’ai modernisé, je lui ai apporté une parole plus personnelle. J’ai voulu mettre en lumière les contradictions de l’époque, comment ça se situe dans le contexte actuel, la femme dans la société, par rapport à l’éducation, aux relations amoureuses, à la séduction, au questionnement de sa foi, à la spiritualité. Tous ces sujets dont on discute encore abondamment de nos jours.

LD: Le contexte socioculturel a-t-il changé depuis, avez-vous modifié le texte ou la mise en scène? LP: La structure est la même, mais j’ai modifié l’intérieur de

LD: Quels mots ou quelles images –réelles ou chimériques– vous viennent en tête au mot «royauté»? LP: Des images très anciennes, Élizabeth Ière, la marquise de

xle délit · le mardi 1er mars 2011 · delitfrancais.com

Maintenon, Christine de Suède. On pense aussi à une royauté moins glorifiée, aux pays arabes, à une certaine forme de despotisme, à des dictatures. Louis XIV n’était pas un despote, j’interroge la royauté par le biais de cette femme qui se retrouve reine, dirigeante. De quelle manière impose-telle son autorité, gère-t-elle l’état, organise-t-elle ses priorités? On connaît en ce moment une des plus grandes périodes de révolution dans notre histoire, je ne préconise pas la monarchie, mais je cherche comment une femme, qu’elle soit premier ministre ou présidente, assume cette royauté très réelle, pas chimérique. LD: Croyez-vous que la royauté joue un rôle important dans l’histoire du Québec?

Quelle relation avons-nous avec la Royauté aujourd’hui? LP: Je ne crois pas du tout que la royauté possède un grand rôle dans l’histoire du Québec. De par notre appartenance au Canada, par la Couronne britannique, il existe une relation, mais elle n’est même pas symbolique. C’est une réalité qui se rapproche de celle de l’Australie. La royauté, c’est une figure sur les billets de dollars, c’est encombrant même, c’est une très vieille structure qu’on n’a pas cru bon de transformer, peut-être à cause de l’attachement public, surtout chez les personnes âgées. x Madame Louis XIV, écrite, mise en scène et interprétée par Lorraine Pintal, sera présenté du 29 mars au 30 avril au Théâtre du Rideau Vert.

Spécial Royauté

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BILLET

Palais Royal: à gauche toute Guillaume Dumas-Galdeano Le Délit

Martine Aubry et Marine Le Pen Matthieu Santerre | Le Délit

L

’écrivain mexicain Carlos Fuentes l’avait déjà suggéré dans Le Miroir enterré au sujet de l’Amérique latine, et la gauche française actuelle est en passe de le confirmer d’ici l’élection présidentielle en 2012. Le discours nationaliste-populiste relève avant tout du domaine d’expertise et de réussite de la droite. Les autres pions de l’échiquier politique feraient mieux de ne pas trop s’y aventurer s’ils veulent en sortir gagnants. Contraints de répondre à la montée fulgurante de la nouvelle héritière de la dynastie du Front National, Marine Le Pen, la gauche contre-attaque ces dernières semaines sans avoir retenu la leçon. Elle répond au populisme de l’extrême droite par le populisme ou la démagogie, donnant une touche «monarchique» ou «royale» à leur stratégie électorale. Après tout, dans un monde où la plupart des monarques ne conservent qu’un rôle représentatif, on peut en effet se demander si les discours du nouvel an d’Elizabeth II au RoyaumeUni ne font pas plus qu’un avec les communications sans substance du Parti socialiste (PS). «Opération Séduction» 2 en Afrique Première en lice à cet exercice, nul autre que le premier secrétaire du PS, Martine Aubry, lors de son passage au forum social de Dakar du 6 au 11 février. Certes, les Français, Sénégalais et les autres n’ont pas eu droit à un remake de Ségolène Royal portant un boubou, comme lors de la visite de cette dernière en 2009. En échange, cependant, la fin de semaine suivante, les téléspectateurs d’un célèbre rendez-vous politique français ont tout de même dû faire les frais de longues minutes à observer Madame Aubry contempler devant les caméras les peintures d’artisans pêcheurs locaux. Quid de l’annonce de propositions concrètes pour le Tiers-monde, et de la redéfinition des relations France-Afrique qui auraient montré un réel souci, au-delà de l’image, pour la misère des populations en question? Néant. Même au micro des journalistes l’interrogeant sur les raisons

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Spécial Royauté

de ce soudain manque de réticence à être filmée dans un contexte plus «intime», la chef des troupes socialistes s’agace, avouant ainsi à demi-mot la supercherie électoraliste de sa visite. Copycat sauce gauche ouvrière Ne soyons cependant pas trop durs avec Martine Aubry; la gauche de la gauche s’en donne elle aussi à cœur joie au jeu de la démagogie du FN. Pis encore, à travers l’ex-ministre socialiste et actuel co-président du Parti de Gauche, Jean-Luc Mélenchon, les ficelles usées du parti d’extrême droite sont purement et simplement copiées. Traitant la gauche et la droite traditionnelle au pouvoir depuis plusieurs décennies de «véritables oligarchies» et louant les français «d’être un grand peuple» lors d’un face-à-face télévisé le 14 février avec la nouvelle présidente du FN, on ne s’éloigne guère des slogans «Contre le pacte UMPS!» ou «les français sont un grand peuple d’un grand pays» du Front nouvelle génération. Encore une fois, les propositions politiques réelles de la gauche en sont réduites à peau de chagrin: la vague idée de créer un «SMIC (salaire minimum) européen» et d’étendre la loi sur la laïcité aux anciens territoires allemands d’Alsace et de Moselle… Une stratégie gagnante? Alors oui, ne nous y trompons pas, la gauche française semble avoir fait le choix du populisme dans la perspective de 2012. Malheureusement, au regard de l’échec de Ségolène Royal en 2007, qui avait occasionnellement pris la ligne dure du FN dans sa campagne sur la sécurité, allant jusqu’à proposer la création de camps militaires de redressement pour jeunes délinquants, on peut douter qu’elle parvienne à transformer l’essai. En effet, comment vraiment convaincre avec de la pure rhétorique très sécuritaire, nationaliste et antisystème lorsque l’on a participé pendant des années aux politiques de Mitterrand et d’autres en partie responsables du bilan actuel de la France? À ce petit jeu, le Front National, n’ayant jamais participé à l’exercice du pouvoir, ne peut que convaincre davantage avec un discours populiste, réactionnaire. Les sondages actuels, exprimant des niveaux d’intentions de vote pour Marine Le Pen jamais atteints par son père à un peu plus d’un an d’une élection présidentielle, rendent plus que crédible le scénario de la présence du FN, comme en 2002 au second tour, cette fois-ci peut-être même en tête. Si cette hypothèse se fait réalité, le propos de Carlos Fuentes sur le populisme étant avant tout le territoire de la droite pourrait aller s’appliquer bien au-delà des terres au sud du Rio Grande. x

BILLET

La monarchie, baume pour les maux français Fanny Devaux Le Délit

«L

a République n’est pas le régime qu’il faut à la France», avait lancé Charles de Gaulle. La monarchie est l’institution qui a vu l’évolution de la France de Clovis à Louis XVI, en passant par Saint Louis, François Ier et Henri IV. Cependant, la monarchie n’est pas seulement l’histoire d’un roi. Tout d’abord, les royalistes français avancent que la monarchie serait le système politique le plus naturel, car fondé sur le bonheur du peuple, plutôt que sur les intérêts personnels de ses dirigeants. De plus, l’institution royale serait impartiale, puisqu’elle ne choisirait pas le parti ministériel; «le monarque règne, mais ne gouverne pas». Le clivage entre la droite et la gauche détruit la légitimité du chef d’État qui n’est finalement élu que par la moitié des français. La royauté ferait aussi de la France un pays libre de tout pouvoir politique et financier, des pressions extérieures et électorales. L’unité et la continuité caractériseraient cette institution. En France, on compte sur un millénaire et trois siècles six dynasties, deux empires en moins de soixante-quinze ans et cinq républiques en deux siècles. À l’époque, les rois régnaient pendant environ vingt-cinq ans, soit l’équivalent de cinq quinquennats et donc cinq changements de gouvernant. La stabilité qu’apporte une monarchie permettrait à la France d’avancer

vers le bien commun. Le régime électoral français centralise toute l’administration à Paris, ce qui réduit les libertés locales. Le rôle des municipalités, des départements et des régions est mis de côté pour mettre à l’avant la République. Un parti politique s’oppose à la république démocratique: l’Alliance Royale, fondée en 2001. Leur slogan, «Ils vous promettent tous la Lune, exigez le Soleil», réprouve la République et invite à considérer l’alternative monarchiste. Ils ne vantent pas la monarchie comme un moyen de résoudre tous les problèmes, mais ils constatent que depuis la Révolution et l’instauration de la République, la France perd de son influence au niveau mondial. L’histoire contemporaine montre même une dégradation politique, économique et sociale. De son côté, le mouvement des Jeunes Royalistes dénonce, entre autres, le retrait des programmes d’histoire de grandes figures tels Louis XIV et Napoléon Ier, et la réduction des heures d’étude consacrées à l’histoire. Ces Jeunes Royalistes sont responsables d’opérations provocantes, comme la confection d’une banderole sur laquelle était imprimé: «La République couche avec le fric», et l’affichage de cette dernière dans l’une des grandes artères de Paris, ou encore la procession effectuée en janvier dernier pour commémorer la mort de Louis XIV. Interrogé sur les raisons de son combat pour la monarchie, le représentant des Jeunes

Royalistes, Stéphane Piolenc, explique que la «monarchie, telle qu[’ils] la conçoiv[ent], portera en elle les germes d’une véritable démocratie, aura pour but de défendre nos libertés, de bâtir une Europe plus juste et plus respectueuse des nations. La royauté doit incarner un véritable renouveau psychique de notre pays, car le drame des Français, c’est qu’ils ne s’aiment plus.» Il ajoute que la démocratie post-totalitaire est de plus en plus dénoncée. «À nous de rappeler que les désastres d’aujourd’hui trouvent leurs racines dans la Révolution dite française et dans son cortège de trahisons et de meurtres» affirme enfin le représentant des Jeunes Royalistes. Un sondage effectué en 2007 par BVA –société de sondages d’opinion et de marketing française– concluait que 17% des Français seraient favorable à ce que la fonction de chef d’État soit assumée un jour par un roi, et 20% assurent qu’ils voteraient pour un candidat royaliste au premier tour de l’élection présidentielle. Les royalistes sont cependant partagés quant à l’éventuel successeur du dernier roi de France. Il y a deux prétendants au trône: Louis de Bourbon, descendant direct d’un petit-fils de Louis XIV, qui soutient l’instauration d’une monarchie française adaptée au monde moderne, et Henri d’Orléans, descendant du dernier roi de France, qui souhaite une monarchie parlementaire comme au Royaume-Uni. C’était bien la monarchie qui devait unifier la France pour lui redonner sa grandeur perdue? x

Les royalistes veulent sauver le panache de la France en défiant la République. Matthieu Santerre | Le Délit

Quel régime pour la France? Que pensezvous de la place des monarchistes aux présidentielles? Publiez vos commentaires sur

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L’AMOUR ROYAL

Ils se marièrent et eurent beaucoup de frais Les coûts faramineux des mariages royaux remettent en question la monarchie. Polina Khomenko Le Délit

L

e Prince William et Kate Middleton, Albert de Monaco et Charlène Wittstock: 2011 est décidément l’année des mariages royaux, tandis que le spectre de la crise économique plane encore sur les esprits. Alors que les spéculations sur le déroulement des cérémonies –de la robe de la mariée à la marque des gâteaux– occupent le monde entier, Le Délit a décidé de creuser l’organisation de ces mariages en grande pompe. On aurait pu croire que les têtes couronnées d’Europe s’échangeaient les coordonnées des meilleurs wedding planners, mais la tendance des préparatifs de cérémonies royales semble bien indiquer le contraire. En effet, les mariages royaux restent globalement d’organisation nationalistes, que ce soit pour le choix du fleuriste, du photographe ou du pâtissier. À chaque famille royale sa tradition. En Grande-Bretagne, pour le choix des fleurs, les Windsor ont habituellement recours à la Worshipful Company of Gardeners, une institution de charité placée sous l’auspice de la Reine et chargée, entre autres, de lui proposer des bouquets lors d’occasions officiel-

les. D’autres fleuristes britanniques de renom, telle Shane O’Conolly, peuvent s’ajouter à la liste, mais l’on prête davantage attention au choix symbolique des fleurs –des perce-neige de la reine Victoria aux orchidées de la Reine Mère– qu’à leur créateur. Il en est de même pour le choix du photographe, qui change selon le mariage. Ainsi, alors que le célèbre photographe de mode Mario Testino avait pris les clichés des fiançailles du Prince William et de Kate Middleton il y a quelques mois, ce n’est pas lui qui se chargera de prendre les photos de leur mariage. Cette tâche reviendra à un certain Hugo Burnand, célèbre photographe qui s’était déjà chargé d’immortaliser le Prince Charles lors de sa discrète union à Camilla Parker-Bowles. Par le passé, d’autres individus, parfois des amis ou des proches des familles royales, s’étaient vus attribuer ce rôle, sans doute pour tenter d’éviter le trop grand manquement à la tradition des photographes de mode. La pâtisserie a longtemps été la seule exception à la règle des choix nationaux pour les mariages royaux, grâce au pâtissier belge de renom S. G. Sender. Surnommé «le pâtissier des rois», il présentait ses créations aussi bien au roi

Baudouin qu’à Charles et Lady Di. Cette véritable icône de la pâtisserie royale a, durant des années, confectionné de superbes gâteaux. Après son décès en 2009, chaque monarchie a dû choisir son propre pâtissier. En Angleterre, c’est le Classic Celebration Cakes, situé dans le Cheshire, qui est traditionnellement sollicité pour la confection des gâteaux royaux. Bien que la compagnie ait fourni les gâteaux des cinq précédents mariages royaux, ce ne sera pas le cas pour le mariage à venir. «Nous avons produit un gâteau pour le mariage du Prince William, mais il n’a pas été retenu», affirme la dirigeante de CCCakes, Liz Davidson. Globalement, les mariages royaux ne perdent donc rien de leur opulence au fil des ans, même s’ils ont tendance à vouloir davantage de discrétion en ce qui concerne les coûts, à une époque où les monarchies elles-mêmes sont plus que jamais tenues à l’œil. Alors que, en 1981, le somptueux mariage de Charles et Diana, estimé à plus de quarante-sept millions de dollars canadiens, avait ému le monde entier (vingt-sept gâteaux de mariage, 10 000 perles cousues sur la robe de Diana, 6000 policiers assurant la sécurité), il semblerait bien qu’une telle exubérance ne soit plus la

Westminster Abbey, où se célèbrent les mariages royaux anglais Gracieuseté de geograph.org.uk

bienvenue à l’avenir. L’année dernière déjà, le mariage de la princesse Victoria de Suède avec son entraîneur personnel, estimé à treize millions de dollars canadiens, avait provoqué une profonde indignation dans tout le pays. Les mariages de 2011 feraient donc mieux d’éviter les cérémonies trop coûteuses, car c’est une période critique pour les finances publiques, en Angleterre davantage qu’à Monaco. Pour calmer le jeu, les parents de Kate ont offert près de 160 mille dollars canadiens pour aider à financer le mariage de leur fille. D’après le quotidien britannique The Sun, la reine Elizabeth et le prince Charles sont tenus de payer la majorité des coûts du mariage, s’élevant à plusieurs millions de livres. The Sun souligne également que les

frais liés à la sécurité, estimés à près de huit millions de dollars canadiens, seront à la charge du contribuable. Néanmoins, les mariages royaux restent une importante source de revenus pour le pays, notamment dans les secteurs du tourisme, de la porcelaine et de diverses autres marchandises. Ainsi, certains prévoient déjà que le mariage britannique apportera un gain d’un peu moins d’un milliard de dollars canadiens à l’économie anglaise. L’organisation de plus en plus contrôlée des mariages royaux, dont les organisateurs restent discrets sur les coûts réels de ces cérémonies fastueuses, indique que la phrase de l’historien Walter Bagehot reste d’actualité: «le mystère de la monarchie» semble bien être «sa vie même». x

Gracieuseté de flickr

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Spécial Royauté

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L’achat de cigarettes de contrebande coûte plus cher qu’on le pense : il alimente d’autres activités criminelles comme le trafic d’armes et de drogues. Les individus pris en possession de cigarettes de contrebande s’exposent à de graves conséquences, allant de l’amende jusqu’à l’emprisonnement.

consequencesdelacontrebande.gc.ca Buying contraband cigarettes costs more than you think. It fuels other criminal activities, such as the trafficking of drugs and guns. Individuals caught in possession of contraband cigarettes face serious consequences ranging from a fine to jail time.

contrabandconsequences.gc.ca


CINÉMA

La couronne à l’écran Emilie Blanchard Le Délit

300 ans d’histoire, 96 minutes, une seule prise

Gracieuseté de Celluloid Dreams

L’Arche Russe, un film réalisé par Alexandre Soukourov, nous fait visiter le musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, en racontant 300 ans d’Histoire filmées en un seul plan séquence.

A

ujourd’hui, le complexe de l’Ermitage désigne un groupe de bâtiments incluant le palais d’Hiver, le Vieil Ermitage, le Théâtre de l’Ermitage et le Nouvel Ermitage. Le palais d’Hiver était la résidence principale de l’empereur de Russie. Il fut modestement construit en 1711 par Pierre le Grand. Puis, sa fille, l’impératrice Élisabeth, l’agrandit de façon majestueuse de 1754 à 1762. En 1764, Catherine la Grande y construisit l’Ermitage afin d’y placer sa collection d’œuvres d’art, qui forma plus tard le musée de l’Ermitage et du même coup le premier musée de Russie.

L’Arche russe se déroule comme suit: le narrateur, invisible au spectateur, se retrouve au musée de l’Ermitage. Très rapidement, il rencontre un visiteur étranger, Astolphe de Custine. Cet écrivain français s’était rendu en Russie en 1839 avant d’écrire un livre intitulé La Russie en 1839, relatant son voyage. Ensemble, ils visitent trente-trois pièces du musée et rencontrent différents personnages importants de l’histoire de la Russie, dont Catherine la Grande et Nicholas II. La particularité de ce film réside toutefois dans l’aspect technique. En effet, le film a été filmé en un seul plan-séquence

d’une durée de quatre-vingt-seize minutes, ce qui représente un record. Il s’agit également du premier film tourné en une seule prise. L’Arche russe n’a subi aucun montage. S’il y avait une erreur à la moitié du tournage, il fallait tout recommencer depuis le début. Pour compliquer le tout, on a également dû faire appel à trois orchestres qui jouaient en direct et à environ 2000 acteurs. Les extras sont très intéressants à regarder, car ils expliquent en détail le processus de tournage du ce film. Une connaissance en histoire russe est fortement recommandée, car le spectateur ne reçoit

aucune indication concernant les personnes rencontrées. Le réalisateur prend pour acquis que le spectateur connaît l’histoire de la Russie. Il ne faut pas oublier que le film est exclusivement présenté en Russe, avec sous-titres en Anglais. Somme toute, L’Arche russe est un film impressionnant à voir, grâce à sa complexité technique. Ce n’est toutefois pas un film fait pour se renseigner sur l’histoire de la Russie. Il est préférable que le spectateur s’y connaisse un peu avant de visionner le film. x Disponible en DVD à la bibliothèque Redpath.

God bless the Kennedys

Gracieuseté de Muse Distribution International

The Kennedys, une télésuite de huit épisodes à venir sur la famille Kennedy, a créé beaucoup de controverse aux États-Unis, comme aucun télédiffuseur ne voulait en acheter les droits.

L

a famille des Kennedy est considérée comme une famille royale américaine, car ses membres étaient beaux, photogéniques, riches et puissants. La famille Kennedy avait un impact important sur la politique, et plus particulièrement sur le Parti démocrate. Plusieurs Kennedy se sont énormément impliqués en politique. De plus, presque tous les membres de la famille ont étudié à Harvard. D’ailleurs, l’école d’affaires publiques de Harvard se nomme John F. Kennedy School of Government. Toute l’histoire a véritablement débuté avec le mariage de Joseph P. Kennedy Senior, un ancien ambassadeur des États-Unis au Royaume-Uni, avec Rose Fitzgerald, la fille du maire de Boston. C’était alors l’union des deux familles les plus célèbres de Boston.

Ensemble, ils ont eu neuf enfants, dont Robert «Bobby» Kennedy, Edward «Ted» Moore Kennedy et bien sûr John Fitzgerald Kennedy. D’après le site IMDB, la série The Kennedys présente cette famille chouchou des américains sous un jour moins glorieux que d’habitude. Le patriarche est montré comme un homme manipulateur et narcissique qui se serait servi de ses fils charismatiques pour asseoir la gloire familiale. La controverse concernant les droits de diffusion est plutôt nébuleuse. History Channel devait présenter cette télésérie aux États-Unis, mais s’est rétracté en janvier 2011 parce que l’émission ne correspondait pas à son type de programmes et qu’il y avait trop d’inexactitudes historiques.

x le délit · le mardi 1er mars 2011 · delitfrancais.com

Les télédiffuseurs Showtime, FX et Starz ont également décliné l’offre, pour les mêmes raisons que History Channel. Finalement, ce sera ReelzChannel qui présentera les huit épisodes dès le 8 avril 2011. Ce n’est certainement pas faute d’acteurs renommés. On retrouve Greg Kinnear (Little Miss Sunshine) dans le rôle de John Fitzgerald Kennedy et Katie Holmes (Batman Begins) dans le rôle de Jackie O. De plus, l’acteur anglais Tom Wilkinson (In the Bedroom) interprète Joseph P. Kennedy Senior et Barry Pepper (Saving Private Ryan) interprète Bobby Kennedy. Alors, quelles sont les véritables raisons de ce refus? Certains disent que c’est à cause du manque d’exactitude historique. Le réalisateur, Jon Cassar, réfute cette hy-

pothèse. Il dit avoir appliqué tous les changements que History Channel lui imposait. Les acteurs ont lu beaucoup d’écrits sur les personnages qu’ils incarnaient, et chaque détail historique a été vérifié à plusieurs reprises. Une autre raison invoquée serait l’influence importante de la famille Kennedy, et plus particulièrement de la pression exercée sur les différents télédiffuseurs afin de ne pas présenter cette série. Certes, une controverse comme celle-là ne pourra qu’avoir un effet inverse, c’est-à-dire une augmentation des cotes d’écoute. x The Kennedys sera présenté sur la chaîne History Television à compter du 10 avril 2011.

Spécial Royauté

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HISTOIRE

Armoiries, armoiries, dis-moi qui je suis Raphaël Thézé Le Délit

A

pparues en Europe à la fin du XIIe siècle, à une époque où il était difficile de s’y retrouver entre combattants lors d’une mêlée, les armoiries étaient au début de simples couleurs et figures peintes sur la surface des écus. En effet, tous portaient la même tenue armée qui leur couvrait presque entièrement le visage et n’aidait en rien le risque de frapper un compagnon d’armes. Les princes, puis les riches seigneurs, adoptèrent peu à peu leurs propres ornements, permettant une identification rapide du porteur, mais aussi créant une marque de propriété. Transmis d’une génération à une autre, ils devinrent rapidement le signe d’appartenance à une famille ou une terre, de nouveaux blasons naissant au gré de l’évolution sociale d’une famille ou par accolement lorsqu’un seigneur sans fils mariait sa fille à une autre famille, réunissant ainsi les deux blasons. Au fil des siècles, les styles et les goûts évoluèrent selon les modes, mais toujours en suivant certaines règles bien précises, dont la science se nomme l’héraldique. Le but étant d’être vu et reconnu, on utilise des couleurs vives; il en existe sept: deux métaux, l’or et l’argent, et cinq émaux, azur ou bleu, gueules ou rouge, sable ou noir, sinople ou vert, pourpre ou violet, ainsi que l’hermine et le vair, inspirés de la texture d’une fourrure. Surmontant et entourant le blason, on retrouve les timbres, c’est-à-dire les ornements ex-

térieurs de l’écu, qui font la beauté des armoiries par la richesse des détails symboliques et l’imposante effervescence d’attributs dont certaines font preuve. Le blason est divisé par des traits horizontaux, verticaux ou obliques, appelés partitions, selon des dizaines de combinaisons possibles. Les symboles sont appelées meubles et représentent le porteur. Par exemple, François 1er avait la salamandre, un animal légendaire réputé pour vivre dans le feu, dont elle est le symbole en alchimie, que l’on dit «sans âme» et représentant la foi qui ne peut être vaincue. Louis XIV choisit le soleil, symbole païen de l’ordre et de la vie, illustrant à merveille le théâtre du quotidien du roi que celui-ci imposait à la cour. Napoléon prit l’aigle, emblème de la Rome impériale et de Charlemagne, ainsi que les abeilles. Ces dernières, symboles d’immortalité, sont aussi liées à

une toute autre histoire. Le blason contient les armoiries d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande. Sur les côtés, il est supporté à droite par le lion d’Angleterre et à gauche par la licorne d’Écosse

et reposent tous sur une terrasse de roses pour l’Angleterre, de chardons pour l’Écosse et de trèfles pour l’Irlande. Le lion, qui habituellement est vu comme un symbole royal de force, cache ici autre chose. En héraldique, le lion et le léopard sont représentés de manière identique, excepté que le premier est de profil et le second de face. Une autre différence est que le lion est géné-

«

Raphaël Thézé | Le Délit

Voilà un blason qui, malgré un certain aspect sanglant, illustre bien les épreuves que l’on traverse.» une mystérieuse histoire de tombeau de Childeric 1er, fondateur de la dynastie des Mérovingiens et plus ancien souverain de France, que l’on aurait trouvé enterré en 1653 avec trois cents abeilles en or, une tête de cheval coupée, une tête de taureau en or ainsi qu’une boule de cristal. Symboles de royauté et de sorcellerie semblent étrangement liés dans l’héraldique française. Les armes royales de la couronne d’Angleterre racontent

ralement rampant, c’est-à-dire debout, et le léopard est passant, c’est-à-dire allongé. Il faut savoir qu’à l’époque médiévale, le léopard trouve son origine dans une contraction de «lionpanthère-bâtard». Le lion, «roi des animaux» par sa réputation, a forcément séduit de nombreux seigneurs en quête de blason, notamment en Normandie, et, celui-ci devant être unique, il fallut trouver des variantes. L’héraldique anglaise choisissant

d’ignorer ce détail créa le «lion passant regardant». Ainsi, ce qui est fièrement porté comme symbole de royauté chez les Anglais est vu comme mauvais chez leurs voisins. Notez aussi la devise en français «Dieu et mon droit» datant de Richard 1er, avant la bataille de Gisors. Il s’agissait d’un mot de passe, signifiant la volonté de celui-ci de ne pas être vassal du roi de France. Les Français perdirent la bataille et le mot de passe devint devise. Qu’en est-il de notre chère université? Les armoiries de l’Université McGill sont directement inspirées des armoiries du fondateur, James McGill.

Traditionnellement, les trois merlettes, petits oiseaux mythiques, lorsqu’elles sont rouges symbolisent l’ennemi tué sur le champ de bataille. En héraldique, elles sont habituellement représentées sans bec ni pattes pour illustrer les blessures reçues. Le livre ouvert, symbole académique, contient la devise de James McGill «En Dieu j’ai mon abri». Les couronnes font allusion au nom royal de la ville et prennent une forme de fleur de lys en hommage aux origines françaises de Montréal. Voilà un blason qui, malgré un certain aspect sanglant, illustre bien les épreuves que l’on traverse.x

Je vais terminer ce billet dont vous êtes le héros par un reproche fait à vous, chers lecteurs: je ne reçois que trop rarement des commentaires de votre part sur ma moche petite chronique prétentieuse. Pourtant, je suis persuadée que certains d’entre vous auraient quelque chose à répliquer à mes élucubrations, que ce soit une insulte, une lettre d’amour ou une mise au point. Tout texte d’opinion mérite son lot de commentaires, de critiques ou d’approbations. Évidemment, j’imagine que j’accorde trop d’importance à ce que j’écris pour avoir le droit de vous demander de réagir, masse apathique de lecteurs que vous êtes.

Je suis consciente que le lectorat de notre petite publication est restreint et que, comme tout le monde, ceux qui nous lisent ont mieux à faire que de prendre la peine de commenter nos textes. Ainsi, je pourrais me proclamer reine de la patate frite maison, reine du sexe-fiction, et même reine de la presse écrite d’opinion que personne ne m’écrirait une lettre d’insultes bien senties pour me ramener sur Terre. Je crois que c’est exactement ce qui s’est passé avec Lady Gaga et, honnêtement, souhaitez-vous réellement me voir un jour propulsée au sommet de la gloire parce que personne n’a jamais osé mettre fin à mon délire mégalomane? x

CHRONIQUE

La royauté et autres plaies

Catherine Renaud | Billet incendiaire

L’enthousiasme et l’hystérie populaires grimpent lentement mais sûrement autour du mariage royal du Prince William et de Kate Middleton. Quel styliste

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Spécial Royauté

habillera Kate pour la cérémonie? Qui sera invité? Qui ne sera pas invité, exceptée Sarah Ferguson, duchesse de York? Quelle teinte d’autobronzant choisira Chelsy Davy, petite amie officielle du Prince Harry: «Citrouille grillée» et «Terre brûlée du Sahara»? Vers quelle clinique privée de greffe capillaire se tournera le prince William avant la cérémonie, dans l’espoir vain de mettre fin au Prince William’s Receding Hairline Watch des divers tabloïds britanniques? Toutes ces questions d’une importance cruciale pour la survie de l’humanité post-princesse Diana nous préoccupent, à forte raison. Le rêve de devenir une princesse que presque toutes les filles, petites ou grandes, ont ca-

ressé un jour dans leur vie, est devenu réalité pour Kate Middleton, ainsi que pour quelques autres avant elle. Grace Kelly, star hollywoodienne des années 1950, se maria à 26 ans avec le Prince de Monaco en abandonnant sa brillante carrière d’actrice; plusieurs autres, comme cette dernière, investirent le fruit de leurs études universitaires, leur talent et leur intelligence dans une vie d’isolement, dans un enclave coupé du monde pour pondre à temps perdu quelques bébés royaux, le tout vêtues richement. Réjouissez-vous, les filles! Il reste quelques princes célibataires à marier et au moins un autre film superficiel de Sofia Coppola à faire!

x le délit · le mardi 1er mars 2011 · delitfrancais.com


SOCIÉTÉ

Reines de la drague En anglais, queen signifie à la fois «reine», soit la première dame du pays, et «homosexuel» ou «folle». Entrez dans l’univers des drag queens, reines de la nuit. Anabel Cossette Civitella Le Délit

I

l est 22h55. Les reines de la nuit se préparent à monter sur scène. Dans les loges, tout observateur se sentirait comme un grain de sable au sein d’une fourmilière en effervescence. Chacun de leurs gestes est orchestré en vue de la prestation qui suit: des hommes aux traits androgynes, maquillés avec exagération, répètent leurs pas de danse. Un artiste ajoute de la bourrure à son soutien-gorge, tandis qu’un autre s’arme d’un corset et d’une culotte particulièrement serrés. Tous s’entraident avec enthousiasme, se passant boucles d’oreilles et fixatif à cheveux avec moult exclamations. Dans cette famille royale composée de drag queens, l’extravagance et le charme sont rois.

ni travestis ni transsexuels. Julien ajoute: «Nous aimons beaucoup trop notre corps d’homme pour vouloir devenir femmes, mais nous sommes très gays tout de même!» Kevin voit son emploi de drag queen comme une façon de vivre à fond son excentricité. «Quand je me transforme en Céline, par exemple, je deviens véritablement Céline. J’agis et je réagis comme elle.» C’est d’ailleurs pour cette raison que les drag queens se disent

les travestis peuvent choquer, elles, n’offusquent personne.

D’amateur à professionnel Le dimanches au cabaret Mado, c’est l’occasion pour la relève de se faire une place sur la scène professionnelle. «Les jeunes drag queens commencent de plus en plus tôt, car il y a de plus en plus

ont dû gravir les échelons avant de se produire dans un cabaret aussi branché que Chez Mado. Unis par un amour commun pour l’art de la scène, les Blancs, les Noirs, les Asiatiques et même les femmes de tous les gabarits ont leur place sur le marché de la drag. «Tout est possible, martèle Éric. Si tu as le talent, la forme de ton corps ne devrait pas être un obstacle à ta réussite.» Les critères d’un bon spectacle? «Le divertissement!», s’excla-

«Les drag queens sont

Les Queens se dévoilent Il faut mettre certains jugements de côté lorsqu’on en vient à définir ce qu’est une drag queen. Ces hommes qui se déguisent en femme le font le temps d’un spectacle seulement. Ils ne sont

Chacun son style Des drag queens, il y en a pour tous les goûts et de tous les genres. À Montréal, de nombreux clubs organisent des spectacles spécialisés: le café Cléopâtre, le Sky et le Drugstore proposent par exemple des soirées pimentées de numéros. Pourtant, c’est au cabaret Mado que les gens vont pour le simple plaisir du spectacle. Les personnages adoptent des styles plus variés les uns que les autres, de la «matante quétaine et comique» à l’androgyne du style de Marylin Manson, en passant par la diva glamour.

«Ça donne mal à la

de véritables artistes, des artisans de la scène qui mettent des heures à s’approprier un personnage.» Il est maintenant 23h00, et Dream jubile du haut de son piédestal. Attifée de paillettes dorées et munie d’un sourire à perturber le plus chaste des moines, elle anime d’une main de maître la soirée dominicale du cabaret Mado. Qui peut bien se retrouver toutes les semaines dans l’antre d’une contre-culture aussi colorée? Le Délit a rencontré trois drag queens –sans leurs atours de reines– qui avouent que le meilleur auditoire reste celui qui en est à sa première fois. En effet, qui ne tomberait pas sur le dos en voyant pour la première fois un spectacle haut en couleur et en paillettes, un spectacle sans tabou destiné à un auditoire de tous les genres? Les drag queens sont de véritables artistes, des artisans de la scène qui mettent des heures à s’approprier un personnage, à monter une chorégraphie, à choisir un costume et à répéter leur spectacle. Et ce, sans compter le temps passé à se maquiller pour le spectacle lui-même. Pourtant, «jamais je ne voudrais devenir une femme! C’est bien trop de travail!», s’exclame Éric «Erica» Davignon, artiste chez Mado depuis douze ans.

blés d’une veste de cuir, d’une perruque coupée style Longueuil, et d’un jean Levis taille haute par exemple, les drag queens prennent soin de défaire l’image de la diva le temps d’une soirée.

tête d’être belle.»

La laide par exprès est aussi assez agréable à jouer car, comme le souligne Julien, «Ça donne mal à la tête d’être belle!». Même si devenir drag queen ne dépend pas uniquement de la forme du corps, certaines morphologies sont plus faciles à transformer. Les Asiatiques, par exemple, n’ont besoin que de peu de maquillage pour devenir femme.

Drag kings au berceau

Sur la scène du cabaret Mado Anabel Cossette Civitella | Le Délit

reines de la nuit: elles aiment jouer les divas. Plus encore, les premières dames du cabaret Mado se voient comme des porte-paroles des homosexuels, des bisexuels et des transsexuels. Au moyen de l’exagération et de la comédie, ils n’inhibent aucun tabou, mais connaissent leurs limites. Les drag queens ne veulent être ni des icônes, ni des exemples, mais savent que si

x le délit · le mardi 1er mars 2011 · delitfrancais.com

de demande sur le marché de la drag, c’est de plus en plus ouvert» souligne Éric. «J’ai commencé à 28 ans alors que les jeunes de maintenant ont de belles opportunités d’emploi à 20 ans seulement!» Chacun emprunte un parcours différent avant de se produire en spectacle. Ces personnages colorés vivent de leur art à temps plein ou à temps partiel, mais tous

ment en cœur les drag queens. Il faut absolument s’approprier une chanson en faisant les mimiques de la chanteuse pour que l’auditoire y croie. La ressemblance, oui, mais la magie doit aussi être présente dans les spectacles. «Il est tellement difficile d’être belle que parfois, nous préférons mettre notre ‘kit lette’ pour faire rire et s’amuser un peu». Ainsi, affu-

Depuis quelques mois à peine, les drag kings, des femmes qui jouent à être des hommes, prennent elles aussi leur place sur scène. «C’est un phénomène encore assez inconnu à Montréal, mais de plus en plus en vogue à New-York», souligne un des drag queens qui admet ne pas en savoir beaucoup plus. En fait, les drag kings sont encore bien amateurs. Du point de vue des drag queens, imiter des chanteurs hommes permet beaucoup moins de folie: «Ils ont nécessairement moins de possibilités, car il existe moins de chanteur à imiter». Elvis Presley et Georges Michael ont été trop souvent imités, d’après mesdames. Il faudrait quelqu’un qui ait un style très différent ou qui, du moins, soit très drôle, pour arriver à s’installer aussi confortablement dans les mœurs masculines que le sont les drag queens dans les mœurs féminines. Selon Edmund Leach, la queen est une personne au statut anormal, positif pour ce qui est de la «reine», négatif pour l'«homosexuel». Le tabou de l'un magnifie-t-il l'autre? x

Spécial Royauté

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