le délit le seul journal francophone de l’Université McGill
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Une rentrée mouvementée
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Le mardi 6 septembre 2011 | Volume 101 Numéro 1
Affectionne le lycra depuis 1977
Éditorial
Volume 100 Numéro 23
le délit
le seul journal francophone de l’université McGill
rec@delitfrancais.com
Trilogie africaine et nationalisme Anabel Cossette Civitella Le Délit
R
etour à l’école. Retour à la civilisation. Retour à la réalité. Pour nombre d’entre vous qui avez voyagé, dépensé, trinqué, fêté, le retour à la vie normale peut être perturbant et s’asseoir sur les bancs du savoir s’avèrera pénible dans les prochains jours. Pour ceux qui étaient en voyage, coupés des informations comme je l’étais dans la brousse africaine, le retour dans la gueule de la bête est d’autant plus brutal. Jack Layton est mort. Des émeutes ont eu lieu à Vancouver. Le monde arabe tremble encore. Le guide libyen a été destitué par les forces de l’OTAN. La grève de MUNACA menace la tranquillité académique. La grève étudiante se dessine à l’horizon. Tous ces événements fouettent et remettent les idées en place: la terre n’arrête jamais de tourner, surtout pas durant l’été! Dans mon cas, m’éloigner de la nation québécoise n’a été ni compliqué ni pénible. Il suffit de se trouver un prétexte (un stage quelconque), quelques commanditaires (l’avion, ce n’est pas donné) et un peu de courage (suffit de ne pas réfléchir à ce qui nous attend) pour aussitôt s’envoler vers un milieu qui nous semble à la fois exotique, enrichissant, attirant. En effet, tout me semblait beaucoup mieux que de rester à Montréal! Et, une fois devant une nouvelle réalité, il devient même très facile de critiquer sa propre culture. Souvent, nous jugeons sé-
vèrement le pays d’où l’on vient en se disant que l’herbe est beaucoup plus verte ailleurs. Pour ma part, le rythme effréné et l’individualisme des Nord-Américains me puaient au nez avant de partir vers l’Afrique. Maintenant, après un séjour dans la jungle équatoriale de l’Ouganda, j’en suis venue à la conclusion suivante: s’éloigner de son milieu, prendre ses distances avec sa propre réalité, c’est aussi une manière de mieux l’apprécier. Voir l’Afrique tenter de s’extirper péniblement de sa misère, de sa violence, de ses doutes et de ses problèmes, c’est une bonne manière de revigorer un nationalisme faiblot. Revenir au pays, dans ma nation qu’est le Québec après deux mois à flirter avec le chaos, je dois dire que les grèves étudiantes et syndicales me semblent les bienvenues, car elles sont le signe et l’expression d’une civilisation remarquablement avancée: une structure existe lorsque des droits sont bafoués. Des institutions sont là pour pallier aux défaillances humaines. Le 9 juillet naissait une nouvelle nation, le Soudan du Sud. Le 23 août, le dictateur libyen, le très malheureusement célèbre Mouammar Kadhafi, tombait. Ces nouvelles semblent bonnes pour le continent africain, mais comment construire de nouveaux espoirs sur des fondations aussi craquelées et lourdes d’un passé chaotique? Qui promet à ces peuples un renouveau positif? La trilogie de l’Afrique, c’est l’histoire de la désorganisation, de l’inefficacité et de la corruption. Désorganisation,
car ce qui marche aujourd’hui a peu de chance de fonctionner demain, inefficacité, car ce qui fonctionne un peu est déjà beaucoup mieux que rien, corruption, car il y a toujours moyen de faire un paquet d’argent en abusant de ce qui fonctionne. Malheureusement, tous les efforts de développement n’auront aucun écho si l’Afrique continue de s’appuyer sur ces fondations viciées. Comment construire lorsque tout s’écroule à la base? Voir un tel manque de structures et d’institutions fonctionnelles m’a beaucoup fait réfléchir au Québec et à la chance que j’ai d’en faire partie. Les rebondissements et les échauffourées ici m’apparaissent comme le symbole du bon fonctionnement de la société. Preuve qu’il existe des structures, mais aussi preuve qu’il n’y a rien de stagnant, preuve que la société québécoise est bien en vie et en santé. Le premier numéro du Délit a des saveurs de fin de vacances: on rappelle les événements des derniers mois, on couche sur le papier nos réflexions estivales, puis on prépare le terrain pour ce qui va suivre. L’année sera chaude derrière les Roddick gates et le rôle –que dis-je– le devoir du Délit, sera d’interpeller le plus grand nombre de francophiles afin de leur faire vivre le campus d’un angle différent. Et toutes ces palabres au sujet de l’Afrique simplement pour conclure que revenir à la maison, dans ce petit cocon familial qu’est Le Délit et le campus mcgillois sera une oasis de tranquillité comparée à la «trilogie africaine». Cheers, à la nouvelle année scolaire qui commence! x
rédaction 3480 rue McTavish, bureau B•24 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6784 Télécopieur : +1 514 398-8318 Rédactrice en chef rec@delitfrancais.com Anabel Cossette Civitella Actualités actualites@delitfrancais.com Chef de section Emma Ailinn Hautecœur Secrétaire de rédaction Florent Conti Arts&Culture artsculture@delitfrancais.com Chef de section Émilie Bombardier Secrétaire de rédaction Raphaël D. Ferland Société societe@delitfrancais.com Francis L.-Racine Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com Xavier Plamondon Coordonnateur visuel visuel@delitfrancais.com Infographie infographie@delitfrancais.com Coordonnateur de la correction correction@delitfrancais.com Anselme Le Texier Coordonnateur Web web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Collaboration
Martine Chapuis, Zoé de Geofroy, Sarah Hautcœur, Polina Khomenko, Alexie Labelle, Annick Lavogiez, Julie Leroux, Élise Maciol, Luba Markovskaia, Lucas Roux, Louis-Philippe Tessier, Mai Anh Tran-Ho
Couverture Photo: Florent Conti Montage: Xavier Plamondon bureau publicitaire 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6790 Télécopieur : +1 514 398-8318 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Gérance Pierre Bouillon Photocomposition Mathieu Ménard et Geneviève Robert The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Joan Moses Conseil d’administration de la Société des publications du Daily (SPD) Tom Acker, Emilio Comay del Junco, Humera Jabir, Anthony Lecossois, Whitney Malett, Dominic Popowich, Sana Saeed, Mai Anh Tran-Ho, Will Vanderbilt, Aaron Vansintjan, Sami Yasin
L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.
Les opinions exprimées dans ces pages ne reflètent pas nécessairement celles de l’Université McGill.
2 Éditorial
Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal.Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec). Le Délit est membre fondateur de la Canadian University Press (CUP) et du Carrefour international de la presse universitaire francophone (CIPUF).
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Actualités
POLITIQUE FÉDÉRALE
La vie en orange
actualites@delitfrancais.com
Entrevue avec Charmaine Borg, députée NPD de Terrebonne-Blainville Florent Conti Le Délit
C
harmaine Borg fait partie des quatre étudiants mcgillois qui ont été élus aux élections fédérales du 2 mai dernier. À 20 ans, elle est l’une des plus jeunes députées de l’Histoire à siéger à Ottawa. Malgré le nombre important de tâches et de défis qui l’attendent, Charmaine Borg se dit prête à jouer le rôle qu’on lui a confié tant dans son comté que sur la Colline parlementaire. Le Délit: Comment se passe l’été d’une députée récemment élue? Charmaine Borg: C’est sûr qu’une fois qu’on est élu il y a beaucoup de choses à faire. Entre autres, il faut s’approprier les protocoles et habitudes parlementaires. Nous avons donc suivi une période de préparation en juin. Ensuite, une fois retournés dans nos comtés, il fallait rencontrer les gens, se présenter et faire du porte à porte, s’impliquer dans les événements et les festivals d’été, etc. Je crois avoir eu un été très productif! LD: Maintenant que tu es députée, as-tu dû interrompre tes études? CB: En effet, j’ai décidé de prendre un moment pour me concentrer sur cette nouvelle fonction car cela demande beaucoup d’énergie et de concentration. Quand le Nouveau Parti Démocrate m’a approchée pour être candidate, j’ai accepté avec grand plaisir. C’est sûr que dans le comté où je me présentais, je pen-
sais que les chances n’étaient pas les meilleures pour gagner et puis tout a changé. LD: As-tu un rôle plus précis au sein du parti au Parlement? Comment se déroule une journée de membre du Parlement? CB: Je suis membre du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Il n’y a pas vraiment de journée typique, c’est cela qui caractérise nos journées. Chaque jour diffère selon l’actualité, selon les débats. Quand je suis à Ottawa je commence ma matinée par lire les journaux car je veux être en pleine connaissance de ce qui se passe, puis je me prépare pour la période de questions, même si souvent je trouve qu’il n’y a pas vraiment de réponses. On organise également beaucoup de rencontres, d’études et de discussions pour évaluer les projets de loi. Je quitte le bureau assez tard, quand j’ai le sens du travail accompli. LD: Ton expérience à McGill vat-elle te servir? CB: Dans mon rôle au sein du syndicat à McGill [AMUSE, Association of McGill University Support Employees, ndlr] en tant qu’agente des relations de travail, j’écoutais les problèmes des travailleurs, je cherchais des solutions et les aidais à connaître leurs droits. Dans un sens c’est ce que je fais à une plus grosse échelle, j’écoute les problèmes des gens et j’en réfère au parlement. Mon temps à McGill m’a aussi aidée à bien com-
muniquer ainsi qu’à développer une capacité d’analyse des problèmes grâce à mes études en sciences politiques. LD: Comment décrirais-tu ta circonscription, TerrebonneBlainville? CB: Comme la population est constituée de jeunes familles, les enjeux sont l’environnement, le développement de nouvelles entreprises afin d’assurer la croissance économique et une certaine indépendance sur la région de Montréal. La circonscription comprend aussi Lanaudière qui est plus agricole avec moins d’opportunités, elle implique donc aussi des défis importants. LD: Et quels seraient tes défis personnels? En tant que jeune, astu parfois peur d’avoir un manque de crédibilité? CB: Au début, c’est vrai que beaucoup d’entre nous ont été attaqués sur leur jeune âge; mais il faut rappeler que nous sommes tous des gens très impliqués et malgré tout ce que disent les mauvaises langues, nous avons une certaine expérience de nos précédents engagements. Je crois qu’on est parvenu à convaincre les gens de notre vision d’un meilleur Canada.
représentons un grand pourcentage des électeurs car nous sommes une population très jeune. Durant mon temps à l’université j’ai d’ailleurs essayé d’être attentive aux attentes des jeunes car il me semble que certains ont perdu espoir en la politique. Nous incarnons un nouveau visage pour une nouvelle politique.
LD: Qu’est-ce que les jeunes élus peuvent apporter à la vie politique canadienne? CB: C’est important d’avoir des jeunes au parlement, nous
LD: Le décès de Jack Layton a été un choc pour tous les Canadiens, les choses vont-elles être différentes maintenant au NPD? Comment vois-tu le futur?
CB: Je ne pense pas que les choses seront différentes. Nous avions certes tous foi en la vision de Jack mais sa mémoire et son combat continuent car il demeure une inspiration. Et puis, tout reste à faire. Quand un gouvernement conservateur fait des coupures dans les programmes sociaux et menace tout ce pour quoi le NPD se bat, notre mandat est de nous opposer à ces actions et de poursuivre notre engagement. Nous sommes réunis dans cette vision du Canada et du monde que Jack nous a laissée. x
travailler avec lui-même, entre toutes ces démissions et ces dépassements par la droite, alors ça! La politique, c’est le jeu du ballon-chasseur: chacun essaie d’envoyer la balle de la responsabilité pour qu’elle s’écrase langoureusement dans la face de l’adversaire. Et Pauline Marois qui s’aventure à vouloir prendre sa shot sur Stephen Harper, ça ressemble à un saut de ligue. Mais la chef est tannée d’être dans l’opposition juste pour s’opposer, tannée d’être sur le banc à regarder sa promotion de première ministre lui échapper d’entre les doigts. Le temps manque avant les prochaines élections, il lui faut prendre sa chance et la jouer dur sur le terrain des winners: c’est un sport contact, le ballon-chasseur! Alors si Jean Charest venait à l’empoigner bien comme il faut, cette main tendue, pariez que la game vaudra le
détour, ça va jouer des hanches, ça va swinguer! Certes, on les entend déjà, ces vuvuzelas de l’arène politique, ces diatribes soniques qui font saigner les oreilles après cinq minutes de jeu. L’excitation retombe, vivement la mitemps hivernale, un peu de glace sur les bleus, et ce silence glacial. Qu’on se console, la délégation parapluie sera au moins là pour accueillir la dépression atmosphérique des premiers jours d’automne, celle qui refroidit l’air chaud et le pipeau, celle qui déteint les feuilles. Bientôt les arbres prendront feu, ce sera la saison des couleurs, et la colline sera rouge, brune, orange, orange fluo—la revoilà, cette image finalement chaleureuse de Montréal, et ce campus, un des plus beaux. D’ici là, vous délaisserez l’heure de sommeil supplémentaire pour une nuit d’étude, et n’aurez d’yeux que pour vos livres, pas pour les mots en l’air. x
Charmaine Borg Crédit photo: Robert Marquis
CHRONIQUE
Impossible d’être tranquille
Lucas Roux | Morceau de pipeau
Quatre mois Que le soleil se lève au tintamarre des gros engins, pelleteuses, bétonneuses, excavatrices. Quatre longs mois que les bandes réfléchissantes des cols bleus accueillent les premiers rayons de lumière. (Vous sortez de chez vous, et vous croiriez surprendre un trou-
peau de chevreuils dans la pénombre, le derrière blanc dans les phares, la fougue en moins.) La vague néodémocrate de mai dernier à beau être en berne, Montréal l’été est toujours orange, orange fluo, orange cône, aussi sûr que la Grosse Pomme est jaune taxi. Les trous sont bouchés maintenant, la peinture est fraîche, et l’île gagne une heure de sommeil, une heure de silence… jusqu’au ronron sourd de l’allumage de millions d’automobiles, qui embarqueront bientôt sur le bitume rafraîchi, les unes derrière les autres, une cohorte de fourmis sur les routes. Ouvrez la radio, à ct’heure qu’ils n’ont plus de chantiers à énumérer, il y aura bien de la musique ou un peu de rire. Pas même en rêve: c’est la rentrée politique! Tous ces points de presse, ils valent bien le marteaupiqueur.
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C’est l’heure de troquer les yeux plissés et la peau brunie des travailleurs en construction pour les airs cireux et la langue boisée des politiciens. Le monde a sacré, juré, pesté tout l’été après ces réfections de voirie, mais il en reste un gros bout, ou plutôt des gros bouts, plus très soudés, prêts à tomber: le pont Champlain. Les cyclistes prennent leur élan et retiennent leur souffle avant d’entrer dans son ombre, et ce ne sont pas les échafaudages de protection qui les rassureront. Vos élus, eux, vous offrent… un parapluie, ou plutôt une «délégation parapluie». Le Parti Québécois appelle à la réunion d’une coalition non partisane chargée d’agiter un peu plus fort le cochon tirelire du gouvernement fédéral –il est à eux le pont, après tout. Une coalition non partisane! C’tu pas beau, ça, cette main tendue, cet esprit d’équipe! Le PQ est déjà incapable de
Actualités
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CAMPUS
MUNACA en grève MUNACA revendique les mêmes conditions de rétribution que les employés de soutien des autres universités montréalaises. Emma Ailinn Hautecoeur Le Délit
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es négociations entamées en novembre et relancées fin août après une trêve estivale n’ont toujours rien donné. Après vingt-trois rencontres entre McGill et le syndicat des employés de soutien aux étudiants, il n’y a eu aucune entente sur les principaux points de litige, soient les salaires, les avantages sociaux, le régime de retraite et les horaires. MUNACA demande notamment une échelle salariale comme celles accordées aux employés de soutien des autres universités. De plus, les employés de soutien de McGill sont simplement «consultés» par le comité des pensions et avantages sociaux et réclament donc un pouvoir décisionnel sur ces questions. Dans la foire aux questions mise à la disposition de la communauté mcgilloise, l’université dit devoir «composer avec d’importants déficits budgétaires que le ministère de l’éducation leur requiert d’éliminer» pour expliquer leur impos-
sibilité de plier aux demandes syndicales. MUNACA fait remarquer qu’en parallèle 2,1 millions de dollars ont été dépensés pour le retrait de l'amiante et la rénovation du deuxième étage du bâtiment d’administration James. Le McGill Daily révèle que «seulement un peu plus de 190 000 dollars étaient nécessaires pour retirer l'amiante du bâtiment, selon un budget reçu par MUNACA à la suite d’une demande d’accès à l’information». L’université dit aussi avoir proposé une hausse salariale de 1,2% annuellement «fondée sur la politique salariale du gouvernement du Québec», en référence à l’entente négociée il y a un an qui fait en sorte que la hausse salariale des employés de la fonction publique soit indexée sur la croissance économique du pays. Cependant, David Leblanc, porte parole de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC), dit que «au delà des augmentations annuelles prévues il y a un an ou deux, il y a du rattrapage à faire». MUNACA demande au moins
le double de l’augmentation proposée pour obtenir une augmentation d’échelon convenable alors que l’université propose de diviser l’augmentation annuelle de 1,2% pour accorder une augmentation d’échelon de 0,6%. De plus Monsieur Leblanc relate que, selon les emplois occupés, «cela prend trois à dix ans pour grimper l’échelle salariale et arriver au maximum dans les autres universités tandis qu’à McGill ça prend 30 à 35 ans». Morton Mendelson, Premier vice-principal exécutif adjoint (études/vie étudiante), estime qu’une telle comparaison n’est valide qu’à la lumière de l’ensemble des rémunérations et avantages sociaux (congés, heures travaillées, retraites, etc.) «Quand on considère le tout, les employés de McGill ont un traitement comparable.» Le 24 août, les membres de MUNACA ont voté à grande majorité (88%) pour mandater leur syndicat à la grève. Après deux jours de négociations ultimatum la semaine dernière, 75 à 80% des 1700 employés affiliés à MUNACA se sont présentés
aux lignes de piquetage le jeudi 1er septembre, juste à temps pour la rentrée des classes. Comme aucun des emplois universitaires n’est touché par la loi sur les services essentiels, ils se sont organisés en grand nombre, à raison de quart de travail de 4 heures, pour être présents devant toutes les grandes entrées de l’université de 8h à 17h. La grève, qui affecte une partie des services administratifs offerts aux étudiants, continuera cette semaine. L’AFPC et MUNACA ont fait jeudi dernier la demande auprès du Ministère du Travail du Québec de l’intervention d’un tiers dans le processus de négociation. Le jeudi 8 a été fixé comme date de conciliation. David Leblanc, porte-parole de l’AFPC a appris tard dans la soirée du 1er septembre, que McGill avait accepté de se présenter en conciliation. La grève se terminera seulement lors d’une entente de principe. Monsieur Leblanc remarque que les deux premiers jours de grève se sont très bien passés, que “tout le monde est bien motivé”.
Un certain nombre d’étudiants et employés académiques sont solidaires à la cause de MUNACA. Certains professeurs ont relocalisé leur cours à l’extérieur des lignes de piquetage jusqu’à la fin de la grève. «Les cours seront assurés» assure Morton Mendelson. «Si certains professeurs refusent de faire cours par solidarité avec les grévistes, demander à d’autres professeurs de les remplacer reste une option.» Joël Pedneault, VP externe de l’AÉUM, a organisé l’effort étudiant dès le rallye du mercredi 31 août. Il note que «les étudiants étaient très inquiets des mesures prises par l’université». Il constate: «Il y avait du monde d’autres campus, notamment de l’UQAM». Monsieur Mendelson déplore l’initiative, selon lui avortée, de certains étudiants ayant incité au déclassement des livres de la bibliothèque. Il confirme que les membres de l’administration ont reçu un certain nombre de courriels de la part d’étudiants solidaires des grévistes. x
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POLITIQUE PROVINCIALE
La hausse en baisse La rentrée est chaude pour le mouvement étudiant: L’ASSÉ risque de réchauffer les premiers mois d’hiver avec l’annonce d’un appel à la grève générale illimitée. Emma Ailinn Hautecœur Le Délit
L
a semaine dernière, McGill a été mise en vente. Il s’agit d’une des actions symboliques lancées par l’Association pour une Solidarité Syndicale Étudiante (ASSÉ) pour amorcer les protestations visant à faire reculer le gouvernement Charest sur la hausse des frais de scolarité de 325 dollars par année et par étudiant. Les fédérations étudiantes universitaire et collégiale du Québec (FEUQ et FECQ) ont suivi de près avec notamment l’annonce d’une présence renforcée sur le web, au travers de la campagne 1625canepassepas.ca. Ces fédérations n’ont cependant pas osé emboîter le pas à l’ASSÉ quant à l’appel à une grève illimitée proposée pour le début de la session d’hiver. Grève ou pas grève? Pour l’ASSÉ, une grande manifestation prévue pour le 10 novembre fera office d’ultimatum. Cette manifestation sera accompagnée d’une journée de grève. Par la suite, l’association syndicale passera à un appel au vote, en novembre
et décembre, directement auprès des associations étudiantes des différents établissements postsecondaires. Comme beaucoup, Joël Pedneault, VP externe de l’AÉUM, espère que des moyens de pressions plus «doux» suffiront à faire reculer le gouvernement. Cependant, il ne rejette pas la possibilité que les étudiants de McGill participent à cette grève car il estime «qu’il est possible que ce soit nécessaire pour changer la donne». Gabriel NadeauDubois, porte-parole de l’ASSÉ affirme ne pas être inquiet de la timidité des autres regroupements nationaux puisqu’il affirme: «Nous n’attendrons pas que la FEUQ ou la FECQ entrent en grève pour le faire.» Afin de concrétiser son plan d’action, l’ASSÉ compte former une coalition de grève, la CASSÉ, qui permettra aux associations étudiantes qui ne sont pas membres de l’ASSÉ de s’y affilier temporairement pour se joindre à la lutte. Gabriel Nadeau-Dubois compte sur l’élan de la première vague de grèves pour rallier les plus timides. Il dit ne pas s’attendre «à ce que tout le monde soit en grève en même temps». «Mais on est quand même confiants parce qu’on voit, notamment à Concordia et à McGill, des
scolarité le 30 septembre et, lors de l’assemblée générale de l’AÉUM, une possible motion de participation à la manifestation du 10 novembre. De telles mesures visent à informer ceux qui, comme le laisse entendre Joël Pedneault, «ne sont pas au courant qu’il va y avoir une hausse au Québec».
volontés de mobiliser qui n’étaient pas là en 2007.» Cette annonce a néanmoins avivé le débat sur la hausse des frais de scolarité, comme en témoignent les commentaires en tribune téléphonique ou dans les quotidiens montréalais et régionaux. Dans l’éventualité d’une grève, il reste à voir ce sur quoi l’ASSÉ, les fédérations et les associations s’entendront vis-à-vis des revendications à faire pour mettre fin au projet du gouvernement. La gratuité de l’éducation postsecondaire Les différentes associations et regroupements sont unis dans leur argumentaire et dans leur désir de faire passer des informations durant la période de campagne imminente sur les campus déjà entamée le semestre dernier. Leur but ultime, la gratuité de l’éducation à tous les niveaux pour atteindre l’égalité des chances. Ceci fait déjà partie de la position officielle adoptée par les deux associations étudiantes de McGill, au premier comme au deuxième cycle. À McGill, ce sera principalement le comité de mobilisation (le «mobsquad») qui sera chargé de la cam-
Pancarte symbolique de l’ASSÉ Crédit photo: Association pour une solidarité syndicale étudiante
pagne d’information de septembre. Au programme, un panel sur «une université différente» le 28 septembre, une journée entière de discussion sur la hausse des frais de
Guérir par l’AFE Contrairement aux membres de la Commission Jeunesse du PLQ qui soutiennent la décision de leur parti de pallier à la hausse par une bonification du système de prêts et bourses, ni l’ASSÉ, la FEUQ, la FECQ ou la TaCEQ ne croient à ce pansement. Le porteparole de l’ASSÉ explique que la hausse cible la classe moyenne qui recevra, au mieux, une augmentation du plafond de prêts. La bonification du système de prêts et bourses «laissera 20% de la population indemne, donc ne nuira pas au plus démunis», mais n’aidera en rien la situation des 80% restant. Bien que cela reste quelque peu en marge du débat, l’ASSÉ a toujours dénoncé les failles de l’Aide Financière aux études, qui repose et reposera de plus en plus sur un système d’endettement. x
CHRONIQUE
Jack Layton: Moins de larmes, plus d’espoir
Alexie Labelle | Au-delà du présent
JAck Est pArti. LE 22 août dernier, le Nouveau Parti Démocrate a perdu l’un de ses plus grands militants. Après avoir pleuré la mort d’un politicien respecté et aimé d’un bout à l’autre du pays, il est temps de penser à
l’avenir: celui de la justice sociale et de la gauche canadienne d’un côté, mais aussi celui d’un parti qui n’a jamais connu d’aussi grande ascension que le 2 mai dernier. La mort de Jack Layton, malgré l’ampleur du drame, aura peut-être un impact positif pour le parti, dans le sens où il aurait l’opportunité de prouver à ses détracteurs que ce n’est guère le parti d’un seul homme et que, malgré le décès de son chef chouchou, il peut survivre, et continuer à lutter pour la justice et l’égalité sociale, ainsi que pour les familles «ordinaires». Certains disent que la survie du NPD au Québec ne peut être garantie que sous l’égide de Thomas Mulcair, député
d’Outremont. Évidemment, les Québécois qui, aux dernières élections, ont délaissé le Bloc Québécois pour le NPD, voudront être représentés. Ils ne seront certainement pas tentés de refaire de même aux prochaines élections si un député de l’ouest canadien, qu’ils ne connaissent pas, assure la direction du parti. Ceci dit, le NPD aura le défi de choisir un chef qualifié, passionné et charismatique, et devra rester uni pour éviter les mêmes déboires que le Parti Libéral du Canada. Par ailleurs, la popularité du NPD n’est pas mise en danger pour autant. L’élection massive de députés oranges le 2 mai dernier ne peut être attribuée qu’à Jack Layton. Tout d’abord,
l’agenda du NPD rejoint beaucoup de Canadiens, que ce soient les familles, la classe moyenne ou encore les étudiants. En outre, avec le PLC qui peine à se trouver un chef rassembleur, il est normal que les électeurs s’orientent vers un parti plus stable. Après deux élections et deux chefs différents, il sera difficile pour les libéraux de remonter la pente en quatre ans. Enfin, la défaite du Bloc Québécois reflète peut-être l’attitude générale des Québécois, remettant en question la présence des bloquistes à Ottawa. Avec Gilles Duceppe parti et en n’ayant plus que quatre députés à la Chambre des Communes, le défi sera d’autant plus grand pour ce parti, qui est peut-être arrivé à sa fin.
Et que dire de la relève? Il se trouve que les députés nouvellement élus ont ici une chance en or de nous montrer ce dont ils sont capables. Puisque le NPD compte un grand nombre de jeunes députés à Ottawa, dont quatre étudiants de l’Université McGill, il va sans dire que ces derniers devront se faire entendre. Avec le décès de Jack Layton, on peut espérer que ces nouvelles voix s’élèvent et s’inscrivent dans le changement, si changement il y a. Il faudra donc attendre les prochaines élections pour savoir si la relève orange saura de nouveau plaire aux électeurs. D’ici là, on ne peut que spéculer sur l’avenir du NPD en séchant tranquillement nos larmes et en gardant espoir. Merci Jack. x
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Actualités
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ÉTÉ
Ces jeunes qui refont le monde Le sommet des jeunes du G8-G20 se réunissait juste avant l’été en parallèle des Grands de ce monde. Polina Khomenko Le Délit
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lors que le G8 présidé cette année par la France s’est terminé le 27 mai à Deauville, le «G8 & G20 Youth Summit» a réuni la semaine suivante à Paris des jeunes venus du monde entier, avec pour but d’apporter une perspective novatrice à la gouvernance mondiale. Plus qu’une simulation du véritable G8, ce sommet a pour but de produire des recommandations très concrètes aux chefs d’État sous forme d’un Communiqué final adressé aux représentants politiques (et notamment à la Présidence française du G8) comme position officielle de la jeunesse mondiale. Cet évènement a d’ailleurs lieu sous le haut patronage de Nicolas Sarkozy, et accueille tout au long de la semaine des acteurs clés de la sphère politique, économique et sociale. Ainsi, la ministre de l’économie française, Christine Lagarde, a adressé un message aux jeunes délégués, insistant sur la nécessité de rester efficace dans les discussions et les propositions finales qu’ils émettront. Christophe de Margerie, Président Directeur Général de Total, était lui aussi présent afin d’apporter le point de vue d’une firme multinationale sur les relations entre la gouvernance mondiale et les acteurs privés, Maurice Levy, PDG de Publicis, est quant à lui venu partager son expérience de l’e-
G8, qui a réuni, en parallèle au G8, des experts technologiques mondiaux autour de la question de l’avenir d’Internet. Ramon Fernandez, directeur général du Trésor français, a, de son côté, animé une discussion sur les objectifs pour la Présidence française du G20-G8 en 2011. De plus, des représentants d’ONG ont pu rencontrer les jeunes délégués afin d’apporter leur point de vue sur l’avenir du développement mondial et le rôle que la société civile peut avoir dans ce dernier. Créé en 2006 à Saint-Pétersbourg, ce forum annuel est l’occasion pour la jeunesse mondiale de se réunir formellement et de dialoguer autour des grandes questions politiques internationales, reflétant ainsi le débat qui se tient au sein des sommets du G8 et du G20. Cette année, le «G8 & G20 Youth Summit» avait pour thème général la transition vers un monde multilatéral et durable. Néanmoins, les sujets traités étaient bien plus nombreux, incluant par exemple la réforme de la gouvernance internationale, la cybercriminalité, la réforme du Fonds monétaire international, la refonte du Système monétaire international, la problématique des déséquilibres mondiaux, des financements innovants pour le développement, et la possible création d’une Organisation Mondiale de l’Environnement. La délégation canadienne, qui comptait neuf étudiants dont deux de McGill,
est sortie globalement satisfaite des négociations, parvenant à faire accepter bon nombre de ses mesures clé par les membres du G20, notamment sur la protection environnementale et la régulation d’Internet. La qualité des débats était à la hauteur de la compétence des participants, qui ont subi une rude sélection préalable par un jury comprenant le sénateur Yonah Martin
de la Colombie-Britannique, ainsi que des académiciens. Sortis surmenés mais enrichis de ces cinq jours, l’ensemble des participant, parlaient déjà du prochain sommet, qui se tiendra au Mexique en 2012. L’enjeu est de taille à l’heure où le désintérêt de la jeunesse pour la politique semble être pointé du doigt de façon récurrente. x
Le Youth Summit rassemblait différents débats sur l’avenir d’un monde multilatéral. Crédit photo: pocket welt
COMMENTAIRE
Le paradoxe de la liberté «C’est dans les prisons que l’idée de liberté prend le plus de force et peut-être ceux qui enferment les autres dedans risquent-ils de s’enfermer dehors.» Jean Cocteau Louis-Philippe Tessier Le Délit
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omment crée-t-on la Liberté? Est-elle possible? Naturelle? L’Homme, en prenant la liberté de pêcher un poisson par exemple, perpétue un acte dont les implications morales et économiques ne sont pas neutres. Cet été, deux événements distincts, mais similaires, ont permis d’illustrer ce débat. D’un côté il y a les quelques centaines de Vancouvérois qui, durant la nuit du 15 juin, lors de la finale de la Coupe Stanley, ont littéralement mis feu à leur ville; de l’autre, les peuples tunisien, égyptien et les autres, ayant eux aussi semé la zizanie dans le monde arabe. On discerne certaines similitudes dans la forme: groupe de personnes révoltées, puis réprimées et arrêtées, intervention de la police anti-émeute, utilisation de gaz lacrymogènes, balles en caoutchouc, menottes, ainsi que bâtons, destructions matérielle importante, pillages et blessés. Sans oublier le positif: une grande solidarité, des gestes et
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d’actions courageuses, l’utilisation des médias sociaux comme moyen de propagation de l’information, ainsi qu’une réelle détermination à accomplir un but précis. Pour ce qui est du fond, les deux cas sont bien distincts. À Vancouver, c’est avec surprise et même indignation que des milliers, et peut-être des millions, de personnes se sont réveillés le 16 juin 2011, avec, à la une partout: «Riots in Vancouver». Si vous regardiez les diverses photos prises sur le vif par les médias canadiens et étrangers vous pourriez y déceler un reflet du questionnement soulevé plus haut. En d’autres termes, une image perverse de cette liberté d’agir.
«Bon nombre des émeutiers
canadiens semblent avoir oublié que leur liberté prend fin là ou commence celle des autres.»
C’est en voyant les images prises à Vancouver que certains ont dû se poser la question suivante: comment se fait-il
que de telles événements aient lieu au Canada, et comment se fait-il que les émeutiers vancouvérois ne semblent pas réaliser leur chance de pouvoir vivre dans un environnement sain, sécuritaire, et où les opportunités sont multiples? Ceux qui ont bouleversé l’ordre dans le monde arabe ont ébranlé la scène internationale au printemps dernier en démontrant leur solidarité et leur foi en une chose: la Liberté, la même qui nous a été donnée il y a de ça quelques centaines d’années et qui s’est traduite, dans notre cas, par la construction d’un pays démocratique. Malheureusement, bon nombre de ces émeutiers canadiens semblent aussi avoir oublié que leur liberté prend fin là où commence celle des autres, comme l’a écrit John Stuart Mill. À l’opposé, les Tunisiens, Égyptiens et autres, eux, se battent pour simplement accéder à une liberté de penser, d’agir, de s’autodéterminer politiquement et économiquement. Ces gens se sont soulevés contre l’autorité dans le but de réaliser leur rêve de jours meilleurs. Ces événements soulignent donc
un paradoxe: d’un côté nous voyons une émeute amenée par la liberté d’agir librement, et les autres créées par la motivation d’obtenir cette même liberté. x
La fameuse photographie qui a fait le tour du monde. Crédit photo: Getty Images
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URBAIN
À eux la route!
Le Délit infiltre une «masse critique», un raid de cyclistes hors normes qui veulent refaire le monde. Lucas Roux et Louis-Philippe Tessier Le Délit
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ix-sept heures trente, le 26 août, carré Phillips. Une cinquantaine de cyclistes attendent impatiemment le départ de la masse critique, ce mouvement de protestation mensuel mondial dans lequel un peloton de bicyclettes occupe la largeur des rues le temps d’un tour improvisé d’une ville. À Montréal, sous le ciel bleu pastel de l’avant Irene, les cyclistes parlent de la météo, s’échangent des techniques de conduite dans la neige et parient sur l’itinéraire de la journée. Une fois le groupe jugé assez large, les premiers coups de pédale sont donnés, et déjà les plus zélés s’époumonent: «À qui la route? À nous la route!»
C’est une gentille utopie qui se crée au rythme des tours de pédale: en l’espace d’une heure ou deux, les cyclistes font leur loi et roulent large. Le peloton
«Du coureur en lycra au
quinquagénaire en BIXI, le défi est de trouver le bon rythme pour conserver l’intégrité du groupe.»
«C’est une gentille utopie qui se crée au rythme des tours de pédale: en l’espace d’une heure ou deux, les cyclistes font leur loi et roulent large.»
Le nom de l’événement est inspiré de la masse critique d’un matériau fissile, la quantité nécessaire au déclenchement d’une réaction nucléaire en chaîne. Si un cycliste seul sera toujours tassé en bordure de route, un peloton suffisamment fourni peut s’approprier la chaussée. «C’est la Vélorution!» peut-on entendre dans le sillon des bicyclettes. Pendant la masse critique, les cyclistes détrônent l’automobile de son statut spécial dans l’espace public. «On occupe toute la route, on empêche les autos de passer» soutiennent les membres du peloton. La masse n’a pas l’habitude de fuir le trafic, donc le parcours se dessine par les grandes artères du centre-ville, de Sherbrooke à Mont-Royal. À l’origine, le peloton arpentait les rues qui avaient le plus besoin d’infrastructures cyclables; aujourd’hui, il file à côté de la piste de Maisonneuve, puis passe le nouveau sas à bicyclettes au coin de Milton et University. Comme le constate un cycliste de Providence, Rhodes Island, «Montréal est déjà très bien pour le vélo». Aussi la masse critique ne promeut-elle plus seulement un environnement cyclable sécuritaire, mais bien une vision durable de la société, avec le transport actif en son centre.
souvent cent ou cent cinquante cyclistes» assure un habitué qui impute à la température, propice à un pique-nique au parc, le petit peloton de la journée. Témoignage des frasques de la parade, c’est la masse du mois d’octobre, aux saveurs d’Halloween, qui attire le plus de cyclistes –jusqu’à plus de deux cents– la plupart déguisés.
La masse critique se réunit chaque dernier vendredi du mois. Crédit photo: Louis-Philippe Tessier
La gaieté de la manifestation assure probablement le retour de celle-ci à chaque mois et à chaque année, avec la connivence du Service de Police de la Ville de Montréal. «Ce n’est pas organisé, il n’y aucun leader, aucun trajet défini, la police ne peut rien contre nous» s’amuse un vieux de la vieille. Après avoir essayé les arrestations puis les escortes il y a des années déjà, le SPVM s’est résigné à ne pas mettre de bâtons dans les roues de la masse. «De toutes façons, on reviendrait tous les mois, soutient Louis-Philippe, et puis il y a trop de monde.» Alors les cyclistes célèbrent leur nouvelle (et éphémère) place sur la chaussée: «On ne cause pas le trafic, on est le trafic!» chantent-ils.
n’obéit qu’aux règles de la prudence et de la décence. «Il faut jouer au plus serein» explique un des corkers, ces cyclistes qui se relaient pour bloquer la circulation aux intersections, le temps que le gros du peloton traverse sans encombre (on appelle corking, ou bouchonnage, l’action de bloquer la circulation). Les incidents sont très rares et les occasionnelles insultes sont accueillies avec une politesse caricaturale: «merci», «désolé» et «au revoir» se succèdent… et dans les deux langues officielles! «Garder le sourire pour apprécier la ride, être dehors et s’amuser» c’est le mantra de Louis-Philippe, un participant assidu. «Les gens laisseront leur auto à la maison quand ce sera rendu trop frustrant, prédit-il, alors il faut montrer que nous, on a du plaisir.» L’étudiant de l’UQAM, au long visage enjoué, monte et descend le peloton pour distribuer des nez rouges. La masse critique prend alors des allures de foire ambulante. «On est
Rouler dans la masse critique est un exercice de solidarité. Du coureur en lycra au quinquagénaire en BIXI, le défi est de trouver le bon rythme pour conserver l’intégrité du groupe. Il y a toujours un noyau de participants expérimentés pour aiguiller la parade. Une fois le soleil sur l’horizon, le peloton s’affine vite, jusqu’à ne contenir que deux douzaines de cyclistes. Bientôt, une voix surgit de l’avant: «On s’en va au Vieux-Port!» Les rangs sont devenus trop minces pour occuper les grandes artères sans risquer l’accident. Déjà les corkers ont du mal à contenir les automobilistes, et les plus pressés risquent de se frayer un passage à travers le peloton. La fête touche à sa fin. Les derniers cyclistes s’éparpillent à l’heure bleue, au bord du fleuve. «Pourquoi est-ce qu’on ne roule pas toutes les semaines?» s’interroge un nouvel initié, ravi de la ballade; «On ne serait plus les bienvenus, lui répond Louis-Philippe, ou alors il faudrait être plus nombreux». En d’autres termes, il manque encore un peu de masse avant la réaction en chaîne. Une fois seuls, sur le chemin du retour, les cyclistes retrouvent leur étroit couloir de tous les jours, en bordure de route, entre la circulation du vendredi soir et les portières des voitures stationnées. La masse critique, c’est l’histoire de Cendrillon: pour un soir, les cyclistes vivent leur rêve; pour un soir, la route est leur. x
Le «sas cycliste» aux portes Milton Crédit photo: Louis-Philippe Tessier
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Actualités
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Société
Pages Jau d
societe@delitfrancais.com
Malgré ce qu’on pourrait croire, McGill regorge d’activités destinées aux francophones du campus. Le Délit vous propose un guide de survie pour les étudiants francophones à McGill. Francis L.-Racine Le Délit
C
’est la première ou la deuxième fois que vous traversez les gates de l’université McGill? Même en troisième année, il est encore impressionnant de voir que, peu importe le portail que vous empruntez pour entrer sur le campus, que ce soit Roddick, Milton ou McTavish, on semble se transporter directement dans une nouvelle réalité, une réalité anglophone. Il est d’autant plus étonnant d’entendre parler majoritairement français au coin McGill College et Sherbrooke que, la rue traversée et le portail passé, l’anglais devient la lingua franca du campus. Qu’à cela ne tienne, le Tim Hortons, symbole canadien par excellence, de l’édifice Redpath sert ses clients francophones dans un français ponctué de «well» et de «so» mais en français tout de même. Bien que la population francophone de McGill soit d’environs 25% seulement, il reste qu’elle se fait entendre! Il est encore plus intéressant de voir la situation des étudiants francophones de McGill comme minoritaire: les Québécois francophones sont minoritaires au Canada, McGill est l’institution Anglo-québécoise de premier plan d’une communauté minoritaire au Québec, et les étudiants francophones sont minoritaires dans cette institution. Toute une minorité! Ainsi, s’impliquer dans les institutions francophones de l’université permet d’accroître le rayonnement du fait français à McGill. Surtout, s’engager dans tous les organismes, clubs et institutions de l’université permet de faire entendre notre voix, notre opinion et notre langue française.
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Le Délit vous propose aujourd’hui son Guide de survie pour les étudiants francophones à l’Université McGill. Loin d’être une liste exhaustive, le guide veut orienter les étudiants francophones du Québec, les étudiants de la francophonie canadienne et mondiale, et les étudiants francophiles vers des activités, des clubs, et des organisations francophones qui peuvent être considérés comme des points de repères. Le Guide de survie des étudiants francophones à McGill se veut un guide de référence pour l’implication étudiante. Ainsi, bienvenue ou rebienvenue à McGill à tous les étudiants de cette magnifique institution du savoir!
De plus, la Commission des Affaires francophones organise à chaque année la très fameuse FrancoFête à l’université. Cette fête est une semaine de célébrations du fait français à McGill. «Il y a aussi d’autres activités organisées tout au long de l’année et les étudiants peuvent participer à nos rencontres. On les invite à joindre la page facebook de la CAF» souligne Marie-Lise Drapeau-Bisson.
La Commission des Affaires francophones (CAF)
La French Students’ Community (FSC)
Cette commission est le fruit des efforts de plusieurs groupes d’étudiants qui ont œuvré pour le fait français à McGill depuis des années. La CAF est née en 2007 et est l’héritière de la tradition francophone à l’université. Elle est actuellement présidée par deux commissaires: Fanny Devaux et Marie-Lise Drapeau-Bisson.
Ne vous méprenez pas, il s’agit bien d’un groupe francophone malgré leur nom anglais. La FSC est un club de l’université qui a pour but de rassembler l’ensemble des France-o-philes et de promouvoir la culture française de France à tous les étudiants de l’université.
Son objectif principal est d’encourager et d’augmenter la participation des francophones à l’ensemble de la communauté étudiante de McGill et à l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM). La CAF est le point central de l’organisation des activités de la communauté étudiante francophone. Ses objectifs sont variés et l’un des plus importants est sans doute la défense des intérêts des étudiants francophones en ce qui a trait à leur participation au sein de l’AÉUM, de clubs, des services offerts par l’association étudiante et de ses activités.
x le délit · le mardi 6 septembre 2011 · delitfrancais.com
Vous pouvez obtenir toutes les informations concernant la Commission des Affaires francophones en allant sur leur site internet suivant: ssmu.mcgill.ca/caf/ et en les approchant lors de la Soirée des Activités (Activities Night)
Un des objectifs premiers de la FSC est de conseiller, aider et de faire découvrir Montréal et McGill aux nouveaux étudiants français particulièrement et à l’ensemble de la population mcgilloise. Que vous soyez français ou un franc amateur de la culture française et de la France ellemême, vous êtes les bienvenus. La FSC organise au courant de l’année plusieurs activités à caractère social pour tous les étudiants en gardant toujours en tête la fierté d’être français et d’aimer la France! Ce faisant, la FSC est un point de repère important pour l’ensemble des France-o-philes et surtout des étudiants français du campus.
unes francophones de McGill
Institut de Politique McGill College (IPMC) Un nouveau club a fait son apparition à McGill au début de l’année scolaire. Une nouvelle sensation sur Facebook qui prendra certainement de l’ampleur sur l’ensemble du campus, soit l’Institut de Politique McGill College. Cette société est un nouveau club étudiant radicalement différent des autres car celui-ci se veut un forum de discussions informées et créatives pour mener à des recommandations politiques. Cette nouvelle société est officiellement bilingue et elle saura indéniablement rassembler les francophones et les anglophones autour de discussions constructives accessibles dans les deux langues en permettant à ces étudiants d’appliquer de manière pratique leurs champs d’études. Le IPMC vise une application pratique des connaissances apprises en classe, l’amélioration des compétences essentielles au marché du travail, la multidisciplinarité des membres, l’opportunité d’être publié dans le journal académique de l’Institut et d’aborder des sujet de manière ouverte, non-idéologique et non-partisane. Bref, l’Institut aura certainement une grande place pour tous les francophones du campus afin qu’ils s’expriment sur des sujets d’actualités et les touchant personnellement. Visitez leur site internet: www.mcgillcollegepolicyinstitute.com Et la cerise sur le sundae… Pour compléter le Guide de survie, il nous plaît à vous suggérer directement de participer et de lire Le Délit. Quel merveilleux moyen de faire rayonner la langue française sur le campus qu’en lui donnant les mots pour s’exprimer dans les pages du seul journal francophone à McGill! Le Délit est la voix du fait français depuis 1977 et cet héritage perdure encore aujourd’hui par vos actions du moment: vous lisez
cette article. Ce faisant, vous perdurez la tradition et permettez la survie de la langue de Molière. Le Délit s’efforce de présenter l’actualité, la société et la culture par la lunette étudiante. Nous sommes tous des étudiants parmi le conseil de rédaction et nous avons les mêmes préoccupations que vous. Nous voulons partager cet engagement pour le français à McGill à l’ensemble du lectorat. Le Délit, fier de son héritage, est bien plus qu’un simple journal, il est l’expression étudiante du français sur un campus majoritairement anglophone. Il vous accompagnera durant les trois, quatre ou cinq années à venir, voire même plus, en vous informant sur les événements du campus et de la société montréalaise et québécoise. Pour reprendre les mots d’un ami «déliite»: «Une identité, c’est être. Être, nous le faisons à tous les jours, individuellement. Je suis extrêmement fier de parler français. J’aime ma langue. Je l’écris avec soin, je la parle avec tout le respect que je lui dois et j’ai la ferme intention d’élever mes enfants dans cette langue. Il devrait en être de même pour tous les francophones d’Amérique du Nord». L’engagement porte ses fruits Donc, engagez-vous notamment à la CAF, à la FSC, au IPMC et au Délit. Il serait ici opportun de saluer l’initiative du Prince Arthur Herald pour avoir créé une section francophone à leur journal en ligne. Le rayonnement du fait français par n’importe quel organisme du campus est un événement en soi et cette nouvelle section francophone ne doit en aucun cas être passée sous silence: bravo! Sur ce, Le Délit vous invite à vous engager dans tous les clubs, organisations et événements possibles et à faire rayonner le fait français, car nous, au Délit, nous suivons les traces des francophones qui nous ont précédé et nous le faisons depuis 1977… x
****** Ne manquez pas Activities Night qui aura lieu les 14 et 15 septembre prochains dans le bâtiment de l’AÉUM. Impliquez-vous dans les clubs et associations! Nous, au Délit, on le fait depuis 1977... ****** Société
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Les prés paisibles d’Irlande
CHRONIQUE
Photomaker.pl
Vaches en furie Élise Maciol | Sur la route
est en effet la phosphorescence éblouissante des prés environnants. Cela n’étonnera donc personne d’apprendre qu’à l’exception de passer mes soirées dans les pubs à boire la mousse des Guinness de mon copain –à qui je laissais le reste de cette bière trop amère– j’avais pour priorité d’aller gambader dans les prés.
«L’herbe est toujours plus verte chez le voisin.» Voilà un proverbe que les Irlandais ne connaissent certainement pas, car l’herbe ne saurait être plus verte que chez eux. En posant le pied sur le sol irlandais, la première chose que remarque le touriste lambda
Qui eut cru, cependant, qu’une innocente promenade à travers champs pouvait rapidement se transformer en une périlleuse aventure? Alléché par la vue d’un splendide pré vert surplombé d’un arbre centenaire majestueux –et, pour mon bel Américain, par la perspective de visiter des ruines oubliées au beau milieu d’un champs voisin– notre petit groupe d’amis s’est
empressé de sauter fossés et barrières pour rejoindre cette vision divine. Après avoir fait le tour du pré en question, il a bien fallu satisfaire la soif de vieilleries de mon copain, dans le pays duquel les ruines ne courent pas les rues. Seulement, pour atteindre ces pierres millénaires, il fallait traverser un petit coin de champs fermier et déranger quelques vaches qui broutaient d’un air bête et inoffensif… Rien de plus facile, me direz-vous. C’était sans compter sur le talent d’actrices de ces vaches-là! À peine arrivait-on vers le bout de leur pré qu’elles étaient déjà toutes lancées au trot derrière nous, et qu’une meilleure vue de
certaines d’entre elles nous révélait soudainement qu’au moins la moitié du troupeau était composée de jeunes taureaux! Tout en les observant se ruer vers nous en meuglant et en s’exerçant à la lutte (je ne plaisante pas), on s’est jeté sans plus réfléchir dans les ronces et les barbelés qui séparaient leur pré de celui des ruines. Rien ne sert de vous dire que l’exploration de ce dernier nous semblait tout à coup bien moins appréciable qu’elle ne l’avait paru quelques minutes auparavant. Dans l’impossibilité de joindre qui que ce soit, on s’est concerté en tremblant sur la marche à suivre, au milieu des beuglements furieux de bovidés monstrueux séparés de nous par une simple cordelette.
Le danger semblait pourtant presque passé; il nous suffisait effectivement de traverser une épaisse haie de ronces pour atteindre le grand pré aux ruines, et nous étions sauvés. Seulement, si celui-ci était vide en apparence, qui nous disait que ce n’était pas là le territoire d’un taureau séparé du reste de son troupeau? On a donc fait le tour du champ en catimini, prêts à se jeter de nouveau dans les ronces pour éviter de se faire encorner. Je peux vous dire qu’on ne faisait pas trop les fiers… Toutefois, comme vous l’aurez deviné, si je peux écrire cet article aujourd’hui, c’est que l’herbe était bien plus verte chez le voisin, qui, lui, n’avait pas de vaches. x
Vous avez des idées à partager? Sports, loisirs, politique, société, alouette! Écrivez pour Le Délit. societe@delitfrancais.com Nous recherchons de nouveaux chroniqueurs! Contactez-nous! Une vache meutrière Élise Maciol
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Arts&Culture artsculture@delitfrancais.com
Spécial BD
Par Annick Lavogiez Le Délit
Parcours d’une lecture érotique Malgré quelques faiblesses, Carton est un collectif original, loin des clichés et humoristique.
«
Conforme aux exigences de bon goût de la classification canadienne des marchandises», Carton intrigue tout en humour le lecteur dès l’atterrissage dans le champ de vision. Sobre, la couverture marron style cartonné mentionne le titre, la maison d’édition, les auteurs, ainsi que cette curieuse mention «ISBN 978-2-922585-82-7; 32 copies par boîte; imprimé au Canada» annoncent l’originalité de ce projet collectif sur l’érotisme. John Martz ouvre et clôt l’ouvrage avec «Carton» qui ra-
conte le parcours de plusieurs revues érotiques volées par un petit garçon lors d’une visite chez ses grands-parents. Son récit en noir et blanc, sans paroles, dans un dessin plutôt naïf, est interrompu tout d’abord par «La cabine à un œil» de Benjamin Adam. Dans ce récit haut (et rose) en couleur, rempli d’humour, des adolescents évoquent et découvrent leur sexualité à la piscine. Après avoir retrouvé l’espace d’une page le petit voleur de revues érotiques, le lecteur se verra plongé dans la courte histoire d’un marin fumant la pipe et
cherchant de la compagnie. «Sexy sea», le texte signé Nicolas Mahler, sans paroles et en noir, blanc et bleu, est particulièrement réussi lui aussi. Après un nouvel interlude «martzien», les quelques dessins de «Pinup - Ce qui fait tourner le monde depuis toujours», par Pascal Blanchet –passage obligatoire d’un livre sur l’érotisme– manquent d’originalité. Même la double page centrale, qui se déplie pour dévoiler une femme dessinée de dos, dans une position sobrement suggestive, ne convainc pas
Gracieuseté des Éditions de La Pastèque
vraiment, faute d’excentricité, de fraîcheur et d’extravagance. Pascal Girard offre à la suite de Blanchet un bijou d’érotisme coloré en jaune, noir et blanc avec «L’Acousticophile». Son personnage, Pierre, qui enregistre les gémissements de sportives pour les écouter la nuit afin de sonoriser ses fantasmes et rêves érotiques, ne peut que vous séduire, comme la plupart des personnages de cet auteur qu’on lit décidément toujours avec plaisir. Peut-être est-ce la qualité de l’histoire et du dessin de Girard qui ternissent l’histoire
suivante, «Partie de chasse», fantasme peu original et presque sans intérêt d’un chasseur en vacances, scénarisé par Edouard H. Bond et dessiné par Mélanie Baillairgé. Les récits, entrecoupés et reliés malgré leurs différences, forcent le lecteur à revenir en arrière, à relire, à se balader dans les pages, à les feuilleter, à jouer, réellement, avec l’objet-livre. Ce que l’on retiendra donc de cet ouvrage, à part le talent évident de certains de ses créateurs, c’est la réussite du travail collectif des auteurs et éditeurs. x
La fin du monde
Dans la cinquième saison des Notes, Boulet aborde la fin du monde sous de multiples angles.
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epuis près de sept ans, Boulet livre sur son blog (Bouletcorp.com) sous la forme de billets d’humeur des réflexions sur de multiples questions d’actualité. Son sens de l’observation et son imagination dévoilent depuis lors une vision intelligente et piquante du monde actuel. Pour son nouveau tome intitulé Quelques Minutes avant la fin du monde écrit entre juillet 2008 et juillet 2009, Boulet a choisi comme fil conducteur la fin du monde, thématique très actuelle, voire trop souvent explorée ces
dernières années. L’artiste cherche à conserver une certaine fraîcheur dans ses bulles qui interrogent l’évolution de l’Homme et de la société tantôt avec sérieux, tantôt avec humour. Ces planches alternent avec des charmantes et parfois cocasses anecdotes plus quotidiennes. La longueur et le ton des planches varient pour créer un équlibre plutôt réussi entre les passages philosophiques et humoristiques. L’alternance noir et blanc/couleur est agréable et sert admirablement les récits. On apprécie de retrouver Boulet en format papier puisque
Au fond du trou d’Eid
ses histoires se prêtent bien à une lecture patiente et attentive que le web tend parfois à précipiter. Le dessin toujours très détaillé, la fréquente abondance de texte ainsi que la longueur de certaines notes –voire leur complexité– semblent en effet destinés à être davantage appréciés sur papier. Si lire les notes de 2008-2009 donnent quelque peu l’impression d’avoir quelques années de retard sur l’actualité de l’auteur, les sujets ne vieillissent pourtant pas: la technologie et les énergies, les relations sociales et amicales, le quotidien en milieu urbain, etc.
Retour sur un récit un peu mitigé mais néanmoins intéressant.
C
onnu pour ses méthodes de narration éclatée et son attrait pour le renouvellement du rapport entre le lecteur et la bande dessinée, Jean-Paul Reid offre avec Le fond du trou un nouvel exemple de son imagination débridée et excentrique. Comme Carton, cette bande dessinée fonctionne sur cette idée de réguliers allers-retours entre les pages du récit. Bel album à couverture rouge, Le fond du trou aurait pu passer inaperçu s’il n’y avait un véritable trou dedans. Un trou pour le moins intriguant, puisque le lecteur se demande immédiatement s’il est purement commercial, destiné à attirer les regards, ou s’il se justifie à chaque page, dans le dessin comme dans le récit. La bonne surprise, c’est que dès les premières planches, le trou s’avère être partie intégrante de l’histoire, étant par exemple
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Arts & Culture
régulièrement utilisé par les personnages pour passer subrepticement d’une page à l’autre. Parce que c’est bien de voyage dans le temps de la bande dessinée dont il s’agit dans ce récit pour le moins compliqué. Tout commence avec Jérôme Bigras qui, bien installé devant sa télévision, ressent un gros «Scrape», ce qui avertit le lecteur et le pauvre Jérôme de l’arrivée fracassante du boss des Bécosses, dit Bricolo. Une arrivée qui va bouleverser ce qu’on devine comme le train-train quotidien du protagoniste. Si l’utilisation du trou est constamment originale et réussie, l’histoire, tirée par les cheveux, semble moins intéressante que l’idée même du projet. On regrette que le défi audacieux que s’est imposé Eid n’amoindrisse la qualité du dessin et du récit. Malgré cela, avec un début qui renvoie à la fin
(et vice-versa), des personnages qui convoquent d’autres bandes dessinées, des références à l’actualité et de nombreuses blagues sur notre société de consommation, Le fond du trou reste un album intelligent et complexe, rempli d’acrobaties scénaristiques qui sauront en fasciner plus d’un. x
Gracieuseté des Éditions de La Pastèque
On apprécie un peu moins le thème de l’album, peu original puisque visité et revisité par de nombreux artistes depuis quelques années. La fascination actuelle pour la fin du monde et ses traditionnels personnages (zombies et autres monstres divers) semble en effet pousser l’auteur à développer des histoires dont la complexité –ou l’imagination peut-être finalement trop intense– finit par perdre le lecteur. Les anecdotes quotidiennes du bédéiste semblent plus efficaces, par leur format plus court et leur originalité plus constante et touchante. x
Gracieuseté des Éditions Shampooing
Les petits riens Le Robinet Musical, nouveau succès de Lewis Trondheim.
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ans son dernier opus de la série «Les petits riens de Lewis Trondheim», Trondheim parcourt le monde entre les petites rues de Strasbourg, les avenues new yorkaises, San Diego, Ottawa et les toilettes japonaises. Son personnage d’oiseau anthropomorphe livre une fois de plus de multiples expériences drôles, touchantes, hors du commun et pourtant ordinaires. Il révèle angoisses, interrogations et fascinations sans jamais flirter avec le condescendant ou l’arrogance vis-à-vis des cultures découvertes. Loin d’un récit de voyage à tendance réaliste à la Guy Delisle, Le Robinet Musical est une sorte de carnet de bord décalé qui fera sourire voyageurs et casaniers. À travers l’abondance d’anecdotes variées, une excellente succession de situations cocasses et quoti-
diennes, un ton léger et un style dépouillé, Trondheim nous incite à adopter un regard indulgent mais moqueur sur notre propre quotidien. Ce voyage autodérisoire dans un monde surprenant de petits plaisirs est admirablement servi par le dessin, sobre mais parfaitement détaillé, qui sert autant les histoires racontées que le texte: l’équilibre entre image et texte est parfait. Une attention particulière est portée aux décors, richement colorés, que les voyageurs auront plaisir à reconnaître d’une ville à l’autre. Et comme chaque anecdote se limite à une ou quelques planches, le recueil peut donc se dévorer d’une traite ou par intermittence. Une belle lecture à savourer pendant ces premiers jours de l’automne. x
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LITTÉRATURE
La sombre histoire de l’Ouest
Jacques Côté livre un polar fascinant, Le Sang des prairies, deuxième tome de la série «Les Cahiers noirs de l’aliéniste».
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ans la pluie de polars génériques qui s’abat sur nos librairies de saison en saison, il y a de ces trésors qui sortent du lot de par leur originalité et la profondeur de la réflexion qu’ils suscitent. Parmi ceux-ci, il y a Le Sang des Prairies, un roman policier à saveur historique signé par l’auteur québécois Jacques Côté. Cet ouvrage constitue le second tome de la série «Les Cahiers noirs de l’aliéniste», série amorcée en 2010 avec le roman Dans le Quartier des agités, ouvrage qui a valu à son auteur un troisième prix Arthur-Ellis du meilleur roman policier canadien en carrière. La barre est donc haute pour le second «Cahier», mais c’est un défi que Côté relève avec brio en nous livrant un polar fascinant et fort marquant. L’auteur nous transporte en 1885, en plein cœur d’une révolte impliquant des communautés cries inspirées par le controversé leader métis Louis Riel. On y suit les pas de Georges Villeneuve, jeune capitaine lettré et empathique, qui, avec ses collègues du 65e bataillon de Montréal, doit aller investiguer le violent massacre qui a secoué le village de Lac-à-la-Grenouille, en Alberta. Après deux pénibles mois de voyagement dans un climat hostile, Villeneuve doit entendre le témoignage de François Lépine, seul survivant du carnage durant lequel ont péri de nombreux colons français et un métis. Le troublant témoignage de l’interprète métis ne don-
Gracieuseté de Alire
ne qu’un aperçu de l’horrible spectacle qui attend les soldats à Lac-à-la-Grenouille. Mais ce n’est pas tout. Si l’horreur des détails de la tuerie choque profondément Villeneuve et ses collègues, ces derniers sont d’autant plus choqués de découvrir que le massacre est en réalité le produit
des politiques injustes du gouvernement canadien, politiques qui ont fait subir aux communautés autochtones humiliation et famine. Dès le début du roman, le témoignage de Lépine est placé en parallèle avec l’histoire principale, de manière à sensibiliser
le lecteur à la cause métisse et amérindienne et à le faire s’identifier d’avantage à la progression du raisonnement de Villeneuve. Chez le lecteur québécois francophone de souche, cette identification se trouve amplifiée par le fait que les révoltes amérindiennes et le sort que fait subir Ottawa à ce peuple est plus d’une fois comparé au soulèvement des Patriotes de 1837-38: la révolte des métis est aussi la sienne. Toutefois, comme Villeneuve, il se retrouve aussi partagé entre le désir de prendre parti pour ses frères de l’Ouest, ces métis qui sont aussi des canadiens francophones et catholiques, et celui de voir à ce que les auteurs des meurtres soient punis: qui doit-on blâmer, lorsque l’auteur d’un crime est en fait la victime d’un autre, bien plus hypocrite? Le Sang des Prairies se situe à mi-chemin entre le roman d’enquête, le récit de guerre et le western. Inspiré de faits et d’intervenants réels, l’ouvrage vise plus loin que le simple divertissement: il raconte l’histoire que bon nombre de canadiens ont oubliée, l’histoire des premières minorités canadiennes qu’on a voulu détruire par la cruauté et l’injustice. Un style accessible et fluide, ainsi qu’un ton naturel, authentique et humain alternant entre le grave et le léger, rendent la lourdeur des sujets abordés bien plus digeste qu’on serait porté à le croire: en effet, la plume de Côté nous transporte du début à la fin du roman sans qu’on ne voie passer le temps. Le roman terminé, on en redemande, on le relit. Sans conteste un incontournable de la rentrée. x
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Julie Leroux Le Délit
détails intimes de la vie des grands personnages, qui pourrait paraître superficielle chez un autre auteur que Robert Lévesque. Mais chez lui, qui égrène les journaux et les correspondances intimes et qui fréquente assidûment les biographes, il s’agit réellement d’un dialogue avec les esprits qu’il admire, de manière à en faire autre chose que des créatures de papier, mais plutôt des êtres de chair et de sang qui viennent sans doute, à l’occasion, trinquer avec l’auteur autour d’un bon verre de Château de Pennautier… On rencontrera donc, au détour d’un wagon ou d’une gare, Arthur Buies, Émile Nelligan, Jacques Ferron, Gabrielle Roy, La Bolduc, mais aussi, un peu plus loin d’ici, le récit fabuleux de Glenn Gould, cet incontournable amoureux des trains, avant de faire un petit détour par une gargote
de la Basse-Ville de Québec pour entendre, entassés avec une petite foule de curieux, Charles Trenet pousser la chanson, entre deux trains, dans un des textes les plus émouvants du recueil. Qu’on rencontre les personnages pour la première fois ou qu’on retrouve d’anciennes amours, la lecture du recueil est un délice pour les curieux, un voyage plein d’inattendus, mais traversé, pour faire unité dans le désordre, par le leitmotiv rassurant du train. On a parfois l’impression d’être attablé avec un causeur extraordinaire, car une conversation se tisse progressivement entre l’auteur et le lecteur par les clins d’œil qui se multiplient au fil du texte et qui renvoient à des anecdotes précédemment racontées. D’où l’intérêt de lire le recueil dans l’ordre, rail après rail, dans la marche régulière et quelquefois berçante du train. x
CHRONIQUE
Chroniques ferroviaires Luba Markovskaia | Réflexions parasites
Bonne rentrée à tous, mais surtout à vous qui, comme moi, plutôt que de vous envoler pour des pays lointains dès la fin des classes, avez fait le pari de chercher le bonheur là où il est le plus assurément, c’est-à-dire près de chez soi. À vous qui avez fait du tourisme dans votre propre ville, à vous aussi qui avez sillonné à vélo les routes
chantées par Foglia, à vous enfin qui avez parcouru, et je l’écris au risque de passer pour l’Abbé Casgrain, les pittoresques villages du Québec par les routes de campagne, en voiture. Car ici, dans l’«Amérique des grands espaces», le voyage se fait surtout en automobile. Ici, loin de se rendre d’une capitale à l’autre dans le confort et la vitesse des trains issus des dernières technologies, on ne connaît souvent du train que l’odieusement coûteux ViaRail, et les tristes convois qui transportent les travailleurs de la banlieue à la ville, en passant dans les cours arrières péniblement identiques. Si, cet été, malgré le bonheur de redécouvrir la beauté des paysages québécois, vous avez secrètement, à la lueur lancinante du néon d’une chambre de motel, rêvé de voyages sur des continents lacérés de chemins de fer et hantés
x le délit · le mardi 6 septembre 2011 · delitfrancais.com
par les grands esprits des siècles passés, plongez-vous vite dans la lecture de Déraillements, ce bijou d’érudition et de curiosité ferroviaire qu’est le tout dernier recueil de Robert Lévesque. Cet inlassable curieux vous fera visiter les mélancoliques gares d’Europe de l’Est, en compagnie de Kafka, d’Attila Jozsef et d’Edward Stachura, la brumeuse gare de Saint-Lazare (ou «l’antre empesté», pour Marcel Proust) avec les Impressionnistes. Il vous fera épier les pas perdus de Hemingway attendant, gare de Lyon, Scott Fitzgerald –qui ne viendra pas, Ravel dormant à poings fermés entre deux arrêts au Canada, et les derniers instants de Fats Waller dans un wagon-lit à Kansas City. Je dis bien épier, car il y a quelque chose d’un peu voyeur dans cette fascination pour les anecdotes biographiques, pour les
Arts & Culture
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ARTS VISUELS
Les Cadeaux du Musée McCord
Pour célébrer ses 90 ans, le Musée McCord expose 90 des plus belles pièces de sa vaste collection. zoé de Goefroy Le Délit
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epuis sa fondation, le Musée McCord se veut le gardien du patrimoine québécois, en assurant sa préservation et sa mise en valeur. À ARTS VISUELS l’occasion de ses quatre-vingt-dix bougies, le musée ne reçoit pas de cadeau, mais en offre plutôt quatre-vingt-dix à ses visiteurs. Le McCord remplit ainsi un rôle culturel essentiel en sélectionnant une poignée d’œuvres témoins de l’Histoire du Québec et de son rayonnement international. Ainsi que l’explique Nadia Martineau, relationniste au Musée: «Les conservateurs ont choisi quinze œuvres chacun, au sein de leur collection». Parmi ces œuvres se trouvent des photographies, des costumes, des manuscrits et des objets variés. Afin d’animer les visites, le Musée a fait appel à neuf créateurs montréalais pour qu’ils livrent, au moyen de clips vidéo, leurs coups de cœur parmi les œuvres exposées. En pénétrant dans la salle d’exposition, le visiteur est plongé dans un univers mystérieux, où la pénombre domine, avant d’être assailli par l’abondance des trésors et des vitrines nimbées de faisceaux lumineux. Les coordonnateurs ont misé sur une scénographie minimaliste qui contraste avec le faste des objets exposés, ainsi que sur les jeux de lumière qui, savamment, les mettent en valeur. Cependant, cette scénographie s’avère déroutante de par son absence d’indication quant au sens de la visite, laissant aux visiteurs une très grande autonomie
face à plus de huit siècles d’Histoire: les plus hésitants avancent à tâtons, à l’instar des plus téméraires qui vaquent, au gré de leurs goûts et de leurs envies. Instinctivement, certains se dirigent vers le mur couleur vermeille et y découvrent une véritable prouesse technique et artistique du 19e siècle, intitulée Portrait de Mme Andrew Robertson de Montréal en format carte de visite. Cette dernière constitue un très bel exemple de colorisation de portrait, pratique courante à l’aube de ce siècle, combinant l’art de la photographie et de la peinture à l’aquarelle. Rien ne semble cependant voler la vedette à la Parka imperméable à capuchon yu’pik en membrane d’intestin de mammifère marin, œuvre du début du 20e siècle, qui trône dans sa vitrine individuelle, et devant laquelle petits et grands demeurent béats. Cet objet que les chamanes arboraient lors de rituels divers, témoigne d’une habileté, d’un savoir-faire et d’une connaissance des matériaux surprenants. Un peu étourdis par la quantité de trésors, les visiteurs déambulent le long des tables centrales tandis que se dévoilent quelques innovations technologiques qui, bien que témoins d’une époque révolue, sont similaires à certains objets contemporains, tels que des sous-vêtements féminins d’hiver ou un poêle provenant des Forges du Saint-Maurice, près de Trois-Rivières. Les passionnés du sport national n’omettent pas quant à eux de remarquer le chandail de hockey, porté par le numéro 9, Maurice Richard, surnommé le
«Rocket», en raison du record qu’il a établi lors de la saison 19441945, en marquant cinquante buts en autant de parties. Néanmoins, les plus coquettes sont elles aussi comblées, puisque l’exposition rend hommage au vêtement sous toutes ses coutures: paires de chaussures en brocart de soie du 18e siècle, robe en mousseline de laine, ou costume tailleur de John James Milloy. Dans ce coffre aux trésors, il y en pour tous les goûts. Les férus d’Histoire ne sont évidemment pas laissés pour compte puisque, pendant que certains sont absorbés par la lecture du Journal tenu par le major-général James Wolfe lors du Siège de Québec, d’autres ricanent face à la caricature éditoriale de René Lévesque, réalisée par Aislin au lendemain de la victoire du Parti Québécois en 1976. Enfin, les visiteurs ne sauraient quitter la salle d’exposition sans un arrêt face à l’impressionnant panorama illustrant la prise de Québec de 1759-1760, qui couvre un mur entier de la salle. Cette œuvre unique, frappante de véracité, enseigne et illustre un épisode décisif de l’Histoire de la Nouvelle-France. Le Musée McCord, en dévoilant pour la première fois ce large éventail d’œuvres au grand public, parvient avec brio à véhiculer la singularité de la culture Québécoise et à rendre hommage à la nation canadienne-française. Le choix des œuvres exposées ravira donc les visiteurs issus de toutes les générations, qu’ils soient de simples curieux, des amateurs d’art ou des mordus d’Histoire. x
Gracieuseté du Musée McCord
CHRONIQUE
Novthographe
Anselme Le Texier | Les Mots de saison
Si vouS avez quelque intérêt pour les dictionnaires, vous savez sûrement que l’édition 2012 du Petit Larousse illustré, parue récemment, choisit d’intégrer la nouvelle orthographe directement dans les entrées, juste après l’ancienne, celle-là ayant été jusqu’alors comprise dans quelques feuillets au début de
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Arts & Culture
l’ouvrage. Cette orthographe dite nouvelle, presque inusitée dans les grandes maisons d’édition et les publications périodiques, se voulait être une simplification de la scélérate orthographe françoise, et que les immortels tentèrent d’imposer sans grand succès il y a plus de vingt ans déjà. C’est donc, d’après l’Académie française, que nous devrions écrire non pas «des après-midi» mais «des après-midis», «maitre» et non plus «maître». Pourquoi tant d’efforts, et si peu de résultats? Les efforts tendent à rendre l’orthographe plus accessible, les incorrections moins fréquentes et aussi tentent d’homogénéiser tout ce bordel impénétrable de règles, d’exceptions, d’impuretés qui nous rendent la vie invivable. Les résultats, quant à eux, répondent bien peu aux attentes des académiciens
-le jour où l’Académie arrivera à imposer quoi que ce soit- puisque la réforme laisse à la discrétion des nombreux organismes de régulation et d’enseignement de la langue des nombreux pays où le français est langue officielle ou d’usage d’intégrer, ou non, la «NO» dans leurs livres. D’autant plus que l’orthographe de nos parents, que l’on doit maintenant qualifier d’ancienne, n’est pas pour autant incorrecte, et reste d’usage fréquent chez la plupart des scripteurs du français. Déjà que ce n’était pas simple de parler notre belle langue quand il n’y avait qu’un canon, et qu’on nous condamnait au ban, au coin, en cas de «faute» de français (rappelez-vous, avant les correcteurs orthographiques); maintenant on nous en donne deux, l’une, traditionnelle, aussi complexe que l’autre, réformée, «simplifiée»,
si bien qu’il est pénible pour le néophyte de distinguer l’une de l’autre ou des usages incorrects. Au Québec, on prône la nouvelle orthographe pour l’enseignement primaire et pour les ouvrages de référence (comme le Grand dictionnaire terminologique, ou le Multidictionnaire de la langue française), mais rien n’est imposé, même si parfois on voit dans la rue ou ailleurs des exemples d’utilisation de la NO, et ces questions sans grande importance sont bien souvent ignorées. C’est en Belgique que la NO trouve le plus d’adeptes, les Belges francophones ayant choisi de ne pas soutenir la coexistence de deux orthographes et ayant adopté la réforme pour la plupart des branches de l’enseignement et de l’administration. En France, bien sûr, on s’en contre(-)fout, et les rectifi-
cations passées dans la langue courante le sont bien souvent de façon inconsciente. Ici au Délit, on fait moite-moite, avec pour souci de servir le lecteur en lui assurant homogénéité, lisibilité et cohérence tout au long de nos pages et tout au long de l’année; entre ortho traditionnelle et réformée, typo conventionnelle et simplifiée, ici on a de la place pour tout et pour tous, même pour les coquilles. Alors pourquoi cette année seulement la maison Larousse a-t-elle décidé de prendre le pas d’autres éditeurs comme Hachette, Littré ou Québec Amérique, faillant selon certains à sa réputation de «meilleur dictionnaire français»? Marketing? Coup médiatique? La maison d’édition dit vouloir se référer à «l’usage»; quant à moi je vous encourage à utiliser le Robert. x
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ARTS VISUELS
Une cour des miracles au cœur de Montréal
Avec l’exposition Quartiers disparus, le Centre d’histoire de Montréal donne la parole aux résidents passés par les bulldozers de la Révolution tranquille. Raphael D. Ferland Le Délit
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u lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe doit renaître et se reconstruire. Lorsque l’Amérique lui emboîte le pas, l’Occident entier semble faire le pari de la modernité: on rêve d’espace, de loisirs et de gratte-ciels. À Montréal, le maire Jean Drapeau souhaite éradiquer l’un des plus grands symboles de l’industrialisation des siècles derniers: le taudis. Mais à la différence des métropoles européennes, Montréal n’a jamais croulé sous les bombes. Pour se rebâtir à l’image du nouveau monde postindustriel, la métropole québécoise doit donc d’abord passer sous les bulldozers. C’est ainsi qu’entre 1950 et 1970, 25 000 Montréalais perdent leur logis. Au Faubourg-à-M’lasse, 600 familles sont délogées. À Goose Village, 330 logements sont démolis. Dans le Red Light District, 4041 personnes sont expropriées. Une exposition dont vous êtes le héros Ce sont ces victimes de la modernisation que Catherine Charlebois et Stéphanie Lacroix, coordinatrices de l’exposition, tentent d’introduire dans la mémoire collective des Montréalais. Les Quartiers disparus reprennent vie grâce à quarante-trois entrevues réalisées auprès de cinquante-cinq anciens résidents, intervenants de l’époque et experts d’aujourd’hui. C’est aussi une panoplie de reliques audiovisuelles tirées des Archives de la ville de Montréal. Lorsqu’on choisit comme sujet trois quartiers démolis pour leur laideur et leur insalubrité, il est
difficile de créer quoi que ce soit de tape-à-l’œil, ni même de très accessible. Sauf les quelques images dispersées çà et là, les témoignages sont le cœur de l’exposition. Pour en retirer quoi que ce soit, il faut s’asseoir une quinzaine de minutes avec les anciens résidents, prendre les écouteurs, découvrir leur histoire et s’immerger dans leur réalité. Plus qu’une exposition, il s’agit d’une expérience interactive, d’un dialogue avec des survivants d’une époque révolue. Aucune paresse intellectuelle n’est admise. Si l’on conçoit les Quartiers disparus comme une exposition traditionnelle, la quantité d’opinions contradictoires qui y sont présentées la rend schizophrène: on nous accable d’abord de la misère et du fatalisme de ceux qui errent en vain à la recherche de leur maison d’enfance disparue, on continue avec des experts qui décrient la Révolution tranquille en la peignant comme une grande modernisation par laquelle notre héritage a «pris le bord», on poursuit avec un autre expert qui justifie la destruction des taudis et fait l’éloge du fonctionnalisme moderne, pour finir sur le plus long vidéo de l’exposition (19 minutes), qui n’a rien d’historique, mais s’avère être une exhortation à l’activisme social. Les Quartiers disparus n’ont donc rien de naïf, ni même de particulièrement agréable. Si on les conçoit plutôt comme une tribune citoyenne, alors on y trouve de quoi se forger une opinion éclairée sur le futur de Montréal. Si le devoir civique vous appelle, voici un aperçu de ce que les Quartiers disparus vous réservent.
Gracieuseté du Centre d’histoire de Montréal
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Trois faces cachées de Montréal Au Faubourg-à-M’lasse, situé entre les rues Dorchester, Papineau, Craig et Wolfe dans le Montréal des années cinquante, deux silos à mélasse trônent autour de manufactures, ateliers et usines de toutes sortes. La population défavorisée du Faubourg-à-M’lasse, avide cliente de cette substance sucrée bon marché, s’entasse à plusieurs dizaines de personnes par chambre. Les toilettes sont le plus souvent extérieures et communes. Lorsqu’un trou creusé dans une cour intérieure se remplit, on en creuse un autre, et sur la première latrine apparait un nouveau taudis. Selon Guy Pauzé, ce n’est pas que l’insalubrité, mais aussi la violence qui accable les faubourgeois. La femme de Monsieur Pauzé se souvient de ce Chinois dont la vitrine de dépanneur éclatait en morceau chaque semaine. Au Faubourg, les conflits se règlent par des duels de coups de poings. À l’ombre du pont Victoria, le Goose Village se coince entre le fleuve et les industries. Nommé d’après l’époque où les Sœurs Grises y élevaient des oies, le village a accueilli des immigrants irlandais et italiens au milieu du 19e siècle, certains fuyant la famine, tous cherchant un emploi sur la voie commerciale du Saint-Laurent. Aucun arbre ni aucune pelouse au Goose Village: les routes sont en terre et l’air est saturé des effluves des bêtes écorchées à l’abattoir. Ceux qui étendent leur linge blanc lorsque les bateaux déchargent
à Dominion Coal le retrouvent noirci par la poussière de charbon. Et pourtant, Adolf Diorio se souvient que les gens étaient tellement «tissés serrés» qu’une marche «de santé» de quelques mètres prenait trois heures. Le samedi, on affuble les rues de guirlandes improvisées, l’heureux propriétaire d’un Winnebago fait jaillir la musique du radio de son tableau de bord, et l’on danse jusqu’au matin. Le jour, entre SaintDominique, Ontario, Sanguinet et Sainte-Catherine, les enfants courent entre les jambes des prostituées, tandis que les mendiants discutent avec les résidents accoudés aux fenêtres. Puis la nuit tombe, et la lumière des néons inonde le Red Light District. Le jazz et les rires font vibrer les cabarets, et le bruit des «bobépines» frottées sur les persiennes indique qu’une fille de joie est prête à recevoir de la compagnie. On se souvient en particulier du 312, un bordel notoire de soixante-quinze courtisanes qui était, durant la Seconde Guerre mondiale, le principal vecteur de maladies transmissibles sexuellement des soldats européens. Tout cela doit changer lors de l’élection de Monsieur Montréal en 1954. Le maire Jean Drapeau maintenait que, de toutes les plaies d’une société, l’existence des taudis était la plus pernicieuse. La Presse le soutenait par l’une de ses fameuses campagnes de propagande: on publie des images d’enfants en haillons et on raconte
les histoires «d’un peuple [qui] vit ici sans espace et sans joie». Peu à peu, des résidents trouvent dans leur boîte aux lettres un avis leur ordonnant de quitter leur domicile à cause «d’un nouveau projet immobilier». En 1955, 5000 résidents du Faubourg-à-M’lasse sont délogés pour faire place au quartier général de Radio-Canada. Deux ans plus tard, on démolit le Red Light District pour bâtir les habitations Jeanne-Mance. En 1964, Goose Village est rasé pour l’Autostade d’Expo 67. Aujourd’hui, on y trouve un stationnement. En insistant sur la conscientisation des visiteurs, les coordonatrices de Quartiers disparus omettent de dire ce qui est arrivé aux expropriés. À croire qu’on les a engloutis sous une mer de béton et de bitume. Pessimistes face à l’urbanisme contemporain, les elles exhortent à refaçonner le paysage montréalais de manière citoyenne et écologique. Bien que l’intention soit louable, on y présente un idéal de vie de quartier qui ne peut qu’exacerber un grand problème d’actualité, soit l’éclatement de Montréal en un agrégat de secteurs et de diasporas désarticulés. Au moins Jean Drapeau et ses «grands projets» avaient-ils créé une fierté d’être Montréalais, fierté qui s’effrite aujourd’hui. Une approche moins partisane que celle de Mesdames Desbois et Lacroix aurait pu permettre de combiner cette «revitalisation organique» de Montréal à la réunification de ses citoyens. x
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LE DÉLIT AIME...
Unplugged sur le toit d’Ubisoft Mai Anh Tran-Ho Le Délit
C
accompagnait la violoncelliste et membre du groupe Marianne Houle. Une musique de chambre à toit ouvert, douce et envoutante, un peu nostalgique et contemplative, avec la planante voix de Jean-Michel Pigeon. La soirée semblait être à son début lorsqu’ils ont joué leur dernier morceau «Ce Soir». «On n’a plus rien à vous jouer» a lancé le batteur Mathieu Collette en guise de conclusion. Dommage, on aurait bien aimé entendre quelques morceaux de leur très bon EP La saveur des fruits. Mais on a tout de même bien été choyé avec Tantale qui, pour les curieux, est un mythe sur le désir inaccessible. Le père de Pélops fut condamné à souffrir d’une faim et d’une
soif éternelles: plongé dans une rivière, il en verrait le cours s’assécher chaque fois qu’il se pencherait pour s’y abreuver; placé sous un arbre, il en verrait s’éloigner les branches chaque fois qu’il voudrait tendre le bras pour y saisir un fruit. Monogrenade nous avaient déjà convaincus de la beauté de l’organique par leur album enregistré dans un chalet. Après le concert de Patrick Watson au Parc national de la Mauricie cet été, celui-ci sur le toit d’Ubisoft confirme définitivement la force de communion indescriptible et indéniable de la musique avec la nature. Ne manquez pas votre chance, il reste un dernier spectacle le 24 septembre avec Random Recipe et Peter Peter! x
par Martine Chapuis
La bd de la semaine
e samedi, la formation montréalaise Monogrenade jouait unplugged pour la toute première fois. Une très belle initiative de l’étiquette Bonsound que d’offrir ces spectacles sur la terrasse d’Ubisoft au cœur du MileEnd avec une vue imprenable sur le Mont-Royal. L’ambiance est plutôt calme. La foule trépigne en jasant. La première partie est assurée par Snailhouse, dont l’alliage de blues, rock et folk est intéressant, mais qui peine à captiver l’attention du public qui est aussi volatile que l’odeur
des sandwiches du traiteur Pas de cochon dans mon salon. Le groupe révélé aux finales des Francouvertes s’installe enfin et nous offre un des spectacles les plus intimes qui soit. Ils débutent sans attendre avec «La Marge». Aucune modification substantielle aux chansons, mis à part quelques arrangements. Il se passe peu d’échanges avec le public, le groupe enchaînant les morceaux en mentionnant discrètement les titres au micro comme ils murmurent les paroles de leurs chansons. Un son comparable, comme il a souvent été dit, à Karkwa, Malajube, Patrick Watson et qui n’est pas non plus sans rappeler Radiohead. Un duo de cordes
Gracieuseté de Bonsound
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Arts & Culture
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