Le Délit

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le délit le seul journal francophone de l’Université McGill

delitfrancais.com Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

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Le mardi 4 octobre 2011 | Volume 101 Numéro 5

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Prêt pour le décollage depuis 1977


Volume 101 Numéro 5

Éditorial

le délit

Le seul journal francophone de l’Université McGill

rec@delitfrancais.com

Dans le public jusqu’au cou Anabel Cossette Civitella Le Délit Je suis une survivante du public. Primaire, secondaire, cégep, université. Rien de moins que 17 ans au sein de nos glorieuses institutions ouvertes à tous, pour à peu près rien. Je suis une survivante d’un système qui fonctionne, oui, mais qui a mauvaise réputation. En effet, qui a le réflexe, lorsque bébé est devenu grand, de dire: «Je veux qu’il ait la meilleure éducation possible, je vais l’envoyer à la polyvalente de quartier!» Les exemples qui montrent le succès de l’école publique sont nombreux: un programme qui permet aux étudiants intéressés de faire des sorties de plein air, une concentration musique qui s’ouvre aux étudiants défavorisés, des écoles qui permettent aux étudiants handicapés de faire une partie du cheminement normal… Les écoles publiques, lorsqu’elles offrent des programmes spécialisés, rehaussent leur popularité de beaucoup et s’attirent inévitablement des éloges. Les formations musicales intensives, mais aussi les concentrations sportives, les programmes d’éducation internationale et autres permettent aux étudiants de s’intéresser beaucoup plus au milieu de vie qui est le leur durant tout leur parcours académique. Pourtant, le niveau des écoles publiques est très variable d’un programme à l’autre: une école peut avoir mauvaise réputation même si la concentration musicale fait rayonner la polyvalente sur la scène internationale. Il suffit que le régulier soit composé de «doubleurs» ou pire encore, de rebuts d’école privée, et vlan! l’école se voit affublée d’une étiquette négative. Le succès de l’école publique, c’est un peu comme le féminisme. À l’époque de la Révolution tranquille, c’était embal-

lant. Maintenant, on se complait dans une réalité confortable dans laquelle on ne sent pas le besoin d’afficher nos valeurs, nos droits, dans laquelle on ne sent pas que nous sommes privilégiés de faire partie d’une société qui valorise l’éducation publique et accessible à tous. S’il fallait que j’aie fait mon secondaire au public et dans un programme régulier, je me serais bien passé la corde au cou! Pourtant, j’y ai grandi et y ai fait mes choix. J’y ai aussi fait mes dents. Parce qu’il n’y a rien de plus formateur que d’évoluer dans le vrai monde, là où il y a de la misère, de la drogue, des personnes handicapées ou aux troubles d’apprentissage envahissants. Là aussi où il y a des gens de toutes les couleurs, de toutes les saveurs, de toutes les odeurs, de toutes les origines… Il n’y a pas de discrimination au public, puisque tout le monde y entre. Ce beau pot-pourri de culture et de genres a su porter ses fruits puisque, après toutes ces années d’existence, le tout fonctionne encore. C’est un peu ça la Semaine pour l’école publique, du 2 au 8 octobre prochains:la valorisation d’une institution qui a cinquante ans. Qui a été crée au moment où le Québec se réveillait de sa torpeur et que Paul Gérin-Lajoie promulguait les lois qui seraient à la base de la Grande charte de l’éducation. «Mon école, je l’aime publique» est l’initiative de la Fédération autonome de l’enseignement et met en lumière les bons coups du système public. Le privé n’est pas pour tous Au mois de novembre, commencera la valse des admissions à l’école privée pour les élèves du primaire. Dans le but de rassurer enfants et parents, des services aux élèves comme S.O.S étude proposent un programme de préparation aux examens d’entrée à l’école privée. Les enfants de sixième année, les performants comme les cancres, peuvent s’inscrire à ces cours de

trois fins de semaine intensives de révision et de préparation «psychologique». Les coûts : 325$. L’école privée n’est pas accessible pour tous. Vous devez avoir les moyens financiers. Et les cours de préparation semblent une bonne manière d’augmenter le fossé entre les utilisateurs du système privé et publics. En effet, avec ces cours, ce n’est plus vrai que l’école privée accueille les meilleurs; il y a uniquement l’argent qui compte dans la balance de l’admission puisque tous les enfants sont mis sur le même pied, en partant. Plutôt que d’avoir un organisme comme S.O.S. études qui remonte le niveau de ceux qui ont l’argent pour aller au privé, pourquoi ne pas hausser le niveau des écoles publiques? Un petit bonhomme que j’admire beaucoup a dit de ses cours de préparation qu’ils étaient bien mieux que l’école en soi. Ce même enfant de sixième année du primaire a confronté sa maîtresse en début d’année alors qu’elle présentait son plan de cours : «Quoi? On voit encore l’histoire du Canada et du Québec?!? Pourquoi on n’apprendrait pas ce qui s’est passé sur les plages de Normandie durant la Deuxième guerre, à la place?» L’école primaire n’est pas facile pour tous. Mais il s’agit que vous soyez doués, ou tout simplement curieux, pour que vous perdiez toute votre motivation. Et au secondaire, la motivation peut tomber encore plus bas si vous n’êtes pas dans un programme spécialisé. Et après on se demande d’où viennent les taux de décrochage alarmants! Un dernier point, au sujet de la grève McGill est une université publique. Et quand on parle d’institution d’enseignement publique, on parle aussi des universités et de ses employés. À l’occasion de la semaine pour les école publiques, McGill devrait peut-être faire une fleur à ses MUNACAiens et mettre un peu d’eau dans son vin. x

rédaction 3480 rue McTavish, bureau B•24 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6784 Télécopieur : +1 514 398-8318 Rédactrice en chef rec@delitfrancais.com Anabel Cossette Civitella Actualités actualites@delitfrancais.com Chef de section Emma Ailinn Hautecœur Secrétaire de rédaction Florent Conti Arts&Culture artsculture@delitfrancais.com Chef de section Raphaël D. Ferland Secrétaire de rédaction Alexis Chemblette Société societe@delitfrancais.com Francis L.-Racine Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com Xavier Plamondon Coordonnateur visuel visuel@delitfrancais.com Alice Destombe Infographie infographie@delitfrancais.com Coordonnateur de la correction correction@delitfrancais.com Anselme Le Texier Coordonnateur Web web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Collaboration

Marek Ahnee, Sabrina Ait-Akil, Émilie Blanchard, Sylvie Bosher, Jonathan Brosseau, Martine Chapuis, Alexandre Gauvreau, Alexandra Gosselin, Xavier Jacob, Alexie Labelle, Annick Lavogiez, Élise Maciol, Valérie Mathis, Nathalie O’Neill, Nicolas Quiazua, Lucas Roux, Victor Silverstrin Racine,

Couverture Photo: Alice Destombe Montage: Xavier Plamondon bureau publicitaire 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6790 Télécopieur : +1 514 398-8318 ads@dailypublications.org Publicité et Gérance Boris Shedov Photocomposition Mathieu Ménard et Geneviève Robert The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Joan Moses Conseil d’administration de la Société des publications du Daily (SPD) Tom Acker, Emilio Comay del Junco, Humera Jabir, Anthony Lecossois, Whitney Malett, Dominic Popowich, Sana Saeed, Mai Anh Tran-Ho, Will Vanderbilt, Aaron Vansintjan, Sami Yasin

L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.

Les opinions exprimées dans ces pages ne reflètent pas nécessairement celles de l’Université McGill.

Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal.Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec). Le Délit est membre fondateur de la Canadian University Press (CUP) et du Carrefour international de la presse universitaire francophone (CIPUF).

2 Éditorial

x le délit · le mardi 4 octobre 2011 · delitfrancais.com


Actualités Newburgh le retour CAMPUS

actualites@delitfrancais.com

L’ancien président exige la liste des 21 000 membres de l’AÉUM. L’exécutif contraint par la loi de s’exécuter. Anthony Lecossois Le Délit

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ans son rapport au Conseil législatif, Maggie Knight, présidente de l’AÉUM (SSMU) a expliqué jeudi dernier avoir reçu une requête de la part «d’un membre» de l’Association étudiante lui demandant de produire une liste des quelques 21 000 étudiants adhérents ainsi que leur adresse. À la demande d’un élu, la présidente a révélé l’identité de la personne à l’origine de la demande. L’étudiant n’est autre que de Zach Newburgh, l’ancien président de l’Association (2010-2011) qui avait été formellement blâmé par le conseil législatif pour ce qui se révéla être l’un des plus gros conflits d’intérêts que l’AÉUM eût connu ces dernières décennies. Zach Newburgh avait accepté pendant son mandat une compensation financière pour un emploi auprès de Jobbook, une start-up qui cherchait par ailleurs à faire affaire avec l’association qu’il pré-

sidait, l’AÉUM. En outre, Zach Newburgh avait voyagé lors de son mandat pendant ce qu’il qualifiait comme étant son “propre temps libre” pour vendre le concept jobbook à d’autres présidents d’association au Royaume-Uni et aux États-Unis. Il a été révélé par la suite que le président avait également utilisé son adresse de courriel president@ssmu.mcgill.ca pour entrer en contact avec les autres leaders étudiants et qu’il avait fait usage de sa position de président de l’Association étudiante de McGill pour arranger des rendez-vous avec eux. Le président de l’association des étudiants de Princeton avait regretté la façon dont Monsieur Newburgh avait «prétendu vouloir parler de vie étudiante» et avait utilisé l’intégralité de la rencontre pour «vendre» Jobbook. Ayant été à la tête de l’AÉUM, Zach Newburgh connaît bien le fonctionnement de l’Association et il entend faire plein usage de la loi sur les corporations canadiennes qui s’applique à l’association

des étudiants de premier cycle de McGill. Cette loi permet à «toute personne […] d’obtenir, d’une compagnie […] dans les dix jours […], une liste indiquant les noms de toutes les personnes qui sont actionnaires de la compagnie […] et leur adresse» (chapitre C-32, Article 111.1). En l’occurrence, les noms et adresses physiques personnelles de 21 000 étudiants de McGill. Maggie Knight explique que sa première réaction a été la surprise. «Autant que je sache, l’AÉUM n’avait jamais reçu une telle requête.» Elle a également fait part de sa préoccupation vis-à-vis du respect de la vie privée par une personne qui n’est pas assujettie aux mêmes niveaux de confidentialité que les responsables de l’AÉUM ou les employés de McGill amenés à traiter des données personnelles. Micha Stettin, conseiller représentant les étudiants de la Faculté des Arts auprès de l’AÉUM trouve la demande «pour le moins inquiétante». «Ce n’est pas parce que la loi l’autorise que

c’est pour autant acceptable. Les implications de cette affaire sont effrayantes.» Maggie Knight prévient: «Il nous faut réaliser que la demande de Zach crée un précédent pour la manière dont l’AÉUM traitera toute éventuelle demande future.» Certains conseillers s’inquiétaient en effet des conséquences potentielles si l’AÉUM devait commencer à accéder à ce genre de requête. Un certain nombre d’étudiants sont employés par des entreprises cherchant pour les unes à promouvoir leurs produits, pour d’autres à recruter de futurs diplômés. Une telle liste a une valeur commerciale conséquente et attire les convoitises. Se pose donc la question de l’usage des données. La loi prévoit que quiconque se sert de cette loi «aux fins de communiquer à des actionnaires des renseignements relatifs à des marchandises, des services, des publications» est passible «d’une amende d’au plus mille dollars [et/ou] d’un emprisonnement d’au plus six mois».

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À cet effet, la présidente de l’AÉUM a donc exigé de Zach Newburgh une lettre garantissant que les données ne seront utilisées qu’aux fins prévues par la loi. Maintenant que l’équipe exécutive a porté l’affaire sur la place publique et que Newburgh est au centre de l’attention, il semble difficile d’imaginer qu’il tente de faire un usage illégal de ces données. Outre la présentation des faits par la présidente au conseil législatif, les dirigeants de l’AÉUM étudient actuellement la potentielle légalité de l’envoi d’un courriel à tous les étudiants leur signalant que leurs informations personnelles sont sur le point d’être communiquées à Zach Newburgh. La start-up Jobbook serait-elle la finalité de la requête de Zach Newburgh? Difficile à dire, l’intéressé refusant de répondre à nos sollicitations tout comme à celles du Tribune et du Daily. Selon ce dernier, quand Maggie Knight lui a demandé quel usage il souhaitait faire de la liste, il a répondu que la question n’était pas pertinente. x


CAMPUS

AGSEM à table L’AGSEM pense pouvoir bénéficier de l’élan humaniste des autres syndicats ainsi que du mouvement étudiant. Emma Ailinn Hautecœur Le Délit

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’AÉÉDEM (Association des étudiantes et étudiants diplômé(e)s employé(e)s de McGill, plus connue sous le sigle anglais AGSEM) est à l’heure actuelle le plus grand syndicat de l’Université McGill. Compte tenu de l’accréditation des chargés de cours et des instructeurs obtenue il y a deux semaines, les syndiqués sont aujourd’hui plus de 3000. La première unité de l’AÉÉDEM, à l’origine de la création du syndicat en 1993, englobe tous les auxiliaires à l’enseignement (les AE, ou les TA en anglais). Ils sont depuis mai 2011 à la table des négociations pour renouveler leur convention collective qui a expiré en juin dernier. Étant données les négociations en cours avec les cinq autres groupes syndicaux, la réponse se fait longue. Sur leur site, l’AÉÉDEM écrit que l’Administration a assuré vendredi être «incapable de répondre à leurs demandes [alors qu’on leur

avait promis le contraire] sans l’accord du vice principal exécutif, [Anthony] Masi, mais qu’une rencontre entre l’Administration et ce dernier est assurée pour la semaine prochaine.» Renaud Roussel, président du comité des négociations, croit pourtant que la pression sur l’université venue de toutes parts en même temps ne peut qu’être favorable à leur quête. Molly Alexander, conseillère syndicale de la FNEEQ-CSN pour le syndicat, pense que la présence de plusieurs syndicats à la table des négociations «joue à [leur] avantage et à [leur] désavantage». Depuis que les répercussions de la grève de MUNACA se font sentir sur le campus «l’attitude à la table des négociations a changé un peu, on sent une volonté un peu plus sérieuse de la part de l’université». Madame Alexander ne croit pas pourtant que les concessions salariales potentiellement accordées à l’un des syndicats empièteraient sur celles des autres.

Leur trois priorités dans les négociations sont l’amélioration des conditions de travail, l’augmentation des heures globales allouées au travail des AE et l’augmentation des salaires, et finalement, l’amélioration de l’éducation à McGill traduite par une formation payée de la part de leur département pour tous les AE. «Quand on n’a jamais noté une copie de sa vie il est impossible de savoir comment être juste dans son évaluation» note Renaud Roussel. Dans les demandes concrètes on note entre autres un nombre limité d’étudiants par conférence et dans les laboratoires, pour des raisons de sécurité mais aussi pour encourager la participation. Ils souhaitent aussi obtenir un cours de français gratuit pour être en mesure de corriger les copies des étudiants francophones. Renaud Roussel dit avoir eu des échos de professeurs mettant en garde leurs élèves qu’ils pouvaient rendre leurs travaux en français mais que le standard ne

serait pas le même. Il pense que «si McGill se définit comme une université bilingue il faut qu’elle s’en donne les moyens et, puisque les étudiants ont le droit d’écrire en français, il ne devrait pas y avoir de double standard». Côté salaire, «le conseil des patronats du Québec pour 2011, a recommandé une augmentation de 2,8%» affirme Renaud Roussel. «Si on prend en compte l’inflation, McGill ne nous propose pas d’augmentation. Par rapport à ce qu’on gagne aujourd’hui on a une perte de salaire cumulée de 2000 dollars.» L’augmentation offerte par l’université est de 1,2% annuellement. C’est la même que celle maintenue jusqu’à maintenant pour les employés de soutien, soit la partie du budget financé par le gouvernement du Québec. Le syndicat estime avoir établi des demandes faisables et surtout raisonnables, comparées à celles proposées par le comité de négociation en 2008. L’unité des AE avait en effet déclenché une

grève en mars 2008 suite à l’échec des négociations sur l’augmentation salariale et l’amélioration des conditions de travail. Les demandes de l’AÉÉDEM sont soutenues par l’AÉUM. «Ils ont bien vu que nos demandes étaient en lien direct avec la situation de leurs membres à eux» souligne Monsieur Roussel. Huit réunions sont planifiées avec McGill jusqu’à fin novembre. Pour l’instant, l’AÉÉDEM n’envisage pas les grands moyens. Comme le laisse entendre Renaud Roussel, «plus les réponses se font attendre, plus la possibilité d’une grève est grande, mais nous n’en sommes pas du tout là pour le moment!» L’éventualité d’une grève des AE est cependant à surveiller car non seulement on peut s’attendre à une solidarité de la part de tous les membres de l’AÉÉDEM, mais surtout certains AE ont tendance à occuper des emplois couverts par les autres unités syndicales et seraient donc empêchés de remplir plusieurs de leurs fonctions. x

CAMPUS

Sommet stratégique et AG: L’AÉUM se positionne

Les étudiants présents donnent un mandat clair contre la hausse à leur association étudiante. Nicolas Quiazua Le Délit

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ors du dernier budget, le gouvernement Charest a annoncé qu’il augmenterait les frais de scolarité des étudiants universitaires. On soulignait que le sous-financement des universités ne permettrait pas de garder un niveau académique élevé en vue de participer et de faire avancer l’économie québécoise au Canada et dans le monde. Au cours des prochaines années les étudiants payant les frais de scolarité québécois paieront 1625 dollars additionnels pour leurs études –faisant passer la facture de 2468 dollars à 3793 dollars en moyenne d’ici 2017. En d’autres mots, ils feront face à une augmentation des frais de 75% en seulement cinq ans. De plus, le sort n’est pas clair en ce qui a trait aux frais beaucoup moins régulés des étudiants internatio-

4 Actualités

naux, composant une grande partie de la communauté mcgilloise. Le débat sur les frais de scolarité était à l’ordre du jour de l’Assemblée générale (AG) de l’Association étudiante de l’Université McGill, le 26 septembre dernier, où une motion sur l’accès à l’éducation fut déposée, puis approuvée. La motion donne a l’AÉUM le mandat de «s’[opposer] à la plus récente augmentation de 1 625 dollars qui affecte les étudiants du Québec [et d’encourager] ses membres à participer à la manifestation contre l’augmentation des frais de scolarité le 10 novembre 2011». Bien que la motion soit passée, quelques étudiants ont manifesté leur mécontentement face à ce qu’ils qualifiaient d’une idéologisation de l’AÉUM. Selon l’un d’entre eux, «l’éducation n’est pas un droit mais un privilège». Sur le même thème, vendredi dernier, un sommet stratégique fut organisé par l’Association étudiante. Les sommets stratégiques, issus de la plateforme électorale de Maggie Knight, présidente de l’AÉUM,

sont destinés à permettre aux étudiants une interaction plus directe avec leurs représentants –contrairement aux Assemblées générales, aux conseils et aux référendums. Selon Maggie Knight, bien que ces dernières plateformes soient importantes, il est tout aussi important de «centrer notre intérêt sur un sujet et de l’étudier en profondeur sous plusieurs perspectives en impliquant directement les étudiants vers la formulation d’un plan d’action». Au départ, le sommet clarifia que, bien que le Québec affirme que ses universités sont en déficit d’à peu près 750 millions de dollars, il faudrait plutôt parler d’un «manque à gagner»; étant donné que ce chiffre n’est qu’une soustraction des gains effectués au Québec par rapport à la moyenne canadienne. Face à l’argument de la Chambre de Commerce de Montréal selon laquelle une éducation à bas coût ne permettrait pas de garder un niveau académique élevé, le sommet propose plutôt d’analyser la façon dont les administrations universitaires

gèrent leur budget, et de se pencher sur les millions dépensés pour soutenir la haute direction alors qu’on hurle au déficit, une situation qui ne semble pas étrangère à l’Administration de McGill. Finalement, selon Mariève Isabel, vice-présidente externe de l’Association étudiante des Cycles Supérieurs, l’argument selon lequel les étudiants devraient payer pour leurs études au même titre que n’importe quel investisseur ne tient pas la route: «Une étude du C.D. Howe Institute a révélé que les retours d’investissements diminuent en fait avec le niveau d’études à partir de la maîtrise, jusqu’à pouvoir plonger sous zéro pour un doctorat». Ce qui ne veut pourtant pas dire que ces étudiants ne sont pas lucratifs socialement ou économiquement; bien au contraire. La Chambre de Commerce de Montréal s’appuie sur le message selon lequel l’industrie aurait des millions à gagner en faisant partenariat avec les universités. Madame Isabel se demande comment on peut «à la fois encou-

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rager et vanter les retombées économiques générées par la recherche [universitaire] et en même temps demander aux étudiants qui effectuent ces recherches de payer encore davantage pour le faire». Suite à la discussion, plusieurs méthodes, visant à impliquer davantage la communauté étudiante de McGill et du Québec en général furent envisagées, passant du théâtre ambulant aux manifestations et la coopération interuniversitaire. Le «Mob Squad», le mouvement de mobilisation supportant les grévistes de MUNACA dit inclure la création et le soutien à McGill d’un mouvement étudiant contre la hausse des frais de scolarité dans sa mission. La hausse des frais de scolarité rentrant officiellement en vigueur en septembre 2012, les mouvements comme le «Mob Squad» risquent de se multiplier et la pression risque de s’accentuer sur le gouvernement Charest. x

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x le délit · le mardi 4 octobre 2011 · delitfrancais.com


CAMPUS

Red Bull prend des risques La marque aux taureaux entre-t-elle à McGill dans l’illégalité? Florent Conti Le Délit

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lles sont connues pour être séduisantes et conduisent des Mini Cooper avec à l’arrière une excroissance en forme de canette de la boisson très connue. Pendant les beaux jours montréalais, tant sur le Campus mcgillois que sur le reste de l’île, elles ont pignon sur rue et les regards rivés sur elles. Cependant, Red Bull a franchi un interdit en envoyant ses dévouées Wings team ou Red Bull girls à l’intérieur des bâtiments étudiants. Les Red Bull girls sont un phénomène marketing incroyablement génial qui a révolutionné les techniques de communications des grandes marques de boissons «énergisantes». L’entreprise exploite à merveille l’espace public pour faire

sa promotion mais va-t-elle trop loin? Sur la rue McTavish, il est possible de voir bon nombre de campagnes promotionnelles, les marques profitant de la présence de leurs cible préférée: les étudiants. La centrale Red Bull Canada basée à Toronto éparpille ses équipes à travers le pays et surtout les campus universitaires, une façon d’aller directement vers de potentiels consommateurs. Déjà dans le McGill Daily en 2008, un étudiant se plaignait de la promotion un peu trop excessive que subissaient les étudiants (Letters: money, drugs, and Red Bull, The McGill Daily, 11 septembre 2008). Légalement, Red Bull n’est pas dans la légalité quand il infiltre le bâtiment Shatner. James Hugh Keenan Campbell, directeur marketing de l’Association étudiante

de l’Université McGill (AÉUM), informe que «l’AÉUM était en négociations avec Red Bull pour le Frosh, mais nous ne sommes pas parvenus à un accord. Donc l’AÉUM n’a présentement aucun contrat ou partenariat avec la marque». Red Bull accède donc au bâtiment de l’Association étudiante sans consulter celle-ci. «Red Bull n’a pas obtenu d’autorisation pour faire de la publicité dans le bâtiment étudiant» poursuit James Hugh Keenan Campbell. Il précise qu’il est en contact avec Red Bull pour un éventuel partenariat pour 4Floors (le party d’Halloween organisé par l’AÉUM) «mais il est troublant que l’entreprise prennent la liberté de se promener parmi les étudiants sans aucune permission de l’Association». Les Red Bull girls livrent la marchandise aux étudiants: elle leur offrent chacun de multiples

échantillons gratuits et le discours promotionnel de la marque. «Parfois je n’ai pas trop les idées claires, j’ai dormi quatre heures, je prends un Red Bull et c’est comme si tout devenait limpide» s’exclame l’une des girls, 26 ans, véritable petit soldat de chair de la boisson énergisante. Les promotrices, à l’instar de la marque qu’elles représentent, rayonnent d’une jeunesse et d’une séduction qui ne laisse pas de marbre les consommateurs dont le profil va du sportif marathonien à l’étudiant insomniaque, et c’est là la puissance de la marque: persuader n’importe quel individu qu’il est un consommateur potentiel. Red Bull veut être à la fatigue ce qu’Advil est au mal de tête, seulement en plus sexy. Pourtant, bon nombre d’études prouvent la dangerosité du produit. La marque se défend en

clamant que la boisson doit être consommée avec modération, une phrase qui revient souvent dans la bouche de ceux qui prennent la défense de leur stimulant quand on leur demande si la boisson a des effets dangereux, toxiques pour le cœur, ou cancérigènes. La marque a réussi dans les dix dernières années à occuper une place prédominante dans les médias et les évènements de toutes sortes si bien qu’elle s’est développé une image sans égale dans le paysage de la consommation. Interrogé sur la question, Red Bull ne semble pas être capable de nous expliquer la présence des Red Bull girls dans les locaux étudiants, probablement un incident dû à une mauvaise communication. Pourtant, il semble que c’est sur la communication que Red Bull a construit sa gloire. x

CHRONIQUE

Crise de foi

Lucas Roux | Morceau de pipeau

Il y a du monde au portillon pour libérer le Québec de son joug trinitaire: corruption, chicane et cynisme. Tous y vont de leur manifeste pour une réforme institutionnelle qui saura purifier l’ordre politique et reconvertir la population. L’Assemblée Nationale est rentrée sous le son de cloche de réformateurs comme Jocelyn Desjardins, qui réclame une politique «sans liturgie de la parole et sans génuflexion à des chefs». Le temps serait venu, semble-t-il, de contourner une hiérarchie parlementaire rendue trop aride, de jeter la chape partisane et d’embrasser une démocratie plus directe. Ces réformateurs voudraient brider la machine organisée des partis pour qu’enfin le peuple devienne, selon le sermon du péquiste Bernard Drainville, «le plus puissant lobby au Québec». Amen. Forcément, tous ces prophètes de l’ingénuité s’imaginent auréolés une fois sous les feux de la rampe. Je pense surtout à Sylvain Pagé, si fier de n’avoir ja-

mais applaudi ses collègues dans le salon bleu. Un vrai puritain! De toute évidence, la Colline parlementaire est en pleine absolution: les élus se repentissent de leur prosélytisme partisan et cherchent le miracle qui inversera le fameux déficit démocratique. Abandon de la ligne de parti, élection du premier ministre par suffrage universel, référendum d’initiative populaire, comité de révocation –calvaire, il y aurait de quoi placarder 95 thèses sur les portes de l’Assemblée! Pourtant, ce ne sont pas les partis politiques en tant que tels qui trahissent l’essence de nos institutions –on tient le mauvais Judas!– mais bien leur cristallisation autour de l’éternelle et épineuse question nationale. Indépendant, le Québec, ou pas? C’est le clivage suprême de l’arène politique québécoise. Grosso modo, les fédéralistes d’un bord, les souverainistes de l’autre. Cette dichotomie toute-puissante a créé deux grandes congrégations partisanes qu’on ne peut séparer qu’à travers le prisme inflexible de leur position respective. Autrement, le PQ comme le PLQ sont des pots-pourris de socio-démocrates, de socio-libéraux et de néo-libéraux. Du coup leur avant-garde se défend bien d’articuler une véritable vision sociale. D’où cette politique ad hoc et insipide –il n’y a qu’à regarder le Plan Nord, ce soi-disant «projet d’une génération» qui finalement ne changera rien et pour personne, ou presque. En y réfléchissant bien, les excès de partisanerie paraîtraient

x le délit · le mardi 4 octobre 2011 · delitfrancais.com

Il vous reste peu de temps pour soumettre vos questions référendaires à l’AÉUM! Vous désirez soumettre une question référendaire pour le référendum d’automne? La date limite est le vendredi 14 octobre, à 18 h. Votre question doit d’abord être approuvée par Elections McGill! Venez nous voir en personne au pavillon Shatner, suite 405 ou envoyez un courriel à elections@ssmu.mcgill.ca Pour plus d’informations, écrivez-nous ou visitez electionsmcgill.ca

comme un moindre mal si les deux pontifes de la scène politique savaient inspirer plus qu’un noyau de fidèles. À première vue, le salut viendrait de ces partis qui cultivent leur identité en marge de l’abysse constitutionnel qu’est la question nationale. Québec Solidaire,

notamment, qui insiste sur son programme égalitariste, ou l’ADQ avec sa stratégie nataliste. Mais tous seraient poussés au pied du gouffre, d’un bord ou de l’autre, dès que la gouvernance leur serait envisageable. Cela vaut également pour le parti pas-né du fameux (fumeux?) François

Legault, quoi que celui-ci en dise. Ou alors y a-t-il suffisamment de fédéralistes prêts à vivre sous une épée de Damoclès, prêts à élire, et travailler avec des souverainistes? Ça prendrait une sacrée dose de confiance, ou plutôt… un acte de foi! x

Actualités

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LANGUE

Injustice linguistique Mario Beaulieu, président du Mouvement Québec français, se prononce au sujet du financement de l’éducation. Victor Silvestrin-Racine Le Délit

L

e débat linguistique sur la langue française est un débat historique au Québec. Même s’il avait été plutôt mis de côté ces dernières années, il a refait surface depuis la parution d’un rapport de l’Office québécois de la langue française qui affirme que les Montréalais de langue maternelle française sont maintenant minoritaires sur l’île. C’est dans ce contexte que le Mouvement Québec français a entamé une tournée de la province afin de sensibiliser les gens à la réalité du français au Québec et au surfinancement des institutions d’études supérieures de langue anglaise. Selon Mario Beaulieu, président du MQF, le surfinancement des écoles anglophones ne permet pas une réelle application des valeurs des lois linguistiques adoptées au Québec, citant notamment la loi 101 qui a été dénaturée parce qu’elle n’est pas appliquée aux institutions postsecondaires alors qu’elle aurait dû l’être. Cette non-application totale permet à des francophones et à des allophones de pouvoir étudier en anglais, mais surtout encourage le taux de transfert linguistique, c’est-à-dire le nombre de personnes changeant de langue parlée à la maison. Pour corroborer ses propos, Monsieur Beaulieu avance que «16% du financement des cégeps québécois

Illustration: Alice Des

va à des cégeps anglophones alors que la communauté anglophone ne forme que 8% de la population québécoise». Même s’il concède que ces 16% comprennent aussi les francophones choisissant d’étudier en anglais, il s’accorde à dire que ce financement se fait au détriment des institutions des régions du Québec qui perdent leurs élèves et des places à chaque année. Cependant, il est important de relativiser les chiffres de Mario Beaulieu puisque le poids démographique de Montréal croît de plus en plus et qu’il est normal que le financement des institutions suive la démographie changeante du Québec. L’autre injustice relevée par le président est le déséquilibre entre le financement du gouvernement québécois pour les anglophones et le financement des gouvernements provinciaux des autres provinces canadiennes pour les francophones. Monsieur Beaulieu relève que «les revenus attribués aux francophones hors-Québec sont de 342 millions [de dollars] pour 982 000 francophones de langue maternelle et pour les anglo-québécois, il s’agit de plus d’un milliard deuxcents millions pour environ 600 000 anglophones de langue maternelle. On voit là qu’il y a un déséquilibre très net, ce qui explique aussi pourquoi les francophones hors-Québec s’assimilent de plus en plus.» S’appuyant sur ces chif-

fres, Mario Beaulieu explique qu’il y a injustice dans le financement des institutions anglophones qui profitent du laxisme dans l’application de la loi 101, ce qui favorise l’anglicisation des allophones et des francophones au détriment de la majorité francophone. Pour protéger la langue française, les francophones de la grande région montréalaise doivent faire un effort pour exiger de se faire servir en français dans les commerces et doivent converser en français entre eux, selon le président qui dénote l’importance des comportements individuels de tous afin de faire respecter le droit d’une vie publique en français. Bien que certains y verront une autre organisation nationaliste de défense du français, le MQF ne soutient pas de partis politiques et n’est ni souverainiste ni fédéraliste. Cependant, il a rencontré des organisations politiques comme Québec Solidaire ou la Coalition pour l’avenir du Québec de François Legault afin de leur exposer les idées et les objectifs du MQF. Poursuivant son objectif de sensibilisation, le MQF continue sa tournée partout à travers le Québec, l’enjeu étant de faire appel à la sensibilité des Québécois francophones sur ce sujet et de leur rappeler l’importance de la défense de l’usage de la langue française en Amérique du Nord et plus particulièrement au Québec. x

LETTRE Sylvie Bosher Coordinatrice administrative au Centre de communication écrite de l’université McGill et membre de MUNACA À: M. Anthony Lecossois Le Délit Actualités

Montréal, le 27 septembre 2011

NUMÉRO SPÉCIAL MASCARADE

Monsieur: J’ai lu avec intérêt votre reportage au sujet des briseurs de grève et de l’injonction intitulée, « La tension monte d<un cran » à la page 3 du Délit du mardi 27 septembre, 2011 (Volume 101, Numéro 101) et je vous en remercie! La présence des briseurs de grève est une indication du succès de notre grève. Cela veut dire que notre travail vaut quelque chose si ce travail est assez précieux pour motiver des infractions légales. Que m’importe l’injonction! Il me permet de me reposer les oreilles et de me concentrer sur votre article. Nous sommes tellement loin d’avoir épuisé tous les moyens d’expression à notre disposition que je ne vois d’aucune façon comment il serait possible de nous réduire au silence. Nous sommes maintenant dispersés dans des groupes de piquetage plus petits qu’avant l’injonction mais les groupes sont plus nombreux car nous sommes tous toujours là. En tant que membre de MUNACA, je suis prête à rester sur les lignes de piquetage jusqu’à l’obtention d’un nouveau contrat, celui-ci juste et équitable.

ENVOYEZ VOS SUGGESTIONS! rec@delitfrancais.com

Encore une fois, merci de votre reportage si clair et si objectif. Veuillez agréer, cher Monsieur Lecossois, mes sentiments les plus respectueux.

6 Actualités

x le délit · le mardi 4 octobre 2011 · delitfrancais.com


CHRONIQUE

Éloignons-nous d’une dichotomie désuète Alexie Labelle | Au-delà du présent

Il y a deux semaines, je pondais une chronique sur l’implosion du Parti Québécois, le manifeste peu convaincant du Nouveau Mouvement pour le Québec et l’éternelle dichotomie québécoise qui oppose les fédéralistes aux souverainistes. Cette semaine, j’offre au modèle politique québécois un remède qui pourrait éventuellement le guérir de sa toux souverainiste.

En dépit des nombreuses allégations de corruption dont est victime le gouvernement Charest, je suis loin de croire que ce qui se passe présentement dans le paysage politique québécois, c’est-à-dire la multiplication soudaine de partis souverainistes, ne soit la solution idéale. On serait porté à croire qu’avec le ras-le-bol général de la population face au gouvernement actuel, les chances pour ce dernier de se faire réélire au printemps 2012 seraient quasiment nulles. Pourtant, la sceptique en moi persiste à croire que Charest ne se fera pas détrôner de sitôt. Pourquoi? Parce que le Parti Libéral est la seule voie fédéraliste au sein de l’Assemblée Nationale. Malheureusement, il n’y a qu’une option de ce genre au Québec. Or, si un électeur fédéraliste refuse de voter pour ce

parti, quel autre choix lui est offert s’il ne souhaite pas soutenir un parti souverainiste? S’abstiendra-t-il de voter? Lors des élections de 2008, le taux de participation avait atteint 57,3%, le plus bas depuis 1927. À mon avis, un faible taux de participation reflète une société en crise identitaire politique, qui peine à s’identifier à un parti en particulier. Ainsi, lorsque vient le temps de voter, elle opte pour l’abstention, qu’elle perçoit comme le meilleur choix. En tant que fédéraliste, je me trouve ainsi perdue au sein d’un spectre politique restreint. Si je ne veux pas réélire le gouvernement Charest, quelle option s’offre à moi? Aucune. Du moins, aucune qui puisse refléter entièrement mon allégeance politique, quelle qu’elle soit. Ce qui m’amène à constater que le Québec n’a guère besoin d’une

panoplie de partis souverainistes faisant concurrence à un seul géant fédéraliste. Dans un idéal absolu, il faudrait aller au-delà de la dichotomie politique québécoise et exclure le débat sur la souveraineté dans la ligne du parti. Ainsi, il faudrait un parti politique qui se concentre d’abord et avant tout sur des débats de société tels que les enjeux sociaux, l’économie, l’éducation, la santé, l’environnement et la culture, sans offrir à ses électeurs une prise de position sur la question du nationalisme québécois. Je ne dis pas qu’il faut cesser d’avoir des partis soutenant la cause souverainiste, mais un parti s’affichant neutre serait une alternative possible pour les électeurs du PLQ et du PQ. Soyons réalistes, le mouvement indépendantiste peine à se raviver malgré la création du

NMQ et d’Option Nationale, partis qui tentent de remettre la souveraineté au premier plan. De plus, la population est envahie d’un cynisme si grand qu’une allégation de corruption de plus devient un bruit sourd parmi la cacophonie politique. Suis-je la seule à penser qu’il faudrait passer outre ces débats et se concentrer sur un avenir réaliste qui redonnerait espoir aux Québécois? Vous me direz peut-être que je suis idéaliste, que le débat sur la souveraineté demeurera une patate chaude inévitable en sol québécois, donc impossible de s’en défaire. Certes, ne nous mettons pas des bâtons dans les roues dès maintenant. Révolutionnons la politique québécoise. Sortons des sentiers battus. Libérons-nous des vieux discours monotones. Sculptons les idéaux de demain, dignes d’un peuple progressiste et innovateur. x

CAMPUS

Solidarité Munacaine

Les groupes syndicaux, étudiants et professoraux s’engagent dans une surenchère des actions de solidarité. Emma Ailinn Hautecoeur Le Délit

L

a semaine dernière a fait chaud au cœur des grévistes. Lundi, mercredi et vendredi, des groupes se sont mobilisés à l’intérieur du campus en réaction à l’injonction qui limite la portée de la voix des employés de soutien. Le jugement d’urgence a été accordé lundi le 26 septembre, seulement quelques jours après que la demande en avait été faite par McGill. Comme le révèle le McGill Daily, le juge qui a décidé en faveur de l’injonction, Brian Riordan, se trouve être un ancien diplômé de McGill et Dobson Fellow à la faculté de gestion Desautels. Il a affirmé à nos collègues qu’il ne voyait pas de conflit d’intérêt dans le cas de l’injonction étant donné que son rôle à la faculté de gestion avait été suspendu lorsqu’il est entré dans ses fonctions à la Cour Supérieure du Québec. Le Mobsquad, le groupe de mobilisation du campus de l’université McGill, a organisé le 26 septembre une manifestation éclair, seulement quelques heures après l’annonce de l’injonction par un courriel de Michael di Grappa, vice-principal (administration et finances), lundi matin, à 10 heures 20. Micha Stettin, membre du Mobsquad, affirme qu’aucun d’eux n’avait planifié cette manifestation: «Nous nous sommes envoyés des messages textes, et nous avons

informé tous les gens que nous connaissions». Les autres groupes solidaires de MUNACA ont renchérit mercredi le 28. Cette fois, AMUSE, (syndicat des étudiants employés) AMURE (syndicat des employés à la recherche) et MFLAG (McGill Faculty Labour Action Group) ont coordonné leurs efforts pour organiser une manifestation et un teachin. C’est d’ailleurs cette manifestation qui a su rassembler le plus grand nombre, trois fois plus d’étudiants, professeurs et autres employés que deux jours plus tôt. La stratégie était, comme lundi, de se réapproprier l’université pour discuter des questions qui touchent directement à la fois la vie des grévistes et celle des étudiants; le choix de la Y-intersection, point de confluence des étudiants plusieurs fois par jour, était stratégique. Le concept de teach-in a été validé par la présence de professeurs, dont Michelle Hartman, qui enseigne au département d’études islamiques, accompagnée de ses étudiants qui ont écouté son «cours» avec beaucoup d’attention. Elle a encouragé tous les étudiants à «aller voir [leurs] professeurs pour leur parler de ce qu’ils veulent faire [pour soutenir MUNACA]». Le professeur Normore, du département de philosophie a soutenu que les événements récents «montrent une aliénation de la part de l’université qu’on ne voit pas ailleurs».

x le délit · le mardi 4 octobre 2011 · delitfrancais.com

Il dit avoir pensé que la grève était une grève normale au début, mais il pense aujourd’hui différemment, car elle est infusée de «contrôle imposé de haut en bas». Vendredi, faisant référence au silence imposé aux grévistes, le MFLAG a organisé une marche silencieuse du Portail Roddick jusqu’au bâtiment des Arts. Encore une fois, le nombre de personnes présentes était important comparé aux manifestations des dernières années sur le campus de McGill. Micha Stettin témoigne que le nombre d’étudiants qui se mobilisent sur le campus «a augmenté régulièrement depuis le début de l’année [scolaire]. Une fois informés, les gens réalisent rapidement l’injustice de l’affaire». Les étudiants présents à la Y-intersection mercredi, ne font pas partie de la masse activiste qu’on voit à tous les événements politiques du campus. Stettin pense qu’une des raisons expliquant ce changement est que «la problématique touche directement la vie des grévistes mais aussi celle des étudiants». Il avance qu’«une fois que les étudiants participent aux manifestations, ils ont tendance à s’impliquer de plus en plus dans la vie universitaire». Cela pourrait être un indicateur de la participation aux prochaines actions du mouvement étudiant contre la hausse des frais de scolarité. Le teach-in et la marche se sont déroulés sans embûches, mais tou-

Les étudiants participant à la marche silencieuse Crédit photo: Fariduddin Attar Rifai

jours sous l’œil inquiet de la demi douzaine d’agents de sécurité mandatés à l’intersection et à la porte du Bâtiment de l’Administration pour accueillir les manifestants. Le sit-in a attiré l’attention d’un journaliste de Radio-Canada qui passait par hasard. La sécurité lui a d’abord interdit de filmer la scène, mais le journaliste a vite été convaincu de documenter l’événement. Les agents présents n’ont pas bronché. Kevin Witthaker, président du syndicat, est très heureux de ce soutien externe. Il se dit «très touché» mais déplore le fait que «l’Administration traite [les manifestants] de la même façon qu’elle

traite [les grévistes de MUNACA].» De leur côté, les grévistes trouvent d’autres moyens «pour faire pression sur quatre membres pivots du Conseil des Gouverneurs de l’université» Monsieur Stuart H. Cobbett, Madame Kathy Fazel, Madame Martine Turcotte et Monsieur Thierry Vandal, comme l’annonce un communiqué du syndicat. Loin des piquets, ils ont commencé hier à organiser des manifestations de type «flash mob» à l’extérieur des bureaux de ces gouverneurs, employés de Bell Canada, RBC, Hydro-Québec et le cabinet d’avocats Stikeman Elliott. x

Actualités

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Société

bien éduquée, sexuellement parlant

Un manque qui se fait sentir societe@delitfrancais.com

Les cours d’éducation sexuelle font leur retour en force en 2012 dans les écoles secondaires et la jeunesse médicale prend la relève ardemment! Alexandre Gauvreau Le Délit

D

epuis que les premiers élèves de la réforme sont arrivés au secondaire en 2005, les cours de Formation personnelle et sociale ont graduellement été radiés du cursus pour laisser place à la formation Santé et bien-être. Fondamentalement similaire, cette dernière n’est pas un cours, mais un ensemble de principes qui doivent être transmis par l’intégralité du corps enseignant dans les cours de base (Mathématiques, Français, Arts, Éducation physique, etc.). Ainsi, l’éducation sexuelle, tête d’affiche desdits cours de FPS, est une initiative que tous les professeurs doivent prendre. La responsabilité, toutefois, n’est pas toujours assumée. Problème? Problème. En effet, selon le Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), une recrudescence de presque 500% du taux de gonorrhée chez les femmes entre 15 et 24 ans a été remarquée entre 2004 et 2008, avec des taux similaires pour la syphilis et la chlamydiose. Coïncidence? «Sûrement pas», soutient le Docteur Réjean Thomas, fondateur de la clinique L’Actuel, qui a eu l’occasion de voir de ses propres yeux sa clinique se remplir progressivement de cas d’infections transmissibles sexuellement ou

de grossesses non désirées depuis l’abolition du programme en 2005. C’est aussi depuis cette date qu’il tente de ramener les cours d’éducation sexuelle au secondaire. Toutefois, l’éducation à la sexualité ce n’est pas que de la biologie, mais aussi une façon d’initier les jeunes aux complexités des relations amoureuses et du respect qu’elles impliquent. Il advient donc que les jeunes qui n’ont pas eu cette formation à l’école sont non seulement enclins à des rapports sexuels non protégés, mais aussi à fonder leur image de l’amour physique sur ce à quoi ils ont accès sur internet. Quand on parle d’un problème! Suite à cette décision du ministère de l’Éducation en 2005, une équipe d’étudiants en médecine de l’Université McGill a pris le taureau par les cornes en créant le groupe Sexperts, palliant ainsi au manque ressenti. Qu’est-ce que Sexperts? Sexperts, ce sont des étudiants universitaires (un garçon et une fille portés volontaires) qui patrouillent les écoles secondaires et qui, par le biais d’arrangements pris avec les enseignants, font la promotion de la santé sexuelle, du respect dans la relation, de la contraception et de la diversité, le tout à l’aide de discussions, d’activités informatives et interactives auprès des jeunes de 14 à 17 ans. Le but de ces activités est de faire profiter à toute la classe des ré-

ponses aux questions qu’un élève pourrait avoir, en plus de fournir aux étudiants les ressources nécessaires pour trouver les réponses aux questions qu’ils n’oseraient pas poser. Si les sexperts ne connaissent pas la réponse à une certaine question, ils dirigent le jeune vers un site web spécialisé (comme masexualite.ca) ou vers une ligne d’appel. Les étudiants ont l’occasion de participer à leur guise et, de poser des questions à main levée ou sur des papiers distribués à la classe. On ne demande que le respect des opinions. Le tout se fait généralement avec un enseignant absent ou bien caché au fond de sa salle de classe, qui observe, jaloux (et attentif), les étudiants être plus enthousiastes que dans ses plus beaux souvenirs. Tout de suite après sa naissance, le projet Sexperts est devenu interuniversitaire et a été adopté par la Fédération internationale des associations d’étudiants en médecine, division Québec (IFMSA-Québec). Les tâches se sont donc progressivement divisées entre McGill et l’Université de Montréal et, aujourd’hui, les six campus médicaux du Québec (McGill, Sherbrooke, Laval, Montréal, Saguenay et Trois-Rivières) font vivre le projet Sexperts. Il s’agit d’ailleurs de la seule initiative qui lie tous les campus médicaux du Québec. Encore mieux, ayant été pris en charge par une association internationale, Sexperts a pu profiter d’expertises étrangères pour se développer

et améliorer la qualité de ses présentations pour désormais déployer ses ailes dans une dizaine de pays comme le Liban, l’Autriche, l’Allemagne, etc. Parmi les activités qu’offre l’éducation par les paires de sexperts, on démystifie les infections transmissibles sexuellement ainsi que les pratiques sexuelles qui sont le plus à risque en demandant d’abord aux élèves de les classer dans l’ordre qu’ils croient logique, on fait une démonstration des différentes méthodes de contraception et de celles qui sont les plus efficaces, on instruit les jeunes sur la diversité sexuelle avec laquelle ils devront composer dans leur vie personnelle et professionnelle, on parle des premières fois, des différences entre les garçons et les filles, d’amour… La vérité, par contre, ce n’est pas que les jeunes ne sont pas renseignés sur la sexualité, au contraire. Ils sont très au courant de ce que c’est, le sexe. Par contre, et c’est là qu’est l’abscès, ils sont mal informés. Ne sont pas rares les questions comme: «Est-ce qu’on peut tomber enceinte en donnant une fellation?», «Pourquoi utiliser le condom si je prends la pilule?», «Pourquoi utiliser des contraceptifs si on a accès à la pilule du lendemain (Plan B)», etc. Le rôle des sexperts est alors de démystifier ce que les jeunes peuvent parfois prendre pour acquis, et ils le font avec l’avantage que leur jeune âge d’étudiants universitai-

La troupe VIH Positif sillonne les rues pour propager la bonne nouvelle sexuelle Photo: Aris Hadjinicolaou

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x le délit · le mardi 4 octobre 2011 · delitfrancais.com


res leur procure. En effet, les adolescents ont beaucoup plus tendance à s’identifier à des gens qui sont seulement de quelques années leur ainés et posent ainsi les questions qui les tracassent vraiment, comme ils le feraient s’ils parlaient avec leurs amis. L’organisme travaille également à éveiller la curiosité des jeunes face à ce sujet pour qu’ils puissent entreprendre des recherches par eux-mêmes, étant donnée la quantité restreinte de matériel éducatif qu’une heure de cours interactif permet de transmettre. La formation Sexperts De manière générale, les sexperts sont des étudiants en médecine, quoique le projet cherche à rallier tous les étudiants universitaires qui sont intéressés. Avec leurs connaissances plus ou moins développées dans le domaine, les étudiants en sciences de la santé sont appelés à une journée de formation qui aura lieu, cette année, le samedi 8 octobre, de 9 heures à 18 heures à l’Université de Montréal (offert en anglais et en français). Il s’agit d’une journée entière dédiée à la formation de base que tous les sexperts doivent savoir et elle est obligatoire pour ceux qui veulent pouvoir faire des présentations dans le futur. Les sexperts qui ont déjà reçu la formation sont aussi mandatés de s’y présenter, car elle vise à rassembler les bénévoles à travers le Québec pour l’uniformisation du projet et la mise en commun des expériences enrichissantes vécues sur les différents campus qui pourraient profiter à tous. Il s’agit d’une première, alors que des sexperts de Chicoutimi, Sherbrooke Trois-Rivières et Québec se rallieront pour la première fois, à Montréal, pour unifier le mouvement. La formation est gratuite, ouverte à tous les étudiants (en médecine ou non) et le repas est même offert! Le comité de santé sexuelle de l’IFMSA présentera, au cours de la journée, des professionnels invités qui viendront discuter et interagir sur la santé sexuelle, des activités pour former les futurs bénévoles sur l’apprentissage par les pairs, des informations pratiques quant aux présentations Sexperts que les formés seront amenés à faire, les ressources qu’il faut fournir aux jeunes pendant une présentation pour qu’ils puissent eux-mêmes faire des recherches, des ateliers de communication pour interagir avec les groupes sans tenir de propos sexistes, racistes ou hétérocentrés et bien plus encore. Cette volonté d’unification tombe à point, à vrai dire. «C’est le grand projet de l’année: faire en sorte que les sexperts du Québec aient une méthode d’action uniforme et efficace», assure Aris Hadjinicolaou, Coordonnateur national du comité de santé sexuelle, au sujet du retour des cours d’éducation sexuelle. En effet, la nouvelle ministre de l’Éducation, Line Beauchamp, a décidé de révoquer la décision de Michelle Courchesne et fera donc revenir l’éducation sexuelle au niveau secondaire à partir de la prochaine année scolaire. Les écoles devront composer avec le même budget pour intégrer cette matière à leur cursus. Sexperts travaille donc présentement avec l’Agence de la Santé Publique du MSSS pour faire accréditer son programme bénévole à la liste des entreprises pouvant donner le cours dans les écoles qui ne peuvent pas se permettre un éducateur spécialisé en la matière. «La formation nationale permettra donc d’élargir le champ de vision à Sexperts auprès des instances politiques, mais aussi à motiver les bénévoles et à leur donner un sentiment d’appartenance à l’organisme en voyant tous ces jeunes du Québec qui croient en le même projet» renchérit-il.

Le rayonnement de Sexperts L’an dernier, l’organisme a réussi à rejoindre plus de 4700 étudiants à travers la province, dont la moitié étaient de la ville de Québec. La capitale nationale a désormais le programme Sexperts le plus étendu. À McGill, on ne s’en tire pas trop mal non plus. Cette année, l’organisme a donné cinq formations aux étudiants universitaires et entrainé plus de 92 sexperts, la majorité provenant de la faculté de médecine. De plus, Sexperts a donné 55 présentations au secondaire afin de rejoindre les 1144 étudiants de la commission scolaire EnglishMontréal provenant de Mile-End High School, Royal-Vale High School, Bialik High School, Marymout Academy et Rosemount High School. Toutefois, Sexperts McGill ce n’est pas que des présentations dans les écoles, mais aussi une série de formations en continu comme la promotion de la journée internationale de la femme, l’organisation de No H8 le 17 mai, une séance photo contre l’homophobie, une conférence avec Maître Claivaz-Loranger sur l’aspect légal de la transmission et l’exposition au VIH, l’invitation de l’organisme Stella, de l’ATQ et COCQ-SIDA pour un souper-causerie sur les différentes réalités sexuelles, et la liste continue! «La logistique de l’organisme, en constante croissance, est désormais prise en charge par la Fondation Jeunes en Santé, qui s’occupe de contacter les écoles secon-

daires pour que les présentateurs Sexperts puissent se présenter à l’école sans avoir à entreprendre des démarches fastidieuses d’administration», précise Laurence Bernard, coordonnatrice du projet de l’an dernier pour l’Université McGill. Elle a désormais passé les rênes à Ariane Smith, de la promotion de Médecine McGill 2015, qui a une grande foi en son projet et qui déploie des efforts incroyables pour que la journée de formation soit une réussite. «Nous travaillons aussi sur un outil d’évaluation pour que les écoles puissent noter leur degré d’appréciation du projet afin de rendre les présentations futures encore plus efficaces et compréhensives à l’égard des étudiants». Le projet est donc bien vivant et bien portant! Sexperts, depuis sa création, a reçu plusieurs prix de la fondation Force Avenir, de nombreux prix donnés à des organismes à but non lucratifs ainsi qu’une bourse de 43 000 dollars du Forum des Jeunes de Montréal pour assurer la pérennité du projet et le soutien financier des présentations (matériel de démonstration, cahiers, formations, etc.) Ce sur quoi Aris, Laurence et Ariane insistent le plus, c’est que le projet est ouvert à tous les étudiants intéressés, peu importe la faculté dans laquelle ils étudient. Tout ce qu’ils doivent faire pour participer à Sexperts, c’est se rendre à la formation nationale du 8 octobre prochain. En effet,

IFMSA a même lancé l’invitation au programme d’études en sexologie de l’UQAM pour que les étudiants participent à la formation! Dans le futur? Beaucoup de projets sont encore au stade de l’embryon mais le futur est brillant pour l’organisme. On vise certainement à continuer les présentations dans les écoles secondaires pour les années à venir puisque Sexperts croit vraiment que la méthode amicale de transmission des connaissances et la jeunesse des présentateurs permet aux ateliers d’avoir un impact bénéfique sur les étudiants. Les démarches vont bon train et, un jour prochain, l’organisme aimerait pouvoir offrir des services conjoints (et toujours gratuits!) aux écoles secondaires, en collaboration avec d’autres projets de l’IFMSA, comme le projet Osmose, pour la promotion de la santé mentale ainsi qu’un projet de santé globale et de nutrition. Apparemment, il vaut mieux prévenir que guérir! (Ça coute moins cher.) x

Pour participer à la formation Sexperts du 8 octobre prochain, contactez:

Ariane Smith

mcgill.lora@ifmsa.qc.ca

Illustration: Alice Des

Société

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CHRONIQUE

Langues et démons

Marek Ahnee | Carnets métèques

Mo rapel… Je me souviens,

en créole mauricien. Je me souviens, entre autres, de la découverte, voici deux ans, du «fait français» à Montréal. Il était inutile de tendre l’oreille pour entendre la langue de Vigneault. L’accent y est chantant et chaleureux. Non

seulement peut-on lire «ARRÊT» sur les panneaux, mais on peut n’importe où manger des hambourgeois et des chiens chauds. Le dictionnaire est un puits de merveilleuses pépites: clavardage, magasiner, traversier… Les anglicismes ici courent bien moins les rues qu’à Paris. Sur la chaîne parlementaire, cela paraît surréaliste: des débats en français dans un décor à la mode de Westminster. Dans les amphithéâtres, je rencontre des New-Yorkais et des Pakistanais ayant choisi McGill pour apprendre ma langue! Mais Montréal est aussi une cité anglophone. En lisant les journaux, les inquiétudes de Madame Marois sont palpables. Néanmoins, le français est encore ancré à Montréal, bien assumé, inévita-

ble. Bien révolue la sombre période où les ladies de Westmount lançaient «Speak White» aux vieux attendants pure laine de La Baie. Hors Québec, il est émouvant d’entendre un Fransaskois ou un Acadien défendre sa langue avec passion. De mère française et de père mauricien, j’ai été élevé en français. Ma famille paternelle fait partie de la minorité francophone de Maurice. Quel bonheur donc de se retrouver dans une ville où sa langue maternelle est objet de fierté… Mo rapel. Décembre 1810. George III arrache Maurice à Napoléon. Comme ils l’avaient fait ailleurs en 1755, les Anglais garantirent aux colons français le libre exercice de leur culte et la libre expression de leur langue.

Cette dernière devint un étendard toujours prêt à défier l’Union Jack. Politiquement, mais surtout culturellement. Pendant des années, pour nombre de métis, un vers de Corneille était un sésame social plus utile que l’argent. 1968, Maurice est indépendante. Donne changée. Le français est la langue de la minorité blanche possédante et de la bourgeoisie de couleur, derniers soutiens du monde colonial. Les autres, rêvant de liberté, perçoivent le français comme une langue dominante. La francophilie s’en trouve réactionnaire. Si l’anglais était la langue de l’État, l’âme du peuple parlait kreol. Ce dernier devint à son tour un étendard pour les marxisants et tiers-mondistes, symbole de l’unité des classes opprimées. L’impérialiste langue de

Molière devait être éradiquée de la vie sociale. Le camarade Toutle-Monde applaudissait. Les années ont passé. La mondialisation a rendu plus vive la nécessité du français. Utile, souhaité mais pas forcement aimé, toujours épinglé d’étiquettes: bourgeois, élitiste, pédant, efféminé… Que tout cela semble loin de Montréal la francophone, où ma langue a trouvé asile. Alors pourquoi peut-on être pris d’un certain malaise quand on voit «On ne sert qu’en français» sur une enseigne fleurdelisée? Le ventre se serre lorsque Monsieur Curzi braille à la radio. Comme quoi, les neiges du Nord dissimulent aussi les blessures postcoloniales et leurs guéguerres identitaires. Et comme partout dans le monde, la langue y est à la fois lance et bouclier. x

Malgré tout cela, faire du pouce est peut-être l’un des meilleurs moyens de rencontrer des gens sympas. On a ainsi fait la connaissance, entre autres, d’un jeune couple qui nous a donné l’adresse d’un excellent resto à Cherbourg, d’une famille anglaise qui nous a proposé de nous prendre avant même qu’on ne le leur demande, d’une famille franco-italienne complètement déjantée, d’un adorable camionneur qui a fait un détour pour nous déposer plus proche de notre destination, d’un drôle de retraité chercheur d’or, et enfin d’un étudiant qui nous a laissés somnoler pendant au moins cinquante kilomètres (le pauvre!). Pour terminer, voici quelques astuces pour les auto-stoppeurs en herbe:

- Voyagez léger! Personne ne vous prendra si vous avez deux valises XL… - Si possible, voyagez en couple: un gars pour la sécurité, une fille pour attirer les automobilistes… - Si possible, sortez de la ville en transport en commun. - Les stations-services sont d’excellents points d’attente: on y est en sécurité, et les automobilistes y sont nombreux. - Fabriquez-vous des panneaux pour indiquer votre destination et la route que vous voulez emprunter. - Apprenez à dire «Merci» (et «Non merci», au cas où vous tombiez sur un pervers) dans la langue du pays que vous visitez. x

CHRONIQUE

Histoire de pouces

Élise Maciol | Plume en vadrouille

Vous avez déjà sûrement

tous entendu des histoires de voyage en autostop qui ont mal tourné: temps d’attente interminable, radinerie du conducteur qui profite de la situation pour réduire le coup de

son voyage en demandant de quoi payer les péages ou l’essence, voire même kidnapping pour quelques malchanceuses… Faire du pouce peut effectivement être dangereux, épuisant et désespérant, mais après tout, c’est souvent en prenant quelques risques qu’on acquiert de l’expérience et qu’on forge nos plus beaux souvenirs. Je vous propose aujourd’hui une petite mise en perspective de l’autostop tel qu’on peut encore le pratiquer en Europe. La première chose que remarque un autostoppeur en arrivant dans le Sud, c’est que les automobilistes n’aiment pas du tout cette activité souvent qualifiée de hippie. Après trois heures d’attente à Pise, c’est en tout cas ce que l’on a déduit des regards –tour à tour curieux et dédaigneux– qu’on nous lançait. On se serait parfois cru de

vraies bêtes de foire… Plantés sur une route rejoignant la autostrada dans les deux sens, on a aussi passé notre temps à changer de trottoir selon les indications contradictoires d’automobilistes tous plus énervés les uns que les autres. Après avoir rejoint la France en soirée, on est tombé sur un camionneur étranger qu’on arrivait à peine à comprendre, mais qui nous a proposé de nous conduire sur quelques kilomètres. Seulement, il partait non pas tout de suite, mais à deux heures et demie du matin ! On a cependant accepté son offre sans rechigner, mais quand on a voulu le rejoindre à deux heures, il avait déjà filé… Dormir sur une aire d’autoroute n’a probablement jamais été aussi désagréable qu’après s’être fait poser un lapin en plein milieu de la nuit.

NUMÉRO SPÉCIAL MASCARADE

ENVOYEZ-NOUS VOS FAUX ARTICLES ET NE LES FAITES PAS PUBLIER DANS LE DÉLIT! AH AH! C’EST UNE MASCARADE! rec@delitfrancais.com

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xle délit · le mardi 4 octobre 2011 · delitfrancais.com


Arts&Culture artsculture@delitfrancais.com

ARTS TECHNOLOGIQUES

L’alléchant alliage des arts La Société des arts technologiques, connues pour ses concerts de musique élecronique, nous propose un peu de cuisine. Jonathan Brosseau Rioux nombreuses activités, alternant entre conférences et ateliers. Le Délit

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Cette année, le thème de la gastronomie était à l’honneur, puisque le centre aura l’occasion de recevoir le cirque du Omnivore World Tour en 2012. Au premier coup d’œil, ce mariage entre deux entités à vocation bien distinctes peut sembler surprenant. Cuisine et technologie? En fait, leur philosophie respective et leur art convergent parfois. Novatrices et axées sur le plaisir des sens, elles s’allieront donc d’ici quelques mois pour créer un concept hors du commun: un restaurant temporaire, mené par des chefs cuisiniers provenant d’un peu partout sur le globe, dans une ambiance sonore et visuelle des plus festives.

de restaurants. Ils créent un festival en France qui permettra à Monsieur Dubanchet de mener le groupe aux quatre coins du globe avec ce concept unique qu’est le Omnivore World Tour. Le choix de la SAT, pour Dubanchet, était justifié par plusieurs arguments. Ce dernier était ancré au centre d’une ville en pleine effervescence sur le plan culinaire, remplie de talents immenses. De plus, tous deux partagent une vision positive de la mondialisation, du moins au plan des richesses qu’apportent les différentes cultures et l’échange des idées. En ce sens, ils valorisent les open sources. Finalement, la SAT travaillait sur un projet ambitieux depuis plus de trois

ans et qui pourrait révolutionner l’expérience culinaire. Ce projet, c’est le Panodôme, un dispositif immersif qui place les spectateurs au centre d’une projection de forme hémisphérique. Cette projection permet de créer des ambiances visuelles et sonores et, plus intéressant encore, d’y intégrer une foule importante de par la taille de la chose. C’est précisément là que prend forme le restaurant, au cœur d’une quasi sphère technologique. Ces deux jours ont permis de montrer au monde les idées révolutionnaires d’un petit centre de chez nous. Maintenant, attendons de voir le chef-d’œuvre accompli. Rendez-vous en 2012 à la SAT. x

par Martine Chapui

La bd de la semaine

es 1er et 2 octobre, la Société des arts technologiques (SAT) a donné libre accès à ses locaux, situés au 1201 Boulevard Saint-Laurent. Tous les curieux, provenant autant du public que du milieu artistique, étaient les bienvenus. Si le mandat de ce centre transdisciplinaire est de promouvoir, entre autres, le développement et la conservation de la culture numérique, ces portes ouvertes, dans le cadre des Journées de la culture, étaient l’occasion rêvée de faire l’exposition du travail accompli. D’ailleurs, les visiteurs ont eu l’opportunité de participer à de

En effet, Montréal aura la chance de se compter parmi les douze capitales mondiales où cette tournée culinaire s’arrêtera. À ses débuts, Omnivore était une revue culinaire ayant pour but de mettre en avant ce que son fondateur, Luc Dubanchet, appelle la «jeune cuisine». Ce journaliste, qui en avait assez de couvrir l’actualité, a jeté son dévolu sur la cuisine en créant cette compagnie en 2003. Fort de son expérience à la tête de Gault Millau, il voulait donner un autre discours sur la gastronomie, plus humain et abordable, mais surtout, mettre en avant les nouveaux talents. De fil en aiguille, son mensuel a pris de l’expansion et les amène, lui et son équipe, à publier un guide

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Arts & Culture

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ARTS VISUELS

Parlez-vous manga?

Leçon sur le langage visuel de la BD japonaise. John Levesque Le Délit

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epuis les années 80, le genre manga n’a cessé de s’étendre en Europe et en Amérique du Nord, accompagné par les dessins animés et jeux vidéo dérivés qui font dorénavant partie de l’éventail des loisirs occidentaux. Cependant, le manga reste un genre encore méconnu, particulièrement au Québec, en partie de par la proximité de la province avec les comics américains et les affinités avec les bédéistes franco-belges. Le manga reste donc un genre en marge qui se caractérise par une identité visuelle particulière et utilise un grand nombre de codes graphiques qui peuvent laisser le néophyte perplexe. C’est pour cette raison que la Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) a mis sur pied l’exposition «Manga, l’art du mouvement». L’exposition, de taille modeste, accueille les visiteurs dans une grande salle lumineuse, divisée par de grands panneaux en suspension qui guident la visite et servent de présentoir aux œuvres exposées. Conçue par Laurent Rabatel, la mise en scène puise son inspiration dans une esthétique japonaise qui conjugue minimalisme et technologie pour mettre en valeur les codes du manga. L’une des premières installations présente les symboles graphiques utilisés pour illustrer les émotions et sentiments exprimés par les personnages. On y voit notamment la «goutte de gêne» ou encore la «veine de la colère» tracées avec des néons et placées sur des têtes sans visage. Pour Mira Falardeau, créatrice de l’exposition, cela illustre l’idée que «le manga est un genre principalement visuel, dans lequel le texte est souvent second et l’émotion s’exprime à travers l’image».

Afin d’encourager le public à apprécier ce genre résolument nippon, l’exposition l’initie aux codes et trucages graphiques qui permettent aux mangakas (auteur de manga) de représenter le mouvement et l’action. Ainsi, à travers les séries des grands mangakas tels que le précurseur Osamu Tezuka (Astro Boy, Le Roi Leo) ou encore le collectif féminin CLAMP (Sakura, chasseuse de cartes), on est appelé à comprendre l’importance de la forme des cadres et des bulles de dialogues qui interagissent avec les mouvements des personnages, ou des jeux de perspectives qui guident l’œil du lecteur vers l’action. Cette importance du mouvement s’explique en partie par l’influence de l’histoire sur la scène artistique japonaise: ruiné par la Seconde Guerre mondiale, le développement de l’industrie cinématographique est coupé court. Quelques artistes se réunissent et, à travers les mangas, similaires aux storyboards des films Disney, parviennent à publier les histoires des films qu’ils aimeraient produire. Au terme de cette leçon de décodage visuel, on est appelé à mettre en pratique ce que l’on a appris: après avoir enlevé ses chaussures, le visiteur accède à une bibliothèque composée de quelques séries complètes, qu’il peut découvrir, assis en tailleur sur un tatami. Bien que cette exposition soit assez courte, elle offre cependant une première expérience assez complète et attirante de l’univers manga. Elle s’inscrit d’ailleurs dans le cadre d’un ensemble d’expositions sur le Japon et les mangas, qui comprend aussi la «mangathèque» de la BAnQ, qui offre deux larges sélections d’œuvres adaptées aux âges des lecteurs. Si «Manga, l’art du mouvement» laissera les férus du genre sur leur faim, qu’ils se rassurent: la BAnQ a de quoi leur mettre sous la dent. x

Cédit photo: Louis-Étienne Doré

L’innocence calomniée Avec Omar m’a tuer, l’acteur-réalisateur Roschdy Zem rend hommage à l’homme derrière l’affaire Omar. Sabrina Ait Akil Le Délit L’acteur-réalisateur Roschdy Zem percute la rentrée cinéma 2011 avec son deuxième long-métrage Omar m’a tuer. Après /Mauvaise Foi (2006), Roschdy Zem revient en force avec une histoire terriblement glaciale. Ce film joue la carte de l’enquête et de la quête de justice. Le film relate un meurtre sordide, suivi d’une accusation douteuse. Omar Reddad, jardinier de profession, fut accusé en 1991 du meurtre de sa patronne Ghislaine Marchal. Le cadavre de cette dernière fut retrouvé dans sa cave près de la porte où l’on pouvait lire l’inscription suivante: «Omar m’a tuer». Une enquête commence alors à partir d’une inscription qui fait office d’accusation suprême, et qui fait basculer la vie d’un homme. Cette inscription dont la valeur juridique demeure douteuse est l’élément déclencheur de l’histoire. Omar clame son innocence et des évidences laissent croire qu’il n’est pas l’assassin en question. Or la justice en décide autrement et le condamne à 18 ans de prison ferme. C’est en tenant le spectateur à bout de souffle que le film surprend. La cinématographie est impeccable et le décor du Sud de la France contraste avec la

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Arts & Culture

Gracieuseté de Mongrel Media

noirceur et la perfidie des événements. La luminosité éblouissante du paysage étouffe presque les bruits calomnieux qui entourent l’affaire. On découvre des personnages qui ont joué un rôle clé dans l’enquête tels que l’écrivain Pierre-Emmanuel Vaugrenard (Denis Podalydès) et Maître Vergès (Maurice Bénichou). Tous deux ont été les alliés d’Omar. Autrement dit, ils ont décidé de prendre le risque de

défendre un jardinier marocain qui évolue dans une situation précaire, qui s’exprime dans un français malhabile et qui est contraint de laisser sa famille derrière lui, sans repères et sans réponses. Denis Podalydès et Maurice Bénichou ont incarné les piliers de cette quête de vérité avec justesse. Pour sa part, Sami Bouajila incarne Omar, l’homme torturé par une situation qui le dépasse. La fragilité du personnage a été renforcée par la splen-

deur de l’acteur qui a su s’enfermer dans un corps meurtri, affaibli et sans panache. L’acteur s’est donc approprié l’histoire de cet homme illettré et laissé pour compte avec humilité. Le travail corporel et les mimiques de Sami Bouajila sont subtiles et soulignent, malgré tout, la simplicité de ce personnage sans artifices. Ce qui frappe est sans doute le quasi-mutisme dans lequel s’enferme Omar pour mieux absorber la catastrophe. Le film épouse donc avec rigueur l’anéantissement psychologique d’Omar qui évolue dans une France où les minorités sont stigmatisées. Dans ce film engagé, Roschdy Zem n’est pas tombé dans la fausse compassion et le pathétisme. De plus, le bilan reste positif dans son ensemble car le réalisateur a évité les clichés qui auraient pu caricaturer le personnage d’Omar à jamais. Omar m’a tuer secoue et ne laisse personne indifférent. La puissance de ce long-métrage réside dans certains éléments qui conjuguent leurs forces et prouvent qu’Omar Reddad a été une fleur fanée de force par un système judiciaire sclérosé. x Omar m’a tuer Un film de Roschdy Zem Quand: Dès le 30 septembre 2011

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CINÉMA

Gus Van Sant et ses faucheuses

Restless raconte l’histoire d’Annabel, une adolescente en phase terminale, et d’Enoch, un homme qui aime assister aux funérailles de parfaits inconnus et dont le meilleur ami est un fantôme de kamikaze japonais.

Crédit photo: Scott Green. Gracieuseté de Sony Pictures Classics.

Emilie Blanchard Le Délit

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us Van Sant aime parler de la mort. Dans sa filmographie, on compte même une trilogie de la mort (Death trilogy). Cette série débute avec Gerry, sorti en 2002, qui parle de la mort de David Coughlin, tué lors d’une exploration du désert du Nouveau-Mexique. En 2003, Gus Van Sant a reçu la Palme d’Or au Festival de Cannes pour l’excellent Elephant, inspiré du massacre de Colombine. Finalement, en 2005, il présente le dernier opus de sa trilogie, Last Days, un film particulièrement long qui raconte les derniers jours de la vie de Kurt Cobain, défunt chanteur du groupe grunge Nirvana. Avec Restless, Gus Van Sant offre quelque chose de complètement différent. Contrairement à ses films précédents, Restless traite d’une mort annoncée. Il n’est plus ques-

tion de meurtres ou de décès accidentels, mais bien d’une mort naturelle, claire et prévisible depuis le début de l’histoire. Annabel (Mia Wasikowska) est mourante. Elle le sait et le gère merveilleusement bien. Toutefois, c’est l’impact de cette situation sur Enoch (Henry Hopper) qui est examinée, lui qui cherche l’ambiance morbide des services funéraires. Il se retrouve dans une situation où il devra lui-même gérer avec le futur décès de son amoureuse. Le scénario en soi semble unique et prometteur. Toutefois, il manque un petit quelque chose à Restless pour le rendre excellent, que ce soit dans le scénario ou dans l’interprétation. Par exemple, pourquoi le meilleur ami d’Enoch est-il un fantôme japonais qui était un kamikaze durant la Seconde Guerre mondiale? Le film a été tourné à Portland, Oregon, lieu de résidence de Gus Van Sant et lieu de

tournage d’Elephant. Comme dans ce dernier, nous retrouvons la banlieue de classe moyenne, plutôt tranquille, à la limite ennuyante. Il est donc très difficile de ne pas comparer Restless au bijou cinématographique qu’est Elephant, ce qui est injuste vu la hauteur à laquelle ce long-métrage a mis la barre. L’ambiance est la même dans les deux films: l’histoire se déroule à l’automne et on retrouve des couleurs similaires, beaucoup de brun, d’orange, de noir, de gris et de vert. Les rares couleurs claires et les teintes de bleu sont généralement portées par le personnage d’Annabel. Côté performance, Mia Wasikowska (Alice in Wonderland, Tim Burton) est certainement la plus solide. Le personnage d’Annabel est attachant et d’une maturité rarissime. Il est plutôt difficile de croire qu’une adolescente accepte sa fatalité aussi bien qu’elle le fait.

En ce qui concerne Henry Hopper, fils de l’acteur américain Dennis Hopper, il en est à son premier grand rôle au cinéma. Sa performance est plutôt moyenne au début du film, mais il semble plus en contrôle vers la fin. La bande sonore, composée par Danny Elfman, est excellente et très appropriée pour le film. Une musique de fond très douce, simple et agréable qui se mélange bien à l’histoire sans prendre trop de place. Enfin, alors qu’Elephant nous donnait un coup de poing dans le ventre, Restless nous laisse plutôt sur notre faim. Mia Wasikowska offre une belle performance, mais il manque un petit quelque chose au scénario pour le rendre encore plus poignant et le distinguer d’Elephant. x Restless (VF: Sans répit) Un film de Gus Van Sant Quand: Dès le 30 septembre 2011

CINÉMA

Québec, I remember

Le film French Immersion de Kevin Tierney souligne l’opposition francophone-anglophone à coup de rires. Valérie Mathis Le Délit

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’est dans un petit village québécois du nom de St-Isidore-du-Cœur-deJésus, peuplé à 97% de québécois «pure laine», qu’un groupe d’étudiants anglophones s’établit pour un certain temps, à la recherche de la langue de Molière. Cette langue, elle est partout: dans les petits cahiers rouges de l’école de langues, dans les yeux de Julie (Karine Vanasse), la belle institutrice, dans la nourriture baignée de sirop d’érable, sur les petits macarons jaunes indiquant «en français». Ce sont par de petits gestes que francophones et anglophones se côtoient, toujours avec précaution. Et dans un franglais parsemé de rires, des liens se tissent malgré tout, malgré l’Histoire, malgré la différence. Dans cette lutte amère que l’on connaît trop bien, où chaque parti avoue détester l’autre tout en s’appelant frères, le film ne semble pas, heureusement, prendre parti. Car les situations ridicules se déroulent aussi bien chez les bleus que les rouges, si bien que francophones et anglophones se renvoient la balle jusqu’à la fin. Le rire arrive donc à temps pour relâcher la tension, et parmi des quiproquos et autres barrières culturelles, un terrain d’entente se fait sentir: cette fierté d’être canadien. Si le thème a déjà été travaillé au cinéma – pensons au fameux Bon Cop Bad Cop (2006)– le

décor est nouveau: c’est dans un petit village québécois que l’antagonisme se poursuit, où des familles bienveillantes accueillent les naufragés anglophones. De la même manière que dans la production française Bienvenue chez les Cht’is, les étudiants font nerveusement leurs premiers pas à travers un temps morose, de la neige en juillet, et de biens grands malentendus, examinés de près par leurs hôtes. Le film joue à la fois sur l’Histoire et sur la politique actuelle, mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une comédie. Il est donc difficile de critiquer l’irréalisme des personnages, présentés parfois sur des tons un peu ridicules, si celui-ci est fondé. Cependant, le jeu peut sembler un peu trop évident, et mène à une fin hollywoodienne loufoque et décevante. French Immersion est un regard quelque peu simplet sur les deux cultures canadiennes, mais fera rire tout de même, en amenant peut-être l’espoir d’une meilleure coexistence – l’idée d’un «Québec indépendant dans un Canada uni» est maintes fois suggérée au cours du film. C’est peut-être le meilleur moyen, finalement, de traiter un thème aussi délicat; d’en rire, et puis de remettre la réflexion à plus tard. x French Immersion Un film de Kevin Tierney Quand: Dès le 7 octobre 2011

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Gracieuseté de TVA Films

Arts & Culture

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THÉÂTRE

Minés: creuser la mémoire

Minés est une pièce étudiante qui aborde avec candeur la notion complexe de la mémoire. Nathalie Serralheiro O’Neill Le Délit

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i la mémoire était représentée physiquement, à quoi ressembleraitt-elle? Minés, une pièce écrite par Solène Paré et mise en scène par elle-même et Josianne Dulong-Savignac, tente de répondre à cette question. L’œuvre cherche à créer une mémoire physique, située dans l’espace, qui conceptualise ainsi de manière concrète l’interaction de l’humain avec sa conscience, ses souvenirs, sa mémoire. Minés suit les aventures d’Oscar, un mineur colombien récemment arrivé a Montréal. Oscar est un garçon intelligent et éduqué qui est embauché comme serveur. Les souvenirs d’Oscar se dévoilent peu à peu au cours de la pièce, aux côtés de ses collègues. Pour représenter l’interaction entre l’animalité, le physique humain et la conscience, Madame Paré a choisi d’utiliser de la terre noire. Solène Paré et Josianne Dulong-Savignac expliquent que la terre sert d’équivalent à la mémoire. Ainsi, une terre vierge représenterait une mémoire vierge. L’histoire hu-

maine transforme la conscience comme les tracés physiques transforment la terre. Dans Minés, la terre représente non seulement le début du physique humain, mais aussi les racines de la conscience. Les metteuses en scène soulignent l’importance du thème de la mémoire et de la terre en soi comme points de départ de l’œuvre. La mine permet d’explorer davantage le parallèle entre la terre et la mémoire en représentant physiquement des processus intangibles, comme creuser et s’enfouir dans sa mémoire. L’interaction avec la terre suit de ce fait l’évolution de la conscience et des souvenirs ressurgissant, à mesure que les comédiens deviennent de plus en plus salis par la terre. Mesdames Paré et Dulong-Savignac ont choisi d’utiliser une scénographie minimaliste pour isoler les éléments simples et bruts de l’humain et de sa relation avec la mémoire et la conscience. Le groupe Créature, qui présente la production, a choisi comme lieu le Théâtre Mainline, choix qui, en soi, a influencé le processus créatif. La scène, dont trois côtés font face au public, a inspiré la construction

des images théâtrales; transformée en arène de terre, elle devient l’élément central. Outre la terre, seulement quelques accessoires, une chaise et un téléphone, sont visibles. Les metteuses en scène souhaitent de ce fait mettre l’accent sur la scénographie plutôt que le décor. Les costumes et l’éclairage reflètent cette sobriété, insistant sur l’interaction du corps des acteurs sous la lumière et avec la terre. La pièce a été produite par deux étudiantes de deuxième année à l’École supérieure de théâtre de l’UQAM sous la direction artistique de Solène Paré et Josianne Dulong-Savignac. La distribution est partagée entre quatre étudiants, recrutés à l’université et par entrevues, ainsi qu’un un acteur professionnel (Miguel Doucet, dans le rôle du père d’Oscar). x

Minés Où: Théâtre Mainline 3997 boul. St-Laurent Quand: 5 au 9 octobre Combien: 23$

Crédit photo: Solène Paré

ENTREVUE

Radio spirale, la poursuite de la résistance

Le jeudi 29 septembre 2011, à la galerie de l’UQAM, ont eu lieu la cérémonie d’inauguration et la présentation du nouveau site internet de Radio Spirale, radiospirale.org.

R

adio Spirale est une vitrine littéraire unique au Québec qui réunit notamment des galeries d’Art, des centres de recherche universitaires, des éditeurs et des libraires, et présentant des émissions sur l’actualité culturelle, des entrevues avec des écrivains, des tables rondes, des conférences, etc. Quelques jours avant l’événement, Le Délit s’est entretenu avec le directeur de la revue Spirale et du site de Radio Spirale, Patrick Poirier. Le Délit: Pouvez-nous nous expliquer comment est née l’idée d’une plateforme comme radiospirale.org en 2006? Et pourquoi avoir décidé de reconstruire le site Internet en 2011? Patrick Poirier: À l’origine, en 2006, le site Internet se voulait une extension de la revue Spirale, une occasion pour elle d’emprunter de nouvelles avenues et d’élargir son espace public. En 2011, il est devenu évident que le site Internet nécessitait une rénovation, pour plusieurs raisons. Il fallait séparer le site Internet du magazine, en faire une entité à part, pour lui accorder sa propre importance symbolique. Il y avait également des problèmes plus concrets à régler: l’apparence du site d’origine laissait à désirer, sa technologie devait être mise à jour, des besoins pressants devaient être comblés (comme la possibilité d’héberger des vidéos, un flux RSS, des réseaux sociaux, etc.). LD: Quelles sont les nouveautés du site? Que peut-on y trouver à présent? PP: La liste complète des outils technologiques du site est longue: on y retrouve des vidéos, des listes d’écoute, des infolettres, et tout ce que l’on y trouvait avant, des conférences, des entrevues d’écrivains, etc. Cependant, la mise à jour

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Arts & Culture

la plus importante est l’indexation des métadonnées du site à d’autres moteurs de recherche, grâce au travail du laboratoire NT2 de l’UQAM. Cela veut dire que les données du site ont plus de chances d’apparaître dans des recherches menées sur des sites comme Google, ce qui lui permettra d’atteindre un plus grand rayonnement dans la sphère publique.

contemporain! D’ailleurs, l’un des objectifs du site est d’opérer le transfert des connaissances de nos partenaires, comme le CRILCQ (Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoise), vers le grand public. LD: Qu’est-ce qui distingue votre site d’autres vitrines culturelles (web ou autres)?

Crédit Photo: Raphaëlle Poirier

LD: Quel public vise le site Internet de Radio Spirale? Un public général ou plus précisément universitaire? PP: C’est une erreur de croire que notre site ne peut qu’intéresser des érudits ou des universitaires. Pour le dire simplement, il s’adresse à toute personne qui s’intéresse à la culture. Il n’est pas nécessaire d’avoir un doctorat pour apprécier une entrevue avec une poétesse québécoise ou une table ronde sur l’Art

PP: C’est la nature de notre regroupement qui fait notre différence: nous sommes un collectif qui rassemble une variété inédite de partenaires très différents les uns des autres. Notre site est un espace qui permet une palette de contenu culturel sans égal au Québec (bien que ce contenu soit surtout littéraire, mais pas seulement). Aussi pouvons-nous nous vanter d’offrir du contenu de haute qualité: par exemple, il n’y a pas beaucoup

d’autres plateformes qui offrent des entrevues aussi longues et approfondies. LD: Pouvez-vous nous parler des projets à venir du site? PP: Cela dépend de l’implication des partenaires. Puisque le site fonctionne avec un budget très serré, des bénévoles et du temps investi par les partenaires, tout dépend d’eux. Tout est possible dans l’avenir, mais il ne faut pas mettre la barre trop haut et trop rapidement pour nos partenaires, de peur de les décourager, de leur en demander trop. Donc, pour le moment, il est impossible de dire quels seront nos prochains projets; l’avenir nous le dira. LD : Pour finir, la présentation du site mentionne qu’il se veut un lieu de «résistance culturelle». À quoi veut «résister» le site de Radio Spirale? PP: Le site se veut un espace où peut exister une forme de résistance à la culture du divertissement qui sévit actuellement. Il n’y a plus de place pour la culture dite «élitiste» dans l’espace public: elle a été marginalisée. Radio Spirale veut lutter contre cette disparition d’un lieu de liberté de parole, qui se situerait hors des contraintes financières que l’on connaît et de l’industrie culturelle telle qu’on la rencontre maintenant. L’idée n’est pas de remplacer la culture de divertissement par la culture d’élite: il s’agit de reconnaître un déséquilibre, que la place d’une autre culture disparaît, que son contenu devient difficile d’accès pour le grand public. Le site se veut donc le lieu d’un discours critique, une véritable «radio culturelle», plurielle et intellectuelle, et veut montrer qu’une telle chose est encore possible. x Propos recueillis par Xavier Jacob.

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BANDE-DESSINÉE

L’innocence de l’Amérique

La nouvelle édition de Nipper 1965-1966 permet de se replonger dans l’œuvre du dessinateur canadien Douglas Austin Wright. Annick Lavogiez Le Délit

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a nouvelle édition de Nipper 19651966 (Drawn & Quaterly) permet de se replonger avec un plaisir certain dans l’œuvre de Douglas Austin Wright, dessinateur canadien anglophone publié pendant plus de 35 ans dans divers magazines et journaux en Amérique du Nord. Un père de famille tire les luges de ses deux enfants dans un décor enneigé. Un petit garçon les observe depuis sa fenêtre puis va réveiller son père, visiblement profondément endormi. Lors de la balade, les deux pères se croisent, le second n’hésitant pas à montrer sa colère envers le premier, incapable de comprendre la situation. En quatre images, le ton de l’album Nipper 1965-1966 est donné: deux protagonistes, deux petits garçons à la tête bien ronde, en font voir de toutes les couleurs à leurs parents. Ces petites histoires de familles courtes et drôles prennent la forme de gags en quatre ou cinq images d’autant plus efficaces qu’elles sont sans parole. L’absence de texte permet de s’attarder sur les particularités de chaque dessin: de belles illustrations colorées avec talent. Familiale et sympathique, la plume de

Wright est toujours attentive aux détails. Le dessinateur a utilisé les quelques couleurs à sa disposition (noir, blanc, gris et une touche systématique de rouge) de manière très variée, même si toutes les histoires se déroulent dans la même banlieue bitumée. Les expressions

gags. Ceux-ci sont concis, intelligents, sympathiques et capturent habilement le caractère idyllique et tourmenté du rêve américain de la vie de famille dans les années soixante. Quelques pages, dont celles qui mettent en scène les relations de couple et la

Crédit photo: dDrawn and Quaterly

sont subtiles mais restent claires, et l’équilibre constant des gags, entre détail et économie d’information, invite le lecteur à s’imprégner complètement de chaque récit. La qualité visuelle de chaque anecdote sert habilement les

domesticité de la femme en particulier, sembleront peut-être vieillies, voire dépassées pour certains. Ce décalage temporel, à la réflexion faite, ne dérange pas tant que ça, et ce pour deux raisons. Tout d’abord,

il permet de remettre les dessins dans leur contexte tout en les teintant d’une certaine nostalgie d’une Amérique innocente et paisible, recouverte souvent d’un manteau de neige qu’on lui connaît bien. On se plaira à retrouver des enfants loin de toute technologie, capables de s’amuser d’une boîte en carton, de glissades sur la neige, autres boules de neige et petites voitures. De plus, les anecdotes sont généralement centrées sur les enfants et non sur les relations entre parents, qui n’apparaissent que comme personnages secondaires dans certaines illustrations. Entre farces, joies et déceptions, absurdités, mimétisme et désobéissance, l’enfance est indéniablement décrite par un excellent observateur des dynamiques familiales. Thème assurément intemporel. Les dessins sont beaux et bien réalisés, l’humour est charmant, les gags fonctionnent, la lecture est facile et plutôt rapide. Que demander de plus? Davantage de dessins peut-être, direz-vous, puisque cet album ne contient que 112 pages? Ça tombe bien, cet album qui retrace les années 19651966 de Nipper suit la publication, en 2010, de Nipper 1963-1964. Reste à savoir combien de tomes suivront… pour notre plus grand plaisir! x

BANDE-DESSINÉE

Chat déçoit!

Deux dessinatrices dans la peau de gars qui s’occupent d’un chat drôlement laid, ça donne L’Ostie d’chat, un album publié chez Delcourt dans la collection Shampooing.

Annick Lavogiez Le Délit

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epuis 2009, les Québécoises Iris (Justine, La Pastèque) et Zviane (Apnée, éditions Pow Pow) animent le blogue-feuilleton L’Ostie d’chat, mettant en scène Jasmin, un musicien qui vient de se faire virer de son groupe, et Jean-Sébastien, dragueur invétéré au chômage. Les deux anciens copains d’école accumulent les revers professionnels et amoureux tout en s’occupant de leur gros chat sans charme, tristement affublé du prénom Legolas. Les rebondissements sont nombreux dans ce récit qui traite des relations humaines. Retour sur la publication du premier tome de la série, qui s’avère hélas peu convaincant. Le problème de la continuité Le projet de L’Ostie d’chat est né à Angoulême, lorsque Iris et Zviane ont réalisé qu’elles aimaient travailler ensemble. Inspirées quelque peu par Chicou-Chicou, un blogue qui fonctionne également avec plusieurs auteurs, les deux amies ont décidé de se lancer dans une histoire caractérisée par sa longueur et son côté semi-improvisé. Si l’enchaînement entre les récits laisse parfois à désirer, c’est peut-être qu’au début de ce projet, les auteures travaillaient de manière plus indépendante, chacune de leur côté. Ainsi, on sent dans certains récits les pièges que l’une et l’autre se sont tendus, ce qui témoigne certes d’une sympathique expérience d’écriture et d’une belle complicité, mais qui n’est que modérément intéressant pour le lecteur, susceptible de questionner la pertinence de certains choix. Pourtant, ce n’est peut-être pas la collaboration entre les auteures qui pose problème dans cet album mais plutôt l’adaptation du format web qui ne passe pas toujours bien sur papier. En effet, on se demande parfois le lien entre les histoires qui manquent de conti-

nuité. Cela permet certes de diviser sa lecture (ceci étant dit, l’album fait 160 pages, se lit en une bonne heure et ne nécessite donc pas vraiment une lecture entrecoupée de pauses) mais donne l’impression de perdre en constance. Ce qui fonctionnait bien sur Internet marche peutêtre simplement moins bien dans un album qui offre la possibilité d’une lecture continue. Un mauvais choix éditorial? Le manque de continuité de l’ouvrage n’est hélas pas la seule déception qui attend le lecteur, surtout si vous vous intéressez non seulement au contenu, mais aussi à l’objet que vous tenez entre vos mains. On connaissait chez Shampooing de beaux ouvrages, notamment les Carnets de Boulet et Les petits riens de Lewis Trondheim. L’Ostie de chat n’a pas eu la chance de recevoir le même traitement puisqu’il ressemble étrangement à un manga avec sa doublure plastifiée, une qualité d’impression parfois moyenne et son look, osera-t-on le dire, un peu cheap (ce qui ne choquerait pas si le prix était le même que celui des mangas). Un lecteur curieux se débarassera vite de la doublure pour voir à quoi ressemble la couverture; mais ce qu’il y a en-dessous s’avère bien pire. La couverture plastique, brillante, est colorée de façon tristement laide (mais d’où vient l’idée de colorer le tout en marron?) et l’effet est raté. Le look de l’album est donc décevant, et on s’en consolera comme on pourra avec les dessins de deux auteures dont on connaît le talent par leurs blogues et leurs précédents albums et fanzines. À lire… sur Internet! On a donc envie de vous conseiller la lecture de L’Ostie d’chat, mais peut-être plutôt sur Internet, un média qui semble beaucoup plus approprié à son contenu (en plus, les couleurs y sont nettement plus belles!). Malgré tout, si cette publication est une petite déception, il faut

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Crédit photo: Éditions Delcourt

néanmoins mentionner le charme et la réussite des dessins, l’humour des dialogues et la qualité narrative de chacune des histoires prises à part. x

Iris et Zviane sont en résidence conjointe à la Bibliothèque Frontenac, où leurs œuvres seront exposées en octobre.

Arts & Culture

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ROMAN FEUILLETON

La crise d’octobre 2011

Fictions d’actualité A. Gosselin Le Délit

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e premier ministre franchit la porte de son cabinet sans prendre la peine de fermer derrière lui. Ce geste anodin, qu’un observateur peu attentif expliquerait par les nombreuses préoccupations de l’homme d’État n’avait, en fait, rien d’une étourderie. Comme pour justifier ou encore dissimuler sa conduite délibérée, l’homme gardait ses mains enfoncées dans les poches de son pantalon. Il parcourut nerveusement la pièce pour se poster devant l’immense baie vitrée qui illuminait son bureau. Devant lui s’étendait une ville vieille de quatre siècles, une ville magnifique qui avait gardé son cachet pittoresque et réconfortant pour notre époque. Ce spectacle qui lui semblait pourtant quelconque attirait tant son attention que sa fascination tout comme l’embrasure toujours béante avaient quelque chose de suspect. La porte se referma doucement, comme si une brise légère l’avait poussée, le plus naturellement du monde, on aurait pu croire que le premier ministre lui-même s’en était chargé tant l’opération ne suscita aucune réaction de ses collègues restés hors du cabinet. Un visiteur était pourtant à l’origine de ce mouvement quasi imperceptible. D’ailleurs personne ne l’avait remarqué. Confortablement assis dans l’un des fauteuils du cabinet, il semblait faire partie intégrante du décor –même son ombre se mêlait à celle du mobilier: il n’était qu’à demi présent. –Personne ne vous a vu? Le premier ministre avait parlé sans bouger. Il lui semblait être au sommet d’une tour d’ivoire, détenant une vérité qu’aucun autre homme ne saurait jamais. Il avait sentit la présence de l’intrus –elle lui était presque devenue familière. –Personne ne me remarque jamais, Monsieur. –C’est vrai, dit l’homme d’État avec une pointe de dépit qui n’échappa pas à son interlocuteur. Qu’y a-t-il, Monsieur? N’avez-vous pas obtenu ce que vous souhaitiez? Ce pourquoi nous travaillons depuis maintenant huit ans est sur le point de se réaliser. Votre plan, notre plan, est un succès, plus hâtif que nous l’espérions, certes, mais l’essentiel est déjà accompli. –… Sans doute. Le visiteur, entièrement vêtu de noir, exception faite de son nœud papillon écarlate, s’était levé pour se diriger vers l’espace le plus sombre du bureau. Il faisait maintenant face au premier ministre qui n’arrivait plus à distinguer chez son interlocuteur autre chose que cette étrange

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boucle rouge. Devant lui, le visiteur s’impatientait. –Je ne te comprends pas. Tout est comme prévu: tu devras quitter tes fonctions, aucune preuve ne peut être utilisée contre toi, ta famille est sous ma protection. Tu es enfin libre de faire ce qu’il te plaît, tu es riche, tu… –Je sais, je sais. La question n’est pas là, je sens seulement monter en moi un sentiment qui m’est totalement étranger. C’est difficile à décrire, ni honte, ni regrets, enfin… –C’est normal. –Que voulez vous dire? –Il est tout à fait normal que tu ne trouves pas le mot, car il n’est pas propre à ta race… C’est l’impression de perdre ton humanité qui te tiraille à ce point. –Alors il vaut mieux démissionner immédiatement, un homme qui n’en est plus un ne peut diriger ses semblables. Autrement, vous n’auriez pas eu besoin de moi. Le visiteur ricana.

se…

–Pourtant, il y a autre cho-

–Je ne comprends pas. –Tu sens le remords à plein nez, Jean. Je ne suis pas dupe, tout n’est peut-être pas perdu dans ton cas. –Fuir serait peut-être ma seule option. Partir et ne plus jamais revenir. Refaire ma vie en traînant avec moi son fardeau. Déchu par mon avarice et mon ambition. C’est probablement… –Tu me fatigues. Dans mon cas, tout va pour le mieux. Tout ce que les hommes de ce pays, de cette petite province, ont bâti s’écroule et tombe dans les mains crottées du privé et du crime organisé. Rien ni personne ne peut vous sauver désormais hormis nous. Voilà plus de deux siècles que mes ancêtres attendent ce moment. Ils avaient eu tort d’essayer de vous convaincre, de vous raisonner, le Québec ne pouvait tomber ni se détruire que par lui-même. Vous voilà au bord du gouffre, le Canada est votre seul allié, peuple canadien français.

–Et on se souviendra de moi comme de celui qui aura anéanti le Québec, sa culture et sa langue. On me réservera un sort bien pis qu’à Trudeau ou qu’à Duplessis. Quoi qu’il arrive je suis un homme mort. –Cela sera temporaire, lorsque l’assimilation sera complète, honorant ainsi le souhait de mes ancêtres, la propagande politique aura raison de l’Histoire réelle. On réécrira le passé et comment le premier ministre Charest aura sauvé le Québec de sa plus profonde crise économique et sociale. Le passé ça se réécrit Jean, ce n’est jamais objectif, car l’Histoire appartient toujours aux vainqueurs. Tu seras le héros qui aura permis la suprématie canadienne dans un monde où la décadence écologique est déjà entamée. Les États du Nord deviendront la nouvelle Arabie Saoudite. Or, on peut vivre sans pétrole, mais pas sans eau. Le premier ministre se tut un moment, l’accent hautain,

tranchant et britannique de son interlocuteur le terrorisait à présent. Il se ressaisit quelque peu, rassemblant les quelques miettes de courage qui subsistaient encore en lui. –Ne craignez-vous donc pas les révoltes, les émeutes? –Quelles révoltes? Votre peuple est paresseux, passif, confortablement installé devant son téléviseur. Vos seules marques de passion et de militantisme sont vouées à votre club de hockey. Encrés dans leur quotidien si plaisant, ils ne se révolteront pas et attendront nos directives au téléjournal de 18 heures. Jean ne répliqua pas. Leur entretien et leur collaboration, par la même occasion, venaient de prendre fin. Cameron Durham tourna les talons et disparut aussi étrangement qu’il était venu. Le premier ministre resta longtemps seul, une fois de plus absorbé par le spectacle de la ville ancestrale qui illuminait maintenant l’obscurité. x

Illustration: Alice Des

x le délit · le mardi 4 octobre 2011 · delitfrancais.com


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