le délit le seul journal francophone de l’Université McGill
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Le mardi 25 octobre 2011 | Volume 101 Numéro 7
Petite nouille molle depuis 1977
Volume 101 Numéro 7
Éditorial
le délit
Le seul journal francophone de l’Université McGill
rec@delitfrancais.com
Un problème de performance Anabel Cossette Civitella Le Délit
L
e parti libéral s’est entre autres penché sur l’éducation lors de son congrès, la fin de semaine dernière. Et s’il y a une proposition qui a fait couler de l’encre (après le retour de Jean Charest sur sa décision d’organiser une commission d’enquête publique pour le scandale au ministère des Transports), celle au sujet des réformes des commissions scolaires doit être celle-là. Soyons clairs: il y a de très bonnes intentions derrière la volonté de réformer le système scolaire qui date de Paul GérinLajoie. En fait, la Fédération des commissions scolaires du Québec (FCSQ) admet que des actions doivent être prises, et c’est pourquoi depuis un an il y a concertation pour développer des mesures d’amélioration. Le gouvernement libéral n’est donc pas révolutionnaire dans sa démarche, mais va plutôt dans le sens de ce qui a déjà été entrepris. Pour continuer dans la même veine, disons simplement que les trois angles d’attaque de la FCSQ seront d’alléger la bureaucratie et de redorer l’image des commissions scolaires, tout en donnant plus d’autonomie aux écoles. Là où le bât blesse Le Parti libéral propose aussi une réforme dans sa distribution des subventions. La proposition 23 commençait bien mal au tout début du congrès. On pouvait y lire que les étudiants devraient faire des examens ministériels annuels (plutôt qu’en 4e et 5e secondaire uniquement).
2 Éditorial
D’après ces résultats, le ministère serait en mesure d’établir une «comparaison de la performance des écoles […] après pondération des facteurs socioéconomiques» pour ensuite «récompenser les écoles les plus performantes dans l’octroi des budgets». C’est cette dernière proposition qui a déclenché un flot de vociférations (justifiées) de la part de la FCSQ, de l’ADIGECS (Association des directeurs généraux des commissions scolaires), d’enseignants de tous horizons et de d’autres fervents protecteurs de l’école publique ouverte à tous mais surtout égalitairement subventionnée. En effet, cette proposition était douteuse. Par qui les écoles publiques non performantes seraient-elles subventionnées, si ce n’est pas par le gouvernement? «Par McDonald» chuchote-t-on entre les lignes. Il est vrai que les écoles de décrocheurs fournissent probablement une bonne proportion de la main d’œuvre de McDo… Mais rassurons-nous Ce que propose finalement le parti Libéral n’a à peu près rien à voir avec les lignes crues présentées plus haut. Comme de raison, le congrès a servi a atténuer, sinon travestir, les propositions initiales pour en faire quelque chose de plus politically correct. Après tergiversations, la proposition «de récompenser les écoles les plus performantes dans l’octroi des budgets par l’attribution de prix ou de certificats» a finalement été remplacé par «d’octroyer les budgets nécessaires pour la mise en œuvre de ces plans d’intervention», une phrase qui ne veut plus rien dire.
À la fin du congrès, ils ne présentaient rien de bien concret et parlaient plutôt de donner des prix aux écoles méritantes, une pratique qui n’a rien de bien différent des prix excellence décernés aux meilleurs étudiants, comme les Prix de la gouverneure générale ou du lieutenant-gouverneur. Après tout ce blablatage, la proposition 23 a été refusée. Par contre, de tout ça, il faut retenir que les libéraux ont presque fait passer une idée absolument contre toutes les notions d’équité des chances et d’ouverture apprises dès le plus jeune âge. Ils ont aussi fait appel à une notion taboue dans les rangs Québécois: la performance. Brrr. Juste à y penser, le poil se dresse sur la nuque. En fait, notre problème avec la performance vient de sa définition elle-même. Car si l’on considère que la performance ne réfère qu’aux notes aux examens ministériels, alors là, non, ça ne fonctionne pas. Par contre, si l’on pense à la performance en terme de l’implication dans la communauté par exemple, il y a là une mesure qui pourrait avoir du sens. Des élèves de 6e année de l’école Notre-Dame, une école primaire de Saint-Jérôme lançaient hier leur programmation radio: au programme, la Grande Pétition des Écoles pour obtenir la nationalisation de l’eau. Ce type de performance, est-ce que le gouvernement libéral l’encourage? Notre problème avec la performance c’est qu’elle est trop souvent associée à ce qui se mesure avec des chiffres. Alors que ce qui fait la réussite d’une école, ce n’est pas les élèves avec des notes gonflées, mais ceux fiers de leurs accomplissements. x
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xle délit · le mardi 25 octobre 2011 · delitfrancais.com
Actualités
CAMPUS
L’université s’attaque aux étudiants qui soutiennent MUNACA
actualites@delitfrancais.com
Une procédure disciplinaire vient d’être enclenchée à l’encontre de deux élus étudiants. Anthony Lecossois Le Délit Le 14 octobre, Joël Pedneault, vice-président aux affaires externes de l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM), et Micha Stettin, représentant des étudiants de la Faculté des Arts auprès de l’AÉUM, ont reçu une lettre les informant de la procédure disciplinaire que l’université engageait à leur encontre «suite aux événements du 11 octobre». Ce jour là, le Mob Squad (Mobilization squad) organisait un de ses sit-ins à la Y-intersection en soutien aux grévistes de MUNACA. Le Mob Squad, groupe d’étudiants militants, s’est fait entendre sur divers fronts, dont beaucoup s’inscrivent en rupture nette avec l’administration: droits des employés de McGill, augmentation
des frais de scolarité, fermeture du Arch Café, etc. Il leur est reproché d’avoir enfreint les articles 5.a et 6 du code de conduite de l’étudiant. L’article 5.a sanctionne quiconque ferait «sciemment obstruction aux activités universitaires.» Tandis que l’article 6 traite de «l’entrée et [de la] présence sans autorisation sur le campus». André Costopoulos, adjoint au doyen de la Faculté des Arts, est en charge de la procédure. Le rapport de sécurité, que les deux étudiants ont pu consulter, mentionne la participation calme d’étudiants au sit-in. Toujours selon les deux étudiants, il y est fait mention d’obstruction à la circulation des véhicules. Les deux étudiants soulignent que le rapport est entaché d’erreurs factuelles. «D’abord il n’y a
pas eu obstruction à la circulation, un véhicule a dû attendre entre trente secondes et une minute pour passer. Ensuite Joël n’était même pas là.» Plusieurs témoins ont confirmé la présence du Vice-Président de l’AÉUM à une réunion de l’exécutif de l’association alors que le sit-in se déroulait. Les deux étudiants disent s’attendre à l’abandon des poursuites d’un dossier qui semble mal ficelé. Joël Pedneault n’est pas surpris que l’université s’en prenne aux individus qui soutiennent MUNACA. «Mais là, ils sont juste royalement en train de se tirer dans le pied.» Micha Stettin renchérit: «C’est inacceptable mais je dois dire que je ne suis pas surpris qu’une administration autoritariste utilise des méthodes autoritaristes.»
Crédit photo: Victor Tangermann
Les deux leaders ont demandé à ce que les procédures soient traitées conjointement, mais un troisième étudiant est mentionné dans le dossier. «Son nom avait été masqué dans le rapport et personne ne nous a contacté. On ne
DÉCOUVREZ
Université d’Ottawa
Les études supérieures à l’Université d’Ottawa L’Université d’Ottawa à l’Université McGill Visitez-nous à la Foire des études supérieures et professionnelles 2011 – volet sciences, le 2 novembre 2011 au Centre universitaire, salle Shatner.
www.decouvrezuOttawa.ca
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sait pas de qui il s’agit» explique Micha Stettin. Il s’exclame: «C’est clairement une tentative d’intimidation. Ca ne change rien à la manière dont nous soutenons MUNACA. Nous continuerons la lutte.» x
CAMPUS
Une page se tourne La Foire aux livres de McGill tire sa révérence. Samuel Sigere Le Délit
L
a Foire aux livres de McGill, qui s’est tenue du 18 au 20 octobre, vient d’écrire son dernier chapitre. La coordinatrice de la Foire, Victoria Lees, a en effet annoncé l’arrêt des activités. Les bénévoles, pour les plupart des femmes, vieillissent et manquent cruellement de sang neuf pour les aider; l’âge moyen avoisine les 80 ans! «L’organisation de la Foire commence a être trop exigeante», commente madame Lees, ancienne secrétaire générale de l’université. «Il faut parfois décharger des caisses de livres, les apporter jusqu’à la salle Redpath et les empiler en montant sur des escabeaux!» Victoria Lees, qui coordonne la Foire depuis maintenant quatre ans à raison de deux jours de travail par semaine et de longues heures au téléphone et sur Internet, souhaiterait prendre sa retraite. À sa grande déception, personne n’est prêt à reprendre le flambeau et à assumer la charge de travail.
L’organisation de la Foire aux livres commence tôt, à la mijanvier, par une collecte de livres déposés par des professeurs et des particuliers à la salle Redpath ou chez les bénévoles. Les livres sont ensuite triés, d’abord selon leur état, puis par catégorie. Finalement, un prix leur est assigné et ils sont entreposés avant la Foire. Les livres jugés invendables sont donnés à des étudiants ou à des associations caritatives. Ces tâches fondamentales sont devenues, au cours des années, de plus en plus difficiles à accomplir. L’accès automobile réduit sur le campus et la fermeture de la rue McTavish ont particulièrement entravé l’accès à la salle Redpath, où la Foire empiète dorénavant sur les cours d’orgue. Cet imbroglio logistique s’ajoute à la tâche déjà ardue de recruter des bénévoles, puisque, selon Victoria Lees, «il faut à la fois qu’ils comprennent les livres et qu’ils aiment le travail physique». Malgré tout cela, la Foire aux livres, fondée en 1971, fait figure de véritable institution, dont la popularité auprès des étudiants
comme du grand public n’a cessé de grandir. «La queue de mardi était la plus grande que j’ai jamais vue en trois ans» se félicite John Haines, coordonnateur des jeunes bénévoles de la Foire. La couverture médiatique a aussi été plus grande qu’à l’accoutumée, avec la présence notable de la CBC et de La Gazette. Des acheteurs de l’Ontario, de la Nouvelle-Angleterre ou de l’État de New York «reviennent chaque année», comme le raconte Hiroko Inoue, bénévole depuis 31 ans. «À la fin, ils m’appellent par mon prénom; on rit, on discute, des amitiés se forment. Quand je rencontre des clients [de la foire] au supermarché, ils me saluent et me demandent combien on a récolté cette année. Il se souviennent de moi car je suis la seule japonaise» dit-t-elle d’un rire franc et chaleureux, presque nostalgique. «Mes clients vont me manquer» conclut-elle sobrement. L’avenir de la Foire aux livres reste incertain. Une chose est sûre, elle ne reviendra plus dans sa forme actuelle. Mais en quarante ans d’existence, elle a contribué à près de 1,5 millions de dollars au
BRÈVE
MUNACA face à deux injonctions Nicolas Quiazua Le Délit
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epuis vendredi dernier, MUNACA fait face à une deuxième et troisième injonction. L’une d’elles est, une fois de plus, obtenue par l’université et circonscrit certaines actions entreprises par le syndicat qui débute un programme d’actions novatrices, visant à contourner la première injonction, étendue jusqu’en janvier 2012. Les employés de MUNACA n’auront désormais plus le droit de faire une ligne de piquetage de plus de trois personnes, ni à moins de 25 mètres de l’extérieur des résidences des membres de la haute direction. Le piquetage sera aussi limité autour du lieu de travail des membres du Conseil d’Administration ainsi que lors d’événements hors-campus de l’Université McGill.
L’autre injonction, obtenue par le Centre Universitaire de Santé McGill (CUSM), empêche les grévistes de bloquer ou de se rassembler à moins de trois mètres des entrées et sorties du chantier de construction du Campus Glen. Cette troisième injonction survient après qu’une ligne de piquetage a été formée, jeudi dernier, face au chantier de construction du Campus Glen par MUNACA et l’AFPC (Alliance de la Fonction publique du Canada), résultant en la fermeture d’un de plus gros chantiers à Montréal. Selon le porte-parole de l’AFPC, Patrick Leblanc, les travailleurs du chantier –membres de la FTQ construction– n’ont pas franchi les piquets de grève et ont décidé de perdre une journée de salaire, par solidarité envers les grévistes. Ces injonctions d’urgence provisoires seront valables jusqu’au 31 Octobre 2011 à 17 heures. x
Une idée d’article? rec@delitfrancais.com
4 Actualités
Crédit photo: Alice Des
programme de bourses d’études de l’université. L’an dernier seulement, c’est 85 000 dollars qui ont été versés pour une bourse en l’honneur de Jane Barnett Hood, une ancienne coordonnatrice de la Foire. Un montant considérable comparé aux modestes 7 000 dollars des débuts. De plus, l’AÉUM explore la possibilité de voir les étudiants continuer l’aventure, d’une façon ou d’une autre. Shyam Patel, VP Finances,
rencontrera Victoria Lees à cette fin. Selon John Haines, une gestion étudiante est tout à fait réalisable compte tenu du savoir-faire et du leadership des mcgillois. «On a juste besoin d’une bonne gestion à long terme» conclut-il. Seule l’administration de l’université semble ne pas porter d’intérêt au dossier, si l’on en croit l’absence d’un accusé de réception à la lettre annonçant la fin de la Foire aux livres. x
BRÈVE
Chronique politique à la dérive
Alexie Labelle Le Délit
L
e 13 octobre, le Réseau socioprofessionnel en Science politique de l’UQAM organisait un «midi-causerie» sur le thème de la chronique politique et de sa place dans les médias. Au menu, trois invités aussi différents les uns les autres: Philippe Marcoux, Anne Caroline Desplanques et Caroline Brodeur. Premier à prendre la parole, Philippe Marcoux, journaliste à Radio-Canada, a tout de suite précisé l’importance accrue d’avoir des chroniques politiques dans les médias. Son explication? À l’ère des médias sociaux, chacun peut émettre une opinion, alimentant donc un tourbillon d’opinions infini. La chronique permet ainsi de remettre les pendules à l’heure et de bâtir sur le travail des journalistes. Monsieur Marcoux a laissé la place à Anne Caroline Desplanques, rédactrice en chef de ProjetJ.ca, un observatoire indépendant qui étudie le journalisme, dont le parcours fort intéressant (RadioCanada, CIBL, La Presse, Branchezvous) a permis de donner un autre angle sur le sujet. Ses conclusions: bien que la chronique politique soit une nécessité dans le paysage
médiatique, tout chroniqueur doit cultiver sa curiosité tout en ayant une excellente culture générale. De plus, elle a critiqué et mis en garde sur la nouvelle tendance de «publireportage» dans lequel le contenu est commandité par une compagnie. Finalement, Caroline Brodeur, rédactrice en chef d’Union Libre, journal facultaire du Baccalauréat en relations internationales et droit international (BRIDI) à l’UQAM, a souligné la nécessité des chroniques politiques afin de susciter des débats. Elle ajoute que l’Union Libre réserve énormément de place à celles-ci. Le Réseau socioprofessionnel en Science politique de l’UQAM, chapeauté par une coordonnatrice étudiante, se charge de l’organisation d’activités en lien avec la politique en plus d’envoyer un bulletin hebdomadaire sur les offres d’emploi dans le domaine. Depuis deux ans, le réseau organise deux «midi-causeries» par année, ainsi que deux 5 à 7 afin d’explorer divers thèmes, tels que le travail communautaire, le travail dans un parti politique, les maîtrises en sciences politiques, la place de la politique dans la question environnementale, pour ne nommer que ceux-ci. x
x le délit · le mardi 25 octobre 2011 · delitfrancais.com
CAMPUS
Triche qui peut!
Phénomène courant à l’école secondaire, la tricherie est une infraction aux conséquences graves à l’université. Emma Ailinn Hautecoeur Le Délit Connor* a passé une grande partie de son été à défendre son innocence dans une affaire de plagiat. «C’était sur un take-home. On avait l’habitude de s’entraider. Quand est arrivé le moment de l’examen, elle m’a demandé de l’aider à comprendre certains détails. Je n’ai pas eu le temps de la rencontrer pour lui enseigner ce que moi je savais, donc j’ai fait mon travail et je lui ai envoyé. Elle a pris deux réponses sur huit, et elle a juste inversé l’ordre des phrases. Et puis on s’est fait prendre à deux» raconte-t-il. Tricherie ou plagiat Outre les innombrables cas de plagiat, les types de tricherie à l’université sont très variés. Le copiage est enrayé par des mesures comme l’alternance de copies à ordre différent dans les examens à choix multiple, ou la tenue de deux examens en même temps dans une même salle afin d’espacer les élèves. Le Code de conduite de l’étudiant prévoit également des sanctions pour la réutilisation d’un travail dans des classes différentes. Jagtaran Singh, président du service de représentation étudiante, qui offre des services de conseillers aux étudiants accusés d’infractions diverses, explique que «quand un étudiant soumet un même travail pour un deuxième cours, il n’a pas mis d’effort la deuxième fois et c’est comme s’il obtenait des crédits gratuitement». D’autres formes de triches incluent l’emploi mot-à-mot de notes d’une personne qui a précédemment pris le même cours, ainsi que la falsification d’une note de médecin afin de justifier une absence ou un retard. Singh note que la plupart des cas qu’il a rencontrés ont pour cause l’ignorance de ces règles. Connor croit «que c’est de la foutaise. Quand on est à McGill, on sait très bien ce que c’est que du plagiat». Ailleurs, les étudiants semblent être tout aussi conscients de leurs méfaits même lorsqu’ils ne sont pas pris sur le fait. Benoît*, diplômé de l’université Laval, avait làbas soumis plusieurs fois le même texte littéraire pour plusieurs cours sans jamais se faire prendre. Il y a quelques années on distribuait des copies du Green Book, contenant le Code de conduite, aux étudiants durant la session d’orientation. Maintenant tout se fait par le biais d’internet sur mcgill.ca/integrity. Singh ajoute que l’«université admet qu’il en revient à l’étudiant de s’informer». En 2003, le Sénat avait adopté une motion pour inclure l’avertissement qui apparaît mainte-
nant sur tous les plans de cours, stipulant que «les étudiants doivent comprendre la signification et les conséquences de la tricherie, du plagiat et des autres infractions académiques». Comme l’annonce le McGill Reporter du 13 février 2003, «le Sénateur Morton Mendelson avait insisté sur la nécessité de cette mesure étant donné qu’une étude démontrait que 80% des étudiants de premier cycle ont triché sous une forme ou une autre durant leurs études.» Le Code de conduite, qui avait été accepté par le Sénat en mai 81, n’a pas été changé depuis, et selon la Doyenne à la vie étudiante Jane Everett, aucun cas de tricherie n’est tombé à l’extérieur des circonstances prévues par le Code depuis sa création.
Malgré les discussions entre le docteur Costopoulos et le bureau des examens à propos des substitutions d’identité, Jocelyne Younan, Surveillante en chef pour les examens finaux, affirme qu’«il y aurait possibilité de vérifier systématiquement l’identité des étudiants par scanner», une méthode qui ne sera pas réalisable pour décembre. Discipline André Costopoulos a préféré ne pas discuter de la façon dont on a découvert le manège de l’étudiante qui s’est fait passer pour une autre, fort probablement car le processus disciplinaire est en cours. Les allégations de triche sont généralement soumises par les professeurs, les TA ou les sur-
de travaux communautaires, le placer en sursis de conduite, ou même aller jusqu’à la suspension ou l’exclusion. Madame Everett laisse entendre que l’exclusion est rare dans le cas d’une infraction d’ordre académique. La réprimande est cependant plus coûteuse que l’admonestation car elle donne lieu à l’établissement d’un dossier disciplinaire. L’étudiant en garde la marque tout au long de sa scolarité, si ce n’est plus tard. Certains programmes professionnels requièrent la vérification du dossier disciplinaire et fondent leurs admissions en partie sur cette information. À qui la faute? Quand il s’agit d’une note de médecin forgée, ou simplement altérée pour changer la date,
Illustration: Alice Des
Substitution identitaire André Costopoulos, responsable disciplinaire (DO) de la Faculté des Arts explique que les cas de tricherie dans sa faculté sont rares. Toutefois, un cas de substitution d’identité a été découvert lors d’un examen l’année dernière. Selon lui, «avant que la feuille d’inscription [à l’examen] circule entre les tables, l’étudiante aurait eu le temps de faire assez de l’examen pour se rendre compte qu’elle ne réussirait pas. Elle a mis un faux nom sur la feuille et a présenté une fausse pièce d’identité». Le système de vérification de l’identité des étudiants lors des examens se fait par la carte d’identité de l’université et la signature, ce qui permet de corroborer l’identité d’un étudiant s’il y a doute. Il reste qu’un étudiant aux caractéristiques physiques similaires à un autre, pourrait passer l’examen à sa place, avec sa carte et signature en main.
x le délit · le mardi 25 octobre 2011 · delitfrancais.com
veillants d’examens. Fait plus rare, un étudiant peut dénoncer les méfaits d’un autre. Une fois que l’allégation est entre les mains du responsable de la discipline, personne, excepté l’étudiant et son conseiller (s’il en réclame un), n’est mis au courant de la suite des événements. C’est une source de frustration pour certains. Ross Stitt, qui est surveillant d’examen à McGill depuis 1994, voudrait savoir, «D’habitude, je demande ce qui leur arrive, mais je ne reçois qu’une réponse vague. Je sais juste que l’un d’entre eux a été renvoyé, c’est tout.» Les professeurs ne sont pas en droit de sévir eux-mêmes contre leurs étudiants. Il en revient au DO, durant l’entretien disciplinaire, d’établir si l’étudiant est en faute et de décider s’il sera exonéré, admonesté ou réprimandé. Si l’étudiant est réprimandé ou admonesté, le DO peut décider de le faire échouer à l’examen, l’obliger à accomplir jusqu’à 10 heures
André Costopoulos raconte qu’il «n’a qu’à composer le numéro de la clinique et demander de consulter le dossier de l’étudiant en question» pour se rendre compte de la faute. Les tricheurs sont très rarement faussement accusés. Cependant, pour la tricherie dans les examens faits à la maison, il est difficile d’identifier qui est responsable de l’infraction. Connor savait exactement comment construire sa défense. Ses parents sont avocats. «Ils m’ont fait envoyer les échanges d’e-mails et les différentes versions de mon travail. Moi, je savais que tout ce que j’avais à faire c’était de dire la vérité. L’article qui qualifie ce qui te rend coupable ou exonéré est tout petit.» Tout se jouait sur la preuve que Connor n’avait pas consenti à ce que son amie copie littéralement ses réponses. L’attente jusqu’à l’entrevue disciplinaire était longue et le stress grandis-
sant. «Une fois devant le docteur Costopoulos, je voyais qu’il s’était déjà fait une idée de moi et c’était précisément cette idée là que je voulais qu’il se fasse.» Bien que chaque cas ait une conséquence spécifique prévue par le Code, la sévérité de la punition reste à la discrétion du DO. Il peut même aller jusqu’à exonérer un étudiant fautif lors de circonstances atténuantes. Jane Everett dit que les DO sont souvent plus sévères envers les étudiants de troisième ou quatrième année, de qui on attend une meilleure compréhension des exigences d’intégrité. Connor a été très surpris d’apprendre, par le biais d’amis communs, que l’étudiante qui avait copié ses notes a elle aussi été exonérée. Pourtant, la défense de Connor était fondée sur la preuve qu’il n’avait pas consenti à ce qu’elle copie les réponses aux questions qu’il lui avait envoyées. «Je pense qu’elle a dit que j’avais pris moi-même des phrases telles quelles des PowerPoint du prof. Elle a du démontrer que sa phrase ressemblait trop à celle du slide, et la mienne aussi pour qu’on puisse dire qu’elle avait copié sur moi» témoigne-t-il. Pourtant, seulement les réponses aux deux premières questions (celles que Connor avait envoyées) étaient semblables. Dis-moi qui! La confidentialité est sacrosainte au sein de l’administration et des conseillers des services de représentation étudiante. Il y va de la réputation de l’étudiant, mais aussi de l’institution, qui tire son prestige de la représentation de son corps étudiant dans les grandes universités américaines et les grandes écoles européennes. Pourtant, en 17 ans de travail en tant que surveillant d’examens, Ross Stitt dit «n’avoir jamais reçu de consigne précise là-dessus». Il se demande comment les nouveaux surveillants savent comment reconnaître les tricheurs. Lui les repère de loin grâce à leur langage corporel: «quand ils rentrent ensemble côte à côte, je les sépare automatiquement dans la salle. Ça se voit tout de suite,» dit-il. Il y a bien des rencontres d’une heure pour les surveillants auxquelles il dit ne jamais aller, et selon lui la moitié des nouveaux n’y vont pas non plus. Madame Younan assure que les «nouveaux surveillants reçoivent une formation obligatoire pour savoir comment gérer les exceptions», dont les tricheurs font partie. x
*Seuls les noms des deux étudiants cités ont été changés.
Actualités
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POLITIQUE INTERNATIONALE
Amis du pouvoir
Manifestation en soutien au dictateur syrien à Montréal Emma Ailinn Hautecoeur et Anthony Lecossois Le Délit
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amedi 22 octobre, 200 personnes s’étaient rassemblées aux abords de l’avenue du Parc au monument à George-Étienne Cartier. Une pancarte résume leur message: «Nous faisons confiance à Bachar el-Assad». Drapeaux syriens, musique assourdissante, klaxons sonnants, les manifestants se font entendre. Abbou Kaplo nous est présenté comme la personne à qui parler. «Nous sommes ici pour montrer que des Syriens en Syrie mais aussi à travers le monde soutiennent el-Assad. Les médias n’en parlent jamais, ou, lorsqu’ils en parlent, ils vous mettent quelqu’un de l’opposition qui dit que les partisans du régime sont payés. Regardez autour de vous, est-ce que vous pensez que ces gens sont payés?» Quand on l’interroge sur les récits de répression des manifestants, il plaide : «Si vous me demandez s’il y a eu des erreurs de faites, je dirais c’est possible, mais dans un climat de guérilla urbaine, des erreurs sont commises. Demandez aux américains.» Pour ce qui est de la tor-
ture, il estime qu’il n’y aucune preuve. «Ce ne sont que des suppositions. Où sont les preuves?» Il y a deux semaines l’ONU publiait de nouvelles estimations du nombre de victimes: plus de 3000 en six mois. A l’opposé de l’échiquier politique syrio-canadien, le Collectif pour la Syrie à Montréal organise depuis cet été des événements pour dénoncer le nonrespect des droits de l’Homme et soutenir les revendications à la liberté. Fares Rifai, de l’association syrienne de l’Université Concordia est aussi membre du Collectif. Il va participer à la manifestation du samedi 29 octobre. «Nous ne sommes pas pour Bachar el-Assad” revendique-til. Il ne parle cependant pas au nom de l’Association syrienne de Concordia, un regroupement culturel et non politique. Les divisions de la diaspora semblent refléter celles du pays. Fares, comme Abbou, est en contact direct avec sa famille. «J’ai parlé à mes amis et ma famille en Syrie. Les gens ne peuvent pas prononcer le mot «Liberté» sans avoir peur de se faire violenter.» Pour lui, bien que ce soit le régime qui joue la carte sectaire, cela peut expliquer une partie de son soutien à l’extérieur du pays. «Beaucoup de syrio-ca-
nadiens profitent toujours du régime ici. C’est les connections, elles peuvent rendre la vie plus facile pour eux, s’ils retournent là-bas» dit-il. «Je ne vous donnerai pas de pourcentages, mais ce qui est sûr c’est qu’il est impossible de compter les gens qui sont contre le régime, car ils ne peuvent pas se manifester. J’ai des amis qui sont en prison en ce moment.» D’où l’importance, même s’il reflète une certaine impuissance, du soulèvement de la diaspora dans les pays où les libertés individuelles sont protégées. Le parti pris des médias occidentaux, s’il est véridique, semble inévitable étant donné que depuis le début du mois d’octobre les journalistes ne peuvent entrer en syrie. Selon Fares, seuls les journalises pro-régime font des reportages sur place et seuls les vidéos des locaux alimentent les agences de presse internationales. «Si le régime n’avait rien à cacher, ils n’empêcheraient pas les gens de filmer. S’ils vous attrapent en train de filmer, ils vous jettent en prison.» Ils étaient 200 à 21 heures à Montréal pour soutenir un président qui refuse de partir. À Homs, un centre industriel et économique en Syrie, chaque soir, des petits groupes se
Crédit photo: David Vilder
rassemblent pour minimiser la répression violente contre les
manifestants et demandent, désespérés, la mort du président. x
CHRONIQUE
Occupons Montréal avec un grain d’optimisme Alexie Labelle | Au-delà du présent
«Un mouvement non violent, inclusif et bilingue», tel est décrit le mouvement Occupons Montréal qui s’est installé le 15 octobre au Square Victoria. Inspiré du mouvement de protestation Occupy Wall Street, la beauté de ce mouvement maintenant planétaire réside en sa capacité à unir les
6 Actualités
citoyens de tous horizons politiques dans un but commun: reprendre le contrôle de l’économie et réformer la politique afin que les 99% qui ne font pas partie de la classe supérieure puissent eux aussi bénéficier du système. Bref, il ne s’agit pas ici de créer l’anarchie ou de faire tomber le gouvernement. Est-ce que ce rassemblement pourrait être le premier remède à la dichotomie québécoise? Bien que je ne souhaite pas m’attarder une autre semaine sur cette dichotomie, je vois ici une porte de sortie face au cynisme entretenu autour de la politique québécoise. La solution ne serait donc pas de réformer les partis politiques mais bien de ramener le citoyen au centre des débats et au centre des idées. Au départ, j’étais plutôt sceptique quant à l’enthousias-
me général suscité par Occupons Montréal, ayant comme impression que rien n’allait changer, le mouvement n’étant rien de plus qu’une autre «manifestation». Or, j’ai maintenant l’espoir que les protestations pourront avoir un réel impact sur la politique québécoise, même si elles n’arrivent pas à percer les murs de l’Assemblée Nationale ou de la mairie de Montréal. Au-delà d’Occupy Wall Street, Occupons Montréal est d’autant plus pertinent considérant le paysage politique québécois actuel, dont la saga entourant la crise dans le domaine de la construction. En fait, la décision de Jean Charest d’opter pour une commission d’enquête privée plutôt que publique illustre le besoin crucial de «démocratiser le Québec» en évitant qu’il s’enfonce de plus en plus dans ce nid de corruption et de collusion.
Cela dit, je ne prône pas les idéaux illusoires, ni les proclamations anarchiques populistes. Toutefois, outre la nature d’Occupons Montréal je crois sincèrement que c’est le début d’une vague de changement au Québec qui doit d’abord et avant tout s’implanter dans la conscience de la population. Et Occupons Montréal est une première étape vers cette conscientisation de masse qui doit frapper le Québec tôt ou tard, considérant les élections provinciales qui approchent à grands pas. Contrairement à mon collègue Jean-François Trudelle, qui cultive haut et fort le cynisme, je ne crois pas qu’en jugeant les indignés on puisse se faire une idée quant à la nécessité d’un rassemblement de cet envergure. Pas besoin d’être sans logement, sans travail, sans nourriture pour comprendre les divisions économiques de notre société. Et
qu’en est-il de la classe moyenne? Cette classe qui s’appauvrit pendant que la classe supérieure s’enrichit. Pour reprendre les propos d’Agnès Gruda dans La Presse du 18 octobre dernier, les protestataires s’indignent contre une «démocratie pervertie qui empêche les politiciens les plus réformateurs d’implanter leurs réformes, parce qu’ils sont otages des grandes sociétés qui les financent». Somme toute, le Québec a besoin de changement. Montréal a besoin de changement. Si les politiciens sont incapables d’apporter ce changement, pourquoi se limiter ainsi? Si la politique, supposée être la voix du peuple, ne reflète pas les besoins de la population, pourquoi nager dans le cynisme? Occupons Montréal n’est pas qu’une seule voix; c’est la voix du peuple. À vous d’en décider ainsi. x
x le délit · le mardi 25 octobre 2011 · delitfrancais.com
CONFÉRENCE
Réseau et révolution
Le 10e anniversaire de la Responsabilité de protéger donne l’occasion de se demander quels sont les défis associés aux drames humanitaires et le rôle clé qu’ont les médias. Polina Khomenko Le Délit
L
a réaction des pays occidentaux face au «printemps arabe» a remis sur le devant de la scène une résolution historique des Nations Unies, la Responsabilité de protéger (R2P), qui célèbre son dixième anniversaire cette année. Ayant pour but de protéger les populations des crimes contre l’humanité (génocides, crimes de guerre, etc.), le R2P est considéré comme un concept clé dans les relations diplomatiques mondiales, et particulièrement dans toute situation incluant des violences ou autres atteintes aux droits de l’Homme. Mais de la théorie à la pratique, qu’en est-il vraiment? Parallèlement, le rôle informatif des médias, aussi bien traditionnels que sociaux, est lui aussi un facteur essentiel pour justifier l’intervention dans les zones de conflit, et la prévention de violences. C’est dans ce cadre que s’est tenu, le 20 et 21 octobre, le colloque «Les médias, une voie prometteuse pour mettre fin aux atrocités de masse», organisé par l’Institut d’études sur le génocide de l’Université Concordia. Incluant un panel varié d’intervenants, dont des politiciens et des journalistes, ce forum a suscité un vif débat autour du rôle des médias «dans la sensibilisation du public et des dirigeants politiques aux cas de
violations graves des droits de la personne». «From Streets to Tweets»: le pouvoir des médias sociaux Ce n’est que très récemment que le rôle social de Twitter et Facebook a commencé à être pris au sérieux. «Une de mes plus grandes difficultés depuis 2005 a été de convaincre le public européen et nord-américain que quelque chose de très intéressant était en train de se passer sur Internet dans le MoyenOrient», raconte Mona Eltahawy, journaliste au Toronto Star et au Jerusalem Report, en illustrant ses propos par des exemples de personnes envoyant des tweets en direct lors d’arrestations ou de détentions injustifiées. «Les réseaux sociaux ont permis à ceux qui étaient auparavant sans voix de défier les autorités, et de réaliser d’un coup qu’ils n’étaient pas les seuls et que leur voix comptait» ajoute-t-elle. Néanmoins, les révolutions arabes ne sont pas des révolutions Twitter ou Facebook comme beaucoup le clament: c’est bien le peuple qui reste la force motrice du démantèlement de leur régime. Ce que ces plateformes sociales ont créé, en revanche, est une place de premier rang pour tous ceux qui se trouvent en dehors du MoyenOrient, leur conférant le rôle et la responsabilité de témoin dans la prévention d’abus. «Dans cha-
que statut Facebook d’activistes égyptiens qu’on peut lire, la question implicite est bien: «Et vous, que feriez-vous si vous étiez à ma place?» affirme Mona Eltahawy. Cela nous incite par la même occasion à repenser notre propre rôle en tant que citoyen au sein de nos sociétés. Nous préoccupons-nous assez des questions politiques de notre pays? R2P en 2011: le cas de la Libye, de la Syrie et du Soudan Dans une seconde discussion portant sur le rôle de R2P, Jonathan Hutson, représentant d’une ONG, a longuement parlé de Satellite Sentinel, un projet fascinant auquel participe également l’acteur George Clooney, et qui utilise des photos prises par des satellites pour prouver que des atrocités ont été commises ou vont l’être, dans la région du Sud Soudan en particulier. Grâce à ces images, des pourvoyeurs de crimes violents peuvent finir à la Cour Pénale Internationale. En évoquant la création de ce projet ambitieux, Hutson déclare: «Si vous voulez changer le monde, ne vous posez jamais la question «qu’est ce que je peux faire?», mais toujours «qu’est-ce qui doit être fait?» et ensuite faites-le, même si cela paraît impossible». Gordon Smith, de l’université de Victoria, a quant à lui abordé la question libyenne,
soulignant notamment le manque de logique pour expliquer l’intervention occidentale en Libye et non en Syrie. Il n’y a, d’après lui «aucun indice mathématique pour mesurer la volonté politique». C’est là que le rôle informatif des médias prend toute son importance. En effet, d’après le docteur Smith, c’est lorsque Kadhafi a commencé à employer des mots violents tels que «rats» et «sang dans les rues» qu’il s’est mis dans une situation où la non-intervention n’était tout simplement plus possible. En Syrie, au contraire, Bachar el-Assad se fait très discret, communiquant rarement sur sa position et ses actes. Quant au rôle de R2P dans l’intervention libyenne, les pa-
nélistes émettent globalement quelques doutes. Le R2P est-il une simple proposition morale, ou existe-t-il réellement une application pratique? En effet, beaucoup de pays comme le Brésil, l’Inde ou encore l’Afrique du Sud, bien qu’adhérant à R2P en principe, restent encore très mal à l’aise face aux questions de souveraineté nationale notamment. La Russie et la Chine sont de ceux-là aussi. Ainsi, l’application systématique de R2P est encore loin d’être une réalité. Mais il demeure néanmoins essentiel d’extraire ce principe du domaine de la théorie, et d’y voir bien plus qu’une force morale. C’est de cela que dépendront les relations internationales de demain. x
Roméo Dallaire était présent pour la clôture de la conférence. Crédit photo: Alice Des
CHRONIQUE
Aux armes candidats!
Bernard D’Arche | Politique française
À vos marques, prêts, partez! Dimanche le 16 octobre, le coup d’envoi pour la présidentielle a été donné lorsque François Hollande a été nominé candidat par le Parti Socialiste (PS) pour tenter de remporter
l’élection, ce qui n’a pas eu lieu depuis 1988. Le candidat socialiste va devoir s’atteler à plusieurs tâches difficiles. La plus complexe d’entre elles est sans doute d’unifier l’électorat français. Pour François Hollande, cela signifie réconcilier la gauche conservatrice, la gauche libérale et, plus problématiquement, le centre. Sans cependant se contredire, il devra se montrer rusé et jouer avec les mots afin de satisfaire cette vaste audience. Les Français verront-ils la création d’un Front Populaire version XXIe siècle, ou seront-ils témoins de l’effondrement définitif du Parti Socialiste en France? Si le PS se voit à nouveau au poste de l’opposition à la suite du scrutin du 6 mai 2012, sa date de
x le délit · le mardi 25 octobre 2011 · delitfrancais.com
péremption sera peut-être venue. La victoire de François Hollande se jouera sur cette gymnastique politique. La principale raison qui explique l’échec de Ségolène Royal aux élections présidentielles de 2007 est la division du PS d’alors. Madame Royale fut isolée de sa propre famille politique lorsque l’élite socialiste arrêta de la soutenir. François Hollande ne semble avoir compris cette leçon que partiellement. Bien qu’il se positionne comme étant le rassembleur, certaines de ses idées contredisent les plus anciens. En 2000, Laurent Fabius, haute personnalité socialiste et ancien ministre des Finances, avait allégé la taxation sur les bonus, stock-options et dividendes. Pour quelles
raisons François Hollande souhaite-t-il défaire le travail d’un de ses proches alliés politiques? Ce manque de cohérence au sein du parti fut la cause principale de nombre des défaites socialistes; pourquoi commettre les mêmes erreurs? Le PS manque d’originalité… La gauche est souvent caricaturée comme idéaliste. Bien que cette image soit vivement contestée, son existence prouve un fond de vérité. «La vie est belle»: tel devrait être le slogan de campagne du PS. Est-il possible de vivre plus longtemps et de travailler moins? Comment l’État est-il censé honorer ses dettes tout en payant la retraite des baby-boomers alors que sa recette fiscale n’augmente pas?
Revenir sur la loi des retraites, passée l’an dernier, serait catastrophique pour la survie financière de l’État. François Hollande doit réaliser que le retour à la retraite à soixante ans est utopique, qu’une telle promesse serait mensongère. À toutes ces difficultés, il faudra ajouter un Nicolas Sarkozy qui, malgré son impopularité, est un «rassembleur talentueux et naturel» selon Le Figaro et par conséquent un adversaire à ne pas sous-estimer. Par ailleurs, François Hollande va devoir convaincre grand nombre de ses concitoyens que le système actuel n’est pas périmé mais seulement fébrile. Cela sera nécessaire si l’on veut compter les votes des sympathisants des extrêmes. x
Actualités
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Société societe@delitfrancais.com
L’Ouest rencontre l’Est Hong Kong: La plus occidentale des villes orientales sous la loupe d’un étudiant en échange dans la ville aux mille parfums Crédit photo: Benoît Gautier
Benoît Gautier Le Délit
O
n a souvent du mal à décrire, à chaud, une expérience. On se perd dans nos impressions, nos sentiments; on peine à prendre suffisamment de recul. Pourtant, à propos de Hong Kong, que l’on aime ou pas, un mot ressort sans cesse pour la qualifier: Grandiose! N’est-ce pas trop? Certainement pas. Dès l’atterrissage, il suffit de jeter un œil à travers le hublot pour constater. À flanc de montagne et à l’orée de forêts se dresse une véritable jungle urbaine. Montréalais, je me croyais habitué à la ville. Hong Kong n’a rien à voir! De colossales tours, toutes plus illuminées et hautes les unes que les autres, s’élèvent le long de la côte. Imaginez plus de sept millions d’habitants sur un minuscule morceau de littoral, la concentration urbaine atteignant les 30 000 personnes par km2 en moyenne [la densité est d’environ 25 000 habitants par km2 à Manhattan, NDLR]. De jour comme de nuit, un flot extraordinaire de personnes dévale les rues des différents quartiers. C’est alors que la dimension internationale de Hong Kong prend tout son sens. Le cantonais, l’anglais, l’hindi, le mandarin et l’espagnol envahissent vos oreilles. Le monde entier se donne rendez-vous ici, à Hong Kong, microcosme mondial. Hong Kong se définit elle-même comme étant la métropole where East meets West. Je m’aperçois tous les jours davantage combien cela est vrai. Il suffit de se promener dans les rues de l’île centrale et de Kowloon pour apprécier cet intense mélange des cultures. Colonie anglaise entre 1842 et 1997, Central, le cœur économique de Hong Kong, reste très occidental. Entre ces immenses buildings toujours plus modernes et abritant aujourd’hui le siège des plus grandes compagnies, certains vestiges de l’ère britannique demeurent encore. En effet, il y a toujours ces fameux trams impériaux sillonnant les quelques bâtiments restants de l’administration coloniale ainsi que les pubs, chers aux 20 000 Britanniques vivant sur l’île. Il y règne une atmosphère que l’on retrouve souvent dans les différentes grandes villes d’Europe et d’Amérique
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du Nord. Cependant, Hong Kong n’est pas comme les autres. Située sur la côte sud de la Chine, elle se «ré-orientalise» tous les jours un peu plus. C’est en cela que le «Port aux Parfums» est unique. Il suffit de se rendre à Kowloon pour comprendre. En effet, sur l’autre rive, un autre monde s’offre à nous. Kowloon, partie continentale et chinoise de Hong Kong est l’une des aires les plus densément peuplées au monde. C’est l’antithèse parfaite de Central. Ici, on se perd avec bonheur dans cette foule sans fin qui nous entraîne le long des marchés de rue et autres petits restaurants de Mong Kok et de Temple Street. À chaque carrefour, on découvre de nouvelles odeurs, des produits jamais vus auparavant. Les fruits, les poissons, les grigris sont alors
x le délit · le mardi 25 octobre 2011 · delitfrancais.com
étalés fièrement devant nous. Tout paraît si différent. On reste volontiers des heures entières à contempler ces choses si simples qui pourtant soudainement nous fascinent. On se prend alors à vouloir tout essayer, tout goûter, comme des enfants. Même si les gens parlent moins bien anglais que sur l’île, on se sent plus proches d’eux lorsqu’on doit imaginer les signes pour communiquer. On rit, on négocie, on s’étonne. C’est ce Kowloon authentique qui rend Hong Kong si spéciale. Mille et une merveilles Un véritable sentiment d’infini nous envahit lorsqu’on arrive ici. C’est aussi ça Hong Kong. En tant qu’étudiant en échange, on ne sait même plus où donner de la
tête. Il y a tellement à faire! Cette ville regorge d’attractions et d’événements, cachés ou non du grand public. Même le guide Lonely Planet ne pourrait tout répertorier. La première semaine, comme tout le monde, on fonce tête baissée vers ce qu’on croit être l’essentiel de Hong Kong. On fait alors le tour de Central en bateau, puis on se rend sur l’île de Lantau pour voir le big Buddha, la deuxième plus grande statue de Bouddha au monde. On enchaîne ensuite avec le pic de Victoria qui surplombe l’île et offre une vue panoramique unique sur l’ensemble de Hong Kong. Difficile alors de ne pas être bouche bée. Cependant, ce n’est que le début. C’est une ville où l’on doit marcher, se promener de rue en rue, de quartier en quartier afin de pouvoir pleinement l’appré-
Crédit photo: Benoît Gautier
cier. Si les touristes sont souvent pris par le temps et doivent faire des sacrifices, j’ai le luxe de pouvoir en profiter pendant tout un semestre. Chaque quartier a ses propres événements qui forgent leur identité. On les découvre peu à peu, suivant les directions de ses amis locaux, toujours enthousiastes lorsqu’il s’agit de guider. Il y en a pour tous les goûts, tous les budgets. Il y a par exemple un événement absolument incontournable pour tous: les courses de chevaux du mercredi soir, à Causeway Bay. Pour moins de deux dollars, vous assistez à un véritable spectacle pour les sens. Dans cette immense enceinte, tout le monde se retrouve pour parier, dîner, boire et rire ensemble. Chaque course devient la course de votre vie. Vous n’avez foi plus qu’en votre cheval alors que la clameur des tribunes envahit vos oreilles. Dans un autre registre, les passionnés de nature et de marche peuvent quant à eux partir en randonnée aux alentours de la ville et accéder à de magnifiques plages désertes comme celle de Tai Long Wan. Tous ces grands moments défilent au rythme des festivals et autres célébrations, choses auxquelles les Chinois restent très attachés. Il y a toujours un air de fête à ces moments-là. Par exemple, lors du festival de la mi-automne, d’immenses lanternes illuminent le ciel alors que les dragons de toutes les couleurs traversent la ville de bout en bout. Tout le monde jubile. C’est cet ensemble qui fait une ville extraordinaire et pleine de surprises. Un paradis pour étudiant N’y allons pas par quatre chemins, Hong Kong est l’endroit idéal pour les étudiants qui cherchent à profiter pleinement de leurs années d’université. Tout d’abord, par son héritage historique et son emplacement géographique, c’est un bonheur pour tout amateur de cuisine. La diversité culinaire offerte est extraordinaire; les cuisines du monde entier se côtoient ici pour satisfaire tous les appétits. La nourriture sud-asiatique est évidemment à l’honneur. Pour sortir, Hong Kong est considérée comme l’une des plus belles scènes d’Asie, que cela soit pour les concerts ou les clubs. Il y en a pour tous les goûts et tous les budgets. Enfin, sa multitude de bars de toutes nationalités en fait un excellent repère pour les étrangers.
Sur la même Elgin Street, les bars anglais, espagnols, canadiens, japonais et français se font face, ce qui crée, en pleine coupe du monde de rugby par exemple, une ambiance très festive. Mais par-dessus de tout ce cela, ce sont toutes les perspectives de voyage qui font rêver les étudiants. La porte d’entrée de l’Extrême-Orient Il ne m’a fallu que quelques jours pour mesurer toutes les opportunités de voyage qu’offre Hong Kong. Pékin, Thaïlande, Tokyo, Malaisie, Shanghai, tant de noms qui défilent et qui vous ont fait rêver. Hong Kong vous l’offre sur un plateau. Tous les jours, à n’importe quelle heure de la journée, vous voyez des étudiants en échange, sac au dos et sourire aux lèvres, prêts pour le départ. Certains, comme Éric, étudiant québécois à HEC Montréal, profitent pleinement de l’occasion et vont de pays en pays en faisant, parfois, un détour par l’université si cela est vraiment nécessaire. Si ces voyages ont un prix, il existe mile et une manières de le faire baisser au minimum. C’est devenu un jeu entre les étudiants en échange, quitte à faire 24 heures de train jusqu’à Pékin ou dormir sous la tente dans un port de pêche. Cela en vaut tellement le coup. Ces possibilités de découvrir de nouvelles cultures, de nouveaux paysages et d’aller à la rencontre des différentes populations sont une source d’enrichissement personnel sans fin. Grâce à un positionnement géographique idéal, c’est ce que Hong Kong nous offre, pour notre plus grand bonheur. The place to be? Tout au long de cet article, j’ai dressé un portrait élogieux de Hong Kong en essayant de mettre ses atouts en avant. Pour beaucoup d’entre nous, les étudiants en échange, après seulement sept semaines, une si bonne impression de cette ville commence à déteindre sur notre avenir. Finalement, pourquoi ne pas rester et vivre ici? Il y a tellement d’avantages, pourquoi ne pas s’y établir? Certains étudiants, comme Alex de Brisbane, ont déjà décidé de prolonger leur échange à l’université. Partout dans le monde, on ne cesse de nous dire, à nous étudiants, que le XXIe siècle se joue en Asie. Hong Kong pourrait être alors une parfaite destination… x
Crédit photo: Benoît Gautier
Crédit photo: David Iliff
Société
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CHRONIQUE
Au menu, cette année
Sofia El Mouderrib | Science ça!
L’Américain Bruce Butler et le Luxembourgeois Jules Hoffman menaient leurs recherches sur l’immunité innée et ses mécanismes de déclenchement alors que feu le professeur Ralph M. Steinman, décédé d’un cancer du pancréas 3 jours avant la remise du prix, a découvert l’existence ainsi que le rôle des cellules dendritiques dans l’immunité acquise.
Cette année, trois lauréats se sont partagé le prix Nobel de médecine pour leurs découvertes majeures dans le domaine de l’immunologie.
L’homme Ralph Marvin Steinman est né en 1943 à Montréal et a obtenu son baccalauréat en sciences ici même, à l’Université McGill. Par la suite, il a fait sa médecine à Harvard, puis son Ph.D en sciences à Rockefeller où il a poursuivi sa carrière en immunologie. Pour
tous les étudiants en sciences, les grands chercheurs tels que le docteur Steinman sont de véritables inspirations. Ils nous permettent de réaliser qu’au sein de McGill, nous marchons sur les traces d’hommes qui auront grandement contribué à l’amélioration de la condition humaine et ce, dans bien des domaines. La découverte Les cellules dendritiques, dont il a découvert l’existence, ont un rôle déterminant dans l’immunité adaptative. Lorsqu’un organisme entre dans notre corps (l’infecte), un mécanisme primitif entre en jeu. Des cellules macrophages se localisent au niveau de la plaie et phagocy-
tent (mangent) les microorganismes en les gobant, puis en les digérant à l’aide de plusieurs enzymes. Par ce processus, les macrophages s’oxydent et meurent, tels de dévoués kamikazes. Durant cette étape primaire, des signaux chimiques sont libérés dans le sang et appellent à l’aide. Le sauveur: la cellule dendritique (CD) qui, une fois sur place, constate si des envahisseurs sont encore présents. Si tel est le cas, la cellule dendritique phagocyte un des microbes, le digère, puis expose un morceau protéique de l’étranger à sa surface. En fait, les milliers de CD se taillent une part du gâteau et retournent au foyer, dans les ganglions, où elles présentent leur offrande aux lym-
phocytes qui, eux, joueront un rôle spécifique dans la production des anticorps et des cellules cytotoxiques. D’ailleurs, les cellules dendritiques s’appellent ainsi, car elles ont de nombreux bras (dendrites) qui leur permettent de se loger dans les ganglions de façon à atteindre plus facilement les lymphocytes. Hommage à l’homme Il est à noter que le docteur Phil Gold, imminent spécialiste en immunologie, récipiendaire d’un lauréat du Canadian Medical Hall of Fame, professeur à McGill et ami du docteur Steinman, a dédié ses cours de Physiologie du 3 au 12 octobre 2011 au regretté prix Nobel. x
Un sujet vous passionne? RÉSERVEZ LES PAGES CENTRALES! societe@delitfrancais.com BILLET
Un spectre hante le Square Victoria Occupons Montréal prend l’allure d’une grève de masse. Jusqu’où le mouvement ira-t-il? Miruna Tarcau Le Délit
B
eaucoup relèveront deux caractéristiques frappantes du mouvement de protestation «occupez votre ville». Avant tout, l’absence d’unité des revendications demeure un point que l’on reproche à la masse de manifestants, de laquelle certains souhaiteraient voir se développer un mouvement plus concret, avec des revendications précises et réalistes. Ensuite, il faut également noter que la vague d’occupation internationale est le résultat spontané d’individus de différents milieux, groupes d’âge et classes sociales que rien ne semble réunir si ce n’est une profonde indignation contre les dérives du système financier transatlantique, tout particulièrement depuis la crise des subprimes de 2007. Tout d’abord, remarquons ici que la première caractéristique de ce phénomène s’explique par la seconde: dans un contexte où les
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manifestants répondent davantage à une certaine impulsion dégagée par un moment historique qu’à une idéologie commune, il est tout naturel que leurs slogans véhiculent une large gamme d’idées empruntées aux médias, à divers organismes de luttes contre l’injustice sociale, ou tout simplement aux nouvelles idéologies en vogue au XXIe siècle, comme l’environnementalisme. On ne peut donc pas s’attendre à ce qu’un groupe aussi hétérogène produise spontanément des revendications précises. Mais il reste malgré tout à savoir ce qui peut expliquer la mobilisation à l’échelle du globe de tous ces protestataires. Le 14 octobre, Stephen Harper a tenu à signaler quant à lui que «la situation économique canadienne est différente de celle des États-Unis», voulant impliquer par là que le mouvement Occupy Wall Street aurait une spécificité purement américaine n’ayant pas grand-chose à reprocher au système financier cana-
dien qui, selon lui, «s’en est bien tiré durant la récession économique mondiale». On ne peut cependant pas rendre compte de ces rassemblements selon une logique strictement individualiste, qui reviendrait à chercher des motivations personnelles à tous les manifestants, lesquels n’auraient pas réussi à gagner au jeu du système «capitaliste» qu’ils dénoncent. Que peuvent bien gagner un professeur du système public ou une étudiante au secondaire à camper illégalement au milieu d’un square public en automne, si ce n’est, au mieux, un rhume, et au pire, une foule de risques allant de l’emprisonnement à des blessures graves, dans le cas où cette manifestation perdrait son aspect pacifique? Doit-on regarder la taille du portefeuille et la marque de jeans des manifestants pour déterminer s’ils ont ou non le droit de «s’indigner», à l’image des Indignados espagnols? Ne devrait-on pas plutôt y voir le signe d’un principe général qui se mani-
feste ponctuellement dans l’Histoire, à des moments où les conditions sociales et économiques ne sont plus tolérables –soit celui de la fin d’une époque? Quoiqu’il en soit, le nouveau look de la Reine Victoria reflète au moins une chose: les gens en ont assez de l’impérialisme financier de la City de Londres et de Wall Street, et pas seulement à Montréal. À ce titre, ce qu’écrivait Rosa Luxembourg il y a plus d’un siècle à propos de la première révolution russe de 1905 résonne curieusement avec le phénomène actuel d’occupation d’espaces publics: «la grève de masse n’est ni «fabriquée» artificiellement ni «décidée», ou «propagée», dans un éther immatériel et abstrait, mais elle est un phénomène historique résultant à un certain moment d’une situation sociale à partir d’une nécessité historique». Cette nécessité, aujourd’hui, est celle de recommencer à planifier notre avenir économique à long terme, au lieu de miser sur
la régulation d’une main invisible qui, à défaut de gouverner les marchés, pousse peut-être les gens à manifester pour une économie plus saine. C’est pourquoi, malgré le nombre relativement limité de participants à la manifestation au square Victoria depuis le 15 octobre, il n’est pas incongru d’associer ce mouvement à une «grève de masse» internationale dont les premiers signes remontent au printemps arabe, pour se propager ensuite à travers l’Europe, les États-Unis, et aujourd’hui, le Canada. Peut-on espérer que cette série de désobéissances civiles aboutisse réellement à une révolution sur les plans politique et socio-économique? Seul le temps nous le dira. De toutes façons, il semblerait que la pancarte qui a été accrochée sur la statue de la reine Victoria reflète bien l’essence de ces mouvements d’occupation, dans la mesure où ils constituent autant de manifestations du «Zeitgeist» actuel –autrement dit, de l’«esprit de notre époque». x
x le délit · le mardi 25 octobre 2011 · delitfrancais.com
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«Being Francophone, a documentary» Le 2 novembre à 17h. Retrouvez l’évènement sur Facebook.
DANSE
Ballet de granit
Arts&Culture artsculture@delitfrancais.com
Les Grands ballets présentent l’histoire d’amour tourmentée de Camille Claudel et Auguste Rodin. Anabel Cossette Civitella Le Délit
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onter un ballet sur les amours tempétueuses du célèbre couple de sculpteurs était audacieux et bien pensé. À l’origine de In Tandem, Dzambuling, Souvenirs de Bach et fondateur de sa propre compagnie de danse, Peter Quanz est aussi celui qui a composé le ballet Rodin/ Claudel, un coup de génie qui exhibe le plein potentiel de ce talent émergent. Le premier acte s’ouvre sur un amoncellement de chair couleur marbre. La vingtaine de corps formant une véritable pâte à modeler humaine met l’histoire en branle. Ils roulent, glissent, se décomposent au gré de l’inspiration des artistes et amènent ce qui va suivre: un ballet qui n’a rien de classique. D’ailleurs, les corps désarticulés qui se meuvent comme un bloc de glaise sont présents tout au long du ballet, prenant la forme des sculptures des deux artistes. Cette idée est l’une des plus brillantes de la chorégraphie. Auguste Rodin, le sculpteur derrière Le Penseur, et Camille Claudel, la femme derrière ce grand homme, se rencontrent en 1883 à Paris. Camille a alors 19 ans, Auguste en a 43. Leur relation commence dans l’atelier de Rodin où Claudel y est apprentie et modèle, faute de pouvoir étudier à l’École des BeauxArts qui n’accepte pas les femmes. Le début de leur passion amoureuse est un moment extrêmement fort. Le célèbre poème symphonique de Debussy Prélude à l’après-midi d’un faune accompagne la scène d’amour, presque érotique, et la campe dans son époque impressionniste. Sensuel, le
Crédit photo: John Hall
couple entre en communion charnelle, et le spectateur ne peut s’empêcher de se sentir voyeur d’une beauté trop intime. Amants, les deux sculpteurs s’influencent dans leur art. L’impétueuse et avant-gardiste l’élève surpasse même son maître, sans toutefois réussir à se faire reconnaître à sa juste valeur par les critiques de l’époque. Dans le premier acte, Claudel manque malheureusement de mordant. La prétention de Rodin est marquée, alors que les pas de deux avec Claudel lui donnent l’avantage. La femme reste soumise, ne rendant pas justice à ce que devait réellement être la flamboyante sculptrice. D’ailleurs, Claudel se met plusieurs fois à ge-
noux, les bras tendus, comme sa célèbre sculpture L’Implorante. La couleur des costumes de Claudel est toutefois bien choisie: elle gradue l’intensité de son caractère qui se déploie finalement au deuxième acte. D’un rose saumon pâle à son entrée à l’atelier Rodin, puis d’un orangé plus vif, et finalement d’un rouge éclatant à la scène finale, ses robes habillent l’évolution de son caractère. Si Graziella Lorriaux et Edi Billoshmi interprètent respectivement Claudel et Rodin avec talent, certains personnages plaisent moins. Jérémy Galdeano, le soliste qui joue Paul, le frère de Camille, manque de grâce, entravé par son complet veston mauve.
Malgré la cohésion presque parfaite des amants, les corps de ballet manquent d’ensemble durant de brefs moments. D’autres scènes manquent de clarté; un médecin prétentieux qui se déhanche de manière loufoque en est un exemple. Est-ce une erreur ou une volonté de déstabiliser? Le ridicule de certains moments est toutefois tellement fugace qu’on en oublie rapidement les tenants. Même Camille Claudel, qui n’est pas la femme exubérante que l’on voudrait voir, se défoule néanmoins dans les moments où elle est soliste, lorsqu’elle s’oppose à la maîtresse officielle de Rodin ou lorsqu’elle s’oppose aux critiques de ses œuvres. À ce point, finies les pointes, Camille Claudel fait une entrée fracassante au milieu d’une foule guindée, saute, tape du pied et oublie toute contenance, échevelée et le visage transformé. Si les Grands Ballets nous avaient habitués au genre classique, cet épisode montre qu’il est possible de sortir des sentiers battus, et nous prépare à un final fracassant et émouvant. Après son accès de folie, la sculptrice est internée dans un asile. Elle y passera les trente dernières années de sa vie dans un délire et un oubli complet. Le ballet narratif en deux actes Rodin/Claudel met en scène avec brio les deux amants qui se sont entredéchirés. La beauté de leur communion charnelle, la puissance de leur dissension et le pathétisme de la jeune artiste entraînent le spectateur dans une représentation émotionnelle qui épate tous les sens, et bouleverse tous les cœurs. x Rodin/Claudel Où: Grands Ballets Canadiens 4816 rue Rivard Quand: 13 au 29 oct. 2011
ARTS VISUELS
Les spots du centre-ville expliqués
Le Musée d’art contemporain présente la Triennale québécoise 2011, une exposition vivante et dynamique. Thomas Simmonneau Le Délit
S
ans aucun doute, quatre millions de Montréalais auront remarqué le mélimélo de faisceaux lumineux provenant de la place des Festivals qui donne du charme à la grisaille d’Octobre. Intersection articulée est l’œuvre de Rafael Lozano-Hemmer et fait partie de La Triennale québécoise, évènement grandiose organisé par le Musée d’art contemporain. Moins visible, mais tout aussi intéressante, la Triennale présente l’exposition «Le travail qui nous attend» jusqu’au 3 janvier. Cette exposition est le fruit du travail de cinq conservateurs de musée: Marie Fraser, Mark Lanctôt, Lesley Johnstone, François LeTourneux et Louise Simard. Leur expertise a permis de mettre en place une exposition qui rime avec vitalité, nouveauté et curiosité. L’étrange bar, par exemple, formé à partir d’un bateau construit en 1952 et placé à l’entrée du musée intrigue et aspire à une certaine convivialité. Dean Baldwin cherche en effet à jouer le rôle de l’hôte grâce à Ship in the Bottle, notamment à travers la vente d’une certaine quantité de vin, gin, whisky et autres alcools en tous genres.
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Arts & Culture
Le deuxième étage est un véritable labyrinthe d’œuvres incongrues et ingénieuses qui laissent pantois ses observateurs. On y trouve des courts-métrages qui explorent le thème du travail mais aussi des sculptures, collages, peintures et bien d’autres encore. Le jeune artiste québécois Mathieu Latulippe propose, quant à lui, diverses maquettes qui ont la particularité de cacher des façades et des passages secrets. L’artiste joue sur le fait qu’il y a au moins deux façons de voir toute chose dans la vie et qu’il y a toujours plusieurs
niveaux d’interprétation. Plus concrètement, ce qui paraît être une belle tombe blanche à l’entrée de la salle dédiée à Mathieu Latulippe révèle en fait la maquette d’un monument pharaonique. Mais c’est surtout le travail d’environ cinquante artistes venant d’horizons très différents qui a permis de rendre cet étage éblouissant. On pourrait supposer que la plupart des productions sont issues de mouvements tels que le modernisme ou le constructivisme, mais la véritable identité de chacune d’entre elles réside dans leur origi-
Marie-Andrée Cormier, Paysage humain 1, 2011. Crédit photo: Richard-Max Tremblay
nalité, leur fraicheur, et dans les questions que celles-ci soulèvent. Le sous-sol du musée abrite une pratique artistique pour le moins dynamique et entraînante: «Le live». Les performances diverses et variées qui y prennent place créent un lien direct avec le public et souligne la relation qui existe entre la musique et les arts visuels. À ne pas rater: la prestation de Tim Hecker (le 9 novembre à 19h30), un artiste et compositeur qui a développé un style qualifié de «cathedral electronic music». Pour ajouter à l’originalité, l’artiste joue généralement dans le noir le plus complet, ce qui permet aux spectateurs de découvrir une musique omniprésente et envoûtante. La Triennale québécoise n’a donc pas chômé depuis l’édition de 2008. Elle laisse une question en suspens qui ne doit pas faire peur mais plutôt encourager à innover, créer, construire et embellir. Sachant que chaque décision prise aujourd’hui est décisive pour le futur, quel est le travail qui nous attend? x La Triennale québécoise 2011 Où: Musée d’art contemporain 185 Ste-Catherine Ouest Quand: 7 oct. 2011 au 3 jan. 2012
x le délit · le mardi 25 octobre 2011 · delitfrancais.com
ENTREVUE
Mauves: la nouvelle pop québécoise
À la veille du lancement de l’album Cinéma Plymouth, Le Délit présente Mauves, un groupe qui livre toute l’énergie de la pop des années 60 et de la chanson québécoise. Le Délit: Racontez-moi l’histoire de Mauves. Alex: Le groupe s’est formé durant l’été 2008. Je faisais de la musique avec JeanChristophe, le batteur. Puis Julien s’est greffé à nous après un spectacle un peu trash où on a cassé un orgue… On brasse les instruments à tous les spectacles, sauf qu’habituellement, ça ne casse pas! Ce soir-là, on avait eu un contrat pour un spectacle. Entre-temps, notre bassiste est parti, alors Jean-Christophe et moi allions faire un duo guitare-batterie… jusqu’à ce qu’on trouve un orgue dans la rue qui pourrait palier au manque de qualité de notre musique. Sauf que pendant le spectacle, Alexandre a balancé sa guitare dedans… Jean-Christophe: Je cruisais déjà la blonde de Julien à l’époque, mais c’est après ce spectacle qu’il a voulu faire de la musique avec nous. Il voulait faire quelque chose de moins trash et d’un peu plus amoureux. Julien: Il faut dire qu’on se connaissait déjà: on est tous des gars de Limoilou, on a joué au soccer ensemble, Alexandre est le frère de Cédric... LD: Comment décririez-vous le son de Mauves? Julien: Mauves est vraiment né lorsqu’on a découvert l’album Jaune de Jean-Pierre Ferland. Au départ, on composait bilingue et on jouait du rock plus brut. Après Jaune, on a commencé à écouter les vieux vinyles de nos parents, et on s’est rendu compte qu’il y avait des compositions géniales dans la musique québécoise. Alors c’est devenu un défi stimulant d’éprouver l’écriture francophone sur notre musique à sonorité anglosaxonne. Alex: On s’inspire de l’approche des Beatles, qui étaient vraiment libres lorsqu’ils composaient. À part les constantes harmonies vocales de Lennon-McCartney, le reste changeait tout le temps. C’est ce qu’on veut faire: pousser nos idées à fond, sans poser de barrière à notre imagination. La pop est le
style idéal pour cela: elle enveloppe le jazzy, le rock, et même le metal; la palette est variée. Jean-Christophe: Fondamentalement, on n’est pas des musiciens: on a appris à jouer en composant. Au début, nos chansons sont nues, elles n’ont qu’une mélodie; c’est elle qui dicte le nombre et la tonalité des vers. On a donc un rapport particulier avec la chanson: la musique est la base de l’écriture.
d’artistes comme Radiohead et Patrick Watson. Notre influence vient plutôt de la vieille pop britannique et américaine: les Zombies, les Kings, les Monkeys et autres groupes obscurs. Le rétro n’est pas très présent au Québec, et c’est là que Mauves embarque.
Couverture de l’album Cinéma Plymouth. Gracieuseté de Julien Déry.
LD: Lorsqu’on écoute Cinéma Plymouth, on entend presque les fantômes de John Lennon et de Brian Wilson. Comment votre musique innove-t-elle par rapport au son des années 60 et par rapport à la musique d’aujourd’hui? Alex: Je pense qu’on ne révolutionne rien. Ce style qu’on essaie de saisir, la belle époque des Beatles et des Beach Boys, n’a duré que quelques années. Tout ce que cette «pop libre» promettait s’est terminé avec l’apparition de nouveaux styles comme le hard rock et le folk rock. Notre idée n’est pas révolutionnaire, mais n’a pas été assez poussée. LD: Quel espace musical comptez-vous remplir sur la scène québécoise actuelle? Julien: Dans la pop québécoise, l’influence musicale dominante vient
LD: Pourquoi avez-vous choisi le nom Mauves? Alex: C’est en référence à l’album Jaune. On voulait un nom d’un seul mot et qui évoquait quelque chose de fort. Julien: C’est un hasard que la mauve [la fleur, NDLR] guérisse les maux de gorges, ça n’a pas de rapport avec les harmonies vocales. La couleur mauve reflète la pop, c’est pétillant, c’est vivant. LD: Quels sont vos projets dans un avenir proche? Julien: On va préparer un prochain disque, c’est sûr, mais on va le faire différemment. Cinéma Plymouth a été enregistré sur trois ans. Le style a eu le temps d’évoluer, et on avait peur que l’album sonne comme une
compilation. Au final, on a réussit à créer un tout par l’ordre des chansons et par la thématique de l’album, mais pour le prochain disque, on va s’enfermer en studio pendant deux semaines, en jouant de huit à huit, pour toujours être dans le bain. LD: Si je vous comprends bien, vous croyez à l’élan artistique? Alex: Oui, plutôt. Quand on commence à composer, il y a un enivrement, il faut terminer la chanson à tout prix, et il n’y a rien de pire que de quitter le studio en plein milieu. J-C: Mais il ne faut pas non plus croire au mythe du dieu qui descend pour nous donner la toune sur un plateau d’argent. On travaille nos suites d’accords, nos harmonies vocales, nos mélodies, et une fois que tout cela est placé, alors on peut se laisser aller dans l’exploration de sonorités diverses. LD: Tirerez-vous une leçon de l’histoire de Misteur Valaire pour pouvoir vivre de votre musique? Alex: Misteur Valaire, c’est un spectacle énorme où le disque n’est que la carte de visite. Ils vivent des revenus de leurs shows. Nous, on est des tripeux de studios, on aime gosser sur nos compositions, mais ce n’est pas ca qui est payant. La réalité d’aujourd’hui, c’est qu’il vaut mieux faire deux semaines d’enregistrement foireuses avec huit mois de tournée. On vise un compromis entre les deux. LD: Que se passe-t-il avec Mauves dans les prochaines semaines? Cédric: D’abord, on lance notre album le 25 octobre au Quai des brumes, à Montréal. Après le lancement, on fera quelques shows à Québec. Ce qu’on voudrait vraiment, c’est de faire des grosses premières parties, comme celles de Malajube, de Karkwa, de Jimmy Hunt, ou même de Robert Charlebois. x Propos recueillis par Raphaël D. Ferland.
MUSIQUE
Attention: metal lourd et cuivré
Falstaf propose du metal francophone fidèle au registre metalcore et qui plaira aux amateurs du genre. Gabriel Toupin Le Délit
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u «brass metal», voilà ce que nous suggèrent les membres du groupe montréalais Falstaf. Accompagné d’un joueur de trombone, surnommé affectueusement le «tueur à gages», le groupe nous propose leur premier album, Bastard sons of a pure breed, une tentative d’innovation dans un genre musical déjà saturé de sous-genres. La combinaison heavy metal et instruments cuivres n’est pas une première sur la scène musicale (pensons notamment au Diablo Swing Orchestra), mais Falstaf ne prend pas une tournure avantgardiste extrême comme certains de ses contemporains. C’est plutôt auprès des amateurs de la scène metalcore locale que le groupe tente de se faire connaître, ayant d’ailleurs déjà tourné avec des groupes tels que Blind Witness ou Arsenic 33. C’est donc piqué par la curiosité que je suis allé assister au lancement de leur
album, celui-ci ayant eu lieu samedi dernier au Café Chaos. Le groupe avait fait suivre une copie virtuelle de l’album au préalable, ce qui m’a permis de me donner une idée de la dégustation auditive qui m’était promise. Pour la première partie de la soirée, c’est le groupe neometal Kintra qui était chargé de la mission de réchauffer la salle, ce qui a été fait avec succès. J’ai d’ailleurs été très rapidement séduit par les textes profonds et réfléchis (malheureusement mal entendus en raison de la nature musicale du groupe), qui, contrairement à bien d’autres groupes locaux, avaient le mérite d’être en français. C’est vers 10 heures 45 que le plat de résistance a fait son apparition sur scène. Alors que le groupe entame une pièce introductive, le fameux tromboniste, habillé en complet et couvert d’une cagoule pour l’occasion, fait une entrée solennelle à travers la foule. S’en est suivi un flot incessant de musique brutale, merveilleusement accompagné par leur compatriote insolite, mais au combien
x le délit · le mardi 25 octobre 2011 · delitfrancais.com
juste avec son instrument. Une performance bien de chez nous, avec des musiciens chaleureux et bons vivants. L’ensemble du son de Falstaff n’est pas doté d’une originalité totale, surtout compte tenu de ce que la scène metalcore nous offre présentement. Malgré tout, sans redéfinir le genre, Falstaf livre un opus bien rendu, avec quelques pièces vraiment intéressantes. Des chansons telles que «My demons» ont donné grande satisfaction à mes oreilles. Un trombone aux airs des bons vieux groupes punk/ska mélangés à un métal lourd et énergique m’ont donné foi en la capacité de Falstaf de créer un certain renouveau dans un style de musique qui s’essouffle. En ce qui concerne la version CD de l’œuvre du groupe, légère déception: le son si particulier du trombone est bien timoré comparé à la belle prestation à laquelle j’ai assisté, ternissant par la même occasion le plaisir d’écouter l’album. Falstaf est un groupe talentueux, mais qui pour le moment passera probablement inaperçu, faute de sonner un
Gracieuseté d’Asher Media
peu générique à côté des autres groupes du genre. Falstaf n’est pas à négliger pour autant, et saura plaire aux amateurs de Blind Witness et autres groupes metalcore locaux. Je crois qu’un potentiel certain sommeille encore, et qu’un futur opus avec un trombone plus présent pourrait nous donner un résultat plus intéressant, comme ce fut le cas avec «My demons». x
Arts & Culture
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THÉÂTRE
De la violence sur scène
Dans Chaque jour la plume de Fanny Britt révèle la violence qu’un couple s’inflige pour combler l’ennui.
Mai Anh Tran-Ho Le Délit
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crit en 2008-2009, Chaque jour dresse le portrait tragicomique de Lucie (Anne Élisabeth Bossé) et Joe (Vincent Guillaume Otis) qui s’aiment autant qu’ils se méprisent. Le couple s’emprisonne dans une relation abrutissante constituée de chamailles et de parties de fesse qui tournent plus souvent qu’autrement aux poings. Et lorsqu’ils ne passent pas à l’acte, c’est dans leurs mots qu’ils se blessent mutuellement. Fanny Britt explore la violence qui naît de l’ennui et de l’ignorance. Dès les premiers échanges, les réparties du dialogue amoureux illustre avec justesse leur cruauté. Chaque réplique révèle le besoin de dompter et d’aliéner l’autre pour mieux refouler ses propres insécurités. L’auteure puise dans ces affronts quotidiens («T’es ben conne!», «T’es ben épais!») le reflet de leur ignorance dans un monde dicté par la culture populaire et le confort matérialiste. Le texte est léger; on rit. Le propos est lourd; on réfléchit. On pourrait reprocher à Chaque jour ses allures de fable (Joe lévite) et sa caricature des personnages (la fille de club, le macho homophobe, la patronne obnubilée par son image), mais dans ce portrait grossier demeure la force de la réflexion: «Vaut-il mieux se conforter dans une identité médiocre, voire monstrueuse, mais familière, ou jouer le tout pour le tout, sauter dans le vide et risquer l’anéantissement?» Ce jour aurait pu être comme tous les autres, un jour où ils auraient continué à s’injurier, puis à s’embrasser, mais tout dérape; les émotions ressenties par Joe lorsqu’il écoute la musique contenue dans un iPod
volé tranchent avec celles de sa liaison malsaine avec Lucie. La mise en scène de Denis Bernard (Coma Unplugged) crée un huis clos essentiel dans la progression de l’action. La tension est exacerbée par la récurrence obsédante de Lucie qui cogne hystériquement sur les portes d’une scène éclairée uniquement par des éclairs soudains et par l’écran imaginaire d’une télévision. Les scènes se renouvellent dans une boucle temporelle qui expose la décadence fatale du couple et met surtout en valeur l’excellent jeu de la patronne (Marie Tifo) obsédée par l’idée de faire tourner les événements en sa faveur. Une structure précise et réussie. L’élément fort de la représentation est le malaise qu’elle nous transmet, ce frisson de terreur et de pitié que les tragédiens savent transmettre. On se reconnaît même si on ne parle pas comme eux; il émane de la pièce une violence qu’on retrouve tous en soi, refoulée ou non. Lucie et Joe ne connaissent pas les mots pour s’aimer. Ils ne connaissent pas les mots pour exprimer la beauté. Et dans leur bêtise, on ne les méprise pas. Ils nous choquent, nous provoquent, mais on s’attache à eux étrangement. Comme s’ils avaient pu être nous, comme si on avait pu être eux. Denis Bernard, aussi directeur artistique et général du Théâtre La Licorne, voulait inaugurer la nouvelle salle avec un texte québécois. Il n’aurait pu mieux choisir que Chaque jour, signé Fanny Britt, et sa brochette de comédiens. Une pièce à ne pas manquer. x Où: Théâtre La Licorne 4559 av. Papineau, Montréal Quand: jusqu’au 19 nov. 2011 Crédit photo: Suzane O Neill
CHRONIQUE
Langoustines et chaussons aux pommes en Terre de Baffin Luba Markovskaia | Réflexions parasites
La fascination pour le Nord est un trait saillant de la littérature québécoise, et celle pour l’univers des cartes et des explorateurs de l’Arctique transparaît ne serait-ce que dans quelques romans récents: Nikolski de Nicolas Dickner et Du bon usage des étoiles de
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Dominique Fortier. Mélanie Vincelette emprunte dans Polynie, son dernier roman paru aux éditions Robert Laffont, une voie semblable. Cap sur la Terre de Baffin. Comme la route vers le grand Nord, l’entrée dans le roman est cahoteuse et pleine d’embûches –on bute au départ sur quelques maladresses de formulation et de style, mais quelque chose nous retient, nous séduit. Le roman est à la fois intrigue policière, histoire d’amour et récit d’exploration, mais aussi d’introspection, de la part du personnage principal, Ambroise, cuisinier à la mine, qui a perdu son frère Rosaire, et qui est amoureux de Marcelline, une glaciologue farouche et indépendante.
Chacun trouvera sans doute quelque chose pour lui plaire dans Polynie, que ce soient les considérations sociologiques ou politiques sur le Nord, l’intrigue policière, l’histoire d’amour… Pour ma part, ce qui me ravit, ce sont les menus détails, notamment dans la cuisine du personnage principal, qui l’accompagne dans son désœuvrement, et les nuances qu’elle permet d’ajouter au récit. Que ce soient les fins repas que le cuisinier parvient à préparer avec le peu de ressources dont il dispose, les vulgaires chaussons aux pommes industriels qu’il décongèle pour les travailleurs de la mine qui s’entêtent à ne manger que ça, les glaces aux mille parfums que prépare la froide glaciologue
et qui enivrent ses papilles, et même, lorsque survient le sentiment de la vengeance, les centaines de recettes faites à partir de sang, la gastronomie occupe une place à la fois discrète et centrale pour qui veut prendre le temps de déguster ses descriptions. Elle représente sa part de chaleur dans le climat aride du Nord (une «polynie», une zone libre de glace…), sa part d’inventivité dans une région gouvernée par la tradition, sa part de légèreté dans la rudesse de la vie, là-bas. Il y a une véritable poésie dans la manière dont Mélanie Vincelette décrit l’infiniment petit, l’infiniment superficiel, celui toutefois auquel on doit se raccrocher pour survivre face à l’infiniment grand et l’infini-
ment lourd. Pour ma part, c’est cette poésie particulière qui me retient dans l’univers qu’elle crée. Ce que je retiens, enfin, dans ces grands espaces blancs, c’est l’huis clos. L’huis clos qui vous confronte aux autres et qui les rend insupportables. L’huis clos qui exacerbe tous les sentiments et rend fébriles toutes les relations. L’huis clos parfait pour une intrigue meurtrière où tout le monde est suspect. Certains ont dit et diront sans doute de Polynie qu’il s’agit d’une grande escapade exotique. Pour moi qui ai travaillé dans la cuisine d’un semblable huis clos, c’est au contraire un enfermement en fin de compte très réussi au cœur de nos tourments et de nos joies. x
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CINÉMA
Derrière le rideau présidentiel George Clooney, candidat à la présidentielle aux États-Unis
Florent Conti Le Délit
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eorge Clooney nous a habitué à des films politiques et continue à s’aventurer sur les sujets autrefois tabous des dessous du pouvoir. The Ides of March est l’adaptation d’une pièce de théâtre de Beau Willimon écrite en 2008 et qui s’inspirait librement des primaires démocrates de 2004. George Clooney signe la réalisation de ce film politique mais y incarne également l’un des candidats, un homme en apparence très droit, tant dans ses convictions que dans sa vie privée. Toutefois, le film s’attarde plus sur les chefs de campagne des différents prétendants au titre de Commander in chief et la guerre de communication sans merci que se livrent ces derniers. Pas de pitié en politique. Le héros de l’histoire, interprété par Ryan Gosling, est un fringant conseiller de campagne, prêt à tout pour faire gagner son favori, Mike Morris (George Clooney). Il brille dans sa jeune carrière aux côtés de Philip Seymour Hoffman qui joue un directeur de campagne
désabusé mais très à cheval sur ses principes. Evan Rachel Wood, de son côté, adopte le rôle d’une stagiaire au parcours un peu obscur qui devient très vite intimement liée au jeune responsable. Le scénario se moque des apparences de chacun et révèle le cynisme et les vices de chaque protagoniste pour nous donner une image plutôt sombre et alarmante de ces élites qui nous dirigent. Finalement, ce film devient une analyse plus psychologique que politique et se concentre sur de nombreux sujets de société, à outrance parfois, ce qui donne peu de profondeur psychologique aux personnages. En effet, le scénario ne nous surprend qu’à peine et les actions se succèdent de façon trop prévisible, sans laisser le spectateur s’interroger sur les thématiques essentielles que le film ne pénètre qu’en surface. Néanmoins, on peut noter une réalisation très soignée et une transition de la pièce de théâtre au film agréablement réussie tout comme une atmosphère de la vie politique habilement retranscrite. Ryan Gosling, pour
Crédit photo: Alliance Film
sa part, caricature un peu trop son personnage de jeune carriériste utopiste sans lui donner de profondeur et Evan Rachel Wood ne semble pas prête, elle non plus, à se dégager de sa performance souvent trop structurée et sans relief. Le film parvient cependant à se reposer sur la présence du charismatique duo (même s’ils n’ont aucune scène ensemble)
que forment Philip Seymour Hoffman et Paul Giamatti, toujours excellents et qui exploitent efficacement le rôle qu’on leur a attribué. George Clooney nous propose un cinéma très différent des productions de l’époque, même si les morales systématiques des films de l’acteur engagé ne sont pas toujours très pertinentes à la critique de nos contemporains. x
assister à l’enterrement de son ami. Dans cette urgence, il rencontre Avé (Anjela Nedyalkova) 17 ans, une âme libre. Alors que tous deux font du stop pour quitter la ville, une relation fondée sur les mensonges d’Avé éclot. Cette jeune mythomane se sert du mensonge comme appât afin d’attirer les automobilistes charitables. Cette rencontre fortuite amène rapidement les deux personnages dans une spirale d’aventures qui aboutiront parfois à la confrontation plutôt qu’à la tendresse. La tension qui règne entre Kamen et Avé est palpable et génère un amour incertain, brutal et sans lendemain. Le premier plan, gavé d’une luminosité inouïe, est une vue panoramique sur Sofia la capitale, mais la grisaille prend vite le dessus et transpose le spectateur dans l’arrière-pays. Une impression d’étouffement prend d’assaut les personnages. L’environnement dans lequel est tourné le film est représentatif des états d’âmes des deux personnages; les longues routes mènent vers une destination incertaine caractérisée par des paysages glauques. L’odeur d’une mort traumatique isole la thématique de la solitude. Cette solitude est compliquée et
incertaine, mais les protagonistes s’en libèrent par leur soif de transgression et de liberté. Si cette histoire souligne l’aspect éphémère d’une rencontre, le jeu des acteurs est loin de l’être. On retrouve des acteurs au visage grave et assombri par le poids du dégoût. Leurs expressions et leur façon acerbe de communiquer restent gravées dans nos esprits et dynamisent le film. Les corps avancent dans l’incertain, mais ne reculent pas. Kamen et Avé demeurent malgré tout des personnages diamétralement opposés. Kamen est discret et n’aime pas être confronté aux mensonges d’Avé dont le comportement traduit un passé chargé. Konstantin Bojanov s’est inspiré de faits vécus et les a transposés au grand écran. On ressent une écriture personnelle qui relate a contrario des traits psychologiques universels. C’est un regard sur une jeunesse fragmentée qui se sert de la fuite pour se libérer des aléas de l’existence. Hormis les quelques longueurs qui effritent parfois la trame narrative du film, Avé est une expérience cinématographique à ne pas manquer. x
Le cri silencieux d’une jeunesse tourmentée Avec Avé, Konstantin Bojanov fait le portrait fragile d’une jeunesse tourmentée au coeur de l’arrière pays.
Crédit photo: Le Pacte
Sabrina Ait Akil Le Délit
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onstantin Bojanov le dit lui-même, Avé est le fruit d’une réalisation semée d’embûches. Résultat d’un tournage difficile en plein cœur de la Bulgarie, Avé est
un film initiatique qui traite de l’incommensurable incertitude d’une jeunesse qui semble avoir fait un trait sur l’insouciance. C’est l’annonce subite d’un suicide qui devient le fil conducteur de ce long métrage. Kamen (Ovanes Torosyan), un jeune étudiant en arts à Sofia, se voit précipité dans un road trip pour
L’amour impossible Le roman La Ballade de l’impossible d’Haruki Mueakami adapté par Tran Anh Hung Annie Li Le Délit
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u’arrive-t-il lorsque le réalisateur franco-vietnamien de L’Odeur de la papaye verte entre en collision avec le roman universel de l’écrivain japonais Haruki Murakami? On croit rêver; c’est un film au charme irrésistible et envoûtant. Les attentes élevées créées par l’annonce de cette adaptation sont comblées. Bien sûr, beaucoup de passages du roman ont dû être coupés, et des personnages comme Reiko sont relégués à l’arrière-plan, mais reste que l’adaptation est plus que satisfaisante. Comme il l’a lui-même expliqué lors de la période questions-réponses de la projection au Festival du nouveau cinéma, il n’adapte pas l’histoire mais les émotions qu’il a ressenties lors de la lecture du roman.
L’intrigue se déroule à la fin des années 60 au Japon. Le narrateur, Watanabe, qui approche la vingtaine, part à Tokyo après que la tranquilité de son adolescence ait été rompue par le suicide de son meilleur ami Kizuki. Watanabe débute ses études en littérature et retrouve par hasard l’ex-amoureuse de Kizuki, Naoko. L’équilibre mental de celle-ci s’est fragilisé depuis le départ de Kizuki, et ne cesse de se détériorer, au point que le jeune homme doit s’exiler dans une communauté retirée du monde. Les images tournées dans les montagnes sont magnifiques, et les tons de vert et la beauté de la nature soulignent les sentiments amoureux non-réciproques de Watanabe envers Naoko et rappellent l’esthétisme des films précédents de Tran Anh Hung. La scène où le couple marche sans répit à travers les hautes herbes et celle où ils sont assis sous un arbre parmi les gouttes de pluie sont parmi les plus touchantes du film.
xle délit · le mardi 25 octobre 2011 · delitfrancais.com
Les courtes scènes s’enchaînent dans un rythme soutenu, illustrant en images instantanées le quotidien de Watanabe, nous gavant de superbes couleurs et de plans cinématographiques. Arrive ensuite dans la vie de Watanabe sa camarade de classe, l’exubérante Midori, antagoniste de Naoko. C’est elle qui fait rigoler les spectateurs avec ses lubies d’une douce folie et son aplomb. Elle se lie d’abord d’amitié à Watanabe, puis, à force de mieux le connaître, tente d’aller plus loin dans leur relation, se qui laisse Watanabe dans un dilemme difficile. Le film est porté par une bande sonore réussie, réalisée par le guitariste de Radiohead Johnny Greenwood. Les acteurs rendent bien leurs personnages; Ken’ichi Matsuyama (Watanabe) joue bien la carte de la nostalgie et de l’apparent calme malgré les tourments intérieurs. Rinko Kikuchi (Naoko) subit avec détresse les ravages de l’amour perdu. On
Crédit photo: Pretty Pictures
trouve par contre Kiko Muzuhara (Midori) un peu trop souriante et pas assez sûre d’elle par rapport au personnage du roman. Par ailleurs, le spectateur n’ayant pas lu le livre aura peutêtre quelques difficultés à suivre la trame du récit. La grande force du film réside toutefois dans les compositions équilibrées entre photographie d’un esthétisme impeccable (Lee Ping Bin, aussi derrière In the Mood for Love), émotions et grâce du moment présent, entre passé douloureux et futur incertain. x
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GASTRONOMIE
À voir, à boire, l’Assomoir L’Assomoir est un restaurant chaleureux qui dispose d’une carte tout aussi éclectique que sa clientèle. Audrey Champagne Le Délit
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ituée sur la rue Notre-Dame dans le Vieux-Montréal, la façade de l’Assommoir ne laisse présager rien d’extraordinaire; pourtant, on a droit à une agréable surprise. Ce qui frappe tout d’abord c’est la musique qui constitue un des plus grands charmes de l’endroit: on passe de la techno à la musique classique, tout en visitant quelques grands chansonniers français et des groupes émergents. Le décor est sobre mais chaleureux et le personnel est charmant sans être trop accablant; bref, on s’y sent bien! Il est plaisant de bien manger dans une ambiance qui se veut loin d’être affectée et pompeuse. L’Assommoir semble hésiter entre la joyeuse taverne et le petit bistro, mais ce vacillement nous donne un resto hybride qui peut plaire à tout le monde; la clientèle en témoigne, des petits groupes de têtes blanches, des travailleurs venu décompresser ainsi que des étudiants un peu plus fêtards se partagent l’espace avec un naturel désarmant. Quant au menu, les plats à partager sont à l’honneur, on peut y déguster des tapas, des grands plats de gibier pour deux, trois, quatre et même cinq personnes. Pour les papilles
plus classiques on y retrouve notamment de la soupe à l’oignon et un club sandwich (deux recettes légèrement revisitées), et pour les plus téméraires, du foie gras, plusieurs tartares, des céviches et autres surprises. Le chef offre également des spécialités de la semaine, mais lorsqu’on a voulu essayer le dessert vedette, une tarte Tatin aux pommes et au caramel à la fleur de sel, il n’en restait plus: tristesse! Nous avons toutefois pu noyer notre chagrin dans un autre dessert décadent, soit le pouding chômeur arrosé de whisky, une autre spécialité de la maison. Un délice! Il ne faut pas s’attendre à recevoir les plats rapidement (l’attente fut plutôt longue pour un mercredi soir) mais en consolation, en plus de l’excellente musique, l’impressionnante liste de consommations nous fait passer le temps: on peut en commander plus de trois-cents différents sans compter la carte des vins. Au lieu de m’attaquer à ce ô combien captivant répertoire (les lumières sont très très tamisées), j’ai préféré demander au serveur ses suggestions; c’est donc avec un martini tangerine et coriandre en main, que j’ai pu attendre avec délectation l’arrivée de nos plats. Pour les intéressés, l’Assommoir sert vraiment de tout : martinis sucrés, cocktails fruités, mojitos (absolument délicieux),
shooters, jusqu’aux bonnes bières traditionnelles et importées. Celui ou celle qui n’y trouve pas son compte est bien exigeant ! Si vous cherchez un endroit différent pour célébrer Halloween, le restaurant accueillera notamment des magiciens et des cracheurs de feu le soir du 29 octobre. Avec
son menu du soir servi quotidiennement après 21h, l’Assommoir peut rapidement devenir un lieu de prédilection où passer des fins de soirée réussies. Sans nous faire chavirer complètement, l’Assommoir est une expérience culinaire qui vaut certainement le détour. x
Gracieuseté: Groupe Torros Toreador
BANDE DESSINÉE
L’idée de beauté Kerascoët et Hubert visitent le genre du conte de fées avec une bonne dose d’humour noir et d’originalité. Annick Lavogiez Le Délit
I
Gracieuseté: Editions Dupuis
16 Arts & Culture
l était une fois Morue, une jeune fille franchement laide et de surcroît tristement affublée d’une odeur de poisson qui la poursuit partout et attire constamment l’attention sur elle. Quelque peu empotée, pas très futée et immanquablement malheureuse, Morue est bien sûr peu appréciée par ses congénères qui sont, pour la plupart, particulièrement méchants avec elle, pourtant relativement sympathique. Seul Pierre, un jeune garçon roux un peu rond et pas vraiment attirant, apprécie la jeune femme et voit en elle une compagne agréable. Mais Morue, comme toutes les jeunes femmes, ne rêve que du seigneur du royaume sur son beau cheval, un bel homme très loin de lui accorder le moindre regard. Alors qu’elle part dans la forêt chercher du bois, Morue s’attendrit sur un immonde crapaud. Elle verse spontanément des larmes de compassion devant la vilaine créature. Aussitôt, la bête se transforme en une fée reconnaissante qui lui offre de réaliser un vœu. Si la fée ne peut hélas changer le visage de Morue pour le rendre plus beau, elle peut par contre modifier la perception des gens et faire de Morue, «aux yeux des autres, l’idée de beauté faite femme». Dès lors, Morue est poursuivie par tous les mâles des alentours. Morue est désormais haïe par les femmes, terriblement jalouses de l’intérêt que lui portent, sans exception, tous les hommes du royaume. S’en suivent une série de péripéties incongrues pour la jeune demoiselle qui finit par conquérir le sei-
gneur qu’elle convoitait avant de se rendre compte qu’elle pouvait aspirer à bien mieux. Alors que la souillon devenue beauté hésite entre grandeur et décadence, son changement inattendu révèle la cruauté des hommes. Beauté, dessiné par Kerascoët –le duo constitué de Marie Pommepuy et Sébastien Cosset qui nous avaient déjà conquis avec Jolies Ténèbres (Dupuis)–, coloré et scénarisé par Hubert (Les Yeux Verts, avec Zanzim; Bestioles avec Ohm), offre avec humour un drôle de conte tragique qui explore le thème de l’immoralité. Ils mettent en scène une belle panoplie de personnages hauts en couleur, originaux et drôles, peu sympathiques et glorieux, humainement bien trop faillibles face à leurs prédécesseurs des contes de fées traditionnels. Tous les personnages, même Morue, sont attaqués avec justesse par le regard acerbe des auteurs dont on sent la moquerie affectueuse envers les contes traditionnels, tantôt ridiculisés, tantôt caricaturés. Il faut donc une bonne dose d’humour pour apprécier ce conte moderne plutôt rafraîchissant. Au vu du talent des auteurs, on aurait pu cependant s’attendre à davantage de complexité dans les personnages, qui semblent parfois manquer de profondeur narrative. On les aurait aimés plus sombres, mis en scène dans un scénario encore plus diabolique et tordu, peutêtre un peu à l’image de Jolies Ténèbres qui excellait dans le domaine. Quoi qu’il en soit, la qualité des dessins et des couleurs (de beaux aplats) est à souligner, et on ferme le livre en ayant envie de découvrir la suite, une suite encore plus macabre, parodique et humoristique. x
xle délit · le mardi 25 octobre 2011 · delitfrancais.com