le délit
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le seul journal francophone de l’Université McGill
Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill
Copenhague à deux roues > 8-9
Fermeture du département de philo > 3 McGill dit nom > 5 Un film québécois aux Oscars > 17
E L B A H C A T É S I D A R R E F I S E CAH D E S S U A H A É L T I R R U A S L O C DE S
Le mardi 8 novembre 2011 | Volume 101 Numéro 9
Sang chaud depuis 1977
Volume 101 Numéro 9
Éditorial
le délit
Le seul journal francophone de l’Université McGill
rec@delitfrancais.com
Une note trop salée Anabel Cossette Civitella Le Délit Je ne suis pas contre une hausse des frais de scolarité. Je suis contre cette hausse, intempestive, trop élevée, mal expliquée. Je ne suis pas contre une hausse des frais de scolarité. Je suis contre le malfinancement des universités. Je ne suis pas contre une hausse des frais de scolarité. Je suis contre le fait de payer sans savoir à quoi servira mon argent. Parce qu’on dira ce qu’on voudra, l’ultime problème réside en l’incapacité ou l’incompétence du gouvernement à dire où iront les 1625 dollars par étudiant en cinq ans. Les enseignants s’insurgent contre la hausse en s’inquiétant de l’impact de celle-ci sur le nombre d’inscriptions à l’université. De nombreux syndicats se positionnent aussi contre la hausse. La rectrice de l’université de Sherbrooke annonçait fin septembre que «la hausse des frais de scolarité n’était pas la seule solution au sous-financement des universités». Alors quoi, où va notre argent si ce n’est ni pour attirer les meilleurs professeurs, ni pour mieux payer les employés de l’université, ni pour régler le sous-financement des universités? Madame Samoisette, la rectrice qui ose s’opposer à la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (CREPUQ), met le doigt sur le problème: on nous présente une solution qui n’en n’est pas une; ce qu’on nous vend, c’est en fait une manière de mettre fin à l’endettement de toute la province, avec une redistribution aléatoire en éducation.
En plus d’un réinvestissement douteux de notre argent, il y a aussi des contradictions au sein même de l’argumentaire pour la hausse des frais. Un communiqué de la CREPUQ annonçait en grande pompe le 5 octobre que «les établissements universitaires connaissent […] une hausse du nombre total de leurs inscriptions au semestre d’automne». Dans un contexte où les admissions universitaires augmentent, comment peuton dire que le financement diminue? Le problème, c’est la dette du Québec, c’est l’économie qui va mal, et c’est nos priorités qui volent trop bas. Manifestation L’acte de manifester en montant aux barricades ne s’accorde pas à ma vision de la résolution de conflit. Toutefois, la réunion de milliers d’étudiants au nom d’une même cause peut créer beaucoup de bouleversements. Par exemple lors de la grande campagne de 2004-2005, lorsque le gouvernement libéral avait coupé 103 millions de dollars du programme des prêts et bourses, les initiatives étudiantes s’étaient terminés par la remise des 103 millions aux étudiants, comme quoi l’acte de manifester et de faire la grève pourrait faire gagner leur cause aux revendicateurs encore cette année. Ensuite en 2004, après sept semaines de grève, certains étudiants étaient écoeurés de ne pas étudier. Ils se sont donc regroupés pour nettoyer le mont Royal. Ce genre d’action solidaire rappelle que la force du mouvement de groupe et ses impacts positifs peuvent aller au-delà de ce qui avait été prévu. Le Québec n’est pas seul Au Chili en ce moment, et depuis juin dernier, les étudiants sont dans les
rues pour revendiquer une éducation gratuite. En toute solidarité, les étudiants militent et usent de créativité pour contester un système qui ne répond pas à leurs attentes. Un exemple marquant de cohésion est la grande chorégraphie sur une chanson de Michael Jackson le 25 juin. En mémoire du chanteur décédé, et pour attirer l’œil des médias, les milliers d’étudiants dansaient d’un même pas en clamant leur position sur la gratuité scolaire. L’action dans les rues est essentielle à la démocratie au Chili. Lorsque le système électoral est défaillant, lorsque le mode traditionnel de surveillance du gouvernement ne donne pas de résultat, seule l’action citoyenne peut vraiment créer des résultats. Par chance, ça existe, même içi. Les journaux étudiants se réunissent Le Délit, The McGill Daily et The Link, journaux étudiants sur les campus de McGill et Concordia, s’associent cette semaine pour faire un dossier sur les faits entourant la hausse: du contenu travaillé, recherché et présenté dans un cahier détachable à l’intérieur du Délit pour vous permettre d’aller manifester, ou pas, en toute connaissance de cause. La hausse peut ainsi être vue comme un excellent prétexte pour se réunir, réseauter et éventuellement avoir plus de poids dans la balance citoyenne. Que les journaux soient pour ou contre ne change absolument rien. Mais qu’on travaille ensemble à bâtir un dossier qui sera utile à l’ensemble des étudiants, dans un climat de cohésion, voilà qui vaut la peine de se souvenir. Les étudiants refusent de payer la note salée d’un système qui ne leur offre pas de solution. Souvenez-vous en. x
rédaction 3480 rue McTavish, bureau B•24 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6784 Télécopieur : +1 514 398-8318 Rédactrice en chef rec@delitfrancais.com Anabel Cossette Civitella Actualités actualites@delitfrancais.com Chef de section Emma Ailinn Hautecœur Secrétaire de rédaction Florent Conti Arts&Culture artsculture@delitfrancais.com Chef de section Raphaël D. Ferland Secrétaire de rédaction Alexis Chemblette Société societe@delitfrancais.com Francis L.-Racine Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com Xavier Plamondon Coordonnateur visuel visuel@delitfrancais.com Alice Destombe Infographie infographie@delitfrancais.com Samuel Sigere Coordonnateur de la correction correction@delitfrancais.com Anselme Le Texier Coordonnateur Web reso@delitfrancais.com Nicolas Quiazua Webmestre web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Collaboration
Ian Clarke, Annick Lavogiez, Camille Lefrançois, Annie Li, Luba Markovskaia, Victor Sylvestrin Racine, Louis Saint-Aimé, Miruna Tarcau, Mai Anh Tran-Ho
Couverture Photo: Camille Lefrançois Montage: Xavier Plamondon bureau publicitaire 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6790 Télécopieur : +1 514 398-8318 ads@dailypublications.org Publicité et Gérance Boris Shedov Photocomposition Mathieu Ménard et Geneviève Robert The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Joan Moses Conseil d’administration de la Société des publications du Daily (SPD) Tom Acker, Emilio Comay del Junco, Humera Jabir, Anthony Lecossois, Whitney Malett, Dominic Popowich, Sana Saeed, Mai Anh Tran-Ho, Will Vanderbilt, Aaron Vansintjan, Sami Yasin
ERRATUM La semaine dernière, le Délit publiait l’article «Débat sur la question référendaire» dans lequel des erreurs factuelles se sont insérées. Simone Lucas est en fait étudiante en études des femmes et en communication et est membre du comité du oui; Camillia Elachqar est en fait étudiante en informatique, et co-représentante du comité du oui. CURE est en fait un programme qui permet aux étudiants de réaliser des recherches ou travaux scolaires en collaboration avec des organismes communautaires, tout cela pour des crédits. Nos excuses. Le Délit publiait aussi l’article «Le PLC de Zachary Paikin» dans lequel une erreur s’est glissée dans la formulation de la question au sujet de la culture. La question a mal été formulée, veuillez ne pas prendre en considération la réponse.
2 Éditorial
xle délit · le mardi 8 novembre 2011 · delitfrancais.com
Actualités actualites@delitfrancais.com
CAMPUS
Philosophie dans le boudoir Le bureau du département de philosophie temporairement fermé Nicolas Quiazua Le Délit
L
e bureau du département de philosophie est fermé depuis le 1er novembre dernier. En temps normal, le département de philosophie compte trois travailleurs en administration, dont deux membres de MUNACA et un poste de manager «M», qui
peut travailler légalement pendant une grève. Par contre, avant la rentrée en septembre, le département a vu la personne en charge du poste de manager, Claudine Lefort, partir en congé maladie pour une période indéterminée. Suite à son départ, l’une des deux employées membre de MUNACA, Mylissa Falkner, a été promue temporairement pour remplacer
madame Lefort. De plus, pour remplir le poste laissé vacant par madame Falkner, le département a décidé de donner un contrat de trois mois à Susan Kirishu, contrat arrivant à terme le 31 octobre. Suite à la déclaration de grève le premier septembre dernier, madame Falkner ainsi que sa collègue membre de MUNACA ne peuvent ni travailler ni être remplacées dans leur travail. De telle façon, lorsque le contrat de Mme Kirishu est venu à échéance, le département s’est vu contraint de fermer les portes de son bureau, ne pouvant pas renouveler l’accord sans contrevenir aux lois interdisant l’usage de briseurs de grève.
«L’administration de
McGill semble penser que l’université peut continuer à fonctionner comme à l’habitude sans les travailleurs de MUNACA.»
Pour l’instant, la responsable administrative du département d’Histoire, Colleen Parish, sera aussi en charge du département de philosophie. Calvin Normore, professeur de philosophie pense «qu’elle est déjà suffisamment oc-
Photo: Nicolas Quiazua
cupée au département d’Histoire, n’ayant personne pour l’aider». Selon le professeur Normore, une demande a été remplie pour engager un manager occasionnel, remplaçant Claudine Lefort, demande permise par le code du travail du Québec. Selon Angela Fotopoulos, l’administration de McGill sem-
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HUMAN GENETICS
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ble penser que l’université peut continuer à fonctionner comme à l’habitude sans les travailleurs de MUNACA; par contre, même si cela peut-être vrai dans les niveaux les plus élevés de l’administration, c’est au niveau des départements et des étudiants que la grève semble être la plus pesante. x
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ENTREVUE
Les cupcakes de la colère
Les auxiliaires d’enseignement négocient leur prochain contrat avec McGill.
L
e 3 novembre, une centaine d’étudiants s’alignaient devant les chaudrons fumants de la Midnight Kitchen qui servait sous le soleil. Alors que la soupe populaire se faisait attendre, une poignée de manifestants vêtus de complets solennels ont pris d’assaut les oreilles désarmées des étudiants: «Less TAs, more cupcakes!» scandaient-ils en présentant des plateaux emplis de gâteaux aux couleurs mornes. Ces faux McGill administrators se sont avérés être des syndicalistes venus parodier ladite intransigeance de l’université, tout en distribuant pamphlets et slogans aux midnight kitcheners immobilisés dans l’attente de leur popote végétalienne. Le Délit présente une entrevue avec Renaud Roussel, président du comité de négociation pour le renouvellement de la convention collective des auxiliaires d’enseignement (AE) de l’Université McGill. Le Délit: Présentez votre syndicat. Renaud Roussel: L’AGSEM (Association des étudiantes et étudiants diplômés et employés de McGill) est le plus grand syndicat du campus et compte un peu plus de 3000 membres. Nous représentons trois groupes d’employés à McGill: les AE, les surveillants d’examen, ainsi que les chargés de cours et instructeurs. Les deux premiers groupes sont actuellement en négociation avec l’administration de McGill. Les AE veulent renouveler leur contrat qui a expiré fin juin 2011 et les surveillants d’examen veulent obtenir une première convention collective. Les chargés de cours commenceront les négociations dans les mois à venir.
LD: Que reprochez-vous à l’administration de l’Université McGill? RR: D’avoir, jusqu’à maintenant, refusé systématiquement nos demandes principales, comme une diminution des heures, une hausse de salaire de 3% par année et un nombre limite d’étudiants par classe par exemple. Plus généralement, nous ne sommes pas satisfaits de la politique de l’administration qui n’a pas pour but de valoriser l’enseignement et la pédagogie mais d’améliorer l’image de l’université et de promouvoir la recherche. Nous pensons que tous ces aspects sont essentiels au bon fonctionnement de McGill et que les AE jouent un rôle prépondérant dans la qualité de l’éducation à McGill.
«Nous voulons que
tous les étudiants sachent que les négociations ont un impact direct sur la vie étudiante et leur éducation.»
LD: Quelles conséquences vos demandes auraient-elles pour les étudiants de McGill? RR: Nos demandes visent à améliorer les conditions de travail des AE mais aussi les conditions d’études des étudiants au baccalauréat. Plus d’AE et d’heures pour les AE permettraient d’avoir des classes plus petites et donc une participation plus active des étudiants. Une formation permettrait aux AE de savoir comment noter une copie, comment mener une discussion, comment se comporter avec les étudiants, etc., car, soyons honnêtes, ces qualités-là sont loin d’être innées pour tous les nou-
veaux AE. Jusqu’ici, la position de McGill est que les AE sont experts dans leur spécialité et n’ont donc pas besoin de formation. Nous pensons au contraire qu’une formation pédagogique est essentielle. LD: Les AE dont les tâches sont limitées gagnent le même salaire que ceux qui ont les pleines responsabilités de la correction, de la modération des conférences et des cours magistraux. Quelle est votre position par rapport à cette situation? RR: Nous pensons qu’il est normal qu’un AE qui a pour seule tâche de corriger des copies reçoive le même salaire que les autres AE, car la correction implique une expertise dans un domaine, une connaissance intime du cours ainsi que certaines qualités pédagogiques. Nous défendons toutefois le fait qu’une expérience d’enseignement véritablement enrichissante est une expérience qui comporte une part d’enseignement, et nous nous battons pour que plus de postes complets (180 heures par semestre) soient offerts à McGill. LD: Quelle est votre relation avec MUNACA? Comptez-vous profiter de la vague créée par la grève des employés de soutien, ou craignez-vous qu’elle ne vous fasse de l’ombre? RR: L’AGSEM a publiquement déclaré son soutien à MUNACA. La grève de MUNACA a mis la pression sur l’administration, qui craint probablement qu’un autre groupe entre en conflit. Cela s’est traduit par un changement d’attitude positif à notre table des négociations, mais cela n’a malheureusement pas donné lieu à des propositions concrètes.
Photo: Victor Tangermann
LD: Lors de la manifestation de mercredi, Midnight Kitchen avait exceptionnellement décidé de servir à l’extérieur, devant le bâtiment Shatner. Cela vous offrait une longue file d’étudiants qui n’avaient d’autre choix que d’écouter votre message. Était-ce organisé? RR: Les deux événements étaient en effet coordonnés, car nous pensons qu’il est essentiel que les étudiants connaissent nos demandes! Et puis, ils ont reçu des cupcakes gratuits, qui étaient d’ailleurs bien meilleurs que ceux de l’administration. LD: Que fera l’AGSEM dans les prochaines semaines? RR: Le 19 octobre 2011, nous avons obtenu un mandat de nos membres pour faire usage de moyens de pression incluant une série de manifestations et une
campagne de sensibilisation. Cela continuera dans les semaines à venir. Prochain rendez-vous, jeudi 10 novembre sur le campus avant de rejoindre la manifestation contre la hausse des frais de scolarité! LD: Qu’attendez-vous de la communauté étudiante? RR: Nous avons obtenu le soutien officiel de l’AÉUM et de la PGSS. Nous voulons que tous les étudiants sachent que les négociations ont un impact direct sur la vie étudiante et leur éducation. S’ils adhèrent à nos principes, nous les encourageons à nous soutenir publiquement en assistant à nos rassemblements publics et en portant nos macarons! Propos recueillis par Raphaël D. Ferland x
BILLET
Réforme de l’Assemblée générale Ian Clarke
J
’ai la tâche quelque peu ingrate de vous encourager à participer à la réforme de l’Assemblée générale de l’AÉUM, tout en sachant que la grande majorité d’entre vous n’a jamais participé ou même pensé à participer à une Assemblée générale. Premièrement, pour les 25 000 d’entre vous qui ont laissé passer l’occasion de participer à une AG, voici un court résumé. Les assemblées générales sont un forum où tous les membres de l’AÉUM peuvent s’exprimer de façon démocratique. Tous les étudiants du premier cycle qui fréquentent le campus du centreville peuvent rédiger une motion
4 Actualités
qui sera présentée en débat, modifiée, et potentiellement acceptée par leurs collègues. Simplement dit, une AG réunit les étudiants pour débattre et voter des décisions politiques. Mais pourquoi tout ce bla bla au sujet de la démocratie directe? La raison la plus évidente est que vous avez la chance de mobiliser les actions d’une organisation multimillionnaire. Devrions-nous interdire la vente de l’eau embouteillée au bâtiment Shatner? Aimeriez-vous modifier la politique d’investissement de l’AÉUM? Est-ce que d’entrer en grève contre la hausse des frais de scolarité est la solution? Ces polémiques sont toutes des exemples de questions qui ont déjà été soumises par des
étudiants à l’AG. S’il y a un sujet qui vous touche passionnément, pourquoi ne pas utiliser la pleine capacité de votre association étudiante pour faire en sorte que vos idées se réalisent? Hélas, tout ne fonctionne pas comme on l’espère. Historiquement, l’AG était le sujet de nombreuses critiques, notamment la lutte perpétuelle pour atteindre le nombre d’étudiants requis pour satisfaire les exigences du quorum. Bien que j’essaie de vous convaincre des mérites d’une AG, j’admets que nous avons absolument besoin de modifier le processus substantiel de l’Assemblée générale. Plus précisément, des étudiants soulèvent le point que l’AG
tombe au milieu des examens et des dissertations. Pour répondre à cette crainte, nous songeons à déplacer la date de l’AG, soit à la dernière semaine de septembre soit à la première semaine de novembre. Le nombre d’étudiants requis pour atteindre le quorum est une autre question controversée. Le quorum de l’AG, exigé par nos règlements, est de 100 étudiants. Cependant, une seule faculté ne peut pas constituer la majorité d’étudiants présents. Selon vous, devrait-on élever ou baisser le nombre d’étudiants requis pour prendre une décision législative? Ou, au contraire, devrions-nous garder la restriction facultaire pour s’assurer qu’une seule faculté ne puisse pas prendre une décision unilatérale?
D’autres encore ont mentionné que l’AG devrait être adaptée aux technologies possibles du 21e siècle et permettre de voter en ligne. L’avantage évident est l’augmentation des étudiants qui participent au vote de l’AG. Cependant, les étudiants pourraient voter sur les résolutions sans avoir entendu un débat éclairé sur le sujet. Nous ne sommes pas encore arrivés à une décision, et nous avons besoin de vos commentaires. Le Conseil de l’AÉUM débattra des changements proposés au mois de novembre, et vos conseillers ont besoin de savoir ce que vous pensez! Envoyez vos commentaires à president@ssmu. mcgill.ca. x
x le délit · le mardi 8 novembre 2011 · delitfrancais.com
SPORT ÉTUDIANT
Deux pays, deux calibres
Est-ce que le sport interuniversitaire canadien a un niveau différent de celui des États-Unis? Victor Silvestrin Racine Le Délit
D
ans le cadre de sa série sur le sport, Le Délit s’intéresse au calibre des sports universitaires canadiens qui sont régis par le SIC (Sport interuniversitaire canadien), organisation qui représente et coordonne toutes les compétitions officielles sportives au Canada. Aux États-Unis, deux organisations chapeautent les universités: la NCAA et la NAIA. Qu’en est-il de leur niveau par rapport à celui du SIC? Est-ce que les meilleurs athlètes canadiens doivent s’expatrier pour réussir? D’entrée de jeu, Earl Zukerman, agent de communication pour McGill Athletics & Recreation, et Peter Smith, entraîneur chef des Martlets au hockey féminin, mentionnent que le SIC a un très bon niveau et qu’il se compare tout à fait aux organisations au sud de la frontière. Pour monsieur Zukerman, il ne fait pas de doute que «les meilleurs joueurs, qu’ils soient dans les universités américaines ou canadiennes, réussiront
à passer aux ligues majeures». Pour monsieur Smith, au hockey féminin, «il y a très peu de différences entre les équipes canadiennes du haut [du classement] et les meilleures équipes américaines». Il est cependant évident que le niveau de jeu dans certains sports au Canada n’est pas comparable à celui des ÉtatsUnis, comme c’est le cas pour le football américain ou le baseball. L’une des principales différences entre les deux pays est sans conteste la publicité faite autour du sport interuniversitaire aux États-Unis. Alors que les grands événements universitaires, par exemple le March Madness, les Football Bowls et le Frozen Four, se retrouvent sur les grandes chaînes nationales de télévision, le sport universitaire canadien n’est que rarement présenté, et sur les chaînes spécialisées en sport. Un désavantage net qui n’encourage pas le développement d’une popularité pour nos athlètes et pour nos programmes universitaires. «Nous devons faire un meilleur travail de marketing» relève Earl Zukerman, qui mentionne aussi qu’une partie du problème réside
dans «le manque d’intérêt de la part des médias pour informer [les étudiants et ceux intéressés par le sport universitaire]». Le nombre d’entrées et le soutien populaire semble aussi difficile à avoir même pour les équipes gagnantes comme c’est le cas pour l’équipe de hockey féminin de McGill, gagnante de quatre des cinq derniers championnats canadiens qui joue habituellement devant environ cent-cinquante spectateurs, une situation peu excitante pour les joueuses et pour les entraîneurs. «Nous aimerions avoir plus de soutient» plaide monsieur Smith, l’un des meilleurs entraîneurs-chefs de hockey au pays. L’un des points positifs du sport universitaire canadien réside non seulement dans la qualité des programmes de sport, mais aussi dans la qualité du diplôme universitaire obtenu par les athlètes. Peter Smith mentionne que le critère numéro un dans le choix d’une université pour un athlète étudiant devrait être l’école elle-même. La qualité de l’enseignement des universités canadiennes fait une grande différence et un athlète étu-
Photo: McGill Athletics
diant doit «s’assurer d’avoir un diplôme reconnu au Canada». Rechercher l’excellence même dans les résultats peut mettre un frein au recrutement d’athlètes surtout dans une institution comme McGill qui demande des moyennes générales de 85% à l’entrée. D’autres universités, notamment celles des États-Unis ne demandent pas de telles notes et il est donc plus facile pour elles de recruter, dans un bassin d’athlètes élargi. Pour tous ces athlètes aspirant aux ligues majeures ou aux
compétitions comme les jeux olympiques, le choix d’une université est primordial dans leur développement, mais il faut toujours se rappeler que ce n’est pas le programme qui détermine la réussite, c’est l’athlète qui, en collaboration avec ses coéquipiers et ses entraîneurs fait les efforts pour réussir. Malheureusement, tous ne parviendront pas au haut niveau et c’est pour cela que la réussite scolaire est tout aussi importante afin de ne pas se retrouver sans porte de sortie, si les objectifs ne sont pas atteints. x
CAMPUS
L’AÉUM cède aux pressions 132 clubs devront changer de nom. Anthony Lecossois Le Délit
L
e conseil législatif de l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM) a voté pour la signature du protocole d’entente (Memorandum of Agreement). Ce document régissant les relations entre l’administration et l’association est valable cinq ans. Arrivé à échéance l’an dernier, les négociations pour renouveler celui-ci avaient commencé dès le début du mandat de l’équipe exécutive précédente, menée par Zach Newburgh. Depuis janvier 2010, les pourparlers sont au point mort. La cause? Le nom de 132 clubs dont l’administration exige le changement. La raison principale invoquée est l’utilisation de la marque McGill. L’AÉUM a publié un communiqué expliquant la logique de l’administration. Selon l’AÉUM, cinq arguments sont le plus souvent avancés. Premièrement, la collecte de fonds: l’administration s’inquiète
de ce que des donateurs aient l’impression de financer McGill quand, dans les fait, ils financent un groupe étudiant. La crainte est que des mécènes potentiels refusent de faire un don parce qu’ils ont déjà donné. Deuxièment, la responsabilité: l’administration qui ne veut être poursuivie en justice suite aux actes commis par des étudiants membres de groupes portant le nom de McGill. L’AÉUM, qui a un contrat d’assurance pour tous ses clubs et services, estime que l’argument est infondé. Troisièmement, la réputation, l’argument le plus controversé: McGill exige que certains groupes qui ne portent même pas le nom de McGill changent leur nom. L’AÉUM en conclut que l’activité même des groupes est ce qui dérange l’administration. Parmi eux, Animal Liberties qui devra troquer son nom pour Students for Animal Liberties. Quatrièmement, la clarté: l’administration veut s’assurer que personne, à aucun moment, puisse penser qu’un groupe
x le délit · le mardi 8 novembre 2011 · delitfrancais.com
d’étudiants fasse partie de McGill. Nul groupe, dont le nom comporte la marque McGill ou pas, ne peut dire faire partie de McGill. Une exigence qui laisse un goût amer dans la bouche de bien des étudiants. Josh Redel, président de l’EUS, l’association des étudiants en génie, était venu au conseil législatif avec une dizaine d’autres ingénieurs pour manifester son inquiétude. Citant une affiche promotionnelle publiée par McGill il rappelait que: «nous sommes la raison d’être de l’université. Sans étudiants, tous ces administrateurs n’auraient pas d’emploi». Finalement, la cohérence: pour réduire le risque de confusion, l’administration veut que tous les clubs suivent le même modèle. Une liste d’options leur est proposée («McGill Students for […]» ou encore «[…] @ Mcgill» pour les groupes politiques. Le conseil législatif a donc décidé de mandater la présidente de l’AÉUM pour signer le document. La menace de l’administration de ne pas signer le bail du
bâtiment Shatner aura sans doute pesé dans la balance. Les 132 groupes concernés ont jusqu’au 10 novembre pour faire connaître le nom qu’ils choisiront. L’université a proposé de rembourser les coûts du changement de nom (nouveau nom de domaine sur internet, impression de nouvelles brochures, etc.) à hauteur de 25 000 dollars… à condition que l’argent soit dépensé avant le 15 novembre. Maggie Knight s’est dite déçue d’avoir à signer ce document mais estime qu’il n’y avait plus grand-chose à faire. «Dans ces négociations, tout a été tenté; mais l’administration ne souhaite tout simplement pas négocier. C’est non et puis c’est tout.» Carol Fraser, vice-président de l’AÉUM en charge des clubs et services expliquait dans son communiqué combien il était difficile pour elle d’accepter cet état de fait, puisqu’elle s’était engagée à défendre le nom des clubs pendant sa campagne. Josh Redel vient de lancer avec l’EUS la campagne «We are
all McGill» en écho au courriel envoyé il y a quelques jours par la principale pour fustiger les «menaces et les actes de vandalisme» des grévistes de MUNACA. Le président confie au Délit que «traiter les étudiants comme un risque, une responsabilité pénale, c’est dégueulasse». Il assure que, quoi qu’il arrive, la campagne continue. x
Écoutez les ondes du Délit à CKUT 90,3 FM le jeudi à 7h et 8h. Actualités
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Société societe@delitfrancais.com
L’art de vivre à Copenhague Récit d’une transformation urbaine racontée par Camilla Van Deurs Photo: Camille Lefrançois
Camille Lefrançois Le Délit
A
vec ses canaux qui la traversent par endroits, ses nombreux parcs et espaces publics aux allures de carte postale, son centre-ville piéton au charme des vieilles villes européennes, dès les premiers abords, la ville de Copenhague tend à séduire. Copenhague, aussi nommée la capitale internationale du vélo, apparaît comme une ville construite à la mesure de ses citoyens, que l’on peut observer partout en marchant, pédalant, flânant sous le soleil lorsqu’il daigne bien pointer le bout de son nez. Si l’impression qui en ressort est celle d’une ville qui fut toujours ainsi, détrompez-vous! Ici aussi le 20e siècle a vu la transformation de la ville pour l’automobile qui devint reine. À la différence qu’un jour, au courant des années 60, quelques personnes ont saisi l’opportunité d’entamer une transformation qui est toujours en cours et dont les principes sont maintenant étudiés partout à travers le monde. Parmi ces personnes se trouve l’architecte Jan Gehl, mondialement connu pour ses travaux sur l’architecture et l’urbanisme centré sur les habitants, et Camilla Van Deurs, architecte et chargée de projet chez Gehl Architect, qui a également travaillé près de chez nous comme consultante sur les réseaux cyclables de Ottawa-Gatineau. Centre-ville piéton et espaces publics Marcher dans le centre-ville de Copenhague est une belle expérience. Beaucoup de ses rues étroites, typiques, présentent des façades caractéristiques et charmantes. Si vous vous y rendez à une heure passante ou ensoleillée, vous serez vite entourés d’une multitude de passants qui, comme vous, marchent d’un côté à l’autre de la rue pour se rendre à la boutique, au restaurant, au banc du parc ou au café le plus près. L’automobile n’y a pas sa place et cela semble naturel! Comme l’explique
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Camilla Van Deurs, c’est le résultat de plusieurs décennines de travail pour une transition pas à pas. L’idée prend racine alors qu’un mouvement néerlandais introduit un concept dont la traduction littérale est «vivre dans la rue», dont l’objectif est la transformation de certaines rues en lieu public et piétonnier pour la communauté. À Copenhague, c’est en 1961 que la ville décide de lancer l’année suivante un projet temporaire qui vise à rendre piétonne une des rues principales du centre-ville pour une période de six mois. Le résultat? «Après 6 mois, la ville a évalué le projet et a constaté que les gens étaient si content qu’il a été décidé de laisser la rue fermée aux voitures.» Voilà ce qui a ouvert la voie à la série de transformations. Au courant des années 70, la rue piétonne est devenue un réseau et les années 80 et 90 ont vu le retrait des voitures de toutes les places qui parsemaient les abords de ce nouveau réseau. Ce que Jan Gehl a observé alors est que «dès que l’on retire le trafic automobile d’un endroit, les gens répondent en commençant à utiliser l’espace.» Un élément intéressant qui a fait connaître mondialement la ville est la série d’études réalisées tout au long de cette transformation par la firme Gehl Architect et son instigateur Jan Gehl. Dès 1968, Gehl commence à faire ce qui est maintenant une de leurs marques de commerce; les sondages «Public Spaces – Public Life». L’idée est simple; répertorier les activités des piétons, un peu comme toutes les villes le font avec les statistiques pour le trafic automobile. Graduellement, ce qui était d’abord une recherche d’intérêt académique devint un outil important alors que «la ville a finallement commencé à utiliser les données comme arguments pour réaliser la transformation en cours». À ce jour, non seulement la ville collecte les données traditionnelles sur le trafic automobile, mais
x le délit · le mardi 8 novembre 2011 · delitfrancais.com
Stationnement de bicyclettes Photo: Camille Lefrançois
elle publie également un décompte du trafic cyclable et piétonnier, de même qu’un rapport sur la vie urbaine afin d’en documenter les changements annuels. Le succès d’une telle démarche pour la ville et ses citoyens a ensuite certainement contribué au développement des nombreux espaces publics et parcs qui forment maintenant l’image de Copenhague et font le bonheur des touristes comme des citoyens. Vous reconnaîtrez parmi ces exemples le très connu port de Nyhavn, qui orne immanquablement tous les guides de voyage, dont la revitalisation et la piétonisation en a fait un des endroits courus de la ville. Les avantages d’une telle transformation? «Il s’agit d’un investissement public bon marché, rapide et démocratique puisque tous les citoyens auront la chance d’en bénéficier.» Comme le faisait remarquer Camilla Van Deurs, à Copenhague, cette idée d’investir dans les espaces publics avait émergé lorsque la ville traversait une crise économique majeure. Ce qui n’est pas sans rappeler la situation actuelle. Une idée intéressante, peut-être?
La signalisation exclusive aux cyclistes Photo: Camille Lefrançois
En pédalant la ville Si vous avez déjà entendu parler de la ville de Copenhague auparavant, peut-être serez-vous au courant de son appellation en tant que capitale mondiale du vélo. La chose reste toutefois difficile à imaginer pour les Nord-Américains que nous sommes. Imaginez des rues à 3 niveaux sur lesquelles les voitures roulent au centre et où la piste cyclable surélevée prend place de chaque côté de la rue avant de finalement rejoindre le trottoir. Les cyclistes y ont souvent leurs propres feux de circulation. Cela semble banal? C’est qu’il faut mettre en perspective le nombre de cyclistes que vous croiserez sur lesdites pistes cyclables; en 2010, 50% des Copenhagois se rendaient à l’école et au travail à vélo. À l’heure de pointe dans
la ville, le trafic cycliste est plus important que le trafic automobile. Ce qui fait toute la réputation et l’expérience du vélo si particulières dans cette ville. Cette fois encore, il s’agit d’une évolution progressive. À Copenhague, «tout a vraiment commencé avec le besoin» en infrastructures qui a émergé à la demande des cyclistes. Dans les années 70, la ville a adopté une politique pour les «Dimanche sans voiture» suite à la crise pétrolière. C’est à ce moment que les gens commencent à pédaler en masse et à réaliser le potentiel d’un tel moyen de transport. Suite à l’augmentation du trafic cyclable, la ville a commencé à créer les infrastructures pour le supporter. À Copenhague, «le vélo est considéré comme une nécessité plutôt qu’un sport, et donc nos infrastructures ont été principalement construite le long des routes, contrairement à des endroits comme le Canada où il s’agit plutôt d’un sport et les réseaux se trouvent plutôt le long de parcs». Aujourd’hui, Copenhague doit faire face à de nouveaux défis concernant son réseau cyclable, notamment les problèmes d’espace de stationnement qui sont très problématiques autour de certaines gares centrales. « Il y a également un besoin pour plus d’espace sur les pistes cyclables» puisque le principal sentiment d’insécurité chez les cyclistes découle maintenant non pas des voitures mais bien de la proximité des autres cyclistes aux heures de pointe! Un petit détour par chez nous… L’exemple de Copenhague voyage. À preuve, la firme Gehl Architecte en partage l’expérience et les principes en tant que consultant pour des projets à travers le monde, en partant de la Chine et l’Australie jusqu’aux États-Unis et… à OttawaGatineau! Camilla Van Deurs a à cet effet visité la région l’an dernier afin de conseiller les municipalités sur leurs réseaux cyclables. Mais est-il vraiment possible de transpo-
ser la culture du vélo danoise au Québec? Évidemment, l’hiver canadien est peut-être une ombre au tableau à l’idée de pédaler vers votre école ou votre lieu de travail en toute saison. Pourtant, Camilla fait valoir «qu’il s’agit d’abord d’une question de priorité; à Copenhague, les pistes cyclables sont maintenant déneigées avant les routes. » Il faut aussi remettre les choses en perspective; même en éliminant les quelques mois de notre hiver canadien, il reste une majorité de l’année dont le climat n’est pas problématique. Quand à la topographie, il s’agit également d’un obstacle de plus. Par contre, il existe encore une fois des réponses à ces problèmes en développant un système de transport en commun qui permettrait un relais pour les sections plus difficiles dans une approche plus multidisciplinaire du transport. À titre d’exemple additionnel, Copenhague oblige également tous les taxis à être équipés pour pouvoir transporter un minimum de 2 vélos. Mais avant tous ces défis techniques, Camilla croit que «le principal défi est que le vélo est toujours vu comme récréatif, d’abord parce que le réseau est concentré autour des espaces verts». La culture serait donc la première influence de notre mentalité cycliste? Apprendre des autres L’exemple de Copenhague comme modèle de planification et développement urbain semble inspirant. Non seulement les principes de «retrouver l’équilibre» entre la place des voitures et des citoyens dans leur ville est-elle intéressante, mais le résultat en est d’autant plus intéressant lorsqu’on a la chance de marcher dans ses rues, d’expérimenter ses pistes cyclables. Ce que démontre cette transformation si réussie, c’est aussi qu’il est possible de changer la culture de ses habitants simplement en leur fournissant l’espace pour le faire. Un argument pour encourager nos villes à penser plus loin que le bout de leur pare-choc… x
La ville de Copenhague comptabilise le nombre de cyclistes
Les rues piétonnes de Copenhague
Photo: Camille Lefrançois
Photo: Camille Lefrançois
Société
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CINÉMA
Arts&Culture artsculture@delitfrancais.com
Rien n’est nickel au Québec Trou Story dresse un portrait peu flatteur de l’industrie minière. Mai Anh Tran-Ho Le Délit
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ichard Desjardins et Robert Monderie dressent un portrait peu flatteur de l’industrie minière dans leur dernier documentaire Trou Story. Les réalisateurs de L’Erreur boréale et Le Peuple invisible ne s’attaquent cependant pas qu’aux compagnies minières, ils ciblent aussi le gouvernement québécois. La première scène nous plonge directement au cœur du sujet. La caméra s’avance tranquillement dans une mine au rythme de la narration de Richard Desjardins: «Vous ne connaissez rien des mines? Normal. Les mines ne parlent pas beaucoup. Surtout pas de leur histoire…» Trou Story est un exposé historique teinté d’humour et de jeux de mots qui allègent la teneur pamphlétaire du documentaire. À coups d’archives et d’entretiens, The Hole Story (titre anglais du documentaire) examine l’exploitation minière, des armes de guerres aux électroménagers, jusqu’à la mécanisation de l’industrie. Trou Story révèle ce que nous savons déjà: seul le profit importe, au diable la santé des travailleurs et la préservation de l’environnement! Les normes de contamination n’ont pas été renouvelées depuis trente ans. Les audiences publiques per-
Gracieuseté de l’Office national du film
dent leur pertinence alors que tout un quartier de Malartic est déjà exproprié pour permettre l’exploitation. Des images panoramiques prises en survol étalent l’ampleur des conséquences sur la faune et la flore. Trou Story plaide contre le laxisme du gouvernement du Québec, qui favorise les revenus des entreprises minières au détriment d’acquis sociaux nécessaires pour
ses couches populaires. «Le fiduciaire, le gérant» de l’avenir québécois ne verrait pas plus loin que le bout de son nez, ne s’enquiert pas des dégâts de ces exploitations excessives; mais «quand on ne cherche pas, on ne trouve pas»! La bêtise du gouvernement est sa prostitution sans redevances (5% à 10% d’impôt sur le revenu des compagnies minières). Les lois inchangées
depuis belle lurette permettent aux compagnies minières de ne payer des impôts que sur des bâtiments, mais pas sur les routes qu’ils empruntent et qu’il faudra reconstruire, les trous creusés qu’il faudra remplir, l’environnement détruit qui est perdu à jamais… Le documentaire soulève le paradoxe d’acheter deux, trois fois la valeur des produits faits ailleurs avec les minerais brut tirés du sous-sol québécois, alors qu’on pourrait produire et développer la richesse ici. Le message de Richard Desjardins et de Robert Monderie: il faut changer le modèle de développement québécois, que ce soit concernant les forêts, le gaz ou les mines. Le documentaire a froissé et froissera de nombreuses personnes, surtout ceux qui préfèreraient être plus discrets. À l’heure où le Plan Nord semble être le legs du gouvernement québécois, les réalisateurs espèrent sensibiliser la population sur la situation pour qu’elle réclame que la richesse générée par le sous-sol québécois profite davantage à l’ensemble de la collectivité. Trou Story se clôt sur la fameuse phrase de Jean Lesage: «Il est temps d’être maîtres chez nous». Souhaitons-lui un impact explosif! x Trou Story Où: Cinéma Excentris Quand: À l’affiche dès maintenant
Enfoncer des portes ouvertes République: un abécédaire populaire: un documentaire à saveur d’utopie bourgeoise pour un Québec «le plus meilleur pays du monde» Florent Conti Le Délit
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épublique: un abécédaire populaire, la dernière production du réalisateur Hugo Latulippe, se fait très vite rattraper par les rouages du système qu’il décrie. Pourtant, le projet est louable: envisager un monde alternatif, meilleur, et appréhendable. Une planète idéale sur laquelle les inégalités auraient disparu, un retour à l’essence même de l’humanité, à l’encontre du monde productiviste et consumériste d’aujourd’hui. Comment ne pas céder à ces idéaux populaires si attrayants? Le documentaire est, en lui-même, plus une succession d’entrevues avec un grand nombre d’invités, certains plus essentiels et inspirants que d’autres. La mode est aux spécialistes. Symptomatique d’une société qui n’écoute seulement ce qu’elle veut entendre, seulement par des gens dont c’est le métier, afin de nous prouver à quel point nous avons tout faux dans ce système socioéconomique où l’on se complait à se révolter pour se donner bonne conscience. Voilà République. Plutôt un abécédaire populiste que populaire. Au moins, le film des productions Esperamos films a le mérite de remettre en question le système. Ceci aurait pu s’intituler «révolution». Une révolution quotidienne admirable diront certains, mais au paroxysme de la contradiction selon d’autres. On confond souvent république et anarchie, et cette répu-
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Arts & Culture
blique sociale-démocrate du troisième millénaire, que le réalisateur promeut, n’a d’apanage que de grandes et vides prétentions. De plus, la social-démocratie n’a dans son essence même aucun élément de désordre comme le film le sous-entend. Pris un à un, les invités du documentaire sont presque tous des personnages passionnants. Qu’ils soient Guy Rocher, fameux
venants sont néanmoins orchestrés dans le montage d’Hugo Latulippe dans un concert d’approximations dans les faits exposés, tels des arguments d’autorité. Le résultat est un mélange d’utopies farfelues d’un univers aux valeurs nombreuses mais peu certaines. À l’instar de ce monde doucement cacophonique, les images sont froides et le noir et blanc des entrevues dénote un esthétisme
sociologue québécois et protagoniste de la révolution tranquille, Serge Bouchard, passionnant anthropologue, Amir Khadir, le médecin député, Françoise David en politicienne frustrée, Christian Vanasse, sans grand contenu, ou autres chefs et ex-chefs de divers innombrables syndicats nationaux, tous les inter-
maladroit. Comme si le désir incessant de lyrisme tant par les mots que par l’image parvenait paradoxalement à un résultat apoétique et dénué de toute richesse artistique, finalement assez proche de notre société. Le problème de fond de ce modèle de petit soldat néo-zapatiste en mal d’idéal est qu’il
Gracieuseté d’Esperamos
est le produit de cette société, ce qui engendre d’immenses contradictions. Finalement, y at-il vraiment urgence? Le documentaire nous donne l’impression d’un malaise existentiel, comme si nous vivions dans un système répressif où les libertés fondamentales étaient bafouées et le désir de souveraineté sousjacent. À voir les contradictions dans lesquelles Hugo Latulippe s’embourbe, le temps serait sans doute plus à la réflexion qu’à ce fantasme bourgeois et bruyant aux desseins politiques parfois vaseux. Le film répond plutôt bien à ce que la société désire: dénoncer ses vices tout en poursuivant sa dérive consumériste, ou quand la petite bourgeoisie montréalaise s’adonne à repenser le monde à coups d’enfilage de lieux communs et d’enfonçage de portes ouvertes… Au fond, ce qu’Hugo Latulippe nous propose est une sorte de repli sur nous-mêmes, niant la réalité du contexte global dans lequel nous vivons, aujourd’hui inhérent à notre condition humaine moderne, à notre mode de pensée. Le repli sur soi, l’humanité l’a connu dans des temps plus obscurs, et cela nous a souvent amenés à prendre des décisions aux conséquences dramatiques et sanglantes. Voulons-nous vraiment nous orienter dans cette direction? x République: un abécédaire populaire Où: Cinéma du Parc Quand: Présentement à l’affiche
x le délit · le mardi 8 novembre 2011 · delitfrancais.com
CINÉMA
L’école et la mort
Monsieur Lazhar met en scène un système d’éducation aux nombreuses failles.
Florent Conti Le Délit
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onsieur Lazhar s’en ira aux Oscars l’hiver prochain dans la sélection officielle pour la catégorie meilleur film international. Réussira-t-il là ou Incendies a échoué? Peu importe, car le film est une réussite en lui-même. Que faire face à la mort à l’école primaire? Voici l’une des questions que pose le dernier film de Philippe Falardeau, adapté d’une pièce écrite par Evelyne de la Chenelière en 2002. Et il y répond à merveille. Quand une enseignante s’enlève la vie aux yeux d’enfants de sixième année, même les plus spécialisés des psychologues ne peuvent rien y faire. Leur deuil et exutoire, les enfants le chercheront avec Bashir Lazhar, un immigré algérien qui remplace l’enseignante, évitant le sujet quand on lui pose des questions sur son propre passé. Cette rencontre sera alors décisive dans la reconstruction psychologique et humaine de tous les protagonistes. Voilà probablement le meilleur film francophone de l’année. Enlevez «francophone». Philippe Falardeau réussit à exposer la vie d’une école de façon juste et poétique sans jamais tomber dans les clichés habituels et fréquents dans les films sur les enfants. De plus, la musique originale ne fait que confor-
Gracieuseté de Seville Media
ter l’idée que ce film est splendide dans sa délicatesse. En outre, les nombreux thèmes abordés (deuil, immigration, interculturalisme, exil, enfance, passion de l’enseignement, littérature, etc.) auraient pu devenir un poids pour le réalisateur, mais ce dernier, fidèle à la pièce d’Evelyne de la Chenelière, ne se perd pas dans un étalage de bon sentiments et nous met face à une réalité humaine brutale et douce à la fois. Fellag, le très talentueux humoriste algérien qui interprète Bashir Lazhar, parvient à mener l’ensemble des personnages en évitant un pathos inutile, que l’on aurait retrouvé dans beaucoup d’autres films du genre.
Mais que dire des deux élèves principaux autour desquels le film gravite? Leur jeu est sans aucune erreur, même dans les scènes les moins évidentes, et leur présence est tout simplement épatante. Simon, le garçon un peu turbulent, formidablement interprété par Émilien Néron, ainsi qu’Alice, petite fille très mature pour son âge, jouée par Sophie Nélisse, illustrent une société dans laquelle un grand malaise règne dans les relations adultes-enfants, dictées par d’affligeants codes de conduites contre lesquels l’ensemble des enseignants s’indignent. Parents absents ou peu préoccupés, le film nous démontre combien l’école n’est pas qu’un lieu d’enseignement mais bel et bien
une place décisive autant dans l’approche au monde que pour le développent des enfants et leur appréhension des étapes de la vie. Toujours de façon très pudique et discrète, le film surprend par sa constante qualité avec des pointes d’émotion bluffante. À l’opposé de l’éducation très traditionnelle (mais fondamentale) prônée par Bashir Lazhar, le spectateur voit l’état délabré du système éducatif d’aujourd’hui, plus concentré à régir la forme des relations à l’école que le fond de la transmission du savoir, ne fournissant aux élèves que le strict minimum et ne se risquant jamais à les contraindre. Le film expose une violence intime et profonde et réussit d’un bout à l’autre à nous amener avec lui dans la recherche de solutions au trouble existentiel vécu par cette microsociété qu’est l’école. Plus qu’une ode à l’école idéale, Monsieur Lazhar est un projet de société universel et authentique voulant s’éloigner du modèle individualiste et impersonnel dans lequel nous plongeons. Ce film, même s’il ne gagne pas sa reconnaissance aux Oscars, devrait déjà gagner l’ensemble de la société québécoise. Et cela vaut bien plus que d’être reconnu par Hollywood. x Monsieur Lazhar Où: Dans tous les bons cinémas Quand: À l’affiche dès maintenant
William Shakespeare, 17e comte d’Oxford «Vous et moi, votre famille, votre reine et toute notre époque, passerons à l’Histoire uniquement parce que votre mari coucha ses mots sur papier.» Raphaël Ferland Le Délit
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’est-il pas perturbant que l’un des plus hauts piliers de la culture occidentale soit fêlé jusqu’à la moelle? Ce William Shakespeare, qui dérivait sa pitance de l’immobilier, qui n’a laissé aucun manuscrit sauf son œuvre présumée, et dont la signature tremblotante est digne d’un illettré, pourrait ne pas être l’auteur des pièces et sonnets dont la seule lecture redonnerait au pire des cyniques sa foi en l’humanité. Voilà le doute important qu’Anonymous, un film britannique d’un goût discutable, insuffle auprès du grand public. Vers 1559, la reine Élisabeth rencontre l’auteur de A Midsummer Night’s Dream, qui s’avère un jeune prodige d’à peine neuf ans. Éblouie par le talent de ce jeune Édouard de Vere, elle le fait 17e Comte d’Oxford et l’amène à sa cour. Grandissant dans une maison puritaine où les muses sont vues comme des succubes, De Vere est d’abord contraint de faire jouer ses pièces sous couvert d’anonymat. Puisque sa gloire grandissante entraînerait une trop grande curiosité envers ce mystérieux poète, Oxford confie ses pièces au dramaturge Benjamin Jonson, qui à son tour les fait jouer au nom d’un alcoolique illettré qu’on nomme Will Shakespeare. Lorsque le rideau s’ouvre sur la première de Henry V, le spectateur du film vibre au diapason des badauds du Globe: le Chœur entame son monologue d’ouverture, et tous comprennent que quelque chose dans l’Art vient de changer à jamais. Lorsque Henry V exhorte le public à la veille de la bataille
d’Azincourt, on roule des yeux et l’on esquisse un sourire indulgent à la vue des dizaines de bras qui se tendent vers l’acteur. Jusque là, on peut accepter cette vision expressionniste de Shakespeare parvenant à retourner les tripes des spectateurs. Mais lorsque la salle entière se lance sur scène pour pourfendre les acteurs de l’armée française, on tire la ligne: comment ose-t-on réduire l’héritage de Shakespeare à une série de représentations survoltées dans lesquelles l’appréciation des pièces se témoigne par des réactions caricaturales et extraverties? Dans l’esprit des créateurs d’Anonymous, le génie du Barde doit être exprimé par une catharsis orgiaque ressentie par l’entièreté du Globe. Et bien sûr, fidèle au mépris traditionnel de l’élite,
x le délit · le mardi 8 novembre 2011 · delitfrancais.com
cette hargne naïve et mal placée qui balafre notre époque, le succès d’une représentation se mesure par la force du soulèvement du popolo minuto, et de la répugnance qu’elle encourt auprès de l’aristocratie. Voilà les seules fleurs à lancer au réalisateur Roland Emmerich: l’esthétique nébuleuse d’une Londres élisabéthaine ainsi qu’une navigation bien maîtrisée à travers six-cents ans d’Histoire et plus de quatre mises en abyme (la narration contemporaine assurée par le grand acteur shakespearien Derek Jacombi, l’époque élisabéthaine, les pièces jouées au Globe et la bataille d’Azincourt en 1415). Le crime artistique d’Emmerich est d’avoir jugé que le sujet de la paternité des œuvres de Shakespeare manquait en soi d’in-
À gauche: Édouard de Vere, 17e comte d’Oxford . À droite: William Shakespeare
térêt pour un auditoire contemporain. C’est pourquoi il alourdit son film d’un fatras d’intrigues politiques douteuses, en suggérant que les mots d’Oxford/Shakespeare changèrent à eux seuls le cours de l’histoire anglaise. Cette historicité massacrée mine la crédibilité du long-métrage: nous faudrait-il croire à une Élisabeth peinte comme une garce qui pestait contre Jacques VI d’Écosse, ce «fils de chienne protestante»? Fi! La correspondance des deux monarques était un bijou de diplomatie dans lequel la reine se confondait en excuses pour le meurtre de Marie Tudor, et dans laquelle Jacques lui accordait son pardon afin d’accéder au trône anglais. Le scénariste John Orloff avance même que les fils illégitimes d’Oxford sont issus d’une union incestueuse avec la propre mère de celui-ci, qui n’est autre que la reine Élisabeth… Dans Anonymous, l’histoire est affublée de toutes les versions alternatives et conspirationnistes, et, dans le cas de cette relation œdipienne, reste sans approfondissement, condamnée à servir de lustre écaillé à une trame narrative grotesque. Anonymous s’attelle à un sujet noble de la tradition humaniste: le pari était énorme. Aussi leur pardonne-t-on leur vénération sans bornes pour le Barde, dont le seul sobriquet rend grâce à son statut mythique. Mais la mémoire de William Shakespeare vient d’être sous-estimée, on l’a traînée dans une boue infecte faite d’intrigues pitoyables. Le pari est raté. x Anonymous Où: Dans tous les mauvais cinémas Quand: À l’affiche dès maintenant
Artistes inconnus, National Portrait Gallery, Londres
Arts & Culture
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THÉÂTRE
Un lion pour Halloween
La raison du plus fort est toujours la meilleure. Miruna Tarcau Le Délit
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ertaines familles sont restées célèbres par leurs intrigues, leurs complots, et leur habileté extraordinaire à mettre en application la loi du plus fort, le mode de pensée qui domine les marchés actuellement. Songeons aux Borgia de Rome, aux Médicis en France ou à Florence, et… à la dynastie des Plantagenêts en Angleterre, celle que la Savoy Society de McGill nous a présenté dans la ravissante chapelle de Birks les 4 et 5 novembre. Cette pièce de James Goldman, intitulée The Lion in Winter, est l’adaptation d’un spectacle de Broadway de 1966, rendu célèbre par le long-métrage mettant en scène Peter O’Toole
et Katharine Hepburn dans les rôles de Henri II et d’Aliénor d’Aquitaine. Ce week-end, Michael Loewen et Tara Richter Smith ont repris le flambeau avec brio, dans un décor qui démontre que l’on peut obtenir d’excellents résultats avec peu de moyens. Il suffit d’avoir sous la main un pavillon aux arches gothiques rappelant les châteaux anglais du XIIe siècle, quatre instrumentistes qui font résonner des musiques de Noël à chaque changement de décor, et vous voilà transportés pendant deux heures au palais d’Henri II à Chinon, la nuit du 24 au 25 décembre 1183. Il va de soi que James Goldman a du déformer certains faits historiques afin de resserrer son intrigue, en réduisant par exemple la progéniture d’Henri II à trois fils et le nombre de maîtresses à une seule,
alors que le roi en entretenait une dizaine. Ce faisant, la pièce présente le problème de la succession du trône d’Angleterre sous l’aspect d’une querelle de famille, dans laquelle les Plantagenêts n’échappent pas aux stéréotypes des dynamiques familiales modernes. Des trois fils qui veulent s’emparer de la couronne, il y a d’abord le jeune Richard «Cœur de Lion», insolent, agressif, et préféré de sa mère, Geoffroy le mal-aimé, éternel cinquième roue du carrosse en dépit de sa perspicacité, et enfin, John, le fils à papa un peu niais. Outre leurs liens de sang, ces derniers ne partagent rien d’autre qu’une soif indéfectible de pouvoir. Au sein du couple royal, Aliénor d’Aquitaine –qui peut reprocher à son mari d’avoir choisi leur fille adoptive Alais pour maîtresse, en plus de l’avoir enfermée dans une tour pen-
dant une décennie–, s’ajoute enfin à cette lutte de pouvoir pour compléter le tableau de cette famille unie dans la conspiration. Néanmoins, comme le souligne Le Prince de Machiavel, la force seule ne suffit pas à gouverner un empire. Aussi, lorsque la voie du bien ou de la loi ne suffit plus, le prince doit savoir user de la «raison d’État» et associer les qualités du lion avec celles du renard. Or, pour reprendre l’expression d’Abraham Lincoln, nul ne peut tromper «tout le monde tout le temps». Les dirigeants d’aujourd’hui ont-ils appris des erreurs de leurs prédécesseurs? Hélas, il faut croire que les techniques des Borgia, des Médicis et des Plantagenêts n’ont guère évolué depuis un millénaire. C’est pourquoi le sujet de cette pièce demeure encore d’actualité. x
Entre noirceur et lumière
L’artiste multidisciplinaire Stéphane Gladyszewski présente Corps noir ou l’inconscient convié. Annie Li Le Délit
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epuis que Jack Udashkin est devenu son directeur artistique, La Chapelle ne cesse de confirmer son statut prépondérant dans la diffusion de l’art avant-gardiste et éclectique à Montréal. En ce début de mois de novembre, la continuité s’amorce avec une série de spectacles multidisciplinaires regroupés sous la bannière du Festival Artdanthé. Le premier spectacle est une reprise de Corps noir du danseur et artiste visuel Stéphane Gladyszewski, d’abord monté chez Tangente en 2008. Gladyszewski s’est fait connaître depuis quelques années à Montréal comme l’un des meilleurs artistes de la scène, qui marie technologie et performance. Ce spectacle solo se veut autobiographique, adoptant une approche documentaire. Mais Gladyszewski n’est pas seul sur scène; il est aussi accompagné de lumière, sa partenaire idéale, qui le suit sous de multiples formes. De par une vidéo montrant un bébé à qui on fait prendre un bain, on sent que l’artiste nous conduit à ses sources.
S’ensuivent des vidéos émouvantes projetées sur des rideaux coulissants où l’on voit interagir père et fils après des années d’absence. La lumière se fait plus tard ingénieuse lorsque Gladyszewski, dans une scène plongée dans le noir, fait mine
vient par après impressionnante lors des projections où l’artiste semble peindre et façonner l’espace avec la lumière numérique, technologie aussi vue chez Robert Lepage. À d’autres moments, la lumière est plutôt utilisée comme body-painting
Œuvre de Stéphane Gladyszewski. Crédit photo: Nicolas Minns
de s’enfoncer dans une trappe souterraine alors qu’il s’agit en fait d’un congélateur horizontal dont l’ampoule s’allume lorsqu’on ouvre la trappe. La lumière de-
digital grâce à la vidéo thermique (technologie reprise dans le court-métrage Ora de Philippe Baylaucq). Lorsque Gladyszewski se trouve dans un aquarium en position
fœtale, demandant à sa mère si elle l’entend, la lumière se fait saillante en rendant l’eau fluorescente. L’artiste se sert aussi de divers autres supports matériels pour montrer des pans de son intimité, comme la glace, la vapeur, un gros morceau de glaise transformé en sexe féminin donnant naissance à une tête, des billes de bois qui se métamorphosent en bébé qu’il baigne à son tour. D’autres objets comme une pipe à eau ou un nettoyeur à vapeur occupent des fonctions poétiques et narratives. Le tout prend une allure d’immersion expérimentale, et ce ne sont pas tous les instants tirés de l’inconscient du concepteur qui sont totalement accessibles au spectateur. Il n’est pas rare de voir des spectacles contemporains faire un usage à mauvais escient des technologies multimédia: soit flamboyant à outrance, soit peu esthétique, bon marché et mal intégré. Gladyszewski excelle à maîtriser la lumière et l’incorpore de façon fluide, d’un simple faisceau bien placé à l’image 3D hautement technologique mais toujours raffinée. De même, l’autofiction qui aurait pu être redondante et imbue d’elle-même est exposée en objet artistique mûrement réfléchi et poétique. x
Au salon de l’or noir
Edward Burtynsky nous plonge dans le pétrole jusqu’ au cou. Louis Saint-Aimé Le Délit
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e Musée McCord présente l’exposition «Pétrole» du photographe canadien Edward Burtynsky. Connu pour son choix plutôt singulier de sujets –des scènes industrielles, pour la plupart– il s’est aussi fait connaître par le film Paysages Manufacturés (2006) de Jennifer Baichwal, qui porte sur son œuvre. L’artiste est de retour avec cette exposition composée de cinquante-six tirages représentant l’obsession de l’humain pour –et sa dépendance à– l’or noir. Burtynsky explore les effets et conséquences du pétrole à chaque étape de sa vie utile, jusqu’à son rejet dans l’environnement. Tout y passe: des champs pétrolifères à perte de vue en Californie, des plateformes de forage
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rouillées et fuyant en Azerbaïdjan, les sables bitumineux en Alberta avec leurs bassins de décantation huileux et iridescents, une autoroute de seize voies qui se perd dans l’horizon pollué de Los Angeles, un bateau à moteur qui file sur une marre artificielle en banlieue de Las Vegas, des travailleurs au Bangladesh qui marchent dans une boue noire et huileuse, entourés de barils de pétrole vides, des milliers de spectateurs qui regardent une course de camions depuis les gradins bondés d’une piste en Alabama. L’observateur est laissé libre de faire les juxtapositions voulues, ce qui donne inévitablement des résultats incongrus, pour ne pas dire grotesques. «Ces images peuvent être considérées comme les observations d’un artiste, des réflexions sur un monde refaçonné par cette force énergétique massive et les effets cumula-
tifs de l’évolution industrielle» écrit Burtynsky. En effet, l’extraction et la transformation du pétrole occasionnent un coût environnemental sans cesse grandissant. Edwrad Burtynsky capte l’environnement visuel qui en résulte dans ses photos d’une esthétique inhabituelle. Dans son ensemble, l’œuvre est empreinte d’une ironie certaine. Le succès de l’exposition réside dans sa perspective aérienne d’un mode de vie que l’on tient souvent pour acquis. Souvent, le sujet abordé est tellement abject, et la photographie tellement bien maîtrisée, que Burtynsky parvient à faire surgir le beau du laid. x Pétrole Où: Musée McCord 690 rue Sherbrooke Ouest Quand: Jusqu’au 8 janvier
Crédit photo: Louis Saint-Aimé
x le délit · le mardi 8 novembre 2011 · delitfrancais.com
CHRONIQUE BANDE-DESSINÉE
La sexualité décomplexée Vous êtes coincé, célibataire, bisexuel? Hamac-carnets est faite pour vous! Annick Lavogiez Le Délit
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aroline Allard (texte) et Iris (dessin) sondent avec humour dans ce drôle d’ouvrage mibande-dessinée mi-guide de vie, les différentes facettes de la sexualité. L’effet est plutôt réussi et il est plaisant de voir sous un autre angle un sujet qu’on a parfois tendance à regarder trop au sérieux. Dans cinq sections, de railleries en témoignages, de questionnaires en dessins à compléter, les deux auteures vous offrent sans tabou une petite exploration de tout ce qui a trait de loin ou de près
au sexe. Rien n’échappe à leur regard amusé: les préliminaires, les parties intimes, les relations sexuelles, l’érotisme, les fantasmes et perversions et les maladies de l’amour. La réussite de l’album tient majoritairement, au-delà de la drôlerie des textes et des dessins, à sa forme variée. En effet, Allard et Iris vous offrent des tests, des témoignages (notamment ceux de Lorna BulBritt, tombée amoureuse d’un tracteur vert et Erico Montalban, le seul homme au monde à ne jamais avoir consulté un site porno sur internet) et des statistiques (que vous pouvez vous-mêmes compléter, afin de ne plus vous laisser déprimer par ceux des vraies
revues que vous lisez habituellement). Pour en finir avec le sexe contient même un courrier du lecteur farfelu et sympathique, adressé à Rhonda Butternotch, sexologue en résidence dont les réponses provoquent de bons fous rires et sourires. Le livre propose également des pancartes à suspendre au-dessus de votre lit afin de «mettre les points sur les i avant même d’avoir baissé vos culottes» («Inutile d’appuyer sur ma tête, je connais le chemin», ou encore «Mes testicules ne sont pas des balles anti-stress») et des masques de Dark Vador, Chewbacca et Brad Pitt pour pimenter vos nuits.
Allard et Iris révèlent aussi les dix étapes de l’orgasme facile pour les femmes, ainsi que l’art de la diplomatie du refus, ou encore celui de la diplomatie des perversions et autres contrariétés. Elles imaginent même que la masturbation thérapeutique puisse venir à la rescousse des fumeurs, ce qui en séduira plus d’un. On se laisse donc bel et bien entraîner dans cet album franchement sympathique et relaxant. Si certaines planches seront peut-être suspectées d’être plus douteuses ou simplement moins subtiles (on vous laisse décider lesquelles), l’ensemble du livre est une belle réussite qu’on prend plaisir à recommander. x
BD d’Alice Des
Gracieuseté des Édtitions du Septemtrion
CHRONIQUE LITTÉRAIRE
Arvida: la mémoire volontaire Luba Markovskaia | Réflexions parasites
«Ma grand-mère, la mère de mon père, disait souvent: Y a pas de voleurs à Arvida». C’est ainsi que le narrateur de Samuel Archibald commence son récit, ou plutôt ses récits, sur la mémoire de Arvida, sa ville natale. Pourtant, ce n’est pas le Arvida de son enfance qu’il raconte, puisqu’en 1978, année de sa naissance, la petite ville du Saguenay est annexée à Jonquière. C’est donc dans une volonté de préservation d’un passé révolu que le narrateur collige les histoires de ses amis et de sa famille, avec leurs exagérations, leurs vérités et leurs x le délit · le mardi 8 novembre 2011 · delitfrancais.com
mensonges, et bien sûr, avec son propre talent de conteur. Les premiers mots du récit renferment de nombreux éléments essentiels du livre (l’oralité, la mémoire des ancêtres, l’ubiquité du mensonge ou de son soupçon), en commençant par ces mots mêmes qui reviennent à plusieurs reprises, et dont le sens est toujours légèrement décalé. C’est que l’auteur, fils de conteur, a un remarquable sens du rythme et de la répétition. Chacune des histoires a sa petite musique interne, composée d’anaphores et de leitmotivs, typiques de l’univers du conte. C’est en effet l’oralité qui frappe dès le début de la lecture; non pas l’oralité «folklorisante» des contes transposés sur papier mais bien l’art de rendre la parole vivante, comme il le fait si bien pour le français québécois, contrairement à ces auteurs qui s’essaient au français joualisant tout en gardant les «ne» du négatif, ce qui a pour effet de tuer le réalisme des dialogues les plus terre à terre. Or, Archibald excelle autant dans le réalisme cru des dialogues et des situations que dans le mer-
veilleux de leur évocation par la mémoire des hommes. Un récit de la mémoire, donc, mais tout à l’opposé de Proust. Le narrateur s’en dissocie d’ailleurs dès le début (en évoquant par le fait même le parallèle) dans un chapitre intitulé «Mon père et Proust», dans lequel la madeleine de Proust devient un May West, ou une «anti-madeleine». Il termine son livre sur un chapitre intitulé «Madeleines» dans lequel l’importance de se souvenir et de raconter est indissociable des histoires qu’on se raconte entre hommes, plutôt que de la mémoire individuelle: «La seule histoire qui me revient à partir d’une bouchée vient d’une bouchée de MacCroquette». Encadré par ces références à Proust, le récit s’en affranchit d’une certaine manière, et ne fait aucune autre référence à des œuvres littéraires, ce qui m’a paru étrangement rafraîchissant. Je dirais que la grande différence entre Samuel Archibald et la plupart de nos auteurs, «universitaires» et autres, c’est qu’il écrit à partir de la réalité, sans toutefois refuser l’imaginaire, et cela se
sent dans chacune de ses phrases. Cette impression au fil de ma lecture s’est cristallisée en lisant ces lignes: «Elle aurait aimé sentir sur sa peau l’odeur fraiche des livres qu’ils achetaient chez les libraires ou l’odeur rance des livres qu’ils dénichaient chez les bouquinistes mais les livres ne laissent pas d’empreintes semblables sur les gens et elle ne trouva jamais sur lui aucune odeur de vieux papier ni aucune odeur de papier neuf». Mais voilà, Archibald n’écrit pas sur ce qui n’a pas d’odeur. Il écrit directement à partir de la vie, de la parole vive, de ce qui fait mal, de ce qui fait peur, de ce qui nous rend vivants. Il n’est pas un «writer’s writer», ce qui libère en quelque sorte le lecteur littéraire averti. Lisez donc Arvida pour les histoires troublantes, cauchemardesques, grotesques, cocasses, faites-le au repos, pour goûter le style unique de l’auteur, et laissez de côté vos soupçons littéraires d’intertextualité. L’auteur vous donne les références «toutes cuites» au début et à la fin, détendez-vous et lisez le reste pour le plaisir de découvrir ce conteur fascinant. x
Arts & Culture
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Le 10 novembre 13h, Portail Roddick : Manifestons pour une éducation accessible.
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