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CKUT au conseil
Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill
p. 2 & 5
AéUM
Le mardi 06 novembre 2012 | Volume 102 Numéro 08
De rad à rap depuis 1977
Volume 102 Numéro 08
Éditorial
Le seul journal francophone de l’Université McGill
rec@delitfrancais.com
L’AÉUM et Politique Nicolas Quizua Le Délit
L
ors du dernier conseil législatif, jeudi dernier, les membres exécutifs de l’AÉUM (Association Étudiante de l’Université McGill) se sont questionnés à savoir si l’Association soutiendrait le comité du «oui» dans le référendum de CKUT. Le référendum vise l’augmentation des frais de la radio étudiante CKUT de quatre à cinq dollars par étudiant. Plusieurs conseillers ont exprimé leur malaise quant à un soutient du comité du «oui». Le conseil ne prendra donc pas de position suite à une égalité dans les votes (11 pour, 11 contre et 4 abstentions). En entrevue avec Le Délit, Robin Reid Fraser, vice-présidente externe qui a voté en faveur du support du comité du «oui», ne pense pas que l’intention des membres votant contre ait été de ne pas supporter CKUT. «La question regardait le fait que l’AÉUM représente 22 000 étudiants qui ne voteront pas tous ‘oui’». Michael Spzejda, viceprésident interne qui a voté contre la motion, disait jeudi que les membres de l’exécutif manqueraient à leur devoir en choisissant un camp. Il ajoute dans un courriel en anglais adressé au Délit que «le devoir de l’AÉUM est de s’assurer que les gens soient conscients qu’il y a des référendums en cours et non pas de soutenir un côté en
particulier, car cela pourrait nous aliéner de certains de nos électeurs». «Je ne crois pas que l’AÉUM soit un organisme intrinsèquement politique», conclut-il. L’AÉUM n’est pourtant pas étrangère aux mandats politiques. Par exemple, suite à un mandat adopté à l’automne 2011, lors d’une Assemblée Générale, l’AÉUM s’est «opposée à toutes les augmentations de frais de scolarité, avec un objectif à long terme que les frais de scolarité soient entièrement remplacés par d’autres moyens de financement de l’éducation postsecondaire». De telle façon, contrairement à la position du vice-président interne, Le Délit croit que le rôle du conseil est de prendre ce genre de décisions. Les membres de l’exécutif sont élus selon une certaine plateforme électorale et non pas selon leurs compétences bureaucratiques. De plus, le fait de voter oui, de voter non ou de s’abstenir constituent tous des énoncés politiques. Finalement, il est impossible pour un élu de représenter tous ses électeurs, comme Spzedja le souhaiterait. Même lors des assemblées générales, où les étudiants ont une chance de s’exprimer directement, la décision finale ne représentera jamais tous les électeurs. Une des questions soulevées par ce débat, tel qu’exprimé par Reid Fraser, est de trouver une façon
de permettre «aux représentants de soulever les questions débattues lors du conseil et en discuter avec leurs électeurs». Notre Support CKUT est une ressource offerte par et pour les étudiants de McGill et pour la communauté montréalaise en général. La station, qui a remporté le premier prix pour une station radio communautaire dans le défunt Mirror à plusieurs reprises, offre une programmation de qualité et diffuse un contenu qui n’est pas couvert par les médias de masse. De plus, CKUT constitue la seule organisation qui offre aux étudiants la possibilité d’apprendre et de participer à la production radiophonique. La station de radio n’a pas augmenté ses frais (quatre dollars par étudiant) depuis ses débuts, il y a de cela 25 ans – des frais qui équivaudraient aujourd’hui à sept dollars avec une indexation au taux d’inflation. De plus, lors des dernières années, la station de radio a subi des coupures de financement prononcées à cause des étudiants choisissant de se retirer des frais optionnels en ligne. Le Délit pense qu’afin que l’organisation puisse continuer à enrichir notre communauté universitaire, la demande de réévaluation des frais de CKUT doit être soutenue par les étudiants de McGill. x
rédaction 3480 rue McTavish, bureau B•24 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6784 Télécopieur : +1 514 398-8318 Rédacteur en chef rec@delitfrancais.com Nicolas Quiazua Actualités actualites@delitfrancais.com Secrétaires de rédaction Camille Gris Roy Alexandra Nadeau Mathilde Michaud Arts&Culture artsculture@delitfrancais.com Chef de section Anselme Le Texier Secrétaire de rédaction Anne Pouzargues Société societe@delitfrancais.com Fanny Devaux Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com Samuel Sigere Coordonnatrice visuel visuel@delitfrancais.com Lindsay P. Cameron Infographie infographie@delitfrancais.com Vacant Coordonnatrice de la correction correction@delitfrancais.com Myriam Lahmidi Coordonnateur Web web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Collaboration Simon Albert-Lebrun, Théo Bourgery, Louis Baudoin-Laarman, Pierre Chauvin, Stéphanie Fillion, Thomas Simoneau, Sofia El Mouderrib, Simon Albert-Lebrun, Alexandre Gauvreau, Lauriane Giroux, William Sanger, Alexandra AppinoTabone, Alexandre Vinson, Philippine Blanchet, Zoe Carlton, Lily Schwarzbaum Couverture Montage: Lindsay P. Cameron bureau publicitaire 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6790 Télécopieur : +1 514 398-8318 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Photocomposition Mathieu Ménard et Geneviève Robert The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Queen Arsem-O’Malley Conseil d’administration de la Société des publications du Daily (SPD) Nicolas Quiazua, Olivia Messer, Sheehan Moore, Erin Hudson, Joseph Henry, Matthew Milne, Farid Muttalib, Shannon Pauls, Boris Sheldov, Queen Arsem-O’Malley, Rebecca Katzman, Anselme Le Texier
L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.
Les opinions exprimées dans ces pages ne reflètent pas nécessairement celles de l’Université McGill.
Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal.Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec). Le Délit est membre fondateur de la Canadian University Press (CUP) et du Carrefour international de la presse universitaire francophone (CIPUF).
2 Éditorial
x le délit · le mardi 06 novembre 2012· delitfrancais.com
Actualités actualites@delitfrancais.com
CAMPUS
Entrevue avec la principale Heather Munroe-Blum rencontre les médias de McGill.
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a principale sortante de McGill, Heater MunroeBlum, a convié Le Délit, The Daily et The Tribune dans l’édifice d’administration James pour une entrevue conviviale vendredi le 2 octobre. Aperçu de l’échange: Crédit photo: Lindsay P. Cameron
Québécois pour le système d’enseignement supérieur. […] Pour McGill, c’est une mission assez spécifique, d’être une université axée sur la recherche intensive avec de nombreux programmes pour les étudiants à la maîtrise et au doctorat, des programmes avec des facultés professionnelles, avec une population large d’étudiants québécois, mais aussi de tout le Canada et de l’international. […] Nous voulons apporter une approche multidimensionnelle à ce sommet. […] LD: Vous avez mentionné durant la conférence au Conseil des Relations Internationales de Montréal (CORIM) qu’il y avait un déficit de 620 millions de dollars dans les universités au Québec. Que pensez-vous des salaires élevés des recteurs et rectrices dans ce contexte de déficit québécois? HMB: Je crois que c’est très important, comme j’ai dit dans mon exposé au CORIM, que nous comprenions que dans l’optique d’attirer des étudiants, des professeurs, des administrateurs de partout à travers le monde, ou de les garder ici au Québec, nous avons besoin de rester compétitifs dans nos compensations, et je dis cela pour tous les niveaux. Dans les compensations, nous ne sommes pas les plus élevés au Canada, et les missions des universités sont différentes, les responsabilités sont différentes, mais c’est un marché compétitif, et c’est très important pour le Québec d’avoir du «leadership» dans tous les domaines pour se classer parmi les meilleurs au monde. […]
Le Délit (LD): Quel sera le rôle de McGill dans le prochain sommet de l’éducation promis par Pauline Marois? Heather Munroe-Blum (HMB): Ce n’est pas clair maintenant quelle est [la structure] de ce sommet. C’est clair que nous, nous espérons être très impliqués dans ce sommet. Nous avons travaillé avec la Conférence des Recteurs Et des Principaux du Québec (CREPUQ) et plein d’acteurs ensemble, et les étudiants de McGill sont aussi très intéressés d’avoir un mot à cet égard. Nous voulons avoir une représentation à ce sommet, nous travaillons pour faire des suggestions sur comment ce sommet devrait être tenu, mais ce n’est pas du tout clair de quel format il sera. LD: Y a-t-il des thèmes que vous tenez à aborder? HMB: Bien sûr, la qualité de l’enseignement, l’accessibilité de l’enseignement, la compétitivité de notre système et le respect pour les missions de nos institutions. Nous avons un système d’enseignement supérieur très diversifié et c’est important que le thème du sousfinancement soit là, mais pas seulement la question du financement, mais quelle est notre vision comme x le délit · le mardi 06 novembre 2012 · delitfrancais.com
McGill Daily (MD): Par rapport aux recherches sur l’amiante: beaucoup de personnes, incluant le Dr. Colin Soskolne de l’Université d’Alberta, ont décrit le rapport fait par le professeur Fuks comme «servant ses propres intérêts et manquant de transparence». Que répondez-vous à ces commentaires, et autres critiques faites sur ce rapport? HMB: En fait, le rapport a été bien reçu généralement, a suivi un bon processus, et dans le contexte de révision académique qui a été faite par des pairs, nous nous sentons très confortables qu’une révision objective ait été faite. Ceci a été exigé comme une demande spéciale de notre officier à l’intégrité, c’était donc à l’extérieur des compétences normales de la recherche de l’officier à l’intégrité, et je me sens certainement très confortable avec les conclusions de ce rapport. McGill Tribune (MT): Y a-t-il des plans pour appliquer les recommandations du rapport [sur l’Asbestos], par exemple que le Conseil d’Administration évite d’investir dans les compagnies d’amiante et que McGill tienne une conférence académique sur ces problématiques? HMB: [Ne pas investir dans l’amiante] n’est pas quelque chose que vous pouvez faire sans avoir une motion formelle mise de l’avant et ainsi de suite. Ceci dépendra des personnes l’amenant de l’avant. Nous avons un comité du Conseil sur les investissements socialement responsables. La problématique de l’administration des investissements des portfolios est compliquée et le but du comité des investissements est de préserver l’argent reçu et de l’investir afin de la faire fructifier au fil du temps au meilleur de nos habiletés dans les marchés communs. Et donc c’est une chose facile à dire; c’est très compliqué quand vous comprenez que la majorité des outils d’investissements aujourd’hui sont des gros conglomérats. Nous n’avons connaissance d’aucun investissement que nous avons en ce moment dans l’amiante.
MD: Après votre départ, seulement 5 des 23 administrateurs séniors seront des femmes, et, de plus, seulement 18% des professeurs permanents sont des femmes. Pensez-vous que McGill ait un problème en matière de parité? Pensez-vous que cette situation peut changer? HMB: Nous avons besoin de mesures pour encourager les femmes et les autres groupes sous-représentés pour occuper des positions de «leadership», et c’est un thème fort pour moi comme vous pouvez l’imaginer. […] Il y a eu un mouvement très fort en Amérique du Nord dans les années 70 et 80 nommé «Women’s Lib» et je sais qu’il y a tout juste eu une série durant une semaine sur les événements reliés à ceci. Les femmes accèdent à des positions et dans certains secteurs, il y a moins de femmes dans les même positions de «leadership» que dans les années 90, qui ont vu un grand progrès [à cet égard]. Alors si nous ne sommes pas attentifs, [les femmes] perdent du terrain et nous devons faire attention non seulement à ne pas créer un effet dissuasif pour les femmes et pour les autres groupes sous-représentés pour occuper ces rôles, mais bien de créer des incitatifs pour eux […]. x Heather Munroe-Blum quittera ses fonctions de principale de McGill à la fin de l’année scolaire 2012-2013, et prendra une année sabbatique. Elle dit qu’elle reviendra par la suite s’impliquer dans les activités de l’Université.
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Alexandra Nadeau Le Délit
A l’affiche!
Semaine du bien-être financier du12 au16 novembre, 2012 Présenté par le Service des bourses et d’aide financière aux étudiants www.mcgill.ca/studentaid/fr
Avec les étudiants, pour les étudiants.
FONDS MARY H. BROWN
Bureau de la doyenne à la vie étudiante
Services aux étudiants
Actualités
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SYNDICALISME ÉTUDIANT
Dissolution de la CLASSE La CLASSE n’existe désormais plus. L’ASSÉ continue son action. Nicolas Quiazua Le Délit
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a Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE) a été dissoute. Les associations membres de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) ont voté la fin de la CLASSE lors d’un congrès tenu le samedi 3 novembre, à l’UQAM. La hausse des frais de scolarité et la loi 12 ayant maintenant été jetées aux oubliettes par le Parti Québécois du moins pour le moment - la CLASSE n’aurait plus lieu d’être. La CLASSE était un engagement temporaire dans un contexte de grève étudiante tandis que l’ASSÉ est un engagement à long terme dans le but de maintenir un rapport de force permanent contre l’État». Fondée en 2001, l’ASSÉ regroupe plus de 66 000 membres provenant de 31 associations étudiantes collégiales et universitaires. Depuis janvier 2012, plus de 25 000 membres se seraient joints à l’ASSÉ. La coalition temporaire, mise sur pied aux débuts de la grève étudiante, en décembre 2011, regroupait les différentes associations étudiantes des Cégeps et Universités «afin de lutter contre la hausse des frais de scolarité et de coordonner la grève générale illimitée». Avec la CLASSE, l’ASSÉ ouvrait les portes de ses structures
BRÈVE
Coupable Alexandra Nadeau Le Délit
Gabriel Nadeau-Dubois, ex-porteparole de la CLASSE, a été jugé coupable d’outrage au tribunal le jeudi 1er novembre par le juge Denis Jacques, de la Cour supérieure du Québec. La Cour juge donc que le jeune étudiant a entravé le bras de la justice en incitant la communauté étudiante à ériger des piquets de grève malgré les injonctions émises par le tribunal lors du mouvement étudiant du printemps dernier. Pour l’instant, sa sentence n’a pas été prononcée. Cela se fera le 9 novembre prochain. Gabriel Nadeau-Dubois pourrait écoper de travaux communautaires, ou encore même d’un an de prison. Il désire toutefois porter sa cause en appel. «Je n’ai pas prôné l’anarchie, je n’ai pas prôné le désordre. J’ai prôné et je prône encore l’accessibilité à l’éducation», affirme M. Nadeau-Dubois pour sa défense. 58 000$ ont été amassés jusqu’à présent grâce à 1 700 donateurs afin de payer les frais juridiques du jeune coupable. Tout au long du conflit étudiant, plus de 3 000 étudiants ont été arrêtés et plusieurs ont des accusations au criminel. x
Crédit photo: Archive Le Délit
4 Actualités
à toutes les associations étudiantes. Au cours de la grève étudiante, la CLASSE a assumé un rôle substantiel dans le mouvement étudiant, en imposant ses propres revendications lors des
de la campagne de l’hiver dernier. La fin de la CLASSE ne signifiera toutefois pas la fin de la mobilisation. L’ASSÉ commence d’ailleurs un nouvelle campagne: «En marche vers la gratuité scolaire».
négociations. Dans un communiqué, la co-porte-parole de la CLASSE, Camille Robert, estime que la CLASSE et ses associations membres sont les principales responsables des différentes victoire » lors
«L’annulation de la hausse nous permet de mettre de l’avant notre revendication première: la gratuite scolaire de la maternelle au doctorat [...]. Nous avons tenté de la mettre de l’avant pendant la grève
Crédit photo: Lindsay P. Cameron
générale», affirme Jérémie Beidard-Wien, porte parole de l’ASSÉ, en entrevue avec Le Délit. Dans les semaines à venir, l’ASSÉ se penchera sur le sommet sur l’éducation supérieure promis par le Parti Québécois qui devrait avoir lieu au cours de la session prochaine. À ce propos, les militants de toutes les associations étudiantes du Québec, se retrouveront lors du Rassemblement national étudiant (RNE) les 1er et 2 décembre prochains afin de s’accorder sur la stratégie à prendre. L’ASSÉ n’a toutefois pas confirmé si elle participera au sommet. M. BédardWien explique que l’ASSÉ n’a pas historiquement participé à ce genre de sommets. «Ces sommets sont décidés à l’avance [...]. Le sommet a pour seul but de nous faire passer une indexation (des frais de scolarité à l’inflation, ndlr) et notre participation serait utilisé en tant que moyen de légitimer cette décision», ajoute-t-il. L’ASSÉ attend donc de savoir quelle sera la composition du sommet. «Nous participerons seulement avec la présence d’un mouvement derrière nous et avec des moyens de pression en parallèle, pas seulement de manière symbolique», explique Wien. L’association est en contact sporadique avec le ministre de l’Enseignement supérieur, Pierre Duchesne.x
JOURNALISME
Le photojournalisme aujourd’hui La photo «amateur» prend un rôle considérable et une nouvelle forme de journalisme se développe. Théo Bourgery Qu’est-ce que la guerre? Christine Ross, professeure d’Histoire de l’Art Contemporain à McGill, a voulu remettre cette problématique à l’avant-scène en organisant une série de conférences sur le thème du photojournalisme en temps de guerre le vendredi 2 octobre dernier au Musée McCord. Avec l’association Media@McGill qu’elle préside, Madame Ross se consacre «aux polémiques liées aux médias, à la technologie et à la culture», comme on peut le lire sur le site web de l’organisme. Pour les cinq prochaines années, cette organisation regroupant universitaires, journalistes et intellectuels cherchera à analyser le thème très général de «Médias et Démocratie». Cette année, plus particulièrement, Media@McGill avait pour thème d’étude «le photojournalisme, hier et aujourd’hui». Christine Ross voit dans ces recherches «un sujet interdisciplinaire à McGill; les départements de droit, de sociologie et de science politique étant concernés». De plus, ajoute-t-elle, il s’agit de rendre ce débat «accessible au plus grand nombre de personnes». Lors de la conférence d’inauguration de la journée thématique sur la guerre de vendredi dernier, l’écrivain et journaliste américain Peter Maass était invité à discuter du rôle de la photographie
«amateur» dans les conflits des dix dernières années. La photo «amateur», explique Peter Mass, fait référence à un type de photographie dans lequel les artistes sont les participants et acteurs du sujet photographié. Ce type de photographie s’est développé grâce aux nouvelles technologies digitales, comme le téléphone portable. Elle commence à faire fureur en 2003, lorsqu’un Irakien inconnu décide de filmer la pendaison du dictateur déchu Saddam Hussein. Il n’y avait pas de photographe officiel pour l’événement; la vidéo a ainsi fait le tour du monde. Depuis, Peter Maass ne jure que par l’«amateur». Les plus grandes photos de la guerre d’Irak, selon lui, sont celles prises par un prisonnier au centre de détention Abou Ghraib à Bagdad, alors que les photographes officiels n’avaient pas la permission de sortir leur appareil. Pour le journaliste Peter Maass, il ne faut absolument pas rejeter de telles photos, car elles donnent au conflit un sentiment d’authenticité et représentent bien «ce qui se passe vraiment en temps de guerre»: tout est chaotique, rien n’est «parfaitement formaté». Quant à la fiabilité de la source, qui est très souvent inconnue, il dit ne pas y prêter attention: «Peu importe», lance-t-il, «le pouvoir de la photo prise par les acteurs de ces révolutions reste gigantesque». On l’a vu en Tunisie en 2010.
Lors d’une manifestation organisée après l’immolation du vendeur de rue Mohamed Bouazizi, une vidéo «amateur» propulse le pays dans une véritable guerre contre le gouvernement alors en place. Pareillement, la capture de Kadhafi en Lybie n’a été enregistrée que par des participants à cette capture. La photographie en temps de guerre semble être un sujet abstrait pour beaucoup d’étudiants à McGill. Comment se sentir concerné par quelque chose que seulement une minorité d’entre nous a connue ou connaîtront? Christine Ross et Peter Maass ont la même réponse: «Prenez le Printemps Arabe: ces événements ont beaucoup parlé aux étudiants». Ceux-ci se sont mobilisés de différentes façons tout au long des conflits. Monsieur Maass souligne que cet intérêt vient précisément du fait que plus d’images et de vidéos «authentiques» sont accessibles en quelques secondes à travers le monde. Les étudiants ont donc une meilleure idée de ce qui se trame réellement. C’est d’ailleurs ce qui dérange Mme Ross: avoir accès à la violence si facilement, n’est-ce pas, d’une certaine manière, la banaliser? La photographie «amateur» en tant que nouvelle forme de photojournalisme est en plein essor. Mais il est encore trop tôt pour juger de ses impacts réels et pour prévoir son évolution à plus long terme. x
x le délit · le mardi 06 novembre 2012 · delitfrancais.com
CAMPUS
Conseil législatif de l’AÉUM Le conseil ne soutiendra pas le comité du «oui» pour le référendum de CKUT. Camille Gris Roy Le Délit
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’ordre du jour du dernier conseil législatif de l’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM) était chargé. Lors d’une session qui a duré plus de quatre heures, le conseil a discuté entre autres des motions rejetées à l’Assemblée Générale du 15 octobre et de questions reliées à la période référendaire. Anciennes motions Il avait été décidé au dernier conseil législatif du 18 octobre de reporter au conseil du 1er novembre le débat sur les quatre motions rejetées à l’Assemblée Générale. Le conseil a d’abord discuté de la motion sur l’accessibilité aux études. La vice-présidente externe Robin ReidFraser a insisté sur le fait que le thème abordé dans cette motion «n’est pas nouveau», et que ce sujet est «l’une des choses les plus importantes sur laquelle l’AÉUM doit travailler». 24 ont voté pour la motion, 0 contre (et 2 abstentions). La deuxième motion débattue au conseil portait sur l’investissement éthique à McGill. Selon le texte de cette motion, l’AÉUM s’oppose au développement des sables bitumineux au Canada et demande à McGill de se dissocier des compagnies engagées dans cette industrie. Après une série d’amendements, le conseil a voté pour la motion à 9 contre 7. La motion suivante concernait la position de l’AÉUM sur la guerre en Iran. Le conseiller (de la Faculté des Arts) Brian Farnan a proposé d’élargir le propos de la motion à «toute intervention ou question militaire en général» et de ne pas la lier au cas iranien. L’amendement
est passé. Mais au final la discussion sur la motion a été reportée. La quatrième motion aurait porté sur l’opposition de l’AÉUM au Plan Nord. «Je constate que l’AÉUM se positionne sur des sujets très ‘externes’, et le débat sur ces sujets requiert beaucoup de recherche», a fait remarquer la conseillère (de la Faculté des Arts) Nicole Georges, appuyée par le sénateur Max Zidel. La motion a finalement été reportée aussi. Référendum Le conseil a discuté de l’implication de l’AÉUM dans le référendum sur la radio étudiante CKUT, en particulier du fait que l’association soutienne le comité du «oui». Pour l’instant, aucun comité du «non» n’a été formé. Malgré tout, plusieurs conseillers ont exprimé leur malaise quant à soutenir le «oui». Pour Michael Szpejda: «L’AÉUM représente tous les étudiants et si on choisit un camp, [on manque à notre devoir]». Mais selon Robin Reid-Fraser, «CKUT est une ressource pour tous les étudiants et ils n’ont pas augmenté leurs frais depuis longtemps […]. Il faut faire en sorte que les étudiants qui y travaillent continuent de travailler dans de bonnes conditions». «On ne questionne pas la légitimité de CKUT, mais la légitimité d’une prise de position de l’AÉUM. Je pense qu’on risque d’aliéner un certain nombre d’étudiants», a déclaré Nicole Georges. Finalement, le conseil a voté à 11 pour, 11 contre (et 4 abstentions): la motion n’est pas passée et l’AÉUM ne soutiendra pas officiellement le comité du «oui». En revanche, le conseil a voté pour soutenir le référendum pour le McGill Student Emergency Response Team (M-SERT). «M-SERT […] sauve littéralement des vies. Ils font un travail for-
Crédit photo: Lindsay P. Cameron
midable, avec peu d’argent», a souligné le conseiller (représentant les Clubs et Services) Zachary Rosentzveig. Le président de l’AÉUM Josh Redel a de plus rappelé que «les clubs et services sont la plus haute priorité de l’AÉUM». Autres éléments notables Les conseillers ont abordé la question de la création d’un nouveau comité, le Student Advocacy Resource Committee. David Benrimoh, étudiant en médecine impliqué dans ce projet, était invité à venir parler de ce comité dont le but est d’aider les étudiants à comprendre et travailler avec la bureaucratie de l’AÉUM et de McGill en général. Il s’agit par exemple d’aider des étudiants à monter un comité, à préparer une question référendaire, à travailler avec l’administration. Certains conseillers ont exprimé leur crainte de voir ce comité «prendre la place de l’AÉUM». «Le but n’est pas de faire le travail à la place de l’AÉUM, mais d’aider l’AÉUM en lui enlevant une charge de travail». a expliqué David
Benrimoh. Pour la vice-présidente aux Affaires Universitaires Haley Dinel, ce comité représente malgré tout «une ressource». Au final la motion sur la création de ce nouveau comité a été adoptée à 15 contre 5. Le conseil a aussi discuté d’une motion au sujet d’un sommet de l’éducation organisé à McGill en parallèle du sommet sur l’éducation prévu par le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche, de la science et de la technologie du Québec. La motion est passée à l’unanimité: l’AÉUM travaillera à la préparation de ce sommet. Le budget, prévu pour le 1er novembre, devrait être présenté au prochain conseil. Le Vice-Président Finance Jean Paul Briggs a déclaré qu’il y avait eu du retard. Le Président Josh Redel a par ailleurs annoncé que le prochain conseil «itinérant» (après le conseil qui s’était tenu sur le campus Macdonald le 11 octobre dernier) serait dans le bâtiment d’éducation. x
Référendum: CKUT Depuis 25 ans, CKUT, la radio de McGill, produit de nombreuses émissions pour les étudiants de l’Université. Cet automne se tient un référendum visant à augmenter la cotisation étudiante d’un dollar. Depuis ses débuts, les frais sont restés les mêmes et de fait, le budget de la radio étudiante ne suit pas l’inflation. Tous peuvent se prononcer. Il suffit de voter grâce à la plateforme de vote «SSMU Election» qui sera envoyée aux étudiants par le biais de votre courriel McGill. Des bureaux de vote sont également installés sur le campus. Le vote s’ouvrait lundi le 5 novembre et se finira vendredi le 11 novembre à 17h.
BRÈVE
Rentrée parlementaire mouvementée Mathilde Michaud Le Délit
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e mardi 30 octobre 2012, la lecture du discours de la Première Ministre par le Lieutenant-gouverneur du Québec, Pierre Duchesne, amorçait officiellement la 40e législature. On y félicitait la présence maintenant accrue des femme au sein du parlement (elles représentent près du tiers des élus) de même que l’élection du plus jeune député de l’histoire du Québec, Léo Bureau-Blouin. Le Lieutenant-gouverneur s’est aussi permis d’ajouter un conseil personnel: «L’élection d’un gouvernement minoritaire a pour principale conséquence de placer la députation sous le signe du dialogue et de l’ouverture». Par la suite, les députés ont procédé à l’élection du Président de l’assemblée et c’est M. Jacques Chagnon, député libéral
pour le comté de Westmount–Saint-Louis, qui a été élu pour un second mandat. Mercredi le 31 octobre, Pauline Marois a également fait son discours d’ouverture et aussitôt celui-ci terminé, les deux partis de l’opposition, le Parti Libéral du Québec (PLQ) et la Coalition Avenir Québec (CAQ) avaient manifesté leur intention de voter contre la motion entérinant le discours lors du vote prévu dans environ 10 jours. Le lendemain, François Legault, chef de la CAQ, s’est cependant rétracté, indiquant lors d’un point de presse qu’il n’avait pas l’intention de défaire le gouvernement sur la seule base d’un exposé. Il a cependant prévenu que tous les députés de la formation politique seront présents afin de voter contre le budget qui sera déposé par le Parti Québécois (PQ). Le 1er novembre, les députés de toutes les formations politiques se sont rassem-
x le délit · le mardi 06 novembre 2012 · delitfrancais.com
blés afin de commémorer les 25 ans de la mort de René Lévesque, ancien Premier Ministre du Québec et fondateur du PQ en 1976. Pauline Marois y a prononcé un discours dans lequel elle se disait fière d’avoir comme mandat de poursuivre l’œuvre de ce grand homme québécois. Finalement, Québec Solidaire (QS) a connu certains changements structurels en cette fin de première semaine parlementaire. Le parti est structuré afin d’avoir deux porte-paroles nationaux, soit un issu de l’aile parlementaire et un second ne possédant pas le titre de député. Mais les deux précédents porteparoles de QS ont été élus députés. Amir Khadir a donc décidé de laisser sa place à Françoise David et de prendre le simple titre de député. Lors de son conseil National, prévu du 30 novembre au 2 décembre, QS choisira un nouveau porte-parole extra-parlementaire. x
Crédit photo: Lily Schwarzbaum
Actualités
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POLITIQUE ÉTUDIANTE
Sommet souverainiste Une identité québécoise, mais pas mcgilloise. Louis Baudoin-Laarman Le Délit
rôle pour les intérêts des Québécois. Il dit: «Ce rôle est très clair notamment dans les coupures dans les transferts fédéraux au Québec pour l’éducation postsecondaire qui représentent environ 800 millions par année». M. Laporte estime que les établissements anglophones sont sur-financés proportionnellement à la démographie anglophone au Québec. Par exemple, l’Université McGill reçoit à elle seule «presque 37% du financement de la Fondation Canadienne pour l’Innovation», une fondation destinée à financer la recherche dans les universités. La rectrice de McGill, Heather MunroeBlum, ne partagerait probablement pas cette opinion si elle l’entendait, elle qui s’était plainte que les universités québécoise étaient «dramatiquement sous financées» lors d’un discours au Conseil des relations internationales de Montréal.
C
e samedi 3 novembre s’est tenu le Sommet de la relève indépendantiste au centre St-Pierre. Le Sommet était organisé par le réseau Cap sur l’indépendance, une organisation regroupant de nombreux groupes souverainistes québécois, dont de nombreux comités étudiants du Québec. Bien que non-partisan, le réseau Cap sur l’indépendance a joui, pour l’organisation de ce Sommet, de la collaboration spéciale du Forum Jeunesse du Bloc Québécois, dont les bannières ornaient la salle de conférence. Quoi qu’organisé en théorie pour les jeunes de moins de 30 ans, pour qui l’entrée au Sommet était gratuite, on pouvait voir parmi le public, environnant la centaine de personnes, de nombreuses personnes plus âgées, venues de Montréal et d’ailleurs au Québec. Les conférenciers, qui étaient nombreux dû au fait que le Sommet comprenait 8 conférences, allaient de membres du Bloc Québécois, comme Daniel Paillé, à divers journalistes, professeurs et autres militants souverainistes, dont Louise Mailloux, professeure de philosophie au cégep du Vieux Montréal et qui arborait le carré rouge. Quant aux sujets abordés lors des conférences, ils portaient entre autres sur
Crédit photo: Lindsay P. Cameron
les liens entre le mouvement étudiant et l’identité québécoise, ou encore sur les intérêts québécois face au pouvoir fédéral. Le forum n’a pas uniquement parlé de la question nationale ou du recul du français. Pour Maxime Laporte, coordonnateur du Réseau Cap sur l’indépendance, un des sujets les plus importants était notamment le rôle d’Ottawa dans le conflit étudiant et son
Pas de mouvement souverainiste à McGill Du côté des étudiants, ils sont venus de diverses universités et cégeps de Montréal et de Sherbrooke, et on notait une quasi-absence d’étudiants mcgillois. En effet, bien que les québécois représentent plus de la moitié des étudiants de l’Université McGill, on dénote une absence de club, comité ou organisation souverainiste, contrairement aux autres universités montréalaises.
Il y a eu dans le passé une cellule bloquiste, à présent dissolue, éclipsée par les clubs comme Liberal McGill ou Conservative McGill, plus populaires. Chloé Landry, VP francophone de Liberal McGill affirme que le peu de représentation des souverainistes à McGill «en dit beaucoup sur la présence de la communauté souverainiste à McGill», ajoutant cependant qu’il existe à Liberal McGill «un désir de refléter les valeurs canadiennes et libérales du bilinguisme». Selon Xavier Barçalou-Duval, président du forum jeunesse du Bloc Québécois, les souverainistes de McGill parlaient d’une «mauvaise collaboration de la part du restant de l’école». Pour Evelyne Marcil, étudiante à McGill, «la souveraineté est un sujet tabou à McGill». Les organisateurs du Sommet n’étaient donc pas surpris de l’absence de représentation de l’Université samedi. Maxime Laporte ajoute que McGill «peine à se définir comme québécoise», faisant référence tant à sa forte identité canadienne anglaise qu’au peu de mobilisation qu’avait connu McGill lors du Printemps Érable. Le Sommet s’est terminé en fin d’après-midi. Les participants étaient également conviés à une Veillée de la Liberté, qui invitait les sympathisants à dialoguer et à se former des réseaux en vu d’actions futures. x
MONTRÉAL
Le maire Tremblay démissionne Après quelques jours de repos, Gérald Tremblay annonce sa décision de quitter la mairie de Montréal. Pierre Chauvin Le Délit
L
e lundi 5 novembre vers 19h, Gérald Tremblay a convoqué la presse pour annoncer sa démission. Il a clamé son innocence et réitéré qu’il n’avait jamais été informé de la corruption au sein de son parti. «Je souhaite ardemment qu’un jour on reconnaisse que je me suis battu, très souvent seul, contre ce système, cette collusion et cette corruption qui, pourtant, selon les révélations de la commission Charbonneau, existaient depuis au moins 1988», a déclaré le maire. Gérald Tremblay était absent de l’hôtel de ville depuis jeudi dernier. «Le maire de Montréal a décidé de prendre quelques jours de repos. Il sera de retour à l’hôtel de ville lundi.» C’est en ces termes que l’attachée de presse du maire sortant de Montréal, Martine Painchaud, avait expliqué l’absence de M. Tremblay
à plusieurs événements publics. Quelques jours plus tôt, un ancien organisateur d’Union Montréal (le parti de Gérald Tremblay), Martin Dumont, avait affirmé devant la commission Charbonneau que le maire Tremblay était au courant du financement illégal de son parti. L’ancien maire était plus isolé que jamais. Après les partis de l’opposition à la ville de Montréal, c’était au tour des rédacteurs en chefs du journal La Presse et The Gazette de demander sa démission. Louise Harel, chef de Vision Montréal, et Richard Bergeron, à la tête du parti Projet Montréal, avaient exigé sa démission depuis le 1er octobre dernier. Le mécontentement s’était aussi étendu aux maires des banlieues, quinze d’entre eux ayant décidé de boycotter une réunion portant sur le budget 2013. Le 30 octobre, Martin Dumont avait allégué que le parti tenait deux comptabilités différentes: une légale et une autre illégale. Il a aussi affirmé que de nombreux entrepreneurs
lui auraient remis des pots-de-vin pour le parti. Immédiatement après, Union Montréal a demandé à la commission Charbonneau de laisser témoigner plusieurs de ses employés ainsi que le maire. «Je ne veux pas me cacher, je ne veux pas vous donner l’impression que j’ai quoi que ce soit à me reprocher, j’ai la conscience en paix», avait déclaré le maire aux journalistes le 1er octobre, immédiatement après le témoignage de Lino Zambito mettant aussi de la pression sur Union Montréal. L’ancien entrepreneur avait allégué devant la commission Charbonneau que 3% du montant des contrats de construction à Montréal allaient directement dans les caisses d’Union Montréal. Le conseil municipal a maintenant 30 jours pour nommer un nouveau maire jusqu’aux prochaines élections, qui se tiendront dans moins d’un an. La commission a quant à elle suspendu ses travaux jusqu’au 12 novembre. x
Crédit photo: Lily Schwarzbaum
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6 Actualités
x le délit · le mardi 06 novembre 2012 · delitfrancais.com
CAMPUS/RELATIONS INTERNATIONALES
La Syrie toujours en guerre Un conflit enflamme le territoire syrien depuis plus de 18 mois. Stéphanie Fillion Le Délit
Crédit photo: Zoe Carlton
A
lors que le conflit en Syrie attire l’attention, particulièrement sur la scène internationale, trois spécialistes se sont rendus à la Faculté de droit de l’Université McGill vendredi le 2 novembre, afin de participer à un panel sur le sujet. Une résolution interne Le professeur en sciences politiques de l’Université McGill, Rex Brynen, a ouvert le bal. Il a analysé les issues possibles à la guerre civile en Syrie, qui a fait jusqu’à maintenant plus de 30 000 morts. Selon lui, il est peu probable que la paix revienne en Syrie grâce à une intervention de la communauté internationale, que ce soit par une médiation ou une intervention plus violente. Selon M. Brynen, «l’option d’une intervention internationale est possible si Al-Assad utilise des armes chimiques». Il est d’avis qu’une médiation serait impossible puisqu’aucun côté ne veut négocier à ce point de la dispute. Le professeur en sciences politiques se tourne plutôt vers une résolution interne du conflit, voire graduelle. Il soutient que la conclusion la plus plausible du conflit syrien est une victoire progressive de l’opposition. «Ca pourrait prendre plus de six mois, voire même une année», affirme t-il. Si cette situation se concrétise, Rex Brynen
Hassan Yari, «ces pays supporteront le gouvernement tant qu’ils n’auront pas trouvé un remplaçant qui répond à leurs intérêts comme le fait Al-Assad». Désillusion Finalement, Abdullah Almalki a donné un exposé touchant l’aspect de la torture en Syrie. L’ingénieur et homme d’affaire a été emprisonné et torturé dans ce pays du Moyen-Orient en 2002. Pendant cette période, il a dû faire face à plusieurs méthodes de tortures différentes. «C’est très psychologique. On est dans une situation où l’air, l’eau et aller uriner sont considérés comme des privilèges», décrit M. Almalki.
«Il pense que la transition vers un nouveau régime serait plus longue qu’elle ne l’a été en Lybie. Agir pour le gain C’est ensuite le professeur Houchang Hassan-Yari du Collège militaire royal du Canada qui a pris la parole afin d’analyser la dimension régionale du conflit syrien. Le professeur HassanYari a analysé la position de la Turquie, de l’Iran et de l’Arabie saoudite. Selon lui, la Turquie, puissance hégémonique en devenir du Moyen-Orient et modèle de démocratie de la région, a beaucoup d’intérêts à préserver en Syrie. M. Hassan-Yari avance que les états entourant la Syrie agiront ainsi selon le
gain qu’ils pourront obtenir de certaines alliances. Selon lui, c’est pourquoi le gouvernement turc ne soutient plus le gouvernement de Bachar Al-Assad et insiste sur l’importance de l’instauration de la démocratie dans ce pays. Avec une frontière longue de 900 kilomètres, la Turquie a avantage à être en bonne position avec le futur gouvernement syrien, et également avec les forces démocratiques mondiales. C’est le contraire pour l’Iran et l’Arabie Saoudite, qui soutiennent toujours Bachar Al-Assad. Allié de longue date de la Syrie, l’Iran a peur, selon le professeur, que si Al-Assad tombe, le pays sera la prochaine cible d’Israël et des États-Unis. De plus, selon M.
est peu probable que la paix revienne en Syrie grâce à une intervention de la communauté internationale.»
L’homme a été capturé à cause de mauvaises informations émises par l’ambassade canadienne. Depuis, il est très critique par rapport aux relations internationales. En effet, il doute du réel intérêt de plusieurs nations à régler le conflit syrien. Avec mots et images, Abdullah Almalki a permis à l’auditoire de ressentir et de comprendre un peu mieux les atrocités vécues par le peuple syrien actuellement, notant que la situation s’est dégradée depuis son emprisonnement. x
OPINION
Lettre ouverte À l’éditeur du Délit En tant que dernier directeur de la Santé au Travail à McGill, je me dois de prendre la défense du docteur Corbett McDonald, fondateur de la Santé au Travail à McGill (1981), contre les allégations publiées dans Le Délit du 23 octobre, concernant ses recherches sur la fibre d’amiante. Ces allégations étaient particulièrement blessantes, venant de l’intérieur même de McGill. De votre plume, nous devions conclure que suite à des contributions majeures menant à établir l’amiante comme une substance dangereuse, Corbett McDonald serait à blâmer pour sa conviction que certaines formes de l’amiante sont plus dangereuses que d’autres. D’après vous, il y a là évidence d’une collusion avec l’industrie de l’amiante. Clairement, le rapport des doyens Fuks et Eidelman, que vous qualifiez de blanchissage, n’a pas modifié votre opinion, puisqu’on pouvait évidemment s’attendre à ce qu’ils défendent leur administration. Cependant, ici, à McGill, certains d’entre nous savent beaucoup de choses sur Corbett McDonald et ses activités. Les relations avec l’industrie ne sont pas nécessairement suspectes, et peuvent être ouvertes et positives, même dans des
situations difficiles. Dans beaucoup de cas, la coopération avec l’industrie est indispensable parce que l’industrie gère des installations et des milieux uniques, possède des informations détaillées et sophistiquées, de même que des capacités techniques et scientifiques qui sont introuvables ailleurs. McDonald a toujours identifié clairement ses sources de financement, tout comme Graham Gibbs et Margaret Becklake. Il a utilisé les ressources fournies par l’industrie pour salarier des spécialistes, et pour leur donner au Mont St-Hilaire des laboratoires d’hygiène modernes capables d’investiguer les problèmes reliés à l’amiante. Si vous avez jamais tenté de publier un article dans une revue scientifique, vous savez que sous le feu des éditeurs, la diversité d’opinions techniques entre scientifiques peut générer des malentendus et même des sorties injustes, tout cela dans un esprit de saine discussion, bien sûr. Désolé de vous décevoir… le milieu scientifique n’est pas toujours tendre. Tous les types de fibres d’amiante doivent-ils être peints de la même couleur, tels les chapeaux de cowboys dans un film western? En 1996, Corbett McDonald a témoigné contre J. M. Asbestos devant la commissionnaire Louise Boucher dans l’importante
x le délit · le mardi 06 novembre 2012 · delitfrancais.com
cause Hamel, présentée devant la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (CALP). Étrange comportement, venant d’un homme dont vous mettez en doute l’intégrité, surtout que la décision a mené à l’attribution de compensations de plus de 13 millions de dollars aux travailleurs. Corbett McDonald était l’un des meilleurs hygiénistes-épidémiologistes de son temps, allié à un niveau d’indépendance qui ferait rêver les journalistes. Dans la spécialité de Corbett McDonald, l’intégrité est absolument indispensable. Les journalistes sont garants des réputations, mais Corbett McDonald était responsable de vies humaines. Il a défendu la santé des travailleurs et des populations avec grande dévotion, et demeure un exemple et une inspiration pour tous ceux qui l’ont suivi. En 2009, le Réseau de recherche en santé des populations du Québec lui a décerné le prix de Chercheur Émérite. À cette occasion, il a été dit que Corbett McDonald se distinguait par ses contributions uniques à la recherche et à l’enseignement, qui ont aidé à créer le domaine de la Santé au Travail au Québec, au Canada, et ailleurs, et qu’il continue
toujours à se consacrer aux problèmes qui touchent la vie des travailleurs. Je présume que vous ne serez pas impressionnés par le fait que depuis 2007, malgré une mobilité limitée, il consacre les dernières années de sa vie à défendre les populations défavorisées du Bangladesh de l’intoxication à l’arsenic, qui les menace dans l’eau de leurs puits. Tout ceci avec les mêmes connaissances uniques en hygiène et en épidémiologie qu’il avait déployées pour l’amiante. Puisqu’il semble que McGill se refuse maintenant à soutenir la Santé au Travail, d’où viendra le successeur de Corbett McDonald, destiné à assurer la protection des travailleurs et de l’environnement, dans notre province et dans le monde? Une meilleure connaissance des faits et de l’homme qu’est Corbett McDonald devraient vous amener à la conclusion que des chercheurs en Santé Environnementale et Professionnelle de la trempe de Corbett McDonald sont des individus dont notre société a absolument besoin.
Paul Héroux, PhD Directeur du programme en santé au travail Université McGill
Actualités
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Société
La perversion
societe@delitfrancais.com
Le «mal du
Thomas Simonneau Le Délit
Le lien social se dissout et alerte régulièrement sociologues et philosophes. Et pour cause? Notamment la montée d’un individualisme sans précédent, alimenté par les réseaux sociaux qui permettent aux individus de se forger une image virtuelle et qui favorisent la mise en place d’un narcissisme atypique. Les sociétés occidentales assistent ainsi au développement de nouvelles psychopathologies qui seraient un frein à la cohésion social, au bien-être de chacun d’entre nous et à l’épanouissement social. Parmi les plus répandues et les plus médiatisées, on retrouve la «perversion narcissique» qui toucherait 3 à 8% de la population selon certaines estimations. Expression sombre que l’on retrouve chez les anglo-saxons de manière moins agressive. En effet, ces derniers parleront de «emotional abuser» ou «emotionally abusive individual». Difficile de ne pas se poser des questions par rapport à son propre entourage lorsque l’on sait qu’un tel pourcentage de personnes est concerné. Maxime*, étudiant de troisième année à McGill en Génie Civile, raconte péniblement la difficulté de se défaire d’une telle relation. Tout se serait passé très vite, débuts grandioses, « trop beaux pour être vrai » selon ses propres termes, suivis de dénigrements insidieux, d’insultes injustifiées et d’une violence psychologique difficile à décrire. « Je ne savais plus qui j’étais, ce que je voulais et je ne pouvais pas accepter que cela vienne d’une relation affective! ». L’origine du terme Le psychanalyste Paul-Claude Racamier est le premier, en 1992, à avoir élaboré cette notion qui cache un mal ordinaire que l’on commence à déceler et qui entre progressivement dans le vocabulaire collectif. Une récente enquête du Nouvel Observateur définit ce «détraqueur comme sociable, adorable, fréquentable, admirable, car la crispation morbide envers une proie unique, une seule, suffit à écluser sa compulsion destructrice». Ce double visage paradoxal dissimule pourtant une faille narcissique datant généralement de l’enfance ou de l’adolescence (père absent, mère dépressive, rupture douloureuse, etc.) qui ne fut pas intériorisée et refoulée par l’enfant. Ce dernier n’aura d’autre alternative que de nier cette réalité trop douloureuse et développer ses propres mécanismes de défense telle que la perversion. Effectivement, la perversion (du
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x le ledélit délit · le mardi · le 06 mardi novembre 06 novembre 2012 · delitfrancais.com 2012 · delitfrancais.com
latin per qui signifie par et vertere que l’on peut traduire tourner, littéralement détourner, corrompre), permet à ce dernier de rehausser l’image négative qu’il a de lui-même en dévalorisant son entourage. Plus fréquemment, la personnalité perverse narcissique se construit dans ce que Racamier qualifiait de «noyau pervers», autrement dit, un mode de relation affective préexistant dans le couple parental que l’enfant reproduira presque inévitablement dans sa vie future. Les causes du phénomène restent cependant hypothétiques et il est difficile de généraliser.
«Insultes
injustifiées, vio-
lence psychologique, chantage émotionnel. Mon compagnon pervers narcissique m’a complètement isolée.» Leïla* Peut-on les soigner? Selon certains experts, la perversion narcissique s’apparenterait à une psychose blanche, c’est-à-dire sans symptômes extérieurs, à dimension paranoïaque. Malheureusement, celle-ci serait très difficile à soigner car la guérison passerait indéniablement par une remise en question et une acceptation du sentiment inconscient de culpabilité que l’individu nie depuis l’enfance. De toute manière, il est très rare que ces individus prennent conscience de leur pathologie et tentent d’entamer un processus de guérison. Leur mode de pensée les en empêche car selon celui-ci: «Tout est de la faute des autres». Les «autres» en question ne seront eux-mêmes pas en mesure de soigner l’individu, même si inconsciemment ils y aspirent, et ne font que le conforter dans sa position. En établissant un mode relationnel basé sur l’empathie, la confiance et la sincérité, la victime va indirectement s’inscrire dans le désir du pervers et s’oublier. Autrement dit, mettre de côté son propre désir qui est, selon certains philosophes, le propre de l’Homme. Les armes du pervers. Comment les identifier? Dans ce combat pour s’emparer du psychisme de l’autre, les pervers
sont donc grandement avantagés, car ils ne sont pas encombrés par leurs propres émotions. Ils font porter aux autres la souffrance et la culpabilité qu’ils sont incapables de ressentir. Ce phénomène de «transfert» se définit par une culpabilisation insidieuse et injuste de la part du pervers envers sa victime. De facto, la meilleure arme du pervers est la parole, qui se décline par une communication erronée et la contradiction entre le discours de ce dernier et ses actes. De plus, celui-ci possède une grande capacité d’adaptation qui l’incite à changer son discours en fonction de son interlocuteur et de la situation et à manier le «chaud et le froid» sur le plan affectif avec grande dextérité. Petit à petit, ce discours contradictoire provoque une incompréhension chez l’interlocuteur et peut provoquer une dépersonnalisation sur le long terme en particulier lorsque la relation est fusionnelle. Leïla*, une victime rencontrée au Centre de Service de Santé Mentale de McGill, dévoile son désarroi et son sentiment d’être piégée lorsque son ex-copain menaçait de se suicider si elle le quittait. En ce qui concerne le narcissisme, il est important de différencier celui qui est sain et qui permet à tout individu d’acquérir une bonne estime de soi, du pathologique à proprement parler. La personnalité narcissique, pur produit du monde contemporain, se présente sous la forme d’un fonctionnement intrapsychique qui définit les autres en tant qu’objets simplement utiles à satisfaire une toute-jouissance inatteignable. Dénoué d’empathie, c’est-à-dire la capacité à se mettre à la place des autres, le narcissique est donc capable de tricher, blesser et manipuler sans remords. Le mécanisme administratif L’Amérique du Nord a, pour sa part, identifié cette pathologie dans les années 80 en étudiant les comportements psychologiques de certains couples homosexuels, hommes et femmes. En 1996, le Centre National d’Information sur la Violence dans la Famille de l’Agence de la Santé Publique du Canada signalait qu’environ 39% des épouses et concubines souffraient d’abus émotionnels de la part de leur conjoint, soit le double depuis la fin de la guerre. Au contraire, le nombre de femmes battues fut divisé par quatre pendant la même période. L’élaboration de lois fut indéniablement une avancée en
n narcissique siècle» 2.0
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la matière, mais force est de constater que la violence est toujours présente, simplement sous d’autres formes. Du côté français, Marie-France Hirigoyen (psychiatre, psychanalyste, thérapeute familial systémique et victimologue) a participé à l’élaboration de la loi du 11 janvier 2001 qui introduisait la notion de harcèlement moral dans le code du travail et dans le code pénal. Elle fut ensuite impliquée dans la mise en place d’une loi similaire en Belgique et au Québec. Son activité dans ce domaine fut notamment reconnue via la publication de son livre Le harcèlement moral, violence perverse au quotidien en 1998, qui fut traduit dans 24 pays et qui s’est vendu à 450 000 exemplaires. L’équipe médicale de McGill a bel et bien conscience du problème que soulève ce genre de pathologie et dispose d’un Centre de Service de Santé Mentale depuis 1965 qui prône la guérison par l’expression de soi et la parole. Ce dernier est composé de 9 médecins, 1 nutritionniste, 4 doctorants et 5 travailleurs sociaux. Dans le cas d’abus sévères remontant généralement à l’enfance et ayant provoqué des maladies graves telles que la dépression chronique, l’anorexie, la boulimie voire même la schizophrénie, le Centre propose des entretiens avec des professionnels de la santé mentale. L’un des travailleurs sociaux opérant sur le campus, mais aussi au CHUM (Centre Hospitalier de l’Université de Montréal), souligne notamment l’énorme difficulté pour certains étudiants atteints de troubles alimentaires liés à un abus dans le cercle familial (qu’il soit émotionnel, physique ou sexuel) de s’intégrer socialement, car ces troubles sont souvent stigmatisés et perçus comme dépendant simplement de la bonne volonté de la personne atteinte. Leïla*, par exemple, a vu sa confiance en soi et en l’avenir grandement améliorées suite à une thérapie de groupe qui l’a aidé à surmonter les troubles alimentaires qui la hantaient depuis cette relation toxique. À plus grande échelle La dimension sociologique et sociétale et de ce phénomène est donc à prendre en compte. D’une part, il invite à une réflexion sur la transition d’une société paternaliste où la violence physique prédominait vers une société où la violence existe toujours, mais de manière plus perfide, insidieuse, mais tout aussi destructrice. En effet, cet affaiblissement
de la figure d’autorité paternelle associé au consumérisme frénétique entraînerait une intolérance à la frustration de plus en plus répandue. Selon le psychanalyste Jean-Charles Bouchoux, «nous vivions autrefois dans une société oedipienne, mais on a tué Dieu et on ne l’a pas remplacé. Nous sommes donc plus que jamais dans une société narcissique qui manque cruellement de pères». Cette immaturité serait le terreau fertile de la prédation morale et d’un rapport à l’autre de plus en plus utilitaire. Selon Dominique Barbier, criminologue et expert psychiatre avignonnais, «c’est le mal du siècle. Ce que j’observe est effrayant, n’importe qui peut tomber sous la coupe d’un pervers». La panacée? Elle n’existe pas. Cependant, une prise de conscience collective, le développement d’émotions socialement utiles telles que la culpabilité et l’empathie dès le plus jeune âge et une utilisation plus responsable des réseaux sociaux de la part des jeunes ne pourraient être que bénéfiques. Bien évidemment, ce type de pathologie n’appelle pas à la méfiance, mais bien à une vigilance et une réflexion sur les limites de ce qui paraît acceptable dans le monde que nous voulons construire.
«Les
pervers
narcissiques
font porter aux autres la souffrance et la culpabilité qu’ils sont incapables de ressentir» Sommes-nous sur la bonne voie? A l’aube du XIX ème siècle, le mouvement romantique qualifiait de «Mal du siècle» le profond désarroi lié à un monde économique qui serait à l’origine d’un vide spirituel. Baudelaire associait cette idée de «spleen» à la perte d’idéaux. La société post-matérialiste et narcissique d’aujourd’hui, qui repose en grande partie sur le numérique et où tout paraît accessible, où tout semble dû, nourrit bel et bien ce manque d’idéal collectif. En son temps, Darwin insistait sur l’existence dans de nombreuses espèces animales dont l’homme, des phénomènes de coopération entre les individus d’une même espèce, auxquels il donnait le nom de sociabilité et de sympathie. Il semblerait que le monde contemporain se dirige dans une direction opposée. Peut-
être devrions-nous ainsi privilégier la coopération à la compétition, la réciprocité à l’efficacité, la solidarité à l’individualisme, combler la perte d’idéaux dont notre société est victime et s’orienter vers un monde plus harmonieux qui n’inciterait pas au développement de telles pathologies. Cependant, la formidable capacité d’adaptation de l’Homme et sa volonté de faire face aux crises qui ont traversé son histoire ne peut que donner espoir. x 20 signes pour reconnaître un individu pervers narcissique: 1. Vampirisation de l’énergie de l’autre : l’expression «se faire bouffer» prend tout son sens. 2. Absence d’empathie, froideur émotionnelle. 3. Insatisfaction chronique, il y a toujours une bonne raison pour que ça n’aille pas. 4. Dénigrement de son ou de sa partenaire sous couvert d’humour au début, puis de plus en plus directement. 5. Indifférence aux besoins et aux désirs de l’autre. 6. Stratégie d’isolement de sa proie. 7. Égocentrisme forcené. 8. Culpabilisation. 9. Incapacité à se remettre en cause ou à demander pardon (sauf par stratégie). 10. Déni de la réalité. 11. Double jeu : le pervers narcissique se montre charmant, séducteur, brillant - voire altruiste- pour la vitrine; tyrannique, sombre et destructeur en privé. 12. Obsession de l’image qu’il donne à l’extérieur. 13. Maniement redoutable de la rhétorique: le dialogue pour dépasser le conflit tourne à vide. 14. Alternance du chaud et du froid, maitrise dans l’art de savoir jusqu’où aller trop loin. 15. Psychorigidité. 16. Anxiété profonde, il ne supporte pas le bien-être de son partenaire. 17. Besoin compulsif de gâcher toute joie autour de lui. 18. Inversion des rôles : il se fait passer pour la victime. 19. Discours paradoxal et contradictoire : le proche perd ses repères. 20. Soulagement morbide quand l’autre est au plus bas. Source: Le harcèlement moral, violence perverse au quotidien (Hirigoyen) *: les noms ont été changés par souci de confidentialité
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Société Société
OPINION
Pauline, juste à temps Alexandre Gauvreau Le Délit
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éjà, au lendemain de son élection le 4 septembre, la première première ministre du Québec animait d’un dédain senti le verbe de la majorité des québécois et inévitablement d’encore plus de ressentiment celui des gens qui ne s’identifient pas ainsi. J’ai donc entrepris de trouver de bons côtés à l’avènement de l’ère Pauline, car avec l’Halloween derrière nous, il m’a semblé qu’une métamorphose en avocat du diable était toute indiquée. Les idées frivoles sont les plus intéressantes! À moins que les valeurs véhiculées par l’actuel monarchiste qu’est Stephen Harper vous siéent, le symbole évident et provocateur du Parti Québécois au pouvoir dans notre province
signifie une d’entre deux choses possibles: soit Pauline saura être à l’affut des âneries conservatrices au Parlement et aura la voix assez forte pour empêcher une autre loi 12 un autre abolissement du registre des armes à feu ou l’achat d’un autre avion à réaction destiné au survol du Nunavut (terre de tous les périls, ne l’oublions pas); soit le gouvernement minoritaire de Pauline ne sera pas en mesure de freiner les élans moyenâgeux de notre premier ministre, mais saura être à l’affut de ses manigances et sonnera l’alarme, par exemple, la prochaine fois qu’il nommera un unilingue francophone au poste de vérificateur général. Vous me direz alors, sans être fautif, que Jean Charest était un digne gardien, mais Pauline n’aurait pas fait dans la dentelle peu importe ce qu’Ottawa lui aurait servi; et étant donné le
menu, je me plais à croire que ça tombe à point. Au chapitre des échecs de Jean Charest, toutefois, je me réclame de ceux qui félicitent la fermeture de l’ironique Gentilly-2 et l’abolition de la hausse des frais de scolarité. Ce qu’il y a de très bien avec Pauline, c’est qu’elle est à la tête d’un gouvernement minoritaire. De ce fait, les avancées que le Québec fera seront les filles du compromis et les politiques plus controversées du Parti Québécois resteront stationnées pour un bout de temps encore dans l’imaginaire collectif, menaçant d’éclore, certes, mais toujours latentes. À cet égard, il n’y a que du bon sous le soleil pour les plus réticents d’entre nous: pas de cégep francophone obligatoire à l’horizon, pas de hausse rétroactive des impôts ni même de nouveaux
pouvoirs réclamés à notre très cher Canada. Il advient qu’à cet égard, le gouvernement que nous avons présentement est le meilleur scénario que nous avions pu envisager, c’est-à-dire celui du (presque) status quo. Certes, il y aura toujours des mécontents, que nous aimons nous imaginer comme étant des millionnaires anglophones vivant à Westmount, mais au grand dam de leur bonheur, je ne suis pas certain qu’ils aient une raison valable, à l’heure qu’il est, de crier au loup. Alors que la première ministre avoue ouvertement vouloir s’en prendre à leur portefeuille et leur langue maternelle, les risques qu’elle parvienne à changer leur univers sont encore qualifiables de minimes. Or, s’il est vrai que le chemin du statu quo est à mon avis pavé de succès, pourquoi
Pauline? Pourquoi pas François? Françoise? Parce qu’elle dérange, Pauline. Parce que sa gestuelle qui n’est pas sans rappeler la professeure Ombrage ne plaît pas, parce qu’elle n’est pas charismatique, parce que son mari est riche, parce que c’est une femme. Alors, au moment où n’importe quel individu aurait été inoffensif par la qualité minoritaire du gouvernement actuel, travaillons collectivement sur notre hâte à juger pauvrement cette femme qui n’aura même pas sa chance de faire valoir son point de toute façon, car si la tendance se maintient, le gouvernement péquiste mourra avant même d’avoir fait le moindre pas et tout le fiel que l’on aura déversé à son sujet ne sera rien d’autre que le reflet de l’amertume que nous avons à l’égard des gens qui prennent position. x
et du sel marin, le plastique se fragmente (mais ne se biodégrade pas) en morceaux microscopiques. Le reste du puzzle devient alors évident: des animaux ingurgitent ces sous-produits, les incorporant ainsi à la chaîne alimentaire au sommet de laquelle nous nous trouvons. On connait déjà les effets des perturbateurs hormonaux contenus dans les plastiques sur notre système endocrinien. En imitant l’œstrogène, ils se logent dans nos récepteurs cellulaires et modifient nos équilibres hormonaux. On soupçonne même que la baisse drastique de la fertilité chez les hommes en Amérique du Nord durant les dernières décennies soit due aux composants de plastiques, dont le célèbre bisphénol-A, qui nuirait égale-
ment au fœtus durant la grossesse. Alors, en plus du contact direct avec le plastique, nous l’incorporons désormais dans notre corps à travers notre alimentation. Régler ce problème rapidement s’avère pratiquement impossible. Ce septième continent se trouve en eaux internationales, donc aucun pays ne se considère responsable. Nous ne pouvons donc pas compter sur la volonté politique individuelle de chaque pays. Trouver une substance chimique capable d’accélérer la biodégradation des plastiques? Qui financera les recherches? Attraper cette île à l’aide d’un filet géant, puis le lancer dans l’espace? Le bisphénol-A fait vraiment délirer… vivement la pénurie de pétrole sur Terre! x
CHRONIQUE
Le septième continent Sofia El-Mouderrib | Science ça!
Au XXe s., le plastique devait sauver le monde. Cette matière issue du pétrole signait l’avènement de la modernité en offrant une alternative au bois et au papier. Plus besoin de s’enchainer aux arbres; le Tupperware venait à la
rescousse! Finis les sacs en papier brun à l’épicerie: on fit un pari écologique. Bien sûr, ce défi écologique était d’abord financier. Malgré tout, les entreprises pétrolières allaient bénéficier du courant écologique des trois R: «réduire, réutiliser et recycler». Les polymères s’y conformant davantage que le papier, pourtant une ressource renouvelable, gagnèrent en popularité. Par exemple, le sac en papier brun fut troqué pour la boîte à lunch. La durabilité et la maniabilité du plastique en firent un produit chéri du consommateur. Ajoutons à cela qu’il fut rapidement démocratisé, puisqu’il est à la fois moins cher que le bois et que le textile. Mais, croissance économi-
que oblige, le premier des trois R, «réduire», ne fut pas respecté. De plus, la biodégradation du matériau révolutionnaire allant de 100 ans à plus d’un millénaire, on se retrouve aujourd’hui avec le problème suivant: du plastique dans notre alimentation. Les déchets de plastique se retrouvent en grande partie dans l’océan pacifique formant ainsi un «septième continent» comme l’expression populaire le décrit. Ces détritus sont réunis là où les grands courants-jets se rencontrent, s’étalant sur une superficie plus grande que celle de la France. En 2006, un bateau de Greenpeace entrait en collision avec cette masse évaluée à des millions de tonnes. Sous l’effet des rayons du soleil
Y’a pas d’arêtes dans la cigarette Simon Albert-Lebrun | Jeux de maux
Ah Liberté, quel beau mot. Un concept sur lequel bien des gens plus grandioses que moi ont déjà passé leurs vies à réfléchir. Mais comme je suis humain, et que donc je pense que mes propres pensées sont
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les plus belles et les plus importantes, je vous donnerais ma vision des choses. Premièrement, quel est le contraire de la Liberté? L’esclavage? Non, ma foi, car même l’esclave a la liberté de penser d’une certaine manière, et puisque l’esclave a le droit à un tout petit peu de liberté, l’esclavage ne peut être le contraire de la Liberté. Alors quoi? L’emprisonnement? Non plus, il existe une panoplie de livres écrits en cellule. La liberté de pensée existe alors, même derrière les barreaux… Alors le contraire de la liberté doit être quelque chose qui nous empêche même de penser… L’addiction! Voilà le contraire de la Liberté. Imaginez que la Liberté
absolue soit un champ éternel (une espèce de «Strawberry Fields Forever» si vous préférez). Vous n’êtes jamais forcés à faire des choix, vous pouvez gambader librement comme un jeune agneau. Le contraire serait un chemin rectiligne, en douce pente, ou vous ne prenez jamais de décision et continuez perpétuellement à avancer et à descendre — l’addiction. Dans l’addiction ultime, vous ne faites aucun choix qui ne soit pas relié à satisfaire votre besoin…. La vie que l’on mène est toujours un mélange des deux, vous avez souvent plusieurs choix, plusieurs chemins à prendre — pas un chemin unique, ni un grand pré. Et Dieu merci! C’est grâce à ces choix, qu’on est forcé de prendre,
que l’on s’instruit, qu’on apprend, qu’on grandit. Regardez le toxicomane, perdu dans sa stagnation, ne trouvant plus de nouvelles idées, ne grandissant jamais, mais restant fixé sur la personnalité qu’il s’était faite auparavant. Regardez le fils de milliardaire, qui, grâce à son argent, accède à la liberté absolue, et passe son temps à gambader stupidement — trop souvent sans direction, sans passion, sans choix à faire. Et la cigarette là-dedans? C’est peut-être pour ça que les gens continuent à fumer: un excès de Liberté, un petit détour du chemin dans la routine. L’argent que vous avez en trop passe dans une activité mondaine qui petit à petit devient une addiction bénigne. BÉNIGNE?
LA CIGARETTE? MAIS IL EST FOU CE SIMON! Fou? Non, je me dis simplement que dans vingt ans, avec les avancées techno-médicales de notre génération, on aura créé une petite pilule qu’on prendra et pouf! Fini le cancer. Vous me prendrez pour un optimiste, peut-être, mais la fièvre tuait bien des gens il y a cent ans, aujourd’hui deux pilules suffisent pour l’éradiquer. Quand on se trouve devant une impasse, il faut bien trouver une solution — donnez au monde un problème et petit à petit il le résoudra, il trouvera un nouveau chemin. Pour cela, il nous faut de la Liberté, certes, mais assez pour qu’on en fasse quelque chose, pas assez pour qu’on n’en fasse rien. x
x le délit · le mardi 06 novembre 2012 · delitfrancais.com
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ARG
Meurtre et mystère 2.0 Le Judas propose un jeu en réalité alternée Crédit photo: Couzin Films
Lauriane Giroux
N
ous avons tous déjà joué au moins une fois dans notre vie au mythique Clue, le jeu de société simulant un meurtre et pendant lequel les joueurs doivent démasquer le coupable. Les jeux de types Meurtre et Mystère ont toujours été très populaires et synonymes d’un succès presque assuré. Cette fois, le concept est repris par le réalisateur Ziad Touma dans le cadre du Judas, une nouvelle série web en réalité altérée. Le Judas, c’est l’histoire de six habitants d’un immeuble soupçonnés du meurtre de leur propriétaire, Zéphyr StAmbroise. Ce dernier a placé des caméras de surveillance dans les appartements de ses locataires afin de revendre les vidéos sur des sites Internet de voyeurisme, leur procurant à tous un motif pour son assassinat. Le but du jeu: aider la détective Ève Lévesque à déterminer qui est le coupable. En France, l’un des exemples les plus connus de série web serait la série Bref, créée par Kyan Khojandi, maintenant diffusée ici sur les ondes d’Addik TV. Plus près de nous, au Québec, nous avons eu Les chroniques d’une mère indigne ou encore En audition avec Simon. Cependant, cette fois-ci, la recette est légèrement différente puisqu’on propose un concept de réalité altérée où l’internaute peut s’impliquer, participer à l’histoire et où, après les six semaines de l’aventure, un grand gagnant recevra un bon d’achat de 6 000$ chez Future Shop.
Pour commencer l’histoire, il faut d’abord s’inscrire sur le site, puisque chaque participant pourra récolter des points tout au long de l’histoire. Depuis le 23 octobre, chaque semaine, une capsule vidéo est mise en ligne contenant des indices et dévoilant des «images d’archives» récoltées par les caméras du propriétaire pendant le mois précédant sa mort. Là où le concept devient particulièrement intéressant, c’est que chaque capsule est accompagnée d’une série de missions, au niveau de complexité variable, que donne la détective. Celle-ci communique avec l’internaute via une
fenêtre de chat simulé. Plusieurs pièces à convictions (relevés de banque, messages texte, factures, vidéos, etc.) sont mises à la disposition du participant afin qu’il les examine sous toutes leurs coutures, en zoomant dans les images et en jouant avec la luminosité des séquences, tout ça dans le but de trouver les réponses aux questions et missions attribuées par Ève Lévesque. Il s’agit du principal moyen pour récolter les points qui permettront à plusieurs internautes de gagner des prix. En effet, dix chanceux auront l’opportunité de rejoindre la détective sur les lieux du crime pour
le tournage de la dernière capsule pendant laquelle le mystère sera résolu. Ces participants recevront chacun une paire de lunettescaméra, et le grand gagnant une carte cadeau Future Shop d’une valeur de 6 000$. Plusieurs autres prix totalisant 4 000$ seront également distribués parmi les internautes qui auront amassé assez de points. Il est possible de cumuler un maximum de 22 300 points en exécutant plusieurs tâches. Des points sont attribués à ceux qui écoutent les assemblages, visionnent les pièces à conviction et exécutent les missions. Ces dernières demandent d’aller voir
les pages Facebook des personnages, de visiter des sites Internet fictifs et également de répondre aux questions et indices envoyés par messages texte, ou encore par courriel. Le lancement du Judas s’est déroulé le mercredi 17 octobre dernier dans le cadre du Festival du Nouveau Cinéma avec une impressionnante mise en scène. La détective Ève Lévèsque (Édith Cochrane) et les forces de l’ordre fictives ont fait irruption lors d’une soirée afin d’y questionner et d’y arrêter les six suspects dans l’affaire, dont Mylène SaintSauveur (Thea St-Ambroise dans la série) qui était la DJ de la soirée pour l’occasion. La série était en nomination dans la sélection internationale pour la meilleure œuvre interactive du FNC Lab. Le prix est cependant revenu à Bear 7, une autre expérience web interactive. Ziad Touma réinvente à merveille le concept classique du meurtre et mystère avec Le Judas, permettant à tous de s’improviser détectives en herbe. Malgré le site Internet parfois un peu lent, il est très agréable de naviguer dans l’interface un peu glauque qui crée une ambiance parfaite. Le Judas est assurément une série web qui vaut le détour et qui prouve encore une fois que le cinéma et la télévision d’ici vivent très bien le passage dans le cyberespace! x
Le Judas Où: www.lejudas.tv Quand: jusqu’au14 décembre Combien: gratuit Crédit photo: Couzin Films
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Arts & Culture
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MUSIQUE
Le Sonar présente Die Antwoord Un concert dont on ressort complètement essoré
Crédit photo: Eva Blue
William Sanger Le Délit
S
amedi se tenait la première édition du Sónar Festival au Métropolis. Le concept barcelonais développé en 1994 veut rassembler en un seul lieu et l’espace de quelques jours l’avant-garde musicale et des arts multimédia. Parmi les artistes ayant pris possession de l’espace catalan figurent entre autres Daft Punk, Amon Tobin, Björk, Deadmau5 et Modeselektor. Depuis, le format s’est exporté à travers les scènes mondiales de Londres à Séoul en passant par Buenos Aires, Tokyo et Le Cap. Cette année, c’est au tour de l’Amérique du Nord de profiter des artistes promus par le festival, avec un passage marquant à Montréal. L’ambitieuse programmation regroupait notamment Die Antwoord (Afrique du Sud), Tiga (Montréal), Azari & III (Toronto), Seth Troxler (États-Unis), Paul Kalkbrenner (Allemagne) et Nic Fanciulli (Grande-Bretagne).
Crédit photo: Eva Blue
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Arts & Culture
Durant une soirée se profilant jusqu’aux petites heures de la nuit, les artistes en scène ont su orchestrer avec brio l’impressionnante foule rassemblée au Métropolis. On ne ressort pas du Sónar Festival comme d’un simple Piknic Electronik; on termine essoré, complètement vidé par l’avalanche musicale et sensorielle. Des sonorités envoûtantes de Nic Fanciulli aux effets stroboscopiques accompagnant les mix de Paul Kalkbrenner jusqu’aux animations du collectif berlinois Pfadfinderei, la rétine s’imprègne de stimuli, l’ouïe sature, le torse vibre sous les basses fréquences. Et encore... les sud-africains n’ont pas encore commencé. Une impressionnante attente de 30 millisecondes suffit pour déchaîner le public à l’arrivée de Yo-Landi Vi$$er, Ninja et DJ Hi-Tek. Véritables virtuoses de scène, leur énergie explose à travers les compositions de leur plus récent album Ten$ion. Habitués à semer la controverse par des textes et des rythmes violents, leur renommée fut acquise à travers les années par la
Crédit photo: Eva Blue
production de vidéo clips décalés au sein desquels évoluent les personnages interprétés par le duo de chanteurs. «I fink u freeky» et «Fok julle naaiers» illustrent cette ambiance sombre et lourde véhiculée par le groupe. Presque l’ensemble de leur album fut présenté, des plus connus «Fatty Boom Boom» ou «Baby’s on fire» sans oublier la plus instrumentale et subtile «Never le nkemise». Comment transposer un univers déjanté issu de la culture zef sur scène? Comment ne pas perdre les fans pour lesquels Die Antwoord se résume à deux ovnis exhubérants d’Internet? La question mérite d’être posée. Car, si en vidéo Yo-Landi et Ninja sont passés maîtres dans l’art de surprendre, la performance offerte lors du Sónar Festival relève du pur plaisir coupable. Décor minimaliste, si ce n’est un subtil personnage du clip «Evil Boy», de par leur seule présence magnétique le groupe réussit à justifier leur réputation de pures bêtes de scène. Seules les quelques notes débutant l’emblématique «Enter the Ninja» auront eu raison des amateurs les moins convaincus. Ils sont louches, ils sont trash, mais ils rockent solidement! Après une telle performance, le public se laisse porter par Azari & III, Tiga et Seth Troxler. Une véritable rave sans fin où les décibels s’amplifient jusqu’au matin. Pour un premier arrêt historique à Montréal, le Sónar Festival a rencontré un succès indiscutable, ne donnant envie qu’à sa seconde édition l’an prochain! x x le délit · le mardi 06 novembre 2012 · delitfrancais.com
Danse
Jusqu’à ce que ça résonne Un éclair de génie dont on ressort plus troublé qu’on l’aurait voulu. Mathilde Michaud Le Délit
J
e me rappelle avoir vu entrer dans la salle devant moi une fillette d’à peine une dizaine d’années, toute rayonnante dans sa petite robe rouge et ses souliers noirs scintillants. Elle accompagnait «maman» au ballet et s’attendait à y passer une soirée remplie d’émerveillement. Je ne puis malheureusement pas vous assurer qu’elle ait finalement apprécié sa soirée. Hofesh Shechter, chorégraphe israélien acclamé par la presse britannique et coup de cœur de la saison «Danse Danse» de 2009, refaisait son apparition sur la scène du théâtre Maisonneuve avec sa nouvelle œuvre, Political Mother, au son des violons. Quand la scène s’illumine, un samouraï agenouillé au centre
de la scène se fait harakiri. La musique est lente, presque langoureuse, mais cela ne dure pas. En un clin d’œil, la scène se transforme et Political Mother nous apparaît dans toute sa splendeur. Dans cette pièce, la musique, créée elle aussi entièrement par Hofesh Shechter, se partage également l’attention des spectateurs avec la chorégraphie. «Je m’imagine dans une quelconque ville déserte, en fin d’aprèsmidi, en compagnie d’un groupe de vieux musiciens égyptiens […] une cigarette pendue aux lèvres pendant qu’ils jouent […]. Je pense à des unissons qui nous emportent comme des grandes vagues», explique Hofesh Shechter dans son avant-propos. Pourtant ce n’est pas une ville déserte où règnent le calme et l’ordre, c’en est une où la peur et la discorde l’emportent.
Crédit photo: Gabriele Zucca
Crédit photo: Gabriele Zucca
Roulement de tambour, militaire, voire violent. Harmonie et discorde de quatre guitares électriques. Discours cacophonique, incompréhensible et agressif d’un dictateur surplombant la scène depuis son estrade haute de plusieurs mètres. En moins de quelques secondes, la musique nous accapare, nous englobe, mais ce n’est pas pour dire quelle plaira à tous. Très forte et rythmée, elle rappelle ce bon vieux «Métal» si peu apprécié de la gent bourgeoise fréquentant habituellement les spectacles de la Place des Arts. La pièce en tant que telle cherche à nous faire sortir de notre confort. Le message, bien qu’il soit libre à l’interprétation, fait ressortir une très grande impression de violence, que ce soit dans la musique ou dans les mouvements. Mouvements saccadés, désarticulés, mais d’une fluidité… Regards bas, regards vides. Un peu comme des pantins disloqués, physiquement et psychologiquement, des fous
dans un asile, les danseurs se déplacent dans l’espace dans de grands mouvements d’ensemble qui nous rappellent ceux d’un être à qui on aurait retiré toute capacité de réflexion, d’autodétermination. Comme nous le dit Sam Coren, l’un des danseurs, lors de la séance de questions à la fin du spectacle, «danser du Shechter, c’est plus que simplement bouger son corps et avoir de la technique, c’est être capable de lier nos mouvements à nos émotions et à la musique, et de vivre à l’intérieur d’eux». Lorsque Bruno Guillore, directeur de répétitions, demande quelle est notre interprétation personnelle du spectacle, peu osent répondre. Mais, étrangement, tout au long du spectacle l’impression de se retrouver prisonnier d’un univers dévasté, défiguré, nous prend à la gorge et ne nous quitte qu’après avoir entendu les dernières notes de la pièce de Joni Mitchell qui clôt le spectacle. x
JAZZ
La musique culturelle du moderne Le Maânouche Swing Trio investit le Dièse Onze. Alexandra Appino Tabone Le Délit
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haque semaine au Dièse Onze, un resto-bar de jazz caché dans un sous-sol, rue Saint-Denis, on peut voir le groupe musical Maânouche Swing Trio. L’atmosphère au Dièse Onze à six heures du soir est calme, mais on voit tout de suite que presque toutes les tables sont réservées: indication qu’il se remplira bientôt de monde. Si vous n’êtes jamais allé au Dièse Onze, il faut s’y rendre pour souper ou pour un verre à la fin de semaine. La fusion d’une atmosphère détendue mais intime le rend parfait pour un rendez-vous romantique ou une rencontre avec des amis pour une soirée divertissante. Le trio commence son premier set nonchalamment et sans s’annoncer, les deux guitaristes assis et le bassiste debout. Chaque musicien glisse les doigts rapidement et avec agilité en montant et descendant les gammes, et parfois surprend avec des accords puissants; ils font preuve d’un talent exceptionnel pour la guitare. Leur musique consiste pour la majeure partie des solos improvisés. Quand j’ai demandé au fondateur du groupe
Lou Boustani comment ils s’exercent à l’improvisation pour les spectacles, il a dit qu’en fait les spectacles sont en eux-mêmes une façon de s’exercer. Pour lui, comme le peintre doit regarder sa peinture, le musicien doit écouter sa musique; et leur synchronisation impeccable dérive certainement de leur capacité à s’écouter les uns les autres. Ils jouent avec précision, sentiment, et énergie — ce que le bassiste montre avec ses expressions émotives et parfois des petits cris de joie — et il devient clair que les membres du groupe connaissent vraiment leur musique ainsi que les musiciens. Cependant, Lou insiste pour qu’on ne s’y trompe pas: le jazz manouche est spécial, car il faut le jouer avec le cœur. La musique varie d’un rythme élevé à des ballades lentes et romantiques, avec un son qui évoque la guitare espagnole. Mais ce n’est pas espagnol; c’est la manouche, mélangée avec le jazz et d’autres influences, y compris la tradition classique. Ces influences diverses font de l’expérience un jeu, pour ceux qui ne connaissent pas bien le jazz, sans parler des sous-genres de jazz: celui de classer exactement ce qu’on entend.
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Ce mouvement musical fut fondé en France par le musicien sinti Django Reinhardt, dans les années 1930. Il avait commencé sa carrière musicale comme guitariste, violoniste et banjoïste de manouche classique, mais, après un voyage aux États-Unis où il avait découvert le mouvement de jazz et joué avec Duke Ellington, les deux traditions devinrent pour toujours fusionnées. Reinhardt a donné à la tradition jazz les solos de guitare improvisés et mélodiques, alors que l’instrument était auparavant plutôt chargé de solos d’accords. Le jazz manouche est le seul mouvement de jazz qui ne vient pas des ÉtatsUnis. Maânouche Swing Trio a été fondé à Montréal par Lou Boustani il y a dix ans. Le groupe est constitué de Lou et Damien Levasseur aux guitares acoustiques dont une rythmique et l’autre soliste, et Simon Pagé à la guitare basse, qui joue aussi les solos. Ils jouent chaque semaine au Dièse Onze depuis plus de cinq ans. Leur évolution en tant que groupe important dans le monde du jazz au Québec illustre la philosophie de la tradition de Reinhardt. Dans ma conversation avec Lou, je lui ai demandé avec curio-
sité comment ils parviennent à créer des compositions si originales, tout en restant proche de la tradition manouche. Il m’a dit qu’ils suivent les thèmes et les standards du mouvement, mais que l’improvisation est également importante pour créer un jazz manouche authentique. Comme le mouvement est né de la rencontre d’un style traditionnel avec un style populaire, la vraie création du jazz manouche se passe au moment où le classique cède le passage au nouveau. Les musiciens du Maâouche Swing Trio sont tous professeurs à l’École Jazz Manouche de Montréal, ou EJMM, également fondée par Lou Boustani; c’est la première institution d’enseignement de jazz manouche en Amérique du Nord. Située dans le Plateau, l’école à but non lucratif forme une soixantaine d’élèves, qui apprennent une approche musicale communicative. C’est de cette façon que les membres du trio perpétuent une tradition musicale qui, comme toutes les traditions culturelles, évolue avec chaque génération. C’est ce processus qui rend le jazz manouche important dans le monde de la musique aujourd’hui, et ce processus-même compose l’essence de la modernité. x
Arts & Culture
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CHRONIQUE
Les pierres roulent ici et là Alexandre Vinson | Mélodieuse prophétie
Il y a des moments où le mal du pays se fait sentir et, pour des raisons pas toujours perceptibles, aux yeux d’autrui. Par exemple, lorsque Mick, Keith, Charlie et Ron (The Rolling Stones) décident subitement d’organiser un petit concert surprise dans une salle du XIXe arrondissement parisien. Première apparition musicale pour les quatre compères depuis 2007 et
une initiative bien rodée. Les places, vendues pour une somme dérisoire, sont liquidées en une heure à peine pour un concert majestueux au Trabendo. Durant une petite heure, Mick a prouvé encore une fois qu’il était le seul du quatuor à pouvoir revendiquer une énergie scénique plus que convenable. Son fameux déhanché a d’ailleurs eu un grand effet sur un public comblé à la sortie du spectacle. Il y a sûrement dans cette initiative une volonté de rajeunir pour les Stones qui n’ont assurément plus l’habitude de jouer dans des salles d’une capacité de 350 personnes et pour la modique somme de 15 euros. Non, ils n’ont pas perdu la tête et j’en tiens pour preuve qu’ils ont joué quatre jours plus tard, à quelques mètres de là, pour un millionnaire français à qui cela à du coûter plus d’un bras. Quand on aime, on ne compte pas. Toutefois, nous ne serons pas
en reste ici puisque le plus grand poète folk du XXe siècle s’invite à Montréal. Bob Dylan (Centre Bell, 16 novembre), 71 bougies et une aura (presque) intacte, viendra ensorceler nos oreilles avec sa six cordes et ses chansons emblématiques dont «Like a Rolling Stone» qu’on ne présente plus. C’est là une chance qu’il faut saisir pour pouvoir affirmer fièrement dans quelques années à notre marmaille que nous y étions, que nous avons vu Robert Allen Zimmerman en personne. Néanmoins, si les droits d’entrée peuvent être trop dispendieux pour la majorité de nos porte-monnaie étudiants, pas de soucis, il y a plein d’autres choses à voir. Bernard Adamus (Club Soda, 9 novembre), un bluesman polono-canadien à l’apparence pour le moins intrigante investit le boulevard Saint-Laurent en ce début de mois. Accompagné de
son harmonica et de sa Dobro, ses compositions peuvent paraître «dylanesques» à certains. Une poésie dans le verbe accompagné par une instrumentation sobre mais très efficace. Le genre de musique qui reste dans la tête et qu’on siffle gaiement sous la douche. En revanche, je dois avouer mieux comprendre l’anglais de Bob que le français de Bernard, teinté d’un accent québécois très prononcé. Honte à moi, êtes-vous sûrement en train de vous dire, à raison… Ça viendra avec le temps mais pour l’instant je requiers encore les paroles écrites pour être en possession de tous mes moyens d’appréciation. Trois jours plus tard, il va falloir gravir cette même rue pour déguster la pop distinguée des Fresh & Onlys (Casa del Popolo, 12 novembre) qui présentent leur nouvel album Long Slow Dance, soit LSD.
Cet opus consiste en un mélange subtil entre les principaux ingrédients musicaux des 60’s et des 80’s, variant de chanson en chanson. On peut passer ici d’une ballade lente et douce, ornementée de chœurs langoureux à un morceau extrêmement nerveux au niveau des arrangements. Le meilleur rapprochement que je conçois est un croisement «hipsterisé» entre une version anglophone d’Indochine et des Kinks Pour le reste, je vous laisse entre les bonnes mains du festival M pour Montréal qui prend place dans diverses salles de la ville du 14 au 17 novembre. On y retrouvera des jeunes artistes en devenir comme le rappeur alternatif Cadence Weapon (Il Motore, 17 novembre), qui dépoussière le genre en prenant à contrepied le Gangsta Rap devenu mainstream. x
Saint Jérôme, priez pour nous Anselme Le Texier | Les mots de saison
J’ai lu récemment un livre qui sera publié prochainement. La version papier est déjà imprimée et sera disponible en librairie sous peu, tandis que la version électronique est déjà téléchargeable. Il est donc évident que la version que j’ai eue sous les yeux est bien la version
définitive. Pourtant, j’ai été étonné de voir qu’un éditeur établi daigne publier un tel roman. Non pas que celui-ci manque de qualité, mais il est bourré de fautes; truffé d’incorrections devrais-je dire. On ne peut en tenir rigueur à l’auteur. À vrai dire on fait tous des fautes. On ne peut donc que constater la tendance dans le monde de l’édition à se passer des services d’un correcteur compétent. Dans ce bouquin, assez court, on utilise à la fois l’ancienne et la nouvelle orthographe, il y a des coquilles, des incorrections syntaxiques, des fautes d’accord du participe passé et, comble de l’ironie, une absurdité typographique dans le titre même. À la lecture du roman, on se convainc peu à peu,
page après page, que l’œuvre n’est tout simplement pas passée entre les mains d’un correcteur. Si c’est le cas, celui-ci a bâclé son travail. Si comme je le crois le roman est passé directement du comité de lecture à la mise en page, cette pratique fait non seulement preuve d’un manque de respect de la part de l’éditeur pour le travail de l’auteur, mais caractérise aussi une tendance dans le monde de l’édition. En effet, les livres sont de moins en moins lus par les éditeurs, qui relèguent cette tâche à des lecteurs. On vend de moins en moins de livres pour leur qualité littéraire, car on n’achète plus de littérature. Les maisons d’édition font face à une crise sans précédent qui les oblige à couper dans leurs dépenses. C’est bien
sûr au cassetin qu’on licencie. Les correcteurs-réviseurs sont forcés d’exercer leur métier dans une précarité grandissante. On se rappelle l’affaire qui avait opposé un éditeur à ses correcteurs pour une question d’espaces. Ceux-ci, rémunérés au caractère, s’étaient aperçus que leur employeur faisait l’économie des caractères non imprimables au moment de calculer leur salaire. Essayezdoncdelireun t e x t e s a n s e s p ac e s;vou s m e d i r ezàquelpointc’estfacile. Il est vrai qu’à l’heure du numérique il est bien plus facile de corriger. On peut modifier des textes sans avoir à copier et à coller littéralement des bouts de papiers sur une épreuve; on peut réviser à tout moment une publication en ligne, sans oublier les correcteurs
automatiques et autres antidotes qui rendent la tâche plus aisée, à une époque où nous sommes tous appelés à écrire. Mais qui sait la différence entre «les merles que j’ai entendus chanter» et «les chansons que j’ai entendu chanter»? qui fait attention aux ligatures si élégantes? qui vérifiera «L’asthénie de Ferjol»? Il devient clair, quand on y prête attention, que le recours aux correcteurs est indispensable à une publication de qualité. Les coquilles passeront toujours, mais les âneries resteront au cassetin. Parce qu’il est douloureux de lire un bon livre en butant sur des incohérences, à en oublier l’orthographe grammaticale, les correcteurs devraient avoir leur place dans toutes les publications. x
COUP DE CŒUR
«Un stylo, un espoir, un combat» Samuel Sigere Le Délit
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alutations non distinguées…, c’est l’analyse d’une délivrance, l’histoire d’une renaissance. Cette délivrance, c’est celle de Jean, jeune homme de vingt-trois ans au lourd passé. Enfant choyé d’une famille catholique pratiquante, «héros ordinaire», sa vie est bouleversée à quinze ans. C’est au travers d’une lettre, placée au milieu du roman, qu’on découvre son histoire; son viol par l’aumônier de sa paroisse et toute la souffrance, la peur, l’angoisse et la culpabilité qui l’ont ha-
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Arts & Culture
bité durant les sept années qui suivirent. Jean s’ouvre, se dévoile, mais surtout confronte ses peines, ses peurs, et son bourreau dont l’emprise psychologique est aussi forte que le silence du jeune homme. Au fil de la lecture, c’est avant tout son envie de vivre, son désir d’une vie normale, en grandissant, qui nous marque. La plume du jeune écrivain est humble, sans prétention. Les descriptions se font d’un grand réalisme et d’une grande précision, au point d’être cliniques dans certains passages. Tel un chirurgien, l’auteur dissèque, analyse sans jugement les faits, les émotions pour permettre à
Jean de divorcer de son passé, de se libérer. On ne tombe toutefois pas dans le sentimentalisme. Au travers du récit à la première personne, une certaine confiance s’installe entre Jean et le lecteur. On sympathise avec lui; son histoire nous touche. On compatit devant sa peine, mais on ne la revit toutefois pas. Jean «ne voulait pas de pitié, [il] voulait juste parler, [se] libérer un peu plus». Cette distance permet un regard critique mais aussi témoigne d’un certain respect du sujet de la part de l’auteur. On ne tombe pas dans les détails salaces, crus, du viol, et le ton du roman ne se fait ni léger ni jovial. Il est sérieux, optimiste, intriguant:
le lecteur se laisse entraîner d’une page à l’autre, désireux de découvrir le parcours salutaire du jeune homme de vingt-trois ans. On saura toutefois regretter le style de certains passages. Les phrases longues, périphrastiques, quelque peu superflues, ralentissent la lecture et cassent le rythme de l’histoire. Certaines tournures sont ainsi maladroites: le lecteur a du mal à comprendre leur sens au premier abord. Quelques descriptions sont redondantes, superflues et n’apportent rien de plus au propos. Les touches d’humour, placées ici et là, bien qu’un effort
louable d’alléger l’atmosphère, semblent se perdre dans le contexte. L’édition du texte se révèle aussi être inconsistante. Certaines dates de l’histoire semblent se contredire dans le roman et, confus, on se retrouve à recréer une chronologie du mieux qu’on peut. Malgré ces erreurs de jeunesse, Salutations non distinguées… est un pari réussi pour un premier roman. Son histoire provoque, touche. Son optimiste marque. Au-delà de l’histoire et du roman, c’est aussi la découverte d’un nouvel auteur, Baptiste Mathon, dont on découvrira plus à l’avenir. x
x le délit · le mardi 06 novembre 2012 · delitfrancais.com
Entrevue
Le Délit s’est entretenu avec Baptiste Mathon, auteur de Salutations non distinguées… Propos recueillis par Samuel Sigere pour Le Délit Le Délit: Premièrement, qu’est-ce qui t’a donné l’envie d’écrire? Baptiste Mathon: Lire, je pense. Déjà tout petit, quand je jouais au Playmobil, je m’inventais des histoires. J’ai toujours inventé des histoires. J’ai toujours aimé cela et puis aussi loin que je puisse me rappeler j’ai toujours écrit des petits trucs dans des carnets. C’est quelque chose qui est viscéral. Ce n’est même pas vraiment une envie. Je dirais que c’est un besoin. Si je n’écris pas, j’ai l’impression d’étouffer. Écrire, c’est se libérer, c’est s’indigner, c’est se révolter. LD: Dans ta description, il est aussi mentionné que tu es intéressé par les héros ordinaires. Jean, dans le roman, c’est un peu toi et moi. Qu’est-ce que tu considères comme étant des héros ordinaires? BM: Les héros ordinaires, c’est tout le monde. On est tous des héros ordinaires. Ça m’a toujours fasciné, quand on était petit, qu’on nous impose des héros dans les dessins animés, et même dans nos jouets. Je n’étais pas de ces enfants-là qui jouaient aux Action men, aux G.I. Joe, aux gens qu’on nous pose en héros, car ils ont des capacités surhumaines. Je considère qu’on peut tous être héros, ou salope, ou méchant, ou parfait à un moment de sa vie. On est tous différents et en même temps tous pareils. On peut être héros à un moment de notre vie et ne pas l’être à un autre moment. Et puis, il y a des gens qu’on ne remarque pas dans la rue, parce que ça ne se voit pas, parce qu’on n’en parle pas à la télévision, mais qui se battent tous les jours contre plein de choses. Et ça, je trouve que c’est de l’héroïsme quotidien. Et c’est surtout à ça que je voulais rendre hommage, plutôt que ceux qu’on montre nus dans les médias parce qu’ils ont fait une chose à un moment. Je pense que même dans la société dans laquelle on est aujourd’hui, il faut remettre les choses en place. On adule souvent des gens célèbres, on ne sait pas vraiment pourquoi. En général, ils sont célèbres, et ensuite ils essaient de faire quelque chose de leur célébrité. Par contre, il y a des gens qui ne sont pas célèbres et à qui on peut rendre hommage et qui sont d’autant plus admirables.
LD: Pourquoi une telle histoire pour un premier roman? BM: C’est la question qu’on me pose à chaque fois. C’est vrai qu’à vingt ans, écrire sur un sujet aussi difficile n’est pas commun. On me dit souvent qu’à vingt ans, j’aurais pu écrire sur quelque chose de plus gai. Mais j’ai envie de dire, pourquoi pas ce sujet? J’ai travaillé pendant un an et demi comme correspondant pour un journal. Et puis, j’ai fait beaucoup de rencontres au fil des voyages et j’ai eu des discussions avec des gens qui ont eu des moments aussi difficiles que Jean a vécu dans le livre. Je n’avais pas envie d’écrire à tout prix sur un sujet difficile et complexe. Ce qui me frappe, quand on voit à la télé, dans des reportages sur des gamins qui se sont fait violer, c’est comment on arrive à s’en sortir. Il y a quelque chose que je ne comprend pas —et ce n’est absolument pas un jugement— c’est le suicide. Comment peut-on abandonner à ce point là? Est-ce qu’on peut désespérer au point qu’on n’a plus envie de se battre? J’ai voulu tout simplement avec un humble stylo —ce n’est pas mon combat— mais j’ai voulu montrer à travers Jean qu’il est possible de s’en sortir et qu’on a tous les ressources et qu’il suffit d’aller les chercher. LD: Qu’est qui t’a motivé à écrire ce roman? BM: J’avais commencé l’autre roman avant celui-là. Et j’ai continué celui-là avant. Comme je le disais tout à l’heure, écrire est un besoin. Là, cela devenait viscéral, il fallait que j’écrive sur ce sujet. J’en avais besoin. De toutes façons l’exercice d’écriture est un peu schizophrénique. Qui qu’on soit, à partir du moment ou l’on écrit, on se met dans la peau du personnage, et puis on vit les choses avec lui tout au long du roman. Ce qui m’a motivé à écrire, c’était l’urgence. C’était un sujet qui pouvait parler à la jeunesse. On est parfois un peu perdu. On se trompe parfois de combat. On se bat pour des choses parfois futiles alors qu’il y a de vrais combats à mener. Il y a aussi dans la motivation, l’environnement dans lequel on évolue. L’environnement dans lequel j’ai peu évolué,
x le délit · le mardi 06 novembre 2012· delitfrancais.com
c’est parfois des gens qui ne s’assument pas, qui refusent de se regarder en face. Et cela m’insupporte. Je ne suis pas parfait, mais je pense qu’il faut se regarder en face même face au plus horrible et s’assumer, parce que c’est ce qui nous fait grandir. La motivation, c’était l’urgence, vraiment, le besoin. LD: Raconte un peu la publication de ton premier roman. Comment cela s’est passé? BM: Ça a été complexe. En France, c’est très difficile d’éditer un roman. Donc je l’ai envoyé, il y a un an. C’était début décembre. J’ai eu des retours, d’abord négatif. Ça m’a un peu découragé. Les maisons d’édition sont parfois violentes dans leurs mots quand elles refusent un bouquin. Et puis, finalement, au mois de mai, j’ai eu la proposition de Mon Petit Éditeur. Il était particulièrement agréable. Et, point à souligner, fait commun dans l’édition de romans aujourd’hui et d’autant plus d’un premier roman, c’est que l’éditeur nous donne des consignes. Ce n’était absolument pas de la prétention de ma part, mais je voulais avoir de la liberté. Je refusais de sortir un roman qui ne serait pas le mien. Si on choisissait le destin de mon personnage à ma place, je ne le supporterais pas. Ce qui m’a fait dire oui à cet éditeur, c’est qu’il m’a laissé deux mois supplémentaires et il m’a laissé de la liberté tout en contrôlant pour que cela rentre dans leur ligne éditoriale. Ce que je trouve génial dans le cadre d’un premier roman, c’est qu’on puisse laisser un jeune s’exprimer et surtout parier sur celui-ci. Pour moi, c’est une vraie édition. L’éditeur prend tout en charge. Une édition, cela coûte de l’argent et puis je trouve que c’est un vrai pari. Il ne fallait pas faire la fine bouche. J’ai signé, et puis on verra comment ça se passera par la suite. LD: Qu’as-tu ressenti quand tu as su que ton roman allait être publié? BM: Bizarrement, certains pensent que j’ai été super heureux. Moi, j’ai été triste. En effet, c’est bizarre parce que je l’ai cherché; si j’ai envoyé mon roman, c’est que je voulais qu’il soit édité. Le roman ne m’ap-
partenait plus. Il allait entrer dans les mains d’autres personnes et commencer sa vie de roman normal. Les pages allaient jaunir chez d’autres personnes, évidemment. C’est très beau de le voir vivre à travers les gens, mais quand on sait qu’il ne vit que pour nous parce qu’on l’a fait, qu’on l’a relu, c’est dur de le voir partir. Le publier, c’est le montrer aux autres. C’est se soumettre à la critique. Certains vont aimer, d’autres vont dire que c’est mal écrit, d’autres que c’est très bien. En tout cas, c’est un peu se mettre à poil. C’est là où ça m’a fait mal et peur. Mais c’est une belle expérience. Et de toutes les façons ça fait partir du jeu. Il faut accepter ce que les gens vont en dire. LD: Quels sont tes plans pour ton prochain roman? Sur quel sujet, travailles-tu? BM: Le second roman sera encore une fois un roman sur le secret. Le secret, c’est quelque chose qui me fascine. On va suivre un personnage un peu différent. C’est encore un récit à la première personne avec un personnage masculin. Par contre, ce sera sur le secret de famille et sur la saloperie. Le titre provisoire c’est: J’ai été une salope mais j’avais des raisons. C’est un jeune qui découvre un carnet chez sa grand-mère qui est en phase terminale d’un cancer et est à l’hôpital. Il découvre le carnet; à l’intérieur sont consignées toutes les saloperies qu’elle a pu faire durant sa vie. Il va donc apprendre plein de choses sur sa famille, plein de raisons qui expliquent son état actuel. Il y a beaucoup de non-dits.
Il va aller voir sa grandmère et va la confronter. Ça démarre par un huis clos dans la chambre d’hôpital. L’enfer de l’un c’est l’autre, parce qu’ils vont se renvoyer toute la vérité à la figure. Et, au fur et à mesure du roman, il va constater que les salopes, comme les héros, ça peut être tout le monde à certains moments de leur vie. LD: Donc ça va être un roman plus basé sur le dialogue? Parce qu’il est intéressant de noter qu’il y a très peu de dialogue dans Salutations non distinguées… BM: Il y a un dialogue entre Jean et sa mère et c’est le plus important. Pour le reste, il n’y a pas de dialogue. C’est un choix de ma part. Effectivement, il y a énormément de dialogues dans le deuxième bouquin. Le premier est un livre qui se lit vite et qui n’est pas long: 84 pages. Je voulais que ce soit écrit comme on vomit. C’est une lettre qui annonce quelque chose qu’il ne peut plus supporter, avec laquelle il ne peut plus vivre. J’ai voulu donner la sensation que la lettre a été écrite dans l’urgence, dans le besoin d’annoncer. Et je pense que dans les situations comme ça, il n’y a pas à avoir de dialogue. Parce que finalement, les dialogues, on peut se les faire nous-même quand on lit la lettre. On imagine ce que le personnage principal nous raconte, mais sur le thème du viol, c’est le parcours de la victime vers la vie qui est important. Je trouvais que les dialogues étaient un peu superflus, car ils ne transmettaient pas les émotions.
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La BD de la semaine Philippine Blanchet
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