Le Délit - Cahier création

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Cahier Creation Un désert enflammé tellement de beaux crayons de bois Est jamais capable de te r’garder drette dins yeux St-Roublon était l’un de ces petits hameaux enfouis au fin fond de la Côte-Nord, dont les habitants se repaissaient de misère comme des asticots au fond d’une fosse bien mûrie. ...le monstre caché au fond de nous: «Moi, dans le métro, je fais semblant de dormir pour ne pas céder ma place aux vieux». Pour compenser son ego écorché, il était indispensable de montrer à l’écran son torse nu et musclé.

Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, le maire communiste a toléré l’invasion des immigrés. Soudain, un sans-abri est arrivé. Quand il est arrivé, il était trempé, ses vêtements étaient déchirés et couverts de boue. Il n’était pas en forme, mais il avait un sourire comme un enfant la veille de Noël. mais je ne suis pas acceptée complètement dans la société québécoise. Qui suis-je, Jin? je suis médecin, mais je ne peux prédire le futur. Garni avec des fleurs de triomphes, Et salé avec du crottin de calomnies.

À la télé, une étudiante interviewée déclarait qu’il s’agissait non seulement d’une manifestation historique, mais aussi d’un entêtement historique. Le soleil perce, jetant des ombres autour de son appartement. Dans la distance, la montagne devient visible.

Sur l’étage supérieur, plusieurs charognes étaient en état de décomposition avancée.


Le traitement Laure Henri-Garand

– Votre mari mourra d’une mort atroce, lui annonça le médecin, à moins que vous ne lui administriez ce traitement spécial, qui a été découvert récemment. Une fellation par jour. – Vous connaissez ma résolution, docteur. J’aime mon mari. Je souffre de voir sa santé se détériorer ainsi. Je n’aime pas beaucoup les fellations, mais là n’est pas la question, puisqu’il faut faire ce qu’il faut faire. Le temps passe, et le désir de plaire se transforme; docteur, je ne suis plus une jeune femme, pensez-vous vraiment que… est-ce que mon mari guérira? Peut-être suis-je trop vieille – Madame Duchamp pencha la tête. Son visage exprimait une certaine douleur. – Plusieurs femmes font une carrière de ce genre de traitement, continua-t-elle, est-ce que leur contribution ne serait pas plus appropriée, plus agréable? – Madame Duchamp, je suis médecin, mais je ne peux prédire le futur. Les chances que votre mari guérisse sont très minces, et ce traitement particulier n’en est qu’un parmi tant d’autres. Il doit être appliqué parallèlement à une diète stricte, ainsi qu’à une consommation de fluides considérablement accrue. Vous seule pouvez voir à ce que votre mari suive avec attention cette prescription complexe. – Oui, bien sûr, bien sûr. Je comprends parfaitement. Dites-moi encore ce que je peux faire pour lui. – La fellation est avant tout le moyen le plus fiable. Le flot de sang dirigé vers le phallus permet entre autre de drainer presque complètement le cortex cérébral. – Oui, évidemment… – D’autant plus que la pression exercée par les lèvres

Désir

sur le gland –en prenant pour acquis que le traitement est effectué de manière adéquate– accorde un repos nécessaire aux testicules, sur lesquelles la tumeur applique une pression énorme… – Pardonnez-moi de vous interrompre docteur, mais il me faut prendre des notes… – Ce n’est pas la peine madame Duchamp, assura le docteur, en lui prenant la main tendrement, l’hôpital s’est assuré de faire imprimer plusieurs fascicules sur le sujet –il lui tendit deux pamphlets, un rouge et un jaune– pour que vous puissiez administrer un traitement libéré de toute tension. – Ah, comme c’est bien pensé! Je vous suis reconnaissante… Le docteur se mit à marcher d’un bout à l’autre de la chambre. Celle-ci étant de taille plutôt réduite –on n’avait malheureusement pu trouver autre chose pour le mari de madame Duchamp– le pauvre homme ne pouvait faire plus de trois pas, avant d’avoir à faire demi-tour. – Madame Duchamp, dit-il sévèrement, j’espère de tout mon cœur que vous comprenez la gravité de la situation. – Oh! Oui, certainement! Je… – Vous comprenez donc que l’incapacité à administrer le traitement de manière quotidienne pourrait accélérer la déchéance de votre mari? – Oh! Oh… Les yeux humides, madame Duchamp hochait la tête avec assurance. – Oh, docteur, si vous saviez. Si vous saviez! Je ferai tout ce qui en mon possible.

– Vous comprenez les implications de ce traitement? – Oui, docteur. Oui. – Avec de la patience, un peu de cœur, s’exclama joyeusement le docteur, votre mari pourrait être rétabli dans aussi peu que quelques mois. – Ah! Comme je suis heureuse! Oui, un peu de patience… Dites-moi docteur, il y a bien longtemps que je n’ai pas… vous comprenez, c’est plutôt délicat…n’y aurait-il pas quelqu’un, une infirmière, un aide, qui pourrait m’aider pour quelques temps? Je ne voudrais surtout pas être la cause de plus de douleurs… Mon mari est si faible… - Oui. Oui, certainement. Adressez-vous à Marina, qui s’occupe de la réception pendant les heures de jours. Marina a été une des premières à être formée dans l’administration de ce nouveau traitement; elle possède également une liste d’aidants naturels qui ont déjà vécu le même processus. Ils pourront vous conseiller. Votre tâche ne sera pas des plus simple, mais dites-vous bien que le personnel de notre unité et moi-même vous comprenons parfaitement. Marina a elle-même été forcée de s’occuper d’un patient qui avait été laissé à lui-même. Ne vous inquiétez pas, vous apprendrez rapidement. Madame Duchamp sourit, un espoir nouveau au fond des yeux, et se leva pour aller rejoindre son mari qui dormait au fond de la chambre. – Merci, docteur. Merci du fond du cœur. – Je vous en prie, madame Duchamp, tout le plaisir est pour moi. Revenez me voir quand bon vous semble. Ma porte est toujours ouverte. Elle rougit de plaisir, et le docteur sortit de la chambre.

Un bouquet de mémoires Richard Martyn-Hemphill

Jonathan Brosseau-Riou

Les mémoires de mon année ici sont festonnées brillamment par un bouquet abondant. Un bouquet, Garni avec des fleurs de triomphes, Et salé avec du crottin de calomnies.

l’amertume choit en tournoiements limpides névroses d’automne les grandes œuvres ont toutes quelque chose d’inachevées ainsi nos insolences

Je n’ai pas de regrets, Je n’ai pas d’alternatives. Néanmoins, J’ai mes mémoires, Qui existent encore, Qui me réjouissent, et que j’abhorre. Qui sont servies comme des cours, D’un vieux professeur, Pour changer l’essence de mon séjour, Pour conjurer les réalisations d’un espoir, Et pour exposer les prétentions d’un étudiant et sa vaine gloire.

ocres chansons au morose passé pluie d’obèses tourments je vaporise des locomotives sucres imprécis tellement de beaux crayons de bois pour que les symboles me poignarde je m’égard dans la tendresse sentinelle

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création

D’Après Edward Hopper, par Thomas Simonneau x le

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Un souper à St-Roublon

Raphaël Ferland

L

a Volvo de Christian cahotait sur la vieille route de campagne qui menait jusqu’à St-Roublon. De part et d’autre de la chaussée, des champs condamnés à une jachère permanente étaient parsemés de meules de foin négligées qui se liquéfiaient sur la terre comme des pustules crevées. Malgré l’atmosphère alourdie d’une brume laiteuse, Christian discerna le village qui se profilait au bout du chemin. St-Roublon était l’un de ces petits hameaux enfouis au fin fond de la Côte-Nord, dont les habitants se repaissaient de misère comme des asticots au fond d’une fosse bien mûrie. Aux abords du village, Christian vit une maison de campagne flanquée d’une grange délabrée, dont la pancarte faite de bois d’exclôture pourrie scandait en grosses lettres rouge : FERME PAQUETTE – Légumes et empaillage». Le médecin stationna la voiture dans la cour. Il s’apprêtait à se diriger vers la maison, mais il entendit un long cri strident en provenance de la grange. Son sang reflua vers ses tripes; il hésita un instant, puis courut vers la grange et s’immisça à l’intérieur par un trou dans le mur. Au fond du bâtiment se tenait un bonhomme aux yeux exorbités qui tenait par les cuisses un lapin frétillant. En apercevant Christian le bourreau s’écri : C’est ça qu’y’arrive quand on veut y aller trop dou : on fesse tout croche pi ça crève pas à moitié ». Il hurla de rire en concert avec son lapin gémissant de douleur. Puis il asséna à sa victime un deuxième coup de bâton derrière la nuque, ce qui noya les cris de la bête dans un flot de sang qui s’écoula par la bouche. Attends-moé deux secondes, dit le bonhomme, je finis d’égoutter le lapin pi j’suis tout à toé » Il secoua effectivement l’animal, puis le pendit en accrochant les deux pattes arrièrs sur des clous plantés dans le mur du fond. L’homme s’essuya les mains sur sa salopette brune comme une grosse gale sèche, puis il vint vers Christian. Il lui tendit une main en se fendant d’un large sourire. -Ben j’ai mon voyage, d’la visite su’a farme! Avoir su, j’en aurais tué un de plus! -Hem, oui… enchanté, monsieur. Je m’appelle Christian Brumel, et j’enquête à propos de… -Enchanté moé-même! Moé c’est Farmier. Farmier Paquette. Oui, fermier et empailleur, comme j’ai pu le constater. Mais votre prénom, monsieur...? -Han? s’écria-t-il en faisant converger tous les muscles de son visage vers son nez. Pour quoi faire un prénom, t’as-tu déjà vu un autre Farmier à St-Roublon, toé? Farmier Paquette décocha un clin d’oeil à Christian puis retourna vers le lapin, couteau en main. Christian en profita pour observer l’intérieur de la grange. Mis à part quelques pinces et couteaux, les outils agricoles brillaient par leur absence: Paquette ne souhaitait pas prendre trop d’espace de rangement à ses caisses de bagosse. Dans un coin, un vieux lévrier gisait sur ses propres excréments, trop lâche pour se lever avant de déféquer. -Monsieur Paquette, reprit Christian, je suis venu à vous parce que j’ai besoin d’information à propos des environs de

St-Roublon… -Ben Tarbarslaque, t’as ben fait de venir me voir, mon pit! Les Paquettes du village là-bas, tsé… répondit Farmier en se portant au gosier une bouteille imaginaire. Le Paquette secoua longtemps sa main au-dessus de sa bouche ouverte, apparemment déçu que l’alcool qui s’y déversait était lui aussi imaginaire. Il remédia au problème en attrapant une pleine bouteille de bagosse, dont il se rinça copieusement les boyaux avant d’en offrir à Christian qui refusa poliment. -Tu vas en avoir besoin, mon pit. Ça va sentir le yâb’ dans pas long! dit Farmier Paquette. Il empoigna alors la fourrure du lapin à deux mains, puis la détacha des muscles en la tirant vers le bas. Au contact de l’air, les muscles dégagèrent une vapeur rance. Christian retint un haut-le-cœur puis reprit: -Je suis à la recherche d’une famille qui vivrait dans la forêt, des ensauvagés… -Ah ben ça! Des p’tites sauvageonnes c’est pas ça qui manque dans c’te boutte-ci! J’ai rien qu’à te montrer ma femme pi ma fille! Paquette crachat de rire avant de revenir à son lapin. Il décapita l’animal puis lança la tête (rattachée à la fourrure) au lévrier, qui se mit à gruger les lambeaux de chair collés à la peau. -Ce cabot, c’est notre tanneur de cuir; ça fait vingt ans qu’y’est dans le métier pi y s’est jamais tanné, dit Paquette. Y’est plus tough que ma femme, caliboire! -Charmant… Cependant, malgré tout le respect que je dois à votre femme, monsieur Paquette, je recherche une famille en particulier, qui vivrait près du lac Maloney… -Mal au nez, hein…, répéta Farmier en se trouvant très drôle. L’effort intellectuel lui avait fait oublier le couteau qu’il avait planté dans les tripes du lapin, qui se déversaient maintenant en toute liberté par le ventre incisé. Farmier sacra et dirigea sa lame vers les deux canaux qui retenaient les organes au corps, au niveau du pelvis. Christian intervint: -Oh! Monsieur Paquette, arrête : si vous sectionnez le gros intestin et le canal urinaire, vous allez provoquer un déversement de déchets digestifs qui rendraient la viande impropre à… -Heille heille heille, tu te prends pour qui, mon pit? Un chiuregien? Farmier Paquette arborait toujours un air moqueur lorsqu’il sectionna les boyaux et s’envoya un jet de matières fécales en plein visage. Pendant qu’il tournait sur lui-même en glapissant «Mon œil, Simonaque! Mon œil», le lévrier claudiqua vers le lapin et croqua à belles canines dans les boyaux qui pendaient jusqu’au sol depuis la cage thoracique. Farmier aperçu le chien de son œil valide lui décocha un coup de pied dans le flanc. Le cabot s’éloigna en couinant, le cœur (du lapin) au bord des lèvres. Paquette, une fois les esprits remis en place, acheva de détacher les entrailles du corps du lapin et les recueilli dans un seau. Il héla alors en direction de la maison: -Joséphine! Joséphine, amène-toé icitte, y’a des vidanges

Image: Héra Chan

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à sortir! (Puis, à l’attention de Christian: ) Toé qui voulait voir d’la sauvageonne, tu vas être servis! Une fillette rousse et osseuse accourue par le trou dans le mur en faisant virevolter sa robe rapiécée. Elle fixa un moment Christian puis s’élança, ravie, vers la bête dépecée. -Ça c’est Joséphine, dit le père. Est jamais capable de te r’garder drette dins yeux, mais c’t’une bonne fille pareil. Y’a des langues sales qui disent que c’parce que sa mére pis moé on a le même grand-pére. Bah! Comme on dit par icitte, on est jamais mieux servi que chez soi-même! Pendant ce temps, Joséphine se confondait en supplications tout en resserrant ses articulations noueuses autour du bras de son père: -J’veux une patte, popa, j’veux une patte! Dès qu’elle eut ce qu’elle voulait, elle courue vers le mur opposé, grimpa sur une échelle qui lui permit d’atteindre le plafond de la grange. Là-haut, une guirlande de pattes de lapin s’étirait de part et d’autre du toit; Joséphine Paquette y accrocha la énième patte en poussant un cri de jubilation. -On est pas ben ben pratiquants, icitte, expliqua Paquette en chuchotant. Ça fait qu’on chasse le Malin comme on peut… -Revenons-en au lac Maloney, s’il-vous-plaît. -Ah! Ben certain, mon pit! J’le connais que trop ben c’te lac-là. C’est là que Laplotte attrape toutes les bebittes qu’il me revend à des prix d’innocent! -Et qui c’est ce Laplotte? -C’t’un trappeur qui vit tu’ seul dans forêt. ‘Gare moi ça toutes les belles affaires qu’y me ramène pour mes empaillures! dit-il en pointant derrière Christian. Le médecin fit volte-face sur deux étagères où on avait étalé une alléchante fricassée de ratons, d’écureuils et autres rongeurs morts en tous genres. Sur l’étage supérieur, plusieurs charognes étaient en état de décomposition avancée. -La rangée du bas c’est pour mes projets à court terme, pis elle du haut c’est là que j’mets ceux que j’ai jamais eu le temps d’arranger… La fillette redescendit alors et se posta devant Christian. Le médecin intrigué la fixait silencieusement pendant qu’elle, postée devant lui, vibrait d’excitation. Son sourire lui écartelait les joues et ses grands yeux bleus s’exorbitaient à en tomber du visage. La rouquine brûlait d’adresser la parole à Christian, mais elle n’avait aucune idée de comment s’y prendre. Elle resta longtemps crispée par son hésitation; puis enfin, chargée à bloc, elle lui hurla au visage: -POPA Y PRÉPARE À SOUPER! -Ouiii, ma chouette, dit Paquette lui ébouriffant les cheveux. Là, tu vas aller porter le seau de retailles de lapin à moman, veux-tu? La fillette détala aussitôt en emportant avec elle son chargement de viscères. Christian lui emboîta le pas. -Monsieur Paquette, dit-il, je vous remercie infiniment pour votre chaleureux accueil, mais je dois maintenant vous quitter: j’ai affaire avec ce Laplotte. Transmettez mes salutations à votre cousi… à votre femme, et… bon appétit!

Image: Héra Chan

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En lire de toutes les couleurs L

es quatorze écrits donnés à lire sont, pour une deuxième année consécutive, le fruit d’un processus d’écriture créative à partir du recueil Les aurores montréales de Monique Proulx auprès d’étudiants du cours FRSL 321: Oral and Written French II au Centre d’enseignement du français (CEF). Ces écrits, ou plus précisément prologues et nouvelles, viennent conclure deux semestres d’expériences de lecture, discussions-analyses et écriture menées en présentiel et à distance avec le blogue-magazine legoutdufrancais.org, une tribune pour ces étudiants. On découvre ainsi des prologues et nouvelles qui s’enchâssent symboliquement dans le recueil existant afin d’enrichir la palette des couleurs initialement choisies par Monique Proulx. Sans aucune prétention, les étudiants

non-francophones proposent de partager, en français, leurs visions montréalaises de la diversité culturelle -qu’elle soit linguistique, ethnique, sexuelle, sociale ou encore religieuse– ou les raisons d’être d’un questionnement identitaire. Ces dernières s’expriment d’ailleurs à travers une mosaïque d’expressions baignées d’émotions et souvent imprégnées de la réalité socio-politique du moment. Il s’agit d’autant de clins d’œil à l’œuvre de Monique Proulx qui revêt la remarquable particularité d’entrouvrir la porte à tout un chacun à une identification , mais surtout qui donne la possibilité de s’en affranchir comme en témoignent ces écrits. Nous présentons dans ces pages quatre des textes les plus forts; les quatorze œuvres du recueil intégral sont disponibles sur le site web du Délit. Bonne lecRIture! Marion Vergues

Rouge et Bleu Sophia Ma, Xiaowan Qin, SungBong Woo, Nathalie Boyle

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her Jin,

Hamlet s’est demandé une fois: «Être ou ne pas être ». Eh bien, pour être honnête, je n’ai pas vraiment le choix de décider d’être ou de ne pas être. Dans cette ville sombre qu’est Montréal, je suis un fantôme; je suis une paria qui ne peut pas être accueillie dans les deux mondes. Cela fait douze ans que je vis à Montréal. Je parle français, anglais, et j’ai reçu mon diplôme à HEC Montréal. Même mon passeport indique que je suis canadienne. Cependant, mes amis me considèrent comme une Coréenne ou une immigrante asiatique. Mes amis me posent souvent des questions à propos de la musique populaire coréenne, mais pour être honnête, je n’ai aucune idée de ce dont ils parlent. La Corée me manque. Même si Montréal est une ville diverse, je n’ai pas trouvé ma niche. Je n’appartiens plus à la société coréenne, mais je ne suis pas acceptée complètement dans la société québécoise. Qui suis-je, Jin? Mon identité est entre les deux mondes maintenant. Est-ce que je dois prêter serment d’allégeance à seulement une culture? Ou est-ce qu’il est possible de faire partie des deux? J’ai rencontré des personnes de nom-

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breux pays différents et de cultures différentes. Mais ils trouvent des similitudes dans leur situation –la situation d’un immigrant dans ce pays tellement froid. Nous nous battons ensemble, mais c’est encore une bataille individuelle. Comment est-ce qu’on peut l’expliquer? C’est un sentiment bizarre. Même s’il y a beaucoup de cultures en ma présence pour une quelconque raison, je me sens encore seule. Aujourd’hui, j’ai rencontré mes amis coréens dans un bar. Je voulais juste me détendre et profiter de ma soirée avec un cocktail. Mais non, les Coréens sont supposés boire jusqu’à ce qu’ils vomissent et ils considèrent cela comme un geste de politesse! Comme c’est stupide! Les Coréens sont comme les taureaux: quand ils sont fâchés, ils voient tout en rouge. Mais cette lettre est devenue trop déprimante! Je ne suis pas vraiment si malheureuse, c’est seulement une humeur pensive qui est passagère. J’ai survécu à l’hiver, et maintenant les beaux jours sont là. L’été approche, et, avec l’été, mon retour en Corée! J’espère te voir bientôt. Donne mon amour à la famille. Tu sais, Montréal est une ville diverse et multiculturelle, c’est un mélange d’individus de toutes ethnicités dans une ville où il y a des quartiers chinois, espagnol, italien… Je suis un esprit libre qui n’est lié à aucune chaîne ethnique, ni coréenne, ni canadienne. En fait, je suis montréalaise, car Montréal est mon ciel et mon enfer, et je demeure ici.

Photo: Nicolas Quiazua

La foule Alvira Rao, Emma Gause, Hans Krause, Maria Mejia, Zuzanna Kuza.

I

l s’est levé avec le bruit de la foule alors qu’il attendait le son habituel de son réveillematin. Étendu dans son lit, il reste un moment entre un état de rêve et de veille, un lieu entre sa réalité et son passé. Attiré par les sirènes de la rue, il s’approche de la fenêtre. Les grévistes manifestent avec un tonnerre de hurlement, de cris d›orgueil sur le boulevard de Maisonneuve. «Je dois les rejoindre» marmonne-t-il en ouvrant la boîte de café. L’eau tombe goutte à goutte à travers la mouture riche et noire, infusant l’air et donnant une forte sensation nostalgique. Il lève les yeux de sa tâche se disant «C’est ma responsabilité. Pourquoi ne peuxtu pas me comprendre?» Sans attendre de réponse, il continue à parler: «Ne me dites pas que je fais la grève sans raison. Ne me dites pas de l’oublier» dit-il avec véhémence en coupant une tranche de pain pour son petit déjeuner aussitôt expédié. Brandissant le couteau, il continue «C’est toi qui oublies que les émeutes chez nous étaient les seules mesures qui pouvaient promouvoir la cause de la liberté!» Maintenant criant, «Je n’attendrai pas en silence, hors de danger alors que x le

tu restes en Égypte pour lutter contre l’oppression!» Le soleil perce, jetant des ombres autour de son appartement. Dans la distance, la montagne devient visible. Il voit la Croix au nord, toute seule, illuminée même dans le matin. Au sud, il est sensible au fleuve, tellement différent du fleuve qui définissait sa vie d’enfant: froid, dangereux et désert plutôt que lent et tiède, plein d’activité en fait. «C’est toi qui ne comprends pas la raison de la grève. Je suis certain que cet enjeu est important, comme les autres étaient importants.» Il se tourne dos à la fenêtre, face aux ombres dans l’appartement. Face à l’est, à la Mecque, et à sa famille. «C’est là où je suis important, c’est là où je suis accepté» crie-til, «Qui êtes-vous pour déterminer ma vie ? Ma vie repose dans mes mains, et seulement mes mains. Avec mille autres corps et mille autres voix, je vais faire partie de cette manifestation!» Il s’arrête. Ces mots pénètrent en profondeur pour attendre une réponse, inutile comme toujours. Il cesse de parler. Il at assez entendu sa propre voix. Il sort de sa chambre vide pour rejoindre la foule. *** Il est entouré par des gens mais il est encore profondément seul.

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De la baie au parc Zachary Lewsen, Erin Sunell, Kyle Jacques et Alexandra Brown

I

l traverse Bay Street vers son bureau, avec le même déjeuner qu’il mange chaque jour. Les gratte-ciel projettent une grande ombre sur toute la rue. Lorsqu’il s’approche du bâtiment, il voit le reflet de son visage neutre dans la vitre. Dans l’ascenseur, il lit avec ennui les dernières nouvelles du marché financier. Après être arrivé au deuxième étage, il passe devant les conversations fortes du nouveau Premier ministre Pearson dans les volutes de fumée. «Bonjour, Jack» dit sa secrétaire, Penny. Elle s’approche de lui et chuchote à son oreille: «vous m’avez manqué hier soir…» Il ne répond pas et continue vers son coin bureau, triste quand il pense à son épouse qui a découvert qu’il avait une liaison avec sa secrétaire. Il ferme la porte avec frustration et s’assoit dans son fauteuil. Il regarde

la rue par la fenêtre et pense: «J’ai tout, mais je me sens vide.» *** Il traverse l’avenue du Parc avec le tambour qu’il prend chaque dimanche. Le soleil brille à travers les arbres et contre son visage barbu. Lorsqu’il s’approche du cercle de «Tam-Tams» il peut voir les sourires de tous ses amis. Ils parlent avec mépris du Premier ministre Harper dans les volutes de fumée de marijuana. «Bonjour Jacques!» dit tout le monde dans le cercle. Après s’être assis, il voit à son coté une femme avec des yeux dont il se souvient. La femme le voit et tourne son corps vers lui. Avec un visage rempli de surprise, elle dit: «Vous m’avez manqué toutes ces années, Jacques.». Et il tourne son regard pour un moment vers les gratte-ciels du centre-ville de Montréal et pense à sa vie à Toronto. Ensuite il se tourne vers la femme et lui dit: Penny, ce moi-là ne me manque pas du tout »

La vitesse de la charité

Kelsey Pericak, Mary Guay, Johnny Mater et Brandon McCool

L

e son de la pluie qui tombait et les piécettes qui étaient dans sa poche ne pouvaient pas assourdir le bruit des voitures qui passaient dans la rue devant lui. La vitesse de chaque véhicule et les personnes qui se dépêchaient dans toutes les directions lui rappelaient que personne ne l’attendait. Il s’est assis à côté de la rue, espérant qu’une personne gentille s’arrêterait juste pour lui dire «Bonjour.» Tout seul, il commence à compter sa monnaie: vingt-trois sous, cinq pièces de vingt-cinq, quatre dollars et un billet de cinq dollars. Pendant les jours pluvieux, c’était plus difficile de ramasser les piécettes. À ce moment-là, une grande voiture noire est passée trop proche du trottoir. La vitesse de la voiture et la taille de la flaque causaient un mur d’eau qui l’a frappé. Il n’a pas réagi. *** Manu avait oublié son anniversaire de mariage donc il se pressait à rentrer chez lui avec des fleurs. À cause de sa frustration, il conduisait trop vite et de manière plus désespérée que d’habitude. Bien qu’il était en retard, il savait que sa femme l’attendait, comme toujours. Elle l’adorait. Il n’a pas vu l’homme sur le côté de la rue jusqu’à ce qu’il ne l’éclabousse. Même si Manu était pressé, il compatissait avec le sans-abri. Manu est retourné x le

à la rue où l’homme restait assis et il est sorti de sa BMW. Avec son parapluie et les fleurs, il a couru en direction de l’homme. «Je suis vraiment désolé. Prenez mon argent et ces fleurs, c’est tout que je peux vous offrir.» Sans hésitation, l’homme s’est tourné puis il a ouvert son parapluie, tout en marchant en direction de sa voiture noire. Le sans-abri a pris les fleurs et l’argent, en regardant l’étranger qui partait à toute vitesse; il ne pouvait rien faire sauf sourire. *** Comme toujours, j’attendais pour fermer le dépanneur. Soudain, un sansabri est arrivé. Quand il est arrivé, il était trempé, ses vêtements étaient déchirés et couverts de boue. Il n’était pas en forme, mais il avait un sourire comme un enfant la veille de Noël. Il y avait un scintillement dans ses yeux et il tenait des fleurs dans ses mains. Il m’a demandé, «Puis-je avoir une bouteille de vin rouge?» Je l’ai dirigé au rayon. Il est parti et est revenu avec du vin cher. L’homme m’a donné un billet de cinquante dollars et ses fleurs. «Gardez les fleurs vivantes, s’il vous plait.» Je lui ai donné sa monnaie et j’ai pris les fleurs. «J’y vais.» L’homme est parti et j’ai fermé le dépanneur. Je me rappelle cette nuit chaque fois que j’achète des fleurs et chaque fois que je remplace les fleurs qu’il avait déposées sur le comptoir de mon dépanneur.

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Photo: Nicolas Quiazua

Rouge

Anna-Lee Beamish, Bushra Ebadi, Erica Jewell, Maija Sidial Whitney et Shahir Omar Le 24 mars 2012

C

her Jean-Pierre,

Je me souviens quand tu avais sept ans –mon fils tu étais trop mignon. Tous les garçons avaient les cartes Pokémon, et tu m’as demandé de te les acheter aussi. Comme les autres, tu voulais jouer avec des cartes Pokémon. Et encore, pendant l’école secondaire, tu as décidé de boire aux soirées, parce que tes amis l’ont fait aussi. Tu m’as tellement déçue. Mais maintenant, tu es un adulte, un étudiant à l’Université de Montréal et tu as l’âge de te forger tes propres opinions. J’espère que tu prendras de sages décisions. Cependant, l’autre jour, j’ai vu quelque chose qui m’a donné la chair de poule. Dans une file d’attente avec mes collègues, la scène a transpiré devant mes yeux à travers le plexiglas de mon parebrise. Les masses d’étudiants criaient passionnément; le rythme de leur clameur émanait des carrés rouges qu’ils portaient sur leur cœur. Ils devenaient fous,

se moquaient de nous et chantaient «on veut étudier; on veut pas s’endetter!» Tout à coup, dans le bruit et la fureur des étudiants, il y a eu un fracas dans le vide entre les deux groupes. Quelques étudiants ont retourné notre voiture de flic! Il y a eu un moment de silence complet, et après l’espace autour de la voiture a fusé comme un volcan. La voiture était en flammes et les étudiants se sont répandus comme des torrents de lave, engloutissant la rue. A u beau milieu de cette pagaille, entre les flammes de la voiture, je t’ai vu. Je me suis arrêtée un instant, et à ce moment précis, je ne t’ai pas reconnu. Tu étais un étranger. J’ai pris du temps avant d’écrire cette lettre pour penser aux événements de cette journée-là. Je sais que, même si je suis fâchée, je dois respecter tes opinions. Je vais le faire, mais seulement si ce sont tes opinions et que tu es informé sur leurs conséquences. S’il te plait, exprime-toi d’une façon responsable. Même si tu habites chez ton père, n’oublie pas que tu es mon fils aussi. Tu me manques. Fais attention à toi, Maman

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Europa, zona belli

Victor Constant Prolégomènes du Ragnarök

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a pluie ruisselle le long des carreaux du métro aérien. Ligne 6, direction Nation. Bercé par les ballotements de la rame filant à pleine vitesse sur les rails –ça fait longtemps qu’elle ne s’arrête plus dans les quartiers «corrects»– je regarde les gens qui m’entourent. Une bande de «jeunes» ricane bruyamment en détachant à coups de pieds ce qu’il reste d’un strapontin tout en lâchant des interjections dans une langue que je ne reconnais pas. Ailleurs dans le wagon ce ne sont que des visages las ou apeurés. Le train ralenti et une voix robotisée annonce «Southwest district, station two; promptly exit the train». Je jette un coup d’œil par la fenêtre, La Motte-Picquet-Grenelle, c’est ici que je descends. Je quitte le wagon au milieu d’une foule informe de gens, la tête baissée, traînant des pieds sous la pluie sale. Ce crachin permanent arrose Paris et la plonge dans une sorte de brouillard étouffant, entrecoupé de halos blafards qui accompagnent les passants à travers les rues encombrées jusqu’à leurs piaules merdiques. Trop occupé par mes rêveries, je traîne dans les couloirs du métro jusqu’à ce qu’un agent de la milice m’interpelle, matraque au poing, et me prie aimablement de me dépêcher: «Move your fucking ass!». Je sors de la station et, relevant le col de mon caban, je me dirige vers un bistrot que je connais rue du Commerce, rare vestige «autochtone» que les autorités surveillent d’un regard amusé et méprisant. Je pousse la porte du Ker Gwenn et je salue le patron et sa femme. On est du même endroit. Enfin du temps où ça existait encore.

tainement pas pour nous qu’ils assurent le futur, nous les «autochtones», les pauvres diables sans passé ni futur sur ce continent. Et ils nous foutent ça sous le nez, essaient encore de nous y faire croire. Debout sous la pluie et les lumières blafardes de ces panneaux à la con, je me rends compte qu’on va nulle part, que je vais nulle part. Le klaxon d’une voiture qui passe me ramène à moi. Je me remets en marche sur la rue du Commerce d’un pas pressé, ils se sont pas donné la peine de renommer les rues par ici. Je tourne sur l’avenue Émile Zola et je remonte vers l’ancienne station Charles Michels sur la ligne 10 aujourd’hui désaffectée. La pluie tourne à l’orage, le ciel noir pèse comme une chape de plomb sur la ville. Les bâtiments haussmanniens à l’abandon sont les spectateurs silencieux de l’existence sordide des malheureux que je croise. En passant devant une devanture de magasin j’aperçois mon reflet à la lumière d’un éclair, et je réalise que j’ai les mêmes yeux vides, la même mine hagarde que toutes les loques que je côtoie. Pris d’une trouille pas possible je me mets à courir. Arrivé au coin de la rue Saint Charles je tourne vers la rue de Javel. Bientôt chez moi! Zigzaguant entre les flaques les plus grosses, je me dépêche. Sortir d’ici, vite! Enfin j’arrive sur la rue de Javel et je tombe nez à nez avec une patrouille de la milice… Merde! -«Stop right there! Identification!» -«Citoyen d’Euroland région Ouest de catégorie A: Loïc Kervern. Numéro d’identification: 260304206. Chef de chaîne

dans les usines du secteur banlieue NordOuest.» Je répète ces mots que je connais par cœur d’une façon machinale. -«What? Oh… ‘A’ category citizen… I see. Alright, go on.» En m’éloignant je les entends se marrer, parler du cul-terreux, du sous-homme s’obstinant à utiliser une langue obsolète. J’enrage, mais ça serait trop con de crever en bas de chez soi pour une histoire de miliciens rigolards… Alors je me la ferme et je continue jusqu’à ma piaule qui est plus très loin. Le 90 rue de Javel. Bâtiment banal s’il en est. Porte cochère verte, cour intérieure. Je passe le portique en jetant un coup d’œil au 92, il y avait un bar là autrefois, les gars qui tenaient ça ont fini en prison ou ont disparu après avoir été raflés par les miliciens pour «dissidence». Je traverse la cour où brûle un brasero dans un vieux bidon d’huile, et me lance dans les escaliers de service. Je grimpe les marches quatre à quatre jusqu’au quatrième et pousse la porte de mon appart’ trois pièces avec fenêtre sur rue. Petit, sombre, mal rangé, il est pourtant bien comparé aux piaules sordides de certains de mes camarades. Je me jette sous la douche, le jet d’eau tiédasse peine à me réchauffer après la pluie glaciale. En enfilant un vieux jean délavé et un polo – nous autres citoyens de catégorie ‘A’, on n’est pas obligés de porter l’uniforme de la Compagnie– j’allume la télé. Rien, comme d’habitude. Toujours leurs infos approuvées par le bureau des

Médias, où ils nous vendent leurs rêves bidons, le tout entrecoupé de pubs et d’émissions débilitantes. Je me sers un kir et coupe un saucisson récupéré au marché noir. Je sors de ma torpeur alcoolisée au bruit des sirènes de flics et d’une sorte de rumeur provenant de sous mes fenêtres. Tel le spectateur d’un guignol grotesque je me mets au balcon pour voir ce qu’il se passe. En bas je vois un de mes voisins, un ancien punk actif dans les premières années de la Réaction, se faire traîner sur le bitume. Les salopards se mettent à lui buriner la tronche à coups de matraque, là, au milieu de la rue. Et moi comme un con, comme tous les autres connards à leurs fenêtres je regarde ça sans broncher. Quand il cesse enfin de se débattre –il aura pas gueulé une seule fois– les miliciens le balancent dans la caisse du panier à salade. Hébété je me rassoie dans mon canapé devant cette putain de télé, devant cet enfoiré de présentateur qui raconte ses mensonges aux spectateurs. La télé, encore un des seuls trucs fournis par la Compagnie, même aux citoyens ‘A’; c’est-à-dire qu’ils en ont bien besoin pour nous ressasser leurs conneries. Et encore, c’est rien comparé à ce à quoi les citoyens de catégorie ‘E’ (Eurocitoyens, ou citoyens réguliers) ont droit; à ceux-là ils réservent une «vie meilleure» –«a better life» comme ils disent– et ils les assomment à coups de programmes télé, de vacances holographiques, de nano-drogues, et toutes autres sortes de connexions virtuelles. Petit à petit en les déconnectant, en nous déconnectant de la réalité, de la société, ils nous ont abruti et ont assis leur régime pourri.

-«Salut Yvan, salut Gwenn.» -«Salut mon gars.» -«Des nouvelles de l’Ouest? Vous y retournez?» -«Ah il y a plus rien là-bas pour nous! Ils ont bien fait leur boulot les enfoirés! Qu’est-ce que j’te sers?» Je commande ma bolée de cidre habituelle et, comme d’habitude, il me sort une bouteille sans étiquette d’un compartiment sous le bar, fruit du marché noir. Autour de moi d’autres anonymes, des hommes, quelques femmes, accoudés au zinc délabré ou affalés à des tables minuscules les coudes posés sur les toiles cirés dégueulasses. Tous ces gens sans avenir, maintenant sans histoire, condamnés à vivre dans leur présent merdique et routinier, sirotant l’infâme vinasse d’Eurocorp destinée aux citoyens de classe ‘A’. Je me sens pris d’un malaise que j’ai du mal à identifier. Ne tenant plus à rester dans ce cloaque entouré de loques je finis ma bolée d’un trait et, saluant le patron et sa femme, je me casse le plus vite possible. Me revoilà rue du Commerce, sous la pluie qui a redoublé. Je prends quelques instants pour laisser la pluie me rafraîchir. Je lève la tête et à travers les gouttes et les rafales de vent je distingue une de ces putains de réclames d’Eurocorp. «Trust us! Eurocorp, ensuring a better future for every Eurocitizen.» Quel foutage de gueule! C’est cer-

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J’avais lu dans un bouquin de mon père, un truc d’un gus Antique –un certain Aristote– que l’Homme était ce qu’il appelle un «animal politique». Moi la politique j’en sais vraiment que ce que j’ai pu glaner dans mes vieux bouquins, mais c’est déjà plus que tous les autres abrutis qui m’entourent. Ce que je sais en tout cas c’est qu’en nous déconnectant de la putain de réalité ils ont tué la politique. Je suis pris d’un vertige en pensant aux merdes sans but qu’on est tous devenus, qu’on soit de catégorie ‘A’ ou de catégorie ‘E’. Des êtres apathiques, des putains de loques égocentriques et abruties qui vivent pour manger, dormir, chier, prendre leur pied et se dire qu’ils servent encore à quelque chose dans leurs réseaux virtuels. Je suis au bord d’un putain de gouffre, le néant, je suis devenu qu’une simple machine à servir les intérêts de la Compagnie. Je me dis que c’est pas ma faute, je suis né trop tard, c’est comme ça… Non! Je peux pas me mentir putain! J’ai vu les choses tourner au vinaigre autour de moi, j’ai vu cette merde arriver. Et aujourd’hui je regarde ceux qui ont eu plus de courage que moi se faire réduire au silence à grands coups de trique dans la gueule puis disparaître sans rien faire, je suis devenu un putain de spectateur tout comme les connards qui m’entourent et que je méprise. Je revois le corps inanimé de mon voisin la gueule dans le caniveau, j’entends les coups sourds des matraques et des bottes qui font craquer les os, et moi… Moi qui fait rien, qui regarde ça, hypnotisé. Je sens une vague de haine au goût aigre de bile remonter en moi, je me dégoute, les êtres apathiques qui m’entou-

rent à longueur de journée me dégoûtent. Dans un élan de rage je me lève et j’entreprends de déloger ma télé de son socle à coups de latte. L’image frémis, la gueule du trou du cul assis dans sa boîte à déblatérer ses conneries à longueur de journée tressaute à chaque coup de pompe. Enfin elle se décroche dans un grésillement électrique et, toujours emporté par ma colère, je la jette de toutes mes forces par la fenêtre. Elle se fracasse sur les pavés en contrebas à l’endroit où, plus tôt, j’avais vu le crâne du punk frapper le sol. Haletant, je contemple la scène depuis mon balcon, la pluie ruisselant sur mon visage. Je referme la fenêtre et je m’affale sur le futon de mon salon, plongé dans une sorte de léthargie. J’attrape une bouteille de gnôle dégueulasse qui traîne sur une table basse et m’en envoie une rasade brûlante dans la gorge. Je sens le liquide racler mon œsophage et venir me réchauffer les tripes. J’attrape un bouquin qui traînait là –c’est une copie cornée du Voyage au Bout de la Nuit de Céline– puis l’ayant feuilleté machinalement je me lève pour le remettre à sa place sur l’étagère. Ma bibliothèque, seul lien que j’ai avec mon semblant de passé. Souvenirs de mon père, je chéris ces bouquins parmi lesquels on peut trouver aussi bien Aristote, saint Thomas D’Aquin ou Machiavel que Nietzsche, Proudhon, Marx, Céline, Nimier, Mishima, Drieu La Rochelle et des écrivains plus récents comme Maurice Dantec et Robert Merle, sans oublier l’intégrale des Tintin. Les livres sont une denrée rare de nos jours, ils sont devenus obsolètes, comme les idio-

mes nationaux, aujourd’hui remplacés par un anglais simplifié. Les internationalistes doivent bander. Ah ça pour le coup ils ont bien réussi. Transferts de populations autochtones vers d’autres régions, destruction du passé de ces régions pour embrasser un «passé commun», poussée vers une homogénéité métissée, brassage des races qui sous couvert de tolérance et de diversité a fini par détruire la diversité. Ça demandait la création d’un nouveau calendrier. Selon eux, on est en l’an 25 après Lisbonne. Ça a été facile pour Eurocorp de prendre les rênes à ce moment-là. Organisation de toutes les institutions autour de la Compagnie, importation de main d’œuvre allogène moins chère et destruction de ce qui avait été l’Europe pour créer Euroland. Euroland cette entité faisant face aux autres grandes corporations telles que l’Americon (englobant tout, des cercles polaires de la région nord, jusqu’aux tropiques). Les enjeux politiques et économiques ont fini par s’entremêler, au détriment des populations et des cultures. Et moi je suis là dans mon putain d’appart’, individu sans passé et sans avenir, pion dans les mains des cons à la tête de ce merdier. Condamné à mener une existence de fantôme, chef de chaîne dans la plus grosse usine du secteur Nord-Ouest; remplaçable, simple numéro sur une liste qu’un autre numéro viendra remplacer s’il vient à disparaître. Et pendant ce temps-là, assis confortablement dans leurs salons, les loques qui ont accepté de vendre leur âme à ces enfoirés se marrent, s’empiffrent et prêchent le mélange de tous les indivi-

dus, de toutes les identités. Ils travaillent depuis chez eux cette nouvelle bourgeoisie, mélangée, sans passé autre que «l’héritage de Lisbonne»; ils dépendent de notre main d’œuvre les enflures… Au fond, ils l’auraient bien profond si on décidait tous de plus vouloir êtres leurs larbins, si on leur rentrait dans la gueule un bon coup. Ouais, ça les mettraient mal ces enflures si nous, les autochtones du vieux Paris, on marchait sur leurs grattes ciels, on dynamitait leurs usines, on butait leurs dirigeant –ces vieux charognards repliés dans leur nid au 100ème étage de l’E-Tower– qu’ils finissent tous la gueule dans le caniveau à se vider de leur sang en gueulant comme des gorets. C’est à portée de main, si les merdes qui m’entourent se secouaient un peu, ouvraient leurs yeux. En tout cas, moi le citoyen de catégorie ‘Autochtone’, moi le numéro 260304206, moi le chef de chaîne, je ne supporterais plus leur merde! Je me lève d’un bond de mon canapé, prend une douche froide en pensant à ce que je vais bien pouvoir faire. Je me reprends en main! Je me rase et entreprend de me couper les cheveux. Je jette un coup d’œil dans le miroir, je reconnais pas le mec qui est dedans. Les côtés du crâne et la nuque bien ras, le dessus peigné et propre, le menton glabre. Ça change du barbu aux cheveux ternes qui me faisait face il y a à peine une heure. Plus jamais je n’aurais l’air d’un clochard traînant les pieds devant ces raclures! Je renfile un polo propre, mon jean délavé, une paire de baskets, un blouson et quitte mon appartement. L’heure est venue de réagir. x

Tonal Ecstasy: histoire de chant

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En vert et contre tous Miruna Tarcau Nouvelle en prose

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e 22 mars 2012, aux environs de 13h, madame Dupré quitta précipitamment son domicile avenue Montrose en bougonnant quelque chose à propos de sa liste d’épicerie. Deux livres de saumon rose de l’Atlantique, un sac de Doritos, du camembert, des petits-feuilletés aux mini-saucisses, et cinq ou six autres ingrédients pour le tartare: décidément pas grandchose qui valût la peine de se déplacer jusqu’au Maxi, d’autant plus qu’elle n’avait pour ainsi dire rien préparé. Pourtant, un jeudi soir, elle ne pouvait tout de même pas recevoir des invités sans leur servir au moins un tartare de saumon avec un verre de rosé. Or, elle avait beau réfléchir, elle ne trouvait pas d’autre solution que de se déplacer en personne –surtout après le démêlé qu’elle venait d’essuyer avec le livreur la semaine passée, qui l’avait obligée à changer de supermarché. Peuton avoir confiance en une viande qu’on n’a pas tâtée soi-même? Évidemment, on peut toujours la tester quand elle arrive à la porte, mais après, on est bien embêté de devoir dire au p’tit jeune de revenir se présenter avec un morceau plus tendre. Parvenue sur Sherbrooke, madame Dupré eut la désagréable surprise de se retrouver nez à nez

avec un bouchon de circulation tel qu’elle n’en avait pas vu depuis un 4 juillet aux États-Unis sur l’autoroute 95, quelque part entre la ville de New York et le New Jersey. Cessant de ronchonner à propos de sa liste d’épicerie, madame Dupré se proposa de contourner le trafic en quittant la rue Sherbrooke à la prochaine intersection. Parvenue au croisement le plus proche, elle eut encore une fois la désagréable surprise de se retrouver nez à nez avec ce même bouchon de circulation, tel que vraiment, elle n’en avait pas vu depuis ce fameux 4 juillet. madame Dupré tenta de se calmer en songeant au tartare de saumon qu’elle préparerait ce soir pour accompagner sa bouteille de rosé. Mais plus le temps passait, et moins elle parvenait à détacher les yeux du pare-chocs arrière de la petite Corolla grise, dont la boîte de vitesses devait avoir été fixée sur «P» depuis belle lurette. Qui plus est, un vacarme infernal s’élevait graduellement plus loin dans la rue, qui expliquait sans doute les causes du trafic. Comme tout le monde, madame Dupré détestait d’autant plus les bouchons de circulation qu’elle parvenait rarement à canaliser sa rage dans une direction constructrice. Aussi, klaxonnant comme les autres, elle s’était mise à jurer comme un camionneur, ce qui ne lui était pas arrivée depuis longtemps, sans doute depuis ce fameux 4 juillet sur l’autoroute 95, quelque part

entre la ville de New York et le New Jersey. Soudain, l’origine de ce vacarme se fit connaître lorsqu’une marée rouge se mit à déferler dans la rue. madame Dupré s’y attendait si peu qu’elle faillit en avaler le petit sent-bon accroché à son rétroviseur dans une profonde inspiration destinée à la calmer, selon une technique millénaire que lui avait enseignée son professeur de yoga thaïlandais. Aussi vida-t-elle aussitôt le contenu de son sac à main sur le siège passager à la recherche de son téléphone. –Chériii! Chériii! Allume vite la télé, y’a des communistes qui défilent sur Sherbrooke! Y’a une révolution communiste! Monsieur Dupré décrocha la bouche pleine, mâchonnant mollement une tablette de chocolat suisse, confortablement installé chez lui. Il faut dire que, s’étant foulé la cheville après avoir raté une marche à la sortie de son travail vendredi dernier, son mari était en congé maladie depuis près d’une semaine. –Qu’essé que tu racontes? C’est sûrement la manifestation étudiante. –Quelle manifestation étudiante?

–Tu sais ben… C’était prévu depuis un bon bout de temps. La manifestation contre la hausse des frais de scolarité, expliqua monsieur Dupré en affectant un air important. C’est qu’il en avait entendu parler au travail la semaine dernière. –Voyons donc! Une manifestation astheure! s’écria sa femme en fixant un regard rouge sur la marée toute aussi rouge, dont elle commençait à présent à distinguer les têtes les unes des autres.

–Mais puisque j’te le dis! Des parapluies rouges pis une bannière! «McGill littérature française en grève!»

–Pis quoi encore? Ils trouvent peut-être qu’on leur paie pas assez de taxes?

–Ah?... Tiens, ils ont ça eux autres, un département de littérature française?

–Ben non, ça a de l’air, fit tranquillement monsieur Dupré, d’un ton chocolaté Le ton ne sembla guère satisfaire sa femme, qui s’attendait sans doute à davantage d’empathie de la part de son mari envers sa souffrance d’automobiliste. Elle bougonna donc quelque chose à propos de sa liste d’épicerie en regardant passer la marée, avant de revenir à la charge après quelques minutes.

Pour toute réponse, monsieur Dupré se contenta de hausser les épaules au téléphone, ce qui se traduisit tout bonnement par un bruit de mâchement qui ne plut guère à madame Dupré. Son mari ajouta alors, pour la forme, qu’il s’agirait sans doute de quelques centaines de dollars par an. –Bah! On paie ben plus que ça en taxes pour leurs études, nous autres! –Ben ouais, fit monsieur Dupré en finissant posément sa tablette de chocolat. –Pis les Ontariens? Leurs étudiants paient ben plus que nous autres, pis me semble que leur budget à eux est moins dans le rouge! Ils pensent-tu à ça eux autres, avec leur solidarité? –Ben non, ça a de l’air, fit une nouvelle fois Monsieur Dupré qui, ayant fini sa tablette de chocolat suisse, se vit bien contraint de rajouter quelque chose: «Pas grand-chose à attendre de ce côté-là. Des futurs BS, anyway. Tu

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–Ben voyons donc, McGill peut pas être en grève! Ça a aucun bon sens!

–Ben ouais, fit monsieur Dupré, mâchonnant mollement sa tablette de chocolat suisse.

–C’est de combien la hausse, donc?

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sais ce qu’on dit : BS un jour, BS toujours.» Et il se mit à rire fièrement de sa blague, la trouvant très appropriée à la situation. Puis, juste au moment où monsieur Dupré s’apprêtait à rajouter quelque chose sur les abus du bien-être social, sa femme l’interrompit en s’écriant qu’il y avait également des étudiants qui défilaient avec des pancartes de McGill. Son mari n’en revenait pas.

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–Ç’a de l’air! –Ben coudonc! C’est alors que monsieur Dupré se mit à la recherche d’un sac de chips à se mettre sous la dent, en attendant son tartare de saumon. –Ça va, c’est pas médecine, quand même, fit-il calmement pour rassurer sa femme. Mais madame Dupré était tout de même indignée. Ce jourlà, elle ne prit pas moins de trois heures et demie à faire les courses. Le comble, c’est qu’une fois rentrée chez elle, elle s’aperçut qu’elle avait oublié les petits-feuilletés aux mini-saucisses, le thym pour le tartare, de même que les Doritos. Sa rage fut sans bornes. Maudissant à la fois les étudiants, les policiers et le gouvernement Charest, elle massacra son tartare, si bien qu’elle dut se résigner à servir des spaghettis bolognaise, à sa plus grande honte. Mais enfin, tout était prêt pour souper lorsque monsieur et madame Dupré reçurent un coup de fil de la part de la directrice de l’école primaire de leur fille, qui leur informa gravement que Lisa était menacée d’expulsion pour avoir volé un iPhone. Affolés, les Dupré s’empressèrent d’annuler en catastrophe leur souper du jeudi soir, avant de s’engouffrer dans leur fourgonnette aussi vite que leur permettait la cheville foulée de monsieur Dupré. En chemin, madame Dupré ne cessa de répéter que c’était de la faute de son mari, qu’il n’aurait jamais dû lui refuser l’appareil, d’autant plus que ses bonnes notes les lui avaient mé-

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rité. Et monsieur Dupré de répéter obstinément qu’il était ridicule d’offrir des iPhones à des fillettes de onze ans. C’était la deuxième fois en un an que monsieur et madame Dupré étaient convoqués au bureau de la directrice de l’école primaire. La seule autre fois ce fut pour la demande d’admission de Lisa, qui s’était effectuée lors d’une rencontre individuelle de manière très formelle. La directrice leur avait alors assuré que leur fille n’aurait aucun mal à s’intégrer dans leur communauté, et qu’elle avait, bien entendu, beaucoup de potentiel qui leur permettait d’espérer de grandes choses de sa part. Couverte de honte de la tête aux pieds, madame Dupré se confondit en excuses aussitôt que la bonne sœur lui ouvrit la porte. Monsieur Dupré quant à lui ne cessait de répéter que c’était la première fois que leur fille Lisa faisait une chose pareille, que c’était la dernière fois également, et qu’ils ne lui permettraient décidément pas de recommencer de sitôt. Madame Dupré était au bord des larmes. À leur grande surprise, la directrice leur annonça qu’elle reviendrait peut-être sur la décision d’expulsion, puisque leur fille Lisa s’était pour ainsi dire expliquée devant la mère supérieure. Celleci leur conseilla alors de discuter avec Lisa, et, d’une voix douce, elle les pria presque de ne pas la gronder. Ces pauvres Dupré ne savaient qu’en penser. Le chemin du retour se fit dans un silence total. Parvenus chez eux, monsieur et madame Dupré convoquèrent solennellement leur fille à la table de la cuisine et lui demandèrent, appréhensifs, ce qu’elle avait dit à la directrice pour se justifier. –La vérité, répondit la fille des Dupré, c’est que je ne l’ai pas volé. Manon me l’a donné pour que je l’aide à le revendre, pour qu’on commence à ramasser de l’argent. –Quoi, tu ne vas pas nous faire accroire que la famille de Manon a besoin d’argent? Ils sont richws à craquer! s’emporta madame Dupré. –Ils viennent juste d’emménager pas loin d’ici dans une maison bien plus grosse que la nôtre! renchérit monsieur Dupré. Six chambres, quatre salles de bain! –On a juste une chambre de moins qu’eux, se permit de commenter Lisa. –Pis rien que deux salles de bain! rétorqua aussitôt son père, x le

qui oubliait le véritable sujet de la conversation. –Mais comment ça, vous commenciez à ramasser de l’argent? Combien d’argent vous vouliez ramasser au juste? insista madame Dupré, que l’initiative de sa fille avait véritablement inquiétée. Pendant plusieurs bonnes minutes, Lisa refusa obstinément de répondre. Enfin, il fallut que monsieur Dupré menace de l’envoyer rejoindre sa cousine au New Jersey pour que celle-ci se résigne enfin à répondre que Manon et elle s’étaient proposées de ramasser très exactement 1 625 dollars. C’est alors que monsieur Dupré se souvint brusquement, en se tapant le front, qu’il s’agissait là de la somme contestée par la manifestation contre la hausse des frais de scolarité. –Voyons donc, ma chouette! s’écria sa mère. Tu ne penses pas sérieusement qu’on te laissera payer tes études, seule? Monsieur Dupré répondit quant à lui que seuls ses droits de scolarité au primaire excédaient 2 950 dollars. –On n’a peut-être pas les moyens de t’envoyer à Harvard, mais les droits de scolarité au Québec! C’est rien, voyons donc! répétait sa mère, secouée d’un petit rire de soulagement. Lisa elle, ne riait pas. –Ah bon? Si c’est rien, vous auriez les moyens de payer les frais de scolarité de deux cent mille étudiants? Leur demanda-t-elle fermement, tout en essuyant des miettes de chips sur la table de la cuisine pour éviter leur regard. Et les Dupré de s’étonner une fois encore. En désespoir de cause, Lisa se résigna alors à lâcher ce qu’elle avait sur le cœur. –Vous comprenez vraiment rien! Ce n’est pas pour nous qu’on voulait le ramasser, l’argent… C’est comme les étudiants qui manifestent. Vous pensez que c’est juste dans leur intérêt? C’est les gens de mon âge qui vont arriver au cégep dans cinq ans, pas eux autres! –Tu ne peux pas comprendre, ma chouette, l’interrompit madame Dupré d’une voix douce. C’est plus compliqué que ça. –Ben expliquez-moi alors! Tu t’es-tu déjà demandé ça représente quoi, 1 625 dollars par an pour des étudiants qui travaillent à dix piastres de l’heure? Ça fait 4 875 dollars pour un bac universitaire! Et cela représente plus de quatre cent

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quatre-vingt huit heures à la job, ce qui revient à plus de soixante et un shifts de huit heures d’affilée! Madame Dupré en resta coite. Monsieur Dupré quant à lui songea que leur fille avait décidément beaucoup de potentiel en mathématiques. –Mais qu’est-ce que tu veux qu’on fasse, ma chouette? Balbutia maladroitement sa mère. On n’y peut rien, il y a des riches et des pauvres, c’est comme ça, c’est tout. Monsieur Dupré quant à lui rétorqua qu’on ne pouvait tout de même pas changer le monde à deux. –À deux non. Mais à deux cent mille, oui, insista fermement la fille des Dupré. Vous êtes au courant qu’y a eu deux cent mille personnes à la manifestation aujourd’hui? Pour toute réponse, madame Dupré échappa un petit «Pff!» d’indignation, tandis que monsieur Dupré se demandait d’où leur petite fille de onze ans tenait toutes ces informations. Décidément, Lisa s’entêtait. Il décida alors de mettre un terme à la discussion en déclarant qu’ils ne seraient jamais d’accord, puisqu’ils étaient séparés par des positions idéologiques différentes. – Les carrés rouges et les carrés verts, ce n’est pas fait pour

s’entendre. T’as le droit d’avoir des convictions politiques ma petite, mais garde les grandes actions pour plus tard, tu veux? –Vous êtes des carrés verts? demanda alors Lisa, déçue. C’est alors que madame Dupré perçut davantage que de la déception dans le regard de sa petite fille de onze ans. Il lui sembla brusquement avoir perdu son admiration de manière irréparable. –Voilà que l’école privée transforme nos enfants en marxistes, astheure! s’indigna monsieur Dupré. –Espèce de conservateur! s’emporta soudain sa fille avant de quitter brusquement la cuisine Madame Dupré se précipita dans la chambre de sa fille pour exiger que celle-ci s’excuse à son père. Ce n’était pas tant parce qu’elle l’avait traité de conservateur, mais bien pour son audace d’avoir osé employer l’expression «espèce de» à l’égard de son père. Pendant que madame Dupré gravissait les escaliers, Lisa avait déjà commencé à jeter ses uniformes dans une boîte de carton destinée à l’Armée du Salut, avant de se tourner vers ses jouets préférés dans un geste plus symbolique. Paniquée, sa mère tenta de l’immobiliser, mais Lisa se déroba à son étreinte et s’attaqua désormais à ses jolies robes de concert

en froufrous, en velours et en dentelle. –Lisa! Voyons donc, ça n’a pas de bon sens! C’est parce que ton père t’a fait croire qu’on est des carrés verts? On n’est pas des carrés verts, voyons! Regarde moi! Regarde! Lisa s’arrêta un moment dans son insurrection et vit que sa mère avait relevé un coin de son rideau rouge sur sa chemise, où elle l’avait appliqué avec un sourire nerveux. madame Dupré avait fait un effort. À présent, c’était au tour de sa fille de descendre s’excuser à son pauvre père, dont la cheville foulée l’empêchait de se précipiter dans la chambre de sa fille. Pendant ce temps, monsieur Dupré avait rejoint le canapé du salon où, dépité d’avoir été privé de tartare de saumon par des manifestants venant de tout le Québec et de spaghettis bolognaise par une petite manifestante de l’avenue Montrose, il devait se contenter d’une tablette de chocolat suisse pour souper. À la télé, une étudiante interviewée déclarait qu’il s’agissait non seulement d’une manifestation historique, mais aussi d’un entêtement historique. Monsieur Dupré quant à lui, en vert et contre tous, mâchait historiquement sa tablette de chocolat suisse, le dos tourné à sa fille Lisa qui ne s’excusa pas.

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Voyage au bout de la haine

Avis important: veuillez noter que le présent texte contient des propos pouvant faire réagir et qui ne représentent ni les convictions du conseil éditorial ni celles de l’auteur. Ce texte n’est qu’un exercice de style présenté dans la cadre d’un cours de création littéraire et doit être considéré comme une œuvre culturelle. Alexis Chemblette Photos par Nicolas Quizua

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l est 7 heures 15, ce mardi quand je me suis réveillé en sursaut. Le réveil devait sonner à 7 heures 30. Ce sont les cris, dans leur saloperie de langue, de mes voisins arabes qui m’ont extirpé de mon sommeil un quart d’heure trop tôt. Je ne ressens même plus le besoin de me plaindre. Chaque jour que Dieu fait, je subis les outrages répétés de ces dégénérés de bicots et de blacks: graffitis dans les cages d’escalier, ricanements et insultes de la part de ces jeunes délinquants et trafiquants en tous genres à mon passage, le soir au retour du boulot, bagarres entre bandes, tapage nocturne ; la liste de leurs méfaits est interminable… Mais après tout, je n’ai à m’en prendre qu’à moi-même: c’est moi et moi seul qui ai décidé de vivre dans cette tour HLM délabrée dont les murs lépreux se lézardent chaque jour un peu plus, dont les caves sont vandalisées régulièrement et dont les couloirs puent l’urine à vous en faire vomir. Il est vrai que le loyer peu élevé me permet de consacrer mon argent à d’autres dépenses, notamment à m’offrir quelques fantaisies sexuelles tarifées de temps en temps… Sur ma table de chevet se trouve l’ouvrage de Céline Mort à crédit ainsi que ses fameux pamphlets. Je ne me lasse pas de lire et relire ces ouvrages. Céline, au moins dans son style si parfait ne mâchait pas ses mots vis-à-vis de cette autre sous-race que sont les juifs de tous poils, ashkénazes, sépharades; tous sémites dégénérés. Des auteurs comme Céline n’existent plus! À sa place ce sont des écrivaillons qui se disent «humanistes», ces Bernard-Henri Lévy, Alain Finkielkraut, tous juifs et dont les sales bouquins polluent nos librairies qui tiennent le devant de la scène. Ces salopards habitent Saint Germain-des-Prés ou d’autres beaux quartiers parisiens, se goinfrent de caviar et se rincent au champagne; ils sont sans arrêt interviewés dans les médias par leurs copains journalistes, juifs eux aussi. On se renvoie l’ascenseur entre youpins. Autrefois, je lisais beaucoup, je passais des nuits à dévorer les livres de mon cher Louis-Ferdinand. D’ailleurs, je manquais de sommeil, tellement je lisais. Et puis un jour, je suis tombé par hasard sur un texte de Céline, écrit après la guerre, dans lequel il regrettait, s’excusait presque de ses écrits antisémites. Cela m’a fait très mal, la terre s’écroulait! Je ne m’en suis pas remis. J’ai, pour la première fois, pensé alors à en finir avec cette vie misérable et dépourvue de sens. Aujourd’hui, et depuis la mort de mon fils, c’est l’alcool qui a remplacé, pour moi, la littérature. Chaque soir, je débouche une bouteille de whiskey, de vodka ou de Cognac. Par lampées successives, assis dans mon canapé, je vide tranquillement la bouteille jusqu’à la dernière goutte en fumant des cigarettes. Je rampe ensuite jusqu’à mon lit. Parfois, je m’écroule et m’endors, ivre-mort, sur le tapis du salon. Il est désormais 7 heures et demie, ce mardi matin, et je suis dépourvu de toute volonté de sortir du lit. La cuite d’hier soir

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création

me dévaste la tête, mes tempes brûlent. Ma bouche est desséchée, pâteuse. Il faudrait que je me traîne jusqu’au lavabo pour boire un peu d’eau mais je n’en ai pas la force. Ce mardi est un jour particulier puisque cela fait un an, jour pour jour que mon fils Achille est mort. Pas mort d’une maladie foudroyante ou dans un accident de voiture comme en sont banalement victimes de nombreux jeunes du même âge. Non, mort massacré à coups de barre de fer à la sortie de l’école par une bande de bougnoules. Ils étaient huit selon les témoins qui lâchement ne sont pas intervenus. Huit bougnoules sous l’emprise de drogues qui ont d’abord, toujours selon les témoins, demandé à Achille de l’argent. Il leur a donné les 20 euros qu’il avait sur lui. Les Arabes se sont énervés car le montant leur semblait insuffisant. Ils se sont alors saisis de lui et lui ont arraché ses vêtements. Le jetant nu sur le pavé, ils l’ont roué de coups en hurlant des insultes. Les barres de fer cognaient et cognaient faisant gicler le sang. Quand le corps de mon fils s’est trouvé réduit à une masse informe et sanguinolente, quand la vie s’est échappée de lui, les meurtriers s’en sont allés en riant et en menaçant de représailles les passants qui, ayant assisté au crime, oseraient témoigner auprès de la police. Ces Arabes de la deuxième, troisième ou nième génération sont la peste de l’Occident. Paresseux, fourbes, imbus de leur personne ils pourrissent le quotidien des honnêtes Français. Leur objectif inavoué est de conquérir peu à peu le monde et d’y imposer leur saloperie de religion, l’Islam. Ils vont insensiblement y parvenir, conquérant, quartier après quartier, la périphérie des capitales européennes. Je ne parle pas des États-Unis où ils ont déjà pignon sur rue dans diverses villes. Quand allons-nous nous réveiller, nous les croisés du XXIe siècle? Quand allons-nous les bouter hors de nos frontières, ces bougnoules? Quand allons-nous ouvrir les yeux et nous décider à les écraser comme les cancrelats qu’ils sont? Quel leader politique va avoir le courage de reconnaître que la guerre est déjà engagée et qu’il va nous falloir la gagner? Ils sont partout, tapis dans l’ombre, ils nous assaillent insidieusement et nous restons là sans réaction. Hélas, c’est seulement dans les livres d’histoire, que l’on peut encore trouver des héros, tel Charles Martel, qui débarrassa la France des Sarrasins. Nous sommes aujourd’hui, en Occident, avachis, amollis, dans notre confort de vie, nous ne réalisons pas que notre civilisation est en péril, menacée par cette peste musulmane. Qui va enfin réaliser que Huntington a raison et que la guerre des civilisations est inévitable et qu’il nous faut, nous Occidentaux, la gagner ? Certainement pas nos jeunes français qui, indifférents ou inconscients de la menace qui pèse, revendiquent un universalisme, un «love and peace» entre les peuples quand ils ne se prosternent pas carrément devant Senghor et la négritude prônée par cet auteur dégénéré. L’envie d’en finir, le dégoût de la vie qui me taraude depuis des semaines,

m’envahit telle une bouffée morbide qui inonde mon corps. Pourquoi continuer à vivre dans un monde gangréné, dans un monde où les meurtriers de mon fils vont s’en tirer et viendront peut être un jour me narguer… Je me relève dans mon lit et délivre de son étui une gauloise blonde que je porte fébrilement à mes lèvres d’une main tremblante. Ma gorge se délecte immédiatement de la fumée acre, de son parfum irrésistible. Le mélange de l’alcool et de la fumée de cigarette, ce subtil élixir, a depuis longtemps enroué ma voix. L’odeur de tabac rance s’est peu à peu incrustée dans mon environnement, imprégnant irrémédiablement mes vêtements, mon mobilier, ma peau. Je me remémore soudainement un passage de Sartre, la bibliothèque du père, extrait des Mots. Rien que de penser à cette ordure de Sartre, à ce traître, pourtant talentueux, qui s’est commis avec les communistes me ramène inexorablement à cette évidence incontournable: il faut en finir avec cette vie qui n’a plus de sens. Cela fait 55 ans, depuis ma naissance, que je demeure dans cette ville sinistre et sinistrée de Saint-Denis. Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, le maire communiste a toléré l’invasion des immigrés, Arabes principalement, qui ont progressivement envahi les cités HLM et chassé les Français de souche. Ces Arabes qui se sont reproduits à l’infini, tels des rongeurs! Cela fait 25 ans que tous les matins, je marche 15 minutes entre le 18 boulevard Jean Jaurès où je réside et le carrefour Pleyel où je travaille. Vingt-cinq ans que x le

je suis employé, chichement payé, comme comptable, dans cette petite entreprise qui produit et vend de la vaisselle. Chaque jour sur ce sinistre trajet, je constate la dégradation de ma ville à l’image du pays tout entier. Les boulangeries et autres commerces traditionnels ont été, petit à petit, remplacés par des «kebab», des restaurants de couscous et autres vendeurs grecs… Où sont nos bistrots d’antan offrant des «jambon-beurre» et le ballon de rouge traditionnel? Sur ce trajet quotidien, je passe devant un lycée professionnel où j’entends ces voix aux accents arabes si marqués qui me dégoûtent tellement. La langue française est malmenée, travestie en «verlan» par ces «rebeus» comme ils se désignent eux-mêmes! Notre si belle langue française sera bientôt menacée de disparition. Les coupables ne sont même pas principalement ces «singes» qui gesticulent au son de la musique Rap. Les vrais coupables, ceux qui devraient être passibles de la peine de mort et auxquels je voue une haine irrépressible, ce sont ces gouvernements successifs, de gauche comme de droite, qui ont laissé par leur inertie, leur faiblesse et leur lâcheté, les immigrés s’emparer de ce pays foulant aux pieds irrémédiablement son âme, son histoire, sa religion, et sa culture. Le résultat de 40 ans de politique de soi-disant «assimilation», «intégration» est un échec flagrant: jamais ces Arabes ne pourront s’intégrer car ce qu’ils souhaitent, ces bougnoules, c’est bien au contraire, imposer leur propre culture et leur religion à la planète entière.

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La haine, la rage, et le sang bouillonnant dans mes veines auraient pu, il y a encore quelque temps, m’inciter à déposer une bombe dans une de ces tours HLM la faisant exploser dans un grandiose feu d’artifice. Cela aurait été un beau geste symbolique: la revanche du 11 Septembre 2001 en quelque sorte ! Enfin, l’Occident obtiendrait ainsi une revanche, une vengeance, éclatante! Des centaines de morts arabes qui viendraient expier le crime commis contre l’Occident à Manhattan. Cette humiliation serait enfin lavée dans le sang. Un Français se serait levé, défiant les Américains mêmes qui n’ont été capables en représailles au 11 septembre que d’aller guerroyer en Irak et en Afghanistan! Mais non je n’ai pas, je n’ai plus, la force d’envisager un tel acte qui m’aurait pourtant grandi et aurait donné un sens final à mon existence. Non, c’est le désespoir, l’anéantissement qui m’envahissent… la volonté, de plus en plus forte, d’abandonner le combat, de lâcher la rampe, d’en finir. Je regarde ma montre: il est déjà 14 h 10 quand le téléphone, près du lit, retentit. Je n’ai pas vu le temps passer, l’esprit encore embué par l’alcool d’hier. À l’autre bout du fil, c’est mon patron qui s’inquiète de mon sort. Il y a longtemps qu’il a compris que mon état mental et physique se délabrait et qu’il ne pourrait plus compter longtemps sur moi… Je prétends que c’est une mauvaise grippe qui me retient au lit. Il n’est pas dupe. Péniblement, je me décide à me lever, dans mes sous-vêtements souillés (je me suis pissé dessus cette nuit), pour aller faire réchauffer un peu de café de la veille. Son goût amer me fait tressauter. Je regarde par la fenêtre dont la vitre est si crasseuse que les images en sont comme embuées. J’aperçois la gare RER, là ou se dresse le tableau pitoyable de cette faune humaine, de tout ce qui existe de plus vil: voyous, gitans, mendiants, clochards, drogués se partagent le terrain qui jouxte la gare, jonché de bouteilles de verre, de seringues, et de toutes sortes d’immondices. Le dégoût m’envahit un peu plus. À quoi bon continuer à vivre dans un tel monde? À quoi bon se battre seul contre les forces du mal? J’ouvre la porte du placard de la cuisine et en extrait une bouteille de Glenfiddich entamée. Je retire et rince un verre sale de l’évier encombré de vaisselle empilée. Je me laisse tomber lourdement sur le canapé défoncé du séjour. x le

Je revois subitement ma jeunesse dans cette ville de Saint Denis où je suis né et ai été élevé. J’habitais avec mes parents, à l’étroit, dans un petit pavillon dénué de confort où les toilettes se trouvaient dans le jardin. Nos voisins étaient, comme mes parents, des ouvriers ou de petits employés de bureau. À cette époque là, j’étais jaloux de mes camarades de classe qui eux habitaient dans des tours HLM car ces immeubles disposaient d’un confort moderne avec une salle de bain, des toilettes et le chauffage central. Les larmes me viennent aux yeux quand je revois mon père et à ma mère: deux vies de sacrifice avec pour seul but de me faire faire quelques étude afin de m’arracher à leur condition sociale et de m’inculquer un certain nombre de valeurs françaises, chrétiennes et morales. Ils ont réussi partiellement, j’ai réussi à obtenir ma licence de droit, je me suis marié, ma femme est décédée en couche, et j’ai hérité d’un fils. Ce sont ces valeurs chrétiennes, qui me font encore hésiter à ingurgiter ces médicaments rangés dans ma salle de bain, ces somnifères qui me feront tout oublier, pour toujours… Je me verse un verre de Glenfiddich puis un autre, puis un troisième. Comme d’habitude, une douce chaleur m’envahit. Il est 20 h 15. Le téléphone sonne à nouveau; je décroche péniblement. C’est Max, un copain du Front National qui vient prendre de mes nouvelles. Il est veuf comme moi mais n’a pas eu d’enfant. Nous avons ensemble, depuis plus de 30 ans, collé des affiches, distribué des tracts sur les marchés et «fait le coup de poing» à l’occasion. Il détient un pistolet et promet qu’il est prêt à s’en servir le jour de la «révolution nationale» qu’annonce le leader du Front. Le Front National, je m’y suis engagé lorsque j’étais étudiant à la faculté de la rue d’Assas en 1980. Ce parti était le seul à défendre les valeurs traditionnelles françaises, le seul à défendre les Français de souche contre les envahisseurs immigrés. Je me souviens lorsque munis de battes de base-ball nous effectuions des raids sur les autres facultés, dans l’espoir de «casser» du gauchiste. J’éprouvais déjà une haine farouche contre ces jeunes des beaux quartiers qui se piquaient d’être maoïstes le jour mais rentraient le soir à leur domicile bourgeois du 16e arrondissement.

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Max est un gaillard de près de 2 mètres et de plus de 100 kilos , ferrailleur de son métier. À 58 ans, il reste passionné de football. Il assiste à presque tous les matches du Paris-St Germain, ce qui lui donne surtout l’occasion de faire le coup de poing contre les supporters adverses à la fin du match. Quel bagarreur ce Max! Je l’ai souvent accompagné aux matchs mais ma passion pour le foot a peu à peu déclinée. Lorsque nous collions ensemble des affiches pour le Front National et que nous étions agressés par des militants de partis adverses, j’éprouvais une véritable jouissance à le voir se battre. J’avais le sentiment d’être sous sa protection tellement il est fort. La violence des coups qu’il distribuait aux uns et aux autres me subjuguait littéralement. Ce soir, Max m’appelle du stade de France où il assiste au match France-Algérie. Il me confie qu’il a bon espoir qu’une virile bagarre suivra l’écrasante victoire, la défaite humiliante que l’équipe de France va forcément infliger à celle d’Algérie. Après avoir raccroché le téléphone, j’ouvre le réfrigérateur et en extrais une bouteille de bière que j’ouvre en arrachant la capsule avec mes dents. Mon œil est attiré par cette lettre du tribunal de Bobigny qui traîne depuis plusieurs jours sur le guéridon de l’entrée. Je déchire l’enveloppe. Il s’agit d’une convocation. Je suis accusé de comportement raciste pour avoir exposé sur mon balcon une banderole portant le slogan: «Noirs et bougnoules, rentrez en Afrique, l’âme de OAS repose en paix». J’étais pourtant assez fier d’avoir trouvé cette formule. Cette convocation au tribunal prouve que je suis la victime d’un racisme anti Blanc, que ma liberté d’expression est bafouée. Je suis la victime d’un gouvernement qui s’est depuis longtemps couché devant les islamistes. Je suis la victime de cette laïcité biaisée qui autorise les musulmans à prier dans les rues du 18e arrondissement. Bientôt, il y aura plus de mosquées et de minarets en France qu’il n’y a d’églises. À quoi bon lutter individuellement contre les Musulmans avec ce gouvernement qui est aux ordres des monarchies pétrolières du Moyen-Orient. Ce gouvernement qui a reçu ce salopard de Kadhafi en grande pompe à l’Elysée. Il faut dire qu’on ne pouvait s’attendre à rien de bon en élisant ce Président qui lui-même est un immigré dont le faciès prouve les origines juives. Il est environ 22 heures quand le téléphone retentit. C’est à nouveau Max. Sa voix est à peine audible, presque couverte par un brouhaha fait de cris et de tumulte. Je comprends l’essentiel: la France a perdu 4 buts à zéro contre l’Algérie. Max est atterré mais il m’explique qu’on va maintenant leur faire payer cher cette victoire à ces bougnoules, qu’on est déjà en train de leur faire «bouffer leurs couilles». Max raccroche en me promettant de faire gicler du sang. Il m’appellera demain matin pour me raconter la bagarre qu’il prédit homérique. Il est 22 h 05. Je suis pétrifié par ce que Max vient de m’apprendre. Cette défaite de l’équipe de France c’est l’abaissement total de l’Occident devant l’Orient. Toutes les valeurs chrétiennes sont foulées au pied. Bien sûr, les «traitres», les immigrés de la 2e génération qui composent l’équipe de France ont dû être payés pour se «coucher» mais quand même trop c’est trop… Je me dirige d’un pas presque ferme vers la salle de bains, vers ce placard contenant les boites de somnifères préparés depuis si longtemps qui, avec une bonne rasade de Glenfiddich, vont me conduire vers un monde meilleur et me faire rejoindre mon fils qui m’y attend. x

- Poème -

GAZA Pierre-Olivier Bussières Un désert enflammé Des roches qui suintent le crime Voilà la noyade du feu Dans une terre semée de tombes infertiles Que parcoure l’homme à tâtons Un ciel béat, Presque incrédule, Si médusé, en fait, Qu’il en suspend ses nuages Des chemins incomplets Vierges de toute intention Qui rampent le long de plates collines Des êtres humains Fatigués de la mort Qui se défendent de l’habitude Par l’habitude

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Photos-Création Essai-photo par Joey Shea

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