Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill
Mardi 13 novembre 2018 | Volume 108 Numéro 10
On attend « la fin des finales » depuis 1977
Éditorial rec@delitfrancais.com
Volume 108 Numéro 10
Le seul journal francophone de l’Université McGill
RÉDACTION 2075 Boulevard Robert-Bourassa, bureau 500 Montréal (Québec) H3A 2L1 Téléphone : +1 514 398-6784 Rédactrice en chef rec@delitfrancais.com Lara Benattar
Le français gagnerait-il enfin en importance à McGill? Lara Benattar Rédactrice en chef
L
a défense et la promotion du français à McGill et la représentation des voix de la francophonie à Montréal constituent la raison d’être du Délit depuis plus de quarante ans. Depuis, nous publions chaque année de multiples articles et éditoriaux sur la question, empreints de frustration, toujours, de désillusion, souvent, et de satisfaction, rarement. Suite à des élections provinciales où l’importance du français au Québec a été au cœur des controverses et suite aux débats dans les médias mcgillois sur la légitimité du combat des Québécois·e·s pour la protection de la langue, il nous paraît essentiel de revenir à notre tour sur la question. Dans une province dont la langue officielle est le français et où l’histoire des luttes entre les peuples et les cultures est si forte, la défense du français est un combat essentiel. Le rôle de McGill est d’autant plus important qu’il s’inscrit dans un contexte complexe dont la plupart des étudiant·e·s n’ont pas la moindre idée. Nous sommes encore aujourd’hui témoins de trop de manquements à ce devoir, les traductions en français des textes de l’administration et de l’AÉUM notamment sont parfois inexistantes et souvent mauvaises (« Palmarès des meilleures/pires ListServs », p. 3). Il semble évident que de nombreuses institutions mcgilloises manquent de traducteur·rice·s vraiment qualifié·e·s. Aussi, si rendre ses travaux en français est officiellement possible dans la plupart des programmes, il n’est jamais garanti que les devoirs rendus en français et en anglais soient corrigés de manière équitable. Souvent, l’étudiant·e ayant choisi d’écrire en français se voit plutôt désavantagé·e par ce choix. Selon l’enquête « À la conquête de vos droits, Francophones! », il est évident que les efforts de l’université pour l’inclusion des étudiant·e·s francophones sont conséquents : le nombre de traducteur·rice·s traduisant de l’anglais vers le français que McGill approche a augmenté ces dernières années. Malgré ces efforts, nous sommes souvent peu enclin·e·s à rendre nos travaux en français. Ces réticences semblent infondées puisque de nombreux·ses affirment être en mesure de corriger les travaux en français sans problème. Nous tenons à saluer les efforts des groupes francophones et notamment de l’OFM pour chercher à regrouper les acteur·rice·s de la francophonie mcgilloise, souvent trop fragmentée. Aussi, la volonté de l’AÉUM de traduire sa documentation, la promesse de la création d’un comité pour la promotion du français (« McGill et son côté francophone », p. 3) et l’élection d’un nouveau commissaire des Affaires francophones sont encourageantes. Nous osons une nouvelle fois nous risquer à espérer que ces changements porteront leurs fruits. x
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2 Éditorial
L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Les opinions de nos contributeurs ne reflètent pas nécessairement celles de l’équipe de la rédaction. Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavant réservés). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans le journal. Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).
le délit · le mardi 13 novembre 2018· delitfrancais.com
Actualités
McGill et son côté francophone actualites@delitfrancais.com
Le Délit fait une mise à jour de l’état du français sur le campus. Antoine Milette-Gagnon
Éditeur Actualités
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lors que la campagne de promotion du « French side » de l’Université McGill existe depuis maintenant trois ans, certain·e·s peuvent se questionner quant à la véritable présence du français sur le campus. Dans ce contexte, Le Délit a appris que l’administration mcgilloise plancherait sur la création d’un comité pour la promotion du français à McGill. Une démarche retardée Selon le président de l’Organisation de la francophonie à McGill (OFM), Christophe Savoie-Côté, l’initiative daterait du semestre d’hiver 2018. « Cette démarche a émergé suite à une discussion que nous avons eue avec Louis Arseneault, vice-principal et membre de l’administration. M. Arseneault a manifesté son appréciation du dynamisme
francophone à McGill et s’est montré très enthousiaste à l’idée de créer une synergie francophone qui serait dorénavant plus arrimée avec l’administration », a-t-il indiqué au Délit. Muna Tojiboeva, présidente de l’AÉUM pendant l’année scolaire 2017-2018, s’est également impliquée dans le processus, elle qui avait fait de la promotion du français l’un des points importants de sa campagne en hiver 2017. « L’objectif était alors de commencer par réunir autour d’une même table, et ce, avant l’été, l’ensemble des acteurs de la francophonie à McGill afin de mettre la table pour l’année prochaine en élaborant un calendrier commun grâce à une coordination à la fois horizontale et verticale des initiatives francophones », poursuit Savoie-Côté. Toutefois, le projet n’a pas abouti en hiver 2018. M. Arseneault aurait assuré à l’OFM que le projet
n’était pas abandonné, mais simplement en retard étant donné les réalités et obligations administratives de l’université. Au moment d’écrire ces lignes, l’administration n’a pas répondu aux courriels du Délit. Une francophonie dispersée S’il existe plusieurs initiatives francophones sur le campus, il y a une tendance à voir les organes impliqués faire leurs activités chacun de leur côté sans qu’il y ait une réelle concertation. « À McGill, les initiatives et ressources francophones sont souvent fragmentées », fait remarquer le président de l’OFM. En effet, que ce soit le « French side », le Centre d’enseignement du français ou encore les commissions francophones des différentes associations étudiantes, les liens au sein de l’écosystème francophone étudiant semblent être assez variables.
En attendant la traduction de l’AÉUM, voici un palmarès des meilleurs-pires ListServs 2017-2018.
L’AÉUM bouge Du côté de l’AÉUM, la promotion du français semble avoir regagné de l’intérêt depuis quelque temps. En effet, la démission de la vice-présidente aux Affaires externes en octobre 2018, dont le portfolio comprend les activités de la francophonie au sein de l’association, a amené l’AÉUM à ne pas tenir d’élections de mi-mandat, mais à plutôt engager une nouvelle personne au poste de commissaire des Affaires francophones. Le Délit a appris que le processus de sélection pour le nouveau poste était terminé et que l’AÉUM avait effectivement engagé une nouvelle personne. L’annonce devrait être faite dès que ce processus sera approuvé par le centre des ressources humaines de l’association étudiante. De plus, le 1er novembre dernier, le Conseil législatif de l’AÉUM a voté en faveur de la Motion concernant la traduction en français de la
documentation de l’AÉUM. La motion vise à traduire la Constitution de l’AÉUM, les Règlements internes de l’AÉUM, la Constitution du Conseil de première année et en incluant également « tout autre document jugé approprié ». Rejoint par Le Délit, Tre Mansdoerfer, président de l’AÉUM, a expliqué que cette motion était importante « pour l’inclusion des francophones au sein des processus de gouvernances [de l’AÉUM] ». Questionné sur la quantité de ressources disponibles pour effectuer la traduction, le président s’est montré confiant : « Les ressources sont suffisantes pour que ces traductions soient effectuées.» Notons que le vice-président aux Affaires internes de l’AÉUM, Matthew McLaughlin, avait indiqué au Délit, au début du semestre, qu’il était possible de revoir le processus de sélection des traducteur·rice·s « étant donné que cela demande des compétences très spécifiques ». x
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Nous aussi avions hâte de voir ce que le nouveau vice-président ferait avec ces. Peut-être parlait-on des traductueur·rice·s? Leur implication est plus que bienvenue pour
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Finalement, la fin des finales est finie. Enfin! Merci Google.
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le délit · mardi 13 novembre 2018 · delitfrancais.com
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PHOTO REPORTAGE
La marche du 10 novembre Les citoyen·nes de Montréal se rassemblent pour la planète. et une des deux est particulièrement préoccupée par le sort de ses futurs enfants. Elle avoue qu’ «il suffit de regarder autour de nous, les catastrophes naturelles se multiplient. Juste comme il a fait chaud à Montréal cet été, ce n’est pas normal. Des tornades ont aussi eu lieu. »
astrid delva
Éditrice Actualités
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e 10 novembre, des dizaines de milliers de Montréalais·es, selon le journal Le Devoir, s’étaient donné rendez-vous à la Place des Arts pour dénoncer le manque d’action du nouveau gouvernement québécois face à l’urgence que représente le réchauffement climatique.
Agir à l’échelle individuelle
Une année riche en catastrophes Le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) publié il y a un mois était clair : si rien n’est fait d’ici 2030 pour réduire le réchauffement climatique, et pour éviter une hausse des températures de plus de 1,5 degré Celsius, il sera trop tard pour agir. Pourtant, les gouvernements des pays les plus pollueurs n’ont pas encore respecté les engagements des Accords de Paris et les catastrophes climatiques sont de plus en plus fréquentes. Cet été, la Californie a été ravagée par des feux de forêts qui ont détruit au moins 1,200 kilomètres carrés de terrains. De plus, des chaleurs caniculaires ont également touché le Québec, laissant présager le danger à venir.
Une manifestation citoyenne C’est ainsi que des milliers de citoyen·e·s engagé·e·s ont pris les rues d’assaut pour appeler le gouvernement caquiste à agir contre le réchauffement climatique, ce samedi 10 novembre. Des jeunes adolescent·e·s, des enfants, des adultes, des familles, tous et toutes se sont réuni·e·s pour donner de la voix, et un mot a été crié en cœur : « possible ». Un des responsables du cortège scande haut et fort que « si vous êtes venus avec vos
familles, vos sœurs, vos frères, vos parents, c’est que vous croyez que c’est possible de gagner notre lutte contre le dérèglement climatique, mais surtout de vaincre l’inertie du nouveau gouvernement ». Il fait référence au manque d’actions concrètes du nouveau gouvernement caquiste face à l’urgence climatique. Il conclut son discours en déclarant : « J’ose croire que le cynisme et le défaitisme sont derrière nous. » Dans la foule, des gens engagés pour la protection de la planète marchent ensemble : ces gens sont issus de
toutes les générations et de tous les milieux : les raging grannies, des militant·e·s de Québec solidaire affichant fièrement le drapeau du parti, l’association Canopée qui vient en aide aux agriculteurs·trices afin d’accroître leur productivité tout en respectant des engagements environnementaux, UNIFOR Québec, un syndicat qui agit dans les entreprises privées, etc. Deux femmes âgées d’un peu plus de vingt ans, venues pour défendre le sort de la planète, sont inquiètes depuis les élections québécoises
Face au laisser-aller du gouvernement québécois, des gens ont mis en place des solutions à leur propre échelle. Une femme affiche une pancarte pour encourager les femmes à porter des produits menstruels écologiques plutôt que des produits industriels et jetables. Les transports en commun sont un autre moyen de transport plus écologique que beaucoup de manifestant·e·s semblent utiliser. Une étudiante en développement durable, nommée Aurélie, explique qu’elle privilégie de plus en plus les transports publics à la voiture individuelle. Aurélie ajoute : « On essaye de réduire notre consommation, de faire un changement individuel en consommant plus local. » Son amie, Florence, renchérit : « Je fais du zéro déchet, je ne consomme que des produits cosmétiques d’épicerie locale naturelle, je n’achète rien de chimique, je n’achète que des vêtements montréalais ou usagés ». x
Promesses de campagne de la CAQ 4Respecter les grands objectifs de réduction des gaz à effet de serre adoptés par la communauté internationale : les Accords de Paris. 4Construction du troisième lien routier entre Québec et Lévis : un projet routier visant à relier les rives du fleuve Saint-Laurent entre les deux villes. 4Augmenter les exportations d’hydroélectricité. 4Réduction des délais pour démarrer un projet de mine (avec les mêmes conditions environnementales). 4Production forestière : plus de prévisibilité pour les droits de coupe, l’aménagement du territoire et les programmes de soutien à la production forestière. 4Protéger les milieux humides, nettoyer le fleuve Saint-Laurent et ses berges, moderniser les centres de tri.
Objectifs: où en est la CAQ ? Pour l’instant, la CAQ a surtout agi à contresens : elle a brisé une promesse de campagne, à savoir le détournement de 1,4 milliards de dollars en trop-perçu détournés depuis 2008 qui devait être rendu aux Québécois·es. Devenu le cheval de bataille de la CAQ, la promesse n’a pas été respectée puisque Nadia Talbot, une porteparole du gouvernement, dans une déclaration écrite envoyée à La Presse canadienne, a déclaré le vendredi 9 novembre : « Malheureusement, dans ce cas-ci, nous ne pourrons corriger les injustices qui ont été faites sous les libéraux ». Autre couac : pour l’instant, aucune promesse de campagne n’a été mise en œuvre, ce qui laisse des interrogations quant à la volonté du gouvernement. Photos alina lasry
Contributrice
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le délit · mardi 13 novembre 2018 · delitfrancais.com
montréal
En grève pour un salaire Les grèves se multiplient pour réclamer la rémunération des stages. antoine milette-gagnon
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L’
enjeu de la rémunération des stages est au cœur des préoccupations des étudiant·e·s québécoise·s. C’est du moins ce que semble démontrer le mouvement de grève s’emparant de multiples associations étudiantes un peu partout dans la province du Québec. Un enjeu écouté? En 2017, Radio-Canada estimait à 300 000 le nombre de stagiaires canadien·ne·s non rémunéré·e·s réparti·e·s principalement dans les domaines de la santé, des services sociaux, de l’éducation et des communications, des milieux à prédominance féminine. La classe politique n’est pas totalement étrangère au problème. Dans un entretien avec Le Délit à la veille des élections, Gabriel Nadeau-Dubois, coporte-parole de Québec solidaire (QS), témoignait de l’inégalité qui pouvait exister entre les différents stages : « Dans certains
le nombre d’associations (et d’étudiant·e·s) impliquées. En effet, selon le Montréal Campus¸ cinq des sept associations facultaires uqamiennes seront en grève en novembre, représentant ainsi des milliers d’étudiant·e·s.
milieux, souvent des milieux à prédominance masculine, les stages sont bien rémunérés, bien encadrés […]. Dans d’autres domaines, souvent des domaines traditionnellement féminins, les stages sont très peu ou pas du tout rémunérés ». Du côté du pouvoir, le dernier budget de Carlos Leitão, ministre des Finances sous le gouvernement libéral de Philippe Couillard, accordait une enveloppe de soixante-quinze millions de dollars sur cinq ans pour l’attribution de bourses pour le dernier des quatre stages des enseignant·e·s. Environ 3 900 étudiant·e·s en bénéficiaient chaque année. L’Union étudiante du Québec (UEQ) avait accueilli avec enthousiasme la nouvelle en août dernier. « C’est un changement concret, une amélioration remarquable de la condition des stagiaires. Il s’agit d’un grand pas vers l’avant et nous continuerons de travailler activement à la compensation financière des stages non rémunérés », avait affirmé le président de l’union, Guillaume Lecorps, dans un communiqué de presse diffusé à l’intention des médias.
le délit · mardi 13 novembre 2018 · delitfrancais.com
Du côté de McGill, l’Association des étudiant·e·s en travail social (McGill Social Work Student Association ou SWSA en anglais) a voté le 24 octobre dernier en faveur d’une grève des stages et des cours se déroulant du 19 au 23 novembre. La motion menant au vote de grève indiquait, entre autres, que les stages non rémunérés «constituent une barrière injuste pour les étudiant·e·s actuel·le·s et potentiel·le·s de l’École de travail social et que leurs effets sont multiples pour ceux·celles étant marginalisé·e·s de manière intersectionnelle ». Béatrice malleret L’UQAM se démarque Même si le mouvement de novembre touche des campus de plusieurs établissements d’enseignement supérieur, l’Université du Québec à Montréal (UQAM) se démarque du lot par
Dans une publication Facebook, la SWSA a également indiqué qu’elle allait, en même temps qu’informer le directeur de l’École de travail social de l’initiative, « s’assurer que les étudiant·e·s ne rencontrent aucun problème résultant des jours de grève ». x
Liste des associations étudiantes en grève ce mois-ci Association générale étudiante du Cégep du Vieux-Montréal (19-23 novembre) RÉÉSUM ET AÉPSUM (sociologie et psychosociologie de l’UdeM) Association facultaire étudiante des arts de l’UQAM (1922 novembre) Association facultaire étudiante de science politique et droit de l’UQAM (20-22 novembre) Association étudiante du secteur des sciences (AESS) de l’UQAM (21 et 22 novembre) Association des étudiantes et étudiants de la Faculté des sciences de l’éducation (ADEESE) (19-23 novembre) Association facultaire étudiante des sciences humaines (AFESH) de l’UQAM (19-23 novembre) Association de psychoéducation de l’UQO Association étudiante de premier cycle de la Faculté de philosophie de l’Université Laval. École de travail social de McGill (19-23 novembre)
Actualités
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montréal
Valérie Plante : un an après Un an après l’élection de la mairesse de Montréal, qu’a-t-il été accompli? astrid delva
Éditrice Actualités
L
e 5 novembre 2017, Valérie Plante est élue mairesse de Montréal. Un an après, les changements se font ressentir pas à pas. Le Délit dresse le bilan de sa première année. Ses promesses de campagne Lors des élections, Valérie Plante avait lancé sa nouvelle plateforme au sein de Projet Montréal afin d’y soumettre des idées pour améliorer la vie des citoyens de la ville de Montréal. Surnommée la « mairesse de la mobilité », son programme était basé sur l’amélioration du transport en commun par l’ajout d’une nouvelle ligne de métro — la ligne rose — pour relier Montréal-Nord à Lachine et dont les travaux seraient achevés d’ici 2028. Elle proposait aussi l’achat de 300 nouveaux autobus hybrides, la mise en place d’une tarification sociale et l’accessibilité universelle étendue à toutes les stations de métro. De plus, Valérie Plante souhaitait œuvrer à l’« amélioration des
services aux citoyens, une meilleure planification des chantiers l’assurance des travaux de qualité ». Pour aider les citoyen·ne·s les plus démuni·e·s, elle souhaitait aussi construire 12 000 logements sociaux d’ici 2021. Elle comptait ainsi sur le concours des ordres de gouvernement fédéral et provincial pour augmenter l’offre de logements sociaux pour les 25 000 familles en attente à Montréal. Le bilan de ses actions Pour l’instant, 14 des 28 promesses de campagne de Plante ont été tenues. Une des plus importante est l’achat de 300 autobus hybrides puisque la Société des Transports de Montréal (STM) a signé le contrat en juin dernier et les autobus seront normalement livrés en 2020. La deuxième mesure phare en matière de transport public était la tarification sociale et la gratuité pour les plus de 65 ans et les moins de 12 ans. Cette promesse a été tenue : l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) et la communauté métropolitaine de Montréal
(CMM) ont commencé à travailler sur le dossier et des discussions publiques devraient être organisées en 2019. Autre mesure importante de son mandat, Valérie Plante a lancé le processus de la création de la ligne de métro rose par la mise en place d’un bureau pour étudier le projet d’après une annonce datant du 22 octobre dernier. La ligne bleue sera aussi étendue puisque Québec et Ottawa ont annoncé des investissements pour financer la ligne bleue plus tôt en avril.
(dont le règlement n’a pas encore été écrit). D’autre part, son souhait de construire 300 unités d’hébergement ou de transition par année pour lutter contre l’itinérance n’a pas été complétement réalisé, puisque seulement 120 unités ont été mises en chantier dams l’année.
Malgré son désir de changement, Valérie Plante se voit dorénavant confrontée au fait que le gouvernement de la Coalition avenir Québec soit contre la création de la ligne rose et elle devra également faire face aux décisions d’Ottawa dans les mois à venir. x
Concernant la transparence de la part de l’administration, la mairesse a tenu ses promesses mais tout ne s’est pas déroulé comme prévu : son engagement de rendre public son agenda (ses rencontres et ses déplacements) n’a pas été tenu, Valérie Plante ayant annoncé une mise en ligne de celui-ci cet automne. Autre pépin : ses mesures pour le logement ne sont pas encore toutes passées, notamment la mise en application du seuil de 20% de logements familiaux pour les projets d’habitation
courtoisie projet montréal
Le 1% qui donne 1% One for the world McGill a tenu un événement caritatif sur le campus. antoine milette-gagnon
Jouer pour donner
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La soirée était organisée autour du concept de « Jouer pour donner » (Giving Game en anglais) où trois organisations caritatives étaient présentées aux participant·e·s qui devaient par la suite délibérer pour tenter de jauger l’efficacité de chacune et établir pour laquelle de ces organisations un don serait le plus utile.
Éditeur Actualités
’est au sous-sol du pavillon Bronfman que s’est tenu le premier événement mcgillois de l’organisme One for the World, le vendredi 9 novembre. L’organisation, basée sur le principe de l’altruisme efficace, incite ses membres à s’engager, une fois leurs études terminées, à verser 1% de leur salaire à des organismes caritatifs. One for the World a été fondée en 2014 par deux étudiants au MBA de la Wharton School désirant enseigner les principes de l’altruisme efficace à leurs collègues de classe. L’antenne mcgilloise est la première mouture canadienne de l’organisation et a été fondé en 2018 par les étudiantes Leila Sabbah et Czara Awad après avoir été contactées par l’organisation One for the World de l’Université Columbia. « Le but de tous les chapitres, dont McGill, est d’organiser une pledge week dans le but d’inciter les étudiant·e·s sur le campus à s’engager [à donner 1% de leur salaire] après en avoir discuté durant la session », expliquent-elles.
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actualités
La première organisation à être présentée a été la Fondation contre la malaria, un organisme investissant dans l’achat de filets insecticides en Afrique subsaharienne pour lutter contre la propagation de la malaria. Il a été expliqué que 100% des dons venant du public étaient utilisés pour l’achat des filets. Ensuite a été présentée la fondation Make a Wish, qui œuvre à réaliser les souhaits des enfants atteints d’une maladie incurable. Les souhaits réalisables par la fondation sont assez variés, par exemple la rencontre d’une
« L’organisme [...] incite ses membres à s’engager, une fois leurs études terminées, à verser 1% de leur salaire à des organismes caritatifs » Donner efficacement
prune engérant célébrité ou encore permettre à l’enfant passer la journée dans la peau d’un pompier. Enfin, la fondation Give directly vise à éliminer les intermédiaires entre les donateurs et les récipiendaires de l’aide. En effet, la fondation établit une liste de personnes dans le besoin au Kenya, en Ouganda et au Rwanda à qui des fonds sont directement transférés par virement bancaire. La logique derrière l’entreprise est de permettre aux personnes recevant les dons de choisir ellesmêmes leurs priorités.
L’altruisme efficace est un mouvement social et philosophique affirmant l’importance de la réflexion rationnelle pour déterminer le meilleur moyen d’aider les autres. Cette forme d’altruisme, défendue aux ÉtatsUnis par des personnalités publiques comme le philosophe populaire Peter Singer ou le cofondateur de Facebook, Dustin Moskovitz, se transpose dans le monde de la philanthropie par l’analyse de l’efficacité des organismes caritatifs. Les critères d’efficacité peuvent comprendre le nombre de personnes bénéficiant de l’aide d’un organisme, le rapport coût/ bénéfice ou encore la gravité des problématiques abordées. « En
gros, il s’agit de mieux faire le bien », résume succinctement Evan McVail, directeur de l’exploitation de One for the World au Canada et présentateur principal de la soirée. Bien que le mouvement gagne de plus en plus d’adeptes, il n’est pas exempt de critiques. En effet, certain·e·s, comme la fondation Charity Navigator, critiquent le caractère moralisateur de ce type de mouvement. D’autres critiquent aussi les méthodes mêmes de ces structures caritatives ; celles-ci ne feraient que chercher à redonner aux plus démunis, sans pourtant se questionner sur les raisons structurelles des inégalités de leur société, que ces organismes tentent justement de combattre.x
le délit · mardi 13 novembre 2018 · delitfrancais.com
Monde francophone AMÉRIQUES
TEXTE ÉCRIT PAR Joseph herbinet INFOGRAPHIE RÉALISÉE PAR astrid delva Le Délit
AFRIQUE
L CÔTE D’IVOIRE HAÏTI RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO
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a clôture des candidatures pour le Prix du jeune journaliste en Haïti approche à grands pas. Tous les Haïtiens de 18 à 35 ans ayant accompli des travaux journalistiques à partager peuvent participer à ce concours, dont le thème est « Jeunesse en action ». Cette initiative, reconduite pour la 4ème année consécutive, et au succès de plus en plus médiatisé, est organisée par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et ses nombreux partenaires des sociétés civiles du monde francophone. Leur objectif, clairement exposé, est de promouvoir simultanément la liberté, la démocratie, la francophonie et la jeunesse haïtienne talentueuse et dynamique. x
a construction d’un pont au coût de 550 millions de dollars pour relier Brazzaville et Kinshasa, tel est l’accord qui a été conclu entre la République du Congo et la République démocratique du Congo. La nouvelle a été officialisée lors du Forum africain sur l’investissement, par les deux gouvernements. Cela semble être un projet d’infrastructure avec un potentiel d’impact de développement économique sur la région conséquent. En effet, ces deux capitales ne sont séparées que par un fleuve de quatre kilomètres de large, et les points communs entre les deux nations sont nombreux : langues nationales, dialectes, traditions, coutumes, histoire. Les détails quant au financement du projet restent cependant imprécis. x
L’
Africa Web Festival (AWF), qui se tiendra à Abidjan pour sa 5ème édition du 29 novembre au 1er décembre, lance un appel à tous les jeunes de 18 à 35 ans venant d’Afrique francophone ou de sa diaspora. Une cinquième édition qui s’ouvrira sous trois perspectives : l’innovation, les femmes, et la francophonie. Le festival, ayant le souci d’incuber l’« Afrique 3.0 », recherche en effet des projets aux solutions innovantes et/ou technologiques pour contribuer à diffuser et pérenniser la paix sur tout le continent. L’AWF a acquis une renommée internationale, et accueillera plus de 7 000 participants. x
ANALYSE POLITIQUE
Québec-France : un lien brisé? Chaque semaine, Le Délit analyse un aspect de la politique québécoise. RAFAEL MIRó
Chroniqueur politique MAHAUT ENGÉRANT
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epuis les années 1960, le Québec a toujours eu une relation privilégiée avec la France, qui a longtemps été son unique interlocutrice sur le plan international. Toutefois,
ces dernières années, cette relation spéciale tend à disparaître, au fur et à mesure que Paris se rapproche d’Ottawa. 24 juillet 1967. Devant une foule de Québécois en liesse, au détriment de toutes les conventions internationales, Charles de Gaulle prononce son célèbre « Vive le Québec libre! ». Le premier ministre du Canada, Lester B. Pearson, annule alors la visite du français à Ottawa et l’invite poliment à quitter le pays dans lequel il n’aura jamais l’occasion de revenir. La déclaration de De Gaulle va empoisonner les relations entre le Canada et la France pendant des années et favoriser l’émergence d’une relation particulière entre la France et le Québec. Après le départ du général de Gaulle, la France cessera de se mêler directement dans la crise entre le Canada et le Québec, mais elle continuera d’entretenir des liens séparés avec le Québec et avec le Canada. Les présidents français adopteront ainsi la doctrine « Ni ingérence ni indifférence », ne
le délit · mardi 13 novembre 2018 · delitfrancais.com
prenant aucune initiative, mais acceptant complaisamment les demandes du gouvernement québécois. Dans les milieux politiques français, en particulier au sein de la droite gaulliste, subsistera longtemps une sympathie affichée envers le mouvement indépendantiste québécois. De toute façon, à l’époque, la France n’avait à peu près rien à obtenir du Canada, avec qui elle partageait peu d’intérêts commerciaux ou diplomatiques. Changement de cap Toutefois, dans les dernières années, la position de la France face au Québec a semblé devenir de plus en plus encombrante pour l’Hexagone. En 2008, Nicolas Sarkozy a été le premier à rompre avec la politique de non-ingérence de la France en qualifiant le mouvement souverainiste québécois de « sectarisme » lors de sa visite dans la province. Il faut dire que Sarkozy était reçu à l’époque par un premier ministre très fédéraliste, le libéral Jean Charest. En
outre, à cette époque, les gouvernements canadiens et français commençaient à négocier en vue d’un accord commercial entre le Canada et l’Union européenne. Le contexte politique n’était donc certainement pas le bon pour faire la promotion du souverainisme. Par ailleurs, cela n’aurait probablement pas rejoint les convictions personnelles de Nicolas Sarkozy, qui a entretenu pendant des années une amitié intime avec le financier franco-ontarien Paul Desmarais, reconnu pour être très proche des milieux fédéralistes. Un peu comme Sarkozy, Emmanuel Macron se trouve dans un contexte politique qui le pousse à entretenir des liens avec le Canada plutôt qu’avec le Québec. En effet, le premier ministre canadien Justin Trudeau est archi-populaire dans les médias français, et partage une grande affinité politique avec Macron :. tous deux se qualifient de libéraux, progressistes socialement et plutôt non interventionnistes sur
le plan fiscal. En outre, les deux sont des figures d’opposition face à la montée des politiciens populistes dans le monde, Trudeau face à Donald Trump et Macron face aux mouvements populistes de l’Union européenne. De son côté, le premier ministre du Québec François Legault n’a pas la cote en France. L’appui non sollicité de Marine Le Pen qu’il a refusé et qui a eu peu d’écho au Québec a amené certains médias français à le présenter comme un politicien d’extrême-droite. Par ailleurs, contrairement aux années 1960 où il était porté par les gaullistes, le nationalisme n’a plus la cote en France. En général, le terme est plutôt évoqué par les mouvements eurosceptiques ou anti-immigration, en France ou en Europe, auxquels Macron s’oppose vigoureusement. En juin, il a même déclaré être « l’ennemi des nationalismes ». Il est donc probable que sous sa présidence, la relation si particulière qu’entretenaient la France et le Québec soit mise en veille. x
Actualités
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Société societe@delitfrancais.com
enquête
À la conquête de vos droits, francophones! La remise de travaux rédigés en français: les craintes sont-elles fondées? dissertation ou d’un examen, à la baisse? Et bien, si vous croyez avoir été corrigé·e injustement, vous pouvez toujours demander une révision de note. Évidemment, cela demande du temps supplémentaire à l’étudiant·e en question, mais il faudrait commencer par remettre nos travaux en français si nous souhaitons améliorer ce système de l’intérieur, quitte à devoir demander quelques révisions de note.
katherine marin
Éditrice Société
À
McGill, pas moins de 8220 étudiant·e·s, soit près du quart, ont le français comme langue maternelle, et un peu plus de 5000 autres ont le français comme langue seconde (pour un total de 40 493 étudiant·e·s). Sans compter que plusieurs étudiant·e·s internationaux·ales n’ont pour langue maternelle ni le français ni l’anglais. Et cela, l’université semble en avoir pleinement conscience, et prétend vouloir accueillir d’excellent·e·s étudiant·e·s sans regard à leur première langue. Depuis l’année dernière, l’administration semble faire des efforts pour honorer cette intention : du 30 avril 2017 au 1er mai 2018, 78 traducteur·rice·s ont été approché·e·s pour une dépense totale de 356 000 dollars. Depuis le 1er mai 2018, cependant, l’Université a bénéficié de l’aide de 60 traducteur·rice·s, pour une dépense de 175 000 dollars. Si le nombre de traducteur·rice.s a sensiblement augmenté (en calculant le nombre d’ « engagé·e·s » par mois), la dépense pour chacun·e semble avoir diminuée. Et, bien que nous ne savons pas combien, de ce nombre, font de la traduction de l’anglais vers le français, l’augmentation globale des effectifs indique tout de même une hausse de ces traducteur·rice·s « anglais-français ». Cette hausse ne semble toutefois pas émouvoir le corps étudiant francophone, dont une grande partie semble toujours réticente à l’idée de remettre un travail en français. Point de vue estudiantin Nous avons questionné les étudiant·e·s via diverses plateformes Web et les réponses sont mitigées : certain·e·s ont toujours remis leurs travaux écrits en français sans aucun problème, alors que d’autres sont réticent·e·s à l’idée de remettre en français un travail demandé par un·e professeur·e anglophone. Les raisons sont diverses : peur de déranger le·a professeur·e, d’être corrigé·e par un·e TA parlant à peu près français, ou encore de se faire corriger par quelqu’un·e parlant français, mais n’étant pas expert·e de la matière enseignée. Certains craignent aussi que les TA soient enclin·e·s à des préjugés inconscients, frustré·e·s de devoir passer plus de temps et mettre plus d’efforts sur un travail parce qu’écrit en français, et les jugeant ainsi plus sévèrement. De ce fait, quelques
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Société
Des solutions?
romain miglio étudiant·e·s ont déclaré avoir remis, par le passé, des travaux en français, mais seulement lorsqu’ils et elles sentaient que le·a professeur·e était « ouvert·e » à les recevoir. Dans le cas contraire, le manque d’enthousiasme les refroidissait dans l’exécution de ce même droit. De plus, le travail de traduction des termes savants appris en anglais représente un autre enjeu restreignant l’étudiant·e francophone. Pour d’autres, écrire en français à McGill n’a jamais été un problème, et la revendication de ce droit a été « brandi, tel un inquisiteur avec sa bible », comme l’affirmait un étudiant sur Facebook. Du côté des professeur·e·s Suite à une correspondance électronique avec certain·e·s, et une discussion de vive voix avec d’autres, il est possible de faire ressortir les nombreux points communs de chacun de ces entretiens. La question qui regroupait (presque) tous les autres avait
« En somme, aux yeux de ces professeur·e·s, bien qu’aucun processus spécifique quant à la correction des travaux écrits en français n’ait été mis en place, ce droit étudiant est tout de même respecté » trait aux ressources accessibles aux professeur·e·s quant à la correction de travaux rédigés en français. Plusieurs d’entre eux·elles nous ont confirmé qu’ils·elles parlaient soit couramment français, soit suffisamment pour être en mesure de corriger. Et pour ceux et celles pour qui n’était pas le cas, il semblait clair pour tous et toutes qu’il était très aisé de trouver soit un·e collègue, soit un·e TA qui puisse le faire. En somme, aux yeux de ces professeur·e·s, bien qu’aucun processus spécifique quant à la correction des travaux écrits en français n’ait été mis en place, ce droit étudiant
est tout de même respecté dans le cadre professoral, et chaque étudiant·e désirant remettre son travail en français est en mesure de le faire. Ainsi, la remise de travaux écrits en français restait facile et accessible selon les professeur·e·s consulté·e·s. Le nœud Revenons à ce problème soulevé par un étudiant, qui semble encore irrésolu : que faire de ces biais (stéréotype sur les francophones, frustration due au temps et à l’effort) qui influenceraient la correction, et donc la note, d’une
Si, vraiment, l’administration tient à ce que le corps étudiant soit parfaitement à l’aise de remettre des travaux rédigés en français, plusieurs choses concrètes pourraient être faites, ou faites à une plus grande échelle. Par exemple, le nombre de traducteur·rice·s engagé·e·s ayant augmenté, il serait sûrement possible d’offrir plusieurs documents académiques en anglais comme en français, sans compter que plusieurs traductions françaises de textes anglais existent déjà, et il suffirait donc de les rendre accessibles sur myCourses, par exemple. Cela viendrait alléger ce « surplus de travail », la traduction des termes savants, qui rebuterait certain·e·s étudiant·e·s francophones. Une autre solution, toute simple, serait pour les professeur·e·s, en début de session, d’encourager le corps étudiant francophone en lui expliquant ce qui a été dit dans le cadre des entretiens (ci-haut) : qu’ils·elles trouveront toujours quelqu’un·e de bilingue ou en mesure, linguistiquement, de corriger leurs travaux. En d’autres termes, d’y accorder une importance particulière pendant cinq minutes, au premier cours de chaque session, afin de rassurer les étudiant·e·s. Enfin, bien que certaines injustices isolées quant à la remise de travaux en français dans le contexte mcgillois aient déjà eu lieu, il semble que les questionnements des étudiant·e·s reposent surtout sur des préjugés d’une possible appréhension anglophone envers les francophones. Or, si l’on veut voir ce droit prendre une plus grande ampleur et devenir normal aux yeux des professeur·e·s et des étudiant·e·s, peut-être faut-il simplement le mettre un peu plus en exercice pour en trouver les failles, et le pallier. x
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opinion
La fabrication d’un narcissique La rentabilité dans la génération selfie : à quel prix?
que les étudiants les plus dévoués à leur compte Facebook étaient plus susceptibles de penser que les vies des autres étaient « plus heureuses et meilleures. » De plus, une étude de Twinge Organization a indiqué que les milléniaux sont plus déprimés et anxieux que les générations précédentes, et que le deux tiers des femmes interrogées se sentaient « plus jolies sur Internet » que dans la réalité.
Julia Volpe
Contributrice
«A
ttendez, attendez! Nous ne pouvons pas sortir sans une photo pour Snapchat! » C‘est une phrase qui est devenue un point commun dans la vie sociale moderne. Mais les selfies, les vlogs quotidiens, et les « histoires » d’Instagram, sontils destinés à notre propre bonheur, ou à prouver quelque chose à quelqu’un d’autre? Notre génération est devenue obsédée par l’autodocumentation et cette obsession est non seulement inutile et peu sincère, mais elle a déclenché une épidémie de narcissisme, qui nuit à la santé mentale.
Le temps volé
Les narcissiques rentables D’abord, la recherche révèle que la moitié des femmes âgées de 13 à 23 ans se trouvaient sur les sites de médias sociaux, tels que Twitter et Instagram, à tout moment, et elles postent environ un « selfie » par jour. Les grandes entreprises comme Facebook ont des équipes de marketing brillantes qui assurent que « l’autopromotion » reste à l’avant-garde
niels ulrich des médias sociaux. De même, les études montrent constamment que les individus qui obtiennent un score plus élevé dans le questionnaire d’inventaire de la personnalité narcissique (IPN) ont tendance à avoir plus d’amis sur
Facebook, et à mettre à jour leur statut en ligne plus fréquemment. Un portrait irréaliste Certains pourraient faire valoir que les médias sociaux et « l’âge
du selfie » ont produit un moyen d’expression personnelle et de positivité du corps, où nous pouvons encourager les autres à être fiers de leur apparence. Cependant, des études récentes d’étudiants en Amérique du Nord ont montré
En conclusion, alors que les médias sociaux sont sans aucun doute des sources puissantes d’interconnexion et de divertissement, il serait erroné de confondre ces interactions avec de la camaraderie. En fait, les sites comme Facebook et Instagram constituent la plus grande consolidation des sentiments de jalousie, de compétition, et d’insécurité de notre génération. Donc, la prochaine fois que vous vous sentirez obligés de prendre une photo avec vos amis pour démontrer votre bonheur sur Internet, considérez la plus grande valeur de l’interaction sociale : le moment présent avec ceux qui vous entourent. x
opinion
Combattre la stigmatisation un service à la fois Un accès rapide et abordable aux soins de santé psychologiques profiterait à tous. elena dikaios
Contributrice
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maginez que vous vivez avec une maladie chronique qui affaiblit tous les domaines de votre vie — personnel, social, professionnel et familial. Imaginez que, même si vous souffrez, vous ne pouvez pas recevoir de traitement. Cette image désolante est, malheureusement, la réalité de beaucoup de personnes au Canada à cause de notre système de santé qui limite l’accès aux services psychologiques. Un système stigmatisant? Un Canadien sur cinq a une maladie mentale ou une dépendance, bien que les problèmes commencent souvent à l’enfance ou à l’adolescence, 75% des jeunes qui souffrent n’ont pas accès aux services psychologiques. Malgré le fait que les maladies mentales sont très courantes, les services psychologiques ne sont pas inclus dans
notre système de services de santé. En fait, le gouvernement dépense seulement 7% du budget de la santé sur les services pour la santé mentale. À mon avis, cette contradiction contribue à la stigmatisation des personnes qui vivent avec une maladie mentale, car elle sous-entend que les maladies psychologiques ne sont pas aussi graves que les maladies physiques. Pourquoi s’en soucier? Les maladies mentales sont sérieuses et elles résultent toujours par une déficience, soit au boulot, soit à la
maison. Pour les jeunes, le suicide est une des principales causes de décès. Ces résultats néfastes sont beaucoup plus probables si l’accès aux traitements est limité. Parfois, le temps d’attente pour un rendez-vous avec un·e psychologue excède les six mois, donc, souvent, le premier contact avec un·e médecin se déroule dans une salle d’urgence. De toute évidence, il faut améliorprune engérant er l’accès aux services pour que le traitement soit administré rapidement et d’une manière qui ne coutera pas les yeux de la tête.
Tout n’est pas perdu Au Québec, cette conversation a commencé l’année passée. Il y a presque un an que le gouvernement a annoncé qu’il injecterait plus de fonds pour les services de santé mentale. De plus, on a plusieurs traitements éprouvés en clinique pour les maladies mentales qui existent, c’est-à-dire que nous possédons les moyens d’aider ces personnes. Au Canada, on fait face aux à des problèmes d’accès et de stigmatisation, mais je suis certaine que si l’on modifiait un peu la conceptualisation du système de service de santé mentale en général au Canada, on pourrait résoudre ces deux problèmes à la fois. Une autre chose de laquelle je suis certaine, c’est que nous connaissons tous quelqu’un qui profiterait profondément de ce changement, et c’est pourquoi nous nous devons de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour combattre les tabous, et faciliter l’accès monétaire aux soins de santé mentale. x
Les deux articles ci-haut sont l’oeuvre d’étudiantes suivant des cours de français au Centre d’enseignement du français de l’Université McGill. Nous sommes heureux, chaque année, de cette collaboration.
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société
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opinion
IA et éthique : une perspective fonctionnelle Comment formuler une approche globale aux préoccupations éthiques en intelligence artificielle? grégoire catimel-marchand
Contributeur
L
’automne dernier, j’ai assisté à une conférence de Yann Le Cun, l’ancien chef de division de recherche en intelligence artificielle (IA) chez Facebook, dans le cadre d’un événement des Integrated Management Symposiums, chapeauté par la Faculté de gestion Desautels. Celui-ci cherchait à communiquer une perception juste des applications de l’IA à un parterre varié issu du domaine académique, des affaires et des syndicats. Son approche pour l’évènement fut intéressante ; plutôt que de parler directement des applications en IA, il a d’abord tenté de fournir une
« L’intelligence artificielle est de plus en plus présente dans nos vies. Elle numérise nos chèques lors de dépôts bancaires, embellit les photos de nos téléphones intelligents, conduira bientôt nos voitures [...] » approche globale de son fonctionnement, un canevas permettant à l’audience d’effectuer sa propre analyse et de participer au débat. Lors de discussions sur l’IA, le fonctionnement est souvent mis à l’arrièreplan pour faire place uniquement aux résultats des applications. Or le fonctionnement devrait être la base de la structure du débat. Dans cet article, le potentiel technique de l’IA ne sera pas mis de l’avant, il sera plutôt question des considérations morales en IA. L’IA et l’apprentissage profond Comment peindre un tableau éclairant du fonctionnement de l’IA? L’intelligence artificielle est une branche de l’informatique qui cherche à produire des machines capables d’interagir intelligemment, de façon analogue ou supérieure à l’être humain. Plusieurs pistes ont été explorées dans les dernières décennies pour y arriver. Nous avons tenté de programmer des systèmes experts reproduisant le cheminement cognitif d’un être humain à la manière d’un arbre de décisions, or il se trouve que le raisonnement
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société
humain est complexe et non linéaire. C’est donc pour pallier à ce déficit que les systèmes d’apprentissage profond ont été développés, ceux-ci permettent à l’ordinateur d’extrapoler des conclusions dans un domaine bien spécifique en fonction de données. Par exemple, on fournit un grand échantillon de photos de chiffres à un ordinateur avec leur interprétation ; « cette photo représente un ‘‘deux’’ ». Avec suffisamment de données, un ordinateur peut ainsi « apprendre » à identifier l’image du chiffre « cinq » et à la différencier de celle d’un « quatre ». Bref, dans un environnement approprié, un ordinateur peut apprendre à faire des déductions spécifiques grâce à l’information contenue dans un échantillon de données. Les applications de l’IA prennent habituellement la forme de tâches pouvant être réalisées rapidement par un humain, comme reconnaitre un objet sur une photo, un mot dans un enregistrement ou traduire adéquatement une phrase. Les préoccupations éthiques En ce sens, il est possible de subdiviser les préoccupations éthiques en intelligence artificielle en trois catégories. Premièrement, on peut se demander d’où proviennent les données utilisées pour permettre au logiciel d’apprendre, et si leur utilisation respecte le consentement de l’individu fournissant les données. La deuxième application est la plus évidente, il ne faut pas utiliser l’IA à des fins immorales. Et finalement, la troisième et probablement la plus intéressante : les données utilisées permettent-elles d’arriver à un résultat moral? Il se trouve que les comportements immoraux de notre société apparaissent lors d’analyses statistiques, il faut donc éviter qu’un système d’IA tire des conclusions à partir de données biaisées. L’impact des biais Commençons par le dernier cas, soit les sources de biais dans les données. En effet, les systèmes d’intelligence artificielle ne sont que le produit des données qui en sont les intrants. En ce sens, ils peuvent être victimes de biais raciaux, sexistes ou idéologiques. Il est donc crucial de repérer ces biais pour éviter que l’intelligence artificielle ne soit une source de discrimination. Un exemple serait le traitement de prêts bancaires de façon automatique à l’aide de systèmes d’intelligence artificielle. En mars 2018, un article du New York Times mettait en lumière le fait qu’aux États-Unis, les gens de minorités visibles, particulièrement les Afro-Américains et Américains d’origine hispanique ont plus de chance de se faire refuser un prêt
hypothécaire, et ce, pour un revenu et une hypothèque équivalents. Ainsi, il faut être prudent avec l’intelligence artificielle pour éviter ce type de biais, cela est capital pour maintenir la confiance du public envers cette nouvelle technologie. Pallier à ces travers est d’ailleurs un domaine de recherche effervescent en intelligence artificielle, soit la correction des biais humains en IA. Une utilisation éthique des données Deuxièmement, il faut aussi considérer la source des données utilisées. À l’ère de l’économie digitale, nos données sont souvent collectées suite à une demande de consentement en petits caractères à la fin d’un formulaire automatisé. Il est donc essentiel que ces données ne soient pas utilisées au détriment des gens les fournissant, à des fins discriminatoires, ou pour cibler et influencer des groupes vulnérables comme des personnes mineures, à faible revenu ou susceptibles d’être influencés par la désinformation. Les données sont des outils très puissants, comme ont pu en témoigner les dernières élections américaines, bien que l’intelligence artificielle n’ait pas été en cause. L’IA pourrait cependant être un catalyseur dangereux dans ce type de situations. Il y a ainsi place à l’amélioration pour que les données digitales des utilisateurs soient collectées avec un consentement probant et ne soient pas utilisées à des fins discriminatoires. En ce sens, les acteurs gouvernementaux et du milieu des affaires devront être plus impliqués. Une utilisation à des fins morales Avant de conclure, abordons le sujet recevant la plus grande attention médiatique, soit la prévention de l’utilisation de l’intelligence artificielle comme une arme de guerre ou à des fins dangereuses. En effet, il est vrai que l’intelligence artificielle est potentiellement dangereuse, elle peut être utilisée pour porter atteinte à la vie d’autrui. Si ce type d’application doit être interdit par les entités gouvernementales appropriées pour éviter que la vie
theo sherer
« Il se trouve que les comportements immoraux de notre société apparaissent lors d’analyses statistiques, il faut donc éviter qu’un système d’IA tire des conclusions à partir de données biaisées » d’un humain ne soit mise entre les mains d’un algorithme, il est cependant plus complexe de déterminer si un système d’IA peut être en situation de décision quand la santé d’un être humain est en danger. Par exemple, dans une voiture automatisée ou lors de l’analyse d’un scan en radiologie, un ordinateur peut-il remplacer un être humain? Et si l’IA artificielle est en moyenne un conducteur plus sécuritaire, ou pose des diagnostics plus justes qu’un médecin, peut-elle remplacer un humain dans une situation où sa prise de décisions peut causer la mort en cas de mauvais diagnostic? L’intelligence artificielle est de plus en plus présente dans nos
vies. Elle numérise nos chèques lors de dépôts bancaires, embellit les photos de nos téléphones intelligents, conduira bientôt nos voitures et est de plus en plus utilisée en industrie. Son progrès est indéniable, mais il doit être accompagné des considérations appropriées pour éviter qu’un faux pas ne soit commis. La Montreal AI Ethics Institute se penche d’ailleurs sur ces questions et cherche aussi à assurer une plus grande démocratisation des connaissances de l’intelligence artificielle pour en accentuer l’impact positif dans la société. Il est primordial de faire de l’intelligence artificielle un avancement pour tous, et pas uniquement pour une minorité. x
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«Dans l’œuvre, c’est la vérité qui est à l’œuvre, et non pas seulement quelque chose de vrai.» Martin Heidegger
«La durée des œuvres est celle de leur utilité. C’est pourquoi elle est discontinue. Il y a des siècles pendant lesquels Virgile ne sert à rien.»
philosophie@delitfrancais.com
Portrait
Paul Valéry
: le
Cronos
L’œuvre d’art de l’avenir et la consolation du drame musical. Simon Tardif
Éditeur Philosophie
«T
elle la race des feuilles, telle la race des hommes. » Cette parole d’Homère proclamée dans l’Iliade tourmente l’humanité, dans une forme ou une autre, depuis toujours. Là, la vérité séjourne. De quelle manière, nous répond-on? Eh bien, la poétique d’une telle parole nous soulève et nous transporte jusque dans les forêts communes à tout le genre humain. Une traversée des ombres. S’il apparaît pour certaines personnes évident que la vérité puisse jaillir de l’œuvre d’art, d’aucuns se montreront plus rusés les uns que les autres à en raconter les conditions de possibilité. Wagner est l’un d’eux.
Compositeur génial, grand chef d’orchestre et penseur allemand, Wagner est pour nous le père de la célèbre tétralogie L’Anneau du Nibelung et de Tristan et Isolde ou encore le penseur de L’Œuvre d’art de l’avenir et d’Opéra et drame. Des « drames musicaux »,
selon le mot de Wagner, desquels nous pouvons tirer l’« œuvre d’art totale », l’avenir dorénavant sainement ouvert.
Wagner se montra particulièrement vigilant quant à ce qui constituerait le rapport de l’œuvre au public. Un peuple qui
L’Avenir en un soupir Cet « œuvre de l’avenir », de quoi est-il le nom..? « Quel mouvement vers les lointains les plus reculés, les plus prolifiques et les plus riches d’espoir! », nous témoigne Nietzsche, collaborateur de Wagner à une époque, dans son Appel aux Allemands. Il porte sur elle le destin d’un peuple. Le drame musical n’est pas exempt d’une entreprise esthétique et politique, il n’est que cela. Si Wagner créa pour une communauté culturelle et non pour ce qui marqua la décadence de nombreux artistes à travers le temps, il ne fut donc pas étranger à la réception que les Allemands voudraient bien lui offrir. Il en était tributaire. Puisque l’« œuvre d’art de l’avenir » entend donner un souffle et une direction à un peuple,
imprégner l’imaginaire d’une totalité magnétique. Et pourtant, s’il sait susciter cela, le drame musical passe en un soupir. Quelques heures et c’en est fini. Quelle marque subsiste de cette fréquentation ? Consolation mythique
Hugo Gentil n’entendrait pas l’appel wagnérien, voilà l’angoisse de Wagner. Le drame musical allie donc la théâtralité, la peinture, la danse, la musique et la poésie pour
La consécration du
Les drames musicaux de Wagner sont fondés sur le mythe desquels l’on pourrait tenir des « universaux » humains. La richesse des différentes mythologies est indéniable du point de vue performatif, à cet effet rendons compte de toute la structuration mondaine. Pensons à ce que Nietzsche en dit au 23e chapitre de La Naissance de la tragédie ! Le mythe nous offre un sens dans une inoculation au réel, « le monde est tel parce que...». Pensons-y : le mythe est d’une telle richesse de sens que même de ses ruines nous sommes en mesure de tirer une consolation. Puisque Sisyphe doit bien vivre, la consolation mythique propre au drame musical wagnérien nous permet de le faire.
Le drame musical, comme toute œuvre d’art, est dangereux ; il est pour nous la fleur sanguine, le cornouiller sanguin, d’où surgissent immédiatement à la fois la conservation, la destruction, l’atonie et le sublime. Le drame musical est une puissance brûlante de laquelle seul le souffle des uns peut épargner la forêt de ses braises. Nietzsche en comprit le danger ; Wagner demeura aveuglé. Qu’en penser? Loin d’être une condamnation jetée sur Wagner, le sens de l’œuvre wagnérien demeure ; sa consolation, rayonnante, semble toujours régner dans les plus hautes cimes. Passez à l’opéra…écoutez Wagner, autant soit possible, dans les lieux les plus étranges. Avec l’attention appropriée, la perception aux aguets, vous verrez cet estuaire prendre en noblesse, ses brumes devenant à nouveau les brèches vers l’inconnu. Une odyssée mythique vous attend. Un rapport au monde. Demandons: « Est-ce que l'art est autre chose qu'un aveu de notre impuissance ? » x
wagnérien
L’Opéra de Montréal présente Das Rheingold de Richard Wagner. Simon Tardif
Une réussite opératique
Philosophie à Bayreuth
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Que serait cet opéra sans le sournois Alberich? La performance de Berg rappelle la puissance et la vitalité presque sans égale du baryton Dietrich Fischer Dieskau, probablement le plus éminent artiste opératique de sa génération. Cette comparaison n’est pas extravagante : l’interprétation de Berg est marquée d’une prononciation et d’un répertoire tonique à même de conférer à sa présence sur scène une ascendance ombreuse. Si l’anneau exerce son charme sur son porteur, les prestations de Nathan Berg (Alberich) et de Roger Honeywell (Loge) furent les dons lyriques d’un tout autre charme.
Das Rheingold est tirée des grandes mythologies nord-européennes. Wagner croyait, dans la lignée de Schopenhauer et de Nietzsche, aux pouvoirs communautaires du mythe. S’il crut bon prendre des mythes qui n’étaient pas étrangers aux territoires germanophones de son temps, certains diront qu’il crut pouvoir lier à nouveau les Allemands de son temps à ce qui fut autrefois une spectaculaire relation au monde.
La mise en scène steampunk de Das Rheingold signée par Brian Staufenbiel tient peut-être de ce qui manquait à Wagner lui-même en son temps : l’intimité. Demandez aux spectateurs. Ils sauront vous parler de cette expérience envoûtante que fut cet opéra et ce n’est pas peu dire du talent de Staufenbiel.
Or, si Nietzsche avait, dans ses critiques tardives à l’encontre de Wagner, mentionné cet immanquable échec propre à la forme opératique wagnérienne, celle-là même devant amener les Allemands à renouer avec le mythe, hypothétisons que la mise en scène de Staufenbiel l’aurait
Éditeur Philosophie
l fallait définitivement y être. L’Opéra de Montréal a donné une première montréalaise tout en beauté du célèbre opéra de Wagner, le premier d’une tétralogie qui peut aisément se classer parmi les plus grandes œuvres d’art de l’Occident. Synopsis Comme pour chacune des ouvertures de Wagner où son génie brille, Das Rheingold réussit à nous imprégner, en seulement deux arpèges, de l’atmosphère mythique associée à la création des éléments. L’eau, la terre, l’air et le feu : une cosmogonie s’orchestre. Un monde dont J.R.R. Tolkien s’est grandement inspiré. Quatre actes séparent les 145 minutes restantes où le drame musical nous fera questionner le pouvoir, notre rapport à la biocœnose et les conséquences que notre folie rationnelle peut avoir sur notre monde et nous-mêmes.
le délit · mardi 13 novembre 2018 · delitfrancais.com
Courtoisie de opéra de montréal fait rompre avec quelques-unes de ses critiques. Alors que l’opéra wagnérien s’évertuait à restituer cette fonction chère à Nietzsche et Wagner, autrement dit la participation des spectateurs fonction tant adulée dans la tragédie grecque du temps d’Eschyle et
de Sophocle, Staufenbiel sut permettre les conditions d’une telle participation par l’entremise de l’intimité. Avec cette mise en scène, les spectateurs furent à même de se reconstituer le rapport au mythe. Quels en seront les effets sur leur vie ? x
Philosophie
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mania cinémania cinémania cinémania cinéman mania cinémania cinémania cinémania cinéman mania cinémania cinémania cinémania cinéman Cinéma mania cinémania cinémania cinémania cinéman
Culture artsculture@delitfrancais.com
Les films
à Montréal
Clap de fin pour la 24ème édition du festival du film francophone Cinémania. Thomas Volt
Contributeur
D
imanche soir dernier à 18h15, l’édition 2018 de Cinémania s’est terminée. Après dix jours de festival, une cérémonie d’ouverture légèrement bâclée, soixante-sept films projetés, dont cinquante en première nord-américaine, l’équipe du festival triomphe sous les applaudissements d’une salle heureuse. C’est lors de la cérémonie d’ouverture que le directeur général du festival, Guilhem Caillard, clamait haut et fort : « Nous aimons le cinéma francophone,
dont Cinémania se fait défenseur depuis 24 ans. » Le festival a mis en avant des films à la fois français, québécois et belges. Mademoiselle de Joncquières d’Emmanuel Mouret ou encore Nos Batailles de Guillaume Senez faisaient partie des projections les plus attendues. Du thriller à la comédie en passant par le drame historique, Cinémania en a offert pour tous les goûts. Plus qu’un simple festival, ce fut aussi un moment de rencontres et d’échanges, lors de classes de maîtres ou d’entretiens avec les invités. Avec la participation d’acteurs, de réalisateurs et de producteurs de talent comme Édouard Baer, Laurent Lafitte, Nicole Palo, Eva Husson ou encore Emmanuel Mouret, le festival se hisse, année après année, au rang des plus grands. Un cinéma sans frontières
béatrice malleret
Cette année la Suisse a été désignée comme pays mis à l’honneur. Cela n’a pas empêché la projection de films belges, bulgares ou encore qataris. Le festival, tout en se portant garant du maintien
de la langue française au Québec, en utilisant le cinéma comme arme principale, s’ouvre aussi à un public anglophone. Dans cette optique, l’intégralité des films présentés fut sous-titrée en anglais.
Par ailleurs, les films présentés ont permis aux spectateurs de voyager dans le monde entier : c’est le cas de Ma fille de Naidra Ayadi. En mélangeant l’arabe au français et la vie en ruralité à celle de Paris, le film bluffe le spectateur et le laisse sans mots face aux différences culturelles et à l’incompréhension que vit le personnage principal, seul dans une ville qu’il ne connaît
pas. Olivier Gourmet, invité d’honneur de cette édition, le disait avec détermination : « C’est en s’ouvrant à la différence qu’on se rapprochera des autres ». La langue du cinéma Serait-ce trop de qualifier cet évènement de « porte-étendard » de la francophonie au Québec? Selon Guilhem Caillard, non ! Cinémania permet à ses yeux de promouvoir « une francophonie qui rassemble, partage et qui permet le dialogue parmi les cultures ». Et de fait, au même titre que le théâtre ou la littérature, le cinéma permet de franchir des barrières linguistiques ou sociétales. Que l’on soit immergé dans la vie d’un homme syndicaliste dans une grande entreprise, abandonné par sa femme (Nos Batailles), ou que l’on suive la destinée intense d’un professeur remplaçant désarmé, confronté à des élèves « hors-normes » (L’heure de la sortie), les barrières tombent et laissent place à des moments de cinéma captivants et chargés d’émotions. L’utilisation de la
langue joue un rôle essentiel dans la compréhension et le sentiment que procure un film. Ces « mots » utilisés avec tant d’habileté par les scénaristes et les acteurs nous permettent une plongée dans un monde différent du nôtre. Ils nous permettent d’être fiers de la langue que l’on parle. La langue française est immense et belle ; elle est difficile, et pleine de vie. Ce français, qui n’est pas le même au Québec, en Belgique ou encore en Suisse, ne fait plus qu’un lorsqu’il est question de cinéma. x
Entrevue
Rencontre avec Emmanuel Mouret
Le Délit a discuté avec le réalisateur de Mademoiselle de Joncquières, son dernier film.
L
a semaine dernière, Evangéline Durand-Allizé partageait son opinion sur Mademoiselle de Joncquières. Cette semaine, le Délit s’est entretenu avec Emmanuel Mouret, réalisateur du film, présenté lors du festival du film francophone Cinémania, à Montréal.
Cinémania capture du film
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Culture
Le Délit (LD) : Au-delà de l’envie de faire ce film, pourquoi avoir voulu reprendre un épisode de Jacques le Fataliste et son maître de Denis Diderot? Emmanuel Mouret (EM) : C’est un peu un hasard. Déjà, c’est un livre de chevet pour moi. J’y pense très, très souvent quand j’écris. C’est un roman qui mêle le « léger », le « joyeux » et le « ludique », autant dans la lecture que dans l’écriture, tout en étant profond, et provoquant en moi une empathie toute particulière. Je ne sais d’ailleurs pas si le mot
« roman » est celui qui conviendrait. On peut, quelque part en le lisant, philosopher l’air de rien, philosopher en se divertissant. C’est ça que j’aime beaucoup. Pour moi ce roman, c’est l’art de la parenthèse, dans la parenthèse, dans la parenthèse… Et parfois, quand j’ai eu des problèmes dans l’écriture de mes scénarios, j’ai souvent repensé, justement, à cette liberté et à ce ton, cette couleur. À chaque lecture, j’ai toujours été extrêmement ému par le récit, celui de Madame de la Pommeraye et du marquis des Arcis, ému aux larmes même! Et quand mon producteur m’a proposé de faire un film en costume, un film d’époque, j’ai aussitôt pensé à lui. J’avais un peu d’appréhension parce que je savais qu’il avait déjà été adapté au cinéma par Robert Bresson, avec un scénario et des dialogues de Jean Cocteau (rires, ndlr). Mais Bresson l’avait
le délit · mardi 13 novembre 2018 · delitfrancais.com
nia cinémania cinémania cinémania cinémania nia cinémania cinémania cinémania cinémania nia cinémania cinémania cinémania nia cinémania cinémania cinémania cinémania modernisé quand moi je voulais rester dans une époque correspondante à l’écriture… LD : … et aussi dans l’air du temps, car beaucoup de personnes ont trouvé que vous aviez rajouté une touche féministe… EM : Alors non, parce que toutes les questions qui sont autour du féminisme sont le fruit du hasard. J’ai écrit le scénario avant l’affaire #MeToo (#MoiAussi au Québec, ndlr), Weinstein et compagnie. Il n’y avait pas de volonté d’en parler, ni politique ni sociale. C’est vrai que cela peut faire écho et d’ailleurs, souvent comme hier dans la salle (lors de la projection à Cinémania, ndlr), les gens ne sont pas d’accord. Il y a des gens qui me disent « ce film est féministe », « ce film n’est pas féministe », « ce film n’a rien à voir avec le féminisme ». Mais ce qui m’intéresse dans le récit de Diderot, c’était quelque chose de tout simple : ce n’est pas un récit qui donne une pensée, c’est un récit qui donne à penser. D’ailleurs, si vous relisez Jacques le Fataliste et son maître, que ce soit Jacques, son maître ou l’aubergiste, chacun en fait des interprétations différentes. LD : Voyez-vous dans le film un moyen de faire découvrir ou redécouvrir des grands classiques de la littérature à un public qui n’y serait peut-être pas accoutumé? EM : Ce n’était pas du tout ma perspective en faisant le film. Cependant, depuis la sortie, j’ai entendu beaucoup de gens ayant aimé le film dire « Je vais lire Jacques le Fataliste et son maître ». Mais ce n’était pas mon intention au départ. C’est pour ça que je pense d’une manière générale qu’il ne faut pas avoir peur de faire ni des remakes ni des adaptations, parce que finalement c’est toujours, si jamais le film plaît, un hommage rendu à l’original. C’est l’histoire de la littérature, de la peinture, du théâtre. On est, en termes de création, toujours dans un processus de réadaptation de situation commune. Au cinéma, on se retrouve ensemble dans une salle et il faut traverser des situations communes ; et ce qui nous intéresse c’est le chemin qu’on emprunte. Comme dit Hitchcock : « mieux vaut partir du cliché que d’y arriver ». Un très beau livre à ce propos de Jean Paulhan : Les fleurs de Tarbes , où il explique tout cela très bien. C’est un essai sur la littérature et vous vous sentirez très riche d’enseignement. LD : En parlant de fleurs justement. On voit souvent Madame de Pommeraye entourée de fleurs, jouant avec des fleurs où se fai-
sant apporter des fleurs. Est-ce qu’il y a une signification particulière, une envie? EM : Deux choses à répondre. Il n’y a pas de signification dans le sens où je crois que dans les grandes œuvres, ce n’est pas la signification qui compte, mais le fait que certaines choses peuvent donner « à » penser et créer des résonances pour que l’esprit du lecteur et du spectateur se mette à créer de libres associations. Les fleurs, c’est parti du fait que souvent à cette époque (mi-fin 18e), les nobles étaient des gens qui n’avaient absolument rien à faire et qui étaient servis pour tout. Leur sport préféré c’était la promenade, c’était le début du romantisme, du rapport à la nature. Il me fallait trouver du mouvement, car je voulais pouvoir faire des plans-séquences. Alors je me suis dit que la composition florale, un art au Japon, était une sorte de hobby qui lui allait bien, parce qu’évidemment les fleurs sont riches d’interprétations possibles. LD : Madame de La Pommeraye est un personnage très diabolique. Cependant lorsqu’elle est en communion avec les fleurs on ressent beaucoup de tendresse… EM : Elle est diabolique, et en même temps elle est très sensible! J’ai essayé de faire en sorte que l’on s’y attache et que l’on s’y reconnaisse, tout le long du film. Pour moi, le fait d’avoir un désir de vengeance, d’être piqué dans l’orgueil, de se sentir mal aimé, le fait d’éprouver du ressentiment c’est quelque chose qui nous arrive à tous, même si ce ne sont pas des sentiments nobles. Ce qui est intéressant, c’est que, partant d’un sentiment « non noble », elle est magistrale dans sa vengeance. C’est pour elle, une réussite malheureuse et pour le marquis un échec heureux. Je voulais quand même faire le portrait d’une femme qui est avant tout dévorée par une passion amoureuse. De toujours garder cette marque sensible… LD : Celle de l’amour et de la tristesse? EM : Voilà ! LD : En parlant de film d’époque, pensez-vous que ce genre de film ainsi que le film de costume est en train de revenir en force, autant auprès du public que des distributeurs ? EM : Je peux vous dire que non. On a eu beaucoup de difficultés. Ça n’a pas du tout été évident auprès des télés de montrer/ monter le film. Peut-être prochainement? LD : On voit récemment, comme dans Un peuple et son roi pré-
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Cinémania
senté à Cinémania ou dans un registre encore plus comique Le retour du héros avec Jean Dujardin, que ce genre revient peu à peu à la mode alors que dans les années passées il s’était un peu… estompé? Vous en êtes content, indifférent? EM : Indifférent. (Rires, ndlr) Non, non, je n’ai aucun avis làdessus.
dit maternel dit féminin, donc je conçois derrière les mots d’Anatole France un rapport amoureux puisque c’est par la langue qu’on touche le monde et les choses. Je crois que c’est Lacan qui disait : « On ne voit que les couleurs que l’on sait nommer. » Et d’une certaine façon, c’est en nommant des nuances, en nommant des choses que ça
« Pour moi, il y a quelque chose d’assez rassurant dans la parole au cinéma. La parole rythme le film et nous lie affectivement » LD : Anatole France disait que : « La langue française est une femme. Et cette femme est si belle, si fière, si modeste, si hardie, touchante, voluptueuse, chaste, noble, familière, folle et sage. Qu’on l’aime de toute son âme et qu’on n’est jamais tenté de lui être infidèle. » Pourrait-on en faire une description métaphorique de votre film? EM : Hier on me posait des questions par rapport au festival francophone, ce que cela voulait dire. Moi je ne suis pas quelqu’un de multilingue, ni même vraiment de bilingue. Le rapport à la langue française est donc un rapport maternel. Qui
nous les fait apparaître. Et c’est là où la langue peut aussi nous révéler le monde. Donc oui […]. En faisant le film, ce n’est pas tant un amour, quelque part, de la langue, que celui de la parole. Pour dire la vérité : une grande partie des cinéastes que j’admire sont des cinéastes étrangers. Je ne dis pas tous, mais une grande partie. Le français me rattache au cinéma en tant que réalisateur. En tant que spectateur, non. Je ne cherche pas particulièrement les films français. Je dirais que c’est plutôt quelque chose qui est autour de la parole. (…) Souvent, dans les premiers films, on a peur des paroles, on ne parle pas. Les
premiers films sont peu dialogués à cause de cette peur et de conseils bêtes qui disent qu’il faut faire dire au personnage le plus de choses, en le moins de mots possible. Ce qui est complètement insensé. Pour moi, il y a quelque chose d’assez rassurant dans la parole au cinéma. La parole rythme le film et nous lie affectivement. Le lieu du cinéma est dans ce qu’on ne voit pas. C’est là où notre imaginaire est convoqué. Pour l’enfouir, on utilise « le hors-champ », « l’ellipse » et ce qu’il y a derrière le regard des personnages, tout ce qu’on peut supposer… Derrière les mots entendus, derrière la voix, l’intention et j’en passe, il y a surtout « le mot ». Chacun a sa relation aux mots, sa relation la plus personnelle et la plus intime. L’image, elle, montre. Les images les plus fortes sont celles qui cachent et non pas celles qui montrent. Les mots appellent notre intimité, donc je pense que la parole, pour finir, est extrêmement cinématographique. (…) J’ai mis du temps à comprendre cette dimension du cinéma. x
Propos recueillis par Thomas Volt
Contributeur
culture
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Cinéma
Paris sous la révolution
iné ani cin man a ém i ani a a
Un peuple et son roi de Pierre Schoeller, en première nord-américaine. Thomas volt
Contributeur
«U
ne fresque ambitieuse sur la révolution française », ce sont dans ces termes simples mais tout à fait justes que le film a été présenté lors de sa première projection en Amérique du Nord. Un peuple et son roi, le nouveau film de Pierre Schoeller, est visuellement sublime mais accompagné d’un scénario légèrement trop
pointu. Dans un Paris ravagé par la colère du peuple, Louis XVI vit ses dernières heures. Le feu de la monarchie va bientôt s’éteindre. Après plus de six ans de travail et un budget titanesque qui atteint les 16 millions d’euros (soit 24 millions de dollars canadiens, ndlr), Pierre Schoeller nous dépeint une Révolution française prenant place entre le 9 avril 1789 et le 21 janvier 1793. Nous suivons la destinée d’un peuple, prenant
en figure de proue Basile (Gaspard Ulliel), un voleur de montres en extase devant Louis XVI (brillamment incarné par Laurent Lafitte), mais qui se voit emporté par la puissante vague révolutionnaire faisant rage dans les esprits et dans les rues de Paris. Il est accompagné de « l’Oncle » (Olivier Gourmet) et de Françoise (Adèle Haenel), deux « gens de peu », l’un est souffleur de verre, l’autre est lavandière. Ils se retrouveront, grâce à leurs idéologies communes, entourés d’une ribambelle de personnages, à combattre pour la liberté et l’égalité. Des personnages à n’en plus finir
capture du film
Le film, caractérisé par un casting de très haut niveau et d’une direction d’acteur millimétrée, met en avant des grands du cinéma. Laurent Lafitte joue un roi touchant, frôlant la perfection par son interprétation et donnant, lors de ses rares apparitions, un sentiment de compassion intense, presque démesuré. Cependant la réalisation pose un problème de compréhension. Raconter trois ans de combats
avec précision tout en mettant en avant des figures de cette révolution comme Robespierre (Louis Garrel) ou Marat (Denis Lavant) n’est pas évident. Dans l’infinité de personnages, les principaux ne se distinguent pas réellement. Françoise, Basile ou encore l’Oncle se mêlent, par moments, à un flot de personnages secondaires qui n’apportent que peu à l’histoire. Alors que notre œil devrait suivre avec émotion la colère d’un peuple opprimé en pleine révolution et leur combat pour la liberté, il ne désire qu’une chose : voir de nouveau apparaître à l’écran le roi, Louis XVI. Les femmes à l’honneur La représentation des femmes et leur implication dans la Révolution française, qui est souvent trop peu reconnue, est habilement mise en avant. Les personnages féminins, comme la Reine Audu (Céline Salette), sont des femmes de caractère qui, bien plus que les hommes d’ailleurs, mènent cette révolution avec courage et fierté, affirmant leur force et leur unité devant un peuple
majoritairement masculin. C’est un véritable plaisir de voir les figures cachées de la révolution enfin dévoilées au grand jour. La Révolution à deux visages Sans longueurs, le film s’avère fortement intéressant puisqu’il met en avant des scènes peu connues de la Révolution française. Cependant il vient à devenir trop précis et trop ambitieux. Un peuple et son roi, est une fresque représentant brillamment cette période charnière, mais qui peine à faire ressortir pleinement ses personnages. Son scénario historiquement trop précis fait perdre au spectateur le fil conducteur du film. Le film n’est en fait qu’un survol de ces quatre ans de soulèvement. Le réalisateur se focalise souvent sur des moments trop peu intéressants. Il laisse de côté certaines scènes marquantes, comme les affrontements entre le peuple et l’armée du roi. Le réalisateur nous laisse donc avec deux sentiments : le désir d’en voir plus et la déception d’en avoir trop vu. x Un peuple et son roi sortira au printemps 2019 au Québec.
littérature
Moi aussi je voulais l’emporter
Julie Delporte nous montre qu’auteur et dessinateur s’accordent aussi au féminin. Fanny devaux
Contributrice
J
ulie Delporte a été nominée au prix ACBD de la bande dessinée québécoise 2018 pour Moi aussi je voulais l’emporter. Elle y écrit : « J’en ai un peu marre d’admirer les hommes je crois, je ne veux plus aimer (regarder en boucle) ce cercle de poètes dont je ne fais pas partie. » Avec ce roman graphique, elle ne se crée pas une place dans le cercle de poètes. Plutôt, elle ouvre un nouveau champ composé de couleurs pastel et d’écriture en attaché, unique, original. Sa nomination au prix ACBD en atteste : son style occupe désormais une place majeure dans le paysage de la bande dessinée québécoise. Doux oxymore « À quel âge ai-je commencé à me sentir flouée d’être une fille? ». La question est en suspens sur la première page du roman graphique, à côté d’un dessin de l’auteure enfant, baignant dans un ciel bleu et lumineux. Commence alors un doux voyage au fil des crayons de
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culture
couleur. Un roman d’oxymores, qui trouve sa justesse dans le fil tendu entre mélancolie et violence. Sur un ton autobiographique, l’auteure nous emmène avec elle sur les traces de Tove Jansson, bédéiste finlandaise du 20ème siècle ayant connu un succès fulgurant avant de s’exiler sur une île avec sa compagne pour y peindre loin de la gloire. Entre identification au parcours de Tove Jansson et questionnements sur sa propre enfance, Julie Delporte articule les mots et les couleurs pour dénoncer la violence d’être une fille, à laquelle succède la violence d’être une femme. Le masculin l’emporte Le titre du roman graphique cristallise le sexisme de nos règles de grammaire. À l’intérieur du roman, elle dessine un tableau noir, sur lequel est écrit, en blanc et en attaché « Ça fait mal les règles de grammaire ». La dénonciation est d’autant plus forte que le sexisme inhérent à nos mots se traduit encore plus cruellement dans nos univers graphiques. Le monde de la bande dessinée est dominé par des représentations masculines
du monde. Selon l’Association des Critiques de Bande-Dessinée, les hommes représentent presque 90% des auteur·e·s de bande dessinée. Dès lors, les femmes, lorsqu’elles sont faites personnages de bande dessinée, ont le choix entre être objectivées ou être invisibilisées. Faire-valoirs d’un héros masculin, systématiquement sexualisées ou simplement absentes d’intrigues pensées par et pour des hommes. Depuis 2013, Julie Delporte est membre du collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme. Plus de 250 dessinatrices unies pour témoigner sur leur expérience dans l’industrie de la bande-dessinée. Dans Moi aussi je voulais l’emporter, Julie Delporte se réapproprie sa place en tant que femme dans la société, mais participe aussi à une lutte plus large contre le sexisme dans l’industrie de la bande dessinée. Dans Moi aussi je voulais l’emporter, Julie Delporte s’accorde au féminin en se réappropriant la poésie des poètes et le dessin des dessinateurs. Elle est une poétesse, elle est une dessinatrice. x
courtoisie des éditions pow wow
le délit · mardi 13 novembre 2018 · delitfrancais.com
entrevue
Partage linguistique et culturel La Maison de l’amitié crée des liens communautaires par l’enseignement des langues. evangéline durand-allizé
Éditrice Culture
A
u cœur du Plateau, entre coiffeurs pour hipsters et bars karaoké, le numéro 120 de la rue Duluth abrite les locaux d’une inspirante initiative de partage culturel et linguistique : la Maison de l’amitié. Fondé en 1974 à l’initiative d’un groupe mennonite, alors que le Plateau était encore un quartier défavorisé de Montréal, ce centre communautaire se donne pour mission de favoriser l’intégration sociale des personnes immigrantes et marginalisées ainsi que le développement de l’esprit d’entraide et l’engagement dans la collectivité. Pour cela, la Maison a développé de nombreux et divers projets : d’abord une garderie, un centre de soutien juridique pour les nouveaux·elles arrivant·e·s de Montréal, puis un refuge pour les demandeur·se·s d’asiles, le brassage des activités s’est organisé au gré des besoins locaux. Les cours de langue ont commencé à la fin des années 1980, d’abord avec le français, pour ceux et celles qui n’étaient pas éligibles aux programmes d’enseignement gouvernementaux. Au fil des années, la Maison a étendu les cours de son programme à l’anglais, l’espagnol et le mohawk, tous offerts par des bénévoles désireux·ses de participer à un échange culturel et à l’intégration des communautés locales. Afin de comprendre cette initiative de partage culturel, le Délit a rencontré Dora-Marie Goulet, coordonnatrice du programme de langues du centre, ainsi que Lorène de
Gouvion, enseignante bénévole à la Maison de l’amitié. Une communauté solidaire Les insuffisances gouvernementales en matière d’enseignement du français ont une influence directe sur le flux de gens qui se présentent : la variation du financement attribué au programme de francisation modifie l’afflux annuel des demandes, et la taille de la liste d’attente. Le centre communautaire a de toute évidence un rôle essentiel à jouer dans le soutien et le développement de la francophonie, ainsi que dans l’insertion des demandeur·se·s d’asile et des personnes défavorisées au Québec. Mais au-delà de l’insertion linguistique, « l’une des forces du programme de la Maison, c’est la création d’amitiés et de liens entre des personnes d’origines très diverses, le partage solidaire entre enseignant·e·s et étudiant·e·s, résident·e·s canadien·ne·s et étranger·ère·s », explique Dora-Marie Goulet. Aujourd’hui, le projet de la Maison se découpe en plusieurs activités : les cours de langue, mais aussi une résidence étudiante, un marché fermier, des événements d’été, un groupe de danse, un local d’art sur Duluth, et des partenariats avec d’autres organismes tels que Récits
Croisés, qui organise des distributions alimentaires. Le but est de créer une communauté solidaire, l’ensemble des cours de langue étant un moyen parmi d’autres. Car malgré son embourgeoisement, le Plateau-MontRoyal compte toujours une large population à faible revenu, qu’il s’agisse de personnes âgées, de familles monoparentales, de minorités visibles, ou encore un taux toujours croissant de personnes itinérantes. Fidèle à sa mission, la Maison de l’amitié continue de s’adapter à la conjoncture sociale et aux besoins de la population du quartier, et à moduler ses services et ses activités en conséquence. Un échange bilatéral Étendre ses cours à d’autres langues a permis à la Maison de dépasser les objectifs d’intégration par la francisation. DoraMarie explique : « Dans les années 2000, nous avons remarqué que les enseignant·e·s bénévoles avaient aussi à recevoir des élèves. Dépassant un apport unilatéral, diversifier les cours nous a permis de rééquilibrer le rapport hiérarchique, et les bénévoles peuvent aujourd’hui librement suivre les cours qu’ils ou elles souhaitent ». Ainsi, la moitié des étudiant·e·s de la Maison étant hispanophones, et la demande de cours d’espagnol au Québec étant importante, la Maison ouvre
« Dépassant un apport unilatéral, diversifier les cours nous a permis de rééquilibrer le rapport hiérarchique »
son propre programme d’enseignement. La « communauté solidaire » prend alors plus de sens : la Maison devient un véritable lieu de partage et échange de culture, de connaissance et de moments. En 2008, avec la création de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, dont l’objectif est de documenter l’his-
une multitude de gens différents, pas de mon âge, et pas de mon université. J’avais le sentiment de recevoir plein de choses à l’université sans jamais rendre en retour, et j’avais peur de repartir de Montréal après quatre ans d’études sans m’être véritablement impliquée hors de McGill. La Maison de l’amitié m’a permis d’apporter quelque chose à la communauté locale, tout en
« la variation du financement attribué au programme de francisation modifie l’afflux annuel des demandes, et la taille de la liste d’attente » toire et l’impact des internats pour Autochtones au Canada, le directeur de la Maison de l’amitié cherche une manière de participer à la reconnaissance et la diffusion culturelle et linguistique des terres autochtones sur laquelle se trouve la Maison. En 2013, profitant du rayonnement de ses cours de langues, la Maison décide alors d’offrir des cours de mohawk. Le programme ne comporte aujourd’hui qu’un niveau débutant, mais le centre espère pouvoir étendre les cours vers un enseignement plus avancé.
rencontrant des personnes originaires du monde entier, et en recevant des cours d’espagnol avant de partir au Chili. » Les cours dispensés à Maison de l’amitié sont ainsi pour elle une manière de faire vivre des classiques de la culture francophone : « des chansons de Jacques Dutronc, des textes du Petit Prince, tout un tas de choses de la culture francophone qu’il me fait plaisir de partager », recevant en retour les enseignements et anecdotes des autres cours auxquels il lui est permis d’assister.
Enseigner à la Maison
Au-delà d’une activité de bénévolat, l’enseignement est pour Lorène un vrai défi personnel : « On nous demande de parler uniquement en français, les cours débutants sont alors vraiment difficiles, car il faut trouver des moyens d’expliquer des exercices quand bien même les consignes leur sont inintelligibles. C’est un vrai challenge personnel ». Et la satisfaction du partage ne s’arrête pas là : « En plus, nous sommes payé·e·s en pots de confitures faites maison ! »
Lorène, étudiante française à l’université McGill et bénévole à la Maison de l’amitié trois heures par semaine, partage son expérience de la Maison : « J’ai commencé à faire du bénévolat à la Maison de l’amitié en deuxième année, afin de rencontrer
Commentw participer ? Il y a plusieurs façons de participer au projet de la Maison de l’amitié. La première, selon Dora-Marie Goulet, est de s’inscrire en tant qu’enseignant·e du français de manière bénévole. Mais des mains seront plus qu’utiles à l’aide administrative, pendant les grandes journées de l’été, au marché fermier — tous les programmes sont accessibles, et toutes les aptitudes sont les bienvenues. Dans tous les cas, « la première qualité requise, c’est la bonne volonté ! » x Pour s’engager ou en apprendre plus sur la Maison de l’amitié, rendez-vous sur le site de la Maison : www.maisondelamitie.ca
le délit · mardi 13 novembre 2018 · delitfrancais.com
culture
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Entrevue
Midterms 2018 : Ce qu’on en retient Rencontre avec le professeur Norman Cornett pour discuter des élections américaines.
A
ux États-Unis, le 6 novembre dernier, des millions d’Américain·e·s se sont rendu·e·s aux urnes pour voter aux élections de mi-mandat afin d’élire les nouveaux membres des deux grands corps législatifs; la Chambre des représentants et le Sénat. La Chambre des représentants est maintenant à majorité démocrate, tandis que le Sénat reste majoritairement républicain. Le Professeur Norman Cornett, ancien professeur en études religieuses à McGill, nous livre son analyse des résultats. Le Délit (LD) : Vous avez qualifié les élections américaines de mi-mandat de « prometteuses », notamment grâce aux victoires du Parti démocrate; en quoi leurs résultats sont-ils positifs? Prof. Norman Cornett (NC): Selon moi, le grand gagnant de ces élections de mi-mandat, c’est la démocratie. D’abord, concernant le taux de participation : plus de trente millions de personnes ont voté par anticipation! C’est sans précédent. Ces élections de mimandat ont énergisé l’électorat américain de façon exceptionnelle, du côté républicain comme du côté démocrate. Souvent, on assiste à une sorte d’apathie ou de lassitude quant à la participation démocratique, on pense : « si je vote, quelle différence ça fera... » Mais ça fait une grande différence! La marge entre la victoire et la défaite est si mince aujourd’hui que chaque vote compte. Donc, moi qui n’appuie pas le discours de Donald Trump, j’admire tout de même le fait que les Américains et Américaines participent à la démocratie, à une échelle tout à fait unique. L’on a aussi démontré, suite à des analyses, que les grandes chaînes télévisées ont eu un taux d’écoute, là encore, tout à fait inattendu. Que l’on aime Donald Trump ou non, l’avantage de quelqu’un comme lui, c’est qu’il enflamme les gens de sorte qu’ils insistent pour voter. Les enjeux qu’il soulève, et sa personnalité même qui est plus grande que nature, ont mobilisé la démocratie américaine. Il faut aussi souligner le nombre de femmes qui se sont présentées et qui ont gagné. Parmi elles, deux femmes musulmanes, ce qui est super, une femme issue des Premières Nations, sans mentionner les personnes transgenres, ou ouvertement homosexuelles, élues... C’est tellement prometteur pour la démocratie américaine. C’est d’ailleurs ça l’ironie :
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Entrevue
alexis fiocco
« Que l’on aime
Donald Trump ou non, l’avantage [...], c’est qu’il enflamme les gens de sorte qu’ils insistent pour voter » quelqu’un qui est aussi autoritaire et démagogue que Donald Trump a insufflé une nouvelle vie à celleci ; les gens se rendent compte que ce qu’ils font, les gestes qu’ils posent, font une différence. LD : Peut-on donc interpréter de manière pertinente des résultats d’élections, autrement qu’en ne considérant que les élu·e·s? NC : Tout à fait. Parce que dans certains états où des démocrates progressistes n’ont pas forcément gagné, comme Beto O’Rourke au Texas, la course était si serrée. Il est évident qu’il y a une nouvelle génération de candidats démocrates prophétiques, en quelque sorte, du penchant que va prendre le parti démocrate. C’est prometteur, parce que ce sont des jeunes, différents, Beto O’Rourke parle couramment l’espagnol par exemple, il a su rassembler les afro-américains, les hispaniques... Donc même s’il a perdu, il a « gagné » ; il n’était auparavant qu’un simple représentant d’une circonscription bien modeste au Texas, alors qu’il est maintenant un personnage national. Sur cet élan, il peut maintenant contribuer à ce mouvement progressiste des socio-démocrates américains. LD : Selon vous, à quoi devrionsnous nous attendre quant à l’attitude des démocrates, maintenant majoritaires au sein de la Chambre des représentants?
NC : Cette victoire est très importante, tout d’abord parce que la destitution passe par la Chambre des représentants. Et il ne faut pas se tromper; il y a bien des gens qui visent la destitution de Donald Trump. Deuxièmement, tous les chefs des comités de la Chambre des représentants sont maintenant démocrates. On peut donc être certain qu’à chaque fois que Donald Trump essaiera d’outrepasser la présidence, on va le circonscrire, le limiter dans son pouvoir exécutif. Mais il ne faut absolument pas sous-estimer sa force de frappe politique. Le New York Times, le Washington Post, pas des amis de Donald Trump, parlent maintenant de « trumpisme», et ils ont raison; Donald Trump est selon moi aussi révolutionnaire que Ronald Reagan, et va même encore plus loin dans le mouvement conservateur. Il y a un dicton en science politique, du penseur anglais Lord Acton : « Le pouvoir a tendance à corrompre, le pouvoir absolu corrompt absolument ». Donald Trump veut tout concentrer dans la Maison Blanche, c’est évident, mais une force centrifuge va maintenant s’exercer au sein de la Chambre des représentants, et miner ce pouvoir absolu. Les démocrates demandent déjà aux autorités de garder tous les documents qui concernent Donald Trump, et ils font bien, puisqu’ils pourront maintenant prouver ses machinations. Plus personne ne peut se boucher les oreilles, et les démocrates risquent de devenir très militants. Donald Trump veut renforcer sa présidence ; eux cherchent au contraire à atteindre un véritable équilibre entre les trois branches du pouvoir. Les élections de mi-mandat sont très importantes puisque c’est
il est normal qu’un président au pouvoir perde aux élections de mi-mandat, cela fait partie des normes politiques américaines. LD : En quoi les résultats de ces élections peuvent-ils nous toucher, ici au Québec? CD : Il y a déjà évidemment le protectionnisme de Donald Trump, qui a livré une dure bataille à Justin Trudeau; au sujet des échanges, de l’ALENA, et tout cela. Si l’on parle du Québec, il est certain que François Legault, et la CAQ, ont emprunté un modèle d’affaires pour la politique, tout
Acton ; Trump ne vise rien de moins que le pouvoir absolu, y compris à l’égard de la liberté d’expression. C’est un grand danger. Ce n’est pas pour rien qu’il s’en prend constamment aux médias ; ce qui l’intéresse, c’est de soulever les foules. Tout ce discours émotionnel, passionné, ça mobilise. Mais la presse, c’est le cinquième état ; ils vont tenir bon. Le Washington Post a une équipe incroyable, spécialement pour tenir tête à Donald Trump, c’est pareil pour le New York Times. Et je pense que les démocrates vont agir.
« Est-ce qu’on a sacrifié l’objectivité dans les médias ? » comme aux États-Unis. On a élu Trump en partie à cause de ce que j’appelle le « messianisme économique », c’est-à-dire cette croyance que le succès en affaires représente une clef, voire la pierre angulaire de la bonne gouvernance. C’est certes un atout, mais on ne peut pas appliquer le modèle d’affaires de façon indiscriminée à la gouvernance, puisque la réussite financière individuelle ne constitue pas une panacée pour la société dans son ensemble. C’est pourtant très intéressant ; l’économie américaine va très bien. Le chômage est au plus bas depuis des années!
« On ne peut appliquer le modèle d’affaire de façon indiscriminée à la gouvernance »
Mais Donald Trump sait que ce n’est pas de parler de statistiques qui va enflammer les foules, il est très intelligent sur le plan de la publicité. Son génie machiavélique, c’est de parler de l’altérité, de l’Autre, de la menace et du danger, c’est ce qui soulève réellement les passions, et ce qui explique son succès. Il faudra donc que les démocrates démontrent qu’on peut être autant américain en étant sociodémocrate, qu’en étant républicain. Trump a réussi à convaincre assez de gens qu’être américain, c’est être républicain, et qu’être républicain, c’est être trumpiste. Il y a ce réductionnisme dans son discours, et la simplicité se vend extrêmement bien.
la première fois qu’à l’échelle de tous les États-Unis, les Américains peuvent dire, « voici ce qu’on pense du président actuel » . Mais justement, il est normal que le parti en opposition « gagne » aux élections de mi-mandat. Il faut donc rester réaliste ; certes, les républicains ont perdu bien des sièges, ce qui, à défaut d’être un tsunami, est au moins une vague (rires). Mais
LD : Jim Acosta, correspondant de CNN, s’est récemment fait bloquer l’accès à la Maison Blanche suite à des échanges houleux avec le président. On parle depuis d’atteinte à la liberté de presse; que pensezvous de cet enjeu, et comment défendre cette liberté fondamentale? NC : Je pense que les démocrates vont le faire. C’était interdit de faire une telle chose jusqu’ici. C’est pour cela que je citais Lord
Mais je crois aussi qu’il faudra quelqu’un d’aussi passionné que Donald Trump, avec un discours inverse sur la liberté de la presse, qui va pouvoir défendre ces libertés, avec toute son âme. Mais jusqu’ici, je ne vois personne d’aussi passionné, qui peut s’exprimer de façon si articulée, et qui peut convaincre les ÉtatsUnis qu’on parle d’une liberté fondamentale qui est en jeu, qui est un élément essentiel à toute démocratie en santé. Quand j’étais jeune, on écoutait les nouvelles pour avoir les faits, de façon objective. Lorsqu’on nous parlait de la guerre du Vietnam, on croyait les médias. Mais la donne a changé ; on voit que des grands médias, tels CNN, NBC, sont très clairement antiTrump ; mais l’on a aussi Fox News, qui épouse complètement son agenda politique. Est-ce qu’on a sacrifié l’objectivité dans les médias aux États-Unis? Je crois réellement que ces médias doivent se rendre compte de cet enjeu de parti pris. Si CNN dit que c’est noir, et Fox News dit que c’est blanc, que doit-on croire? Cette confiance était présente autrefois, mais il semble y avoir eu une sorte de crise de confiance dernièrement face aux journaux et aux médias. Et tous ces phénomènes de faits alternatifs, de fausses nouvelles, ce sont des questions foncières, presque philosophiques, auxquelles la démocratie américaine doit absolument s’adresser maintenant. x
Propos recueillis par
juliette de lamberterie
Éditrice Actualités
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le délit · mardi 13 novembre 2018 · delitfrancais.com