Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill
Mardi 29 janvier 2019 | Volume 108 Numéro 15
On mange sur nos visages depuis 1977
Éditorial
Volume 108 Numéro 15
Le seul journal francophone de l’Université McGill
rec@delitfrancais.com
Le fardeau de la contraception ne devrait pas reposer uniquement sur les épaules des femmes Lara Benattar et grégoire collet Le Délit
D
ans «La pilule contraceptive, un cadeau empoisonné?» (p 8-9), Juliane Chartrand énumère les effets secondaires parfois mortels de la pilule contraceptive. Elle dénonce le silence qui plane autour de ces effets : la prise de la pilule est vue comme un réflexe logique pour toute femme ayant des rapports hétérosexuels pour se prémunir contre le risque d’une grossesse non désirée. L’autrice met en lumière l’histoire de cette méthode contraceptive, montrant qu’elle émane notamment de volontés eugénistes. La pilule était au départ vue par certain·e·s comme «un moyen de limiter les naissances de certaines minorités ethniques». Par ailleurs, la prise de la pilule contraceptive est profondément dommageable pour l’environnement, menant à la diffusion dangereuse d’hormones dans les écosystèmes et affectant la reproduction d’autres animaux non-humains. Les méthodes contraceptives dans les pays occidentaux comme le Canada sont pourtant bien plus diverses que la doxa nous le laisse croire. Lorsque l’on se renseigne sur les modes de contraception masculine, le contraste avec le panel proposé aux femmes est frappant (p. 9). Les deux solutions préconisées par les médecins sont celles du préservatif, qui n’est pas forcément un réflexe uniquement masculin, et de la vasectomie. Cette dernière ne s’adresse quasiment pas à un public d’hommes jeunes qui ne sont souvent pas en mesure de prendre une décision aussi permanente. Des communautés scientifiques s’intéressent à la question d’une pilule contraceptive masculine. Présentant aussi des effets secondaires chez les hommes ayant participé aux essais cliniques, le contraceptif tarde à être commercialisé. D’autres moyens, comme les injections hormonales, existent et sont reconnus comme efficace par des organismes compétents. Cependant, ces moyens ne connaissent pas la visibilité et le finance-
ment dont ils pourraient bénéficier. Un élargissement de l’offre contraceptive masculine semble nécessaire afin que les hommes intègrent le rôle prépondérant qu’ils ont dans leurs relations hétérosexuelles. Selon les témoignages des membres de la rédaction du Délit ayant fait leur scolarité dans des écoles publiques et privées au Québec et en Nouvelle-Écosse, les cours d’éducation sexuelle dispensés sont lacunaires - voire dogmatiques - en terme de contraception. On raconte que l’on fait apprendre par cœur aux élèves les pourcentages d’efficacité des différentes méthodes de contraception féminine. Il semble que cette méthode d’apprentissage ne favorise pas la formation d’un regard critique sur les effets, les origines et les enjeux sociétaux entourant les méthodes contraceptives. D’autres racontent aussi que l’abstinence était promue comme la méthode la plus efficace de contraception, laissant planer un doute quant à l’honnêteté intellectuelle des professeur·e·s en question. Aucun·e ne se souvient avoir entendu qu’il existe des méthodes de contraception masculines autres que le préservatif. L’idée que la responsabilité de la contraception ne repose pas uniquement sur les épaules des femmes ne semble pas avoir été envisagée dans les cours reçus par les membres de la rédaction. En l’absence d’une éducation sexuelle nuancée et informée, il faut se demander si le corps médical québécois remplit sa mission d’information des patient·e·s quant aux avancées médicales. Présente-t-on aux Québécois·e·s l’éventail des méthodes de contraception masculines et féminines existantes? La sous-représentation du genre féminin dans le monde scientifique et les formations insuffisantes que les médecins reçoivent en matière de contraception sont en ce sens profondément problématiques.
Que la pilule contraceptive féminine soit souvent présentée comme l’unique méthode contraceptive valable - et que les effets secondaires soient souvent passés sous silence ou vus comme un mal nécessaire - nous semble être le symptôme d’un sexisme encore patent. L’idée que seules les femmes doivent prendre la responsabilité de la contraception, avec toutes les contraintes physiques et la charge mentale qu’elle implique, apparaît évidente lorsqu’on lit entre les lignes. Nous estimons urgent que cette pensée évolue et que les options masculines soient systématiquement exposées dès le plus jeune âge et proposées aux hommes ayant des relations sexuelles hétérosexuelles. Pouvoir contrôler sa fertilité à l’aide de la pilule contraceptive est-elle alors une marque d’autonomie? Dans cet esprit, Natalie Stoljar, professeure de philosophie à McGill, écrit que l’intuition féministe consiste à remettre en doute l’autonomie des femmes lorsqu’elles prennent des décisions dans un contexte où les normes sociétales sont sexistes et oppressives. Si la pilule contraceptive comporte autant de risques pour la santé et que les autres méthodes masculines ne sont presque jamais connues et financées, pouvons-nous vraiment affirmer que les femmes qui décident de la prendre prennent une décision autonome? Arborée comme un symbole de l’émancipation féminine dans de nombreux pays occidentaux comme le Canada, la pilule contraceptive est en fait toujours liée à des dynamiques sociétales profondément sexistes. Plutôt que d’évaluer le « développement» des sociétés non-occidentales à l’aune de l’accès des femmes à la pilule contraceptive dans un esprit néo-colonial, il vaudrait mieux examiner nos propres pratiques afin de tendre vers un modèle sociétal où la responsabilité de la contraception et de la grossesse pourrait progressivement être mieux partagée. x
RÉDACTION 2075 Boulevard Robert-Bourassa, bureau 500 Montréal (Québec) H3A 2L1 Téléphone : +1 (514) 398-6784 Rédactrice en chef rec@delitfrancais.com Lara Benattar Actualités actualites@delitfrancais.com Juliette De Lamberterie Rafael Miró Violette Drouin Culture artsculture@delitfrancais.com D’johé Kouadio Audrey Bourdon Société societe@delitfrancais.com Opinion - Grégoire Collet Enquêtes - Antoine Milette-Gagnon Philosophie philosophie@delitfrancais.com Simon Tardif Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com Niels Ulrich Coordonnateur·rice·s visuel visuel@delitfrancais.com Iyad Kaghad Béatrice Malleret Multimédias multimedias@delitfrancais.com Vincent Morreale Coordonnatrices de la correction correction@delitfrancais.com Mélina Nantel Emma Raiga-Clemenceau Webmestre web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Coordonnateur·rice·s réseaux sociaux reso@delitfrancais.com Lucile Jourde Moalic Paul Llorca Contributeurs Augustin Décarie, Juliane Chartrand, Virginie Simoneau-Gilbert, Prune Engerant, Anja Helliot, Marie-Hélène Perron, Gabrielle Leblanc-Huard, Alexandre Justras Couverture Iyad Kaghad Béatrice Malleret BUREAU PUBLICITAIRE 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 0E7 Téléphone : +1 (514) 398-6790 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Représentante en ventes Letty Matteo Photocomposition Mathieu Ménard The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Lydia Bhattacharya Conseil d’administration de la SPD Lydia Bhattacharya, Boris Shedov, Nouèdyn Baspin, Julian Bonello-Stauch, Juliette De Lambertine, Iyad Kaghad, Phoebe Pannier et Sébastien Oudin-Filipecki (chair)
Les opinions exprimées dans les pages du Délit sont celles de leurs auteur·e·s et ne reflètent pas les politiques ou les positions officielles de l’Université McGill. Le Délit n’est pas affilié à l’Université McGill. L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Les opinions de nos contributeurs ne reflètent pas nécessairement celles de l’équipe de la rédaction. Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavant réservés). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans le journal. Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).
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le délit · le mardi 29 janvier 2019 · delitfrancais.com
Actualités actualites@delitfrancais.com
Divest McGill accroît sa présence Une initiative hebdomadaire vise à faire augmenter la visibilité du groupe. La Société des publications du Daily recueille des candidatures pour son conseil d’administration. La presse étudiante vous passionne, et vous souhaitez contribuer à sa pérennité et à son amélioration? Est-ce que la gouvernance, les règlements et l’écriture de propositions sont votre tasse de thé? Dans ce cas, vous devriez envisager de soumettre votre candidature pour le Conseil d’administration de la Société des publications du Daily.
iyad kaghad violette drouin
Conserver le momentum
L
Un sous-comité du Conseil des gouverneurs de McGill a indiqué en novembre, dans un rapport soumis par Divest McGill, qu’il allait reconsidérer sa réponse de 2016, où ceux-ci recommandaient au Conseil de ne pas désinvestir ses fonds. C’est donc dans l’espoir de démontrer une forte volonté de désinvestissement de la part de la communauté mcgilloise que Divest entreprend les Vendredis sans énergies fossiles (Fossil Free Fridays, en anglais, ndlr). Ayant déjà le soutien de plusieurs facultés et organismes du campus, le groupe espère qu’une plus grande présence sur le campus pourra engendrer une réponse différente cette fois-ci.
Éditrice Actualités e groupe étudiant, qui fait campagne pour que McGill retire ses investissements placés dans des compagnies de carburants fossiles pour réinvestir cet argent ailleurs, se retrouvera tous les vendredis midi devant l’édifice des Arts. Cette initiative est inspirée d’un mouvement global, #FridaysforFuture (vendredis pour l’avenir, nldr), dans le cadre duquel des jeunes sautent leurs cours chaque vendredi pour participer à des manifestations, réclamant que leur gouvernement agisse face aux changements climatiques. Le mouvement est né en Suède récemment, où Greta Thunberg, une activiste de 16 ans, a commencé à passer chaque vendredi assise devant le Parlement, à Stockholm, afin de demander des actions plus importantes en ce qui concerne la lutte contre les changements climatiques. Divest McGill, à son tour, cherche à « faire prendre conscience à tout le
« Le groupe espère que durant les semaines à venir le mouvement prendra de l’ampleur » monde sur le campus que Divest a une présence », selon Freya Lambrecht, l’une des membres du groupe.
Divest McGill dit aussi être insatisfait de l’échéancier accordé par le Conseil des gouverneurs au sous-comité : le Conseil a indiqué une volonté de recevoir une recommandation en décembre 2019, mais aucune résolution formelle n’a encore été adoptée. « Ça pourrait prendre aussi longtemps qu’ils le veulent » indique Freya Lambrecht, une membre de Divest rappelant que « la science nous indique que nous devons agir aussitôt que possible ».
étudiants n’étaient que cinq ou six à la fois, le groupe espère que durant les semaines à venir le mouvement prendra de l’ampleur. Plusieurs passants ont exprimé leur intérêt, en faisant signe aux manifestants ou en s’arrêtant pour discuter.
« On appelle la communauté mcgilloise à être solidaire avec nous tous les vendredis entre onze heures et deux heures devant le Arts Building »
Un appel à la communauté
« Les changements climatiques sont si dangereux et présents, nous sommes en train de nous rappeler à nous-mêmes que ça vaut la peine de prendre une pause de vos responsabilités... pour s’assurer que nous agissons maintenant », a insisté l’une des membres de Divest McGill, Talia MartzOberlander, encourageant les étudiant·e·s intéressé·e·s à revenir la semaine suivante.
Le vendredi 25 janvier, une dizaine de membres de Divest McGill se sont relayés malgré le froid, tenant des pancartes clamant, entre autres, que « McGill mérite un avenir durable ». Même si les
Morgen Bertheussen résume : « On appelle la communauté mcgilloise à être en solidarité avec nous tous les vendredis entre onze heures et deux heures devant le Arts Building ». x
le délit · mardi 29 janvier 2019 · delitfrancais.com
Les administrateurs.trices de la SPD se rencontrent au moins une fois par mois pour discuter de l’administration du McGill Daily et du Délit, et ont l’occasion de se prononcer sur des décisions liées aux activités de la SPD. Les membres du conseil peuvent aussi s’impliquer dans divers comités, dont les objectifs vont de la levée de fonds à l’organisation de notre série annuelle de conférences sur le journalisme. Les postes doivent être occupés par des étudiant.e.s de McGill dûment inscrit.e.s à la sesson d’hiver 2019 et en mesure de siéger jusqu’au 30 juin 2019, ainsi qu’un.e représentant.e des cycles supérieures et un.e représentant.e de la communauté.
Pour déposer votre candidature, visitez
dailypublications.org/how-to-apply/?l=fr Questions? Écrivez à chair@dailypublications.org pour plus d’info!
Le Délit et The McGill Daily sont à un nouvel endroit sur le campus! Retrouvez-nous au: 680 rue Sherbrooke O., Bureau 724 Crédit photo : Jeangagnon [CC BY-SA 3.0], de Wikimedia Commons
ACTUALITÉS
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montréal
Les montréalais·es se mobilisent Des centaines de manifestant·e·s se sont rassemblé·e·s pour dénoncer la violence genrée. Iyad kaghad
Coordonnateur photographie
J
ardin Gamelin - 12h00. Des centaines de femmes et d’hommes bravent le froid glacial pour se réunir dans un seul but : affirmer que la situation des femmes dans le monde et des personnes en position de vulnérabilité demeure critique. L’année 2018 fut celle du #MeToo (#MoiAussi au Québec) et de plusieurs autres mouvements dénonçant des problèmes insoutenables et profonds dans nos rapports sociaux ; culture du viol, banalisation de gestes sexistes, revendications des droits des minorités et inégalités systémiques. Le constat est pourtant toujours là : les femmes sont encore en 2019 très largement en position de vulnérabilité vis-à-vis de leurs homologues masculins. La parole était libre. Plusieurs femmes
se succédaient sur la scène installée au parc Émilie-Gamelin. On pouvait entendre l’une d’entre elles affirmer : « Pour nous, mais aussi pour elles, il nous faut sortir de notre individualité et nous unir pour bâtir un avenir où l’égalité ne sera plus demandée, mais validée et confirmée à coup d’intersectionnalité ». Solidarité montréalaise Selon Dominique St-Jean, directrice régionale de la capitale nationale pour l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC), organiser une telle marche est plus que nécessaire aujourd’hui. Selon elle, les femmes sont toujours victimes de pressions violentes qui les vulnérabilisent nettement et ce, peu importe l’endroit où elles évoluent. Elle mentionne notamment les politiques mises en place par l’administration Trump, aux États-Unis.
Crédit photo
Nous pouvons notamment comparer ses propos à ceux de Marie-Cécile Naves, chercheuse à l’Institut des Relations Internationales et Stratégies en France (IRIS) qui critiquait en janvier 2018 les coupes budgétaires dans le système de santé, dans l’éducation et la culture. Ces décisions participeraient, selon elle, à la mise en péril des emplois dits « féminins », car il s’agit de secteurs majoritairement occupés par des femmes. Dominique St-Jean pointe également du doigt l’enjeu des violences spécifiquement adressées aux femmes
comme les féminicides, les inconduites sexuelles et autres sévices que celles-ci subissent de façon disproportionnée. Ce qu’il faut retenir selon elle, c’est la persistance, dans tout milieu social confondu, du désavantage systématique subi par la femme à cause de sa condition. Elle souligne quand même la position relativement bonne du Canada en matière de lutte féministe, mais que le but de la manifestation s’inscrit dans une solidarité pour une lutte globale. x photos par iyad kaghad
« Il faut [...] bâtir un avenir où l’égalité ne sera plus demandée, mais validée et confirmée à coup d’intersectionnalité »
« Le but de la manifestation s’inscrit dans une solidarité pour une lutte globale »
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campus
L’AÉUM ne s’oppose pas au gazoduc Malgré la signature du Pacte de solidarité, le Conseil refuse de condamner le projet. juliette de lamberterie
Éditrice Actualités
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ors du conseil législatif de L’AÉUM (Association Étudiante de l’Université McGill, SSMU en anglais, ndlr) du 24 janvier, les représentant·e·s ont voté presque à l’unanimité pour exprimer ouvertement, au nom de tou·te·s les étudiant·e·s, leur solidarité envers la communauté Unis’tot’en. Solidarité mcgilloise Le projet de construction du gazoduc Coastal GasLink supposé passer par le nord de la ColombieBritannique, ayant été approuvé par la Cour Suprême de la province en décembre 2018, a récemment fait beaucoup de bruit dans les médias. Le projet aurait été approuvé sans consultation des chefs héréditaires de la Première Nation Wet’suwet’en vivant sur le territoire, ce qui explique les rassemblements d’opposant·e·s ayant eu lieu sur place ainsi que dans plusieurs autres villes du Canada. Le 14 janvier dernier, des étudiant·e·s mcgillois·es se rassemblaient à l’intersection Y pour
témoigner leur soutien au camp Unis’tot’en, notamment suite aux confrontations violentes entre des membres du camp et de la Gendarmerie royale canadienne, ayant mené à plusieurs arrestations. Jeudi dernier, le sénateur d’Arts et Sciences Bryan Buraga a soumis au conseil législatif la motion de « se montrer solidaire avec le camp Unis’tot’en, et en opposition au pipeline de gaz naturel Coastal GasLink ». Cette proposition serait justifiée par un article de la constitution de l’AÉUM stipulant que « l’association s’engage à démontrer un leadership en ce qui concerne des enjeux de droits humains, de justice sociale et de protection environnementale ». La motion énonce aussi le fait que l’AÉUM se doit de communiquer sa position au ministre de la Justice du Canada et à la Ministre des Affaires autochtones et du Nord. Le commissaire aux Affaires autochtones, Tomas Jirousek, n’était pas présent lors du débat. Des conseiller·ère·s réservé·e·s Beaucoup de conseiller·ère·s ont affirmé ne pas vouloir approuver la deuxième partie de la motion,
mahaut engérant
soit celle mentionnant l’opposition à la construction du gazoduc. Le représentant de la Faculté de génie, Maxence Frennette, a déclaré : « 10% des étudiants que je représente étudient pour entrer dans l’industrie pétrolière, ce qui me met dans une position difficile, et ce qui m’empêchera de voter pour la motion si l’on garde la deuxième partie ». Une autre a soutenu que l’emploi futur de certain·e·s étudiant·e·s pourrait être mis en danger. La solution, pour eux, proposée par la conseillère Victoria Flaherty, serait donc d’amender
finalement été approuvé par la majorité. Jacob Shapiro, vice-président aux Affaires universitaires, s’est dit être extrêmement insatisfait par la décision: « La solidarité devrait aller au-delà des mots ». Imogen Hobbs, représentante de la Faculté d’Arts et Sciences, déclare que « l’on ne peut pas être à moitié solidaire avec quelqu’un […] Maintenant, la motion est vide, et elle n’a aucune signification et aucun pouvoir ». Buraga, ainsi que Shapiro, ont encouragé ceux ayant voté pour l’amendement à ne pas voter pour la motion. la motion en retirant la deuxième moitié de la phrase, en ne laissant qu’une affirmation de solidarité. Le vice-président aux Affaires internes, Matthew McLaughlin, a également montré son soutien quant à cette suggestion. Plusieurs étudiant·e·s se sont fortement opposé·e·s à cet amendement. Pour Buraga, se montrer solidaire et s’opposer au gazoduc sont deux positions inséparables : « Soit on est solidaire et on s’oppose au pipeline, soit on n’est pas solidaire du tout ». L’amendement a
Celle-ci a tout de même été approuvée par une grande majorité : l’AÉUM soutient donc officiellement Unis’tot’en. S’adressant au Délit, Buraga, malgré sa déception, s’est dit être « heureux que nous soyons tous capables d’être solidaires avec Wet’suwet’en, en signant l’engagement (Pledge to stand with Unis’tot’en, un pacte constitué de cinq points créé par Unis’tot’enet signé par plusieurs grandes organisations, ndlr), en harmonie avec les intentions de l’Alliance des Étudiants autochtones et le commissaire aux Affaires autochtones l’ont voulu ». x
national
Un nouveau guide alimentaire
Une nouvelle approche: transparence et interdépendence chez Santé Canada. comme une privation, mais comme une source de plaisir.
augustin décarie
Contributeur
L
e nouveau Guide alimentaire canadien, publié le 22 janvier, propose des recommandations officielles bien différentes du précédent en matière de nutrition et d’alimentation. Les groupes alimentaires ainsi que le système de « portions », pierres angulaires du précédent Guide publié en 2007, sont complètement évacués et laissent place à une approche plus simple, et moins comptable. Le Guide se décline en plusieurs conseils, comme « Savourez une variété d’aliments sains », « Limitez les aliments hautement transformés », « Faites de l’eau votre boisson de choix » ou encore « Cuisinez plus souvent ». En ce qui a trait au contenu de l’assiette, on recommande qu’un repas soit composé d’une moitié de fruits et légumes, d’un quart de protéines, d’un quart de céréales à grains entiers et d’un grand verre d’eau. Les aliments hautement
Tensions dans l’ agroalimentaire
santé canada transformés ou ceux à teneur élevée en sodium, en sucre et en gras saturés sont à proscrire. Toutefois, la différence la plus significative avec le précédent guide alimentaire est une approche qui se veut plus holistique. Il est évident que pour les créateurs du Guide, manger sainement ne se résume pas à consommer des aliments nutritifs. C’est aussi apprécier la préparation des repas, par-
le délit · mardi 29 janvier 2019 · delitfrancais.com
tager son expérience avec d’autres, prendre le temps de manger et savourer le produit de son labeur. On recommande aussi de consommer des mets qui sont en concordance avec sa culture et ses traditions alimentaires. On invite également les Canadiens à une introspection face à leur rapport à la nourriture ; on leur propose d’écouter leurs sensations de faim et de satiété afin d’éviter de surconsommer. Bref, bien manger ne devrait pas être vu
Il est à noter que les influents lobbys de l’industrie agroalimentaire ont été exclus du processus de rédaction du nouveau guide et que toute étude scientifique non indépendante a été rejetée, contrairement à ce qui se faisait auparavant. En conséquence, une place moindre a été accordée aux produits laitiers et aux protéines animales. Les jus de fruits perdent aussi leur réputation « santé » en passant de « portions de fruit » à « produits à éviter ». Ce processus plus transparent n’a pas plu aux grandes industries alimentaires canadiennes, particulièrement à l’industrie laitière qui perd son statut privilégié au sein du Guide. Les craintes des éleveurs canadiens sont tout à fait justifiées. En effet, au-delà du rôle normatif du Guide, les institutions publiques, comme les hôpitaux, les écoles publiques ou les centres de détention, devront
adapter leurs menus pour se conformer aux nouvelles recommandations fédérales. Enfin, le Guide met en garde les Canadiens contre l’influence considérable de l’industrie agroalimentaire et les incite à demeurer « vigilants » face au marketing alimentaire. Les auteurs du Guide ne voient définitivement pas d’un bon œil l’omniprésence du marketing alimentaire sur les réseaux sociaux, dans les films, à la télévision, sur Internet, et émettent même le souhait que les Canadiens réduisent leur exposition à ce type de publicité. Le nouveau Guide alimentaire canadien représente donc un changement de cap vers une alimentation plus végétale, au grand dam des éleveurs canadiens, et vers une conception plus profonde et plus large de la nutrition. Il reste toutefois à voir si la population canadienne accueillera avec autant d’enthousiasme que les nutritionnistes les nouvelles recommandations gouvernementales. x
Actualités
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CAMPUS
Un campus à réinventer McGill consultera ses étudiants sur l’avenir de ses bâtiments. Rafael miró
Éditeur Actualités
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révoir à l’avance comment maintenir et améliorer les bâtiments d’une université de plus de quarante mille étudiants n’est pas une chose à prendre à la légère. Il faut composer avec de nombreuses contraintes d’ordre administratif et financier, en plus d’avoir à s’assurer que les bâtiments de l’université puissent s’adapter aux nouvelles exigences technologiques. De plus, dans le cas de McGill, il faut être en mesure de préserver le patrimoine architectural de l’université, en partie vieux de plus d’un siècle et demi. À McGill, c’est le Bureau de Planification et de Développement du Campus (Campus Planning and Development Office, CPDO en anglais, ndlr), dirigé par l’urbaniste Cameron Charlebois, qui s’occupe d’imaginer l’avenir de l’université. Le CPDO est notamment chargé de produire un plan directeur (un « master plan », ndlr) pour encadrer ce qui se fera au cours des prochaines années en termes d’architecture à McGill. Ce plan directeur et la politique architecturale de McGill en général, seront cette semaine présentés aux mcgillois par les membres du CPDO, à divers endroits sur le campus (voir ci-contre).
En manque d’espace Comme on pourrait s’y attendre, l’un des principaux soucis du Bureau est d’augmenter la quantité d’espaces disponibles pour les étudiants. Évidemment, on pense tout de suite aux espaces d’enseignement, comme les classes, les auditoriums et les laboratoires, qui doivent être pris en considération en premier. Actuellement, McGill ne compte pas assez d’espaces d’enseignement pour tous ses élèves et doit ainsi recourir occasionnellement à la location de bâtiments sur la rue Sherbrooke. Toutefois, comme l’Université ne peut obtenir de financement du ministère de l’Éducation pour la location d’espaces d’enseignement, ces solutions temporaires sont extrêmement coûteuses pour l’Université, d’où la nécessité de trouver des endroits permanents. En automne 2017, le Bureau a déjà fait l’acquisition du 680 avenue Sherbrooke, un immeuble à deux minutes de marche du portail Roddick. À présent, de nombreuses classes s’y tiennent et la librairie universitaire de McGill, le James, a été placée au rez-dechaussée. De nombreux espaces
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béatrice malleret ont aussi pu être loués à l’Association des Étudiants de l’Université McGill (AÉUM) pour y installer des clubs étudiants (les bureaux du Délit y sont maintenant situés, ndlr). De nouvelles classes vont aussi probablement se tenir dans le bâtiment de l’ancien hôpital Royal Victoria. À long terme, une autre solution plus drastique pourrait être envisagée. Outre le campus principal, McGill possède un campus satellite à Sainte-Anne-de-Bellevue (sur la pointe occidentale de l’île de Montréal, ndlr) qui héberge actuellement les Facultés d’environnement et d’agronomie. Dans le passé, ce deuxième campus, issu de l’ancien collège John Abbott, accueillait aussi la Faculté d’éducation. L’option de transférer une faculté vers l’ouest de l’île n’est pas retenue pour le moment, mais le CPDO n’exclut pas cette possibilité pour l’avenir. Un patrimoine encombrant L’un des principaux éléments avec lesquels le CPDO a besoin de composer est le caractère patrimonial d’une grande partie des bâtiments du campus. Le site de l’université est en effet protégé avec le reste du MontRoyal et de ses environs par la Ville de Montréal. Ainsi, pour la moindre rénovation, la direction de l’Université doit obtenir l’accord de la Ville de Montréal et passer par un long processus administratif. Évidemment, impossible de penser à détruire ou à modifier fondamentalement un bâtiment!
L’hôpital Royal Victoria, qui a fermé ses portes en 2015 et qui est dans la mire de l’Université pour y installer des salles de classe, est l’un de ces bâtiments qu’il est relativement difficile de transformer. La Ville de Montréal a pris en charge une partie du complexe de l’ancien hôpital, qui comprend plusieurs bâtiments différents. Depuis une semaine environ, l’un des bâtiments a été transformé en refuge temporaire pour 80 itinérants montréalais. Le reste du complexe, qui est maintenant géré par l’Université McGill, devrait servir à pallier le manque d’espaces d’enseignement. Il sera transformé en un nouveau bâtiment universitaire dont la vocation se concentrera sur le développement durable et sur les politiques publiques. Que la lumière soit Outre les espaces d’enseignement, McGill compte augmenter le nombre d’espaces communs et de travail disponibles à tous les étudiants. Cameron Charlebois a souligné
que ces espaces sont extrêmement importants pour les étudiants qui habitent à une grande distance de McGill, puisqu’ils ne peuvent pas rentrer chez eux facilement durant leurs longues heures de pause. Le CPDO mise sur les bibliothèques pour augmenter la quantité d’espaces communs. Des études d’affluence menées au début de semestre dernier ont montré qu’au jour le jour, environ 30% des étudiants entrent ou sortent de l’une des bibliothèques de McGill. Or, il est souvent difficile de trouver des bonnes places pendant les périodes de grande affluence, comme celles des examens finaux ou de mi-session. Pour le moment, la majorité de l’espace de toutes les bibliothèques du campus est utilisée pour entreposer des livres. Si McGill ne veut évidemment pas se départir de sa collection unique au Canada, elle compte tout de même transférer certains de ses livres les moins utiles vers un endroit qui est moins convoité.
Sessions d’information du CPDO Le lundi 28, à la mezzanine de l’édifice Trottier, de 11h30 à 14h30 Le lundi 28, à l’entrée du Bishop Mountain Hall, de 18h à 20h Le mardi 29, à l’entrée de l’édifice McConnell, de 11h30 à 14h30 Le mercredi 30, à la bibliothèque MacLeenan, de 11h30 à 14h30 Le jeudi 31, à l’entrée sud de l’édifice Leacock, de 11h30 à 14h30 Le vendredi 1er, à l’entrée prncipale de l’édifice McIntyre, de 11h30 à 14h30
Selon Cameron Charlebois, une fraction importante des livres n’a pas été empruntée depuis dix ans. Numériser tous ces millions d’ouvrages nécessiterait une énorme mobilisation de main d’œuvre et un appareillage spécialisé, et au final coûterait beaucoup trop cher à l’Université. Dans le cadre du projet Fiat Lux, McGill va donc transférer ses ouvrages les moins consultés vers un entrepôt en dehors du campus. Cela ne rendra pas impossible l’emprunt de ces ressources : selon le CPDO, il sera toujours disponible, grâce à un hypothétique système de navettes, de récupérer dans un délai de quelques heures un livre qui se trouve hors de la bibliothèque. À l’écoute des étudiants Pour s’assurer que les changements qu’ils provoqueront auront l’appui de toute la population estudiantine, le CPDO veut faire en sorte que le plus d’étudiants possible soient au courant du nouveau plan directeur et donnent leur avis sur le sujet. Jusqu’ici, les initiatives des membres du bureau ont de leur propre aveu peu porté fruit, certaines réunions ayant même été organisées sans qu’aucun étudiant ne vienne y assister. Le Bureau a par conséquent lancé sa campagne Have Your Say, qui repose notamment sur un court sondage en ligne à compléter et surtout sur des sessions d’information qui se tiendront un peu partout sur le campus cette semaine, et où les membres du Bureau s’adresseront directement aux étudiants de McGill.x
le délit · mardi 29 janvier 2019 · delitfrancais.com
Monde francophone ALGÉRIE Le ministre de l’intérieur et des collectivités locales d’Algérie, Noureddine Bedoui, a participé les 19 et 20 janvier à un forum national visant à limiter l’émigration des « haragas » – des individus se déplaçant de façon clandestine, tentant pour la plupart de traverser la Méditerranée. Celui-ci a notamment déclaré que les réseaux sociaux étaient la cause de ce phénomène, affirmant qu’ils « sont devenus l’espace préféré des trafiquants et organisateurs des voyages de « haraga » ». Selon lui, pour lutter contre ces émigrations, il faut sensibiliser la population aux dangers d’un tel voyage. D’autres sources, comme le journal Liberté, plaçaient la responsabilité sur le gouvernement et autres institutions, qui excluraient les jeunes de leur fonctionnement. x
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Texte écrit par: ViolETTE DROUIN INFOGRAPHIE PAR: RAFAEL MIRó
EUROPE
AFRIQUE
CÔTE D’IVOIRE
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a Côte d’Ivoire vise, d’ici cinq ans, à être le quatrième plus important producteur de caoutchouc du monde. La demande mondiale de caoutchouc est en déclin, mais la production ivoirienne a augmenté pour dépasser les 200 000 tonnes, leur objectif pour l’année 2018. Le pays ouest-africain cherche donc à rivaliser avec des producteurs importants comme la Chine et l’Inde en transformant 3500 hectares de terrain en plantations de caoutchouc. L’Association des professionnels du caoutchouc naturel financera également des formations en récolte. La Côte d’Ivoire produit en ce moment 3% du caoutchouc global, tandis que la Thaïlande, à 36%, reste le plus important producteur. x
FRANCE
ne peinture murale de Banksy commémorant l’attentat au Bataclan a été reportée volée le 26 janvier. L’œuvre, réalisée par l’artiste anonyme de renommée, représente une femme en deuil. Elle a été peinte en juin 2018 sur une porte de secours de la célèbre salle de spectacle, en hommage aux 90 victimes de l’attentat du 13 novembre 2015. Le Bataclan a fait part d’une « profonde indignation », indiquant que l’œuvre était un « symbole de recueillement » appartenant à tous. Ce n’est pas la première fois que les œuvres de Banksy, très prisées dans le monde de l’art, sont sujettes à des vols ou à du vandalisme. x
Politique québécoise
La brouille avec la Chine continue Trudeau forcé de congédier son ambassadeur sur fond de pressions politiques. Rafael miró
Éditeur Actualités
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ohn McCallum n’aura pas réussi à prendre la chance que Justin Trudeau avait consenti à lui laisser. Mardi dernier, l’ambassadeur du Canada en Chine avait commenté de manière peu réfléchie l’« affaire Huawei », qui ternit les relations entre le Canada et la Chine depuis maintenant presque deux mois, devant un groupe de journalistes chinois rassemblés à Toronto. Face aux critiques du Parti Conservateur, Justin Trudeau avait été obligé de défendre son ancien ministre, mais il avait refusé de le congédier, probablement pour ne pas avoir l’air d’avoir perdu le contrôle dans la crise diplomatique avec Beijing. Toutefois, samedi, John McCallum y est encore allé de ses commentaires personnels sur l’affaire légale derrière la crise, s’affichant à contre-courant de
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la position de son gouvernement, forçant ainsi Justin Trudeau à lui demander sa démission. Ce que l’ancien ambassadeur canadien en Chine a qualifié comme la « pire crise diplomatique avec la Chine depuis l’ouverture des relations diplomatiques en 1970 » a débuté lorsque le Canada a arrêté, à la demande des États-Unis, la vice-présidente et numéro deux du géant de la téléphonie Huawei à Vancouver. Meng Wanzhou, qui est aussi la fille du PDG et fonda-
teur de l’entreprise, est accusée de fraude fiscale par Washington, qui a jusqu’au 30 janvier pour demander son extradition. Les officiels chinois clament haut et fort depuis un mois que cette accusation n’est qu’une fabrication et qu’il s’agit en fait de machinations politiques motivées par le conflit entre le président Trump et le gouvernement chinois. Il aurait été bien difficile pour Justin Trudeau de refuser la demande d’extradition sans se brouiller avec l’administration
« Il aurait été bien difficile pour Justin Trudeau de refuser la demande d’extradition sans se brouiller avec l’administration américaine, mais le choix d’aller de l’avant a provoqué l’ire de Pékin »
La bourde
nement. Justin Trudeau n’avait d’abord pas sévi, probablement pour ne pas envenimer les relations déjà tendues avec la Chine et à cause des avantages que présentait John McCallum comme ambassadeur. Cet ancien ministre libéral sous Paul Martin, l’un des piliers du gouvernement Trudeau en 2015 comme ministre de l’immigration, était un proche de Justin Trudeau qui était en mesure de lui communiquer les dossiers importants de la relation sino-canadienne.
C’est dans ce contexte que John McCallum a affirmé devant des journalistes chinois que Meng, si elle le voulait, pourrait « faire valoir de bons arguments ». Il s’agit d’une « bourde » diplomatique, puisque dans ce dossier le Canada se défend depuis un mois en affirmant qu’étant une démocratie libérale, Mme Meng avait été accusée pour des raisons juridiques crédibles et non en raison de quelques pressions du gouver-
Toutefois, samedi, John McCallum a mis fin à sa longue carrière politique en revenant une fois de plus sur le dossier de Mme Meng, en affirmant qu’il aurait mieux valu pour le Canada que les États-Unis ne demandent pas l’extradition. Même si cette affirmation comporte peut-être un fond de vérité, il aurait probablement été préférable pour le Canada que John McCallum ne l’exprime pas à voix haute. x
américaine, mais le choix d’aller de l’avant a provoqué l’ire de Pékin. Dans les quelques jours qui ont suivi l’arrestation de Meng, deux Canadiens, dont un ancien diplomate, ont été arrêtés en Chine pour avoir « porté atteinte à la sécurité nationale ». De nombreux experts ont jugé que ces accusations étaient factices et cachaient des représailles contre le Canada. Ces deux personnes sont, en date du 27 janvier, toujours détenues.
le délit · mardi 29 janvier 2019 · delitfrancais.com
Société societe@delitfrancais.com
opinion
La pilule : cadeau empoisonné? La prise du moyen de contraception n’est pas anodine et doit être remise en question. Et les effets indésirables ne s’arrêtent pas là. La contraception hormonale peut avoir une incidence sur la santé mentale; on l’associe de plus en plus à la dépression. Cette corrélation est plutôt récente puisque les rares études menées antérieurement démentaient toute association entre l’utilisation de la pilule et le risque de dépression. Cependant, ces études s’étaient penchées sur des femmes plutôt âgées qui prenaient la pilule depuis longtemps. Une étude danoise a quant à elle étudié le cas d’un million de jeunes femmes dans la période suivant leur première utilisation de la contraception hormonale. Les résultats démontraient une hausse significative, allant jusqu’à 80%, de l’occurrence de dépression chez les femmes utilisant un contraceptif hormonal.
juliane chartrand
Contributrice
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oyen de contraception incontestablement populaire, la pilule contraceptive est considérée comme un symbole de l’émancipation des femmes. Or, derrière la contraception hormonale se cache une réalité inquiétante. Le réflexe pilule Peu importe l’âge, la pilule contraceptive est conseillée presque automatiquement aux femmes et jeunes filles qui cherchent un moyen de contraception. En fait, il s’agit du moyen le plus prescrit et compte parmi les médicaments les plus consommés par les Canadiennes selon l’Enquête canadienne sur les mesures de la santé. Au moyen d’hormones comme l’œstrogène et la progestérone, la pilule contraceptive bloque l’ovulation et le cycle menstruel pour empêcher la nidation, soit l’implantation de
Sexisme chez les scientifiques
« Le réflexe pilule doit disparaître pour laisser place à la discussion » l’embryon. Si adéquatement utilisée, son taux d’efficacité est évalué à 99%, tout comme le timbre contraceptif, le stérilet hormonal, l’anneau vaginal et l’injection intramusculaire. Aussi, la pilule est couramment prescrite pour atténuer l’acné des jeunes femmes, réduire le syndrome prémenstruel et régulariser les règles. Bien que le·a pharmacien·ne ou le·a médecin doit informer sa patiente des effets secondaires possibles, ces derniers sont caractérisés comme mineurs et sont justifiés par les bénéfices qu’apporte la pilule. Pourtant, rarement, si ce n’est jamais, l’on entend parler des conséquences dangereuses et parfois même mortelles dues à la prise de ce moyen contraceptif. Celles habituellement mentionnées sont la prise de poids, des changements d’humeur, la baisse de libido, des ballonnements ou encore des étourdissements. En effet, la majorité des femmes (70%, selon l’enquête indépendante menée par la journaliste Sabrina Debusquat) prenant la pilule contraceptive souffrent de ces symptômes. Or, le moyen de contraception le plus populaire au Canada cache une histoire et des répercussions alar-
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niels ulrich mantes ; un silence plane quant aux effets nocifs et étonnamment fréquents que cause la pilule à la gente féminine. Effets plus qu’indésirables En 2015, la famille de Florence Aumont-Légaré, 28 ans, a découvert les dangers que comporte la pilule sous de tragiques circonstances. Quelques jours après une douleur au mollet qui semblait d’abord anodine, Florence perd connaissance et est rapidement transportée à l’hôpital. Malheureusement, le soir même, Florence décède malgré les soins hospitaliers. Les analyses ont démontré par la
suite qu’une embolie pulmonaire était en cause. La première question qui fut posée aux parents de Florence était si elle prenait la pilule contraceptive. La question fut évoquée par tout·e·s les spécialistes interrogeant ses parents qui, eux, n’avaient jamais été informés du danger que courait leur fille par la prise de la contraception orale. Le cas de Florence Aumont-Légaré n’est pas un cas isolé, bien au contraire. Les chiffres les plus précis proviennent de France, par le rapport de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM), qui rapporte une moyenne de 2 529 accidents et 20 décès annuellement dus à la formation de caillots
dans le sang provoquée par l’utilisation de la pilule. Pour ce qui est du Canada, entre 2007 et 2008, Santé Canada a relaté la mort de 23 jeunes femmes liée à la pilule anticonceptionnelle de la marque Yaz et Yasmin. Thrombose veineuse, embolie pulmonaire ou encore accident vasculaire cérébral (AVC), le risque de troubles sanguins avec la prise de cette contraception est connu depuis les années 1960 par le corps médical. Pourtant, la formation de caillots sanguins est rarement mentionnée pour prévenir les jeunes femmes des effets possibles de la pilule et de plus, peu d’entre elles ont été formées à reconnaître les signes d’un tel symptôme.
Si la femme témoigne de symptômes désagréables durant la prise de la pilule, le·a médecin est encouragé·e, sans être toutefois obligé·e, de rapporter ces effets à Santé Canada. Ainsi, il se forme un décalage énorme entre l’expérience qu’ont de nombreuses femmes prenant la pilule et le discours médico-scientifique dominant. Ce manque d’écoute et de considération face à l’avis des femmes pourrait s’expliquer entre autres par la sous-représentation du genre féminin en science. Tant dans la recherche en laboratoire que dans la production scientifique, le professeur de l’Université de Montréal Vincent Larivière dénonce depuis une dizaine d’années le manque de femmes dans la production d’articles scientifiques. Plus précisément, moins d’un tiers des auteur·e·s des plus grandes revues scientifiques américaines comme la Public Library of Science et l’American Geophysical Union sont des femmes et ce phénomène se répète à l’échelle mondiale. Cette inégalité dans la hiérarchie scientifique n’est évidemment pas récente; rappelons-nous qu’il n’y a pas si longtemps, les femmes n’avaient pas accès aux cours de mathématiques et de sciences puisqu’elles étaient confinées à l’enseignement ménager. Bien que cette mentalité rétrograde ait perdu de sa force avec le temps, elle reste tout de même ancrée dans les perceptions sociales, engendrant une tendance chez les femmes à s’orienter vers des métiers à caractère social. Il n’est
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ainsi pas surprenant de constater que les études concernant la pilule contraceptive ont été majoritairement guidées par des hommes.
les oiseaux aquatiques comme le canard, le goéland et l’oie.
L’écosystème affecté
Alors que la pilule est considérée comme un emblème féministe, il suffit de se pencher sur la genèse de sa commercialisation pour y découvrir une histoire peu glorieuse. C’est d’abord une infirmière et sage-femme américaine, Margaret Sanger, qui a fait la promotion de la pilule contraceptive et a cherché à convaincre les décideurs américains de financer cette nouvelle découverte scientifique. Elle était certes féministe mais flirtait aussi avec l’idéologie eugéniste et voyait en la contraception orale un moyen de limiter les naissances de certaines minorités ethniques. Dans un contexte de Guerre froide, des milliardaires américains furent charmés par l’idée de contrôler le taux de reproduction des femmes au nom de « l’amélioration du patrimoine génétique » et financèrent
En plus de causer préjudice à la santé des femmes, la pilule œstroprogestative apporte des effets dommageables pour l’environnement. Les hormones libérées dans le sang sont évacuées par l’urine dans les nappes d’eau souterraines, les rivières et les lacs. La présence de telles hormones dans l’environnement aquatique perturbe le comportement sexuel des poissons, diminue leur fertilité et crée un phénomène de féminisation des mâles, c’est-à-dire la transformation des poissons mâles en femelles. Ces perturbations affectent tout autant les mammifères et
INFOGRAPHIE
Émancipation sexuelle illusoire
le projet de Sanger. Des essais cliniques ont d’abord été menés dans les années 1950 sur des femmes américaines sans toutefois leur mentionner l’effet contraceptif de la pilule. Dû aux effets secondaires insoutenables tels que des changements d’humeurs et des caillots sanguins, un nombre élevé de participantes abandonnèrent l’étude, et l’équipe de recherche se tourna vers Porto Rico où le phénomène de surpopulation commençait à inquiéter. Des Portoricaines furent soumises de force à l’étude malgré les effets secondaires dénoncés. Les résultats furent néanmoins concluants, la pilule contraceptive démontrait un taux d’efficacité de 100%. La quantité d’hormones fut par la suite diminuée pour faciliter sa commercialisation aux États-Unis. Sans diaboliser la pilule contraceptive, il faut tout de moins prendre conscience de ses conséquences au niveau de la santé physique et mentale ainsi qu’au niveau environnemental. Bien que sa découverte scienti-
fique est considérée comme un point central de l’émancipation sexuelle de la femme, il ne faut pas oublier que cet instrument de libération fut d’abord orchestré par l’homme. Évidemment, grâce à la contraception, la femme a un plus grand contrôle de son corps et il est impératif de ne pas obstruer cette autonomie. C’est pourquoi il faut prendre en considération le fait que la prise d’hormones n’est pas l’unique solution contraceptive. Une méthode au taux d’efficacité similaire à celui de la pilule est le stérilet en cuivre. Ce dispositif intra-utérin en forme de T est introduit dans la cavité utérine, processus médical qui ne prend qu’une dizaine de minutes. Certaines femmes optent quant à
« Il faut prendre en considération le fait que la prise d’hormones n’est pas l’unique solution contraceptive » elles pour une méthode naturelle en suivant leur cycle d’ovulation à l’aide d’un calendrier, d’un thermomètre ou d’un moniteur symptothermique. Avec toutes ces alternatives, le réflexe pilule doit disparaître pour laisser place à la discussion. C’est aux professionnel·le·s de la santé, médecins, infirmier·ère·s, pharmacien·ne·s, d’être à l’écoute de leurs patientes, de prendre le temps de répondre à leurs questions et de les mettre en garde sur les conséquences qu’implique leur choix de contraception. Car si l’on prend en considération le bien des femmes et de l’environnement, la pilule devient plus difficile à avaler. x
Contraception masculine où en est-on ?
préservatif
vasectomie
Le préservatif est le moyen de contraception masculine le plus répandu. Son taux d’efficacité est légèrement supérieur à celui du préservatif féminin. Il protège aussi contre les maladies sexuellement transmissibles, c’est pour ces raisons que le contraceptif est préconisé lors des premiers rapports.
Contraception permanente, la vasectomie consiste en une légère opération. Les canaux déferents étant sectionnés, les spermatozoïdes ne peuvent plus se rendre des testicules au pénis. La vasovasostomie rend possible la réperméabilisation des canaux, mais n’assure pas pour autant la fertilité du patient.
Efficacité théorique: 98% Efficacité pratique: 85%
Efficacité théorique: 99,9% Efficacité pratique: 99,85%
Il existe, mise à part la méthode risquée du retrait pré-éjaculation, deux moyens répandus de contraception masculine assurant une certaine efficacité. Quels sont les autres moyens de contraception envisagés dans les relations hétérosexuelles? Il existe des alternatives, qui sont cependant bien moins pratiquées et parfois encore au stade de recherche.
Le slip chauffant, encore rare et méconnu du grand public, est un moyen naturel et fiable d’assurer la contraception masculine. En élevant la température naturelle des testicules de 2°C, la production de spermatozoïdes est ralentie ce qui empêche ainsi la fertilité. Le sous-vêtement doit être porté environ 15 heures par jour pendant plusieurs mois pour que la production des spermatozoïdes ne présente aucun risque de grossesse.
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La pilule contraceptive masculine a été le sujet de nombreux essais scientifiques depuis quelques décennies. Le défi principal d’une telle pilule est la quantité de spermatozoïdes qu’il faudrait éliminer pour empêcher une grossesse. Le diméthandrolone undécanoate, ou DMAU, est le dernier résultat prometteur quant à sa possible commercialisation. Sa prise serait quotidienne, avec une période d’efficacité de 24 heures.
Les injections hormonales, bien que très rarement pratiquées par les médecins, est une pratique de contraception masculine connue pour son efficacité. L’OMS, dans une étude menée sur 320 hommes dans 7 pays du monde, a trouvé un taux d’efficacité de 96%. Infographie réalisée par grégoire collet
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Un passé colonial encore d’actualité « Decolonize McGill » révèle la persistance des structures coloniales. Béatrice malleret
Coordonnatrice Visuel
L’
Université McGill n’a pas participé indirectement et malgré elle au processus de colonisation sur lequel s’est construit l’État canadien. En tant qu’institution occidentale vieille de presque deux siècles, elle en a été l’un des principaux tenants, formant les personnes et produisant les théories qui ont implanté un système d’oppression systématique et brutal encore à l’œuvre aujourd’hui. Ce constat formulé par le professeur adjoint de la Faculté d’Éducation, Philip Howard, laisse présager l’envergure de la tâche qui est celle de « décoloniser McGill ». Cet impératif a servi d’intitulé à la conférence du lundi 21 janvier organisée par Benjamin Delaveau, étudiant en dernière année, et rassemblant trois professeur·e·s, un étudiant et un·e artiste multidisciplinaire qui se sont exprimé·e·s sur le sujet. Ces dernier·ère·s ont expliqué les façons dont McGill perpétue les structures colonialistes et ont partagé leur compréhension de ce qu’est une réelle décolonisation.
« Le projet colonial et la violence extrême qui l’ont accompagné constituent donc les fondements de notre Université, chose que l’institution actuelle a beaucoup de mal à reconnaître » Une institution coloniale James McGill (1744-1813), fondateur de l’Université, était un colon écossais, commerçant dans la traite de fourrures et propriétaire de plusieurs esclaves. En léguant la parcelle de terre de 46 hectares sur laquelle est aujourd’hui situé le campus principal, il a fait don d’une chose qui ne lui appartenait pas. L’île Tiohtià:ke/ Montréal est un territoire autochtone non cédé et historiquement un lieu de rassemblement pour de nombreuses Premières Nations. La nation Kanien’keha:ka demeure la gardienne des terres et des eaux de Tiohtià:ke. Le projet colonial et la violence extrême qui l’ont accompagné constituent donc les fondements
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« De ce fait, les cours portant sur les questions autochtones et raciales sont ghettoïsés, ne formant pas à eux seuls des programmes pouvant être pris en majeure. Ceci est seulement une manifestation d’un phénomène bien plus important et insidieux, dont les répercussions sont à la fois idéologiques, matérielles et structurelles » de notre université, chose que l’institution actuelle a beaucoup de mal à reconnaître. À titre d’exemple, la biographie de James McGill sur le site de l’institution omet les éléments problématiques de sa vie et manque cruellement de nuance, le décrivant comme un homme doté d’un « esprit de générosité universelle » ainsi que d’un « amour durable pour les idées nouvelles et le respect des croyances et opinions d’autrui. » Aucune mention de son oppression des populations autochtones ni de son implication dans l’esclavage transatlantique. De plus, la reconnaissance territoriale de l’Université ne nomme pas explicitement le fait que celle-ci se trouve sur des terres non cédées, préférant des termes plus vagues qui sont de fait moins contraignants.
générique, plus ou moins équivalent à ou inclus dans celui de justice sociale. Cette abstraction du terme permet aux oppresseur·e·s de se déculpabiliser et de proposer des mesures anecdotiques, afin de ne pas avoir à affronter la réalité de ce qu’une véritable décolonisation signifie dans le contexte canadien: une restitution des terres et des pratiques autochtones. McGill est coupable d’une telle abstraction. Ses mesures prises dans le cadre du programme de Vérité et Réconciliation – qui incluent l’ambition de doubler le nombre d’étudiant·e·s autochtones d’ici à 2022 – sont superficielles et problématiques si elles ne s’accompagnent pas de changements structurels. Ces changements devraient se traduire, selon Alanna Thain, la directrice de l’Institut
Décolonisation ou résurgence? Ainsi, la décolonisation doit être une suite d’actions concrètes. Mais pour beaucoup de personnes autochtones, le mot en lui-même est problématique. Tout comme celui de réconciliation, qui, comme l’a expliqué Tomas Jirousek (le commissaire aux Affaires autochtones de l’AÉUM ayant lancé la campagne #changethename) lors de la conférence, présuppose un retour vers une entente paisible qui aurait existé dans le passé. Or, celle-ci est une illusion. Toute la terminologie employée par l’État canadien et les institutions comme McGill pour se référer au processus de décolonisation s’inscrit en fait dans un mode de pensée occidental. Preuve qu’il est ici question d’une décolonisation de façade qui permet aux oppresseur·e·s de bloquer l’émergence de structures et de modes de vie qui ne sont pas celles·ceux du capitalisme actuel, sous couvert d’une mobilisation pour la réconciliation.
Ce refus de la part de l’institution de se repencher sur son passé de manière critique perpétue une idéologie colonialiste et entache les efforts de réconciliation que McGill prétend entreprendre. Comme l’a expliqué la professeure Cindy Blackstock lors de la conférence lundi, McGill a une vision très restreinte et occidentale de ce qui constitue le savoir. De ce fait, les cours portant sur les questions autochtones et raciales sont ghettoïsés, ne formant pas à eux seuls des programmes pouvant être pris en majeure. Ceci est seulement une manifestation d’un phénomène bien plus important et insidieux, dont les répercussions sont à la fois idéologiques, matérielles et structurelles. Des efforts superficiels Dans leur essai intitulé Decolonization Is Not A Metaphor (La décolonisation n’est pas une métaphore, ndlr), Eve Tuck et K. Wayne Yang pointent du doigt le fait que le mot « décolonisation » est trop souvent utilisé de manière
pour le Genre, la Sexualité et les Études Féministes à McGill et l’une des panellistes à la conférence, en un plus grand engagement avec diverses communautés de la ville et une réelle diversification du corps professoral plutôt qu’en des embauches ponctuelles et symboliques. Et pour permettre cela, l’Université doit allouer des fonds conséquents à ces projets et simplifier la bureaucratie qui ralentit actuellement tous projets qui nécessitent des financements. Comme l’a fait remarquer Cindy Blackstock, si McGill prenait des mesures de la sorte, elle n’aurait plus besoin de faire de la publicité pour attirer des étudiant·e·s et professeur·e·s autochtones, car ces dernier·ère·s viendraient par eux·elles-mêmes.
béatric
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Ainsi, selon Philip Howard, une vraie décolonisation demande un
effort d’imagination considérable, car c’en est une qui envisagerait les relations entre les peuples autochtones, personnes racisées et colons sur des termes entièrement nouveaux et différents. D’autres mots décrivent d’ailleurs de manière plus juste et personnelle ce processus. Pour Tomas Jirousek, c’est celui de résurgence autochtone. Pour une participante à la conférence, le terme de réimagination a une signification très particulière. Pour Kama La Mackerel, artiste et médiateur·rice culturel·le et dernier·ère panelliste de la conférence, ce processus de transformation se fait en marge des grandes institutions politiques et culturelles, car les déséquilibres de pouvoir sont simplement trop énormes pour faire autrement. Iel croit en la transformation au niveau individuel et le pouvoir de rayonnement que chacun·e d’entre nous peut avoir sur la communauté qui nous entoure. Iel a terminé en nous encourageant à se demander : qu’est-ce que la décolonisation signifie pour moi?
« Comment pouvons-nous agir pour y contribuer véritablement? Car il est bien trop facile de reléguer la tâche aux institutions et de maintenir une distance confortable avec ces problématiques » Comment nous, étudiant·e·s, pouvons agir pour y contribuer véritablement? Car il est bien trop facile de reléguer la tâche aux institutions et de maintenir une distance confortable avec ces problématiques. Nous devons tou·te·s accepter notre part de responsabilité individuelle, nous informer et nous remettre en cause. Il s’agit également d’accepter, pour celles et ceux d’entre nous que cela concerne, la vérité inconfortable qui est que nous perpétuons par nos actions, nos situations et nos paroles une idéologie colonialiste tout en souhaitant et en pensant la déconstruire.x
le délit · mardi 29 janvier 2019 · delitfrancais.com
Philosophie philosophie@delitfrancais.com
«Agis donc de telle sorte que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen » Kant
Portrait de philosophe
et les droits des animaux Le philosophe nous aide à comprendre les défis moraux posés par l’exploitation des animaux. Vie animale et vie humaine : choisir?
Virginie Simoneau Gilbert Contributrice
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Si Regan affirme que les sujetsd’une-vie possèdent tous une même valeur inhérente égale, en plus de deux droits fondamentaux, force est de constater que la théorie des droits n’admet pas une égalité de la valeur de la vie sur le plan subjectif. En effet, bien que les sujets-d’une-vie soient égaux sur le plan objectif de la valeur, l’existence que ces derniers mènent ne revêt pas la même importance sur le plan subjectif, c’est-à- dire pour l’individu qui en fait l’expérience en première personne. Les sujets-d’une-vie n’ayant pas tous les mêmes potentialités à attendre de la vie, le dommage causé par la mort n’est donc pas le même pour tous. C’est ce qui fera dire au philosophe que, par exemple, « la mort prématurée d’une femme dans la fleur de l’âge est un dommage plus important que la mort de sa mère sénile. Bien que toutes deux perdent leur vie, l’ampleur de la perte, et par conséquent du dommage, subie par la jeune femme est plus importante ».
om Regan, philosophe américain, est un penseur majeur de la philosophie morale du 20e siècle. Grandement influencé par l’éthique kantienne, nous lui devons l’ouvrage Les droits des animaux (1983), œuvre-phare de l’éthique animale contemporaine et de la théorie des droits des animaux. L’expression « droits des animaux », bien que mobilisée depuis le 19e siècle au sein de la cause animale, a fait l’objet d’une théorisation plus approfondie seulement au cours des années 1980. Tom Regan est l’un des philosophes ayant grandement participé à son élaboration philosophique. Les sujets-d’une-vie comme fins en soi Tout d’abord, les êtres qui sont titulaires de droits au regard de la morale sont ceque Regan appelle « les sujets-d’une-vie ». Ces derniers sont définis ainsi par le philosophe : « [L]es individus sont sujetsd’une-vie s’ils ont des croyances et des désirs ; une perception, de la mémoire, et un sens du futur, y compris de leur propre futur ; une vie émotionnelle ainsi que des sensations de plaisir et de douleur ; des intérêts en rapport aux préférences et au bienêtre ; la capacité d’initier une action en vue de leurs désirs et de leurs buts ; une identité psychophysique au cours du temps ; et un bien-être individuel […]. » Plus précisément, les sujets-d’une-vie correspondent généralement aux mammifères, selon Regan. Toutefois, si le philosophe soutenait dans les années 1980 que les poissons ou certains oiseaux n’étaient pas considérés comme des sujets-d’une-vie, Regan leur accordait tout de même un certain doute épistémologique. Par prudence morale, il incombe aux êtres humains d’accorder le statut de sujet-d’une-vie aux animaux non-humains dont l’appartenance à ce statut ne s’est pas encore vu confirmer par les recherches en biologie et en éthologie. Acheter une douzaine d’œufs ou encore une canne de thon peut potentiellement devenir un problème moral pour Regan, dans l’optique où certains animaux se verraient accorder le statut de « sujet-d’une-vie » à la suite de nouvelles découvertes scientifiques. Par ailleurs, tous les sujets-d’une-vie ont une valeur inhérente égale. Regan s’oppose donc aux thèses dites « gradualistes » de la valeur qui pourraient accorder une valeur inhérente moindre aux êtres humains déficients ou aux animaux non-humains, en prenant comme critère de hiérarchisation des êtres sensibles les capacités cognitives, par exemple. Au contraire, tous les sujets-d’une-vie possèdent la même valeur inhérente en tant que « genre de valeur possédée par certains individus, sur le mode […] des individus existant comme fins en soi ». Un individu doté d’une valeur inhérente possède cette valeur en lui-même et celle-ci
Béatrice Malleret est indépendante de ce que le philosophe nomme l’« utilité perçue » de l’individu en question, c’est-à-dire l’utilité que cet individu puisse revêtir l’utilité qu’il revêt aux yeux des autres. Par exemple, une dame souffrant de la maladie d’Alzheimer avancée et vivant dans un centre de personnes âgées possède une valeur en elle-même, au-delà de « l’utilité » qu’elle peut se voir attribuer par la société. Les droits des sujets-d’une-vie Un tel postulat des sujets-d’une-vie comme fins en soi n’est pas anodin dans l’éthique animale déontologiste. Conformément à la troisième formulation de l’impératif catégorique du philosophe Emmanuel Kant, les êtres humains doivent être traités de sorte que leur valeur inhérente soit respectée, c’est-à-dire qu’ils ne doivent jamais être traités comme de simples moyens qui garantissent les meilleures conséquences, mais toujours en même temps comme des fins. Pour Regan, il en va de même pour tous les sujets-d’unevie. Ainsi, selon l’auteur des Droits des animaux, tous les sujets-d’une-vie possèdent deux droits fondamentaux : (1) Le droit au respect, qui est absolu (c’est-à-dire qui ne peut être outrepassé) et qui est défini, suivant la Métaphysique des mœurs de Kant, comme le droit à ne pas être traité simplement comme un moyen, mais toujours
le délit · mardi 22 janvier 2019 · delitfrancais.com
en même temps comme une fin ; (2) Le droit de ne pas subir de dommage qui peut être distingué en deux types : le dommage causé par infliction de douleur et le dommage causé par privation, qui implique une perte des sources de satisfaction d’un individu. Dans cette seconde catégorie, on peut inclure, par exemple, la privation d’espace ou encore de nourriture. Toutefois, selon Regan, le second droit peut être outrepassé dans certaines circonstances particulières : premièrement, en cas de légitime défense ; deuxièmement, pour punir un coupable, non pas pour maximiser les conséquences bonnes que pourrait produire sa punition, mais pour le punir d’un dommage qu’il a préalablement causé ; troisièmement, lorsque des sujets-d’une-vie innocents sont utilisés par des criminels en guise de boucliers, par exemple dans le braquage d’une banque, il est alors possible d’outrepasser le droit de ces boucliers innocents à ne pas subir de dommage, si une telle action permet d’arrêter le criminel en question ; et quatrièmement dans le cas de menaces innocentes (par exemple, un enfant brandissant un pistolet), il est permis d’outrepasser le droit à ne pas subir de dommage de l’enfant, sans toutefois user de force excessive. Contrairement au droit au respect, qui est absolu, le droit à ne pas subir de dommage peut donc être outrepassé dans certaines situations exceptionnelles.
Dans un même ordre d’idées, si quatre êtres humains et un chien se trouvent dans un bateau prévu pour quatre personnes et que le bateau coulera assurément au milieu de la mer sous le poids de la charge, le chien doit être jeté par-dessus bord. Selon le philosophe, comme « le mal que représente la mort est fonction des opportunités [ou sources potentielles] de satisfaction qu’elle interrompt », le dommage subi par l’être humain en cas de naufrage sera plus grand que celui que subira le chien. Vers l’abolition de l’exploitation animale Il va sans dire que la théorie des droits proposée par Regan est résolument « abolitionniste », c’est-à-dire que le penseur revendique ouvertement la cessation complète de l’exploitation animale à des fins alimentaires, scientifiques, vestimentaires ou encore récréatives. Ces industries se trouvent en violation des droits moraux qu’accordent Regan aux animaux. Le confinement, la castration à froid et la mise à mort, pratiques répandues dans les grandes fermes d’élevage, se voient ainsi fortement critiquées par le philosophe. Parce que l’exploitation animale viole continûment les droits des animaux, cette dernière est immorale et doit être fermement condamnée, selon le philosophe. Ainsi, nous ne pouvons espérer un monde plus juste tant que nous continuerons à utiliser les animaux comme ressources renouvelables à des fins humaines. L’industrie de la « viande heureuse », qui garantirait de belles conditions d’élevage pour les animaux, ne constitue donc pas une solution de rechange acceptable moralement aux yeux de Regan. À l’ère de la ferme-usine, c’est plutôt l’ensemble de nos interactions avec les animaux qui méritent d’être repensées afin d’établir des relations plus respectueuses. x
Philosophie
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Culture artsculture@delitfrancais.com
le délit et des livres
Lueur du dimanche après-midi Retrouvez l’oeuvre marquante de la semaine : Rien ne s’oppose à la nuit. de Vigan parvient à retracer la vie de sa mère. Et c’est également un portrait en creux d’elle-même qu’elle nous livre dans son roman. Loin de la jolie photo de famille ordinaire aux tons pastel et aux visages lisses, la fresque familiale esquissée par l’autrice révèle tout ce qu’il y a de plus sombre, de plus enfoui et de plus sincère chez chacun des personnages.
anja helliot
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ien ne m’était apparu aussi évident depuis longtemps. Le livre qui a changé ma vie s’appelle Rien ne s’oppose à la nuit. Dire que la lecture d’un roman a été assez intense pour qu’elle ait changé ma vie, ébranlé mes habitudes, et renouvelé le regard que je posais sur ma propre existence et sur celle des autres peut sembler tout à fait exagéré et présomptueux. Et pourtant, je suis convaincue qu’il y a eu un avant et un après sa lecture. Dans ce véritable travail de mémoire où les souvenirs lumineux côtoient les blessures mal pansées, Delphine de Vigan traduit pour nous toute la complexité des relations humaines et familiales. En bref, le roman dresse la biographie d’une certaine Lucile, dont le portrait s’ouvre sur la découverte de son suicide par sa fille, qui s’avère être l’autrice. À
J’ai été absorbée, hypnotisée, bouleversée par ma lecture. De nombreuses fois, le roman m’a paru
« J’ai été absorbée, hypnotisée, bouleversée par ma lecture » prune engerant prune engérant travers de nombreuses analepses, de recueils de témoignages, de
fouilles, mais aussi de moments de doute et d’errances, Delphine
être un véritable miroir. Souvent, je me suis sentie face à moi-même, renvoyée à ma propre fragilité, mes sentiments et contradictions, car au fond, c’est à nous et à nos propres failles que le roman s’adresse et fait
écho. La justesse de la plume de l’autrice a su mettre des mots sur des émotions que je ressentais, sans toutefois parvenir à les formuler. Depuis, il me semble avoir développé une certaine habileté à mieux comprendre l’Autre. Le visage serein qu’il m’adresse masque peut-être celui que moi-même une fois j’ai tenté de cacher. Nous avons tou·te·s été marqué·e·s par notre passé, aussi lointain qu’il puisse paraître. Le roman me l’aura révélé. Désormais, un élan de compassion s’empare de moi dès lors que l’Autre laisse entrevoir ne serait-ce qu’une once de ses fêlures. Aussi, j’aime croiser le chemin des gens qui n’offrent pas spontanément la « meilleure version » d’eux-mêmes ; c’est-à-dire la plus lisse et la plus souriante. J’aime les gens qui sont parfois fatigués de faire semblant. Je n’ai réalisé que bien plus tard l’impact que ce livre avait eu sur ma vie. J’en suis désormais consciente : il l’a changée. Rien ne s’oppose à la nuit, à part les mots peut-être. x
théâtre
Envoûtant Coriolan
La dernière production de Robert Lepage nous arrive sur les planches du TNM. Marie-Hélène Perron
Contributrice
J
usqu’au 17 février prochain, le Théâtre du Nouveau Monde présente Coriolan, pièce de Shakespeare traduite par Michel Garneau et mise en scène pour la 7e fois par Robert Lepage. Dans cette tragédie présentant les intrigues politiques modernisées de la Rome antique, Coriolan, personnage aussi perturbant que captivant, donne à voir l’étendue dangereuse de la puissance qu’un seul être peut exercer sur le destin d’un empire tout entier. La production, qui regroupe près de 18 acteur·rice·s, est l’une des plus acclamées de la saison théâtrale. Magie et merveilleux Ceux et celles qui connaissent le travail de Lepage ne seront pas surpris·es par l’encensement critique que sa mise en scène reçoit, et ceux et celles pour qui Coriolan tiendra lieu d’introduction à son univers esthétique ne manqueront pas d’être enchanté·e·s. Les changements de scènes, nombreux et compliqués, s’exécutent avec une prouesse technique qu’on a souvent comparée, avec raison,
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Culture
à de la magie. L’émerveillement provoqué par ces transitions est sans cesse renouvelé : le spectateur ou la spectatrice retient son souffle en attendant chaque nouvelle scène qui ne manquera pas de l’éblouir encore plus que la précédente. Outre son esthétisme sans faille, ce qui transparaît surtout dans la mise en scène est l’intelligence et l’érudition avec lesquelles celle-ci est effectuée. La muraille de mosaïque à Coriole criblée de balles de mitraillette est une image d’une force telle qu’elle frappe l’esprit au point d’y rester gravée longtemps après la représentation. Valeurs sûres S’il n’y a bien sûr pas grand chose à redire de l’oeuvre de Shakespeare, on peut cependant s’interroger sur l’accessibilité de la pièce. Par son caractère politique dense, par son personnage principal antipathique, et par la multitude de figurants, pions dont l’intériorité n’est pas aisément donnée par le texte, Coriolan n’est pas l’œuvre la plus jouée de Shakespeare. Il est facile de comprendre pourquoi. Malgré ce défi, la mise en scène
Courtoisie du TNM
est certainement parvenue à magnifier tout le beau et l’émotion que Shakespeare avait à offrir. L’ambiance y est lourde, certes, comme chargée d’une sorte d’énergie statique – avec ces acteur·rice·s confiné·es dans des cadres serrés, cernés de noir – presque télévisuelle. Elle va de pair avec le thème central de la pièce : cette impossibilité pour le guerrier indomptable qu’est Coriolan de se conformer aux insupportables cadres auxquels on tente de l’astreindre. Sous la sensibilité esthétique de Lepage, toutefois, ce qui aurait pu devenir étouffant est plutôt envoûtant. Le jeu des acteur·rice·s y a évidemment contribué. AnneMarie Cadieux est éblouissante dans le rôle tragi-comique de la mère de ce Coriolan plus grand que nature, interprété par Alexandre Goyette. La variété de personnages qui, sur papier, n’ont qu’une fonction technique, reçoit une profondeur inespérée par le jeu nuancé des autres membres de la troupe, dont la diversité rafraîchissante est un atout incontestable. On peut donc en conclure que les deux grandes forces de cette
production – sa mise en scène impeccable et sa distribution
solide – en font sans contredit une expérience mémorable. x
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théâtre
Une pièce qui frappe droit au cœur Le Théâtre Jean-Duceppe commence l’année avec audace. courtoisie du théâtre Jean-Duceppe
gabrielle leblanc-huard
Contributrice
Un seul bémol
C
Bien qu’il y ait peu à redire sur l’ensemble de la représentation, quelques longueurs étaient présentes vers la fin. Le public pouvait avoir l’impression d’assister à la scène finale à plusieurs reprises avant que celle-ci n’arrive réellement. La pièce de 1h55 sans entracte aurait pu bénéficier d’une courte pause à mon avis. Cependant, ce petit point négatif n’a pas entaché mon expérience globalement positive.
Pour reprendre les mots des codirecteurs artistiques Jean-Simon Traversy et David Laurin, l’autrice « nous donne accès à une vue de l’intérieur en nous mettant tour à tour dans la peau du témoin, de la victime, puis dans celle du juge ». Cette triple réalité nous force à remettre en question les limites du système juridique actuel, mais aussi à se poser de profondes questions éthiques. Est-ce que la logique et la raison devraient l’emporter sur l’émotion? Est-ce que la constance est signe de vérité? Pouvons-nous réellement comprendre les impacts d’événements dramatiques dans la vie de nos proches sans les avoir vécus?
Finalement, il est important de souligner et de féliciter l’effort du théâtre de susciter le dialogue et l’entraide face à la culture du viol. Une entrevue complète sur ce thème est contenue dans le programme pour accompagner la réflexion amorcée par la pièce. De plus, un kiosque du Centre pour les victimes d’agression sexuelle de Montréal était présent sur place pour informer, aider et sensibiliser les spectateur·rice·s.
hoquante mais nécessaire après la foulée du mouvement #MeToo, la pièce Consentement n’est pas pour les cœurs sensibles. Cette pièce, présentée par le Théâtre JeanDuceppe jusqu’au 2 février et écrite par l’autrice anglaise Nina Raine, aborde sans pincettes, mais avec brio, le thème sensible du viol.
Mise en scène et distribution Les questions précédemment soulevées prennent vie sous l’habile mise en scène de Frédéric Blanchette, qui a su alterner humour et moments percutants pour accentuer le message que livre la pièce. Effectivement, bien que le spectacle aborde des sujets tabous et
difficiles, il est possible de rire à plusieurs reprises. Il est également important de souligner le travail effectué par la talentueuse distribution. La pièce est interprétée par une impressionnante brochette d’actrices et d’acteurs : Marie Bernier, AnneÉlisabeth Bossé, Véronique Côté, Patrice Robitaille, David Savard,
Mani Soleymanlou et Cynthia Wu-Maheux. Je tiens à souligner les performances de David Savard dans le rôle d’Edward - un avocat dépourvu d’empathie, et de sa conjointe Kitty, jouée par Anne-Élizabeth Bossé. Leur interprétation tout en contraste a su rendre la pièce particulièrement convaincante et lui conférer un aspect percutant.
Si vous avez envie d’une expérience philosophique qui bouleverse, qui fait réfléchir et grandir, la pièce Consentement est faite sur mesure pour vous. x
cinéma
Violences et maladresses Les Filles du Soleil ne frôle que la surface d’un sujet qui aurait mérité plus d’application. alexandre jutras
Contributeur
L
es Filles du Soleil, le deuxième long métrage d’Eva Husson, met en scène un bataillon uniquement composé de femmes qui luttent pour libérer la ville de Gordyène des mains des extrémistes de Daech. Rapidement, on est plongé dans le drame de la guerre de la région du Kurdistan avec toutes les violences qu’elle implique. Le point de vue adopté, soit celui de ces soldates n’ayant plus rien à perdre, demeure une force du film malgré le fait qu’on n’entre qu’assez superficiellement dans leur quotidien. Un manque de profondeur Malheureusement, le mélodrame occupe une place prépondérante et on ne fait finalement que survoler plusieurs sujets qui auraient gagné à être développés davantage, notamment la situation des Kurdes, de leur histoire et de leur avenir, sans oublier celle de la violence faite aux femmes en temps de guerre. Le
pathos, qui enveloppe le film de son extravagante robe noire, ne vient que souligner la lourdeur thématique qui se juxtapose paradoxalement à un criant manque de fond. Il est évident que les questionnements soulevés par l’œuvre sont à la fois délicats et complexes ; il demeure néanmoins qu’une analyse plus poussée aurait insufflé de la pertinence à un film qui aurait pu être bien plus percutant.
l’aurore permettent d’entrevoir ce à quoi pourraient ressembler ces pays si la paix décidait finalement de s’y installer. Les rubans colorés couronnant les cheveux des nombreuses combattantes, symbolisant en quelque sorte la richesse de leur culture, viennent relever l’austérité de leur tenue ; ils leur communiquent un peu d’espoir.
Dialogues maladroits
Ainsi, le film souffre cruellement de sa contextualisation évasive et de la surenchère émotive. Évidemment, la réalité que l’on cherche à dépeindre est horrible, mais l’emphase déployée est contreproductive. Il est dommage qu’un film mettant de l’avant des personnages féminins si forts s’avère tout compte fait un peu terne, que toute la puissance de leur résistance s’essouffle à cause de dialogues bancals et d’analepses qui rompent le rythme. Peutêtre est-il encore trop tôt pour que la fiction s’approprie pleinement un sujet qui baigne toujours dans l’atrocité. x
Bahar, la commandante du bataillon Les Filles du Soleil, incarnée par l’actrice franco-irakienne Golshifteh Farahni, réalise une brillante performance, mais ne parvient pas à se défaire du caractère stéréotypé de son personnage qui occulte systématiquement son brio. Idem pour Emmanuelle Bercot qui tient le rôle de la journaliste française voulant rendre compte de la réalité du conflit en sachant pertinemment que les gens, sans y être insensibles, préfèrent regarder ailleurs. La complicité qui se tisse entre ces
le délit · mardi 29 janvier 2019 · delitfrancais.com
capture du film
« Le film souffre cruellement de sa contextualisation évasive et de la surenchère émotive » deux femmes offre tout de même des moments intenses et sincères. Malheureusement, ceux-ci sont constamment court-circuités par des dialogues qui manquent de matière et par des scènes de guerre qui laissent le·la spectateur·rice sur sa faim.
Un visuel compensateur Les images sont cependant extraordinaires ; elles transmettent toute la beauté de cette région tristement ravagée par la guerre. Les paysages à couper le souffle et les lueurs brillantes de
culture
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Cinéma
Retour sur un succès
Le remake américain d’Intouchables éveille des réflexions critiques qui divisent. D’Johe Kouadio
Éditrice Culture
E
n 2011, depuis l’appartement de mes parents en banlieue parisienne, j’ai vu l’apparition de ce que les journaux télévisés s’enthousiasmaient à l’époque à nommer « le phénomène Intouchables ». La comédie d’Olivier Nakache et d’Éric Toledano devenait, sous mes yeux, le troisième plus gros succès de l’histoire du box-office français. Dans ma classe, certain·e·s de mes camarades en étaient à leur cinquième visionnement en salle 16 du cinéma de ma ville. On en parlait dans les journaux, dans la cour de récréation et même nos professeur·e·s se permettaient à la fin du cours de nous glisser leur recommandation. Ils nous encourageaient énergiquement à aller voir cet extraordinaire feel good movie, dont le casting était exceptionnel. Un film qui, en plus d’être drôle, était « touchant ». La France entière avait été émue par l’histoire de cette rencontre entre deux hommes que tout oppose. D’une part, Philippe, cinquantenaire aristocrate et tétraplégique, de l’autre Driss, banlieusard noir sorti de prison. Ce dernier devient l’auxiliaire de vie à domicile de l’homme fortuné dont la mobilité est complètement réduite depuis son accident en parapente. Cette année-là, je n’ai pas vu ce film. Et j’en ai beaucoup voulu à mes parents de ne pas m’avoir offert l’opportunité de vivre cette expérience incroyable, ces moments de joie et d’émotion que des centaines de milliers de Français·e·s partageaient dans les salles bondées des cinémas de France. « On n’est pas très comédie » m’avaient-ils rétorqué. Mais, ce n’est pas une comédie comme les autres, c’est une « comédie sociale », pensais-je en me référant à cette critique du journal Le Monde qui jonchait le sol des toilettes à la maison.
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Les Américains s’en mêlent
courtoisie De allocIne
Une comédie hors normes? Quelques années plus tard, m’étant un peu émancipée et surtout ayant accès de manière plus fréquente à l’espace formidablement chronophage qu’est l’Internet, j’ai vu Intouchables. Un peu détachée de la frénésie populaire qui avait enveloppé la sortie du film, je l’ai regardé sans beaucoup d’émotion. J’ai ri à quelques blagues, même si j’en connaissais déjà beaucoup grâce à certain·e·s de mes ami·e·s pour qui les dialogues de l’oeuvre étaient devenus cultes. Je ne suis pas restée de marbre face à la célèbre performance chorégraphique de l’acteur, entre-temps césarisé, Omar Sy sur Boogie Wonderland. Enfin, j’ai eu envie de lâcher une
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culture
reposait également sur une série de considérations sexistes et homophobes vis-à-vis des personnages féminins et en particulier celui de l’assistante personnelle, ultra érotisée, Magalie. Enfin, alors que le film s’attelait avec peu de finesse à essentialiser les différences de races, de genres ou de classes de chacun des personnages, la morale nous rappelait avec beaucoup de bienveillance que la solution à ces conflits d’identité serait… de les ignorer. Philippe et Driss développent une amitié exceptionnelle, le scénario faisant fis d’une dénonciation des rapports de forces qui opposent les deux personnages malgré leurs mises en scène perpétuelle sous un ton humoristique (mépris de classe envers Driss, essentialisation du handicap de Philippe, etc.). Présenté par de grands médias comme une oeuvre populaire qui avait rapproché les Français·es, ce film, de mon point de vue, ne contestait en rien ce folklore discriminant, que le cinéma, et en particulier les comédies françaises, ont souvent mis à l’honneur. Il s’agissait en fait d’une nouvelle pierre à l’édifice de cette culture cinématographique qui prétend faire des pieds de nez au « politiquement correct » tout en participant à l’enracinement dans l’imaginaire collectif d’une vision, entre autres, raciste et classiste des hommes et femmes racisé·e·s qui subissent, de façon quotidienne, les conséquences matérielles et morales de ces préjugés.
« Des centaines de milliers de personnes avaient ri de bon coeur face à un film qui s’inscrivait en réalité dans une tradition stéréotypée de la représentation du jeune de banlieue » petite larme quand (ATTENTION SPOILER) Driss repart pour la « cité » où il a grandi. Mais je n’ai certainement pas été ébranlée par le propos du film ni par un message de tolérance qu’on m’avait promis qu’il transmettait. Pire encore, j’ai trouvé que le film posait un certain nombre de problèmes de représentation. Aussi, je me suis fait un
avis qui détonnait souvent avec celui de mon entourage. En fait, armée d’une connaissance cinématographique et politique un peu plus avancée qu’à mon entrée au collège et forte d’une conscience du racisme français qui m’environnait, j’ai vu, dans le personnage de Driss, un douloureux écho à cette image caricaturale qu’il a
souvent été fait des personnes racisées dans la littérature et le cinéma occidentaux. Des individus simples, souvent drôles, à qui l’on accorde peu de nuance et surtout qui sont mis en scène pour divertir un public blanc. Mais cela, en 2011, je ne l’avais lu nulle part. Des centaines de milliers de personnes avaient ri de bon coeur face à un film qui s’inscrivait en réalité dans une tradition stéréotypée de la représentation du « jeune de banlieue » voire de l’homme noir en général. Un délinquant qui, a priori, est une figure inquiétante, mais qui, en réalité, mis au service d’un homme blanc et riche, pouvait se révéler humain? Par ailleurs, leur amitié
Puis arrive l’hiver 2019. Près de dix ans après la sortie du film made in France, l’industrie américaine du cinéma ajoute son grain de sel, ou plutôt jette de l’huile sur le feu, en proposant un remake du succès « bleu blanc rouge ». Sauf que cette fois-ci, la presse américaine ne s’extasie pas devant la comédie, au contraire, elle la fustige. Le choix d’un comédien non handicapé (Bryan Cranston) pour jouer le rôle d’un personnage tétraplégique, l’humour sexiste et hétéronormatif et le pseudo message de dépassement du clivage racial par la possibilité d’une amitié entre les deux hommes sont raillés et dénoncés. Soulagée par cette prise de conscience, j’osais espérer qu’il en serait de même outre Atlantique. J’osais espérer que cela réveillerait le mutisme de mes compatriotes sur ces aspects dérangeants d’un film dont on a fait une fierté nationale. Car encore une fois, il ne s’agit pas d’une énième comédie de Noël. Il s’agit d’un film étendard, reconnu comme ayant ému en choeur tout
le délit · mardi 29 janvier 2019 · delitfrancais.com
cinéma un pays. Mais rien. Ou plutôt, des critiques assassines de ces États-Unien·ne·s qui voient le mal partout. On écrit des chevrons au mot « raciste » lorsque l’adjectif est employé pour qualifier notre chef-d’oeuvre franchouillard. Sur le site de la célèbre radio France Culture, on utilise des verbes au conditionnel ou des points d’interrogation : « Il s’y répandrait une série de clichés racistes » ; « Devrions-nous a posteriori y ressentir un certain malaise ? » Et partout, je lis que 2019, ce n’est pas 2011, que les États-Unis ne sont pas la France ou qu’ « aux États-Unis la polémique s’ancre dans une Histoire et un contexte bien particulier de violence suprémaciste blanche » (toujours France Culture).
face. Mais la France ne peut pas toujours se reposer sur l’idée que la question raciale ne se pose que dans le contexte post-esclavagiste nord-américain, en particulier lorsqu’il est question de production artistique. La France, elle aussi, possède un bagage culturel raciste, notamment vis-à-vis de la descendance post-coloniale. Et aujourd’hui, les États-Unis et la France ont cela de commun que leurs industries artistiques s’ancrent dans un héritage culturel alimenté par des discours et des idées racistes. Aux États-Unis comme en France, on peut trouver, au cours de l’histoire, des représentations célèbres de personnes noires infantilisées, moquées, caricaturées. Instinctivement, on pense
« Les États-Unis et la France ont cela de commun que leurs industries artistiques s’ancrent dans un héritage culturel alimenté par des discours racistes » Le patrimoine en question Certes, les histoires raciales de ces deux sociétés méritent d’être étudiées sans comparaison pour des questions de rigueur scientifique. Il n’est pas toujours pertinent de les renvoyer face à
à l’Oncle Tom ou à Aunt Jemina aux États-Unis. Mais qu’en est-il du tirailleur sénégalais dont le visage estampillait les produits de la marque Banania ou les personnages noirs caricaturés dans l’album Tintin au Congo en France. Autant de figures qu’il m’arrive
encore de croiser dans les salons, dans les cuisines, dans les caves et les greniers (dans le meilleur des cas) des familles de certaines de mes connaissances françaises. Et si par malheur j’émets un début de critique, on me rappelle à l’ordre sur-le-champ : « Tintin, c’est notre patrimoine culturel. » Il est donc là, le fardeau des minorités dans les sociétés occidentales. C’est à cet héritage cognitif et souvent inconscient qu’elles doivent répondre. Souvent, les personnes qui appartiennent à ces groupes minoritaires ne sont attendues par les industries culturelles que quand elles sont prêtes à répondre à des carcans ultra-stéréotypés de leur propre identité. Sinon, ces industries les préfèrent invisibles. Intouchables, son remake et leurs déconcertantes reproductions du rôle stéréotypé du « noir de banlieue » maladroit, un peu bourrin mais toujours amusant, auront eu un énorme succès. Il s’agit de films qui totalisent des millions d’entrées et donc possiblement autant de cerveaux dans lesquels se sont renforcées des images caricaturales qui ont un impact sur la manière dont les personnes racisées sont perçues et sur la façon dont ces mêmes personnes vont se percevoir. En tant que personne racisée, avoir la possibilité de voir autre chose au cinéma que des personnages noirs ou métis qui
dansent, font rire, sont employés par des blancs et ne s’émancipent pas de ces positions est un phénomène assez rare. Cela implique que pendant longtemps, j’ai pensé
critiquer, les essentialisent. En France comme aux États-Unis, les préjugés racistes à l’embauche ou au logement ne reculent pas, la surreprésentation des per-
« Le patrimoine artistique en dit souvent long sur les dynamiques de pouvoir et de contrôle des populations à l’oeuvre dans une société » que c’était à cette place-là que je devais aspirer. Évidemment, il est facile d’anticiper sur les réponses qu’on pourrait émettre à mon avis. Intouchables est un divertissement et les réalisateurs ne prétendent pas faire de politique. Et surtout, c’est un film qui a rassemblé. Mais c’est là, selon moi, que réside tout le problème. Le film Intouchables rassemble autour de stéréotypes, de clichés, d’images dont il est aisé de rire car nous y sommes habitué·e·s par un paysage culturel teinté de ceuxci. Et si une personne pose une critique face à une telle oeuvre, elle s’attire les foudres, car on lui incombe la responsabilité de la division. Malheureusement, ces divisions (de genre, de race, de classe) existent, et ce de manière systémique, en amont de la critique. Elles sont même les principales sources d’inspiration de ces films qui, pensant les
sonnes racisées en prison ou parmi les victimes de violence policière sont au beau fixe et les bancs des grandes écoles, des meilleures universités et conservatoires sont encore et toujours peuplés en grande majorité par des étudiant·e·s blanc·he·s et privilégié·e·s. Le patrimoine artistique en dit souvent long sur les dynamiques de pouvoir et de contrôle des populations à l’oeuvre dans une société. Ainsi, il n’est bien entendu pas question de limiter cette production culturelle, mais plutôt de se questionner en tant que simple spectateur·rice/consommateur·rice sur les oeuvres qui connaissent un succès important et sur les raisons de ce succès. Dans une salle de cinéma, aussi léger que le film puisse être, les rires, comme les larmes, sont politisés, qu’on soit un·e activiste de la première heure ou bien un·e aficionado des comédies françaises. x
cinéma
Buster Keaton célébré
Retracant la vie de Buster Keaton, le film analyse dix de ses premières œuvres.
Vincent morréale
Le Délit
L
e documentaire The Great Buster Keaton: A Celebration présente l’homme et son œuvre en bonne et due forme. Coïncidant avec la sortie de la restauration des films muets de Buster Keaton par la maison de production Cohen, ce film de 120 minutes est une façon d’introduire un nouvel auditoire au génie comique du « visage de pierre ». Dès son enfance, avec la troupe de spectacle vaudeville de sa famille, Buster Keaton parcourt les ÉtatsUnis et développe une expertise dans l’art de la comédie. Réel casse-cou et cascadeur, il se forge rapidement une réputation et attire les foules avec son personnage sans expression et son pork pie hat. Dès 1923, il dirige et joue dans ce que l’on considère aujourd’hui comme des chefs-d’oeuvre tels que Sherlock Junior, La Croisière du navigateur, et Le mécano de la « General ». Réalisé par Peter Bogdanovich, déjà auteur de La Dernière Séance et Nashville Blues, le documentaire se
divise en deux parties. La première dresse un panorama simple, mais efficace, de la vie de Keaton. On y voit une énorme quantité de photos et vidéos d’archives. La seconde partie du film se concentre sur ce que la critique et la International Buster Keaton Association considèrent comme étant ses plus grandes créations. Nous avons donc droit à un traitement classique d’un documentaire biographique avec le narrateur qui nous prend par la main et qui nous guide à travers la vie de l’artiste. Nous retrouvons aussi plusieurs entrevues menées auprès d’amis de longue date de Buster Keaton, comme Dick Van Dyke qui nous parle du comédien avec amour et passion. Le documentaire semble donc vouloir attirer un nouvel auditoire et je serais porté à dire qu’il vise une tranche d’âge beaucoup plus jeune. Cette tendance s’observe avec l’apparition de Quentin Tarantino (Django, Tuer Bill), Johnny Knoxville (Jackass), et Jon Watts (Spider-Man : Homecoming), des
le délit · mardi 29 janvier 2019 · delitfrancais.com
représentants du milieu cinématographique facilement reconnaissables pour la nouvelle génération. Ces derniers commentent le fait qu’ils empruntent dans leur art des techniques développées par Keaton et le cinéma muet : Tarantino et la présence du danger imminent qui crée le suspense, Knoxville et ses plans-séquences suivants de multiples cascades, ou enfin Watts et les différents niveaux d’émotions que l’expression ou le regard peuvent dégager.
laissent sur notre faim puisqu’elles sont volontairement coupées, vous ne serez certainement pas déçu·e·s
de retrouver ou de redécouvrir ces passages marquants du cinéma comique contemporain.x Béatrice Malleret
Alors que le réalisateur inventait une forme d’art auprès de géants comme Charlie Chaplin et Harold Lloyd, le documentaire met en évidence le fait que les films de Buster Keaton n’ont pas uniquement diverti le public, mais bien influencé des artistes dans leurs créations cinématographiques, poussant ces derniers à considérer le comédien comme « l’essence du cinéma ». Les images restaurées par la maison de production Cohen sont tout simplement incroyables et, bien que les séquences présentées nous
culture
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entrevue
Le désinvestissement: qu’en-est-il? Le Délit s’entretient avec Gregory Mikkelson, professeur à l’École d’environnement. Le Délit (LD) : Pourriez-vous me résumer ce qu’est le désinvestissement comme mouvement? Professeur Mikkelson (GM) : En général, je dirais que c’est une réponse au constat que nous devons laisser la grande majorité des carburants fossiles dans la terre. Les gouvernements ne prennent pas les actions requises pour s’assurer de cela, alors il s’agit de faire pression, ce que le désinvestissement a toujours fait avec succès. Plus tôt au cours de cette décennie, un mouvement visant à ce que les universités et autres institutions publiques désinvestissent [leurs fonds de dotation des compagnies de carburants fossiles, ndlr] a vu le jour. La première université à désinvestir était Unity College, en 2012. C’est aussi l’année où Divest McGill a débuté son activité ici sur le campus, et nous voici encore en 2019, essayant toujours de faire en sorte que ça se poursuive.
2012, il a été démontré que le désinvestissement a largement gagné le soutien des étudiants, de premier et de second cycle, du personnel enseignant, représentés par le McGill Association of University Teachers, et d’au moins un des syndicats représentant la plus grande portion de personnel du campus – Munaca [un syndicat du personnel non-académique, ndlr] ayant exprimé son soutien en 2016.
ndlr], le même comité du Conseil des gouverneurs ayant examiné la question les deux dernières fois que Divest McGill a présenté des expressions d’inquiétude. Dans les deux cas, ils ont répondu de façon complètement inappropriée. C’est complètement inacceptable, dans une université reconnue au niveau international, de répondre de cette façon irresponsable au niveau académique.
Enfin, l’entité la plus représentative de toutes les communautés mcgilloises du campus, le
[Le Conseil des gouverneurs] l’a maintenant renvoyée au même comité, qui est en ce
mois pour fournir un rapport qui aurait échoué comme projet de recherche de premier cycle dans cette université. LD : Qu’impliquerait une résolution du Conseil de gouverneurs pour l’Université? Quelles seraient les prochaines étapes? GM : Je crois que les prochaines étapes seraient assez simples. À chaque fois que l’Université abandonnerait un investissement dans une compagnie de carburants fossiles - ce qui se produit assez fréquemment - il s’agirait de
iyad kaghad
« Alors nous sommes déjà en train de laisser tomber des actions de carburants fossiles plutôt fréquemment, il faudrait juste ne plus les remplacer » sont assez naïfs pour penser que si McGill désinvestit de Suncor, [une pétrolière majeure, ndlr] Suncor fera faillite. Ce n’est pas le but du désinvestissement, l’intention est plutôt politique.
Sénat, a passé, avec une majorité écrasante, en septembre de l’an dernier, une résolution réclamant le désinvestissement du fonds de dotation de toute compagnie d’hydrocarbures.
LD : Quel est, selon vous, le rôle qu’a à jouer le désinvestissement au sein du mouvement de justice climatique en général ? GM : Un rôle très important. Évidemment, plusieurs sortes d’actions, surtout politiques, sont nécessaires, mais le désinvestissement en est une partie importante.
Il y a eu de nombreux moments enthousiasmants durant les six dernières années, mais en bref, voilà : la communauté mcgilloise a explicitement démontré être en faveur du désinvestissement. Pourtant, les personnes possédant le pouvoir, ceux qui siègent au Conseil des gouverneurs – dont la majorité ne travaillent pas et n’étudient pas ici – ne suivent toujours pas. Ils l’ont renvoyée [la proposition de désinvestissement, ndlr] au Comité consultatif chargé des questions de responsabilité sociale [CCCQRS, CAMSR en anglais,
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entrevue
Donc nous serions à 23, puis au bout des prochains six mois, nous aurions laissé tomber cinq ou six actions de plus. Alors il me semble que ce serait très simple.
« Selon les études qui ont été faites, il n’y a aucun risque plus élevé de désinvestir, et le cas échéant, c’est un plus grand risque de garder ses investissements de carburants fossiles » LD : Est-ce que le désinvestissement présenterait un risque financier pour McGill? GM : Tout présente des risques financiers, personne ne peut prédire l’avenir. Toutefois, l’information que nous possédons indique que le désinvestissement, le cas échéant, présente plutôt des bénéfices financiers.
LD : Certains disent que le désinvestissement n’a aucun effet financier significatif : est-ce que c’est vrai? Quels sont ses effets? GM : Les études démontrent que le désinvestissement a un énorme effet politique, ce qui, par la suite et indirectement, affecte les compagnies impliquées. C’est une méprise fondamentale et, je crois, parfois intentionnelle, de croire que les partisans du désinvestissement
LD : Quelle est la situation concernant le désinvestissement à McGill? GM : Au cours des années, depuis que les étudiants ont commencé [Divest McGill] en
à 26. Tout ce qu’impliquerait le désinvestissement, ce serait de ne plus les remplacer.
moment présidé par une personne ayant longtemps été cadre de Petro-Canada, compagnie qui est en ce moment une filiale de Suncor, qui est la compagnie de carburants fossiles la plus importante dans les investissements de McGill. Le CCCQRS a indiqué qu’ils vont publier un rapport et une recommandation dans la prochaine année académique. Donc nous avons eu la résolution du Sénat au début de cette année académique et ils ne peuvent
ne pas le replacer par un autre investissement dans une compagnie de carburants fossiles. L’Université publie maintenant une liste de tous ses investissements directs – il y en a un peu plus que 650 – et j’ai consulté les deux plus récentes, datées du 31 mars 2018 et du 30 septembre 2018, et entre ces deux dates, McGill a abandonné six de 29 investissements fossiles. Alors nous sommes déjà en train de laisser tomber des actions de carburants fossiles plutôt
« [Le Comité consultatif chargé des questions de responsabilité sociale] a pris treize mois pour fournir un rapport qui aurait échoué comme projet de recherche de premier cycle dans cette université » même pas fournir une recommandation avant la prochaine année académique. C’est précisément ce qu’ils ont fait la dernière fois : ils ont pris treize
fréquemment, il faudrait juste ne plus les remplacer. Dans ce cas, McGill en a ajouté trois, donc il y a eu une diminution nette de trois, et nous sommes rendus
Une étude publiée il y a quelques années dans Corporate Knights démontre que si McGill avait désinvesti ses fonds lorsque les étudiants l’ont réclamé pour la première fois, ils auraient fait 40 millions de dollars de plus de profit. Une autre étude publiée l’an dernier dans le journal Ecological Economics a étudié un cadre temporel beaucoup plus long et démontré que durant le dernier siècle, un portfolio contenant des carburants fossiles aurait produit ni un meilleur ni un pire profit qu’un portfolio entièrement sans carburants fossiles. Donc selon les études qui ont été faites, il n’y a aucun risque plus élevé de désinvestir, et le cas échéant, c’est un plus grand risque de garder ses investissements de carburants fossiles. x
Propos recueillis par violette drouin Éditrice Actualités
le délit · mardi 29 janvier 2019 · delitfrancais.com