Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill
Mois de l’Histoire des Noir·e·s Multiplier les Voix
Mardi 12 février 2019 | Volume 108 Numéro 17
On adore l’eau depuis 1977
Éditorial
Volume 108 Numéro 17
Le seul journal francophone de l’Université McGill
rec@delitfrancais.com
Mois de l’Histoire des Noir·e·s : Lire entre les lignes des livres d’histoire D’johé kouadio, Lara Benattar Le Délit
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urant tout le mois de février, mcgilloises et mcgilllois ont l’opportunité d’assister à divers événements autour du thème de la justice dans le cadre du Mois de l’Histoire des Noir·e·s, organisé par le Bureau de l’éducation en équité sociale et diversité (Social Equity and Diversity Education Office, SEDE, ndlr). Pour le gouvernement fédéral, « chaque année en février, à l’occasion du Mois de l’histoire des Noirs, les Canadiens sont conviés à prendre part aux célébrations et aux activités qui soulignent le patrimoine des Canadiens noirs, ceux d’hier et d’aujourd’hui ». Bien qu’on puisse retracer les origines de pareils événements en 1926 aux États-Unis, le Mois de l’Histoire des Noir·e·s n’a vu le jour qu’en 1995 au Canada. Depuis, l’organisation du Mois ne laisse pas de marbre, certains célébrant l’initiative alors que d’autres la condamnent. Si certains désapprouvent le choix du mois de février pour questionner l’Histoire afro-canadienne puisqu’il a été historiquement choisi aux États-Unis afin de coïncider avec les anniversaires de Lincoln et de Douglass, d’autres y sont simplement opposé·e·s. Shanice Yarde, responsable de l’organisation du Mois de l’Histoire des Noir·e·s à McGill, dit chercher sans cesse à relever de nouveaux défis pour améliorer la représentativité et l’inclusivité des évènements (« Créer un espace de célébration », édition du 5 février). Nous saluons ses efforts, visant à « écouter l’histoire des personnes qui ont été le plus marginalisées au sein de la communauté noire et d’apprendre de leurs expériences ». Cependant, la semaine dernière, D’Johé Kouadio soulignait quelques-uns des écueils dans lequel nous risquons de tomber si l’on célèbre cet évènement
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sans nuance (« Un mois pour l’histoire des Noir·e·s », édition du 5 février). Tout réside déjà dans la volonté d’une célébration. Commémorer l’histoire des Noir·e·s, si tant est qu’elle existe dans cette homogénéité assez réductrice, ne devrait pas relever d’un folklore qui mobilise les consciences, une fois par an, sur les résistances de communautés opprimées faisant face à la brutalité des sociétés racistes. Un mois de l’histoire des Noir.e.s, et il existe des initiatives qui vont dans ce sens, devrait inciter les institutions telles que les universités à questionner leur approche de ce qu’on appelle plus généralement les Black Studies. Celles-ci méritent de s’inscrire dans des spécificités régionales et temporelles. En effet, si, par exemple, la construction d’une mythologie autour de héros afro-américains tels que Martin Luther King ou Malcolm X est fondamentale à la mémoire des personnes Noir·e·s, elle est insuffisante pour englober l’ensemble des dynamiques et des relations qui ont été vécues et observées au sein des communautés noires du monde. C’est leur parcours que l’on aime raconter, à l’image des grandes odyssées littéraires, parce qu’ils sont ahurissants d’intensité et de fureur. Ces destins sont racontés aussi parce qu’ils offrent un spectacle qui fascine ceux qui ne sont pas confrontés aux sévices qu’ont subi et subissent encore les personnes noires. Cette glorification de personnages censés à eux seuls incarner l’histoire des Noir·e·s passe sous silence les combats quotidiens de ceux et celles qui n’étaient ou ne sont pas des “intellectuel·le·s”, des artistes ou des leaders politiques. Cette glorification tait les réalités de ces individus anonymes qui font face quotidiennement au harcèlement, aux violences policières, à la discrimination à l’embauche. Pourtant, leurs expériences participent aussi à cette
« Histoire ». Finalement, si l’idée de diaspora africaine ou afrodescendante et de ses célèbres figures a su amplifier les luttes locales des personnes subissant la discrimination raciale, elle est cependant un concept complexe traversé par ses propres rapports de force et ses propres cas de marginalisation. Dans ce contexte, les efforts comme ceux de la maison d’édition Mémoire d’encrier, fondée en 2003 par Rodney Saint-Éloi qui souhaite donner cette tribune aux auteur·rice·s aux origines multiples, afin que ceux·celles-ci nous livrent ces combats quotidiens sont essentiels (« Lutter pour la représentation », page 13). Il est aussi de notre devoir de nous interroger sur l’adéquation et la désirabilité de la notionmême d’histoire et du singulier qui lui est apposé. En effet, les qualités que l’on y associe ne correspondent pas à la réalité de la discipline, supposément fondée sur une exigence de neutralité, d’objectivité, d’universalité et de scientificité. L’idée même que les événements passés puissent être étudiés avec une rigueur scientifique et que l’histoire des peuples puissent par-là être écrite ne va pas de soi. Cette exigence de vérifiabilité dans l’approche écrite et linéaire de l’Histoire est un élément-clé des logiques coloniales, qui effacent et discréditent les histoires des peuples colonisés transmises par d’autres voies et dans d’autres logiques que par la transmission d’écrits chronologiques re-traçables. Il s’agit donc de déconstruire le mythe de l’universel et de la neutralité pour montrer la blancheur du monologue historique que l’on enseigne et que l’on apprend. Pour ce faire, il faudra nous souvenir de l’idée du poète et dramaturge canadien George Elliott Clarke que « la chose la plus révolutionnaire que [l’on puisse] faire, c’est devenir un·e chercheur·se, un historien·ne, un·e professeur·e ou un·e artiste qui se confronte à l’Histoire. » x
RÉDACTION 2075 Boulevard Robert-Bourassa, bureau 500 Montréal (Québec) H3A 2L1 Téléphone : +1 (514) 398-6784 Rédactrice en chef rec@delitfrancais.com Lara Benattar Actualités actualites@delitfrancais.com Juliette De Lamberterie Rafael Miró Violette Drouin Culture artsculture@delitfrancais.com D’Johé Kouadio Audrey Bourdon Société societe@delitfrancais.com Opinion - Grégoire Collet Enquêtes - Antoine Milette-Gagnon Philosophie philosophie@delitfrancais.com Simon Tardif Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com Niels Ulrich Coordonnateur·rice·s visuel visuel@delitfrancais.com Iyad Kaghad Béatrice Malleret Multimédias multimedias@delitfrancais.com Vincent Morreale Coordonnatrices de la correction correction@delitfrancais.com Mélina Nantel Emma Raiga-Clemenceau Webmestre web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Coordonnateur·rice·s réseaux sociaux reso@delitfrancais.com Lucile Jourde Moalic Paul Llorca Contributeurs Jérémie-Clément Pallud, Astrid Delva, Anja Helliot, Philippe Granger, David D’Astous, Adriele Benedetto, Mahaut Engerant, Prune Engerant, Evangéline Durand-Allizé Couverture Iyad Kaghad Béatrice Malleret BUREAU PUBLICITAIRE 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 0E7 Téléphone : +1 (514) 398-6790 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Représentante en ventes Letty Matteo Photocomposition Mathieu Ménard The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Lydia Bhattacharya Conseil d’administration de la SPD Lydia Bhattacharya, Boris Shedov, Nouèdyn Baspin, Julian Bonello-Stauch, Juliette De Lamberterie, Iyad Kaghad, Phoebe Pannier et Sébastien Oudin-Filipecki (chair)
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le délit · le mardi 12 février 2019 · delitfrancais.com
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Nouveau processus pour les clubs Clubs et élections étaient à l’agenda de l’AÉUM le 7 février. violette drouin
Éditrice Actualités
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elon les deux représentant·e·s des clubs siégeant au Conseil législatif, Zaheed Kara et Victoria Flaherty, des changements au processus de formation de clubs sont nécessaires afin d’éviter que des clubs « fantômes » ne consomment inutilement les ressources de l’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM, SSMU en anglais, ndlr). Plusieurs clubs sans véritable gouvernance durable auraient obtenu par le passé le statut de pleine affiliation avec l’AÉUM, ce qui a en grande partie motivé cette révision des critères nécessaires pour bénéficier de cette affiliation. Toutefois, plusieurs autres conseillers, dont le vice-président aux finances, Jun Wang, ont fait remarquer qu’afin de réduire les dépenses, il serait plus judicieux de modifier les critères requis pour l’obtention du statut de club intérimaire,
puisque tout club intérimaire bénéficie, au même titre qu’un club permanent, d’un compte bancaire et d’autres services sous l’AÉUM (tout groupe désirant obtenir sa pleine affiliation doit d’abord passer à travers la période intérimaire de six mois, ndlr) . La motion a donc été remise au prochain Conseil, où elle sera présentée avec des modifications additionnelles aux critères d’obtention du statut de club intérimaire. À ne pas combler Tout comme l’an dernier, l’AÉUM n’acceptera pas de candidatures pour le poste de vice-présidence aux opérations. Ce poste avait été créé en 2016 dans le but de gérer le bar Gertz ainsi que la cafétéria étudiante (la cafétéria étudiante a mis fin à ses services après avoir été en déficit, ndlr). Selon le président, Tre Mansdoerfer, les responsabilités qui y sont attachées n’ont pas été sujettes à longue réflexion à l’époque et il n’est pas prudent de déléguer
la gestion de ces services à une personne élue pour un an, alors qu’il existe des employé·e·s permanent·e·s à cette fin. Il a mentionné la possibilité de restituer le poste si, une fois le bâtiment de l’AÉUM rouvert, son utilité demeure. Messages non désirés À la suite d’un amendement à la motion pour adopter les changements aux règles électorales, les candidat·e·s à un poste de l’AÉUM pourront envoyer des messages personnels à d’autres étudiant·e·s afin de solliciter leur vote. L’amendement a été proposé par l’un des représentants de la Faculté des arts, Andrew Figueiredo, et soutenu par plusieurs autres conseiller·ère·s, selon qui les messages personnels encouragent la participation au processus démocratique. Il a été aussi défendu que ces messages ont potentiellement contribué à l’augmentation du taux de participation électorale par
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Grégoire collet rapport à l’année précédente. Il a également été signalé qu’il existe déjà une clause anti-harcèlement dans les règlements électoraux, ce qui protège les étudiant·e·s en cas de messages répétés ou agressifs. Action contre l’antisémitisme À l’issue d’un vote, Brooke Callaghan, représentante de la
Faculté de Gestion, représentera le Conseil législatif au Comité du Conseil législatif et du Conseil d’administration sur l’antisémitisme (Joint Board of Directors and Legislative Council Special Committee on Anti-Semitism, en anglais, ndlr). Malgré l’absence de l’un·e des candidat·e·s au poste, le vote a été tenu afin que le Comité puisse commencer ses réunions.x
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Le chasseur
de brouillard
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delitfrancais.com/apropos/contribuer le délit · mardi 12 février 2019 · delitfrancais.com
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montréal
L’environnement décliné au féminin Présentation des liens qu’entretiennent des femmes autochtones avec l’environnement. Jérémie-clément pallud
Un engagement personnel
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Selon les propos de Karine Tayka Raymond, l’engagement environnemental est intrinsèquement lié à l’éducation des jeunes filles et au rôle attribué aux femmes chez les peuples autochtones. Dès leur jeune âge, celles-ci développent auprès de leurs aînées, à travers l’apprentissage des savoir-faire traditionnels, une relation personnelle avec les mondes animal et végétal. Elles y apprennent à respecter l’environnement dans lequel elles évoluent et développent une compréhension accrue de ses écosystèmes, saisissant leur complexité et la fragilité de leurs équilibres.
Contributeur
e samedi 2 février avait lieu au pavillon J-A de Sèves de l’Université du Québec à Montréal la conférence « Récits de femmes autochtones dans les luttes environnementales », organisée par le comité féministe de sociologie de l’UQAM et le Collectif de Recherche en Aménagement Paysager et Agriculture Urbaine Durable (le CRAPAUD). Animée par Karine Tayka Raymond, activiste autochtone issue de la nation Ojibwé du Manitoba, la présentation retraçait le parcours de sept femmes autochtones et leurs luttes respectives pour la protection de l’environnement. À travers les portraits de Pua Case, Josephine Mandamin, Winona LaDuke, Kathanus Manuel, Christine Nobis, Cheryl Angel et Louise Benally, chacune luttant pour une cause précise, le public a pu prendre conscience de l’importance des voix féminines dans l’activisme environnemental chez les nations autochtones.
Cette compréhension se cristallise en elles, les munissant d’une intuition et d’une connexion forte à leurs terres qui les vouent à ressentir « en leurs entrailles » tout mauvais traitement infligé à celles-ci. En nous décrivant ce lien si particulier qui unit les femmes autochtones à la nature qui les entoure, Karine Tayka Raymond nous assure qu’elle n’est pourtant pas encore tombée dans des considérations spirituelles ou mystiques, et
qu’il s’agit là d’un phénomène bien réel. Toutefois, la conférencière confie qu’elle comprend que cette
béatrice malleret relation fusionnelle soit difficile à concevoir pour des scientifiques occidentaux, à qui elle ne pourrait fournir de preuves formelles et palpables de ce sentiment.
Femmes médiatrices La discussion se poursuit et l’on comprend que, fortes de ce lien, ces femmes autochtones seraient incitées à agir contre la dégradation de leurs terres et sont d’autant plus déterminées à confronter les acteurs non autochtones de cette destruction, munies d’un sens profond de la médiation. Contrairement au discours patriarcal occidental qui aurait tendance à considérer la femme comme un être irrationnel et facilement submergé par ses émotions, les femmes autochtones seraient au contraire perçues dans leurs nations comme la voix de la raison, aptes à maîtriser leurs émotions pour résoudre au mieux d’éventuels conflits nourris par les hommes aux tendances colériques. C’est pourquoi les femmes autochtones sont dépeintes comme des intermédiaires de choix pour faire valoir les droits de leur nation auprès d’étrangers aux intentions hostiles. La conférencière illustre ensuite son analyse par le récit des protestations survenues en 2016 sur le territoire de la réserve américaine Standing Rock, en opposition à la construction du Dakota Access Pipeline. Présente sur les lieux au moment des faits,
Karine Tayka Raymond raconte que, lorsque les bulldozers occidentaux ont entamé leurs travaux sur le site d’un ancien cimetière autochtone, les femmes réunies non loin auraient été les premières à se mobiliser et ont accouru sans tarder, traversant la rivière gelée pour arrêter les ouvriers situés sur l’autre rive, tandis que les hommes autochtones les talonnaient et restaient à leurs côtés. Prise de conscience À en croire les regards incrédules qui se propageaient à travers l’audience et l’effervescence de la séance de questions ayant clôturé cette conférence, l’initiative mise en place à l’UQAM a visiblement accompli sa mission d’éveiller les consciences quant au rôle des femmes autochtones dans les luttes environnementales, et dans le contexte actuel de l’éventuelle construction d’un oléoduc sur les territoires autochtones de la nation Unist’ot’en. Elle a aussi pu souligner l’importance du lien qui unit les populations autochtones à leurs territoires et rappeler l’impératif qu’est celui de respecter ce lien pour assurer une cohabitation paisible sur des terres qui n’ont jamais été cédées.x
campus
Ottawa bloque Legault La semaine politique a été marquée par des confrontations entre Ottawa et Québec. rafael miró
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ustin Trudeau a servi cette semaine à M. Legault et au gouvernement caquiste deux fins de non-recevoir. D’abord, mardi dernier, il a annoncé sans surprise qu’il ne céderait pas aux demandes unanimes des partis de l’Assemblée nationale de laisser le gouvernement québécois percevoir lui-même les impôts fédéraux.
« Legault a averti le premier ministre Trudeau [...] qu’il paierait le prix politique de ses refus »
Actuellement, depuis l’époque de Maurice Duplessis, le Québec est la seule province canadienne à percevoir elle-même ses impôts, ce qui fait en sorte que les citoyens québécois doivent payer pour deux agences de
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Actualités
revenu différentes. Les quatre partis de l’Assemblée nationale, ainsi que les conservateurs et les bloquistes dans la Chambre des communes, se sont prononcés en faveur de ce transfert de compétences. Le Parti libéral du Canada (PLC) a argumenté que le gouvernement provincial n’aurait pas assez de ressources à l’international pour contrer efficacement l’évasion fiscale, contrairement au gouvernement fédéral. De surcroît, selon les libéraux et les néo-démocrates, transférer la perception des impôts fédéraux au gouvernement provincial aurait pour conséquence la perte des 5500 emplois de l’Agence du Revenu du Canada à Shawinigan et à Jonquière. L’immigration reste au fédéral Samedi dernier, le 9 février, Justin Trudeau s’est opposé à un autre engagement fort du gouvernement Legault : la réforme du système d’immigration. Le ministre responsable de cette réforme, le jeune député de Borduas, Simon Jolin-Barette, avait déposé la veille
en chambre la Loi visant à accroître la prospérité socio-économique du Québec et à répondre adéquatement aux besoins du marché du travail par une intégration réussie des personnes immigrantes. Ce projet de loi prévoit de redonner plus de compétences en matière d’immigration au Québec, entre autres de réintroduire l’octroi conditionnel de la résidence permanente afin de mieux contrôler la région d’arrivée des immigrants économiques. Le ministre fédéral des relations
Louis roy intergouvernementales, Dominic Leblanc, a presque aussitôt annoncé qu’Ottawa ne laisserait pas Québec obtenir ces prérogatives. François Legault a averti le premier ministre Trudeau, par l’intermédiaire des médias, qu’il paierait le prix politique de ces deux refus. Retombées potentielles Comme l’affirme François Legault, Justin Trudeau joue peut-être gros en s’opposant si
catégoriquement à son homologue provincial. À moins d’un an des élections fédérales, grâce à la déconfiture dans les sondages du NPD, le Québec est la seule province dans laquelle les libéraux fédéraux espèrent encore faire des gains de sièges, alors qu’il recule dans toutes les autres provinces : de nombreux analystes et sondeurs affirment que dans l’état actuel des choses, seuls les sièges du Québec empêcheraient Justin Trudeau d’être défait par les conservateurs d’Andrew Scheer. Or, cette semaine, les refus du premier ministre l’ont assez mal fait paraître chez les partisans de Legault, d’autant plus qu’il doit aussi gérer le scandale autour de SNC Lavalin qui a éclaté autour de lui cette semaine. Un sondage de la firme Léger Marketing sur les intentions de vote au Québec a révélé en début de semaine que les libéraux maintenaient toujours un fort niveau d’appuis, à 39 points de pourcentages. Il faudra voir si les évènements de cette semaine affecteront ces chiffres à long terme.x
le délit · mardi 12 février 2019 · delitfrancais.com
campus
Safe spaces et liberté d’expression Sigal Ben-Porath, auteure de Free Speech on Campus, livre ses idées aux Mcgillois·e·s. juliette de lamberterie
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igal Ben-Porath, professeure d’éducation et de philosophie à l’Université de Pennsylvanie, est passée à McGill le 8 février dernier pour une conférence portant le nom de son livre, Free Speech on Campus. Elle explique dans cet ouvrage, et c’est le premier point qu’elle aborde lors de son intervention, qu’on ne peut définir un campus comme n’importe quel autre espace de la sphère publique. Ainsi, repenser la pratique de la liberté d’expression en son sein lui semblait nécessaire, alors que de nombreux conflits y étant liés se sont enchainés dans les campus américains au cours des dernières années. Un espace unique Bien que le campus universitaire soit public et démocratique, « les types de discours y sont différents que dans la sphère publique en général », affirme-t-elle. Alors que la sphère publique devrait demeurer neutre, c’est-à-dire, où l’on ne peut discriminer les différents discours selon leur contenu, « les campus
constituent une entité entièrement séparée », du fait de la singularité de leur mission, englobant la recherche de la connaissance et la préparation à la démocratie. Seulement, cette mission, explique Sigal Ben-Porath, se serait transformée. L’on veut éduquer encore plus d’étudiant·e·s, et de manière plus diversifiée et les politiques mises en place dans l’ensemble de la sphère publique ne s’enlignent pas toujours avec cet objectif. C’est donc aux universités que reviendrait le devoir de promouvoir une « liberté inclusive », une liberté d’expression qui tend à être diversifiée et inclusive. Pour atteindre cet objectif, la professeure témoigne du besoin fondamental de reconnaître l’inégalité des charges que portent les étudiant·e·s face à cet enjeu. Seulement après avoir admis ces disparités peut-on, selon elle, travailler à créer un climat d’expression inclusif. Qu’est-ce-qu’un safe space? La notion de climat sécuritaire, ou de « safe space » peut être comprise de multiples façons, fait comprendre Sigal Ben-Porath. Le recteur de l’Université de Chicago,
en 2016, avait envoyé une lettre à ses étudiant·e·s déclarant : « Notre engagement en faveur de la liberté académique implique que nous ne soutenons pas les « trigger-warnings » (avertissement écrit ou oral qu’un concept abordé pourrait redéclencher un traumatisme psychologique, ndlr) », […] et ne tolérons pas la création de safe spaces intellectuels ». L’intention était de communiquer l’idée que l’Université ne devrait pas limiter la réflexion
le fait de voir l’autre comme un égal, et comme un individu invité à participer à la conversation. Priorité aux étudiant·e·s Sigal Ben-Porath a beaucoup insisté sur le rôle primaire des étudiant·e·s, tout d’abord parce que les conversations importantes, au-delà de la salle de classe, se déroulent au sein de groupes étudiants et lors d’événements sociaux.
« Il y aurait une distinction entre prudence intellectuelle et prudence face à la dignité de l’autre. La première, en effet, irait à l’encontre du développement académique, mais la deuxième serait impérative » intellectuelle et devrait plutôt être un espace de prises de risques. Mais selon la professeure, il y aurait une distinction entre la prudence intellectuelle et la prudence face à la dignité de l’autre. La première, en effet, irait à l’encontre du développement académique, mais la deuxième serait impérative. Cette « dignitary safety » se traduirait par
Les groupes étudiants devraient, selon elle, avoir la mainmise sur qui ils veulent inviter sur leur campus. En septembre 2017, la société fédéraliste de l’Université de Pennsylvanie, un groupe d’étudiant·e·s conservateur·rice·s, invitait Heather MacDonald, auteure d’un livre clamant que la violence policière n’était qu’une
idée fausse répandue par des groupes tels que Black Lives Matter. Rien n’a été fait pour l’empêcher de venir, mais une manifestation pacifique militant contre les positions de l’invitée et soutenant Black Lives Matter a été organisée en contrepartie devant le bâtiment. Cet exemple illustrerait sa vision d’une bonne utilisation de la liberté d’expression universitaire. Tout de même, ajoute-t-elle, l’Université se doit d’assurer la sécurité de tous, par le biais de la police du campus, par exemple. Certaines des critiques de son livre, comme celle de The Economist, trouvent ses idées pertinentes mais leurs applications pratiques encore trop vagues. Au cours de la période de questions, beaucoup d’interrogations sont restées sans réponse : comment s’assurer que l’administration ne joue en faveur de personne en encourageant les initiatives de groupes étudiants? Jusqu’où devrait s’étendre le pouvoir des étudiant·e·s en termes de liberté d’expression? Ceux· celles-ci ne devraient par exemple pas, selon elle, avoir de pouvoir sur le contenu de leurs cours. La discussion reste donc inachevée.x
campus
Le populisme débattu à McGill Conférence : « La montée du populisme menace-t-elle les bonnes politiques publiques »? astrid delva
BÉATRICE MALLERET
Contributrice
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e mardi 5 février avait lieu à McGill une conférence sur le populisme intitulée : « La montée du populisme menace-t-elle les bonnes politiques gouvernementales ? » (« Does Rising Populism threaten good public policy ?», ndlr). Modérée par David Shribman, rédacteur en chef du Pittsburgh Post-Gazette, la conversation était menée par quatre panélistes : Eliana Johnson, reporter à Politico, Chantal Hébert, chroniqueuse au Toronto Star, E. J. Dionne, chroniqueur au Washington Post et Bruce Anderson, président chez Abacus Data, une entreprise canadienne de sondage et d’études. Définir le populisme Comme l’explique Chantal Hebert, le populisme, avant d’être un mouvement « antidémocratique », serait un mouvement constitué par « un groupe de per-
sonnes ayant des convictions communes » et trouverait ses racines dans les défaillances du système. D’autre part, Eliana Johnson, qui travaille de près avec la Maison Blanche à Washington, a ajouté, se référant à Donald Trump, que « le populisme est un cadre intellectuel dans lequel une personne affirme représenter tous les individus d’une nation », alors que ce même cadre, selon cette dernière, serait restreint puisque l’individu ne fait
le délit · mardi 12 février 2019 · delitfrancais.com
que représenter « les personnes qui soutiennent le leader ». Les racines du populisme Concernant les racines de ce type de mouvement, beaucoup de facteurs rentreraient en jeu, selon les quatre invité·e·s. En effet, E.J. Dionne affirme que la crise financière globale qui a touché le monde, tout comme les crises climatique et migratoire, seraient à la source de nombreux enjeux
auxquels les politicien·ne·s n’ont pas toujours de réponse concrète. Ces problématiques auraient mené à la montée du racisme et au refus de l’immigration ainsi qu’à la méfiance face au libre-échange. Pour Chantal Hébert, le renversement de code pour les hommes blancs privilégiés aurait mené à une forme de colère de la part de ces derniers qui n’auraient plus toujours le pouvoir de se sortir de certaines situations politiques. On pointe également du doigt le manque d’intérêt des citoyen·ne·s américain·e·s envers la politique nationale pendant les élections qui aurait contribué à la victoire de Donald Trump. En effet, il·elle·s se seraient selon lui tournés davantage vers les réseaux sociaux. Celui-ci cite par exemple, en plaisantant, le succès de Cardi B, la rappeuse américaine qui comptabilise des millions de vues sur ses vidéos Instagram. Il achève en déclarant : « Nous avons les politiciens que nous méritons ». L’égoïsme des citoyen·ne·s
et des dirigeant·e·s est mis en avant par les quatre participant·e·s, puisque selon Eliana Johnson, « Trump ne se voit pas comme un républicain ni un homme politique, mais il est comme un grand patron », faisant notamment référence à ses incidents diplomatiques. D’autre part, le « silence de la majorité citoyenne » aurait donné raison à la montée de Trump. Enfin, le débat concernant la place des élites aux États-Unis a été soulevé, lorsque Bruce Anderson a rappelé que selon des études statistiques menées lors des élections, «15% des hommes blancs diplômés de l’université ont voté pour lui ». Eliana Johnson estime de son côté que « les gens les plus intelligents ne servent plus leur pays », expliquant que « les diplômés des plus grandes universités préfèrent travailler dans le secteur privé, alors qu’auparavant ils travaillaient pour les grandes instances gouvernementales ». Tous les participant·e·s sont unanimes : le populisme est un grand enjeu du 21e siècle. x
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CAMPUS
Post-colonialisme et néolibéralisme Une conférence de Africa Speaks dresse un portrait critique du mouvement néolibéral. Anja Helliot
Contributrice
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e 9 février dernier, l’auditorium de la Faculté de droit était occupé par une cinquantaine de personnes, réunies autour d’une discussion sur l’Afrique dans l’ère néolibérale. L’évènement marquait la fin du week-end de conférences afro-centrées, intitulé « Africa Speaks » [L’Afrique Parle, ndlr], entièrement organisé par la Société des étudiants africains de McGill, en plein Mois de l’histoire des Noir·e·s. Caractérisé par l’économie de marché, la dérégulation, la privatisation et la compétition, le néolibéralisme est un produit de l’Occident, dont les conséquences de son introduction sur le continent africain ont souvent été critiquées. Dans un monde toujours plus mondialisé et compétitif, la question centrale de la discussion était de savoir si l’Afrique avait vraiment le choix ou non de suivre la route néolibérale, tracée par les pays du Nord. La discussion était modérée par un élève de McGill, Abdel Dicko, étudiant en sciences politiques et en études africaines. Deux étudiants de troisième année figuraient également parmi les panélistes invités, Yves Abanda et Nicholas Toronga. Khalid Medani, directeur de l’Institut des études islamiques et Evan Kirigia, professeur d’anthropologie constituaient le reste du panel. Les débuts du mouvement La première partie de la discussion s’intéressait aux racines historiques du néolibéralisme, ainsi que les circonstances qui l’ont mené à s’implanter en Afrique. C’est la période post-Seconde Guerre mondiale qui semble avoir amorcé la naissance du néolibéralisme avec notamment les accords de BrettonWoods, et la dérégulation du système financier international, ainsi que la création d’institutions telles que la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International (FMI). C’est pendant les années 1960 que l’Afrique est exposé, pour l’une des premières fois, au néolibéralisme. Traversée par une vague d’indépendance et d’optimisme, de nombreux mouvements cherchent à renforcer la présence mondiale du continent. Les pays européens, expérimentant des taux de croissance élevés pendant les Trente Glorieuses, vont permettre aux États africains de financer leurs projets de développement grâce à de nombreux prêts. Si les États africains s’industrialisent et connaissent une forte croissance dans les années 1960, ils s’engagent également dans un cycle d’endettement dont les
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retombées négatives perdurent jusqu’à aujourd’hui. En effet, dans les années 1980 et 1990, les économies africaines étaient largement déficitaires et c’est aussi durant cette période que les institutions financières du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale se réaffirment dans l’économie mondiale. Elles semblent être l’unique solution au problème
« Nicholas Toronga a soutenu que le néolibéralisme, dans cette perspective, était une ‘‘réinvention du colonialisme’’ » de la dette africaine en proposant aux États endettés de nouveaux prêts, qui serviront à rembourser les pays européens créanciers. Seulement, les prêts ne sont pas octroyés sans condition : les pays receveurs doivent se plier aux strictes règles des programmes d’ajustements structurels. Réduction drastique des dépenses publiques (en santé, éducation, et social), privatisation des entreprises, dévaluation des devises monétaires sont quelques exemples des mesures promues par ces programmes. En bref, c’est véritablement à cet ins-
tant que l’Afrique a pris la tournure du néolibéralisme. Réactions face à l’Histoire La discussion s’est alors tournée vers l’évaluation critique de cette rencontre. Ces mesures néolibérales ont-elles bénéficié à l’Afrique? L’avis pessimiste était largement partagé par les quatre panélistes. Les programmes d’ajustements structurels, en négligeant les enjeux locaux et sociaux, ont dévasté les économies des pays receveurs et accéléré la paupérisation de la population. Finalement, peu de pays expérimenteraient une véritable augmentation de leurs richesses, et ces programmes deviendraient un fardeau de plus, qui multiplie la dette africaine par trois de 1980 à 1990. Nicholas Toronga a soutenu que le néolibéralisme, dans cette perspective, était une « réinvention du colonialisme », en tant qu’il a réussi à reproduire un schéma d’extraction des ressources africaines vers les pays du Nord, en privilégiant l’export aux problèmes locaux. Le professeur Medani a souligné le décalage qui existait entre l’idéologie néolibérale et les valeurs promues dans la majorité des sociétés africaines. Le néolibéralisme est, selon lui, « inhumain », « amoral », relié à l’individualisme, l’égocentrisme tandis que la solidarité et le
partage forment le socle de plusieurs cultures en Afrique. Les Africains du 21e siècle, tiraillés, essaient donc de réconcilier ces deux parties en permanence. Yves Abanda a insisté sur l’immoralité de la situation à laquelle les États africains faisaient face à la fin des années 1990 : contraints de prioriser le remboursement de leur dette plutôt que de répondre aux besoins de leur population.
« L’Afrique est plus qu’une opportunité de commerce » Et maintenant ? La discussion s’est ensuite orientée vers les différentes solutions du problème. Le Panafricanisme et le renforcement de la coopération africaine semblaient faire le consensus au sein des panélistes, mais il ne résoudra pas tout. Le secteur privé a également un rôle important à jouer selon les panélistes, qui pourrait concurrencer les qualités du gouvernement en matière de moteur de croissance. L’entrepreneuriat social doit continuer d’être promu, affirment-ils, et les économies africaines pourraient véritablement bénéficier d’un partenariat entre le privé et le public. Toutefois, espérer que le capitalisme et le néolibéralisme
règlent les problèmes qu’ils ont eux-mêmes causés peut sembler vain. Le continent africain a selon les panélistes les moyens de réécrire les règles du jeu, à commencer par la réappropriation des produits de son économie. En effet, la croissance actuelle observée en Afrique est davantage causée par des investissements étrangers que par des décisions africaines. Or, « l’Afrique est plus qu’une opportunité de commerce », a affirmé Evan Kiringia. Le continent se trouve à un point critique de son histoire où la radicalité doit être considérée : l’Afrique doit selon lui parvenir à internaliser sa croissance pour en bénéficier entièrement. « Il est temps de réinventer quelque chose de nouveau », a dit Yvan Abenda. L’élaboration d’un système d’échange davantage en phase avec la culture, les valeurs, et les traditions de la société africaine, dans toute sa diversité, peut sembler aussi bien utopique que réaliste. Mais les participants de la conférence affirment que son existence dépend de multiples variables qui se doivent d’être alignées. Le dialogue, le renforcement des institutions, la poursuite de la démocratisation, et la diversification des productions seraient nécessaires à l’écriture d’un futur économique prospère pour l’Afrique. x
le délit · mardi 12 février 2019 · delitfrancais.com
Monde francophone L
e président Abdelaziz Bouteflika a annoncé qu’il allait tenter de se faire réélire pour la cinquième fois lors des élections qui se tiendront le 18 avril prochain. Âgé de 81 ans, M. Bouteflika ne fait plus d’apparitions publiques depuis l’accident vasculaire cérébral qui l’a affecté en 2013. Alors que les partis laïcs de sa coalition gouvernementale ont annoncé qu’ils allaient parrainer sa candidature, le principal parti d’opposition, le parti islamiste du Mouvement de la société pour la paix (MPS), considère que le président est inapte physiquement à gouverner et a l’intention de présenter une candidature. On s’attend aussi à ce que Ali Benflis, ancien premier ministre de Bouteflika et candidat malheureux aux élections de 2004 et 2014, se présente. Lors des dernières élections présidentielles, en 2014, M. Bouteflika avait obtenu 81,49% des suffrages sans participer à la campagne électorale.x
Texte et infographie par RAFael miro
AFRIQUE
ANTILLES
ALGÉRIE HAÏTI
CENTRAFRIQUE
U
n accord de paix a été signé à Bangui le 6 février dernier afin de tenter de mettre fin aux violences opposant diverses milices entre elles et au gouvernement. Le pays est en état de guerre civile depuis les violences religieuses qui ont chassé le président autocratique François Bozizé en 2013. L’accord, parrainé par l’Union Africaine, a été négocié pendant une dizaine de jours à Khartoum, capitale du Soudan voisin. Bien qu’il s’agisse du 8e traité de paix à être signé depuis 2013, le texte de Khartoum pourrait porter ses fruits : contrairement aux précédents, il a été négocié en présence de représentants de tous les plus grands groupes armés du pays. x
D
es milliers de personnes ont manifesté le 7 février pour réclamer le départ du président Jovenel Moïse. Les manifestants reprochent au président un coût de la vie de plus en plus élevé et une inflation galopante, la gourde haïtienne ayant connu un taux d’inflation avoisinant les quinze points de pourcentage depuis deux ans. Jovenel Moïse est aussi empêtré dans un scandale de corruption le liant à la compagnie d’état vénézuélienne Petrocaribe, qui détient une fraction importante de la dette du pays : d’anciens politiciens et certains de ses proches sont accusés d’avoir détourné des centaines de milliers de dollars. Les manifestants ont paralysé en partie la capitale Port-au-Prince, forçant la fermeture d’écoles et de nombreux services publics. En plus d’être le deuxième anniversaire de l’entrée au pouvoir de M. Moïse, la date du 7 février est symbolique : il s’agit de celle à laquelle le dictateur JeanClaude Duvalier a été renversé en 1986. x
analyse politique
Les Verts ont le vent dans les voiles Le Parti Vert du Canada cherche à faire des gains aux élections du 21 octobre philippe granger
Contributeur
D
e toutes les roches que Justin Trudeau peut avoir dans son soulier, la question environnementale est sans aucun doute une des plus grosses. La dichotomie reprochée au gouvernement libéral, entre ce qui est dit et ce qui est fait, a de quoi faire réagir la population, les ONG, les militants et même les journaux étrangers. Par exemple, un éditorial du New York Times titre « Justin Trudeau’s Two-Faced Climate Game » (« Le jeu à double face de Justin Trudeau sur le climat »), alors qu’un autre du Guardian opte plutôt pour « Stop swooning over Justin Trudeau. The man is a disaster for the planet » («Arrêtez de vous languir pour Justin Trudeau : il est mauvais pour la planète» ). De quoi mettre en valeur les propositions environnementales de partis considérés comme étant plus progressistes, tels que le Nouveau Parti
Démocratique (NPD) et le Parti Vert du Canada (PVC). Progressions et déclins En vue des élections à venir, une augmentation du nombre de sièges de ces partis ne semble pas si saugrenue. Après tout, l’enjeu de l’écologie et des changements climatiques occupe depuis quelque temps une place de plus en plus importante dans la sphère médiatique et politique québécoise. Au niveau provincial, Québec Solidaire (QS) est devenu un groupe parlementaire entre autres en mettant ses
La cheffe des Verts, Elizabeth May
le délit · mardi 12 février 2019 · delitfrancais.com
mesures écologiques à l’avant-plan, alors que le Parti Vert du Québec s’est manifesté comme une option jeune et nouvelle (par exemple, la moyenne d’âge de ses candidats était de 34 ans). De surcroît, un récent sondage commandé par Le Journal de Montréal met côte à côte le NPD (8%), le Parti Populaire du Canada (PPC) (6%) et le PVC (5%) dans les intentions de vote au Québec. Bien que prématurées et précaires, ces données semblent confirmer le déclin du NPD. En entrevue à CTV, Thomas Mulcair, ancien chef du NPD et ancien ministre de l’Environnement du Québec, a confié que le Parti Vert pourrait s’avérer être la parfaite option pour les « progressistes cherchant un refuge en ce qui a trait aux enjeux environnementaux ». Ce désaveu de l’ancien chef, nonobstant ses motivations sous-jacentes, pèse lourd sur la confiance de l’électorat envers le NPD.
Un mouvement pan-canadien Par ailleurs, cette tendance verte est loin de ne se manifester qu’au Québec. Des articles parus ce mois-ci à travers le pays, tels que « Greens’ Day » (« Le jour des verts ») de Maclean’s ou « Elizabeth May croit le temps venu pour les verts » du Devoir, notent justement cette croissance, précisant notamment le fait qu’il y a présentement à travers les provinces dix députés verts (en Colombie-Britannique, au
ment parce que la majorité de ces pays ont adopté un système de scrutin proportionnel, ce qui n’est pas le cas présentement au Canada. Il ne semble pas y avoir eu de réel examen de conscience post-Mulcair au sein du NPD. La principale difficulté du parti résidait (et réside toujours) dans son retour comme tiers parti, dans son positionnement au sein de la bipolarité Libéraux-Conservateurs. Elizabeth May et son parti ont pris la balle au bond, bénéficiant d’ailleurs de plus
« L’écologie et des changements climatiques occupe depuis quelques temps une place de plus en plus importante dans la sphère médiatique » Nouveau-Brunswick, en Ontario, à l’Île-du-Prince-Édouard et au gouvernement fédéral). En outre, Maclean’s souligne que, si d’autres pays réussissent à avoir davantage de sièges verts, c’est principale-
en plus de fonds. Ainsi, il va sans dire que ce nouvel alignement politique pourrait, comme c’est arrivé dans de nombreux pays, laisser place cette année à un plus grand nombre de députés verts. x
actualités
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Société societe@delitfrancais.com
opinion
Prescrire l’empathie
Béatrice Malleret
Mon expérience à l’hôpital m’ouvre les yeux sur les personnes qui occupent ses couloirs. Niels Ulrich
Coordonnateur de la production
J’
ai eu une thrombose cérébrale (une forme rare d’AVC), en août 2018, dix jours après mon vingtième anniversaire. Si au cours de cet accident, et même aujourd’hui, cela ne me semblait, ne me semble, pas si grave, ces mots font peur. Il peut être effrayant de se dire que l’on a eu ce genre d’accident à cet âge-là. Pourtant, les seules choses qui me restent de cet épisode sont un traitement anticoagulant et des contrôles réguliers à l’hôpital. C’est d’ailleurs maintenant presque devenu un fun fact que je peux m’amuser à placer dans une conversation. Je n’en garde aucune séquelle, mais des souvenirs. Dans le contexte d’un séjour à l’hôpital, et d’un alitement forcé, plusieurs situations pouvant sembler complètement banales, comme se nourrir ou encore s’habiller, deviennent délicates. Ces dernières peuvent facilement devenir humiliantes, frustrantes. J’ai été hospitalisé dans le service des soins intermédiaires, soit avec une surveillance importante, des contrôles réguliers, du service de neurologie aux Hôpitaux Universitaires de
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société
Genève. J’avais l’interdiction complète de me redresser pendant plusieurs jours. Un acte aussi simple que de changer les draps devient humiliant lorsqu’il est impossible de quitter son lit. Rouler d’un côté à l’autre, pour permettre à l’aide-soignante de remplacer les draps peut rapidement donner le sentiment d’être un objet encombrant. Après cette hospitalisation, j’ai dû poursuivre mon traitement à Montréal. Ainsi, plus que de dresser une comparaison entre différents systèmes de santé, je souhaiterais au travers du récit de ces expériences pointer l’importance de la dimension humaine des hôpitaux, souvent mise de côté. Ouvre les yeux C’est en commençant à réfléchir de cette manière que je me suis rendu compte qu’il était tellement facile de se centrer sur soi-même lors d’un séjour à l’hôpital. Après tout, quelque chose de grave m’était arrivé, j’avais le droit de me morfondre. C’est ce que tout le monde autour de moi semblait se dire. Pourtant, une fois les choses désagréables acceptées, il était impossible de ne pas voir ce qu’il se passait autour de soi, de ne pas voir les autres, patient·e·s ou membres du per-
sonnel hospitalier. Après tout, on a le temps. Certaines souffrances sont plus diffuses, moins physiques, moins évidentes. Ces dernières m’ont beaucoup marqué. Le premier exemple qui me vient à l’esprit est celui de ma première voisine de chambre. À force d’écouter les conversations entre les infirmier·ère·s ou celles au cours des visites familiales, j’ai pu me faire une idée de sa personne. Elle avait 93 ans, vivait seule et avait eu un accident vasculaire cérébral, lui ayant fait perdre connaissance et chuter lourdement. Son fils l’a retrouvée plus tard sur le sol de sa cuisine. Elle avait dû être opérée puis immobilisée, afin de permettre à ses hématomes de guérir plus rapidement. Je n’ai jamais vu son visage, un rideau nous séparait. J’ai entendu sa voix. Elle était aimable, drôle par moments, mais ne semblait pas toujours comprendre pourquoi elle était là. Parfois, lors des contrôles infirmiers, qui intervenaient toutes les trois heures environ, elle se réveillait en criant. Chaque contrôle nocturne devenait une épreuve : elle pensait se trouver dans son lit, chez elle, les infirmier·ère·s lui apparaissaient donc comme des cambrioleur·euse·s. Elle criait,
appelait son mari, son fils, sa fille. Elle a même mordu l’une des infirmières. Le lendemain, elle se réveillait et réalisait où elle était. Honteuse, elle s’excusait à répétition, pleurait, demandait aux infirmier·ère·s de transmettre des messages d’excuse à leurs collègues, racontait sa honte à ses enfants venus la voir.
à Montréal, et me montrait fièrement son t-shirt arborant les couleurs du Québec. Il me disait que j’avais de la chance, que je partirais, que je retournerais bientôt, « où ça déjà? ah oui », à Montréal, que lui en avait pour encore plusieurs mois ici. Parfois, il se levait, faisait quelques pas, me regardait, et retournait dans
« Il était impossible de ne pas voir ce qu’il se passait autour de soi, de ne pas voir les autres, patient·e·s ou membres du personnel hospitalier » Après quelques jours j’ai été transféré dans une nouvelle chambre, avec moins de surveillance, moins de contrôles. Là, j’ai rencontré mon nouveau voisin. Il était là depuis bien plus longtemps que moi, environ trois mois. Au moment de mon arrivée dans la chambre, il était « en permission ». Je pensais au début qu’il ne parlerait pas, il semblait même être mécontent d’avoir un nouveau voisin de chambre. Le lendemain, il m’a demandé si je m’ennuyais. Il me proposait alors de faire des mots croisés en sa compagnie. Il me parlait ensuite de sa fille, étudiant aussi
son lit. Parfois, il commentait mes lectures. Parfois, seulement un regard. Parfois, rien du tout. Il avait souvent l’air perdu. Ce n’était pas lui qui avait l’air le plus triste, mais plutôt sa femme, qui passait de longues heures à l’écouter, le regarder, lui tenir la main. Elle répétait que ce n’était pas le premier accident qu’il avait eu, que le traitement était long. Une autre partie de cette expérience qu’il est impossible de ne pas mentionner est le personnel hospitalier. Quand on pense à un hôpital, la première image qui nous vient à l’esprit est un groupe de chirurgien·ne·s entou-
le délit · mardi 12 février 2019 · delitfrancais.com
rant un·e patient·e, suggérant des solutions. J’ai pu connaître cela: les médecins faisaient irruption dans ma chambre accompagnés d’un groupe impressionnant
« Cette expérience m’a permis [...] de me rappeler le privilège que l’accès à la santé représente » d’internes en neurologie qui échangeaient en termes médicaux, pour ensuite soudainement se rappeler que j’étais là. Ils m’adressaient alors quelques banalités ou me donnaient des explications un peu floues quant à mon état. Souvent, après la sortie de ce groupe, entrait une aidesoignante qui me demandait comment cet examen s’était passé. Elle venait vérifier que tout allait bien, changer les draps, ou apporter un repas, mais restait souvent un moment, discutait. Sa présence était beaucoup plus rassurante que celle du groupe de médecins. Elle disait d’ailleurs que les médecins étaient gentil·le·s, mais qu’il·elle·s n’étaient pas toujours très doué.e.s pour trouver les mots justes. Les personnes que je retiens comme celles qui apaisent, rassurent et qui apportent du réconfort sont sans hésitation les infirmier·ère·s et aides-soignant·e·s. Je retiens une bienveillance forçant l’admiration. Ces personnes, souvent invisibilisées, et dont le rôle est sous-estimé dans la perception collective, méritent selon moi un respect sans borne. Attente mécanique À mon retour à Montréal, j’ai dû continuer mon suivi, les anticoagulants n’étant pas un traitement assez stable pour pouvoir être prescrits sans contrôle régulier. Mes impressions de l’hôpital n’étaient pas vraiment différentes ici. Un autre sentiment prépondérant lorsque l’on se trouve dans un hôpital est l’attente. C’est d’ailleurs quelque chose qui me paraît presque indissociable de l’hôpital. J’entre dans la salle des prélèvements sanguins, on me tend un numéro, le numéro 424 est appelé, dans ma main se trouve le numéro 502. Le·a bénévole me glisse qu’il y a environ deux heures d’attente. En fait, c’était plutôt trois heures. Je manque un premier cours, puis un deuxième. Mais je n’ai pas le choix, je ne peux pas louper le coche. Enfin mon numéro est appelé, je m’assieds à côté de l’infirmière qui me demande mon nom, mon prénom et ma date de naissance. Je me trompe presque en répondant, mon cerveau encore engourdi par l’attente. La prise de sang dure à peine cinq minutes. J’ai presque du mal à croire l’infirmière lorsqu’elle me dit que c’est fini. Le lende-
main, je me rends à la clinique de médecine interne, pour un rendez-vous avec le médecin afin qu’il me donne les résultats de mes analyses de sang, ainsi que la marche à suivre suite au contrôle. À l’instar de la veille, l’attente est longue, pour un rendez-vous qui dure tout juste dix minutes. Le médecin s’excuse, il paraît débordé. En sortant de la salle de consultation, j’aperçois le tableau de sa liste, interminable, de clients et comprends qu’il est, en effet, débordé. Cette attente s’inscrit dans le contexte d’un contrôle avec rendez-vous. Dans le cas d’une visite aux urgences, le temps d’attente moyen est d’autant plus important. En effet, il s’est élevé à 7,3 heures pour l’année 2017-2018. Ces expériences construisent une impression d’un hôpital constitué de rouages tournant lentement, mais efficacement. Pourtant, au milieu de cette organisation quelque peu désincarnée, il reste des contacts humains, comme avec un·e voisin·e de salle d’attente, ou encore avec des infirmier·ère·s et docteur·e·s.
drait l’hospitalisation et les services hospitaliers plus agréables tant pour le corps médical que pour les patient·e·s. Cette expérience m’a permis d’une part de me rappeler le privilège que l’accès à la santé représente. D’autre part, j’ai pu relativiser - ce mot que l’on lance à tout-va, sans vraiment penser à ce qu’il signifie. Parce que oui, en effet, cela aurait pu être pire. Si l’idée de devoir suivre un traitement à vie m’a paru effrayante de prime abord, elle a cessé de l’être lorsqu’elle est devenue impérative. La possibilité d’un nouvel accident, flottant comme une sorte d’épée de Damoclès au-dessus de ma tête, m’effraie encore.
À chaque mal de tête résonne discrètement une petite alarme. Pourtant, là encore, je m’estime chanceux, de pouvoir n’éprouver qu’une simple inquiétude. Jusqu’alors, l’idée que j’avais de l’hôpital était celle d’une grande institution dans laquelle on vient effectuer un contrôle (plus ou moins rapide), ou une simple visite. Il est facile d’oublier que derrière cette machine à soigner, il y a des gens, tant des patient·e·s que des infirmier·ère·s, aidessoignant·e·s, médecins, membres du personnel hospitalier. Désincarner l’hôpital est quelque chose de relativement aisé à faire, que ce soit par sa manière de fonctionner et sa taille, mais
aussi en raison du fait que l’on préfère imposer de la distance entre nous-mêmes et ce qu’il représente. Souvent source d’angoisses, synonyme de maladie, l’hôpital est quelque chose dont il est facile de vouloir se détacher. L’accès à la santé est un droit universel, il est normal de s’attendre à être soigné. Cependant, le fait que le système médical rende le processus de consultation et de traitement plus mécanique que personnel, tout dysfonctionnement est reproché au personnel médical, en première ligne face aux reproches. Réformer les systèmes hospitaliers afin de permettre plus de compassion me semble donc nécessaire. x
« Le fait que le système médical rende le processus de consultation et de traitement plus mécanique que personnel, [...] est reproché au personnel médical, en première ligne face aux reproches »
Si les rouages sont si bien huilés, alors pourquoi tant d’attente, de stress? Se pose alors la question du manque d’effectif dans les services hospitaliers. Si au cours de l’année 2018 le gouvernement québécois a mené des politiques promettant l’augmentation des effectifs dans les secteurs de l’éducation et de la santé, le manque de personnel dans les hôpitaux se fait toujours sentir. Selon le Rapport statistique sur l’effectif infirmier, le nombre d’infirmier·ère·s inscrit.e.s à L’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) a d’ailleurs légèrement diminué au cours des années 2017-2018. Les salles d’attentes, surtout des services d’urgences publics, restent remplies, avec d’ailleurs des taux d’occupation record en janvier 2019. Les conditions de travail, de par la nature des métiers du secteur médical, peuvent être éprouvantes, mais sont exacerbées par ce manque d’effectif. Si ces métiers sont souvent considérés comme des métiers de vocation, ils n’en restent pas moins difficiles, tant sur le plan émotionnel que physique, avec des horaires très contraignants. Le mécontentement des professionnels de la santé quant à leurs conditions de travail n’est évidemment pas un phénomène nouveau. Les grèves infirmières de 2015 au Québec, appelant à la réforme du système de santé et des conditions de travail, en sont la preuve. Il reste donc d’une importance majeure de rendre le secteur de la santé plus attractif, avec notamment des conditions de travail moins éprouvantes. Une réorganisation permettant un retour à une échelle plus humaine, moins de patient·e·s par infirmier·ère et docteur·e ren-
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Béatrice Malleret
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Rien de nouveau sous le soleil Mouvements contestataires de 2009 : quelles retombées pour les Antilles françaises? ethno-économique révélé par le mouvement de février 2009 est aujourd’hui encore bien perceptible, les békés possédant en 2018 plus de 80% des commerces de distribution alimentaire de plus de 400m2 en Martinique, sans parler de leur mainmise sur les industries sucrière et bananière, principaux secteurs d’exportation de l’île.
Jérémie-clément Pallud
Contributeur
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ix ans plus tard, retour sur un mouvement social qui a ébranlé les Antilles françaises et révélé la fracture existante entre l’État français et certains de ses départements d’Outre-mer. Une grève de grande ampleur Le 20 janvier 2019, marquait le dixième anniversaire du début d’une grève faisant maintenant partie intégrante de l’histoire et de la mémoire des deux îles. Sur fond d’augmentation des prix du carburant, le mouvement social est initié en Guadeloupe par le Liyannaj Kont Pwofitasyon (« Collectif contre l’exploitation outrancière » en créole guadeloupéen), plus communément abrégé en LKP. Le mouvement se donne pour but premier de lutter contre le coût excessif de la vie en revendiquant notamment une baisse des prix du carburant et des produits alimentaires de base, ainsi qu’une revalorisation des bas salaires. La relative réactivité du gouvernement ayant dépêché son secrétaire d’État à l’OutreMer, Yves Jégo, sur l’archipel guadeloupéen dans les jours qui ont suivis n’a toutefois pas permis d’empêcher au mouvement de se répandre en tâche d’huile. En effet, dès le 5 février 2009, la Martinique se rallie à la cause du LKP. Les deux départements, parfois qualifiés d’« îles sœurs », font alors honneur à cette dénomination et s’organisent en front commun, cristallisant par la même occasion un mouvement d’une ampleur sans précédent que l’on surnommerait dès lors la « grève contre la vie chère ». Durant plus d’un mois, la Martinique et la Guadeloupe sont paralysées et l’économie tourne au ralenti dans les deux départements. Les secteurs publics comme privés sont atteints par la mobilisation ; les établissements scolaires et les commerces sont quasiment tous fermés. Malgré tout, les revendications restent fortes, obligeant Martiniquais·e·s et Guadeloupéen·ne·s à s’organiser pour pallier la fermeture des commerces. Ainsi, si l’économie est inerte, l’économie souterraine et le troc vont bon train : un tel est prêt à vous dépanner dix litres de carburant si vous pouvez lui fournir cinq kilos d’igname ou quelques œufs pondus par les poules qu’il vous sait élever. Cette résilience fondée sur la culture du jardin créole, assez répandue dans les sociétés antillaises, a permis à un bon nombre d’habitant·e·s de subvenir à leurs
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Et le rôle de l’État français ?
Mahaut Engérant besoins en consommant ce qu’ils engraissaient ou faisaient pousser sur leurs terrains. En Guadeloupe, Élie Domota, porte-parole du LKP, devient la figure emblématique du mouvement et, fort du soutien d’une grande partie des antillais·e·s, mène les revendications. De nombreuses manifestations rassemblant plusieurs milliers de partisan·e·s sont organisées en Martinique comme en Guadeloupe et un slogan emblématique émerge, scandé en cœur par la foule : « La Gwadloup sé tan nou, la Gwadloup sé pa ta yo : yo péké fè sa yo vlé adan péyi an-nou » (« La Guadeloupe est à nous, la Guadeloupe n’est pas à eux : ils ne feront pas ce qu’ils veulent dans notre pays »). En Martinique, le slogan, entre temps érigé en hymne, est repris en créole martiniquais mais légèrement modifié, devenant : « Matinik sé tan nou, Matinik sé pa ta yo, an bann pwofitè volè, nou key fouté yo déwò » (« La Martinique est à nous, la Martinique n’est pas à eux, une bande de profiteurs et voleurs, nous allons les foutre dehors »). Eux ? Les profiteurs-voleurs ? La population locale fait référence à une catégorie sociale bien précise, les békés (ou blancs créoles), descendant·e·s des colons européens et représentant moins de 1% de la population martiniquaise mais concentrant entre leurs mains l’essentiel de l’activité économique de l’île. C’est donc eux·elles qui sont accusés de gonfler les prix de l’île, les coûts du transport ne suffi-
sant pas à expliquer la cherté des produits alimentaires de base. Au cours des manifestations, les esprits ont parfois tendance à s’échauffer et le gouvernement n’hésite pas à mobiliser ses Compagnies Républicaines de Sécurité (CRS), ce qui rajoute de l’huile sur le feu dans un climat social déjà très tendu. À plusieurs reprises, des rencontres sont organisées entre les syndicalistes et les représentant·e·s de l’État français présents sur place, mais les négociations peinent à aboutir. Finalement, le 5 mars 2009, après plus d’un mois et demi de mobilisation, un accord est trouvé entre les syndicalistes guadeloupéen·ne·s et le préfet de la région, mettant fin à la mobilisation sur l’île. En Martinique, il faudra attendre le 14 mars pour parvenir à une résolution du conflit et mettre un point final à la grève contre la vie chère.
années et s’est vue remplacée en 2013 par un « Bouclier Qualité Prix ». Ce dernier, mal connu et touchant une gamme moins large de produits n’a cependant pas permis d’améliorer substantivement le pouvoir d’achat des ménages antillais. De façon générale, les produits alimentaires restent beaucoup plus chers en Martinique et en Guadeloupe, les données les plus récentes montrant un écart de plus de 30% avec les prix hexagonaux, bien plus que l’on ne pourrait expliquer par de simples coûts additionnels de transport. Sur les réseaux sociaux, la diffusion encore d’actualité de photos comparant les écarts exorbitants de prix entre les Antilles et la France métropolitaine montre
S’il y a bien une chose que la grève contre la vie chère aura révélé, c’est l’abîme béant qui se creuse entre la France et ses départements d’outre-mer, ou tout du moins ceux du bassin caribéen. Les difficultés de communication, le temps mis à trouver un accord de sortie de conflit (plus d’un mois) et la réponse agressive de l’État français qui n’a trouvé qu’à riposter à grands coups de CRS pour contenir les manifestations, sont autant de signes de cette fracture. Au sein même des sociétés antillaises, les divergences d’intérêts entre différents groupes sociaux établis au cours d’une longue et douloureuse histoire coloniale n’arrangent pas les choses et amplifient la cacophonie qui caractérise aujourd’hui les rapports entre la France métropolitaine et certains de ses départements d’Outre-mer. Ces dernières années, l’affaire du chlordécone a également pu montrer à quel point les liens sont endommagés entre les Antilles françaises et l’Hexagone qui, sur ce sujet épineux, fait la sourde oreille et refuse de s’attaquer de front à une crise sanitaire scientifiquement avérée. En bref, la tension propre à ces rapports outre-Atlantique est révélatrice du mal qu’a l’État français à surmonter de vieux
Un bilan quasi nul
« Nombre d’Antillais·e·s ont aujourd’hui l’impression de n’être que des citoyens français de seconde zone »
Dix années plus tard, l’on serait porté à croire que ce mouvement d’une ampleur sans précédent aurait eu des conséquences durables et perceptibles dans les foyers antillais. N’en déplaise aux plus optimistes de nos lecteurs, aucune amélioration majeure ne semble avoir été observée. En effet, la principale mesure établie à la suite de la grève contre la vie chère a été l’instauration des « prix BcBa », un rabais de 20% sur les prix d’une large gamme de produits de première nécessité. Toutefois, la mesure n’a duré que quelques
bien que la population est toujours consciente du problème, même s’il semble que l’indignation effervescente de 2009 ait lentement laissé place à une résignation dégoûtée. Nombre d’antillais·e·s ont aujourd’hui l’impression de n’être que des citoyens français de seconde zone, infantilisés par un gouvernement qui semble ne considérer leurs revendications que comme de simples caprices desquels il peut aisément se débarrasser par des mesures friables, sans véritable réorganisation structurelle. Par ailleurs, le clivage
schémas relationnels coloniaux. Cela pousse à questionner la véritable valeur du statut de « département d’outre-mer » offert à ces territoires par la loi de départementalisation de 1946. Au-delà d’un simple camouflage nominal, la France devra sûrement fournir de plus amples efforts si elle souhaite véritablement se réconcilier avec ses anciennes colonies, au risque de voir perdre ces territoires qui ne semblent plus trop croire en l’espoir de leur intégration à un idéal national, et où le germe de l’indépendantisme est déjà bien implanté.x
le délit · mardi 12 février 2019 · delitfrancais.com
Philosophie portrait de philosophe
« La valeur d’une chose réside parfois non dans ce qu’on gagne en l’obtenant, mais dans ce qu’on paye pour l’acquérir, — dans ce qu’elle coûte. »
philosophie@delitfrancais.com
Nietzsche
Constant et la liberté des Qu’est-ce que la liberté politique? Pourquoi s’y intéresser? David d’astous
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u’est-ce que la liberté? D’entrée de jeu, cette question suscite en nous des réponses, sans doute abstraites, voire diffuses, difficilement discernables, pourtant si intuitives. C’est que nous vivons à une époque, comme toute époque, où la réponse à cette question est déjà bien ancrée en nous. Il semble que la liberté signifie pour nous être « en mesure de faire ce que nous souhaitons faire sans en être restreints, tant et aussi longtemps que nos actions n’affectent pas négativement les autres. » Il s’agit d’une conception essentiellement négative de la liberté : elle existe en l’absence d’entraves, de restrictions, elle est comprise en termes de « droits », les nôtres et ceux des autres. Cette conception de la liberté a certainement une valeur. Elle doit être défendue constamment dans nos lois, nos tribunaux et nos actions, sinon dans la plupart de nos propos. Mais elle doit aussi être examinée, soupesée. De fait, à une autre époque, à l’époque des Grecs ou au temps des Anciens, la liberté avait une tout autre signification : un individu ne naissait pas libre, mais faisait l’acquisition de sa liberté par l’exercice de sa citoyenneté. Il s’agit cette fois-ci d’une conception positive de la liberté : elle existe là où il y a une possibilité d’action, ou, autrement dit, elle présuppose l’activité politique de l’individu au sein de la Cité. L’engagement civique, dans une telle société, est l’achèvement de la vie sociale. Il semble donc que l’examen de notre conception de la liberté puisse se révéler bénéfique, voire prolifique, pour notre compréhension de l’action politique, de la vie citoyenne, mais aussi, du monde qui nous entoure. Or, cette question s’est articulée de façon sublime dans la pensée de Benjamin Constant, acteur important des années révolutionnaires d’une France en pleine ébullition, qui opposait la liberté des « Anciens » à celle des « Modernes ». Cette opposition pourrait être comprise, d’une certaine façon, comme une opposition entre liberté politique ou vertu politique et libertés civiles. Constant et la Révolution française La Révolution française est une expérience marquante pour le développement de la pensée libérale de Constant : elle est à la fois le parachèvement de la liberté politique et la manifestation tyrannique de la démesure révolutionnaire, catastrophique pour les droits et libertés civiles : la République et la Terreur. Comment justifier d’une part l’enfantement d’une Déclaration universelle des droits de l’homme lorsque d’autre part tous ceux qui n’y souscrivent pas sont exécutés? Voilà le paradoxe des révolutionnaires, celui de Robespierre et des autres penseurs qui le précèdent : l’imitation de la vertu politique des Anciens a pu mener au plus terrible des désastres. C’est aussi pour cela, semble-t-il, que Constant cherche à rompre avec les penseurs de son époque qui avaient l’habitude de puiser chez les Anciens pour construire leurs idéaux
politiques et sociétaux : il n’est ni possible ni souhaitable d’effectuer un retour à la vertu grecque. Constant croit que la révolution en est une « heureuse », malgré ses excès, si elle permet d’éviter la confusion entre la liberté des Anciens et des Modernes, si elle permet de les distinguer et de les comprendre toutes deux dans leurs bienfaits et méfaits.
concertée et dans la délibération, sur la place publique, des enjeux qui concernent l’intérêt collectif.
L’intérêt de cet exercice de réflexion
Toutefois, pour Constant, cela mène aussi à « l’assujettissement complet de l’individu à l’autorité de l’ensemble. » Les dirigeants sont entièrement dédiés à la chose politique et, selon lui, en souffrent. À titre d’exemple, Thucydide raconte, dans son récit de la guerre du Péloponnèse, qu’au moment où les Athéniens se réfugiaient à l’abri de l’assaut des Spartiates à l’intérieur des murs d’Athènes, Périclès, qui était stratège, mettait au feu sa propre demeure. Conscient de leur stratégie, qui consistait à ravager les demeures et les temples de l’Attique, Périclès craignait toutefois qu’il ne soit exposé à la haine générale si les Spartiates décidaient de ne pas ravager la sienne. Il est difficile d’imaginer, aujourd’hui, au temps des Modernes, un chef d’État brûler sa propre demeure pour éviter la furie de ses concitoyens : pour le meilleur et pour le pire, mais sans doute pour le pire. Qui est encore si préoccupé par le bien commun qu’il en oublie son intérêt individuel?
Somme toute, il semble que pour Constant, l’Ancien est libre sous un rapport public, mais n’a aucune liberté sous un rapport privé, tandis que le Moderne est libre sous un rapport privé, mais sa liberté politique en est la garantie presque illusoire ; sans action politique, sans défense de leur vertu, les libertés civiles ne peuvent être garanties. Il semble que ce soit sur cette garantie presque illusoire qu’il faut exhorter soi-même et les autres à agir — mais il faut d’abord réaliser que nous vivons en société ; il faut d’abord sentir que le bien-être de la collectivité influence directement le nôtre. S’il n’est plus possible de faire revivre les régimes politiques propres à la vertu politique des Anciens, car il faut bien se garder de ne pas tomber dans une vaine nostalgie, encore est-il toujours possible de les admirer, et de vouloir les émuler. Voilà, il me semble, l’intérêt d’examiner notre conception de la liberté et de la comparer avec celle des Anciens. Cet examen nous demande de défendre cette conception que nous nous faisons de la liberté : et il y a là une tâche qui n’est pas simple, mais qui doit être faite si nous souhaitons préserver les vertus de notre société libérale. Car elle ne va pas de soi, contrairement à ce qui est trop souvent cru. Elle nous demande aussi et surtout de la critiquer, d’en voir les défaillances. Cela, à terme, nous mène aussi à nous questionner sur la nature du meilleur régime politique et sur les façons d’assurer la pérennité de la liberté politique et de la conscience sociale dans une société individualiste, où elle est trop souvent oubliée.
C’est que, par opposition à la liberté politique des Anciens, les Modernes conçoivent la liberté d’abord et avant tout Prune Engerant comme une « jouissance paipouvoir social sible » et garante « entre tous les citoyens d’une même patrie. C’était là ce qu’ils d’indépendance privée » : « c’est pour chacun le droit de n’être soumis qu’aux lois, de nommaient liberté. Le but des Modernes ne pouvoir être ni arrêté, ni détenu, ni mis est la sécurité des jouissances privées ; et ils nomment liberté les garanties accordées par à mort, ni maltraité d’aucune manière, par l’effet de la volonté arbitraire d’un ou de les institutions à ces jouissances. » plusieurs individus. » Plutôt que la guerre et la politique, ce qui préoccupe le Moderne, C’est là, dans cette grande idée de la penc’est le commerce, l’enrichissement et la sée de Constant sur la liberté, que nous satisfaction de ses désirs dans sa sphère pridevrions porter notre intérêt. Car un renvée, et l’absence de l’intervention de l’État versement aussi radical dans l’état social pour lui en priver. Tout un chacun travaille découle nécessairement de conditions pour gagner sa vie, et veut jouir de ce travail. humaines très différentes : ces deux types Pour Constant, la liberté des Modernes est de liberté sont propres à deux mondes polidavantage garante de paix et de prospérité, tiques différents. mais surtout, elle permet la participation de chacun à la vie citoyenne, ce qui n’était Constant explique que, pour les Anciens, pas le cas dans la Cité grecque : le loisir des la Cité est intrinsèquement liée à toute citoyens était le fruit du labeur de leurs vie et à tout bonheur individuel, et l’indiesclaves. Ainsi, la liberté des Modernes vidualité est sacrifiée au sein de la nation est celle des droits et libertés civiles, des pour remplir son devoir de citoyenneté. La aspirations libérales que nous connaissons liberté politique, véritable vertu politique, aujourd’hui si bien. est entièrement contenue dans l’action
De toute façon, l’exercice qui se déploie par une méditation sur la liberté politique présuppose une activité qui est bien différente, paradoxalement, à celle que prévoit l’exercice de cette vertu. Le caractère particulier de l’idée de « Liberté » vient sans doute de sa multiplicité, de son historicité. Or, la liberté du sage, celle de Socrate, Montaigne et Nietzsche, celle de l’arrière-boutique, est bien différente de la liberté politique qu’Aristote décrit dans les Politiques, celle qu’étudient Constant et Tocqueville. Ce n’est pas celle de l’homme d’action, tel Thémistocle, Périclès et Alcibiade, mais celle du libre penseur. Cette liberté intellectuelle, propre à la philosophie, qui cherche à se libérer de l’opinion et du dogme, à comprendre l’homme et son monde, bref, à cultiver la vie de l’esprit, est, elle aussi, soumise perpétuellement aux flots nivelant du confort et de l’indifférence, de la recherche du bien-être et de la sécurité. Cet exercice de réflexion sur la liberté politique, cette exhortation à l’éveil politique et social, cette réalisation qu’il y a, à l’extérieur de notre bulle individuelle, un monde dont on dépend, doit aussi s’accompagner d’une mise en garde quant au caractère contraignant de toute vie en société. Se questionner sur le meilleur régime, c’est aussi remettre en question cette contrainte. Mais il y a là, à mon avis, l’exercice le plus bénéfique pour l’individu, par opposition à la jouissance du bien matériel que Constant met de l’avant. Le vrai danger est et restera toujours, de négliger cette vie au profit de celle de l’action. x
La liberté des Anciens et des Modernes Dans un discours prononcé à l’Athénée de Paris, en 1819, Constant soutint que l’un des résultats de la Révolution fut celui d’un renversement du rapport de l’individu à la société civile, transformation en laquelle il voit une avenue souhaitable. Cela s’incarne selon lui en un changement dans le rapport du citoyen à la liberté : « le but des Anciens était le partage du
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philosophie
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Culture artsculture@delitfrancais.com
Le délit et des livres
Métro en panne « mon cul » Retrouvez l’oeuvre marquante de la semaine : Zazie dans le métro. adriele benedetto
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D
oukipudonktan. Qui se cache derrière ce néologisme égayant? Raymond Queneau, bien entendu. En effet, c’est sur cette transcription phonétique, devenue célèbre, que s’ouvre le roman Zazie dans le métro, paru en 1959. Loin d’être un lecteur assidu (mis à part les bandes dessinées), j’ai pour habitude d’entamer un livre et de ne pas le terminer, faute de rigueur ou encore à cause du détachement que je ressens parfois envers le sujet de la narration ou le style de l’auteur. Cependant, s’il y a bien un roman que j’ai dévoré avec avidité, jusqu’au point d’en réclamer davantage, c’est celui-ci. Chef de file de l’OuLiPo (Ouvroir de Littérature Potentielle) qui a pour objectif d’explorer la notion de « contrainte » littéraire et d’en constituer de nouvelles,
couronner le tout, Queneau utilise un langage qui lui est propre, fait d’emprunts à l’argot, d’expressions issues du langage familier et de transpositions phonétiques. Les jeux de mots débordent au-delà des dialogues et se frayent une place dans la narration. La trame devient presque accessoire, tant l’attention est (dé) tournée vers le langage. Ainsi, la veuve Mouaque crie aux « guidenappeurs » tandis que Zazie harcèle son oncle pour comprendre s’il est réellement « hormosessuel ». On lit également que « du soussol émanait un grand brou. Ah ah ».
l’oeuvre de Queneau se détache du roman moderne. Même si à première vue l’épopée de la petite Zazie a tout d’un roman d’apprentissage, la fin de l’ouvrage nous prouve le contraire. Zazie, jeune provinciale de douze ans, débarque à Paris avec un objectif précis : prendre le métro. Hélas, « les employés aux pinces perforantes ont cessé tout travail » et Zazie a beau riposter et s’indigner, le métro demeure en grève. Elle est alors entraînée dans une épopée loufoque avec son oncle Gabriel, danseur de charme, qui l’amène à côtoyer une ribambelle de personnages improbables, dont un chauffeur de taxi, un cordonnier, un pédophile, un groupe de touristes déchaînés, une veuve, un perroquet, et j’en passe. En bref, impossible de ne pas se fendre la poire. Pour
audrey bourdon
Je me rappelle, à ma première lecture de l’œuvre, avoir eu la sensation d’être catapulté dans le terrain de jeu d’un
académicien délirant. Cependant, si on accepte la confusion que cela engendre, il n’y a rien de plus tordant. Aussi, Queneau ne semble pas vouloir nous dégoûter en peignant un monde d’adultes pervers vu à travers les yeux innocents d’une enfant : il n’y a pas de noirceur dans ce livre, puisque le tout est présenté en l’humour et en légèreté. Seule la ville est sujette aux critiques : elle est un lieu de perdition dans lequel même ses habitants ne se retrouvent pas, si bien que le chauffeur de taxi confond les Invalides et le Panthéon. Lorsque Zazie est raccompagnée à la gare et que sa mère lui demande ce qu’elle a fait durant son séjour à Paris, elle répond succinctement « j’ai vieilli ». Zazie m’a exhorté à renouveler mon rapport à langue française, à ne plus la considérer comme une langue prescriptive et intransigeante. Il m’a poussé à me l’approprier et à reconnaître que sa richesse nous dépasse. x
littérature
Ces femmes que l’on nomme enfin La Bibliothèque de Jonquière sera rebaptisée Hélène Pedneault. béatrice malleret
Mélina nantel
Coordonnatrice à la correction
L
Pour son amie Francine Pelletier, Hélène Pedneault était une « perpétuelle indignée », qui a su prendre part aux grands combats de son temps. Véritable modèle pour les futures générations de femmes, elle avait cette capacité à rassembler les gens et à mettre sur papier la colère et l’insuffisance qui l’habitaient. Si elle se considère d’abord ellemême comme écrivaine, elle n’exerce ce métier qu’en parallèle des trois grandes causes qui dictent sa vie : le féminisme, l’environnement et l’indépendance. Cofondatrice de la coalition Eau Secours et du Conseil de la souveraineté du Québec, ses engagements politiques et sociaux auront tôt fait de la désigner comme une pionnière du mouvement féministe au Québec.
e 1er février dernier, la ville de Jonquière a annoncé que sa bibliothèque municipale serait rebaptisée, afin de porter le nom d’une grande dame ayant vu le jour dans son centre-ville : Hélène Pedneault. Cette recommandation, soumise pour une première fois en 2014, avait été présentée par un groupe d’artistes qui souhaitaient rendre hommage à l’artiste féministe et militante décédée en 2008. La mairesse de Saguenay, Josée Néron, a offert à cette demande une plus grande réceptivité que ne l’avait fait son prédécesseur Jean Tremblay, n’ayant pas souhaité de son côté, créer une politique pour la nomination des lieux publics. Rappelons que la bibliothèque de Jonquière sera la première sur le territoire du Saguenay à s’identifier au nom d’une artiste. Une reconnaissance importante Le nom d’Hélène Pedneault, connu partout à travers le Québec, est celui d’une femme écrivaine, journaliste, chroniqueuse, scénariste et activiste. Si l’on fait référence surtout à Hélène Pedneault comme une des figures marquantes du mouvement féministe au Québec, son
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Culture
Féminisme et militantisme
Reconnaître nos femmes parcours est d’autant plus élogieux lorsqu’on considère la place qu’elle a su se faire en tant que femme artiste dans un Québec patriarcal. C’est effectivement dans la ville de Jonquière qu’a débuté sa carrière. Diplômée du cégep de la région en études littéraires, elle surprend par l’audace de sa plume dans les Chroniques délinquantes, publiées
d’abord dans le magazine féministe La Vie en Rose. Ses textes sont mordants, crus, et déjà, la jeune Pedneault ne laisse pas sa place. Au cours de sa carrière, elle écrira de nombreux éditoriaux pour RadioCanada, signera deux biographies, composera des paroles de chansons, tout cela en plus d’écrire pour le théâtre et de produire plusieurs séries télévisées.
L’importance d’Hélène Pedneault dans le paysage culturel et social québécois ne se dément pas. Ces femmes engagées, marquantes et imposantes, sont pourtant nombreuses au Québec. Leur reconnaissance, elle, l’est un peu moins. Comment expliquer que les Lea Roback, les Madeleine Parent et les Idola Saint-Jean, pour ne nommer que celles-là, qui ont su transformer le Québec de
demain, sont bien souvent laissées dans l’ombre de la sphère publique? Et cela alors que les rues de Montréal abritent des noms, toujours inchangés, rappelons-le, comme celui du général Amherst, responsable de l’extermination d’Autochtones à l’époque du colonialisme britannique? Les noms que l’on donne à nos institutions ne sont pas anodins. La reconnaissance du rôle des femmes dans la société en dit long sur cette dernière. Elle témoigne d’un sexisme insidieux, d’un patriarcat qui préfère préconiser des héros immoraux plutôt que la force de ses femmes. C’est pour cette lutte que militait à l’époque Hélène Pedneault. La Bibliothèque qui portera bientôt son nom constitue un pas en avant pour la place des femmes dans la société québécoise. Les militantes ont toutefois encore bien du chemin à faire en ce qui concerne la défense des droits des femmes. La sous-représentation n’en est qu’un exemple. Puis, à quand une reconnaissance des femmes racisées, autochtones, musulmanes, handicapées au Québec? À quand une reconnaissance at large, qui cesse de reproduire les mêmes scénarios machistes et intolérants envers les marginalisé·e·s? x
le délit · mardi 12 février 2019 · delitfrancais.com
conférence
Lutter pour la représentation Le Délit était présent à la commémoration du Congrès des écrivains noirs. audrey bourdon
Éditrice Culture
L
e Congrès des écrivains noirs (Congress of Black Writers en anglais, ndlr) a eu lieu à McGill en 1968 alors que le Québec était en pleine Révolution tranquille. Les différents esprits des communautés noires de Montréal, dont les discours étaient considérés comme radicaux, s’étaient rassemblés pour une durée de quatre jours afin de discuter des diverses conséquences contemporaines de la colonisation. Mercredi soir dernier, l’Institut d’études canadiennes de McGill (MISC), la Table Ronde du Mois de l’Histoire des Noir·e·s et le Mois de l’Histoire des Noir·e·s à McGill présentaient l’événement « Écrire pour être libre : La commémoration du congrès des écrivains noirs ». Le MISC a introduit la soirée en rappelant l’importance de cet événement pour l’histoire de la littérature ainsi que pour les Canadien·ne·s noir·e·s. Des personnes inspirantes La première partie de l’événement était composée de performances artistiques diverses. L’auditoire a eu droit à des reprises de chansons et même à des créations. Un poème d’une jeune fille prénommée Béatrice était particulièrement touchant. Elle dédiait ses vers à un homme de sa famille ayant des difficultés à percevoir sa propre valeur. « Arrête de porter ce fardeau qui ne t’appartient pas. La colère et le mépris ont été les armes utilisées contre toi et le jour viendra où tes exploits ne seront pas omis dans les livres d’Histoire. » Elle a su montrer le trouble intérieur que peut causer la douleur historique d’un peuple, tout en dénonçant le manque de représentation des personnes noires dans les cours d’Histoire. La deuxième partie de la soirée s’est organisée autour de la table ronde, avec la sénatrice canadienne Anne Cools, l’écrivain et fondateur de la maison d’édition Mémoire d’encrier Rodney Saint-Éloi, l’historienne Dorothy Williams et l’autricecompositrice-interprète Elena Stoodley. La discussion était animée par Pat Dillon-Moore, l’une des porte-paroles pour le Mois de l’Histoire des Noir·e·s. La médiatrice a commencé par mentionner qu’il y avait un parallèle à faire entre les histoires des Autochtones et celle des Noir·e·s. Les histoires de ces deux peuples, colonisés et privés de leur culture respective, partagent une souffrance similaire.
manoucheka lachérie Elle a rappelé l’importance de parler ensemble et d’inclure la jeunesse dans ces discussions. C’est en profitant des jeunes esprits que la conversation est en mesure d’évoluer. La première panéliste à prendre la parole a été Anne Cools. Ce rassemblement de militant·e·s, il y a 50 ans, la sénatrice l’a vécu. Elle était présente en 1968 alors que ce fameux congrès avait lieu. Elle réalisait alors que quelque chose de plus grand qu’eux·elles était en train d’arriver à ce moment. Elle disait avoir remarqué un grand changement à l’université pour les Noir·e·s autour de l’année 1969. Elle a « remercié ses parents de l’avoir introduite à l’action très importante qu’est la lecture », en soulignant sa croyance que la plupart des relations humaines sont formées grâce à la famille. La diversité culturelle en édition Ce fut ensuite au tour de Rodney Saint-Éloi de prendre la parole. L’écrivain haïtien et membre de l’Académie des lettres du Québec a commencé par raconter comment la littérature a fait son entrée dans sa vie. C’est, paradoxalement, sa grand-mère analphabète qui lui a enseigné l’écriture et lui a donné le goût des mots. À cela, il a ajouté qu’il ne faut pas avoir honte de son histoire, peu importe la couleur que l’on a, parce que c’est la seule
le délit · mardi 12 février 2019 · delitfrancais.com
histoire qu’on a. Il m’a semblé que c’était bien là un des objectifs de la commémoration du Congrès : se souvenir que son histoire vaut la peine d’être racontée, par soi, avec son point de vue, même si l’on partage une histoire commune. Il a rappelé les propos de James Baldwin, qui disait que l’histoire des Noir·e·s, c’était l’histoire de l’Amérique et que cette histoire n’était pas belle, mais que ce n’était pas parce que l’histoire n’était pas belle qu’il ne fallait pas la dire. L’éditeur soulignait alors que « les histoires qui nous étouffent, nous aliènent, nous font grandir, elles font de nous ce que nous sommes ». La maison d’édition Mémoire d’encrier a été fondée en 2003 et se donne comme devoir de donner la voix à l’authenticité provenant de toutes les origines. Son fondateur précise : « La seule certitude que j’ai en écrivant, c’est que d’autres écrivain·e·s vont émerger. » L’éditeur fait référence à des auteur·rice·s qui ont « une vision du Québec », comme Naomi Fontaine, par exemple, une Innue ayant publié son deuxième roman, Manikanetish, avec Mémoire d’encrier. Elle y raconte son retour dans sa communauté, prise entre deux cultures. Rodney Saint-Éloi estime que c’est cette profondeur d’histoire qu’il souhaite partager au sein de sa maison d’édition. Puis, évoquant l’événement qu’est le Mois de l’Histoire des
Noir·e·s, M. Saint-Éloi ajoutait que ceci ne devrait pas se faire uniquement en février. « On parle de racisme, pas parce qu’on en a envie, mais parce qu’il existe, comme on parle des oranges parce que les oranges existent. La république ne doit être ni noire, ni blanche, ni jaune, ni autochtone, mais une culture. » Il a terminé son message en nous disant qu’il faut que « toutes et tous trouvent en eux cette part de liberté et marchent dans la ville en faisant du bien », que « dès qu’un peuple a des écrivains, des chanteurs, des gens qui regardent l’horizon, le peuple est libre ». C’était une forte conclusion qui a laissé planer une douce émotion au sein de l’assistance. L’autrice et historienne Dorothy Williams nous a par la suite présenté divers journaux écrits par des communautés noires au fil des années. Appropriation culturelle Finalement, Elena Stoodley a joué diverses cassettes de discours prononcés par des Montréalais.es noir.e.s, datant de l’époque du Congrès des écrivains noirs, matériel sur laquelle la jeune artiste fait présentement des recherches. Elle souhaitait démontrer la puissance de ces discours, d’une singularité étrangère à ce que l’on peut entendre de nos jours. Elle pense que la
fougue, l’émotion et le sentiment d’urgence présents dans la voix des militant·e·s n’ont plus la même intensité aujourd’hui. En tant qu’artiste, elle a d’ailleurs tenu à revenir sur la notion d’appropriation culturelle, sujet fortement médiatisé au cours des derniers mois. Selon elle, cette situation évoque une « continuation de la colonisation ». Faisant référence à la pièce de théâtre SLĀV tant controversée du dramaturge Robert Lepage, en parlant de la représentation des personnes noires, elle dit : « Nous ne pouvons pas raconter nos histoires, mais d’autres sont célébrés quand ils le font à notre place. » Elle termina sa présentation en expliquant sa vision de l’évolution du combat des personnes noires. « La première génération se battait pour sa vie, l’autre pour ses droits civils, et maintenant on se bat pour la représentation. » Cette soirée m’a laissée méditative quant à la force incroyable de tou·te·s ceux et celles qui ont milité pour cette cause, en cela que le combat pour la pleine équité des personnes noires demeure encore très éloignée et demande un courage sans cesse renouvelé. Reconnaissons que l’émergence d’une diversité culturelle dans les publications est un avantage majeur. L’histoire humaine qui demande à être racontée n’est pas que montréalaise et n’est certainement pas que blanche ; elle est infiniment plus riche que cela. x
culture
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Pour une reconquête artistique Kent Monkman s’empare des salles du musée McCord jusqu’au 5 mai 2019. fe Emmq Raiga-Clemenceau
évangeline Durand-Allizé
Emma Raiga-Clemenceau
Coordonatrice de la correction D’Johé Kouadio
Éditrice Culture
M
ardi dernier, entre deux cours, nous avons eu l’occasion d’assister à la conférence de presse présentant l’arrivée au musée McCord d’une nouvelle exposition signée Kent Monkman. Il est 11h10 et la présidente du musée, Suzanne Sauvage, nous accueille au rez-de-chaussée du 690 rue Sherbrooke, nous affirmant qu’on ne pourra pas « sortir indemne » de cette exposition intitulée Honte et préjugés: une
l’inestimable opportunité d’entendre les explications de l’artiste lui-même, sans intermédiaire, de ce parcours revisitant à la fois l’histoire sanglante du Canada depuis la Confédération et l’histoire de l’art l’ayant glorifiée. Corriger l’histoire Ce contre-récit poignant et nécessaire est livré par Miss Chief Eagle Testickle, l’alter ego spirituel de Kent Monkman, qui nous invite dans ce projet protéiforme. Les murs sont tapissés par des extraits de ses mémoires, ces « fictions documentaires » accompagnant les immenses toiles de l’artiste qui la mettent
« L’exposition replace une grande partie des violences dans l’histoire du Canada « moderne » afin de redonner une voix à ceux et celles qui les ont subies » histoire de résilience. Elle laisse ensuite la parole, pour notre plus grand bonheur, à l’artiste en personne. Très vite, à peine après avoir décrit la genèse de son projet, il nous invite à le suivre vers l’exposition. Nous mesurons alors
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culture
en scène, dominante et assurée. C’est ainsi une autre version de l’histoire qui est exposée grâce à ce changement de protagoniste : au lieu de glorifier les « pères de la nation », peints par les artistes blancs de l’époque, notre regard
se tourne vers Miss Chief. Cette histoire expose ainsi la résilience des peuples autochtones face à la violence multidimensionnelle des sévices coloniaux. La liste est longue, mais l’exposition replace une grande partie des violences dans l’histoire du Canada « moderne » afin de redonner une voix à ceux et celles qui les ont subies. Un des chapitres thématiques les plus incisifs est celui traitant des enlèvements des enfants, placés de force dans des pensionnats. La salle qui couvre ce chapitre restitue l’indicible atrocité de se voir privé de sa famille, de sa culture, de sa langue. Les murs sont en effet couverts de dizaines de porte-bébés traditionnels, mais l’on remarque qu’il en manque. Le vide que laissent les enfants disparus est représenté par les contours de ces objets en forme de tombes. Kent Monkman nous confie que sa grand-mère est une survivante des pensionnats, l’exposition lui étant par ailleurs dédiée. Il s’agit donc d’un véritable travail de mémoire, urgent pour contrer le monopole historique et artistique colonial et occidental sur ces questions. Cette exposition a été commandée à l’occasion des 150 ans de la Confédération et Honte et préjugés nous rappelle que ce siècle et demi a été le plus
dévastateur pour les peuples autochtones de ce pays. Décoloniser la mémoire Surtout, la force de l’artiste réside dans l’occupation d’un espace colonial : le musée McCord. Monkman aurait en effet très bien pu choisir un autre espace pour exposer ses œuvres, mais une grande symbolique est permise par la réappropriation de ce lieu « légitime » où on expose le butin de la colonisation – le musée McCord lui-même se vantant d’avoir une collection de plus de 16 000 artefacts autochtones - et des œuvres au discours colonial. Dans un de ses commentaires, l’artiste dénonce également les musées d’Histoire naturelle, où les peuples autochtones sont déshumanisés en étant souvent « étudiés » comme une espèce animale. En somme, dès qu’ils sont représentés, ils le sont d’une manière dégradant leur intégrité, leurs cultures, leurs histoires. Aussi, Monkman expose The Daddies, où l’on peut voir les « Pères de la nation canadienne » réunis, avec au centre Miss Chief posant nue. Cette juxtaposition provocante célèbre la sexualité libre et la puissance d’une personne autochtone queer, impo-
sant sa beauté au regard de ces hommes blancs décontenancés. De la même manière, comme une mise en abîme, l’artiste fait se confronter ses propres œuvres à celles du passé colonial en les disposant côte à côte. Il ne fait pas disparaître les représentations caricaturales et réductrices des peuples autochtones. Au contraire, Kent Monkman nous rappelle leur grave existence, tout en les remettant à leur place, en tout petit par opposition à ses œuvres magistrales. Il les reproduit de manière parodique, en chamboulant le rapport de pouvoir entre les colons et les colonisés, le tout en bouleversant les systèmes cis-hétéronormatifs que ces premiers ont imposés. Il s’agit alors d’un dialogue inscrit dans un nouveau rapport de pouvoir, où les œuvres s’entrechoquent, afin d’intégrer les expériences autochtones dans une histoire de l’art classique les ayant brutalement effacées. Ce retranchement des peuples autochtones de l’histoire de l’art existe aussi dans le courant moderniste. Le mouvement a connu une heure de gloire et un encensement incroyable, justifiés par sa vocation « révolutionnaire » de renverser les traditions artistiques européennes. De même, les mouvements plus contemporains comme le cubisme ou le primitivisme ont voulu questionner les pratiques artistiques en s’appropriant des « artéfacts tribaux ». Mais, dans le même temps, comme l’écrit Monkman dans son avant-propos aux mémoires de Miss Chief, « les coutumes et les langues autochtones étaient expulsées, à force de coups, du corps des enfants autochtones dans les pensionnats ». Honte et préjugés s’inscrit donc comme contre-discours puissant, exposant les violences du passé et les traces qu’elles ont laissées, en partie par la faute des espaces coloniaux culturels que sont les musées. Monkman, pour les décoloniser, parvient à les conquérir. Une histoire de résilience Si l’exposition Honte et Préjugés met en évidence la colonialité des espaces matériels et abstraits que sont les musées ou le champ disciplinaire de l’histoire de l’art, ce n’est pas sans oublier la dénonciation de la continuité de cette violence qui s’exerce au-delà de nos imaginaires. Dans son discours comme dans ses oeuvres, Kent Monkman mobilise les expériences de discrimination contemporaines des personnes autochtones au Canada comme conséquences, en partie, des représentations préjudiciables dans l’art occidental auxquelles ces
le délit · mardi 12 février 2019 · delitfrancais.com
personnes ont été assujetties. Les portraits occidentaux de l’époque précolonial dans l’art ont eu une portée normative sur la volonté d’appropriation de ces territoires par les Européens. Dans le célèbre article intitulé Decolonization is not a metaphor (La décolonisation n’est pas une métaphore, ndlr), Eve Tuck et K. Wayne Yang expliquaient que la particularité de ce qu’iels nomment le colonialisme de peuplement est l’intérêt écrasant que les colons ont pour les territoires et ses ressources. Aussi, les peintres occidentaux arrivés sur le territoire canadien ont souvent dépeint une nature vierge et luxuriante en invisibilisant complètement les populations natives de ces régions ou en les faisant apparaître, elles aussi, comme des éléments de cette nature, sauvages et non apprivoisés. La figure de Miss Chief Eagle Testickle triomphant sur d’immenses toiles qui engloutissent le regard du spectateur.rice, happé·e par l’immensité des forêts ou des montagnes dessinées, est donc une reconquête virtuelle de tous ces territoires arrachés. Le tour de force de Kent Monkman quant à la muséographie de ce projet repose sur la puissance avec laquelle il parvient à mettre
en image la résilience. Son entreprise artistique illustre la force des populations autochtones à faire face à l’aliénation des espaces spirituels et territoriaux imposés par la colonisation tout en dénonçant les sévices passés et contemporains subis en Amérique du Nord. Circulant librement d’une pièce à l’autre dans les salles tamisées du Musée McCord, on se questionne alors, en tant que spectateur.rice, sur la notion d’espace et sur la manière dont celle-ci, selon les formes que ce concept prend, est traversée par des rapports de forces et de pouvoir. Ce pouvoir qui vise, finalement, à maintenir un contrôle sur les populations autochtones. Ce pouvoir qui entend faire de la captivité son outil majeur pour tenter de maintenir l’emprise qu’il a sur des nations en résistance. « Where is your people?» Honte et Préjugés démontre ainsi la persistance dans le temps et dans l’espace de la claustration des personnes autochtones. De la même manière que l’histoire de l’art a souhaité enserrer les membres des Premières Nations, les personnes métis et les personnes inuits dans le carcan étroit d’une supposée identité « indienne »,
« Les œuvres s’entrechoquent, afin d’intégrer les expériences autochtones dans une histoire de l’art les ayant brutalement effacées » les institutions de contrôle des populations canadiennes participent à différentes échelles à ces processus d’emprisonnement. Lorsque l’on fait état de ces méthodes d’enfermement est souvent évoquée en premier lieu la notion de réserve, à savoir, ces territoires attribués aux Premières Nations par les colons. Elles sont régies, encore aujourd’hui, par la Loi sur les Indiens stipulant que « Sa Majesté détient des réserves à l’usage et au profit des bandes respectives pour lesquelles elles furent mises de côté. » Pourtant, depuis les années 1960, précisait Kent Monkman lors de la conférence, les populations autochtones s’urbanisent de plus en plus et la représentation des expériences de vie de ces citadins est encore plus minime que celles des personnes vivant en réserve. Ayant grandi
à Winnipeg, une des villes où l’on recense la présence la plus importante de populations autochtones, Kent Monkman se souvient avoir été cependant questionné par ses camarades de classe : « Where is your people? »(« Où sont ceux de ton peuple? », ndlr). Aussi, dans certaines de ses œuvres comme Struggle for Balance, exposée dans la dernière salle de l’exposition, il met en image les expériences de sévère précarité vécues par les populations autochtones dans les villes, transformant ainsi la cité urbaine en un nouveau lieu de captivité où la résistance est inéluctable. Enfin, impossible d’évoquer la notion de captivité sans aborder la question de l’incarcération de masse des personnes autochtones par le système judiciaire canadien. Alors que celles-ci ne représentent que moins de 5% de la population
canadienne, elles constituent près d’un quart des détenu.e.s dans les pénitenciers fédéraux. Ainsi, Kent Monkman a centralisé une partie de son travail pour l’exposition au Musée McCord autour de ce sujet souvent éludé. Son installation titrée Minimalism dénonce la tendance actuelle du minimalisme comme mode de vie, promu sur les réseaux sociaux et adopté par des personnes privilégiées qui, par ailleurs, profitent d’un système fondé sur des inégalités. Son œuvre met en scène un mannequin enfermé dans une cellule qui rappelle les intérieurs épurés que l’on retrouve dans certains magazines de décoration. Alors que l’on déambule autour de l’immense cage blanche, on peut y voir accroché les messages et les dessins de détenus que Kent Monkman a contactés et rémunérés pour l’exposition de leurs œuvres. Symboliquement, il met en scène les tentatives d’échappatoire à l’enfermement auxquelles peuvent avoir recours ces personnes incarcérées. Lui-même, en tant qu’artiste, entreprend par ce projet, une reconquête de sa propre liberté, faisant fi de l’habituelle déférence supposément due aux canons de l’histoire de l’art. Il s’en inspire parfois, les détourne souvent et les critique toujours. x
Portrait
Qui est Kent Monkman ?
Une brève introduction à l’artiste, son œuvre et son alter-ego. beaucoup d’humour et autant de références culturelles que religieuses, Miss Chief inverse les rôles que nous n’avons que trop l’habitude de voir : elle devient la figure dominante qui fait de l’homme blanc ce dont elle a envie. Ainsi, dans le tableau The Daddies, on peut la voir posant nue devant les pères de la Confédération. Dans Study for Artist and Model, elle entreprend le portrait ethnographique d’un cow-boy dont le jean est baissé autour de ses bottes et dont le corps est transpercé de flèches, rappelant la figure chrétienne de Saint-Sébastien.
Béatrice malleret
Coordonnatrice des illustrations
L
e critique d’art Hal Foster écrit à propos des artistes d’archives « qu’iels cherchent à rendre l’information historique égarée ou occultée présente physiquement. » Si Kent Monkman ne se définit pas lui-même comme tel, son travail réalisé ces deux dernières décennies illustre de manière probante la définition de Foster. Qu’il s’agisse de peintures monumentales, d’installations immersives ou de performances volontairement provocatrices, les œuvres de Monkman se réapproprient et détournent une imagerie coloniale encore institutionnalisée pour mettre en lumière de multiples narrations autochtones auparavant réduites au silence. Cette exploitation des canons de l’histoire de l’art occidentale, où une parfaite imitation technique permet à l’artiste de soulever avec une ironie cinglante la question de l’authenticité des œuvres que lui-même « plagie », n’a pas toujours fait partie du processus créatif de Monkman. L’artiste de descendance crie et irlandaise a en effet débuté sa carrière en explorant le genre
Crédit photo
Béatrice Malleret abstrait. Mais cette technique picturale s’est rapidement avérée inadéquate pour exprimer une idée qui l’animait depuis le début – celle de transmettre une partie du vécu et de la culture des populations autochtones tout en dénonçant le traitement que ces dernières subissent depuis plus de 400 ans. C’est ainsi qu’il se plonge dans les archives connues et moins connues du patrimoine canadien, américain et européen et qu’il commence à employer la peinture figurative pour émettre un commentaire politique sur des travaux jugés
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auparavant seulement pour leurs qualités artistiques. Monkman e(s)t Miss Chief L’époque durant laquelle Monkman se tourne vers le figuratif coïncide avec l’émergence dans son travail de la figure de Miss Chief Eagle Testickle. Née de sources d’inspirations diverses, Miss Chief est l’alter ego trans de l’artiste, présente dans la majorité de ses œuvres. Arborant généralement des talons d’une hauteur vertigineuse, elle porte une coiffe en plume typiquement
« indienne », aussi longue que la liste des clichés nourris à propos des cultures autochtones. La célèbre chanson Half-Breed de Cher et les êtres de deux esprits – historiquement des personnes autochtones considérées comme appartenant au troisième genre – ont contribué à la construction de l’identité de Miss Chief. En usant à outrance des clichés sur le genre et la race pour pouvoir mieux les renverser, Miss Chief voyage à travers les époques et va à la rencontre de la figure du colon blanc. Avec
Ainsi, Kent Monkman et Miss Chief abordent – le plus souvent avec humour – des sujets qui ont des répercussions à la fois individuelles (pour l’artiste) et collectives (pour la communauté Crie et les populations autochtones plus largement). Si ce regard cynique est presque toujours présent, le travail de Monkman ne perd jamais de sa solennité et adopte parfois un ton plus grave lorsqu’il traite de plaies encore ouvertes. Ce ton est celui qui domine dans l’exposition Honte et Préjugés, Une Histoire de Résilience, l’exposition au musée McCord qui a ouvert ses portes le 8 février. x
culture
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entrevue
Comment vivre un héritage traumatique? Le Délit rencontre Lelag Vosguian, étudiante chercheuse à l’Université de Montréal.
L
e Délit a rencontré Lelag Vosguian, étudiante chercheuse a l’Université de Montréal. Elle consacre ses recherches au rôle joué par la littérature dans les périodes post-conflits avec une attention portée sur le cas du génocide arménien. Le Délit (LD) : Ton mémoire s’intitule « Le Témoignage en littérature d’un héritage traumatique ; le cas du génocide des Arméniens. » Peux-tu nous expliquer ce que signifie un héritage traumatique ? Lelag Vosguian (LV) : Oui. Tout d’abord, un héritage correspond à ce que nos ancêtres nous ont légué. Dans ce cas-ci, on nous lègue un traumatisme. Le traumatisme, par définition, c’est l’innommable, l’inappréhendable, c’est l’éternel retour à un moment où l’on est dépourvu de moyens pour concevoir la réalité. En somme, il y a héritage traumatique lorsque tout ce qui est légué à sa descendance est cette incapacité à faire sens d’un événement qui est, en lui-même, un lieu historique imperceptible pour la victime. De surcroît, si cet événement ne peut être abordé, il demeure et continue d’opérer. (LD) : Janine Altounian, importante théoricienne de l’héritage traumatique, affirme, notamment, que « le génocide (…) anéantit l’expérience de l’altérité. » Que peux-tu nous dire là-dessus ? (LV) : Cet anéantissement de l’altérité, dans le cas d’un génocide, se conçoit par la méfiance d’autrui. Il peut s’agir du bourreau, d’un témoin ou tout autre individu ne faisant pas partie du groupe visé par l’acte génocidaire. Ce que veut dire Altounian, à mon sens, par l’anéantissement de cette expérience de l’altérité, c’est l’impossibilité pour un groupe de pouvoir de jouir de l’apport de l’Autre. Lorsqu’on veut exterminer un groupe, ce qu’on veut faire, c’est les évacuer de l’ordre humain. Cette possibilité de se reconnaître dans l’espèce humaine, dans la communauté humaine, dans l’Humanité, cette possibilité nous est enlevée. C’est l’isolement ; le projet génocidaire met en place une procédure pour extraire un groupe complet du monde humain. Dans ces circonstances, l’expérience de l’altérité est impossible, surtout si l’on pense au bourreau ou au « tiers neutre » qui, témoin de la violence génocidaire, n’a pas agi pour tenter d’y mettre fin. Comment est-ce que celui qui a vécu cette victimisation pourrait se reconnaître en un « épargné »? (LD) : En quoi un registre linguistique étranger peut-il aider à aborder l’héritage traumatique ? (LV) : Altounian est l’une de ces chercheurs qui n’a pas du tout peur de parler du personnel. Elle
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entrevue
fera souvent mention de ce manuscrit qu’elle a trouvé, celui du témoignage de son père et qu’elle finira par traduire en français. D’après Altounian, c’est vraiment en déplaçant cet héritage qu’il peut être subjectivé, qu’il peut être réfléchi, qu’il peut tangiblement se manifester. Elle dira notamment qu’un héritage traumatique ne se met à parler que lorsque déplacé politiquement, linguistiquement, culturellement et socialement. Pour elle,
l’effacement total d’un groupe, effacement de son origine jusqu’à, et incluant dans son devenir. C’est un effacement intégral ; l’effacement des traces de l’existence d’un peuple, mais aussi des traces de son effacement. Pour reprendre les mots de Hélène Piralian, il en consiste que les morts ne soient plus des morts, mais bien des « n’ayant jamais existés ». Il est donc normal d’éprouver des problèmes pratiques dans la démarche de trouver les preuves probantes de l’existence
ment présent pour indiquer qu’il existe un autre témoigne auquel nous n’avons pas accès. Le témoin intégral est, par définition, muet. (LD) : Quel rôle joue la littérature dans les périodes post conflits et quelles contributions celle-ci a-t-elle amené au cas spécifique arménien ? (LV) : Lorsque je fais référence à la littérature, je fais avant tout référence à la littérature fictive ; lorsque les sujets des romans renvoient à une histoire qui relève Iyad kaghad
l’idée réside dans la capacité d’aborder ce qui s’est passé dans la langue des “non-exterminables”, ceux n’étant pas voués à l’extermination. Altounian, qui est née en France, porte alors ce statut du groupe des accueillants : elle est française, parle le français, évolue en français. En ce sens, elle fait encore partie du groupe des descendants des exterminés, mais aussi de celui du groupe des « non-exterminables ». C’est seulement en déplaçant cet héritage qu’on peut faire parler, de manière fertile, l’intangibilité du traumatisme. (LD) : Quelles sont les difficultés inhérentes au fardeau de preuve pour celles et ceux cherchant à faire condamner un acte génocidaire ? (LV) : (Soupir, ndlr). Il y en a beaucoup. Mais la principale difficulté réside dans le fait qu’il est impossible de prouver un génocide. Par sa définition, le génocide est
d’un génocide. Mais je pense que la bottom line est justement cette impossibilité de prouver le génocide, et que c’est à la victime de devoir prouver la possibilité de sa propre mise à mort. La victime qui, miraculeusement, a survécu doit ensuite justifier le pourquoi de sa présence et comment elle a réussi à survivre tandis que les autres, eux, sont morts. En quelque sorte, le fait que le témoignant témoigne nuit à sa propre crédibilité. Les efforts de délégitimation vont en ce sens ; si tu affirmes que l’on a voulu t’exterminer, la validité de ton argument devrait résider dans ta mort ; alors pourquoi es-tu encore là, si ce n’est que pour prouver ton tort et valider mon innocence ? Ainsi, chaque preuve servant la cause des victimes sera automatiquement lacunaire et partielle. Comme le dit Primo Levi, le témoin qui témoigne est un « pseudo-témoin ». Il est unique-
a priori de la fiction, mais qui se déroule dans un contexte bel et bien réel. Évidemment, les recueils et les livres relatant des témoignages s’incluent aussi dans le cadre littéraire post-conflit. Cependant, les livres de fiction, à mon sens, vont chercher à recréer les événements, ou une partie des événements, plutôt que de les décrire. La distinction est importante ; le fait de créer une histoire dans un contexte passé permet l’émergence d’un espace permettant l’appréhension du contexte, une réappropriation de celui-ci. Dans les périodes post-conflits, c’est souvent ce qui manque ; un espace de réappropriation. Ça laisse entrevoir une possibilité de comprendre un sujet que l’on sait hors de notre portée et ce, à jamais. Je crois qu’il est aussi important d’accepter cette impossibilité de comprendre. Cette acceptation permet de moduler notre incertitude. Le génocide arménien s’est déroulé
il y a plus de 100 ans. Nous n’aurons jamais une idée claire de ce que c’est que d’être témoin d’un génocide, ou de vivre un génocide. Et justement ; le fait de comprendre que l’on ne peut savoir est en soi une preuve d’un mal qui a opéré. Je ne connais pas l’histoire de ma famille, parce qu’il y a eu une tentative délibérée de l’effacer. La littérature, à mon avis, est donc un moyen de faire naître un espace où les victimes et descendants de victimes peuvent conceptualiser, ce qui a priori, ne peut proprement se conceptualiser. (LD) : Pourquoi, selon tes analyses, le gouvernement de Recep Tayyip Erdoğan refuse- t-il encore à ce jour de reconnaître le génocide arménien ? (LV) : Mon approche est littéraire et je ne fais pas souvent d’analyses politiques, mais on sait qu’il est très difficile de reconnaître un génocide, de reconnaître qu’une nation s’est bâtie sur ce qui est l’un des pires crimes en droit international. C’est non seulement la gravité du crime qui rend son aveu difficile, mais aussi le déni soutenu qui l’a suivi. Et donc les Turcs d’aujourd’hui ont hérité de ce rôle de bourreau, tout comme les Arméniens ont hérité d’un statut de victime et de survivant. Cependant, cette reconnaissance libèrerait la Turquie, en fait, de ce rôle qui lui est attribué et lui permettrait d’entamer une réflexion sur son passé criminel à l’instar de l’Allemagne. En effet, la hantise du génocide est un frein, aujourd’hui, à l’émancipation de la Turquie sur la scène internationale en tant qu’État démocratique. La reconnaissance permettrait enfin aux Arméniens, mais aussi aux Turcs, de sortir de ce temps génocidaire qui dure depuis plus de 100 ans, et qui attribue le statut de bourreau et de victime à l’une et l’autre des parties. La Turquie doit faire ce travail de reconnaissance, de réparation, de remémoration non seulement par respect pour les victimes du génocide ou pour leurs descendants, non seulement pour sauver sa propre descendance du rôle de génocidaire, mais aussi pour l’Histoire à venir. On n’oubliera pas les mots d’Hitler qui promettaient l’impunité à ses officiers : « Qui se souvient encore du massacre des Arméniens ? ». En mettant fin au déni, la reconnaissance permet de mettre fin au génocide arménien, oui, mais aussi de prévenir d’autres crimes génocidaires. Propos recueillis par Iyad kaghad Éditeur Photo
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