Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill
Le Slam à l’Honneur p.12-13
Mardi 19 février 2019 | Volume 108 Numéro 18
Pâte à dents sur le front depuis 1977
Volume 108 Numéro 18
Éditorial
Le seul journal francophone de l’Université McGill
rec@delitfrancais.com
Nouvelle politique sur les violences sexuelles : un mieux qui reste à parfaire Lara Benattar et Juliette de Lamberterie Une version révisée de la politique de 2016 contre les violences sexuelles à McGill vient d’être partagée à la communauté mcgilloise avant d’être présentée au Sénat dans les prochaines semaines. Elle est le fruit des efforts du groupe de travail formé en octobre 2018 et composé de membres de l’administration, de professeur·e·s et d’étudiant·e·s. Dans « Les violences sexuelles ré-étudiées » (p. - 3), nous revenons en détail sur les révisions envisagées et mettons en lumière quatre points centraux. D’abord, toute relation sexuelle et romantique entre un·e étudiant·e et un·e membre du personnel enseignant de la même faculté que l’étudiant·e ayant par rapport à l’étudiant·e une position d’autorité académique, d’influence ou un rôle de collaboration sera interdite. Toute relation sexuelle ou romantique entre un·e étudiant·e et un·e membre de l’équipe pédagogique issu·e de la même faculté mais n’ayant pas de lien académique devra être déclarée à l’administration. Les relations entre étudiant·e·s et membres du personnel enseignant issu·e·s de facultés différentes ne seront pas contrôlées. Ensuite, des modules éducatifs au sujet des violences sexuelles seront mis en ligne et les suivre sera rendu obligatoire pour les membres des corps étudiants et professoraux ainsi que de l’administration de l’Université. De plus, une enquêtrice indépendante a été engagée pour rendre les procédures d’enquête et de déclaration impartiales. Le fonctionnement de ces dernières sera clarifié et le cadre temporel dans lesquelles elles se déploieront sera précisé Enfin, la nouvelle politique s’inscrit dans une perspective de déconstruction des nombreux mythes et stéréotypes liés aux violences sexuelles. Par exemple, avoir consommé de l’alcool ou du cannabis ou être habillé·e d’une certaine manière au moment des violences ne constitueront pas de circonstances atténuantes
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et n’entraîneront pas de sanctions de la part de l’Université. De ces révisions, nous dressons un constat mitigé. Nous saluons les efforts du groupe de travail et constatons une réelle amélioration. Nous trouvons bienvenu l’effort de l’Université de protéger les survivant·e·s en cherchant à déconstruire les croyances et les réflexes qui empêchent la prise au sérieux des témoignages et la prise en charge adéquate des plaintes. La mise en lumière des dynamiques politiques, notamment le sexisme, à la source des suspicions qui entourent les plaintes est essentielle. Plusieurs questions restent en suspens : si l’alcool et le cannabis sont explicitement mentionnés, qu’en est-il des autres substances pouvant modifier l’état de conscience et compliquer la formulation du consentement? Leur consommation sera-t-elle reprochée aux survivant·e·s? Les mythes et stéréotypes contre lesquels l’Université s’engage à lutter dans leur approche des violences sexuelles sont-ils pensés dans une perspective intersectionnelle où les différences de race, de classe et de genre notamment influent sur la manière dont les témoignages des survivant·e·s sont reçus? Dans le but de réduire ces biais et de rendre les procédures le plus impartiale possible, avoir engagé une enquêtrice indépendante semble être une initiative louable. Par ailleurs, la mise en place d’une formation en ligne obligatoire d’une trentaine de minutes aux questions des violences sexuelles pour l’ensemble du campus est intéressante. Un doute subsiste : le format « quiz » auquel les étudiant·e·s devront trouver les bonnes réponses permettra-t-il l’apprentissage et le questionnement réels des étudiant·e·s? Il nous semble pour cela nécessaire de mettre en place des espaces de débat afin d’éviter que le dogmatisme et la normativité de la formation empêchent les messages de passer durablement. Aussi, nous entendons les justifications données par l’Université quant à l’impossibilité d’interdire complètement les relations sexuelles et romantiques entre étudiant·e·s et mem-
bres du corps enseignant sur le campus. Cependant, l’argument selon lequel ne peuvent s’interdire les relations seulement s’il y a un rapport d’autorité ou d’influence clair - fondé sur un lien académique - entre l’élève et l’autre personne est bancal. En effet, il nous semble évident que ce rapport subsiste même si les personnes n’ont pas un lien académique direct au sein de la même faculté et donc il n’est pas suffisant de prendre le lien intra-faculté comme seule source d’abus de pouvoir potentiel. Quant aux relations « intra-facultés » entre étudiant·e·s et membres du personnel enseignant, un flou nous laisse perplexe. Si les relations entre des personnes n’ayant pas un lien académique direct devaient être automatiquement déclarées, comment se traduirait cette déclaration? Comment une relation seraitelle définie? Quand serait-il attendu qu’elle soit déclarée? Dans quel but? La faculté auraitt-elle un droit de regard sur le déroulement de ces relations? Ces questionnements sans réponse révèlent clairement la complexité des décisions à l’origine des nouveaux règlements. Bien que nous la comprenions, celle-ci justifie le besoin crucial de bons services à la santé mentale accessibles à la totalité de la communauté mcgilloise. Il est important de reconnaître que tou·te·s ses membres ne sont pas égaux·ales face à ces enjeux; ne pas pouvoir s’identifier à ceux ou celles qui recueillent les témoignages ou simplement manquer de temps pour entreprendre les longues procédures suivant une plainte formelle sont des exemples de problèmes qui empêchent certain·e·s d’agir. Des services efficaces permettraient aussi de limiter les dégâts potentiels que pourrait causer une non-interdiction totale des relations intimes entre étudiant·e·s et professeur·e·s. Sans ressources efficaces de santé mentale, les améliorations de la politique de violences sexuelles semblent vaines, puisque le soutien légal ne compense pas le besoin de soutien moral et psychologique que ressentent aussi les survivant·e·s de violences sexuelles.x
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Les opinions exprimées dans les pages du Délit sont celles de leurs auteur·e·s et ne reflètent pas les politiques ou les positions officielles de l’Université McGill. Le Délit n’est pas affilié à l’Université McGill. L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Les opinions de nos contributeurs ne reflètent pas nécessairement celles de l’équipe de la rédaction. Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavant réservés). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans le journal. Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).
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Les violences sexuelles réétudiées
La version modifiée de la politique comporte plusieurs changements importants. juliette de lamberterie
Paul lowry
Éditrice Actualités
L
e 8 décembre 2017, la loi 151, ou Loi visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel dans les établissements d’enseignement supérieur entrait en vigueur : celle-ci stipule notamment que tous les cégeps et universités du Québec devaient ajuster leurs règlements ou en créer de nouveaux pour s’y conformer, et ce, avant le 1er janvier 2019. L’Université McGill, qui disposait déjà d’une politique sur les violences sexuelles, a manqué cette date limite pour procéder aux ajustements nécessaires. Toutefois, lors d’une rencontre avec la presse étudiante, Angela Campbell, vice-principale exécutive adjointe, accompagnée de Christopher Buddle, doyen des services aux étudiants, a tenu à corriger cette conclusion qu’elle juge trop simpliste : « Nous avons pris une décision délibérée ». Comme l’UQAM, McGill aurait choisi d’étudier les enjeux plus longtemps avant d’adopter de nouveaux règlements, et aurait averti préalablement le ministère du retard prévu. La politique actuelle, mise en place depuis 2016, est en révision depuis octobre 2018. Une version finale sera présentée à la prochaine séance du Sénat, le 20 février, puis soumise au vote à la séance du mois de mars. La version modifiée est déjà disponible en ligne : ces changements ont notamment été déterminés suite aux consultations étudiantes et de recommandations de comités. Relations intimes et académiques La nouvelle politique n’interdit pas toutes les relations entre un·e membre du personnel enseignant et un·e étudiant·e. En effet, la politique énonce qu’« aucun membre du personnel enseignant ne peut exercer, ou initier une activité sexuelle ou romantique avec un·e étudiant·e se trouvant sous son autorité académique, influence, ou en collaboration ». Chris Buddle tient à préciser que la définition « d’autorité » est large dans ce contexte. Professeur·e·s, mais aussi assistant·e·s, superviseur·e·s, conseiller·ère·s et responsables de départements ont selon le règlement un rapport d’autorité sur leurs étudiant·e·s. La politique mentionne aussi qu’un·e étudiant·e et un·e professeur·e n’ayant pas de liens
académiques, mais issu·e·s de la même faculté, doivent « déclarer immédiatement leur relation ». En dehors de ces cas, les relations ne sont pas contrôlées. Selon Angela Campbell, une interdiction totale serait illégale : « La raison pour laquelle cela est vu comme illégal
Si par exemple, deux individus différents en parlent à un professeur, ou un conseiller, […] et que le conseiller vient en parler à Chris, nous irons certainement examiner la situation. […] Lorsque nous avons des informations précises, nous avons des mesures à
« L’interdiction [totale] toucherait des gens qui n’auront jamais de relations académiques. Elle serait trop inclusive […] » ou allant à l’encontre de la Charte québécoise est que la loi québécoise garantit le droit à la vie privée et le droit au respect quant aux décisions concernant la vie privée et l’intimité. Cela veut dire qu’un employeur ou une institution comme l’université ne peut imposer de règles qui peuvent empiéter sur [ces droits] ».
prendre. » Puisqu’il n’y pas d’enquête formelle, aucune sanction ne peut être imposée, mais le doyen de département doit contacter le·a professeur·e concerné·e.
Une autre réforme, imposée par la loi 151 qui stipule que « des formations obligatoires » doivent être prévues dans la politique, consiste en la création de modules de formation en ligne concernant les enjeux de violences sexuelles. Ceux-
Sans avoir complété le module, les étudiant·e·s ne pourront s’inscrire à leurs cours d’hiver. Celui-ci devrait durer de 30 à 40 minutes et abordera entre autres les notions de consentement, d’intervention de témoin et de soutien aux survivant·e·s. Pour Chris Buddle, responsable du projet, « ce n’est pas un point final, vraiment plus un point de départ. Ce n’est qu’une partie d’un besoin d’éducation et de formation bien plus important ». Selon lui, il constituera au moins une façon de s’assurer que l’entièreté de la communauté mcgilloise ait une compréhension commune des enjeux centraux, même si celle-ci reste très limitée. « Cela nous emmène quelque part puis nous n’aurons qu’à continuer à partir de là.» x
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Soutien aux survivant·e·s
Selon elle, l’interdiction totale serait aussi excessive compte tenu de la taille de la communauté mcgilloise. « L’interdiction toucherait des gens qui n’auront jamais de relations académiques. Elle serait trop inclusive […]. Par exemple, un étudiant en musique et un professeur du campus MacDonald : il serait très improbable que ceux-ci aient une relation académique. Ils sont si loin, géographiquement mais aussi quant à leur discipline, […] que le professeur n’aura probablement jamais d’autorité sur l’étudiant. »
Une nouveauté importante de la politique consiste en la mise en place d’un nouveau processus d’enquête indépendant. L’enquêteur·rice spécial·e est la personne à contacter si un individu désire signaler un incident. Un processus précis sera ensuite à suivre (un document entier accessible en ligne est dédié aux procédures d’enquête) où plaignant·e et accusé·e n’auront jamais à interagir. Le résultat de l’enquête devra être livré dans les trois mois ayant suivi la plainte, mais la personne ayant porté plainte ne pourra toutefois pas connaître la sanction finale de l’autre parti.
Une question est aussi soulevée quant aux professeur·e·s ayant certaines « réputations », sans pourtant avoir été formellement accusé·e·s. Que se passe-t-il si un certain nom est continuellement associé à des rumeurs graves? « Cela dépend de la manière dont l’information arrive jusqu’à nous.
Angela Campbell souligne que la nouvelle politique a pour objectif d’encourager les survivant·e·s à s’exprimer. Par exemple, l’une des clauses énonce qu’un·e survivant·e ne peut être sanctionné pour avoir enfreint un règlement touchant à la consommation d’alcool ou de cannabis.
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Modules en ligne
ci, partageant le format des modules sur l’intégrité académique imposés en première année et accessibles sur MyCourses seront obligatoires pour tous les étudiant·e·s et membres du corps enseignant et administratif à compter de l’automne prochain.
Le chasseur
de brouillard
Disponible en librairie dès le 13 février 2019 Actualités
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montréal
Justice pour les femmes autochtones Une centaine de personnes se sont rassemblées en soutien aux femmes disparues. iyad kaghad
Coordonnateur Photo
S
tation Berri-UQAM, jeudi 14 février. Une centaine de personnes sont réunies au centre des allées de la station de métro la plus achalandée de la métropole. Depuis 1991, le 14 février est la date à laquelle plusieurs communautés autochtones et allochtones se réunissent pour dénoncer le manque d’actions entreprises par les autorités publiques pour rendre justice aux victimes autochtones disparues ou assassinées, dossiers souvent laissés sans suite. En 1991, c’est la mort dans l’indifférence générale d’une femme du peuple de la Côte Salish (Coast Salish Peoples, ndlr) sur
la rue Powell à Vancouver qui a initié le mouvement. La famille n’avait d’ailleurs pas voulu mentionner son nom. Un enjeu encore méconnu Marine, bénévole allochtone pour la campagne Justice for Missing and Murdered Indigenous Women ou Missing Justice rappelle que, malgré l’enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées qui s’est terminée en décembre passé, le drame persiste. Elle indique également que la station Berri-UQAM est un carrefour par lequel beaucoup de gens passent et est ainsi un lieu pertinent pour la sensibilisation à un tel sujet. La population semble sommairement savoir ce iyad kaghad
qu’il en est, mais ignore l’étendue du problème, indique-t-elle.
iyad kaghad
Le rassemblement vise également à rappeler que l’enquête fédérale amorcée en 2016, chargée de « produire un rapport sur les causes systémiques de toutes les formes de violence contre les femmes et les filles autochtones », comme l’énonce leur rapport provisoire, n’a pas arrêté le problème ; depuis le début de la commission, plus de 100 femmes autochtones ont été assassinées. Kristen Gilchrist, chercheuse indépendante à Ottawa ayant compilé la liste, mentionne que la croyance populaire perçoit le phénomène comme statique, alors que la réalité est toute autre ; chaque jour la liste s’allonge et prend de l’ampleur. Élan de solidarité Pour Édith, le fait de se rassembler le jour de la SaintValentin est une manifestation de la solidarité des personnes présentes envers les communautés autochtones concernées. Pour elle, la fête du 14 février est souvent associée aux couples, mais se rassembler en ce jour constituerait une occasion de parler d’amour de façon plus large, et de surcroît en partager avec les communautés marginalisées et stigmatisées ; le
nom du rassemblement est Love in action (L’amour en action, ndlr). Son but serait ainsi de sensibiliser, mais aussi de permettre aux participant·e·s de partager des sentiments d’affection, de solidarité et d’amour.
avait demandé une extension de deux ans sur le déroulement de l’enquête et un budget supplémentaire de 50 millions de dollars afin de continuer les consultations régionales avec les communautés et les experts.
Un dîner communautaire était d’ailleurs prévu, à la suite de la période de mobilisation, au collège Dawson.
La commission n’aura obtenu qu’un délai supplémentaire de six mois, délai dépassé en décembre passé. Les commissaires, comme Michèle Audette, la représentante québécoise, ont exprimé leur désarroi et leur incompréhension face à ce refus. Selon certain·e·s d’entre eux·elles, cette décision signifierait que la sécurité des filles, femmes et personnes LGBTQ+ autochtones passerait après d’autres intérêts politiques. Le rapport ainsi que les recommandations seront dévoilés en avril prochain.x
L’enquête fédérale Le projet d’une commission d’enquête fédérale sur les femmes,les filles et les communautés LGBTQ+ autochtones disparues et assassinées a vu le jour en fin 2015. Cependant, plusieurs embûches ont limité le travail des commissionnaires. L’organisme
campus
L’AUS approuve POLI 339
L’exécutif a précipité le vote, soutenant que la situation était « urgente ». juliette de lamberterie Violette drouin rafael miró
Éditeur·rice·s Actualités
L’
Association étudiante de la Faculté des arts (Arts Undergraduate Society ou AUS en anglais, ndlr) a approuvé la semaine dernière le financement pour un échange avec l’Université hébraïque de Jérusalem dans le cadre du cours POLI 339, un cours de politique comparée. La motion n’avait pas été approuvée faute d’une voix avec neuf abstentions lors de la réunion du Conseil législatif de l’Association le 30 janvier. Cependant, elle a peu après été ramenée au conseil exécutif pour vote, où elle a finalement été approuvée. L’AUS soutient que malgré le fait que la question aurait habituellement dû être
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ramenée au Conseil législatif, l’exécutif a décidé de précipiter le vote à cause de son urgence. L’Association fait aussi remarquer que lors du vote du Conseil, plusieurs informations étaient manquantes, telles que l’approbation départementale et la présence du professeur censé enseigner le cours en question. L’AUS s’exprime Dans un communiqué datant du 12 février, reçu par tous les étudiant·e·s de la Faculté des arts, l’AUS résume la situation et leur décision de financer le cours. Elle justifie notamment celle-ci en expliquant « qu’il y avait une diversité d’opinions et de positions au sein du comité exécutif et au sein de la population étudiante, plus largement ». Toutefois, l’association termine
son communiqué en écrivant : « Nous comprenons que pour beaucoup d’étudiants, parti-
« L’Association fait aussi remarquer que lors du vote du Conseil, plusieurs informations étaient manquantes, telles que l’approbation départementale » culièrement les étudiants aux identités marginalisées, cette situation est émotionnellement
éprouvante et difficile, et nous tenterons de continuer ce processus de manière juste et équitable. Nous nous excusons pour les torts injustifiés et l’agitation émotionnelle que subissent certains individus, et les encourageons à faire entendre leurs inquiétudes ». Réactions étudiantes Le volte-face de l’AUS a provoqué beaucoup de réactions de la part des associations étudiantes. L’Association mcgilloise de solidarité avec les droits humains des Palestiniens (McGill Students in Solidarity with Palestinian Human Rights ou SPHR McGill) a décrié l’AUS dans un communiqué émis sur la plateforme sociale Facebook. Elle accuse l’association d’avoir agi de manière anti-démocratique en forçant la tenue d’un
deuxième vote sur la motion. Elle a également accusé l’AUS de ne pas assez écouter la voix des étudiant·e·s palestinien·ne·s. Dans leur message, l’on peut d’ailleurs lire que, selon elle, la situation indique « un système fragmenté qui prétend vouloir inclure et soulever les voix marginalisées, mais qui au contraire les retire de la conversation ». L’Association des étudiants en Études Islamiques ou MoyenOrientales (World Islamic and Middle Eastern Studies Students Association ou WIMESSA) a pour sa part déploré que ses représentant·e·s, qui étaient au conseil législatif, n’aient pas été écouté·e·s et a rappelé qu’elle considérait que ses membres d’origine moyen-orientale étaient discriminés par la tenue de ce cours.x
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international
Le Venezuela en crise Les conditions de vie et de migration des Vénézuélien·ne·s ne s’améliorent pas. niels ulrich
Coordonnateur de la Production
L
e Venezuela connaît, depuis maintenant plusieurs années, l’une des plus grandes crises migratoires d’Amérique du Sud. Depuis 2014, environ 3 millions de Vénézuélien·ne·s ont fui leur pays. Ce nombre s’est accru de manière exponentielle récemment et semble augmenter indéfiniment. Les conditions de vie au Venezuela se sont détériorées, à tel point que la seule solution pour de nombreux·ses citoyen·ne·s est de quitter le pays. L’inflation bat des records ; le dollar vénézuélien n’a quasiment plus aucune valeur. Des denrées de première nécessité sont devenues inaccessibles, leur prix frôlant parfois l’équivalent d’un ou de plusieurs mois de salaire pour un·e citoyen·ne au revenu moyen. Le Venezuela se retrouve donc au milieu d’une crise économique hors norme, qui engendre à son tour une crise sociale et migratoire sans précédent.
de parvenir à une sortie de crise. La légitimité de Nicolas Maduro est d’autant plus mise à mal que Juan Guaidó a été reconnu comme « président intérimaire » par le Canada, mais aussi par les États-Unis, le Brésil, l’Argentine et le Guatemala, entre autres. Son accession au
en 2009, puis de manière plus importante en 2014, le prix du pétrole en qualité de matière première a chuté. Les revenus du Venezuela sont alors devenus moins réguliers. Le manque de diversité de l’économie a rendu toute tentative de relancement difficile. En amont de
vénézuélien est devenu très difficile, le gouvernement n’en délivrant plus. Les passeports s’achètent à prix d’or, bien hors de portée de nombreux·ses Vénézuélien·ne·s. Or, afin de réguler les flux de migrant·e·s, de plus en plus de pays voisins du Venezuela demandent aux voyageur·se·s d’être Niels ulrich
Situation politique instable La précarité économique du Venezuela est due à un enchevêtrement de différents facteurs. L’un d’entre eux se désigne clairement comme étant lié à l’instabilité politique à laquelle fait face le pays. Nicolas Maduro a été réélu président en mai 2018 pour un nouveau mandat devant s’étendre jusqu’en 2025. Cette réélection a rencontré de nombreuses contestations, surtout de la part de l’opposition, mais aussi de la population. Son prédécesseur, Hugo Chavez, avait utilisé les revenus des ressources naturelles de pétrole du Venezuela pour développer d’efficaces politiques sociales, pour la santé ou encore l’éducation, lui permettant d’accéder à une relative popularité au sein de la population vénézuélienne. La chute du coût du pétrole au cours de son mandat a rendu la tâche plus difficile à Nicolas Maduro, qui a dû mettre en place d’ambitieuses réformes de l’économie vénézuélienne. Ainsi, pour lutter contre l’hyperinflation, la monnaie a été très fortement dévaluée. Cependant, ces réformes n’ont pas suffi à endiguer la crise économique émergeant dans le pays. La réélection du président Maduro est considérée par beaucoup comme illégitime. Cette contestation n’est pas uniquement partagée par des opposants internes, mais s’est d’ailleurs étendue au contexte international. Devant les problèmes engendrés par la crise migratoire vénézuélienne, plusieurs pays se sont rassemblés pour tenter de trouver des solutions. C’est dans cette optique que le « Groupe de Lima » a été créé. Rassemblant initialement douze pays américains, dont le Canada, ce regroupement a pour but
pouvoir, qui aurait, selon certains, été orchestrée en partie par les États-Unis, avec la participation du Canada, rend la situation politique d’autant plus instable. Économie pétrolière à la dérive Cette instabilité politique ne permet pas au gouvernement vénézuélien de trouver réponse aux problèmes économiques auxquels fait face le pays. L’économie vénézuélienne était jusqu’alors concentrée sur la production de pétrole, avec 96% de ses revenus provenant de l’industrie pétrolière. Cependant,
la crise migratoire généralisée, c’est d’abord une partie de la population plus aisée qui a quitté le Venezuela, en avion ou en train. C’est seulement plus tard que le reste de la population, jusqu’aux classes les plus pauvres, a commencé à quitter le pays dans l’espoir de trouver de meilleures conditions de vie dans les pays voisins. Cependant, les difficultés présentes au Venezuela semblent poursuivre les citoyen·n·e·s même lorsqu’ils·elles fuient le pays. Toute démarche administrative est compliquée. Obtenir un passeport
en possession du document de voyage, et effectuent des contrôles plus réguliers et plus stricts. Voyager, mais à quel prix ? L’Organisation des Nations Unies dévoilait en juin 2018 qu’environ 2,3 millions de citoyen·ne·s vénézuélien·ne·s (la population totale du Venezuela étant de 33 millions d’habitant·e·s) s’étaient réfugiés dans des pays d’Amérique latine, ayant comme destinations majeures la Colombie, le Brésil, l’Équateur et le Pérou. Ces pays, et notamment les villes frontalières, doivent faire face
La crise vénézuélienne en chiffres 3 millions : le nombre de réfugiés vénézuéliens total annoncé par l’UNHCR en novembre 2018.
1 million : le nombre de réfugiés en Colombie, premier pays en terme d’accueil des
à un flux considérable, sans avoir nécessairement les infrastructures requises pour mener cette mission à bien. Les villes de Cúcuta et de Maicao, deux villes colombiennes, proches de la frontière, témoignent des conditions de voyage ainsi que des difficultés d’accueil des migrant·e·s. Les frontières de la Colombie sont toujours ouvertes, cependant les programmes d’accueil ont été revus à la baisse depuis le début de la crise migratoire. En effet, le programme de séjour temporaire, jusqu’alors offert par la Colombie, permettant aux migrant·e·s d’accéder au marché du travail, à la santé et à l’éducation, a été annulé. Aujourd’hui, les migrant·e·s vénézuélien·ne·s n’ont plus accès qu’à trois nuits sous un toit. Après cela, ceux·celles-ci doivent trouver une autre alternative, dépendant de leur ressort. Pour de nombreuses personnes, cela se traduit par la rue. Après les trois premières nuits, quasiment tout devient payant pour ces dernières : les toilettes publiques sont payantes (entre 25 et 75 cents canadiens), tout comme les douches publiques (50 cents). Les migrant·e·s vénézuélien·ne·s fuient la malnutrition et la pénurie de médicaments et d’articles médicaux de base, mais se retrouvent parfois dans de pires conditions après avoir quitté le pays. Une déclaration recueillie par La Presse auprès d’une réfugiée vénézuélienne en Colombie résume bien cette situation : « On peine à nourrir nos enfants, alors que nos proches au Venezuela attendent qu’on leur envoie de l’argent. » Cette crise migratoire menace de nombreux droits humains, entre autres le droit à l’identité. La communauté internationale est accusée d’ingérence à plusieurs aspects. L’implication de pays comme le Canada et les États-Unis permet de douter de leurs réelles intentions quant à la recherche de solutions face à la crise migratoire. La population vénézuélienne semble se retrouver prise dans un étau entre son gouvernement et des forces extérieures au pays, et subit les conséquences, parfois violentes, de cette confrontation. L’attention internationale reste distante, et la couverture médiatique ne paraît pas suffisante pour attirer une sympathie internationale, et donc générer des actions concrètes. x
migrants vénézuéliens.
1 000 000% : le taux d’inflation qu’avait prévu la Banque Centrale pour la fin de l’année 2018.
1,3 million : le nombre de personne souffrant de malnutrition au Venezuela selon
le délit · mardi 19 février 2019 · delitfrancais.com
l’ONU.
Le Délit, journal étudiant, ne prétend pas avoir d’accès officiel à ce qui se passe présentement au Venezuela. Cependant, nous avons jugé important de traiter cet évènement crucial pour le pays et qui nécessiterait plus d’action de la part de la communauté internationale.
Actualités
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campus
La gauche se rassemble à McGill Solidarity Alliance McGill cherche à former des liens entre groupes étudiants. Des valeurs inclusives
violette drouin
Éditrice Actualités
L
e lundi 11 février avait lieu la ratification de la constitution d’une association rassemblant plusieurs groupes étudiants de gauche. L’idée d’un tel groupe est née le semestre passé ; selon Josh Werber, qui est chargé du recrutement et des affaires extérieures de NDP McGill ainsi que l’un des membres originaux du groupe, elle est issue d’un besoin de « plus de coordination entre les groupes progressistes à McGill ». Solidarity Alliance McGill (Alliance de solidarité à McGill, ndlr) créera donc un espace où ces groupes, qui en ce moment ne sont pas liés de près, pourront discuter et former des réseaux. Une adhésion en croissance Les groupes et clubs qui sont officiellement devenus membres de l’alliance le 11 février sont au nombre de cinq : Socialist Fightback (Résistance socialiste, ndlr), Independent Jewish Voices
Grégoire Collet (Voix juives indépendantes, IJV en anglais, ndlr), Divest McGill, NDP McGill et le Groupe de recherche à intérêt public (GRIP, QPIRG en anglais, ndlr). Le Union for Gender Empowerment (Union pour l’émancipation des genres, ndlr) en tant que service sous l’Association étudiante de l’Université
McGill (AÉUM, SSMU en anglais, ndlr), ne peut être membre, mais siégera comme observateur officiel avec le Students in Solidarity with Palestinian Human Rights (Étudiants en solidarité avec les droits humains palestiniens, SPHR en anglais, ndlr). D’autres groupes, tels que Nourish McGill et Canadian
Students for Sensible Drug Policy (Étudiants canadiens pour une régulation raisonnable des drogues, CSSDP en anglais, ndlr) étaient également présents en tant qu’observateurs non officiels. Les membres espèrent que d’autres clubs se joindront à l’alliance au fur et à mesure qu’elle prendra plus d’ampleur.
La constitution de Solidarity Alliance McGill, dont la récente réunion faisait justement objet, affirme – entre autres - des valeurs antiracistes, anticoloniales, pro protection environnementale et féministes.. La liste de valeurs vise à être compréhensive et inclure les points qui tiennent à coeur toutes les associations membres. Le groupe a pour objectif de fournir une plateforme de discussion pour ses membres, afin que ceux-ci puissent former des liens avec d’autres groupes progressistes et ainsi obtenir un plus grand public pour leurs campagnes et événements. Solidarity Alliance McGill vise également à publier des déclarations communes, se prononcer au sujet d’élections étudiantes et tenir leurs propres événements. Josh Werber dit qu’il espère que Solidarity Alliance McGill pourra « être un endroit où les gens progressistes des différents groupes peuvent se rencontrer et créer une solidarité entre, pas nécessairement les execs (administrateurs, ndlr) des groupes, mais simplement des membres réguliers ».x
campus
Un don de 200 millions Les étudiants bénéficieront du plus grand don universitaire du Canada. Rafael miró
Éditeur Actualités
L’
Université McGill a annoncé mercredi avoir reçu un don de la part du milliardaire et mécène canadien John McCall MacBain, qui servira à mettre en place un nouveau programme de bourse. S’il est habituel
« M. MacBain a affirmé s’être inspiré de l’organisation des programmes de bourse avec lesquels il avait collaboré par le passé » que l’Université reçoive des dons d’anciens étudiants, le montant qui est en jeu cette fois-ci l’est un peu moins : avec 200 millions de dol-
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actualités
Courtoisie de owen egan/mcgill
lars, il s’agit de la plus importante donation à une université de toute l’histoire canadienne (DaoustBraun s. d.). Le don de la Fondation McCall MacBain coïncide avec le 200e anniversaire de fondation de l’Université; selon la Principale et vice-chancelière Suzanne Fortier. Celle-ci décrète : « [le programme de bourse qui sera créé grâce à ce don] incarne notre vision du troisième siècle de McGill : un lieu où les étudiants sont prêts pour l’avenir et prêts à contribuer à façonner notre monde en rapide mutation. »
Le programme de bourse
Un philanthrope connu L’homme qui est à l’origine ce don est un ancien magnat du domaine de la publicité en ligne. Ancien étudiant d’économie à McGill, ayant continué son parcours dans les prestigieuses universités d’Oxford et de Harvard, il a d’abord travaillé chez Power Corporation avant de fonder avec sa conjointe de l’époque l’entreprise Trader Classified Media, qui gérait un site de petites annonces en lignes. En 2006, M. MacBain a vendu son
faires sud-africain Cecil Rhodes, est l’une des plus anciennes et l’une des plus célèbres bourses au monde, permettant à cinquante jeunes d’étudier gratuitement à l’Université d’Oxford. John McCall MacBain a même été qualifié de refondateur de la bourse Rhodes.
entreprise, devenue à ce moment l’une des plus grosses compagnies du marché, pour se consacrer à la philanthropie universitaire. La Fondation McCall MacBain, qui porte son nom et celui de son épouse actuelle, est à l’origine de plusieurs dons importants dans le monde universitaire. Au Canada, il
est déjà associé à la fondation des boursiers Loran, avec laquelle il finance quelques boursiers chaque année. Surtout, à l’international, il est connu pour avoir fait le plus gros don au fonds de bourses Rhodes depuis sa fondation, qui représenterait une valeur de plus de 120 millions de dollars. Cette bourse, fondée en 1902 par l’homme d’af-
M. MacBain a affirmé s’être inspiré de l’organisation des programmes de bourse avec lesquels il avait collaboré par le passé pour créer un programme de bourse juste et efficace au Canada. MacBain a affirmé vouloir recruter les candidats et les candidates non pas seulement sur la base de leurs notes, mais aussi en fonction de leurs qualités humaines. Soixante-quinze étudiants seront choisis par des comités de sélection pour leur implication dans la société et pour leur leadership. De ce nombre, cinquante viendront du Canada et vingt-cinq de l’étranger. La bourse sera réservée aux étudiant·e·s à la maitrise ou dans des programmes professionnels (médecine ou droit, par exemple, ndlr).x
le délit · mardi 19 février 2019 · delitfrancais.com
Monde francophone Texte ANGE AUDER INFOGRAPHIE RAFael miro
SÉNÉGAL HAÏTI FRANCE
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n France, le monde des médias est ébranlé par une affaire de harcèlement : on découvre le 12 février l’existence de la « Ligue du LOL », groupe Facebook responsable d’une campagne de cyberharcèlement ayant eu lieu entre 2009 et 2012. Il comptait, entre autres, plusieurs journalistes de Libération et des Inrockuptibles. À l’heure actuelle, les révélations et les témoignages de victimes se multiplient et beaucoup des internautes concernés se sont excusés par l’intermédiaire de Twitter. La très large majorité des victimes étant des femmes appartenant au milieu professionnel des concernés, cette affaire réveille le débat portant sur le harcèlement sexuel, débat qui était déjà sur toutes les lèvres fin 2017 lors du mouvement #MeToo et de sa variante française, #BalanceTonPorc. x
a crise politique se poursuit en Haïti, où le président, Jovenel Moïse, sort du silence après une semaine agitée de violentes manifestations qui ont coûté la vie à sept personnes depuis le 17 février. Lors d’une allocution officielle diffusée jeudi 14 février, deuxième journée de manifestations majeures, le président appelait à l’apaisement et au dialogue, tout en écartant fermement toute possibilité de démission. Le niveau de violence actuel a entre autres résultats celui d’isoler Haïti sur la scène internationale, sur laquelle elle occupe une place déjà fragile du fait de ses relations étroites avec le Venezuela. Le programme de soutien économique offert par le régime chaviste depuis 2010 est d’ailleurs l’une des origines de la colère populaire, après la mise en lumière par la Cour supérieure des comptes du détournement massif des sommes offertes par le gouvernement en place. x
L
e Sénégal, l’une des plus anciennes démocraties du continent africain, s’apprête à se rendre aux urnes le 24 février 2019. La campagne présidentielle bouleverse le paysage politique du Sénégal de par la reconfiguration des forces politiques : l’historique parti socialiste (parti de Léopold Senghor, au pouvoir de l’indépendance en 1960 jusqu’en 1998), ne participera pas à l’élection et se rangera, à la surprise générale, derrière Idrissa Seck, opposant au président sortant Macky Sall. Cette alliance entre les socialistes et la droite libérale semble n’avoir d’autre but que de faire front au pouvoir en place. De nombreuses figures populaires se sont vues empêchées de concourir, embourbées dans diverses affaires judiciaires. x
analyse politique
Consultations sur le cannabis
La Coalition Avenir Québec a consulté la population sur l’encadrement du pot. philippe granger
Agitations en coulisses
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Ces désistements ont de quoi envenimer les attaques dans les rangs parlementaires. Du côté libéral, on avance que cette consultation est « fausse » et que les organismes présents ne sont même pas écoutés. Le porte-parole libéral en matière de santé, André Fortin, ne mâche pas ses mots : le ministre Carmant mettrait en scène « un exercice bidon, une frime, un bâillonnement des groupes qui veulent s’exprimer ». Quant au ministre Carmant, il accuse les libéraux d’avoir « retardé le processus ». Du côté péquiste et solidaire, on dénonce l’ « incohérence » des mesures avancées.
Contributeur
epuis la semaine dernière se tiennent les consultations particulières et les auditions publiques sur le projet de loi n°2, la Loi resserrant l’encadrement du cannabis. Ces consultations, orchestrées par le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, se déroulent dans une atmosphère assez particulière : plusieurs groupes censés se prononcer sur le sujet, comme l’Association des médecins psychiatres du Québec et la Fédération des médecins spécialistes du Québec, se sont désistés à quelques heures de l’audience, n’ayant pas eu suffisamment de temps pour se préparer. Le ministre Carmant et son gouvernement sont catégoriques : ils adopteront une loi augmentant l’âge légal de consommation de cannabis dans la province de 18 à
IYAD KAGHAD
« L’approche brusque de la CAQ n’a rien de surprenant. En fait, elle est en parfaite adéquation avec l’image que la CAQ veut se donner » 21 ans, peu importe les résultats qu’auront ces consultations publiques, que le ministre qualifie plutôt de « discussion ». La CAQ
le délit · mardi 19 février 2019 · delitfrancais.com
cherche également à être plus restrictive en interdisant la consommation de cannabis dans des lieux publics, tels que les parcs.
La semaine dernière, le centre Portage, la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ), l’Association québécoise des programmes pour premiers épisodes psychotiques (AQPPEP), l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) et la Ville de
Gatineau ont donc été les seuls groupes présents aux audiences publiques. La FEUQ et l’INSPQ ont défendu le maintien de l’âge légal à 18 ans, alors que la Ville de Gatineau a proposé un compromis en termes de restriction dans les lieux publics. Les promesses de la CAQ L’approche brusque de la CAQ n’a rien de surprenant. En fait, elle est en parfaite adéquation avec l’image que la CAQ veut se donner : un parti sans compromis, qui respecte ses engagements, et ce, dans les plus brefs délais. Leur écrasante majorité leur permet (et leur donne la légitimité) de mettre de côté tout propos allant à contresens. Tout processus suggérant une médiation quelconque est écarté : celle-ci suggèrerait une faiblesse de la part du gouvernement, en plus de ralentir ses projets. Cette situation est loin d’être unique à la CAQ, mais s’applique très bien à l’approche caquiste des derniers mois. x
actualités
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Société societe@delitfrancais.com
opinion
Revendiquons la justice climatique Le rassemblement PowerShift exige un changement radical. béatrice malleret
Béatrice malleret
Coordonnatrice Illustrations
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es trois jours que je viens de passer à Ottawa pour la conférence PowerShift ont été un véritable ascenseur émotionnel et intellectuel. Au rythme soutenu des panels et ateliers, où les idées fusaient et les débats étaient animés, se succédaient des moments de flottement durant lesquels j’essayais, tant bien que mal, d’intégrer et de faire sens de toutes les nouvelles choses que je venais d’apprendre. Mon état d’esprit se calquait sur la multiplicité des discours entendus, et comme eux, oscillait en permanence entre un optimisme combatif et une lassitude résignée. L’événement, organisé entièrement par des jeunes, était construit autour du thème de la justice climatique. Comme le requiert un tel sujet, il relevait d’ailleurs autant d’un rassemblement activiste que d’une conférence classique. Le constat que nous nous précipitons collectivement vers un effondrement climatique provoqué quasi-unilatéralement par le système capitaliste –luimême régi par des idéologies coloniales et néolibérales – constituait le principe sous-jacent de toutes
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Société
les discussions. Ce constat étant partagé par tou.te.s, l’ordre du jour n’était donc pas de se pencher sur les tenants scientifiques du dérèglement climatique, mais adressait davantage la question de comment s’organiser pour répondre à ce changement radical de nos écosystèmes, aussi bien à l’échelle locale que nationale et internationale. Un programme intersectionnel La programmation du week-end était extrêmement dense. Les journées commençaient à 9h et se terminaient rarement avant minuit. À chaque session, il fallait choisir parmi onze ateliers, keynotes ou activités interactives touchant à des thématiques variées, mais souvent complémentaires. PowerShift ayant eu lieu sur les terres non-cédées de la nation algonquine Anishinabeg et la question des droits des populations autochtones étant inséparable de celle de justice climatique au Canada, l’un des six thèmes qui structuraient la conférence était celui de « perspectives autochtones ». Les cinq autres étaient : « L’art du récit, numérique et médias », « Organisation et mobilisation », « Bâtir des mouvements intersectionnels », « Actions directes non violentes »
et « Art et résistance ». Ainsi, en une seule journée j’ai pu entendre le point de vue de Manon Massé sur le rapport qu’entretient la jeunesse avec la politique, travailler en petit groupe pour devenir des allié·e·s respectueux·ses et efficaces dans la lutte des populations autochtones pour leurs droits et passer en revue les différentes actions de désobéissance civile en Europe de l’Ouest. Couvrir des problématiques propres au Canada ainsi que des enjeux plus globaux m’a permis de prendre conscience des liens étroits qui unissent tous les différents combats pour la justice climatique. Mais malgré la place centrale de l’intersectionnalité au sein du mouvement et de la conférence, je n’ai pu m’empêcher de sentir dans certaines circonstances que l’envergure de la tâche nécessitait une focalisation sur une bataille spécifique. Ainsi, au même titre qu’il fallait choisir entre deux panels se déroulant simultanément, un engagement implique-til de choisir une cause aux dépens d’une autre ? Ces doutes et questions se dissipaient dès lors que l’on passait de questionnements théoriques à des actions concrètes. Parmi ces
dernières, la fabrication de marionnettes et de bannières pour la manifestation dans Ottawa ou le slam de poésie organisé par la poète, professeure et activiste El Jones donnaient lieu à des sentiments de solidarité intense. Peu importe que nous entonnions des chants contre la fracturation hydraulique, imprimions des affichesanticapitalistes ou dansions au rythme de la musique du groupe Silla + Rise, nous étions dans ces momentslà tou·te·s rassemblé·e·s derrière une cause unique, qui semblait soudainement atteignable. Optimiste et réaliste ? Cette solidarité s’est particulièrement fait ressentir lorsque que nous avons pris d’assaut, dimanche après-midi, la patinoire du canal Rideau pour interagir avec la foule qui s’y baladait et leur proposer de se mobiliser pour la création d’un Green New Deal canadien. Le Green New Deal est une stratégie élaborée par des politicien·ne·s, journalistes et intellectuel·le·s américain·e·s qui vise à une transition radicale et complète vers les énergies vertes. Celle-ci s’effectuerait de pair avec la transformation et la création de suffisamment d’emplois pour que
transition écologique et stabilité économique pour les personnes en situation de précarité puissent se réaliser de concert. Un Green New Deal canadien se traduirait par une emphase particulière sur les droits des travailleur·euse·s autochtones et immigré·e·s, qui comptent actuellement parmi les personnes les plus touchées par le dérèglement climatique et les plus exploitées par le système capitaliste en place. Discuter de questions environnementales avec des personnes inconnues, de tout âge, dans l’un des lieux les plus touristiques de la capitale canadienne a eu l’effet d’un réveil brutal. En effet, nous venions de passer trois jours à discuter entre nous d’une catastrophe imminente et globale pour laquelle il semble évident que la seule réponse possible soit une mobilisation d’envergure planétaire. Et bien que nous nous informions et débattions des manières de procéder, nous étions tou·te·s d’accord sur le fait qu’il est impératif d’agir. Que ce soit à PowerShift ou dans les cercles que je fréquente à Montréal, la discussion autour de l’effondrement écologique est omniprésente. Ainsi, à cause d’un biais cognitif trop facile à avoir, j’ai cru que mon vécu et mes préoccupations s’appliquaient à l’ensemble de la population. Or la réalité est toute autre. Ce que j’ai découvert en parcourant le canal Rideau, tentant, souvent sans succès, d’interpeler des patineur·euse·s, est que la vaste majorité des Canadien·ne·s ne sont pas ou peu informé·e·s sur le sujet, ou pire, y sont complètement indifférent·e·s. Cette tentative de mobilisation était la dernière activité que j’ai faite dans le cadre de PowerShift et encapsulait parfaitement le sentiment qui ne m’a pas quitté tout au long du week-end. Une profonde angoisse se mêlait à la fierté de prendre part à une telle mobilisation ; où une impression d’illégitimité est couplée avec la certitude d’avoir le soutien et les informations nécessaires pour agir. De retour à Montréal, c’est la fatigue qui domine désormais. Mais aussi l’intime conviction que je préfère savoir, et donc accepter le poids et la responsabilité de cette connaissance, plutôt que de m’enfouir la tête dans le sable et d’attendre que ça passe. Car ça ne passera pas.
le délit · mardi 19 février 2019 · delitfrancais.com
débat
La précarité rend malade Quels sont les effets des inégalités sur la santé des Québécois·e·s? Ximena ramirez Villanueva
Contributrice
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u Québec, il semblerait que rien n’importe plus, individuellement et collectivement, que la santé. Selon un sondage publié sur Radio-Canada en 2018, le système de santé constituait le facteur le plus important chez les électeurs lors des élections provinciales d’octobre dernier. Les habitants du Québec sont d’accord presque à l’unanimité sur le fait qu’un système de santé universel est une bonne chose – pour des raisons économiques ou d’égalité sociale. Un système de santé universel peut guérir les maux, mais comment les prévenir? Pourquoi tombons-nous malades en premier lieu? Notre corps est habité par nos expériences, et celles-ci sont façonnées par notre environnement. Ce qui implique donc que la manière dont nous organisons notre société peut s’avérer positive ou négative pour ce qui est de l’effet que ses structures peuvent générer sur notre santé. Divers indicateurs comme l’espérance de vie, le taux de mortalité infantile, le taux de mortalité des jeunes, le nombre d’années à vivre en bonne santé, les habitudes de vie, etc. sont analysés par le gouvernement provincial afin d’obtenir un portrait de la santé de notre population. On se rend compte que dans certaines régions de notre métropole québécoise, notamment les régions ayant un grand nombre de personnes vivant dans la pauvreté, les statistiques s’avèrent être négatives en comparaison à celles obtenues dans des régions plus privilégiées. Il y existe un gradient social dans les statistiques sur notre santé. Certes, les personnes privilégiées sont au haut de l’échelon, mais on constate que même les personnes défavorisées sont moins susceptibles d’être malades ou hospitalisées que les personnes très défavorisées, et ainsi de suite pour toutes les catégories de revenu, et ce en dépit de notre système de santé universel.
la CISSS et la CLSC, les ménages qui vivent avec un revenu inférieur au seuil de la mesure du panier de consommation, courent des risques importants pour leur santé. Ils sont plus susceptibles que les autres de rencontrer des obstacles quant à l’accès aux soins, d’être mal logés et de ne pas pouvoir consacrer une part adéquate de leur budget à une alimentation saine. Les personnes aux revenus les plus faibles se privent bien souvent d’acheter les biens et les services qui leur permettraient de maintenir ou d’améliorer leur état de santé. La pauvreté a même des conséquences néfastes sur nos enfants, en particulier au cours des premières années de leur vie. Ces années sont déterminantes pour
obstacle à l’accès aux soins de santé, et vraisemblablement, les soins prénataux ne font pas exception. Déjà en 1997, le Conseil national du bien-être social (CNBES) signalait qu’en dépit d’un système de soins universels, « les femmes démunies et peu scolarisées étaient moins suivies pendant leur grossesse, que ce soit en raison de problème de transport ou de réticence de leur part. Les lacunes du système, les services parfois dispersés et le manque de coordination de l’action des intervenants constituent des problèmes additionnels. »
« L’injustice sociale rend malade et tue »
ditionnelle de stress. Or, le stress que connaissent les personnes ayant peu de moyens est extrêmement néfaste à leur santé. Il s’agit donc, un stress qu’on appelle « de subordination sociale ». De plus, selon l’Observatoire de la prévention de l’Institut de cardiologie de Montréal, « le mécanisme de défense psychologique et physique face à des menaces extérieures répétées auxquelles on ne peut échapper », c’est-àdire le stress, « est une cause de déclin sur la santé. » Lorsqu’une situation génératrice de stress survient, notre corps réagit en sécrétant du cortisol et de l’adrénaline. Le cortisol augmente la pression artérielle, le taux de sucre sanguin et inhibe le système immunitaire. En temps normal, MAHAUT ENGÉRANT
De l’argent pour notre bien-être Selon l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal (CISSS et CLSC), « Les familles monoparentales, les personnes qui vivent seules et les immigrants font généralement partie des groupes vulnérables de la société. Ces personnes sont plus susceptibles que les autres de vivre avec un faible revenu et de devoir composer avec les divers problèmes qui découlent des inégalités sociales de santé. » Des écarts de santé importants se creusent à Montréal, surtout en ce qui concerne les groupes vulnérables. Encore selon
leur santé immédiate, mais également pour leur développement physique, langagier et psychologique. Une étude effectuée près de l’Enquête longitudinale des enfants du Québec a notamment démontré à quel point la pauvreté vécue avant la naissance et à un très jeune âge peut influencer l’état de santé et l’espérance de vie à l’âge adulte, et ce, même lorsque la pauvreté est temporaire. De plus, pauvreté rime souvent avec faible soutien social. La situation est peu documentée, mais une chose est certaine, la pauvreté constitue un
le délit · mardi 19 février 2019 · delitfrancais.com
Stress et subordination sociale Selon l’Agence de la santé et des services sociaux à Montréal, par comparaison avec d’autres grandes villes du monde et du Canada, vivre à Montréal coûte relativement peu cher. Mais, pour les personnes à faible revenu, bénéficiaires d’aides sociales et travailleurs pauvres, les revenus ne suffisent pas toujours à se nourrir convenablement, à se déplacer et se vêtir une fois le loyer payé. Dans ces conditions, le moindre imprévu représente une source ad-
une fois le danger disparu, tous les paramètres reviennent à la normale. Cependant, chez les gens qui sont soumis à un stress permanent, ce mécanisme ne se met jamais en veille. En prenant en compte la différence entre les taux de stress de subordination sociale des personnes favorisées et défavorisées, on en déduit que le stress n’est pas également et justement réparti sur cette hiérarchie. L’accumulation de contraintes et de ressources pour les gérer sont déterminées en grande partie par la classe sociale.
Le racisme et son effet sur la santé Lorsque l’on analyse les effets des inégalités sociales sur la santé, il faut également prendre en compte l’obstacle supplémentaire que constitue le racisme. Selon la Ligue des droits et libertés, l’accès aux soins peut faire l’objet de toute sorte de discriminations racistes, moins visibles que le refus de soins mais potentiellement dangereuses : les soins sont certes reçus, mais de moindre qualité, après un temps d’attente plus long, ou dans le cadre d’une interaction plus brève avec les soignants. Plus insidieux encore sont les stéréotypes qui ne sont pas ouvertement péjoratifs mais qui pourtant justifient des pratiques soignantes différentes et finalement défavorables. Par exemple, mettre les maladies des personnes racisées sur le compte de leurs « spécificités génétiques » plutôt que de s’interroger sur les déterminants sociaux de ces maladies. La santé compte bien d’autres déterminants que les soins, et les discriminations racistes entravant l’accès à des ressources potentiellement protectrices pour la santé sont innombrables : dans l’accès à l’emploi, à l’éducation, au logement à la justice, etc. Toutes ces discriminations ont des effets sur les revenus des personnes racisées. Ainsi, lorsque des minorités raciales sont en moins bonne santé que les groupes non-racisés, c’est donc souvent en bonne partie parce qu’elles font partie de communautés défavorisées. En addition, revenant sur les effets du stress de subordination sociale sur la santé, le niveau de stress et de cortisol sont liés au sentiment d’appartenir à une communauté victime de racisme - un stress chronique - et renouvelés à chaque perception d’une nouvelle discrimination raciste - un stress aigu. Ces deux grandes avenues que suit le racisme pour affecter la santé ne sont pas exclusives et peuvent même se renforcer mutuellement. Selon le Centre de collaboration nationale des déterminants de la santé, pour atteindre l’équité raciale, les acteurs de la santé publique doivent lutter contre le racisme, en prenant en compte les dynamiques coloniales de peuplement, le racisme structurel, le pouvoir et les privilèges qui sont reproduits dans le système de santé québécois. L’injustice sociale rend malade et tue. Toutefois, les inégalités sociales de santé sont tout à fait évitables. C’est pourquoi il faut que les autorités locales et régionales mettent en œuvre des politiques sociales conséquentes et effectuent les changements pour atteindre une égalité dans la santé.x
société
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OPINION
Jusque-là, l’acharnement
grégoire collet
Le plan de Donald Trump pour mettre fin à l’épidémie du VIH aux États-Unis interroge. Grégoire Collet
Éditeur Société
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e 5 février dernier, le président Donald Trump a annoncé devant le Congrès américain un plan de santé national visant à mettre un terme à l’épidémie du VIH dans le pays. Beaucoup ont été surpris·es par la nouvelle, jugée incohérente au vu de la politique de l’administration Trump sur le Sida depuis le début du mandat. Les détails du plan D’ici 2030, l’épidémie du Sida sera éradiquée aux ÉtatsUnis. Dans les cinq prochaines années, les infections seront réduites de 75%. Dans 10 ans, de 90%. Tel est le plan annoncé sur le site du Département de la Santé et des Services sociaux des ÉtatsUnis (DHSS en anglais, ndlr), dans le programme Ending the HIV Epidemic (Mettre fin à l’épi-
ropositifs ayant été les cibles de politiques du Président Trump à plusieurs reprises depuis le début de son mandat, une telle mesure interroge quant aux intentions et au réalisme de la mise en place de ce plan par Trump. Retour sur une obstination Le groupe activiste ACT UP NY, porteur du combat contre le Sida à New York depuis la fin des années 1980, a publié un communiqué exposant les politiques anti-LGBTQ+ de Trump pour pointer du doigt l’hypocrisie du président. En effet, la MaisonBlanche a annoncé en mai 2017 qu’elle couperait le budget alloué à la lutte contre le Sida au sein du pays ainsi qu’à l’international. Ces coupes budgétaires ont été accompagnées, en décembre de la même année, du renvoi des membres bénévoles du PACHA (Conseil Présidentiel sur le VIH/Sida en français, ndlr), tra-
pos de son gouvernement doivent être tenus responsables du climat dans lequel les personnes séropositives évoluent. En effet, un enjeu fondamental de la lutte contre le Sida est le problème de la stigmatisation des personnes infectées. Les racines de cette méfiance se trouvent bien sûr déjà dans la peur de la maladie, beaucoup associant le Sida à des images de grande souffrance et de violences subies par les corps séropositifs. De plus, la maladie étant souvent associée à quelque chose d’exclusivement réservé aux hommes homosexuels, certains discours autour de la maladie sont empreints d’homophobie. Par ailleurs, cette stigmatisation est dangereuse pour la santé mentale et physique des personnes infectées, n’osant parfois pas en parler ou même entreprendre les démarches pour aller se faire soigner. Elle entraîne aussi une discrimination sur les lieux de tra-
« La trahison du gouvernement américain vis-à-vis de ses citoyen·ne·s séropositif·ve·s a créé une fissure difficilement réparable » démie du VIH en français, ndlr). Depuis 1981, année de début de l’épidémie du VIH dans le pays, plus de 700 000 personnes sont décédées de la maladie. La grande démocratisation du préservatif et la terreur provoquée durant l’épidémie ont grandement réduit le nombre de cas d’infections au fil des années. Cependant, on évalue à 40 000 le nombre de nouvelles infections chaque année dans le pays. Deux tiers de ces infections touchent les hommes gays et bisexuels, et les communautés marginalisées et racisées restent encore les plus susceptibles de contracter le virus. Les corps sé-
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société
vaillant avec chaque président depuis 1995. De plus, en 2018, l’administration américaine a relevé deux membres de l’armée de l’air de leurs fonctions après que ceux-ci ont confié leur statut séropositif. La liste est longue, et les premier·ère·s à souffrir de ces décisions sont les personnes infectées par le VIH où à risque de le devenir. La haine et la méfiance envers les communautés marginalisées ont gagné une partie de la sphère politique et médiatique du pays avec l’arrivée de Trump à la MaisonBlanche : les politiques et les pro-
vail et un phénomène d’exclusion pouvant s’étendre aux sphères plus personnelles des séropositif·ve·s. Plus important encore, la stigmatisation des personnes atteintes du virus crée une anxiété généralisée quant au fait même de se faire dépister, certain·e·s préférant ne pas connaître leur statut plutôt que de se savoir malade. De plus, l’ignorance encore répandue face à la maladie et de sa transmission est, il semblerait, due aux cours d’éducation sexuelle dispensés dans les écoles du territoire américain. En effet, les nouvelles générations, n’ayant pas grandi dans le tumulte de la crise,
ne sont pas toutes au courant des conditions de transmission et des comportements sexuels à risque. La stigmatisation est un sujet critique dans la lutte contre le VIH/Sida, et le rôle que le gouvernement a de protéger ses citoyen·ne·s séropositif·ive·s et de sensibiliser sa population n’a pas été respecté par l’administration de Trump.
se sont exprimés dans divers médias, dénonçant une « censure scientifique ». Cette nouvelle fut reçue avec désarroi et colère par un grand nombre d’activistes LGBTQ+, s’insurgeant du manque de transparence de l’administration et de son écoute sans limites des voix conservatrices.
Qui Trump écoute-t-il?
De telles actions sont très violentes envers les corps touchés par le virus et la maladie, et marginalisent les voix séropositives avec une vigueur inquiétante. La perception collective du Sida et la recherche pour mettre un terme à la propagation du VIH sont deux piliers essentiels de la lutte contre le virus et la maladie. Le président Trump a jusque-là échoué sur les deux plans, son ignorance et son intolérance se traduisant sans relâche dans la politique de son administration.
À cette stigmatisation se conjugue la pression de groupes d’intérêts religieux et conservateurs, exerçant leurs forces sur le sujet depuis l’apparition du virus aux États-Unis. Les recherches scientifiques pour le traitement du Sida et pour un éventuel vaccin pour le VIH se sont appuyées notamment sur l’utilisation de tissu fœtal, tissu extrait de fœtus avortés. Dans le cadre de ces expériences, les tissus sont greffés à des souris afin de comprendre la propagation très rapide du virus dans le corps. Beaucoup de scientifiques soutiennent l’absolue nécessité de l’utilisation de ces tissus, essentielle pour la bonne conduite et l’efficacité de la recherche, qui était la plus prometteuse pour l’obtention d’un potentiel traitement. Toutefois, l’élection de Trump a donné une tribune plus importante aux groupes anti-avortement, qui se sont empressés de dénoncer plus vigoureusement cette pratique scientifique. Ainsi, début décembre, il a été découvert que le gouvernement américain avait interrompu au moins un processus de recherche utilisant ces tissus, en réaction aux pressions des groupes anti-avortement. Les scientifiques concernés, qui se sont vus interdire par le gouvernement d’évoquer l’interruption de leur recherche,
Comment faire sens de ce plan?
Néanmoins, à l’annonce du plan de santé du gouvernement, les échos sont assez positifs, et nous pouvons nous réjouir d’une telle perspective. Cependant, la trahison du gouvernement américain vis-à-vis de ses citoyen·ne·s séropositif·ve·s a créé une fissure difficilement réparable. Ignorer les sensibilités et l’aspect identitaire du combat qu’est la lutte contre le VIH/Sida, c’est ignorer une majeure partie du problème. Éradiquer le Sida est difficilement concevable sans action radicale, et ce d’autant plus dans un climat où les communautés LGBTQ+ sont activement ostracisées et discriminées par le gouvernement républicain de Trump. Le plan Ending the HIV Epidemic est ambitieux, mais il faudra attendre de voir sa mise en place concrète pour saluer celui qui en a donné l’ordre. x
le délit · mardi 19 février 2019 · delitfrancais.com
Philosophie philosophie@delitfrancais.com
Conférence
« L’outil est convivial dans la mesure où chacun peut l’utiliser, sans difficulté, aussi souvent ou aussi rarement qu’il le désire, à des fins qu’il détermine lui-même. L’usage que chacun en fait n’empiète pas sur la liberté d’autrui d’en faire autant. Personne n’a besoin d’un diplôme pour avoir le droit de s’en servir ; on peut le prendre ou non. Entre l’homme et le monde, il est conducteur de sens, traducteur d’intentionnalité. »
La technique moderne
Ivan Illich
Retour sur une conférence portant sur Martin Heidegger et l’intelligence artificielle. Jaya Bonelli
Contributrice
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ntre la Déclaration de Montréal et les avancées de la dernière caméra IA de pointe, il n’y a pas de doute sur le développement, et surtout l’ubiquité, de l’intelligence artificielle. L’intelligence artificielle est devenue un buzzword auquel nul n’échappe. En effet, celle-ci a des implications partout : en informatique évidemment, mais aussi en politique, en éthique, en biologie… La phénoménologie fait également partie de ces implications, comme a su le démontrer l’évènement du jeudi 13 décembre qui s’est tenu au pavillon Jean-Brillant de l’Université de Montréal. Animée par la doctorante en science politique Anne Boily, la présentation intitulée « Enjeux de l’intelligence artificielle à la lumière de la philosophie de la technologie de Martin Heidegger » a eu lieu dans le cadre du séminaire « Essais et hypothèses ». Organisé par le Centre canadien d’études allemandes et européennes, l’évènement présentait les liens entre le développement rapide de l’IA et ses conséquences phénoménologiques. En effet, comme son titre l’indique, le fil conducteur de la discussion fut l’étude de l’IA à travers certains concepts de la philosophie de la technologie de Heidegger. Notons d’ailleurs que le terme de « technologie » a été pas mal discuté, puisqu’il s’agirait d’une déformation du concept, ce dernier étant bien mieux rendu en français par le terme « technique ». Pour en saisir l’ampleur, rappelons tout d’abord les fondements de la philosophie de la technologie de Heidegger. Dans « La Question de la Technique » - premier texte du recueil des Essais et conférences paru en 1954 -, Heidegger replace la technologie dans un cheminement historique débutant dans la Grèce antique à partir de l’étymologie du mot « technologie ». Écrit en grec ancien τέχνη, signifiant art et technique, Heidegger désigne par ce mot le dévoilement de l’être et du monde à travers le savoir-faire de l’artisan. En revanche, la technologie moderne se rapporte plutôt à un « encadrement » ou à un « saisissement » de l’être et du monde par les mathématiques et la physique. À ce sujet,
Heidegger critique sévèrement la prétention moderne à pouvoir rendre compte d’un monde devenu parfaitement quantifiable et qui se veut traduisible en termes « objectifs » et « scientifiques ». Pareille critique nous mène à un autre concept important liant la philosophie de Heidegger à l’IA : le Gestell qui désigne, en quelque sorte, cet encadrement lui-même. Il s’agit d’un mot difficile à traduire en français. Il est souvent traduit par « Dispositif » et il se fait généralement traduire en anglais par
d’une façon déterminée par le Dispositif, et le monde se fait dorénavant le simple « inventaire » de ces entités instrumentalisées, c’est-à-dire les êtres. C’est justement cela que Heidegger dénonce dans la technologie moderne. Heidegger associera le développement de la technique et du Dispositif aux sociétés totalitaires, qu’il soit question du fascisme nazi, du communisme bolchevique ou encore du capitalisme libéral. Ainsi, contrairement à ce qui est
se fait système totalitaire et globalisant : on restreint une compétence pratique et imprévisible à une base de données tout simplement immense. La deuxième idée est la distinction entre l’humain et la machine, qui, peu à peu, risque de s’estomper avec les avancées de l’IA. Lorsque l’on considère la technologie moderne (comme l’entend Heidegger), on voit la technologie et la physique comme vérités de l’être, et la À cet égard, ces deux notions, le Nature devient une force calcuGestell et le Gelassenheit, s’inlable à l’avance. Cela s’oppose en terrogent mutuellement dans tout point au Gelassenheit, qui dénonce la « machinisation » de l’être et qui, justement, essaie coûte que coûte, de préserver cet élément de l’automatique ou de l’algorithmique. Finalement, c’est dans le principe de l’efficacité que l’on aboutit à la critique de ce que Heidegger considère être l’ « esthétisation» de la technologie : on cherche à la rendre aussi « facile », aussi limpide et pratique que possible. En conséquence de quoi, à travers la technologie, c’est l’être que nous réduisons à une fin pratique, nous ramenant ainsi au Gestell. Une technologie efficace, ainsi, est telle lorsque nous ne nous posons plus de questions, lorsqu’un algoPrune Engerant rithme s’exécute sans aucun « doute » - et, encore une fois, nous éloigne du Gelassenheit. désigne un peu l’abandon, la soumission à la volonté divine. Chez Heidegger, il désigne plutôt une sorte d’abandon à l’imprévisibilité, le délaissement de tout ce qui est déterminé, calculable et prévisible. Il est aussi mis en relation avec une éducation « herméneutique », qui soulève à chaque instant le questionnement, et qui, en réalité, encourage surtout la réflexion.
« Ainsi, contrairement à ce qui est souvent bavardé à son sujet, Heidegger est l’un des premiers critiques sérieux de la notion de totalitarisme » « enframing » ou « positionality ». Ce Gestell devient un phénomène du monde consistant d’une part au rassemblement de certaines entités, et d’autre part à leur attribution à une place définie dans le fonctionnement schématique du monde. Dans le Gestell, chaque être devient un « moyen », un « Fonds », une « ressource » qui est exploitée
le délit · mardi 19 février 2019 · delitfrancais.com
souvent dit à son sujet, Heidegger est l’un des premiers critiques sérieux de la notion de « totalitarisme ». Au Gestell limitatif, Anne Boily a opposé la notion heideggérienne du Gelassenheit, le « laisser-être », ou « releasement », en anglais. D’aucuns le traduisent plutôt par « sérénité ». Il s’agit d’un mot emprunté au mysticisme allemand, qui
trois considérations plus particulières sur l’IA. La première est l’idée de programmer le sens commun, qui est une des nombreuses motivations de l’IA. Ceci est explicable par le fait que du moment où l’on suppose possible la réduction du sens commun à un algorithme, ou du moins à une certaine formalisation, on entre dans le cadre du Gestell qui
En revanche, cette opposition entre le Gelassenheit et le Gestell est loin d’être atteinte en IA. Les avancées, bien que nombreuses, ne sont pas encore, en mesure de chambouler notre conception de l’être tel que nous le fait percevoir présentement la science. Dans la technologie moderne, il y a, en effet, cette ambition intellectuelle grandiose de réussir à « calculer » l’être humain et à le cerner par des algorithmes toujours perfectibles. Pourtant, la part du « non-programmable » est toujours suffisamment importante pour que la part du Gelassenheit ne puisse disparaître. x
Livres de Heidegger concernant la technique : 1- Les chemins qui ne mènent nulle part 2- Essais et conférences 3- Essence de la vérité 4- Apports à la philosophie 5- La Dévastation et l’attente
Philosophie
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Culture
PLAYLIST ATLAS - Oasis Mercedes Sosa - Alfonsina Y El Mar Abhi The Nomad - Some Assembly Required Louis-Jean Cormier - Bull’s Eyes
artsculture@delitfrancais.com
le délit et des livres
Ces oeuvres qu’il faut relire Retrouvez l’œuvre marquante de la semaine : Le Petit Prince. courtoisie de gallimard
ilona métais
Contributrice
«L
e Petit Prince? Mais ce n’est qu’un conte pour enfants! » voilà la réponse que me donnent la plupart de ceux à qui j’avoue que Le Petit Prince d’Antoine de SaintExupéry est mon œuvre préférée. Deuxième ouvrage le plus traduit au monde après la Bible, je ne cherche non pas à vous le faire découvrir, mais à vous le faire relire. Sous ses airs enfantins, ce conte philosophique relate l’histoire de la rencontre entre un aviateur, qui se retrouve seul au milieu du Sahara à cause d’une panne de moteur, et le Petit Prince. Ce dernier vient de l’astéroïde B612 et nous embarque dans un voyage interstellaire où il rencontre de différents personnages allégoriques comme le roi qui ordonne au soleil de se coucher, le businessman qui compte et contrôle les étoiles ou encore le buveur qui
boit pour oublier qu’il a honte de boire. Oscillant sans cesse entre humour et mélancolie, SaintExupéry offre un chemin philosophique à ses lecteurs. Sa narration
simple et spontanée rend le livre accessible aussi bien aux enfants qu’aux grands. Néanmoins, chaque lecteur a une compréhension différente du conte selon son âge
et sa maturité. J’en ai moi-même fait l’expérience lors de mes diverses lectures à différents moments de ma vie. Durant mon enfance, lorsque ma mère me lisait le conte le soir dans mon lit, j’étais émerveillée par ce fantastique voyage dans les étoiles. Je regardais les jolies aquarelles de l’auteur qui illustrent l’édition tout en écoutant avec attention la douce voix qui me contait l’histoire de ce Petit Prince curieux et provocant. J’admirais le narrateur qui n’avait pas peur de critiquer les « grandes personnes », trop bêtes pour comprendre son dessin du boa qui avale un éléphant ou du mouton dans sa boîte. Je m’endormais fièrement en comprenant petit à petit que les adultes n’étaient pas toujours les plus intelligents et que mes idées pouvaient valoir les leurs. Au collège, lorsque j’ai relu Le Petit Prince seule pour la première fois, j’ai commencé à saisir quelques symboles du conte. J’ai
compris par exemple que les baobabs, dont le Petit Prince doit s’occuper tous les jours sur sa planète, sont une métaphore pour rappeler au lecteur qu’il faut prendre soin de l’environnement. Ma dernière relecture, avant d’écrire cet article, m’a même permis de dénicher la référence à Atatürk, dictateur turc entre les années 1920 et 1930, et ce, grâce au cours d’Histoire des mouvements islamiques que j’ai suivi au semestre dernier, ici à McGill. Ce livre est un véritable pilier auquel le lecteur peut se référer à chaque épreuve qu’il traverse. Il répond aux questions fondamentales et existentielles que chacun se pose sur le but de la vie. Il donne aussi des solutions à des problèmes plus difficiles, comme faire face à la mort et au deuil. Bien plus qu’un simple conte, la poésie du Petit Prince accompagne le lecteur au fil des années et regorge de symboles à débusquer. x
entrevue
Les (im)pulsions de David Goudreault Le Délit rencontre David Goudreault, romancier et slameur québécois.
C
courtoisie du théâtre du marais
ette semaine, Le Délit a eu l’immense honneur de s’entretenir avec David Goudreault, artiste multidisciplinaire. Premier Québécois à remporter la Coupe du monde de poésie à Paris en 2011, il s’est fait connaître du grand public pour sa trilogie La bête et sa mère (2015), La bête et sa cage (2016), et Abattre la bête (2017), trilogie pour laquelle il a remporté de nombreux prix. Malgré son emploi du temps chargé, il a réussi à trouver du temps, après avoir déballé son épicerie, pour répondre à nos questions. Le Délit (LD) : Tu es romancier, poète, slameur, chroniqueur, travailleur social et papa. Ma première question : comment on fait pour avoir un horaire de seulement 24 heures par jour quand on s’appelle David Goudreault? David Goudreault (DG) : C’est une excellente question. Je ne sais pas trop. J’imagine qu’il y a une question d’énergie, d’appétit,
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Culture
là-dedans. Ce que Freud pouvait appeler libido, mais au sens plus large que seulement sexuel. Je pense qu’il y a une sorte de désir incroyable d’embrasser et de m’investir dans plusieurs choses en même temps. Ce qui me force
finalement à m’organiser. Je dirais que le secret, c’est l’organisation. Ça me permet de faire tous mes projets. LD : J’ai l’impression que tu nous parles ici d’une forme de « pulsion
de vie », pour en revenir à Freud? DG : Absolument! J’ai travaillé plusieurs années en prévention comme travailleur social et il y avait toujours cet enjeu d’ambivalence chez les personnes suicidaires, entre la vie et la mort.
J’ai moi-même vécu des périodes de détresse, de pulsion de mort, d’autodestruction, et il y a cette espèce de retour du balancier naturel, auquel maintenant je prête épaule. J’ai ce goût de la vie et cette espèce d’inquiétude par rapport au temps qui passe. Mon désir de vivre est très grand et ça me donne l’énergie d’aller au bout de ces divers projets. J’ai longtemps été un « rêveur » et maintenant j’essaye d’être un « faiseur ». LD : Ce qui m’intéresse d’abord c’est la manière originale dont tu exerces ton métier. Tu utilises ton expérience professionnelle pour faire de la poésie avec les jeunes et les moins jeunes dans des ateliers d’intervention auprès des groupes vulnérables. Comment t’est venue l’idée de mêler ton métier de travailleur social à la poésie ? DG : En fait, j’ai l’impression que je ne l’ai pas tant voulu, mais que ça s’est imposé. Les gens l’ont réalisé avant moi. Les organismes communautaires
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et les prisons m’ont demandé avant même que j’aie le temps de m’offrir. De fil en aiguille, avec le bouche-à-oreille et les rencontres, j’ai eu beaucoup de demandes. Maintenant j’ai le beau problème de devoir en refuser, ce qui me permet de choisir. Il y a des lieux où, à chaque fois, c’est magique. Cette semaine encore, j’étais à Donnacona, un pénitencier à sécurité maximum, avec des personnes qui ont commis des crimes très graves. Au contact de la littérature, certains deviennent très sensibles et très humains. Ils ont quelque chose à dire et veulent découvrir. Il y a une belle résonance de ma vie professionnelle de travailleur social dans ma vie artistique.
« À travers l’écriture, la lecture, il y a une sorte d’ivresse, que je cherchais dans les substances à une certaine époque » LD : On a beaucoup parlé de toi dans les dernières années pour ta trilogie de la bête. Ça a vraiment accroché les gens, cet humour noir, hyper cynique et criant de réalisme. T’attendais-tu à une réponse aussi positive de la part des lecteurs? DG : Absolument pas. Ça a été une très belle surprise pour moi. D’un autre côté, je t’avouerais que j’avais une crainte à la base, à l’écriture du premier roman. J’avais peur que mes collègues intervenants considèrent que je me moquais de nos clients, ou qu’il y avait un manque de respect à travers ça. Finalement, c’est pratiquement ceux qui l’apprécient le plus! (rires, ndlr) Enfin, on peut se permettre de prendre ça avec un pas de recul, de rire de ces situations-là. Moi, je trouvais que c’était ce qui manquait à la littérature. On parlait beaucoup de criminalité, mais on représentait mal, j’ai l’impression, ce que c’était vraiment. On voit beaucoup les criminels comme des espèces de héros, des tueurs en série géniaux, alors que la plupart des crimes sont commis par des gens souvent vulnérables, un peu en détresse, eux-mêmes victimes. Je voulais qu’on retrouve ça en littérature. LD : Décidément, tes romans, on l’espère, s’éloignent de l’autofiction. Tu dis t’être inspiré de ton expérience professionnelle pour donner du réalisme à ton personnage. Dans quelle mesure ta vie personnelle est-elle présente dans la trilogie? DG : Assez peu, en fait. Mon personnage est peut-être ce que j’aurais pu devenir de pire. Sinon, c’est vraiment ma vie professionnelle. Peut-être quelques rencontres, des gens qui ont croisé ma route à une autre époque. Mais ça demeure de la fiction. Je dirais même que c’est un de mes combats, comme auteur, de ramener le droit à la fiction
en littérature québécoise. Dans les salons du livre, les gens me questionnent souvent, ils pensent d’emblée que la trilogie raconte mon histoire. Je leur réponds : écoutez, si c’était de l’autofiction, je serais rendu à deux meurtres, à de la torture d’animaux, à des viols, alors je ne serais sûrement pas dans un salon du livre présentement! (rires, ndlr) LD : Tu avais dit en entrevue de ton personnage qu’il est « d’autant plus dangereux qu’il est articulé ». On pourrait dire la même chose de toi. Tu remets en question beaucoup d’idées reçues dans la société. Tu as été chroniqueur pour Le Soleil, La Tribune, Le Nouvelliste, et j’en passe. Estce que c’est important, pour toi, d’utiliser sa plume pour faire passer des messages politisés ? DG : Bonne question! Je dirais
que j’ai ce devoir de participer à la conversation. Pour moi, c’est déjà significatif. Comme chroniqueur, je ne suis pas un expert. Mon expertise d’artiste est plus sur la forme que sur le fond. Je suis davantage dans une démarche artistique que dans une démarche de sensibilisation ou de prévention. LD : Tu écrivais cette semaine dans La Presse « Je ne suis qu’un écrivain, un chroniqueur dont la voix se perd dans le flot continu des opinions ». Tu exprimais d’ailleurs ton mécontentement face aux difficultés que présente la francisation pour les personnes immigrantes du Québec. À l’Université McGill, l’enjeu de la langue nous touche beaucoup. Ce n’est pas évident de faire perdurer le français dans un milieu anglophone. On a beaucoup
unilatérale qui demande à ce qu’on parle uniquement français au Québec, mais c’est quand même la première langue, et il y a cette réalité de notre particularité culturelle qu’il faut préserver. Je pense que l’immigration est bienvenue, ma copine est immigrante, mais je suis dans un désir de voir l’autre tendre vers moi afin de tendre vers lui aussi. LD : Tu es présentement en tournée pour ton spectacle Au bout de ta langue. J’ai d’ailleurs eu la chance d’y assister. C’est un hommage assez gargantuesque que tu rends à nos poètes québécois, tu y fais l’éloge de la poésie et des mots, avec comme fil narrateur l’histoire d’un certain David Goudreault. Qu’est-ce que ça te fait de te livrer comme ça à ton public? DG : Tu vois, c’est un bon lien avec ta question précédente dans courtoisie de santké
« Comme n’importe quel dépendant, je suis quelqu’un de très intense et de pouvoir transposer l’intensité que je mettais à consommer dans la lecture, l’écriture, c’est une espèce de transfert sain » que c’est peut-être une déformation professionnelle du travailleur social, qui a toujours un peu envie de faire de la sensibilisation à travers ses écrits. Mais pour moi, ce n’est pas systématique. J’ai écrit plusieurs nouvelles ou poèmes où c’était de la pure fiction. J’ai l’impression que si un texte pouvait réellement changer le monde, ça ferait longtemps que Give Peace A Chance (chanson solo de John Lennon, ndlr) aurait complété sa mission. J’essaie d’être engagé, peut-être par intégrité par rapport à moi-même, ou en espérant aider quelqu’un quelque part. D’un autre côté, je suis conscient des limites que j’ai. Je suis plein de bonne volonté, je veux ben, mais je n’ai pas l’impression que je peux faire une grande différence. Dans mes actions, j’essaie d’être cohérent. Et dans mes écrits, j’essaye de porter quelque chose qui a du sens pour moi. J’ai l’impression
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d’étudiant·e·s étranger·ère·s, qui viennent de partout dans le monde, et pour qui le français est parfois la troisième, voire quatrième langue. Pourquoi c’est important, selon toi, de défendre la langue française au Québec? DG : Justement, parce qu’il y a, au-delà de l’enjeu identitaire, un enjeu culturel et un enjeu de vivre-ensemble. C’est l’idée qu’on doit tendre vers l’autre. Je crois profondément au mélange des cultures, je crois que c’est riche, qu’on a besoin de l’immigration. Pour moi, il y a cette réalité-là quand tu visites quelqu’un, du fait que tu dois aussi tendre vers lui, pas seulement être accueilli. Donc, moi, quelqu’un qui ne connaît que le mot bonjour, déjà, je vais être très ouvert. On va discuter en anglais ou j’essayerais de me débrouiller avec mes bases de créole ou de ce que tu veux. L’idée c’est qu’il doit y avoir un effort de part et d’autre. Je ne suis pas pour la conception
le sens où, pour moi, une des grandes richesses qu’on a et qu’on doit faire valoir dans la lutte de la survie économique, démographique, idéologique, c’est la poésie québécoise, qu’on connaît peu, qu’on visite peu. Mais c’est une carte de visite incroyable. J’essaye à travers mon spectacle de faire connaître ça et de nous en rendre fiers. Le fait de me livrer, c’est pour moi plus un moyen qu’une finalité. J’exemplifie ce que la littérature a fait pour moi, pour démontrer ce qu’elle peut faire pour d’autres. En quelque sorte, je m’exploite un peu. C’est un moyen que j’utilise. LD : Dans ton spectacle, tu parles notamment de tes dépendances, auxquelles tu as dû mettre un frein pour continuer de vivre adéquatement. Dans quelle mesure la littérature a été salvatrice pour toi ? DG : Effectivement, elle a été et est hyper importante. Ne serait-ce parce que c’est une
sorte de déplacement. Comme n’importe quel dépendant, je suis quelqu’un de très intense. De pouvoir transposer l’intensité que je mettais à consommer dans la lecture, l’écriture, c’est une espèce de transfert sain. Je prends quelque chose qui était malsain, destructeur pour moi, et je le déplace dans quelque chose qui est constructif, qui devient une espèce de planche de salut super intéressante. Je dirais que la littérature a contribué beaucoup à mon rétablissement. Il y a beaucoup d’énergie, de passion et d’intensité là-dedans. À travers l’écriture, la lecture, il y a une sorte d’ivresse, que je cherchais dans les substances à une certaine époque. LD : Ça m’amène à la prochaine question, est-ce qu’on écrit pour soi ou pour les autres? DG : C’est une grande question. Je te dirais que ça dépend de chaque auteur, et dans mon cas à moi ça dépend du genre littéraire. C’est-à-dire que je vais écrire de la poésie pour moi-même et je vais écrire des romans pour les autres. Dans le même genre littéraire, ça peut dépendre des sujets aussi. Certains sujets me tiennent vraiment à cœur, j’ai parfois un message à passer, tandis que d’autres fois, j’écris davantage pour nourrir une réflexion chez les autres qu’en moi-même. C’est clair que pour moi il y a une grande différence entre la prose et le vers. En poésie, c’est plus introspectif, c’est un besoin viscéral. Quand j’écris des romans, j’ai toujours le lecteur en tête, le jeu de la littérature qui est d’écrire pour faire réagir, réfléchir. LD : Penses-tu un jour mettre un frein à ta carrière d’intervenant pour te consacrer uniquement à la littérature, ou est-ce deux pans de ta vie qui ont besoin de cohabiter? DG : J’ai l’impression qu’en ce moment les deux se mélangent bien. Quand je suis dans les prisons ou avec les jeunes, j’ai les deux chapeaux en même temps. Je ne travaille plus comme travailleur social directement, je suis encore membre de l’Ordre (l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec, ndlr), mais je ne fais plus d’intervention en tant que telle. Je me considère plus comme artiste qu’intervenant. Comme un artiste dont la carrière de travailleur social a largement nourri l’œuvre. x
Propos recueillis par mélina nantel Coordonnatrice à la correction
1- Ici les femmes ne rêvent pas : récie d’une évasion (Rana Ahmad) 2-De bois debout (Jean-François Caron) 3- Nos héroïnes (Anaïs BarbeauLavalette) 4- L’impureté (Larry Tremblay)
culture
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Entrevue
Hommage en talons hauts Le Délit était présent au drag show rendant hommage aux cultures noires. Audrey Bourdon
Éditrice Culture
C
e mercredi passé était organisée au Cabaret Mado la soirée Black Tribute : Hommage à l’histoire des Noir·e·s. Deuxième édition de cet événement, on pouvait sentir l’excitation émanant des organisateurs ainsi que du public. Le spectacle a débuté avec la présentation d’un poème de l’Américaine Maya Angelou « Still I Rise », un hymne à la résilience des communautés noires face à la discrimination et aux injustices. Reines du soir Par la suite, les différentes performances nous étaient données par quatre drag queens noires, interprétant uniquement des titres de chanteurs et chanteuses noir·e·s. Barbada, la drag queen coorganisatrice de l’événement, a mentionné que c’était là de la discrimination positive. « J’ai souvent vu des drags blanches performer du Rihanna, du Beyoncé, du Whitney (Houston, ndlr). Ce n’est pas que ce n’est pas bon, mais là, on peut vraiment dire qu’« on se l’approprie ». Il y a tellement une
belle vibe, une belle énergie qui se dégage de ces chansons-là. Il y a beaucoup de gens qui ne réalisent pas que ces chansons sont chantées par des interprètes noir·e·s, il suffit que l’artiste soit un peu moins connu·e. » Cela étant mon tout premier drag show, j’en fus d’autant plus renversée. L’énergie exubérante des drag queens est inévitablement contagieuse, me laissant avec des crampes de joues à force de trop sourire. Un rendez-vous unique L’autre organisateur et animateur de la soirée, Marlot, m’expliquait à la fin du show pourquoi l’initiative d’un tel spectacle lui avait semblé nécessaire : « On ne parle jamais ou que très rarement des Noir·e·s LGBTQ+, on ne met jamais cette histoire-là de l’avant. Je me disais que c’était important de rassembler des personnes noires, comme moi et Barbada, de dire « voici un peu notre histoire, notre perspective sur celle-ci ». Et le show ne rend pas seulement hommage aux Noir·e·s LGBTQ+, mais à la contribution des Noir·e·s de manière plus générale. On veut amener la ré-
flexion. Je travaillais au Drague à Québec avant et je voyais beaucoup de shows, et il y a tellement de choses qui se passent dans la communauté homosexuelle, qui se disent, et de styles vestimentaires qui viennent directement de la communauté noire, mais dont on ne connait pas la provenance. Si on ne montre pas notre identité, notre bagage, qui va le faire à notre place? Probablement personne. » Lorsque j’ai demandé à Barbada ce que représentait cet événement pour elle, elle a souligné l’unicité d’un pareil spectacle : « On n’a pas d’autres soirées dans l’année qui réunit uniquement des artistes noir·e·s. Alors c’est vraiment un show unique, il ne se fait pas ailleurs ici, ni au Drague à Québec. C’est très significatif qu’on le fasse à ce temps-ci de l’année, malgré la température, on ne sait jamais si les gens vont venir à cause d’une tempête comme aujourd’hui, mais ça reste que c’est important de le faire ce mois-ci, ne serait-ce que pour se rappeler. Par nécessairement pour brag que c’est notre mois, juste pour se rappeler de la contribution des artistes noir·e·s. » x
Audrey BourDon
Théâtre
Semi-mensonges et demi vérités L’adaptation du film Fanny et Alexandre présentée au Théâtre Denise-Pelletier. Gunther Gamper
Gabrielle Leblanc-Huard
Contributrice
Cette pièce, mise en scène par Félix-Antoine Boutin et Sophie Cadieux, tente un exercice difficile : transposer le scénario d’un film au théâtre. Ce défi devient d’autant plus grand lorsque le film original, d’Ingmar Bergman, intègre lui-même du théâtre. Les frontières du réel et de la fiction deviennent encore plus floues. Le·a spectateur·rice est alors plongé·e, pendant une heure et quarante-cinq minutes, dans une incompréhension grandissante. L’œuvre Fanny et Alexandre raconte l’histoire d’un drame familial vu au travers des yeux d’un jeune garçon. À la mort de son père, la mère d’Alexandre se remarie avec un pasteur austère et Alexandre se voit dans l’obligation de se soumettre à son autorité. Pour fuir la difficulté de cette nouvelle réalité, il vit dans un monde parallèle à moitié inventé et à moi-
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culture
ginaire et le réel se confondent et rendent le tout peu compréhensible. Cependant, l’utilisation de la musique ainsi que certains éléments de décors et de costumes créent de belles scènes. Le·a spectateur·rice passe par une palette d’émotions durant la représentation. Les comédien·ne·s étaient également tous très bon·ne·s. Rosalie Daoust, dans le rôle de Fanny, la petite sœur d’Alexandre, m’a particulièrement convaincue dans son rôle de jeune fille. Je dois par contre souligner un bémol quant au niveau de langue des comédien·ne·s qui n’était pas toujours constant et manquait de cohérence.
tié inspiré du réel. Cet angle de vue singulier permet de s’interroger sur le sens de la vie, de la temporalité et du réel.
habilement le « faux » du théâtre et la foi est sans borne de la religion.
L’œuvre se veut également ouvertement une critique de la religion. Adoptant une philosophie existentialiste, Ingmar Bergman compare
Le film Fanny et Alexandre n’a plus à convaincre personne : c’est un chef-d’œuvre du cinéma. Pourrait-on en dire autant de son
Un bon film, une bonne pièce?
adaptation au théâtre? Je n’en suis pas convaincue. Même si l’exercice de déconstruction de l’œuvre faite par les deux metteur·se·s en scène est fort intéressant, le résultat est confus et décousu. Puisqu’au théâtre, il y a une limite dans les changements de décor et dans les sauts temporels possibles, l’ima-
Malgré tout, la pièce Fanny et Alexandre est très agréable à aller voir. Si jamais vous êtes des amateur·rice·s d’Ingmar Bergman, il est certain qu’il s’agit d’une sortie culturelle intéressante. Il est encore possible de se procurer des billets jusqu’au 23 février, pour une soirée divertissante… et déroutante! x
le délit · mardi 19 février 2019 · delitfrancais.com
Musique
Chanter notre langue Le Délit a rencontré le groupe alternatif-progressif ATLAS.
L
e Délit (LD) : Pouvez-vous vous présenter chacun et ensuite en tant que groupe, et nous raconter les origines d’ATLAS? Tommy Ledoux (TL) : Je suis le bassiste et je fais les back vocals. Liam Girard (LG) : Je suis guitariste. Olivier Girard (OG) : Je suis chanteur et guitariste du groupe. TL : Notre histoire est que ATLAS a commencé sous un autre nom, The Harvest, l’époque sombre du groupe (rires, ndlr), un peu triste aussi. Dans le fond, ça a commencé avec juste moi comme membre original, pour ensuite changer beaucoup au fil du temps : les membres partaient et revenaient. Il y avait nous trois et Alex (le batteur, ndlr) pendant un moment, puis Alex est parti, et là on est maintenant. Dans le fond, on a vraiment commencé comme band de covers, plus en anglais, on se cherchait une identité. Finalement, on a vraiment décidé de chanter en français, et ça ne faisait pas l’unanimité. OG : Ça s’est fait progressivement, je pense. Je ne me serais pas senti à l’aise d’être dans un band juste anglophone. Déjà là, ça n’a pas été long qu’on a commencé à chanter plus de français, et après on a pris la décision artistique de tout faire en français. TL : Je pense qu’on a fini par trouver notre voie après notre premier EP. Avant, c’était un peu nébuleux. OG : Sur notre premier EP, il y a beaucoup de temps entre chacune des chansons qui ont été composées. Justement, on a Oasis, qui est notre première chanson à vie, mais elle se retrouve avec des chansons qui ont été écrites peut-être quelques mois avant l’enregistrement. C’est sûr que, sur l’EP, la direction est un peu plus vague, mais tout ce qu’on a fait après le EP a commencé pas mal à s’aligner. LD : Quelles sont vos influences? OG : C’est sûr, on ne va pas se le cacher, y a beaucoup de Karkwa, et de Louis-Jean Cormier. Même si je ne voulais pas, j’y peux rien. En même temps, j’ai tellement d’influences, avec tout le rock plus classique que mon père écoutait, comme Led Zeppelin, Supertramp, tous les gros bands rock des années 70. Mais sinon, la majorité de nos chansons ont été composées avec un drummer qui a beaucoup d’influences de métal progressif. TL : Même si Alex n’est plus là, ça va quand même nous suivre, cette influence-là. OG : Je pense qu’on peut dire que notre style est alternatif progressif. LG : On a quand même tous des backgrounds différents. J’ai été pas mal toute ma vie dans des bands plus hardcore, alors c’est sûr que c’est quelque chose qui reste. Je pense que tout ça mit ensemble,
marion bourassa
« On travaille tellement fort à produire des chansons qui veulent dire quelque chose » ça fait un bon mix, et on continue d’évoluer ensemble aussi. LD : Votre premier single, Oasis , a été écrit alors que vous étiez encore au tout début de votre secondaire. Diriez-vous qu’il est spécial pour la construction de votre band? TL : Absolument. OG : Encore aujourd’hui, ça reste une des chansons les plus importantes pour le band, parce qu’elle a tellement évolué depuis qu’on l’a jouée à Secondaire en spectacle, en 2013. Cette chanson-là a quand même forgé notre son, parce que c’est la première fois qu’on a composé ensemble. La première composition, c’est la première fois où tous les membres d’un band jouent et apportent des choses. Les musiciens peuvent enfin s’exprimer et contribuer au tout. C’est sûr qu’en 6 ans, elle a beaucoup évolué. LG : Juste si on écoute comment elle sonne sur l’album et comment on l’a jouée la dernière fois. OG : Je pense que cette chanson-là ne va jamais arrêter d’évoluer. TL : C’est notre Stairway To Heaven (rires, ndlr).
le délit · mardi 19 février 2019 · delitfrancais.com
LD : Quelles sont les intentions de votre musique? OG : C’est dur à dire. En fait, si je trouve ça dur à dire, ça doit être que je n’ai pas une intention précise. TL : Il faut parler aussi du processus créatif. Souvent, Oli va faire les riffs on the spot et ça va finir par évoluer, par faire boule de neige et ça va devenir une chanson. Ce n’est jamais avec une intention particulière qu’Oli va écrire la musique. LG : Je pense qu’en tant que musicien, si je fais de la musique, c’est parce que ça me fait ressentir quelque chose. Je sors mes émotions à travers la musique. Je pense que si tu le fais comme ça, au bout de la ligne tu vas faire ressentir des choses aux autres. Il y a quand même beaucoup de chansons que j’entends et je me dis : « Bon, ce n’est pas nécessairement mauvais, mais est-ce que ça nous fait vraiment ressentir quelque chose, estce ça nous fait réfléchir? » Je me dis : « crime, nous on travaille tellement fort à produire des chansons qui veulent dire quelque chose. » LD: Laquelle de vos chansons est
votre préférée à jouer sur scène? OG : Je dirais que, dernièrement, c’est la chanson qui s’appelle La boussole. Quand on la joue live, c’est pas mal mon highlight de la soirée. Ça passe par tellement de places pendant cette chanson-là, que je peux autant me retrouver juste intime avec guitare et voix, que la fin qui « pète » tout, qui est hyper défoulante. C’est celle-là qui me fait passer à travers le plus d’émotions. LG : J’allais dire La boussole moi aussi. Autant à la fin de la toune j’ai l’impression que mes doigts sont tout pognés et qu’ils ne voudront plus bouger, autant que je continuerais de la jouer à l’infini. Je pense aussi que Oasis, à chaque fois qu’on la joue, c’est plus gros et plus intense. C’est LA toune que les gens viennent voir et s’attendent à ce qu’on la joue. TL: La dernière fois qu’on l’a jouée, c’était au bar FLYE, c’était le dernier show avec Alex, et c’était la dernière toune qu’on faisait avec lui. C’était un coup d’émotions d’une shot, moi j’ai pleuré tout le long de la toune (rires, ndlr). J’avais de la misère à chanter. Alors pour moi, Oasis est au top de mes chansons préférées à jouer en live, mais c’est vrai que La boussole est quelque chose. Je n’ai pas de mots pour décrire à quel point c’est le fun à jouer. Mais, Oasis reste mon petit chouchou. Et ce n’est pas tant le feeling qu’on a quand on la joue, mais le feeling que les gens nous
apportent. Voir des lèvres chanter les paroles, ça fait chaud au cœur. LD : Que jugez-vous qui vous distingue des autres groupes montréalais? TL : C’est le côté francophone de la chose. On est au Québec, c’est très important de garder notre langue, de chanter en français. C’est le meilleur moyen pour rejoindre les autres Québécois·es. OG : C’est assez rare qu’on fait des shows avec d’autres bands francos. C’est arrivé une seule fois, avec De plume et d’encre. TL : C’est une autre excellent band de Drummonville. On avait la même vision des choses, de trouver une place au rock dans la francophonie. TL : Presque à chaque show, quelqu’un vient nous voir pour nous dire « Hey c’est vraiment le fun ce que vous faites, et c’est le fun que vous le fassiez en français ». LG: On dirait que les gens n’osent pas. Ils trouvent ça cool, mais c’est comme épeurant de se dire qu’on se « restreint » en français, qu’on va devoir rester au Québec. TL : Il y a des bands comme Harmonium et Offenbach qui ont réussi à percer à l’international. On voit ces gens-là et on sait que ça se fait. Ce sera à voir.x Propos recueillis par AUDREY BOURDON Éditrice Culture
culture
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Ligne de Fuite
Charlie Proulx « L’ensemble de mon travail est d’instinct. Les images vivent de textures et tiennent sur un équilibre des masses. Elles se manifestent par plusieurs types de médiums en cohabitation. Elles sont le résultat d’un travail impulsif, mais réfléchi. » Les images sont faites de médiums mixtes ; acrylique, carte à gratter, crayons de bois, pastel. @charlieproulx
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Expression créative
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