Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill
Mardi 10 septembre 2019 | Volume 109 Numéro 2
peur du vide depuis 1977
Éditorial rec@delitfrancais.com
Volume 109 Numéro 2
Le seul journal francophone de l’Université McGill RÉDACTION 380 Rue Sherbrooke Ouest, bureau 724 Montréal (Québec) H3A 1B5 Téléphone : +1 514 398-6790 Rédacteur en chef rec@delitfrancais.com Grégoire Collet
Le coût de la vie mcgilloise est-il rendu accessible?
Actualités actualites@delitfrancais.com Violette Drouin Augustin Décarie Rafael Miró Culture artsculture@delitfrancais.com Mélina Nantel Audrey Bourdon Société societe@delitfrancais.com Opinion -Béatrice Malleret Enquêtes - Juliette de Lamberterie Philosophie philosophie@delitfrancais.com Simon Tardif Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com Niels Ulrich
grégoire collet & Niels Ulrich
I
l y a plus d’un an maintenant, le bâtiment Shatner fermait pour cause de travaux, voyant la mise en pause des services de Midnight Kitchen, unique moyen de se procurer de la nourriture gratuitement sur le campus. En ce mois de septembre, à la surprise de nombre d’étudiant·e·s, les couloirs de briques de Leacock ne sentent plus le café. Le temps des rénovations du bâtiment, Snax disparaît ; le nombre de solutions bon marché pour acheter nourriture ou boissons sur le campus diminue encore. Les dates de réouvertures restent floues, ce qui pose problème lorsque les fermetures durent des mois, voire plus d’un an pour le bâtiment étudiant. Ces travaux qui se propagent sur le campus ne sont pas sans coûts pour les étudiant·e·s, qui ne se voient pas offrir d’alternatives équivalentes. L’aspect académique constitue aussi, évidemment, une composante importante de la vie mcgilloise et l’achat de livres de cours en début de semestre représente des frais conséquents. Combien d’étudiant·e·s se sont retrouvé·e·s parmi les étagères des librairies Paragraphe ou Le James, à chercher les livres d’occasions afin de réduire le prix total? Des élèves, comme Madeline Wilson VP aux affaires universitaires (p. 4), s’engagent pour l’accessibilité des ressources académiques. Certain·e·s professeur·e·s mettent à disposition de leurs élèves des contenus gratuitement. Cependant, beaucoup imposent une liste de lecture extensive, parfois composée de livres dépassant la centaine de dollars. En réaction à ces dépenses, les étudiant·e·s se tournent parfois vers le marché d’occasion qui prend
souvent place en ligne, faute de solutions résolument économiques proposées par l’Université. En effet, le système de revente proposé par l’Université n’est pas toujours efficace, car il refuse certaines éditions trop anciennes (qui peuvent, selon le cours, toujours être utilisées), ou propose un prix de rachat des livres relativement bas. Ainsi, le nombre de livres d’occasion proposé à la revente dans la librairie affiliée à l’Université reste restreint. Que comprendre donc de ces coûts? Si une partie de la population étudiante semble ne pas sourciller face à ces dépenses, rendre la vie de campus accessible nécessite que l’administration s’intéresse à ceux·elles dont les parents ne sont pas de potentiel·le·s investisseur·se·s. Le moment des cérémonies de remise des diplômes terminé, il semblerait que l’Université s’empresse de chambouler son campus du centre-ville, effaçant au passage les dorures que les nouveaux·elles alumni doivent garder comme ultime souvenir. McGill n’échoue pas à proposer des services divers à ses étudiant·e·s, que ce soit pour se nourrir ou pour s’équiper en ressources académiques. Au contraire, le campus s’étoffe presque chaque année d’un Starbucks ou d’un magasin officiel sur deux étages où l’on peut trouver des gourdes McGill produites par au moins trois entreprises différentes. En revanche, McGill échoue à proposer de réelles solutions économiques de qualité, qui ne disparaîtraient pas au gré de coups de marteau piqueur sur le campus, ou qui ne seraient pas le fruit de partenariats avec des sociétés à but lucratif. La vie à McGill, qu’elle soit dépensière ou non, coûte cher et l’on peut douter de la vigueur des efforts de l’administration pour y lutter. x
Coordonnatrices visuel visuel@delitfrancais.com Evangéline Durand-Allizé Katarina Mladenovicova Multimédias multimedias@delitfrancais.com Vacant Coordonnateur·rice·s de la correction correction@delitfrancais.com Margaux Alfare Vacant Webmestre web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Coordonnateur·rice·s réseaux sociaux reso@delitfrancais.com Mathilde Aurelia Jérémie-Clément Pallud Contributeurs Rosalie Thibeault, Astrid Delva, Louis-Thomas Kelly, Noah Fisher, Antoine Milette-Gagnon, Alexandre Jutras, Clémence Auzias, Janis Rivard, Maya Gauvreau Couverture Evangéline Durand-Allizé Katarina Mladenovicova
BUREAU PUBLICITAIRE 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 0E7 Téléphone : +1 514 398-6790 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Représentante en ventes Letty Matteo Photocomposition Mathieu Ménard The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Eloïse Albaret Conseil d’administration de la SPD Johnathon Cruickshank, Éloïse Albaret,Grégoire Collet, Nelly Wat et Sébastien Oudin-Filipecki (chair)
Les opinions exprimées dans les pages du Délit sont celles de leurs auteur·e·s et ne reflètent pas les politiques ou les positions officielles de l’Université McGill. Le Délit n’est pas affilié à l’Université McGill.
2 Éditorial
L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Les opinions de nos contributeurs ne reflètent pas nécessairement celles de l’équipe de la rédaction. Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavant réservés). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans le journal. Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).
le délit · le mardi 10 septembre 2019· delitfrancais.com
Actualités
La lente agonie des médias écrits acualites@delitfrancais.com
Le monde journalistique québécois inquiet de la mauvaise santé de l’industrie. paravant et pour lesquels il ne compte pas être remboursé.
RAFAEL Miró
Éditeur Actualités
C
es dernières années, le Québec a vu la fermeture de nombre de ses journaux et magazines locaux. L’annonce de la faillite du Groupe Capitales Médias s’est annoncée comme une brique de plus tombant sur le monde journalistique. Cette entreprise, créée il y a quatre ans par l’homme d’affaires Martin Cauchon, avait racheté les journaux régionaux de l’entreprise Power Corporation, qui souhaitait s’en départir. Les villes de Québec, Granby, Sherbrooke, Trois-Rivières, Gatineau et Saguenay risquent ainsi, à court ou à moyen terme, de perdre leurs principales sources d’information locales. Le gouvernement du Québec a déjà annoncé, subséquemment à la faillite de Capitales Médias, une aide d’urgence de 5 millions de dollars, qui s’ajoute aux 10 millions de dollars prêtés au-
Impasse Si les journaux du Québec font face à de telles difficultés, c’est d’abord en raison de leur modèle d’affaire de moins en moins soutenable. Depuis des années et encore aujourd’hui, les médias tirent la majorité de leurs revenus des espaces de publicités qu’ils vendent à des entreprises et des particuliers.
Concentration Research Project (Projet canadien de recherche sur la concentration des médias, ndlr). Le Devoir a par ailleurs révélé cette semaine que les ministères, sociétés d’État et autres organisations publiques dépensaient une part de plus en plus grande de leurs budgets publicitaires auprès des géants de l’Internet, principalement Google et Facebook. La source de revenu la plus sûre pour la plupart des journaux qué-
Or, avec l’arrivée d’Internet et particulièrement des réseaux sociaux, ils ne sont plus les seuls intermédiaires possibles entre l’annonceur et le public qu’il souhaite rejoindre, et encore moins les plus efficaces. En quinze ans, les revenus publicitaires des médias écrits auraient donc chuté de deux-tiers. À l’inverse, les géants d’Internet capturent une part de plus en plus grande de ce marché : 74,3% de l’argent dépensé en publicité sur Internet serait allé à Facebook et à Google, selon le Canadian Media
bécois, comme Le Devoir ou Le Journal de Montréal, reste le prix payé pour s’y abonner. Or, dans un effort compétitif pour atteindre plus de lecteurs et ainsi obtenir plus de revenus publicitaires, certains journaux, comme par exemple La Presse, font le pari d’être distribués complètement gratuitement. Cela leur permet d’aller chercher un plus grand lectorat, et donc plus de revenus publicitaires, privant ainsi les autres journaux de beaucoup de revenus d’abonnement. Solutions à la crise
PRUNE ENGÉRaNT
À LA RECHERCHE D’UNE FORMATION EN JOURNALISME À McGILL? PARTICIPE À LA PRODUCTION DU DÉLIT! Écris un article, prends une photo, ou dessine une illustration pour ta section préférée! Viens rencontrer les éditeur.rice.s durant une soirée de production:
TOUS LES LUNDIS 17H - MINUIT 680 SHERBROOKE O., BUREAU 724 Aucune expérience journalistique requise seulement de la motivation! Pour plus d’information, envoie un courriel à rec@delitfrancais.com
De passage à la commission, des représentants de l’industrie de la presse écrite ont proposé des solutions au gouvernement. L’une des plus évoquées était d’accorder aux médias des crédits d’impôts afin qu’ils puissent embaucher plus d’employés, ou du moins ne plus être obligés d’en licencier. La FPJQ (Fédération professionnelle des journalistes du Québec, ndlr) a, pour sa part, proposé que l’État québécois finance directement certains médias, à l’image de ce que
fait le gouvernement fédéral avec Radio-Canada. L’organisation a affirmé, citant l’exemple de la BBC au Royaume-Uni, que l’indépendance des médias n’était pas nécessairement compromise par l’implication gouvernementale. Toutefois, d’autres acteurs du milieu ne se sont pas montrés de cet avis ; Pierre Karl Péladeau, PDG de Québécor, la plus grande entreprise médiatique au Québec, a plaidé qu’un financement gouvernemental représenterait une concurrence indue dans l’industrie médiatique. D’après lui, les faillites d’entreprises médiatiques, notamment celle de Capitales Médias, résultaient d’une mauvaise gestion des ressources de l’entreprise. Pour le moment, le gouvernement Legault n’a annoncé aucune solution à long terme pour sauver l’industrie médiatique, mais il compte déclarer d’ici la fin de la session parlementaire comment il abordera le problème. D’ici là, les journalistes et ceux qui les lisent retiennent leur souffle. x
La Société des publications du Daily recueille des candidatures pour son conseil d’administration. La presse étudiante vous passionne, et vous souhaitez contribuer à sa pérennité et à son amélioration? Est-ce que la gouvernance, les règlements et l’écriture de propositions sont votre tasse de thé? Dans ce cas, vous devriez envisager de soumettre votre candidature pour le Conseil d’administration de la Société des publications du Daily. Les administrateurs.trices de la SPD se rencontrent au moins une fois par mois pour discuter de l’administration du McGill Daily et du Délit, et ont l’occasion de se prononcer sur des décisions liées aux activités de la SPD. Les membres du conseil peuvent aussi s’impliquer dans divers comités, dont les objectifs vont de la levée de fonds à l’organisation de notre série annuelle de conférences sur le journalisme. Les postes doivent être occupés par des étudiant.e.s de McGill dûment inscrit.e.s aux sessions d’automne 2019 & hiver 2020 et en mesure de siéger jusqu’au 30 juin 2020, ainsi qu’un.e représentant.e des cycles supérieures et un.e représentant.e de la communauté.
Pour déposer votre candidature, visitez
dailypublications.org/fr/dps-conseil-2019
delitfrancais.com/ apropos/contribuer le délit · mardi 10 septembre 2019 · delitfrancais.com
Questions? Écrivez à chair@dailypublications.org pour plus d’info!
Actualités
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entrevue
Au service des étudiant·e·s Madeline Wilson présente sa vision d’un milieu universitaire plus collaboratif.
L
e Délit rencontre Madeline Wilson, vice-présidente aux affaires universitaires de l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM). Elle nous parle de sa vision pour l’année à venir : une augmentation de représentation étudiante, le désinvestissement du fonds de dotation de McGill et des ressources éducatives plus accessibles, entre autres. Le Délit (LD) : Quelles sont les grandes lignes de vos responsabilités en tant que VP aux affaires universitaires? Madeline Wilson (MW) : Je dirais que ma responsabilité la plus importante est mon travail avec l’administration de McGill. À cette fin, je siège au Sénat (de McGill, ndlr) et sur certains de ses sous-comités. Je gère également les Sénateur·rice·s étudiant·e·s – 13 des 111 sièges du Sénat de McGill sont réservés à des étudiant·e·s de premier cycle, alors j’aide à coordonner leur travail et leurs projets, ce qui implique aussi la gestion de recherches sur des campagnes de mobilisation à l’échelle de l’université. De plus, je suis responsable du nouveau comité du fonds d’aménagement des bibliothèques. Nous avons un·e commissaire au fonds d’aménagement des bibliothèques qui travaille à allouer l’argent à des projets qui améliorent les bibliothèques pour les étudiant·e·s, comme par exemple l’accès 24 heures par jour durant la période d’examens. Je gère aussi les nouveaux·elles commissaires à l’équité qui sont en charge de l’implantation de la politique d’équité et du comité d’équité. Je travaille également dans le domaine des droits étudiants et des projets académiques – nous sommes en ce moment en plein milieu de notre campagne Know your Rights (Connaissez vos droits, ndlr), qui a pour but d’éduquer les étudiant·e·s au sujet de leurs droits à McGill. LD : Un petit retour sur le comité d’équité : quelles sont ses responsabilités et quel y est votre rôle? MW : Le comité d’équité a un rôle en trois parties. Il se charge de l’organisation d’événements par rapport à l’équité, donc l’an dernier il y a eu des conférencier·ière·s invité·e·s, et ils·elles ont organisé un dîner pour les étudiant·e·s qui travaillent au sein d’initiatives concernant l’équité sur le campus, afin que ceux·celles-ci puissent se rencontrer et forger des liens. Le comité se charge également de formations d’équité pour les conseiller·ière·s, sénateur·rice·s ainsi que les clubs – cette année,
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Actualités
courtoisie de l’AÉUM
pour la première fois, nous offrons une formation obligatoire. Finalement, le comité gère les
LD : L’année dernière, vous avez siégé au Sénat de McGill en tant que représentante de la Faculté des arts. Comment votre poste actuel diffère-t-il de celui-là, et est-ce que siéger comme sénatrice vous a été utile en termes de préparation? MW : Siéger en tant que sénatrice a été très utile afin de me préparer à mon nouveau rôle. Cela m’a donné l’opportunité d’apprendre comment fonctionne l’Université, ce qui peut être, comme je l’ai déjà mentionné, très nébuleux pour beaucoup d’étudiant·e·s. La principale différence entre ce poste et celui que je détiens maintenant est qu’en tant que sénatrice représentant la Faculté des arts, je faisais partie d’un groupe géré par l’AÉUM, tandis que maintenant je suis celle qui gère le groupe. C’est intéressant parce qu’en ayant précédemment occupé le poste de sénatrice je sais quelles parties de la structure (fournie par l’AÉUM, ndlr) me limitaient, donc en étant maintenant « en charge », de cette structure, cela va nous permettre d’avoir un caucus sénatorial beaucoup plus collaboratif.
qui vont contribuer à l’amélioration de notre communauté. C’est intéressant parce que
« Ce sont les petites interactions avec les gens qui égayent ma journée. C’est aussi de savoir que les petites choses que je fais font réellement une différence » politiques d’équité. Cela signifie que si un·e membre de l’AÉUM aurait une plainte à porter ou une divulgation à faire sous la politique d’équité, le comité tiendrait une rencontre avec ce·tte membre et se chargerait du processus d’enquête ou de résolution. LD : Qu’espérez-vous accomplir durant l’année à venir? MW : Plusieurs choses, j’espère. J’aimerais voir l’Université repenser la façon dont elle se gouverne. À mon avis, la gouvernance universitaire est une entité très intéressante, parce qu’elle est si nébuleuse et inaccessible du point de vue étudiant. Oui, les étudiant·e·s sont obligé·e·s de siéger à certains niveaux (de gouvernance, ndlr), mais la façon dont l’administration consulte la population étudiante dans le cadre de l’élaboration de politiques est souvent très performative – ils·elles demandent l’avis des étudiant·e·s parce qu’il le faut et non pas parce qu’ils·elles veulent des réponses honnêtes
la plupart de nos entités sont gouvernées par une majorité de professeur·e·s et administrateur·ice·s, mais en réalité, la communauté mcgilloise est composée d’une grande majorité d’étudiant·e·s. Je crois donc que nous devons encourager McGill à repenser la façon dont les voix et les initiatives de différents groupes sont priorisées sur le campus. À mon avis, cela
que je trouve très important est la parité étudiante au sein de comités qui gèrent des politiques concernant les étudiant·e·s. Je milite très fermement pour le désinvestissement (le retrait des placements de McGill dans les compagnies de carburants fossiles, ndlr), alors nous travaillons avec Divest McGill et LPSU (La Planète s’invite à l’Université, ndlr), qui est un groupe environnemental à l’échelle provinciale, pour donner un coup de main à cette campagne. Je veux aussi travailler à la révision de la politique sur les violences sexuelles, faire connaître aux étudiant·e·s leurs droits, et également les connaissances des professeur·e·s au sujet des droits étudiants. J’espère faire de la liste d’attente le format d’inscription par défaut pour tous les cours, ce qui est un projet sur lequel j’ai travaillé dans la Faculté des arts dans le cadre de mes rôles
« L’un de mes projets que je trouve très important est la parité étudiante au sein de comités qui gèrent des politiques concernant les étudiant·e·s » commence avec un changement de culture des comités, donc il faut s’assurer que les membres soient conscient·e·s des dynamiques de pouvoir qui y sont intrinsèques. Idéalement, il y aurait plus de représentation étudiante – l’un de mes projets
précédents, mais que j’aimerais étendre à toutes les facultés. La sensibilité financière est aussi un enjeu très important pour moi – je souhaite travailler avec des professeur·e·s afin de remplacer les manuels de cours par des ressources gratuites en ligne.
LD : Travailler en politique étudiante peut parfois être épuisant – qu’est-ce qui vous garde motivée? MW : Ce sont les petites interactions avec les gens qui égayent ma journée. C’est aussi de savoir que les petites choses que je fais font réellement une différence. Je crois qu’au sein de la politique étudiante il y a beaucoup d’espaces qui sont très masculins, très toxiques, où la modération du ton (tone policing en anglais, ndlr) est très évidente, alors je crois qu’en tant que femme en politique étudiante il est nécessaire d’avoir un réseau de soutien. Je ne veux pas dire que je fais ceci toute seule – en tant que membre de l’exécutif et aussi au sein de mon portfolio, j’ai toute une équipe avec moi qui me soutient et qui m’aide. C’est cliché à dire, mais je ne pourrais rien faire sans eux·elles. LD : Quelle est la chose que vous souhaitez le plus voir se réaliser à McGill dans la prochaine année? MW : De façon très concrète, j’aimerais voir McGill désinvestir (son fonds de dotation des compagnies de carburants fossiles, ndlr). De façon plus nébuleuse, j’aimerais que l’administration traite mieux les étudiant·e·s, pour que ceux·celles-ci se sentent davantage écouté·e·s.x Propos recueillis et traduits par violette drouin
Éditrice Actualités
le délit · mardi 10 septembre 2019 · delitfrancais.com
Politique
Le
démystifié
En vue des élections du 21 octobre, l’équipe Actualités vous donne des pistes pour bien voter. D’avance...
Le vote par anticipation se fait à tous les bureaux de vote une semaine avant le jour de l’élection. Les bureaux sont ouverts de 9h à 21h du vendredi 11 au lundi 14 octobre.
Le jour de l’élection... Présentez-vous simplement au bureau de vote le plus proche le 21 octobre. Au Québec, les bureaux seront ouverts de 9h30 à 21h30.
violette drouin
Éditrice Actualités
Comment faire pour voter...
À partir d’une circonscription qui n’est pas la vôtre...
À partir d’un pays étranger...
Ce vote se fait par bulletin spécial. La date limite pour s’y inscrire est le mardi 15 octobre à 18h. Cette inscription se fait au bureau d’un·e directeur·rice du scrutin. Une fois une personne inscrite au vote par bulletin spécial, elle ne peut voter autrement. La trousse de vote comprend un bulletin blanc sur lequel l’électeur·rice inscrit le nom de l’un·e des candidat·e·s en lice dans sa circonscription. Le bulletin doit par la suite être placé dans l’enveloppe fournie et acheminé à Élections Canada, à Ottawa, avant 18h le 21 octobre.
Les Canadien·ne·s résidant à l’étranger peuvent à n’importe quel moment faire une demande pour s’inscrire au Registre international des électeur·rice·s. Un bulletin de vote leur sera alors automatiquement envoyé lors de chaque élection.
Que faut-il pour voter? Être inscrit·e... L’inscription peut se faire en ligne en utilisant le site Web d’Élections Canada, ou par la poste en dehors de la période des élections.
Montrer une preuve d’identité... Élections Canada accepte soit une pièce d’identité portant une photo et l’adresse actuelle de la personne, ou deux pièces d’identité dont l’une porte l’adresse de l’électeur·rice. Une variété de documents sont acceptés dans le cadre de cette seconde catégorie, y compris les baux, les cartes d’identité étudiantes et les cartes de transport en commun. Les personnes ne possédant aucune pièce d’identité peuvent tout de même voter si un·e autre électeur·ice inscrit·e au même bureau de vote accepte de servir en tant que répondant·e pour eux.x
politique
à l’agenda Le mode de scrutin uninominal majoritaire à un tour serait-il révolu? parti qui se retrouvera au pouvoir. Le nombre de circonscriptions diminuerait à 75 pour laisser 50 sièges qui seraient attribués proportionnellement aux résultats du deuxième vote. Ainsi, l’incidence du vote populaire serait plus grande, puisqu’avec le système en place, des gouvernements pourraient être formés en obtenant moins de votes qu’un autre parti. Ce fut le cas en 1998 quand Lucien Bouchard a obtenu plus de sièges que Jean Charest qui avait récolté 43,6% des votes versus 42,9% pour le parti du premier.
rosalie thibeault
Contributrice
S
i rien ne change avant le 1er octobre 2022, ce sont 125 circonscriptions qui devront chacune élire un·e député·e, qui formeront ensemble le gouvernement québécois de 2022 comme nous en avons l’habitude. Depuis plusieurs élections, on entend au Québec des promesses de réforme du mode de scrutin vers un système proportionnel. Ceux·celles qui y sont favorables déplorent du fonctionnement actuel le « gaspillage » de votes, c’est-àdire le sentiment d’obligation de voter stratégiquement pour le parti que les électeur·rice·s considèrent comme le plus populaire et le plus susceptible de gagner un siège. Selon ses promoteur·rice·s , le vote proportionnel donnerait davantage la liberté de voter selon ses convictions, puisque chaque voix compterait dans la balance. Cette réforme pourrait même augmenter le taux de participation, comme cela s’est produit en Europe de l’Ouest. Cette même année, la Coalition Avenir Québec (CAQ) s’est engagée, par
une entente trans-partisane avec le Parti Québécois (PQ), le parti Vert et Québec Solidaire (QS), à instaurer la proportionnelle ; on talonne aujourd’hui le gouvernement de tenir cette promesse. Pression sur la CAQ Une déclaraction publique faite le 6 septembre dernier par une coalition de 46 organisations de la société civile visait à rappeler à François
le délit · mardi 10 septembre 2019 · delitfrancais.com
Legault que, selon un sondage CROP commandé en 2015 par la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires de l’Université Laval, une majorité importante, soit 70% des Québécois et Québécoises, tient à cette réforme du mode de scrutin. Concrètement, la coalition demande un projet de loi pour adopter la proportionnelle mixte compensatoire avec listes régionales à temps pour les prochaines élections provinciales.
evangéline durand-allizé Un nouveau système Ainsi, si le premier ministre tient sa promesse et lance ce projet de loi avant les prochaines élections, la prochaine fois que vous irez voter, vous le ferez deux fois. Une fois pour élire un·e député·e dans vote circonscription et une autre pour choisir un parti politique. Ce dernier vote est compensatoire : c’est celui qui fera pencher la balance pour le
Pour le vote compensatoire, les partis devront proposer une liste de candidatures pour chaque région. Celles-ci pourront contenir plusieurs circonscriptions puisque le territoire électoral est divisé en régions selon certains critères, comme l’égalité de chaque vote. C’est le Mouvement Nouvelle Démocratie qui a entamé un processus long de deux ans faisant au final signer cette entente aux partis politiques pour enfin répondre à la demande de réforme que l’on évoque depuis maintenant près de 50 ans.x
Actualités
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CONFÉRENCE
Jagmeet Singh à Montréal Le chef du NPD répond à des questions sur l’environnement, le Québec et l’immigration. Augustin Décarie
Éditeur Actualités
L
e Délit a assisté à une séance de questions avec Jagmeet Singh, organisée par le Nouveau Parti démocratique (NPD) au centre communautaire St-Jax dans le centreville de Montréal. Le but de l’exercice était de faire connaître le chef du parti et sa plateforme électorale aux Montréalais en vue des élections fédérales du 21 octobre prochain.
veaux arrivants, le chef du NPD a reconnu de grandes lacunes en ce qui a trait à l’intégration des immigrants au Canada. Il a insisté surtout sur la reconnaissance des expériences et des compétences, qu’il a jugé inadéquates.
représentent davantage les intérêts des grandes entreprises plutôt que ceux des Canadiens. Le NPD s’est engagé à une réforme du mode de scrutin, en faveur d’un système proportionnel mixte.
Le chef du NPD a promis de sortir le Canada de sa dépendance aux énergies fossiles et de réaliser une transition vers une économie circulaire. Il a proposé de lancer une banque d’investissement verte, qui aurait comme objectif
Jagmeet Singh n’a pas hésité à répondre à des questions plus personnelles, comme pourquoi il est sikh, pourquoi il porte un turban, et comment il choisit la couleur de celui-ci chaque matin. Le chef du NPD a répondu assez simplement en énumérant quelques fondements du sikhisme et ce que ceux-ci représentent pour lui. Il a mentionné la quête éternelle de connaissance, l’interconnexion des êtres humains et la liberté de conscience. Il a enchaîné en expliquant que c’est sa femme qui choisit la couleur de son turban chaque matin.
Droits humains et immigrants La séance s’est ouverte avec un appel à la défense des Haïtiens. Une participante a rappelé au chef du NPD que les «Haïtiens sont toujours victimes d’un régime politique corrompu, instable et violent» et lui a demandé d’intercéder en leur faveur au parlement canadien. M. Singh, tout en paraissant compatissant, n’a offert néanmoins aucun engagement concret dans ce dossier.
Sur le dossier des migrants arrivants au Canada, Jagmeet
Une fin de rencontre chaotique
NICOLAS PATOINE-HAMEl À gauche toute Le chef du NPD s’est positionné à gauche par ses intentions d’imposer les plus riches et de résister aux influents lobbys canadiens. Il s’est engagé à lutter contre l’évasion fiscale et le blan-
«Interrogé sur la question de la laïcité de l’État et des signes religieux, M. Singh a répondu, optimiste, qu’il avait ‘‘toujours été bien accueilli au Québec’’» Singh a promis de suspendre l’entente entre le Canada et les États-Unis sur les tiers pays sûrs, pour mieux faire face à l’afflux de migrants en provenance des États-Unis. Questionné sur le taux de chômage élevé des nou-
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actualités
Ses propos ont d’ailleurs pris tout leur sens quand il a annoncé la fin de semaine dernière qu’il promettait plus d’argent pour la francisation et l’intégration des immigrants au Québec. Interrogé sur la question de la laïcité de l’État et des signes religieux, M. Singh a répondu, optimiste, qu’il avait toujours été bien accueilli au Québec, et qu’il était convaincu que la province était bel et bien « progressiste ».
La rencontre, plutôt informelle, s’est déroulée dans une atmosphère détendue. Dès l’entrée en scène de Jagmeet Singh, il est devenu apparent que l’auditoire était surtout composé de ses partisans, puisqu’il a été accueilli par des applaudissements longuement nourris. M. Singh a fait des tope-las aux spectateurs assis en première rangée, a remercié la foule et enfin, a proposé de répondre aux questions en français comme en anglais.
Il a donné une réponse similaire à une militante de Hong Kong, laquelle interrogeait le chef du NPD sur sa position quant à la crise se déroulant dans la région administrative spéciale. Dans les deux cas, il a toutefois souhaité se positionner clairement en tant que défenseur de la dignité humaine et des droits humains, au Canada comme ailleurs dans le monde.
Legault, mais il a nuancé sa réponse en affirmant que certaines politiques de la CAQ en matière d’immigration le rejoignaient.
chiment d’argent. D’ailleurs, il a souvent réitéré le slogan du NPD pour les élections de cette année : « On se bat pour vous. » Selon lui, ses politiques sont en opposition avec les « boys club des partis libéraux et conservateurs », qui
Jagmeet Singh a affirmé que cela permettrait aux Canadiens de voter « avec leurs cœurs et avec leurs valeurs » plutôt que de voter stratégiquement. Les engagements de M. Singh se sont précisés en matière d’environnement. Interrogé sur les exports de déchets canadiens, il a affirmé que ces derniers ne devraient tout simplement pas être produits. Il a ainsi annoncé son intention d’interdire le plastique à usage unique. Il s’est ensuite attaqué à Justin Trudeau, qu’il a accusé d’avoir gravement dérogé à ses promesses en matière d’environnement. Il a rappelé que le premier ministre libéral a décidé de racheter un pipeline. La transaction de 4,5 milliards avec Kinder Morgan avait provoqué un tollé à travers le Canada.
de fournir le crédit nécessaire aux entreprises pour qu’elles accomplissent leur transition énergétique. Le chef du NPD a aussi affirmé son intention de créer une agence gouvernementale responsable de surveiller la progression du Canada vers ses cibles en environnement, comme cela a été établi au Royaume-Uni. Le NPD et le Québec Une question est venue faire échos aux inquiétudes des partisans du NPD sur la capacité de Jagmeet Singh à réaliser des gains électoraux au Québec. On lui a demandé ce qu’il avait en commun avec la Coalition avenir Québec (CAQ). M. Singh a répondu à la blague « rien » pour illustrer le grand fossé idéologique qui le sépare du parti de François
La fin de la séance de questions/réponses a toutefois été dérangée par deux hommes, l’un s’étant comporté particulièrement agressivement envers M.Singh et son auditoire. Les deux individus ont invectivé M. Singh et l’ont bombardé de questions. La scène a duré plusieurs minutes, jusqu’à ce que le plus agressif des deux quitte les lieux. Jagmeet Singh a terminé ainsi sa rencontre dans une atmosphère plus tendue, ce qui ne l’a pas empêché pas de revenir sur les enjeux clés de sa campagne : justice sociale, environnement, droits humains et immigration. Il a décoché une dernière flèche à Justin Trudeau avant de quitter, en mentionnant l’importance de l’indépendance de la justice, une référence claire au dossier SNCLavalin qui a ébranlé le premier ministre et son bureau dans les derniers mois. En somme, le chef du NPD mise sur son intégrité, ses « valeurs progressistes » et ses engagements en matière d’environnement afin de convaincre les électeurs du Québec de se rallier derrière lui.x
le délit · mardi 10 septembre 2019 · delitfrancais.com
Monde francophone TEXTES: Astrid delva INFOGRAPHIE: RAFAEL MIRO
CAMEROUN
L’
opposant Maurice Kamto, classé deuxième à la dernière élection présidentielle, a été convoqué devant la justice pour des motifs d’« insurrection », d’« hostilité contre la patrie », de « rébellion » et d’« outrage au président de la République ». Il a été arrêté le 28 janvier à Douala et le procès a été ouvert ce vendredi 6 septembre devant un tribunal militaire de Yaoundé. Le ministre français des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a déclaré le mardi 3 septembre : « Nous faisons pression fortement sur le président Biya pour qu’il puisse agir et élargir ces prisonniers ». Ceci a fait réagir une source anonyme haut placée à la présidence camerounaise : « Les dénonciations, les accusations, on s’en fout! Nous ne sommes pas une colonie et nous sommes très étonnés par la déclaration de M. Le Drian, qui n’a ni écrit, ni appelé le président Biya ou le ministre des affaires étrangères pour parler de Kamto. » x
TUNISIE
L
a liste des candidat·e·s aux élections présidentielles anticipées du 15 septembre 2019 a été annoncée. Au total, 26 candidat·e·s se présentent; parmi eux, l’actuel Premier ministre Youssef Chahed, 43 ans, le président par intérim du Parlement Abdelfattah Mourou, 71 ans, et l’ex-ministre de la Défense Abdelkrim Zbidi, 69 ans. À noter que l’homme d’affaire Nabil Karoui, détenu depuis le 23 août après avoir été inculpé de « blanchiment d’argent », est toujours autorisé à se présenter aux élections. Deux femmes sont inscrites, Salma Elloumi et Abir Moussi. Face au manque de considération des antécédents judiciaires de certain·e·s candidat·e·s, le président de l’Instance de lutte contre la corruption (Inlucc), Chawki Tabib, a déclaré au journal Le Monde : « Il y a un climat d’impunité. Notre système politique risque de devenir la propriété de lobbys de l’argent sale en Tunisie et à l’étranger. »
MADAGASCAR
L
e pape François a foulé le territoire malgache le vendredi 6 septembre, pour la deuxième étape de son voyage sur le continent africain. Il a été accueilli par le président Andry Rajoelina le samedi 7 septembre à Antananarivo. Le chef de l’Église a dénoncé la menace de la déforestation ainsi que la pauvreté « inhumaine » à Madagascar. Il a introduit son prochain synode des évêques sur l’Amazonie organisé en octobre à Rome. Le pape François a lancé un cri d’alerte sur la « déforestation excessive au profit de quelques-uns » et il a enfin souligné qu’il était « important de créer des emplois et des activités génératrices de revenus qui respectent l’environnement et aident les personnes à sortir de la pauvreté ». x
Politique FÉDÉRALE
Les conservateurs et l’avortement La position historiquement trouble du parti conservateur gêne sa campagne. RAFAEL MIRO Éditeur Actualité
I
nterrogé sur les débats sur l’avortement qui ont eu lieu cette semaine à la Chambre des communes sur l’avortement, un député conservateur a dit avoir assisté au « jour de la marmotte ». Pourtant, de nombreux commentateurs politiques ont relevé que cette semaine avait été l’une des plus éprouvantes pour le parti et pour son chef Andrew Scheer, à quelques semaines à peine des élections. À proprement parler, l’avortement n’a jamais été légalisé au Canada ; il existe plutôt un vide juridique autour de la question depuis que la Cour suprême a rendu en 1989 l’interdiction de l’avortement inconstitutionnel. Aucun premier ministre ne s’est risqué depuis cette date à relancer le débat. Or, ce statu quo mine l’unité du Parti conservateur depuis de nombreuses années. Dès la décision de la Cour suprême, certains ministres du gouvernement de Brian Mulroney avaient ouvert un débat sur une loi qui ren-
drait l’avortement illégal, avant que la réforme contraignante qu’ils proposaient soit rejetée de justesse par le Sénat. Sous le règne de Stephen Harper, qui avait affirmé ne pas vouloir rouvrir le débat, deux députés d’arrière-ban ont pourtant déposé des projets de loi auxquels
avec les convictions personnelles qu’il a affiché par le passé font le pain et le vin du Parti libéral, qui affirme qu’il ne sera pas vraiment disposé à empêcher le dépôt de projets de loi pro-vie. La position officielle du parti et de M. Scheer sur l’avortement ont par
« Si Andrew Scheer a affirmé qu’il s’opposerait à ces projets de loi en chambre, il a toujours soutenu qu’il laisserait les députés de son parti s’exprimer selon leurs convictions » beaucoup de députés ont adhéré, malgré le fait que le gouvernement s’y soit opposé. L’un des problèmes auquel le Parti conservateur fait face aujourd’hui, c’est qu’Andrew Scheer avait à l’époque appuyé ces projets de loi. Une position ambigüe Aujourd’hui, le chef du parti a adopté la même position que l’ancien premier ministre, à savoir qu’il s’opposerait à toute réouverture du débat. Cette ambiguïté
le délit · mardi 10 septembre 2019 · delitfrancais.com
ailleurs visiblement surpris les candidats de son propre parti, en particulier ceux de la belle province. Interrogés par les médias, de nombreux candidats et candidates conservateurs au Québec, ainsi que le lieutenant du parti dans la province, Alain Rayes, ont affirmé que leur chef ne permettrait pas à des députés d’arrière-ban de présenter des projets de lois rouvrant le débat sur l’avortement. Or, si Andrew Scheer a affirmé qu’il s’opposerait à ces projets
de loi en chambre, il a toujours soutenu qu’il laisserait les députés de son parti s’exprimer selon leurs convictions. Ironiquement, en prenant cet engagement, Andrew Scheer s’est aussi attiré de sévères critiques de la part des organisations provie, qui lui ont reproché d’avoir renié ses convictions afin de faciliter son accession au poste de premier ministre. La Coalition nationale pour la vie, un important lobby pro-vie, a ainsi retiré sa cote verte à Andrew Scheer et lui a plutôt attitré une « cote rouge », qui vise à informer les électeurs pro-vie qu’ils ne doivent pas voter pour lui. Cette dévaluation pourrait avoir beaucoup d’impact dans les circonscriptions des provinces conservatrices face à l’avortement, en particulier dans les provinces de l’Atlantique. Des répercussions électorales En effet, Maxime Bernier, l’ancien ministre conservateur et actuel chef du petit Parti populaire du Canada, a annoncé cette
semaine qu’il serait disposé à restreindre le droit des femmes à se faire avorter en fin de grossesse. Il s’agit en quelque sorte d’une volte-face de la part de Bernier, puisque contrairement à Andrew Scheer, celui-ci avait voté contre tous les projets de loi pro-vie lorsqu’il était dans le gouvernement Harper. D’après les sondages actuels, il serait étonnant que le Parti populaire obtienne plus qu’un ou quelques sièges, mais la division du vote sur la question de l’avortement pourrait fortement nuire aux chances de certains candidats conservateurs d’être élus.x
actualités
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Société societe@delitfrancais.com
ENTREVUE
Mener une action collective directe
Rencontre avec Noah Fisher, membre du collectif La planète s’invite à l’Université.
C
réée en mars 2019, la branche mcgilloise du mouvement étudiant québécois La planète s’invite à l’Université (LPSU) est une jeune organisation dotée de grandes ambitions. Mobiliser les étudiant·e·s lors des marches pour le climat, rencontrer les associations de McGill pour les inciter à faire grève, formuler les demandes adressées à l’institution pour faire progresser la cause de la justice climatique sont tout autant de projets que le groupe mène de front. Noah Fisher, membre de LPSU McGill, s’est entretenu avec Le Délit pour nous fournir plus de détails. Le Délit (LD) : Peux-tu présenter l’organisation La planète s’invite à l’Université McGill ? Noah Fisher (NF) : LPSU McGill est affiliée au mouvement québécois La planète s’invite à l’Université (qui regroupe plus d’une dizaine d’universités et de CEGEP au Québec, ndlr), mais nous fonctionnons de manière assez indépendante, du fait de besoins différents qui émergent entre une organisation francophone et une université anglophone. Essentiellement, nous sommes une organisation autonome non hiérarchique fondée sur un système de consensus dont le but principal est de promouvoir la justice climatique grâce à une action collective directe. Nous sommes donc un groupe politique, et non pas un groupe promouvant le développement durable. Ce que nous faisons en ce moment, c’est essayer de mobiliser les étudiants, avoir une action collective directe construite autour de grèves et promouvoir des assemblées générales. LD : L’objectif de LPSU McGill est d’organiser une grève de grande ampleur, dans le but d’amener
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Société
l’administration à répondre aux demandes concrètes du mouvement. Quelles sont ces demandes? NF : La première est le désinvestissement des énergies fossiles. Il y a déjà le groupe Divest McGill qui œuvre pour ça, et nous ne voulons pas empiéter sur leurs actions, mais c’est quand même une de nos demandes. Par ailleurs, McGill a énormément de contrats de recherche en énergies fossiles, notamment avec Shell, aussi connu sous le nom de Imperial Oil, donc on conteste la recherche faite avec le pétrole et l’argent que l’Université déverse dans le pétrole. Nous demandons aussi des efforts de démilitarisation, à cause de la nature même de l’armée, le gâchis qu’elle cause, son injustice inhérente... Tous ces éléments ont un lien avec la justice climatique. Nous avons d’autres demandes qui ne seront pas formulées avant encore quelques semaines. En ce qui concerne les demandes du mouvement à l’échelle nationale, il me semble qu’elles réclament un système éducatif environnemental pensé par et pour les étudiants, et des investissements transparents ainsi que le désinvestissement. Une demande temporaire qui a été formulée lors de la marche de mars dernier est que UNDRIP soit incorporée dans la loi canadienne (UNDRIP, ou DNUDPA en français, est la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, ndlr). Cette mesure témoigne du besoin d’un mouvement intersectionnel. On ne veut pas faire les choses à moitié. Beaucoup de mouvements environnementaux parlent d’intersectionnalité, mais ne l’appliquent pas réellement dans leur fonctionnement. Nous voulons non seulement que notre manière de nous organiser soit intersectionnelle, mais que l’intersectionnalité soit aussi au cœur de nos demandes.
LD : Quels sont vos principaux modes d’organisation et plans d’action pour mettre ces demandes en œuvre?
terme. Pour ça, on aimerait beaucoup travailler avec les syndicats, mais malheureusement, les lois fédérales du travail l’interdisent.
NF : En gros, l’organisation essaie d’utiliser les grèves étudiantes et les actions collectives pour forcer la main du gouvernement, en plus d’actions directes à la façon de XR (Exctinction Rebellion, ndlr) et de travailler avec d’autres groupes. Nous espérons prendre le pouvoir entre nos mains, et l’utiliser pour mettre en œuvre nos demandes.
LD : Vos demandes s’adressent directement à l’administration – avez-vous réussi à obtenir une réponse de leur part? Un dialogue a-t-il été établi? NF : Non. La réponse ici est facile : aucune réponse. LD : Depuis votre création en mars 2019, sentez-vous tout de même un
«Nous voulons que l’intersectionnalité soit au cœur de nos demandes et de notre mode d’organisation» LD : Une manifestation mondiale pour le Climat se tiendra le 27 septembre, à laquelle vous participez. Quels sont les éléments sur lesquels vous allez concentrer vos efforts et qu’espérez-vous obtenir de cette manifestation? NF : Cette grève représente en quelque sorte le début d’un plus grand mouvement. On espère que ce genre d’action, qui combine des grèves de courte durée et une manifestation, aboutisse à une grève illimitée beaucoup plus conséquente. Avec une grève d’un jour comme celle-ci, nous espérons qu’elle contribuera à nous aider à nous construire, et à solidifier le mouvement. Car malheureusement, ce n’est pas une seule journée de grève qui va retenir l’attention du gouvernement. Peut-être qu’avec les élections qui arrivent, ils commenceront à en parler, peutêtre que Québec solidaire arborera un cercle vert (le badge en feutre vert est le symbole du mouvement LPSU, ndlr) et prétendra nous soutenir, mais concrètement, nous visons plutôt le long terme que le court
Béatrice Malleret
changement de mentalité ou un plus fort engagement à l’égard des questions environnementales de la part du corps étudiant, de l’administration ou des associations étudiantes? NF : C’est difficile à dire. Quand on a organisé la marche et la grève de mars dernier, tout s’est fait à la dernière minute. L’organisation de la marche a vraiment débuté deux semaines avant. Donc à ce moment-là, à McGill, on n’a pas eu le temps de faire appel à beaucoup de monde, mais on était pris dans l’euphorie qui accompagne la création d’un mouvement parti de rien, et une mobilisation d’une telle ampleur. Mais maintenant, on a commencé à entrer en contact avec les associations des différents départements de McGill pour leur présenter notre projet de grève générale, et beaucoup semblent un peu... sceptiques et un peu froides. Je pense qu’elles veulent aider, mais McGill a une autre compréhension de ce que signifie l’action collective. Pour elles, c’est seulement ceux qui sont déjà mobilisés qui vont faire des choses. J’espère qu’au fur et à mesure de l’année, elles se rendent
compte que l’action collective fait appel à tout le monde et qu’elles peuvent participer. Donc les associations rattachées aux différentes facultés et départements de McGill sont encore sceptiques vis-à-vis de ce modèle d’action, mais les organisations étudiantes et les groupes activistes, eux, nous soutiennent beaucoup. LD : Enfin, une question un peu plus personnelle pour clore l’entrevue : quelle est l’émotion dominante chez toi lorsque tu penses à la crise climatique et écologique? Est-ce que faire partie d’une organisation comme LPSU permet d’altérer ou d’atténuer cette émotion? NF : Je pense que c’est l’exaspération et la frustration. J’ai commencé par m’impliquer avec Divest, et plus je travaillais avec l’administration et découvrais les complications de la bureaucratie, plus je me suis rendu compte que les personnes avec qui j’essayais de travailler n’étaient pas sincères. Notre rhétorique était la suivante : regardez toutes ces injustices, regardez les évidences pratiques ; nous avons toutes les preuves dont nous avons besoin, pourquoi est-ce que vous ne faites rien? Je ressentais de la colère, en me disant qu’ils n’en avaient rien à faire, qu’ils avaient leurs propres intérêts. Il n’est plus question de manque d’information ou d’éducation. Maintenant, il est question de capitalisme et d’intérêts égoïstes. Cette colère, cette désillusion, ce désenchantement se sont transformés en quelque chose du genre : « okay, faisons de l’action directe. » S’ils ne veulent pas nous écouter, il faut les forcer à le faire.x Propos recueillis et traduits de l’anglais par Béatrice Malleret Éditrice Société Opinion
le délit · mardi 10 septembre 2019 · delitfrancais.com
OPINION
Démocratiser le « Cadre Bâti » Perspectives sur les aspirations d’urbanisme participatif à Montréal. teur·rice·s de la santé d’une démocratie. Le « cadre bâti » montréalais serait un pilier de la vie démocratique. En 2002, pour assurer l’accès des citoyen·ne·s au processus décisionnel dans le domaine de l’urbanisme, la Ville a mis en place l’Office de consultation publique (OCPM).
évangéline durand-alizée louis-thomas kelly
Contributeur
L
a politique urbaine montréalaise connaît actuellement une période de transformation. Des initiatives telles que le nouveau Règlement pour une métropole mixte ou le projet ambitieux de réaménagement du secteur des Faubourgs dans l’est du centre-ville sont deux exemples parmi bien d’autres d’un effort de démocratisation du processus d’aménagement du territoire. Ces démarches initiées par la Ville de Montréal tentent de faire de l’urbanisme une science plus ancrée dans les réalités quotidiennes de ses habitant·e·s. Un héritage conflictuel Malgré un passé marqué par une fragmentation socio-politique, Montréal se veut être un lieu d’entente où se rencontrent des intérêts divergents. D’après Jocelyn Maclure et François Boucher, tous deux chercheurs en philosophie éthique et politique à l’Université de Sherbrooke et de Montréal, une doctrine civique pluraliste a émergé au Québec dans le but de stabiliser les tensions provoquées par des sentiments nationalistes. Par le passé, la division sociolinguistique entre francophones et anglophones à Montréal se reflétait dans la manière même dont la ville était structurée. La langue était la ßmanifestation d’inégalités sociales et économiques considérables; le cloisonnement de quartiers répartis de part et d’autre du boulevard Saint-Laurent les amplifiait. Ces relations conflictuelles ont simultanément façonné
et été nourries par une certaine organisation du territoire. Durant la crise linguistique des années 1970, par exemple, les écoles ainsi que d’autres institutions publiques devenaient le terrain de jeu d’acteur·rice·s rivaux·ales dans la lutte pour ou contre la francophonie et parfois, par extension, pour ou contre l’indépendance. Aujourd’hui, ces tensions se sont apaisées, mais les marques qu’elles ont laissées sur la ville demeurent. C’est pourquoi une nouvelle approche politique et philosophique
« Il est primordial que tout·e Montréalais·e ait la possibilité d’influencer les les décisions publiques » est en train d’être mise en œuvre, dans le but de concilier des opinions divergentes et d’atténuer des clivages socioculturels et économiques encore très présents. Cette approche se caractérise par un effort de multiplication de voix citoyennes dans le domaine de gestion municipale, par le biais de mécanismes politiques qui font appel aux citoyen·ne·s, leur demandant de donner leur avis quant à la réalisation de nouveaux projets dans leur quartier ou arrondissement. Selon la Politique de consultation
le délit · mardi 10 septembre 2019 · delitfrancais.com
et participation publiques de la Ville de Montréal, il est primordial que tout·e Montréalais·e ait la possibilité et la capacité d’influencer les décisions publiques. La position de la ville s’aligne de ce fait avec la vision de Charles Taylor : Montréal doit être un milieu social soutenu par une pluralité d’acteur·rice·s et par une participation active de la part des citoyen·ne·s. La prolifération de cette stratégie municipale est évidente dans les espaces de délibération publique qui mettent en relation différentes sphères de la population. En pratique, la philosophie montréalaise fournit des espaces concrets pour l’engagement civique, avec des impacts qui se matérialisent de diverses manières. Maryse Chapdelaine, chargée de projet et porte-parole pour la Table de Quartier Peter-McGill, estime que le pilier central de la démocratie est la capacité d’être informé·e. Que ce soit par le biais de conseils consultatifs, de données de recherche rendues accessibles ou de surveillance démocratique de la part de l’ombudsman, l’accès à l’information permet aux citoyen·ne·s d’être toujours à proximité du processus décisionnel. Un paysage urbain révélateur Quand la ville devient sujet d’analyse, elle dévoile un tableau peint par la gouvernance. La forme urbaine n’est pas qu’une séquence de paysages. La propreté des rues, l’état des bâtiments, la fréquence des transports en commun et l’étendue des zones desservies, la présence d’installations culturelles agissent tous·tes comme indica-
est catalyseur de convergence sociale, d’accès à l’information et d’expression créative, dans le but d’activer la représentation civique au cœur même de l’urbanisation de la ville de Montréal.
L’organisme, indépendant à la fois du secteur public et des entreprises privées, joue un rôle de médiation dans la gestion de l’espace public. Son mandat porte surtout sur des projets en urbanisme et en aménagement du territoire, ou tout autre projet soumis par le comité exécutif ou le conseil municipal. L’organisme a la capacité d’influencer les politiques majeures qui déterminent la forme de la ville, telles que le Plan d’Urbanisme de Montréal, les amendements de zonages et toute autre loi municipale imposant une forme particulière à la ville.
Stéfanie Wells, secrétaire-analyste chez l’OCPM, lors d’un entretien, a mis l’accent sur le rôle essentiel des citoyen·ne·s dans l’aménagement de la ville. Wells explique très justement que les résident·e·s sont des expert·e·s du quotidien : les citoyen·ne·s eux·elles-mêmes font les observations les plus importantes par rapport à l’aménagement de la ville. Ceux et celles qui vivent, circulent, travaillent à Montréal sont essentiellement les plus équipé·e·s pour déterminer la forme et la fonction du « cadre bâti », et sont de ce fait les plus aptes à commenter sur l’aménagement futur du territoire urbain.
L’OCPM sert ainsi de contrepoids au monde lucratif de l’immobilier
L’office s’assure de déployer des moyens tangibles, tels que des
« Les citoyen·e·s ont le pouvoir politique de se réserver une place à la table de dessin » qui est particulièrement centré sur les intérêts privés et les profits, aux dépens, bien souvent, du bien-être des citoyen·ne·s. L’Office de consultation intervient dans un domaine qui a, pendant très longtemps, ignoré la volonté des personnes qui sont directement concernées par son processus décisionnel. Malgré une culture industrielle concentrée sur les revenus, l’OCPM se mobilise comme porte-parole de l’intérêt commun, et donne une voix au public – amplifiée lorsqu’une pluralité de segments sociaux est mobilisée – qui se matérialise par des projets urbains modifiés pour tenter de satisfaire les goûts et les intérêts de différents groupes au sein d’une même zone géographique. L’intervention de l’OCPM se matérialise avec des rapports soumis à la ville et faciles d’accès sur leur site Web. Dans le cadre du réaménagement de la rue McGill College au début de l’année, l’organisme a rédigé un rapport synthétisant les vœux du public, et a communiqué une liste de suggestions formulées par des professionnel·le·s pour un aménagement qui prend en compte les besoins de ses multiples usager·ère·s. L’engagement civique en action En créant des espaces de délibération publique, l’organisme
consultations publiques à grande échelle, pour tendre le micro aux citoyen·ne·s. Cependant, des espaces formels tels que des ateliers créatifs ou les consultations publiques peuvent poser des problèmes d’accessibilité pour certaines personnes. Pour assurer l’accès au processus décisionnel, des stratégies informelles ont été créées, telle que la mobilisation du contenu sur les réseaux sociaux. Le dynamisme de ces deux stratégies élargit l’échantillon de recherche, approfondit l’aperçu du consensus collectif, et assure que la démocratie participative soit accessible au plus grand nombre. Tant que sa métamorphose continue, l’urbanisation montréalaise sera de plus en plus marquée par une contribution civile. Les citoyen·ne·s ne sont certes pas les architectes principaux·ales, mais il·elle·s ont le pouvoir politique de se réserver une place à la table de dessin. L’approche montréalaise de l’urbanisme, se calquant sur l’esprit démocratique de Charles Taylor, assure un engagement civil actif par les expert·e·s du quotidien. Le résultat est un lieu matérialisant ces valeurs démocratiques dans les infrastructures physiques et sociales, qui soutiennent les fonctions de la métropole et se veulent un milieu de vie véritablement communautaire. x
société
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Philosophie philosophie@delitfrancais.com
Prose d’idée
« L’écologie n’arrive à rien parce qu’elle est incompatible avec notre idée abrahamique de la terre. Nous abusons de la terre parce que nous la considérons comme une commodité qui nous appartient. Si nous la considérons au contraire comme une communauté à laquelle nous appartenons, nous pouvons commencer à l’utiliser avec amour et respect. » Aldo Leopold
Almanach d’un chemin de fer
Quelques tableaux nous inspirent pour considérer un voyage écologique. jamais atteint auparavant. La boîte longiligne s’active, les paysages défilent et le voyageur s’engage dans un nouveau périple. Une méditation du fer, de la longueur, de la patience, une méditation du voyage écologique. Les cieux opposés
Antoine Milette-Gagnon
Le Délit
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uelques tableaux nous inspirent pour un véritable voyage écologique.
Le voyageur s’avance. Il monte à bord de ce qui sera sa demeure pour les quatre prochains jours, le Canadien, le train le menant de l’Est torontois jusqu’à ce Pacifique
Le matin du deuxième jour, le Canadien s’est enfoncé plus loin dans les terres et continue son lent cheminement vers l’Ouest, infatigable. Ici, en Ontario profonde, le vert des forêts ne cède son trône qu’au bleu des lacs, les deux seigneurs demeurant côte-à-côte, vivant côte-à-côte. À cette Terre fait face le Ciel, serein dans sa splendeur. Buses, huards, pélicans et cerfs viennent témoigner de leur présence au passage du train. Ce sont les citoyens sylvestres, petits seigneurs des bois. Le couchant couronne les cimes montagneuses d’une fine dorure, marque d’une contrée véritablement divine. La présence humaine se fait plutôt rare. Quelques maisons effacées, embarrassées de piétiner la
forêt. D’autres, moins gênées, sont clairement établies sur les bords de lac en chalets qu’elles sont. Le voyageur, ce citadin d’adoption ayant grandi au sein d’une nature de laquelle il ne s’est jamais senti fraternel, regarde la forêt d’un œil différent, la beauté de l’intouché l’émeu. La forêt non pas comme ville de repos, mais bien comme forêt, maître d’elle-même et pour elle-même. Le citadin voyageur, même s’il se sait étranger de passage au sein de ce royaume, s’endort paisiblement. Dans son corridor sylvestre, le Canadien continue son chemin. Les grandes plaines Le matin du troisième jour, c’est le premier paysage véritablement inconnu, un nouvel horizon. Et quel horizon! C’est le calme plat de la Saskatchewan. Les vents caressent les champs. Des vagues se forment dans ces mers de blé. Le Ciel et la Terre sont ici clairement distincts, en parfaite antithèse. Le plat du paysage y amène un sentiment
du possible, de proximité même avec le lointain. Les animaux sont ici sous le joug de l’Homme pour la plupart. Bœufs Angus et bisons des Amériques en enclos regardent tranquillement le train filant à vive allure. Des veaux courent comme des enfants à la récréation. Des cerfs, libres des fers de l’Homme, galopent avec la vigueur de la vie sauvage. Coyotes et renards maraudent les champs. Aux mers de blé se substituent des étangs géants, véritables lacs miniatures, terrain de jeu des canards et autres oiseaux aquatiques. Un orage, le Ciel s’obscurcit jusqu’à se confondre avec la Terre. Puis l’éclaircie. Le soleil revient marquer
l’ascendant du Ciel sur la Terre, un tableau de la Renaissance rétablissant l’antithèse. Ici se trouve également l’arrière-cour de la civilisation industrielle, la partie laide qui s’y accule. Les wagons-citernes et trains transportant des voitures neuves se multiplient, en mouvement ou stationnés. Les rails s’accumulent les uns à côté des autres, tissant une toile de fer. Le pétrole n’apparaît pas par magie, il est transporté en masse par les rails. Voyant d’où il vient et regardant où il va, le Canadien continue son chemin. Ainsi soit-il, on prend toujours un train.
« Le voyageur, ce citadin d’adoption ayant grandi au sein d’une nature de laquelle il ne s’est jamais senti fraternel, regarde la forêt d’un œil différent, la beauté de l’intouché l’émeu »
Mount Corcoran, Bierstadt
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Philosophie
le délit · mardi 10 septembre 2019 · delitfrancais.com
« Ce petit almanach des chemins de fer se veut un hommage au Sand County Almanach d’Aldo Leopold, pionnier conservationniste et génie de l’écologie qui appelait en 1949 à une véritable éthique de la terre (land ethic) » L’appel des montagnes Le matin du quatrième jour, le paysage tant attendu des voyageurs se dévoile enfin. Les Montagnes Rocheuses percent l’horizon, véritables forteresses de roc. On sent que cette cordillère d’Amérique du Nord impose un respect des grandes choses. Le temps coule sur elles et celles-ci, en retour, s’épuisent dans le temps. Sur leurs flancs lézardés s’entrecroisent crevasses, granite et creux, tous des récits gravés dans une langue qui n’est autre que celle du temps. Non pas le temps des Hommes, mais bien celui de la Terre, ce temps où les siècles sont des secondes, ce temps qui a précédé les mortels et qui les dépassera. C’est un temps que l’on croirait, en s’efforçant bien peu, divin. Le gris clair des rochers se détache du ciel parsemé de nuages. La sagesse de la Terre veille sur le passage du Canadien. Du moins, se l’imagine-t-il. Entre les Rocheuses serpentent lacs et rivières, dont l’eau turquoise digne des Caraïbes apaise par son évidente pureté. Enfantées par les glaciers, ces eaux laiteuses semblent protégées par les murailles rocailleuses, isolées du reste du monde. Dans la forêt, c’est le règne des conifères. Certains se dressent fiers sur les flancs montagneux, héritiers de leurs ancêtres ayant eu l’audace des hauteurs. Le traditionnel vert se décline également en rouge chez certains spécimens. La Terre rejoint le Ciel, mais ne l’a jamais tout à fait atteint. Le Canadien continue son chemin. Le matin du cinquième jour, le périple est achevé. 4 466 kilomètres de voies ferrées, quatre nuits, cinq matins, des dizaines de gares, cinq provinces, trois fuseaux horaires, la traversée d’un pays-continent d’Est en Ouest. Le serpent terrestre à l’époque des faucons aériens. Le voyageur s’éloigne, étrangement nostalgique de l’isolement du train. Le voyage lui a semblé à la fois long et court, la destination à la fois proche et lointaine. Il s’éloigne. Au retour, le Canadien continuera son chemin. L’héritage de Léopold Ce petit almanach des chemins de fer se veut un hommage
au Sand County Almanach d’Aldo Leopold, pionnier conservationniste et génie de l’écologie qui appelait en 1949 à une véritable éthique de la terre (land ethic). Dans l’écologie léopoldienne, la terre (the land) doit être considérée non pas comme une simple propriété (ou, en terme moderne, un puits de ressources naturelles), mais comme l’élément incontournable d’une véritable éthique. Celle-ci, proprement écologique, concerne non seulement les relations qu’entretiennent les humains les uns avec les autres, mais aussi celles que ces derniers entretiennent avec les autres êtres vivants sur cette terre. L’être humain se doit d’apprendre à connaître et à vivre avec ses concitoyens – humains et non-humains –, formant un ensemble de parts interdépendantes. Car c’est bien lorsque l’on se reconnaît dans l’autre que l’on s’éprouve comme tiré en sa direction. Le land ethic appelle à cette compréhension des humains envers leurs communautés écologiques pour mieux vivre, non pas en seigneur séant au-dessus d’elles, mais bien en leur sein. Aldo Leopold se distingue autant par la sensibilité et la sincérité des images qu’il crée que par l’acuité de ces dernières. En effet, dans un passage particulièrement célèbre du Sand County Almanach, le philosophe de la terre – également chasseur de cerfs - décrit sa relation autrefois conflictuelle avec les loups de son comté. En effet, ceux-ci étaient généralement perçus comme des nuisances à la chasse au cerf, et furent exterminés pour cette raison. Toutefois, la population de cervidés, plutôt que d’augmenter comme le croyaient les humains du Sand County, a décliné en suivant celle des loups. Leopold en vient alors à considérer le loup comme figure gardienne de la montagne, préservant l’équilibre entre les carnivores, les herbivores, les végétaux et les sols. Par ailleurs, la justesse du regard de l’auteur est corroborée par l’effet de cascade trophique de la réintroduction des loups dans le parc de Yellowstone. En effet, l’introduction de 14 spécimens a permis de contrôler non seulement la population de cerfs, mais également le déclin de la végétation causé par leur
le délit · mardi 10 septembre 2019 · delitfrancais.com
Rain, Steam And speed, Turner surpopulation. La vigueur retrouvée de la flore a elle-même encouragé les populations de castors et autres petits animaux, éprouvés par la compétition des cerfs. Cet exemple à la fois magnifique et banal illustre parfaitement le propos du penseur : les humains ne sont pas les propriétaires des terres, mais des citoyens parmi d’autres. L’appel de Leopold est celui venant de la terre. Celui ou celle qui lit Leopold ne peut passer à côté de son profond attachement pour sa terre. Cet attachement puise dans les connaissances de sa terre, apprendre à connaître la terre où l’on vit comme l’on apprend à connaître ses voisins, tout cela pour véritablement habiter la terre. Toutefois, nul n’est obligé de rester en permanence en sa terre. Les échanges, les périples, la découverte de l’inconnu, tous sont des aspects nous permettant de développer différentes sensibilités à l’habitation. Ainsi, loin de plaider pour un statisme borné, nous pouvons envisager une extension de cette « éthique de la terre » aux voyagements, une « éthique du voyage écologique ». Le voyage écologique À l’heure de la mondialisation avancée, l’air du temps préconise davantage le nomadisme que l’enracinement. La multiplication des déplacements est délétère à bien des égards. L’aspect le plus évident à pointer est de nature matérielle. À titre d’échelle, le transport comptait pour 14% des émissions de GES émis annuellement dans le monde en 2010, selon l’Agence de Protection de l’environnement des États-Unis. Toutefois, le transport moderne est également délétère de par
« La technologie rend les déplacements si simples – trop simples, même – que leurs implications s’en retrouvent voilées » son apparente simplicité. La technologie rend les déplacements si simples – trop simples, même – que leurs implications s’en retrouvent voilées. Un écologiste scientifique parlerait d’une extériorisation des coûts (où le gain de temps est transformé en une quantité massive de GES, dégâts causés par de l’extraction des métaux rares, et j’en passe), un philosophe dirait peut-être que cette facilité réalise l’économie de l’attention. Un écologiste léopoldien parlerait quant à lui d’une déconnexion entre le voyageur et les terres parcourues. En effet, le voyage en avion fait l’économie des distances, si bien que l’on pourrait croire Paris voisine de Montréal. Voyager au sein des terres, et non pas au-dessus, n’est-ce pas là un déjà-vu? Le voyage écologique idéal est celui fait à la marche ou à vélo. L’explication est inutile ici. Il n’est pas tourisme, car il est voyage. Toutefois, nous aimerions argumenter que le voyage ferroviaire représente aujourd’hui un beau compromis entre l’idéal léopoldien et les contraintes du monde moderne. En effet, si le train pollue, il le fait ridiculement moins que son équivalent routier ou aérien. En effet, pour une distance d’environ 541 km (Toronto-Montréal), Via Rail Canada calcule une empreinte de 14,79 kg de CO2 par siège. En comparaison, en prenant les chiffres du calculateur
d’émissions Zerofootprint d’Air Canada, on arrive à environ 83 kg de CO2 par siège. Les émissions de la voiture sont à un niveau intermédiaire, soit environ 33 kg de CO2 par siège. Bien que les nombres peuvent varier selon les voyages, la différence reste notable. Mais surtout, le voyage en train est plus écologique puisqu’il ne fait pas l’économie des biomes parcourus. Il parcourt plaines et champs, contourne et traverse montagnes et vallées, serpente le long des lacs et des ruisseaux ; il rend sensible. Un certain sens de la distance est ainsi vécu par le voyageur, de même qu’un sens de la nature sacrifiée pour le chemin de fer : des arbres ont été abattus, des montagnes ont été percées de tunnels, des rivières ont été affublées de ponts. Le voyageur ferroviaire a un plus grand contact avec ce qu’il cause, contrairement au voyageur aérien. La traversée du Canada prend quatre jours en train – comparativement à trois jours en voiture et six petites heures en avion. La méditation des paysages encourage l’attention, la patience et l’indifférence envers les retards. Qu’est-ce que cinq heures en quatre jours? Enfin, et peut-être est-ce le plus important, quel voyageur aérien aurait pu vivre l’expérience de ces tableaux? Quelle sensibilité y a-t-il dans un monde qui réalise l’économie de toutes les conditions de possibilité du regard ? x
Philosophie
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Culture
artsculture@delitfrancais.com
théâtre
Qui a le droit de rêver?
L’oeuvre A Raisin in the Sun naît d’un second souffle au Théâtre Jean-Duceppe.
courtoisie du théâtre jean-duceppe
Critique croisée de la pièce Héritage.
I
l se passe quelque chose de grand au Théâtre Jean-Duceppe. C’est l’impression que nous avons eue à la première médiatique de la pièce Héritage, lorsqu’au moment de faire le salut, plusieurs des acteur·rice·s, ému·e·s, avaient les larmes aux yeux. Si l’émotion était à son comble sur scène, l’on s’imagine que c’est peut-être grâce à ces moments où, l’espace d’une soirée, le théâtre cesse de n’être que théâtre. Il offre alors une résonance beaucoup plus large que n’importe quel livre d’Histoire, réussissant à raconter des récits parfois oubliés. Les larmes versées en disent alors beaucoup sur le désir, trop longtemps bafoué, de (se) raconter.
Audrey Bourdon
Éditrice Culture Rêves en papier
Le facteur devra passer bientôt, à la même heure que tous les matins. Mais ce matin-ci sera spécial. Peu importe ce que chacun se raconte pour survivre à l’attente interminable du facteur, ce dernier apportera cette fois-ci une lettre d’une valeur considérable. C’est qu’un chèque de 10 000 dollars est contenu dans cette enveloppe, gracieuseté de l’assurance-vie du patriarche de la famille Younger. À une époque où un taxi coûtait 50 cennes, l'on peut imaginer l'énormité de ce montant pour une famille de la classe moyenne. Chacun des membres de la famille a bien conscience de tout ce que pourrait leur apporter un tel morceau de papier ; pourtant, les rêves de tout·e·s ne concordent pas nécessairement. Alors que le fils du défunt a des projets d’investissements qui le sauveraient de sa misère de chauffeur, sa femme préfère s’imaginer dans une nouvelle maison où son fils aurait une chambre à lui, pour remplacer le divan qui lui sert de lit dans leur « trou à rats ». La fille de M. Younger se voit quant à elle docteure depuis qu’elle est toute petite, et la Mama, à qui revient le fameux chèque, a ultimement la lourde responsabilité de choisir ce à quoi servira cet argent.
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Culture
Tensions, pleurs, jubilations, craintes et amours s'entremêlent dans ce texte de Lorraine Hansberry, qui fut la première personne noire à voir son texte joué sur Broadway. Si le texte est extrêmement poignant, il faut souligner le travail de traduction de Mishka Lavigne. La pièce a été québécisée et adaptée à notre époque. Le rendu donne un tout choquant étant un contenu d’il y a 70 ans dans un contenant d’aujourd’hui - qui a généré plusieurs réactions dans la salle. Il faut remarquer le grand travail du metteur en scène, Mike Payette, qui a su rendre cohérente une représentation du passé et du présent. Performance à la hauteur du texte Le jeu des acteur·rice·s vibrait de la puissance du texte, et il était clairement visible que les artistes étaient profondément chamboulé·e·s par les propos qu’ils·elles scandaient. Cette proximité entre leurs émotions et le texte venait inévitablement ébranler les spectateur·rice·s, menant l’audience au bord des larmes à plusieurs reprises. Lors du salut, Frédéric Pierre (le fils) et Mireille Métellus (Mama) étaient visiblement bouleversé·e·s de leur soirée, ayant tout·e·s les deux des larmes coulant sur leurs joues . x
Au moment de la rédaction de la pièce A Raisin in the Sun, traduit au Québec par Héritage, Lorraine Hansberry cherchait à rendre compte de cette expérience oppressive vécue par les communautés afro-américaines, et ce, en dehors même des États du Sud, connus alors pour leurs lois ouvertement ségrégationnistes. Le début du 20e siècle marque effectivement pour les États-Unis cette époque nommée « La grande migration », où un bassin important de la population noire quittait les États du Sud, à la recherche d’une terre d’asile. Si Chicago représentait alors une destination prisée, nombreux·ses sont ceux·elles qui prenaient finalement racine dans le South Side, quartier de la ville abritant presque exclusivement des communautés racisées.
La pièce en soi est le témoignage de ceux et celles qui essaient de composer avec une histoire liée à l’esclavage et à l’oppression. Si les dynamiques de pouvoir étaient bien présentes dans les États-Unis des années 50, elles le sont toujours aujourd’hui au Québec à différents niveaux, dans ses institutions, dans ses théâtres. Il s’agit d’une première en terme de représentation de la diversité sur scène : jamais une pièce francophone présentée au Québec n’aura eu un aussi grand ratio d’acteur·rice·s racisé·e·s (neuf personnes noires pour une personne blanche). Visiblement, une place trop étroite sur la scène artistique est actuellement octroyée pour ces artistes noir·e·s de grand talent. Il en va de même pour les textes traitant de récits de personnes noires. Et si le Québec abrite encore un racisme institutionnalisé et systémique (il suffit de penser aux inégalités salariales encore présentes, par exemple), la pertinence d’un texte de cette envergure semble alors indéniable.
La famille Younger y habite donc dans un taudis trop étroit pour leurs rêves. S’il·elle·s sont libres de circuler, de travailler et d’exister dans cette ville, n’en demeure pas moins que leur existence se confronte sans arrêt à un racisme persistant, insidieux, qui aura tôt fait d’amoindrir leurs possibilités d’avenir. C’est d’ailleurs ici que Lorraine Hansberry pose une question fondamentale : Qui a le droit de rêver? Et à quel prix?
L’histoire des Younger raconte d’abord l’expérience d’une famille noire en Amérique, mais elle raconte aussi une expérience vécue par de nombreuses communautés ; celle de l’intemporalité du racisme, du sexisme et de la xénophobie. Héritage revendique alors une remise en question des systèmes en place. Qui a le droit de rêver? Et qui peut réellement atteindre ses rêves? x
Mélina nantel
Éditrice Culture Diversifier la scène
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cinéma
Choisir sa vie L’adaptation au grand écran du roman de Jocelyne Saucier en salles. donner ; son œuvre rend vraiment hommage au texte de Jocelyne Saucier en plus de conférer à ses personnages une beauté tangible.
alexandre jutras
Contributeur
L
ouise Archambault reprend dans son troisième film — une adaptation du roman de Jocelyne Saucier, Il pleuvait des oiseaux (XYZ, 2011) — une histoire d’amour atypique, comme elle l’avait fait avec brio dans son second long-métrage, Gabrielle, qui nous avait émus en 2013. L’humanité et la sensibilité propres à la réalisatrice se prêtent avec justesse à l’écriture touchante de la romancière.
Brûler en silence
« Un mot vaut mille images » L’adaptation au cinéma d’un livre s’avère toujours une tâche de taille, surtout lorsque celui-là a eu autant de succès que Il pleuvait des oiseaux, qui a remporté le prix Ringuet en 2012. Le film, à l’instar du roman du même nom, raconte l’histoire d’un trio de reclus qui cherchent à tout prix à se faire oublier. Rapidement, leur existence paisible se vit bousculée par une série d’événements et de destins insolites. D’emblée,
capture du film l’aîné des ermites, Ted Boychuk (Kenneth Welsh), s’éteint de belle mort dans sa cabane, laissant derrière lui un nombre incalculable de tableaux, dont on ne sait pratiquement rien, sinon qu’ils représentent de manière abstraite les grands feux qui lui ont volé sa famille. Ce personnage – même s’il disparaît dès les premières scènes du film – représente la pierre angulaire des relations qui se tisseront au fil du récit entre
des gens qui paraissent de prime abord tout à fait éloignés. Naviguer entre les écueils Le film ne déçoit pas même s’il prend inévitablement de petits raccourcis que permettait d’écarter le temps long du roman. Certains personnages paraissent escamotés, sans toutefois que la faute ne revienne aux acteurs, et quelques éléments de la trame narrative s’effacent par-
tiellement. On se doit d’ailleurs de souligner les performances remarquables de Gilbert Sicotte et Rémy Girard qui incarnent respectivement Charlie et Tom, les deux autres misanthropes du trio. Heureusement, ces imperfections ne suffisent pas à atténuer la force du long-métrage qui exprime l’amour et la liberté avec une acuité saisissante. Louise Archambault illustre avec brio l’amour des laissés-pour-compte et de ceux qui ont choisi de tout aban-
Autrement, on ne peut passer sous silence la beauté du territoire qui nous est présenté ; filmé dans plusieurs régions différentes, dont l’Abitibi et le lac Supérieur, le long-métrage nous présente la forêt sous son jour le plus majestueux tout en restant humble dans son traitement de la nature. Sobres et subtils, mais prenants ; les paysages sont magnifiques sans pourtant être à couper le souffle, leur caractère transcendant, mais effacé, laisse la trame narrative se déployer dans toute sa sensible lenteur. Il pleuvait des oiseaux est un film à voir, non seulement parce qu’il est excellent, mais surtout parce qu’il met en lumière des acteurs québécois talentueux, une réalisatrice maintenant sûre de ses moyens et une autrice bien affirmée sur la scène littéraire. X
exposition
Penser la marche à suivre
Yoko Ono nous guide dans sa perception de l’art. niels ulrich
évangéline durand-allizé
Coordonnateur de la production
L
IBERTÉ CONQUÉRANTE/ GROWING FREEDOM. L’exposition, présentée par la Fondation Phi, est une rétrospective de la carrière de l’artiste. Suivre et être suivi Les instructions de Yoko Ono, c’est le nom que porte la première partie de l’exposition. Le ton est donné, Yoko Ono invite, réclame, demande. Elle ne nous laisse jamais seul·e. Au détour des étages, ses demandes se font plus ou moins extravagantes, plus ou moins sensées. « Regardez le coucher de soleil, sentez la Terre bouger. » Je m’arrête un instant, regarde par la fenêtre. C’est vrai que je sens le sol bouger sous moi. Je passe à l’instruction suivante. Certaines sont plus concrètes. « Ajoutez de la peinture ». Du coin de l’œil, je cherche la personne surveillant les œuvres. Son sourire me confirme que je peux me saisir du pinceau et ajouter de la peinture verte à ce tableau, sec par endroits, recouvert de peinture fraîche à d’autres. La personne à côté de moi enfonce un clou dans une toile à grand renfort de coups de marteau. Une autre
écrit un vœu qu’elle attache à un arbre. Nous suivons toutes et tous les directions de Yoko Ono. Au fil des étages, le corps et tous ses sens sont mis à l’épreuve. Il n’y a aucun moment de répit. Même dans les escaliers, entre les étages de l’exposition, nous sommes suivis par une création audio de l’artiste. Celle-ci, extraite du morceau Fly, lui-même issu de l’album du même
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nom composé par l’artiste en 1971, reproduit le son d’une mouche en plein vol. C’est ainsi que la voix de l’artiste nous suit dans les escaliers, dans un mélange de sons entêtants. Laisser la place L’arrivée au troisième étage change l’atmosphère. Si jusque-là, la participation était privilégiée, cet étage sollicite davantage
l’écoute. L’écoute de ces femmes, que les deux projets (Cut Piece et Debout, Arising) présentent, reprennent le rôle principal, reléguant celui des spectateur·rice·s au second plan. Cut témoigne d’une performance scénique de Yoko Ono qui, sur scène, permet aux spectateur·rice·s de découper ses vêtements. De l’autre côté se trouve Debout, qui prend la forme d’un mur recouvert de témoignages de
femmes sur leur expérience de vie. Ces témoignages sont accompagnés d’une photo des yeux de la personne qui le donne. Si la première version de cette œuvre avait été présentée en 2013, l’ouverture aux témoignages a été reconduite en vue de l’exposition à la Fondation Phi en cette année 2019. L’appel demande à des femmes « de tout âge, de tous les pays » de témoigner d’un tort qui leur a été fait parce qu’elles sont femmes. Il n’y a pas d’autres instructions cette fois-ci. Il n’y a pas de filtre. Ces textes, dont les tailles, formes et langues varient, sont glaçants, tristes, mais aussi encourageants pour certains. Elles nous confient, les yeux dans les yeux, leurs secrets, leurs pensées, leurs regrets et leurs ambitions. Quitter l’exposition donne l’impression d’y avoir passé des heures tant elle est captivante. Cette plongée dans l’univers de Yoko Ono permet de prendre conscience de l’étendue de son travail, tant d’un aspect temporel que thématique. Si l’aspect ludique de l’exposition pouvait risquer de lui donner un côté réducteur, ceci est rapidement contrebalancé par la portée des œuvres de Yoko Ono qui dépassent le simple attrait de la participation. X
culture
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cinéma
Immortaliser les années Le Délit a assisté à une projection du nouveau film de Liza Azuelos et l’a rencontrée. clémence auzias
Contributrice
L
e 3 mai 2019 au Cinéplex Odéon s’est déroulée la projection très émouvante du dernier film de Liza Azuelos, Mon bébé. Les spectateurs ont découvert à travers l’écran la vie d’Héloïse, une mère de trois enfants, dont la petite dernière, Jade, se prépare à partir faire ses études au Canada. C’est ainsi que commence une succession d’anecdotes du présent et du passé, qui relatent la belle relation et la complicité mèrefille entre les deux personnages principaux. La réalisatrice Lisa Azuelos a présenté cette dernière oeuvre accompagnée de sa fille Thaïs Alessandrin, qui joue le rôle de Jade. La représentation était une avant-première du film et aucun siège n’est resté inoccupé, la plupart étant pris par des étudiants de l’Université McGill, venus voir à l’écran leur nouvelle célébrité locale, Thaïs. Le parcours du personnage de Jade dans le film retrace son histoire à elle, sa relation avec sa mère et plus particulièrement les mois précédents son départ pour le Canada, où elle poursuit maintenant des études à McGill. Et c’est justement cela qui a
rendu cette projection unique et émouvante, sentiment ressenti par Mme Azuelos elle-même. « Cette représentation était très particulière, je n’ai jamais eu une représentation avec seulement des jeunes et en plus, je sais qu’ils sont tous concernés et que ça les a beaucoup touchés parce que la plupart ont dû quitter leur famille en venant ici », nous confie-t-elle lors d’une entrevue. Le film est touchant pour ceux qui ont vécu la même situation, mais aussi pour les autres, car Azuelos invite les spectateurs chez elle, dans sa maison, à ses petits-déjeuners et dans sa vie pendant les deux heures que dure la projection. « Une fois que c’est à l’écran, c’est joué, et même si c’est ma vie, la plupart des gens vont dire qu’on dirait que j’étais chez eux et que j’ai filmé leur vie. On parle toujours des gens comme si on n’en faisait pas partie, mais les gens, c’est nous aussi ; on n’est pas si unique que ça », affirme Azuelos. Et ce n’est pas la première fois que la réalisatrice se lance dans ce genre de projet. En effet, elle racontait déjà sa vie dans Lol, Une rencontre et Comme t’y es belle!. Elle-même reconnaît cette tendance : « En fait, je fais ça
« Les gens, c’est nous aussi ; on n’est pas si unique que ça »
capture du film dans tous mes films, j’ai l’habitude de romancer ce qui m’arrive et de me servir de ma vie pour créer. Je ne fais pas des univers parallèles très différents, je fais surtout ma vie et j’essaie de la rendre universelle pour tout le monde. » Et si elle veut rendre sa vie universelle, c’est parfois aussi pour communiquer avec une audience féminine et l’aider en apportant les réponses qu’ellemême a déjà trouvées : « Avant, j’avais besoin de parler de moi, de ma vie, de mon expérience de femme. C’était important pour moi de partager ça, parce que je sentais qu’il y avait beaucoup de femmes en souffrance, qui se posaient des questions et parfois, moi j’avais la chance d’avoir répondu à ces questions. » Relation mère-fille
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bestimage
culture
Si ce besoin de créer un dialogue avec d’autres femmes est présent dans Mon bébé, Azuelos a aussi été motivée par le sentiment que les choses allaient changer dans sa vie et qu’elle voulait les immortaliser avant qu’il ne soit trop tard. L’idée pour son projet de film lui est venue après avoir vu le film Boyhood (Linklater, 2014). Une scène l’a particulièrement touchée, pendant laquelle le fils s’en va pour faire ses études avec un petit carton qui contient toute sa vie passée avec sa mère ; c’est à partir de ce moment-là qu’elle a commencé à filmer sa vie avec son iPhone ; elle voulait garder une trace de son appartement,
« C’est comme si je voulais pouvoir redonner un sens au temps qui est passé et pouvoir le partager »
ambiance amicale et agréable. « Mes tournages se passent toujours bien, j’essaie de faire en sorte que les gens se sentent comme chez eux et ça crée une ambiance sympa dans laquelle on travaille mieux [...] et pour moi, c’est surtout l’occasion de matérialiser un scénario, ce n’est pas le moment d’aller chercher des choses, elles arrivent naturellement », explique Azuelos.
de ses petits-déjeuners et de sa vie avec ses enfants. « Mes films, je les fais aussi pour ça, c’est comme si je voulais pouvoir redonner un sens au temps qui est passé et pouvoir le partager », ajoute Azuelos.
La création de ce film plein de vie et de bonne humeur aura apporté beaucoup à son audience, mais avant tout à la réalisatrice elle-même. Les spectateurs, adolescents comme parents, peuvent s’y retrouver et se replonger dans leurs propres souvenirs. Ce voyage nostalgique, mais aussi heureux, les fait ressortir de la salle touchés et avec l’envie d’en discuter. « Sous ses airs de comédie, Mon bébé est un film profond et il a nécessité beaucoup d’énergie pour moi », confie Azuelos. Et pour elle, en plus d’un voyage dans ses souvenirs, le film lui a permis de mieux vivre le départ de sa fille : « Je commence à être prête à passer à autre chose ; c’est ma manière artistique de m’en sortir. C’est quand même une séparation qui est importante et le fait de le mettre en images et de le romancer m’a aidé à faire la transition. » Malgré le côté comique, Mon bébé est donc un film qui fera rire certains comme il en poussera d’autres à appeler leurs parents dès qu’ils rentreront chez eux. x
En plus de cette motivation très personnelle, le choix des acteurs pour les rôles principaux avait aussi une grande importance pour Azuelos. Thaïs Alessandrin joue son propre rôle dans le film et Sandrine Kiberlain joue sa mère, le rôle d’Azuelos. « Elle a le même humour que moi et il me fallait quelqu’un qui peut improviser, qui a de l’humour », dit la réalisatrice. Et Azuelos n’a pas fait son choix au hasard, car elle ajoute ensuite : « En plus, elle a vécu ça avec sa fille, donc elle était très proche des sentiments du film et j’ai trouvé ça super intéressant de travailler avec elle. » Après avoir organisé une première rencontre entre Thaïs et Sandrine pour s’assurer que les deux futures actrices s’entendraient bien, le tournage a été lancé et s’est déroulé dans une
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réflexion
Rétablir les racines Le court-métrage Nous nous soulèverons invite à la mobilisation des peuples. évangéline durand-allizé
Janis rivard
Contributrice
C
« Notre nom sera les vibrants de couleur rouge peau, car nous vibrerons Au rythme des tambours et des feuillages de nos arbres qui dansent sous les vents de l’aube Juchés entre nuages et terres À emplir les landes à la blessure vive d’un chant nouveau courant l’éther, Le cri des indomptés. »
es vers, récités par la voix chaude de Natasha Kanapé Fontaine et accompagnés par la rythmique d’un tambour et des images lumineuses de forêts, proviennent du film Nous nous soulèverons. Ce court-métrage, réalisé par le Wapikoni mobile en 2016, a été présenté dans le cadre du colloque de Résistances des femmes autochtones dans les Amériques, qui a pris place du 4 au 6 septembre à l’Agora HydroQuébec, à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Natasha Kanapé Fontaine est Innue, poète-slammeuse, conférencière et actrice, en plus d’avoir écrit plusieurs recueils de poésie, dont N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures (2012) récipiendaire du Prix des écrivains francophones d’Amérique. Associée au mouvement Idle No More, elle milite avec ses mots pour inciter un dialogue entre les peuples, dans le respect et la bonne volonté. Le Wapikoni mobile est une organisation à but non lucratif qui souhaite donner une « voix cinématographique » aux communautés autochtones.
Il s’agit donc d’un studio d’enregistrement installé dans une fourgonnette, se promenant de communauté en communauté afin de donner les outils nécessaires pour la prise de parole par la réalisation de courts films. Il en résulte des œuvres uniques et bien souvent touchantes, qui portent la couleur de la communauté. Wapikoni a également pour mission de combattre la solitude ressentie par certain·e·s individu·e·s vivant dans des communautés plus isolées ; ce projet leur donne une opportunité de prise de parole qui tend à briser cet isolement. Intégrer le territoire Tout au long du poème, Fontaine fait un va-et-vient balancé entre les origines et le présent : d’un côté, les aînés et ce qu’ils ont vécu, et de l’autre, les enjeux actuels et les batailles politiques des communautés. Les luttes environnementales et territoriales menées par le passé font partie de l’actualité, et les luttes qui sont menées aujourd’hui font aussi partie du passé. Le rythme cadencé
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du tambour vient même ajouter à cette idée de balancement et d’équilibre entre le passé et le présent. Natasha Kanapé Fontaine parle de « rétablir les racines reliant nos ancêtres à nos enfants ». Elle invite les communautés à recommencer à partager le savoir et les connaissances, des aînés aux enfants, comme il était coutume de le faire auparavant dans les communautés autochtones. Pour elle, il s’agit de liens qu’il faut renouer, afin de pouvoir grandir comme peuple. Kanapé Fontaine mentionne également la notion de territoire. Il s’agit d’un sujet qu’on retrouve beaucoup dans les œuvres et les contes autochtones, et très peu dans la culture dite « occidentale ». Au visionnement du court métrage, une impression de communion avec la terre, de compréhension de la rivière s’installe. L’image de ce cercle équilibré, où chaque être vivant a sa place dans un cercle dépourvu de hiérarchie, contraste étrangement avec le système occidental, où le collectivisme laisse place à un individualisme normalisé. Fontaine aborde donc le territoire de ma-
nière globale, touchant les divers aspects que l’on peut ressentir lors d’une promenade en forêt, autant visuellement que dans ses vers : le cri des animaux, le bruissement des feuilles d’arbres sous un coup de vent, le bruit de l’eau dans la rivière, rapide ou calme, le bruit des pas sur le sol. Le court métrage permet une immersion dans ce territoire, présenté comme l’endroit où la narratrice fait son « voyage ». Son voyage de vie. Elle porte les canots sur l’asphalte, comme
« Une Alberta brisée. » Elle fait ici référence à tous ces projets qui ont été acceptés sans l’avis des communautés touchées, des accords passés sans même les consulter. Des projets nocifs pour l’environnement, pour le territoire, pour le mode de vie. Les décisions ont été prises sans l’accord des parties concernées, celles-ci devant désormais subir les conséquences de ces projets. Entretenir de meilleurs liens, basés sur une relation égalitaire et honnête, permettrait peut-
l’héritage de sa communauté, de ses grands-parents. Elle porte leur histoire comme si c’était la sienne. Parce que justement, c’est aussi la sienne.
être une issue différente. Prôner le vivre ensemble dans une optique d’avenir semble essentiel. Natasha Kanapé Fontaine termine son film sur une note emplie d’espoir : un rayon de soleil reflétant son visage, elle nous quitte avec des paroles optimistes envers l’avenir, envers son territoire, envers son voyage.
« Prôner le vivre ensemble dans une optique d’avenir semble essentiel »
Terres volées « Laissons à la terre ce qui appartient à la terre. » C’est ainsi que Natasha Kanapé Fontaine introduit de nombreux enjeux environnementaux vécus par les communautés autochtones. Sans en nommer aucun, elle arrive à les démontrer en les imageant, en leur donnant vie à travers des représentations diverses. On y voit une manifestation au milieu d’une route, où un individu se fige devant une vingtaine de policiers. À cela s’ajoute l’image d’une usine, celle de sables bitumineux, d’une mine.
Le court métrage Nous nous soulèverons nous témoigne ainsi un message essentiel : il est minuit moins une pour la planète, mais il n’est pas encore minuit. L’entraide, la bienveillance et le respect des uns envers les autres, de même que la reconnaissance de l’héritage passé et de l’environnement présent, sont autant de qualités à investir pour permettre un avenir, qui, espérons-le, sera plus glorieux.x
culture
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ligne de fuite texte : maya gauvreau @grandminimum visuel : évangéline durand-allizé
Des fois j’aimerais m’étendre, Rester couchée au sol immobile. Ta voix à elle seule emplirait tous les silences de mon corps. J’ai le goût de tes vagues De tes remous rythmés Qui ressassent les chuchotements D’une mer plus proche qu’elle n’y paraît. Ta houle m’endort Les bruits du fleuve Et ceux de mon corps Proviennent peut-être du même endroit. T’arrives toujours avec le soleil et, Généreuse de tes pores de lumière, Tu laisses mon salon incandescent même après ton départ.
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culture
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