Le Délit - 17 septembre 2019

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Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

Mardi 17 septembre 2019 | Volume 109 Numéro 3

On cherche unmétier depuis 1977


Éditorial rec@delitfrancais.com

Volume 109 Numéro 3

Le seul journal francophone de l’Université McGill RÉDACTION 680 Rue Sherbrooke Ouest, bureau 724 Montréal (Québec) H3A 1B5 Téléphone : +1 514 398-6790 Rédacteur en chef rec@delitfrancais.com Grégoire Collet

Peut-on parler d’un renouveau de l’activisme environnemental? grégoire collet & Jérémie-Clément Pallud Fin juin dernier, des images de violence policière en France circulaient dans le monde entier. Des activistes du groupe Extinction Rebellion bloquaient l’entrée d’un pont à l’occasion d’une manifestation à Paris, et se sont fait déloger de force par la police à l’aide de gaz lacrymogène. Les images, d’une violence rare, mettaient en exergue l’acharnement des forces de l’ordre pour réprimer toute manifestation, non-violente ou non, et la résignation des militant·e·s à protester. En quelques mois, le mouvement Extinction Rebellion s’est fait une place dans la sphère de l’activisme environnemental, à coups d’actions radicales suivant la philosophie de la désobéissance civile (p. 8-9). Soutenu par Greta Thunberg, le mouvement semble s’inscrire dans un vent nouveau, gagne en ampleur et met l’urgence écologique au coeur de sa raison d’être. Au regard des cris d’alarme des scientifiques et en observant les manifestations évidentes de la crise climatique, l’on pourrait presque se dire « enfin ». Pourquoi, ce « enfin »? Extinction Rebellion est loin d’être le premier mouvement d’action pour l’environnement. Des organisations à vocation similaire telles que Greenpeace ou le Fonds mondial pour la nature (WWF) existent depuis bien plus longtemps. Toutefois, au vu de l’aggravement continuel de la crise climatique, il est évident que ces aînés de la lutte environnementale ont tendance à s’essouffler dans leur activisme. De nombreuses critiques leur reprochent une institutionnalisation à

contre-courant de leurs vocations initiales à défier le statu quo. À force de hiérarchie et d’ancrage gouvernemental, ces organisations deviennent trop peu malléables pour prétendre porter les luttes efficacement. Cette perte de vitesse est aussi souvent le fait d’une conception occidentale et blanche de l’activisme environnemental, qui laisse de côté des voix minoritaires mais non moins concernées par les changements climatiques et les dégradations des écosystèmes. Si l’action environnementale doit être mise en oeuvre de toute urgence, elle ne peut se faire au détriment de considérations sociales tout aussi importantes. C’est cette prise de conscience qui provoque l’avènement d’une nouvelle vague d’activisme environnemental, tel que celui prôné par Extinction Rebellion, qui place l’intersectionnalité au cœur de ses luttes et pour qui la notion de justice climatique est essentielle. Le caractère nouveau du mouvement prend racine dans ses fondements idéologiques et son mot d’ordre, la rébellion. Le mouvement est pensé pour être radicalement efficace dans ses stratégies d’action. Ses penseur·se·s, inspiré·e·s par les occurrences de désobéissance civile dans des mouvements de libération comme celui des droits civiques aux États-Unis ou pour l’indépendance de l’Inde, ont tenté de déterminer les tactiques les plus puissantes pour renverser des systèmes oppressifs entiers. Extinction Rebellion s’inscrit dans une mouvance qui prône un engagement citoyen massif pour une réaction à la crise climatique, et nous met finalement face, avec ses campagnes d’action non-violentes, à notre propre inaction.x

Actualités actualites@delitfrancais.com Violette Drouin Augustin Décarie Rafael Miró Culture artsculture@delitfrancais.com Mélina Nantel Audrey Bourdon Société societe@delitfrancais.com Opinion -Béatrice Malleret Enquêtes - Juliette de Lamberterie Philosophie philosophie@delitfrancais.com Simon Tardif Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com Niels Ulrich Coordonnatrices visuel visuel@delitfrancais.com Evangéline Durand-Allizé Katarina Mladenovicova Multimédias multimedias@delitfrancais.com Vacant Coordonnatrices de la correction correction@delitfrancais.com Margaux Alfare Florence Lavoie Webmestre web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Coordonnateur·rice·s réseaux sociaux reso@delitfrancais.com Vacant Jérémie-Clément Pallud Contributeurs Marco-Antonio Hauwert Rueda, Ange Sauder, Charlotte Aubourg, Laurence Caron-Bleau, Justine Gendron Thibault, Yanick Macdonald Couverture Evangéline Durand-Allizé Katarina Mladenovicova

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Les opinions exprimées dans les pages du Délit sont celles de leurs auteur·e·s et ne reflètent pas les politiques ou les positions officielles de l’Université McGill. Le Délit n’est pas affilié à l’Université McGill.

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L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Les opinions de nos contributeurs ne reflètent pas nécessairement celles de l’équipe de la rédaction. Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavant réservés). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans le journal. Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).

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Un environnement partisan Élections Canada clarifie sa position par rapport à la Loi électorale.

Florence lavoie

Contributrice

A

insi s’amorce la campagne électorale fédérale de 2019 et avec elle s’entament les débats et prises de position des partis. Parmi les enjeux abordés, on retrouve la crise climatique, qui a entre autres donné naissance à un important mouvement étudiant international au cours de la dernière année. Cependant, s’ils font mention des changements climatiques et de leurs conséquences durant la campagne, les groupes environnementaux tels que Greenpeace et Environmental Defence risquent d’être considérés comme étant partisans. C’est notamment le cas en raison de la position sur le sujet de M. Maxime Bernier, chef du Parti populaire du Canada, laquelle diverge de celles des autres

chefs de partis. Alors que ceux et celles-ci s’entendent sur l’existence de la crise climatique ainsi que sur ses causes et dangers, M. Bernier doute de la responsabilité des activités humaines sur le réchauffement planétaire. Ainsi, puisque tous les partis ne sont pas en accord à propos de cet enjeu, ce dernier devient matière à débat au cours de la campagne électorale. Les publicités qui en traitent peuvent donc être considérées partisanes. C’est lors d’une formation sur la Loi électorale ayant eu lieu au début de l’été qu’Élections Canada a mis en garde les groupes environnementaux. Clarification de la Loi En constatant le mécontentement chez certains de ces groupes, qui ont déduit de cet avertissement qu’il leur serait interdit de mentionner la crise climatique au cours de la cam-

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pagne, Élections Canada, en la personne de son porte-parole, Ghislain Desjardins, a senti le besoin de clarifier la situation

lorsque la campagne électorale se termine, ce groupe est tenu de déclarer ses gains et dépenses. Il y a maintenant 20 ans que ces

« S’ils font mention des changements climatiques et de leurs conséquences durant la campagne, les groupes environnementaux tels que Greenpeace risquent d’être considérés comme étant partisans » ainsi que la Loi électorale ellemême. Au sens de la loi, il est permis à n’importe quel groupe d’intérêt, c’est-à-dire un groupe visant à influencer les décisions des gouvernements, de parler d’un enjeu donné. Toutefois, une dépense de 500$ ou plus dans une campagne publicitaire oblige tout groupe à s’enregistrer comme tiers parti. De plus,

termes font partie de la loi. Si les groupes environnementaux ne désirent pas s’enregistrer comme tiers, ils seront tenus d’user d’autres moyens que la publicité pour plaider leur cause. Opinions face à la situation Divers arguments ont été soulevés contre la position

d’Élections Canada. Mme Elizabeth May, cheffe du Parti vert, a notamment exprimé son désaccord. M. Tim Gray, qui occupe le poste de directeur général d’Environmental Defence, a rappelé l’aspect scientifique de la crise climatique. En effet, dans un rapport datant de l’année 2018, les Nations Unies ont confirmé l’existence de celleci et l’urgence qui y est associée. M. Gray déplore que la position écosceptique d’un parti oblige les groupes environnementaux à s’enregistrer comme tiers. En somme, puisque les partis en lice pour les élections fédérales de 2019 ne s’entendent pas sur la crise climatique, celle-ci est sujette à débats et les groupes environnementaux entreprenant des campagnes publicitaires payées à ce sujet pourraient se voir octroyer une étiquette partisane.x

Actualités

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POLITIQUE ÉTUdiante

Coopération communautaire Le Délit a rencontré Adam Gwiazda-Amsel, v.-p. aux affaires externes de l’AÉUM. Le Délit (LD) : D’abord, pour que les étudiants puissent un peu mieux comprendre ce que tu fais, pourrais-tu nous expliquer en quoi consiste le poste de vice-président aux affaires externes? Adam Gwiazda-Amsel (AG) : Oui bien sûr! Donc, le vice-président aux affaires externes s’occupe de tout ce qui est relations communautaires et gouvernementales, c’est-à-dire, en gros, représenter les positions de l’AÉUM face aux politiques gouvernementales. Donc, disons, par exemple, nous avons une politique pour s’opposer à l’inaction face aux changements climatiques; donc si jamais il y avait une politique gouvernementale de développement économique qui ne prendrait pas en considération, nous présenterions cette opposition. Là, on travaille avec des groupes communautaires pour la politique municipale, on travaille avec les fédérations étudiantes pour ce qui est du provincial, et aussi du fédéral. LD : Comment est-ce que vous déterminez quelles sont les positions que les étudiants veulent que vous adoptiez? AG : Le processus est quand même

entrevue

transparent, ça se trouve dans les régulations internes sur la gouvernance de l’AÉUM. Donc, c’est le conseil législatif qui se rencontre à chaque deux semaines, des conseillers et des conseillères peuvent proposer des motions qui vont être adoptées ou non. La responsabilité de chacun et chacune des conseillères, c’est vraiment de voir si les positions qui sont présentées au conseil sont cohérentes avec celles de leur électorat. LD : L’environnement est l’un des quelques enjeux sur lequel la communauté mcgilloise est d’accord. D’ailleurs, le 27 septembre, il va y avoir une manifestation à Montréal qui va rassembler beaucoup d’étudiants ; est-ce que l’AÉUM s’organise pour cette manifestation? AG : Pour ce qui est des manifestations et des grèves, c’est certain que nous pouvons aider avec ça. Dans le cas d’une mobilisation de masse, il faut vraiment que ça vienne d’en bas de l’organisation, du corps étudiant. S’il devait y avoir une grève [ou un mouvement rassemblant plusieurs étudiants], il faudrait vraiment qu’elle soit votée dans une assemblée générale pour que

Courtoisie de L’aéum

les étudiants sentent qu’ils peuvent vraiment participer aux décisions. Ce que l’AÉUM peut faire, c’est de donner du financement aux groupes qui essaient de l’organiser, vu que c’est en ligne avec nos propres politiques. Nous pouvons aussi offrir du soutien institutionnel, par exemple des salles s’ils en ont besoin ou de la visibilité sur nos plateformes de médias sociaux. LD : C’est du bureau des affaires externes de l’AÉUM que dépendent les Affaires francophones. Que comp-

tez-vous faire pour améliorer la relation des francophones avec l’AÉUM et leur participation à celle-ci, qui est pour le moment très faible? AG : Bon, c’est sûr qu’il y a des problématiques internes à l’AÉUM qui font que la participation est faible donc il faut absolument régler ces problèmes de façon directe. On identifie surtout un certain manque de bilinguisme dans les documents, dans les publications sur les réseaux sociaux. Donc, l’outil principal qui pourrait être utilisé est la Comission aux affaires franco-

phones. Nous avons embauché une commissionnaire; l’an passé, cela s’est produit seulement en mars, donc on peut dire qu’on a un peu d’avance! Juliette Chesnel va travailler avec les différents groupes francophones sur le campus, entre autres Le Délit. Comme ça, il y aura vraiment une façon de voir la communauté francophone et d’identifier quels sont ses besoins. LD : Toi, tu parles français, tu as vécu à Montréal; est-ce que tu penses que ça va t’aider à être un meilleur représentant aux affaires externes? AG : C’est sûr que ça dépend de quoi on parle, mais par rapport aux fédérations étudiantes, c’est certainement le cas. Il y a une perception de McGill comme étant différente, comme étant internationale, comme étant une université qui n’est pas intéressée à participer au mouvement étudiant québécois. Alors si je me présente en parlant au moins en français, c’est sûr qu’on va être reçus de façon plus cordiale. x

Propos recueillis par Rafael miró

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Regard intérieur

Le Délit a recontré Sanchi Bhalla, v.-p. aux affaires internes de l’AÉUM. Le Délit (LD) : Quelles sont les grandes lignes de ta position en tant que v.-p. aux affaires internes? Sanchi Bhalla (SB) : Mes responsabilités comprennent l’organisation de plusieurs événements tels que frosh, l’Halloween ou encore les olympiques interfacultaires, qui est l’événement phare du RPAÉ (Réseau de programmation de l’association étudiante, ndlr), que je préside. Ensuite, je suis responsable des communications, donc d’initiatives comme l’infolettre, de la présence de l’AÉUM sur les médias sociaux et des communiqués de presse. Je suis également en charge du Conseil des étudiant·e·s de première année, qui comprend cinq postes élus représentant chaque faculté et trois postes nommés — je travaille en ce moment à réunir ce conseil. De plus, je supervise le comité environnemental et je suis la représentante de l’AÉUM auprès de l’association des ancien·ne·s étudiant·e·s de McGill. LD : Qu’espères-tu accomplir durant la prochaine année? SB : Du point de vue des événements, une chose dont nous avons souvent discuté à l’interne est le manque de communication entre le RPAÉ et le Département des opérations, donc

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Actualités

s’impliquent au Conseil ont souvent un intérêt à continuer de s’impliquer au sein de l’association.

courtoisie de l’aéum

LD : L’année dernière, tu as travaillé sous le v.-p. aux finances. Qu’estce qui t’a poussé à vous présenter comme v.-p. aux affaires internes au lieu de v.-p. aux finances? SB : Au département des finances, je faisais beaucoup de travail administratif, et lorsque je consultais les différents portfolios avant de me présenter, celui des affaires internes m’a semblé le plus attrayant. Je suis une personne très extravertie, j’aime travailler avec les gens et créer de bons souvenirs, et c’est ce que ce portfolio incarne pour moi.

j’aimerais voir plus de collaboration à ce niveau, parce que je crois que comme ça nous pourrons planifier de meilleurs événements. Je souhaite aussi élargir ce que peut signifier un événement sans alcool – que ce soit des événements qui soient amusants sans nécessairement intentionnellement remplacer l’alcool par autre chose. En termes de communication, je cherche à rendre ça (les médias sociaux de l’AÉUM, ndlr)

plus personnel. Cette année, nous avons beaucoup plus de visages sur notre compte Instagram. Puisque j’étais en charge du takeover de l’AÉUM du compte Instagram de McGill, cela a donné la chance aux membres de l’exécutif de montrer leur portfolio à la communauté. J’aimerais fournir plus d’ateliers sur la gouvernance au Conseil des étudiant·e·s de première année, parce que j’ai l’impression que les étudiant·e·s qui

LD : En tant que v.-p. aux affaires internes, tu es responsable de plusieurs événements, y compris la semaine d’orientation, qui est un très gros événement qui se déroule au tout début de l’année. Comment s’est-il déroulé? SB : Je crois qu’il est important de souligner que frosh n’est pas un événement de l’AÉUM, mais bien de chaque faculté. Nous fournissons des services tels que Walksafe et MSERT (McGill Student Emergency Response Team, ndlr)

et nous organisons des événements alternatifs (sans alcool, ndlr), donc cette année, nous avons animé une soirée de jeux de société et une sortie laser tag, qui se sont bien déroulées. Nous sommes également présent·e·s à Discover McGill — j’ai beaucoup apprécié l’opportunité de jaser avec des étudiant·e·s de première année et avec leurs parents. J’ai pu parler à plusieurs parent.e.s de leurs inquiétudes et les rassurer en leur présentant les services à la disposition des étudiant·e·s. LD : Quelle est la chose que vous souhaitez le plus voir se réaliser à McGill dans la prochaine année? SB : J’aimerais voir la réouverture de notre édifice (l’édifice de l’AÉUM est fermé pour rénovations depuis l’automne 2018, ndlr). Je crois que l’une des raisons pour laquelle McGill ne possède pas beaucoup d’esprit d’appartenance est que nous n’avons presque pas d’édifices inter facultaires. Personnellement, ce serait aussi beaucoup plus facile pour l’organisation d’événements d’avoir cet espace à ma disposition. x

Propos recueillis et traduits par violette drouin

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CAMpus

Nouveaux visages à l’AÉUM

Un premier tour de piste pour les élu·e·s étudiant·e·s au conseil législatif. Augustin Décarie

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e premier Conseil législatif de l’AÉUM (Association Étudiante de l’Université McGill, SSMU en anglais, ndlr) s’est déroulé mardi 10 septembre dans une salle du pavillon de génie. Quelques élu·e·s manquaient à l’appel, certain·e·s ayant démissionné·e·s, d’autres n’ayant pas été encore élu·e·s, comme les représentant·e·s de première année. Le conseil s’est ouvert sur une série d’annonces. D’abord, le président de l’AÉUM, Bryan Buraga, a remercié l’ancien directeur général Ryan Hughes pour ses nombreuses années de travail acharné au sein de l’association étudiante : M. Hughes avait remis sa lettre de démission le 9 septembre dernier. Ses responsabilités ont été divisées et assignées à divers membres du personnel de l’AÉUM. M.Buraga a aussi tenu à s’excuser pour les délais inévitables qui seront causés par la perte de cette partie importante de l’association et a assuré qu’une nouvelle

meilleure façon de faire du Conseil législatif un espace sécurisé et ont passé la motion sur les règles encadrant la procédure dudit Conseil.

direction générale serait engagée dans les plus brefs délais. Il est à noter que des élections en ligne pour le Conseil des Premières Années se tiendront sous peu, soit du 23 au 25 septembre. Sanchi Bhalla, v.-p. aux affaires internes, s’est aussi excusée pour la piètre traduction en français qui a été envoyée aux étudiants de McGill dans la première infolettre de l’AÉUM. Elle a expliqué que la traduction avait été faite par un programme informatique. Elle a promis que le prochain courriel sera traduit par un professionnel et révisé par une agence externe. Questions de protocole Plusieurs des motions passées concernaient le renouvellement des règlements encadrant l’AÉUM. La session a toutefois été allongée par un débat concernant l’inscription de pronoms sur les écriteaux des membres du conseil. En a découlé une discussion concernant la procédure à suivre dans les cas où une

Par ailleurs, des motions ont été passées pour renouveler la politique de conflit d’intérêt ainsi que le document-cadre sur les clubs de l’AÉUM. Le sénateur Andrew Chase de la Faculté des arts a souhaité rendre plus facile la création de nouveaux clubs à McGill. Son amendement a été refusé, parce que les autres conseiller·ère·s jugeaient que les critères n’étaient pas trop exigeants. Les différents comités du Conseil législatif ont aussi été formés mardi passé. La sélection s’est avérée assez ardue, puisqu’une grande majoKatarina Mladenovicova rité des conseiller·ère·s ne voulaient pas siéger sur plusieurs comités à la fois. personne puisse être adressée par le mauvais pronom. Les conseilUn été chargé à l’AÉUM ler·ère·s se questionnaient à savoir si la situation devait être résolue Les membres de l’exécutif de en assemblée plénière ou en privé. l’AÉUM ont présenté le rapport de La première option a été retenue. leurs activités estivales. Parmi leurs Les élu·e·s se sont entendu·e·s sur la

nombreux faits d’armes, on peut noter leur implication dans plusieurs comités, tant à McGill qu’ailleurs. Le v.-p. aux affaires externes Adam Gwiazda-Amsel a décrit en français son implication au sein d’associations interuniversitaires, comme LPSU (La Planète s’invite à l’université) et CUTE (Comités unitaires du travail étudiant), lequel a été dissous cet été. Finalement, l’AÉUM a transféré la juridiction du club de cyclisme à McGill Athletics, à la demande du club qui désire bénéficier de son nouveau statut en tant que sport au sein de l’Université. La première rencontre du Conseil législatif s’est globalement bien déroulée, même si certain·e·s conseiller·ère·s n’étaient visiblement pas habitué·e·s au fonctionnement de la séance et aux règles qui l’encadrent. L’expertise de Husayn Jamal, président du Conseil aura contribué à la réussite du Conseil et les membres de l’AÉUM amorcent ce nouveau mandat avec enthousiasme et rigueur. x

International

Commission européenne: la relève

Ursula von der Leyen présente la composition de l’institution de l’Union Européenne. Marco-Antonio Hauwert rueda

Contributeur

Les élections européennes de mai 2019 représentent un tournant dans l’histoire de la politique européenne. Les deux grands partis traditionnels, sociaux-démocrates (S&D) et chrétiens-démocrates (PPE), se sont vus affaiblis par le scrutin au profit des libéraux (Renew Europe), écologistes

(Verts/ALE) et eurosceptiques (ID et non-inscrits). La faible majorité obtenue par la nouvelle présidente de la Commission Européenne Ursula von der Leyen, à 383 voix contre 327, témoigne des fortes divisions qui caractérisent ce nouveau Parlement Européen. Une tâche compliquée En tant que nouvelle présidente de l’exécutif européen, Ursula von der Leyen s’est vue attribuer la tâche de présenter le nouveau collège de commissaires de l’Union, répartissant les responsabilités de la Commission entre représentants des 27 pays de l’UE (en excluant le

Royaume-Uni). En se faisant, elle a dû tenir compte des ambitions divergentes des différents États européens, sachant que la plupart des capitales européennes n’avaient proposé qu’un·e seul·e candidat·e pour leur poste de commissaire. L’ancienne ministre de la Défense allemande a aussi dû répondre aux attentes du Parlement européen, formant une équipe à la hauteur des enjeux de ce mandat, tout en tentant une parité homme-femme inédite dans l’histoire de cette institution. Parmi les principales problématiques à aborder figurent la lutte contre les changements climatiques, l’adaptation de la législation à l’ère numérique, l’harmonisation des fiscalités et économies européennes et la gestion des tensions internationales. La nouvelle Commission

Evangéline Durand-Allizé

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Le 10 septembre 2019, Ursula von der Leyen a présenté sa liste de candidats à la Commission européenne, comportant 13 femmes et 14 hommes. Ces candidats devront être approuvés par le Parlement européen avant le 1er novembre 2019. Voici les principaux visages proposés par la présidente allemande :

Le socialiste Frans Timmermans (S&D) à la vice-présidence exécutive du Green Deal.

Le conservateur Valdis Dombrovskis (PPE) à la vice-présidence exécutive de l’Économie.

Candidat malheureux à la présidence de la Commission, cet ancien ministre néerlandais des Affaires étrangères s’est bâti une réputation en faisant face aux dirigeants polonais et hongrois lors de leurs « atteintes graves à l’État de droit ». Dans les prochaines cinq années, il sera chargé de mener le Green Deal européen, visant une neutralité carbone européenne d’ici 2050.

L’ancien premier ministre letton et membre de la Commission Juncker devra bâtir une « économie au service des gens ». Il devra achever l’union économique et monétaire européenne jamais véritablement conclue, ainsi que mettre en place un salaire minimum européen, comme l’avait promis la présidente Ursula von der Leyen.

L’ex-commissaire libérale de la Commission , Juncker Margrethe Vestager (Renew Europe) à la vice-présidence exécutive du Numérique.

Le socialiste Josep Borrell (S&D) à la haute représentation des Affaires étrangères.

Amplement réputée pour chasser les multinationales qui abusent de leur pouvoir fiscal lors de son étape comme commissaire à la concurrence, cette ancienne ministre des finances danoise se chargera d’« adapter » l’Europe à « l’ère numérique ». Elle se chargera des portefeuilles de la stratégie industrielle européenne à long terme ainsi que de la fiscalité numérique.

Ce vétéran de la politique espagnole et ancien président du Parlement européen détiendra la tâche compliquée de coordonner la politique internationale européenne, chose non point facile étant donné les fortes divergences entre dirigeants des 27 membres de l’Union. x

Actualités

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conférence

Au-delà des barrières Thomas Mulcair explique l’importance de collaborer pour résoudre la crise climatique. marco-antonio hauwert rueda

salarié ayant eu un accident du travail » étaient inimaginables dans le passé, « avant les bouleversements du vingtième siècle ».

courtoisie du npd du canada

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Contributeur

u jeudi 12 au vendredi 13 septembre se déroulait au Centre Universitaire la Conférence sur le Climat de McGill. La conférence, intitulée « Construire l’Économie Verte Canadienne : Une Transition Juste » réunit plusieurs acteurs des mondes de la science, l’économie, la philosophie et la politique pour débattre la possibilité d’élargir la politique climatique canadienne tout en assurant sa prospérité économique. À cette occasion, l’ancien député et ministre de l’Environnement québécois Thomas Mulcair, auteur, en 2004, d’un avant-gardiste plan provincial pour le développement durable, nous parle de la valeur de franchir les barrières politiques, sociales et institutionnelles pour répondre aux enjeux climatiques. L’importance de l’enjeu Dès le début de son intervention, l’actuel professeur en sciences politiques à l’Université de Montréal ne s’attarde pas à souligner l’importance de « ce sujet crucial ». Selon lui, le changement climatique serait le principal défi de notre temps, et définirait « le succès ou l’échec » de notre génération. Il déplore le manque d’importance que certains milieux politiques confèrent au problème : « Les gens disent que le Canada ne

canada

représente qu’un minime pourcentage des émissions globales de CO2. Cependant, pendant le combat le plus grand de la génération précédente, la Seconde Guerre mondiale, les troupes canadiennes ne représentaient qu’un minime pourcentage de l’ensemble des forces opposant le fascisme et le nazisme… Et, vous savez quoi ? Jamais dans ma vie je n’ai entendu qui que ce soit dire que cela ne valait pas la peine de participer au combat. [Le dérèglement climatique] est le combat de notre génération ». À maintes reprises pendant son intervention, M. Mulcair insiste sur le manque de conviction politique. Paradoxalement, le changement climatique est pourtant « la priori-

té première des canadiens », selon certains sondages. Il nous rappelle de plus que le pays a le taux d’émission de gaz à effet de serre par habitant le plus élevé du G20. Précédents historiques Mulcair se prononce fermement sur la possibilité de s’affranchir des barrières partisanes, régionales et nationales, et de travailler ensemble pour faire face à la crise climatique. Il base sa conviction sur de nombreux précédents historiques où les dirigeants mondiaux « se réunirent, surmontèrent leurs différences, et réussirent parce qu’ils servaient un but supérieur ». Il fait notamment référence à la collaboration entre le premier

ministre Brian Mulroney et le président américain Ronald Reagan, au temps où la NASA dévoilait l’existence d’un trou dans la couche d’ozone. Les deux dirigeants politiques collaborèrent pour signer le fameux Protocole de Montréal de 1987, stipulant l’interdiction de substances nocives à la couche d’ozone, prouvant qu’une collaboration transnationale est possible lorsque le problème dépasse les frontières domestiques. Mulcair répond aussi à ceux qui considèrent l’action climatique comme trop idéaliste : « Plusieurs des choses que nous prenons pour acquises aujourd’hui, » dit-il, « comme le weekend, le plan de pensions, ou la possibilité de prendre en charge un

Le professeur Hamish van der Ven du département des sciences politiques de l’Université McGill remarque cependant que la plupart des succès historiques mentionnés par l’ancien ministre, comme par exemple la lutte contre les pesticides, pluies acides et trous dans la couche d’ozone, ne concernent pas des industries aussi bien financées et enracinées dans nos vies que l’industrie pétrolière canadienne. « C’est un problème différent qui requiert un type de leadership différent », dit-il. Mais Mulcair répond en faisant allusion à l’ancrage du tabac dans la vie quotidienne il y a quelques décennies, tendance qui « a maintenant totalement disparu des salles de classe et des foyers ». La situation, insiste-t-il, « est une affaire multipartite » et il y a raison de pouvoir envisager une solution tout aussi multilatérale au problème. Mulcair conclut en évoquant l’« inspirante » figure de Greta Thunberg, qui sera présente lors de la manifestation pour le climat du 27 septembre à Montréal. Elle est une incarnation fidèle de la thèse portée par l’ancien homme politique québécois, défendant l’idée selon laquelle l’action climatique ne devrait pas connaître de frontières.x

Victoire franco-ontarienne

Une entente est signée concernant le financement de l’Université de l’Ontario français. violette drouin

Éditrice Actualités

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e 7 septembre dernier, les gouvernements canadien et ontarien ont annoncé être enfin parvenus à une entente sur le financement de l’Université de l’Ontario français, dont la moitié des fonds proviendront désormais du provincial et l’autre du fédéral. Un long parcours Le projet d’établir l’Université de l’Ontario français, qui serait la première université entièrement francophone de la province, a vu le jour en 2014 et a été introduit dans la loi en 2017 sous le gouvernement libéral de Kathleen Wynne. En novembre 2018, Doug Ford, actuel

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actualités

premier ministre de l’Ontario, a annoncé le retrait des fonds du projet ainsi que la dissolution du Commissariat aux services en français de l’Ontario, suscitant à travers le pays des inquiétudes sur le statut de la langue française. La décision a également provoqué des manifestations à travers la province. Cette mobilisation a grandement contribué à la possibilité d’une entente avec le gouvernement Ford, selon Mélanie Joly, la ministre fédérale du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie. Une entente à long terme Même si le fédéral et le provincial verseront chacun une part égale des 126 millions de dollars garantis au projet par le protocole

d’entente, ces versements se feront de façon séparée. Caroline Mulroney, la ministre ontarienne des Transports et des Affaires francophones, a indiqué lors d’une entrevue avec CTV News que le gouvernement fédéral fournira les fonds de l’Université

« Cette victoire, c’est la victoire de toute une communauté » pendant les prochaines quatre années. Le gouvernement ontarien, quant à lui, versera sa part durant les quatre suivantes, à partir de 2023, soit après la prochaine élection provinciale.

Réactions à la nouvelle Sur les réseaux sociaux, la joie fusait le jour de l’annonce de l’entente. La Fédération de la jeunesse franco-ontarienne (FESFO) a indiqué sur Twitter que « La jeunesse est ravie de l’entente conclue entre le gouvernement fédéral et provincial ». Les co-président·e·s du Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO) ont rappelé que « Cela fait plus de 40 ans que nos communautés militent activement pour avoir accès à une institution universitaire par et pour les francophones ». Le président de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), Carol Jolin, a conclu que « Cette

victoire, c’est la victoire de toute une communauté ». Prochaines étapes Maintenant que les fonds sont assurés, le personnel de l’Université de l’Ontario français va devoir rétablir les travaux qui avaient été mis en pause, s’efforcer de trouver un lieu pour l’établissement et élaborer les programmes d’études. Pendant ce temps, un groupe de travail, comprenant des représentant·e·s des gouvernements fédéral et provincial, se penchera sur la question financière. L’Université de l’Ontario français ouvrira ses portes dès 2021, à Toronto.x

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Monde francophone

TUNISIE

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TEXTES: Ange SAuder INFOGRAPHIE: RAFAEL MIRO

a Tunisie s’est rendue aux urnes ce dimanche 15 septembre pour le premier tour de son élection présidentielle, qu’on a décrit comme le seul scrutin démocratique et libre du monde arabe. Après une campagne à remous sur fond de grave crise économique et de pauvreté persistante dans la Tunisie rurale, les citoyens ont opté pour deux candidats antisystèmes, n’appartenant pas à la classe politique traditionnelle, en place depuis la révolution de 2011. Nabil Karoui, célèbre magnat de la presse qui a subitement, et en pleine campagne, été incarcéré pour fraude fiscale, a su se montrer proche des plus modestes. Sa candidature a tenu bon et les Tunisiens lui ont accordé 15% des suffrages, contre 19% pour Kaïs Saïed, candidat indépendant conservateur et constitutionnaliste. À noter, la faible participation, estimée à 45%, contre 64% en 2014, ainsi que le double échec du parti islamiste Ennahda et des socialistes jusqu’ici au pouvoir. x

CAMEROUN

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ette semaine, le Cameroun s’est enlisé un peu plus dans une crise nationale sur fond de différences linguistiques. En effet, les régions majoritairement anglophones de l’ouest du pays en bordure du Nigéria, dont le discours est historiquement teinté de sécessionnisme, ont pris les armes depuis 2017 contre le gouvernement de Yaoundé; les manifestations séparatistes se sont grandement intensifiées dans les derniers mois. Le 10 septembre, le président Paul Biya a appelé le 10 septembre au « grand dialogue national », sans grand succès auprès de l’opposition. Le conflit s’est déplacé cette semaine dans les salles de classe, puisque la grande majorité des enfants du Cameroun anglophone ne se sont pas rendus à l’école en raison d’un boycott des écoles francophones ; on estime que seuls 7 000 enfants sur plus de 4 000 000 se sont déplacés. L’offre de gratuité scolaire du gouvernement faite en réaction n’a guère provoqué l’effet escompté.» x

FRANCE

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n France, le gouvernement Macron s’est trouvé embourbé dans un nouveau scandale alors que le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, l’ancien secrétaire du parti présidentiel et son ministre durant un mois, a été mis en examen pour une double affaire révélée deux ans auparavant. Il serait question d’une prise illégale d’intérêts en tant que directeur général des Mutuelles de Bretagne, poste que Ferrand a occupé de 1993 à 2012, ainsi que de la non-déclaration beaucoup plus récente d’assistants parlementaires à l’Assemblée nationale, parmi lesquels aurait fait partie le propre fils de Richard Ferrand. Cet énième scandale résonne fort dans les rangs de l’opposition, qui critique un gouvernement dont le premier projet de loi était une loi de moralisation de la vie politique. x

RUbrique

Verts, mais quoi d’autre? Les positions du Parti Vert du Canada sur des sujets autres que l’environnement. RAFAEL Miró

Le Délit

Depuis sa fondation en 1983, le Parti Vert du Canada (PVC) a toujours eu pour vocation première de défendre des causes environnementales à la chambre des communes. D’ailleurs, dans l’esprit de la plupart des électeurs, un vote pour le Parti Vert équivaut à un vote en faveur de la protection de l’environnement. Pourtant, depuis que leur cheffe Élizabeth May a été élue à la Chambre de Communes, en 2011, les Verts ont dû se prononcer sur une multitude d’enjeux, certains sans lien avec l’environnement ; or ces prises de position restent majoritairement méconnues du public. Une économie citoyenne En matière d’économie, la proposition la plus ambitieuse du Parti Vert est certainement d’établir un revenu minimum garanti, c’est-à-dire un montant d’argent fixe distribué chaque mois à chaque canadien, qu’il soit chômeur ou non.

Selon les économistes qui en font la promotion, cette allocation, qui viendrait remplacer tous les transferts gouvernementaux permettrait de garantir une sécurité financière à tous les citoyens tout en réduisant les coûts bureaucratiques. Le Parti Vert chercherait aussi à implanter une assurance médicamentaire qui rendrait gratuits tous les médicaments prescrits par un médecin. Il cherche aussi à établir une agence gouvernementale d’achat de médicaments qui permettrait de négocier le prix des médicaments directement avec les compagnies pharmaceutiques. Pour les étudiants universitaires, le Parti Vert compte abolir les frais de scolarité. Il faut noter ici que le Parti Vert ne s’engage qu’à travailler avec les provinces pour mettre en place la gratuité, car l’éducation est une compétence provinciale et non fédérale. La formation politique mettrait aussi en place un programme pour effacer les dettes étudiantes individuelles qui dépassent les 10 000$,

le délit · mardi 17 septembre 2019 · delitfrancais.com

ainsi qu’un programme de bourse pour aider les étudiants à la maîtrise et au doctorat. Chose surprenante, afin de diminuer la consommation de pétrole étranger au Canada, le PVC soutiendrait la production et la distribution du pétrole des sables bitumineux albertains. La logique du parti est de consommer davantage de pétrole canadien pour cesser l’importation de pétrole étranger, jugée plus polluante à cause du transport. Cette prise de position, qui peut s’expliquer par une volonté de ménager les électeurs des provinces dont l’économie dépend de la production pétrolière, a créé des désaccords au Québec, où l’exploitation des sables bitumineux est très mal perçue par l’opinion publique. Dans un message sur Twitter, le chef du Bloc Québécois a par exemple décrié les « mauvaises surprises » du parti. Le chef du Parti Vert du Québec, Alex Tyrell, a quant à lui exprimé sa dissension en rappelant que le pétrole des sables bitumineux était

beaucoup plus polluant que le pétrole polluant que le pétrole importé, même en comptant les émissions de transport. Dans le contexte de la compétition féroce entre le PVC et le NPD pour obtenir les faveurs des électeurs progressistes au Québec, cette prise de position contrastant avec l’opinion publique pourrait faire mal. Par ailleurs, lundi, le NPD a annoncé avoir recruté l’environnementaliste Réjean Hébert, un ancien chef du Parti Vert du Québec. Un progressisme social contesté Pour ce qui est des enjeux sociaux, le Parti Vert est largement en accord avec le Parti Libéral et avec le Nouveaux Parti Démocratique, progressistes socialement. La position du parti sur l’avortement fait toutefois régulièrement la cible d’attaques de la part des autres partis de gauche, notamment du Bloc et du NPD. Mme May, une anglicane pratiquante, a en effet affirmé par le passé qu’elle ne croyait pas que les femmes avaient « le droit frivole de choisir » et qu’elle avait

Evangéline Durand-Allizée déjà dissuadé plusieurs femmes de se faire avorter. Toutefois, elle a toujours affirmé par la suite qu’elle soutenait le droit des femmes de choisir et qu’elle n’avait jamais oscillé sur cette position. Mme May a ravivé la controverse autour de sa position en déclarant qu’elle n’interdirait pas à ses députés de présenter d’éventuels projets de loi antiavortement, mais la cheffe des Verts a par la suite fait volte-face en affirmant qu’elle expulserait du caucus les députés déposant de tels projet. x

actualités

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Société societe@delitfrancais.com

OPINION

Désobéir, c’est construire Un guide non-exhaustif de la désobéissance civile : philosophie, tactiques et implications.

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et article n’est pas un appel à s’engager dans des actions de désobéissance civile. Il vise à partager avec les lecteur·rice·s les informations apprises lors d’une journée de formation à la désobéissance civile organisée par le groupe environnemental Exctinction Rebellion Québec. La première chose à retenir est que les actions de cette nature présentent d’importants risques et des conséquences très réelles, qui ont des implications différentes dépendamment des situations socio-économiques et personnelles de chacun·e. Ainsi, c’est plutôt un guide non exhaustif pour quelqu’un·e qui souhaiterait s’engager de cette manière. La situation climatique appelle à des mesures à la hauteur de l’urgence. La désobéissance civile y trouve tout son sens, mais c’est une méthode qui s’applique à bien d’autres luttes, tout comme il y a une multitude d’autres méthodes pour lutter contre l’effondrement climatique. Dans tous les cas, pèse le pour et le contre, renseigne-toi et réfléchis bien avant de t’engager dans une action. Comme tu vas le voir, la non-violence est un principe clé de la désobéissance civile. Être violent ne t’aidera pas à atteindre tes objectifs. Si tu adoptes des tactiques violentes pour te battre contre un système que tu juges violent, tu brouilles la distinction entre toi et tes adversaires. L’objectif de la désobéissance civile, c’est de participer à la vie politique publique, pas de la détruire. Voici donc une introduction à la désobéissance civile, pour ceux·elles qui souhaitent s’y engager, mais aussi pour ceux·elles qui ne connaissent pas ce mode d’activisme et qui veulent mieux le comprendre — ou le découvrir. x

La désobéissance civile, qu’est-ce que c’est ?

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l n’y a pas d’unanimité sur la définition de la désobéissance civile. Cependant cinq principes sine qua non caractérisent une action de désobéissance civile, sans lesquelles une action ne peut être qualifiée comme telle.

Premièrement, l’action doit être volontaire. L’idée est d’envoyer un message fort : puisque tous les autres recours ont été épuisés dans notre combat et que la situation est trop grave pour ne pas agir, nous sommes prêt·e·s à désobéir, et ce malgré les risques. Deuxièmement, la désobéissance civile est une action politique : c’est un engagement

qui est résolument au service du bien commun et non pas pour son intérêt personnel. Troisièmement, ce sont des actions qui sont publiques et assumées. En étant publiques, elles rappellent l’importance de la distinction entre moralité et légalité. Ce qui est légal n’est pas forcément moral, et inversement. Dans ce sens, c’est un appel à être jugé·e sur le caractère éthique d’une action et non pas uniquement sur son caractère légal. Quatrièmement, c’est une action qui est nécessairement régie par un principe moral supérieur. Puisque ces actions

ne sont généralement pas régies par le principe de légalité, elles doivent être guidées par un principe moral, telles que l’égalité ou la protection de la planète. Grâce à cela, elles permettent de mettre l’opinion publique de son côté et de questionner la légitimité de la justice étatique. Enfin, le dernier principe est celui de non-violence. En général, les actions de désobéissance civile cherchent à s’opposer à un système violent. S’opposer à la souffrance en cherchant à faire souffrir, c’est non seulement perdre l’avantage moral dont tu disposais, mais aussi le moyen parfait pour

créer une spirale de violence qui devient rapidement hors de contrôle. Par ailleurs, il faut être conscient·e que la désobéissance civile est une manière de se faire entendre dans un état de droit où la violence n’a pas sa place. En étant non-violent·e, tu ne t’opposes pas seulement à tes adversaires, mais aussi plus généralement à un état de droit qui doit être remis en cause. La non-violence se justifie aussi pour des raisons stratégiques. Historiquement, les résistances non-violentes ont atteint leur objectif à des taux plus élevés que les résistances violentes. En effet, recourir à la violence, c'est offrir

à ses adversaires les arguments dont il·elle·s ont besoin pour justifier leur propre violence. Et en étant réaliste, il faut également reconnaître que le rapport de force entre les activistes et l’État penche bien souvent du côté de l’État. En revanche, la non-violence souligne la violence structurelle de ceux·celles à qui tu t’opposes. De ce fait, elle crée un dilemme pour l’État : s’il réprime le mouvement violemment, cela va générer de la publicité et de la sympathie pour le mouvement. S’il ne le fait pas, tu auras tout l’espace public pour faire valoir tes idées et rallier des gens à ta cause. Dans les deux cas, le mouvement que tu défends sortira gagnant. x

Comment préparer une action ?

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est de savoir pourquoi tu t’engages pour savoir comment t’engager.

Quelle est la problématique de la lutte ?

Quel est l’environnement socio-politique dans laquelle ta lutte s’inscrit ?

Autrement dit, quelles sont tes raisons pour agir ? En fonction de ton objectif, tu adopteras des tactiques différentes. Si tu as besoin de créer un mouvement de grande ampleur pour gagner ton combat, l’objectif de ton action va probablement être d’informer la population et de faire valoir ton point de vue. Pour ce faire, tu pourrais par exemple protester devant un lieu symbolique pour obtenir l’attention des médias. Au contraire, si tu cherches à faire plier un adversaire ciblé, tu auras peut-être intérêt à adopter d’autres tactiques. L’idée

Il est important d’avoir une conscience claire de l’environnement dans lequel s’inscrit ton combat. Ainsi, tu pourras identifier les potentiels obstacles auxquels tu devras faire face ou les opportunités dont tu pourras bénéficier. Par exemple, tu peux diviser les acteurs de la scène publique en cinq catégories : allié·e·s actif·ve·s, allié·e·s passif·ve·s,

l y a plusieurs questions à se poser pour décider de quelle action mener.

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Société

neutres, opposant·e·s actif·ve·s et opposant·e·s passif·ve·s. L’on a tendance à penser que pour faire progresser une cause, il est indispensable de convaincre les opposant·e·s les plus radicaux·ales. En réalité, cette stratégie se révèle épuisante et contre-productive.

Une meilleure utilisation de tes ressources consisterait à essayer de faire glisser chaque tranche d’acteur·rice·s d’un cran dans ta direction. Ainsi, ceux·celles qui étaient auparavant tes opposant·e·s les plus radicaux·ales et qui te confrontaient sur le terrain sont maintenant simplement en désaccord idéologique. Ceux·celles qui étaient en désaccord idéologique sont maintenant simplement neutre, et ainsi de suite. C’est comme cela que tu rallieras des sympathisant·e·s et que tu limiteras l’opposition à ta cause. De quelles ressources matérielles, humaines et financières disposes-tu pour mener à bien ton combat ?

Un état des lieux honnête de tes capacités est nécessaire pour décider de la manière dont tu vas mener ton combat, de tes priorités et en partie de tes chances de succès. Plus tu auras une idée précise de tes ressources actuelles, plus il sera facile de t’organiser. Notamment, il est important que tu adaptes ta stratégie aux ressources dont tu disposes. Si ton objectif est de rallier la population à ta cause mais que ton mouvement est complètement inconnu, tu auras peut-être intérêt à faire du tractage pour te faire connaître avant de t’engager dans une action de désobéissance civile. À l’inverse, un mouvement qui regroupe plusieurs milliers de personnes mais qui n’arrive pas à se faire entendre adoptera peut-être d’autres méthodes. x

le délit · mardi 17 septembre 2019 · delitfrancais.com


Une fois préparé·e, voici quelques éléments de planification pour mener ton action L’aspect médiatique

L’aspect pratique

Généralement, l’attention des médias est de ton côté. Elle te permet de défendre ton point de vue publiquement et de contribuer à la discussion politique. Préparetoi à devoir communiquer avec les médias avant, pendant et après ton action. L’objectif est d’être capable de résumer ton message et le but de ton action d’une manière concise et poignante. Le temps des journalistes et l’attention du public sont des biens précieux. Tu auras donc plus de chance de voir tes idées relayées si tu les résumes en un message-choc. Mémorise ces messages clés pour te faire entendre lors de ton action. Enfin, n’oublie pas d’adapter tes stratégies de communication au public visé, et donc aux médias avec lesquels tu communiques.

Une action de désobéissance civile est un moment intense. Il faut veiller à être bien préparé·e pour ne pas être pris·e au dépourvu. Voici quelques conseils : Visualise le lieu de l’événement avec tes co-activistes pour avoir une idée claire d’où se passera l’action. Prépare des vêtements chauds, des snacks et de l’eau. Pense à prendre des produits sanitaires, pour toi et ceux autour de toi qui pourraient en avoir besoin. Note le numéro de ton avocat·e sur un papier que tu ne vas pas perdre, ou sur ton bras. Si jamais tu te fais arrêter, ce sera nécessaire de pouvoir le·a contacter.

• • • •

Que faire si tu te fais arrêter au cours de ton action ?

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uisque les actions de désobéissance civile par définition enfreignent la loi, il est important de savoir comment agir si tu te fais arrêter. Se faire arrêter est une expérience éprouvante qui peut avoir des conséquences légales et psychologiques à long terme. Avant de t’engager, il faut donc que tu réfléchisses à quelles sont tes limites, les risques que tu es prêt·e à prendre et que tu te renseignes sur les potentielles conséquences légales de tes actions. Lors d’une intervention des forces de l’ordre, commence par demander explicitement aux policier·ère·s si tu es en état d’arrestation ou de détention. Si oui, il·elle·s ont l’obligation de te donner les raisons de ton arresta-

tion ou de ta détention. Si tu es détenu·e, il·elle·s t’expliqueront aussi tes droits, y compris le droit de garder

le silence. À ce stade, c’est probablement la meilleure chose que tu puisses faire : les policier·ère·s sont formé·e·s pour te mettre en confiance afin de récolter des preuves qui pourraient t’in-

criminer, toi ou tes partenaires d’action. Il·elle·s te diront par exemple qu’il·elle·s savent que tu n’es pas responsable et que si tu coopères avec eux·elles, tu seras libéré·e plus rapidement. Lorsque tu es mis·e en détention, tu as le droit de contacter ton avocat·e. Fais-le. Si tu n’as son numéro, tu peux donner son nom aux agent·e·s de police. Il·elle·s sont légalement obligé·e·s de le·a contacter. Si tu n’as pas d’avocat·e et que tu es admissible à l’aide juridique,

cat·e sont protégées par le secret professionnel. Autrement dit, tu peux, et tu es encouragé·e à tout raconter dans les moindres détails à ton avocat·e. À la fin de ta détention, le plus probable est

un·e avocat·e de l’aide juridique te sera assigné·e. Toutes les discussions entre toi et ton avo-

que tu sois relâché·e avec ou sans date de comparution. Dans certains cas, tu auras des condi-

tions à respecter entre ta mise en liberté et ta comparution. Ce n’est pas le plus probable et dans tous les cas, tu pourras en discuter avec ton avocat·e. Dans des cas très rares, tu pourrais être maintenu·e en détention en attendant ta comparution devant un·e juge. Encore une fois, ton avocat·e sera présent·e pour te conseiller. Enfin, lorsque tu seras relâché·e, il est conseillé que tu écrives de manière confidentielle et détaillée tout ce qu’il s’est passé à partir du début de l’action jusqu’à ta sortie de détention. Ça te sera utile pour aider ton avocat·e à préparer ta défense si tu as un procès. Si ta comparution est plusieurs mois après l’action, tu ne veux pas avoir oublié ce qu’il t’est arrivé en détention. x

Que faire après une action ?

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e crois que tu l’as compris, une action de désobéissance civile peut être psychologiquement dure. Une fois que c’est fini, la meilleure chose que tu puisses faire est de prendre soin de toi et de tes co-activistes. Dans les jours qui suivent l’action, il est important que vous

vous retrouviez tous·tes ensemble dans une atmosphère sécuritaire pour débriefer. Faites en sorte que la parole soit libre et que tout le monde se sente bien. Parlez de ce qui vous a plu ou non dans l’action, des stratégies que vous avez trouvé plus efficaces et bénéfiques

que d’autres, etc. Surtout, partagez comment vous vous sentez. Il est important d’être connecté·e à soi et aux autres dans les moments difficiles. Pour la suite, reste en contact avec tes camarades activistes et assure-toi que tout le monde se sente à l’aise pour exprimer ses

émotions. Parfois, l’impact psychologique d’une action et de ses conséquences ne se fait ressentir que plusieurs semaines après. Il est donc important d’avoir un environnement où chacun·e prend soin de l’autre et où chacun·e se sent libre d’exprimer comment il·elle se sent. x

Des ressources supplémentaires

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omment t’impliquer, en désobéissant ou non ?

Dans le contexte d’urgence climatique actuelle, de plus en plus de groupes écologistes se mobilisent. Parmi eux, certains utilisent des méthodes de désobéissance civile, et d’autres non. Dans tous les cas, rappelle-toi que tu es libre de t’engager de la manière que tu le souhaites. Voici une petite liste : Climate Justice Action McGill est un groupe transnational qui lutte contre la crise climatique, avec une branche spécifique pour les étudiants McGillois·es. La Planète s’invite … au Parlement, à l’Université, en Santé. Ce sont des collectifs de citoyen·ne·s réuni·e·s thématique-

le délit · mardi

ment et dont le but est de créer un mouvement d’ampleur assez large pour forcer les gouvernements à répondre à l’urgence climatique.

Greenpeace. C’est une organisation non-gouvernementale qui lutte pour la protection de l’environnement et de la biodiversité.

Si tu veux en savoir plus sur la désobéissance civile, tu peux lire :

Extinction Rebellion (XR) Québec est à l’origine de la formation qui a fourni les éléments de cet article. Crée au Royaume-Uni, ce mouvement organise des actions de désobéissance civile pour se faire connaître et forcer les gouvernements à agir face à l’urgence climatique. Il organise une présentation à McGill le 20 septembre.

Que tu t’engages à long terme ou non, je t’encourage à participer à la grève générale pour le climat le 27 septembre à Montréal. C’est l’occasion parfaite de montrer à nos responsables politiques que la population est capable de se mobiliser. Greta Thunberg sera là, Concordia a annulé les cours de la journée. Que fera McGill ? x

Volontaire, Étienne de la Boétie

Equiterre est une organisation québécoise à but non-lucratif dont l’objectif est d’encourager les individus, les organisations et les gouvernements à faire des choix écologiques, équitables et solidaires.

Discours de la Servitude La Désobéissance Civile, Henry David Thoreau De la désobéissance civile, Jean-Marie Muller Théorie de la Justice, John Rawls La lutte nonviolente, Gene Sharp

Article écrit par Contributeur Illustrations par béatrice Malleret Éditrice Société

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témoignage

Vivre avec, mais ensemble Présentation de la Maison d’Hérelle, centre de soins pour personnes vivant avec le VIH. charlotte aubourg

Contributrice

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orsque je suis arrivée pour mon premier jour de stage à la Maison d’Hérelle, je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre. Tout ce que je savais était que j’allais entrer dans le quotidien d’une maison d’hébergement au fonctionnement atypique pour personnes en perte d’autonomie vivant avec le virus de l’immunodéficience humaine (VIH). J’avais déjà été sensibilisée à cette maladie chronique lors d’un stage deux ans auparavant, dans un foyer pour enfants vivant avec le virus. Cette fois-ci, l’âge des résident·e·s me promettait une toute autre expérience : la majorité ayant été touchée au début de l’épidémie dans les années 1980, j’allais être confrontée à différents profils, avec une histoire et des souvenirs témoignant de l’évolution de la maladie, tant au niveau médical que sociétal. Une trajectoire changeante La Maison d’Hérelle a ouvert ses portes en 1990 afin de pallier au manque de ressources offertes par la ville de Montréal. Son but premier était d’offrir des soins palliatifs dans un milieu empathique aux personnes mourant du Syndrome d’immunodéficience acquise (SIDA). L’organisme entretenait alors — et c’est toujours le cas — une vision globale de la santé, prenant en compte la personne à part entière au lieu de se concentrer seulement sur la maladie. Un des aspects fondamentaux de cette vision holistique est l’offre de soins complémentaires à ceux de la médecine générale afin de rendre le plus agréable possible ces derniers moments, et d’éviter de réduire la personne à sa maladie.

« L’organisme [entretient] une vision globale de la santé, prenant en compte la personne à part entière » L’histoire de la Maison d’Hérelle suit celle de l’évolution du VIH/ SIDA. En effet, à partir des années 2000, avec l’avènement des antirétroviraux et de la trithérapie, la maladie peut se traiter et se gérer. Les personnes atteintes peuvent vivre aussi longtemps qu’un individu qui ne l’est pas. Dès lors, le rôle et le but de la maison d’hébergement changent

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radicalement. Les soins palliatifs n’étant plus sa responsabilité majeure, le centre médical et associatif doit désormais répondre aux aspects connexes de la maladie. La maison devient alors un centre de transition, de repos ou de convalescence où sont accueillies les personnes atteintes du VIH qui souffrent aussi d’autres conditions particulières. La marginalisation, la précarité, l’itinérance, la détention, l’addiction, la maladie et les problèmes psychologiques et moteurs sont également des aspects qui entrent en jeu et sont pris en compte dans le cadre des soins apportés aux résident·e·s.

« La marginalisation, la précarité, l’itinérance, la détention, l’addiction [...] sont également pris en compte dans le cadre des soins apportés » L’autonomie avant tout La Maison a effectivement un fonctionnement atypique; l’une de ses caractéristiques est que l’autonomie des résident·e·s est placée au cœur de la démarche de soin. Cela se manifeste de plusieurs manières. Premièrement, ce sont les résident·e·s qui décident quand et si il·elle·s intègrent la Maison. Lorsqu’un·e résident·e potentiel·le y est référé·e, un·e représentant·e va à sa rencontre et lui présente la vision de la maison, son fonctionnement, ses règles afin que celui-ci décide si le système lui convient. Le cas échéant, le·a résident·e sera assigné·e à un·e intervenant·e lors de son arrivée, et ensemble il·elle·s élaboreront un « projet personnel », qui permettra de fixer des objectifs et d’établir une marge de progression, qui déterminera ensuite la date de son départ, soit vers une autre institution ou organisme, soit dans un appartement. Ces objectifs sont de nature variée, et changent d’un·e résident·e à un·e autre : retrouver une meilleure forme physique, prendre du poids, trouver un travail, prendre ses traitements de manière autonome, ou encore réussir à s’éloigner d’un·e conjoint·e violent·e par exemple. Les résident·e·s sont libres de partir à tout moment.

D’autre part, la maison fonctionne de manière horizontale et participative. Régulièrement se tiennent des réunions rassemblant divers membres de l’équipe ainsi que tou·te·s les résident·e·s ou leurs représentant·e·s, afin de discuter d’éventuels problèmes, d’écouter les suggestions et de noter les progrès qui pourraient être mis en place. Lors d’une réunion à laquelle j’ai assisté entre les résident·e·s et la directrice de l’organisme, un sujet qui est ressorti est l’utilisation des téléphones portables à table. Comme c’est le cas dans certaines maisons, la règle de ne pas utiliser son téléphone aux repas a été instaurée. Une telle règle — qui peut sembler anecdotique — témoigne des efforts mis en place afin de privilégier le bien-être des résident·e·s et le vivre-ensemble, qui s’étend à tous les aspects de la vie quotidienne, au-delà des soins individuels. Une approche holistique Un autre aspect particulier du centre de soins est la transmission d’une vision globale de la santé. En effet, bien que les résident·e·s doivent suivre la thérapie prescrite par le corps médical, la maison a toujours intégré des compléments afin de favoriser le bien-être des personnes. L’équipe essaye de soulager les symptômes dont souffrent les résident·e·s (neurologiques, psychologiques, physiques, moteurs) au maximum, par des soins et des activités complémentaires aux soins médicaux. C’est ainsi que, toujours bénévolement, une massothérapeute vient partager son expertise à la maison, que certains membres de l’équipe apportent leur savoir en naturopathie ou encore qu’un potager a été mis en place afin de faire profiter des aspects positifs que procure le jardinage sur la santé mentale. Grâce à ce genre d’approche, une bénévole a, par exemple, réussi à calmer un résident qui présentait des signes de crise d’épilepsie grâce à sa formation en Reiki, une méthode de soin japonaise qui joue sur la balance énergétique de la personne. Le fait que l’équipe prête attention à différents aspects de la santé et propose des alternatives a démontré un effet plus que positif, tant au niveau individuel que communautaire. Au-delà des multiples enseignements que m’a apporté ce stage, notamment au niveau de la gestion de résident·e·s, de la maladie, du fonctionnement d’un organisme communautaire, les résident·e·s eux·elles-mêmes

évangéline durand-alizée

« L’équipe essaye de soulager les symptômes [...] au maximum, par des soins et des activités complémentaires aux soins médicaux » sont ceux·celles de qui j’ai le plus après. J’étais en effet amenée à les côtoyer au quotidien grâce à mon rôle de stagiaire ­— les assister à faire leur toilette, emmener chez le médecin ceux·celles qui ne pouvaient s’y rendre seul·e, les accompagner pour une promenade ; ce sont ces activités quotidiennes qui m’ont permis de petit à petit apprendre à les connaître et à établir un lien de confiance et d’amitié. Grâce à cela, certain·e·s se sont mis·e·s me confier des histoires person-

nelles, m’expliquant le début de la maladie, les obstacles auxquels il·elle·s ont dû faire face, ainsi que leur peine de ne plus pouvoir vivre seul bien qu’il·elle·s soient conscient·e·s des raisons de ce changement. Certain·e·s m’ont également témoigné leur joie d’être entouré·e·s dans cette maison et la satisfaction qu’il·elle·s éprouvent à en faire partie. L’équipe y est en effet extraordinaire, impliquée et empathique, et je pense que cela fait toute la force de l’organisme.x

Le site web de La Maison d’Hérelle, pour faire des dons et pour plus d’informations sur le bénévolat : http://maisondherelle.org/

le délit · mardi 17 septembre 2019 · delitfrancais.com


Philosophie Portrait de philosophe

philosophie@delitfrancais.com

« Car la vie de quelqu’un, même la plus humble, est un déroulement inédit et original d’une suite d’expériences unique en son genre. Le témoin ne peut donc juger qu’à la condition de rester témoin jusqu’au bout. Qui sait si la dernière minute ne viendra pas d’un seul coup dévaluer une vie apparemment honorable ou réhabiliter au contraire une vie exécrable ? » Vladimir Jankélévitch

Le temps de l’action

Contributions de Sartre au Québec contemporain. Laurence Caron-Bleau

Contributrice

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e 29 octobre 1945, JeanPaul Sartre donna une conférence à Paris suite à des réactions controversées et médiatisées concernant ses romans, dans lesquels il partage cette philosophie que l’on nomma par la suite « existentialisme sartrien ». Les propos de Sartre seront couchés sur papier l’année suivante et c’est entre autres ce caractère concis et accessible qui rend L’existentialisme est un humanisme d’autant plus riche et intéressant. Malgré l’écoulement de plusieurs décennies depuis cet exposé, la lecture n’en demeure pas moins stimulante dans une perspective contemporaine. Le Québec étant devenu, en très peu de générations, une société majoritairement laïque, les propos de Sartre trouvent y un laboratoire expérimental d’intérêt. Dieu est mort En 1882, Friedrich Nietzsche énonçait dans le Gai savoir une phrase censée illustrer le moment du tournant de la modernité : Dieu est mort. Toute la philosophie française pris acte de cette déclaration ou s’y attaqua. Sartre appartenait à la première des catégories. Si Dieu n’existe pas, il n’y a alors pas de religion — peu importe soit-elle— de laquelle découleraient des institutions ou des textes sacrés qui pourraient nous dicter notre conduite. Valeurs et dichotomie entre Bien et Mal ne demandent plus à ce qu’on s’oblige à elles. En ce sens, il n’y aurait pas de morale générale ou de valeurs a priori qui puissent justifier nos actes ou les excuser d’une quelconque façon : « l’homme a la res-

ponsabilité totale de son existence [et n’]a d’autre législateur que luimême. » Sartre tient néanmoins à nuancer que « même si Dieu existait, ça ne changerait rien [...] », car en dépit du fait que les religieux astreignent souvent leur croyance à leurs descendants, il est généralement admis que l’être humain atteint un certain âge où son intelligence et son esprit critique se développent à un niveau suffisant, de manière à ce qu’il puisse choisir de se conformer à cette religion et ses normes, ou d’en diverger. Or, peu importe où le choix s’arrête, le croyant en devient le responsable. S’assumer en tant que législateur de sa vie passe parfois comme un

celle de l’échec, ce qui s’avère un risque difficile à assumer: non seulement l’échec constitue une possibilité effrayante, mais la réalisation que nous détenons pleinement cette responsabilité l’est davantage. Le conformisme devient en ce sens un mécanisme de fuite. On préfère des choix imposés à la pure liberté et la responsabilité qui s’y enchaîne : l’homogénéité de nos manières de vivre et de penser paraît évidente au regard de l’incommensurable popularité des modes, qu’elles soient musicales, esthétiques ou même politiques. À la lumière de ces constats, il semble qu’il ne peut être tout à

Die Gartenlaube (1895)

qu’à un mode de vie passif : nos rêves, nos possibilités et même nos pensées ne nous donnent absolument aucune valeur. Seule la réalité compte et « [il] n’y a de la réalité que dans l’action ». Il est évident qu’il existe un inévitable déterminisme et des limites objectives à notre liberté, telles

« En absence d’antécédents, la possibilité de la réussite n’apparaît équivalente qu’à celle de l’échec, ce qui s’avère un risque difficile à assumer: non seulement l’échec constitue une possibilité effrayante, mais la réalisation que nous détenons pleinement cette responsabilité l’est davantage » fardeau lourd à porter. Ainsi, le conformisme peut s’expliquer en partie par cette trop grande liberté face au monde et à soi-même. En effet, il semble paradoxal de vivre au sein d’une société dans laquelle nos libertés n’ont, de prime abord, aucune limite, cela alors que l’on s’abstient de choisir très souvent. On évite le choix et l’angoisse concomitante en optant pour le confort et la sécurité que nous procure la force de la majorité. L’origine de cette angoisse émane de la peur et de l’insécurité du néant qui s’ouvre devant celui ou celle qui bifurque des tracés du troupeau. En absence d’antécédents, la possibilité de la réussite n’apparaît équivalente qu’à

Evangéline Durand-allizé

le délit · mardi 17 septembre 2019 · delitfrancais.com

fait légitime de qualifier notre société de laïque, tant celle-ci s’est construite en tant que société de consommation dans laquelle les célébrités se substituent en quelque sorte à la figure divine. Comme quoi, ce n’est qu’une nouvelle mythologie qui aurait repris le pas d’une autre dont on aurait perdu l’intérêt, mais toujours dans le but inconscient de ne pas assumer notre totale responsabilité, notre entière liberté. Les célébrités d’aujourd’hui dictent les habitudes de consommation et les fidèles obéissants se soumettent à cette autorité jugée presque providentielle. Dans cette nouvelle religion, l’esprit de communauté perdu est également ravivé d’une manière nouvelle : des adeptes d’une même marque se retrouvent entre eux, connectant à travers cette croyance commune. Toutefois, il ne faudrait pas conclure à une vision fataliste, car du moment où l’on prend conscience de cette aliénation, on en est déjà partiellement affranchi. C’est du moins cet enseignement que l’on tient de Sartre. Notre liberté nous appartient encore, il suffit de la saisir : « Il n’y a pas de doctrine plus optimiste, puisque le destin de l’homme est en lui-même. » Ce philosophe s’oppose au déterminisme disculpant ainsi

que l’hérédité ou les écarts grandissants de richesse à l’échelle planétaire, mais chaque individu se détermine de façon subjective par rapport aux limites qui lui sont imposées. Sartre s’exprimait ainsi : « L’existentialiste [...] dit que ce lâche est responsable de sa lâcheté. Il n’est pas comme ça parce qu’il a un coeur, un poumon ou un cerveau lâche, il n’est pas comme ça à partir d’un organisme physiologique mais il est comme ça parce qu’il s’est construit comme lâche par ses actes. [...] l’homme qui a un sang pauvre n’est pas lâche pour autant, car ce qui fait sa lâcheté, c’est l’acte de renoncer ou de céder [...]. » Philosophie de l’action Ces propos de Sartre nous interpellent quant à sa « philosophie de l’action ». Celle-ci s’explique par la fameuse assertion « l’existence précède l’essence », qui signifie que l’on est jeté dans ce monde et que c’est ensuite par nos actes-mêmes que l’on se définit, que l’on se choisit, que l’on se créé selon l’image qu’on se fait de l’être humain, « tel que nous estimons qu’il doit être ». Il faut cependant ajouter que par nos actions individuelles, l’on implique néanmoins la société

entière, car il apparaît impératif de toujours se questionner sur ce qui adviendrait si celle-ci prenait exemple sur nous et reproduisait nos actions, ces dernières reflétant le choix de nos valeurs. Il nous faut alors réfléchir ainsi : « Et si tout le monde faisait comme [nous]? ». Cette portée collective inscrite dans le texte de Sartre réaffirme une évidence qui nous a échappé, c’est-à-dire que nous sommes en continuelle interaction avec notre milieu et que nous partageons une influence réciproque avec notre société et ce, malgré l’individualisme qui ne cesse de prendre de l’ampleur. Dans l’optique de cette philosophie, l’analyse de la question environnementale, sujet très présent dans l’actualité étant donné l’urgence climatique, s’avère tout à fait pertinente. Effectivement, blâmer la société pour cette crise, si aucun effort n’est entrepris de façon individuelle, consiste à nous servir de l’indolence des uns comme d’une justification et d’une excuse pour ne soulager que notre conscience. De surcroît, seules nos actions peuvent témoigner de notre réel engagement envers le dérèglement climatique : notre prise de conscience et même la critique ne peuvent suffires, car ce serait prétendre que la réalité se situe dans la pensée, c’est-à-dire dans l’imaginaire, plutôt que dans l’action. Bref, le conformisme passif et vide de réflexion pourrait ouvrir l’espace d’une vraie responsabilité et enfin donner lieu à un mouvement collectif d’une profonde nécessité. x Oeuvres de Jean-Paul Sartre : L’Imagination (1936) La Nausée (1938) Esquisse d’une théorie des émotions (1938) L’Être et le Néant (1943) Huit clos (1944) L’existentialisme est un humanisme (1945) Beaudelaire (1947) Les Mains sales (1948) L’Idiot de la famille (1971-72)

Philosophie

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Culture

artsculture@delitfrancais.com

le délit et des livres

Reconquérir sa littérature

Retrouvez l’oeuvre marquante de la semaine : Une enfance créole. jérémie-clément pallud

Coordonnateur réseaux sociaux

P

armi les représentant·e·s de la littérature antillaise, rare sont ceux·celles ayant réussi à se faire un nom dans le paysage littéraire de la France hexagonale. Patrick Chamoiseau est de ceux·celles-là — en atteste le Prix Goncourt qui lui fut attribué en 1992 pour Texaco. Si ce roman constitue indéniablement une œuvre phare de la littérature antillaise de la fin du 20e siècle, sa trilogie Une enfance créole est pour moi le plus marquant de ses écrits. Enfance martiniquaise Le long de cette fresque autobiographique, Patrick Chamoiseau partage les souvenirs des premières années de sa vie à Fort-de-France, et s’interroge sur la construction de l’enfant en milieu postcolonial. Dans le premier tome Antan d’enfance (Antan signifie en créole martiniquais : « au temps de ; à l’époque de », ndlr), l’auteur nous immerge dans les

régissent les rapports humains. C’est notamment l’âge des premiers sentiments amoureux et des premières mélancolies qui semble marquer l’effritement imperceptible du temps de l’enfance (troisième tome : À bout d’enfance). Au fil de son récit initiatique, Patrick Chamoiseau dépeint à travers les yeux de son « négrillon » (auteur noir) les réalités d’une société martiniquaise marquée par une cohabitation inévitable entre victimes et initiateur·ice·s d’une violente histoire coloniale. La difficile entreprise d’améliorer sa condition au sortir du lot des victimes de cette histoire se fait femme dans cette fresque à travers le personnage de Man Ninotte, mère du négrillon et personnification du mythe de la fanm djok (femme forte) antillaise. Patrick Chamoiseau décrit une femme dont l’amour pour sa famille n’a d’égales que sa poigne et sa volonté sacrificielle, nécessaires pour subvenir aux besoins de sa progéniture et lui assurer un avenir meilleur. Au-delà de la seule mère de famille, Une enfance créole dépeint les tribulations de toute la popula-

capture la beauté de l’oralité créole et la mêle à un lexique français très riche. L’écriture de Chamoiseau regorge d’expressions et de tournures de phrases typiques au créole martiniquais, transposées en français. La langue ainsi créée est davantage apte à exprimer des ressentis difficilement traduisibles dans un français littéraire classique. Par ailleurs, la narration puise dans la tradition du conte créole en faisant plusieurs fois appel à des « répondeurs », seconde voix de narration ancrée dans le présent d’énonciation — ou présent d’écriture — et à laquelle l’auteur a recours pour éclairer des épisodes passés d’une sagesse contemporaine. Plus qu’une simple affaire de style, cette infiltration du créole dans la langue française peut, à la lecture de l’essai Écrire en pays dominé (1997) du même auteur, être interprétée comme un véritable acte d’émancipation de Patrick Chamoiseau, visant à renverser la domination assise par la langue française — outil colonial — sur le créole martiniquais, ce dernier ayant longtemps été considéré inférieur et méprisable.

évabgéline durand-allizé

« Il y a quelque chose d’insoupçonné et de formidable à lire d’enfance, son paysage social natal, expressions familières et la ripour la première fois, noir sur blanc dans les pages d’un ses chesse de sa culture. Mon éducation, roman, ses propres expériences d’enfance, son paysage social tant sociale que scolaire, en milieu postcolonial français, m’a continuelnatal, ses expressions familières et la richesse de sa culture » lement martelé que la seule culture

réflexions candides et les exaltations juvéniles qui caractérisent les premiers rapports de l’enfant au monde. S’en suivent ses premières aventures hors du cocon familial, marquées notamment par le temps des premiers apprentissages scolaires tel qu’évoqué dans le deuxième tome, Chemin d’école. Enfin, la focalisation de l’enfant passe progressivement du monde matériel aux personnes qui le peuplent et aux structures qui

tion foyalaise qui doit jouer des pieds et des mains pour se faire une situation tout en répondant aux attentes d’assimilation et de modernisation agressive imposées par l’administration française. Un style unique et engagé La plume de l’Oiseau de Cham — tel que se surnomme l’auteur — est singulière en ce qu’elle

Lire sur sa culture À presque 18 ans, et seulement après avoir quitté ma Martinique natale, Une enfance créole m’a introduit au monde de la littérature antillaise et par extension au plaisir de la représentation littéraire. Il y a quelque chose d’insoupçonné et de formidable à lire pour la première fois, noir sur blanc dans les pages d’un roman, ses propres expériences

digne de ce nom — celle qui se visite au musée, s’enseigne à l’école et se lit dans les livres — est la culture française. Ironiquement, c’est aussi l’expérience évoquée par Patrick Chamoiseau dans Chemin d’école, deuxième tome de sa fresque. De l’époque de l’auteur à la mienne, au collège comme au lycée, les seuls livres dignes d’intérêt, ceux que l’on dissèque en cours de français, sont de Maupassant, Hugo ou Zola. Aujourd’hui, l’enjeu n’est pas un

manque d’accessibilité à la littérature antillaise, celle-ci se trouvant assez aisément en librairie, mais plutôt un manque d’intérêt pour celle-ci, rendu institutionnel par l’éducation nationale française. Je me souviens très clairement avoir croisé plusieurs fois chez moi le premier tome d’Une enfance créole, sans n’avoir jamais vraiment eu l’envie de l’ouvrir, inconsciemment convaincu qu’un objet culturel antillais ne pouvait être que d’intérêt bien moindre à un objet culturel français. Ma première lecture d’Antan d’enfance a donc été pour moi une renaissance littéraire, une prise de conscience de la légitimité de mes vécus et de ma culture. X

Noir des îles Ouvrage collectif

Texaco Patrick Chamoiseau

Nos recommandations de littérature antillaise

Là où les chiens aboient par la queue Estelle-Sarah Bulle

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Culture

Ségou Maryse Condé

Pluie et vent sur Télumée-Miracle Simone Schwarz-Bart

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théâtre

L’Énéide laisse de marbre

L’interprétation contemporaine du texte tragique se concentre sur les boat-people.

Yanick Macdonald Grégoire collet

Rédacteur en chef

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our l’ouverture de sa saison, le Théâtre de Quat’Sous a choisi de présenter la pièce L’Énéide, écrite et mise en scène par Olivier Kemeid. Le texte a été joué pour la première fois en 2007 à l’Espace Libre. Suivant des éléments de l’épopée de Virgile, il est conjugué à une grille de lecture contemporaine, centrée ici sur la question des boat-people, les réfugié·e·s qui migrent par les eaux dans des conditions extrêmement insalubres. L’incipit donne le ton : une ville inconnue est attaquée et bombardée, obligeant les premier·ère·s protagonistes à fuir leur maison en flammes. La pièce commence dans des cris et des tirades scandant les faits, gestes et émotions de ceux·celles que l’on voit sur scène. Très vite, l’on comprend que le sujet sera amené avec les codes de la tragédie grecque. Lourde tragédie

En tant que spectateur, aller voir une pièce en sachant qu’elle traitera des boat-people force une certaine anticipation. Les nouvelles annonçant les morts brutales de réfugié·e·s dans les eaux de la Méditerranée, où des bateaux entiers sont bloqués aux frontières européennes, se font régulières. L’on pourrait s’attendre à se faire rappeler pendant plus d’une heure ­— ou même pour les jours qui suivent — ces expériences d’une violence inouïe. Peutêtre prendra-t-on un peu plus la mesure de leur gravité. Dans

L’Énéide, c’est cette dernière qui est le coeur battant de la pièce. Cela pourrait apporter l’aspect tragique que l’on attend, mais on frôle constamment le sensationnalisme. Autant dans le texte que dans le jeu, la tragédie est poussée à l’extrême ; les subtilités nécessaires à un tel sujet se perdent dans des répliques plus clichées les unes que les autres. Les efforts de style dans le texte paraissent déplacés tant elles vont loin dans leur grandiloquence. Ce malaise est tel que l’intention en amont de la création de la pièce devient gênante. Vouloir rendre compte

L’on suit les personnages à plusieurs moments, allant de la fuite aux traversées en bateau, jusqu’à la confrontation aux douanes ou bien lors d’interactions avec des trafiquants. La pièce est dense et se veut parfois chorale. L’on se perd dans les trajectoires des personnages, qui ne sont pas toutes racontées. Il n’y a, à vrai dire, qu’un seul personnage principal. C’est Énée, interprété par Sasha Samar, dont la trajectoire de sa tragédie — ou la tragédie de sa trajectoire — se dessine au fil de rebondissements et d’épisodes violents. S’il est le plus présent sur scène, il est impossible de

Universaliser les réfugié·e·s? Si L’Énéide a l’air de vouloir mettre des visages sur ceux et celles que l’on appelle boat-people, la situation de la pièce — qui n’est placée ni dans le temps ni dans l’espace — accentue l’effet hors-sol que donnait le texte. Les efforts d’universalisation des histoires de boat-people semblent bien sûr être volontaires, et doivent faire partie de l’idée de Kemeid de dépeindre ces tragédies sous une même idée, plutôt qu’une crise localisée en un territoire et en une population. Comme le reste, on voit une

« Si L’Énéide a l’air de vouloir mettre des visages sur ceux et celles que l’on appelle boat-people, la situation de la pièce — qui n’est placée ni dans le temps ni dans l’espace — accentue l’effet hors-sol que donne le texte » de la crise des réfugié·e·s à travers une réécriture de l’Énéide semble être un exercice de style, un défi lancé pour allier contemporain et classique sur scène. La situation des boat-people est suffisamment dramatique sans que l’ajout des codes de tragédie grecque soit nécessaire. La pièce devient pratiquement du divertissement dramatique tant le traitement du sujet est lunaire. Regarder le présent à l’aune d’un passé lointain de milliers d’années ne permet pas au texte de résonner davantage, au contraire. Les mots se perdent dans la lourdeur d’une langue qui n’a pour équivalent que le jeu des acteur·rice·s, essayant tant bien que mal de se l’approprier.

le délit · mardi 17 septembre 2019· delitfrancais.com

s’attacher à lui, comme aux autres d’ailleurs, tant les traits de sa personnalité sont sous-développés. L’on ne le voit réagir qu’en situation de crise, ne lui permettant ainsi jamais de réellement dévoiler son caractère. Les réfugié·e·s ne sont dépeint·e·s dans L’Énéide que comme des réfugié·e·s, victimes de leur tragédie. Le fait que la pièce s’ouvre immédiatement sur des bombardements confirme l’intention de ne traiter que de la condition des boat-people, de ne pas montrer le avant, ce qui empêche une réelle humanisation de ceux·celles que l’on est censés voir représenté·e·s sur scène. La pièce se veut engagée mais elle semble rater le coche sur beaucoup d’aspects.

intentionnalité, mais le tout est assez dérangeant. Universaliser ces récits dans une même tragédie, créer un récit uniforme en ce sens que la fuite par la mer est un point commun de ces personnes, efface les complexités que l’on ne saisit que trop peu lorsque l’on pense aux personnes réfugiées. Pourquoi se mêler à un tel sujet si l’on ne fait pas le travail de recherche qui rend justice à ces crises? Pourquoi ne pas mettre en lumière l’inaction des États qui ferment leurs frontières, ou ne pas aller plus loin dans la démonstration des injustices? Pourquoi inscrire ces récits dans une tragédie immuable, beaucoup trop ancrée dans l’imaginaire de la tragédie grecque pour

que quoi que ce soit ne résonne à la hauteur de l’importance du sujet? Le malaise atteint son apogée alors qu’à la fin de la pièce, des personnages se retrouvent dans une sorte d’au-delà où se rendent les âmes des réfugié·e·s. Commence alors une tirade énumérant toutes les populations ayant dû fuir par la mer ; l’auteur semble justifier ainsi son choix d’uniformiser les récits des boatpeople. Les réfugié·e·s ne peuvent pas être un simple sujet d’observation et de divertissement d’un théâtre qui se dit engagé. Le court descriptif de la pièce donné par le théâtre rappelle l’importance de la crise des réfugié·e·s, qui étaient au nombre de 22 millions en 2018. Ne serait-il pas temps alors que l’on parle réellement de ces sujets, plutôt que de mettre en scène une pièce tire-larmes qui ne touche pas le sujet en son sein et survole les questions politiques et climatiques pour lesquelles l’on devrait se sentir concerné·e·s? Choisir de rejouer cette pièce maintenant, preuve d’un exercice littéraire peut-être intéressant, ne la rend pas plus pertinente dans ce contexte. L’Énéide est non seulement déplacée, mais se complait dans un pseudo-engagement ancré dans l’imaginaire grec antique alors que le sujet mériterait une approche plus réaliste et éminemment plus politique. L’Énéide est en représentation au Théâtre de Quat’Sous jusqu’au 1er octobre. x

culture

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exposition

Présence autochtone et art engagé L’exposition Braver le monumental rend hommage à l’oeuvre de Rebecca Belmore. Justine Gendron

Contributrice

D

ans le cadre de la 29ème édition du festival Présence autochtone, plusieurs activités ont pris place à Montréal. Des membres des Premiers Peuples ont partagé des éléments de leurs cultures respectives lors de conférences, rendez-vous gastronomiques, spectacles, présentations de longs et courts métrages, et plus encore. Le Musée d’art contemporain de Montréal (MAC) a, pour sa part, eu l’occasion de présenter la plus importante exposition du travail de l’artiste Rebecca Belmore, Braver le monumental. Cette femme, membre de la Première Nation de lac Seul (Anichinabés), est une artiste de performance multidisciplinaire. Au cours de sa carrière, Rebecca Belmore a été récompensée à l’international pour son travail par des prix tels que le Gershon Iskowitz, de la fondation du même nom, en 2016, le Prix du Gouverneur général en arts visuels et en arts médiatiques en 2013, le Prix en arts visuels de

la Fondation Hnatyshyn en 2009, le prix VIVA de la Fondation Jack et Doris Shadbolt en 2004. Elle a également obtenu des doctorats honorifiques à l’Université d’art et de design Emily-Carr en 2017, ainsi qu’à l’Université de l’École d’art et de design de l’Ontario en 2005. Une de ses œuvres, reconnue comme l’une de ses plus poignantes, se nomme Onde sonore : celle-ci est constituée de trois sculptures, désormais exposées dans trois parcs nationaux canadiens. Belmore expose des séries de performances revendicatrices à travers le Canada, et ce, depuis 1991. En 2002, l’artiste s’est déplacée en Grèce, en Allemagne, et en Italie pour présenter ses performances et ses oeuvres. Elle est maintenant en résidence à Toronto dans le but de travailler à la réalisation de ses prochaines œuvres. Une exposition engagée L’exposition Braver le monumental, présentée au Musée d’art contemporain de Montréal jusqu’au 6 octobre, est un survol des trente dernières années de

La Société des publications du Daily recueille des candidatures pour son conseil d’administration. La presse étudiante vous passionne, et vous souhaitez contribuer à sa pérennité et à son amélioration? Est-ce que la gouvernance, les règlements et l’écriture de propositions sont votre tasse de thé? Dans ce cas, vous devriez envisager de soumettre votre candidature pour le Conseil d’administration de la Société des publications du Daily. Les administrateurs.trices de la SPD se rencontrent au moins une fois par mois pour discuter de l’administration du McGill Daily et du Délit, et ont l’occasion de se prononcer sur des décisions liées aux activités de la SPD. Les membres du conseil peuvent aussi s’impliquer dans divers comités, dont les objectifs vont de la levée de fonds à l’organisation de notre série annuelle de conférences sur le journalisme. Les postes doivent être occupés par des étudiant.e.s de McGill dûment inscrit.e.s aux sessions d’automne 2019 & hiver 2020 et en mesure de siéger jusqu’au 30 juin 2020, ainsi qu’un.e représentant.e des cycles supérieures et un.e représentant.e de la communauté.

Pour déposer votre candidature, visitez

dailypublications.org/fr/dps-conseil-2019 Questions? Écrivez à chair@dailypublications.org pour plus d’info!

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culture

évangéline durand-allizé

« Belmore et ses collaborateur·rice·s tentent de représenter une vision autochtone de ces enjeux, qui marquent comme un fer rouge le vécu des Premiers Peuples » l’œuvre de Rebecca Belmore. Cette exposition est organisée par le Musée des beaux-arts de l’Ontario et coordonnée par la conservatrice de l’art autochtone, Wanda Nanibush. Toujours en présentant à l’aide de médiums diversifiés, Belmore aborde des enjeux tels que les changements climatiques, l’accès à l’eau, les problèmes d’itinérance, entre autres. Les questions abordées dans ces œuvres cherchent à démontrer la nature pressante de la situation actuelle, et l’urgence d’un changement radical qui doit s’opérer. Belmore et ses collaborateur·rice·s tentent de représenter une vision autochtone de ces enjeux, qui marquent comme un fer rouge le vécu des Premiers Peuples.

d’y construire l’autoroute 105, en engageant comme main-d’oeuvre une grande majorité des membres issus de la communauté autochtone locale. Ces dernières ont d’ailleurs été maintes fois revendiquées par le peuple originaire du territoire. Cette Première Nation, les Oji-cris, se distingue pour ses connaissances des plantes et de leurs bienfaits, ainsi que pour le grand respect qu’elle accorde à ses terres et à son environnement. Ce peuple a vécu plusieurs violences, tant physiques, spirituelles et psychologiques que générationnelles, qui continueront de marquer les générations futures et qui créent des traumatismes au sein de la communauté. C’est entre autres de ces aspects que s’inspire Rebecca Belmore pour son travail.

La communauté d’origine de Belmore a vécu plusieurs traumatismes historiques qui ont largement influencé les champs d’intérêt de son art. Née en Ontario, Rebecca Belmore fait partie de la tribu Ojibwé. Le territoire de lac Seul abrite les fameuses rapides Ear Falls, nommées ainsi avant l’acquisition du territoire par le gouvernement, du fait de leur forme en paire d’oreilles. Au début des années 1900, le territoire a été pris de force à la communauté Ojibwé, pour y construire un barrage hydro-électrique. Quelques années plus tard, en 1955, des activités de déforestation ont été mises sur pied pour exploiter les ressources de l’Ontario. Avec ces nouvelles fonctions, le territoire est devenu un site touristique, visité pour ses nombreuses rivières et pour les activités de pêche et de chasse. Afin d’en faciliter l’accès, le gouvernement du Canada a décidé

Parole aux femmes autochtones Étant une artiste féministe de performance, Rebecca Belmore accorde aux femmes une grande visibilité dans son œuvre ; elle leur porte un amour et un respect qui transcendent son oeuvre. Belmore rend hommage aux femmes autochtones disparues et oubliées. Elle évoque les violences subies injustement par ces femmes, mais elle rappelle avec sensibilité et considération la force et l’importance qu’elles ont au sein des Premières Nations, notamment dans la transmission des cultures. Une des pièces les plus marquantes de l’exposition est le jumelage de l’œuvre Sister de Rebecca Belmore – une photographie d’une femme de dos avec les bras en croix – et le magnifique texte de Jeannette C. Armstrong, Indian Woman. Écrit à l’origine en

anglais, il est possible d’y voir la résilience face à la souffrance vécue par les femmes autochtones : « Je suis une épouse une païenne une sauvage essentiellement un mammifère Je suis une femelle avec la seule habileté d’élever et de supporter des papooses d’être portée étrangement sur une planche ou perdue au bien-être Je n’ai pas d’émotions Les plans sinueux De mon corps foncé ne transportent aucun indice du besoin d’être caressé désiré aimé Il est seulement utilisé pour être violé battu et matraqué dans certains films western Je n’ai pas de beauté » (Traduction libre) De nombreux événements culturels prennent place à Montréal afin de faire entendre les voix des Premiers Peuples. McGill chapeaute d’ailleurs les Semaines de sensibilisation aux communautés autochtones (Indigenous Awareness Weeks), qui se déroulent du 16 au 27 septembre sur le campus de l’Université. Pour la programmation complète de cette célébration, rendez-vous sur la page Facebook McGill Indigenous Education Advising. x

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ligne de fuite Instants d’été

VISUEL: NIELS ULRICH

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culture

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rencontrez l’équipe ! Nouvelle année, nouvelle équipe! En exclusivité, les membres du conseil éditorial du Délit vous dévoilent le métier rêvé de leur enfance.

Grégoire Collet

Niels Ulrich

Florence Lavoie

Margaux Alfaré

Rédacteur en chef

Coordonnateur de la production

Coordonnatrice de la correction

Coordonnatrice de la correction

Juliette de Lamberterie

Béatrice Malleret

Mélina Nantel

Audrey Bourdon

Écrivaine

Monocycliste

Criminologue

Musicienne

Acteur

Éditrice Société

Garde forestier

Éditrice Société

Professeure au primaire

Éditrice Culture

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Evangéline Durand-Allizé

Augustin Décarie

Météorologue

Fleuriste

Ingénieur Civil

Éditrice Photographies

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Éditrice Illustrations

Éditeur Actualités

Egyptologue

Éditrice Culture

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Éditrice Actualités

Fermière ou astronome

Jérémie-Clément Pallud

Coordonnateur réseaux sociaux

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Simon Tardif

Éditeur Philosophie

Archéologue

Rafael Miró

Éditeur Actualités

Ornithologue

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