Le Délit - 24 septembre 2019

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Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

Mardi 24 septembre 2019 | Volume 109 Numéro 4

On se fait virer de nos bureaux depuis 1977


Volume 109 Numéro 4

Éditorial

Le seul journal francophone de l’Université McGill

rec@delitfrancais.com

RÉDACTION 680 Rue Sherbrooke Ouest, bureau 724 Montréal (Québec) H3A 1B5 Téléphone : +1 514 398-6790 Rédacteur en chef rec@delitfrancais.com Grégoire Collet

McGill ne fera pas grève le 27 septembre. Et ses étudiant·e·s? grégoire collet

L’

Université McGill a annoncé qu’elle maintiendrait les cours du vendredi 27 septembre, jour de la marche pour le climat, à laquelle sont attendus des milliers de personnes pour manifester aux côtés de Greta Thunberg. Ce choix contraste avec celui des autres universités montréalaises comme l’Université du Québec à Montréal, l’Université de Montréal et l’Université Concordia, qui lèveront leurs cours le temps de la marche. Dans un courriel destiné à la communauté mcgilloise, le Vice-Principal exécutif expliquait l’importance que McGill accorde aux changements climatiques et n’a pas hésité à rappeler « l’audacieux objectif » d’atteindre la carboneutralité d’ici 2040. Le groupe Climate Justice Action McGill (Action Justice Climatique McGill en français, ndlr) a émis trois demandes ciblant l’Université : (1) qu’elle reconnaisse la menace que représentent les énergies fossiles autant pour l’environnement que pour les populations marginalisées, (2) qu’elle désinvestisse ses fonds des industries d’énergies fossiles et (3) qu’elle fasse pression auprès des gouvernements fédéraux et provin-

ciaux pour la reconnaissance de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des Peuples Autochtones (UNDRIP). La marche pour le climat est, à vrai dire, annoncée comme une grève à laquelle étudiant·e·s et travailleur·se·s sont convié·e·s à prendre part, quittant ainsi leurs obligations pour quelques heures (p. 7). Cette grève doit pointer du doigt la responsabilité d’institutions comme McGill, des gouvernements et des grandes entreprises, dans les bouleversements climatiques qui se produisent de manière exponentielle. En maintenant ses cours vendredi, McGill découragera sûrement ceux et celles qui souhaitent marcher pour le climat mais qui ne peuvent se résoudre à être absent·e·s dans les salles de classe. Nos pairs étudiant·e·s de Montréal et du Québec n’auront en grande majorité pas à se poser cette question, et pourront crier leur urgence sans répercussion académique. La décision de McGill est d’autant plus regrettable pour les étudiant·e·s qu’elle est cohérente avec les politiques environnementales de l’administration. Les trois demandes énoncées plus haut sont d’une importance à laquelle McGill répond par des déclarations vagues et une inaction camouflée. L’Université,

avant de se placer en porte-drapeau légitime de la lutte pour la justice climatique, devra prendre des mesures radicales et ceci implique qu’elle reconnaisse avant tout sa responsabilité. Une annulation des cours, bien que souhaitable pour la communauté mcgilloise, aurait été presque hypocrite de la part de l’Université. D’après un rapport opaque sorti en mars 2019, cette dernière a une centaine de millions de dollars investis dans les énergies fossiles, ce que Divest McGill dénonce depuis plusieurs années. Cependant, le communiqué de McGill est suffisamment évasif pour comprendre qu’elle ne souhaite pas prendre parti, et se dissocie par ce biais de ses homologues montréalais. Les étudiant·e·s souhaitant participer à la grève devront prendre le contre-pied de la décision de McGill, ce qui rend peut-être leur marche d’autant plus significative. Ces marches étudiantes ont commencé dans le but de contester l’absurdité dont notre ordre de priorité est empreint : sans planète habitable, sans futur, pas d’université. Ne pas assister à ses cours ce vendredi semble être un faible prix à payer pour être compté·e parmi celles·ceux qui feront valoir leurs inquiétudes et leur colère d’abord sur McTavish, puis dans les rues montréalaises. x

Actualités actualites@delitfrancais.com Violette Drouin Augustin Décarie Rafael Miró Culture artsculture@delitfrancais.com Mélina Nantel Audrey Bourdon Société societe@delitfrancais.com Opinion -Béatrice Malleret Enquêtes - Juliette de Lamberterie Philosophie philosophie@delitfrancais.com Simon Tardif Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com Niels Ulrich Coordonnatrices visuel visuel@delitfrancais.com Evangéline Durand-Allizé Katarina Mladenovicova Multimédias multimedias@delitfrancais.com Vacant Coordonnatrices de la correction correction@delitfrancais.com Margaux Alfare Florence Lavoie Webmestre web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Coordonnateur·rice·s réseaux sociaux reso@delitfrancais.com Vacant Jérémie-Clément Pallud Contributeurs Laura Doyle Péan, Antoine Milette-Gagnon, Philippe Bédard-Gagnon, Jeanne Leblay, Zoé Larocque, Marie-Hélène Perron, Olivier Turcotte, Gali Bonin, Léa Bégis, Corey Weaver, HeleneBozzi, Maxime Cormier, Simon Dos Santos Couverture Evangéline Durand-Allizé Katarina Mladenovicova BUREAU PUBLICITAIRE 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 0E7 Téléphone : +1 514 398-6790 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Représentante en ventes Letty Matteo Photocomposition Mathieu Ménard The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Eloïse Albaret Conseil d’administration de la SPD Johnathon Cruickshank, Éloïse Albaret,Grégoire Collet, Nelly Wat et Sébastien Oudin-Filipecki (chair)

Les opinions exprimées dans les pages du Délit sont celles de leurs auteur·e·s et ne reflètent pas les politiques ou les positions officielles de l’Université McGill. Le Délit n’est pas affilié à l’Université McGill.

2 Éditorial

L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Les opinions de nos contributeurs ne reflètent pas nécessairement celles de l’équipe de la rédaction. Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavant réservés). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans le journal. Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).

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Table ronde : en solidarité

BSN et ISA discutent de comment être allié·e·s dans un contexte colonial. laura doyle péan

Contributeur·rice

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ue signifie le fait d’être un·e (bon·ne) allié.e dans un contexte colonial? Kai, étudiante en sciences politiques, Chloe Kemeni, étudiante en sociologie et études de genre, Janelle Bruneau, étudiante en géographie et études autochtones, et Noah Favel, étudiant en histoire et études autochtones, ont tenté de répondre à cette question lors d’une table ronde organisée par le Black Students Network (BSN) et la Indigenous Students Alliance (ISA). Cette activité a eu lieu dans le cadre des semaines de sensibilisation aux cultures autochtones (Indigenous Awareness weeks), qui se déroulent du 16 au 27 septembre 2019. Plus de 50 personnes se sont réunies en début de soirée, le jeudi 19 septembre, au sous-sol du restaurant de Thompson House, pour assister à l’échange. Animée par des membres des deux organisations, Catie Galbraith (ISA) et Ayo (BSN), la table ronde portait sur l’importance et l’impact des liens communautaires ainsi que sur la représentation et les manifestations du colonialisme au sein de l’Université McGill. Le manque de professeur·e·s et d’employé·e·s noir·e·s ou issu·e·s des Premières Nations ainsi que la lenteur et la lourdeur administrative liée principalement au changement de nom des équipes sportives de l’école, suite aux nombreuses demandes faites par des étudiant.e.s autochtones au courant des dernières années (campagne Changez le nom), ont notamment été dénoncées. « De plus en plus de personnes sont intéressées par les études autochtones, mais il y a un problème lorsque ces cours sont seulement donnés par des professeurs blancs, et que ces mêmes professeurs bénéficient de bourses de recherche et de financement pour faire ce travail, bourses qui pourraient aller à des professeur.e.s issu.e.s de nos communautés », a souligné Janelle Bruneau, une des intervenantes. La décolonisation est-elle possible? Janelle Bruneau et les autres étudiant·e·s ont tenu à rappeler qu’il était difficile de décoloniser une université qui se situe sur un territoire non cédé et qui a été fondée par un propriétaire d’esclaves autochtones et noir·e·s, d’autant plus que McGill ne prend même pas la peine de reconnaître ces deux faits. Certaines démarches sont tout de même mises en oeuvre au sein de l’Université et permettent d’améliorer la situation

simon dos santos

petit à petit : la création de cours en études autochtones, la reconnaissance territoriale, l’organisation d’événements tels que les semaines de sensibilisation aux cultures autochtones et l’éventuel changement de nom des équipes sportives. Bien qu’il y ait de l’espoir qu’un réel changement se produise, il reste tout de même un long chemin à parcourir, ont mentionné Noah Favel et Janelle Bruneau, et les initiatives citées plus tôt reposent souvent uniquement sur le dos des étudiant·e·s et employé·e·s autochtones. Par où commencer, alors? En ouvrant les portes à encore plus d’étudiant·e·s et de professeur·e·s autochtones, en organisant davantage d’événements similaires et en s’assurant que les étudiant·e·s aient des espaces pour partager leurs expériences, être entendu·e·s et écouté·e·s. Des allié·e·s informé·e·s Chloé Kemeni et Kai ont discuté de la place des allié·e·s blanc·he·s au sein de leurs organisations et mouvements, en soulignant l’importance de la conscience de soi et de l’éducation. « Google n’est pas difficile à utiliser », a dit Kai, en rigolant. « Il est facile de se renseigner par soimême, puis de partager nos connaissances avec notre entourage ». « Et parfois, le simple fait de venir dans ce genre d’évènements représente déjà un grand pas », a ajouté Noah Favel, reconnaissant envers son audience. « Ce sera parfois inconfortable, mais tout ce qu’on vous demande, c’est de vous asseoir avec ce manque de confort et [de nous] écouter, puis d’essayer de comprendre », a conclu Chloé Kemeni. Une alliance naturelle L’organisation de cette activité a été prise en charge par Ayo et Catie Galbraith, les deux animateur·rice·s, ainsi que Vanessa Racine, co-présidente de la ISA, et Janelle Kasperski, conseillère en éducation autochtone et organisatrice des semaines de sensibilisation aux cultures autochtones. Ce partenariat entre diverses associations leur est apparu comme une « alliance naturelle » entre les communautés noires et autochtones, aux dires d’Ayo et de Noah Favel. En effet, souligne M.Favel, étudiant en histoire, ces communautés ont toutefois beaucoup de vécu commun, bien qu’ayant chacune leurs réalités propres et distinctes. La colonisation nord-américaine s’est faite en plusieurs étapes. Certaines s’attaquaient directement

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aux communautés autochtones, visant entre autres à déconnecter ces dernières de leurs langues, de leurs cultures et de leurs territoires, d’autres visaient plutôt les communautés noires. Notons également que l’esclavage au Canada a touché à la fois les peuples autochtones et les personnes noires. L’historien Marcel Trudel a recensé plus de 4000 esclaves au Canada, dont les trois quarts étaient d’origine autochtone, communément appelés des « panis », et le quart restant était d’origine africaine (voir L’Esclavage au Canada Français. Histoire et conditions de l’esclavage aux Presses de l’Université Laval et Deux siècles d’esclavage au Québec chez Hurtubise). La participation des Autochtones en tant qu’allié·e·s pour le chemin de fer souterrain qui permettaient à ceux·celles ayant soif de liberté de fuir l’esclavage du Sud des États-Unis en venant se réfugier au Canada a également été soulignée par Noah Favel, pour montrer que l’entraide entre les communautés autochtones et noires ne date pas d’hier. Tout laisse donc à penser qu’elle durera encore pour longtemps. D’autres activités organisées conjointement par le BSN et la ISA « sont envisagées, en prenant cette fois-ci soin d’inviter d’autres communautés racisées ou marginalisées à prendre part à la discussion », a confié Ayo, sans toutefois confirmer de date officielle ni de thématique précises pour ces activités. À surveiller, donc, sur les pages Facebook du Black Students Network et de la Indigenous Students Alliance. x

AGA &

Appel de candidatures Les membres de la Société des publications du Daily (SPD), éditrice du McGill Daily et du Délit, sont cordialement invités à son Assemblée générale annuelle :

Le mercredi 23 octobre @ 17h30 Lieu à confirmer

La présence des candidat(e)s au conseil d’administration est fortement encouragée.

La SPD recueille présentement des candidatures pour son conseil d’administration. Les candidat(e)s doivent être étudiant(e)s à McGill, inscrit(e)s aux sessions d’automne 2019 et d’hiver 2020 et aptes à siéger au conseil jusqu’au 30 juin 2020. Les postes de représentant(e) des cycles supérieurs et représentant(e) de la communauté sont également ouverts. Les membres du conseil se rencontrent au moins une fois par mois pour discuter de la gestion des journaux et prendre des décisions administratives importantes. Pour déposer votre candidature, visitez :

dailypublications.org/fr/conseil-dadministration/comment-appliquer/ Actualités

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Conférence

Les limites de la taxe carbone Deux chercheurs présentent leur vision de la tarification du carbone au Canada. Augustin Décarie

Éditeur Actualités

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ans le contexte de la conférence sur le climat à McGill, qui s’est tenue les 13 et 14 septembre, Erick Lachapelle de l’Université de Montréal et Normand Mousseau de Polytechnique Montréal se sont exprimés au sujet de la taxe carbone. Une nouvelle taxe Le gouvernement Trudeau a mis en place cet été une mesure forçant quatre provinces, qui n’avaient établi aucun système de tarification des émissions de carbone dans l’atmosphère, à adopter une taxe sur ces dernières. La taxe a été vivement contestée et le gouvernement conservateur de l’Alberta a apporté l’affaire en cour. Pour la première année, la taxe s’élève à 4 cents par litre d’essence, bien qu’elle doive monter jusqu’à 11 cents par litre d’ici 2022. Le système québécois, établi en 2014, se base quant à lui sur une tarification en amont de la production : les entreprises se voient apposer un plafond d’émissions, mais peuvent acheter des permis à de plus petits pollueurs afin de couvrir leurs émissions excédentaires. Le gouvernement fédéral a accordé des remboursements aux ménages canadiens allant jusqu’à 500 dollars.

M. Lachapelle a avancé que la façon dont est abordée la question de la taxe carbone donne une différence substantielle dans son taux d’appui. Par exemple, mentionner le coût à la pompe fait baisser le soutien pour la taxe : près de 50% des appuis pour ladite taxe se volatilisent lorsque l’on mentionne un coût de 11 cents à la pompe. Le professeur de l’Université de Montréal a aussi insisté sur l’importante polarisation de l’enjeu. Ainsi, la taxe est généralement appuyée par les partisans du Parti libéral du Canada, du Nouveau Parti démocratique ainsi que par les partisans du Parti vert, tandis que les partisans du Parti conservateur lui sont généralement opposés. Le politologue a toutefois avancé que la source de cette opposition n’est pas nécessairement causée par une divergence de valeurs, mais plutôt par une exposition à différents types d’information. Le professeur a remarqué que si les partisans de chaque parti ne sont pas ou peu informés sur l’enjeu, ils ont des positions assez similaires sur la taxe carbone. Toutefois, à mesure qu’ils se disent plus informés, leurs positions face à la taxe divergent. M. Lachapelle a conclu avec une analyse du système de remboursement mis en place par le gouvernement. Le gouvernement fédéral a accordé aux ménages canadiens

des remboursements dont le montant varie énormément et qui peut atteindre les cinq-cents dollars pour certains citoyens. Il a affirmé qu’une grande part des Canadiens recevant des remboursements compensatoires pour la taxe carbone ignoraient l’existence de celle-ci ou avaient tendance à systématiquement sous-estimer son montant. Une taxe qui a ses limites Normand Mousseau, professeur-chercheur à l’Institut Polytechnique de Montréal, a fait le point sur les limites de l’efficacité de la taxe carbone comme outil principal d’une transition économique et énergétique. Si la taxe carbone est présentée dans le monde de l’économie comme la solution la plus efficace et qu’elle est appuyée par plus de 3500 économistes américains et 1500 économistes européens, le professeur nous a rappelé les limites que cette dernière rencontre dans le monde « réel ». Il a souligné que la taxe carbone devrait être augmentée de manière substantielle pour avoir un effet marqué sur les émissions de GES (gaz à effet de serre) à l’échelle nationale. D’ailleurs, plusieurs sources indépendantes contredisent les chiffres du gouvernement qui prédit une chute importante des GES

grâce à la tarification du carbone. Le professeur de la Polytechnique a aussi rappelé qu’une « grosse taxe » a de « gros effets ». Ainsi, si les effets de la taxe se font subir trop lourdement sur la population canadienne, il est fort à parier que ces derniers demanderont sa révocation. M. Mousseau a affirmé que la taxe carbone est un outil efficace si la population a le temps et les moyens d’ajuster ses habitudes de vie en fonction de l’augmentation de cette dernière. Ainsi, dans le cadre de l’urgence climatique actuelle, miser uniquement sur la taxe risque de donner des résultats décevants. M. Mousseau a insisté sur l’importance d’avoir une approche holistique face à la crise climatique. Il a cité l’industrie du ciment en exemple. La production du ciment et du béton, matériaux utilisés dans la construction de presque tous nos édifices, contribue substantiellement aux émissions de GES. Remplacer ces matériaux par du bois serait donc avantageux pour la réduction de l’empreinte carbone canadienne. M. Mousseau a affirmé que taxer les émissions de GES ne donnerait pas de résultats miracles dans cette industrie, puisque les normes de construction sont conçues en fonction de l’utilisation du ciment et qu’il n’existe

pas la même expertise avec le bois qu’avec le ciment dans le domaine de la construction. Les architectes, ingénieurs et ouvriers ne sont simplement pas habitués à travailler avec le bois. Une approche basée uniquement sur une tarification du carbone raterait vraisemblablement sa cible. Sans modification des normes, sans formation des ouvriers et des spécialistes et sans investissements significatifs dans les industries alternatives, comme celle du bois, une réelle transition économique serait impossible. Finalement, M. Mousseau s’en est pris au Ministère de l’environnement, où il perçoit un excès de confiance dans le système actuel de quotas. Il a expliqué avoir observé que l’inutilité et le mauvais fonctionnement de plusieurs programmes du Ministère, comme le Fonds vert, étaient excusés par la tarification du carbone, perçu comme le réel moteur d’une transition énergétique. Bref, Normand Mousseau nous rappelle qu’une transformation de l’économie requiert un investissement de temps et d’argent de la part de la société au grand complet. Laisser la magie du marché opérer en se fiant sur un système de taxation du carbone est non seulement insuffisant, mais pourrait avoir des effets pervers sur l’équité de notre société. x

Perceptions divergentes Érick Lachapelle, professeur et chercheur en sciences politiques, a dépeint un portrait de la perception de la taxe carbone par les Canadiens. Il a commencé par présenter l’évolution des perceptions de la population face au réchauffement du climat. En 2019, seulement environ 10% des citoyens canadiens remettent en cause l’existence du phénomène, ce qui constitue aux yeux du politologue québécois « une nette amélioration ». Pourtant, il a aussi noté que de nombreux Canadiens continuent à croire que le réchauffement du climat n’est pas causé par l’activité humaine. Selon ces observations, un système de quotas d’émissions, tel que celui en place au Québec et en Californie, recevrait hypothétiquement le soutien d’une majorité de citoyens canadiens, tandis que la taxe carbone ne bénéficie aucunement du même appui. Cela peut sembler paradoxal, puisque les effets sur le portefeuille des consommateurs sont similaires.

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Actualités

Evangéline Durand-Allizé

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Campus

Une réputation qui Les classements universitaires démontrent une baisse graduelle de McGill depuis 2011. antoine milette-gagnon

Contributeur

L

e classement mondial annuel des universités a été publié par le Times Higher Education (THE). L’Université McGill y figure au 42e rang, une situation dont McGill semble se réjouir puisqu’elle y a consacré un article complet au sein du McGill Reporter. L’information a d’ailleurs été repartagée sur le compte Twitter de la mairesse de Montréal, Valérie Plante. Que signifie ce classement, et devrait-on s’en préoccuper? En baisse depuis 2011 S’il est vrai que McGill a gagné deux échelons au classement THE depuis l’année dernière en grimpant de la 44e à la 42e position, l’Université a une moins bonne performance qu’en 2011. En effet, le classement THE plaçait l’Université McGill au 35e rang en 2011, une perte de sept échelons en neuf ans. La baisse est encore plus importante pour ce qui est du classement QS, où McGill est passée du 18e au 35e rang entre 2012 et 2020, une perte de 17 rangs.

En comparaison, l’Université de Toronto est présentement au 18e rang du classement THE 2020, et au 29e rang du classement QS 2020. L’autre université canadienne dans le top 50 des deux classements est l’Université de Colombie-Britannique. Au Québec, seule l’Université de Montréal fait également partie du top 100 du classement de THE en 2020; elle y figure au 85e rang. Plusieurs classements Le classement Times Higher Education est établi chaque année par le magazine portant le même nom. Fondé en 1971 au Royaume-Uni, ce magazine hebdomadaire se concentre sur les affaires liées au monde de l’éducation supérieure. C’est toutefois la publication de son classement annuel des universités qui retient l’attention. Le classement est entre autres basé sur la recherche, le nombre de citations et le ratio enseignant/étudiant, mais surtout sur la « réputation », comptant pour 40% de la note. Le classement QS est basé sur des critères similaires, mais avec une

pondération et une méthode de calcul légèrement différente.

lorsque vient le temps d’attirer les étudiants internationaux :

À noter que des critères entourant le bien-être de la population étudiante ne sont pas nécessairement pris en compte par ce genre de calcul. C’est ainsi que le magazine canadien Maclean’s, en plus d’un classement plus « classique », établit également un classement des universités au pays en fonction de l’expérience étudiante. Des critères comme l’accès à des soins et services en santé mentale, les mesures contre les violences à caractère sexuel et la visibilité des cultures autochtones sur le campus sont évalués à l’aide de sondages distribués aux étudiant·e·s. Dans ce classement, l’Université McGill est à l’extérieur du top 15 canadien.

« Les étudiants internationaux regardent ça. Ça nous permet de recruter de meilleurs étudiants, de meilleurs profs, et d’avoir de meilleurs programmes. Ça fait boule de neige ». D’autres ne sont pas aussi friands de ces classements. Par exemple, Gabriel Nadeau-Dubois, co-porteparole de Québec Solidaire et ancienne figure de proue du Printemps

érable, a avancé au Délit lors d’une entrevue publiée en septembre 2018 que le rôle d’une université (québécoise) devrait être de se concentrer sur la transmission de la culture et des connaissances au sein de la population québécoise. Il est apparu critique de ce qu’il a désigné comme le « marché international de l’éducation supérieure » et les classements basés sur des critères qu’il a qualifié d’« arbitraires ». L’administration mcgilloise n’a pas répondu aux questions du Délit. x

paul lowry

Pertinence des classements Les classements sont encore consultés par les étudiants aujourd’hui, et certaines universités ne sont pas indifférentes à leur rang respectif. En effet, le recteur de l’Université de Montréal, Guy Breton, expliquait au Devoir que les classements avaient une certaine importance

campus

Un service de navette déficient Les étudiant·e·s déplorent la qualité des navettes vers le campus MacDonald. violette drouin

Éditrice Actualités

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n octobre 2017, le McGill Tribune publiait un article indiquant que plusieurs étudiant·e·s avaient rencontré des problèmes en empruntant le service de navette entre le campus du centreville et le campus MacDonald, situé à Sainte-Anne-de-Bellevue : les autobus étaient souvent surchargés. Deux ans plus tard, rien n’a changé, selon Julia Trzcinski, étudiante en sciences agro-environnementales. Un problème remarqué « Il y a de nombreux·ses étudiant·e·s qui se déplacent entre les deux campus tous les jours » indique Julia, « et il y a toujours des navettes dans lesquelles, peu importe à l’heure où on arrive, on ne peut pas embarquer, il y a trop de personnes ». « Tout le monde en parle » ajoute Rachel Ivey, étudiante en environnement. « Les gens racontent arriver trente minutes avant la première navette le matin et toujours

katarina mladenovicova devoir attendre jusqu’à la troisième navette ». Selon elle, certaines personnes manquent des cours à cause de cela : « Plusieurs personnes essayent de se rendre à leurs cours de 8h30, mais c’est l’heure de pointe [de la navette], alors si tu n’es pas capable de monter à bord des trois premiers autobus, tu n’arriveras pas à ton cours de 8h30. À chaque matin où je prends la navette, je vois au moins une dizaine de personnes qui n’ont pas pu y monter ».

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« Moi, j’ai eu de la chance de ne pas manquer de cours [à cause de la navette] » affirme Margaux Alfaré, étudiante en sciences politiques et en environnement et coordonnatrice de la correction au Délit. « Mais je viens 20 minutes à l’avance pour pouvoir être assise — une fois j’ai dû être debout pendant tout le trajet (qui est de 45 minutes, ndlr) ». Julia conclut : « Il y a quelque chose qui ne marche pas, clairement ».

Justifications de l’administration Laura Mackey, étudiante en environnement, raconte qu’il y a deux ans, elle s’est plainte de ce problème à l’administration : « ils·elles m’ont dit que la raison pour laquelle les navettes étaient surchargées, c’est qu’au début du semestre, les étudiant·e·s vont en cours beaucoup plus souvent [...] et que si j’attendais, les gens arrêteraient d’aller en cours et il y aurait plus de places dans l’autobus ».

Dans un courriel au Délit, la doyenne de la Faculté des Sciences de l’agriculture et de l’environnement, Anja Geitmann, indique être au courant des plaintes étudiantes et du problème de surcharge des navettes qui persiste depuis plusieurs années, mais rappelle que cellesci subsistent souvent après la fin de la période d’ajout/abandon. Elle ajoute aussi que le service de navette est destiné à ceux·celles ayant des cours sur les deux campus : « Ceux·celles ayant choisi d’habiter loin du campus où la majorité de leurs cours sont donnés devraient emprunter un autre moyen de transport ». En quête de solutions Rachel et Julia sont en train de mettre en place une pétition en ligne : « Le but principal de la pétition est d’ajouter plus de navettes aux heures de pointe », dit Julia. « Il y beaucoup de choses qu’on aimerait changer par rapport aux navettes, mais je crois que c’est la limite de ce qu’on peut demander de McGill en ce moment ». x

Actualités

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POLITIQUE ÉTUDIANTE

Nouveau président à l’AÉUM Le Délit a rencontré Bryan Burraga, le président de l’AÉUM que sinon tu es toujours en action et ça devient exténuant.

Le Délit (LD) : Quelles sont les grandes lignes de vos responsabilités en tant que président? Bryan Burraga (BB) : En gros, je suis là pour soutenir les autres membres de l’exécutif. Je gère aussi les ressources humaines à l’interne ainsi que nos finances, en coordination avec le VP aux finances.

LD : L’année dernière, vous représentiez la Faculté d’arts et de sciences en tant que sénateur. En ayant occupé ce poste, avez-vous trouvé que vous saviez à quoi vous attendre en tant que président, ou y a-t-il toujours quelques surprises? BB : Au niveau du travail avec l’administration et les groupes étudiants, siéger en tant que sénateur m’a bien préparé. Toutefois, je n’avais pas anticipé la quantité de travail administratif que j’aurais à faire. Nous avons heureusement pu engager plus d’employé·e·s grâce à l’augmentation des frais l’année dernière, mais il y a beaucoup de choses qui sont difficiles à prévoir et qu’il faut apprendre en faisant.

LD : Avez-vous déjà eu des employé·e·s à votre charge par le passé? Comment trouvez-vous cela? BB : J’ai été en charge de bénévoles dans le secteur des organismes à but non lucratif auparavant, mais ici c’est complètement différent. C’est beaucoup plus interactif, je dois m’assurer que tout le monde est heureux·se et se sent apprécié·e. Mais je crois avoir une très bonne relation avec nos employé·e·s permanent·e·s. LD : Quels sont les enjeux sur lesquels vous espérez travailler durant votre mandat? BB : L’un des projets principaux sur lequel je vais travailler est une réforme du mode de gouvernance de l’AÉUM. J’ai engagé un chercheur pour m’aider et, si tout va bien, nous aurons des trouvailles à présenter au Conseil législatif et à la population étudiante cette année. De plus, je travaille avec les VP aux Affaires internes et aux Affaires universitaires pour mener à bien plusieurs campagnes, notamment le désinvestissement des énergies fossiles – je siège au Comité de Recommandations en Matière de Responsabilité Sociale (Committee to Advise on Matters of Social Responsibility, CAMSR), qui parviendra à une décision concernant le désinvestissement d’ici le mois de décembre. Il y a également le défi de ne pas avoir d’édifice (l’édifice de l’AÉUM étant fermé pour

IYAD KAGHAD rénovations depuis le printemps 2018, ndlr): nous estimons que nous allons pouvoir réaménager en janvier, mais cela est sujet à l’achèvement des rénovations. Une autre chose qui a été plutôt imprévisible est la démission de notre directeur général la semaine dernière. Durant les prochaines semaines, nous allons travailler à nous diviser les tâches ainsi qu’à engager une nouvelle direction générale.

LD : Qu’est-ce qui vous a motivé à vous présenter en tant que candidat à la présidence? BB : J’ai été très impliqué au sein de l’AÉUM l’année dernière en tant que sénateur pour la Faculté des arts et des sciences. J’ai travaillé à implanter une semaine de lecture au semestre d’automne et j’ai siégé au Conseil législatif. Je sentais donc que j’avais une bonne connaissance de ce qui se passe à l’AÉUM ainsi

que des idées qui pourraient avoir un effet positif . LD : Maintenant que vous êtes élu, qu’est-ce qui vous garde motivé? BB : J’essaye d’avoir un bon équilibre entre mon travail et ma vie sociale, je travaille lorsque je suis au bureau et dès que je sors, j’éteins mon téléphone. Je crois que c’est important d’avoir des limites clairement définies comme cela, parce

iyad kaghad

LD : Vous avez mentionné la semaine de lecture au semestre d’automne. Avez-vous une idée de l’échéancier de ce projet? BB : En ce moment, le comité de McGill sur la semaine de lecture au semestre d’automne est en consultation avec les professeur·e·s. Ces consultations devraient se terminer au cours de ce semestre. Suite à cela, le comité va présenter une recommandation au Comité des affaires étudiantes et du recrutement (Enrolment and Student Affairs Advisory Committee, ESAAC), qui en discutera avec les différents bureaux aux affaires étudiantes et fera une recommandation au Sénat, probablement en janvier. LD : L’AÉUM a déjà organisé et aidé à organiser quelques événements cette année, tels que la semaine d’orientation et la soirée d’activités. Comment se sont-ils déroulés et comment se déroule le travail au sein de l’exécutif? BB : J’adore travailler avec tout le monde, les membres de l’exécutif sont super qualifié·e·s et travaillent très fort, et je sens que nous nous entendons très bien. La soirée d’activités s’est déroulée extrêmement bien, j’ai parlé à notre VP à la vie étudiante et il était très heureux de l’événement. En ce qui concerne la semaine d’orientation, nous avons organisé deux événements sans alcool pour frosh qui ont tous deux été des succès. LD : Avez-vous autre chose que vous aimeriez ajouter? BB : Au niveau du Conseil législatif, nous allons faire un plus grand effort pour parler français. C’est très important pour moi de pouvoir représenter les étudiant·e·s francophones, alors gardez l’œil ouvert pour ça. x

IYAD KAGHAD

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actualités

Propos recueillis et traduits par violette drouin

Éditrice Actualités le délit · mardi 24 septembre 2019 · delitfrancais.com


Campus

Municipal

Le NPD à McGill Jagmeet Singh courtise les étudiants montréalais. ont des convictions souverainistes, ils sont tout d’abord guidés par leurs convictions sociales-démocrates. La candidate Nima Machouf, également membre de Québec solidaire, a affirmé au Délit que si elle est bien indépendantiste, « la souveraineté n’[est] pas [sa] bataille ». Elle a surtout salué l’« ouverture » de Jagmeet Singh face à des candidats issus de différents horizons.

Rafael Miró-Lucas

Éditeur Actualités

U

ne centaine d’étudiants, de militants et de journalistes se sont entassés debout à la Presbyterian le 16 septembre, pour entendre parler Jagmeet Singh, le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD). Cette visite avait été organisée par l’association du parti à McGill. Étaient aussi présents de nombreux candidats et candidates du parti dans la région de Montréal, dont Sophie Thiébaut, la candidate de la circonscription de Ville-Marie-Le Sud-Ouest-Île-desSœurs, où se situe l’Université. Jagmeet Singh a pris le temps de décrire la mission sociale et environnementale du NPD, avant de critiquer en longueur le bilan du gouvernement libéral sur ces deux enjeux. Interrogé par des journalistes sur la loi 21 sur la laïcité du gouvernement provincial québécois, il a réitéré qu’il s’opposait à cette législation, mais qu’il était également contre une intrusion du gouvernement fédéral dans l’autonomie des provinces.

KAtarina Mladenovicova Le chef du NPD a ensuite répondu à une question d’une journaliste de CTV News au sujet de certains de

ses députés aux convictions indépendantistes : Jagmeet Singh a répondu que si certains de ses députés

Si Jagmeet Singh et ses candidats ont montré leur enthousiasme face à la campagne, plusieurs militants présents dans la salle ne partageaient pas leur avis. Les sondages montrent en effet que le NPD pourrait perdre la presque totalité de ses sièges au Québec le 21 octobre prochain, et plusieurs imputent à leur chef la responsabilité de cet échec. Nima Mâchouf, sans le critiquer, a déploré que « la barrière au Québec, c’est le turban ». Elle a toutefois affirmé croire que les Québécois seraient capables d’apprendre à connaître les idées du chef, dressant un parallèle avec la co-porte-parole de Québec solidaire, Manon Massé. « On part de loin, mais pour se rendre loin », a-t-elle résumé. x

Politique québécoise

La CAQ et la manifestation Legault fait face aux demandes d’organismes et de partis politiques. Philippe Bédard-Gagnon

Contributeur

L

e 8 juin dernier, le Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ) a fait la demande au gouvernement de faire du 27 septembre un congé non payé pour tous les membres du syndicat. Cela leur aurait permis de participer aux manifestations qui auront lieu à travers la province. Toutefois, le président du Conseil du trésor, Christian Dubé, a refusé la demande du syndicat car « les services aux citoyens doivent être donnés aux citoyens ». Le SFPQ devra donc demander à ses membres d’aller au travail vendredi car il ne peut pas entrer en grève en vertu de la dernière convention collective effective jusqu’en 2020. Par ailleurs, la semaine dernière, la CSDM a déclaré dans un communiqué de presse que le 27 septembre serait une journée pédagogique, ce qui permettrait aux étudiants d’aller manifester. François Legault a alors prévenu que les enseignants devraient tout de même se présenter au travail, déplorant que l’annonce se soit faite si tardivement, car cela pourrait être un inconvénient

pour des parents. La CSDM a tout de même affirmé jeudi dernier que les enseignants pourront eux aussi prendre congé en avisant la direction, allant ainsi à l’encontre des demandes du premier ministre. Au sein de l’Assemblée nationale La co-porte-parole de Québec solidaire, Manon Massé, a fait la demande au président de l’Assemblée nationale d’inviter Greta Thunberg à Québec pour qu’elle puisse s’exprimer devant les députés. Même si la demande a été partiellement acceptée par le gouvernement Legault, la jeune activiste a décliné l’offre. Sylvain Gaudreault, le porte-parole sur l’environnement du Parti québécois, a alors demandé au premier ministre de la rencontrer en personne. Bien que François Legault se soit dit ouvert à l’idée de discuter avec la militante, il ne lui a envoyé aucune invitation. L’autre co-porte-parole de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, a alors affirmé que « si Greta était un businessman de 60 ans, M. Legault l’aurait invitée il y a longtemps ». Québec solidaire a aussi fait appel aux autres partis afin de suspendre

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les travaux parlementaires pour le 27 septembre, ce qui permettrait aux députés d’aller marcher. Cette demande a été refusée par l’ensemble des autres partis. Une réputation entachée Bien que les travaux parlementaires soient maintenus vendredi, le ministre de l’Environnement Benoit Charette a annoncé qu’il serait à la marche « si l’agenda devait le permettre ». Cette annonce a suscité une vive réaction auprès du collectif écologiste La Planète s’invite au Parlement. Le collectif a accusé le gouvernement Legault d’être une partie du problème, notamment à cause de son appui au projet de troisième lien à Québec et au projet de gaz naturel liquéfié (GNL). Ce dernier implique la construction au Saguenay d’un oléoduc de 780 kilomètres et d’un port. Il a ajouté que le ministre Charette ne devrait pas se présenter à la manifestation « à moins [qu’il ne tienne] à manifester contre [lui-même] ». François Legault est conscient de la mauvaise image que son gouvernement projette, causé notamment par son absence au Sommet sur le

Climat de l’ONU, où il sera remplacé par son ministre de l’Environnement et son ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles. Toutefois, il a affirmé que, s’il n’a pas la meilleure réputation, c’est parce qu’il agit plutôt que de faire « de grands discours ». Il a également soutenu qu’aucun autre gouvernement « n’en aura fait autant » pour la lutte contre les gaz à effet de serre. x

Manifestation historique à Montréal Augustin Décarie

Éditeur Actualités

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e 27 septembre, des milliers de manifestants sont attendus dans les rues de Montréal ainsi que dans d’autres villes du Québec à l’occasion d’une marche mondiale pour le climat. Plusieurs facultés universitaires et de nombreux cégeps ont déjà voté en faveur d’une grève. L’Université de Montréal a annulé ses cours en après-midi et la Commission scolaire de Montréal a instauré une journée pédagogique le vendredi prochain afin de permettre aux jeunes du primaire et du secondaire de participer à la manifestation. À McGill, le campus MacDonald a déjà voté en faveur de la grève, tandis que la Faculté des arts tiendra son vote de grève le mercredi 25 septembre. La direction de McGill, sans annuler les cours, a tout de même invité les professeurs à être indulgents envers les étudiants qui s’absenteraient et leur a proposé de reporter leurs évaluations à une date ultérieure. Greta Thunberg, militante suédoise et figure emblématique du mouvement international de lutte contre les changements climatiques, a annoncé qu’elle serait à Montréal aux côtés des militants du climat. La préparation de la marche a été accomplie par de multiples associations. Le collectif La planète s’invite à l’université, qui compte des membres dans de nombreuses universités québécoises, s’est positionné comme étant un acteur essentiel dans la popularisation du mouvement. À McGill, c’est le comité Climate Justice Action McGill - CJAM qui a pris l’initiative quant à l’organisation de la marche. Les étudiants de McGill souhaitant participer à la marche sont attendus le vendredi 27 septembre à 11h sur la rue McTavish. x

EVANGÉLINE DUrand-Allizé

actualités

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Société societe@delitfrancais.com

Opinion

béatrice Malleret

Ne prends pas toute la place Comprendre et déconstruire la masculinité hégémonique.

niels ulrich

Coordonnateur de la production

«A

llez, montre que t’es un homme ! » ou encore, « t’es vraiment une fillette ». Sois un homme, un vrai. En plus de résonner dans la tête longtemps après avoir été entendues, ces moqueries, d’apparence anodine, révèlent un problème sociétal qui l’est beaucoup moins : tout ce qui ne rentre pas dans un idéal masculin, viril, est considéré comme ayant une valeur moindre aux yeux du monde. Il semblerait donc qu’il y ait des codes précis à appliquer et respecter pour être un (vrai) homme. À ces codes sont attelés un grand nombre de stéréotypes, souvent considérés comme positifs, comme l’indépendance, la capacité à diriger, la force physique et la résistance mentale. Ces attributs, dans l’imaginaire collectif, sont ainsi absents chez tous·tes les individu·e·s qui ne sont pas considéré·e·s comme « homme ».

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Société

Pour être admirable et respecté, il faut être viril à tout prix. Une explication se trouve dans le mot « viril » lui-même, son étymologie découlant d’un terme signifiant « héros ». L’héroïsme serait donc une qualité purement masculine. Ainsi, toute personne présentant des aspects féminins serait automatiquement dénuée d’une forme de reconnaissance associée à l’héroïsme. En plus d’être excluant socialement, ce système de pensées génère nombre d’inégalités et de discriminations. Les réalités de cette exclusion sont multiples et marquées par le genre mais aussi par d’autres facteurs socio-économiques qui ne peuvent être ignorés.

ce concept l’idée d’un ensemble de codes qui doivent être respectés pour qu’un individu soit considéré comme un « homme ». Ce terme implique non seulement la supériorité de la masculinité sur le genre féminin, mais également sur les autres masculinités — considé-

Masculinité hégémonique

rées alors comme « masculinités subordonnées ». Les démonstrations de cette masculinité attendue ont des conséquences non négligeables sur toute personne ne correspondant pas à des critères précis. Chaque personne ne rentrant pas dans ce carcan est auto-

Cette conception de la manière d’être un homme est désignée par le terme de masculinité hégémonique, décrit notamment par la sociologue Raewyn Connell. Cette dernière entend désigner par

matiquement reléguée au statut de citoyen·ne inférieur·e, lequel est aussi affecté par d’autres formes d’oppression systémique. Cette masculinité idéalisée ne peut pas et ne doit pas être considérée comme universelle. Elle n’est incarnée que par un nombre limité

« Toute personne ne correspondant pas aux critères exacts de cette masculinité hégémonique — soit un homme cisgenre hétérosexuel blanc — est considérée comme inférieure à cet idéal » d’individus placés sur un piédestal, présentés comme incarnant un idéal inatteignable. Malgré cela, la masculinité hégémonique a un pouvoir normatif non négligeable. Dans les sociétés occidentales, lorsque ces caractéristiques normatives ne sont pas présentées

ou respectées par certain·e·s, ces dernier·ère·s ne sont plus considéré·e·s comme légitimes et peuvent faire face à des sanctions sociales, prenant souvent la forme d’insultes ou de rejet. Ainsi se dessine une hiérarchisation à deux vitesses. La première a lieu entre les genres masculins et féminins. La deuxième prend place au sein même de la masculinité. Toute personne ne correspondant pas aux critères exacts de cette masculinité hégémonique — soit un homme cisgenre hétérosexuel blanc — est considérée comme inférieure à cet idéal. S’ensuit un classement des masculinités, celles comptant la plus grande part de féminin se trouvant au plus bas de la hiérarchie. Ainsi, le niveau de privilège se décline au sein de ce classement entre les deux pôles genrés. Il existe également un déséquilibre entre les masculinités dites subordonnées ellesmêmes. La classe sociale, la race,

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l’identité sexuelle sont elles aussi des sources de discrimination au sein même de cette hiérarchie de masculinités. Il est donc impossible de décréter une binarité entre masculinité hégémonique et masculinités subordonnées. En effet, entre en compte ici le principe d’intersectionnalité, soit le fait que différents aspects de catégorisation sociale — tels que le genre, la race, l’orientation sexuelle, la classe sociale — soient interconnectés, générant ainsi des systèmes d’oppression qui se renforcent. Ainsi, les effets négatifs de cette mise en avant de la masculinité peuvent être décuplés et atteignent un plus fort niveau de violence lorsque d’autres formes d’oppression y sont associées.

l’exclusion sociale en plus de l’intériorisation de l’oppression. La construction identitaire est donc rendue plus complexe. Chacun·e doit essayer de trouver sa place, en s’accommodant à celle occupée par la masculinité dominante.

prêtant particulièrement. Ainsi, l’idée de compétitivité masculine est souvent largement illustrée, tant dans les cours que dans les activités extrascolaires, comme les clubs, les associations ou la politique étudiante.

un indicateur. Une autre démonstration est dans la participation à des conversations prenant place durant certains cours, touchant aux identités mêmes d’autres personnes. Cette participation se fait souvent de manière très détachée,

Une construction structurelle Apprendre ce qu’est un homme, ainsi que la place qui lui est attribuée, est un processus de socialisation qui démarre dès la petite enfance. Le sociologue Kevin Diter a étudié les relations genrées des jeunes enfants, notamment au cours de la scolarisation au primaire. Selon lui, il est par exemple possible d’observer une division au sein de l’espace de la cour de récréation, selon l’âge et le genre. En son centre se trouvent les enfants plus âgés, et pour la plupart de genre masculin, qui participent à des activités considérées comme typiquement masculines, comme les jeux de ballons ou d’autres activités physiques. En périphérie se trouvent les autres enfants qui ne souhaitent pas ou ne peuvent pas participer à ces activités. Les sujets de discussion ou les jeux et activités pratiqués par ces élèves sont alors considérés comme moins importants, moins centraux et entrent de fait dans la catégorie du féminin. La distribution de l’espace — tangible ou non — accordée à la masculinité hégémonique se dessine alors. Il en va de même d’une première division au sein même de la masculinité, fractionnée entre celle des garçons prenant part à ces activités centrales, et celle de ceux n’y participant pas. Cet apprentissage se poursuit tout au long de la scolarisation. Les normes de la masculinité hégémonique, intégrées progressivement et perpétuées par les élèves, sont parfois renforcées par les enseignant·e·s et le corps éducatif. Les garçons sont excusés pour certains comportements, simplement parce que « ce sont des garçons ». La référence à la féminité, quant à elle, est utilisée majoritairement pour tourner en dérision et rabaisser. C’est donc à ce moment que la place accordée à la masculinité hégémonique continue de se développer. Cette dernière écrase petit à petit toute autre masculinité, ou féminité. L’espace occupé par les garçons dans la cour, dans les classes, ou encore dans les vestiaires est écrasant. Pour les personnes ne se conformant pas à celle-ci, les mécanismes d’adaptation mènent à se plier à des codes dans lesquelles elles ne se retrouvent pas et risquer

Crédit photo

béatrice Malleret L’université n’échappe pas à cette trajectoire de principes intégrés au cours de la scolarisation. En effet, même si certaines démarcations genrées se floutent, l’ex-

Si l’on doit à nouveau évoquer la notion d’espace tant verbal qu’académique, la place occupée par les hommes cisgenres hétérosexuels blancs — et donc la masculinité

« L’espace occupé par les garçons dans la cour, dans les classes ou encore dans les vestiaires est écrasant » pression de la masculinité hégémonique est encore bien présente, mais de manière plus insidieuse. Certains stéréotypes sont reproduits, le cadre universitaire s’y

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hégémonique — est considérable. Le temps de parole accordé — ou pris — par ces derniers durant les cours, souvent plus important que celui d’autres personnes, en est

la discussion étant considérée comme un simple débat, effaçant ou réduisant ainsi les expériences d’autres personnes à une simple discussion, alors que celles-ci sont directement touchées par le contenu de ces dernières. Le contenu même de nombreux cours dispensés à l’université renforce cette influence de la masculinité blanche cisgenre et hétérosexuelle, la part d’auteur·rice·s et de personnes étudié·e·s appartenant à cette catégorie constituant l’écrasante majorité. Si certain·e·s profes-

seur·e·s s’attèlent à diversifier leurs sources et sujets d’enseignement, la variété offerte dans les cours doit encore être renforcée. Hiérarchie multidimensionnelle Cette hiérarchisation non seulement des genres, mais aussi des masculinités, est donc génératrice d’oppressions à plusieurs niveaux. Selon le chercheur Francesco Maria Morettini, la masculinité hégémonique est un phénomène global, se déroulant à des échelles individuelles mais aussi structurelles, ce qui rend une transformation positive extrêmement complexe. Les effets de la masculinité hégémonique peuvent être observés dans la politique locale, nationale et internationale mais aussi dans les pratiques militaires et la gouvernance économique. À l’instar de l’éducation, les milieux sportifs sont également le théâtre des effets de cette masculinité à un niveau plus individuel. De nombreux sports sont associés à un stéréotype masculin ou féminin. Une majorité de sports d’extérieur sont associés à l’idée de « sports d’homme », car ils s’inscrivent dans cette dynamique de division entre la sphère publique (associée à la masculinité) et la sphère privée (associée à la féminité). Le stéréotype de la compétition liée à la masculinité prévaut également. La compétition étant vue comme une démonstration publique, un spectacle, s’intègre là encore à la division public-privé. Ainsi, pour pouvoir changer cette situation et renverser une hiérarchisation qui se manifeste de manière physique ainsi qu’idéologique dans chacune des strates de la société, il faut s’attaquer aux différents niveaux de cette structure. C’est donc pour cela que chaque acte compte : au niveau local, soit au sein des familles ou communautés ; au niveau régional, c’està-dire le pays ; et enfin au niveau global, avec ce qui est représenté dans les médias et dans les organisations commerciales internationales. La masculinité hégémonique se nourrit d’exclusion et de déséquilibre. D’un côté, les individu·e·s qui n’en remplissent pas les critères sont exclu·e·s de certains cercles, ainsi que de certains privilèges. À l’inverse, ceux qui sont dotés de caractéristiques propres à la masculinité normative se sentent souvent légitimes dans la plupart des environnements. La marginalisation sociale, sur une base genrée, peut représenter un risque pour les personnes n’appartenant pas à ce type de masculinité. Déconstruire le concept de masculinité hégémonique commence donc par reconnaître ses effets.Ce n’est qu’en identifiant ces derniers qu’il pourra ensuite devenir possible de changer le processus de socialisation afin que ces rapports de domination soient atténués. Avancer vers une société plus égalitaire signifiera donc forcément de se tourner vers une socialisation moins genrée. x

société

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opinion

Végane mais spéciste? « Différents mais égaux » : l’étonnant anthropocentrisme d’une campagne végane. Jeanne leblay

Contributrice

I

l y a quelques jours, j’attendais patiemment à la station Berri-UQAM que le métro arrive, lorsque mon attention fut attirée par une affiche. Recouvrant une partie du mur sur le quai d’en face, on y voyait un groin, des oreilles, et une phrase : « Ils nourrissent des espoirs comme nous. »

ce seulement parce qu’autrui est comme moi que je dois le respecter? Dois-je tolérer uniquement ce qui me ressemble? À contrario, dois-je exclure ce qui n’est pas comme moi? Un point de vue problématique Ces réflexions amorcées, mon sentiment de reconnaissance vis-à-vis de cette campagne s’est transformé en malaise. Certes,

cessus de civilisation des mœurs, intégrant avec elles certains animaux. Elles créèrent ainsi l’animal oisif, de compagnie, qui procure réconfort et satisfaction à son·a propriétaire. Cette domestication ne diminuait néanmoins pas le pouvoir de l’humain·e sur l’animal, puisqu’elle maintenait une forme de dépendance alimentaire. En revanche, l’animal fonctionnel, domestiqué lui aussi mais cette fois-ci en vue de répondre aux at-

comme étant idéologiquement supérieur·e, d’autant plus en devenant un modèle de civilisation pour les animaux. Or, partir de nos propres assomptions culturelles pour juger de l’intégration d’autrui, c’est plaquer des schémas de pensée sur l’Autre sans s’ouvrir à lui·elle. Alors que le véganisme, c’est d’abord une cause pour l’Autre, pour l’animal, et non pour satisfaire les représentations culturelles des humain·e·s.

Une campagne positive? Ma première réaction était une forme de reconnaissance à l’égard de l’association Be Fair Be Vegan (Sois juste, sois végane, en français, ndlr) de donner à la cause végétalienne une plus grande visibilité dans l’espace public, et ceci pour deux raisons : d’une part, pour avoir choisi d’occuper les stations de métro montréalaises, c’est-à-dire des lieux fréquentés par une population diverse. Des personnes de toutes origines sociales et de tous les âges avaient ainsi accès à une information qui remettait en cause notre mode de vie occidental consumériste. J’observais les réactions des usager·ère·s, étonné·e·s pour certain·e·s, bouleversé·e·s pour d’autres, regrettant peut-être leur dernier repas carné. D’autre part, j’étais reconnaissante car la cause végétalienne y était représentée sans violence mais avec avec des images touchantes, ce qui permettait de rompre avec les stéréotypes du·de la militant·e hystérique. Le débat est ainsi recentré sur l’intérêt des animaux, et non sur la valeur politiquement correcte de la campagne, comme cela est souvent le cas lors d’actions maculant de sang la place publique. De station en station, je compris que cette affiche faisait partie d’une campagne plus vaste : « ils élèvent une famille comme nous », « ils tiennent à leur vie comme nous », « ils ressentent la joie comme nous », etc. Comme nous, comme nous, comme nous. La campagne jouait à donner à ces animaux des caractéristiques essentiellement humaines, ou du moins relevant d’un imaginaire humanisé. À travers les regards jetés à l’affiche, je devinais que ce mécanisme de projection permettait d’attendrir le grand public, l’omnivore : je me reconnais dans l’action x (nourrir son enfant par exemple), j’ai le droit d’exister grâce à l’action x, donc je devrais le donner aux autres se reconnaissant dans l’action x. En somme, je devrais respecter l’animal parce qu’il me ressemble. Néanmoins, cet anthropomorphisme me fit me poser plusieurs questions. Est-

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société

Repenser notre écosystème Mon métro repartit, mais je restai dubitative. J’imagine aisément que l’association Be Fair Be Vegan lutte pour l’égale considération de l’humain·e et de l’animal. En revanche, cette campagne est profondément ambiguë sur les causes du véganisme : est-ce pour l’animal, ou bien pour satisfaire l’égo de l’humain·e? Il est difficile de savoir reconnaître évangéline durand-allizé

l’opposition fondamentale entre l’humain·e sensible et raisonné·e d’un côté, et l’animal instinctif, irrationnel de l’autre, venait d’être bannie par l’association. L’incompatibilité d’essence entre un « nous » et un « eux », origine de nombreuses discriminations, cessait d’un coup d’être valable, puisque l’animal était plus proche de nous qu’on ne le pensait. Néanmoins, dans sa lutte contre l’instrumentalisation de l’animal, Be Fair Be Vegan a paradoxalement placé l’homme en tant que mesure pour juger de ce qui était respectable ou non. Avec ce « comme nous », ce n’est que par sa ressemblance à l’humain·e que l’animal est valorisé. Ce biais dans la relation entre l’humain·e et l’animal est le fruit d’un processus historique de domestication (« d’hommestication »). Dès le 18e siècle en Europe, les sociétés de Cour entament un pro-

« Avec ce ‘‘ comme nous ’’, ce n’est que par sa ressemblance à l’humain·e que l’animal est valorisé » tentes matérielles de l’humain·e, était placé au bas de la hiérarchie animale conçue par les humain·e·s. L’animal mangé et l’animal de portage étaient ainsi relégués aux rôles de bêtes de somme, sans qu’aucune considération ne leur soit accordée. Dans le cas présent, la stratégie de Be Fair Be Vegan a été de rompre avec l’approche fonctionnelle de l’animal, pour se rapprocher de sa vision oisive et civilisée. Cependant, l’animal est à nouveau pensé en rapport à l’humain·e, et non pour lui-même, ce qui peut poser deux problèmes. D’abord, dans cette vision anthropocentrée de l’animal, ce dernier devient un faire-valoir de l’homme. L’humain·e est perçu·e

Ensuite, en mettant en lumière des animaux humanisés, on recrée une distinction avec ceux qui ne le sont pas. La campagne d’affichage parle de la poule, du porc, du bœuf, mais quid du poisson par exemple? Étant culturellement plus éloigné de nous du fait de son apparence physique, son mode de vie, ou encore son environnement, ce dernier ne mériterait donc pas le même respect qu’une poule, qui est culturellement plus proche puisqu’elle est représentée en tant que mère. En tant que militante, ce raisonnement me paraît somme toute assez spéciste, légitimant la supériorité de l’espèce humaine ainsi que l’exploitation des animaux non humanisés.

la conscience et la sensibilité animale sans tomber dans l’humanisation animale révélatrice de notre anthropocentrisme. De mon point de vue, être végétalien·ne signifie que l’on prend en compte la diversité qui nous entoure. Un écosystème, c’est un ensemble d’êtres vivants : et précisément, l’animal ne devrait pas être considéré comme une ressource, mais comme une composante essentielle de cet équilibre biologique. On pourrait ainsi repenser notre système de morale : plus qu’une éthique appliquée à l’humanité seulement, il s’agirait de se dépasser pour donner une valeur à tous les êtres vivants et aux systèmes écologiques de manière générale (ce qui inclut le non-vivant). Ainsi, en redonnant à chacun sa place et son respect, nous parviendrons à devenir réellement « différents mais égaux ». x

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Philosophie philosophie@delitfrancais.com

« Notre tâche est de nous empreindre si profondément, si douloureusement et si passionnément de cette terre provisoire et fragile, que son essence ressuscite invisible en nous. Nous sommes les abeilles de l’invisible. Nous butinons éperdument le miel du visible, pour l’accumuler dans la grande ruche d’or de l’Invisible. » Rainer Maria Rilke

Portrait de philosophe

La texture imaginaire du réel La peinture et notre regard sur le monde selon Maurice Merleau-Ponty.

L

’ œil et l’esprit fut le dernier livre publié du vivant du philosophe français Maurice Merleau-Ponty. Ce court livre de moins d’une centaine de pages cherche à nous enseigner le rôle crucial qu’a le peintre dans notre vision du monde, et ce, plus précisément à travers l’œuvre de Paul Cézanne. C’est qu’un peintre possède lui-même un rapport particulier avec ce qui l’entoure, de sorte qu’il en dépasse notre sens quotidien. L’artiste restitue au monde ce qui l’a ému, s’engageant dans une relation intime, où il possède ce qu’il voit et redonne ce qui l’habite. « C’est en prêtant son corps au monde que le peintre change le monde en peinture », résume ainsi Merleau-Ponty. De chair et de sensations Ce « prêt » entre le peintre et le monde, voilà ce qui permet cette proximité à la vision qui nous échappe normalement. Cet échange se révèle inévitable — le visible et le sentir étant insécables. Pensons-y. Si les choses devant nous — couleur, lumière, profondeur — sont vues, c’est bien parce que notre corps y trouve une quelconque résonance en luimême. Alors, demande MerleauPonty, cela n’aurait-il pas de sens que notre corps crée à son tour un écho en les choses? Le philosophe nomme ceci « un visible à la deuxième puissance », une « essence

charnelle ». Ce commentaire de Georges Charbonnier dans Le monologue du peintre permet de bien saisir ce dont le penseur fait mention : « Dans une forêt, j’ai senti à plusieurs reprises que ce n’était pas moi qui regardais la forêt. J’ai senti, certains jours, que c’étaient les arbres qui me regardaient, qui me parlaient… Moi j’étais là, écoutant… Je crois que le peintre doit être transpercé par l’univers et non vouloir le transpercer… » Ainsi, compte tenu du fait que le corps fait partie du monde visible, il se retrouve à la fois voyant et vu ; celui qui voit se voit aussi. Puisque le reste du monde apparaît en cercle autour de lui, il en résulte que sa vision s’en trouve construite de façon inhérente à partir du voyant. On peut lire dans L’œil et l’esprit : « Je ne le vois pas selon son enveloppe extérieure, je le vis du dedans, j’y suis englobé.

le corps n’est pas senti et ne peut réfléchir. Ainsi, des problèmes de la peinture naît l’énigme du corps, mais celle-ci les justifie en retour. Il semble important de préciser que celui qui voit ne s’approprie pas ce qu’il voit, il ne fait que l’approcher ; il ouvre sur le monde. Donc, le tableau ne naît que par la chair : « l’œil voit le monde, et ce qui manque au monde pour être tableau. » Parce que le corps est « la matrice de tout autre espace existant », on assiste à un dédoublement de la vision : d’un côté, celle qui se fait pensée, de l’autre, celle qui requiert d’être exercée pour se faire idée. C’est cette deuxième fonction qui prend action alors que le peintre pratique son art. Le tableau permet au regard d’épouser les rapports entre les choses, afin qu’il « les

« Je suis englobante et englobée. Je suis l’avalée de l’avalé » (Ducharme) Après tout, le monde est autour de moi, non devant moi. » Cette formule n’est pas sans rappeler les paroles de Bérénice dans le roman de Ducharme paru six années après l’ouvrage de MerleauPonty : « Je suis englobante et englobée. Je suis l’avalée de l’avalé. » C’est d’ailleurs, selon Merleau-Ponty, ce qu’il fait qu’il y a une humanité, car sans cette conscience du soi, de notre chair,

Les grandes baigneuses

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trace de la vision du dedans, à la vision ce qui la tapisse intérieurement, la texture imaginaire du réel ». Comme le dit si bien Merleau-Ponty : « Essence et existence, imaginaire et réel, visible et invisible, la peinture brouille toutes nos catégories en déployant son univers onirique d’essences charnelles, de ressemblances efficaces, de significations muettes. »

Espace et couleurs Comment un tableau — un objet en deux dimensions qui tente d’en représenter bien plus — nous paraît-il représenter le monde autour de nous? Nous ne le regardons pas comme nous regardons les choses, mais nous regardons plutôt avec lui ou selon lui et non en lui. Déjà, la vision possède son propre imaginaire, nous dit Merleau-Ponty, car ne voilà que quelques traits et nous y voyons une forêt. Le peintre ne nous raconte pas l’espace et la lumière, il les fait parler. Il cherche à communiquer ce « rayonnement du visible » avec la couleur, la profondeur. La couleur « ‘’rend visible’’, elle est l’épure d’une genèse des choses ». Tel que le formule poétiquement Henri Michaux, c’est grâce à elle qu’on peut « laisser rêver une ligne ». Il nous est permis d’approfondir encore la réflexion. Comment nous est-il possible de voir le mouvement sur un tableau si chaque ligne et chaque couleur le composant est immobile? Merleau-Ponty avance que c’est parce que les corps y sont représentés dans des positions non réelles. Le génie est dans cette création du mouvement par la distorsion du statique, dans cette présentation d’un corps dans une attitude qu’il n’a jamais eue : chaque membre est dans un instant différent. Ainsi donc, « la peinture n’est jamais tout à fait hors du temps, parce qu’elle est toujours dans le charnel ». La vision est ainsi comme suspendue au mouvement. Rodin se prononce sur ce phénomène dans son livre L’art : « C’est l’artiste qui est véridique et c’est la photo qui est menteuse, car, dans la réalité, le temps ne s’arrête pas. » Cette philosophie anime le peintre « à l’instant où sa vision se fait geste, quand, dira Cézanne, il ‘’pense en peinture’’ ». Enfin, dans ce qui donne vie à un tableau, la profondeur est certainement primordiale. Elle est « l’expérience de la réversibilité des dimensions, d’une ‘’localité’’ globale » ; en ce sens que la profondeur n’est pas la troisième dimension en peinture, mais bien la première, car elle contient toutes les autres. Elle arrive à exprimer les liens entre les choses : « c’est leur extériorité connue dans leur enveloppement et leur dépendance mutuelle dans leur

Du ra nd -A ll izé

Éditrice Culture

Ev an gé lin e

Audrey Bourdon

autonomie. » C’est une « déflagration de l’Être » qui vient « germer sur le support ». Permettez une remarque sur les habiletés du peintre à jouer le rôle de traducteur du monde. Merleau-Ponty soulève qu’il est en effet étonnant que celui-ci soit généralement aussi bon au dessin ou à la sculpture — ces arts demandant la maîtrise de techniques différentes. Pourtant, si l’on comprend le peintre par son rôle, il paraît évident que cette traduction s’effectue à l’aide de différents médiums. En raison de cette relation à la vision que possède le peintre à l’œuvre, le tableau semble être la fenêtre vers laquelle se tourner afin de mieux comprendre ce qui nous entoure. C’est par la traduction du mouvement en immobilité, l’expression de la profondeur par les couleurs et la déformation des lignes que l’artiste permet à nos données sur le monde d’être bouleversées à notre insu. Nous pourrions conclure par un passage de Rilke dans son ouvrage sur Rodin : « L’œil… par qui la beauté de l’univers est révélée à notre contemplation, est d’une telle excellence que quiconque se résignerait à sa perte se priverait de connaître toutes les œuvres de la nature dont la vue fait demeurer l’âme contente dans la prison du corps, grâce aux yeux qui lui représentent l’infinie variété de la création : qui les perd abandonne cette âme dans une obscure prison où cesse toute espérance de revoir le soleil, lumière de l’univers. ». x Oeuvres à consulter Recherche de la base et du sommet (René Char) Acheminement vers la parole (Heidegger) La Pensée et le mouvant (Bergson) Styles of Radical Will (Sontag)

Philosophie

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Culture

artsculture@delitfrancais.com

littérature

(Ré)incarner les voix passées Nelly & Sylvia entame avec émotion la 25e édition du FIL.

Mélina Nantel

Éditrice Culture

L

e Festival International de la littérature (FIL) se déroule présentement à Montréal, du 20 au 29 septembre. Véritable « fête de la parole », cet événement culturel aspire années après années à faire écho aux voix littéraires — passées et présentes — en proposant une programmation haute en couleurs. Pour l’ouverture de l’édition 2019, les mots de Nelly Arcan et de Sylvia Plath ont résonné dans la Cinquième Salle de la Place des Arts les 20 et 21 septembre derniers. Retour sur cette mise en lecture poignante qui aura su ébranler bon nombre de festivaliers et de festivalières.

Nelly & Sylvia Il y a 10 ans, Isabelle Fortier, de son nom de plume Nelly Arcan, se donnait la mort. C’était le 24 septembre 2009, date d’ouverture de la 15e édition du festival. Pour marquer la 25e édition cette année, le FIL rend hommage à la mémoire de celle qui n’aura été que météore au sein du paysage littéraire québécois. C’est grâce à l’idée originale de la journaliste Claudia Larochelle que les mots crus et dérangeants d’Arcan rejoignent ceux de la très regrettée poète américaine Sylvia Plath, dans une mise en lecture où les actrices Evelyne Brochu et Alice Pascual incarnent avec émotion les voix de Nelly et de Sylvia. Dans un décor sobre, où la scène n’est occupée que par des lutrins, les corps fins et découpés des deux jeunes actrices rappellent irrévocablement ceux de Nelly et de Sylvia. Les corps habitent la scène comme ils habitaient l’œuvre des deux femmes — ils sont omniprésents, la chair of-

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Culture

ferte aux spectateur·rice·s dans une vulnérabilité totale. Le corps, chez Nelly, est synonyme de torture. Torture infligée par le regard des autres, par l’épilation, la chirurgie, l’anorexie. Pour Sylvia, le corps est synonyme de prison, véritable cloche de verre dans laquelle elle « mijo[tait] toujours dans le même air vicié ». 46 ans avant Nelly, Plath se donnait la mort. D’un même souffle, elles décortiquent ensemble, par un habile montage de textes, cette douleur qui est la leur : celle de ne pas avoir su trouver leur place. Putain « Sur un mur de mon appartement j’ai planté un énorme clou pour me pendre. Pour me pendre je mélangerai de l’alcool et des calmants et pour être certaine de ne pas m’endormir avant de me pendre, je me soûlerai debout sur une chaise, je me soûlerai la corde au cou jusqu’à la perte de conscience. Quand la mort viendra, je ne veux pas être là. » Nelly crache dans Putain ces mots, criant de vérité de par la finalité qu’ils contiennent irrévocablement : le suicide, cadeau empoisonné que s’était promis l’autrice pour ses 30 ans. Dans un seul souffle, l’actrice Evelyne Brochu articule avec une maîtrise épatante l’univers débordant de Nelly. Elle scinde le texte comme celui-ci a été écrit : sans espace, d’une longue et pénible élancée, et qui se termine dans la fatalité que l’on lui connaît tous·tes — fin inextirpable mais pourtant plantureusement expliquée. Si leur incapacité à vivre unissait les

finalement, sorte de catharsis comme seul l’art le permet. Dans Putain, les mots d’Arcan choquent par leur manière de dire le laid. Isabelle y raconte Nelly, poupée qui doit la substituer afin de payer le coût faramineux de ses études en lettres. Elle se prostitue, devenant ce « décor qui se démonte lorsqu’on lui tourne le dos », prête à revêtir tous les filtres plutôt que d’habiter sa véritable peau. Un outil esthétique Si l’interprétation d’Alice Pascual est moins incarnée, l’on s’imagine que c’est peut-être en partie de par la nature des écrits de Plath. Dans un ton tantôt tragique, tantôt ironique, l’autrice utilisait l’écriture comme un outil esthétique, où elle pouvait, en phrasant joliment, exprimer les tréfonds de son être. « Je trouvais ça facile de s’ouvrir les veines dans une baignoire, d’être allongée, et de voir la rougeur s’échapper de mes poignets, vague après vague dans l’eau claire, jusqu’à ce que je m’endorme sous une surface aussi écarlate qu’un champ de coquelicot ». Pascual réussit habilement à rendre la dimension tragique des écrits de Plath, qui s’époumone entre rires et désespoirs. L’arrogance dont elle fait usage témoigne de cet affront que représente son acte — celui de prendre parole en tant que femme au sein d’une société dominée alors (et peut-être toujours) par des voix d’hommes. Il est indéniable qu’Arcan et Plath partagent dans leurs œuvres des thèmes qui se font écho : la place des femmes dans la société, le rapport au corps, la détresse. Prises dans un monde trop violent pour les contenir, elles se seront enlevé la vie à 50 ans d’écart, laissant derrière elles des œuvres qui auront douloureusement marqué leur époque. En mettant en commun l’univers de ces deux femmes de lettres, Claudia Larochelle provoque un dialogue posthume qui dérange de par l’écho qu’il crée et entame en force un festival qui promet une kyrielle d’émotions. X

deux femmes, le premier ouvrage de Nelly, Putain, a d’abord été pour elle un outil de survie, un journal qu’elle écrivait sous la recommandation de son psychanalyste et qu’elle publiera

Rendez-vous sur le site du FIL pour la programmation complète du festival.

PHOTOS - COURTOISIE DU FIL

le délit · mardi 24 septembre 2019 · delitfrancais.com


littérature

Traumatisme et vulnérabilité L’Euguélionne présente une table ronde sur l’interruption volontaire de grossesse. Zoé Larocque

Parole aux femmes

A

L’Euguélionne est une coopérative de solidarité à but non lucratif fondée en 2016 et se spécialise dans les ouvrages féministes, queer, lesbiens, gais, bisexuels, trans, intersexes, asexuels et agenres, two-spirit, anti-racistes, anti-coloniaux, etc. Après une reconnaissance des terres autochtones sur lesquelles nous nous trouvions, c’est tous et toutes collé·e·s et dans une ambiance des plus intimes qu’a débuté la soirée, avec comme animatrice Fanie Demeule, l’autrice de Déterrer les os. Afin de se plonger dans la thématique, l’événement donnait parole à Marie Demers et à Maude Bergeron, respectivement autrice des livres à succès In Between et Les désordres amoureux et celle que l’on connaît entre autres pour son projet d’illustrations Les folies passagères et pour son roman Pamplemousse. Les deux autrices ont livré des extraits de leurs romans inspirés de leurs vies respectives avec vulnérabilité et générosité. Elles ont toutes

Contributrice

vec l’arrivée des élections fédérales, certain·e·s pensent à troquer Justin Trudeau au profit d’Andrew Scheer. Au Canada, l’interruption volontaire de grossesse, aussi connue sous le nom d’avortement, a longtemps été un crime. Il y a à peine 30 ans, l’acte d’avorter était considéré comme criminel à moins que la vie de la femme enceinte ne fût en danger. Même si Scheer réitère qu’il ne soutient pas la réouverture du dossier du droit à l’avortement, les député·e·s conservateur·rice·s pourront déposer des projets de loi anti-avortement — Scheer ayant d’ailleurs déjà voté par le passé en faveur de tels projets. C’est dans ce contexte politique particulier que la librairie féministe L’Euguélionne nous a ouvert ses portes vendredi dernier pour une table ronde sur l’écriture de l’interruption volontaire de grossesse.

deux vécu l’expérience d’un avortement, mais en témoignent de façons complètement différentes. Y allant à coups de métaphores fruitées, poétiques et poignantes dans Pamplemousse ou en décrivant l’acte avec une violence touchante et empreinte de culpabilité dans Les désordres amoureux, ces deux écrivaines chamboulent le public avec leurs œuvres. Elles ont d’ailleurs vécu le processus d’écriture à l’opposé : Maude Bergeron écrivait davantage pour elle-même, alors que Marie Demers espérait de son côté être publiée. Par contre, elles ont toutes deux trouvé l’écriture très difficile. Elles ont échangé le micro pour raconter la manière dont elles ont vécu cette expérience traumatisante ainsi que la raison pour laquelle elles ont ressenti le besoin d’écrire, même si cela était difficile émotionnellement. Une vraie épreuve Le thème de l’interruption volontaire de grossesse est peu abordé dans la littérature, selon

les autrices. L’écrire aura été pour elles un moyen d’avoir une prise de contrôle sur ce qu’il leur est arrivé et d’enfin permettre à d’autres femmes de se reconnaître dans ces récits. En effet, les deux autrices ont avoué avoir reçu de nombreux témoignages en lien avec les avortements, la santé mentale, les relations amoureuses toxiques et plus encore à la suite de leurs publications respectives. Elles se sont senties moins seules lorsque ces femmes leur avouaient se reconnaître dans leurs protagonistes. Tout au long de la table ronde, elles ont aussi voulu démontrer que l’avortement ne doit pas être banalisé, notamment parce qu’il s’agit d’une décision qui peut s’avérer difficile pour de nombreuses femmes. Je pense que les hommes bénéficieraient de ces lectures, car les autrices ont su présenter des points de vue uniques sur une situation qui peut arriver à énormément de femmes. Le droit à l’interruption volontaire de grossesse est

loin d’être un droit sécurisé à travers le monde et il ne faut pas laisser le Canada rétrograder. Cette table ronde m’a réellement ouvert les yeux sur cette épreuve qui demande une grande bravoure, contrairement à ce que certaines personnes peuvent penser. La table ronde terminée, je suis sortie de la librairie secouée d’admiration pour ces deux autrices et avec de nouveaux livres sous le bras. X

Évangéline durand-allizé

cinéma

Recoller les morceaux Retour sur le premier long-métrage anglophone de Xavier Dolan. Grégoire collet

Rédacteur en chef

T

he Death and Life of John F. Donovan (Ma vie avec John F. Donovan pour la version française), l’avant-dernier film de Xavier Dolan, est enfin sorti. Le septième long-métrage du réalisateur a connu plusieurs rebondissements : coupure au montage de l’actrice Jessica Chastain (annoncée au début comme tête d’affiche), douche froide de la critique au TIFF (Toronto International Film Festival ou le Festival International du film de Toronto, en français) en 2018 ainsi qu’une sortie québécoise non annoncée alors que le film était déjà sorti en France. À l’écran, on peut voir le nec plus ultra du cinéma américain. Kit Harington partage l’écran avec Natalie Portman, Susan Sarandon, Thandie Newton et le jeune espoir Jacob Tremblay. Le film — prenant comme point de départ la relation épistolaire entre l’acteur John F. Donovan et Rupert, jeune garçon d’une dizaine d’années — orbite entre plusieurs moments de la vie des deux personnages principaux.

Raconter l’admiration Dolan reprend des thèmes qui lui sont chers, comme l’admiration, la relation mère-fils et l’homosexualité, et les projette dans un New York pailleté et une banlieue londonienne maussade. Le réalisateur s’imprègne des codes narratifs hollywoodiens et ajoute aux thèmes qu’il traite

semble faire en fait plus écho à la (nouvelle) vie du réalisateur. Bien que John F. Donovan soit plongé dans les artifices de la célébrité, les questions de santé mentale et d’homophobie apportent contraste au thème de la célébrité. Ces nuances rendent intrigante — sans fasciner — la relation privilégiée que l’enfant entretient avec la star. Le

Fresque à trous

film s’empare de beaucoup de sujets, mais vient à oublier la subtilité que l’on retrouve habituellement dans les œuvres du réalisateur montréalais, s’engouffrant parfois dans un pathos regrettable.

dans le flou. Peut-être qu’un director’s cut (version du réalisateur, en français) rendrait mieux hommage aux intentions de Dolan, mais le produit fini peut laisser confus·e lorsqu’on voit l’ambition du film,

Se dessinent au fil de l’histoire les vestiges d’un film que l’on ne verra jamais. Avec une histoire qui se raconte autant au passé qu’au présent, la narration se voit tiraillée. Si l’on nous cède des indices sur les événements qui se déroulent, les ellipses narratives laissent souvent

capture du film ordinairement le thème de la célébrité et de la réussite dans le milieu du divertissement. The Death and Life…, bien qu’il puisse, à première vue, sembler moins autobiographique que d’autres films de Dolan,

le délit · mardi 24 septembre 2019· delitfrancais.com

tant dans ce qu’il veut raconter que par les personnages qu’il essaie de mettre en avant. Si la construction narrative est parfois incomplète, le film se saisit franchement des sujets qu’il traite et transmet une émotion qui devient le fil rouge de la seconde moitié du film. Les rapports que les deux personnages principaux entretiennent avec leurs mères et la violence de l’homophobie latente catalysent l’émotion et viennent épaissir le propos du film, bien que les ressorts utilisés par Dolan ne soient pas entièrement novateurs dans son cinéma. La force du film réside principalement dans la performance des acteur·rice·s qui donnent vie à cette émotion ; Natalie Portman et Susan Sarandon complètent superbement la distribution, tout en nuançant le portrait que Dolan fait habituellement des mères. Au bout du compte, The Death and Life of John F. Donovan parvient à faire son effet, sans pour autant bouleverser. Les inconditionnel·le·s de Dolan se retrouveront sûrement dans le film, mais ceux et celles qui lui reprochent son narcissisme seront fatalement agacé·e·s par cette nouvelle interprétation des sujets de prédilection du réalisateur. x

culture

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cinéma

Nouvelle recette pour Tarantino

Once Upon a Time… in Hollywood : le mouton noir des films du réalisateur. spectateur·rice. Le film se termine avec une séquence d’action bien exécutée à travers laquelle Tarantino transpose son récit dans une réalité alternative où Sharon Tate n’a pas d’importance.

Olivier Turcotte

Contributeur

C’

est avec fébrilité que plusieurs adeptes de cinéma se sont dirigé·e·s en salle au mois de juillet dernier pour voir la plus récente œuvre de Quentin Tarantino Once Upon a Time… in Hollywood (Il était une fois... à Hollywood en français). Étonnamment, ce film a provoqué, dès sa sortie, des réactions opposées chez les fans de Tarantino. Alors que plusieurs le qualifient de chefd’œuvre, d’autres (moi y compris) considèrent le long-métrage de près de trois heures comme l’une des créations les moins marquantes du réalisateur américain. De hautes attentes À l’annonce du casting du film ­­— composé entre autres de Leonardo DiCaprio, de Brad Pitt et de Margot Robbie — de nombreux·ses admirateur·rice·s de Tarantino se sont emballé·e·s ; Pitt et DiCaprio ayant déjà travaillé avec Tarantino, le renouvellement de cette équipe promettait beaucoup. Avec la combinaison d’un tel casting et de cet univers passionnant, le réalisateur annonçait un long-métrage

On aboutit donc avec un film où la forme et l’univers prennent toute la place, au détriment du fond et de la narration, et qui néglige le talent de l’actrice Margot Robbie dans le but de construire une tension autour de son personnage. Tarantino sacrifie ici ce qui fait la force de ses films pour une suite de moments forts et pour exprimer quelques opinions.

sans précédent dans sa carrière. Comment expliquer alors une telle déception pour un aussi grand nombre d’auditeur·rice·s? Une construction inhabituelle Il se trouve que Once Upon a Time… in Hollywood, sorte de « lettre d’amour à Hollywood », est en réalité très différent des autres films de Tarantino, notamment d’un point de vue structurel. Dans ce film, l’objectif de Tarantino est de faire vivre aux spectateur·rice·s l’époque des westerns

et du Hollywood qui leur a donné naissance. À travers ce contexte, le réalisateur cherche à construire une tension entre la célébrité Sharon Tate et Rick Dalton et son complice Cliff Booth, deux véritables « has-been » du cinéma. En cours de route, Tarantino n’hésite pas à faire référence à ses propres films ou à critiquer le cinéma de l’époque (en ciblant notamment l’acteur Bruce Lee). Résultat : un film manquant cruellement de propulsion narrative. Ce manquement s’explique bien : Tarantino semble avoir misé sur des moments

Capture du film forts plutôt que sur la construction d’une histoire évoluant grâce à des personnages interreliés et à leur confrontation, qui constitue habituellement le point fort de ses films. Complètement dépourvues de fil conducteur, les premières minutes du film donnent l’impression de visionner un documentaire narratif sur la carrière d’un ancien acteur. Un film de moments Ce n’est qu’à la dernière heure du film que l’ensemble commence à prendre sens pour le·a

Malgré tout, le film Once Upon a Time… in Hollywood reste très appréciable, d’un style optimal et dans lequel les excellent·e·s acteur·rice·s font vivre à tout·e spectateur·rice des émotions fortes. Ce film n’est peut-être pas aussi palpitant que les blockbusters monopolisant les cinémas, mais un·e fan des films de Tarantino ou de la culture des années 1960 y trouvera définitivement du plaisir. Si les critiques à l’égard de la qualité du film sont aussi partagées, l’on peut se demander si dépourvue des grandes vedettes en tête d’affiche et de la célébrité du réalisateur, l’œuvre aurait connu le même succès. x

théâtre

Enivrés, déjantés, désenchantés Le Théâtre Prospero reprend Les enivrés pour débuter sa saison. Marie-Hélène Perron

Contributrice

T

roisième texte d’Ivan Viripaev présenté au Prospero depuis 2013, Les enivrés témoigne de l’enthousiasme grandissant qu’éprouve la scène internationale pour cet auteur contemporain russe. Sous la mise en scène de Florent Siaud, la pièce présente les dérapages d’une quinzaine de personnages ivres dans une variété de courtes scènes — indépendantes, mais toujours entrelacées. Soirée entre ami·e·s qui dégénère, enterrement de vie de garçon dans un restaurant végétarien, nuit de noces qui ne parvient pas à se passer dans l’intimité ; toutes les situations mènent inévitablement au déchirement des relations humaines, et parfois à leur reconstitution inespérée dans un mouvement burlesque. Distribution de roc Composée d’une distribution solide de dix acteur·rice·s, Les enivrés repose presque entièrement

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culture

sur la performance de ceux·cellesci. Leur faire jouer l’état d’ébriété ininterrompu durant l’entièreté d’une pièce d’une heure et demie est un pari risqué, mais néanmoins un pari que les acteurs et actrices relèvent avec un brio étonnant. Discours incohérents, paroles pâteuses et démarches chancelantes s’accumulent et se succèdent à divers degrés : l’illusion reste complète. Du côté comique des personnages, comme pour celui joué par Dany Boudreault (Gabriel) — s’échinant à faire reconnaître à ses amis l’existence de son frère prêtre catholique — à la contrebalance plus tragique des personnages, tels que ceux qui sont interprétés par David Boutin (Mark et Karl), tout ce que le texte peut offrir est mis en juste valeur par une performance égale et maîtrisée de la part de toute la troupe. Cela se fait malgré le glissement entre les accents, du français international au québécois, en passant par le français de la France hexagonale, qui semble s’opérer d’une drôle de façon alors que d’autres personnages comme

au sérieux les complaintes relationnelles des enivré·e·s, lorsque la plupart d’entre elles sonnent remâchées et creuses. L’alcool fait ressortir le vrai chez l’humain — ce vrai parfois laid, égoïste, vain ou stupide — et tout effort de connexion sincère à l’autre est ainsi nécessairement voué à l’échec. Malheureusement, le texte laisse un peu le public sur sa faim, surtout après une pièce comme Oxygène, aussi de Viripaev et mise en scène par Christian Lapointe en 2013.

celui de la prostituée Rosa, sont les seul·e·s à s’exprimer avec un fort accent québécois. Réflexions relationnelles Le décor — constitué de bandelettes de tulle sur lesquelles sont visibles des projections difformes, d’artefacts de patio, et d’une variété de ballons de

Helene-Bozzi plastique — est d’une matérialité dérangeante dans son style bon marché. Pourtant, le plastique non soigné de l’environnement semble être en accord avec le grotesque de la majorité des situations. Dans ces situations, le·a spectateur·rice cherche parfois la profondeur promise dans la brochure de la pièce. Il est difficile de prendre

S’il n’est pas toujours clair s’il faudrait rire avec les enivré·e·s ou bien rire d’eux·elles, il reste qu’au cours de la pièce, les rires se font très souvent entendre. C’est ce vers quoi porte l’absurde : amuser dans une confusion effrayante. Ainsi, Les enivrés font cette promesse et la tiennent sans contredit. Présentée au Théâtre Prospero jusqu’au 28 septembre. x

le délit · mardi 24 septembre 2019 · delitfrancais.com


théâtre

Doc Knock, qui est là?

Une première mise en scène au Théâtre du Nouveau Monde pour Daniel Brière. courtoisie du tnm

Gali Bonin

Contributeur

L

e 17 septembre dernier, le Théâtre du Nouveau Monde (TNM) ouvrait sa saison 2019-2020 avec une pièce frappante de contemporanéité : Knock ou le Triomphe de la médecine. Ce texte de Jules Romains datant de 1920 est monté par Daniel Brière qui, pour la première fois, s’occupe d’une mise en scène au TNM. Son collègue Alexis Martin incarne le docteur Knock, le personnage principal de la pièce. Les deux comédiens étant co-directeurs du Nouveau Théâtre Expérimental (NTE), la pièce connaît une saveur inhabituelle pour le TNM, et ce, tant dans la distribution des rôles que dans la mise en scène de Brière. La médecine et les temps modernes L’action se déroule dans un petit village de campagne française où le docteur Parpalaid, médecin de Saint-Maurice depuis près de 25 ans, vient de prendre sa retraite. Son successeur, un dénommé Dr. Knock, compte bien, coûte que coûte, moderniser sa profession : une consultation gratuite par semaine, diagnostics charlatans, surprescriptions, entente stratégique avec le pharmacien, etc. En moins

Ce qu’on croyait être un simple mal de gorge devient en un instant une pharyngite ou encore un cancer des bronches. Ce qu’il exploite réellement, c’est l’angoisse liée à l’ignorance de ses patient·e·s : ils et elles sont atteint·e·s de quelque chose de très grave qu’il leur expliquera plus tard, une fois qu’ils et elles seront alité·e·s. Il devient alors le seul à pouvoir les sauver, ce qui force la population à lui obéir au doigt et à l’œil. D’absurde à grotesque

de trois mois, Knock réussit à aliter plus de la moitié du canton qui, peu à peu, tombe dans une paranoïa hypocondriaque coordonnée par le docteur. Dans la version mise en scène au TNM, l’équipe a ajouté un épilogue dans lequel un médecin du système de santé québécois fait une apparition et vient interagir avec les personnages de Romains et le public. L’absurde anxieux La pièce est en fait une comédie burlesque ridiculisant la psychose moderne de la salubrité. Knock est un personnage machia-

vélique, tout en se voulant bienfaiteur, dont la devise résume bien la méthode : « Les gens bien portants sont des malades qui s’ignorent. » Pour convaincre ses patient·e·s de leurs maux imaginaires, le docteur les escroque à la manière des vendeurs d’élixirs du Far West. Il les manipule au point de les rendre fous et folles d’anxiété et, bien qu’il soit médecin des corps, joue plus souvent qu’autrement avec la santé mentale plutôt qu’avec la santé physique. Une visite chez le Dr. Knock, c’est l’ancêtre des autodiagnostics qu’on se pose après dix minutes de recherches sur Google.

La mise en scène de Brière, quant à elle, reflète l’humour burlesque du texte. Le jeu des comédien·ne·s est grossier et cherche surtout à mettre en valeur la caractéristique principale du personnage : sa pauvreté, son avarice, son ivrognerie, son machiavélisme, etc. Il en va de même pour les maquillages et les costumes. On ne cherche pas ici un réalisme nuancé, mais plutôt un absurde éclatant. Ainsi, la pièce n’est pas montée avec l’intention de berner le public. Les projections vidéo, le jeu extravagant et les maquillages marqués rappellent constamment au spectateur et à la spectatrice qu’il·elle n’assiste pas là à une scène plausible de la vie quotidienne, mais

bien à une comédie ricanant d’une absurdité sociale. En ce sens, l’ajout d’un épilogue moderne où le quatrième mur est brisé relève de l’inutile. Tous les éléments étaient déjà en place durant la pièce pour que le·a spectateur·rice puisse, par lui·elle-même, dresser un parallèle avec la folie frénétique que l’on a encore de tout vouloir aseptiser jusqu’à la moindre cellule. Vouloir trop jouer à l’activiste social en explicitant son propos au maximum finit par nuire à l’œuvre en soi. Toutefois, une telle fin peut faire du bien lorsqu’elle est présentée dans un théâtre comme le TNM. Brière vient briser les codes classiques en invitant le théâtre contemporain à s’immiscer dans une salle réputée pour suivre un corpus et une distribution plus traditionnels. Ce genre d’ajout expérimental se voit pourtant dans plusieurs autres salles montréalaises. Cette tendance est même monnaie courante pour certaines boîtes de production comme le NTE. L’on pourrait ainsi dire que Knock est une pièce du TNM pleine d’influences du Nouveau Théâtre Expérimental. Présentée au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 12 octobre. x

opéra

Sous le charme d’Eugène Onéguine L’Opéra de Montréal ouvre sa nouvelle saison avec l’œuvre la plus connue de Tchaïkovski. ans après leur création, les célèbres « scènes lyriques » inspirées du roman de Pouchkine (1833) plaisent toujours autant au public, comme en témoignait la salle WilfridPelletier, presque comble à la première le 14 septembre dernier.

dans une lettre. Cependant, elle est éconduite. Des années plus tard, Onéguine est stupéfait de reconnaître Tatiana en l’épouse du Prince Grémine et se découvre des sentiments pour elle. Eugène inonde la jeune femme de lettres d’amour et contraint la princesse à lui avouer son amour toujours brûlant pour lui. Toutefois, elle refuse de tromper son mari et laisse Onéguine seul et désespéré.

Une mise en scène fidèle

Un décor pictural

Dans une mise en scène classique avec costumes et décors de la fin du 18e siècle, l’Eugène Onéguine de Tomer Zvulun représente fidèlement cette histoire d’amour tragique. L’action se déroule en Russie, dans la demeure de campagne des Larina. Olga est courtisée par le poète Vladimir Lenski, qui vient un jour leur rendre visite avec son voisin Eugène Onéguine, récemment installé à la campagne. Tatiana, la sœur d’Olga, tombe follement amoureuse de ce dernier et lui déclare sa passion

Le décor, élégant sans être distrayant, est dans les tons de blanc et de gris, devant un panneau superbement exécuté illustrant un champ sous un ciel rose et violet. En y ajoutant une forêt de bouleaux devant le panneau au premier acte, il présente un aspect pictural, renforcé par l’immobilisation fréquente des chanteur·euse·s lors des airs des solistes. La scénographie rappelle les paysages champêtres peints par les grands maîtres russes de l’époque de Tchaïkovski. Le minimalisme relatif du décor et

léa bégis

Contributrice

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le délit · mardi 24 septembre 2019 · delitfrancais.com

Yves Renaud

le statisme du chœur permettent aux spectateur·rice·s de se concentrer sur les voix des solistes durant les moments introspectifs. Jeunes voix d’une grande qualité C’est au tour des jeunes voix de la relève opératique de chanter

les airs riches en émotion du compositeur russe afin de rendre la simplicité et la sincérité du texte et de la musique de Tchaïkovski et de Chilovski. L’opéra avait d’ailleurs été interprété pour la première fois par des étudiant·e·s du conservatoire de Moscou à l’époque de sa création. Le duo

Nicole Car - Étienne Dupuis parvient à interpréter brillamment l’amour inassouvi entre Eugène et Tatiana avec des voix puissantes et un jeu rempli d’émotion, particulièrement dans la scène finale, où Onéguide est éconduit à son tour par l’héroïne. Dans la scène de l’écriture de la lettre de Tatiana à Onéguine, l’air de la soprano a touché le public, ce dernier ayant applaudi pendant presque cinq minutes. La voix de la grande mezzo-soprano Stefania Toczyska convient parfaitement au rôle de la nourrice, personnage doté de la sagesse de l’âge, et son jeu est juste et touchant. La performance d’Owen McCausland (Lenski) dans la scène où le poète se prépare à accueillir la mort avant son duel avec Onéguine est sans faute, toute en émotion et en profondeur. Interprété par des voix de haute qualité et représenté par des décors et des costumes superbes, l’Eugène Onéguine de l’Opéra de Montréal est un spectacle qui a séduit le public montréalais. x

culture

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ENTREVUE

Les élections fédérales décortiquées

Le Délit discute des élections avec Daniel Béland, professeur de sciences politiques à McGill et spécialiste de la politique canadienne. Le Délit (LD) : Comment le paysage politique a-t-il changé depuis l’élection de Justin Trudeau en 2015? Professeur Daniel Béland (DB) : La première chose qui a changé, c’est qu’au début de la dernière campagne, on s’attendait à une course pour le pouvoir entre le Nouveau Parti Démocratique (NPD) et le Parti conservateur (PCC); les néo-démocrates ne sont vraiment plus dans la course cette fois-ci. De plus, depuis de le début de son mandat, l’aura qui entourait Justin Trudeau a quand même perdu de son lustre. D’une part, à cause de l’usure du pouvoir, mais aussi à cause d’événements plus précis, comme le voyage en Inde ou l’affaire SNCLavalin, quoique bien que ces évènements aient eu un impact très différent selon les provinces. Ce qui a changé peut-être de façon plus profonde, c’est la carte électorale dans les provinces. Quand les conservateurs ont perdu l’élection, il y avait beaucoup de libéraux au pouvoir dans les provinces, et en particulier dans toutes les grosses provinces : en Ontario, au Québec et en Colombie-Britannique, sans compter en Alberta où le gouvernement néo-démocrate était plutôt de centre-gauche comme les libéraux. On avait donc une carte électorale qui était assez favorable aux libéraux, et c’était beaucoup plus facile de travailler avec les provinces. Ce qu’on a vu depuis deux ou trois ans, c’est que la carte électorale a graduellement viré au bleu, avec des critiques très féroces de Justin Trudeau aux commandes en Alberta, en Ontario et en ColombieBritannique. Il faut dire qu’en Ontario, par contre, Doug Ford est plutôt impopulaire en ce moment, alors sa présence ne va pas nécessairement nuire à Justin Trudeau.

voter pour le Bloc, et ceux qui ont voté pour lui à cause de son conservatisme devraient voter pour le parti conservateur, à moins qu’ils ne votent pour le parti populaire de Maxime Bernier. LD : Selon vous, quels sont les enjeux qui devraient être déterminants pour cette campagne électorale? DB : La réponse est peut-être évidente, mais dans toutes les campagnes [électorales], l’économie est généralement l’enjeu le plus important. Je

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entrevue

Même si le Canada est un pays de plus en plus urbain, on voit aussi des distinctions entre les centres-villes, les banlieues et le monde rural. Concernant l’agriculture par exemple, les gens à

c’est que même si le NPD ou les verts finissaient loin en troisième place, ils pourraient avoir la balance du pouvoir ou même faire partie du gouvernement. Si je ne mentionne pas le Bloc québécois, c’est qu’en 2008 l’idée que le Bloc puisse faire partie de la coalition gouvernementale avait créé un sacré remue-ménage à l’extérieur du Québec. Par contre, même si ce serait difficile pour le Bloc de faire partie du gouvernement, il pourrait voter ou non pour le gouvernement et donc avoir la balance du pouvoir

RAFAEL Miró pense que cette année on voit beaucoup de discussions au sujet de l’économie, mais cette fois en lien avec des questions comme l’immigration ou l’environnement. L’économie est maintenant souvent abordée en relation avec l’environnement. Est-ce qu’on doit, par exemple, continuer à construire des pipelines et continuer à consommer [du pétrole]? L’environnement

« Même si le NPD ou les Verts finissaient loin en troisième place, ils pourraient quand même avoir la balance du pouvoir » Ce n’est pas du tout la même chose au Québec, où François Legault est très populaire. Le gouvernement caquiste est en mesure de faire des demandes crédibles, notamment sur la loi 21 qui est très populaire chez les électeurs francophones, des électeurs qu’aucun parti ne veut s’aliéner. L’élection de la CAQ est aussi une mauvaise nouvelle pour les libéraux, parce que ce sont en grande partie des électeurs qui vont voter contre eux. Les électeurs qui ont voté pour Legault pour des raisons nationalistes vont évidemment

l’autonomie provinciale, par rapport à l’ingérence potentielle d’Ottawa face au gouvernement de François Legault. En Ontario, on parle plutôt de l’aspect fiscal et budgétaire, dans le miroir de ce qui se passe avec Doug Ford et son gouvernement progressiste conservateur.

n’est pas seulement perçu comme un enjeu politique ou symbolique, c’est aussi un enjeu économique. C’est toute la question de l’économie verte, mais aussi de ce qui va arriver avec l’industrie gazière et l’industrie pétrolière du pays. Pour le reste, les sujets abordés dépendent beaucoup des régions et des provinces. Bien sûr, en Alberta on va parler beaucoup de pipelines. Au Québec, on parle plus d’environnement, mais je pense aussi qu’on va parler un peu de la loi 21 et de

Montréal ça ne les intéresse pas trop, mais si vous sortez juste un peu de Montréal et que vous allez dans les Cantons de l’Est ou bien dans la Beauce, ce sont des enjeux qui sont très importants.

partagée avec les verts et le NPD évidemment. Il pourrait également augmenter son nombre de sièges et obtenir le statut de parti officiel, ce qui lui donnerait accès à plus de ressources.

[Outre tous ces enjeux], comme c’est un gouvernement libéral, il y a, inévitablement, la question de savoir si Justin Trudeau devrait rester en poste, s’il mérite qu’on lui accorde la confiance des Canadiens pour un autre quatre ans.

Pour revenir au NPD, même s’il perd beaucoup de sièges, il pourrait en fait avoir plus d’influence concrète sur un gouvernement minoritaire lorsque le gouvernement minoritaire sait l’importance d’avoir la balance du pouvoir et donc même les plus petits partis peuvent jouer un rôle important dans la joute politique. On voit ce qui se passe en Colombie-Britannique, où les verts [de Colombie-Britannique] n’ont pas beaucoup de députés (seulement trois, ndlr) mais ont la balance du pouvoir.

LD : Plusieurs analystes prétendent en ce moment que deux courses se jouent au Canada. Il y aurait d’abord la course entre les libéraux et les conservateurs pour le pouvoir, puis il y aurait également la course entre le NPD et le Parti vert pour la troisième place. Qu’est-ce que l’issue de cette deuxième course pourrait changer à long terme pour les deux partis? DB : Déjà, même à court terme, on est dans une situation où, si l’on regarde les sondages, un gouvernement minoritaire est possible, et je dirais même très possible. Cela veut dire que chaque vote à la Chambre des communes va compter. Ce qui est intéressant,

LD : Les gouvernements de coalition — donc comptant des ministres issus de différents partis — sont très fréquents dans d’autres systèmes parlementaires, comme au Royaume-Uni, mais ils sont très rares ici au Canada, remplacés comme vous le dites par des gouvernements minoritaires. Est-ce que c’est une possibilité réelle au Canada?

DB : Il n’y a jamais eu de gouvernements de coalition au fédéral, mais il y en a déjà eu plusieurs au niveau provincial, comme ça se voit actuellement en Colombie-Britannique. Constitutionnellement, c’est parfaitement possible. En fait, tout ce qui concerne le gouvernement au Canada relève plus de conventions que de la constitution. Dans la loi constitutionnelle de 1867 ou encore la loi constitutionnelle de 1982, le mot premier ministre n’apparaît pas une seule fois, pas plus que le mot cabinet ou encore le mot caucus. Mais pour ce qui est du gouvernement, en général au fédéral la tradition c’est d’avoir un gouvernement minoritaire : on s’allie avec les partis d’opposition pour faire passer des lois, mais seulement au cas par cas, au lieu de signer une sorte de contrat de coalition comme on le fait dans d’autres pays, comme en Israël, en Belgique, en Italie ou au Danemark. LD : Dans quelles régions est-ce que le résultat électoral sera le plus significatif le 21 octobre prochain? DB : Je dirais que la région la plus importante, c’est la grande région de Toronto, puisqu’elle compte à elle seule 6.5 millions d’habitants ; elle a donc un poids démographique à peu près similaire à celui du Québec. Les banlieues de Toronto sont particulièrement déterminantes puisque, contrairement à la ville elle-même qui élit de manière assez prévisible des libéraux ou parfois des néo-démocrates, elles oscillent entre le Parti libéral et le Parti conservateur. Dans les dernières années, le parti qui a remporté le plus de sièges dans les banlieues de Toronto a toujours réussi à former le gouvernement, que ce soit les conservateurs de Harper en 2011 ou les libéraux de Justin Trudeau en 2015. La question cette fois-ci, c’est de savoir si les libéraux vont réussir à conserver leurs sièges. Les élections vont aussi se jouer au Québec en raison des 14 sièges du NPD qui sont très menacés, dans des régions comme Sherbrooke, Trois-Rivières ou la grande région de Montréal. Il n’est pas exclu que le NPD réussisse à en garder quelques-uns, mais pour le moment c’est très mal parti. Les autres partis devraient fortement se disputer ces sièges ; les conservateurs pourraient en ramasser un ou deux, le Bloc peut-être un peu plus, mais dans l’ensemble c’est sûr que ça profite surtout au Parti libéral, qui est en avance dans les sondages au Québec et qui devrait en récupérer la majorité. x

Propos recueillis par RAFAEL Miró

Éditeur Actualités le délit · mardi 24 septembre 2019 · delitfrancais.com


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