Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill
Mardi 8 octobre 2019 | Volume 109 Numéro 5
On s’endort en parlant depuis 1977
Éditorial
rec@delitfrancais.com
Volume 109 Numéro 5
Le seul journal francophone de l’Université McGill RÉDACTION 380 Rue Sherbrooke Ouest, bureau 724 Montréal (Québec) H3A 1B5 Téléphone : +1 514 398-6790 Rédacteur en chef rec@delitfrancais.com Grégoire Collet
McGill, ses étudiant·e·s et les élections: entre inertie et influence.
Actualités actualites@delitfrancais.com Violette Drouin Augustin Décarie Rafael Miró Culture artsculture@delitfrancais.com Mélina Nantel Audrey Bourdon Société societe@delitfrancais.com Opinion -Béatrice Malleret Enquêtes - Juliette de Lamberterie Philosophie philosophie@delitfrancais.com Simon Tardif Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com Niels Ulrich
L’ÉQUIPE DU DÉLIT
T
oute campagne électorale vient avec son lot de péripéties. Les agitations des partis et des électeur·rice·s défilent quotidiennement dans les journaux, mettant en évidence les ressorts d’une scène politique déchirée entre spectacle et gravité. L’accès au poste de Premier ministre donne l’impression d’un duel, entre un Scheer (Parti conservateur) inquiétant, et un Trudeau (Parti libéral) qui se souhaite toujours platement consensuel. Autour des deux partis en tête des sondages, quatre autres : le Nouveau Parti démocratique, le Parti vert, le Bloc québécois, et le Parti populaire. Les débats qui polarisent les partis sont propices à la contention, autant vis-à-vis des questions d’immigration, de laïcité, que d’environnement. À moins de deux semaines du vote, les élections ont réactivé la brutale machine politique, éreintante pour les minorités prises d’assaut dans les débats et assez alarmante quant aux répercussions de la nouvelle composition de la Chambre des communes. À McGill, la communauté étudiante est silencieuse vis-à-vis des élections de 2019, tout comme en 2018 pour les élections provinciales, ou en 2017 pour les élections municipales. Ce silence interroge quant à l’implication des étudiant·e·s mcgillois·es dans la vie politique canadienne, ainsi que celle de McGill. Nous aurions tort de nous féliciter de notre seule présence à l’université. S’il est vrai que cette institution accorde à plus d’un·e d’entre nous les compétences cruciales permettant de comprendre les joutes politiques et la gravité des enjeux, trop peu souvent agissons-nous en vertu de ces mêmes compétences. Il est facile d’oublier le rôle que peut jouer une institution aussi reconnue que McGill, sans oublier les acteur·rice·s y oeuvrant. Tant l’université, en tant qu’institution, que le corps étudiant qui la constitue, nous sommes à chaque année engagé·e·s dans des activités politiques
larges, aux ramifications profondes. Les recherches y étant conduites et les chercheur·se·s y enseignant un corpus d’un certain genre collaborent ou non à la situation politique actuelle. Prenez ces professeur·e·s en économie classique, ces autres en génie des mines ; ils·elles sont activement impliqué·e·s dans la construction d’un Canada qui ne pourra respecter ses engagements écologiques. La politique politicienne reposant souvent sur le savoir constitué au sein d’une nation, le rôle politique des universités et des étudiant·e·s est, quoique dissimulé, décisif. Cela, c’est avec pragmatisme qu’il faut le concevoir. Que pouvons-nous en tirer au niveau de l’implication des jeunes? Lors de la manifestation du 27 septembre dernier, l’on entendait de nombreux·ses jeunes s’exclamer qu’il·elle·s ne souhaitaient plus être ignoré·e·s par l’élite politique du pays. Par calcul stratégique ou par réelle conviction, Justin Trudeau, Elizabeth May, Yves-François Blanchet et Jagmeet Singh ont placé l’environnement au cœur de leur plateforme électorale, avec des engagements plus spectaculaires les uns que les autres. Il reste à voir si ces politiques rejoindront les 18-24 ans, qui historiquement ont le plus bas taux de participation de toute catégorie d’âge, et si elles les convaincront d’aller exercer leur droit de vote. Élections Canada explique ce désengagement des jeunes vis-à-vis de la vie politique notamment par un manque de confiance dans le système démocratique. Les mouvements au Canada prônant l’urgence et la justice climatique condamnent l’inaction du gouvernement, ou son action meurtrière sur l’environnement. Il est probable qu’un grand nombre de jeunes et d’étudiant·e·s ne souhaitent pas se saisir de leurs outils démocratiques et de s’engager au moment des élections, ne percevant pas la possibilité d’une influence réelle dans le processus décisionnel. Si leurs bottines ne suivent pas leurs babines, il est fort à parier qu’il·elle·s se retrouveront avec un parlement qui ne leur ressemble pas. x
Coordonnatrices visuel visuel@delitfrancais.com Evangéline Durand-Allizé Katarina Mladenovicova Multimédias multimedias@delitfrancais.com Vacant Coordonnateur·rice·s de la correction correction@delitfrancais.com Margaux Alfaré Florence Lavoie Webmestre web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Coordonnateurs réseaux sociaux reso@delitfrancais.com Hadrien Brachet Jérémie-Clément Pallud Contributeurs Philippe Bédard-Gagnon , Gali Bonin, Simon Dos Santos, Laura Doyle Péan, Marco-Antonio Hauwert Rueda, Alexandre Jutras, Eda Montalieu, Fernanda Muciño, Azélie Pouliot, Ninon Savostianoff. Couverture Evangéline Durand-Allizé Katarina Mladenovicova BUREAU PUBLICITAIRE 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 0E7 Téléphone : +1 514 398-6790 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Représentante en ventes Letty Matteo Photocomposition Mathieu Ménard The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Eloïse Albaret Conseil d’administration de la SPD Johnathon Cruickshank, Éloïse Albaret,Grégoire Collet, Juliette de Lamberterie, Nelly Wat et Sébastien OudinFilipecki (chair)
Les opinions exprimées dans les pages du Délit sont celles de leurs auteur·e·s et ne reflètent pas les politiques ou les positions officielles de l’Université McGill. Le Délit n’est pas affilié à l’Université McGill.
2 Éditorial
L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Les opinions de nos contributeurs ne reflètent pas nécessairement celles de l’équipe de la rédaction. Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavant réservés). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans le journal. Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).
le délit · le mardi 8 ocotbre 2019· delitfrancais.com
Actualités
Le Délit regrette qu’aucun·e candidat·e du Parti conservateur n’ait répondu à ses multiples demandes d’entrevue.
actualites@delitfrancais.com
Recueillement à la Place des Arts
Vendredi 1er octobre : vigile pour les femmes autochtones disparues et assassinées. Laura doyle péan
Contributeur·rice
«J
e n’ai pas de mots, que des prières. [...] Je n’ai que des prières pour les femmes qui sont disparues ou assassinées » , a déclaré Nina Segalowitz avant de commencer une performance de chant de gorge traditionnel en compagnie de sa fille, Sierra, vendredi dernier. « Ce soir, je chante pour les femmes qui sont seules et qui ne sont pas respectées. J’espère qu’elles trouvent leur voix. J’espère qu’elles retrouvent la sécurité » , a-telle continué, rendant hommage aux plus de 582 femmes et filles autochtones disparues ou assassinées depuis 2005 (chiffres: Association des femmes autochtones du Canada), à l’occasion d’une vigile organisée en leur honneur à la Place des Arts. Plusieurs centaines de personnes ont assisté à cette 14e vigile annuelle pour les femmes, filles, personnes transgenres et bispirituelles autochtones assassinées ou dispa-
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TOUS LES LUNDIS 17H - MINUIT 680 SHERBROOKE O., BUREAU 724
rues. Pour débuter la soirée, Annie Pisuktie, secrétaire de l’Association des Inuits du Sud du Québec (Inuit Siqinirmiut Quebecmi Ilaujut / Southern Quebec Inuit Association) et elle-même survivante de violences, a pris la parole pour raconter son histoire. Elle a aussi rappelé la disparition de Donna Paré, une femme inuite originaire d’Iqaluit dont la disparition à Montréal a été rapportée le 26 mars dernier. De nombreux·ses artistes se sont également succédé·e·s pour rendre hommage aux différentes familles et communautés autochtones touchées par ces disparitions. Notons la présence des poètesses Marie-Andrée Gill (Chauffer le dehors, Frayer, Béante) et Maya Cousineau Mollen, qui a lu des extraits de son recueil Bréviaire du matricule 082. Étaient également présent·e·s Rebecca Belmore, une artiste Anishinabée qui était exposée au MAC jusqu’au 6 octobre, ainsi que les Buffalo Hat Singers, un groupe de chanteurs
de powwow contemporain basé à Montréal. Selon le rapport final de l’enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, sorti au début du mois de juin, le taux d’homicide des femmes autochtones est 5 fois plus élevé que celui des femmes en général au Canada. Les effets continus du racisme, du colonialisme et du sexisme vécus par les peuples autochtones comptent parmi les causes associées à cette crise. « Nous devons restaurer l’aspect sacré de notre Mère » a déclaré MamaBear (Louise McDonald, Mère du Clan de l’Ours de la communauté Mohawk d’Akwesasne) lors de son discours d’ouverture, expliquant ensuite les liens entre la crise environnementale et la crise sociale liée aux féminicides autochtones. « Plus notre planète se fait manquer de respect et plus nos femmes et nos filles disparaissent », a-t-elle affirmé, propos qui rejoignent ceux d’Ellen Gabriel,
AGA &
Appel de candidatures Les membres de la Société des publications du Daily (SPD), éditrice du McGill Daily et du Délit, sont cordialement invités à son Assemblée générale annuelle :
Le mercredi 23 octobre @ 17h30 Pavillon Burnside, Salle 1B36
La présence des candidat(e)s au conseil d’administration est fortement encouragée. La SPD recueille présentement des candidatures pour son conseil d’administration.
Aucune expérience journalistique requise seulement de la motivation!
Les candidat(e)s doivent être étudiant(e)s à McGill, inscrit(e)s aux sessions d’automne 2019 et d’hiver 2020 et aptes à siéger au conseil jusqu’au 30 juin 2020. Les postes de représentant(e) des cycles supérieurs et représentant(e) de la communauté sont également ouverts. Les membres du conseil se rencontrent au moins une fois par mois pour discuter de la gestion des journaux et prendre des décisions administratives importantes.
Pour plus d’information, envoie un courriel à rec@delitfrancais.com
Pour déposer votre candidature, visitez : dailypublications.org/fr/ conseil-d-administration/comment-appliquer/
delitfrancais.com/ apropos/contribuer
Date limite: le vendredi 11 octobre @ 23h59
le délit · mardi 8 octobre 2019 · delitfrancais.com
Simon dos santos
écoféministe autochtone selon qui « les problèmes auxquels font face les Autochtones sont imputables à des lois et des politiques coloniales qui permettent aux entreprises de prospérer grâce à l’extraction des ressources naturelles et à l’appropriation des terres autochtones de manière négligente et déresponsabilisée » (Faire partie du monde : réflexions écoféministes). MamaBear a conclu son discours avec espoir, remerciant tout le monde de s’être présenté à l’événement : « J’ai de l’espoir parce que vous êtes venu·e·s [...] je pense que la société, c’est les gens. Et le changement vient de gens qui se présentent. »
« Pour toutes les personnes allochtones, maintenant que vous savez, vous avez une responsabilité d’écouter, d’écouter davantage et de faire quelque chose » , a conclu Dayna Danger, une des responsables du Centre de lutte contre l’oppression des genres, un des organismes chargés de l’organisation de l’événement. Des bénévoles du Foyer pour femmes autochtones de Montréal, l’autre organisme ayant planifié le vigile, étaient présent·e·s sur place afin d’amasser des fonds pour le projet Iskweu, initiative qui vise à aider les familles de femmes et de filles autochtones disparues ou assassinées. x
SACOMSS
Sexual Assault Center of the McGill Students’Society (Centre d’intervention en matière d’agression sexuelle)
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Actualités
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ÉLECTIONS FÉDÉRALES 2019 - ENTREVUES DE CANDIDATS
Alexandre Boulerice
Le Délit a rencontré Alexandre Boulerice, député de la circonscription de Rosemont-La Petite-Patrie depuis 2011 et chef adjoint du Nouveau Parti Démocratique (NPD) depuis cette année. Le Délit (LD) : Les libéraux ont fait de la question des droits des Premières Nations un des piliers de leur politique dans les dernières années. Pourtant, il reste encore beaucoup de chemin à faire avant de pouvoir dire que les Autochtones sont traités de la même façon que le reste des Canadiens. Quelle est votre appréciation du bilan de Justin Trudeau et quels sont les projets de votre parti pour améliorer leurs conditions de vie? Alexandre Boulerice (AB) : Le bilan de Justin Trudeau, sur la question autochtone comme sur plusieurs autres questions, c’est beaucoup de beaux discours et peu d’action. Derrière ses promesses de réconciliation, le gouvernement libéral a continué, comme les conservateurs le faisaient avant eux, de contester en justice les demandes qui sont faites par les nations autochtones, notamment celles au sujet du droit des enfants à des soins de santé. Dans beaucoup d’endroits, l’insalubrité des logements, l’accès limité à l’électricité et le manque d’eau potable sont la source de beaucoup d’insatisfaction chez les Autochtones. LD : Ce printemps, le gouvernement québécois a adopté sa fameuse loi 21 sur la laïcité. Quoique cette loi soit plutôt populaire parmi l’électorat québécois, elle est décriée par plusieurs au Canada. Quelle est, dans un premier temps, l’opinion de votre parti sur la question et, dans un deuxième temps, que serait-il prêt à faire pour s’y opposer? AB : Premièrement, au NPD, on reconnaît la nation québécoise et le fédéralisme asymétrique. Donc, dans ses champs de compétence, nous pensons que l’Assemblée nationale est souveraine et nous allons respecter sa volonté. En même temps, nous sommes
le Parti libéral. Comment est-ce que ce changement pourrait mieux servir les Canadiens selon vous? AB : Je pense que le système proportionnel avantagerait d’abord les citoyens et les citoyennes, qui verraient leurs votes et leurs voix vraiment représentés. Là, on est dans un système où on a de fausses majorités, comme c’est arrivé les deux dernières fois : un parti peut obtenir une majorité en chambre avec 38 ou 39 % des votes exprimés, et, après ça, ne pas être obligé d’écouter personne. Un système proportionnel serait beaucoup plus représenta-
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actualités
AB : Au NPD, nous ne faisons pas une obsession de la question du déficit. Nous sommes conscients que, des fois, il faut investir, pour, par exemple, relancer l’économie. Par
RAFAEL MIRO
tif et forcerait les partis à parler ensemble, à trouver des consensus, à trouver des compromis. Traditionnellement [au NPD], on fait la promotion du système allemand, où la moitié des sièges sont territoriaux, comme pour les circonscriptions aujourd’hui, et après ça le reste des sièges qui
misons sur deux choses : la justice sociale et l’urgence climatique »
LD : Votre parti défend depuis des années l’instauration d’un système proportionnel. Ce changement avantagerait beaucoup les petits partis, comme le Parti vert ou le NPD, au détriment des gros partis que sont le Parti conservateur et
LD : Depuis le début du mandat libéral, l’économie se porte plutôt bien. Pourtant, contrairement à ses prédécesseurs, Justin Trudeau a choisi de ne pas chercher à atteindre le déficit zéro. Pensez-vous que ces politiques sont justifiées et viables à long terme?
RAFAEL MIRO
« Je dirais que nous, au NPD, nous
contre ce projet de loi-là, nous le déplorons ; pour nous c’est triste, comme société, qu’on en arrive là. Il y des contestations judiciaires qui sont déjà lancées, et on va observer ça avec beaucoup d’intérêt. Nous ne voulons pas d’une intervention du gouvernement fédéral ; je crois que les chartes sont assez solides pour être défendues. […]
jusqu’à 10% ; personnellement, je trouve ça très haut. [Par contre], dans des pays comme Israël où la limite est à 1%, ce qui est vraiment très bas, on assiste à l’éclatement des partis politiques et ça devient très difficile de gouverner.
sont accordés en compensation pour que le nombre de sièges d’un parti reflète le nombre de voix qu’il a eu. LD : Est-ce qu’un système proportionnel, en ouvrant la porte à la représentation de plus de partis, ne pourrait pas donner plus d’importance aux partis d’extrême droite ou d’extrême gauche? AB : Il faut mettre un treshold, une limite en dessous de laquelle les partis ne bénéficient pas du système proportionnel. Généralement, cette limite se situe autour de 5 ou 7%, il y a même des pays qui vont
contre, comme l’économie va bien, c’est étonnant d’avoir de si grands déficits en ce moment. C’est là où on a une certaine inquiétude ; ça ne répond pas, disons, à la logique keynésienne de gestion des déficits et des revenus. En plus, il y n’y a pas de très grands projets d’infrastructure au fédéral en ce moment, à l’exception du pont Champlain. Je pense que les finances du gouvernement du Québec sont beaucoup plus saines en ce moment que celles d’Ottawa. Par contre, la bonne nouvelle, c’est que le ratio de la dette par rapport au PIB a diminué dans les quatre dernières années. Pour nous, c’est là la donnée qui est la plus importante. LD : Si le gouvernement libéral a toujours affirmé qu’il se préoccupait de l’environnement, il n’en demeure pas moins que son bilan est très critiqué par plusieurs environnementalistes au pays. Que pensez-vous du bilan environnemental du présent gouvernement et quelles sont les propositions de votre parti en la matière? AB : Le bilan environnemental des libéraux est extrêmement décevant et ils sont, d’après moi, très hypocrites sur la question.
Encore une fois, beaucoup de beaux discours et très peu d’action, ou encore des actions contradictoires. J’étais à la COP24 en décembre dernier en Pologne ; Catherine McKenna, la ministre de l’Environnement, va au podium et prononce un discours [incroyable]
plus à une liste de vœux pieux qu’à une véritable plateforme. On le dit vite un peu que le Parti vert est progressiste ; il y a des gens progressistes au Parti vert,
«
Le bilan de Justin Trudeau, sur la question autochtone comme sur plusieurs autres questions, c’est beaucoup de beaux discours et peu d’action. » sur l’état désastreux de la planète et sur les politiques qu’on doit se dépêcher de prendre pour y remédier. Par contre, j’ai envie de lui dire : « Pourquoi t’as acheté un pipeline alors? Pourquoi tu continues de subventionner l’industrie pétrolière et gazière [à coup de] milliards de dollars chaque année? » On ne peut plus attendre ; il faut changer. Oui, ils diront qu’ils ont mis un prix sur la pollution, une taxe sur le carbone, mais ça leur a pris trois ans et demi pour le faire. Ça reste une taxe qui est très faible et fondamentalement, pour nous, c’est clair que ce n’est pas suffisant comme mesure. Nous, on veut d’abord cesser toute subvention aux industries pétrolières et gazières et remettre tout cet argent-là dans [le développement des] énergies renouvelables. On veut créer une banque climatique avec laquelle on va donner des garanties de prêt à des entreprises, des citoyens ou des groupes communautaires qui ont des projets pour réduire leur empreinte carbone. On veut électrifier les transports et faire de la rénovation écoénergétique sur tous les bâtiments au Canada d’ici 2050. Pour nous, la question des émissions de gaz à effet de serre ne passe pas juste par le secteur de l’énergie, elle passe aussi par le transport, le secteur agricole, le secteur du bâtiment et l’ensemble de ce qu’on fait comme société. LD : Ces élections sont un peu différentes que les précédentes pour le NPD parce qu’avec la montée du Parti vert dans les sondages, il n’est plus le seul parti progressiste conséquent sur la scène fédérale. Qu’est-ce qui différencie, selon vous, le NPD du Parti vert et est-ce que la compétition entre ces deux partis pourrait nuire à la cause progressiste au pays? AB : Je dirais que nous, au NPD, nous misons sur deux choses : la justice sociale et l’urgence climatique. Sur le côté de la justice sociale et de la protection des travailleurs, le Parti vert est beaucoup moins actif que nous ; son programme n’est pas tellement élaboré, il ressemble beaucoup
mais quand ton slogan, c’est «ni de gauche ni de droite», tu ne peux pas te réclamer de la gauche après. Quand tu dis aussi que tu vas permettre à tes députés de déposer des projets de loi pour rouvrir le débat sur l’avortement, je ne suis pas sûr que ce soit très progressiste ni féministe. Même sur l’environnement, il y a beaucoup de contradictions. Élizabeth May a dit qu’elle voulait mettre fin à toute importation de pétrole, en misant sur la diminution de la consommation nationale. Elle a ouvert la porte à une augmentation de la production de pétrole en Alberta si c’était nécessaire pour atteindre cet objectif. Pourtant, c’est le pétrole le plus polluant au monde, de trois à cinq fois plus que les barils qui arrivent du Venezuela ou de l’Algérie. Là, cette semaine, ils ont complètement changé d’idée et ils nous ont annoncé qu’ils allaient mettre fin à toute production de pétrole en 2030! Si on arrêtait l’industrie en claquant des doigts de cette façon, ça créerait 270 000 chômeurs en Alberta ; ce serait une crise sociale et économique majeure! En fait, je ne sais plus lequel des deux partis verts il faut croire. LD : De nombreux analystes estiment que le turban que porte Jagmeet Singh explique en partie les scores décevants annoncés pour le parti au Québec. Est-ce que cet impact est réel selon vous et qu’est-ce qui pourrait l’expliquer? AB : Historiquement, nous avons eu au Québec un grand mouvement d’émancipation face à l’Église catholique au Québec avec la Révolution tranquille. Je pense que les gens de cette génération-là se disent qu’ils se sont débarrassés de l’Église et qu’ils ne veulent plus rien savoir de la religiosité, et du coup n’importe quel signe religieux est assimilé à ça. Il y a aussi des gens qui sont racistes, il n’y a qu’à aller voir les commentaires sur Facebook pour le constater. x
Propos recueillis par RAFAEL Miró
Éditeur Actualités
le délit · mardi 8 octobre 2019 · delitfrancais.com
ÉLECTIONS FÉDÉRALES 2019 - ENTREVUES DE CANDIDATS
Steven Guilbeault
Le Délit a rencontré Steven Guilbeault, candidat pour le Parti libéral dans la circonscription de Laurier-SainteMarie et co-fondateur de l’organisme environnemental Équiterre. Le Délit (LD) : Qu’est-ce qui vous a poussé à vous joindre au Parti libéral, plutôt qu’au Parti vert, qui place l’environnement au centre de sa plateforme? Steven Guilbeault (SG) : J’ai beaucoup de respect pour les gens qui sont au Parti vert ; je connais très bien Elizabeth May. Il y a quelques raisons qui m’ont amené à me présenter au Parti libéral plutôt qu’au Parti vert. D’une part, le travail que je fais depuis 25 ans, c’est un travail qui ressemble un peu au travail qu’on peut faire dans l’opposition, donc je critiquais les projets de loi, les actions de certains gouvernements. Il m’est
paquet d’autres affaires que le gouvernement a fait, alors moi je trouve que c’est un excellent bilan. C’est sûr que je suis d’accord avec ceux et celles qui disent qu’on doit en faire plus. Par contre, je ne suis pas un expert en questions d’élections et de politiques, mais je doute que le Parti vert ou le NPD puissent prendre le pouvoir, alors le parti qui a le plus de chances de remporter les prochaines élections et de mettre en place des mesures pour lutter contre les changements climatiques, c’est le Parti libéral, parce que si les conservateurs entrent au pouvoir on retourne vingt ans en arrière.
rafael miró
arrivé aussi de travailler sur des comités gouvernementaux, j’ai coprésidé pendant plusieurs années le Comité sur les changements climatiques du gouvernement du Québec, sous trois gouvernements successifs. J’ai également coprésidé un groupe de travail sur les changements climatiques pour le [gouvernement] fédéral. Je voulais, si j’allais en politique, tenter d’être avec un parti où je pourrais vraiment influencer les décisions qui sont prises. D’autre part, bien que le bilan du Parti libéral durant les quatre dernières années en environnement ne soit pas un bilan parfait, c’est un excellent bilan. Puisque vous allez évidemment m’en parler, mettons de côté le pipeline quelques secondes — quand on regarde la liste des investissements qui ont été faits en transport collectif, dans les infrastructures vertes, la mise sur pied d’un prix carbone. Certains peuvent dire qu’il n’est pas assez élevé, et c’est vrai, mais il va quand même quintupler au cours des prochaines années, passant de dix à cinquante dollars. Je pourrais parler des aires protégées et d’un
LD : Est-ce que, pour nos lecteurs français, c’est un pari qui ressemble un peu à celui qu’avait pris Nicolas Hulot en France? SG : Oui, à la différence que Nicolas est quelqu’un qui a fait la majorité de sa carrière dans les médias. Moi, oui, j’ai fait des médias, mais ce que je fais principalement depuis 25 ans, c’est travailler avec des gouvernements à tous les niveaux. J’ai travaillé avec le gouvernement Charest, j’étais au comité climat de Mme Marois, dont le ministre de l’Environnement à l’époque, d’ailleurs, était Yves-François Blanchet, j’étais sur le comité climat du gouvernement Couillard, j’ai siégé sur des comités sur les changements climatiques avec Jack Layton dans les années 1990 quand le gouvernement de Chrétien était au pouvoir. Donc, j’ai une assez bonne idée des enjeux, des obstacles qu’il y a pour faire avancer ce dossier. Je crois que ce qui a été difficile pour Nicolas, ça a été de voir que la machine gouvernementale, c’est rarement une machine qui bouge vite, alors que moi j’ai compris ça il y a 25 ans et j’ai un peu fait ma paix avec ça.
le délit · mardi 8 octobre 2019 · delitfrancais.com
LD : Les libéraux ont fait de la question des droits des Premières Nations l’un des aspects les plus importants de leurs politiques au cours des quatre dernières années. Pourtant, aujourd’hui, il reste encore beaucoup de problèmes socio-économiques et politiques à régler avec les communautés autochtones . Quels sont les projets de votre parti?
pense qu’on peut voir à quel point nous avons eu, depuis quatre ans, un gouvernement très ouvert sur ces questions et qui va continuer à y être ouvert.
SG : S’il y a une chose que l’on peut reconnaître, c’est que [le gouvernement Trudeau] est de loin le gouvernement qui en a fait le plus pour la question autochtone. Est-ce qu’en quatre ans on peut réparer des centaines d’années d’injustice envers les Premières Nations? Non. Ça va prendre beaucoup de temps, mais le gouvernement Trudeau a amorcé quelque chose de significatif, un début de réparations. On peut parler du milliard de dollars qui a été investi, du fait que, dans près de 200 communautés, on a levé les avis d’ébullition d’eau, on peut parler de l’objectif d’éliminer la tuberculose d’ici 2030 dans les communautés autochtones, du fait que, dans l’évaluation environnementale fédérale, on va maintenant tenir compte des connaissances traditionnelles autochtones — d’ailleurs, les conservateurs se sont battu bec et ongle contre ce projet de loi.
Trudeau a renoncé à chercher à atteindre le déficit zéro à tout prix, accumulant un déficit total d’environ 52 milliards de dollars. Est-ce que cette politique économique est justifiée selon vous?
LD : Depuis le début du mandat du Parti libéral, l’économie du pays se porte plutôt bien. Pourtant, à la différence de ses prédécesseurs, Justin
« Si les conservateurs entrent au pouvoir, on retourne vingt ans en arrière »
LD : Ce printemps, la CAQ a adopté le fameux projet de loi 21 sur l’immigration. Quoique ce projet de loi soit plutôt populaire parmi l’électorat québécois, il est décrié par plusieurs dans le reste du Canada. Quelle est l’opinion de votre parti sur ce projet de loi et que serait-il prêt à faire pour s’y opposer? SG : Au Parti libéral, nous n’avons jamais été de grands fans des restrictions des libertés personnelles, et j’adhère entièrement à ça. Le premier ministre l’a répété à plusieurs reprises : ce n’est pas un projet de loi qu’il apprécie particulièrement. Il y a déjà des contestations judiciaires qui sont en cours, alors le ministre de la Justice, M. Lametti, est en train d’évaluer différentes options. Est-ce que le gouvernement fédéral se joindra à ces contestations? La décision n’a pas encore été prise. LD : Est-ce que votre parti a des projets concrets pouvant améliorer la situation économique des étudiants universitaires? SG : Je crois que, là aussi, on voit où le gouvernement Trudeau en a fait beaucoup en ce qui a trait aux sciences et au financement des études postsecondaires. La plateforme n’a pas encore été présentée sur ces questions, mais par rapport à une époque sous Harper où les scientifiques ne pouvaient pas parler, où il y avait des coupures dans le financement de la science, je
SG : Tout à fait. Je pense que les conservateurs vont vous demander si vous [en tant qu’individu], vous voudriez faire un déficit, mais je pense qu’on ne peut pas comparer la situation d’une personne ou d’un ménage avec celle d’un pays qui a des moyens financiers très importants et dont le rôle n’est pas de tenir compte d’une ou de quelques personnes, mais du bien-être de l’ensemble de la population. Qu’estce que ça nous donnerait d’avoir les coffres pleins à Ottawa si le niveau de chômage était très élevé et s’il y avait plein de personnes dans le besoin? Quand on regarde la situation économique du Canada, elle est l’une des plus enviables des pays du G7. On voit que l’action du gouvernement a fonctionné : on a le taux de chômage le plus bas des 30 ou 40 dernières années. Ici, dans la circonscription [de Laurier-SainteMarie], il y a 10 000 enfants de moins qui sont en situation de pauvreté. Je suis fier de ça et je pense
«
Il y a des gens qui disent que si on avait un meilleur mode de scrutin, nos politiques environnementales seraient plus progressistes. Moi, je ne suis pas convaincu. On n’a qu’à regarder ce qui se passe en Australie. Je pense qu’ils sont rendus à sept ou huit premiers ministres dans les dix dernières années et ils viennent d’élire un parti qui est procharbon, dans un système où on a un mode de scrutin proportionnel. Ici, certains partis proposaient des modes de scrutin où il y a des parties du pays, moins populeuses, qui auraient perdu énormément en termes de représentation. Je pense que, si ce projet de loi n’a pas abouti, c’est parce qu’on n’a pas réussi à s’entendre entre les partis sur un mode qui aurait fait un certain consensus. LD : Si le gouvernement libéral a toujours affirmé qu’il se préoccupait de l’environnement, il n’en demeure pas moins que le bilan du gouvernement a été sévèrement critiqué par beaucoup d’environnementalistes, que l’on parle de l’achat du pipeline Trans Mountain, des énormes subventions à l’industrie pétrolière, ou encore des efforts qui n’ont finalement pas été faits pour atteindre les objectifs des accords de Paris. Êtes-vous à l’aise avec le bilan des dernières années? SG : Je ne suis pas d’accord avec deux des trois choses que vous avez dites – les subventions aux compagnies fossiles, elles ont diminué; on n’a pas atteint notre objectif de Paris, mais on n’est pas en 2030, et
S’il y a une chose que l’on peut reconnaître, c’est que le gouvernement Trudeau est de loin le gouvernement qui en a fait le plus pour la question autochtone » que le gouvernement a pris la bonne décision en décidant d’investir, pas juste dans l’économie, mais dans le bien-être de la population. LD : À son arrivée au pouvoir, Justin Trudeau avait promis de modifier le mode de scrutin pour remplacer le système parlementaire par un système proportionnel, une promesse qu’il n’a finalement pas tenue. Selon vous, ce revirement sert-il l’intérêt de la population canadienne? SG : Je ne crois sincèrement pas que ce projet de loi n’a pas abouti parce que ce n’était pas dans l’intérêt du Parti libéral. C’est un enjeu qui est excessivement complexe, il y a eu trois référendums au Canada où les gens y on dit non. Pour une partie de la population, c’est un enjeu qui est très important, mais c’est une petite partie.
l’objectif de Paris, c’est pour 2030. [Le gouvernement Trudeau] a gardé les mêmes cibles [que le gouvernement Harper] mais le gouvernement Harper avait une cible mais pas de plan, pas de mesures. Est-ce que je pense que la cible est suffisante? Non. Mais en quatre ans [les libéraux] ont développé un plan d’action qui nous amène à 75% plus près de notre objectif de Paris. Donc il nous reste onze ans pour faire le 25% qui manque et, je dirais, aller plus loin. Oui, le pipeline a été critiqué par plusieurs, j’en suis, mais pour un dollar que met le gouvernement dans le pipeline, il en a mis quinze dans la lutte contre les changements climatiques. x
Propos recueillis par Rafael miró et violette drouin
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ÉLECTIONS FÉDÉRALES 2019 - ENTREVUES DE CANDIDATS
Jamil Azzaoui
Le Délit a rencontré Jamil Azzaoui, candidat pour le Parti vert dans Laurier Sainte-Marie. Il a fait carrière dans l’industrie de la musique comme agent d’artiste et comme chanteur. Le Délit (LD) : Jamil Azzaoui, vous êtes le candidat du Parti vert dans la circonscription de Laurier Sainte-Marie. Qu’est-ce qui a fait en sorte que vous vous êtes joint à cette formation politique? Jamil Azzaoui (JA) : La démission du ministre Nicolas Hulot [en France] l’an dernier m’a beaucoup plus choqué que je pensais pouvoir être choqué par un enjeu politique. C’est là que je me suis rendu compte que c’était un choix naturel pour moi que de défendre les couleurs
JA : Tout ce qui a été fait est une bonne chose, mais il faut passer à l’action. Concrètement, rien n’a vraiment été fait. Il y a encore des gens dans les réserves qui n’ont pas d’eau potable ; c’est inacceptable. Notre pays est capable d’envoyer des hommes et des robots dans l’espace, mais nous ne sommes pas capables de donner de l’eau à nos citoyens? C’est de la mauvaise foi, de la très mauvaise foi. Moi, je dis que tout ce que Trudeau a fait, c’est cosmétique, aussi cosmétique que de s’habiller en hindou quand il va à l’étranger.
les Québécois en général, c’est ce que j’ai constaté. Donc, ma position sera de s’abstenir, et la position du parti pour l’instant est
« Notre pays est capable d’envoyer des hommes et des robots dans l’espace, mais nous ne sommes pas capables de donner de l’eau à nos citoyens » également de s’abstenir. On a parlé avec Elizabeth [May] et on lui a fait comprendre qu’on n’avait pas à s’occuper de ça, et je pense que ça a été clairement accepté. LD : Quelles propositions fait votre parti pour améliorer les conditions des étudiants universitaires au pays? JA : Ça, c’est un enjeu qui me touche beaucoup, j’ai été propriétaire d’entreprises et je payais toutes les études de mes employés, dans le domaine de leur choix… sur crédit réussi seulement. Le Parti vert est pour la gratuité scolaire et pour [le fait de] plafonner la dette étudiante à 10 000 dollars. Personnellement, la gratuité scolaire, oui, mais je veux y mettre des conditions pour être sûr que l’étudiant ne fasse pas l’enfant gâté avec cette chance-là, que ce ne soit pas de l’argent perdu. Je ne veux pas de changements de programmes ad vitam eternam, j’aimerais ça qu’il y ait un peu de muscle dans cette aide-là, mais la gratuité scolaire, tout à fait d’accord.
Équipe de campagne Jamil Azzaoui d’un parti qui place l’environnement au centre de ses priorités. L’environnement, c’est ce qui me touche et c’est la seule raison pour laquelle je suis en politique. Pour ce qui est des positions sociales du parti, je crois que c’est clair que c’est un parti social-démocrate, de gauche, et j’ai moi-même toujours été à gauche. Donc le plus à gauche possible, d’autant plus que tout est assez centriste au Canada. LD : Les libéraux ont fait de la question des droits des Premières Nations l’un des piliers de leurs politiques dans les dernières années. Pourtant, il reste encore beaucoup de chemin à faire avant de pouvoir dire que les communautés Autochtones sont traitées de la même façon que le reste des Canadiens. Quelle est votre appréciation du bilan de Justin Trudeau et quels sont les projets de votre parti pour améliorer leurs conditions de vie?
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[Ce qu’il faut faire], c’est le geste de réconciliation, vraiment l’action de réconciliation. Tout ce qu’on a fait à date, c’est de s’excuser bêtement! LD : Ce printemps, le gouvernement québécois a adopté une loi sur la laïcité, la fameuse loi 21. Quoique ce projet soit plutôt populaire parmi l’électorat québécois, il est décrié par plusieurs au Canada. Quelle est, dans un premier temps, l’opinion de votre parti sur la question et, dans un deuxième temps, que serait-il prêt à faire pour s’y opposer? JA : D’abord, il faut savoir que c’est une loi de juridiction provinciale. Donc, on n’a pas du tout à s’ingérer là-dedans, on n’a pas à y répondre. Personnellement, j’ai un passé et des origines qui font que, pour moi, il est très dur d’avoir une opinion sur cette loi-là. Je n’ai pas les mêmes peurs, les mêmes craintes que
JA : Aucune idée! Ou plutôt je suis en réflexion. Jusqu’à il y a quelques jours, j’étais en faveur du scrutin proportionnel, mais
LD : Depuis le début du mandat libéral, l’économie se porte plutôt bien. Pourtant, contrairement à ses prédécesseurs, Justin Trudeau a choisi de ne pas chercher à atteindre le déficit zéro. Pensez-vous que ces politiques sont justifiées et viables à long terme? JA : Je vais être méchant : c’est la politique d’un enfant gâté qui s’attend à ce que papa paye la carte de crédit ; mais il n’y a pas de papa et pas de carte de crédit. Ça peut bien aller quand on paye 10 milliards de dollars par année. On comprend qu’il faut réinvestir dans l’économie, mais 52 milliards de dollars en quatre ans, alors que l’économie va bien? C’est de la folie. LD : Lors de la dernière campagne, le Parti libéral de Justin Trudeau avait promis de réformer le mode de scrutin. Ce changement avantagerait beaucoup les petits partis, comme le Parti vert ou le NPD, au détriment des gros partis que sont le Parti conservateur et le Parti libéral. Comment est-ce que ce changement pourrait mieux servir les Canadiens selon vous?
il semblerait qu’il y a des expériences actuellement qui ne sont pas si géniales que ça. Je n’ai pas la prétention de savoir la vérité sur cet enjeu, et d’ailleurs je ne pense pas que ce soit raisonnable ni nécessaire de demander à tous les députés de tout savoir sur tous les enjeux. LD : Si le gouvernement libéral a toujours affirmé qu’il se préoccupait de l’environnement, il n’en demeure pas moins que le bilan du gouvernement a été sévèrement critiqué par beaucoup d’environnementalistes, que l’on parle de l’achat du pipeline Trans Mountain, des énormes subventions à l’industrie pétrolière ou encore des efforts qui n’ont finalement pas été faits pour atteindre les objectifs des accords de Paris. Êtes-vous à l’aise avec le bilan des dernières années? JA : C’est clair que je ne le suis pas! Il n’y a que Steven Guilbeault pour vous dire que c’est le gouvernement qui a fait le plus de réalisations ; tu sais, quand on se compare, on se console! L’achat de Trans Mountain, ça représente 4,5 milliards de dollars d’argent public, et si on ajoute l’argent que ça va coûter pour le finir, ça va finir aux alentours de 15 à 19 milliards de dollars. On aurait pu prendre tout cet argent-là et simplement le confier aux Albertains
opéré, à quoi le pétrole va-t-il encore servir? Peut-être pour faire des dérivés du pétrole, comme du plastique, mais de moins en moins pour faire du fioul. Alors, je pense que c’est une mesure pour servir les grandes entreprises que les libéraux sont là pour représenter, car ils ont toujours été là, il ne faut pas l’oublier, pour représenter les grandes entreprises. Quand ils parlent de soulager la classe moyenne, moi ce que j’entends c’est : « on va éviter une révolution. » J’ai l’impression que c’est moyenâgeux comme manière de faire : « Donnez-leur du pain et des jeux! » Ça a été moins pire que les conservateurs, parce que les conservateurs étaient catastrophiques. Au pays des aveugles, le borgne est roi. LD : Dans notre système électoral, les partis de même orientation qui se divisent les votes récoltent beaucoup moins de sièges que s’ils avaient été réunis. Est-ce que vous pensez que la compétition que fait maintenant le Parti vert au NPD nuit à la cause progressiste? JA : S’il y a une divergence dans la gauche, c’est parce que le Parti vert place l’environnement comme priorité. Sans environnement, c’est clair, il n’y a plus rien. Depuis 35 ans, on est la voix des scientifiques. Les scientifiques disent depuis 35 ans qu’il faut agir. Et si ça fait des décennies que les scientifiques sont confrontés à l’indifférence, c’est le Parti vert qui a porté l’espoir pendant tout ce temps. C’est pour ça que nous sommes entendus aujourd’hui et c’est pour ça qu’on se fait voler nos idées,
« L’environnement, c’est ce qui me touche et c’est la seule raison pour laquelle je suis en politique » pour qu’ils changent, pour qu’ils transforment leur économie de manière à ne plus dépendre des sables bitumineux. Quel homme d’affaires normal mettrait 4,5 milliards de dollars dans une industrie qui, d’ici 2025, va commencer à chuter, parce que d’ici 2025, on va commencer à avoir de plus en plus d’automobiles électriques sur le marché, au même prix qu’une voiture normale et avec une autonomie équivalente. En ce moment déjà, il y a de très nombreuses grandes villes qui investissent pour rendre tout le transport en commun électrifié. Quand ce virage-là va avoir été
ce qui est très bien. Pour cette raison, on ne peut pas demander au Parti vert de donner les commandes à une autre formation, parce que cette même formation a refusé de s’asseoir pour faire une coalition. On ne peut pas dire qu’on divise le vote, parce qu’on a des opinions différentes, et on représente un mouvement de personnes pour qui l’environnement est la priorité. Le NPD ne représente pas ces gens-là, c’est tout. x
Propos recueillis par RAFAEL Miró
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le délit · mardi 8 octobre 2019 · delitfrancais.com
ÉLECTIONS FÉDÉRALES 2019 - ENTREVUES DE CANDIDATS
Mario Beaulieu
Le Délit a rencontré Mario Beaulieu, député du Bloc Québécois sortant et candidat dans la Pointe-de-l’île. Avant de se présenter pour le Bloc, il a été président de la Société Saint-JeanBaptiste de Montréal et du Mouvement Québec français. Le Délit (LD) : Le Bloc Québécois semble vouloir calquer les positions de la CAQ, est-ce cohérent dans le contexte où la CAQ n’est pas indépendantiste? Mario Beaulieu (MB): Absolument. Le Bloc Québécois est le seul parti politique fédéral qui défend les intérêts des Québécois de toutes origines et de toutes langues comme nation. Le Québec est le seul État francophone en Amérique du Nord, nous avons une culture, une façon de pensée distincte. S’il est vrai que le gouvernement actuel n’est pas indépendantiste, il est nationaliste. Quand on dit nationalisme, il ne faut pas le confondre avec celui des grandes puissances, qui est impérialiste et colonialiste, il faut le comparer aux autres nationalismes des peuples minoritaires, qui visent une équité entre les nations.
libéral respecte ses premiers engagements en termes de fiscalité. LD : Comment avez-vous perçu l’abandon du projet de loi de la réforme du mode de scrutin? MB : Bien sûr, on a été déçus, mais on s’y attendait. Ils ont abandonné la réforme parce que ça ne faisait pas leur affaire, c’est caractéristique des libéraux. LD : Quelles sont les positions en matière d’environnement du Bloc? MB : Il y a deux États au monde qui consomment majoritairement des énergies renouvelables : la Norvège et le Québec. Le Québec pourrait être un chef de file international dans la lutte contre les changements climatiques, parce que nous
électrification des transports et en recherche sur les énergies renouvelables. On considère que le Canada est un État pétrolier, et on déplore que chacun des partis pancanadiens ait une position ambiguë face au pétrole bitumineux, même le Parti vert de Mme May. On propose un plan de réduction systématique de notre dépendance au pétrole : il faut arrêter de subventionner les industries des énergies fossiles, il faut des cibles de réduction des GES (gaz à effet de serre, ndlr) conformes aux objectifs de Paris (Conférence de Paris de 2015 sur les changements climatiques, ndlr) et des mécanismes de rendement de comptes afin de forcer les gouvernements à travailler envers lesdits objectifs. On propose aussi une fiscalité verte: une péréquation verte. Les provinces qui feraient le plus d’efforts en termes de réduction des GES se verraient attribuer une plus grande part des transferts fédéraux, selon le principe de pollueur-payeur.
le gouvernement fédéral trouve des moyens statistiques pour camoufler ce déclin. Même la Loi sur les langues officielles divise les francophones, car elle ne reconnaît pas le Québec comme faisant partie de la minorité francophone. D’ailleurs, les anglophones du Québec ont le même statut que les Acadiens ou les FrancoOntariens, alors que ce sont des situations complètement différentes. Même l’ONU ne reconnaît pas les anglophones québécois comme une minorité, puisqu’ils appartiennent à la majorité canadienne anglophone. On se rappelle que la loi 101, basée sur des droits collectifs et territoriaux, a été défaite par cette même majorité. [Au Québec], tout l’argent du programme pour les langues officielles va entièrement du côté anglophone, c’est 75 millions de dollars par année. Si l’on calcule tous les programmes fédéraux, c’est 300 millions de dollars alors que la communauté anglophone
LD : Comment est-ce que le Bloc perçoit les enjeux autochtones? MB : Le gouvernement sous René Lévesque a été le premier à considérer les peuples autochtones comme des nations. Ainsi, au Bloc, on pense qu’il faut négocier avec eux de nation à nation. Il faut changer la Loi sur les Indiens pour leur garantir une plus grande autonomie et favoriser le maintien de leurs langues. Sur ce dossier, il faut agir, pas seulement faire des excuses. LD : Avez-vous des politiques qui visent particulièrement les étudiants universitaires? MB : Nous souhaitons voir apparaître un financement plus équitable pour les universités francophones. 25% des ressources financières provinciales sont attribuées aux universités anglophones, et c’est près de 40% du côté du fédéral. Le taux de diplomation universitaire des francophones est de 10% moins élevé, alors ça prendrait des mesures pour rééquilibrer le financement des universités. Sinon, l’éducation est une compétence provinciale, donc on ne souhaite aucune intervention de la part du gouvernement fédéral, si ce n’est pour accorder du financement aux provinces. LD : Que pensez-vous du déficit important généré par le gouvernement libéral sortant? MB : C’est sûr que le Bloc encourage le financement de programmes sociaux pour la création d’emplois et pour l’environnement, mais on aurait quand même souhaité que le gouvernement
Équipe de cAmpagne Mario Beaulieu avons l’hydroélectricité. Au Bloc, on fait la promotion de la souveraineté environnementale, ce qui veut dire que le Québec devrait avoir le dernier mot en ce qui a trait à l’aménagement de son territoire et à la gestion de son énergie. Tout sauf nous passer un pipeline à travers notre territoire! On est évidemment très déçus de la performance du gouvernement fédéral. Il continue de financer le pétrole bitumineux. Au Québec, on envoie 60 milliards de dollars en impôts au fédéral, on voudrait en utiliser davantage en
le délit · mardi 8 octobre 2019 · delitfrancais.com
LD : Quelle est la place du souverainisme au Québec en 2019, et quelle est la place du Bloc Québécois face à cet enjeu? MB : On travaille à ce que le français demeure la langue officielle et commune au Québec. La Loi sur les langues officielles (loi fédérale, ndlr) est fondée sur un modèle qui ne fonctionne pas. On en voit la preuve dans les provinces hors Québec où il y a un taux d’assimilation des francophones en constante augmentation, bien que
est déjà financée par le gouvernement provincial. Au Québec, c’est le français qui est menacé, pas l’anglais. Si on regarde la loi 21, qui suscite une réaction viscérale du côté des Canadiens anglais, ça me rappelle la loi 101. Dans les deux cas, on les voit comme racistes, mais il n’y a rien de raciste à vouloir partager une langue commune : c’est ce qui nous a permis d’inclure de nouveaux arrivants et c’est ce qui a permis aux enfants de toutes origines de fréquenter les mêmes écoles.
LD : Comment est-ce que le Bloc se positionne par rapport à la loi 21? MB : La loi 21 est tout à fait légitime et démocratique, on a commencé par appliquer la laïcité aux écoles catholiques et protestantes, on a déconfessionnalisé les écoles. À l’époque, ce n’était pas tout le monde qui s’en réjouissait. Aujourd’hui, c’est quand même environ 70% de la population québécoise qui appuie le projet de loi. On défend le droit du Québec de légiférer et d’adopter son modèle d’intégration et de laïcité contre toute intrusion du gouvernement fédéral. LD : À quels gains le Québec peut-il aspirer à l’échelle fédérale dans les prochaines années? MB : Si le Bloc a la balance du pouvoir, nous allons être capables d’arrêter les projets de pipeline et de décider un peu plus de ce qui arrive avec l’argent envoyé à Ottawa. Dans mon comté, l’enjeu des transports collectifs est très important, mais pour réussir à relever ces défis-là, ça nous prend une part équitable du budget fédéral alloué aux infrastructures. On a le plus grand chantier naval du Canada, (le chantier Davie à Lévis, ndlr); sous les conservateurs, on a annoncé 100 milliards en investissements pour renouveler la flotte canadienne. Juste un peu avant les précédentes élections, on a annoncé le projet Asterix évalué à 700 millions de dollars. C’est bon, mais 700 millions sur 100 milliards... Après les élections, les libéraux ont tenté de retirer le contrat, mais seulement la Davie était équipée pour produire le navire dans les délais attendus. Depuis, assez peu pour le chantier Davie. On pensait que des contrats pour des brise-glaces canadiens iraient à Lévis, mais on a prolongé l’appel d’offre pour accommoder une compagnie ontarienne, donc ce n’est plus assuré. Bref, on devrait avoir beaucoup plus de contrats [au Québec] que l’on en reçoit. On veut pouvoir mieux gérer les revenus envoyés au fédéral afin de développer notre économie, et non pas seulement recevoir la péréquation, qui est en fait un prix citron parce qu’on ne reçoit pas assez d’investissements structurants au Québec. x
Propos recueillis par RAFAEL Miró & Augustin DÉcarie
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Le débat électoral s’invite à McGill Les candidats se sont affrontés à McGill le mardi 1er octobre. Courtoise de l’aéum/matthew fong
marco-antonio hauwert rueda
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es candidats de la circonscription Ville-Marie-LeSud-Ouest-Ile-Des-Sœurs, englobant les quartiers Cité-duHavre, Pointe-Saint-Charles et les environs de Concordia et McGill, ont présenté leurs visions du futur Canada ce mardi 1er octobre, dans la salle Leacock 232. Les candidats L’ancien journaliste et réalisateur pour la station de radio CJAD 800, Michael Forian est le nouveau candidat du Parti conservateur pour la circonscription. Il a notamment été conseiller politique auprès du président de l’Assemblée nationale et du ministre des Affaires Autochtones. Forian déplore à quel point le Premier ministre « Trudeau nous a déçus » et propose un plan d’action climatique de 55 pages. Écrivain, cinéaste, artiste du spoken word et éducateur travaillant en français, anglais et italien, Liana Canton Cusmano est candidat du Parti vert pour cette circonscription. Iel est aussi diplômé en Anglais de l’Université McGill, mais a décidé de ne pas entreprendre une maîtrise à cause de « la situation dans laquelle notre économie est plongée ». Iel prône des plans spécifiques d’inclusion des communautés autochtones, d’action climatique et de gouvernance représentative. D’autre part, diplômé en science politique de l’Université de Montréal et en droit civil common law de l’Université McGill, le montréalais Marc Miller est le député actuel de la circonscription auprès de la Chambre des Communes, ayant été élu avec 50,82% des voix en 2015. Il constate à quel point les enjeux climatiques sont devenus la priorité de l’électorat, chose qui n’était pas le cas il y a quatre ans. Finalement, conseillère d’arrondissement depuis 10 ans, en charge des dossiers d’environnement et d’inclusion et cohésion sociale, Sophie Thiébaut est la candidate du Nouveau Parti démocratique pour la circonscription. L’organisatrice communautaire et porte-parole du groupe Mobilisation Turcot se montre « indignée par le pipeline » (acheté par le gouvernement libéral de Justin Trudeau, ndlr) et s’aligne sur les positions de Jagmeet Singh à propos de sujets comme l’immigration, les affaires autochtones et l’environnement. Nadia Bourque du Bloc Québécois n’était pas présente au débat électoral.
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De gauche à droite : Marc Miller, Sophie Thiébaut, Liana Canton Cusmano et Michael Forian. Crise Climatique La première question posée aux candidats portait sur la crise climatique et la destruction des écosystèmes. Bien que les quatre candidats reconnaissent l’urgence de la situation, leurs approches pour combattre le dérèglement climatique divergent. Première à répondre, Sophie Thiébaut déclare fermement une « urgence climatique », déclaration à laquelle Liana Canton Cusmano a donné son approbation . La représentante du NPD maintient qu’« il faut respecter le plafond d’émissions établi par les scientifiques ». Au niveau local, Thiébaut propose notamment d’investir dans les transports en commun et de réduire la consommation d’énergie des foyers. Au niveau national, elle défend le « Green New Deal », et maintient que le NDP est le parti le mieux placé pour le mettre en avant, « de par sa proximité aux syndicats canadiens ». Michael Forian, par ailleurs, critique le précédent exercice du Parti libéral au pouvoir. Il déplore le « déversement d’eaux usées brutes dans les eaux canadiennes par le Parti libéral » et pousse les libéraux à « assumer leur responsabilité ». « Ces actions seront illégales sous un gouvernement conservateur, » affirmet-il. Marc Miller répond cependant aux déclarations du candidat conservateur : « ces déversements sont la conséquence de 10 ans de mandat du premier ministre [conservateur] Stephen Harper. » Il dit aussi vouloir rendre ces déversements illégaux. Au sujet de la taxe carbone, les candidats se sont aussi montrés en
désaccord. Michael Forian, tout d’abord, s’y est montré fortement opposé, considérant que « c’est une taxe sur les gens, et non pas les grands émetteurs ». Cependant, les autres candidats ont tous défendu une taxe sur la pollution d’une façon ou d’une autre. Marc Miller s’est aussi prononcé sur sa position à propos de la construction du fameux pipeline en Alberta. « Nous ne pouvons pas nier que l’industrie extractive contribue énormément à l’économie de l’Alberta. Nous sommes un exportateur net de ces ressources naturelles, » dit-il. « Nous connaissons les conséquences. […] C’est pourquoi nous investirons jusqu’au dernier centime [les profits provenant de ce projet] dans les énergies vertes. » Droits reproductifs Dans un second temps, les candidats ont été questionnés à propos de leur opinion en rapport au droit à l’avortement. L’intérêt de la question vient de récentes révélations concernant les positions ambigües de certains politiciens sur la question. Michael Forian se déclare clairement « pro-choix » et affirme que le Parti conservateur considère la question comme close depuis des années. « Nous défendrons le droit au choix de la femme » dit-il. Il critique cependant la position ambigüe de certains députés libéraux, débat dans lequel Marc Miller ne veut pas entrer. « Les femmes ont le droit de prendre leurs propres décisions » se limite-t-il à dire. « Quelques candidats verts sont soupçonnés d’être anti-avortement,
pourquoi devrions-nous alors avoir confiance en le Parti vert en matière du droit à l’avortement? » demandet-on à Liana Canton Cusmano, question à laquelle iel répond en disant que le propos auquel le modérateur fait allusion s’agit « d’un commentaire isolé, dans une conversation privée, lorsqu’elle [la députée en question] avait 16 ans ». « Tu ne peux pas être vert·e si tu ne défends pas les valeurs du parti » ajoute-t-iel, clarifiant ainsi que le Parti vert est pro-choix et considère le débat clos. Droits Autochtones Les quatre opposants ont ensuite été priés d’exposer leurs vues à propos des droits autochtones. À cela, Liana Canton Cusmano a répondu en commençant par évoquer que « les sans-abris sont presque tous autochtones, » problème auquel « Marc [Miller] doit répondre avec urgence ». Cette situation est « inacceptable, » selon iel, les communautés autochtones « [ayant] systématiquement été ignorées » au cours de l’histoire du Canada. Marc Miller, à son tour, parle aussi d’« échec du gouvernement à toutes les échelles ». Sophie Thiébaut dit aussi avoir nombre d’engagements vis-à-vis des communautés autochtones, comme « respecter leurs droits, reconnaître leur savoir et établir une définition holistique de la durabilité ». L’eau, selon elle, est une question essentielle lorsqu’on traite des affaires autochtones, étant donné que l’accès à l’eau potable demeure précaire dans plusieurs communautés. Forian, quant à lui, se focalise davantage sur la nécessité de collabo-
rer sur les énergies renouvelables avec les communautés autochtones. La meilleure façon d’atteindre une réconciliation est de « travailler ensemble, » selon lui. Éducation Supérieure Le Délit a finalement questionné les candidats sur leurs engagements en matière d’éducation supérieure : « Quelles sont vos propositions et engagements concernant l’augmentation des frais universitaires et le financement de la recherche et le développement ? » Marc Miller a applaudi les efforts continus du gouvernement pour financer la recherche et le développement (R&D). « L’investissement dans la science constitue un accomplissement pour ce gouvernement, » affirme-til « et nous continuerons à investir dans l’avenir des chercheurs ». Sophie Thiébaut se concentre plutôt sur les coûts de l’éducation supérieure, voulant surtout « rendre l’éducation plus abordable ». Elle propose d’« éliminer les taux d’intérêt sur les prêts aux étudiants » et de « s’éloigner des prêts et aller vers les bourses d’études ». Liana Canton Cusmano veut, par ailleurs, « éliminer toute dette supérieure à 10 000 dollars » constatant que la dette moyenne étudiante s’élève à environ 27 000 dollars. Finalement, Michael Forian veut « réduire l’aide sociale aux entreprises » et établir « des crédits [d’impôt] pour les transports en commun, » assurant que « c’est de l’argent de retour dans [les] poches [des étudiants] » rendant ainsi l’éducation supérieure plus facile à payer pour les familles x
le délit · mardi 8 octobre 2019 · delitfrancais.com
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Divest McGill se présente De la marche pour le climat à l’activisme au sein de McGill : il n’y a qu’un pas. ninon savostianoff
Contributrice
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a marche pour le climat vendredi dernier a rassemblé de nombreux·ses étudiant·e·s, mais pas seulement, puisque 500 000 personnes étaient présentes, soit l’équivalent d’un tiers de la population de Montréal. Cet engouement pour le climat s’est d’ailleurs traduit par une présence importante d’étudiant·e·s à la réunion d’information de Divest McGill le vendredi 4 octobre. Les organisateur·rice·s ont commencé la réunion en soulignant que cette forte présence témoignait d’un réel désir d’action et d’un sentiment d’urgence partagé. Cette réunion a eu lieu afin de présenter la campagne de Divest McGill et d’exposer les différentes façons de s’engager avec le groupe. Historique de la campagne Ce groupe, formé en 2013, fait partie d’un mouvement mondial qui se donne la mission de mettre de la pression sur les institutions qui investissent dans l’industrie des énergies fossiles. Les membres de
C’est pour cela que, selon l’une des présentatrices, Divest McGill a besoin de tout le soutien possible dans les prochains mois afin d’augmenter la pression au maximum. Deux points sensibles sont particulièrement visés : la réputation de McGill à travers les campagnes de sensibilisation ainsi que l’aspect monétaire au travers d’une campagne pour stopper toutes donations à McGill jusqu’à que ce la décision soit rendue.
campagnes de désinvestissement militent pour que leurs institutions respectives cèdent leurs actions en énergies fossiles et investissent dans des secteurs plus durables, tels que les énergies renouvelables. La campagne se mobilise aussi en soutien aux populations autochtones qui sont parmi les plus affectées par les changements climatiques. McGill fait partie de cesdites institutions avec autour de 55 millions de dollars investis (en fonds visibles uniquement, sûrement plus au total, selon Divest McGill) dans les énergies fossiles. C’est là ou l’activisme étudiant de Divest McGill entre en jeu, puisque les étudiant·e·s bénéficient d’un accès direct à l’exécutif de McGill et peuvent donc agir concrètement. À la réunion, les organisateur·rice·s ont souligné qu’il est en effet beaucoup plus facile d’interrompre un conseil d’administration et de faire pression sur celui-ci que d’essayer d’influencer le premier ministre sur un problème global. Cette stratégie a fait ses preuves puisque Divest McGill a par deux fois déjà été capable de soumettre une demande pour que McGill retire ses actions
simon dos santos des 200 plus grandes compagnies d’énergies fossiles du monde en 2013 et 2015. À deux reprises, McGill a rejeté la demande sous prétexte que les conséquences environnementales et sociales de l’industrie des énergies fossiles n’étaient pas « suffisamment graves ». La campagne aujourd’hui Le combat ne s’est pas arrêté là pour autant, car le Sénat de McGill,
chargé de la supervision de l’éducation, a réussi à utiliser son pouvoir pour forcer le Conseil des gouverneurs à revisiter leur décision, en votant en septembre 2018 de recommander le désinvestissement au Conseil. Un processus de révision de la décision de 2015 est en cours, pris en charge par le Comité de recommandations en matière de responsabilité sociale, qui présentera son rapport au Conseil des gouverneurs en décembre.
Pour finir, il est important de souligner qu’il existe des précédents : McGill a déjà cédé ses actions dans le passé, notamment dans l’industrie du tabac. De plus, de nombreuses universités et importantes institutions et pays tels que la Banque mondiale, l’Université de Californie et l’Irlande ont déjà abandonné leurs actions dans l’industrie des énergies fossiles : ce changement est donc possible. La réunion s’est conclue dans une atmosphère optimiste avec les organisateur·rice·s rappelant aux étudiant·e·s présent·e·s qu’il·elle·s possèdent un réel pouvoir de changer les choses. x
Analyse politique
Dépôt du rapport Viens Les modèles familiaux autochtones ne seraient pas considérés par les programmes sociaux. Philippe Bédard-gagnon
Fernanda Muciño
Contributeur
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Les conséquences de cette incompréhension sont bien réelles, selon le rapport. Elle perpétue la surreprésentation des enfants autochtones dans le réseau de la Protection de la Jeunesse et favorise la séparation de l’enfant et de son milieu culturel. Les actions entreprises pour protéger l’enfant sont donc parfois inefficaces et même nuisibles pour son développement.
elon le récent rapport de la Commission d’enquête sur les Autochtones et certains services publics : écoute, réconciliation et progrès (CERP), présidée par l’ancien juge de la cour supérieure du Québec Jacques Viens, la Loi sur la Protection de la Jeunesse ne serait pas adaptée à la réalité des peuples autochtones. Bien que les principes de la Loi aient été acceptés par les chefs des communautés autochtones, leur application engendrerait plus de mal que de bien, selon le rapport. Chez les intervenants, l’incompréhension de la réalité socio-économique et culturelle des autochtones entraînerait la Protection de la Jeunesse à prendre des décisions ethnocentriques qui iraient en réalité à l’encontre des intérêts de l’enfant. Une autre culture de l’éducation Selon les auteurs du rapport et les sociologues qu’ils ont cité, il existerait de grandes différences entre le modèle familial occi-
a de l’importance pour le développement des jeunes.
Recommandations dental et les modèles familiaux autochtones. Ce dernier mettrait davantage de responsabilités sur les épaules des enfants, dont la responsabilité et l’éducation sont partagées par une communauté entière, et non dans une famille nucléaire. Les parents autochtones pratiqueraient aussi l’éthique de non-ingérence, c’està-dire qu’ils laisseraient à l’enfant la liberté de se blesser ou de faire des erreurs afin qu’il apprenne par lui-même. Par exemple, ils ne définiraient pas nécessairement
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d’heure de coucher, considérant que l’enfant apprendrait à apprécier lui-même les bénéfices du sommeil. Ces différences pourraient donc entraîner la croyance chez les intervenants de la Protection de la Jeunesse que les parents sont négligents de l’éducation de leurs enfants. Ils peuvent aussi interpréter l’attachement de l’enfant à plusieurs adultes comme une situation instable. Enfin, ils pourraient concevoir que seule la situation familiale, et non la situation de la communauté en général,
Pour remédier à la situation, les commissaires proposent quelques solutions. L’une d’elles consiste à offrir aux communautés autochtones la souveraineté en matière de Protection de la Jeunesse sur leur territoire. Ils affirment que les sociétés autochtones ayant le plus d’autonomie dans ce domaine ont une meilleure situation socio-économique. Il existe déjà une loi québécoise offrant ce droit aux communautés autochtones ; toutefois, elle pose des contraintes qui nuisent à son application. On demande par exemple que la com-
munauté soit en mesure de fournir un budget plus élevé que ce qui serait requis en réalité. Les réticences passées à aller en ce sens étaient causées par une vision paternaliste des sociétés autochtones, qui sont considérées par les autorités comme inférieures dans leur évolution, selon les commissaires. La CERP avait été fondée en 2015 à la suite des événements de Val d’Or, où une dizaine de femmes autochtones ont affirmé avoir subi des agressions sexuelles de la part de certains membres du corps policier de la ville. Son mandat est de proposer des solutions à la discrimination dont sont victimes les autochtones à travers certains services publics. Le rapport final comporte 142 recommandations, dont une trentaine sur la Protection de la Jeunesse. Le 2 octobre, le premier ministre du Québec a offert les excuses de la nation québécoise aux chefs autochtones, affirmant que « L’État québécois n’en fait pas assez et [que] cette situation est indigne de la société québécoise ». Il a aussi appelé à la collaboration du gouvernement fédéral dans ce dossier. Les trois partis d’opposition ont également fait savoir leur appui à la commission. x
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PHILOSOPHIE Prose d’idées
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« En réalité, les membres de la famille sont, dans le meilleur des cas, aspirés simultanément (mais pourtant pas ensemble) par ce point de fuite que leur ouvre le royaume de l’irréel ou un monde qu’ils ne partagent pas, à proprement parler, avec personne (puisqu’eux-mêmes n’y participent pas vraiment. » Martin Heidegger
Quelques notes d’un marbre sacré Courte description phénoménologique de la chapelle Birks.
Simon Tardif
Éditeur Philosophie
I
l n’est pas acquis que l’on porte attention aux lieux que l’on habite. Même, les habite-t-on vraiment, ou n’y eston qu’en simple circulation? Un chanteur populaire nous disait que l’amour n’est quelque chose, mais plutôt quelque part. Quel crédit pouvons-nous accorder à cette maxime? Le temps de quelques mots, cherchons à prendre au sérieux l’habitation, celle que l’on oublie. Retournons aux rêveries qu’elle agite et insère dans les nombreux creux de notre chair. Sans prévoir à l’avance le détail de ce que nous y trouverons, nous n’en serons pas loin. Une chapelle pour soi Bachelard nous disait ceci : « Il faut donc dire comment nous habitons notre espace vital en accord avec toutes les dialectiques de la vie, comment nous nous enracinons, jour par jour, dans un ‘’coin du monde’’. » Cela, il le comprenait par l’empreinte profonde laissée par l’espace. L’architecture, celle qui se témoigne
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philosophie
dans la grande santé de notre chair, sait bien toutes les ruses qui habitent le corps humain. Prenez la chapelle de Birks de l’Université McGill. Celle-ci se joue de nos pathologies, les fait danser, cela car la texture mouvante des colonnes couvre admirablement les nuances de l’expérience que l’on peut en faire. Archi-tecture, la racine grecque des deux composantes du mot français se laisse entendre. Αρχη, le principe ou encore le commencement. Τέκτων, ce qui couvre. Loin de contenir le sens du mot, n’oublions pas que τέκτων est également dit de la maîtrise des grands poètes, occurrence que l’on retrouve dans les Néméennes (5.49) de Pindare. En ce sens, l’on comprendra l’aspect enveloppant, appropriant. Qu’est-à-dire? Ce dont il s’agit, c’est moins la description d’un bâtiment dans ce qu’il pourrait avoir de pittoresque, non plus qu’il soit question de quelques intérêts historiques. Il nous faut dépasser ce genre-là. Ce dont nous cherchons à retrouver les chemins sur ce papier, les vertus premières de ce qui nous approprie en un éclair, peut-être l’éprouverons-nous dans les rêveries par lesquelles le séjour d’un lieu nous couvre.
Dans la chapelle, selon les heures de la journée tombante, la douce solitude humaine contraste avec l’affairement de nombre de formes. Selon les heures, dans cette chapelle recueillant en elle le crépuscule, des ombres construisent des murs. L’imprécision salutaire du rêve se satisfait soudainement des colonnes figées. Je lis cette chapelle selon les gravures qu’elle tatoue un peu partout sur mon corps. Un épiderme, cela doit se sentir – la sensibilité s’exerce. Valéry disait dans le poème du Cimetière marin que notre présence est poreuse. Encore faut-il souligner l’immédiateté de la texture du réel. La « topo-analyse » dont parlait Bachelard dans La poétique de l’espace, cette discipline de l’habitation regroupant psychologie descriptive, psychologie des profondeurs, psychanalyse et phénoménologie, ne manque de nous montrer les belles lettres de notre intimité quotidienne. Cependant, la méditation d’un lieu religieux suppose une intimité d’un autre genre, en cela que l’on ne peut confondre le quotidien avec le sacré. Hormis que le sacré et le profane se confondent selon les lieux et les époques. La répartition du clair et de l’obscur me donne, non pas l’impression d’une vision, tant s’imprègnent entre mes doigts des ombres fuyant la lumière. De temps à autre, un passant s’aventure plein de ses indiscrétions, me rappelant que la mer dans laquelle mon corps baigne, happé de minuscules bastions poissonneux, est tributaire de la solitude que le secret veut bien m’accorder. Il y a des mots de Valéry. On peut dire que la méditation « transporte de la rive des ombres à la rive des choses », cela afin que « le vaisseau plein de rêves échoue sur les récifs de la veille ». Pareil à ce vaisseau, je m’échoue – gai de quelques voyages. On remarque dans la chapelle qu’elle se donne à nous tel un lexique de géométrie. Des règles mathématiques y gouvernent l’agencement des lignes et des recoins, lignes et recoins que nous devons reconnaître comme droites. La charpente, à première vue, est l’œuvre d’un ingénieur. Or, c’est à un architecte, à qui l’on doit ce type de construction. D’autres rêveries habitent la tête d’un architecte, de sorte que, tranquillement mais sûrement, l’archi-tecture se révèle d’une logique différente. Des métaphores flottent ici et là, au fil d’une durée qui en vient à oublier la condition d’objet du lieu. Celui-ci n’est plus devant moi, non qu’il soit seulement autour
de moi, car je suis en lui et lui en moi. Peut-être est-il question d’une « géométrie rêveuse », pour autant que l’on se ferait le devoir de préférer la présence à la représentation. Ces colonnes de bois qui, depuis le creux de la vieille chaise avec laquelle je me pose chaque jour de la semaine, structurent ma rencontre de l’imposant vitrail – foyer d’une légion de rayons qui joyeusement écorchent le granite des fondations – ne savent trop me dire ce que seront les nuances colorées de demain. Pourtant, dans l’attention que garantit ce rare royaume de silence, je ne sais que trop bien que mon lendemain ne manquera pas à sa promesse de beauté. Le sombre vernis du bois m’ouvrira à nouveau le passage de son monde. Nous devons notre stabilité psychologique à ces sites qui le sont eux-mêmes. En ce sens, nous pouvons dire à notre manière des vers d’Éluard en chantant que lorsque les cimes de nos rêves se rejoindront, notre séjour aura un toit. Éloge du silence Mes sourires noyés dans la solitude du flanc des murs n’exigent pas de moi un mot à leur propos. Les réseaux sociaux dissimulent la joie que l’on peut ressentir à ne pas sans cesse chercher à convertir nos moments choyés en quelques gains sociaux. La solidité du lieu m’arrache d’un coup à l’urbanité anxieuse. Bachelard nous disait que « n’habite avec intensité que celui qui a su se blottir ». Le hasard reste ce par quoi nous échappons aux tendances totalitaires. Ne nous étonnons pas de la soif de vécu des dernières générations jusqu’aux prochaines.
chapelle se révèle tel le corps de mes songes. On s’y réconforte d’un « silence spacieux ». Cela dit, le silence n’est jamais pour nous l’absence de son. Plutôt, le silence est cette couverture nous protégeant du bruit, de la cacophonie. Le silence nous interpelle par la beauté simple et nuancée de ses sonorités, elles qui se meuvent à courant feutré. Lorsque j’eus neuf ans, je lus dans un livre portant sur les monuments antiques que les Grecs connurent un savoir unique dans l’Histoire, celui des murmures. Dans le grand temple d’Artémis à Éphèse, l’on dit que les murmures d’un homme dans l’un des coins de la place pouvaient naguère circuler par-delà les hautes estrades. Certains de mes rêves d’enfant sont des échos à l’homme que je suis aujourd’hui. Souvent, la connaissance d’une telle maîtrise revient me hanter. Lamentations de l’espace Situation étrange, des chants grégoriens me rappellent parfois l’élasticité des pierres qui savent concéder à mes rêveries quelques espaces. La chapelle se fait un moment petite et tantôt me paraît-elle
Pour l’heure, cela m’inquiète peu. Je me confonds en des rêveries, cela dans le privilège que les antiques professeurs nommaient avec respect la contemplation. Bachelard disait que « dans ses mille alvéoles, l’espace tient du temps comprimé », car « l’espace sert à ça ». La vieille résonance confère aux pierres du lieu un autre temps des plus incertain. Un temps, il est vrai, dont je ne peux participer qu’aux ruines. Étrange spectacle que celui de côtoyer un autre temps, un temps décidément mort. Les constructions d’aujourd’hui ont peu à voir avec l’architecture. Existe-t-il seulement une âme qui veuille nous tendre quelques fibres de ce réel dont on s’accommode de nos jours qu’il soit si aseptisé, neutre dans le sens nihiliste d’une neutralisation. La
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avec effroi si grande et imprenable. Tout bien considéré, cette parole se fait le tracé-ouvrant (der Aufriss) par lequel mes pathologies s’exercent. Dans la situation étrange, j’adviens à moi-même en ma propriété en pure porrection. Il y a la donation de ce qui m’est propre. Eu égard à cela, se parachève un destin que l’on me confie. J’y vois mes jours, compactes de marbre. En ce secret, nous ne retrouverons guère des eaux sombres et profondes où l’effroi a entraîné tant d’autres, ni ne sommes-nous censés nous souvenir qu’existe dehors un ciel dans lequel on peut voler – les voûtes nous chuchotent plutôt, pareilles à des prières, l’élégance et la proximité de l’ascension, comme il est aussi vrai et curieux de considérer, sur la surface froide du sol, le réconfort de la posture qui n’a pas à craindre un instant d’être secouée. Une part de moi demeure convaincue que la maîtrise de cette simplicité rare en laquelle consiste l’habitation du monde suffit à anéantir maintes démesures. À l’opposé, ce sont presque toujours aux idées que l’on doit les crimes. Wagner serait-il davantage sorti de son autisme intellectuel que je conçois difficilement que la moindre trace d’antisémitisme eût pu subsister. Cela se dit également du cas d’Eichmann – n’oublions pas que le supraliminaire du fonctionnaire se confond avec la pratique automate d’un système idéal n’ayant cure du réel et de ceux qui l’habitent. L’espace, en tant que l’un des « phénomènes originels » (Urphänomenen) desquels Goethe dit que lorsque les humains en viennent à les percevoir éprouvent, submergés, une crainte pouvant aller jusqu’à
l’angoisse, est ce dont nous devons faire l’épreuve consciemment, c’est-à-dire par la méditation qui questionne ce qui doit être la vérité, le non-retrait de l’être. En interlude, quelques mots concernant l’enracinement et le déracinement sauront faire voir sous un autre angle ce dont il est question. Dans ses Lettres de Muzot, Rilke affirme en 1925 une détresse : « Pour nos grands-parents encore, une ‘’maison’’, une ‘’fontaine’’, une tour familière, voire même leur propre habit, leur manteau, étaient infiniment plus — infiniment plus rassurants ; presque chaque chose était un réservoir dans lequel ils trouvaient quelque chose de l’homme, dans lequel ils amassaient de l’humain. À présent, d’Amérique, proviennent et s’accumulent des choses vides et indifférentes, des pseudo-choses, des trompe-l’oeil de la vie… Une maison, au sens américain, une pomme américaine ou un raisin de là-bas n’ont rien de commun avec la maison, le fruit, la grappe dans lesquels l’espoir et la méditation de nos ancêtres avaient passé…» Face à un monde qui se rétrécit, au sein duquel la choséité des choses se transforme malgré nous, que reste-t-il? Disons que la terre a peut-être une certaine primauté sur le ciel, en cela que la détresse s’éprouve bien plus douloureusement. Die Heimaterde, ou « la terre où peut avoir lieu l’expérience de la terre natale ». C’est le sol historial, le pays que nous fait habiter poétiquement le poète. Une langue, qu’elle soit française, allemande ou grecque, peut être dite bien plus Heimat qu’un pays de naissance. Le même engouement concerne le temple. L’Ereignis est ici en jeu, l’imaginaire se montre, cela est évident, et les racines, tout pointe vers elles. Gilles Vigneault nous dit notre Heimat lorsqu’il chante Mon pays c’est l’hiver. Au terme des rayons du soleil, lorsque nus nous partageons la tendresse de l’autre, n’est-il pas sagace que l’on oublie que c’est à la grâce de ces mêmes rayons que nous devons la chaleur de nos étreintes. Je me demande parfois ce que serait la tendresse humaine sans l’éclat du soleil. Se pourrait-il que soit ancrée dans nos vies la litanie de nos résistances au monde? Le temps se déchire et nous bifurquons vers un inconnu qui tarde à se nommer. C’est serein que chez nous résonne la parole de Hölderlin tirée des Titans (v. 1-3) : « Mais il n’est pas / temps. Ils sont encore / libres de chaînes. Le divin ne touche pas celui qui n’y a point part. » L’évènement appropriant L’aspect granulé à certains endroits soulève tout un tas de questions. Quelle sueur dût-on me léguer involontairement! Imaginez tous ces maçons, tous ces autres travailleurs sans qui les ressources du lieu n’auraient pu s’acheminer en pareille œuvre. Cela n’est pas mon affaire, mais je préfère rendre mon respect à ces inconnus d’une autre époque. Non, vraiment, nous ne sommes rien sans les larmes des autres, sans les
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souffrances sur lesquelles la contemplation peut vivre, ne serait-ce qu’un court moment. Pour le dire en un sens peut-être plus radical, le privilège qui s’abat ici, moi-même médiocride, ne peut qu’exiger de moi, aussi insidieusement qu’il m’appropria sans nul avis, un engagement assumé en vertu duquel, une fois la contemplation chose conclue, je dois à ma chair l’élévation de celle des autres. L’interpénétration intime des choses mérite que l’on y accorde un moment. Après tout, notre ignorance ne l’a jamais empêché de creuser des vacuités dans nos cœurs. Au dixième épisode de la série documentaire L’Héritage de la chouette, George Steiner questionne avec Heidegger une question qui n’est pas sans nous jeter en plein tourbillon vertigineux : est-ce que l’économie pourrait s’installer à l’intérieur de notre grammaire, le mythe a-t-il accompagné la grammaire? Heidegger répétait que la poésie était la langue dans son caractère le plus originel, le poète celui qui en disait la parole. Ce que Steiner, dans les traces d’Heidegger, nous amène à penser, nous pouvons le résumer à peu près comme ceci : lorsque le mythe parle de tabous avec Œdipe, il le fait autour de la grammaire de la parenté. Fumisterie ou entente cooriginelle? Steiner cherche dans les conditions ontiques des premières civilisations le besoin du rêve, ce par quoi l’on aurait voulu rêver contre le réel. Qu’en est-il de notre chapelle? La langue est liée intimement à l’Ereignis. Une discussion avec un Japonais dans l’Acheminement vers la parole de Heidegger portant sur le Koto ba, ce mot japonais pour « parole », nous invite à suivre ce qu’en dit la langue nipponne. Koto nomme le caractère ravissant de ce qui ravit. Heidegger le comprend alors comme « l’appropriement de l’éclaircissante annonce de la grâce ». La grâce, il faut l’entendre à partir de chez Sophocle, c’est-àdire kháris. En tant qu’inclination bienveillante, elle est un puits d’où jaillit ce qui nous approprie. Nous nous rapprochons donc du Koto ba. Il est question d’une grâce dont l’inclinaison bienveillante, de par le caractère appropriant de l’éclaircissant qui n’est qu’une inclination bienveillante, s’entend comme « parole ». Ce qui, depuis le lointain, est porté en avant, c’est cela qui gouverne et c’est cela que l’on nomme liberté, c’est-à-dire les « pétales de fleurs issus de Koto ». Heidegger parle d’une « faculté de se laisser habiter qui éveille et assure constamment des possibilités plus originales d’habitation ». Le penseur, dans la conférence « Bâtir Habiter Penser », affirme que « c’est seulement quand nous pouvons habiter que nous pouvons bâtir (bauen) ». Cette pensée pourrait paraître incompréhensible sans les ressources de l’allemand. « Bauen » signifie la culture au sens du soin, ce qui présuppose, selon le mot du poète Hölderlin, habiter poétiquement. L’habitation n’est pas un comportement, elle dépend de l’Ereignis et de la ferveur concomitante que
Héraclite
l’on voudra lui octroyer. Une longue citation indique ce qui est celé, voire masqué : « Partout on parle, et avec raison, de la crise du logement. On n’en parle pas seulement, on met la main à la tâche. On tente de remédier à la crise en créant de nouveaux logements, en encourageant la construction d’habitations, en organisant l’ensemble de la construction. Si dur et si pénible que soit le manque d’habitations, si sérieux qu’il soit comme entrave et comme menace, la véritable crise de l’habitation ne consiste pas dans le manque de logements. La vraie crise de l’habitation, d’ailleurs, remonte dans le passé plus haut que les guerres mondiales et que les destructions, plus haut que l’accroissement de la population terrestre et que la situation de l’ouvrir d’industrie. La véritable crise de l’habitation réside en ceci que les mortels en sont toujours à chercher l’être de l’habitation et qu’il leur faut d’abord apprendre à habiter. Et que dire alors, si le déracinement
de l’homme consistait en ceci que, d’aucune manière, il ne considère encore la véritable crise de l’habitation comme étant la crise? Dès que l’homme, toutefois, considère le déracinement, celui-ci déjà n’est plus une misère (Elend). Justement considéré et bien retenu, il est le seul appel qui invite les mortels à habiter. » Il y a cette note manuscrite de Nietzsche utilisée nulle part, et qui pourtant occupe mes jours et mes nuits : Zeitenchaos des Traums (le chaos temporel du rêve). Par cette note, j’éprouve le sentiment euphorique que la réalité se déploie toute entière devant moi. Par elle, j’ai l’impression que se furent les Titans qui avaient raison et non les Olympiens. Tout bonnement, munie de la joie charnelle de ce chant, des dimensions antiques sortent de l’ombre, révélée sans nulle demande, cela sans même qu’une seule goutte de sang ait été versée. x
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Philosophie
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débat
L’abstentionnisme, un parti pris
Regard critique sur l’essai de Francis Dupuis-Déri, qui promeut l’abstention de vote.
évangéline Durand-allizé Gali Bonin
Contributeur
L
e 30 septembre dernier, deux colis guettaient sagement mon retour dans ma boîte aux lettres. Les deux étaient attendus, mais l’ironie (et la contingence) a voulu qu’ils arrivent le même jour. Le premier était ma carte d’électeur, court message pour me mentionner que j’étais bel et bien sur les listes électorales et mandaté d’aller voter le 21 octobre prochain. Rien de nouveau sous le froid soleil d’automne, puisque j’en avais déjà fait la (certes peu excitante) expérience l’an dernier. Le second était une commande de lecture que Plus on est de fous, plus on lit! m’envoyait à lire pour le mercredi 2 octobre : Nous n’irons plus aux urnes, plaidoyer pour l’abstention (2019) de Francis Dupuis-Déri, professeur de sciences politiques et d’études féministes à l’UQAM. Ce grinçant hasard me fit sourire : laquelle de ces deux courtes lectures allait ou n’allait pas m’emmener aux urnes à la fin du mois? Cet article vise
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société
à vous donner le pourquoi de ma réponse, car, oui, j’irai voter, mais aussi des raisons pour lesquelles l’abstention n’est pas un acte à condamner pour autant. Un emballage qui fourvoie Malgré un titre qui sent à plein nez les lettres grandiloquentes de la révolution, il n’en est rien. En ce sens, le sous-titre « plaidoyer pour l’abstention » est plus intéressant (et juste) que le titre. Il ne s’agit pas d’un manifeste, mais plutôt d’un essai ou d’un précis. L’ouvrage de 180 pages est divisé en 88 petits chapitres formant un tout plus ou moins cohérent. La lecture est à la fois digeste et informative puisque le langage évite toutes sophistications inutiles tandis que les exemples, notes de bas de page et anecdotes abondent. Le public ciblé est double : primo, les abstentionnistes (anarchistes) convaincu·e·s qui auront un ouvrage de plus à citer pour leur défense ; deuxio, les progressistes, les cyniques et les désillusionnés qui sembleraient n’avoir besoin
que d’une (petite) poussée pour faire le saut vers l’abstentionnisme. Malgré cela, ne vous laissez pas impressionner par ce titre provocateur : il s’agit tout d’abord d’un excellent outil de référence pour bâtir une réflexion. Premier service En commençant par les points forts, il est à noter que Dupuis-Déri dresse une excellente critique, fort bien documentée, du parlementarisme. L’abstentionniste (anarchiste) insiste entre autres sur le détournement qu’a subi le mot démocratie avec l’avènement de la république moderne. Un système, pour être démocratique, doit selon lui être basé sur une démocratie directe, soit par l’exercice du pouvoir du peuple par le peuple. En ce sens, le principe d’élection même serait un acte antidémocratique puisqu’il s’agirait d’une passation du pouvoir du peuple à une infime élite censée représenter les intérêts multiples et variés d’une multitude d’individus. La « démocra-
tie » telle que nous la comprenons aujourd’hui n’est d’ailleurs pas basée sur la démocratie (directe) athénienne, mais sur le modèle du sénat romain. L’auteur se fait d’ailleurs un plaisir de citer le Petit manuel de campagne électorale de Quintus Cicéron (102-43 av. J.-C.) qui conseille au député « un mensonge de ta part plutôt qu’un refus ». Comme quoi les fausses promesses des politicien·ne·s n’ont pas été inventées avec la guillotine!
majoritairement des hommes issus de classes sociales élevées, excluant de facto les groupes opprimés et minoritaires, notamment les personnes racisées, les femmes et les personnes autochtones. Démographiquement, l’échantillon échoue donc au test de la représentativité. En bref, Dupuis-Déri résume que « [l]’expression “démocratie représentative ” est donc un oxymore, une contradiction logique et politique, une imposture. »
Mais à ne pas être dans une démocratie, dans quel système politique sommes-nous exactement ? Dans une aristocratie élective, nous répondrait Rousseau. Autrement dit, nous sommes dans un régime parlementaire gouverné et régi par une élite sociale. « L’aristocratie élective est souvent composée de “politiciens professionnels’’ […] et de membres des classes moyennes et supérieures », précise DupuisDéri. Cette aristocratie élective enlève encore plus de crédibilité au mythe de la représentation puisque les représentant·e·s sont
Deuxième service En plus de mettre à mal le régime parlementaire en soi, l’auteur illustre clairement une certaine hypocrisie et un certain double standard dans les discours anti-abstentionnistes traditionnels. Tout d’abord, bien des gens parlent du vote comme « devoir du·de la citoyen·ne », une sorte de bienséance politique, de savoir-vivre sophistiqué. Toutefois, cet appel au cœur patriotique semble s’essouffler lorsqu’il est soumis à d’autres conditions que les élections nationales. Par
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exemple, les taux d’abstention deviennent faramineux (et normalisés) lors des élections municipales (57,53% d’abstention pour Montréal en 2017) ou de commissions scolaires (en 2014, 5,54% de participation au Québec). Pourtant, les citoyen·ne·s gagneraient à s’impliquer au niveau local plutôt que de s’attendre à ce que la politique nationale gère des problèmes spécifiques liés à chaque région. Plus d’implication locale signifierait plus d’autonomie pour les instances de gestion citoyenne et, donc, plus d’impact sur l’environnement immédiat qui structure et constitue notre quotidien. Pour en revenir au vote, ce « devoir » en serait donc un tout relatif, un genre de beau veston que l’on met une fois tous les deux, voire quatre ans. Ensuite, si bien des parlementaires nous incitent avec acharnement à nous rendre aux urnes pour leurs élections, eux·elles-mêmes sont parfois plutôt dissipé·e·s une fois élu·e·s. Pour exemple, Dupuis-Déri nous informe que « Philippe Couillard était absent de la chambre législative lors de 29% des votes sur des projets de loi » et, « à Ottawa, 25 députés ont raté plus de 25% des votes ». Ainsi, l’importance de ce fameux droit de vote ne prendrait sens pour la plupart des gens qu’une cinquantaine de jours tous
les deux ou quatre ans, soit le temps des élections nationales. Le dessert En résumé, il y a premièrement critique de l’usage du mot démocratie dont l’identité aurait été usurpée par une machine nommée régime parlementaire. Son deuxième nom, démocratie représentative, est également une imposture puisqu’il ne représente ni adéquatement (classe sociale, genre, ethnie), ni proportionnellement la société (possibilité d’un gouvernement majoritaire avec une forte minorité des votes). Il y a deuxièmement une forme de relativisation, de double standard et d’hypocrisie quant au « devoir moral » que représente le vote. Il y a donc une tentative de tromper l’électeur·rice, de lui faire croire en une illusion en montant tout autour de la politique un grand spectacle. En reprenant l’expression du penseur et militant français Guy Debord, on peut voir que la sphère politique s’éloigne de la société, des masses, en s’isolant derrière une représentation, derrière un spectacle. Dans La Société du Spectacle (1967), Debord affirme que « [le] spectacle ne veut en venir à rien d’autre qu’à lui-même », ce qui est également le cas des partis politiques. Le parti politique ne veut en venir qu’à son
élection puis, si porté au pouvoir, à sa réélection. Ce principe est automatique et incessant chez les partis politiques. Ces derniers possèdent donc un fonctionnement similaire à celui du spectacle. Ainsi, si le mandat est le spectacle, on pourrait dire que les élections sont les auditions et, le vote, un billet pour assister à la représentation.
« Est-ce que s’abstenir pour ne pas cautionner veut automatiquement dire que voter, c’est cautionner ? » L’arrière-goût Bien que ce plaidoyer abstentionniste dépeint assez lucidement les tares de nos « démocraties » modernes, le texte reste loin d’être parfait. Le style essayistique est d’ailleurs cause de plusieurs inconforts de lecture. Premièrement, la ligne directrice est plutôt brouillonne d’un chapitre à l’autre. Cela laisse parfois le·la lecteur·rice seul·e dans un brouillard d’anecdotes et de statistiques. Ensuite, plusieurs chapitres censés être des contre-arguments, ou du
moins des réponses pour justifier l’abstention, laissent le·la lecteur·rice sur sa faim. Il s’agit souvent de réponses décevantes, comme au chapitre Mais si personne ne votait? Sa conclusion : « Et si un jour personne ne vote, on verra bien alors ce qu’il adviendra de notre système politique. Quoi qu’il en soit, je n’ai jamais bien compris en quoi cet “ argument ” devrait convaincre les abstentionnistes de voter. » Le compliment pourrait être renvoyé. Finalement, le texte est peu convaincant puisque l’opinion de l’auteur y est rarement ardemment défendue. Il relate et rapporte beaucoup sans pour autant se positionner ou défendre un point de vue précis. Ainsi, plus souvent qu’autrement, il présente des faits plutôt que ne défend une cause. La difficile digestion Toutefois, les lacunes structurelles et argumentatives de l’ouvrage ne sont pas ce qui m’a fait choisir mon carton de vote plutôt que l’abstention. L’un des principaux arguments en faveur de l’abstention, donné par DepuisDéri, est le suivant : « En s’abstenant de voter, on refuse également d’être politiquement et moralement responsable de décisions et d’actions fondamentalement immorales » prises et portées par
le gouvernement. Mais est-ce que s’abstenir pour ne pas cautionner veut automatiquement dire que voter, c’est cautionner ? Il y a selon moi ici une trop grande simplification de la problématique. Ce n’est pas parce qu’on use du système pour passer un message (comme l’importance que l’on accorde à l’environnement, par exemple) que l’on soutient automatiquement ledit système. Ce n’est pas parce que j’achète un billet de spectacle que je crois qu’il s’agit du réel. Cet argument réduit l’enjeu à un affrontement manichéen entre le tu votes, donc tu approuves et le tu ne votes pas donc tu désapprouves. Pourquoi ne pourrait-on pas conjuguer désaveu politique et vote stratégique, par exemple? Être un·e abstentionniste (anarchiste) convaincu·e, c’est aussi refuser de pouvoir éviter le pire. Dans certains cas, même les anarchistes convaincu·e·s ont lancé des campagnes de mobilisation, comme en France, en 2002, où ils·elles appelaient les gens à aller voter pour Jacques Chirac afin de bloquer Jean-Marie Le Pen. Parfois, quand la crise menace d’éclater, il faut voter. Ne serait-ce que pour ajouter un compte aux verts pas assez pleins. En bref, oui, le 21 octobre prochain, j’irai voter. x
entrevue
La justice climatique n’attend pas Rencontre avec Khady Konaté et Chloe Rourke, membres du mouvement Notre Moment.
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epuis le début de l’année, le nombre de mouvements environnementaux menés par la jeunesse augmente de manière exponentielle au Canada. Notre Moment, (Our Time en anglais, ndlr) est de ceux-là. Avec la justice climatique comme raison d’être, le groupe œuvre pour l’implémentation d’un Green New Deal (une « Nouvelle Donne verte » en français, ndlr) à l’échelle nationale. Chloe et Khady nous ont parlé du fonctionnement du mouvement, de son rôle dans les élections fédérales, et de leurs projets futurs. Le Délit (LD) : Pouvez-vous commencer par vous présenter rapidement, ainsi qu’expliquer ce qu’est l’organisation Notre Moment? Chloé Rourke (CR) : Je suis l’une des organisatrices de Notre Moment, un mouvement qui est en partenariat avec 350.org. Nous sommes le chapitre montréalais, mais il existe d’autres chapitres dans tout le Canada, et notre but premier et de mobiliser les jeunes en soutien d’un Green New Deal, qui est centré autour des enjeux de justice climatique, de droits pour les personnes autochtones
mais j’ai récemment emménagé à Montréal, où j’ai rejoint Chloé ainsi que d’autres organisateur·rice·s incroyables. Je n’ai pas de position précise, vu que l’organisation a une structure très horizontale. Le processus de décision est très égalitaire, tout le monde a l’espace pour dire ce qu’il·elle pense.
Vjosana Shkurti
et d’une transition juste vers une économie sans carbone, avec des salaires corrects et des emplois verts. Donc, c’est un programme ambitieux auquel nous essayons de rallier spécifiquement les jeunes entre 18 et 35 ans. Le mouvement prend actuellement beaucoup d’ampleur, car ce sont des enjeux que les gens prennent à cœur. Nous savons qu’adresser la question de notre émission carbone et trouver une réponse à la crise climatique représentent des
le délit · mardi 8 octobre 2019· delitfrancais.com
défis énormes, et je pense que le Green New Deal est une réponse à la hauteur de la crise puisqu’il reconnaît le besoin de changements systémiques. Donc voilà, je suis très enthousiaste quant à la direction que prend le mouvement. Khady Konaté (KK) : Je suis aussi l’une des organisatrices. J’ai rejoint le mouvement lorsqu’il a été créé, c’est-à-dire en mai dernier, ou plutôt fin avril. Au début, je faisais partie de la plateforme d’Ottawa,
CR : Oui, on n’a pas de structure organisationnelle définie. Je crois qu’aucun des chapitres n’a de poste exécutif d’ailleurs. Il n’y a pas de président·e ou quelque chose comme ça. L’organisation dépend surtout des capacités et des disponibilités de chacun·e·s. Ceux·celles qui ont plus de temps adopteront peut-être une position de leadership, mais aucun rôle n’est fixe. En fonction des aptitudes et du temps que chacun·e peut accorder, certain·e·s se concentreront sur la communication, d’autres sur l’organisation d’événements. KK : C’est ça, les préférences de chacun·e·s vont déterminer comment on s’organise et qui fait quoi. Les chapitres s’organisent différemment en fonction du nombre d’organisateur·rice·s, de la communauté dans laquelle il·elle·s se trouvent, s’il
y a déjà des mouvements populaires existants dans les communautés… Aussi, une partie importante de notre travail est justement de collaborer avec d’autres groupes, puisque la justice climatique est indissociable de la justice sociale, de la justice raciale et de la justice pour les migrant·e·s. Tout est interconnecté, donc c’est très important de travailler en collaboration. LD : Quelle est l’histoire du Green New Deal ? Pouvez-vous nous parler de ses origines ainsi que de la spécificité d’un Green New Deal canadien? CR : Le Green New Deal a été popularisé par Alexandria Ocasio-Cortez et d’autres membres du Parti démocrate aux États-Unis, mais il a surtout émergé à travers le Sunrise Movement, qui est aussi un mouvement dirigé par des jeunes. Ce sont eux·elles qui ont introduit l’idée sur la scène politique et qui l’ont normalisée dans les discours politiques, même si Alexandria Ocasio-Cortez a aussi beaucoup contribué à ça.
Suite de l’entrevue page 14
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Entrevue CR (suite): Dans le contexte canadien, des discussions au sujet de quelle forme prendrait un Green New Deal national sont en train d’avoir lieu à travers tout le pays. Les syndicats en parlent, les communautés de travailleurs et de travailleuses en parlent également, pour essayer de penser des métiers verts et durables. Aussi, ceci se fait en dialogue avec les communautés autochtones. D’après ce que j’ai pu lire et voir, beaucoup de communautés autochtones sont aux premiers rangs de ces projets. Donc, c’est quelque chose qui est en évolution perpétuelle, qui n’a pas une vision fixe. Et je pense que c’est ça qui est primordial et qui assure le succès du Green New Deal, c’est le fait d’avoir des conversations avec les communautés concernées en premier lieu. Parce que l’idée de transition sera incarnée de manière très différente d’une communauté à une autre. Ça ne devrait pas être un projet descendant, du haut vers le bas. Il faut centrer le dialogue autour de personnes et de communautés qui sont marginalisées par le système politique et économique actuel.
CR : Pour ce qui est de Montréal, nos critères d’approbation sont similaires, ainsi, ils sont articulés autour de la justice climatique. Nous cherchons à approuver les candidat·e·s qui promulguent et défendent un Green New Deal dans leurs projets de campagne. Le NPD (Nouveau Parti démocratique ndlr) a par exemple intégré le Green New Deal à sa plateforme, et le Parti vert est centré autour d’enjeux climatiques, donc de fait,
crise climatique et environnementale n’est pas un enjeu partisan. Ce que nous voulons, c’est trouver une solution à cette crise. À quoi cette solution va ressembler précisément, comment elle sera mise en œuvre et par qui sont des questions qui restent encore à être définies. LD : À ce sujet, avez-vous été affecté·e·s, en tant qu’organisation œuvrant pour la justice climatique, par la décision d’Élections Canada
avons eu à gérer ça directement, c’est 350.org qui s’en est occupé, vu que ce sont eux·elles qui gèrent ces tâches administratives et légales-là. Donc pour nous, ça allait, mais je sais que pour d’autres organisations communautaires qui n’avaient pas le budget légal pour effectuer la démarche, cette décision d’Élections Canada a été un véritable obstacle à leur travail puisque si elles ne se déclaraient pas en tant que tierce parti, elles
COURTOISIE de Notre Moment
CR : Aussi, même si les personnes que nous avons soutenues ne sont pas élues, nous voulons être présent·e·s pour rappeler au gouvernement sa responsabilité vis-à-vis de la population, peu importe le parti qui accède au pouvoir. Ainsi, les deux aspects de notre mission sont étroitement liés. En plus du travail avec les candidat·e·s, à ce stade, nous faisons beaucoup de démarchage pour essayer de faire grandir le mouvement dans son ensemble et ensuite trouver notre place dans le plus large mouvement environnemental québécois. Donc voilà, on fait ça, et puis on essaie de rendre les candidat·e·s que nous avons soutenu·e·s le plus visible possible, et nous encourageons les gens à prendre connaissance de ces candidat·e·s et ensuite de voter avec le climat comme enjeu majeur en tête. Après les élections, nous repenserons notre agenda et déterminerons quelle direction nous voulons prendre.
LD : Quels sont les projets sur lesquels vous travaillez actuellement? CR: En ce moment, nous concentrons la majorité de nos efforts sur les élections et l’approbation des candidat·e·s. Vu que nous sommes un tierce parti enregistré, nous pouvons approuver des candidat·e·s et aider ceux·celles qui soutiennent le Green New Deal à se faire élire. Donc c’est là que nous concentrons nos efforts actuellement. De plus, nous continuons à faire grandir le mouvement, et de proposer un espace pour les jeunes qui ne sont pas scolarisé·e·s et qui ne sont donc pas inclu·e·s dans les mouvements étudiants environnementaux qui sont particulièrement actifs, ici à Montréal. Nous sommes là pour leur permettre de se joindre au mouvement environnemental plus large, au-delà des universités et des écoles.
LD : Lorsque vous allez à la rencontre des citoyen·ne·s ici à Montréal, quelles sont les réactions et les réponses que vous recevez à l’évocation d’un Green New Deal canadien?
LD : Vous n’êtes pas affilié·e·s à un parti politique en particulier. Comment fonctionne votre rapport aux différents partis, et quelle est la relation que vous entretenez avec eux en amont des élections? KK : Alors, quand j’étais à Ottawa, nous avions un groupe de travail dont le rôle était de répertorier et de faire des recherches sur tous·tes les candidat·e·s pour que tous·tes les membres de Notre Moment Ottawa puissent savoir quel était le programme, le positionnement, les valeurs et les engagements passés de chaque candidat·e sur les enjeux liés à la justice climatique. De cette manière, nous pouvons décider qui approuver ou non. D’ailleurs, à Ottawa, personne n’avait été approuvé·e avant la semaine passée, parce que nous fonctionnons sur un système de consensus, donc si une personne ne veut pas approuver un·e candidat·e, tout le monde respecte cette décision, et l’approbation ne passe pas.
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une responsabilité à notre égard, ils·elles se doivent de respecter les engagements qu’ils·elles ont pris durant la campagne. C’est pour ça que Notre Moment va continuer d’exister après les élections, pour pouvoir continuer à faire pression sur les élu·e·s. Nous serons là pour leur rappeler quels engagements ils·elles ont pris, et pour informer le public de ces engagements et de le tenir informé de si ces derniers sont respectés ou non.
ce sont les deux partis que nous allons le plus soutenir, bien que nous ne leur sommes pas affiliés. KK : Aussi, j’ajouterais au sujet de notre statut d’organisation pluripartite que ce n’est pas que nous ne voulons pas approuver des
de donner aux groupes environnementaux le statut de partisans? KK : Il y a eu beaucoup de confusion au moment où cette décision a été prise par Élections Canada. Donc nous sommes déclaré·e·s en tant que tierce parti, mais cela n’af-
fecte pas tellement comment nous nous mobilisons et les actions que nous faisons.
LD : D’après vos réponses, il apparaît que vous travaillez vraiment sur un double front. D’un côté, vous informez, mobilisez et recrutez les citoyen·ne·s ; de l’autre, vous vous adressez directement aux partis politiques et faites pression sur eux. Comment conciliez-vous, en termes concrets, ces deux aspects de votre mission?
CR : Mais le fait de devoir s’enregistrer en tant que tierce parti est déjà un élément important en soi. Après, ce n’est pas nous qui
KK : En fait, tout l’intérêt d’approuver et de soutenir certain·e·s candidat·e·s est qu’ensuite, s’ils·elles sont élu·e·s, ils·elles ont
« Il faut centrer le dialogue autour des communautés qui sont marginalisées par le système économique actuel » candidat·e·s du Parti conservateur ou du Parti libéral en soi. C’est simplement qu’aucun·e d’eux·elles n’a démontré qu’il·elle soutiendrait un Green New Deal s’il·elle était élu·e. CR : C’est ça, nous ne voulons pas travailler avec un seul parti, car la
risquaient d’enfreindre la Loi électorale. Donc si nous n’avions pas eu ces ressources-là, cela aurait vraiment affecté nos capacités à approuver et à soutenir les candidat·e·s.
KK : De ma propre expérience de démarchage, j’ai pu constater que les gens sont inquiets pour leur travail et leur revenu, ce qui est totalement compréhensible. Donc quand on parle du Green New Deal, il faut insister sur le fait qu’un pilier central de ce projet est de soutenir les travailleur·euse·s tout au long de la transition. Le mot « transition » en lui-même peut faire peur, mais lorsqu’on prend le temps d’expliquer ce que ce mot veut dire, ce qu’il implique à différentes échelles, les gens sont d’accord. Lorsque nous parlons de transition comme soutien des communautés marginalisées et d’une vraie réconciliation avec les populations autochtones, les gens sont d’accord. Ainsi, le Green New Deal est un projet évolutif et qui s’adapte à la réalité de différents individus et communautés. Les gens ont conscience que notre société a besoin d’un projet transformateur, et peut-être que le Green New Deal est justement le projet en question. x Informations utiles Pour recevoir les courriels de Notre Moment: Envoyer « VOTE » au 67076 ou visiter la page https://our-time.ca/ Propos recueillis et traduits par Béatrice Malleret Éditrice Société Opinion
le délit · mardi 8 octobre 2019 · delitfrancais.com
Culture danse
O Fortuna Triste inadéquation entre musique et danse aux Grands Ballets. artsculture@delitfrancais.com
Simon Tardif
publiquement ce que de nombreuses personnes connaissent dans leur intimité ; le dé-voilement de ce qui, pour plusieurs, va de soi. La caresse dansée de la main d’un homme sur le corps d’un autre apparaît hors de tout doute pareille à une beauté simple sur laquelle notre culture ne se permet que trop rarement l’indiscrétion du regard.
sasha onyshchenko
Éditeur Philosophie
L
es Grands Ballets Canadiens proposent du 3 au 19 octobre 2019 une adaptation de la célèbre composition de Carl Orff, Carmina Burana. Le chorégraphe roumain Edward Clug y présente une chorégraphie rompant avec la musique qu’elle est censée célébrer. Retour phénoménologique sur une adaptation qui, bien que globalement formidable du point de vue des artistes, a manqué au niveau chorégraphique. Danse et musique La danse est un art déduit du mouvement de la vie humaine. Elle est l’une des définitions incarnées de la maîtrise. Ce n’est pas ce qui manquait au spectacle. Les limites de l’interprétation symbolique de Clug se faisaient sentir dans les gestes décidément décalés des danseurs par rapport à la musique. Une tout autre musique à la même symbolique aurait parfaitement convenu à la maîtrise de la distribution. On ne pourra certainement pas en vouloir à la cantate d’Orff. De la même
théâtre
manière, on s’attendrait à ce qu’une chorégraphie suive la musique des cantates de Vivaldi. En vérité, les gestes manquaient cruellement à leur devoir envers la musique qu’ils devaient par ailleurs célébrer. Nous sentions presque deux courants différents, chacun tentant de nous ravir à leur attention. D’une part, les gestes nous appelaient à prolonger la chorégraphie, tandis que la musique nous appelait à des hauteurs desquelles les gestes n’étaient que les rares invités. De surcroît, le plus terrible était peut-être les souffles contraires auxquels nous conviaient les différents arts croisés.
Danse et chair Cela dit, la danse pouvait — prise en elle-même — suffire d’une certaine manière. Tapis dans un grand cercle rituel, la lumière déclinait le rouge et le noir d’une manière grave. Il y avait le tragique du gigantesque anneau s’abattant sur tous dans le son des cuivres. La mise en scène relevait bel et bien des textes profanes desquels sont tirés Carmina Burana. Le rapport des rapports était sacralisé entre les sexes : Homme et Femme — deux régimes de corps aux grâces différentes et répétées. Nous sentions une altérité des
sexes en tension, en même temps qu’une fusion des sexualités. Le prodige de ces corps narguait la vieillesse des spectateurs ; que pouvaient-ils tous penser? Peutêtre y trouvaient-ils une enceinte de résonance dans laquelle la mémoire de leurs muscles ternes s’excitait à nouveau. Il y avait de l’étonnant à voir ces corps masculins joncher les bras des femmes. Moi qui n’aie grandi qu’avec des femmes, j’ai toujours su que la prétention « masculine » à la force — armée de la « Raison » — n’était que l’expression pathologique d’insécurités que l’on peine à saisir. L’étonnant consistait donc à rétablir
J’avais pour ma part le souffle court à la vue de tous ces corps ; Dionysos célébré à chacun de leurs pas. Le clair-obscur découpait des corps dont nous savions la chair ferme. Pareil à l’effet de la vague sur la grève, l’obscurité s’échouait sur des musculatures découpées par la répétition. La luminosité nous faisait croire qu’ils étaient nus. Il m’est venu à l’esprit un moment que la danse contemporaine que j’avais devant moi, lorsqu’elle s’éprenait enfin du chœur, avait les allures d’une orgie des âmes. Avec des chants chrétiens, il y avait de quoi faire. « Sors salutis mecum omnes plangite » (la chance accable un héros)! x Présenté à la salle Wilfrid-Pelletier jusqu’au 19 octobre.
Aliénation marchandisée
Denise-Pelletier présente une adaptation du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley. Audrey Bourdon
Éditrice Culture
Gunther Gamper
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égoûtée, nauséeuse, chamboulée, sonnée. C’est de cette manière que je me sentais au moment de me lever pour applaudir la performance des comédien·ne·s, lors de la première du Meilleur des mondes. Pourtant écrit en 1932, le récit d’Huxley n’en est pas moins résonnant aujourd’hui — notamment dans l’adaptation qu’en fait Guillaume Corbeil, dans une mise en scène de Frédéric Blanchette. Ils ciblent avec justesse certaines des névroses de notre société, dans une ironie parfaitement mesurée. Décadence programmée La prémisse de cette œuvre bien établie dans les classiques du 20e siècle est plutôt connue : à l’intérieur des murs de cette société parfaite, le concept de « famille » est inexistant — les bébés sont produits dans des éprouvettes, en série —, le divertissement remplace toute forme d’art, les enfants sont conditionnés à aimer le travail pour lequel ils sont désignés et tous·tes traînent leur dose de soma, drogue du bonheur aux vertus miraculeuses.
C’est dans ce contexte que l’Alpha (caste des dirigeants) « défectueux » Bernard, interprété fabuleusement par Simon Lacroix, découvrira chez lui deux réfugié·e·s, Linda (Kathleen Fortin) et son fils John (Benoît Drouin-Germain), venant de l’extérieur des murs. Si Bernard ne s’est jamais senti à sa place au sein des dirigeants, John, lui, ne contraste que davantage avec l’entièreté de la société. L’étranger crée la zizanie dans ce monde parfait, non pas pour l’humanité détonante que lui permet une vie sans conditionnement, mais par son nombril. Les imbéciles heureux·euses sont davantage fasciné·e·s par cette cicatrice dans l’abdomen résultant du placenta — qu’eux·elles n’ont pas de par leur création en laboratoire —, que par les pièces de Shakespeare que peut réciter John.
le délit · mardi 8 octobre 2019 · delitfrancais.com
Cette œuvre, se voulant d’abord une dystopie, n’est en vérité pas bien loin de notre réalité. Qui comprendra les clins d’œil ironiques sur notre société et la décadence qu’apporte la surconsommation en aura des frissons dans le dos, alors que les idiots embarqueront dans cette aliénation programmée. L’hypnopédie, cette façon d’hypnotiser les pions que deviennent les humains en faisant rouler en boucle des phrases de « bonnes conduites » pendant leur sommeil, ridiculise directement les spectateur·rice·s. « Les vieux vêtements sont laids » moque cette habitude de toujours vouloir le nouveau. L’amour n’existe pas, les gens ne font que « se posséder » en se donnant par la suite des notes. Cela n’est pas sans rappeler l’utilisation des applications de rencontre afin de, le terme
de la pièce convient enfin parfaitement, se posséder. Filer le parfait bonheur Cette question du « bonheur avant tout » incarne l’une des réflexions premières de l’œuvre d’Huxley. Aussitôt que se faufilent des sentiments « négatifs », les personnages aspirent leur soma et se sentent heureux. Linda, la mère de John, représente bien cette dépendance à long terme. Ayant été élevée dans cette société où les émotions négatives n’ont pas leur place, elle ne cherche sa vie durant qu’à retrouver ce bonheur préfabriqué, cette illusion du bien-être intoxiqué. « Le secret du bonheur, c’est d’aimer ce qu’on est obligé de faire », entend-on pendant la pièce. John, libéré de
cette aliénation, ne cherche qu’à faire découvrir aux autres le bien que l’on peut ressentir à avoir mal, à être humain. Le jeune homme — seul à être doté d’une humanité — réussira bien sa mission pour une seule autre personne, à qui il arrive à faire voir le pouvoir des mots. C’est d’ailleurs peut-être le seul moment émouvant de la pièce, alors que Corbeil fait dire à ce personnage : « Je ne veux pas être heureux. Je préfère être humain et avoir mal. » Mon dégoût a atteint son paroxysme alors qu’à la fin, les idées de John se font récupérer par le système et transformer en produits de consommation, tels des chandails, des accessoires, des chansons, etc., alors que les gens les utilisent sans prendre conscience du message qui voulait être transmis à la base. Une question me hante depuis : et si ces chandails étaient disponibles au théâtre, après les représentations, y aurait-il des spectateur·rice·s, heureux·ses, qui s’en procureraient? Probablement, oui. x Présentée au Théâtre DenisePelletier jusqu’au 25 octobre.
culture
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cinéma
Sous le signe de la rencontre
Myriam Verreault porte à l’écran le recueil de récits de Naomi Fontaine, Kuessipan. Alexandre Jutras
Contributeur
N
aomi Fontaine publiait Kuessipan en 2011, une œuvre que l’on a d’abord placée sous la bannière (maintenant galvaudée) du roman, mais qui évoque davantage une série de tableaux, de portraits, d’images et d’émotions. Le terme « recueil de récits » serait plus juste pour désigner cet objet littéraire touchant. Le livre compte à peine une centaine de pages, mais parvient à dire beaucoup avec peu, à raconter le quotidien innu avec une force poétique qui se construit autour de cette économie de mots.
2019, à la suite d’un long travail d’adaptation et de réécriture, l’adaptation cinématographique de Kuessipan. D’emblée, l’on ne peut que constater que le projet est une réussite. Deux sœurs Le film fait le récit de deux jeunes femmes qui grandissent dans une communauté innue, Mikuan (Sharon FontaineIshpatao) et Shaniss (Yamie Grégoire). La première vit dans une famille aimante alors que la deuxième doit composer avec un jeune enfant et un conjoint qui ne tient pas en place. Elles sont néanmoins inséparables.
« C’est une œuvre lumineuse qui fait du bien et qui nous convainc de l’importance de la tolérance et de la curiosité » La réalisatrice Myriam Verreault a rencontré Naomi Fontaine peu après la parution de son premier ouvrage au Salon du livre des Premières Nations à Wendake. Rapidement, elles ont décidé de collaborer afin de porter le livre au grand écran. Paraît donc en
À l’aube de leur passage à l’âge adulte, leur amitié sera mise à rude épreuve alors que Mikuan a l’ambition d’aller étudier en ville. Shaniss l’accuse de renier sa communauté, mais ce faisant, empêche son amie de réaliser ses rêves. Le scénario du film
diffère nettement du texte original — le livre ne contenait pas de dimension proprement narrative — même s’il en conserve l’essence. Dans une généreuse entrevue qu’elle m’a accordée, la réalisatrice explique d’abord que le travail de réécriture s’est déroulé en plusieurs étapes. Tout d’abord, elle considérait primordial d’accomplir cette étape du projet avec l’écrivaine pour que le film, à l’instar du roman, permette d’entrer en relation avec « l’autre ». Naomi a joué le rôle de la « gardienne de la culture et de l’esprit du projet ». La perspective innue était essentielle, porteuse d’une légitimité. L’on a qu’à penser au fiasco qu’a causé Kanata (été 2018) pour mesurer l’importance de mener ce genre d’entreprise dans le respect et l’inclusion. Selon Myriam Verreault, Robert Lepage (metteur en scène de la pièce) s’est avant tout privé d’une rencontre. Quand l’on voit le résultat de cette collaboration entre la réalisatrice et l’autrice, l’on ne peut que constater la mesure dans laquelle l’écoute et le partage créent une atmosphère propice à la création. De belles amitiés Elle explique qu’elle a passé deux mois à Uashat pour tisser des liens avec la communauté. Un été sur les plages, près des feux, à se raconter des histoires. Des liens qui se sont transformés en amitiés, à mesure que les Innu·e·s ont consenti à partager leur quotidien avec elle. Il lui fallait cette proximité, ce « regard intérieur » pour illustrer la vie de ces gens et leurs réalités sans lunettes roses ni préjugés, « pour arriver à faire ressortir le beau dans les petits détails ». C’est d’ailleurs ce regard sincère sur les personnages et les relations qui les unissent qui fait la force du film. Opposer deux amies qui choisissent des destins distincts met en lumière la puissance de leurs liens avec la communauté. Mikuan s’amourache d’un blanc et projette d’aller étudier à Québec. Shaniss voit ces deux projets d’un mauvais œil. Entre les pleurs et les sourires — le nombre de sourires que le film donne à voir impressionne —, les deux jeunes filles en arrivent à la conclusion qu’elles sont toutes deux attachées à leur communauté (et aussi l’une à l’autre) : elles le manifestent tout simplement de manière différente. Une première émotive
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laurent guerin
culture
Myriam Verreault explique que la première à Sept-Îles demeure une expérience spéciale : une salle bondée, beaucoup d’In-
Mauve chevin nu·e·s, beaucoup de Blanc·he·s, mais surtout beaucoup de rires. L’humour nous unit malgré nos différences, me dit-elle. Tous·tes riaient aux mêmes blagues. Elle était heureuse de voir les Innu·e·s s’approprier le film, eux·elles qui se voyaient à l’écran pour la première fois dans une expérience de cinéma « classique ». « Ils se voient exister à l’extérieur de la réserve et c’est un sentiment qui leur fait du bien », poursuit la réalisatrice. La période de questions s’est éternisée tellement les
les acteur·rice·s viennent de la région, à l’exception de Francis (Étienne Galloy), le copain de Mikuan. Myriam Verreault m’explique que les acteurs et les actrices ont chéri leur expérience avec l’équipe de tournage et que le sentiment est réciproque. L’adaptation cinématographique réussit à poursuivre le travail de diffusion entamé par Naomi Fontaine avec son recueil de récits. Elle a depuis publié deux autres livres (Manikanetish en 2017 et Shuni en 2019, tous deux
« Le livre [...] parvient à dire beaucoup avec peu, à raconter le quotidien innu avec une force poétique » spectateurs et les spectatrices avaient envie de partager leurs ressentis. Cette validation a fait tomber la pression. Elle avait hâte de présenter le film à la communauté qui s’est occupée d’elle depuis le début du projet. Le résultat final est très émouvant et donne à voir la vie de gens dont beaucoup d’entre nous ne savent à peu près rien. Il émane du film une rare authenticité et c’est peut-être dû au fait que tous·tes
chez Mémoire d’encrier) et je vous en recommande fortement la lecture. Le film traite de la quête identitaire et plonge dans le quotidien parfois difficile des Innu·e·s avec une sincérité désarmante. Simplement pour l’expérience et le plaisir de cette rencontre, le film mérite d’être vu. C’est une œuvre lumineuse qui fait du bien et qui nous convainc de l’importance de la tolérance et de la curiosité. X
le délit · mardi 8 octobre 2019 · delitfrancais.com
théâtre
Cervantès et l’errance poétique L’intemporel Homme de la Mancha prend vie au Théâtre du Rideau Vert. avait d’ores et déjà été couverte d’éloges lors de la présentation québécoise de la pièce en 2002, les années n’ont pas eu raison de son talent. Investi sur scène comme s’il y jouait sa vie, le comédien avoue d’ailleurs qu’il « perd 5 livres à chaque représentation ». Entre la folie du Quichotte, son idéalisme, son amour éperdu, sa grande ténacité et sa volonté toute puissante de faire le bien, l’acteur comprend et incarne les nuances et la complexité du personnage, qu’il fait résonner par sa voix en crescendo qui emplit magnifiquement l’espace du théâtre.
Mélina Nantel
Éditrice Culture
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l y a de ces classiques qui en resteront toujours. Ces œuvres qui, peut-être de par l’intemporalité de leur propos, sauront traverser les époques en gardant une irrévocable actualité. C’est notamment le cas de Don Quichotte, personnage hétéroclite éponyme de l’œuvre, venu au monde sous l’habile plume de Miguel de Cervantès, il y a de cela plus de quatre siècles. En 1968, après plusieurs années d’inactivité artistique, le bien connu Jacques Brel reprend ce classique de la littérature espagnole afin d’en faire l’adaptation française. Naîtra alors L’Homme de la Mancha, adaptée de la comédie musicale The Man of la Mancha conçue par Mitch Leigh et Joe Darion, qui rend hommage au Quichotte et à son créateur. C’est avec cette adaptation française que le Théâtre du Rideau Vert entame cette année sa saison.
David ospina
De poète à interprète
(gentilhomme) de la Mancha, qui se sacre chevalier errant afin de faire de sa vie le combat contre toutes les inégalités. Si ses intentions sont pures, sa maladresse est telle qu’il en vient malencontreusement à causer du tort à chaque âme qui croise son chemin.
Récupéré dans de nombreuses œuvres à travers les années, Don Quichotte est ce pauvre hidalgo
L’oeuvre L’Homme de la Mancha met en scène le créateur du Quichotte : le valeureux Miguel
de Cervantès — poète et idéaliste qui espère apporter, avec ses écrits, de la lumière dans ce sombre monde. Emprisonné en pleine Inquisition espagnole, Cervantès prend la peau de son personnage afin de démontrer à ses codétenus le pouvoir d’une illusion — celle de l’écriture. Pour lui, là est le sens du monde : colorer le terne du réel par la magie de l’inventivité. Dans une
valse entre fiction et réalité, tout est permis : qui peut reprocher à des prisonniers, de toute façon, l’usage d’un peu de créativité? Voix double et puissante Assumant ce double rôle, à la fois celui du Quichotte et de Cervantès, l’acteur et chanteur Jean Maheux marque ici un tour de force. Si sa voix puissante
Si Maheux est au centre de l’œuvre, à la fois par son talent et par la nature du personnage qu’il incarne, les acteur·rice·s qui l’accompagnent répondent à ce même appel de vérité sur scène : leur jeu est juste, il·elle·s se prêtent aisément aux multiples rôles qu’il·elle·s assument, et malgré quelques faiblesses vocales, toutes et tous transposent l’audience dans l’illusion du réel. X L’Homme de la Mancha est présenté au Théâtre du Rideau Vert jusqu’au 9 novembre.
théâtre
Reflux boursier et vide sociétal
La pièce Le marteau et la faucille dénonce l’absurdité d’un monde capitaliste. Azélie pouliot
Contributrice
L
es 24 et 25 septembre derniers, l’Usine C présentait Le marteau et la faucille, nouvelle création du grand romancier états-unien Don De Lillo adaptée pour la scène par Julien Gosselin.
Il ne s’agit pas d’une première union entre l’auteur et le metteur en scène ; pour l’édition 2018 du Festival d’Avignon, Gosselin transpose ingénieusement les mots de trois romans signés DeLillo en parole pour la scène, adaptation qui connaît un certain succès. Les nouvelles réflectives et provocatrices
simon gosselin
le délit · mardi 8 octobre 2019 · delitfrancais.com
de l’auteur se prêtent merveilleusement au jeu de Gosselin, qui, avec Le marteau et la faucille, offre un théâtre immersif et angoissant. Quatre murs blancs Un décor, un comédien, un monologue. Une heure. Au centre d’une scène blanche, vide, rappelant les quatre murs ternes et insignifiants d’une cellule de prison, un homme en chemise est assis sur une chaise. Une trame sonore monocorde et un immense écran teinté de rouge accompagnent le décor. Ainsi demeure la composition de la pièce du début jusqu’à la fin. Certain·e·s pourraient anticiper qu’une telle immobilité indispose les spectateur·rice·s, mais au contraire, cette stagnante atmosphère raffermit le mal-être apparent du personnage principal, Jerold Bradway. Détenu dans une prison pour magouilles financières, l’ancien banquier et (ex) père de famille décrit le vide suffocant de son existence et exhale en un long monologue l’hilarité de notre société capitaliste.
Vraisemblablement au lendemain de la crise économique de 2008, une émission télévisée révèle deux fillettes, les filles de Jerold, discutant de l’actualité et des tendances du marché. L’offre et la demande, le flux boursier, le pétrole : tous banalisés par les voies innocentes des deux gamines. Jerold, qui suit assidument l’émission, attribue un sarcasme sournois aux propos des filles et tourbillonne dans des pensées absurdes et schizophréniques. La pièce se conclut sur une image percutante : celle de Jerold, debout en haut d’un pont transverse à une autoroute multivoie, qui décrit le va-et-vient incessant des voitures. Les conducteur·rice·s avançant tous·tes vers un vide perpétuel semblable à celui qui l’habite lui. Prouesse de Drouet Un véritable one man show, Joseph Drouet livre une performance inoubliable. L’élégance avec laquelle le comédien interprète les différents personnages (père, filles et codétenu) et ses expressions
faciales, qui dénoncent avec tant de précision la lourdeur de son discours, font de la pièce une œuvre sensible et émouvante. L’élocution méticuleuse du lexique riche et complexe du long monologue semble couler des lèvres de Drouet avec un naturel déconcertant. Des mots à la scène La simplicité de la mise en scène ainsi que la qualité très littéraire de la pièce respectent l’intention de Don De Lillo, qui critique l’absurdité du monde d’aujourd’hui. Rappelant un livre audio, la pièce mise beaucoup sur l’imagination de l’auditoire et lui permet de créer son propre univers illustré comme l’on peut le faire avec un roman. Cette liberté est rafraîchissante. La cadence angoissante de la trame sonore accompagne à merveille le débit rythmé du comédien. Malgré certains passages compliqués, manquant de souffle, le monologue illustre bien l’anxiété d’un monde dirigé par les devises, l’argent et le matériel. X
culture
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cinéma
Soirée au Festival de films féministes Six courts métrages, six histoires d’émancipation et de courage. pleine conversation intérieure avec trois facettes de sa personnalité à propos de la masturbation. Les trois facettes sont poussées à l’extrême sans jamais pour autant devenir grotesques. Il était très facile de s’identifier au personnage principal et de se retrouver dans ce conflit intérieur que beaucoup de femmes partagent. Ce film est rafraîchissant dans une époque où être féministe peut parfois s’apparenter à de perpétuelles justifications et explications. Pour finir, l’on peut lever notre chapeau aux actrices pour avoir eu le courage de se dévoiler face à la caméra avec autant de franchise afin de briser le tabou de la masturbation.
Ninon Savostianoff
Contributrice
L
a dernière soirée du Festival de films féministes de Montréal (FFFM) s’est tenue le 22 septembre dernier et avait pour titre « Points de vue racisés ». Le fait même qu’un tel festival existe mérite un article, surtout lorsqu’on sait qu’il s’agit de sa troisième édition et que celui-ci ne bénéficie toujours pas de subventions. Les organisateur·rice·s sont tous·tes bénévoles, et les profits sont distribués aux réalisateur·rice·s. Dans cet esprit, le moins que l’on puisse faire est de souligner la grande qualité des six courts métrages présentés. Les œuvres étaient d’une grande variété, autant en style qu’en sujets discutés. C’est d’ailleurs la diversité des histoires racontées, dans lesquelles plusieurs identités entraient souvent en jeu, qui a donné à la soirée un caractère profondément intersectionnel et riche en émotions. Il est donc difficile de discuter de l’événement en général et c’est pourquoi chaque court métrage est critiqué séparément, afin d’en préserver l’originalité. The Tigress Masque par Gowri Neelavar Ce film très court (seulement 2 minutes et 30 secondes) est saisissant par son rythme et par la beauté qui se dégage des corps en mouvement. En effet, dans des plans très colorés, on voit des hommes se peignant le corps afin de se transformer en tigres. Les plans, très beaux, baignent dans une lumière quasiment magique où les hommes ont disparu et ne sont plus que des animaux sauvages. Le film est aussi empreint d’une grande poésie puisque tout le long, le poème d’une jeune fille qui est en admiration devant ces créatures est récité par-dessus les images. Elle rêve de se trans-
Skies Are Not Just Blue par Lysandre Cosse-Tremblay
former en tigre elle aussi et de parvenir à tuer le chasseur, ce qu’aucun tigre n’a jamais réussi jusqu’alors. Game par Jeannie Donohoe Cette fiction de quinze minutes raconte l’histoire d’une étudiante androgyne qui souhaite rejoindre l’équipe masculine de basketball de son école. Le film est extrêmement bien réalisé, car le·a spectateur·rice est tant absorbé·e par l’histoire qu’il·elle a vraiment l’impression d’assister à l’entraînement de basket en même temps que les personnages. Le jeu des acteur·rice·s est remarquable, car en peu de dialogues, les conflits intérieurs des personnages se font ressentir. C’est un film qui illustre magnifiquement le courage nécessaire pour atteindre ses rêves. Il est puissant, tout en y allant avec subtilité.
Brother, Move On par Antshi von Moos
Marco-Antonio Hauwert Rueda Samira par Lainey Richardson
Ce documentaire plonge le·a spectateur·rice dans un New Delhi très animé qui met de l’avant le caractère patriarcal de la société indienne. Le personnage principal est une jeune fille qui est devenue chauffeuse de taxi « pour les femmes et par les femmes ». Elle raconte le harcèlement constant qu’elle subit dans la rue, surtout la nuit où « elle ne peut pas sortir du taxi même si la voiture tombe en panne ». La dure réalité des femmes dans la capitale indienne étant soulignée, le·a spectateur·rice peut pleinement saisir le courage de cette femme. Cette ode à l’émancipation nous prouve, en mettant l’accent sur le côté très patriarcal de la société en question, qu’il est possible de surmonter même les plus grands défis quand il s’agit d’acquérir son indépendance.
Le programme du Festival décrivait ce film comme étant « le portrait d’une femme de 19 ans qui n’a pas froid aux yeux », et l’objectif est habilement accompli. Ce portrait est certes simple, mais réussi, car il donne une idée claire de qui est Samira. C’est une jeune fille déterminée, consciente de sa propre force et qui cherche constamment à repousser ses propres limites. C’est ainsi qu’elle décide d’être la première fille à intégrer l’équipe de football américain de son université. Ce film donne envie de rencontrer Samira et de conquérir des montagnes. Me Time par Iyabo Boyd Cette fiction est hilarante de par sa spontanéité et son audace. Le film met en scène une jeune femme en
Le dernier film à l’honneur a été réalisé par un Montréalais, qui était présent à la projection. Ce documentaire de 25 minutes est remarquable, car il donne une voix à quatre personnes queer et musulmanes. Cette identité est peu discutée sur la scène publique et, pour une fois, ces personnes étaient au premier rang pour parler de leurs expériences, ce qui a donné au film une poignante sincérité. Le court métrage, en alternant des scènes un peu plus légères et des scènes beaucoup plus dures, réussit à souligner la multitude de façons par lesquelles les protagonistes vivent cette identité. Le documentaire ne cherche pas à apporter de réponse définie ou à établir des généralisations entre chaque personne ; il raconte plutôt la réalité de ces quatre individus tels qu’ils la vivent : en proie à des doutes, des questionnements et surtout sans cesse en changement, comme chacun de nous. En somme, on ressort de cette soirée avec un désir de changer le monde et surtout incapable d’élire son court métrage préféré! Le FFFM reviendra pour une quatrième édition l’année prochaine. x
EXPOSITION
Fusion pourpre Eda Montalieu
Contributrice
Les reliefs d’une cité engloutie semblent se refléter dans les eaux limpides d’un lac. D’un trait constant et harmonieux, la vaste étendue répand la sérénité sur un horizon pittoresque. Absorbé dans la contemplation de ce paysage vaguement exotique, l’esprit rationnel se trouve soudainement frappé par la teinte fantastique de ses profondeurs multiples. La projection d’un miroitement d’émeraude dans un ciel tourmenté arrache alors les âmes à la réalité pour les porter sur les volutes d’un univers dantesque. Le tracé régulier des nappes lumineuses est tout à coup écrasé par les nuées d’un tourbillon rouge sang. Difformités extravagantes et figures monstrueuses semblent jaillir de la cité en ruines pour former une tour infernale. Dans l’enchevêtrement de ces formations angulaires s’épanouit alors une nébuleuse apocalyptique, au sein de laquelle une tempête de feu s’échappe des griffes du diable. Depuis les profondeurs placides jusqu’à la voûte torturée de cette figure satanique, textures, couleurs et univers s’accordent sur une danse macabre. Une véritable fusion des matières, des styles et des imaginaires explose alors dans une effervescence cataclysmique. x
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culture
PIERRE-YVES GIRARD, Figure de fusion 3, 2019 huile sur toile, 85 x 76 cm Exposée à la Galerie d’Este.
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expression créative
statu quo taillant l’humain dans un roc filant droit vers l’inondation, sans la voir sans s’attendre au choc savoir blotti dans un soi-disant noir un voile tissé d’or et de papier pourtant, il fait chaud. refus catégorique de se laisser aveugler par cet or et par cette avidité
statu quo rompu sculptant un futur sans indication où allons-nous?
qui sait.
texte : violette drouin VISUEL : Audrey bourdon
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culture
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États financiers 30 avril 2019 RICHTER
As part of an audit in accordance with Canadian generally accepted auditing standards, we exercise professional judgment and maintain professional skepticism throughout the audit. We also:
Independent Auditor's Report To the Directors of Daily Publications Society / Société de Publication du Daily
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Identify and assess the risks of material misstatement of the financial statements, whether due to fraud or error, design and perform audit procedures responsive to those risks, and obtain audit evidence that is sufficient and appropriate to provide a basis for our opinion. The risk of not detecting a material misstatement resulting from fraud is higher than for one resulting from error, as fraud may involve collusion, forgery, intentional omissions, misrepresentations, or the override of internal control.
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Obtain an understanding of internal control relevant to the audit in order to design audit procedures that are appropriate in the circumstances, but not for the purpose of expressing an opinion on the effectiveness of the Organization's internal control.
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Evaluate the appropriateness of accounting policies used and the reasonableness of accounting estimates and related disclosures made by management.
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Conclude on the appropriateness of management's use of the going concern basis of accounting and, based on the audit evidence obtained, whether a material uncertainty exists related to events or conditions that may cast significant doubt on the Organization's ability to continue as a going concern. If we conclude that a material uncertainty exists, we are required to draw attention in our auditor's report to the related disclosures in the financial statements or, if such disclosures are inadequate, to modify our opinion. Our conclusions are based on the audit evidence obtained up to the date of our auditor's report. However, future events or conditions may cause the Organization to cease to continue as a going concern.
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Evaluate the overall presentation, structure and content of the financial statements, including the disclosures, and whether the financial statements represent the underlying transactions and events in a manner that achieves fair presentation.
Opinion We have audited the financial statements of Daily Publications Society / Société de Publication du Daily (the Organization), which comprise the statement of financial position as at April 30, 2019, and the statements of operations, changes in net assets and cash flows for the year then ended, and notes to the financial statements, including a summary of significant accounting policies. In our opinion, the accompanying financial statements present fairly, in all material respects, the financial position of the Organization as at April 30, 2019, and the results of its operations and its cash flows for the year then ended in accordance with Canadian accounting standards for not-for-profit organizations. Basis for Opinion We conducted our audit in accordance with Canadian generally accepted auditing standards. Our responsibilities under those standards are further described in the Auditor's Responsibilities for the Audit of the Financial Statements section of our report. We are independent of the Organization in accordance with the ethical requirements that are relevant to our audit of the financial statements in Canada, and we have fulfilled our other ethical responsibilities in accordance with these requirements. We believe that the audit evidence we have obtained is sufficient and appropriate to provide a basis for our opinion. Responsibilities of Management and Those Charged with Governance for the Financial Statements Management is responsible for the preparation and fair presentation of the financial statements in accordance with Canadian accounting standards for not-for-profit organizations, and for such internal control as management determines is necessary to enable the preparation of financial statements that are free from material misstatement, whether due to fraud or error. In preparing the financial statements, management is responsible for assessing the Organization's ability to continue as a going concern, disclosing, as applicable, matters related to going concern and using the going concern basis of accounting unless management either intends to liquidate the Organization or to cease operations, or has no realistic alternative but to do so.
We communicate with those charged with governance regarding, among other matters, the planned scope and timing of the audit and significant audit findings, including any significant deficiencies in internal control that we identify during our audit.
Those charged with governance are responsible for overseeing the Organization's financial reporting process. Montréal, Quebec September 27, 2019
Auditor's Responsibilities for the Audit of the Financial Statements Our objectives are to obtain reasonable assurance about whether the financial statements as a whole are free from material misstatement, whether due to fraud or error, and to issue an auditor's report that includes our opinion. Reasonable assurance is a high level of assurance, but is not a guarantee that an audit conducted in accordance with Canadian generally accepted auditing standards will always detect a material misstatement when it exists. Misstatements can arise from fraud or error and are considered material if, individually or in the aggregate, they could reasonably be expected to influence the economic decisions of users taken on the basis of these financial statements.
MONTRÉAL
TORONTO
CHICAGO
1981 McGill College Montréal QC H3A 0G6 514.934.3400
181 Bay St., #3510 Bay Wellington Tower Toronto ON M5J 2T3 416.488.2345
200 South Wacker Dr., #3100 Chicago, IL 60606 312.828.0800
1CPA
auditor, CA, public accountancy permit No. A112505
RICHTER.CA
Daily Publications Society / Société de Publication du Daily Statement of Operations For the Year Ended April 30, 2019
2019 $
2018 $
Revenues Advertising Student fees Other
50,760 309,439 3,815
74,589 304,233 391
364,014
379,213
84,390 118,576 155,705 1,852
81,591 126,935 166,179 2,037
360,523
376,742
3,491
2,471
Expenses Selling General and administrative Printing and production Financial Excess of revenues over expenses from operations before interest income Interest income
16,320
990
Excess of revenues over expenses
19,811
3,461
See accompanying notes and additional information
Daily Publications Society / Société de Publication du Daily Statement of Changes in Net Assets For the Year Ended April 30, 2019
Balance - beginning of year
Emergency reserve $ 150,000
Excess of revenues over expenses Balance - end of year
Operations reserve $
Emergency reserve $ Balance - beginning of year Excess of revenues over expenses Balance - end of year See accompanying notes
75,000
150,000
Invested in capital assets $
75,000 Operations reserve $
150,000 150,000
75,000
2019 Total $ 282,271
12,463
44,808
(1,939)
21,750
19,811
10,524
66,558
302,082
Invested in capital assets $
75,000
Unrestricted $
Unrestricted $
2018 Total $
9,283
44,527
3,180
281
278,810 3,461
12,463
44,808
282,271